SOMMAIRE
1. Actualisation du droit des outre-mer
Mme Paola Zanetti, rapporteure de la commission mixte paritaire
Mme George Pau-Langevin, ministre des outre-mer
Mme George Pau-Langevin, ministre
Suspension et reprise de la séance
2. Surveillance des communications électroniques internationales
Mme Patricia Adam, rapporteure de la commission de la défense nationale et des forces armées
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense
M. Jean-Yves Le Drian, ministre
Amendements nos 11, 16, 13 , 1 , 2 , 3 , 4 , 17 rectifié , 5 , 6 , 12 rectifié , 7 , 23 , 8 , 9 , 18 rectifié , 19 , 15 , 22 , 20 , 14
Suspension et reprise de la séance
3. Création, architecture et patrimoine
Discussion des articles (suite)
Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication
Amendement no 138
M. Patrick Bloche, rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l’éducation
Amendements nos 390 rectifié , 480 rectifié , 47 , 139 , 326 , 48 , 327 , 42 rectifié , 177 rectifié , 49 , 221 , 328 , 140 , 329 , 430 , 50 , 330 , 43 , 317 , 481 , 292 , 54 rectifié , 334 rectifié , 405 , 333 , 52 rectifié , 141 rectifié , 332 rectifié , 226 , 53 , 413 , 322 , 335 , 396 , 336 , 443 , 440 , 319 , 36 , 227 , 38 , 341
Amendement no 18
M. le président. La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, du projet de loi d’actualisation du droit des outre-mer (no 3087).
M. le président. La parole est à Mme Paola Zanetti, rapporteure de la commission mixte paritaire.
Mme Paola Zanetti, rapporteure de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, madame la ministre des outre-mer, mes chers collègues, le présent projet de loi, qui comprenait initialement vingt-sept articles, puis quarante-neuf après son examen au Sénat, en comptait quatre-vingt-cinq dans le texte adopté par l’Assemblée nationale, dont soixante-quinze qui restaient en navette devant la commission mixte paritaire. À l’issue de celle-ci, le texte comporte quatre-vingt-trois articles.
Je veux tout d’abord remercier nos collègues sénateurs, et en particulier le rapporteur Jean-Jacques Hyest, pour le travail constructif que nous avons mené et qui nous a permis d’aboutir à un texte consensuel en commission mixte paritaire. Je veux également remercier l’ensemble des députés ultramarins ici présents pour leur apport au texte et leur sens des responsabilités, qualités nous ayant permis de trouver régulièrement une unanimité à chaque étape de notre procédure législative.
Pour l’essentiel, la commission mixte paritaire a précisé certains articles du texte adopté par l’Assemblée nationale et procédé à des corrections d’ordre rédactionnel. Sur le fond, elle a supprimé deux rapports sur quatre demandés au Gouvernement par certains de nos collègues députés : le premier concernait l’extension du champ de l’éligibilité de l’aide au fret ; le second était relatif à la légalité des suppléments non côtés pour la facturation des produits pétroliers. La commission mixte paritaire a également supprimé la notion de « zone d’aléas forts » à l’article 8 bis A, en raison de son imprécision, pour s’en tenir à l’interdiction de céder à des personnes privées les parcelles de la zone des cinquante pas géométriques en Guadeloupe et Martinique en cas de risque naturel grave et prévisible.
Enfin, la commission mixte paritaire a décidé de reporter au 1er mai 2016 la suppression des frais d’itinérance mobile ultramarine sur les communications vocales et les SMS, prévue par l’article 4 quater BA, alors que les rapporteurs avaient initialement proposé de supprimer cette disposition. Ce report me semble finalement être une mesure équilibrée permettant à la fois aux opérateurs de se préparer dans un délai raisonnable à la fin des frais d’itinérance et aux usagers domiens de ne pas être pénalisés dans leur pouvoir d’achat par ces frais supplémentaires imposés injustement aux seuls outre-mer.
M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Très bien !
Mme Paola Zanetti, rapporteure. Il en résulte que le projet de loi actualisant diverses dispositions relatives au droit des outre-mer vise plus précisément, d’abord, à réguler l’activité des opérateurs de l’État présents et indispensables dans les territoires d’outre-mer, tels que les observatoires des marges, des prix et des revenus, l’Agence de l’outre-mer pour la mobilité – LADOM – ou encore les bureaux de l’agence Business France. Il vise ensuite à mieux défendre les consommateurs et à lutter contre la vie chère, grâce au renforcement des pouvoirs d’ester en justice des associations locales de consommateurs agréées, à la publication systématique par l’INSEE des données chiffrées concernant l’outre-mer et à la suppression, à compter du 1er mai 2016, des frais d’itinérance mobile ultramarine sur les communications vocales et les SMS.
Ce texte vise également à affiner ou amender les partages de compétences en matière foncière ou les répartitions domaniales, comme le prévoient par exemple les articles 5 à 8 quater, ou encore en poursuivant l’adaptation du droit national dans certains territoires. Il favorise également l’exercice par l’outre-mer de sa compétence propre dans les domaines qui lui ont été réservés par les statuts ou par la Constitution, afin de faire évoluer certaines situations matérielles et juridiques, comme par exemple en matière de fonction publique, de droit électoral ou institutionnel, de sécurité intérieure ou encore de droit pénal.
Ce projet de loi vise aussi à permettre les ajustements institutionnels permis par la Constitution, par exemple en accompagnant la naissance des collectivités uniques de Guyane et de Martinique. Il vise enfin à homologuer les sanctions pénales adoptées localement par les assemblées délibérantes de Polynésie française et de Nouvelle-Calédonie.
Pour conclure, et avec le même état d’esprit qui m’a guidé durant l’examen de ce texte, je réitère fermement ma demande au Gouvernement de voir s’installer une forme de « rendez-vous législatif » annuel clairement identifié pour les outre-mer et le Parlement national, afin de procéder à ce type d’actualisation régulièrement. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre des outre-mer.
Mme George Pau-Langevin, ministre des outre-mer. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les députés, avant toute chose, je tiens à remercier la rapporteure, Mme Zanetti, pour son investissement et ses propositions qui ont permis d’enrichir le texte aujourd’hui soumis à votre approbation. À l’occasion de l’examen de ce projet de loi, elle a pu mesurer non seulement la diversité, la complexité, mais aussi les spécificités qui caractérisent les outre-mer. La commission mixte paritaire réunie mardi 29 septembre a été conclusive. Aujourd’hui, vous êtes conduits à vous prononcer sur ce texte grandement enrichi par le travail parlementaire, tant au Sénat qu’à l’Assemblée nationale.
Ce projet de loi, désormais intitulé « Actualisation du droit des outre-mer », a été adopté, en première lecture, au mois de juillet dernier à l’unanimité par les deux chambres – ce matin, d’ailleurs, le texte de la CMP a également été adopté à l’unanimité au Sénat. Il répond à de multiples préoccupations des différents territoires ultramarins. Il accompagne les mutations opérées ces dernières années en complétant le droit et en créant des outils d’action publique nouveaux, forts, efficaces, notamment en matière de gestion foncière à Mayotte et en Guyane, pour répondre concrètement aux défis démographiques propres à ces deux territoires.
En ce sens, ces dispositions complètent le plan logement que j’ai présenté cette année et qui fixe, pour la première fois dans les outre-mer, l’objectif ambitieux de produire 10 000 logements sociaux neufs ou réhabilités par an. Ce projet de loi règle une situation vieille de près de trente ans dans les Antilles, en programmant de manière réaliste la fin des agences des cinquante pas géométriques. Je me félicite que nous ayons trouvé, en concertation avec les collectivités territoriales concernées, un scénario de sortie et une stratégie pérenne pour le règlement de cette situation qui avait donné lieu à beaucoup de contestations et de difficultés dans les outre-mer. Loin de procéder à une simple actualisation du droit, nous avons ainsi pu régler une difficulté épineuse qui concerne au quotidien nombre de nos concitoyens.
Ce texte prévoit également des changements significatifs dans le domaine économique, tout particulièrement en matière de lutte contre la vie chère. Des outils tels que les observatoires des prix, des marges et des revenus, ou les boucliers qualité-prix, qui seront étendus à de nouveaux territoires, entrent désormais dans leur troisième année d’existence et ont atteint l’âge de la maturité. Ils assurent, d’une part, la maîtrise des prix des produits de consommation courante et, d’autre part, le renforcement de la qualité nutritionnelle des produits alimentaires et de la part de la production locale dans la composition des boucliers qualité-prix. Ces outils poursuivent donc l’objectif de maîtrise du coût de la vie. Ce matin, on m’a demandé au Sénat si nous comptions les utiliser pour assurer un suivi et une évaluation. Je confirme que, si nous créons ces outils, c’est bien pour pouvoir continuer à évaluer et éventuellement maîtriser le coût de la vie dans les outre-mer et pour lutter contre la vie chère.
S’agissant du lien avec l’hexagone, les députés ont souhaité anticiper l’entrée en vigueur du règlement européen sur l’itinérance. Là encore, c’est une avancée très concrète qui touche au quotidien des populations. La fin des surcoûts appliqués aux échanges téléphoniques et aux échanges des minimessages entre l’outre-mer et la métropole est une mesure légitime, très attendue par nos concitoyens. De surcroît, c’est un engagement du Président de la République qui avait annoncé un alignement progressif du prix des télécommunications entre les outre-mer et l’hexagone. C’est pour cette raison que la France, avec ses partenaires européens, a décidé de mettre fin aux surcoûts entre les outre-mer et la métropole, mais plus largement aussi au sein de l’Europe, dans le cadre du règlement relatif au marché unique européen des communications électroniques.
Par cette disposition, le Parlement a donc décidé, avec le soutien du Gouvernement, d’anticiper d’une année l’application du règlement pour ce qui concerne les échanges téléphoniques et les minimessages entre l’outre-mer et la métropole. Ce n’est pas une révolution ; c’est une simple anticipation d’une année. Il faudra cependant, par la voie réglementaire, anticiper également les travaux qui conditionnaient l’application de la disposition en Europe, conformément au règlement européen, de manière à préserver les investissements sur les marchés domestiques et dans les outre-mer. Nous allons donc lancer les travaux nécessaires avec les opérateurs dans les meilleurs délais, dès l’adoption de la loi.
Par ailleurs, en matière de protection des consommateurs, je me réjouis que les mesures introduites par un amendement parlementaire permettent aux associations ultramarines de consommateurs d’engager des actions de groupe. C’est un progrès qu’il faut saluer.
D’autres mesures méritent d’être soulignées concernant, par exemple, la fonction publique ou l’évolution du droit du travail applicable à Mayotte. Ces dispositions très attendues entreront en vigueur rapidement – je pense notamment à la Polynésie. S’agissant de Mayotte, les dispositions s’appliqueront immédiatement, notamment pour ce qui concerne la législation relative aux titres-restaurant ou encore l’encadrement des services à la personne, dont ce territoire a bien besoin.
Je tiens à rappeler que, lorsque cela est juridiquement possible et économiquement soutenable pour les entreprises, conformément aux engagements pris par le Gouvernement dans le document stratégique « Mayotte 2025 », dont le Premier ministre a signé le protocole d’accord lors de son déplacement du mois de juin dernier dans l’Océan indien, je suis très favorable à l’entrée en vigueur pleine et entière du code du travail à Mayotte. Toutefois, bien souvent, le chantier de l’alignement nécessite une refonte en profondeur de nombreux textes. C’est pourquoi le Gouvernement sollicite le traitement de cette problématique par voie d’ordonnance. Je sais que les parlementaires n’aiment pas beaucoup cette méthode et critiquent la fréquence du recours aux ordonnances pour Mayotte. Mais s’agissant d’un travail assez lourd pour les services, il est plus efficace de le faire par voie d’ordonnance. Cela dit, je tiens à souligner que renvoyer à une ordonnance ce n’est pas enterrer un dossier. Nous allons rapidement faire le nécessaire. Par exemple, le Gouvernement a publié cette semaine une ordonnance sur les retraites à Mayotte, ce qui montre qu’il respecte ses engagements.
Le projet de loi a aussi entrepris de régler, grâce à l’adoption d’un amendement du Gouvernement, des questions qui n’étaient pas résolues – par exemple des questions de personnel pour la mise en place des collectivités uniques de Guyane et de Martinique. Compte tenu du calendrier électoral – le vote aura lieu, je le rappelle, à la mi-décembre –, il y avait urgence à traiter ces difficultés, afin que ce basculement historique s’opère dans les meilleures conditions.
Depuis l’adoption du texte en première lecture à l’Assemblée nationale, en juillet, les élus des collectivités régionales et départementales, ainsi que certains parlementaires, expriment des craintes. Je tiens à vous rassurer : le Gouvernement a souhaité clarifier l’organisation des emplois fonctionnels de la nouvelle collectivité, tout en respectant la libre administration des collectivités locales garantie par la Constitution.
Il était en effet nécessaire de trouver une solution pour que la nouvelle collectivité unique fonctionne dès le lendemain de l’élection, afin d’assurer la continuité du service public. Nous avons donc choisi de respecter l’ordre protocolaire républicain institué par le décret du 13 septembre 1989 relatif aux cérémonies publiques, préséances, honneurs civils et militaires, qui classe, selon l’ordre de préséance, le président de région avant celui du conseil départemental.
En conséquence et par parallélisme des formes, le directeur général des services de la région se trouve placé avant celui du département. Il est ainsi prévu que, pour un délai maximum de six mois, le directeur général des services de la future collectivité unique sera le directeur général des services de la région, épaulé, en qualité d’adjoint, par le directeur des services du conseil départemental.
Cette sécurité des emplois fonctionnels est un cadre juridique transitoire et optionnel : une fois mis en place, l’exécutif de la nouvelle collectivité pourra le dépasser à tout moment en délibérant pour la création des emplois fonctionnels de la nouvelle collectivité unique et choisir alors son directeur des services.
Il faut cependant distinguer les emplois de cabinet, révocables quasiment ad nutum, et les emplois administratifs. Il est donc de bonne politique qu’un directeur des services, fonctionnaire, ne puisse pas être révoqué du jour au lendemain au motif que l’exécutif a changé.
Face à certaines polémiques qui ont été entretenues, je serai claire : les agents des catégories et des grades inférieurs ou moins élevés ne sont pas concernés par ces mesures et personne ne sera laissé pour compte dans la création de la nouvelle collectivité unique. Il faut éviter de laisser accréditer et de mettre dans l’esprit des personnels l’idée très gênante qu’ils risquent d’être mis à la porte au lendemain de l’élection ou employés à des niveaux ne correspondant pas à leurs qualifications. La future collectivité unique aura tout à fait les moyens de mettre en place son organigramme dès lors qu’elle en aura la possibilité.
On a dit ce matin encore que ce projet manquait d’ambition et qu’il s’agissait d’un fourre-tout, mais ce n’est pas très grave. L’essentiel est que, dès lors que ce texte a été mis en discussion, les parlementaires en aient fait leur affaire et y aient introduit de nombreuses questions demeurées jusqu’alors en suspens. Le fait que son volume ait en effet été multiplié par deux ou trois me semble précisément démontrer la nécessité d’une telle loi, qui donne l’occasion de mettre au point des questions non résolues.
Même si nous souhaitons, à mesure que nous votons les lois, qu’elles soient immédiatement déclinées outre-mer, nous savons bien qu’il y aura toujours des omissions et que certaines harmonisations resteront toujours à faire entre le ministère de l’outre-mer et d’autres ministères intervenant sur les territoires, de telle sorte que ces ajustements ponctuels sont tout à fait utiles. De fait, cette interministérialité est quasiment consubstantielle au travail du ministère des outre-mer et il faut donc que, de temps à autre, une loi vienne remettre tout cela d’équerre.
Avec vous, aujourd’hui, nous avons fait un travail utile et nous avons pu sortir de l’ornière des sujets embourbés depuis des années. Ce texte a été enrichi par le travail des parlementaires et c’est là une bonne méthode : la production législative peut partir d’une trame gouvernementale et il est bon que les parlementaires lui apportent leur contribution – après tout, ce sont eux qui font la loi.
Je me félicite donc de cette coproduction et j’espère que nous pourrons continuer à travailler ainsi dans de bonnes conditions. Je vous remercie pour le travail réalisé sur vos bancs. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Philippe Nilor.
M. Jean-Philippe Nilor. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, j’associe à mon intervention mes collègues Alfred Marie-Jeanne et Bruno Nestor Azerot.
Le projet de loi relatif à la modernisation du droit de l’outre-mer qui nous avait été soumis prétendait adapter la législation en vigueur afin de mieux répondre aux enjeux auxquels chaque territoire d’outre-mer est confronté. C’est ainsi qu’en s’appuyant notamment sur les consultations réglementaires qui nous ont été détaillées dans le tableau synoptique fourni dans le dossier législatif, il prévoyait des mesures spécifiques pour certaines collectivités d’outre-mer, en tenant compte des évolutions statutaires de celles qui relèvent des articles 73 et 74 de la Constitution.
Aujourd’hui, force est de constater que, pour ce qui concerne la Martinique, ce texte ne tient pas toutes ses promesses, que des initiatives intempestives et infondées ont été prises sans concertation et que, loin de servir les intérêts et les spécificités de la nouvelle collectivité de Martinique, elles tiennent lieu de socle pour asseoir des intérêts particuliers.
En effet, à la suite de l’adoption de ce texte, le 16 juillet dernier, nous avons été, à l’instar de la ministre des outre-mer, alertés par la présidente du département de Martinique quant aux problèmes posés par l’amendement devenu l’article 15 decies nouveau.
Cet amendement, déposé par le Gouvernement, a été initié et soutenu unilatéralement par le président de la région Martinique, sans consultation préalable, contrairement à ce que vous prétendez, madame la ministre – je rappelle les propos que vous avez tenus, le 7 juillet dernier, en commission des lois : « Nous avons donc proposé cette solution aux présidents des deux conseils généraux, ainsi qu’aux présidents des deux conseils régionaux, qui l’ont acceptée ». En réalité, la consultation des conseils généraux de Martinique et de Guyane n’a jamais eu lieu.
Cet amendement stipule que, pour assurer la transition et la continuité au lendemain de l’élection de la collectivité territoriale de Martinique, en décembre prochain, le directeur général des services – DGS – de la collectivité territoriale de Martinique sera le directeur général des services de la région, tandis que le DGS du département officiera en tant qu’adjoint.
Pour justifier ce choix, vous déclariez encore en commission, le 7 juillet : « Nous avons fait ce choix, car le directeur des services de la région occupe un rang administratif supérieur à celui du directeur des services du département ; c’est une donnée administrative ». Une hiérarchisation est donc clairement instituée entre les deux collectivités. Comment, en effet, ce qui est vrai pour le directeur général des services ne le serait-il pas pour ceux qui occupent des grades inférieurs ?
Rien ne justifie cette hiérarchisation, d’autant que la situation de région monodépartementale – je pourrais dire : de département monorégional – de la Martinique et de la Guyane est particulière, les deux collectivités majeures occupant un même espace géographique et aucun texte législatif n’établissant de hiérarchie entre les deux.
Au demeurant, lorsque l’on compare l’antériorité du conseil général de Martinique, son budget, son effectif et son patrimoine à ceux du conseil régional, le moins que l’on puisse dire est que le premier n’a aucun complexe à entretenir par rapport au second. Cet article est donc infondé et illégitime.
Soulignons, madame la rapporteure, que nous ne sommes pas ici dans le prolongement de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République – NOTRe –, qui prévoit la fusion des régions de la France hexagonale, mais que nos territoires sont régis par la loi du 27 juillet 2011 relative aux collectivités territoriales de Guyane et de Martinique, induite par la consultation populaire de janvier 2010, où les Martiniquais et les Guyanais se sont prononcés non pas pour une absorption du conseil général par le conseil régional, mais pour la substitution à ces deux collectivités d’une nouvelle collectivité territoriale.
Lors de la réunion de la commission des lois du 7 juillet, Mme Chantal Berthelot, notre collègue de Guyane, s’était à juste titre étonnée de ces dispositions et interrogée quant à la pertinence de leur inscription dans la loi.
Il ne s’agit certes pas pour moi de m’opposer à la continuité des services – qui pourrait y être opposé ? –, ou de dire à certaines personnes qu’elles seront licenciées au lendemain des élections. De grâce, madame la ministre, ne caricaturez pas mes propos !
N’en déplaise à tous ceux qui font aujourd’hui du rétropédalage – comme M. Aboubacar, qui déclarait le 7 juillet, en commission des lois, que « la continuité du service public est en effet absolument nécessaire », ce dont je conviens avec lui et que « cela n’explique pas pour autant que le DGS de la région ait le pas sur le DGS du département, alors qu’il n’existe pas de hiérarchie entre les deux collectivités » –, vous me connaissez assez pour savoir que je ne polémique pas sur des questions de personnes, mais mon devoir est d’insister sur la nécessité de respecter des principes moraux et une certaine éthique qui, aujourd’hui plus que jamais, manquent cruellement en politique.
Sans égard au mérite du parcours remarquable des uns et des autres, et notamment de l’actuelle DGS de la région, il n’est pas normal d’accorder de fait une priorité à un agent recruté par la voie directe, au risque de compromettre la démarche de co-construction engagée de longue date par les équipes administratives et syndicales de deux collectivités déjà fragilisées par le processus de refonte.
Actuellement, le malaise est bien présent au sein de l’hôtel du conseil général de Martinique. La grogne s’intensifie et les agents dénoncent une mise sous tutelle du département au bénéfice de la région à deux mois des élections, à tel point que, le 17 septembre dernier, la présidente du conseil général de Martinique a dû mettre en place une cellule psychologique pour son personnel : voyez les dégâts provoqués !
Aussi mes collègues de Martinique et moi-même en appelons-nous à votre raison, afin que des dispositions urgentes soient prises en vue de rétablir la sérénité et de permettre au futur exécutif de la collectivité territoriale de Martinique de choisir, parmi les directeurs généraux des services exerçant leurs fonctions au département et à la région, le futur directeur général des services qui sera chargé de la transition.
En quoi l’exécutif qui sera désigné par le peuple martiniquais ne serait-il pas qualifié pour choisir son DGS en toute légitimité et en toute légalité ? Il y va même du respect du principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales.
Je regrette profondément que l’on en revienne immanquablement, invariablement, au gré des textes étudiés, aux racines du centralisme, au racisme du colonialisme, où Paris décide de tout, en tout et pour tout.
M. Alain Chrétien. C’est très excessif !
M. Jean-Philippe Nilor. J’assume mes propos. Vous assumerez les vôtres, vous aussi.
M. le président. La parole est à M. Ibrahim Aboubacar.
M. Ibrahim Aboubacar. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, chers collègues, je voudrai tout d’abord saluer les travaux de la commission mixte paritaire qui s’est réunie mardi dernier et a abouti à ce texte de compromis entre les deux chambres que nous allons adopter dans quelques instants. Cela est dû à l’investissement particulier de nos rapporteurs et je salue à cet égard l’engagement de notre collègue Paola Zanetti tout au long de ces travaux. Cela est dû également à l’intérêt particulier des présidents des commissions des lois de nos deux assemblées qui ont suivi particulièrement ces travaux et je voudrais saluer à nouveau l’attention constamment manifestée par le président Urvoas envers les outre-mer.
Le texte qui nous est soumis a conservé l’essentiel des apports que l’Assemblée nationale avait adoptés en première lecture et je m’en félicite.
Plusieurs points importants concernant le droit applicable dans les outre-mer trouvent une solution. J’évoquerai d’abord les questions foncières dont vous savez qu’elles revêtent outre-mer une importance particulière pour des raisons que chacun connaît, qu’il s’agisse du foncier des zones habitée ou de celui nécessaire au développement de l’agriculture ou au développement économique.
Des solutions hardies ont été dégagées pour la zone des cinquante pas géométriques en Martinique et en Guadeloupe, supposant une implication plus grande des collectivités locales. Cela va dans le bon sens. Il faudra veiller à ce que le processus aille à son terme à l’horizon visé.
Des outils d’intervention ont été créés ou ajustés pour agir à Mayotte et en Guyane en matière de foncier urbain et agricole. Il faudra veiller à ce qu’ils soient rapidement mis en place à Mayotte – où cela fait cinq ans que nous les attendons –, tandis qu’en Guyane le foncier agricole devra faire l’objet d’une attention encore plus soutenue et d’une solution de gestion définitive.
La réflexion sur les questions foncières dans l’ensemble des outre-mer français doit être conduite à son terme, y compris pour un territoire comme Wallis et Futuna où ses incidences sur le développement économique constituent une préoccupation certaine.
La lutte contre la vie chère est également un axe fort de ce projet de loi. Outre l’extension à Saint-Martin du « bouclier qualité-prix » pour les produits de base ainsi que la création d’un observatoire des prix, des marges et des revenus à Saint-Martin et Saint-Barthelemy, qui figuraient dans le texte soumis au Parlement, l’examen de celui-ci a été l’occasion pour nous de souligner notre préoccupation de voir l’effort et la vigilance contre la vie chère maintenus dans l’ensemble des outre-mer.
C’est ainsi qu’a été adoptée une disposition portant suppression des surcoûts de l’itinérance entre la métropole et l’outre-mer pour les communications vocales et les SMS à compter du 1er mai 2016. Nous entendons les objections des opérateurs, mais les délais qui nous séparent de la date d’application de cette disposition devraient être bien suffisants pour opérer les ajustements techniques et juridiques appropriés.
En revanche les dispositions tendant à la remise de rapports au Parlement sur le fret régional ou la fixation du prix des hydrocarbures, qui poursuivent le même objectif et qui avaient été introduites par notre assemblée, ont été supprimées. En effet, nous nous sommes ralliés à l’analyse du président Urvoas qui considère qu’il appartient au Parlement de contrôler l’action du Gouvernement en ce domaine comme en d’autres sans avoir besoin de réclamer de sa part des rapports spécifiques. C’est le chemin que nous allons donc emprunter, en particulier au sein de la Commission nationale d’évaluation des politiques de l’État outre-mer – CNEPEOM – que j’ai l’honneur de présider désormais, et nous comptons sur M. le président de la commission des lois pour nous assister sur ce chemin.
Pendant à la lutte contre la vie chère, il y a la question de la continuité territoriale : le projet de loi modifie opportunément le statut de LADOM, opérateur de la mise en œuvre de la continuité territoriale dans les outre-mer.
Nous sommes en attente, madame la ministre, de la concertation annoncée sur le contenu de cette politique de continuité territoriale et les travaux de la CNEPEOM pourraient dans ce domaine apporter un éclairage utile sur des questions telles que celle des objectifs à poursuivre ou des priorités à retenir.
La sécurisation de la législation applicable outre-mer est également une préoccupation forte de ce texte, que ce soit pour les collectivités ayant fait l’objet récemment d’une révision statutaire ou pour celles ayant de longue date une organisation particulière.
C’est le cas de Saint-Barthélemy, dont le changement de statut par rapport à l’Union européenne ne doit pas conduire à des vides juridiques. C’est le cas de Mayotte, où la convergence vers le droit commun doit être une action continue, pouvant dorénavant s’appuyer sur le document stratégique « Mayotte 2025 ». L’application du code du travail à cette collectivité est une exigence et une urgence, tant pour la dignité des travailleurs que pour la sécurité juridique des acteurs économiques.
C’est le cas des futures assemblées de Martinique et de Guyane pour lesquelles de nombreuses dispositions sont adoptées en vue de sécuriser le passage entre les deux collectivités de droit commun actuelles et la future collectivité unique : c’est un enjeu fort pour ces territoires, qui dépasse largement les tensions que le rendez-vous démocratique de la fin de l’année pourrait engendrer. Sans m’engager sur ce point, je veux simplement dire ici, en réponse à l’interpellation dont j’ai fait l’objet, que notre objectif est la sécurisation juridique, étant entendu que les collectivités en question et leur exécutif retrouveront leurs compétences de droit commun dès que celles-ci auront été installées.
C’est le cas enfin de la Polynésie française pour laquelle l’ordonnancement particulier qui régit l’élaboration des règles dans des matières qui appellent l’intervention conjuguée de l’État et des institutions locales ne doit pas être source de vides juridiques : un mécanisme permanent, périodique, doit être mis en place à cet effet.
Outre les dispositions visant à la sécurité juridique, nous devons également saluer les mesures qui ont pour objet de renforcer la transparence financière à Saint-Pierre et Miquelon, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie.
Des mesures attendues en faveur des agents des fonctions publiques de Wallis et Futuna et de Polynésie Française vont remédier à des situations de précarité et donner des perspectives nouvelles aux agents concernés. Cela est important pour le bon fonctionnement des collectivités concernées ainsi que pour le dialogue et la paix sociale.
