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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session extraordinaire de 2015-2016

Compte rendu
intégral

Première séance du jeudi 21 juillet 2016

Présidence de M. Claude Bartolone

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à douze heures.)

1

Prorogation de l’état d’urgence

Commission mixte paritaire

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, du projet de loi prorogeant l’application de la loi n55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste (n3993).

Présentation

M. le président. La parole est à M. Pascal Popelin, rapporteur de la commission mixte paritaire.

M. Pascal Popelin, rapporteur de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, monsieur le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, mes chers collègues, moins d’une semaine après l’odieux attentat qui a ensanglanté la ville de Nice le jour de notre fête nationale, au terme d’une vingtaine d’heures de débats à l’Assemblée nationale puis au Sénat, j’ai l’honneur de vous présenter ce matin le texte résultant de l’accord trouvé hier soir avec nos collègues sénateurs dans le cadre de la commission mixte paritaire.

Cet accord fixe les modalités de la prorogation de l’état d’urgence pour une durée de six mois. Il conclut un processus engagé mardi par le Parlement. Avec mon collègue Michel Mercier, rapporteur au Sénat, ainsi qu’avec les présidents des commissions des lois des deux chambres – Dominique Raimbourg et Philippe Bas – et le Gouvernement, nous y travaillons depuis vendredi dernier. Je veux y associer nos administrateurs, qui se sont une nouvelle fois illustrés par leur compétence et leur capacité à faire du bon travail dans des délais impossibles.

Durant ces longs échanges, menés dans le respect et la confiance, nous n’avons eu de cesse de penser à toutes les victimes et à leurs familles : celles de Nice, bien sûr, mais aussi toutes celles qui les ont malheureusement précédées.

Nous avons été animés par un seul souci : celui d’oeuvrer au renforcement de la sécurité des Françaises et des Français, tout en ayant conscience qu’aucune loi ne peut abolir la folie ni garantir un risque zéro.

Nous avons eu aussi pour préoccupation de donner à celles et ceux qui ont pour mission de nous protéger – policiers, gendarmes, militaires, services de renseignements de ces forces, magistrats – les moyens de droit les plus opérationnels pour agir dans le respect de ce qui fonde, depuis plus de deux siècles, le pacte social de notre nation et plus généralement de toutes les démocraties.

Je veux, en quelques mots, dire combien profondément j’ai ressenti le contraste entre le sérieux, la précision et la sincérité du travail que nous avons mené loin des caméras et des micros – qui permet aujourd’hui d’aboutir à une nouvelle amélioration de nos outils de lutte contre le terrorisme – et le tumulte, les excès parfois insoutenables d’un débat public dont je regrette qu’il ait été si peu maîtrisé. En dépit de l’image déplorable qui en a été donnée, je continue de penser que le travail parlementaire que nous avons mené honore la démocratie.

J’en viens à une présentation rapide de son contenu.

Toute législation d’exception appelle un contrôle renforcé des pouvoirs confiés.

M. Jean-Luc Laurent. Très juste !

M. Pascal Popelin, rapporteur. Le président Raimbourg a proposé de compléter l’article 4-1 de la loi du 3 avril 1955 par des modalités précises de transmission des actes administratifs pris sur le fondement de l’état d’urgence. Nos collègues sénateurs ont, à l’article 1er bis, adopté sans modification ces dispositions et le président Bas a indiqué combien ce renforcement lui paraissait bienvenu.

Mme Sandrine Mazetier. Très bien !

M. Pascal Popelin, rapporteur. S’il ne saurait suffire, à lui seul, à empêcher la survenue de nouveaux attentats, l’état d’urgence doit permettre une mobilisation inédite des forces de l’ordre.

M. Christian Jacob. Et de la gauche ?

M. Pascal Popelin, rapporteur. Au moment de la déclaration de l’état d’urgence, le Président de la République et le Gouvernement avaient fait le choix de permettre aux préfets d’ordonner des perquisitions administratives. Cette mesure a été massivement utilisée. Si la loi du 20 mai 2016 n’a pas reconduit cette autorisation, c’est parce que, en censurant la faculté de copier des données informatiques auxquelles il aurait été possible d’accéder lors de ces perquisitions, la décision du Conseil constitutionnel du 19 février 2016 leur a fait perdre beaucoup de leur intérêt. L’article 2 du projet de loi crée donc un nouveau régime de saisie des données et des matériels informatiques, dont la commission mixte paritaire n’a pas remis en cause l’économie générale.

Nous sommes aussi tombés d’accord sur les modalités de renforcement des outils de l’état d’urgence. À cet égard, l’article 1er ter est important car il ouvre la possibilité aux préfets d’ordonner des contrôles d’identité et des fouilles de bagages et de véhicules sans réquisition préalable du procureur de la République. C’est un assouplissement conséquent, qui restera bien entendu limité à la durée de l’état d’urgence.

Dans un souci bienvenu de respect de l’État de droit, il a semblé opportun aux sénateurs de légaliser la jurisprudence relative à la présomption d’urgence pour les recours en référé contre les mesures d’assignation à résidence : tel est l’objet de l’article 2 bis A.

Outre les dispositions modifiant la loi du 3 avril 1955, onze autres mesures intéressant la procédure pénale ou d’autres domaines forment un volet spécifique du projet de loi dédié à la lutte antiterroriste.

L’article 3 prévoit des modalités d’aménagement de peine pour les personnes condamnées pour terrorisme. Sur ce point, nous nous sommes entendus avec les sénateurs pour limiter à la suspension et au fractionnement des peines privatives de liberté, au régime de la semi-liberté et du placement à l’extérieur ainsi qu’aux crédits automatiques de réduction de peine les dispositifs dont ne pourront pas, ou plus, bénéficier les personnes condamnées pour terrorisme.

M. Patrick Hetzel. Très bien.

M. Pascal Popelin, rapporteur. Un article 4, qui donne une base légale plus complète à la vidéosurveillance des prisonniers placés en détention provisoire, a été introduit mardi soir par notre assemblée.

L’article 6 augmente la durée maximale d’assignation à résidence pour les personnes de retour d’un théâtre d’opérations de groupements terroristes à l’étranger. Cette solution a été préférée à la création d’un nouveau délit, dans la mesure où l’incrimination de terrorisme permet déjà de poursuivre ceux pour lesquels on dispose des éléments nécessaires. Pour les autres, il faut pouvoir disposer d’un laps de temps suffisant pour recueillir ces éléments.