Des avancées sont également à noter en faveur des agents des collectivités locales du département de Mayotte. Le 29 septembre dernier, les représentants de l’ensemble des organisations syndicales de fonctionnaires présentes à Mayotte ont été reçus au ministère de l’outre-mer par les ministres de la fonction publique et des outre-mer, conformément aux engagements pris en 2013. Les discussions ont porté sur les questions statutaires, les pensions de retraite, l’attractivité des fonctions publiques ainsi que sur le dialogue social. J’appelle à la poursuite de ce dialogue afin de concrétiser les points examinés lors de cette rencontre et d’avancer sur les sujets qui font encore l’objet de divergences, notamment la question de la reconstitution des carrières des agents intégrés dans les fonctions publiques dans le cadre du dispositif mis en place en 2003.
Je terminerai cette intervention en évoquant deux sujets qui préoccupent là encore l’ensemble des outre-mer, et d’abord la question des retards de paiement subis par les entreprises de la part des collectivités publiques, mal endémique qui fragilise le tissu économique local. Nous demandons que l’Institut d’émission des départements d’outre-mer – IEDOM – se penche sur ce problème afin que des solutions soient enfin trouvées.
Le second sujet est celui des statistiques dans les outre-mer. Nous demandons que la publication d’études nationales par l’INSEE ou les services statistiques ministériels s’accompagne systématiquement de la présentation de données chiffrées concernant les outre-mer : il y va de la juste évaluation de l’impact des politiques publiques dans ces territoires et de la définition même de ces politiques. Dans son rapport de l’année dernière, la CNEPEOM avait déjà fortement souligné que cela s’apparentait à de la navigation à vue faute de données fiables et universelles.
Madame la ministre, chers collègues, chacun peut constater qu’il s’agit là d’un texte qui, s’il n’a pas une portée historique, est néanmoins riche et utile et qu’il vise à assurer la sécurité juridique et l’efficacité de l’action des pouvoirs publics et des autres acteurs outre-mer.
Dans ces moments où la jurisprudence du Conseil constitutionnel se resserre sur la notion de cavalier législatif, de tels rendez-vous législatifs doivent être organisés de façon plus systématique pour accompagner la différenciation législative à l’œuvre outre-mer, qui justifie que ce qualificatif se décline de plus au plus au pluriel.
La CMP a adopté ce texte à l’unanimité de ses membres et – faut-il le préciser ? – le groupe SRC fera de même avec conviction, en vous remerciant, madame la ministre, de l’ouverture dont vous avez fait preuve tout au long de son examen. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Alain Chrétien.
M. Alain Chrétien. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mes chers collègues, c’est non pas un député ultramarin, mais plutôt un député « ultra-rural » qui vient cet après-midi vous présenter la position du groupe Les Républicains !
Nous sommes ici pour examiner les conclusions de la commission mixte paritaire qui s’est réunie ce mardi sur le projet de loi d’actualisation du droit des outre-mer.
Vous le savez, lorsque le texte est venu sur le bureau de l’Assemblée nationale, à la fin du mois de juin 2015, après son examen par le Sénat, le groupe Les Républicains avait émis plusieurs critiques. Le projet de loi reste une sorte de fourre-tout, consacrant près de quatre-vingt-dix articles à nos outre-mer sans cohérence d’ensemble. On passe de l’économie au foncier, à des mesures relatives à la fonction publique, aux armes à feu, ou encore à la sécurité aérienne.
Le projet de loi ne méritait donc pas son titre initial de « projet de modernisation du droit de l’outre-mer ». Les représentants du Sénat et l’Assemblée nationale au sein de la CMP sont tombés d’accord pour adopter le titre proposé par l’Assemblée, le texte étant désormais un projet de loi « d’actualisation du droit ».
Une autre critique de forme portait sur le fait que le Gouvernement ait déclaré l’urgence sur ce texte. Il nous a ainsi contraints à un examen un peu « saucissonné » en session extraordinaire. Il est vrai que ce n’est ni la première ni la dernière fois.
Mais ce même Gouvernement n’a rien trouvé de mieux ensuite que de déposer un nombre très, j’oserais même dire trop important d’amendements, aussi bien au Sénat qu’à l’Assemblée.
Ainsi, trente-deux articles additionnels sont issus d’amendements du Gouvernement, alors que le projet de loi initial ne comportait que vingt-sept articles !
Voilà pour la forme.
Sur le fond, et comme l’ont dit nos collègues Daniel Gibbes et Philippe Gosselin en première lecture, ces réserves n’empêchent pas de reconnaître que nombre de dispositions de ce projet de loi, qui compte désormais près de quatre-vingt-dix articles, s’avèrent fort utiles aux départements et régions d’outre-mer comme aux collectivités d’outre-mer.
M. Jean-Luc Laurent. Eh bien voilà une bonne nouvelle !
M. Alain Chrétien. C’est ce qui explique le consensus qui a prévalu lors de l’examen de ce texte, adopté à l’unanimité par la CMP. Je ne doute pas qu’il le sera à nouveau aujourd’hui.
Bien que la rapporteure et la ministre aient déjà rappelé l’essentiel, je reviendrai brièvement sur deux dispositions particulières.
Tout d’abord, sur l’article 1er, cher à Daniel Gibbes, qui corrige une omission de la loi de 2012 relative à la régulation économique outre-mer.
Cet article permettra la création d’un observatoire des prix, des marges et des revenus à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin. Il permettra aussi de rendre applicable à Saint-Martin le fameux « bouclier qualité-prix ».
Ensuite, toujours sur le thème de la vie chère, j’évoquerai l’issue assez inattendue de l’article 4 quater BA, introduit en séance publique à l’Assemblée nationale avec avis défavorable à son adoption de la rapporteure. Il devait être supprimé en CMP, mais il lui a finalement survécu et concerne les frais d’itinérance en matière de communications mobiles qui, pour nos outre-mer, restent parfois extrêmement élevés.
Dans la mesure où un règlement adopté par l’Union européenne prévoyait de supprimer ces frais d’itinérance dans un délai de deux ans, l’article paraît seulement anticiper une telle suppression en la prévoyant dès le mois de mai 2016.
Mais, madame la ministre, nous avons tout de même une question à vous poser : pouvez-vous rappeler, afin d’avoir les idées claires, dans quelle mesure un règlement européen s’impose ou non, de lui-même, à nos divers territoires d’outre-mer ? Vous le savez, un règlement s’impose de manière impérative sur tout le territoire de la République, mais est-il de tradition d’anticiper sur ces règlements ? Les collectivités d’outre-mer sont-elles soumises à une certaine spécification législative selon laquelle il serait possible d’anticiper l’application d’un règlement européen ?
Hors ce questionnement sur le fond et sur l’interprétation de l’application d’un règlement européen, nous ne briserons aucun suspens en vous disant que nous voterons ce projet de loi.
M. Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Maina Sage.
Mme Maina Sage. Madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, le droit est une matière complexe, d’autant plus lorsqu’il s’agit des outre-mer, comme j’ai eu l’occasion de le dire en première lecture.
Même si l’on peut penser que ces ajustements sont mineurs, ils n’en sont pas moins nécessaires et ils auront une véritable portée pour nos territoires.
Ces derniers sont si divers, chacun ayant sa spécificité, son histoire ! Le droit doit donc être adapté à ces réalités locales qui, souvent, sont bien loin des priorités nationales.
Nous avons besoin de ce genre de texte pour harmoniser, adapter, traduire le droit au plus près, « sur mesure », afin qu’il soit le plus efficace possible pour nos concitoyens ultramarins.
Il est vrai que ce projet de loi passe en revue un grand nombre de sujets comme le foncier, les questions d’aménagement, de sécurité, de logement, de la fonction publique et il ne faut pas non plus que cela entraîne un traitement trop superficiel de sujets aussi importants pour nos territoires.
Il importe donc de trouver un juste milieu qui permette de nous retrouver ici, à l’Assemblée nationale, tous ensemble, élus de différents départements ou collectivités d’outre-mer, pour aborder ces questions de fond.
Je souhaite que nous puissions organiser un rendez-vous fixe, chaque année, afin de pouvoir étudier de près l’ensemble de ces thématiques et, surtout, les partager avec nos collègues élus de l’hexagone.
Je formule le vœu, aujourd’hui, que nous puissions commencer à travailler ensemble au sein de la commission des lois afin d’organiser ce rendez-vous annuel, lequel ne doit d’ailleurs pas se limiter aux outre-mer : il doit permettre à l’ensemble de la représentation nationale de se pencher sur nos spécificités, de mieux comprendre le droit.
J’entends la question de notre collègue Alain Chrétien : il est vrai que des interrogations se font jour quant à l’application du droit européen.
Au-delà des sujets traités dans les projets de loi pendant cette « semaine outre-mer » à l’Assemblée nationale – c’est ainsi que j’envisagerais ce rendez-vous –, nous pourrions ainsi débattre au sein de chacune des commissions.
Que la commission chargée du logement se saisisse des questions afférentes, que celle en charge des affaires économiques puisse également étudier les différents aspects des spécificités du développement économique et de ses difficultés pour nos territoires !
Un tel partage est nécessaire pour aider nos collègues à mieux appréhender nos difficultés – je parlerais non pas de différences, mais d’une réelle diversité : telle est la France de 2015, pas uniquement européenne et continentale, j’aime le rappeler, mais aussi mondiale et maritime, ce qui constitue une richesse !
Les outre-mer démontrent également qu’il est possible de vivre ensemble, de dépasser nos différences. Dans la période un peu difficile que nous traversons sur ces questions-là, ces territoires peuvent être des exemples pour tous les citoyens français.
S’agissant maintenant très concrètement du texte qui nous préoccupe, il est vrai que nous avons pu avancer en Polynésie sur les questions liées à la fonction publique communale.
Nous souhaitons remercier non seulement l’État, le Gouvernement, mais aussi la commission, la rapporteure et tous ceux qui ont travaillé sur ce projet afin que l’on comprenne bien combien il est nécessaire d’aménager les textes de loi pour faciliter la mise en œuvre de la fonction publique communale en Polynésie française et de ne pas oublier la mise en place d’un cadre spécifique à destination de ceux qui ne l’intégreraient pas – c’est précisément ce que nous avons pu faire aujourd’hui.
J’en profite pour opérer une petite mise à jour : au mois de juillet, à peine 20 % des agents avaient intégré la fonction publique communale, mais cette proportion est passée à 42 % au mois de septembre, selon le congrès des maires de la Polynésie française. Vous le constatez : nous sommes en bonne voie.
De la même manière, s’agissant des communes associées, les maires sont parvenus à un accord – des pistes très concrètes se dégagent et je sais qu’ils souhaitent venir vous en parler et vous exposer la façon dont ils conçoivent le nouveau mode électoral pour nos communes associées lors du congrès national des maires qui se tiendra à Paris au mois de novembre.
Je termine, monsieur le président, en disant qu’au-delà de ce rendez-vous annuel, nous devons trouver des mécanismes efficaces. Un grand nombre de peines ont été homologuées grâce à ce texte mais, vous le savez bien, ce dernier s’est fait attendre, comme d’autres textes attendent depuis plus de dix ans. À nous, peut-être, de trouver un mécanisme automatique d’homologation des peines prévue dans les lois des collectivités ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Gilda Hobert.
Mme Gilda Hobert. Madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, le présent projet de loi, qui vise à moderniser la législation en vigueur dans les collectivités d’outre-mer, a été déposé le 29 avril 2015.
Cinq mois ont été nécessaires pour l’adopter définitivement ce qui, étant donné l’interruption des travaux cet été, peut être considéré comme satisfaisant, d’autant que ce texte a été sensiblement enrichi au gré des débats parlementaires.
Modernisation utile, nécessaire et bienvenue, nous ne pouvons que nous satisfaire de l’accord obtenu ce mardi en commission mixte paritaire et nous devons aussi constater que ce texte prend en compte les outre-mer dans leurs diversités et spécificités.
En effet, chacun de ces territoires est confronté à des problématiques diverses et particulières qui ne trouvent pas forcément de réponses adaptées dans le droit existant.
Or, Mme la ministre a pu l’expliquer, les dispositions de ce projet recouvrent un champ varié, qui tente d’apporter des solutions aux difficultés rencontrées par nos concitoyens ultramarins.
Il s’agit notamment des dispositions relatives à la lutte contre la vie chère, en étendant le bouclier qualité-prix, c’est-à-dire les accords annuels de modération des prix pour les produits de base à Saint-Martin, et de l’intervention des observatoires des marges, des prix et des revenus à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy.
Nous espérons qu’une meilleure prise en compte des singularités des territoires ultramarins permettra ainsi une baisse de prix des produits, dont la plupart sont importés.
Je rappelle que la loi du 20 novembre 2012, que nous avons soutenue, a étendu la mission des six observatoires des prix mis en place en 2007 à l’analyse du niveau et de la structure des marges.
Il s’agit aussi des dispositions relatives à l’aménagement du territoire en dotant la Guyane et Mayotte d’établissements publics fonciers et d’aménagement, des dispositions relatives aux agents publics, en améliorant le statut des agents non titulaires de la fonction publique en Polynésie française, des dispositions relatives aux collectivités territoriales, en dotant la Nouvelle-Calédonie de maires adjoints de quartiers et en instituant des maires délégués en Polynésie française.
Il s’agit également des mesures relatives à la sécurité intérieure et à la sûreté aérienne en étendant l’application de certaines dispositions du code de la sécurité intérieure dans les territoires où elles ne s’appliquaient pas.
Il en va ainsi des règles en matière de vidéoprotection en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie ou de l’extension des dispositifs de prévention et de lutte contre le terrorisme dans les Terres australes et antarctiques françaises, mais également du plafonnement de la détention des armes en Nouvelle-Calédonie.
Enfin, le texte transforme l’Agence de l’outre-mer pour la mobilité en établissement public administratif – cette agence chargée d’assurer la continuité territoriale entre les collectivités ultramarines et la métropole connaît en effet de graves difficultés financières.
Or, nous avons l’obligation d’assurer une offre de formation ou, à défaut, de mettre en place des financements pour permettre à nos ressortissants de poursuivre leurs études ou de suivre une nouvelle formation professionnelle, quel que soit leur lieu de résidence.
À ce titre, certains collègues ont pointé l’insuffisance de l’offre de la formation dans les outre-mer, obligeant l’État à trouver des solutions de scolarisation en métropole – une telle situation ne peut perdurer.
Il est souhaitable de permettre la mise en œuvre effective et immédiate de mesures adaptées qui améliorent la vie quotidienne de nos concitoyens ultramarins et le potentiel de développement économique de ces territoires. Je pense notamment à l’application des nouvelles dispositions en matière de service à la personne, de Sécurité sociale ou, même, de transports.
Aussi, comme nous l’avons déjà fait, insisterons-nous sur les avancées concernant Saint-Pierre et Miquelon, la Guadeloupe et l’Île de la Réunion.
Pour Saint-Pierre et Miquelon, il était nécessaire d’imposer des mesures de sûreté aux compagnies aériennes afin de se mettre en conformité avec certains engagements européens que nous avons pris.
Pour la Guadeloupe et La Réunion, nous sommes satisfaits de la prorogation jusqu’au 31 décembre 2018 des agences de la zone des cinquante pas géométriques, prolongation qui vise à ne pas créer de rupture de gestion de cette zone – cette prolongation n’est pas nouvelle, un texte examiné par la commission des finances ayant déjà abordé cette question. Une prolongation du délai était la bienvenue.
Notons, aussi, la mise en place d’une meilleure transparence financière, notamment pour Saint-Pierre et Miquelon, accompagnant la lutte contre l’usage de certains produits financiers sophistiqués.
Toutefois, nous regrettons de n’avoir pu traiter la question de l’organisation de transports aériens par les départements et régions d’outre-mer afin d’assurer une desserte plus régulière et moins onéreuse entre les territoires ultramarins et la métropole.
Mais parce que ce texte vise à moderniser et à actualiser des dispositions obsolètes applicables dans les outre-mer et parce que nous sommes satisfaits de l’accord trouvé par les sénateurs et les députés en commission mixte paritaire, vous l’aurez compris madame la ministre, le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste votera ce projet de loi ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Serge Letchimy.
M. Serge Letchimy. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mes chers collègues, je commencerai par quelques rapides observations.
La décision relative aux agences des cinquante pas géométriques est une bonne chose : au-delà de la prorogation, c’est une manière d’assurer à la Guadeloupe et à la Martinique la gestion directe de cet espace, qui est extrêmement important pour leur développement.
Je salue par ailleurs la décision qui a été prise, grâce à l’amendement de Victorin Lurel, de mettre fin à l’exploitation éhontée que constituaient les surcoûts d’itinérance ultramarine.
Je me félicite également que vous ayez accepté que l’IEDOM remette annuellement un rapport sur les délais de paiement.
Je salue, madame la ministre, votre engagement, que vous avez encore manifesté hier en organisant une réunion au ministère des outre-mer, au sujet de LADOM. Celle-ci joue son rôle dans le sens aller, mais il s’agit à présent d’inventer un dispositif favorisant les migrations dans le sens retour.
Je regrette que le président Jean-Jacques Urvoas, dans sa volonté de supprimer tous les rapports, ait également supprimé celui relatif à l’extension du champ de l’éligibilité de l’aide au fret.
Mme Paola Zanetti, rapporteure. Il en reste tout de même deux !
M. Serge Letchimy. L’examen de ce projet de loi, désormais qualifié de texte d’actualisation, arrive donc à son terme.
Je salue, madame la ministre, votre engagement actif en faveur de la nouvelle collectivité. Nous sommes progressivement et sereinement parvenus, en Martinique et en Guadeloupe, à faire un pas considérable en matière d’organisation et de gestion des fonds publics, ainsi que de gouvernance. Nous pourrons ainsi optimiser l’usage de ces fonds, ce qui permettra à la Martinique d’entrer dans une nouvelle ère, ce dont je me réjouis, comme l’ensemble des élus.
Vous me permettrez à présent de dire un mot à mon cher collègue de la Martinique. Il a décidé de faire du malaise des salariés du département et de la région son fonds de commerce politique : c’est son choix. Mais, lorsqu’il n’y a pas de malaise, il a le don d’en inventer, comme par magie. Il a donc inventé, et même créé un malaise. Je n’ose pas dire que c’est par mauvaise foi ; je préfère dire que c’est par méconnaissance du droit.
Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’il ne s’agit pas de faire perdurer l’une des deux collectivités existantes. Les deux vont disparaître, pour laisser la place à une nouvelle. De ce fait, c’est une quinzaine d’emplois fonctionnels qui disparaîtront en Martinique, comme en Guyane. Je vous remercie d’avoir adopté un amendement qui évitera que trente salariés se retrouvent à la rue.
La mise en place d’une collectivité unique, c’est une chose, mais il faut continuer de payer les salaires et les entreprises, et vous avez le souci d’assurer ce que l’on appelle la continuité du service public. Mais, puisqu’il n’y a pas encore d’organigramme, il ne peut pas y avoir d’emplois fonctionnels. On aurait donc pu suivre la suggestion qui nous a été faite tout à l’heure, à savoir que le futur président – ou la future présidente – de la collectivité désigne à ces postes. Mais cette solution est juridiquement attaquable, puisqu’il n’y a pas encore d’approbation de l’organigramme par la commission technique paritaire.
Un amendement du Gouvernement a été adopté pour régler ce problème, dont notre collègue Jean-Philippe Nilor m’a attribué la paternité, ce qui fait de moi une sorte de ministre des outre-mer.
M. Jean-Philippe Nilor. Assumez !
M. Serge Letchimy. Vous nous direz, madame la ministre, si cet amendement émane de vous ou de moi – je suis prêt, en tout cas, à en assumer le contenu. Je noterai néanmoins qu’il concerne à la fois la Martinique et la Guyane. Par ailleurs, la nomination du directeur général des services de la région, en Guyane, comme en Martinique – j’y insiste car notre collègue s’est focalisé sur la Martinique – ne peut durer que le temps de l’approbation de l’organigramme. Dès que celle-ci sera intervenue, une nouvelle nomination pourra avoir lieu.
Il est essentiel d’accompagner cette nouvelle aventure martiniquaise sans créer de malaise et sans perturber les 4 000 salariés du département et de la région. Votre attitude n’est pas correcte, monsieur Nilor. Il n’y a aucune mise sous tutelle, aucune volonté de le faire : ce qui a été décrit ne concerne qu’une quinzaine des 4 000 salariés des collectivités de Martinique.
M. Jean-Philippe Nilor. C’est faux !
M. Serge Letchimy. Votre généralisation n’est pas acceptable.
Nous abordons cette bataille non pas dans l’affrontement politique, mais dans un souci d’innovation dans la République, et avec la volonté ferme de faire de ce texte un outil de croissance, de développement et de progrès. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Gomes.
M. Philippe Gomes. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, permettez-moi de formuler, pour la dernière fois, une observation que j’ai déjà eu l’occasion de faire en commission et en séance : en Nouvelle-Calédonie, il est une disposition de ce projet de loi que l’ensemble des formations politiques juge absolument inacceptable – et le fait est assez rare pour être signalé. Des indépendantistes aux non-indépendantistes, l’ensemble de la classe politique, toutes tendances confondues, s’accorde pour dire que la limitation à quatre du nombre d’armes pouvant être détenues par un individu est à la fois discriminante, inutile et dangereuse.
Discriminante, car il n’existe pas de disposition équivalente à l’échelle de la France métropolitaine ; inutile, parce que, s’il s’agit de saisir des armes possédées légalement ou illégalement, le code de sécurité intérieure donne déjà tous les pouvoirs nécessaires au Haut-Commissaire pour procéder à cette saisie ; dangereuse, enfin, parce que l’on va aller déranger chez eux des gens qui possèdent légalement des armes, alors que l’urgence est de faire cesser les troubles causés par ceux qui en détiennent illégalement.
Je souhaiterais à présent, madame la ministre, saisir l’occasion que j’ai de m’adresser à vous depuis cette tribune, pour appeler votre attention sur des questions qui ne sont pas directement liées à ce projet de loi.
Vous savez que le Président de la République a réuni à la Commission du Pacifique Sud les petits États insulaires du Pacifique pour les inviter à se mobiliser dans le cadre de la COP 21, qui se tiendra à la fin de l’année à Paris. Ils l’ont entendu et se sont réunis au mois de mai à Nouméa, où ils ont adopté la déclaration de Lifou, qui rappelle ce que tout le monde sait, à savoir que si l’Océanie n’est à l’origine que de 0,03 % des émissions de gaz à effet de serre sur la planète, elle en est en revanche la première victime du fait de la montée des eaux, du réchauffement de la mer, du blanchissement des récifs qui en résulte, ou encore des phénomènes climatiques majeurs qui s’y produisent, à cause du dérèglement général du climat.
Par une lettre du président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie qui vous a été adressée, ainsi qu’à la ministre de l’environnement, nous avons sollicité la participation de la Nouvelle-Calédonie à la délégation française lors de la COP 21. C’est un droit qui nous revient, eu égard à notre place particulière dans l’organisation constitutionnelle de la République. Nous avions déjà, de la même façon, été intégrés à la délégation qui s’est rendue au Sommet de la terre à Rio en 2012, ou encore à Copenhague en 2009. Nous attendons encore votre réponse, comme celle de la ministre de l’environnement.
Dans le même ordre d’idées, je tiens à rappeler que nous sommes particulièrement heureux que le sommet France-Océanie soit organisé à la fin de l’année. L’annonce en a été faite par le Premier ministre, au terme du dernier comité des signataires. Je l’avais appelé de mes vœux depuis la fin de l’année dernière, et la venue du Président de la République en Nouvelle-Calédonie est pour nous, collectivité française du Pacifique, un immense motif de satisfaction. Mais, là encore, madame la ministre, nous souhaitons être associés à la préparation de ce sommet. Les collectivités françaises du Pacifique ont une voix, qu’elles souhaitent faire entendre, et nous souhaitons que les propositions que nous avons à faire puissent être discutées avec l’État, afin qu’il y ait une part de notre âme dans l’organisation de ce sommet.
Le dernier point sur lequel je souhaite appeler votre attention, madame la ministre, ainsi que celle de l’ensemble de mes collègues, c’est l’article scélérat du projet de loi de finances pour 2016, relatif à la prorogation pour une seule année de la défiscalisation, qui est essentielle au développement de nos territoires.
Cet article est scélérat pour plusieurs raisons : d’abord, parce que la barrière de 2017 limitait déjà les investissements. Les chiffres de Bercy montrent qu’à une phase de stagnation succède désormais une période de réduction des investissements réalisés dans l’ensemble de l’outre-mer, et en Nouvelle-Calédonie en particulier.
C’est un article scélérat, ensuite, parce que les conditions qu’il pose à la prorogation d’un an, jusqu’en 2018, sont mortifères, qu’il s’agisse de celles relatives aux acomptes, aux commandes, à la mise en service ou à l’achèvement des fondations. Toutes ces contraintes empêcheront ce dispositif de produire des fruits : au total, il aura été maintenu, mais sans que l’on puisse l’utiliser. Je n’hésite pas à dire qu’en la matière le Gouvernement utilise la technique de l’étrangleur ottoman : je songe aux palais d’antan où un étrangleur appointé par le souverain pouvait étrangler sans bruit ceux qui lui étaient désignés.
C’est un message dramatique qui est adressé à l’outre-mer en général, et aux chefs d’entreprise en particulier, à un moment où nos économies sont atones et où l’on a vraiment besoin d’un horizon dégagé et de confiance. Nous insisterons donc, tout au long des débats à venir sur le projet de loi de finances, sur la nécessité de donner un nouvel horizon à la défiscalisation, ainsi que s’y était engagé François Hollande lors de sa visite en Nouvelle-Calédonie.
M. le président. La discussion générale est close.
La parole est à Mme la ministre.
Mme George Pau-Langevin, ministre. Je voudrais apporter quelques éléments de réponses aux questions soulevées par les différents orateurs.
Monsieur Gomes, je connais votre position sur les armes en Nouvelle-Calédonie et nous aurons l’occasion d’en reparler : lorsque la loi sera votée, il faudra en effet que nous définissions ensemble les conditions dans lesquelles le décret sera appliqué en Nouvelle-Calédonie. Nous en reparlerons donc, mais les événements de cet été nous ont montré combien il était délicat de maintenir l’ordre en Nouvelle-Calédonie. Il faut que nous soyons extrêmement vigilants sur ces questions.
S’agissant du sommet France-Océanie et de la COP 21, il importe effectivement que nous préparions ensemble ce sommet et que nous assurions la participation des collectivités d’outre-mer à la COP 21. Vous savez néanmoins que si la France accueille la conférence, elle n’en est pas le principal organisateur. Nous ferons le maximum pour que chaque territoire, et notamment la Nouvelle-Calédonie, puisse y participer, mais je répète que nous n’avons pas entièrement la main sur l’organisation.
S’agissant du projet de loi de finances pour 2016, la discussion que vous engagez est un peu prématurée. Je vous trouve néanmoins sévère lorsque vous parlez d’« amendement scélérat » ou de conditions « mortifères ». Ce que nous avons voulu faire, c’est repousser la date fixée à la fin de l’année 2017, dont on nous disait qu’elle était vue comme un couperet. Cette nouvelle disposition nous permettra donc de continuer à instruire des dossiers au-delà de cette date.
Il convient à présent, et nous l’avons toujours dit, de travailler ensemble pour définir le régime qui entrera en vigueur après 2017. Ne pensez pas que nous tirons un trait sur la défiscalisation : il s’agit de nous donner le temps de travailler sur le dispositif à venir.
Votre appréciation sur Bercy me paraît dure, je le répète, mais nous sommes conscients des difficultés qui se posent aujourd’hui dans l’instruction des dossiers. Et nous essayons de voir avec l’administration de Bercy comment lever les obstacles qui peuvent freiner certaines initiatives.
Si nous sommes préoccupés, je ne partage pas l’appréciation que vous portez sur ces services.
Monsieur Nilor, j’ai déjà entendu beaucoup de choses dans ma vie et je suis ouverte à toutes les discussions, mais c’est la première fois que l’on me traite de raciste colonialiste. C’est un peu excessif !
M. Jean-Philippe Nilor. Quand avez-vous entendu que je vous traitais de raciste ? C’est trop grave !
M. Alain Chrétien. C’est votre Morano à vous !
M. Serge Letchimy. Il ne faut pas dire cela !
Mme George Pau-Langevin, ministre. Vos mots ont dû dépasser votre pensée.
M. Jean-Philippe Nilor. Quand l’avez-vous entendu ?
Mme George Pau-Langevin, ministre. J’ai la mauvaise habitude de prendre des notes.
M. Alain Chrétien. A chacun sa Morano !
Mme George Pau-Langevin, ministre. La comparaison est inacceptable.
Il convient aujourd’hui de savoir comment franchir l’étape de la disparition des deux collectivités. Le débat est singulier puisque la Martinique, qui a souhaité cette disparition, voit éclater, au moment même où ce souhait se réalise, une bagarre entre les deux collectivités pour savoir laquelle est supérieure à l’autre, alors que les deux sont appelées à disparaître dans peu de temps. Il s’agit donc d’un débat d’arrière-garde. Nous avons simplement évoqué la question des emplois fonctionnels : comme l’a souligné M. Letchimy, c’est le haut encadrement de ces collectivités qui est concerné. Durant une période transitoire, avant que la nouvelle collectivité ne soit en mesure de se prononcer sur son nouvel organigramme, l’un des deux directeurs devra faire office de directeur général des services et l’autre l’accompagnera. Si, une fois la réforme réalisée – cela peut-être quinze jours ou un mois plus tard –, la décision est prise de nommer l’ex-directeur général des services du conseil général DGS de la nouvelle collectivité, je pense que personne n’y verra le moindre inconvénient.
Il ne faut donc pas affoler les gens avec cette question. Il s’agit d’une période de transition, que j’ai évoquée avec la présidente du conseil général, car nous ne prenons pas d’initiative sans consulter les élus. Au-delà de l’émotion, celle-ci a bien saisi le problème et m’a précisé que son directeur général des services ne comptait pas rester. Pourquoi dans ces conditions nous casser la tête pour un débat devenu sans objet ou presque ? J’espère, monsieur Nilor, que vous êtes tranquillisé.
Je comprends que la disparition des deux entités au profit d’une seule suscite l’inquiétude des personnels qui se demandent ce qu’ils vont devenir. Il nous appartient de rassurer chacun en soulignant que ce n’est l’intention ni des élus ni du Gouvernement de laisser des personnels sur le carreau au lendemain des élections. Je le répète : aucune collectivité n’est supérieure à l’autre, elles sont toutes les deux appelées à disparaître.
M. Aboubacar a raison : ce texte a notamment réglé la question des cinquante pas géométriques. Il nous reste à traiter du foncier, tant à Mayotte qu’en Guyane. Nous en sommes conscients. Le rapport évoque une « gestion jalouse et stérile de l’État sur ces territoires » : ne serait-il pas possible d’avancer sans utiliser des épithètes peu sympathiques ?
M. Chrétien a évoqué le très grand nombre d’amendements déposés par le Gouvernement. Un tel procédé était destiné à prendre en compte les problèmes que les parlementaires soulèvent au travers de leurs amendements, pour lancer la discussion, sans pouvoir proposer les bonnes solutions. Lorsque le Gouvernement trouve ces solutions, il dépose à son tour des amendements. Et si ceux-ci sont nombreux, c’est que le Gouvernement se montre très respectueux des problèmes soulevés par les parlementaires et s’attache à les résoudre.
M. Alain Chrétien. Belle démonstration !
Mme George Pau-Langevin, ministre. Il est vrai, madame Sage, que nous avons avancé sur la question de la fonction publique communale. Je suis heureuse que, selon les informations que vous nous avez transmises, des solutions aient pu être trouvées s’agissant des communes associées. Il est dommage toutefois qu’il ne soit pas possible de profiter de ce texte sur l’actualisation du droit outre-mer pour traduire dans la loi les dispositions que vous souhaitez voir adoptées pour les communes de Polynésie : nous trouverons un autre rendez-vous législatif.
J’ai noté l’attitude positive du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste vis-à-vis du texte, en dépit des critiques émises s’agissant des problèmes qui ne sont pas encore résolus. Je tiens à rassurer chacun : nous aurons, là encore, d’autres rendez-vous nous permettant de régler les questions qui restent pendantes outre-mer.
Je n’ai pas grand-chose à ajouter aux propos tenus par M. Letchimy. Nous devons, c’est vrai, avancer sur l’itinérance. Je me félicite du nouveau statut plus protecteur de LADOM. Il convient de voir quel peut être le rôle de l’État pour faciliter le retour dans leur département d’origine des étudiants et des jeunes gens formés. Cette tâche fait partie de celles sur lesquelles nous aurons l’occasion de travailler de nouveau ensemble.
M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Très bien.
M. le président. Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi, compte tenu du texte de la commission mixte paritaire.
(L’ensemble du projet de loi est adopté à l’unanimité.)
M. le président. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures vingt-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, de la proposition de loi de Mme Patricia Adam et de M. Philippe Nauche relative aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales (nos 3042, 3066).
M. le président. La parole est à Mme Patricia Adam, présidente et rapporteure de la commission de la défense nationale et des forces armées.
Mme Patricia Adam, rapporteure de la commission de la défense nationale et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre de la défense, monsieur le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, mes chers collègues, le Conseil constitutionnel, vous le savez, a validé l’ensemble – j’insiste sur ce point – des principes de la loi sur le renseignement, dont le rapporteur était Jean-Jacques Urvoas et qui a été adoptée par notre assemblée le 25 juin. Il a ainsi légitimé le recours par le Gouvernement à un certain nombre de moyens, au titre de la défense et de la promotion des intérêts fondamentaux de la nation.
S’agissant de la surveillance des communications internationales, le Conseil constitutionnel a exigé une plus grande précision des modalités de déclenchement et de contrôle associées. Ce faisant, il a – je le répète pour ceux qui ne l’auraient pas entendu ou compris – validé la légitimité de l’État à recourir à ces techniques pour défendre et promouvoir les intérêts fondamentaux de la nation. Nous n’avons donc pas à reprendre cette question, déjà largement débattue en commission et dans l’hémicycle. Je remercie Jean-Jacques Urvoas du travail qu’il a effectué sur le sujet. Cette proposition de loi porte donc sur le contrôle et non sur le fond ou sur des moyens nouveaux à donner aux services de renseignement qui travaillent à l’international.
Afin d’éviter tout faux débat, je tiens à rappeler deux points. D’abord, la recherche du renseignement est une prérogative étatique légitime et nécessaire. D’ailleurs chaque pays en use, à la mesure de ses moyens. Ensuite, le secret est indissociable de la recherche du renseignement. À la fois il la permet et il est la condition de sa sécurité. Sans secret, il n’y a pas de renseignement ! De ce besoin du secret résulte souvent un malentendu : le secret n’a pas pour objet de cacher d’éventuelles turpitudes. Il est simplement la condition du recueil du renseignement.
Notre rôle de législateur est donc aujourd’hui de concilier, comme nous l’avons fait dans la loi sur le renseignement, le contrôle juridique sur des activités régaliennes et la préservation de la part de secret nécessaire, dans le respect des libertés individuelles. Tel est l’équilibre trouvé dans la loi sur le renseignement. Et tel est l’esprit du texte que Philippe Nauche et moi-même avons déposé.
L’esprit de cette proposition de loi est donc simple à résumer : il s’agit à la fois d’une loi de contrôle de certaines opérations de renseignement technique et d’une loi qui étend le champ des garanties d’exercice des libertés publiques. En cela, la proposition de loi complète la loi sur le renseignement dont elle reprend à la fois l’esprit et les mécanismes adaptés.
En synthèse, le Premier ministre est l’autorité qui endosse la responsabilité d’autoriser la surveillance des communications électroniques internationales. Compte tenu du champ très vaste et complexe du renseignement recherché, il s’agit d’un acte de gouvernement, qui ne peut pas être soumis à un avis préalable indépendant, c’est-à-dire extérieur, notamment une autorisation administrative, comme cela a été proposé par voie d’amendement. En revanche, toute surveillance autorisée par le Premier ministre sera soumise au contrôle de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement – CNCTR – qui en vérifiera la légalité, et ce immédiatement, comme je le propose par voie d’amendement.
En cas de divergences de vue sur la légalité d’une surveillance, la CNCTR pourra recommander sa suspension au Premier ministre. En cas de désaccord persistant, la commission, son seul président ou seulement trois de ses membres pourront saisir une formation spécialisée du Conseil d’État, qui rendra alors une décision de justice, laquelle s’imposera au Gouvernement. C’est ce que nous avions proposé dans la loi sur le renseignement pour les interceptions de sécurité.
Outre ce travail de contrôle, la CNCTR examinera les demandes d’individus souhaitant vérifier s’ils ne font pas l’objet d’une surveillance illégale. Il s’agit là d’une avancée considérable.
Ce dispositif est inspiré du régime des interceptions de sécurité mais présente tout de même quelques différences, aisément explicables compte tenu de l’échelle internationale du champ d’intervention. Une interception de sécurité vise une personne en particulier, sur le fondement d’éléments connus. En revanche, la surveillance des communications internationales a plutôt pour objet de surveiller des individus dont on ne connaît pas les noms, des zones dans lesquelles agissent des groupes qui menacent notre pays ou des organisations terroristes. Cette différence implique quelques aménagements par rapport au régime des interceptions de sécurité.
La loi propose donc un contrôle renforcé à toutes les étapes de la procédure technique et une traçabilité totale des actions. Cette traçabilité est l’un des outils de contrôle par la CNCTR qui, rappelons-le, aura accès à tout, y compris à la production. Ainsi, le Premier ministre engagera sa responsabilité institutionnelle et politique à chaque étape du processus. Cet engagement se concrétisera par la communication de chaque décision à la CNCTR, qui compte quatre parlementaires, dont deux de l’opposition, parmi ses membres – je tenais à le préciser, au cas où certains l’auraient oublié. Ce contrôle renforcé de la CNCTR et l’implication du Premier ministre garantissent le respect des garde-fous que la loi met à l’activité de surveillance.
En conclusion, je veux me féliciter de l’intérêt que la représentation nationale manifeste pour cette question de la surveillance des communications internationales. Depuis le dépôt de la présente proposition de loi, notre collègue sénateur Philippe Bas en a déposé une autre relative au même objet. Je me félicite de cette convergence de vues ; j’ai d’ailleurs souhaité vous présenter des amendements directement inspirés de son travail.
Pour en terminer, et afin d’éviter de faux débats, je vous invite à répondre simplement à deux questions. Le droit sera-t-il plus protecteur après le vote de la proposition qu’antérieurement ? Pour moi, la réponse est claire : c’est oui !
M. Alain Chrétien. Nous sommes d’accord !
Mme Patricia Adam, rapporteure. Que se passerait-il si la proposition de loi n’était pas votée ? Assurément, ce serait l’échec d’une tentative de clarification juridique, et donc un échec pour l’État de droit. Cette proposition de loi constitue donc un indéniable progrès pour notre démocratie. Je vous remercie de pouvoir en débattre ensemble aujourd’hui, notamment dans le cadre de la discussion des amendements. (Applaudissements sur tous les bancs.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de la défense.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. Monsieur le président, madame la présidente et rapporteure de la commission de la défense, mesdames, messieurs les députés, la proposition de loi que nous discutons aujourd’hui vient parachever le travail global que nous avons entrepris ensemble depuis 2012 sur le renseignement. Je tiens à remercier chaleureusement Mme Patricia Adam et M. Philippe Nauche de leur initiative : nous avons en effet un besoin urgent d’un tel texte.
À travers le Livre blanc de 2013, puis la loi de programmation militaire pour les années 2014 à 2019 récemment actualisée, le Président de la République et le Gouvernement ont accordé au renseignement une priorité sans précédent, encore confortée au mois de juillet.
Il en a d’abord résulté une amplification de l’effort consenti en termes de ressources humaines, d’équipements et de technologies, y compris dans le domaine de la cyberdéfense. Cet accroissement est à la mesure des défis auxquels nos services sont confrontés pour préserver notre sécurité. Nous avons ensuite résolument poursuivi une tâche d’adaptation et de modernisation du cadre juridique applicable aux services de renseignement. La présente proposition de loi vient mettre la dernière main à ce processus.
En premier lieu, la loi de programmation militaire pour les années 2009 à 2014, adoptée ici même en décembre 2013, a défini un nouvel équilibre entre des moyens accrus et un contrôle renforcé des services. Elle a programmé les moyens, ouvert le champ majeur de la cyberdéfense – dont on parle maintenant, heureusement, de plus en plus –, facilité l’accès à certains fichiers et posé le cadre du programme API- PNR, tout en renforçant significativement les pouvoirs de la délégation parlementaire au renseignement.
Cette démarche s’est poursuivie avec la loi sur le renseignement du 24 juillet dernier, à laquelle le président Urvoas a si fortement contribué. Il s’agit d’un tournant majeur, qui était particulièrement attendu. Devant les révolutions technologiques intervenues ces deux dernières décennies, dont nos adversaires sont les premiers à profiter, il fallait impérativement moderniser le cadre juridique de notre action en matière de renseignement. Il fallait mettre à jour notre législation pour qu’elle réponde pleinement aux besoins du contrôle démocratique de l’activité des services, qu’elle s’adapte à la diversité des moyens et techniques de renseignement et en contrôle la puissance dans un esprit de protection des libertés individuelles.
Mesdames, messieurs les députés, la France se situe désormais au premier rang des démocraties qui ont fait le choix de fonder en droit la légitimité de l’action et des techniques des services de renseignement.
Je rappelle ici, en réponse à certaines observations à mes yeux bien excessives, que la loi du 24 juillet 2015 innove dans de nombreux domaines. Elle modernise fortement les textes relatifs aux techniques de renseignement des services déjà encadrées par la loi – interceptions de sécurité et accès aux données de connexion. Elle inscrit dans la loi un grand nombre de techniques nouvelles – sonorisation, géolocalisation par balisage, IMSI-catching, suivi renforcé de certaines personnes présentant une menace terroriste, utilisation d’algorithmes pour exploiter des données de connexion dans le champ de la lutte contre le terrorisme.
En contrepartie, la loi sur le renseignement crée une autorité administrative indépendante dotée d’une compétence très étendue par rapport à l’existant, de moyens et d’une structure sans commune mesure avec ce qui existe aujourd’hui pour les seules interceptions de sécurité et données de connexion. Cette autorité est susceptible d’intervenir dans pratiquement tout le champ du recueil de renseignements par moyen technique. Je sais, madame la présidente de la commission, que vous êtes très attentive aux moyens dont sera dotée la future CNCTR pour effectuer ce contrôle. Je veux vous rassurer, comme l’a déjà fait Bernard Cazeneuve : le Gouvernement sera extrêmement vigilant quant aux moyens dont disposera la CNCTR pour assumer effectivement ses missions.
Par ailleurs, la loi du 24 juillet 2015 crée un contrôle juridictionnel effectif sur l’action très particulière des services, avec l’institution, au sein du Conseil d’État, d’une formation spécialisée dont les membres sont habilités ès qualités au secret de la défense nationale.
Dans ce cadre, le Parlement avait voté fin juin une disposition qui définissait le régime légal de la surveillance des communications électroniques internationales. Ce régime est nécessairement distinct de celui des interceptions de sécurité, qui ne peut s’appliquer qu’aux personnes situées sur le territoire national.
Dans sa décision du 23 juillet dernier, le Conseil constitutionnel a estimé que ce régime légal n’était pas suffisamment détaillé par le législateur et qu’il renvoyait trop largement à des textes réglementaires sur les points suivants : « les conditions d’exploitation, de conservation et de destruction des renseignements collectés » et « les conditions du contrôle par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement de la légalité des autorisations délivrées […] et de leurs conditions de mise en œuvre ». Le Conseil constitutionnel a donc censuré cette disposition, mais sur un motif qui ne touchait pas au fond du texte adopté – vous l’avez rappelé, madame la présidente de la commission. Il a par ailleurs donné des indications pour orienter le travail du législateur pour la suite.
C’est tout l’objet de cette proposition de loi, qui remédie à ce grief d’incompétence négative en intégrant dans la loi elle-même nombre de règles qui étaient destinées, en fait, à figurer dans le décret d’application.
Au titre des conditions d’exploitation, la proposition de loi précise que la surveillance des communications internationales ne vise que des personnes ou entités situées à l’étranger. Elle explicite clairement que les communications échangées entre des numéros ou identifiants rattachables au territoire national qui seraient interceptées seraient immédiatement détruites, même si elles transitent par des territoires étrangers. On ne peut donc nous soupçonner de mettre en place, par ces dispositions, un moyen détourné de surveiller des Français, comme je l’ai parfois lu.
M. Alain Chrétien. Cela ne tient pas !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. En effet, monsieur le député, cela ne tient pas.
Toujours pour répondre à l’exigence de précision s’agissant des conditions d’exploitation, la proposition de loi organise et détaille les trois niveaux d’intervention du Premier ministre pour décision : la désignation des systèmes de communications que les services sont habilités à intercepter, les autorisations d’exploitation non individualisée des données de connexion, et les autorisations d’exploitation individualisée des communications, c’est-à-dire, comme le précise la loi, de l’ensemble formé par les correspondances – en d’autres termes, le contenu – et les données de connexion associées.
Le texte précise également ce que doivent contenir les autorisations : finalité des mesures de surveillance, type de traitement automatisé pouvant être mis en œuvre, cibles de la surveillance, services habilités à pratiquer ces mesures, selon les cas.
S’agissant des conditions de conservation, la proposition de loi fixe les durées maximales de conservation des différentes catégories de données pouvant être recueillies. Elle précise aussi les conditions de destruction des renseignements recueillis et des données exploitées qui peuvent en être tirées, en renvoyant pour cela au droit commun.
Comme l’exigeait le Conseil constitutionnel, la proposition de loi détaille les prérogatives qui permettront à la CNCTR de s’assurer de la légalité des autorisations délivrées par le Premier ministre – relevons au passage, comme vous l’avez dit vous-même, madame la présidente de la commission, que le Conseil constitutionnel n’exige pas, dès lors, de contrôle préalable à la délivrance de ces autorisations –, ainsi que des conditions de mise en œuvre de ces autorisations.
Enfin, cette proposition de loi organise un contrôle juridictionnel des mesures de surveillance internationale, en prévoyant que le Conseil d’État pourra être saisi par la CNCTR si le Premier ministre ne donne pas suite à l’une de ses recommandations relatives à un manquement au texte du nouvel article créé par la proposition de loi, ou s’il n’y donne qu’une suite insuffisante à ses yeux.
L’ensemble des garanties que le Gouvernement s’apprêtait à faire figurer dans les textes d’application de la loi sont intégrées, grâce à la proposition de loi, au niveau de la loi elle-même, ce qui remédie au vice identifié par le Conseil constitutionnel. Compte tenu, notamment, de l’urgence de la situation sécuritaire, dont chacun se rend bien compte, il était important que cette correction soit faite le plus rapidement possible. Je remercie à nouveau Mme Patricia Adam et M. Philippe Nauche, auteurs de cette proposition de loi.
Je conclus en soulignant la grande importance de ce texte,…
M. Alain Chrétien. En effet, ce texte est très important !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. …puisqu’il donne un cadre légal à une activité essentielle à la préservation des intérêts fondamentaux de notre pays, tout en contribuant à la défense des libertés publiques comme à la protection des agents de nos services de renseignement. (Applaudissements sur tous les bancs.)
M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Philippe Nauche.
M. Philippe Nauche. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente et rapporteure de la commission, mes chers collègues, le 23 juillet dernier, le Conseil constitutionnel, qui a validé l’essentiel des dispositions de la loi sur le renseignement, a censuré les dispositions relatives aux mesures de surveillance internationale, « considérant qu’en ne définissant dans la loi ni les conditions d’exploitation, de conservation et de destruction des renseignements collectés […], ni celles du contrôle par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement de la légalité des autorisations délivrées […] et de leurs conditions de mise en œuvre, le législateur n’a pas déterminé les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ».
Autrement dit, les Sages ont considéré que c’est à la loi d’autoriser et d’encadrer ces techniques de renseignement.
En réponse aux exigences du Conseil constitutionnel et dans le but de compléter le dispositif de la loi relative au renseignement, la présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées, Patricia Adam, et moi-même avons donc déposé le texte dont nous allons débattre. Je me félicite au passage, monsieur le ministre, de l’excellente collaboration qui a prévalu entre votre cabinet et les parlementaires.
Je rappellerai en quelques mots l’historique : en juin dernier, l’adoption de la loi relative au renseignement était venue parachever les importantes réformes entreprises depuis 2008, puis 2012 pour doter la France, en matière de renseignement, de capacités techniques, humaines et financières en adéquation avec les enjeux stratégiques contemporains.
Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013 avait d’ailleurs réaffirmé que la fonction « connaissance et anticipation » était un élément fondamental de notre stratégie de sécurité nationale et la condition de notre autonomie stratégique.
Cette loi est donc venue consolider les évolutions entreprises ces dernières années pour mettre en place une véritable politique publique en matière de renseignement. Elle permet de doter les services de renseignement d’outils techniques adaptés aux évolutions technologiques et aux mutations des menaces. Surtout, elle donne à notre politique publique de renseignement un cadre juridique clair et stable, plus protecteur, tant pour les agents de ces services que pour l’ensemble des citoyens. Elle organise également un contrôle très strict des activités de renseignement, grâce à un cadre contraignant, à des procédures lisibles, à une autorité administrative indépendante aux pouvoirs renforcés et à un contrôle juridictionnel inédit. Elle définit enfin les domaines précis dans lesquels interviennent les services.
À ce stade, chacun aura compris la nécessité impérieuse de doter ces derniers de dispositions législatives autorisant et encadrant la surveillance des communications internationales, afin de compléter les outils dont ils disposent déjà sur le territoire national.
En effet, le contexte international demande une attention de tous les instants. Terrorisme, bien sûr, mais aussi menaces sur les intérêts fondamentaux en matière d’industrie et de recherche, développement des grands trafics internationaux, cybersécurité.
Le continuum défense-sécurité dans le cyber-espace et dans la réalité concrète nécessite d’avoir des moyens d’action à l’international.
Afin d’aller dans le sens à la fois des requêtes du Conseil constitutionnel et de la nécessité de donner à nos services les moyens d’accomplir leurs missions dans un cadre juridique sécurisé, le texte que nous vous soumettons aujourd’hui contient quatre catégories de dispositions.
Tout d’abord sont définies les communications internationales susceptibles d’être surveillées. Ces correspondances sont limitées, précise le texte, aux correspondances ou données de connexion « émises ou reçues à l’étranger ». Cela exclut de fait les communications échangées par des personnes utilisant des numéros d’abonnement ou identifiants rattachables au territoire national. Le texte prévoit cependant deux exceptions : les personnes communiquant depuis l’étranger et faisant l’objet d’une autorisation d’interception de sécurité avant leur départ, ou bien identifiées comme présentant une menace au regard des intérêts fondamentaux de la nation.
Par ailleurs, le rôle du Premier ministre est précisé. Il lui revient de désigner les systèmes de communication sur lesquels l’interception est autorisée, et de donner son accord, pour une durée renouvelable d’un an, quant à l’exploitation non individualisée des données de connexion interceptées ou l’exploitation des correspondances et des données de connexion. Ces autorisations se font à la demande motivée des ministres ou de leurs délégués.
Le Premier ministre est également chargé d’organiser les dispositifs de traçabilité de l’interception et l’exploitation des communications, après avis de la CNCTR, et de définir les modalités de la centralisation des renseignements collectés.
La troisième catégorie de disposition, qui à mes yeux est essentielle, concerne le contrôle par la CNCTR, véritable garantie pour le citoyen.
La Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement est, dans le cas qui nous occupe, dotée des moyens nécessaires à un contrôle a posteriori. Ainsi, elle reçoit communication de toutes les autorisations délivrées par le Premier ministre, dispose d’un accès permanent et complet à l’ensemble des renseignements collectés et peut s’assurer du respect par ces mesures de surveillance des conditions fixées par la loi et par les décisions d’autorisation du Premier ministre.
En cas de manquement, la CNCTR adresse au Premier ministre une recommandation tendant à ce que le manquement cesse et que les renseignements collectés soient, le cas échéant, détruits. Sans suite positive de la part du Premier ministre, la commission peut saisir le Conseil d’État.
Enfin, la dernière catégorie de mesures concerne la durée de conservation des données. De fait, les renseignements collectés sont détruits un an après leur première exploitation, dans la limite d’une durée de quatre ans à compter de leur recueil pour les correspondances, et de six ans à compter de leur recueil pour les données de connexion.
Pour les renseignements chiffrés, le délai court à compter de leur déchiffrement, sans pour autant excéder une durée de huit ans à compter de leur recueil. Les transcriptions ou extractions sont quant à elles détruites dès que leur conservation n’est plus indispensable à la poursuite des finalités.
Je suis convaincu qu’avec l’adoption de ce texte, nous donnerons à nos services les moyens de travailler dans un cadre leur offrant la sécurité juridique, ce qui était indispensable. Nous garantirons également à nos concitoyens le respect de leurs droits et de leur liberté.
Savoir, détecter, exploiter les renseignements, se protéger d’attaques de toute nature, être capable de riposter : tels sont les objets de cette proposition de loi. Il faut aussi avoir conscience que la technique seule n’est pas suffisante, mais que le métier du renseignement, c’est la fusion de toutes les informations : informations d’origine technique sur les communications, les images ; informations d’origine humaine pour donner un sens et fournir aux responsables de l’exécutif les moyens d’avoir une autonomie de décision.
Cette proposition de loi est donc une des pierres de l’édifice complexe de notre défense et de notre sécurité. (Applaudissements sur tous les bancs.)
M. le président. La parole est à M. Alain Chrétien.
M. Alain Chrétien. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées, mes chers collègues, nous changeons d’époque. La lutte contre le terrorisme est une lutte de tous les instants qui justifie un cadre juridique renouvelé. D’ailleurs, les Français ne s’y sont pas trompés. Ils ont en effet approuvé à 63 % la loi sur le renseignement qui a été votée à la fin du mois de juin dernier.
Mais en dépit du consensus dont a fait l’objet cette loi, le texte a soulevé un certain nombre d’inquiétudes tant parmi les Français que sur les bancs de cet hémicycle.
L’une des dispositions les plus controversées a été la possibilité donnée au Premier ministre, en application de l’article L. 854-1 du code de la sécurité intérieure, d’autoriser une surveillance des communications qui sont émises ou reçues à l’étranger.
Faisant écho aux inquiétudes soulevées en particulier par cette disposition, le Président de la République, mais également soixante députés du groupe Les Républicains ont saisi le Conseil Constitutionnel.
Dans sa décision du 23 juillet 2015, ce dernier a jugé conforme à la Constitution l’ensemble des mesures clés du projet de loi sur le renseignement, mais a censuré trois dispositions dont l’article L. 854-1.
Il est important de souligner que le Conseil constitutionnel n’a pas censuré le fond, mais la forme. Le principe d’une autorisation de surveillance des communications internationales émanant du Premier ministre n’a ainsi pas été censuré.
Néanmoins, en ne définissant pas dans la loi les modalités d’exploitation, de conservation et de destruction des renseignements ainsi collectés et en les renvoyant à un décret du Conseil d’État, le législateur n’a pas déterminé des règles suffisamment définies. Il en résultait une atteinte au droit au respect de la vie privée ainsi qu’à la liberté d’expression.
Afin de répondre à la censure du Conseil constitutionnel ainsi qu’aux inquiétudes exprimées dans le monde judiciaire, associatif et journalistique, cette proposition de loi vise à compléter avec précision les modalités de surveillance des communications internationales rattachées aux identifiants du territoire français, tout en en restreignant l’exploitation.
Ainsi, ne seront pas concernées par une telle surveillance les communications échangées à l’étranger entre deux identifiants rattachables au territoire français, ni les communications émises à l’étranger avec des numéros ou identifiants français. Seules seront concernées les communications émises à l’étranger par une personne utilisant un identifiant ou un numéro français et faisant l’objet d’une surveillance par interception de sécurité, comme c’est le cas d’un individu radicalisé déjà connu des services.
Cette proposition de loi définit également les deux niveaux d’exploitation des données. Dans le premier cas, il s’agit d’une exploitation non individualisée des données de connexion sur demande motivée du ministre concerné et délivrée pour une durée d’un an renouvelable.
Dans le second cas, l’exploitation des données de communication et de connexion est délivrée pour une durée renouvelable de quatre mois et motivée par des finalités justifiant la surveillance, les zones géographiques, les organisations ou les personnes ou groupes de personnes, objets de cette surveillance. Les transcriptions des renseignements collectés sont transmises à la CNCTR.
Il est important de rappeler que les magistrats, avocats, journalistes et parlementaires ne pourront faire l’objet d’aucune surveillance individuelle de leurs communications.
Mes chers collègues, ne nous y trompons pas. La France est en guerre contre le terrorisme. La loi sur le renseignement permet désormais un cadre d’intervention renouvelé prenant en compte les nouvelles menaces terroristes et les progrès techniques – Web, téléphones portables, réseaux sociaux. La précédente loi en la matière datait de 1991. Il s’agit aussi de s’aligner avec les autres pays d’Europe en donnant, comme au Royaume-Uni, un cadre juridique à des pratiques qui existent déjà partout en matière de lutte antiterroriste.