L’article 6 bis supprime la durée limite de l’interdiction de sortie du territoire.

L’article 7 allonge les délais de détention provisoire pour les mineurs de plus de seize ans mis en cause dans des procédures terroristes. Je précise que cette disposition ne concerne à ce jour qu’une dizaine de cas, qu’il est difficile pour les magistrats d’isoler de leurs complices majeurs.

L’article 8, dans la nouvelle rédaction adoptée par le Sénat, augmente de nouveau le quantum des peines applicables aux crimes terroristes, sans toutefois modifier la hiérarchie des peines car une telle modification aurait posé un problème majeur.

L’article 10 rend automatique la peine complémentaire d’interdiction du territoire français pour les étrangers condamnés pour terrorisme sauf décision expresse et motivée du juge, selon le même mécanisme que celui que nous avons récemment adopté dans le cadre de l’examen du projet de loi dit « Sapin 2 ».

Les articles 11 et 11 ter corrigent opportunément les quelques – rares – imperfections de la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement que sa mise en œuvre a révélées.

M. Christian Jacob. Plus c’est gros, plus ça passe !

M. Patrick Hetzel. Exact.

M. Pascal Popelin, rapporteur. Je ne vois pas ce qu’il y a de comique : pour pratiquer au quotidien la mise en œuvre de cette loi, je peux vous dire qu’elle est bien faite et efficace. Compte tenu de ce qui a été fait en matière de renseignement au cours du quinquennat précédent, vous feriez mieux, mes chers collègues, de faire preuve d’un peu plus de modération ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain. – Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains - )

M. Xavier Breton. Ce n’est pas le moment de nous donner des leçons !

M. Philippe Meunier. Il ne faut pas nous chercher.

M. Patrice Verchère. De toute façon, les Français ne vous croient plus !

M. Patrick Hetzel. Et l’argumentation est bien faible !

M. le président. Allons, mes chers collègues, je vous rappelle que nous discutons d’un texte sur lequel un accord est intervenu.

M. Pascal Popelin, rapporteur. L’article 11 bis, consécutivement aux débats à l’Assemblée nationale sur ce point, adapte dans le sens d’une plus grande efficience les conditions d’autorisation de l’armement des policiers municipaux.

Les articles 11 quater et 11 quinquies concernent la réserve évoquée par le Président de la République et le Gouvernement : le premier étend la réserve civile de la police nationale aux anciens adjoints de sécurité, tandis que le second augmente les durées maximales d’activité dans les réserves militaire, de sécurité civile, sanitaire ou de la police nationale. Le Gouvernement proposera un amendement technique à ce dispositif. Le caractère tardif de son dépôt est dû au fait que le dispositif n’a été adopté qu’hier après-midi par le Sénat.

Enfin, l’article 11 sexies, inséré par les sénateurs, prévoit que le Conseil supérieur de l’audiovisuel devra superviser l’élaboration d’un code de bonne conduite pour la couverture audiovisuelle des actes terroristes.

Mes chers collègues, ce qui vous est proposé me semble solide, sérieux, utile et respectueux des principes de notre démocratie. Je vous invite donc à l’approuver massivement, dans l’intérêt de la France, dans l’intérêt de notre nation, qui doit pouvoir continuer de vivre dans le respect des valeurs qui ont fait le rayonnement de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Marc Le Fur. Où est le ministre de l’intérieur ?

Mme Elisabeth Pochon. Il est sur le terrain !

M. Marc Le Fur. Il devrait être là !

M. Xavier Breton. Sur un texte majeur, c’est l’usage !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement. Messieurs les députés, soyez aimables, tout de même.

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur de la commission mixte paritaire, mesdames et messieurs les députés, une semaine après l’attentat de Nice, l’émotion reste immense dans notre pays. En visant la France un 14 juillet, tuant aveuglément quatre-vingt quatre innocents, le terrorisme s’en est pris aussi à nos symboles, à notre devise, à nos valeurs.

La volonté du Gouvernement est claire – et je sais qu’elle est partagée par la représentation nationale – : nous ne laisserons pas le terrorisme diviser notre pays. Nous ne laisserons pas le terrorisme fragiliser notre société. Nous ne laisserons pas le terrorisme fissurer la République.

Dans de tels moments, il n’y a pas de place pour la division, il n’y a pas de place pour la dispersion. Et je crois qu’en nous réunissant ce matin pour examiner les conclusions de cette commission mixte paritaire sur le projet de loi de prolongation de l’état d’urgence, nous faisons la démonstration de notre unité face à la terreur et ce faisant nous nous montrons à la hauteur de ces événements.

L’unité, ce n’est pas l’absence de débat, de contrôle ou d’évaluation mais je tiens à le dire : le débat, ce n’est pas la remise en cause systématique de l’action de l’État, de nos forces de l’ordre et de nos services de renseignement à laquelle certains peuvent se livrer.

La France est une démocratie vivante : c’est sa force. Et le débat a eu lieu, mardi soir à l’Assemblée nationale comme hier soir au Sénat. Tous les arguments, toutes les propositions ont pu être entendus. Le Gouvernement a accepté que son texte évolue et je me réjouis qu’un accord ait pu être trouvé entre les deux assemblées.

Un accord ; l’unité de la nation et de ses représentants face au terrorisme : voilà ce que les Français exigent de nous ! La responsabilité de l’État, du Gouvernement et du Parlement – notre responsabilité collective –, c’est d’abord de prévoir les moyens humains et les outils juridiques nécessaires à une lutte efficace contre le terrorisme.

Concernant les moyens humains, vous le savez, le Président de la République a décidé de maintenir l’opération Sentinelle, mobilisant ainsi 10 000 militaires. Cela permettra prioritairement d’assurer le contrôle des flux aux frontières, dans les gares, les aéroports et de sécuriser les grands rassemblements estivaux. Cette présence sera rééquilibrée entre Paris et les régions.

Nous avons aussi décidé de mobiliser la réserve opérationnelle civile, qui compte déjà 12 000 volontaires. C’est essentiel pour venir en aide à des forces de l’ordre déjà éreintées même si elles maintiennent un engagement sans faille au service de l’État.

Donner à nos forces de l’ordre les moyens d’agir après cet attentat, c’est aussi l’objectif du projet de loi que vous examinez aujourd’hui.

L’état d’urgence, c’est un régime réactif et efficace. Il a fait ses preuves. Depuis le 14 novembre 2015, ce sont 3 594 perquisitions administratives qui ont été menées. Elles ont permis la saisie de 756 armes. Elles ont conduit à l’ouverture de 600 procédures judiciaires. C’est pourquoi le Président de la République a décidé, dans la nuit du 14 au 15 juillet, de le prolonger.

Cette prolongation a nécessité un travail intense des deux assemblées et je tiens à vous remercier, monsieur le président de l’Assemblée nationale, d’avoir permis l’examen de ce texte dans les meilleures conditions.

Je souhaite également vous remercier, monsieur le président Dominique Raimbourg, pour avoir réuni mardi la commission des lois dans les meilleurs délais, ainsi que vous, monsieur le rapporteur Pascal Popelin, qui avez joué un rôle essentiel dans l’aboutissement de cette commission mixte paritaire.

Je crois que, lors de nos débats, nous avons su, Gouvernement et parlementaires de toutes sensibilités, le plus souvent nous retrouver sur l’essentiel. Ce travail a permis d’enrichir le texte initial de plusieurs dispositions nouvelles.

Le texte qui vous est soumis ce matin repose sur deux piliers : le renforcement de l’état d’urgence d’une part, la consolidation des mesures de droit commun de lutte contre le terrorisme d’autre part.

Le premier pilier, celui de l’état d’urgence, a été enrichi par les deux assemblées, au travers, d’abord, de l’allongement de la durée de cette prorogation de trois à six mois. À la suite des décisions du Conseil constitutionnel, le Gouvernement a assorti les perquisitions administratives d’un régime de saisie des données numériques. À l’initiative de l’Assemblée nationale, la retenue sur les lieux de la personne faisant l’objet d’une perquisition administrative sera désormais possible. Vous avez adopté une mesure permettant les fouilles des bagages et des véhicules et les contrôles d’identité. Le Sénat y a également travaillé et un accord sur ce point a pu être trouvé en CMP.

Le second pilier relève de l’initiative du Parlement. Il démontre combien les parlementaires se sont saisis de cette question de la lutte antiterroriste. Certaines mesures viennent consolider l’infraction d’association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste, qui est la clé de voûte de la politique pénale en matière de lutte antiterroriste. D’autres légalisent ce qui est d’ores et déjà la pratique des juges en matière d’application des peines dans la lutte pour des faits de terrorisme. D’autres encore consolident les mesures de la loi relative au renseignement dans le domaine de la lutte antiterroriste.

Mesdames, messieurs les députés, les Français attendent de nous une réaction à la hauteur de l’attaque que nous avons subie. Ils ne comprennent pas que l’on puisse nourrir de vaines polémiques. Ils savent parfaitement que la situation est complexe, que le combat pour l’éradication du terrorisme sera long et qu’il fera peut-être de nouvelles victimes sur notre sol.

Je crois que le débat que nous avons eu répond à cette exigence. Je veux encore une fois saluer votre travail et celui de vos collègues sénateurs car, dans votre immense majorité, vous avez examiné ce texte avec l’envie d’apporter des solutions, des outils concrets à nos forces de l’ordre et de renseignement. Vous avez examiné ce texte conformément à l’exigence de responsabilité et d’unité qui doit être celle de tous les républicains quand la cohésion nationale est menacée.

M. Patrick Hetzel. C’est pour cela que vous avez rejeté nos propositions ?

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Au moment où vous vous apprêtez à adopter ce texte, je veux enfin vous dire que le Président de la République, le Premier ministre et le ministre de l’intérieur sont absolument déterminés à tout mettre en œuvre pour remporter la guerre contre le terrorisme.

Je tiens aussi, au nom du Gouvernement, à remercier les forces de l’ordre, qui sous l’autorité du ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, auquel j’apporte mon entier soutien, agissent chaque jour, parfois au péril de leur vie, pour combattre les terrorismes.

Nous remporterons ce combat, les mesures de cette loi nous y aideront. C’est la raison pour laquelle je vous appelle à apporter une large majorité au texte qui vous est soumis aujourd’hui. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je veux d’abord, de manière très solennelle, vous faire part de mon amertume, pour ne pas dire mon écœurement, devant le spectacle donné par une partie de la classe politique depuis l’attentat sanglant de jeudi dernier. (Exclamations sur de nombreux bancs du groupe Les Républicains.)

M. Alain Chrétien. On n’en peut plus de vos leçons de morale !

M. André Chassaigne. Les invectives, les amalgames, les surenchères sécuritaires, les tractations politiciennes, ici même et au Sénat, non seulement ne sont pas à la hauteur de la situation mais rabaissent notre démocratie. (Protestations sur de nombreux bancs du groupe Les Républicains.)

M. Georges Fenech. C’est vous qui la rabaissez !

M. Alain Chrétien. A-t-on le droit de débattre ?

M. André Chassaigne. Je préfère mériter vos sifflets que vos bravos !

La réalité devrait s’imposer à chacun de nous : le Premier ministre lui-même l’a reconnu, l’état d’urgence n’empêche pas les attentats.

M. Jean-Luc Laurent. Exactement !

M. André Chassaigne. La seule réponse sécuritaire de court terme est vouée à l’échec.

Face au fléau que constituent les attentats à répétition et face à la douleur des victimes, le courage politique impose un discours de vérité. Les députés du front de gauche l’affirment : il faut sortir de l’état d’urgence et mettre fin à ce régime d’exception, attentatoire par nature aux libertés et aux droits fondamentaux.

Ce régime d’exception, qui a pu être nécessaire pour une période limitée dans un cadre strictement défini, a perdu de son efficacité. De nombreuses réserves ont d’ailleurs été exprimées par les associations de défense des droits de l’homme, le défenseur des droits, certaines institutions internationales ou encore les rapporteurs de la commission d’enquête sur la lutte contre le terrorisme.

L’horreur à laquelle nous avons été confrontés il y a une semaine ne change rien à ce constat. La peur n’est jamais bonne conseillère, surtout pas quand elle est alimentée et instrumentalisée. Les Français attendent de leurs dirigeants sang-froid, lucidité et responsabilité.