Si la loi légalise des techniques de collecte de renseignement, notamment la collecte de certaines données sur Internet, elle délimite aussi clairement les raisons pour lesquelles les services peuvent réclamer de surveiller quelqu’un. Cette proposition de loi complète et encadre davantage les modalités de surveillance des communications émises depuis l’étranger.
Il serait contradictoire, mes chers collègues, au moment où nombre de menaces qui naissent à l’étranger risquent de se matérialiser sur notre territoire, que les services de renseignement français ne puissent pas assurer la surveillance des communications internationales. C’est la raison pour laquelle nous voterons cette proposition de loi. (Applaudissements sur tous les bancs.)
M. Jacques Myard. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Maina Sage.
Mme Maina Sage. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées, mes chers collègues, en vingt ans, notre société a connu des bouleversements technologiques majeurs. Or depuis la loi du 10 juillet 1991 qui avait légalisé les écoutes téléphoniques, notre législation n’avait été modifiée qu’à la marge, sans répondre à l’évolution spectaculaire des menaces.
En effet, dans le même temps, les criminels, les terroristes, les services de renseignement étrangers, les agences privées ont acquis des moyens de communication et des technologies sans commune mesure avec ce que la législation prévoyait pour les contrecarrer.
Certes, nos services s’étaient adaptés au fil des années, à travers l’accroissement des moyens qui leur étaient dévolus d’une part, mais également grâce à une évolution de la jurisprudence de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité.
Toutefois, le renseignement étant un acte de souveraineté par excellence, la mise en place d’un cadre législatif et réglementaire adapté était absolument nécessaire afin d’autoriser sans la moindre ambiguïté juridique des méthodes et des pratiques déjà utilisées par les services.
Ce texte était attendu depuis longtemps pour renforcer les capacités des services de renseignement et asseoir leur légitimité.
En préparation depuis de nombreux mois, il a pris tout son sens à la lumière des terribles attentats qui ont ébranlé notre pays en janvier dernier. Il était en effet indispensable de prendre des mesures ambitieuses afin de faire face à la recrudescence de la menace terroriste, une menace diffuse, extérieure tant qu’intérieure, qui a pris de nouveaux visages et qui, désormais, se nourrit des ressources du numérique.
Nous tenons à souligner la qualité du travail accompli sur ce texte, lors des débats qui se sont déroulés tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat. L’accord obtenu entre les deux chambres est la preuve que lorsque l’intérêt supérieur de la nation est en jeu, nous savons, majorité comme opposition, faire bloc afin d’avancer ensemble.
Pour autant, des craintes ont pu être formulées, notamment quant à la protection des libertés individuelles et des données personnelles de nos concitoyens, sujet d’autant plus sensible que les techniques ont évolué et se sont faites potentiellement invasives.
Nous avons entendu ces craintes, conscients que nous devions nous assurer que la loi ne puisse devenir, dans des mains mal intentionnées, un instrument qui puisse porter atteinte à nos libertés fondamentales.
Il était donc nécessaire de trouver le juste équilibre entre la nécessité de garantir à nos concitoyens une politique efficace du renseignement, en mesure de les protéger contre des risques graves de déstabilisation ou d’attentats, tout en s’assurant que les moyens déployés ne conduisent pas à la mise en place d’un système abusivement intrusif.
Lors de l’examen de ce texte, des garanties ont été apportées, tant pour s’assurer du respect de la vie privée et des droits fondamentaux que pour prévoir un contrôle efficace par la CNCTR.
C’est pourquoi, sous certaines réserves, la majorité du groupe UDI a soutenu le projet de loi relatif au renseignement.
À la suite de l’adoption de ce projet de loi par le Parlement, le Conseil constitutionnel a jugé conformes à la Constitution ses dispositions clefs : les finalités en vertu desquelles lesquelles les services spécialisés de renseignement peuvent recourir aux techniques définies par la loi, la délivrance d’autorisations par le Premier ministre, les durées de conservation en fonction des caractéristiques des renseignements collectés ou encore l’ensemble des dispositions de justice administrative qui régissent le contentieux de la mise en œuvre des techniques de renseignement.
Il a, en revanche, censuré l’article relatif aux mesures de surveillance internationale.
Le Conseil constitutionnel n’a toutefois pas critiqué ces dispositions sur le fond, au regard des droits et libertés garantis par la Constitution, mais sur la forme. Il a ainsi jugé qu’en renvoyant à un décret de nombreux aspects de cet article, « le législateur n’a pas déterminé les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques. »
La proposition de loi de nos collègues socialistes reprend donc les principes édictés dans la loi votée par le Parlement, en les complétant, avec précision, pour répondre aux motifs de la censure du Conseil constitutionnel.
Les garde-fous prévus dans la loi relative au renseignement y sont conservés, notamment en ce qui concerne la procédure d’autorisation par le Premier ministre, le contrôle de la CNCTR ou encore les conditions d’exploitation et de destruction des renseignements collectés.
L’interception et l’exploitation des communications feront ainsi l’objet de dispositifs de traçabilité définis par le Premier ministre et, de la même façon que pour les communications nationales, les renseignements collectés feront l’objet d’une centralisation.
Les conditions de conservation des données seront également inscrites dans la loi. Leur durée est sensiblement supérieure à celle applicable à la surveillance des communications nationales, notamment du fait des difficultés liées à l’exploitation des données en langues étrangères, dont certaines peuvent être très rares.
L’allongement de la durée de conservation est également justifié par le fait que, dans de nombreux cas, la surveillance des communications électroniques internationales est le seul moyen d’obtenir ou de confirmer des informations, alors que sur le territoire national des moyens complémentaires d’investigation peuvent être employés.
Les dispositions de cette proposition de loi sont essentielles, afin que nos services de renseignement soient en mesure de surveiller efficacement les individus actifs à l’étranger qui représentent une menace grandissante pour notre territoire national.
Les appels des terroristes à frapper la France se sont d’ailleurs multipliés ces dernières années, à la suite des opérations extérieures menées par notre pays au Mali et au Sahel, et en raison de l’ampleur prise par Daech. Nous devons donc être en mesure de répondre efficacement à cette menace.
Les Français communiquant depuis l’étranger – c’est un point important – pourront également être mis sous surveillance s’ils font déjà l’objet d’une autorisation d’interception de sécurité sur le territoire national ou s’ils constituent une menace au regard des intérêts fondamentaux de la nation.
Une telle mesure est à notre sens cruciale, puisque nous savons à présent que de nombreux étrangers, affluant de plus d’une centaine de pays, sont venus grossir les rangs de Daech. Parmi les pays européens, la France occuperait d’ailleurs la triste première position, avec près de 1 700 ressortissants impliqués, d’une façon ou d’une autre, dans les filières irako-syriennes. En quinze mois, le nombre de départs a été multiplié par deux et demi.
Or, chaque individu qui rejoint ces terroristes met en péril la sécurité des Françaises et des Français : les auteurs des terribles attaques lancées au cours des derniers mois sur notre sol avaient d’ailleurs, dans leur immense majorité, résidé en Syrie, en Irak ou encore au Yémen.
Nous le voyons, la surveillance des communications internationales est une dimension à part entière de notre politique de renseignement, sans laquelle il serait impossible d’assurer la protection de nos concitoyens.
C’est pourquoi les députés du Groupe UDI soutiendront, dans leur majorité, cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur les bancs du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado.
M. Jacques Myard. Cela va encore être un sacré numéro !
M. Sergio Coronado. Accrochez-vous, monsieur Myard !
M. Alain Chrétien. Ne lui faites pas de procès d’intention : il ne faut pas le provoquer non plus…
M. Sergio Coronado. Monsieur le président, monsieur le ministre de la défense, madame la présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées, chers collègues, ce texte relatif aux mesures de surveillance des communications internationales est donc une proposition de nos deux collègues du groupe socialiste, républicain et citoyen, Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense, et notre collègue Philippe Nauche.
L’examen du texte fait suite, comme cela a été rappelé, à la censure par le Conseil constitutionnel, le 23 juillet dernier, d’une partie des dispositions du projet de loi relatif au renseignement.
Le Gouvernement avait alors annoncé son intention de déposer un projet de loi complémentaire sur ce sujet, mais nous débattons finalement d’une proposition de loi, examinée en commission de la défense nationale et des forces armées, qui n’est pas soumise à l’avis du Conseil d’État et qui ne fera pas non plus l’objet d’une étude d’impact ni d’une étude budgétaire.
Ce que nous avions dénoncé lors de la présentation du projet de loi relatif au renseignement, c’est à dire une lecture et un vote au pas de charge, en raison du recours à la procédure accélérée, se reproduit, donc, d’une certaine façon.
Le Gouvernement ne souhaitait pas s’embarrasser des contraintes inhérentes au dépôt d’un projet de loi : ce sont donc deux parlementaires de la majorité qui se sont chargés de rédiger une proposition de loi. Ce sont des méthodes que nous avions, à une époque – sous la précédente majorité pour être précis – dénoncé d’une seule et même voix. Que s’est-il donc passé pour mépriser à ce point le Parlement ?
M. Alain Chrétien. Le contexte le justifie !
M. Sergio Coronado. Puisque vous évoquez le contexte, je voudrais simplement vous rappeler l’attitude de nos collègues sénateurs. Comme l’a rappelé Mme Adam, le président de la commission des lois du Sénat, M. Philippe Bas, a également déposé une proposition de loi ayant un objet identique. Mais le président du Sénat, a, lui, décidé de demander l’avis du Conseil d’État sur ce texte, comme l’y autorise l’article 39 de la Constitution, de façon à ce que le Parlement puisse être éclairé sur les éventuels risques constitutionnels du dispositif.
Que la droite sénatoriale nous donne des leçons en matière de procédure, voire de défense des libertés, cela ne manque pas de piquant, vous en conviendrez. Je cherche des yeux des collègues de la majorité pour leur faire relever ce paradoxe que le comportement du président de la commission des lois du Sénat semble plus conforme à ce que nous souhaitons pour le travail parlementaire.
M. Alain Chrétien. C’est la sagesse sénatoriale !
M. Sergio Coronado. Dans une matière de cette importance et malgré une première censure du Conseil constitutionnel, le Gouvernement a ainsi engagé une nouvelle fois la procédure accélérée, procédure qui, vous le savez, est une manière de museler nos chambres.
M. Alain Chrétien. Il y a vraiment urgence !
M. Sergio Coronado. Pour rappel, le Conseil constitutionnel avait estimé que la disposition censurée ne comportait pas suffisamment de garanties pour les citoyens, s’agissant notamment des conditions d’exploitation, de conservation et de destruction des renseignements collectés, ainsi que du contrôle par la CNCTR.
Cette proposition de loi a pour objectif de légaliser les pratiques existantes. Or elles sont illégales, comme l’a révélé récemment un hebdomadaire, qui, dans son édition du 1er juillet dernier, dévoilait ainsi l’existence d’un décret secret pris par Nicolas Sarkozy en 2008, autorisant la DGSE à espionner les communications internationales transitant par les câbles sous-marins qui relient l’Europe au reste du monde. Ce décret ne reposait sur aucune base légale.
Lors de l’examen de la proposition de loi en commission, vous avez indiqué, madame la rapporteure, qu’il s’agissait d’une proposition de loi élaborée en collaboration avec les services du ministère de la Défense, au premier rang desquels, bien sûr, la DGSE.
Mme Patricia Adam, rapporteure. Bien sûr.
M. Sergio Coronado. Je devrais presque dire qu’elle a été élaborée sous influence.
Cette proposition de loi comprend deux articles, l’un ajoutant un chapitre IV sur les mesures de surveillance des communications internationales au code de la sécurité intérieure, et l’autre complétant le code de justice administrative.
Le texte fait référence à l’article L. 811-3 du code de la sécurité intérieure, introduit par la loi relative au renseignement, avec une surveillance autorisée « aux seules fins de la défense et de la promotion des intérêts fondamentaux de la Nation ».
Cela a été dit à plusieurs reprises dans cette assemblée, et pas seulement par les députés membres du groupe écologiste, puisque certains députés membres du groupe Les Républicains l’ont également relevé : ces finalités sont extrêmement larges ; beaucoup trop larges. Il s’agit en effet de la sécurité nationale, des intérêts essentiels de la politique étrangère et l’exécution des engagements européens et internationaux de la France, des intérêts économiques et scientifiques essentiels de la France, de la prévention du terrorisme, de la prévention de la reconstitution ou du maintien de groupement dissous en application de l’article L. 212-1, de la prévention de la criminalité et de la délinquance organisées et enfin de la prévention des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique.
M. Jacques Myard. Sans compter la surveillance de Sergio Coronado ! (Sourires.)
M. Sergio Coronado. Comme je l’ai déjà dit dans cet hémicycle pour mieux en illustrer la portée, ces dispositions permettent la mise sous surveillance d’opposants ayant choisi notre pays comme terre d’asile, ou, tout simplement, sous couvert de défendre notre économie, de personnes soupçonnées d’espionnage industriel – ce qui reviendrait à mobiliser les pouvoirs publics pour la défense d’intérêts en grande partie privés.
Ce texte prévoit également la possibilité pour les services de renseignement de collecter massivement toutes les données sur les systèmes de communication désignés par le Premier ministre. Il revient ainsi au seul exécutif de décider quels systèmes seront visés, sans que les citoyens puissent avoir une vision claire des techniques pouvant être mises en œuvre par les services de renseignement et sans qu’une limitation de durée ne soit vraiment prévue.
Toutes les données transitant par ces systèmes de communication seront collectées, et les autorisations données par le Premier ministre ne porteront que sur l’exploitation des données interceptées. Ainsi, l’autorisation d’un an renouvelable pour l’exploitation non individualisée de données de connexion sera donnée sans aucun ciblage et sans aucun contrôle a priori.
Par ailleurs, cette autorisation sera d’une durée de quatre mois renouvelable pour les communications ou les données de connexion provenant de zones géographiques définies. Elle pourra donc viser toute l’Afrique, toute l’Amérique du Nord ou toute l’Amérique du Sud, ou toute organisation, personne ou groupe de personnes préalablement défini. Contrairement aux boîtes noires, dont l’usage est limité à la lutte contre le terrorisme, toutes les finalités peuvent donc être invoquées pour permettre la mise en place d’une surveillance massive des communications.
M. Alain Chrétien. Mais non !
M. Sergio Coronado. Ce texte vise une collecte de masse – c’est le terme – de toutes les communications internationales, y compris celles émises ou reçues à l’étranger. Cela implique une collecte par défaut des communications entre les personnes dont les identifiants sont rattachables au territoire national, mais dont les communications passent par l’étranger, via des serveurs qui sont, vous le savez, installés hors de nos frontières comme Google, Hotmail, Skype ou encore WhatsApp.
La surveillance individuelle des communications de personnes utilisant des numéros d’abonnement ou des identifiants techniques rattachables au territoire national n’obéit pas, vous le savez, au même régime. Les communications rattachables à la France seraient ainsi collectées, mais détruites, sans que le texte ne précise vraiment les modalités de leur destruction.
Chers collègues, sur ce point, je tiens à insister sur la situation des citoyens français dont les communications ne sont pas rattachables au territoire national, comme nos compatriotes établis à l’étranger, en particulier ceux de la deuxième circonscription – Amérique latine et Caraïbe –, que j’ai l’honneur de représenter ici.
Ces compatriotes ne bénéficieront pas de la même protection que celle accordée aux personnes dont les communications sont rattachables au territoire national. Il y a une réelle rupture dans l’égalité des droits entre ces deux catégories de citoyens français, mais aussi entre ceux dont les communications sont rattachables au territoire national et les citoyens européens, lesquels ne sont pas protégés par ce texte.
Les communications électroniques entre une personne rattachable et une autre non rattachable au territoire national sont certes soumises au droit commun, mais la durée de conservation des communications – un domaine dans lequel la loi relative au renseignement s’était déjà montré généreuse – sera encore allongée.
Exceptionnellement, les services de renseignement peuvent également mettre en place des techniques de surveillance internationale pour des communications rattachables au territoire français à l’encontre des personnes qui communiquent depuis l’étranger et qui soit faisaient l’objet d’une autorisation d’interception de sécurité en application de l’article L. 852-1 à la date à laquelle elles avaient quitté le territoire national, soit avaient été identifiées comme représentant une menace au regard des intérêts fondamentaux de la nation mentionnés à l’article L. 811-3.
Le Premier ministre peut ainsi décider seul d’une mesure de surveillance s’il estime qu’une personne présente une menace au regard des intérêts fondamentaux de la nation, et ceci sans aucun contrôle.
Autre point important : les communications des personnes soumises au secret professionnel. Vous le savez, la loi relative au renseignement apporte une protection que je serais tenté de qualifier de lacunaire aux avocats, aux journalistes, aux parlementaires et aux magistrats, qui ne bénéficient d’une protection que dans le cadre de leurs correspondances professionnelles.
M. Alain Chrétien. Pourquoi lacunaire ?
M. Sergio Coronado. Tout simplement parce que le tri entre les communications privées et professionnelles est impossible à opérer a priori : n’importe quel technicien vous le dira. En effet, cela implique d’abord une collecte des données, puis un traitement des renseignements collectés, pour ensuite faire le tri.
En outre, ne peuvent faire l’objet d’une surveillance individuelle de leurs communications que les seules personnes exerçant en France un mandat ou une profession mentionné à l’article L. 821-7 – avocat, journaliste, parlementaire, magistrat – et ceci en raison de l’exercice du mandat ou de la profession concernée. Ainsi, les journalistes ou encore les avocats européens, et a fortiori ceux qui exercent en dehors de l’Union européenne, peuvent faire l’objet d’une surveillance individualisée. Ils ne bénéficient donc pas des mêmes protections : c’est donc en ce sens que la loi est lacunaire.
Enfin, cette proposition de loi autorisera les services de renseignement à prendre automatiquement, dans leurs systèmes de collecte des données de connexion, les métadonnées et les contenus des communications dans le monde entier, sans avis préalable de la CNCTR. En effet, l’avis de la CNCTR n’étant pas nécessaire à la mise en place des techniques de surveillance internationale, aucun contrôle a priori ne sera opéré. Il faudra se contenter de la bonne volonté des services.
Encore une fois, notre souci commun est d’assurer la sécurité de nos citoyens, et d’éviter la mise en péril de nos principes démocratiques avec le risque d’une surveillance massive des communications internationales, indépendamment des menaces possibles.
Chers collègues, nous avons été nombreux à nous émouvoir, à l’unisson de l’opinion publique internationale, des révélations d’Edward Snowden.
Or ce que nous mettons en place, texte après texte, c’est cette surveillance de masse que nous dénoncions pourtant au moment où ces révélations ont été rendues publiques.
M. Jacques Myard. Démagogie !
M. le président. La parole est à Mme Gilda Hobert.
Mme Gilda Hobert. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, chers collègues, en juin dernier, le Parlement votait une loi importante sur le renseignement, une loi dont je pense sincèrement qu’elle constitue une avancée majeure pour l’État de droit, d’une part parce qu’elle définit des moyens d’action légaux en donnant aux services de renseignement les moyens à la hauteur des défis auxquels notre pays est confronté et, d’autre part, parce qu’elle offre plus de garanties, pour les agents, qui évoluaient jusqu’à présent dans un cadre juridique incertain, et pour les libertés publiques.
Au total, cela représente donc plus de sécurité pour les Français, car notre pays doit faire face à plusieurs menaces.
Il y a en premier lieu la menace terroriste. Protéiforme, cette dernière émane aussi bien de groupes évoluant à l’étranger que de personnes présentes sur le territoire national. En France, 1 900 individus sont aujourd’hui recensés dans les filières terroristes et djihadistes, dont 1 450 pour la Syrie et l’Irak. À cela, s’ajoute environ un millier de profils menaçants, qui propagent sur internet des messages ou des vidéos de haine et de soutien au terrorisme. Les attentats perpétrés en janvier dernier sur notre territoire ont souligné l’importance et l’urgence de cette réponse.
En plus de cette menace terroriste, la France doit aussi se protéger contre l’espionnage, le pillage industriel, la criminalité organisée, et la prolifération des armes de destruction massive.
Cette loi renforce par ailleurs les moyens d’action des services spécialisés de renseignement car garantir la sécurité des Français et la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la nation exige un travail d’analyse et de détection des menaces qui pèsent sur le pays. Cette mission, qui incombe aux services de renseignement, nécessite de les doter de moyens adaptés aux menaces.
En juillet dernier, le Conseil constitutionnel a jugé conformes à la Constitution les principales dispositions de la loi, à savoir les finalités pour lesquelles les services spécialisés de renseignement peuvent recourir aux techniques définies par la loi, la délivrance d’autorisations par le Premier ministre, les durées de conservation en fonction des caractéristiques des renseignements collectés ou encore l’ensemble des dispositions de justice administrative qui régissent le contentieux de la mise en œuvre des techniques de renseignement.
Il a en revanche censuré l’article du code de la sécurité intérieure relatif aux mesures de surveillance internationale au motif que « le législateur n’a pas déterminé les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques. » En effet, n’ont été définies dans la loi ni les conditions d’exploitation, de conservation et de destruction des renseignements collectés en application de cet article, ni celles du contrôle par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement de la légalité des autorisations délivrées en application de cet article et leurs conditions de mise en œuvre.
Ces dispositions ont été censurées pour incompétence négative du législateur, le Conseil constitutionnel ayant estimé que le législateur n’avait pas épuisé sa compétence en renvoyant au pouvoir réglementaire l’édiction de certaines règles encadrant cette technique de renseignement.
Contrairement à ce que la loi avait prévu pour les mesures de surveillance nationale, l’article renvoyait en effet à un décret en Conseil d’État les conditions d’exploitation, de conservation et de destruction des renseignements collectés, ainsi que les conditions de traçabilité et de contrôle par la CNCTR.
Le dispositif reprend l’essentiel de celui relatif aux mesures de surveillance internationale adopté en juin dernier, en le complétant avec précision pour répondre aux motifs de la censure du Conseil constitutionnel. Est donc créé un cadre juridique spécifique pour les interceptions de communications électroniques émises ou reçues à l’étranger.
Il prend en considération les activités que mène la DGSE, sans y ajouter de capacités nouvelles. Il permettra ainsi de protéger les agents lorsqu’ils ont recours à une technique de renseignement visant un objectif étranger depuis le territoire national.
Par ailleurs, les conditions de recours à ces techniques seront les mêmes que celles prévues sur le territoire national, à savoir la protection des intérêts publics énumérés par le nouvel article du code de la sécurité intérieure.
La procédure d’autorisation prévue reprend celle du texte initial, qui a été validée par le Conseil constitutionnel : l’autorisation sera délivrée par le Premier ministre, sans avis préalable de la CNCTR, contrairement aux mesures de surveillance nationale. La nature des missions confiées aux services le justifie, puisqu’elle touche à un aspect régalien de l’action de l’État à l’étranger.
La proposition de loi précise désormais les conditions d’exploitation des renseignements collectés. Deux niveaux sont prévus et répondent au souhait du Conseil constitutionnel : après une autorisation initiale du Premier ministre d’intercepter un système de communication, un premier niveau permettra d’autoriser l’exploitation non individualisée des données de connexion interceptées pour une durée d’un an ; un second niveau permettra d’exploiter les correspondances et données de connexion d’une zone géographique déterminée, d’organisations, personnes ou groupes de personnes, pour une durée de quatre mois.
Concernant les conditions d’exploitation et de destruction des renseignements collectés, l’interception et l’exploitation des communications feront l’objet de dispositifs de traçabilité définis par le Premier ministre et, comme pour les communications nationales, les renseignements collectés feront l’objet d’une centralisation.
De plus, les durées de conservation sont augmentées par rapport à celles applicables à la surveillance des communications nationales. Cette différence se justifie au regard des caractéristiques propres des communications internationales, essentiellement en langues étrangères. Par ailleurs, dans de nombreux cas, la surveillance des communications électroniques internationales est le seul moyen d’obtenir ou de confirmer des informations alors que, sur le territoire national, des moyens complémentaires d’investigation peuvent être mis en œuvre.
Enfin, les données recueillies permettent de remonter a posteriori les parcours individuels, après un attentat par exemple, et, pour cela, un temps long est nécessaire.
Par conséquent, le groupe Radical républicain, démocrate et progressiste soutient cette proposition de loi. Elle définit un cadre juridique strict des mesures de surveillance internationale et permettra ainsi à nos services de renseignement d’assurer une surveillance optimale des communications internationales afin de contrecarrer les nombreux risques qui naissent à l’étranger et menacent de se matérialiser sur notre territoire. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Philippe Nilor.
M. Jean-Philippe Nilor. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, chers collègues, cette proposition de loi déposée très rapidement et discutée tout aussi rapidement nous invite à encadrer les activités de renseignement portant sur des personnes ou entités situées à l’étranger. La loi sur le renseignement du 24 juillet 2015 a en effet été censurée sur ce point par le Conseil constitutionnel.
La censure repose sur le fait que le Parlement n’a pas été au bout de sa compétence en laissant trop de place au pouvoir réglementaire : les conditions d’exploitation, de conservation et de destruction des renseignements collectés ainsi que les modalités de contrôle par la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, la CNCTR, étaient renvoyées à un décret.
Il nous est donc proposé de compléter le dispositif législatif. Un article du code de la sécurité intérieure, l’article L. 854-1, régit de façon exclusive la technique de renseignement consistant dans la surveillance des communications internationales. Comme dans le texte adopté en juillet, les autorisations seront délivrées par le Premier ministre, sans avis préalable de la CNCTR, mais les conditions d’exploitation des données sont désormais détaillées et non plus renvoyées à un décret non publié.
Trois niveaux d’autorisation sont prévus. D’abord, le Premier ministre désignera les systèmes de communication sur lesquels l’interception est autorisée. Ensuite, il pourra autoriser l’exploitation non individualisée des données de connexion interceptées pour une durée d’un an renouvelable. Enfin, le Premier ministre pourra donner des autorisations d’exploitation portant soit sur les correspondances, le contenu, soit sur les données de connexion, les contenants.
Valables quatre mois et renouvelables, ces autorisations devront préciser la ou les finalités légales justifiant la surveillance, les zones géographiques, les organisations ou les personnes ou groupes de personnes concernés. Enfin, elles préciseront le ou les services de renseignement chargés de l’exploitation, principalement ceux du ministère de la défense.
Venons-en à la question du contrôle.
La proposition de loi détaille les durées de conservation des données, répondant également ainsi à la censure du Conseil constitutionnel. Les délais sont sensiblement plus étendus que pour les interceptions de sécurité réalisées sur le territoire national.
Comme pour le reste de la loi relative au renseignement, la CNCTR joue un rôle essentiel. C’est la raison pour laquelle elle se voit confier des moyens à la hauteur, avec la communication de toutes les autorisations délivrées par le Premier ministre, mais aussi un accès permanent, complet et direct aux dispositifs de traçabilité, techniquement très complets, ainsi qu’aux renseignements collectés, aux transcriptions et aux extractions.
Le Premier ministre devra définir les modalités de la centralisation des renseignements collectés. La CNCTR est donc censée pouvoir procéder à toutes les vérifications nécessaires, de sa propre initiative ou sur réclamation d’une personne souhaitant vérifier si elle fait l’objet d’une mesure de surveillance irrégulière.
Dans un tel cas, la commission adressera une recommandation au Premier ministre pour qu’il soit mis fin à cette surveillance. S’il n’y donne pas suite, elle pourra saisir dans les conditions du droit commun la formation particulière du Conseil d’État, lequel examinera le dossier dans les conditions prévues par la loi.
En conclusion, nous devons admettre que ce texte encadre légèrement la surveillance par la France des communications électroniques internationales, y compris celles des ressortissants français, des techniques qui existent déjà et sont à l’œuvre actuellement. Ce texte apporte quelques garde-fous à une loi par ailleurs combattue.
Nous, au groupe GDR, nous insistons sur un point : l’espionnage sera entre les mains de l’exécutif, ce qui évite le contrôle par le juge judiciaire de mesures pourtant gravement attentatoires aux libertés individuelles. Par ailleurs, comme nous l’avons dénoncé, le terrorisme n’est pas le seul visé. Le champ concerné est beaucoup plus large.
En définitive, comme sur le projet de loi de base, nous considérons que l’équilibre entre le renforcement de la politique du renseignement et le strict respect des libertés individuelles n’est pas atteint.
Je finirai en évoquant la réalité des territoires dits d’outre-mer, réalité très sensible.