Sur le court terme, notre législation est aujourd’hui largement suffisante pour répondre à la menace terroriste. Elle a d’ailleurs été maintes et maintes fois remaniée et complétée, durcie, parfois de manière abusive, nous l’avons dit, afin de l’adapter aux nouvelles formes de terrorisme. Dans ce court terme, l’enjeu réside davantage dans le renforcement des moyens humains et matériels de nos services de renseignement et de nos autorités judiciaires spécialisées que dans le renforcement de l’arsenal répressif. Combattre le terrorisme nécessite avant tout un accroissement des effectifs de police et de renseignement, des douanes et de la justice, affaiblis sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy.

Au-delà, nous avons la responsabilité d’analyser, de comprendre, pour construire et apporter des réponses globales afin de conjurer le terrorisme comme mode d’action politique. Il s’agit là d’un objectif bien plus utile que celui d’éradiquer des ennemis en recourant à des moyens qui contribuent au contraire à leur multiplication.

D’abord, pour empêcher de nouveaux recrutements sur notre territoire, la déradicalisation apparaît sur le court terme indispensable, prioritaire. Empêcher la radicalisation l’est encore plus sur le moyen terme pour cesser d’alimenter en chair à canon les rangs de Daech. Comprenons bien que nous sommes désormais confrontés à des individus isolés, des fous qui cherchent une cause susceptible de justifier des actions suicidaires. Comme le dit le politologue Olivier Roy, « aujourd’hui Daech fascine tous ceux qui sont en recherche de radicalité ou de suicide. Ils souhaitent inscrire leur action dans le grand narratif de Daech ».

C’est pourquoi, je tiens à le dire ici, il est de la responsabilité des médias et des politiques de ne pas alimenter cette quête d’héroïsme et du quart d’heure de célébrité.

Sur le plan international, la lutte pour anéantir Daech est une lutte de plus long terme. Certes, comme beaucoup l’ont souligné sur tous ces bancs il y a deux jours, l’État islamique a perdu du terrain mais son éradication sera longue. Elle nécessite la mise en place, sous l’égide de l’ONU, d’une coalition forte de tous les acteurs de la région. Le combat contre le terrorisme suppose une stratégie claire, globale et collective contre Daech et tous les combattants djihadistes. Ce serait une erreur grave de riposter à la violence terroriste sans une stratégie politique visant le retour de la paix et le développement de toute la région. Cela permettrait au contraire à Daech d’atteindre ses buts de guerre.

Je le redis avec solennité mais aussi avec l’humilité qu’exige une situation aussi complexe – même si nous n’avons pas la même appréciation quant aux réponses à apporter, je crois que c’est d’humilité que nous avons besoin plutôt que d’invectives – : nous ne serons pas en mesure d’assurer la sécurité à laquelle notre peuple aspire légitimement si nous n’apportons pas de réponses à ces questions qui dépassent largement nos frontières.

Parce que l’état d’urgence ne doit être qu’une nécessité transitoire, parce qu’on ne peut pas dans un État de droit considérer les abus comme des effets collatéraux acceptables, parce que notre droit commun nous fournit les outils juridiques nécessaires pour lutter contre le terrorisme, nous devons sortir de l’état d’urgence – c’est ce que pensent les députés du Front de gauche mais aussi d’autres progressistes dans cette assemblée – et apporter une réponse globale pour prévenir de manière pérenne la menace terroriste qui pèse sur notre pays.

Je veux le répéter encore une fois : il nous faut faire preuve de détermination, de conviction et de beaucoup d’humilité face à une situation aussi grave.

M. le président. La parole est à M. Yves Goasdoué.

M. Yves Goasdoué. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’avis du Conseil d’État sur le projet de loi qui nous occupe est éloquent : « la poursuite de l’état d’urgence est nécessaire, adaptée, proportionnée et par suite justifiée ». L’Assemblée nationale et la Haute Assemblée ont à de très larges majorités suivi cet avis.

Encore fallait-il que les modalités de l’état d’urgence soient à la hauteur de la menace terroriste. Aux organisations criminelles structurées en réseaux s’ajoute aujourd’hui l’action de fanatiques isolés usant d’armes par destination – c’est ce qui s’est passé sur la Promenade des Anglais à Nice. Il faut donc que notre arsenal juridique puisse assurer aux Françaises et aux Français une protection maximale.

Cette protection doit, c’est l’essence même de la République, s’effectuer dans le cadre de l’État de droit sans rien sacrifier aux principes fondamentaux qui font de la France le pays des libertés. Il ne doit pas y avoir de place pour une législation d’exception.

L’exercice est périlleux et je veux remercier nos deux assemblées pour la tenue de nos débats, qui, à quelques exceptions près, ont été à la hauteur des attentes et de la peine des Français. Je remercie notre rapporteur et le président de la commission des lois pour leurs initiatives. Je remercie enfin tous les membres de la commission mixte paritaire, qui ont permis cette nuit que la nation exprime son unité au travers d’un texte commun.

Je veux dire précisément aux Françaises et aux Français quelles nouvelles armes le renouvellement de l’état d’urgence va donner aux forces de l’ordre et aux magistrats.

S’agissant des moyens d’action sur le terrain, les préfets pourront faire procéder directement à des vérifications d’identité et à des fouilles de véhicules dans les lieux et durant le temps nécessaires à la gestion de la menace ou à l’organisation de grandes manifestations. Les cortèges, défilés et réunions sur la voie publique pourront être interdits s’ils ne peuvent pas être sécurisés. Dans notre esprit, cela ne vise pas les manifestations qui restent sous l’empire du droit commun.

La possibilité de recueillir des données téléphoniques et informatiques pourra être étendue à l’entourage d’une personne visée par cette mesure. Cela permettra de démanteler plus rapidement et plus facilement les réseaux et ainsi de prévenir les passages à l’acte. Naturellement chaque personne écoutée devra être nommément désignée.

Les perquisitions permettront d’exploiter, sous le contrôle et avec l’autorisation du juge administratif, les données informatiques auxquelles elles auront permis d’accéder. La CMP a renforcé ce dispositif en allongeant le délai de restitution des supports informatiques lorsque leur exploitation s’avère difficile. Enfin l’assignation à résidence des personnes revenant de théâtres d’opérations terroristes, dont la durée est aujourd’hui limitée à un mois, pourra durer jusqu’à trois mois.

S’agissant de la répression judiciaire, les délinquants condamnés pour des actes de terrorisme ne pourront plus bénéficier d’une remise automatique de peine, pas plus que d’une exécution fractionnée de cette peine ni de mesures de semi-liberté. Le quantum de la peine encourue pour avoir organisé ou dirigé une entente à des fins terroristes passe de vingt à trente ans. Enfin l’interdiction de séjour sur le territoire français, prononcée soit à titre définitif soit pour dix ans, sera de règle pour les personnes coupables d’une infraction à caractère terroriste.

Il importe – ceci a été dit par beaucoup de collègues et rappelé hier par le Président de la République – de mobiliser le peuple de France. C’est pourquoi il a été décidé de prolonger la durée maximale d’activité dans les réserves de l’armée, de la sécurité civile et sanitaire ou de la police nationale. Ces effectifs devraient constituer à terme une garde nationale, pour reprendre les mots mêmes du Président de la République.

Mobiliser le peuple, c’est aussi l’informer en toute objectivité et impartialité. À cet effet, il a été décidé que le Conseil supérieur de l’audiovisuel devra élaborer un code de bonne conduite relatif à la couverture médiatique des actes terroristes.

Renforcer l’état d’urgence dans le respect de l’État de droit, garantir l’effectivité de cet état d’urgence au travers d’un renforcement sans pareil des moyens techniques, humains et financiers, tout cela au service de la sécurité des Français : voilà ce que votera le groupe socialiste, écologique et républicain. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Éric Ciotti.

M. Éric Ciotti. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, permettez-moi, au nom de notre groupe, de m’étonner de l’absence du Premier ministre, du ministre de l’intérieur et du ministre de la justice (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe Les Républicains) à un moment aussi important. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.) L’unité nationale se construit aussi dans le respect du Parlement.

M. Guy Geoffroy. Ils sont déjà en vacances !

M. Pascal Popelin, rapporteur. Ce n’est pas convenable, monsieur Geoffroy !

M. Éric Ciotti. Il est vrai que le ministre de l’intérieur a peut-être d’autres sources de préoccupation ce matin, étant donné les questions qui ont été posées par la presse.

Si nous sommes ici, ce matin, c’est que la tragédie qui a frappé la ville de Nice vous a conduits à revenir sur ce que le Président de la République avait annoncé le jour même, avec un manque d’anticipation qui lui vaudra définitivement le jugement le plus sévère des Français. Annoncer à treize heures que l’état d’urgence ne serait pas prorogé et que le dispositif Sentinelle serait affaibli traduisait une forme de manque d’anticipation, voire d’incohérence…

Mme Elisabeth Pochon. Madame Soleil !

M. Alain Chrétien. Quel amateurisme !

M. Éric Ciotti. …, d’autant que le Premier ministre nous a dit par la suite que des attentats visant l’Euro avaient été déjoués.

M. Patrick Hetzel. Très juste !

M. Éric Ciotti. Cela veut dire qu’au moment où le Président de la République parlait, il connaissait ces informations dont nous ne disposions pas. C’était donc bien un manque d’anticipation ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Quant aux questions qui sont posées, nous avons, avec Christian Jacob et Guillaume Larrivé, écrit au président de la commission des lois pour demander que la mission de contrôle du Parlement joue son rôle. Je ne souhaite pas qu’il y ait de polémique dans un tel moment…

Mme Élisabeth Guigou. On ne le dirait pas !

M. Éric Ciotti. … mais pour qu’il n’y en ait pas, il faut garantir aux Français la vérité et la transparence auxquelles ils ont droit.

Mme Élisabeth Guigou. Quelle hypocrisie !

M. Éric Ciotti. Certes l’inspection générale de la police nationale a été saisie mais il faut que la commission des lois et le Parlement le soient également pour que toute la vérité soit faite. Il y a eu 84 morts, plus de deux cents blessés et des milliers de personnes ont frôlé la mort et ont été traumatisées.

Mme Claude Greff. Exactement !

M. Éric Ciotti. Notre responsabilité, c’est d’apporter des réponses claires, totales, exhaustives, transparentes, dans la vérité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme Claude Greff. Nous sommes des personnes responsables !

M. Éric Ciotti. Nous allons, dans quelques instants, voter dans un tel climat la prorogation de l’état d’urgence. Les Républicains prendront une nouvelle fois leurs responsabilités. C’est la quatrième fois que nous prorogerons l’état d’urgence et la dixième que nous voterons un texte de lutte contre le terrorisme.

Des avancées importantes ont été obtenues grâce aux propositions des sénateurs et des députés Les Républicains se sont coordonnés, à la demande du président Nicolas Sarkozy, pour dire que nous prendrions nos responsabilités, à la condition que cet état d’urgence protège réellement les Français, qu’il ne soit pas fictif ni virtuel comme c’est le cas depuis mai et qu’il y ait des dispositions précises et claires. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Ces avancées concernent d’abord la durée de l’état d’urgence.

M. Pascal Popelin, rapporteur. C’est moi qui ai proposé six mois !

M. Éric Ciotti. Vous vouliez trois mois, nous voulions un an : nous sommes arrivés à six mois. La possibilité d’ordonner des perquisitions administratives a été réintroduite à l’initiative du Gouvernement, mais quelle erreur de l’avoir supprimée en mai !

M. Georges Fenech. Quelle constance !

M. Éric Ciotti. Quel manque d’anticipation, là encore !

Nous avons réintroduit par un amendement la possibilité de fouiller les véhicules et les bagages ou de contrôler les identités pour les policiers et les gendarmes. C’est une avancée extrêmement importante !

Mme Elisabeth Pochon. Vous enfoncez des portes ouvertes !

M. Éric Ciotti. Nous avons réduit les possibilités d’aménagement des peines en cas de condamnation pour terrorisme. Le Sénat a introduit une disposition importante permettant d’expulser les personnes condamnées pour actes terroristes. Il a également introduit la possibilité de fermer des lieux de culte. Ces avancées, c’est l’opposition républicaine qui les a portées. Cette responsabilité, c’est notre conception de l’unité nationale !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. On n’y croit pas !