Les juridictions interrégionales spécialisées, les JIRS, sont au nombre de huit. Celle de Fort-de-France, créée en 2004, n’a bénéficié d’aucune évolution en termes de moyens humains et matériels contrairement aux JIRS de France hexagonale,…
M. Alain Chrétien. Hors sujet !
M. Jean-Philippe Nilor. …dont les moyens ont été renforcés, tout à fait normalement, pour faire face au terrorisme.
Le service d’enquête est inopérant par manque d’effectifs. Seuls deux juges d’instruction à mi-temps sont dédiés à cette juridiction. De plus, la coopération tant louée dans les discours se heurte concrètement à l’absence d’accord avec les pays voisins de la Caraïbe alors que la Martinique est membre de l’Organisation des États de la Caraïbe orientale et de la CARICOM, la Communauté caribéenne.
En outre, la JIRS de Fort-de-France incarne un pilier dans ce secteur géographique international, couvrant 330 000 kilomètres carrés avec de multiples frontières particulièrement perméables à la délinquance organisée, au trafic de drogue et d’armes, qui constituent – et voilà le lien ! – un fonds de roulement pour la criminalité et le terrorisme.
Dans ces conditions, et sur le territoire de la Martinique, le système de renseignement n’est pas optimisé. Comme le souligne François-Bernard Huyghe, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques : « Le problème n’est pas d’être « pour » telle proportion de liberté ou de sécurité : la finalité de toute prévention et répression est de garantir nos libertés contre ceux qui exercent des violences réelles. Sinon elles sont contre-productives en fournissant des arguments aux ennemis de nos démocraties. » Nous sommes donc, sur ce texte précis, et considérant tout ce qui a été dit, enclins à nous abstenir.
M. le président. La discussion générale est close.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Je n’ai pas l’intention de revenir sur les propos tenus par les différents orateurs, d’autant qu’un débat s’est déjà tenu sur cette loi et que je me suis exprimé en début de séance. M. Coronado, qui n’est plus là, insistait sur le fait que l’examen de la loi était mené au pas de charge et que le Gouvernement était pressé d’aboutir. Vous saurez, monsieur le député, lorsque vous me lirez, que dans mes fonctions je suis pris par l’urgence pour assurer la sécurité des Français.
M. Alain Chrétien. Nous sommes d’accord !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. S’il faut aller au pas de charge, c’est au pas de charge que j’irai, parce qu’il y va de la sécurité de nos concitoyens ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur les bancs du groupe Les Républicains.)
M. Alain Chrétien. Et nous vous suivrons !
M. le président. J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles de la proposition de loi.
M. le président. La parole est à M. Jacques Myard, premier inscrit sur l’article.
M. Jacques Myard. Le 24 juillet dernier, nous avons voté une grande loi qui donne un statut à nos services, puisqu’ils sont reconnus comme un service public de la République. Il ne s’agit pas de parler de « barbouzerie », comme une certaine presse continue malheureusement à le faire, mais de reconnaître l’action de ces agents qui, souvent au péril de leur vie, défendent la sécurité des Français et assurent la sûreté de notre diplomatie et de notre défense dans le monde.
Cette loi est importante également, parce que, contrairement à ce que certains ont pu prétendre, elle est une loi au service des libertés publiques. Elle organise d’une manière aussi précise qu’efficiente la protection de nos libertés publiques, dès lors qu’il y aurait un manquement. Je ne peux donc que m’associer aujourd’hui à l’ajout qu’est cette proposition de loi. Le Conseil constitutionnel nous a rappelé que, au titre de l’article 34, on ne saurait définir par décret certaines modalités concernant les écoutes internationales, sans que la loi ne précise les conditions de recueil et d’exploitation.
Cette proposition de loi, complexe et méritant une lecture attentive, permettra d’organiser les recueils de renseignements internationaux, nécessaires à tout gouvernement républicain cherchant à savoir quelles menaces prennent naissance à l’étranger et peuvent l’attaquer dans ses intérêts relatifs à la défense nationale, à la sécurité des Français, à l’économie et à la sûreté de la nation.
Ce texte est complet et pose des limites. Dans le cas où les écoutes concernent des Français, c’est le processus défini pour les écoutes sur le territoire national qui s’appliquent. C’est pour ces raisons que nous voterons cette proposition de loi. Nous nous réjouissons de la rapidité de votre réaction, car la menace surgit encore plus rapidement.
Mme Patricia Adam, rapporteure et M. Philippe Nauche, rapporteur. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Alain Chrétien.
M. Alain Chrétien. J’entends bien celles et ceux qui insinuent que cette loi risquerait de porter atteinte à nos libertés publiques, mais je ne les approuve pas. Au contraire, la loi est faite pour combattre ceux qui veulent réellement mettre à bas nos libertés publiques, notre liberté d’expression et notre indépendance. Elle vise à abattre ceux qui nourrissent les terroristes et en sont eux-mêmes. Il ne s’agit pas d’une restriction de nos libertés publiques. Comme nous l’avons dit et répété, nous créons un cadre juridique qui offre à nos services de renseignement des armes efficaces, qui valent tous les drones et tous les services de surveillance aérienne, en ce qu’elle donne des outils pour combattre les vrais adversaires de nos libertés publiques et de la démocratie.
Cette loi n’est en rien une loi de circonstance. La menace, si elle existe bel et bien aujourd’hui, est destinée à durer encore longtemps – le moins possible, j’espère. C’est bien une menace de long terme que nous devons affronter par tous les moyens.
Mme Patricia Adam, rapporteure et M. Philippe Nauche, rapporteur. Très bien !
M. le président. Je suis saisi de plusieurs amendements, nos 11, 16 et 13, qui peuvent faire l’objet d’une présentation groupée.
La parole est à Mme Patricia Adam, pour les soutenir.
Mme Patricia Adam, rapporteure. Ce sont tous les trois des amendements rédactionnels.
(Les amendements nos 11, 16 et 13, acceptés par le Gouvernement, sont successivement adoptés.)
M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement no 1.
M. Sergio Coronado. Le fait que des personnes déléguées puissent autoriser des systèmes de communication d’écoute massive peut entraîner une déresponsabilisation des autorités politiques. Une délégation de pouvoir dans ce domaine risque de diluer la responsabilité et dès lors d’augmenter les possibilités d’abus. L’amendement vise à empêcher cette situation.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Patricia Adam, rapporteure. La commission a rejeté cet amendement. Il appartient au Gouvernement et, en l’occurrence, au Premier ministre d’organiser ses services. Il peut donc déléguer, s’il l’estime nécessaire, un certain nombre de ces prérogatives. D’autre part, ce n’est pas parce que l’on délègue que l’on n’engage pas sa responsabilité : elle demeure entière. Cela n’est qu’un problème d’organisation du Premier ministre et de ses services. Aussi laissons-lui la possibilité de les organiser comme bon lui semble.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Même avis.
M. le président. La parole est à M. Alain Chrétien.
M. Alain Chrétien. Nous ne voterons pas cet amendement, parce que la hiérarchie des pouvoirs est extrêmement claire. On sait d’où part l’ordre et qui l’exécute. Cela garantit également l’efficacité, étant donné que nous devons être opérationnels vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept. C’est en étant efficaces que nous pourrons trouver des réponses dans notre lutte contre le terrorisme. Tout ce qui va à l’encontre de cette efficacité n’est donc pas acceptable.
Mme Patricia Adam, rapporteure. Très bien dit !
M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado.
M. Sergio Coronado. Il y a beaucoup de différences entre la droite de l’Assemblée nationale et celle du Sénat, puisque cet amendement nous a été inspiré par la proposition de loi de Philippe Bas au Sénat, laquelle a aussi inspiré Mme la rapporteure. Vos collègues sénateurs semblent plus attachés que vous aux procédures et aux défenses des libertés. J’en avais déjà eu le témoignage à l’occasion de la commission mixte paritaire réunie sur la loi relative au renseignement, puisque les sénateurs s’étaient étonnés de la volonté du rapporteur et président de la commission des lois d’appliquer, sur le territoire national, le régime international à des résidents non français.
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Patricia Adam, rapporteure. Monsieur Coronado, il est vrai qu’avec Philippe Nauche et d’autres parlementaires de l’opposition actuelle, nous pouvons tomber d’accord sur un certain nombre de points de ce texte. Dans les deux commissions concernées, celles des lois et de la défense, ce sont des sujets sur lesquels nous travaillons très souvent. Nous auditionnons régulièrement le ministre de la défense et faisons notre travail de contrôle de façon continue.
Je tiens à le préciser ici, parce que l’on oublie souvent que la commission de la défense est essentiellement une commission de contrôle. Nous faisons ce travail à l’intérieur de la commission, mais aussi avec la délégation parlementaire au renseignement. En toute modestie, je pense que nous sommes quelques-uns à bien connaître ces sujets, ainsi que le fonctionnement de nos services et les enjeux qui y prévalent.
M. Jacques Myard. Très bien !
Mme Patricia Adam, rapporteure. Les intérêts fondamentaux de la nation peuvent être atteints. Nous accordons une attention particulière à cette problématique et le faisons en respectant toujours les libertés individuelles, comme en témoigne ce texte.
M. Alain Chrétien et M. Philippe Nauche, rapporteur. Très bien !
(L’amendement no 1 n’est pas adopté.)
M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement no 2.
M. Sergio Coronado. Madame Adam, les membres de votre groupe ne sont pas en nombre aujourd’hui dans cet hémicycle pour débattre du texte.
M. Jacques Myard. Il y a la qualité !
Mme Patricia Adam, rapporteure. Chez vous non plus !
M. Sergio Coronado. Depuis le début de la discussion des textes sur le renseignement, je fais partie des parlementaires les plus assidus.
M. Alain Chrétien. Nous ne l’avons pas mis en doute !
M. Sergio Coronado. Il n’y a donc pas, d’un côté, des techniciens qui maîtrisent parfaitement les textes et, de l’autre, des gens qui ne connaîtraient pas la procédure ou les dispositions des textes, au prétexte qu’ils ne seraient pas d’accord. Les arguments d’autorité n’ont pas lieu d’être ici entre collègues. Nous débattons en toute égalité.
L’amendement vise à prévoir une autorisation motivée, et non une simple « désignation », afin, notamment, que la CNCTR puisse exercer son contrôle prévu à l’alinéa 24, puisqu’elle n’est la destinataire que des autorisations.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Patricia Adam, rapporteure. Tout à fait favorable. J’aurais pu déposer cet amendement et je remercie donc M. Coronado de l’avoir fait. Nous pouvons être d’accord !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Même avis.
M. le président. La parole est à M. Jacques Myard.
M. Jacques Myard. On peut toujours préciser les choses, mais le texte est déjà très précis. Une autorisation est toujours motivée, sans quoi il n’y en a pas. Soyons sérieux ! Vous pouvez ajouter ces mots, mais cela ne change rien au fond.
(L’amendement no 2 est adopté.)
M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement no 3.
M. Sergio Coronado. Je vous remercie, madame la rapporteure. Cela prouve que nous pouvons trouver au sein de la majorité des points d’accord qu’il n’est pas besoin d’aller chercher au-delà de son périmètre pour faire progresser les textes gouvernementaux.
M. Alain Chrétien. Il n’y a pas de couleur politique sur un tel sujet !
M. Sergio Coronado. Je l’ai précisé tout à l’heure, en disant que je me trouvais parfois tout à fait en accord avec les positions de Philippe Bas au Sénat, ce dont vous avez semblé être très étonné.
M. Alain Chrétien. Nous sommes à l’Assemblée ici !
M. Sergio Coronado. Certes, mais il s’agit d’une procédure parlementaire, avec une navette.
Cet amendement vise à supprimer les alinéas 10 et 11, lesquels prévoient que sur demande motivée des ministres compétents, le Premier ministre pourra autoriser « l’exploitation non individualisée des données de connexion interceptées ». Cette exploitation se fera par « traitements automatisés ». Il s’agit de prévoir des mécanismes d’interception massifs de données.
Contrairement aux algorithmes prévus dans la loi renseignement, le mécanisme n’est plus limité à la seule détection de menaces terroristes, mais il est élargi à l’ensemble des finalités. Ces systèmes de captation massive de correspondances qu’autorisent ces deux alinéas n’étaient nullement prévus dans l’article de la loi renseignement censuré par le Conseil constitutionnel.
Le président de la commission des lois, qui était rapporteur du texte, vient d’arriver. Il pourrait confirmer que cette disposition ne figurait pas dans le texte qu’il a défendu dans l’hémicycle. Le détournement que permettent ces deux alinéas par rapport au régime de droit commun n’est pas acceptable. C’est pourquoi il est proposé de les supprimer.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Patricia Adam, rapporteure. Avis défavorable, puisque ces deux alinéas constituent le cœur de la proposition de loi. Les moyens qui pourront être donnés à nos services sont un peu différents des interceptions de sécurité, puisque l’intervention ne se produit pas dans les mêmes espaces géographiques. Nous intervenons au niveau international. Les moyens de nos services ne permettent pas, parfois, de recueillir certains éléments complémentaires, comme nous pouvons le faire avec les interceptions de sécurité.
C’est pourquoi nous avons prévu des possibilités supplémentaires par rapport aux interceptions de sécurité nationales. Pouvoir intervenir en fonction d’un territoire ou sur des groupes est une évidence : il peut s’agir d’un groupe terroriste ou de certains territoires où l’on sait pertinemment qu’il y a matière à surveiller les communications. Il ne s’agira pas d’individus mais bien de groupes terroristes.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. L’avis du Gouvernement est évidemment défavorable, et même très défavorable. J’en profite pour bien préciser les choses afin que le compte rendu de la séance en fasse foi pour l’avenir, d’autant plus que d’autres amendements étant dans la même lignée, ma réponse pourra être considérée valable également pour ceux-ci.
Je dirai d’abord que vous-même, monsieur Coronado, et les cosignataires de l’amendement avez raison de souligner que l’exploitation non individualisée des données de connexion associée à des communications internationales est permise plus largement que celle applicable aux communications nationales. Oui, c’est vrai. Et c’est ce que Mme la rapporteure et moi-même vous demandons de voter. En effet, les traitements automatisés servant à cette exploitation dont je souligne qu’elle sera non individualisée et donc moins attentatoire à la vie privée, doivent avoir, s’agissant des communications nationales, pour seule finalité la lutte contre le terrorisme, alors qu’ils peuvent répondre aux autres finalités de la loi sur le renseignement pour les communications internationales.
Je tiens à rappeler deux faits qui justifient cette différence : pour ce qui est des communications nationales, les services peuvent appliquer les traitements automatisés, à savoir les fameux algorithmes adéquats, sur l’exhaustivité des données de connexion associées à ces communications dès lors que l’opérateur en cause est soumis à la loi française, le personnel dudit opérateur étant chargé d’installer et de mettre en œuvre ces algorithmes ; tel n’est évidemment pas le cas pour les communications internationales puisqu’il faudrait alors pouvoir intercepter l’intégralité des flux de communication mondiaux de l’ensemble des opérateurs étrangers pour obtenir le même effet d’exhaustivité. Vous imaginez bien que ce n’est pas possible. Les données de connexion sur lesquelles sont mis en œuvre les traitements dans le champ des communications internationales sont donc loin d’être aussi complètes que dans le champ des communications nationales, ce qui relativise l’atteinte à la vie privée.
Mais je rappelle aussi et surtout que si le Gouvernement et les auteurs de la proposition de loi ont estimé que les garanties apportées aux personnes surveillées à l’étranger pouvaient être moins importantes que celles applicables aux personnes surveillées sur le territoire national, c’est parce que la situation est très différente : les premières ne sont pas sous la juridiction des pouvoirs publics français, qui ne peuvent donc pas exercer sur elles les mêmes prérogatives de puissance publique que sur les secondes. Vous noterez d’ailleurs que le Conseil constitutionnel a refusé de suivre sur ce point l’argumentaire des députés l’ayant saisi pour censurer la loi – elle l’a été pour incompétence négative, cela a été rappelé, y compris par M. Myard tout à l’heure.
Enfin, je tiens à dire aux auteurs de l’amendement qu’ils se trompent en estimant que la précédente version de la loi n’offrait pas aux services la possibilité d’exploitation non individualisée des données de connexion : cette possibilité leur était évidemment offerte car elle est absolument indispensable à la défense et à la promotion de nos intérêts fondamentaux, mais elle l’était de façon moins encadrée. En effet, dans le texte voté en juin, seuls deux niveaux d’autorisation de captation des données étaient prévus et l’exploitation des données de connexion était attachée à la première autorisation. Le texte décomposera désormais la procédure en trois étapes en créant un niveau d’autorisation intermédiaire assorti de ses garanties propres. Le texte de la proposition de loi est donc sur ce point plus protecteur que celui voté en juin. Supprimer cette possibilité reviendrait à vider la loi de sa substance. En effet, s’agissant de la surveillance de communications internationales, il est nécessaire de mettre en place des traitements automatisés pour identifier le routage desdites communications afin de pouvoir procéder à des écoutes ciblées. Je vous demande donc, assez solennellement, de retirer cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Jacques Myard.
M. Jacques Myard. Je dois dire que je suis sidéré par cet amendement parce que s’il était adopté – ce qui bien sûr ne sera pas le cas –, on mettrait la puissance publique française en position d’infériorité face à des gens qui utilisent des moyens de communication démentiels, parfois extrêmement difficiles à capter. Il est évident que nous devons avoir les moyens de rechercher ce qui se passe à l’étranger quand cela risque de nous atteindre de manière violente. Or, nous serions nous, Français, en déséquilibre sur le plan technologique…
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Oui !
M. Jacques Myard. …face à des adversaires qui emploient tous les moyens. Les bras m’en tombent ! La meilleure chose à faire, monsieur Coronado, au nom justement de ce que vous voulez, à savoir l’équilibre voire la réciprocité, c’est…
M. Alain Chrétien. C’est de le retirer !
M. Jacques Myard. …de donner à nos services les moyens de savoir ce qui se passe lorsqu’on risque d’être atteints et que vous retiriez votre amendement.
M. Alain Chrétien. Retirez-le !
(L’amendement no 3 n’est pas adopté.)
M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement no 4.
M. Sergio Coronado. S’il est certes mentionné que l’autorisation demandée à la CNCTR doive indiquer les finalités de la surveillance parmi la liste des intérêts fondamentaux de la nation, il n’est pas prévu qu’elle indique clairement le motif poursuivi, c’est-à-dire la motivation qui sous-tend la demande, contrairement à ce qui est prévu pour les autorisations à l’article L. 821-2. Or si la finalité reste par définition vague, le motif, lui, est plus précis – comme cela avait été rappelé lors des débats sur le projet de loi relatif au renseignement. C’est pourquoi il est proposé par cet amendement d’ajouter aux critères d’autorisation celui du motif poursuivi, autrement dit la motivation invoquée, ce qui est indispensable pour que la CNCTR puisse juger du bien-fondé de l’autorisation demandée.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Patricia Adam, rapporteure. Avis favorable pour les mêmes raisons que tout à l’heure.
M. Jacques Myard. La sémantique ne vous pose pas de problème !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Avis favorable sur le principe, mais je souhaiterais une rectification rédactionnelle car l’expression « motifs poursuivis » me gêne : on ne poursuit pas un motif.
M. Sergio Coronado. On l’invoque.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Je propose, après le mot : « autorisations », d’insérer le mot : « motivées », si vous en êtes d’accord, monsieur le député.
M. le président. Le début de la deuxième phrase de l’alinéa 10 serait ainsi rédigé : « Ces autorisations motivées déterminent la ou les finalités […] ».
La parole est à M. Sergio Coronado.
M. Sergio Coronado. Je comprends l’intervention du ministre, même s’il propose de modifier le texte initial mais pas mon amendement. Je souhaitais rendre la tâche plus facile en employant le mot « poursuivies », terme déjà utilisé dans les amendements déposés par Mme la rapporteure et qui ont été adoptés. Mais l’expression « le ou les motifs invoqués » serait plus élégante et plus adéquate que « la ou les finalités poursuivies ».
M. le président. Vous proposez donc de modifier l’amendement en vue de remplacer le mot « poursuivies » par les mots : « et le ou les motifs invoqués ».
(L’amendement no 4, tel qu’il vient d’être rectifié, accepté par la commission et le Gouvernement, est adopté.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements, nos 17 rectifié et 5, pouvant être soumis à une discussion commune.
La parole est à Mme Patricia Adam, pour soutenir l’amendement no 17 rectifié.
Mme Patricia Adam, rapporteure. Il s’agit d’un amendement de précision, inspiré par la proposition de loi no 700 de M. Philippe Bas au Sénat. Son adoption donnerait une meilleure clarté du texte. Celui de M. Coronado étant quasiment identique, je lui demande par avance de le retirer puisqu’il va être satisfait.
M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement no 5.
M. Sergio Coronado. Je retire évidemment l’amendement, constatant que nous puisons notre inspiration aux mêmes sources de la droite sénatoriale, madame la rapporteure… Vous savez l’admiration que j’éprouve désormais pour le président de la commission des lois du Sénat.
M. Jacques Myard. Il va changer de parti ! (Sourires.)
(L’amendement no 5 est retiré.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement no 17 rectifié ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Favorable.
(L’amendement no 17 rectifié est adopté.)
M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement no 6.
M. Sergio Coronado. S’il est indiqué que l’autorisation indique les finalités qui la motivent parmi la liste des intérêts fondamentaux de la nation mentionnés à l’article L. 811-3, il n’est pas prévu que l’autorisation indique clairement les services concernés par la demande. Il faut que ceux-ci soient précisés pour que le contrôle par la CNCTR puisse s’appliquer concrètement.
(L’amendement no 6, accepté par la commission et le Gouvernement, est adopté.)
M. le président. La parole est à Mme Patricia Adam, pour soutenir l’amendement no 12 rectifié.
Mme Patricia Adam, rapporteure. Il s’agit d’un amendement rédactionnel.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Favorable.
(L’amendement no 12 rectifié est adopté.)
M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement no 7.
M. Sergio Coronado. Cet amendement vise à prévoir une procédure d’autorisation des mesures de surveillance individualisée. Actuellement, si la surveillance individualisée est prévue par la proposition de loi, aucun encadrement ni aucune mesure d’autorisation ne sont mentionnés, contrairement aux mesures de surveillance non individualisées. Dès lors, le contrôle a posteriori prévu par la CNCTR serait rendu complètement impossible. Il n’est donc pas acceptable qu’un tel vide demeure, notamment dans une proposition de loi qui vise à donner un cadre législatif à l’activité des services à l’étranger. C’est pourquoi il est proposé que les mesures de surveillance non individualisées soient prises sur autorisation du Premier ministre ou de l’un de ses délégués.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Patricia Adam, rapporteure. Je vous demande, monsieur Coronado, de le retirer car la procédure d’autorisation est déjà très clairement précisée à l’alinéa 11, contrairement à ce que vous venez de dire. Je ne vois donc pas du tout la nécessité de prévoir une procédure supplémentaire.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Dans une intervention précédente, j’ai indiqué que nous avions inscrit, pour les communications internationales, un niveau supplémentaire d’autorisation par rapport aux interceptions de sécurité effectuées sur le territoire national. M. Coronado souhaiterait en ajouter un quatrième. Trois niveaux me semblent satisfaisants pour effectuer ce contrôle. Je demande donc à son auteur de bien vouloir retirer l’amendement.
M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado.
M. Sergio Coronado. Je le retire.
(L’amendement no 7 est retiré.)
M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement no 23.
M. Sergio Coronado. Comment j’ai pu l’affirmer lors de la discussion générale, la protection du secret des sources ou du secret professionnel de certaines professions ou mandats doit s’appliquer au-delà des frontières nationales. L’accroissement des échanges d’information et des accords entre services de renseignement de pays différents, qui fera l’objet de l’amendement suivant, rend nécessaire la généralisation de cette protection. Tel est le sens de la précision apportée par l’amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Patricia Adam, rapporteure. Avis défavorable. La loi française s’applique aux personnes soumises à la juridiction de l’État français, non aux avocats, journalistes ou parlementaires du monde entier. Il n’est donc pas question de prévoir une procédure particulière – je ne vois d’ailleurs pas comment cela serait possible – pour l’ensemble de ces professionnels, quel que soit leur lieu d’exercice. En outre, nous ne pouvons pas, à propos d’un tel texte, nous permettre de faire preuve de naïveté…
M. Jacques Myard. La naïveté de M. Coronado est totale !
Mme Patricia Adam, rapporteure. On peut par exemple avoir un doute sur l’indépendance de journalistes exerçant dans certains pays, par exemple la Corée du Nord.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Je suis un peu stupéfait par cet amendement car je ne vois pas en quoi notre loi devrait protéger les avocats ou journalistes n’exerçant pas en France – d’autant que, comme l’a rappelé Mme la rapporteure, le Conseil constitutionnel a jugé que la protection particulière de ces professionnels, même lorsqu’ils exercent en France, ne répondait pas à une obligation constitutionnelle. Une telle mesure serait d’autant plus stupéfiante qu’elle donnerait à nos adversaires un mode d’emploi de la façon de se protéger contre la surveillance de nos services de renseignement. J’imagine que tel n’est pas le but visé par cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Jacques Myard.
M. Jacques Myard. M. Coronado vit dans un monde idéal où les avocats et les journalistes de la terre entière, tels des anges, ne nous voudraient aucun mal. La réalité, mon cher collègue, est tout autre. Comme vient le rappeler M. le ministre de la défense, il est bien connu que les coups tordus émanent parfois de personnes se présentant comme des défenseurs de la justice.
Aussi, nous voterons naturellement contre cet amendement, qui me paraît puéril.
M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado.
M. Sergio Coronado. Cet amendement ne vise pas, madame la rapporteure, à assurer la promotion du régime nord-coréen ou à protéger des journalistes à la solde de régimes dictatoriaux. Je présente simplement les interrogations qui l’ont suscité.
Les communications de certains Français établis à l’étranger, que je représente, ne sont pas rattachables au territoire national. Des journalistes ayant la nationalité française mais travaillant pour des médias internationaux peuvent-ils dès lors être soumis aux mesures de surveillance prévues dans ce texte ? Qu’en est-il des avocats français, travaillant pour des organisations internationales à l’étranger – ils sont un certain nombre parmi les deux millions de Français établis à l’étranger –, et dont les communications ne sont plus rattachables au territoire national ? Vous avez balayé d’un revers de main ma proposition, jugée puérile. La réalité est cependant plus complexe et je ne doute pas, madame la rapporteure, que vos réponses permettront d’éclairer non seulement le parlementaire que je suis et la représentation nationale, mais également les deux millions de Français établis à l’étranger.
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Patricia Adam, rapporteure. Vous avez cité l’exemple de journalistes mais d’autres métiers ou fonctions pourraient être évoqués.
M. Sergio Coronado. Tous ne sont pas protégés !
Mme Patricia Adam, rapporteure. Si ces personnes sont françaises et exercent leur activité à l’étranger, où elles résident, elles ne dépendent pas de la juridiction française. La loi est claire sur ce point.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Oui !
M. Sergio Coronado. Elles ne sont donc pas protégées !
M. Jacques Myard. Elles ne sont pas non plus obligées d’agir contre notre pays !
Mme Patricia Adam, rapporteure. En effet ! De fait – et nous en avons la preuve –, des actes dirigés contre la France et les Français sont parfois commis par des citoyens de notre pays vivant à l’étranger. Telle est la réalité !
M. Sergio Coronado. Nous parlons de journalistes !
Mme Patricia Adam, rapporteure. Des journalistes peuvent aussi être concernés : dans certains pays que ne je citerai pas, l’obtention d’une carte de presse est plus facile qu’en France.
Par ailleurs, si la personne concernée dispose d’un numéro français, les écoutes entrent dans le cadre des interceptions de sécurité, donc de l’ensemble des mesures prévues par la loi relative au renseignement. S’agissant d’un numéro identifié à l’étranger, dès lors que certains éléments évoquent des actions contraires aux intérêts de la France, on entre dans la procédure incluant un avis motivé du Premier ministre et l’examen par la CNCTR.
Dans le premier cas, des écoutes sont en effet possibles – et heureusement qu’elles le sont ! Elles devront cependant être motivées et seront contrôlées par le CNCTR voire, le cas échéant, par le Conseil d’État.
M. Jacques Myard. Bravo !
(L’amendement no 23 n’est pas adopté.)
M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement no 8.