M. Éric Ciotti. Vous avez partiellement entendu l’opposition mais beaucoup reste à faire parce que, sur des points essentiels, vous avez refusé de nous écouter. Vous considérez qu’on doit rester dans le même cadre ; nous, nous considérons que puisque notre pays est en guerre – car, oui, la barbarie islamiste nous a déclaré la guerre –, il faut aller plus loin, il faut changer de cadre, il faut changer de discours. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Nous serons amenés, à l’initiative du président Jacob, à déposer au mois d’octobre, lors de la rentrée parlementaire, une proposition de loi…

Mme Claude Greff. Très bien !

M. Éric Ciotti. …où figureront notamment deux dispositions essentielles : la rétention de sûreté et la rétention administrative…

M. Guy Geoffroy. Très bien !

Mme Elisabeth Pochon. Affichage !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. C’est la loi des suspects !

M. Éric Ciotti. … conformément à un principe de précaution essentiel que vous avez refusé de suivre.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Malheur aux suspects ! Qui sera suspect demain ?

M. Éric Ciotti. Mes chers collègues, nous avons pris nos responsabilités. Nous l’avons fait parce que nous pensons qu’il est nécessaire d’apporter à la lutte contre le terrorisme des réponses pertinentes.

Nous serons toujours au rendez-vous de l’unité nationale pour autant qu’elle ne signifie pas inefficacité nationale. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains. – Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. François Rochebloine.

M. François Rochebloine. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, voilà une semaine, 84 personnes perdaient la vie au cours d’un nouvel attentat qui a meurtri la France tout entière. Alors que notre pays est encore endeuillé, alors que nous pleurons nos morts, nous devons faire preuve de maturité politique, être à la hauteur des enjeux, nous hisser à la hauteur de notre histoire nationale, qui redevient tragique.

Dans ces circonstances dramatiques, la politique politicienne et les enjeux électoraux n’ont pas leur place. Dans un tel moment, la cohésion nationale est la seule attitude qui vaille. Elle est la première des priorités.

M. Jean-Luc Laurent. Enfin un discours posé !

M. François Rochebloine. Monsieur le secrétaire d’État, c’est dans cet esprit que le groupe de l’Union des démocrates et indépendants a toujours soutenu le Gouvernement, dans le domaine de la lutte contre le terrorisme, dans l’effort de guerre, lorsqu’il s’agissait d’intervenir militairement, en votant chacune des lois proposées lorsqu’il s’agissait de renforcer notre arsenal antiterroriste qu’il convenait d’adapter à cette menace inédite. Nous ne sommes jamais tombés dans la surenchère. Nous avons essayé de tenir des propos à la hauteur des circonstances, dans un esprit de responsabilité.

Au lendemain du 13 novembre, la prorogation de l’état d’urgence nous semblait évidente. Aujourd’hui, après neuf mois de perquisitions administratives, neuf mois d’assignations à résidence, une fois passé l’effet déstabilisateur lié à la surprise des opérations menées, cet état d’exception doit-il être prolongé ?

Convenez-en, monsieur le secrétaire d’État, vous nous demandez de valider la prorogation de l’état d’urgence au bénéfice du doute car, au fond, beaucoup d’incertitudes et de doutes planent autour de cette question. Quoi qu’il en soit, ainsi que l’a indiqué Jean-Christophe Lagarde en première lecture et comme je l’ai rappelé à l’issue de nos débats dans la nuit de mardi à mercredi, les symboles comptent en démocratie, et encore plus en temps de guerre.

Nous vous apporterons donc notre soutien et voterons en faveur du texte issu de la commission mixte paritaire, même si nous regrettons que la création d’une commission parlementaire de contrôle de l’état d’urgence ne figure plus dans le texte.

M. Pascal Popelin, rapporteur. À l’initiative des sénateurs !

M. François Rochebloine. Nous connaissons les responsables…

M. Pascal Popelin, rapporteur. Merci !

M. François Rochebloine. En revanche, parmi toutes ces incertitudes, ce dont nous sommes certains, c’est que la prorogation de l’état d’urgence n’est qu’une infime part de la réponse. Nous devons à nos concitoyens un discours de vérité. Nous vivons un bouleversement de notre histoire et il faudra bien plus pour gagner cette guerre d’un genre nouveau qui s’en prend à notre société, à notre démocratie, à la vision universaliste, laïque et humaniste de notre nation.

Monsieur le secrétaire d’État, je vous le répète, seule une véritable stratégie de guerre claire, partagée, expliquée aux Français et soutenue par une action déterminée de l’État pourra créer la mobilisation nationale indispensable dans tout conflit pour l’emporter. Pour cela, nous devons organiser, dès la rentrée, un débat parlementaire sur la stratégie que doit adopter notre pays.

Cette stratégie devra impliquer bien davantage que nos dirigeants nationaux : elle devra mobiliser l’ensemble des Français. Au-delà des symboles, au-delà des efforts sécuritaires, c’est par l’éducation, c’est par la culture et le partage de l’histoire, c’est par la transmission des valeurs qui sont les nôtres et qui nous sont si chères que nous triompherons.

Là est le combat que nous devons mener dans les jours prochains, dans les mois et les années à venir, pour toutes celles et tous ceux qui sont tombés, pour les victimes et leurs familles, pour nos enfants et pour la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et du groupe Les Républicains.)

M. Jacques Myard. C’était quand même un peu mou !

M. le président. La parole est à M. Stéphane Claireaux.

M. Stéphane Claireaux. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, au nom des députés du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, je me félicite que la commission mixte paritaire convoquée par le Gouvernement soit parvenue à un accord hier soir, après l’adoption du projet de loi par le Sénat.

Cela signifie que les délégués des députés sont parvenus, dans une certaine mesure, à calmer les ardeurs de nos collègues sénateurs, alors que les débats à l’Assemblée nationale, tant en commission que dans l’hémicycle, laissaient craindre que la route ait été complètement dégagée pour que nos collègues sénateurs, pourtant jaloux de leur statut de gardiens des libertés individuelles, introduisent maintes dispositions contestables, tant dans le droit du régime d’exception qu’est censé être celui de l’état d’urgence, que dans celui du droit commun, en modifiant certaines dispositions du code de la sécurité intérieure, du code de procédure pénale et du code pénal.

L’examen de ce texte à marche forcée, comme l’autorise l’article 42, alinéa 4, de notre Constitution, a été riche d’enseignements et nous amène à appréhender sous un jour nouveau la notion d’État de droit, dont le Gouvernement n’a cessé de rappeler qu’il incluait le régime de l’état d’urgence.