M. Sergio Coronado. J’espère que ce nouvel amendement n’apparaîtra pas puéril à mon collègue Myard.
Il diffère du précédent en tant qu’il ne vise que des personnes exerçant en France la profession d’avocat, de magistrat ou de journaliste, ou un mandat de parlementaire. Dès lors que ces personnes exercent habituellement en France, elles ne doivent pas être soumises aux mesures de surveillance internationale sans avis préalable de la CNCTR. Il s’agirait sinon d’un véritable détournement de procédure.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Patricia Adam, rapporteure. Je ne comprends pas cet amendement. Le texte précise en effet que l’article L. 821-7 du code de la sécurité intérieure s’applique si les personnes sont en France au moment de l’interception de sécurité. Si le cas relève du régime de la surveillance internationale – c’est-à-dire si les personnes ne sont pas sur le territoire national, et seulement dans ce cas –, l’avis de la CNCTR n’est en revanche pas requis.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Même avis. Même incompréhension.
M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado.
M. Sergio Coronado. Vous ne compreniez pas non plus le précédent amendement…
Mme Patricia Adam. Si, celui-là, nous le comprenions.
M. Sergio Coronado. …mais votre réponse a montré que les interrogations qu’il soulevait n’étaient pas toutes puériles.
Ces amendements sont motivés par le fait que certains journalistes correspondants travaillent en partie en France et en partie à l’étranger. Il en est de même de certains avocats inscrits sur plusieurs barreaux. Leur cas mérite examen. Je suis en effet en charge d’une population qui ne correspond pas parfaitement…
M. Alain Chrétien. Vous représentez tous les Français !
M. Sergio Coronado. Je représente tous les Français, mais particulièrement ceux-là, qui ont des interrogations précises et très particulières. Je suis d’accord avec vous, cher collègue : être élu dans une circonscription de Français établis à l’étranger ne signifie pas que l’on ne représente pas tous les Français, conformément au principe de la souveraineté nationale. Vous n’avez pas besoin de rechercher la polémique sur ce point. Il n’en demeure pas moins que ces questions sont importantes pour le parlementaire cosmopolite que je suis. Et elles se posent à nombre de nos compatriotes.
(L’amendement no 8 n’est pas adopté.)
M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement no 9.
M. Sergio Coronado. Je reprends ici une des interrogations formulées par M. le président de la commission des lois, dont je crois connaître la position bien qu’il soit demeuré silencieux depuis le début de nos débats. J’espère qu’il pourra nous éclairer de ses lumières.
L’amendement vise à réduire les durées de conservation des données de correspondances prévues par la proposition de loi. Une durée de quatre ans après recueil paraît en effet bien trop importante, surtout en comparaison avec celle – entre trente jours et quatre mois – que la loi relative au renseignement prévoit pour les correspondances recueillies sur le territoire national. Rien ne semble justifier une telle durée, qu’il est proposé de limiter à un an après recueil, et non après exploitation.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Patricia Adam, rapporteure. Le régime de conservation des données prévoit en effet des durées plus longues dans le cadre de surveillances à l’international, et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, ces surveillances impliquent généralement des langues étrangères, dont certaines, très rares, sont souvent utilisées à dessein. Leur analyse est donc plus longue. De plus, à l’étranger, l’interception des communications est souvent le seul moyen d’investigation possible pour nos services, alors que d’autres mesures de surveillance, plus faciles, peuvent être mises en œuvre sur le territoire national. Enfin, une certaine profondeur temporelle est nécessaire pour retracer a posteriori les parcours individuels. Comme nous avons pu le vérifier, malheureusement, après chaque attentat, la possibilité de remonter dans le temps, parfois sur une durée assez longue, est absolument nécessaire pour démanteler certains réseaux.
M. Jacques Myard. Très bien !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Les durées retenues par cette proposition de loi tiennent compte d’un équilibre entre les exigences opérationnelles et la protection de la vie privée. Pour les raisons que j’ai déjà expliquées, mais que vous avez manifestement du mal à comprendre, monsieur Coronado, cet équilibre est différent de celui reconnu pour les communications nationales et, de façon raisonnable et proportionnée, plus favorable aux besoins de la défense et de la promotion de nos intérêts fondamentaux. Cela explique le choix d’une durée de conservation d’un an à compter de la première exploitation, dans un délai balai de quatre ans, à compter du recueil pour les correspondances.
Le champ des communications internationales, comme Mme la rapporteure vient de le dire, pose de réels problèmes de traduction, évidemment sans commune mesure avec ceux rencontrés dans le cadre de communications nationales. Un délai plus long entre le recueil et la première exploitation est donc normal, puisque, je le répète, les pouvoirs publics ne peuvent pas adresser au fil de l’eau, quand ils en ont besoin, des réquisitions aux opérateurs de télécommunications utilisés par les personnes que l’on entend surveiller pour accéder aux communications de ces dernières. Il faut donc procéder autrement, ce qui explique l’écart temporel entre l’interception et l’exploitation.
Enfin, il est très important – et tout particulièrement s’agissant des personnes surveillées à l’étranger – de conserver les données suffisamment longtemps pour pouvoir reconstituer les parcours individuels et les réseaux. Je vous rappelle, monsieur Coronado, que, comme l’ont montré les événements récents qu’a connus le pays, des menaces peuvent rester dormantes longtemps, pendant plusieurs années, et devenir actives au moment opportun. Le recul historique est donc essentiel, et c’est pourquoi le Gouvernement est très défavorable à cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado.
M. Sergio Coronado. Je vous remercie, monsieur le ministre, d’avoir pris le temps de me répondre, mais je constate qu’un certain nombre de personnalités, notamment l’ancien président de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, ont elles aussi du mal à comprendre les durées de conservation ! Quatre ans pour traduire un texte dans une langue, certes très rare, je veux bien, mais enfin… Il faudrait quand même que vous admettiez que si l’on dépose un amendement qui ne va pas dans le sens du projet ou de la proposition de loi, ce n’est pas parce qu’on ne comprend pas, c’est parce qu’on ne partage pas le fondement de ce qui est soumis à notre examen !
Je crois que c’est notre rôle de nous étonner des durées de plus en plus longues de conservation des données. Cela avait d’ailleurs été souligné par la commission des lois, notamment par son président Jean-Jacques Urvoas, que je prends à témoin – il est présent dans l’hémicycle, bien qu’il reste silencieux : il avait fait part de son étonnement face à cet allongement systématique des durées sans que les motifs avancés soient véritablement convaincants.
J’ai bien compris vos arguments, monsieur le ministre ; néanmoins, je ne les partage pas.
(L’amendement no 9 n’est pas adopté.)
M. le président. Je suis saisi d’un amendement rédactionnel, no 18 rectifié, de Mme Patricia Adam.
(L’amendement no 18 rectifié, accepté par le Gouvernement, est adopté et l’amendement no 10 tombe.)
M. le président. La parole est à Mme Patricia Adam, pour soutenir l’amendement no 19.
Mme Patricia Adam, rapporteure. Cet amendement a pour objet de prévoir la conservation des renseignements au-delà des délais légaux lorsqu’ils concernent une requête dont le Conseil d’État a été saisi, comme c’est le cas pour les interceptions de sécurité.
M. Jacques Myard. Cela paraît logique…
Mme Patricia Adam, rapporteure. Cette mesure figure aussi dans la proposition de loi déposée par M. Philippe Bas. Sur ce point, nous sommes d’accord avec lui – ainsi qu’avec monsieur Coronado, je crois.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Favorable.
(L’amendement no 19 est adopté.)
M. le président. Je suis saisi d’un amendement de précision, no 15, de Mme Patricia Adam.
(L’amendement no 15, accepté par le Gouvernement, est adopté.)
M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement no 22.
M. Sergio Coronado. L’importance croissante de la coopération entre les services de renseignement implique un contrôle de la part de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement et une information systématique sur tout nouvel accord. La CNCTR doit également disposer d’un accès direct et permanent aux informations et échanges d’informations opérés dans le cadre de ces accords. À défaut, serait permis ce qui pourrait être considéré comme un « blanchiment d’écoute », jugé par ailleurs illégal sur le territoire national.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Patricia Adam, rapporteure. Avis défavorable, bien entendu. Je ne comprends pas cet amendement.
M. Sergio Coronado. C’est le troisième que vous ne comprenez pas !
Mme Patricia Adam, rapporteure. C’est peut-être le troisième, mais je ne le comprends pas.
Les services de renseignement sont des services à part entière, au service de notre pays. Il ne s’agit pas là de conventions internationales : ce que vous évoquez relève du fonctionnement des services. Il existe aujourd’hui – fort heureusement ! – une coordination entre ceux-ci. Je ne comprends pas pourquoi un texte relatif à la surveillance internationale devrait traiter des échanges d’informations entre des services français. Je ne sais pas de quoi vous parlez !
La CNCTR contrôle la mise en œuvre des techniques de renseignement par les services, mais pas l’activité des services – ce n’est pas son rôle –, ni les modalités de leur coordination. Je rappelle également que l’avis motivé qui sera donné par le Premier ministre précisera très clairement quels seront les services qui seront chargés de cette surveillance – en particulier à l’international. La CNCTR, entre autres, sera informée des services qui devront agir par suite de l’ordre donné par le Premier ministre.
Vous faites référence à l’article L. 811-2 du code de sécurité intérieure, qui concerne nos services de renseignement. Je ne vois vraiment pas à quels accords vous faites allusion : il s’agit de services qui travaillent pour le Gouvernement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. L’avis du Gouvernement est défavorable : cet amendement me paraît inopportun, sur le fond et sur la forme.
Sur le fond, il laisse entendre que les services du premier cercle pourraient s’échanger des données recueillies grâce aux autorisations dont ils bénéficient en application de l’article L. 854-1 du code de sécurité intérieure : ce serait alors un détournement de la loi, car si nous prenons le soin, en particulier par les alinéas 10 et 11 de ce texte, de nous assurer que les autorisations concernent des services spécifiques, ce n’est pas pour permettre à ceux-ci de s’échanger ensuite comme ils le voudraient des données brutes !
Sur la forme ensuite, dès lors que l’amendement concerne de façon générale des échanges d’informations ou de données par les services du premier cercle, il n’a rien à faire dans l’article L. 854-1, qui traite spécifiquement des communications internationales.
(L’amendement no 22 n’est pas adopté.)
M. le président. Je suis saisi d’un amendement de précision, no 20, de Mme Patricia Adam.
(L’amendement no 20, accepté par le Gouvernement, est adopté.)
M. le président. Je suis saisi d’un amendement rédactionnel, no 14, de Mme Patricia Adam.
(L’amendement no 14, accepté par le Gouvernement, est adopté.)
(L’article 1er, amendé, est adopté.)
(L’article 2 est adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée.)
M. le président. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures vingt, est reprise à dix-huit heures vingt-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine (nos 2954, 3068).
M. le président. La parole est à M. François de Mazières, pour un rappel au règlement.
M. François de Mazières. Monsieur le président, madame la ministre de la culture et de la communication, monsieur le rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, chers collègues, nous souhaiterions contester les conditions d’examen de ce texte, qui, pour le moins, ne sont pas bonnes. Le texte a été déposé en conseil des ministres au cours de l’été, début juillet. Une cinquantaine d’auditions ont été menées par notre rapporteur durant les vacances parlementaires. L’examen en commission a été organisé durant la session extraordinaire, empêchant bon nombre de députés d’être présents – ne restaient que les courageux ! Le Gouvernement a déposé vingt-six amendements en commission, certains tendant à insérer des articles entiers sur des domaines aussi importants que la pratique amateur, dont on a longuement parlé. Le délai de dépôt des amendements pour l’examen en commission a été fixé pendant les vacances parlementaires, et celui pour l’examen en séance plénière pendant les journées parlementaires. Pour finir, l’examen en séance plénière a été organisé dans des conditions particulièrement difficiles, avec des séances débutant, comme aujourd’hui, en toute fin d’après-midi, et une fin d’examen du texte prévue tôt demain matin.
Ces conditions ne sont vraiment pas favorables. Elles ne permettent pas un travail sérieux. Cela témoigne malheureusement que la culture n’est plus une priorité gouvernementale aujourd’hui.
M. Marcel Rogemont. Alors ça, c’est vite dit !
M. François de Mazières. Nous le déplorons.
Mme Dominique Nachury. Bravo ! Tout le monde est d’accord !
M. le président. Hier soir, l’Assemblée a poursuivi la discussion des articles du projet de loi, s’arrêtant à l’article 20.
M. le président. Plusieurs orateurs sont inscrits sur l’article.
La parole est à M. Marcel Rogemont.
M. Marcel Rogemont. Le mardi 22 février 2000, je présentais la loi portant création de l’archéologie préventive. Il s’agissait alors de passer de l’archéologie d’urgence à une archéologie préventive. En effet, la loi de 1941 sur l’archéologie inspirée par Jérôme Carcopino ne traitait que de l’archéologie programmée, avec un léger pas de côté concernant les découvertes fortuites. Le prodigieux développement urbain et des infrastructures d’après-guerre a créé de fait une archéologie d’urgence, qui est traitée en urgence.
Que dire de ces dernières années ? Une grande incompréhension règne : la volonté des aménageurs, publics comme privés, est l’objet de toutes les attentions ; de la sorte, on fait trop souvent fi des objectifs de l’archéologie préventive. Il en est ainsi de la redevance d’archéologie préventive – comment ne pas être impressionné par ce nom, la RAP ? Quoi qu’il en soit, le Parlement n’a cessé de la travailler au corps pour faire rendre l’âme à cette empêcheuse d’aménager en rond.
Dans ce débat, il y a deux façons de réagir. La première consiste à chercher par tous les moyens à réduire le coût : on râpe la RAP par différents moyens, dont la concurrence entre le public et le privé. Le résultat est clair : le coût à l’hectare baisse. Mais comme une fouille, c’est du personnel et du temps, il faut réduire le personnel, la qualification. Surtout, on ne s’embête pas avec les résultats : on ne va tout de même pas passer deux heures à examiner trois cailloux et une fourchette !
La seconde consiste à prendre l’adjectif « préventif » au sens propre. Il existe une carte archéologique, de plus en plus précise : pourquoi ne pas la consulter avant de faire un projet, au lieu de découvrir – ou de faire semblant de découvrir – qu’il y aura des fouilles ? Il est souvent possible de déplacer l’urbanisation, d’aménager un espace vert là où, justement, il pourrait y avoir des fouilles archéologiques. Bref, la consultation de la carte éviterait bien des déboires.
Quant aux fouilles, elles sont là pour nous dire que la loi sur l’archéologie préventive est une loi de prévention. Elles rappellent que le meilleur sort pour les vestiges du passé est de rester là où ils sont. Si nous devons les déplacer, c’est d’une main tremblante, car nous en sommes responsables devant les générations futures.
M. le président. La parole est à Mme Marie-George Buffet.
Mme Marie-George Buffet. Nous arrivons à l’article 20, partie très importante de ce projet de loi. À travers l’archéologie préventive, nous touchons à la découverte, à la préservation, à l’analyse scientifique du patrimoine archéologique, et donc aux traces, à la mémoire de l’histoire de l’humanité.
Les événements récents, comme ceux de Palmyre, témoignent a contrario, face à la barbarie, du rôle symbolique des vestiges archéologiques. Ces événements renforcent le bien-fondé de la reconnaissance des vestiges archéologiques comme un bien commun de la nation. Cette exigence a été récemment relayée par un appel signé par des enseignants-chercheurs. C’était aussi le sens de l’amendement no 375 déposé par Jean Lassalle, qui ne peut être avec nous ce soir mais qui défend cette idée.
J’ajoute que sans l’archéologie préventive, l’Histoire, l’histoire de l’art, la transmission entre générations seraient amputée de leurs sources. Aussi, de tels enjeux impliquent que la nation, par son service public, maîtrise l’exercice et la qualité de la réalisation des opérations d’archéologie préventive comme de la maîtrise d’ouvrage scientifique. La loi de 2003 a remis en cause cette exigence, en mettant en concurrence l’Institut national de recherches archéologiques préventives – INRAP – les services des collectivités territoriales et des entreprises privées. Cette loi libérale a introduit du risque du moins-disant, au détriment de la qualité scientifique, provoquant une crise sans précédent dans le secteur de l’archéologie, comme le montre l’excellent rapport présenté par notre collègue Martine Faure.
Le secteur public est chargé de lourdes responsabilités, et doit faire face à la concurrence déloyale d’entreprises privées utilisant à présent le crédit d’impôt recherche pour faire baisser les coûts, et donc leurs prix. Oui, on peut parler de concurrence déloyale !
Le travail en commission a permis d’avancer pour définir des premières mesures redonnant au service public d’archéologie préventive des outils pour assumer ses missions. Mais nous pouvons, nous devons aller plus loin. Vous avez tous constaté l’importante mobilisation des archéologues lundi dernier. Nous devons leur rendre hommage pour la qualité de leur travail et leur sens du service public. Aller plus loin : c’est le sens des amendements que nous présenterons durant la soirée.
M. le président. La parole est à M. Michel Herbillon.
M. Michel Herbillon. Monsieur le président, j’interviens en mon nom propre mais aussi au nom de Mme la vice-présidente Catherine Vautrin, qui ne peut être présente ce soir et s’était inscrite sur cet article.
Madame la ministre, je commencerai par ajouter un mot à ce qu’a brillamment dit François de Mazières. Je trouve que la manière dont on saucissonne, dont on découpe en petites périodes cette discussion en l’entrecoupant d’autres débats, est très regrettable. Je trouve même cela désobligeant pour les artistes, pour les créateurs, pour tous les acteurs du monde de la culture, c’est-à-dire tous ceux qui s’intéressent à la création, au patrimoine et à l’architecture.
L’article 20 est très important pour l’avenir et l’évolution nécessaire de l’archéologie préventive. Il en va également de l’avenir des services d’archéologie préventive développés par les collectivités territoriales et du périmètre d’action de l’INRAP. Catherine Vautrin prenait l’exemple de l’agglomération rémoise, qui dispose de vingt-cinq agents, dont treize permanents, affectés à l’archéologie, et dont les prérogatives sont grandissantes. Que se passera-t-il pour ces agents si, comme il est proposé par cet article, nous limitons le périmètre d’action des collectivités territoriales en termes de fouilles et d’archéologie préventive ?
Comment interpréter le renforcement des missions de l’INRAP, l’augmentation de 60 % de son budget et de 30 % de son personnel, ainsi que le renflouement constant de son déficit – qui est important, sinon abyssal – alors que les sociétés privées et les départements d’archéologie des communes et des intercommunalités ont du mal à se développer ? L’INRAP est un acteur fondamental de l’archéologie préventive dont nous saluons l’action, mais il y a aussi de la place pour d’autres acteurs, les entreprises privées et les collectivités territoriales, notamment dans les zones géographiques qui regorgent de projets.
Ces acteurs ne demandent évidemment pas un démantèlement de l’INRAP, bien au contraire. Nous souhaitons un rééquilibrage entre un acteur ultra-dominant, qui peut se permettre de casser les prix…
M. le président. Il faut conclure, monsieur Herbillon…
M. Michel Herbillon. Je termine, monsieur le président, si vous le permettez. J’en ai pour un instant.
M. le président. Chers collègues du groupe Les Républicains, vous avez déploré que l’examen de ce texte s’étale dans le temps. Il s’étalera d’autant plus si les temps de parole ne sont pas respectés. Je vous invite donc à conclure, monsieur Herbillon.
M. Michel Herbillon. Je conclus. Il faut donc un rééquilibrage entre cet acteur ultra-dominant et les autres acteurs : cela me paraît très important.
Les amendements que nous avons déposés à l’article 20 visent à simplifier le secteur, alors que le Gouvernement souhaite encore complexifier les procédures en créant de nouveaux obstacles pour les acteurs, à l’exception de l’INRAP. Madame la ministre, le gouvernement auquel vous appartenez ne cesse de prôner la simplification administrative, au point de dédier un secrétariat d’État à cette cause. Les amendements que nous défendrons vont dans le sens de la simplification.
M. le président. La parole est à Mme Dominique Nachury.
Mme Dominique Nachury. Cet article fait écho au rapport de Martine Faure commandé par M. le Premier ministre sur l’état de crise de l’archéologie préventive. Parmi les conclusions figuraient la clarification des rôles, la fédération des acteurs et la prise en compte de la dimension scientifique.
Au moment où l’on aborde cet ensemble de dispositions, je voudrais faire part de la crainte que les collectivités territoriales prennent une part importante de la charge dans le transfert des biens archéologiques de l’État.
Je m’interroge également sur le financement de ces dispositions, alors que le recouvrement de la redevance d’archéologie préventive est actuellement défaillant, comme le soulignait Jean-François Lamour dans son rapport sur les crédits du patrimoine pour l’année 2015. Enfin, je tiens à souligner les risques causés par la modification de l’article 716 du code civil : les inventeurs pourraient ne pas déclarer leurs découvertes, ou moins les déclarer.
Je souhaite également revenir rapidement sur les débats d’hier. À propos de mon amendement relatif aux écoles préparant aux concours d’accès aux écoles nationales d’architecture, Mme la ministre et M. le rapporteur ont affirmé qu’il n’existe pas de telles écoles de préparation.
M. Marcel Rogemont. Mais si, il y en a !
Mme Dominique Nachury. Je tiens à leur disposition une liste, sans doute non exhaustive mais déjà importante, des écoles qui, à des titres divers, assurent une telle préparation.
M. le président. La parole est à M. François de Mazières.
M. François de Mazières. L’archéologie préventive est en effet une question fondamentale. Nous saluons le rapport de Martine Faure pour sa qualité. Dans le même temps, nous avons un certain nombre de craintes.
La première, c’est que l’on ne prenne pas suffisamment en considération les efforts accomplis par les collectivités territoriales pour constituer elles-mêmes des services performants. Comme le rappelait fort bien il y a quelques instants Michel Herbillon, c’est une inquiétude forte pour de nombreux élus.
Deuxième élément d’inquiétude : on constate un alourdissement des procédures. Charles de La Verpillière, qui ne peut malheureusement pas être avec nous, s’inquiète particulièrement de la notion de « maîtrise d’ouvrage scientifique ». Le véritable maître d’ouvrage, cela reste l’aménageur ! La concrétisation, sur le terrain, de la notion de « maîtrise d’ouvrage scientifique » risque d’être extrêmement complexe.
M. Marcel Rogemont. En quoi donc ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la culture et de la communication.
Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication. Je rappelle que l’archéologie préventive n’est pas une activité comme une autre. C’est avant tout une discipline scientifique.
Mme Marie-George Buffet. Bien sûr !
Mme Fleur Pellerin, ministre. Voilà qui répond, en partie, à ce qu’a dit M. de Mazières. C’est donc la primauté de la démarche scientifique qui guide ce projet. L’archéologie préventive est le seul moyen de faire progresser l’histoire et de mieux nous connaître. C’est un bien commun et, à ce titre, un service public.
Par exemple, une fouille conduite par l’INRAP à Lavau, près de Troyes, a permis cet hiver de mettre au jour une nécropole active entre 1300 avant et 300 après Jésus-Christ, avec notamment une tombe à char monumentale comme il en existe très peu en Europe. Cette découverte scientifique considérable au plan international a été rendue possible grâce à l’archéologie préventive. Je sais que les élus locaux sont très attachés à la valorisation de telles découvertes ; je sais aussi que d’autres élus sont volontiers critiques, oubliant souvent que les délais sont strictement encadrés.
Mais les découvertes ne doivent pas masquer la réalité. Le fonctionnement de l’archéologie préventive depuis la loi de 2003, qui a conduit à une concurrence non régulée au regard des enjeux de service public, n’est aujourd’hui pas satisfaisant. Les excellents travaux menés par votre collègue Martine Faure, que je remercie chaleureusement à nouveau, l’ont clairement montré.
L’archéologie préventive est un service public qui fait intervenir des acteurs publics et des entreprises privées. Comme service public, elle doit être régulée : tel est l’objet de ce projet de loi. Ainsi, l’État sera le garant de la qualité scientifique en s’appuyant sur le rôle structurant que joue le Conseil national de la recherche archéologique – CNRA – et assurera une réelle maîtrise d’ouvrage scientifique. L’État assurera aussi un meilleur contrôle scientifique des projets présentés par les opérateurs, intervention en amont qui contribuera à réduire les délais. En effet, l’aménageur ne pourra plus retenir un opérateur qui risquerait ensuite d’être récusé par les services de l’État.
Troisièmement, la place particulière des collectivités territoriales est pleinement reconnue par les amendements déjà adoptés en commission. En outre, l’enjeu scientifique justifie pleinement la propriété publique du mobilier archéologique, qui constitue le bien commun de la nation. De grands savants viennent d’ailleurs de l’affirmer de nouveau dans le journal Le Monde daté d’hier, en déplorant que la propriété publique n’ait pas été instaurée plus tôt, à la différence de ce qui s’est fait dans de nombreux pays voisins.
Pour conclure, je dirai quelques mots des archéologues. Il faut penser à leur tâche, car ils travaillent dans des conditions difficiles. C’est un métier souvent pénible, où il faut aller vite – car les aménageurs sont légitimement pressés – et où il faut pourtant prendre le temps de fouiller, d’étudier, et de comprendre. L’archéologie, c’est souvent le métier d’une vie : c’est pourquoi il convient d’assurer des passerelles entre les différents acteurs publics et de renforcer les services régionaux de l’archéologie, afin de fluidifier et d’enrichir leur carrière. Comme je m’y suis engagée en commission, une concertation sera donc engagée d’ici la deuxième lecture, en lien avec ma collègue Marylise Lebranchu.
Mme Marie-George Buffet. Très bien.
Mme Fleur Pellerin, ministre. Le rapport de Martine Faure a défini des pistes exigeantes et ambitieuses. Ce sont ces pistes que l’article 20 de ce projet de loi vous propose de mettre en œuvre, afin de concrétiser ce nouvel équilibre dont l’archéologie préventive a plus que jamais besoin. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
M. le président. Nous en venons aux amendements. La parole est à Mme Annie Genevard, pour soutenir l’amendement no 138.
Mme Annie Genevard. Cet amendement vise à remplacer les mots « ses dimensions scientifique, économique et financière » par « sa dimension scientifique », afin d’éviter un alourdissement inutile des procédures. Nous considérons que le contrôle économique et financier n’est a priori pas nécessaire. Il vaut donc mieux ne viser que la dimension scientifique.
M. le président. La parole est à M. Patrick Bloche, président et rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, pour donner l’avis de la commission.
M. Patrick Bloche, rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l’éducation. Pardonnez-moi ces termes, mais cet amendement révèle le contresens que vous faites en interprétant l’article 20. Au cours de vos interventions sur l’article, vous nous avez reproché d’alourdir les procédures en ajoutant à leur complexité. Mais c’est exactement le contraire !
Pour m’être opposé, avec d’autres ici, à l’ouverture des fouilles à la concurrence en 2003, je peux vous dire que l’article 20 clarifie et simplifie la législation. De cette manière, il renforcera le contrôle scientifique, mais aussi économique et financier, qui est tout aussi indispensable. D’ailleurs, cette mention a été ajoutée en commission grâce à un amendement de Martine Faure. Vous souhaitez réduire la définition des missions de l’État : cela traduit soit une mauvaise compréhension de l’article 20, soit de la gêne par rapport au rôle que nous entendons faire jouer à l’État en faveur de l’archéologie préventive. Je veux croire que cela relève plutôt de l’incompréhension, et j’espère que le débat sur l’article 20 permettra de la lever.
L’avis de la commission est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Fleur Pellerin, ministre. Même avis.
M. le président. La parole est à Mme Martine Faure.
Mme Martine Faure. Je ne comprends pas non plus votre position, chers collègues de l’opposition. On l’a dit et répété, les acteurs de l’archéologie préventive se regardent en chiens de faïence, passez-moi l’expression, au motif que l’un ou l’autre serait davantage aidé. L’article 20 clarifie le rôle de l’État et impose des règles identiques pour tous, sur la base d’exigences financières, scientifiques, humaines et sociales. Il est donc de nature à apaiser ce climat de guérilla larvée lié à la concurrence.
M. le président. La parole est à Mme Annie Genevard.
Mme Annie Genevard. Qu’en alourdissant les contrôles, on simplifie la procédure, cela me paraît intellectuellement un peu difficile à comprendre
Il paraît normal d’exiger, de la part des collectivités, des garanties en matière scientifique : comme l’a rappelé Mme la ministre, l’archéologie n’est pas tout à fait une activité comme une autre. Du point de vue administratif et financier, en revanche, on peut supposer qu’une collectivité qui demande un agrément le fait en connaissance de cause. Nous ne parlons pas d’opérateurs privés, mais publics, lesquels sont par définition habitués à gérer les affaires publiques !
(L’amendement no 138 n’est pas adopté.)
M. le président. La parole est à Mme Martine Faure, pour soutenir l’amendement no 390 rectifié.
Mme Martine Faure. Je propose de compléter l’alinéa 9 par les mots : « notamment dans le cadre des missions prévues à l’article L. 523-8-1. »
Il s’agit de préciser que l’État veille au bon fonctionnement et à l’équilibre du service public de l’archéologie. Ce sont les opérateurs eux-mêmes – archéologues, entrepreneurs ou membres de l’INRAP – qui, au cours des quelque trente auditions que nous avons menées, ont demandé une telle maîtrise d’ouvrage.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Patrick Bloche, rapporteur. Cet excellent amendement permet de rappeler l’importance du contrôle de l’État lors de la délivrance de l’agrément pour fouilles aux opérateurs privés. Avis favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Fleur Pellerin, ministre. Favorable également.
(L’amendement no 390 rectifié est adopté.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre, pour soutenir l’amendement no 480 rectifié.
Mme Fleur Pellerin, ministre. Il s’agit de permettre aux collectivités de participer à l’exploitation scientifique de l’ensemble des opérations archéologiques réalisées sur leur territoire.
Mme Faure appelle de ses vœux des partenariats scientifiques en matière d’exploitation des résultats des fouilles, idée à laquelle je souscris pleinement. Chaque opérateur public doit pouvoir trouver sa place dans la collaboration scientifique.
Vous avez donc souhaité compléter le texte de la commission sur ce point, madame Faure, mais vos amendements ont été déclarés irrecevables. Celui que je vous propose, qui pourrait faire consensus, précise l’action des collectivités territoriales dans l’exploitation scientifique des données issues des opérations archéologiques qu’elles mènent ou qui sont menées par d’autres sur leur territoire.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Patrick Bloche, rapporteur. La commission n’a pas examiné cet amendement mais, à titre personnel, j’y suis favorable car il permet de reconnaître le rôle des services des collectivités territoriales en matière d’exploitation scientifique des opérations d’archéologie.
(L’amendement no 480 rectifié est adopté.)
M. le président. Je suis saisi de trois amendements, nos 47, 139 et 326, pouvant être soumis à une discussion commune.
Les amendements nos 139 et 326 sont identiques.
La parole est à M. Michel Herbillon, pour soutenir l’amendement no 47.
M. Michel Herbillon. N’en déplaise à notre rapporteur adepte de la méthode Coué, complexifier n’est pas clarifier. Le présent amendement vise donc à éviter un surcroît de complexité, les communes qui sollicitent un agrément étant déjà soumises à un contrôle administratif de l’État. L’introduction d’un nouveau contrôle par le ministère de la culture, en bon français, cela s’appelle une complexification et non une clarification.
M. le président. La parole est à Mme Annie Genevard, pour soutenir l’amendement no 139.
Mme Annie Genevard. Il est défendu.
M. le président. L’amendement no 326 est également défendu.
Quel est l’avis de la commission ?
M. Patrick Bloche, rapporteur. L’amendement no 47 confirme ce qui a été décidé en commission à l’initiative de Martine Faure, à savoir la simplification des règles d’agrément pour les collectivités, afin notamment de distinguer leur habilitation de celle des opérateurs privés. Avis défavorable pour tous ces amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Fleur Pellerin, ministre. Même avis.
(L’amendement no 47 n’est pas adopté.)
(Les amendements identiques nos 139 et 326 ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 48 et 327.
La parole est à M. Michel Herbillon, pour soutenir l’amendement no 48.
M. Michel Herbillon. L’objet de cet amendement est, une fois encore, d’éviter d’accroître la complexité. Le projet de loi subordonne en effet les habilitations à réaliser des diagnostics archéologiques à la signature d’une convention entre l’État et les collectivités.
Cette obligation de contracter une convention n’est par ailleurs assortie d’aucune contrepartie financière pour les communes, ce qui paraîtrait pourtant judicieux.
M. le président. L’amendement no 327 est défendu.
Quel est l’avis de la commission ?
M. Patrick Bloche, rapporteur. Ces amendements visent à supprimer, dans le dossier d’habilitation, le projet de convention entre l’État et les collectivités. Avis évidemment défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Fleur Pellerin, ministre. Défavorable également.
M. le président. La parole est à M. Marcel Rogemont.
M. Marcel Rogemont. Il me paraît intéressant de consacrer, dans la loi, la pleine appartenance des services archéologiques des collectivités à l’espace public. De fait, ces services ne veulent pas être assimilés à des opérateurs privés. Aux termes de la dernière phrase de l’alinéa 21, l’habilitation « est valable sur le territoire de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales demandeur ».
Dès lors qu’un service territorial ne relève pas de la sphère privée, il est attaché au territoire. Il est aberrant d’imaginer une concurrence entre deux services territoriaux sur un même projet, même avec un système de conventions.
Bref, il faut reconnaître les compétences des services archéologiques territoriaux, tout en précisant que leur rayon d’action est celui de la collectivité concernée : on ne peut vouloir le beurre et l’argent du beurre…
M. le président. La parole est à M. François de Mazières.
M. François de Mazières. Tous les départements ne sont pas pourvus de services archéologiques territoriaux, monsieur Rogemont. On peut donc tout à fait imaginer que certains d’entre eux agissent pour d’autres départements : je ne vois pas où est le problème.
M. Marcel Rogemont et Mme Marie-George Buffet. Mais il y a l’INRAP !
M. François de Mazières. Lors d’une mission d’inspection que j’ai menée il y a quelque temps, le service d’archéologie de la Seine-Saint-Denis était considéré comme la référence. Pourquoi vouloir interdire à un tel service, s’il est très compétent, d’intervenir dans un autre département ?
(Les amendements identiques nos 48 et 327 ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 42 rectifié et 177 rectifié.
La parole est à Mme Marie-George Buffet, pour soutenir le no 42 rectifié.
Mme Marie-George Buffet. Le rôle des collectivités en matière d’archéologie préventive doit être reconnu. L’argument de M. de Mazières ne laisse pas de m’étonner : il revient à dire qu’une collectivité peut organiser certaines activités dans une autre, s’agissant des personnes âgées par exemple ! Une collectivité gère par définition son propre territoire : cela me paraît être le bon sens.
Mon amendement a pour objet d’améliorer les conditions de l’habilitation. Il précise que la convention peut également fixer les modalités de participation des services des collectivités territoriales à la réalisation des opérations d’archéologie préventive.
M. le président. La parole est à Mme Gilda Hobert, pour soutenir l’amendement no 177 rectifié.
Mme Gilda Hobert. Je propose, par l’adjonction de l’adverbe « notamment », que la convention jointe au projet d’habilitation fixe les modalités de participation des services de la collectivité à la réalisation et à l’exploitation scientifique des opérations d’archéologie préventive, cela dans un souci de cohérence.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Patrick Bloche, rapporteur. La commission avait donné un avis favorable aux amendements nos 42 et 177. Or, ces amendements ont depuis lors fait l’objet d’une rectification qui n’est pas seulement rédactionnelle, mais qui en change le sens. Je peux donc considérer que, sur les amendements rectifiés, la commission n’a pas émis d’avis.
M. le président. Et quel est votre avis, monsieur le rapporteur ?
M. Patrick Bloche, rapporteur. Mon avis sera celui du Gouvernement… (Rires.)
M. le président. Quel est donc l’avis du Gouvernement ?
Mme Fleur Pellerin, ministre. Ces amendements visent à élargir l’objet de la convention entre l’État et les collectivités locales accompagnant la demande d’habilitation à d’autres activités que la seule exploitation scientifique des opérations d’archéologie. Le périmètre de la convention pourra ainsi comprendre des coopérations adaptées en fonction de l’analyse partagée des enjeux archéologiques locaux.
Madame Buffet, madame Hobert, votre amendement ouvre une faculté dont peuvent se saisir les collectivités locales qui sollicitent une habilitation. Je n’y verrais pas d’obstacle dès lors qu’il n’entraînerait pas d’obligation. Or, il prévoit également que les modalités de réalisation des opérations d’archéologie préventive soient prévues par la convention, ce qui instaure, en réalité, une obligation mécanique.
Cette partie de l’amendement pose problème et je vous demande donc de bien vouloir le retirer, à défaut de quoi j’en demanderai le rejet.
M. le président. La parole est à Mme Marie-George Buffet.
Mme Marie-George Buffet. J’en étais restée à l’avis favorable qu’avait reçu mon amendement en commission. Je voudrais en réexaminer le contenu, afin qu’il puisse à nouveau obtenir un avis favorable en deuxième lecture. Je le retire donc.
(L’amendement no 42 rectifié est retiré.)
M. le président. Madame Hobert, retirez-vous également votre amendement no 177 rectifié ?
Mme Gilda Hobert. Oui, monsieur le président.
(L’amendement no 177 rectifié est retiré.)
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques, nos 49, 221 et 328.
La parole est à M. Michel Herbillon, pour soutenir le no 49.
M. Michel Herbillon. Nous continuons à proposer des amendements tendant à éviter de rendre les procédures d’archéologie préventive trop complexes. Le projet de loi propose que les communes ou les intercommunalités ne puissent réaliser de fouilles que sur les territoires relevant de leur gouvernance, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent.
Voilà encore l’introduction d’une nouvelle contrainte, en opposition avec la volonté de simplification administrative qui devrait s’imposer à tous. Cette mesure que vous préconisez s’oppose aux politiques de rationalisation, de mutualisation et de partenariat entre les collectivités territoriales. C’est la raison pour laquelle nous proposons cet amendement.
M. le président. La parole est à M. François de Mazières, pour soutenir l’amendement no 221.
M. François de Mazières. Je me contenterai d’ajouter à l’argumentaire très convaincant de M. Herbillon une réponse à l’intention de Mme Buffet, qui se demandait tout à l’heure pourquoi une collectivité voudrait intervenir dans un autre secteur que le sien : les agents des services d’archéologie sont spécialisés par domaines ! Il serait tout à fait normal qu’un archéologue spécialiste d’une certaine époque et affecté, par exemple, en Seine-Saint-Denis souhaite proposer son aide en cas de découverte archéologique relevant de sa spécialité dans un autre département.
M. Michel Pouzol. Il s’agit de collaboration scientifique ! Elle est autorisée !
M. François de Mazières. Il faut donc supprimer l’alinéa 21 qui limite l’habilitation des collectivités à effectuer des fouilles archéologiques à leur territoire, car il restreint la recherche scientifique.
Je ne comprends pas votre point de vue et il serait important, madame la ministre, que vous interveniez sur ce point, car il faut vraiment apporter une réponse à cette question. Il existe des archéologues compétents sur certains sujets dans des services relevant des départements. Pourquoi leur interdire d’intervenir ?
M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement no 328.
M. Sergio Coronado. Cet amendement va dans le même sens que le précédent. La dernière phrase de l’alinéa 21 impose aux collectivités territoriales un périmètre limitant leur habilitation à leur territoire, ce qui peut paraître inutile étant donné que le code du patrimoine définit déjà le cadre territorial sur lequel les collectivités peuvent prendre en charge des diagnostics.
Ce dispositif risque en outre de limiter les possibilités de coopération entre les différentes collectivités pour des chantiers qui excéderaient le périmètre de leurs territoires respectifs. Il ne nous paraît donc pas utile de leur imposer ce périmètre, qui risque d’accroître la complexité des procédures de l’archéologie préventive. Il convient au contraire de maintenir des possibilités de coopération entre les collectivités territoriales. Tel est le but de cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Patrick Bloche, rapporteur. Nous avons adopté en commission plusieurs amendements qui ont permis de reconnaître le rôle spécifique des collectivités territoriales en matière d’archéologie préventive mais, dans le même temps, nous avons voulu prendre en compte la préconisation de l’excellent rapport de Mme Martine Faure. C’est la raison pour laquelle nous avons considéré qu’il était de notre responsabilité de législateur de limiter une concurrence réelle qui nous semble constituer un risque.
Nous avons donc voulu limiter le champ des fouilles des collectivités territoriales à leur territoire stricto sensu, sous peine d’entretenir des phénomènes de concurrence qui ne nous semblent pas sains. De ce fait, l’avis de la commission sur ces amendements identiques est défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Fleur Pellerin, ministre. Avis également défavorable, car ces amendements ont pour objet de supprimer le principe de spécialité territoriale dans l’intervention des collectivités locales au titre de l’archéologie préventive. Or, je le rappelle, ce principe existe déjà pour les diagnostics et soulève donc le même type de questions pour ce qui concerne notamment la spécialisation des experts. Il était donc légitime de l’étendre aux fouilles.
M. Michel Herbillon. Persiste et signe !
Mme Fleur Pellerin, ministre. Ce principe de spécialité territoriale est au fondement de la légitimité des services à intervenir en archéologie, pour la connaissance de leur territoire et le bénéfice de leur population.
Je rappelle par ailleurs que, dans le nouveau dispositif proposé, l’habilitation des collectivités, qui remplacera l’agrément, sera pérenne. Rien n’empêche, en outre, les services des collectivités territoriales de passer des conventions avec l’INRAP pour pallier l’éventuelle absence de spécialistes de certaines époques dans leurs équipes, voire de créer entre département des services interdépartementaux ou supradépartementaux mutualisés. Voilà qui devrait dissiper votre inquiétude : il sera encore possible demain de créer des services interdépartementaux ou de faire appel à l’INRAP en cas de besoin de compétences spécifiques.
Je demande donc le retrait de ces amendements, à défaut de quoi j’émettrai un avis défavorable.
(Les amendements identiques nos 49, 221 et 328 ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques, nos 140, 329 et 430.
La parole est à Mme Annie Genevard, pour soutenir l’amendement no 140.
Mme Annie Genevard. Cet amendement relève d’une logique assez semblable à celle des précédents et je suis étonnée des arguments avancés. En effet, dans les différents textes de loi que nous venons d’examiner, comme la loi NOTRe, tout pousse la mutualisation, ce qui est précisément le cas de notre démarche.
Mon amendement précise cependant, par précaution, que c’est à titre dérogatoire et après avis exprès du représentant de l’État dans la région que l’habilitation territoriale peut être provisoirement étendue. Ces garanties me semblent permettre de lever les craintes qui viennent d’être exprimées.
M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement no 329.
M. Sergio Coronado. C’est, dans la même logique, un amendement de repli du no 328. Il a en effet pour objet de permettre aux collectivités d’obtenir l’habilitation pour un projet concernant un territoire plus étendu que le leur, afin de maintenir les possibilités de partenariats. Cela va, comme vient de le rappeler Mme Genevard, dans le sens des textes que nous vous avons votés récemment, notamment en matière d’organisation des collectivités. Il est donc très étonnant que, lorsqu’il s’agit de l’archéologie préventive, on s’y oppose de manière aussi doctrinaire.
M. Patrick Bloche, rapporteur. Doctrinaire ?
M. Marcel Rogemont. Ce n’est pas du tout le sujet !
M. le président. La parole est à M. François de Mazières, pour soutenir l’amendement no 430.
M. François de Mazières. On a l’impression que tout est fait pour favoriser l’INRAP. Il s’agit certes d’un organisme très important, mais on connaît sa tendance à la dérive financière. Vous savez en effet, madame la ministre, combien il a été difficile, dans les années passées, de boucler le budget de l’INRAP. Vous savez qu’il a fallu le rebudgétiser – même si ce n’est pas de sa faute et s’explique plutôt par les difficultés rencontrées pour collecter la taxe qui lui revient.
Or, nous avons ici la possibilité, sous le contrôle scientifique de l’État, de faire en sorte que des organismes relevant des collectivités territoriales puissent entretenir une concurrence, au bon sens du terme : une émulation qui puisse être également scientifique. Au lieu de quoi il semble bien qu’on veuille ici privilégier un acteur.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Patrick Bloche, rapporteur. Je ne puis que répéter ce que je dis régulièrement dans cet hémicycle depuis le début de l’examen de ce projet de loi : notre rôle de législateur est de nous efforcer, comme toujours lorsque l’on fait la loi, de trouver le bon point d’équilibre. Ainsi, la commission, en même temps qu’elle mettait en place un dispositif spécifique d’habilitation pour les collectivités territoriales et reconnaissait leur rôle en matière d’exploitation scientifique des résultats, a souhaité, en contrepartie de ces acquis pour les services d’archéologie des collectivités territoriales et dans un souci de cohérence, limiter le champ des opérations de fouilles à leur territoire. Voilà le point d’équilibre, que ces amendements de repli visent précisément à rompre. C’est la raison pour laquelle la commission a donné un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Fleur Pellerin, ministre. J’ajoute à l’excellente argumentation du rapporteur que cet amendement soulève des difficultés d’articulation entre le caractère pérenne de l’habilitation et le principe général de dérogation à la territorialité de cette habilitation, même encadré par un avis du préfet.
En outre, aujourd’hui, près de 97 % des interventions de ces services des collectivités territoriales ont déjà lieu sur leur propre territoire. La proposition du Gouvernement n’entre donc pas en contradiction avec la réalité constatée sur le terrain, conformément du reste à la légitimité particulière des collectivités en matière d’archéologie : le lien entre la population et l’histoire du territoire est en effet extrêmement fort.
C’est la raison pour laquelle je demande également le retrait de ces amendements, à défaut de quoi j’en demanderai le rejet.
Je précise enfin, puisque M. de Mazières a évoqué la rebudgétisation de la redevance d’archéologie préventive – RAP – qu’il s’agit d’une mesure très importante pour sécuriser le versement de cette redevance notamment à l’INRAP, mais que cette décision viendra également consolider le Fonds national pour l’archéologie préventive – FNAP – et bénéficiera énormément aux collectivités territoriales, car la redevance d’archéologie préventive bénéficiera également à ces services. Cette opération sera donc bénéfique pour tous les acteurs de l’archéologie préventive.
M. le président. Monsieur Rogemont, vous aviez demandé la parole.
M. Marcel Rogemont. Le rapporteur a déjà exprimé exactement ce que je voulais dire, monsieur le président.
(Les amendements identiques nos 140, 329 et 430 ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 50 et 330.
La parole est à M. Michel Herbillon, pour soutenir l’amendement no 50.
M. Michel Herbillon. Cet amendement a pour but d’assurer la continuité de l’action publique territoriale. Il tend à ce que, dès la promulgation de la présente loi, les collectivités territoriales agréées puissent immédiatement réaliser des opérations de diagnostic et de fouilles d’archéologie préventive.
Par ailleurs, monsieur le président et rapporteur de la commission, nous divergeons quant au point d’équilibre que vous évoquez. Selon nous, celui que vous proposez n’en est pas un – la situation est, au contraire, totalement déséquilibrée. De fait, malgré une apparente reconnaissance de l’action des collectivités territoriales, la multiplication des contraintes administratives et des procédures rend les choses plus difficiles pour les services archéologiques des collectivités, sans parler de cette pétition de principe qui ne leur permet pas d’agir sur un territoire autre que celui qui relève de leur gouvernance, alors que tous les textes, notamment ceux que nous avons votés récemment ici-même, visent à multiplier les partenariats et la mutualisation entre les collectivités territoriales. Nos points de vue divergent donc car, si nous souhaitons, nous aussi, ce point d’équilibre, les dispositions que prévoit le texte provoquent un déséquilibre complet. C’est du reste la raison pour laquelle vous refusez tous nos amendements.
M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement no 330.
M. Sergio Coronado. Cet amendement, que je pourrais qualifier de « préventif », a pour objet de permettre aux collectivités qui ont été agréées pour des opérations de diagnostic ou de fouilles avant la promulgation de la loi de recevoir l’habilitation pour achever les opérations en cours, assurant ainsi la continuité de l’action publique territoriale.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Patrick Bloche, rapporteur. Je m’efforcerai de résister, sur ce sujet, au curieux axe qui semble s’être constitué dans cet hémicycle entre le groupe Les Républicains et le groupe écologiste. (Sourires.)
Vous parlez de déséquilibre, mais c’est la loi de 2003 qui a tout déséquilibré,…
Mme Marie-George Buffet. Bien sûr !
M. Patrick Bloche, rapporteur. …qui a accru la complexité et plongé l’INRAP dans la difficulté dans laquelle il se trouve, sans que les services d’archéologie des collectivités territoriales en tirent le moindre avantage ! Notre objectif, à travers cet article 20 et conformément aux préconisations de Martine Faure, c’est justement de rééquilibrer les choses.
Pour en revenir à ces amendements, je précise que ce ne sont pas les collectivités territoriales qui sont agréées ou habilitées mais leur service en charge de l’archéologie. Pour information, au 30 avril 2015, soixante-sept services archéologiques de collectivité disposaient d’un agrément. Les procédures de demande d’agrément et d’habilitation étant différentes, les services archéologiques des collectivités agréés ne peuvent pas se voir délivrer automatiquement une habilitation. Ils devront présenter un dossier de demande d’habilitation dont le contenu est allégé par rapport à la demande d’agrément de droit commun. On reconnaît ainsi la spécificité de ces services d’archéologie, sans pour autant les exempter de l’obligation de déposer une demande d’habilitation.
C’est pourquoi la commission a émis un avis défavorable à ces amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Fleur Pellerin, ministre. Actuellement lorsque l’agrément d’un service arrive à échéance, il fait l’objet d’un examen attentif avant d’être renouvelé. En effet, le service a pu évoluer et perdre des compétences sur une période historique ou une autre, ce qui justifie de revoir partiellement ou totalement l’agrément. D’ailleurs toutes les soixante-sept collectivités que Patrick Bloche évoquait à l’instant ne souhaitent pas forcément faire renouveler leur agrément. Il serait donc à mon avis peu opportun de basculer les services actuellement agréés dans un système de renouvellement automatique de leur habilitation.
Ces services pourront naturellement poursuivre leur activité conformément aux dispositions du code du patrimoine actuellement en vigueur jusqu’au terme de leur agrément, qui ne peut actuellement excéder cinq ans, mais il va de soi qu’ils feront l’objet d’un examen prioritaire et d’une attention particulière dans le cadre de la procédure d’habilitation.
C’est pourquoi je vous demande de bien vouloir retirer vos amendements. À défaut j’en demanderai le rejet.
M. le président. La parole est à M. Marcel Rogemont.
M. Marcel Rogemont. À entendre notre débat sur cet article 20, il y aurait d’un côté les partisans de l’INRAP et de l’autre des détracteurs systématiques. Ce n’est pas le sujet.
M. Michel Herbillon. Mais non !
M. Thierry Benoit. Pas de caricature !
M. Marcel Rogemont. Il faut bien comprendre que l’archéologie préventive est d’abord une démarche scientifique de préservation du patrimoine. C’est cela qui nous intéresse. Il n’est pas sérieux de vouloir en permanence nous opposer sur l’INRAP. L’INRAP est essentiel dans ce pays, même si on ne peut que se féliciter de voir des entreprises privées participer à l’acte archéologique. Que ce soit l’INRAP, une société privée ou un service territorial, l’État se doit d’être attentif à la préservation du patrimoine et de l’action scientifique.
M. le président. La parole est à Mme Annie Genevard.
Mme Annie Genevard. Il ne s’agit pas dans notre esprit de baisser la garde sur le plan de l’exigence scientifique : c’est une exigence absolue qui s’impose à tous les opérateurs, qu’ils soient privés ou publics. Ce que nous ressentons, c’est une forme de défiance à l’égard des collectivités territoriales, et c’est de cela que nous ne voulons pas. Il faut leur faire confiance, dès lors que les compétences scientifiques et techniques sont là, et non pas seulement administratives. Si ces compétences sont avérées, il n’y a aucune raison pour que les collectivités ne soient pas habilitées.
(Les amendements identiques nos 50 et 330 ne sont pas adoptés.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-George Buffet, pour soutenir l’amendement no 43.
Mme Marie-George Buffet. L’article L. 523-8 du code du patrimoine exprime l’esprit de la loi 2003 puisqu’il dispose que l’aménageur peut choisir entre l’INRAP, un service d’archéologie territorial ou un opérateur privé. C’est mettre en concurrence le service public national, les services des collectivités et des sociétés privées, tout en laissant à l’INRAP toute la responsabilité scientifique ainsi que celle de pallier les insuffisances ou l’incurie des autres acteurs, ce qui explique les difficultés financières qu’il rencontre.
Si la dévolution à l’État de la maîtrise d’ouvrage scientifique voulue par la commission va dans le bon sens, elle ne suffira pas à régler les problèmes générés par la loi de 2003. Nous proposons par cet amendement que la maîtrise d’ouvrage soit partagée entre l’État et l’aménageur. Ce compromis garantirait la qualité de l’opération tout en conciliant les impératifs de délais et de financement des aménageurs.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Patrick Bloche, rapporteur. Il me semble que l’adoption de cet amendement risquerait de perturber l’équilibre auquel la commission est parvenue. La répartition actuelle des compétences entre l’État et l’aménageur est claire et équilibrée, l’État assurant la maîtrise d’ouvrage scientifique et l’aménageur la réalisation des opérations de fouille. Le fait de confier conjointement à l’État et à l’aménageur la maîtrise d’ouvrage des opérations de fouille n’est pas apparu opportun à la commission, d’autant que les dispositions du projet de loi permettent déjà d’améliorer le contrôle scientifique et technique de l’État sur les opérateurs, en particulier grâce au durcissement des conditions d’obtention d’agrément par les opérateurs privés et à la mise en place d’un contrôle de l’ensemble des opérateurs avant la signature du contrat avec l’aménageur.
Le rôle de l’État chargé de la maîtrise scientifique et technique des opérations est donc clairement réaffirmé par ce texte. C’est la raison pour laquelle, madame Buffet, la commission a donné un avis défavorable à votre amendement.
M. le président. Même avis, madame la ministre ?
Mme Fleur Pellerin, ministre. Oui.
M. le président. La parole est à M. François de Mazières.
M. François de Mazières. La proposition de Mme Buffet présente l’intérêt de réintroduire un dialogue avec l’aménageur, dont l’absence risque de se traduire sur le terrain par des conflits permanents. Voilà pourquoi j’y suis favorable pour ma part.
(L’amendement no 43 n’est pas adopté.)
M. le président. L’amendement no 317 est un amendement de précision, monsieur le rapporteur ?
M. Patrick Bloche, rapporteur. Oui.
(L’amendement no 317, accepté par le Gouvernement, est adopté.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre, pour soutenir l’amendement no 481.
Mme Fleur Pellerin, ministre. Le Conseil national de la recherche archéologique joue un rôle cardinal d’orientation de l’ensemble de la recherche programmée et préventive dans le domaine archéologique. C’est une instance qui compte à la fois des personnalités qualifiées éminentes, des représentants de l’administration et des membres scientifiques élus par les commissions interrégionales de la recherche archéologique. De ce fait, elle dispose d’une légitimité et d’une autorité incontestables sur le plan scientifique et déontologique.
Ce conseil élabore également la programmation archéologique, compilant pour chacune des grandes périodes historiques les connaissances acquises et définissant des axes prioritaires pour la recherche en archéologie programmée et préventive. Il traite également de questions transversales, comme le rôle et les objectifs du diagnostic en archéologie préventive, la lutte contre le pillage des sites au moyen de détecteurs de métaux, ou encore la question de la publication archéologique.
Cet amendement vise à vous proposer de consacrer son rôle dans la loi, notamment en prévoyant sa consultation sur les agréments des opérateurs, qui devront faire l’objet d’un avis circonstancié.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Patrick Bloche, rapporteur. La commission n’a pas pu examiner cet amendement. À titre personnel j’y suis favorable.
M. le président. La parole est à M. Marcel Rogemont.
M. Marcel Rogemont. Je me félicite que le CNRA doive être consulté sur la délivrance de l’agrément, mais qu’en sera-t-il lorsque, conformément aux dispositions du trente-septième alinéa, l’agrément sera « refusé, suspendu ou retiré, par décision motivée » ? Le CNRA sera-t-il consulté également dans ce cas ? On sait bien que certaines sociétés qui ont obtenu un agrément pour cinq ans ne font pas le travail comme il faudrait, et la procédure pour retirer l’agrément n’est pas claire.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Fleur Pellerin, ministre. Selon le principe du parallélisme des formes et des procédures, l’avis du CNRA serait également requis pour un retrait d’agrément.
(L’amendement no 481 est adopté.)
M. le président. La parole est à Mme Martine Faure, pour soutenir l’amendement no 292.
Mme Martine Faure. Le présent amendement a pour objet de renforcer les exigences en matière de délivrance des agréments, non pas pour accroître la complexité mais pour assurer la réussite du projet en amont.
(L’amendement no 292, accepté par la commission et le Gouvernement, est adopté.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 54 rectifié et 334 rectifié.
La parole est à M. Michel Herbillon, pour soutenir le no 54 rectifié.