Ce point de vue n’est pas partagé par l’ensemble de la doctrine – je pense en particulier à l’analyse du professeur Olivier Beaud, certes empreinte d’une vision tragique de l’histoire mais non dénuée de rigueur – mais faute de temps, je ne me lancerai pas dans une controverse juridique.

M. Patrick Hetzel. Ça vaut mieux !

M. Stéphane Claireaux. Je me contenterai de constater que les débats âpres en commission, ainsi que les débats tendus dans l’hémicycle ont accouché d’un texte dont seuls deux articles portaient sur une autre matière que l’état d’urgence et que les débats policés au Sénat, où nettement moins d’amendements avaient été déposés tant en commission qu’en séance plénière, ont produit un texte comprenant pas moins de seize articles, formant un nouveau titre II de la loi, qui modifient le droit commun.

M. Jean-Luc Laurent. Tout à fait juste !

M. Stéphane Claireaux. La CMP a supprimé deux de ces articles : l’article 5, visant à pénaliser le séjour à l’étranger sur un théâtre d’opérations de groupements terroristes, et l’article 9, qui rétablissait la rétention de sûreté. Pour qui considère que l’élément fondamental de l’État de droit est le respect du principe de légalité des délits et des peines, la suppression de ces deux articles est heureuse.

Je vais donc tenter de ne pas me concentrer sur les dispositions relatives à l’état d’urgence qui, finalement, sont compromissoires : renforcement du contrôle parlementaire de l’état d’urgence, amputé du dispositif adopté à l’instigation de nos collègues du groupe de l’Union des démocrates et indépendants, peu soutenus par le rapporteur du Sénat ; facilitation de la fermeture provisoire de certains lieux de culte et interdiction de cortèges, défilés et rassemblements sur la voie publique ; élargissement des conditions de contrôle d’identité et de fouille des bagages et des véhicules ; perfectionnement du régime des perquisitions administratives ; extension de l’application du régime modifié de l’état d’urgence aux collectivités d’outre-mer régies par le principe de la spécialité législative.

Le titre II contient, pêle-mêle, une disposition amoindrissant les possibilités d’aménagement de peines des personnes condamnées pour faits de terrorisme ; un régime de vidéosurveillance dans les établissements pénitentiaires ; le triplement de la durée maximale de l’assignation à résidence pour les personnes de retour d’un théâtre d’opérations terroristes à l’étranger ; la suppression de la durée maximale de deux années d’interdiction de sortie du territoire pour les Français ; l’allongement à deux et trois ans de la détention provisoire pour les mineurs mis en cause pour association de malfaiteurs dans le cadre d’une entreprise terroriste, incrimination dont la sanction est par ailleurs aggravée ; la double peine pour les condamnés étrangers pour fait de terrorisme ; la transmission en temps réel des données de connexion des personnes menaçantes et identifiées comme telles.

Les sénateurs ont par ailleurs assoupli les conditions dans lesquelles le préfet peut autoriser l’armement d’une police municipale, empiétant ainsi sur le domaine réglementaire. Ils ont également élargi l’assise de la réserve civile de la police nationale, allongé la durée de mobilisation des réservistes et prévu un code de bonne conduite du Conseil supérieur de l’audiovisuel. Les sénateurs ont réussi à introduire dans ce projet de loi certaines dispositions qu’ils avaient présentées à l’occasion d’autres textes, sans succès.

À l’évidence, certaines de ces dispositions souffrent d’une fragilité juridique d’autant plus grave qu’elles tendent à modifier le droit commun. À l’évidence, certaines violent des libertés individuelles, et pas seulement celles des terroristes, n’en déplaise à notre collègue Wauquiez pour qui la démagogie tient lieu de sens commun. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain. – Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Jacques Myard. Si ça vous permet d’exister…

M. Stéphane Claireaux. Le Conseil constitutionnel ne sera pas saisi a priori, alors qu’une saisine par le Premier ministre permettrait de nettoyer cette loi de ces scories juridiques. Les questions prioritaires de constitutionnalité viendront immanquablement rectifier certaines de ces dispositions et ainsi affaiblir l’action administrative.

Certains d’entre vous me reprocheront ma pusillanimité et me rétorqueront que nous faisons la guerre, pas du droit. Je leur répondrai que si faire la guerre suppose sortir de l’État de droit, pourquoi s’appuyer sur une législation que les circonstances exceptionnelles conduisent à écarter ?

M. David Douillet. Personne ne veut sortir de l’État de droit !

M. Stéphane Claireaux. Malgré ces observations, fidèles à l’esprit républicain qui anime et animera toujours les radicaux, tout en regrettant que l’opposition se soit laissée aller à pousser l’avantage qu’elle tire des circonstances et de sa position majoritaire au Sénat, nous approuverons le texte du projet de loi tel qu’issu des travaux de la CMP. (Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et du groupe socialiste, écologiste et républicain. – Vives protestations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Patrice Verchère. Ce sont les Français qui trancheront !

M. Guy Geoffroy. Nous finirons par voter contre !

M. le président. La discussion générale est close.

Sur l’ensemble du projet de loi, je suis saisi par le groupe Les Républicains d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à M. le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Dominique Raimbourg, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur le président, mes chers collègues, un mot pour faire suite à une demande qui m’a été adressée. Monsieur Ciotti, monsieur Larrivé, vous avez saisi la commission des lois de la demande d’une série d’auditions sur ce qui s’est passé le 14 juillet à Nice. La réponse est évidemment positive : nous procéderons à ces auditions, conformément à la politique qui est la nôtre et qui est de faire en sorte que le contrôle parlementaire s’exerce à chaque fois que de tels événements se produisent.