M. Michel Herbillon. Vous me pardonnerez d’insister sur notre volonté de ne pas accroître la complexité des procédures en matière d’archéologie préventive. En effet, dans sa rédaction actuelle, cet alinéa ajoute une complexité injustifiée au code des marchés publics. La constitution des offres, et plus généralement le document de consultation des entreprises, peut en l’état intégrer les préconisations de l’État et garantir sa capacité à assurer le contrôle scientifique et technique. Les pièces financières des offres n’ont pas à faire l’objet d’un avis de l’État puisqu’elles n’entrent pas en ligne de compte dans le suivi scientifique du projet dédié à l’État. Cette disposition illustre la volonté d’un contrôle accru des collectivités territoriales.
Nous considérons donc qu’il n’est pas opportun de définir par décret les éléments constitutifs des offres des opérateurs dans le cadre des marchés de fouille d’archéologie préventive.
M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement no 334 rectifié.
M. Sergio Coronado. L’objectif de cet amendement est de limiter la définition par arrêté au projet scientifique et technique, qui est la seule pièce de référence permettant aux services de l’État d’évaluer la conformité de l’offre au cahier des charges.
Avant que vous ne manifestiez encore une fois, monsieur le président Bloche, votre étonnement devant cette nouvelle manifestation de ce que vous appelez un axe entre mon groupe et Les Républicains, vous me permettrez de vous rappeler que tout à l’heure, dans ce même hémicycle, à l’occasion de l’examen d’une proposition de loi relative aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales, la rapporteure socialiste nous a dit s’être inspirée du travail de M. Philippe Bas, président de la commission des lois du Sénat, pour rédiger ses amendements. Quand on puise ainsi aux meilleures sources de la droite sénatoriale, il ne faut pas s’étonner que les écologistes puissent parfois trouver des points d’accord avec les membres de l’opposition !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Patrick Bloche, rapporteur. Je suis désolé, mais je pensais que le souci de revenir sur les déséquilibres créés par la loi de 2003, qui a ouvert les fouilles à la concurrence et affaibli considérablement l’INRAP, souci commun au groupe socialiste et au groupe GDR, représenté ici par Mme Buffet, serait partagé par les Verts. C’est mon étonnement de voir que vous ne partagez pas cette conviction qui m’a amené à évoquer cet axe, dont j’admets bien volontiers le caractère purement conjoncturel.
Je pense que vous faites une erreur quand vous vous imaginez que vos amendements vont simplifier le dispositif. En effet, il est absolument nécessaire que les éléments constitutifs des offres des opérateurs soient définis par arrêté du ministre de la culture. Ce dernier ne doit pas se limiter à détailler le contenu des projets scientifiques d’intervention – PSI, qui ne constituent que l’un des éléments de ces offres. Cet arrêté permettra ainsi aux opérateurs candidats de présenter des offres comparables, ce qui est de nature à assurer leur égalité et à éviter les risques de contentieux.
La suppression que vous proposez serait donc lourde de conséquences. J’ose vous demander de bien vouloir retirer ces amendements, sans quoi l’avis de la commission sera défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Fleur Pellerin, ministre. J’ajoute aux arguments que le rapporteur vient de présenter que la disposition du projet de loi du Gouvernement visant à garantir la qualité scientifique des opérations et à sécuriser le choix des opérateurs par les aménageurs en amont de la signature des contrats implique l’examen des offres, et pas seulement des PSI, qui n’en constituent qu’une partie.
En effet, il convient absolument que l’État puisse examiner la cohérence entre le projet et les moyens prévus pour le mettre en œuvre.
M. Marcel Rogemont. Bien sûr ! Les belles phrases ne suffisent pas !
Mme Fleur Pellerin, ministre. C’est là la seule façon d’assurer à l’aménageur que le ou les PSI qui lui sont présentés sont crédibles. Je suis donc défavorable à l’adoption de ces amendements.
M. Marcel Rogemont. Absolument d’accord.
(Les amendements identiques nos 54 rectifié et 334 rectifié ne sont pas adoptés.)
M. le président. La parole est à M. François de Mazières, pour soutenir l’amendement no 405.
M. François de Mazières. Il est défendu.
(L’amendement no 405, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)
M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement no 333.
M. Sergio Coronado. Il est défendu.
(L’amendement no 333, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)
M. le président. Je suis saisi de plusieurs amendements, nos 52 rectifié, 141 rectifié, 332 rectifié et 226, pouvant être soumis à une discussion commune.
Les amendements nos 52 rectifié, 141 rectifié et 332 rectifié sont identiques.
La parole est à M. Michel Herbillon, pour soutenir l’amendement no 52 rectifié.
M. Michel Herbillon. Une fois encore, nous ne voulons pas compliquer les procédures d’archéologie préventive. L’amendement que nous proposons vise à permettre à la personne qui projette l’exécution des travaux de rejeter les offres irrégulières et de tenir compte des critères techniques et scientifiques.
En fait, le caractère très spécifique des travaux d’archéologie préventive implique d’assouplir quelque peu les procédures précitées.
M. le président. La parole est à Mme Annie Genevard, pour soutenir l’amendement no 141 rectifié.
Mme Annie Genevard. J’ajoute simplement que l’adoption de cet amendement, tout en laissant à l’État sa pleine compétence, permettrait finalement de raccourcir les délais. Cette présélection, au fond, allégerait le travail des services de l’État et permettrait d’instruire les offres dans des délais beaucoup plus raisonnables.
M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement no 332 rectifié.
M. Sergio Coronado. Il est défendu.
M. le président. La parole est à M. François de Mazières, pour soutenir l’amendement no 226.
M. François de Mazières. Défendu également.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Patrick Bloche, rapporteur. La commission a donné un avis défavorable à l’adoption de ces amendements.
Je connais la grande simplicité du vice-président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation (Sourires) mais il ne s’agit pas en l’occurrence d’un problème de simplification. Le fait est que la commission, comme, je l’imagine, le Gouvernement, ne juge pas opportun de revenir sur les dispositions du projet de loi visant à mettre en place un contrôle en amont de toutes les offres des opérateurs, avant la signature du contrat avec l’aménageur.
Je me suis déjà permis de le dire : cette disposition permet de renforcer le contrôle scientifique et technique de l’État et, ainsi, de garantir une meilleure protection du patrimoine archéologique.
Je vous invite vraiment à retirer ces amendements, car leur adoption amoindrirait la protection du patrimoine archéologique ainsi que le contrôle scientifique et technique de l’État. À défaut, mon avis serait défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Fleur Pellerin, ministre. Le rapport de Mme Martine Faure a très bien analysé les dysfonctionnements du système de l’archéologie préventive issu de la loi du 1eraoût 2003.
Comme le craignait d’ailleurs Patrick Bloche lors des débats sur cette loi, dans ce cadre concurrentiel, les aménageurs sélectionnent le plus souvent un opérateur sur les seuls critères de prix ou de délais sans se préoccuper d’en évaluer la qualité technique et scientifique.
Les aménageurs, et c’est bien normal, n’ont d’ailleurs pas la compétence scientifique pour le faire mais, dès lors, peuvent être amenés à choisir un opérateur dont le projet ne présente pas une qualité scientifique suffisante pour qu’il soit autorisé à faire la fouille. Ils s’exposent donc au risque de devoir en sélectionner un autre après le refus de l’État.
La disposition du projet de loi du Gouvernement que votre amendement remet en cause vise précisément à garantir la qualité scientifique des opérateurs et à sécuriser en amont de la signature des contrats le choix des opérateurs par les aménageurs. Elle sécurise également les délais encourus par l’aménageur en lui permettant de choisir parmi des opérateurs dont le projet scientifique est préalablement validé par l’administration. Dans ce cas, le risque disparaît que cette validation ne soit pas accordée après le choix de l’opérateur.
Comme le rapporteur, je vous demande de bien vouloir retirer ces amendements. À défaut, j’y serais défavorable.
(Les amendements identiques nos 52 rectifié, 141 rectifié et 332 rectifié ne sont pas adoptés.)
(L’amendement no 226 n’est pas adopté.)
M. le président. La parole est à M. Gilles Lurton, pour soutenir l’amendement no 53.
M. Gilles Lurton. Il est défendu.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Patrick Bloche, rapporteur. Je dirai seulement : avis défavorable.
(L’amendement no 53, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.)
M. le président. La parole est à M. François de Mazières, pour soutenir l’amendement no 413.
M. François de Mazières. Il est défendu.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Patrick Bloche, rapporteur. J’en dirai plus cette fois : je vais proposer à l’amendement suivant, le no 322, une nouvelle rédaction de l’alinéa 50 concernant le contrat de travail du responsable scientifique des opérations, qui permettra de surmonter les difficultés de recrutement que les collectivités territoriales peuvent rencontrer. Si vous en êtes d’accord, François de Mazières, je vous propose de retirer votre amendement, car le no 322 satisfait votre préoccupation.
M. le président. La parole est à M. François de Mazières.
M. François de Mazières. Entendu.
(L’amendement no 413 est retiré.)
M. le président. La parole est à M. Patrick Bloche, pour soutenir l’amendement no 322.
M. Patrick Bloche, rapporteur. Je viens de le défendre.
(L’amendement no 322, accepté par le Gouvernement, est adopté.)
M. le président. L’amendement no 335 est défendu.
Quel est l’avis de la commission ?
M. Patrick Bloche, rapporteur. La commission a donné un avis défavorable à cette nouvelle rédaction de l’alinéa 50 compte tenu de l’adoption de mon amendement no 322.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Fleur Pellerin, ministre. Même avis.
(L’amendement no 335 n’est pas adopté.)
M. le président. La parole est à M. François de Mazières, pour soutenir l’amendement no 396.
M. François de Mazières. L’adoption de cet amendement permettrait de maintenir les sous-traitances. Il faut bien dire qu’il s’agit d’une pratique très rare, mais dans certains cas, une collectivité territoriale peut accepter de répondre à des appels d’offres. L’interdiction de toute sous-traitance me paraît là encore freiner une dynamique de concurrence ou, du moins, d’incitation à un meilleur effort.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Patrick Bloche, rapporteur. Il s’agit en effet d’une question importante et très concrète, soulevée en particulier par l’INRAP. Lorsque nous l’avons entendu, l’opérateur public nous a confié que lui-même sous-traitait une partie de la prestation de fouilles, notamment auprès des collectivités territoriales.
Reste qu’en interdisant le recours à la sous-traitance, la rédaction actuelle de l’alinéa 51 permet d’assurer un meilleur contrôle des opérations de fouilles par l’État.
La commission n’est donc pas favorable à l’adoption de votre amendement de suppression de l’alinéa. Plutôt qu’une suppression pure et simple, il me semblerait préférable de réfléchir à une nouvelle rédaction permettant de résoudre les difficultés qui pourraient survenir.
Je n’ai pas souvent évoqué la seconde lecture pendant la discussion de cet article 20, mais elle sera opportune sur ce point. En attendant, avis défavorable ou demande de retrait.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Fleur Pellerin, ministre. Même avis.
M. le président. La parole est à M. François de Mazières.
M. François de Mazières. La prise en compte de cette question par la commission et le Gouvernement est importante. Je retire donc cet amendement.
(L’amendement no 396 est retiré.)
M. le président. L’amendement no 336 est défendu.
(L’amendement no 336, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)
M. le président. La parole est à Mme Martine Faure, pour soutenir l’amendement no 443.
Mme Martine Faure. Il s’agit d’un amendement de coordination mettant la rédaction du code du patrimoine en cohérence avec ce que nous avons voté.
(L’amendement no 443, accepté par la commission et le Gouvernement, est adopté.)
M. le président. La parole est à Mme Martine Faure, pour soutenir l’amendement no 440.
Mme Martine Faure. Il a pour objet de mettre en cohérence la rédaction proposée pour l’article L. 523-13 du code du patrimoine avec la nouvelle rédaction de l’article L. 522-8 qui remplace l’agrément des collectivités territoriales par une habilitation.
(L’amendement no 440, accepté par la commission et le Gouvernement, est adopté.)
M. le président. La parole est à M. Patrick Bloche, pour soutenir l’amendement no 319.
M. Patrick Bloche, rapporteur. Amendement de coordination.
(L’amendement no 319, accepté par le Gouvernement, est adopté.)
M. le président. La parole est à Mme Annie Genevard, pour soutenir l’amendement no 36.
Mme Annie Genevard. Il est défendu.
(L’amendement no 36, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)
M. le président. La parole est à M. François de Mazières, pour soutenir l’amendement no 227.
M. François de Mazières. Il s’agit d’un amendement très important visant à supprimer les alinéas 74 à 85 qui modifient au profit de l’État le régime de propriété des biens issus des fouilles archéologiques.
Cela, en effet, ne nous paraît pas opportun : même si le principe est acceptable, il n’en va pas de même dans la pratique. En effet, cette disposition favorisera le marché noir : les personnes qui découvriront des objets archéologiques ne les déclareront plus et les vendront à l’étranger.
J’en discutais cette après-midi encore avec des passionnés de fouilles archéologiques, qui sont déjà confrontés à des personnes qui ne déclarent pas leurs découvertes et qui vont les vendre ailleurs. Imaginez que tout intéressement disparaisse : ce serait terrible ! Le marché noir se développerait, lequel appauvrirait finalement la richesse archéologique française.
Même s’il est possible de considérer qu’il s’agit d’un beau concept, la pratique sera négative. Nous vous invitons donc à supprimer les alinéas 74 à 85.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Patrick Bloche, rapporteur. Comme nous l’avons déjà exposé en commission, les dispositions de l’article 20 relatives au régime de propriété des biens archéologiques mobiliers sont essentielles et doivent être maintenues. Le statut des biens archéologiques mobiliers relève en effet, aujourd’hui, d’un droit de propriété complexe et multiple, puisque pas moins de cinq régimes différents coexistent, selon le lieu et les circonstances de la découverte des biens. Dans plusieurs cas, la loi prévoit un partage de propriété des découvertes, selon les circonstances et les lieux. Ce patrimoine, témoin de l’histoire et du passé, se trouve donc dispersé.
Le projet de loi, en affirmant une présomption de propriété au profit de l’État pour l’ensemble des biens archéologiques mobiliers, permet donc de simplifier considérablement le droit existant, mais aussi de reconnaître aux biens archéologiques mobiliers – et je m’adresse ici à Marie-George Buffet ! – le statut de bien commun de la nation. Ce régime de propriété unifié favorise de fait la protection, l’étude et la pérennité des biens archéologiques. La commission a donc donné un avis défavorable à cet amendement.
Une manière de répondre plus efficacement à la préoccupation que vous exprimez, monsieur de Mazières, pourrait consister à adopter une législation plus restrictive, et même plus répressive, s’agissant de la possession de détecteurs de métaux par nos concitoyens. Ce n’est pas, en tout cas, la remise en cause de la présomption de propriété par l’État des biens archéologiques mobiliers qui réglera le problème que vous soulevez.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Fleur Pellerin, ministre. Je ne partage pas non plus l’analyse de M. de Mazières selon laquelle le dispositif introduit à l’article 20 va inciter les découvreurs à ne plus signaler leurs éventuelles découvertes.
Mme Dominique Nachury. Ce sera pourtant le cas !
Mme Fleur Pellerin, ministre. Lorsque des découvertes sont déclarées, elles le sont, le plus souvent, par des personnes de bonne foi, dont l’objectif n’est pas de conserver ou de revendre des vestiges qui, au demeurant, n’ont en général qu’une très faible valeur marchande. Au contraire, ces personnes souhaitent le plus souvent que ces vestiges soient étudiés par des scientifiques, conservés et, lorsque cela est possible, présentés au public. Il n’y a donc pas lieu de craindre une baisse des déclarations réalisées dans ce cadre.
En revanche, et à l’inverse, les prospecteurs clandestins qui agissent hors de tout cadre légal ne souhaitent surtout pas déclarer leurs découvertes, qui ont vocation à enrichir leur collection privée ou à alimenter un commerce clandestin, en France mais aussi à l’étranger. Ces découvertes ne sont déclarées que dans les cas où l’ensemble mis au jour est d’une envergure telle qu’il ne peut plus passer inaperçu. Les services de l’État se trouvent alors en porte-à-faux, puisqu’ils sont tenus de légitimer un état de fait qui, à la base, est illicite.
Par ailleurs, vous considérez que le droit de propriété est remis en cause, mais ce n’est pas le cas : le dispositif proposé est compatible avec le respect du droit de propriété privée. Le projet de loi repose en effet sur un mécanisme de présomption de propriété qui est équilibré, et qui ne remet pas en cause les droits des propriétaires privés. Il ne vaut que pour l’avenir, et pour des biens sur lesquels personne ne peut justifier de sa propriété. En cas de découverte fortuite, les objets dépourvus d’intérêt scientifique seront remis au propriétaire du terrain.
C’est là une mesure qu’attendent les archéologues, les personnels des musées, les associations de défense du patrimoine et le monde de la recherche, ainsi que les amateurs d’histoire et d’archéologie. Je vous invite donc à retirer votre amendement, sans quoi je lui donnerai un avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. François de Mazières.
M. François de Mazières. Madame la ministre, lorsque j’ai lu cette proposition pour la première fois, j’ai trouvé que c’était une bonne idée. Mais tous les passionnés que j’ai interrogés m’ont dit qu’elle présentait un risque énorme. Je ne fais que vous rapporter ce que m’ont dit des gens qui ont la passion de l’archéologie.
Dans un monde où tout le monde serait respectueux et aurait le sens de l’intérêt général, tout serait parfait. Mais ce n’est malheureusement pas le cas, surtout à l’heure où se développe un important marché international. C’est toujours la même chose : il y a les bons sentiments d’un côté, que nous partageons avec vous, et la pratique de l’autre. La loi, malheureusement, doit également s’occuper de la pratique.
(L’amendement no 227 n’est pas adopté.)
M. le président. La parole est à Mme Annie Genevard, pour soutenir l’amendement no 38.
Mme Annie Genevard. Il est retiré.
(L’amendement no 38 est retiré.)
M. le président. L’amendement no 341 est défendu.
(L’amendement no 341, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)
(L’article 20, amendé, est adopté.)
M. le président. Je suis saisi de plusieurs amendements portant article additionnel après l’article 20. La parole est à Mme Marie-George Buffet, pour soutenir l’amendement no 44.
Mme Marie-George Buffet. La vocation exclusive du crédit d’impôt recherche – CIR – est de soutenir les efforts de recherche et développement des entreprises, et non de subventionner un secteur d’activité – pas plus celui de l’archéologie préventive qu’un autre. Or, depuis les années 2012 et 2013, un nombre croissant d’entreprises privées de ce secteur y ont systématiquement recours pour réduire leurs coûts.
L’excellent rapport – on ne peut que le répéter ! – de Mme Martine Faure a donné à voir, par extrapolation, que sur un chiffre d’affaires annuel global d’environ 35 millions d’euros, le montant des aides publiques accordées au titre du CIR atteint 3 à 4 millions. Or ces sommes, en alimentant une spirale déflationniste, créent les conditions d’une concurrence déloyale dont souffrent à la fois l’INRAP et les collectivités territoriales.
Il faut rendre au crédit impôt recherche sa véritable vocation et empêcher qu’il soit utilisé à des fins de concurrence déloyale.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Patrick Bloche, rapporteur. Mme Buffet a été très convaincante, comme souvent, et j’ai été particulièrement sensible à l’un de ses arguments : l’INRAP, pas plus que les collectivités locales, ne peut, par nature, bénéficier de ce crédit d’impôt recherche, ce qui crée une distorsion de concurrence au détriment des autres opérateurs de l’archéologie préventive. C’est la raison pour laquelle la commission a donné un avis favorable à cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Fleur Pellerin, ministre. Madame la députée, comme je vous l’ai dit en commission, je partage votre analyse sur le rôle du crédit d’impôt recherche dans le secteur de l’archéologie préventive, et sur l’impact qu’il peut avoir sur la concurrence dans ce secteur.
Le crédit d’impôt recherche, comme chacun sait, a pour but d’inciter à la réalisation en France d’opérations de recherche et développement, mesure générale qui ne cible pas de secteurs ou de types d’entreprises en particulier, mais dont le bénéfice est conditionné à la réalisation de travaux de recherche et développement qui permettent de faire progresser l’état des connaissances en résolvant des difficultés scientifiques ou techniques.
Je ne doute pas qu’il soit tout à fait possible de réaliser des travaux de recherche et de développement dans le domaine archéologique. En revanche, toute dépense d’archéologie n’a évidemment pas vocation à être éligible au crédit d’impôt recherche, et c’est sur cet aspect que nous devons absolument être vigilants. L’administration fiscale dispose, dans ce secteur comme dans tous les autres, des moyens nécessaires pour contrôler, avec le soutien du ministère chargé de la recherche, l’éligibilité des dépenses de recherche. Dès lors, les éventuels manquements dans ce secteur devront être, le cas échéant, relevés et sanctionnés. J’ai appelé l’attention de mes collègues des finances et de la recherche sur ce point et je m’engage à vous rendre compte de mes discussions avec eux dans les meilleurs délais et, en tout état de cause, avant la deuxième lecture de ce texte.
J’ajoute que le crédit d’impôt recherche constitue un instrument central de la politique conduite par le Gouvernement en matière de soutien à l’innovation, au développement économique et donc à la création d’emplois. Priver de son bénéfice les entreprises d’un secteur tout entier dans les cas où elles font effectivement des dépenses de recherche éligibles fragiliserait lourdement l’ensemble du dispositif, sur le plan communautaire en particulier, et au regard du principe d’égalité devant l’impôt.
En tout état de cause, le Gouvernement réaffirme son souhait que les dispositions de nature fiscale soient discutées en loi de finances. Pour toutes ces raisons, je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement. À défaut, j’en demanderai le rejet.
M. le président. La parole est à Mme Marie-George Buffet.
Mme Marie-George Buffet. J’entends bien, madame la ministre, les engagements que vous prenez. Je préfère néanmoins maintenir cet amendement. Si, au moment de la seconde lecture, le combat que vous menez a porté ses fruits, je le retirerai. Mais pour l’instant, je le maintiens.
(L’amendement no 44 est adopté.)
M. le président. La parole est à Mme Annie Genevard, pour soutenir l’amendement no 40.
Mme Annie Genevard. Je le retire.
(L’amendement no 40 est retiré.)
(L’article 21 est adopté.)
M. le président. La parole est à Mme Annie Genevard, pour soutenir l’amendement no 18 portant article additionnel après l’article 21.
Mme Annie Genevard. Cet amendement, déposé par Frédéric Lefebvre et co-signé par un certain nombre d’entre nous, propose que le Gouvernement remette au Parlement un rapport visant à définir les axes du plan de sauvegarde de notre patrimoine religieux.
Ce rapport viserait à explorer les alternatives au financement local, comme le recours au mécénat ou le financement participatif, qui est aujourd’hui de plus en plus utilisé, et à définir des dispositions législatives et réglementaires, dans le cadre par exemple d’une procédure de classement, pour empêcher la destruction du patrimoine religieux.
On lit très régulièrement dans la presse que des maires ont été contraints de procéder à la démolition de leur patrimoine religieux, parce que les frais d’une rénovation n’étaient pas à la portée de leur commune. Ces démolitions suscitent toujours un grand émoi au sein de la population, qu’elle ait, ou non, des convictions religieuses. Chacun a en effet dans son paysage familier un édifice religieux, dans lequel il a vécu un certain nombre d’événements de sa vie personnelle ou de la vie collective.
Par cet amendement, nous appelons la représentation nationale à réfléchir à cette question, qui suscite un émoi légitime au sein de la population. Les églises font partie de notre patrimoine. C’est un patrimoine religieux, certes, mais pas seulement, car elles font partie intégrante de notre paysage mental et affectif – en un mot de notre univers, un univers auquel chacun de nous, à des titres divers, peut être attaché.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Patrick Bloche, rapporteur. Le problème des lieux de cultes érigés avant 1905, dont l’entretien incombe aux communes, est réel. C’est avant tout un problème budgétaire, dont beaucoup de communes ont du mal à assumer le poids.
Permettez-moi de rappeler à notre assemblée, s’il en était besoin, que depuis la loi de séparation des Églises et de l’État, le patrimoine religieux n’est protégé en France qu’en tant qu’il présente un intérêt patrimonial, et non pas en tant que tel.
Cette précision étant faite, je tiens à vous dire, madame Genevard que les outils existent déjà : le classement, l’inscription et l’instance de classement, qui sera demain une instance de protection. Il appartient dès lors à l’État, aux élus locaux et aux associations de citoyens de se mobiliser et d’utiliser ces dispositifs à bon escient. Quant au mécénat et au financement participatif, ces dispositifs sont accessibles aux associations cultuelles, qui bénéficient déjà de nombreux avantages fiscaux.
Votre préoccupation est tout à fait légitime, et nous la partageons. Mais, puisque les outils et les alternatives au financement local existent déjà, le rapport que vous demandez n’a plus vraiment d’objet. C’est un autre problème qui se pose : comment, avec les outils aujourd’hui à notre disposition, parvenir à entretenir le patrimoine religieux ?
La commission vous invite donc à retirer cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Fleur Pellerin, ministre. Même avis.
M. le président. La parole est à Mme Annie Genevard.
Mme Annie Genevard. Je vous remercie, monsieur le rapporteur, de considérer que la question est légitime : c’est un premier point.
Les outils existent, mais force est de constater qu’ils sont aujourd’hui inopérants. C’est la raison pour laquelle j’appelle votre attention sur ce problème qui n’a pas encore trouvé de solution. Les outils existent pour les édifices qui ont un caractère architectural particulier et dont on peut considérer que la vocation est en soi patrimoniale. Je vous renvoie là à la question délicate des racines chrétiennes de l’Europe, formule dont je vous rappelle qu’elle a été très près d’être retenue au niveau européen.
M. Thierry Benoit. Il s’en est fallu de peu !
M. Emeric Bréhier. Il y a eu un gros débat…
M. Marcel Rogemont. Il a été tranché.
Mme Annie Genevard. Mais, je le répète, il s’en est fallu de peu. C’est paradoxalement Jacques Chirac qui a conduit à l’abandon de cette approche. Je ne veux toutefois pas m’engager sur le terrain religieux, car cela nous entraînerait dans des débats qui ne concernent pas directement le texte, même si je pense que l’attachement aux racines chrétiennes de l’Europe et de notre pays peut être rappelé dans cette enceinte.
Monsieur le rapporteur, madame la ministre, il serait intéressant que, d’une façon ou d’une autre, nous nous saisissions de cette question à laquelle les outils aujourd’hui existants ne suffisent manifestement pas à répondre.
M. Thierry Benoit. Manifestement, c’est le mot !
M. le président. Madame Genevard, maintenez-vous l’amendement ?
Mme Annie Genevard. Je le maintiens, monsieur le président.
M. le président. La parole est à Mme Marie-George Buffet.
Mme Marie-George Buffet. J’ai été sensible aux premiers propos de Mme Genevard, mais la suite m’a interpellée. Ce qui est évoqué, c’est bien le patrimoine qu’ont laissé les religions dans l’histoire de nos civilisations. Qu’on aille visiter en Espagne l’Alhambra ou Cordoue, ou qu’on se rende dans d’autres pays, ce sont bien les religions dans leurs diversités qui ont laissé un patrimoine.
Or, s’agissant du besoin de rénovation de ce patrimoine, quelle que soit la religion qui en est à l’origine, la question des moyens se pose. Je peux en témoigner par le combat qu’a mené avec sa population la municipalité de Stains, en Seine-Saint-Denis, pour trouver les moyens de réhabiliter une église classée, dont l’intérêt patrimonial justifiait cet effort de réhabilitation. Nous aurons l’occasion, dans les semaines à venir, de débattre des budgets consacrés à l’effort de réhabilitation.
M. le président. La parole est à M. Marcel Rogemont.
M. Marcel Rogemont. Je ne peux pas laisser passer les propos de Mme Genevard sur les origines chrétiennes de l’Europe ou de la France.
Je comprends, madame, que vous puissiez les tenir – tant qu’ils ne s’imposent pas à moi. Car pour ma part, je pense que les origines de la société française et européenne actuelle se trouvent dans l’émancipation, notamment par rapport aux religions. Toutes les conquêtes que nous avons réalisées, qu’il s’agisse de la liberté de penser et d’écrire ou encore des avancées scientifiques, l’ont été en permanence contre l’ordre établi, auquel les religions participaient. Telle est la perspective dans laquelle je me situe.
C’est pourquoi votre amendement n’est intéressant que dans la mesure où il concerne la valeur patrimoniale et non pas religieuse de ces édifices. Ce n’est pas parce qu’un édifice est religieux qu’il est intéressant.
(L’amendement no 18 n’est pas adopté.)
M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
M. le président. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
Suite de la discussion du projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine.
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures cinq.)
La Directrice du service du compte rendu de la séance
de l’Assemblée nationale
Catherine Joly