M. Luc Belot. Très bien !

M. Dominique Raimbourg, président de la commission des lois. Dans une période qui sort de l’ordinaire, un tel contrôle est indispensable. Nous ferons toute la lumière sur l’ensemble de ces événements, les responsabilités respectives des uns et des autres et les responsabilités partagées des coorganisateurs – l’État d’un côté, la ville de Nice de l’autre ; la police nationale d’un côté, la police municipale de l’autre. Nous organiserons cela ensemble et nous ferons en sorte, ensemble, que toute la lumière soit faite. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

M. Guy Geoffroy. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Je veux, après avoir remercié tous ceux qui se sont exprimés ce matin, revenir sur ce qui, à mon avis, a présidé à l’essentiel des interventions, à savoir l’esprit de rassemblement, même si certains s’en sont démarqués pour des raisons de postures. Ce que nos compatriotes expriment et ce qui va amener un certain nombre d’entre vous à voter ce texte, malgré leur amertume face à telle ou telle disposition ponctuelle, c’est une profonde exigence d’unité. Cette unité, elle s’est réalisée au sein de la commission mixte paritaire, de sorte que le texte qui en est issu ne sort pas du cadre, comme cela a été dit. Nous sommes bien dans le cadre de la Constitution et des principes fondamentaux de la République. Je voulais le souligner.

Je voulais également souligner que le président Chassaigne qui, si j’ai bien compris, ne votera pas ce texte, s’est exprimé dans un esprit de responsabilité, sans caricaturer les positions du projet de loi. Je voulais le remercier pour cela.

M. Guy Geoffroy. Il votera contre quand même !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Il est paradoxal que des députés qui ne partagent pas complètement les conclusions de la CMP se montrent à la hauteur de la situation quand d’autres, qui voteront le texte, font tout pour faire croire qu’ils ne le feront pas.

M. Jean-Luc Laurent. Très juste ! Ils manquent de cohérence.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Je les renvoie à ce paradoxe en me félicitant de l’unité qui s’est véritablement réalisée. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.)

Texte de la commission mixte paritaire

M. le président. J’appelle maintenant le texte de la commission mixte paritaire.

Conformément à l’article 113, alinéa 3 du règlement, j’appelle l’Assemblée à statuer sur l’amendement dont je suis saisi.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Cet amendement de précision rédactionnelle concerne l’article 11 quinquies relatif à la mobilisation de la réserve citoyenne. L’amendement précise que pour les salariés, la réserve opérationnelle suppose évidemment l’accord de l’employeur.

M. le président. La parole est à M. Pascal Popelin, pour donner l’avis de la commission.

M. Pascal Popelin, rapporteur. Ce sera forcément l’avis du rapporteur, la commission n’ayant pas pu examiner cet amendement.

Cette précision du Gouvernement correspond à l’état du droit applicable en la matière, puisque dès lors qu’il consacre à ces activités plus de cinq jours par an pris sur son temps de travail, le réserviste doit obtenir l’accord de son employeur. Cet amendement me paraît donc opportun afin de ne pas désorganiser les entreprises et les administrations qui emploient ces anciens militaires et gendarmes.

M. le président. La parole est à M. Vincent Ledoux.

M. Vincent Ledoux. Cet amendement ne sera opérationnel que si nous pouvons dialoguer avec les organisations patronales pour faciliter l’entrée en réserve. En effet beaucoup de chefs d’entreprise m’ont dit que ce dispositif est aujourd’hui peu opérationnel, surtout pour les très petites entreprises.

Par ailleurs, alors qu’un militaire en service actif bénéficie de quelques jours de récupération à l’issue de ses missions, ce n’est pas le cas du réserviste, qui reprend immédiatement le travail. On me signale enfin beaucoup de problèmes d’équipement. Les choses ne sont donc pas simples et le Gouvernement doit savoir qu’il est important aujourd’hui de discuter avec le milieu patronal. On pourrait imaginer des incitations telles que des allégements de charges ou des avantages fiscaux.

M. François-Michel Lambert. Incroyable ! Tout fait ventre !

M. Vincent Ledoux. Je n’ai pas aujourd’hui la solution mais il faut creuser cette piste si on veut que le dispositif soit opérationnel. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Patricia Adam.

Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées. La commission de la défense ayant particulièrement travaillé sur cette question de la réserve, je voudrais préciser que la plupart des réservistes sont employés par les collectivités locales ou l’État, dans toutes ses composantes – fonction publique hospitalière, fonction publique d’État –, qui est leur premier employeur. Or dans ce domaine, ce sont les plus mauvais élèves : ce sont eux qui libèrent le moins facilement leurs agents.

M. Jacques Myard. C’est bien le problème ! Elle a raison.

Mme Patricia Adam. J’espère que dans la situation où nous sommes aujourd’hui, l’État et les collectivités locales sauront se montrer exemplaires et libérer ces réservistes, conformément au vœu du chef de l’État lui-même. J’avais d’ailleurs déposé des amendements, au projet de loi de programmation militaire notamment, visant à ce que l’État et les collectivités ne puissent pas se soustraire à l’obligation de respecter la fonction de réserviste.

M. Claude Goasguen et Mme Claude Greff. Très bien !

Mme Patricia Adam. Certes cette obligation n’est pas de nature légale mais l’éthique l’impose incontestablement et c’est pourquoi j’appelle l’État et surtout les élus locaux à s’appliquer cette règle à eux-mêmes. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

M. Jacques Myard. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Philippe Gosselin.

M. Philippe Gosselin. Nous sommes quelques-uns dans cette enceinte à être réservistes opérationnels…

M. Jacques Myard. Où est donc votre casque ?

M. Philippe Gosselin. Oui, je le revendique, c’est le moment ! Depuis de longues années, les entreprises et les collectivités font face à de vraies difficultés. Quelles que soient nos sensibilités, nous pratiquons depuis trop longtemps une gestion « en yo-yo » de la réserve opérationnelle et des réserves en général. Je souscris tout à fait à la nécessité de mobiliser la réserve opérationnelle mais il ne faut pas sous-estimer les difficultés et les besoins en moyens, en formateurs, en locaux et en matériel. Toutes ces questions imposent d’ouvrir enfin le chantier du statut à donner à cette activité, y compris dans l’intérêt des entreprises.

(L’amendement n1 est adopté.)

Vote sur l’ensemble

M. le président. Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi, compte tenu du texte de la commission mixte paritaire, modifié par l’amendement qui vient d’être adopté par l’Assemblée.

(Il est procédé au scrutin.)

Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants92
Nombre de suffrages exprimés92
Majorité absolue47
Pour l’adoption87
contre5

(L’ensemble du projet de loi est adopté.)

2

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, cet après-midi, à seize heures trente :

Prise d’acte, soit du dépôt d’une motion de censure en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, soit de l’adoption définitive du projet de loi relatif au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.

La séance est levée.

(La séance est levée à treize heures.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly