SOMMAIRE
1. Hommage aux victimes du terrorisme en Tunisie et en Égypte
Exécution de la loi de programmation militaire
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur
Application de la loi du 11 octobre 2010
Mme Pascale Boistard, secrétaire d’État chargée des droits des femmes
Lutte contre le terrorisme en Europe
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur
Lutte contre le terrorisme et la radicalisation
M. Manuel Valls, Premier ministre
Mobilisation internationale contre Daech
M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international
Isolement des détenus radicalisés
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice
Relogement des habitants de l’immeuble de la rue du Corbillon à Saint-Denis
Mme Sylvia Pinel, ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense
M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur
Lutte contre les violences faites aux femmes
Mme Pascale Boistard, secrétaire d’État chargée des droits des femmes
Accès à l’information des personnes sourdes
Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication
Impact des attentats terroristes sur l’économie et le tourisme
M. Harlem Désir, secrétaire d’État chargé des affaires européennes
Suspension et reprise de la séance
Présidence de Mme Laurence Dumont
M. Manuel Valls, Premier ministre
Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères
Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense
M. Manuel Valls, Premier ministre
Vote en application de l’article 35, alinéa 3, de la Constitution
Suspension et reprise de la séance
4. Société a bas carbone Prise en compte de l’outre-mer dans les négociations de la COP21
Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes
Mme Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie
Vote sur la proposition de résolution pour accéder, au-delà de la COP21 à une société à bas carbone
M. le président. Monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, la séance est ouverte.
(Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent).
(La séance est ouverte à quinze heures.)
M. le président. Après les odieux attentats perpétrés au musée du Bardo le 18 mars et dans les environs de Sousse le 26 juin 2015, la Tunisie a été une nouvelle fois, hier, frappée par une attaque terroriste, en plein cœur de Tunis.
Dirigée contre un autobus de la garde présidentielle, unité très estimée par les tunisiens, cet attentat a fait au moins treize morts et vingt blessés. J’adresse aux familles des victimes et à la Tunisie les condoléances de notre assemblée.
En votre nom à tous, je veux aujourd’hui, avec force et émotion, exprimer la solidarité de la représentation nationale à l’égard du peuple tunisien et affirmer notre indéfectible soutien au processus démocratique dans lequel il est engagé, qui a été mis à l’honneur, au mois d’octobre dernier, par l’attribution du prix Nobel de la paix.
Nous exprimons également notre solidarité à l’égard du peuple égyptien qui a été aussi frappé hier par un attentat qui a fait au moins sept morts.
Je vous prie de bien vouloir respecter une minute de silence.
(Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement observent une minute de silence).
M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement. Mes chers collègues, au regard de l’actualité et de sa gravité, je vous remercie de bien vouloir respecter les orateurs lorsqu’ils s’expriment et les membres du Gouvernement lorsqu’ils répondent.
M. le président. La parole est à M. Yves Fromion, pour le groupe Les Républicains.
M. Yves Fromion. Monsieur le président, le groupe Les Républicains dans sa totalité s’associe, tout particulièrement et avec beaucoup d’émotion, à l’hommage que vous venez de rendre à nos amis tunisiens.
Monsieur le ministre de la défense, dans son discours prononcé devant le Congrès réuni à Versailles le 16 novembre, le Président de la République a annoncé, au détour d’une phrase, que la déflation d’effectifs prévue dans la deuxième mouture de votre loi de programmation militaire, la LPM, tout juste votée en juin dernier, ne serait pas mise en œuvre.
Cette LPM devient donc caduque. L’opposition, tout en soulignant cette singulière façon de traiter le travail parlementaire, ne versera pas une larme sur cette défunte loi à laquelle elle s’est opposée, comme elle s’était d’ailleurs opposée, en décembre 2013, à sa mouture initiale.
Convenons tout de même que pour vous, qui vous faisiez fort d’exécuter la programmation militaire avec une rigueur jamais égalée par vos prédécesseurs, le coup est rude.
Il l’est d’autant plus, qu’en renonçant à la quasi-totalité de son projet de déflation des effectifs de la défense, François Hollande revient – mes chers collègues, j’appelle votre attention sur ce point – au format de notre armée décidé en 2009 par Nicolas Sarkozy.
Le Président de la République pouvait-il rendre un hommage plus éclatant à son prédécesseur, à la justesse de son jugement et à sa lucidité sur les exigences de sécurité ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants - Protestations sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
Plusieurs députés du groupe Les Républicains. Excellent !
M. Jean-Luc Laurent. Vous êtes gonflé !
M. Yves Fromion. Monsieur le ministre, une nouvelle LPM s’avère indispensable. Nous en aurons donc eu trois pour le prix d’une : espérons qu’il ne s’agit pas de solder notre défense. En disant cela, je fais référence à l’information qui circule dans les états-majors selon laquelle les reports de charges, c’est-à-dire les impayés, s’élèveraient à 4 milliards d’euros en fin de LPM : il s’agit d’un dérapage inédit.
Monsieur le ministre, je vous demande donc de faire le point sur le devenir de la programmation militaire qui est remise en cause, pour la deuxième fois, par le Président de la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de la défense.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. Monsieur le député, je vous remercie de votre question. Vous rappelez avec justesse que le Parlement vient tout juste de terminer l’examen et d’adopter l’actualisation de la loi de programmation militaire. Ce vote a été acquis à une large majorité, qui dépasse les contours de la majorité actuelle : je voulais vous le rappeler au cas où cela vous aurait échappé.
M. Jean-Luc Laurent. Eh oui !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. On peut le comprendre, puisque, pour la première fois, cette actualisation permet un abondement financier très significatif des crédits affectés au budget de la défense. Une telle augmentation ne s’était pas produite depuis de très nombreuses années.
Pour la première fois également, en cours d’exécution de la loi de programmation, nous voyons les effectifs augmenter singulièrement puisque cette actualisation prévoit 11 000 postes supplémentaires, affectés notamment à la force opérationnelle terrestre, à la cybersécurité et au renseignement.
M. Yves Fromion. Merci Sarkozy !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Mais depuis, le Président de la République a annoncé le renoncement à toute déflation au-delà de 2016, puisque le budget de 2016 prévoit déjà une augmentation significative des effectifs de la défense, qui se traduira par 10 000 postes supplémentaires en 2017, 2018 et 2019.
Par ailleurs, une réflexion a été engagée à la fois sur la réserve et sur la garde nationale. Tout ceci peut faire l’objet d’amendements, d’observations et d’inflexions dans le cadre de la loi de programmation militaire.
Mais il faut aller au-delà : sous l’autorité du Président de la République, le Premier ministre va être amené, dans les semaines qui viennent, à proposer une réflexion globale sur l’ensemble des questions de sécurité, tant intérieure qu’extérieure. Elle traitera notamment du terrorisme, de nos relations avec nos partenaires ainsi que des questions européennes.
M. Yves Fromion. Vous ne répondez pas à la question !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Votre question va donc au-delà de votre simple interrogation. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Doucet, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
M. Philippe Doucet. Avant toute chose, j’aimerais adresser au peuple tunisien, frappé hier par la barbarie terroriste, un salut amical et fraternel des députés de notre assemblée. (Applaudissements.) La Tunisie, pays en plein essor démocratique, a plus que jamais besoin de notre soutien et de notre attention.
Monsieur le Premier ministre, à la suite des attentats du 13 novembre, l’ensemble de l’appareil d’État et de nos forces de sécurité est concentré sur le démantèlement des réseaux qui ont frappé notre peuple.
Des perquisitions ont été réalisées. L’enquête conduite par la justice et nos forces de sécurité progresse, grâce, notamment, aux dispositions adoptées dans le cadre de l’état d’urgence.
Les explications apportées hier par le procureur Molins mettent en évidence les ramifications et les complicités des terroristes pour réaliser leurs terribles forfaits. La traque de ces assassins et de leurs réseaux va se poursuivre sans relâche.
Chers collègues, votée massivement par notre assemblée, la loi prorogeant l’état d’urgence est entrée en vigueur samedi. L’état d’urgence permet à la République de riposter très rapidement à la menace et de s’organiser face à ceux qui veulent nous déstabiliser.
L’État de droit n’est pas un état de faiblesse, et l’état d’urgence n’est pas un état de non droit. C’est tout l’inverse. Dans cette guerre obscure qui est menée contre la liberté, nous ne pouvons pas faillir.
Monsieur le Premier ministre, notre majorité est fière de la mobilisation exceptionnelle qui a lieu pour démanteler les filières terroristes. Elle est à la hauteur des enjeux et des difficultés placées sur le chemin de la France.
La responsabilité de la majorité est de faire en sorte que le Parlement exerce un contrôle démocratique légitime de l’état d’urgence. Ma question est simple : pouvez-vous nous rappeler la feuille de route du Gouvernement pour les prochaines semaines ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Monsieur le député, la feuille de route du Gouvernement pour les prochaines semaines est très claire, c’est de lutter sans trêve ni pause contre le terrorisme, à l’extérieur – le Premier ministre, le Président de la République, Laurent Fabius et Jean-Yves Le Drian ont eu l’occasion à plusieurs reprises de préciser les modalités de ce combat – et à l’intérieur.
À l’intérieur, que faisons-nous ?
D’abord, nous mettons en œuvre, dans des conditions de célérité exceptionnelles, l’état d’urgence. Cela s’est traduit par près de 1 400 perquisitions. Ces perquisitions ont permis de procéder à des gardes à vue de personnes que nous avions intérêt à faire suivre attentivement par nos services. Ce sont près de 140 personnes qui ont été mises en garde à vue, près de 250 armes ont été saisies, la moitié d’entre elles étant des armes longues et des armes de guerre. Encore hier, des perquisitions importantes ont eu lieu. Elles se poursuivront sans trêve ni pause pour que nous récupérions les arsenaux, les armes, les éléments dont nous avons besoin pour lutter résolument contre le terrorisme.
Par ailleurs, comme vous le savez, nous avons mis en place un dispositif de contrôle aux frontières qui mobilise près de 15 000 policiers et gendarmes sur la plupart des lieux de passage et sur les axes routiers en profondeur. Ces contrôles aux frontières ont permis d’empêcher près de 840 personnes, qui représentaient un danger ou étaient en situation d’irrégularité, d’entrer sur le territoire. Comme je l’ai dit au Conseil européen, nous poursuivrons ce contrôle aux frontières aussi longtemps que la menace terroriste existera.
Enfin, nous agissons fortement au plan européen pour qu’il y ait un PNR – passenger name record – européen permettant d’établir la traçabilité des terroristes au moment de leur retour. Nous luttons au plan européen contre le trafic d’armes et pour une modification du code frontières Schengen, permettant un véritable contrôle aux frontières extérieures de l’Union et une interrogation systématique du système d’information Schengen. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur quelques bancs du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme Sonia Lagarde, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Mme Sonia Lagarde. Le groupe UDI s’associe bien évidemment à la douleur des familles tunisiennes et égyptiennes.
Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.
Face aux attaques terroristes qui ont frappé notre pays, je voudrais affirmer ici la solidarité des outre-mer envers les Français de l’Hexagone, frappés par des actes barbares dignes d’un autre âge. Si Paris était la cible, c’est toute la République qui est endeuillée.
Aujourd’hui, journée internationale pour l’élimination des violences faites aux femmes, notre mobilisation doit être totale pour combattre les violences physiques dont elles sont victimes, mais que dire des violences psychologiques, des violences symboliques, celles qui relèvent de l’intégrisme ? Que dire en effet, de ces femmes, qui, sur notre territoire, sont l’une des cibles de l’obscurantisme religieux et qui, souvent, dans le plus grand silence, subissent violences et asservissement ? Que dire encore de cette burqa qui les emprisonne ?
Ce mépris à l’égard des femmes, dont on parle peu, est une autre facette de ce fanatisme aveugle contre lequel il nous faut agir, parce que la République, c’est l’égalité entre tous les citoyens.
Alors disons-le ensemble, mes chers collègues, nous ne pouvons tolérer qu’en France, on asservisse des femmes, qu’on les prive de leurs droits les plus élémentaires, qu’on les relègue à un statut d’infériorité.
Ma question est double, monsieur le Premier ministre. Comment comptez-vous lutter contre cette idéologie fondamentaliste dont sont victimes des femmes et qui remet en cause les valeurs sacrées de la République sur notre propre sol ? Comment comptez-vous faire appliquer strictement la loi de 2010 sur le port du voile intégral ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants, sur de nombreux bancs du groupe Les Républicains et sur quelques bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée des droits des femmes.
Mme Pascale Boistard, secrétaire d’État chargée des droits des femmes. Comme vous le savez, madame la députée, la loi du 11 octobre 2010 vise à interdire la dissimulation du visage dans l’espace public. Elle précise que toute personne ayant le visage dissimulé dans l’espace public peut être punie d’une amende de deuxième classe.
Depuis l’entrée en vigueur de cette loi en avril 2011 jusqu’au 1er septembre 2015, ce sont 1 623 contrôles qui ont été opérés par la police et la gendarmerie nationale. Ces contrôles concernaient 908 femmes intégralement voilées, certaines ayant été contrôlées à plusieurs reprises.
La loi précise par ailleurs que ceux qui imposeraient à une femme de dissimuler son visage par menace, violence, contrainte, abus d’autorité et abus de pouvoir peuvent être punis d’un an d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. Comme le précise la circulaire du 2 mars 2011 relative à la mise en œuvre de cette même loi, la répression de ces agissements participe de la volonté des pouvoirs publics de lutter vigoureusement contre les violences envers les femmes, qui constituent autant d’atteintes inacceptables au principe d’égalité entre les sexes.
Mesdames, messieurs les députés, la République, la laïcité sont des principes d’émancipation. Nous serons toujours aux côtés de celles et ceux qui luttent contre de fausses coutumes, contre des pratiques rétrogrades qui emprisonnent. Il était important de rappeler ces principes en cette journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. François de Rugy, pour le groupe écologiste.
M. François de Rugy. Monsieur le président, le groupe écologiste s’associe pleinement au message de solidarité et de soutien que vous avez adressé au peuple tunisien et au peuple égyptien.
Ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur et porte sur les mesures européennes de lutte contre le terrorisme.
Les attentats qui ont frappé la France comme jamais nous obligent à réexaminer tous les outils de notre défense et de notre sécurité à l’aune de cette menace nouvelle et malheureusement durable. Certains à droite et à l’extrême-droite considèrent qu’il faut en revenir aux frontières nationales. Pour notre part, nous pensons que la libre circulation des Européens au sein de l’Union européenne a été un progrès qu’il faut défendre. Mais il faut en tirer toutes les conséquences en termes de sécurité.
Pendant trop longtemps, les États et le Parlement européen ont bloqué un certain nombre de mesures concrètes indispensables pour concilier libre circulation et sécurité des citoyens européens. Le directeur de Frontex, l’agence européenne de surveillance des frontières extérieures de l’Union européenne, a clairement indiqué que les États n’avaient pas voulu céder leur souveraineté en la matière, alors que certains pays, comme la Grèce, sont totalement dépassés par l’ampleur nouvelle des arrivées de réfugiés et de migrants.
Le Parlement européen a toujours refusé le fichier PNR – Passenger Name Record – au moyen d’étranges coalitions, allant de la gauche radicale et libertaire jusqu’à l’extrême-droite en passant par les libéraux. Ce fichier PNR, les compagnies aériennes en disposent et l’exploitent à des fins commerciales sans que cela ne dérange personne. Il est incompréhensible et injustifiable que les États n’y aient pas accès pour des raisons de sécurité et de lutte contre le terrorisme.
Monsieur le ministre, pensez-vous que ces blocages vont enfin pouvoir être levés et dans quels délais ? (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Monsieur le député, nous avons, à l’occasion du Conseil « Justice et affaires intérieures » de vendredi dernier, défendu au sein des instances de l’Union européenne un agenda extrêmement clair en trois points.
Il faut d’abord réviser la directive 91/477 afin de disposer d’une directive européenne permettant de lutter efficacement contre le trafic d’armes. Nous réclamons cette directive depuis dix-huit mois. Un certain nombre d’experts du marché intérieur ont considéré que l’on pouvait traiter les armes comme n’importe quel autre bien sur le marché intérieur. C’est une erreur extrêmement grave. Nous avons demandé qu’il soit mis fin à cette approche et avons obtenu de la Commission et du Conseil européen qu’une directive soit soumise à l’approbation des instances de l’Union européenne avant la fin de l’année. Il était temps !
Par ailleurs, s’agissant du PNR européen, vous savez que je suis allé devant la commission LIBE du Parlement européen pour qu’il y ait, au plan européen, un dispositif d’enregistrement des passagers permettant d’établir une traçabilité du retour des terroristes. Nous avons obtenu du Parlement européen qu’il adopte le PNR, avant qu’il soit examiné par le trilogue, mais il est édulcoré par rapport à celui dont nous avons besoin. Il faut que les vols intra-européens soient pris en compte, ce qui n’est pas le cas ; que la durée de masquage des données soit réduite pour que l’on puisse avoir véritablement un outil qui fonctionne ; et que les crimes pris en compte ne soient pas seulement les crimes transnationaux, mais également nationaux.
Enfin, il faut une véritable réforme du Code frontières Schengen, parce qu’il faut des contrôles aux frontières extérieures de l’Union européenne afin de pouvoir interroger le Système d’information Schengen.
M. Pierre Lellouche. Très bien !
M. Guy Geoffroy. Il serait temps !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Sans cela, le contrôle aux frontières ne sera pas efficace. La France maintiendra le contrôle aux frontières aussi longtemps que la menace terroriste demeurera. Je l’ai dit avec la plus grande fermeté à mes homologues de l’Union européenne. (Applaudissements sur tous les bancs.)
M. le président. La parole est à M. Jérôme Chartier, pour le groupe Les Républicains.
M. Jérôme Chartier. Monsieur le Premier ministre, hier, la ville de Domont a enterré Nicolas Catinat. Il avait trente-sept ans. J’étais présent, avec le préfet. Cette petite ville d’Île-de-France, qui compte 15 000 habitants, paie un lourd tribut suite aux attentats : un mort et deux blessés, dont l’un est toujours en réanimation. En sortant de l’église, deux sentiments m’ont saisi : la tristesse, en réalisant que cette vie avait été brisée, que ce destin s’était arrêté, et la rage, monsieur le Premier ministre, contre celles et ceux que j’entends chercher des excuses aux terroristes.
Les terroristes sont des minables, des assassins, des sanguinaires,…
M. Jean-Paul Bacquet. Des lâches !
M. Jérôme Chartier. …qui n’ont qu’un seul objectif, celui de tuer, sans la moindre idéologie. (Applaudissements sur tous les bancs.) Aucune idéologie, seulement des assassins !
Monsieur le Premier ministre, j’ai trois questions très simples. Pouvez-vous nous dire si tout a été fait depuis le mois de janvier dernier pour prévenir la menace terroriste ? Par ailleurs, vous l’avez dit hier, 10 500 personnes sont suivies par vos services pour radicalisation. Pouvez-vous nous dire combien de ces personnes travaillent aujourd’hui dans des entreprises de service public ? Enfin, la semaine dernière, Valérie Pécresse a proposé que l’on puisse accorder à ces entreprises de service public la possibilité de licencier les personnes radicalisées. Êtes-vous d’accord avec cette proposition ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur Chartier, vous avez raison de rappeler que cette semaine, mais également dans les jours à venir, le pays tout entier – et d’abord, bien sûr, les familles et les proches des victimes, des tués comme des blessés – vivra en communion républicaine, une communion républicaine mais chacun, dans son intimité, avec ses croyances, cette douleur.
Vendredi prochain, dans quarante-huit heures, c’est la nation tout entière qui rendra hommage à l’ensemble des victimes. Chacun d’entre nous, par le biais d’une connaissance directe ou indirecte, aura aussi l’occasion d’accompagner à des obsèques des amis, des proches de ces victimes. Vendredi, le Président de la République le souhaite, la nation, en accrochant, en brandissant aux fenêtres, d’une manière ou d’une autre, le drapeau tricolore devra se retrouver unie.
Toutes les questions posées par la représentation nationale, par la presse, par les proches des victimes et par les Français sont légitimes. Nous avons connu une telle attaque, une telle violence de la part d’une organisation terroriste – d’une armée terroriste, puisque nous sommes en guerre, comme nous le rappellerons tout à l’heure à l’occasion du débat sur la Syrie – qui veut tuer, qui tue des hommes et des femmes, des jeunes, parce que nous sommes la France, à cause de notre art de vivre, de notre mode de vie, de notre culture.
Cette organisation puise ses fondements dans le salafisme, soit dans la négation de toute culture. Cela va donc au-delà même de la destruction d’hommes et de femmes, c’est une civilisation qu’elle attaque en France, qu’elle attaque en Tunisie, qu’elle attaque aussi dans ces lieux de culture centenaires, millénaires, en Irak ou en Syrie.
M. Nicolas Dhuicq. Et la Russie ?
M. Manuel Valls, Premier ministre. C’est une mobilisation. Monsieur le député, entre toutes ces victimes, que ce soit en Tunisie, en France, hier en Belgique ou cet avion russe qui a été abattu,…
M. Nicolas Dhuicq. Ah !
M. Manuel Valls, Premier ministre. …il ne peut y avoir aucune concurrence. Ce sont toutes ces civilisations qui sont concernées. La réponse doit être à la hauteur.
Vous avez souligné quelque chose qui me paraît très juste : aucune excuse ne doit être recherchée ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe Les Républicains, du groupe de l’Union des démocrates et indépendants, du groupe écologiste et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)
M. Jérôme Chartier. Très bien !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Aucune excuse sociale, sociologique ni culturelle ! Dans notre pays, rien ne justifie que l’on prenne les armes pour s’en prendre à ses propres compatriotes.
M. Pierre Lellouche. Très bien !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Bien entendu, nous savons que nous devons non seulement être impitoyables dans la lutte contre le terrorisme, mais aussi intransigeants quant à l’application des lois et des règles de la République. (Mêmes mouvements.) En cette journée, et alors que cette organisation terroriste s’attaque aussi à un fondement de ce que nous sommes – l’égalité, notamment entre les hommes et les femmes –, je veux dire combien il faut respecter les lois relatives à l’égalité entre les hommes et les femmes ainsi que la loi, qui a été votée par le Parlement, que j’ai votée, qui interdit la burqa dans l’espace public. (Applaudissements sur tous les bancs.)
Monsieur le député, vous avez posé trois questions. Vous avez d’abord demandé si tout avait été fait… C’est en conscience une question évidemment difficile, car je considère, et nous considérons, que tout a été fait par mon gouvernement et que tout continuera à être fait face à la menace. Je ne veux pas rappeler ici ce que j’avais eu l’occasion d’annoncer le 13 janvier en termes de moyens pour les services de police et de gendarmerie, pour nos militaires, pour la justice et pour les services de renseignement.
Je ne veux pas rappeler la loi sur le renseignement, votée à une très large majorité et critiquée à l’extérieur de cet hémicycle comme une loi liberticide. Aujourd’hui, ce sont les mêmes commentateurs qui nous expliquent que nous n’avons pas assez fait contre le terrorisme ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe Les Républicains, du groupe de l’Union des démocrates et indépendants, du groupe écologiste et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)
Mme Valérie Fourneyron. Tout à fait !
M. Manuel Valls, Premier ministre. La loi sur le renseignement s’applique depuis le mois d’octobre et une proposition de loi a été votée par le Parlement pour donner plus de moyens aux services de renseignement, pour suivre un certain nombre d’individus à l’extérieur de nos frontières.
Mais, en conscience, nous devons faire plus et encore davantage. C’est ce que nous disent non seulement les parlementaires, mais c’est aussi ce que les Français réclament, parce qu’ils ont peur et qu’ils ont compris, après que beaucoup d’entre nous les avons mis en garde, qu’il n’y a pas de risque zéro et que nous pouvons encore être concernés par les attentats. Alors oui, monsieur le député, nous devons continuer à tout faire et sur tous les fronts.
Pour ce qui concerne les fiches S et ces 10 500 personnes fichées par nos services de renseignement, nous savons que cet outil recense des situations très différentes. Nous devons, dans le cadre du dialogue républicain qui s’est engagé, travailler avec le ministre de l’intérieur, avec les responsables des différents groupes. Je recevrai d’ailleurs la semaine prochaine, comme nous le ferons régulièrement, les présidents des assemblées, les présidents des commissions concernées et l’ensemble des présidents des groupes.
S’agissant du problème que représentent ces individus dans les services publics, au-delà même de la question de la laïcité, il faut aller plus loin.
M. Claude Goasguen. Même dans les entreprises privées !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Je pense que, sur toutes ces questions, nous devons aller plus loin et faire en sorte que ceux qui représentent aujourd’hui un danger pour la République soient poursuivis pour que nous protégions les Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe écologiste et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Germain, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
M. Jean-Marc Germain. Monsieur le président, mes chers collègues, ma question s’adresse à M. le ministre des affaires étrangères.
Hier, le terrorisme a encore frappé, à Tunis et dans le Sinaï, ajoutant dix-neuf victimes à la longue liste de ceux frappés par la sauvagerie de ces barbares. Je tiens, au nom de mon groupe, à adresser aux peuples tunisien et égyptien un message de soutien et de solidarité dans l’épreuve douloureuse qu’ils viennent à nouveau de subir. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
À Versailles, le 16 novembre, le Président de la République avait promis des mesures exceptionnelles de protection des Français. Nous les avons adoptées, dans l’unité nationale, par la loi prolongeant l’état d’urgence. Il avait promis d’intensifier les frappes contre Daech, ce qui fut fait immédiatement, renforcées par l’arrivée sur zone du Charles de Gaulle.
Le Président de la République a engagé dans le même temps une série d’initiatives diplomatiques en vue de rassembler une large coalition internationale contre Daech : le 17 novembre, invocation à Bruxelles de l’article 42-7 du traité de l’Union européenne, qui oblige tous les États de l’Union à la solidarité avec un État membre agressé ; le 20 novembre, réunion des ministres de la justice et des affaires intérieures pour renforcer la coordination du renseignement européen et faire aboutir le PNR ; le 20 novembre toujours, adoption par le Conseil de sécurité de l’ONU d’une résolution demandant à tous les États de prendre toutes les mesures nécessaires contre Daech en Syrie. Vous-même, monsieur le ministre, étiez à Vienne, le 14 novembre, pour tenter de construire une issue politique au conflit syrien avec les puissances et avec les acteurs régionaux. Cette semaine, le Président de la République accomplit un marathon diplomatique, entamé lundi avec David Cameron et mardi avec Barack Obama, et qui se poursuivra ce soir avec Angela Merkel, à Moscou demain avec Vladimir Poutine et dimanche avec le Président chinois.
Dès lors, monsieur le ministre, à l’heure où le monde attend beaucoup des initiatives portées par la France et qui font son honneur, quel premier bilan pouvez-vous en tirer devant la représentation nationale ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères et du développement international.
M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international. Monsieur le député, comme vous l’avez rappelé, le Président de la République, s’exprimant après les attentats devant le Congrès réuni à Versailles, a déterminé les lignes de notre action, notamment de notre action diplomatique, et c’est celle-ci que depuis lors je mène à ses côtés.
Tout d’abord, il y a eu l’adoption, vendredi dernier, de la résolution 2249, à l’initiative de la France. Nous l’avions préparée au Quai d’Orsay, et elle a été soutenue à l’unanimité. Elle détermine évidemment une ligne et des moyens supplémentaires comme on n’en avait jamais eu dans la lutte contre Daech.
De plus, le ministre de la défense a invoqué devant ses collègues européens l’article 42-7 du traité de l’Union européenne. Des annonces très significatives auront lieu dans les prochains jours et elles montrent que notre appel à la solidarité est entendu.
Et puis dans un cadre plus vaste, toute une série de contacts ont lieu. Lundi dernier, vous le rappeliez, c’était avec le Premier ministre David Cameron, lequel va demander à son Parlement de soutenir une intervention en Syrie. Nous souhaitons que le Parlement britannique l’entende. Ce soir, le Président de la République rencontrera Mme Merkel, demain, M. Renzi et, ensuite, le Président de la République et moi-même nous rendrons à Moscou. Il y aura aussi d’autres contacts.
Il s’agit toujours des mêmes principes : obtenir un front extrêmement large contre Daech, à la fois sur le plan militaire et sur le plan diplomatique en disant qu’il faut une transition politique dans des conditions qui permettent à la Syrie d’être unie. Il n’est ni acceptable ni envisageable que le front uni de toutes ces nations ne soit pas capable de venir à bout de Daech à condition d’être déterminé. S’agissant de la France, à l’intérieur comme à l’extérieur, elle est très déterminée ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. David Douillet, pour le groupe Les Républicains.
M. David Douillet. J’associe à ma question, qui s’adresse à M. le Premier ministre, M. Thierry Solère avec qui je suis allé, comme la plupart de mes collègues, visiter une prison. C’était la semaine dernière. Nous avons constaté malheureusement que tout circule dans les prisons, avec bien sûr des complicités extérieures : des couteaux, de la drogue, des téléphones portables. Ces mêmes téléphones portables qu’on peut retrouver jusque dans les quartiers d’isolement, là où sont incarcérés les radicalisés ou les terroristes – un pléonasme.
Ma première question est toute simple : pourquoi ne place-t-on pas des brouilleurs dans les cellules d’isolement pour qu’au moins ces détenus ne puissent pas communiquer ? Imaginez ce qu’un téléphone portable peut faire comme dégâts entre les mains de quelqu’un de radicalisé.
Deuxièmement, nous avons constaté que les directeurs de prison n’ont pas accès aux fiches S quand ils reçoivent un détenu. Si le détenu a été condamné pour des délits de droit commun classiques, le directeur ne peut donc pas savoir s’il est radicalisé ou pas. Il faut en général un mois pour que l’administration pénitentiaire découvre que le personnage est radicalisé… Vous imaginez le prosélytisme qu’il a le temps de faire au sein de la prison au contact des autres détenus avant d’être mis à l’isolement.
Monsieur le Premier ministre, il est temps d’agir vite, de se mettre rapidement en action. Les Français l’attendent pour plus d’efficacité. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur quelques bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le député, je me réjouis que vous vous soyez rendu dans un établissement pénitentiaire et j’invite une fois de plus, comme je le fais depuis deux ans, tous les parlementaires à s’y rendre. (Murmures sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)
Mme Valérie Pécresse. Mais on y est allé !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Vous savez bien entendu que la radicalisation violente n’est malheureusement pas confinée dans nos prisons, et cela montre bien la complexité de la situation à laquelle nous sommes confrontés. Néanmoins, nous prenons très au sérieux la radicalisation survenue dans nos prisons en appliquant un régime d’isolement infligé aux détenus les plus radicalisés. Cet isolement est complété par des contrôles fréquents et des transfèrements d’un établissement à un autre aussi souvent que nécessaire.
S’agissant du régime de surveillance des détenus radicalisés ou en cours de radicalisation, nous avons conforté très substantiellement le renseignement pénitentiaire : il était composé de 70 agents, il en compte aujourd’hui 159 et à l’année prochaine 185. Une quarantaine d’officiers de renseignement ont été déployés dans les établissements pénitentiaires.
Concernant les brouilleurs, nous en avons 628 en service dans quatre-vingt-quinze établissements. Mais ces brouilleurs créent des contraintes très lourdes liées à l’architecture de l’établissement – qui peut perturber l’émission des signaux – et à la technologie, qui évolue très vite. Ils soulèvent aussi une problématique de santé sur les personnels, sur les détenus et sur le voisinage selon leur puissance d’émission. Néanmoins, nous avons conduit cette année une expérimentation sur des brouilleurs de dernière génération, de très haute technologie, et ils seront déployés dès janvier 2016. Nous disposons aussi de détecteurs de téléphones portables : il y en a 289 et il y en aura 346 d’ici à la fin de l’année, ce qui couvrira 80 % des établissements pénitentiaires.
Par ailleurs, 140 agents ont été recrutés spécifiquement pour effectuer des fouilles sectorielles, celles-ci étant plus légères et pouvant ainsi être plus fréquentes.
Voilà, monsieur le député, l’essentiel des dispositions techniques mises en place. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
M. Élie Aboud. Qu’en est-il de la communication des fiches S au directeur ?
M. le président. La parole est à M. François Asensi, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
M. François Asensi. Madame la ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité, à la suite de l’intervention salutaire des forces de l’ordre à Saint-Denis, 29 familles sont à la rue. La puissance de feu et l’explosion d’une bombe ont réduit leur immeuble en gravats.
Immédiatement, le maire de Saint-Denis, Didier Paillard, a mis en place une cellule de soutien psychologique et social. La municipalité a organisé seule l’hébergement provisoire des familles concernées, dans cette ville populaire et solidaire, saluée par le Président de la République et la maire de Paris, bien loin des propos infamants et stigmatisants de certains.
Aujourd’hui, il est urgent d’agir pour ces 71 personnes, dont 26 enfants, victimes collatérales du terrorisme, et qui doivent être reconnues en tant que telles. La République a l’obligation d’assister et de reloger ces victimes, un devoir d’humanité qui se fait attendre. L’un des occupants, blessé, a même reçu une obligation de quitter le territoire sur son lit d’hôpital, décision heureusement annulée ce jour.
Faut-il rappeler que Saint-Denis fait des efforts considérables pour loger les Franciliens et résorber l’habitat précaire ? Depuis 2010, elle a construit 4 300 logements et réhabilité 2 800 logements insalubres, alors que la liste de demandeurs de logement s’établit à 7 500.
Vous le voyez, madame la ministre, cette ville n’a jamais failli pour prendre en charge les populations précarisées par la crise, au contraire d’autres communes plus aisées qui s’en sont lavé les mains et n’appliquent toujours pas la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains.
L’État doit prendre ses responsabilités, et assurer le relogement des familles touchées. Que compte faire pour cela le Gouvernement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité.
Mme Sylvia Pinel, ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, monsieur le député, vous avez rappelé le traumatisme des habitants de Saint-Denis à la suite de l’intervention des forces de police, mercredi dernier, dans le cadre de l’enquête antiterroriste. Il est évidemment du devoir de l’État d’accompagner ces habitants, tant en termes de relogement, que sur les plans social et psychologique.
Les services de l’État, en lien avec la ville de Saint-Denis, sont mobilisés depuis mercredi dernier pour trouver des solutions d’hébergement. Cela a immédiatement été le cas puisque, vous l’avez dit, certaines familles ont pu être hébergées dans un gymnase de la ville. Cette semaine, un hébergement plus durable a été proposé aux familles. Certaines personnes ont ainsi commencé à s’y rendre.
Ces familles sont naturellement soucieuses de retrouver un logement pérenne : les services de l’État, en lien avec le centre communal d’action sociale de Saint-Denis font leur possible pour reloger, dans les meilleurs délais, les habitants concernés.
Ce travail de relogement a donc débuté. L’État mobilise l’ensemble des partenaires du logement social. Il mobilisera son propre contingent afin de reloger au plus vite les familles concernées. J’ai également demandé au préfet de région ainsi qu’au préfet du département de me faire remonter en temps réel les difficultés et les points de blocage pouvant retarder le relogement pérenne des personnes concernées. Vous le voyez, monsieur le député, tous les services de l’État sont mobilisés pour trouver un logement digne et adapté aux situations de ces familles. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool, pour le groupe Les Républicains.
M. Jean-Pierre Decool. Monsieur le ministre de l’intérieur, le 16 septembre dernier, dans ce même hémicycle, je vous interpellais sur la situation douloureuse des communes du littoral dunkerquois, face à l’augmentation du nombre de migrants. Quant aux passeurs, ils avaient fait des camps de Téteghem et Grande-Synthe de véritables zones de non-droit.
Je tiens à souligner et saluer la réponse courtoise et constructive que vous aviez donnée. Prenant toute la mesure de la situation, vous avez par ailleurs reçu une délégation d’élus en votre ministère pour échanger et envisager ensemble des solutions aux problèmes évoqués.
Les mesures promises ont été mises en œuvre. Depuis septembre, de nombreux passeurs ont été arrêtés. Mercredi dernier, le camp de Téteghem a été démantelé. Les 248 migrants qui s’y trouvaient ont été emmenés dans des centres d’accueil : ceux relevant du droit d’asile ont rejoint les Landes, l’Allier, et la Haute-Savoie ; les autres ont été accueillis dans le Nord.
L’opération, bien menée, n’a cependant pas bénéficié d’une suite satisfaisante. En effet, une semaine après leur transfert, une trentaine de migrants, seulement, sont restés dans les centres d’accueil.
La grande majorité d’entre eux est revenue sur le littoral dunkerquois où, désespérés, ils cherchent à rejoindre l’Angleterre. C’est leur unique obsession.
Pouvez-vous, monsieur le ministre, prendre des mesures plus fermes afin que les migrants ne puissent pas quitter les centres d’accueil tant qu’une solution durable n’a pas été trouvée pour eux ? Cela permettrait, en outre, de leur assurer un accompagnement sanitaire et social qu’à ce jour ils acceptent mal.
Il nous faut aussi répondre aux inquiétudes de nos concitoyens, qui s’interrogent sur l’attitude de nos voisins britanniques. Les migrants ont l’obsession de rejoindre l’Angleterre ; les autorités anglaises ont annoncé leur volonté d’accueillir des migrants. Or nous n’en voyons pas les effets ! À ce jour, qu’en est-il ? La Grande-Bretagne respectera-t-elle ses engagements ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Monsieur le député, je salue à mon tour la qualité des relations qui se sont nouées entre mon ministère et les élus du Dunkerquois. Je vous confirme mon souhait de me rendre à Dunkerque. J’avais prévu de le faire avant les événements du 13 novembre : je m’y rendrai prochainement.
Quelle est la politique que nous menons, à Dunkerque comme à Calais ? C’est une politique lisible, claire, qui se poursuivra.
Elle passe d’abord par la lutte déterminée contre les filières de l’immigration irrégulière. Alors que quatre filières avaient été démantelées en 2014, 25 l’ont été depuis le début de l’année 2015, représentant près de 700 personnes arrêtées, mises en garde à vue et dont la situation, la plupart du temps, a été judiciarisée.
Nous voulons aussi éloigner ceux qui ne relèvent pas du statut de réfugié en Europe. Pour mener, dans des conditions de sécurité qui doivent être renforcées, une politique d’asile conforme à la réputation de notre pays, il faut pouvoir reconduire à la frontière les déboutés du droit d’asile et ceux qui ne relèvent pas du statut de demandeur d’asile ou de réfugié en Europe. C’est la raison pour laquelle des dispositions sont prises par le Gouvernement en vue de procéder à ces reconduites. De telles mesures sont parfois fort décriées par certains acteurs politiques ou associatifs. Cette politique de fermeté s’impose pourtant. Elle se poursuivra car, sans elle, il ne sera pas possible de stabiliser la demande d’asile.
Enfin, les migrants qui relèvent du droit d’asile – 1 400 personnes environ à Calais et dans le Dunkerquois – ont vu leur accueil en centre d’accueil de demandeurs d’asile – CADA – favorisé. S’agissant de ceux dont la demande d’asile est en cours d’instruction et pour lesquels il n’y a pas de place dans de tels centres, nous avons procédé à une répartition dans des centres d’accueil et de répartition.
Monsieur le député, vous souhaitez que nous poursuivions cette politique. Tel est également le souhait de la maire de Calais, qui est de votre sensibilité. D’autres membres de votre groupe demandent d’arrêter toute répartition sur le territoire national. Je veux simplement indiquer que nous poursuivrons cette politique, parce que c’est la seule possible si nous voulons allier humanité et fermeté. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Déaut, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
M. Jean-Yves Le Déaut. Ma question s’adresse au ministre de la défense.
Monsieur le ministre, depuis plusieurs mois, la France est engagée dans la lutte contre le terrorisme dans le monde.
En janvier 2013, nos troupes sont parties au Mali, pour empêcher des groupes terroristes de s’emparer de Bamako : c’était l’opération Serval. Puis, en août 2014, l’opération Barkhane a empêché les terroristes de s’implanter dans les pays de la bande sahélo-saharienne. Enfin, depuis septembre 2014, via l’opération Chammal, nos forces présentes en Irak et en Syrie luttent contre Daech.
Les attentats qui ont meurtri la France le 13 novembre dernier n’ont fait que renforcer notre conviction : le Président de la République l’a dit, il faut éradiquer Daech, qui nous a déclaré la guerre. Les opérations militaires ont été planifiées depuis la Syrie, où une partie de la population vit sous le joug terrible des terroristes, les autres fuyant leur pays pour préserver leur vie.
Depuis le 13 novembre, nous bombardons les positions de Daech. Les forces aériennes françaises ont détruit plusieurs centres d’entraînement et des camps de commandement à Raqqa, capitale officieuse des terroristes. Appuyés par des forces internationales, nos avions se déploient contre le camp ennemi pour détruire les centres stratégiques et couper les voies d’approvisionnement. Nos forces s’attaquent aussi à leurs sources de financement, notamment aux puits de pétrole.
Vous avez mobilisé le porte-avions Charles-de-Gaulle, qui triple nos capacités d’intervention aériennes. Le Premier ministre a déclaré qu’il fallait augmenter nos capacités technologiques, notamment dans le domaine de la surveillance et de la cybersécurité. Nous ne devons rien céder et continuer nos frappes.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire comment la France, avec ses alliés, développe ces actions militaires contre Daech ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de la défense.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. Oui, monsieur le député, il faut frapper Daech au cœur ; il faut frapper l’armée terroriste là où elle s’organise. C’est ce que fait la France en Syrie et en Irak depuis maintenant plus d’un an, avec une intensification et une accélération des actions un peu avant les attentats et beaucoup depuis.
Vous avez rappelé certains faits, notamment la mobilisation des avions de notre armée de l’air depuis les bases d’al-Dhafra et d’al-Safawi aux Émirats arabes unis et en Jordanie. Depuis dimanche dernier, le porte-avions Charles-de-Gaulle est sur zone, en Méditerranée orientale, avec vingt-six chasseurs de l’aéronavale, Rafale ou Super-Étendard, sans compter les avions de guerre électroniques. En conséquence, les actions se sont intensifiées ; elles ont frappé à la fois des lieux de commandement, des lieux d’hébergement, des nœuds de transport névralgiques, des lieux d’approvisionnement pétrolier ; un nombre significatif de bombes ont été délivrées, qui ont pu donner des résultats.
Ces actions vont continuer, avec beaucoup de détermination. Le porte-avions n’est pas seul : il fait partie du groupe aéronaval ; à ses côtés, il y a, outre des frégates françaises, une frégate britannique et une frégate belge. On ne le dit pas assez, et je tenais à l’indiquer à la représentation nationale ; ces bâtiments sont d’ores et déjà engagés dans le combat.
Au cours de nos échanges hier à Washington, nous avons obtenu aussi un renforcement de la collaboration avec les États-Unis, qui ont sérieusement assoupli leurs règles en matière de transparence de l’information et d’engagement, afin de pouvoir être encore plus offensifs. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Alain Tourret, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
M. Alain Tourret. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’économie.
Monsieur le ministre, depuis la Libération, l’État est l’actionnaire de référence de Renault. Cela est dû à l’histoire, à l’importance stratégique de Renault, à son modèle social, à son rôle dans l’équipement de nos armées.
Du fait de son alliance avec Nissan, principal partenariat entre la France et le Japon, Renault détient 43,4 % de Nissan et Nissan 15 % de Renault. Comme dans toute alliance, les choses se sont compliquées, car la France – l’État – ne veut à aucun prix se comporter, ainsi que vous l’avez dit, en actionnaire naïf et de seconde catégorie. L’État veut être, selon vous, un investisseur de long terme, par définition exigeant.
Or force est de constater que si Renault avait jadis contribué à assurer la puissance de Nissan, un autre équilibre s’est récemment créé, au profit exclusif de Nissan, aidé pour ce faire par M. Carlos Ghosn, pourtant président des deux entités.
Une telle stratégie de rééquilibrage, voulue par le président-directeur général de l’entreprise, se fera sans aucun doute au détriment de l’emploi en France, car M. Ghosn sera tenté de délocaliser des activités installées en France afin d’améliorer ses marges de rentabilité, que certains estiment plombées par la rigidité et l’atonie du marché français.
Bien plus, il se dit dans les milieux économiques que le PDG de Nissan-Renault envisagerait d’installer une holding aux Pays-Bas afin d’utiliser les largesses fiscales de ce pays. Comme on le voit, c’est l’avenir de Renault et de l’industrie automobile qui se joue.
Alors, monsieur le ministre, deux questions. Premièrement, l’État français va-t-il admettre un rééquilibrage voulu par Nissan, alors qu’au mois d’avril dernier le Gouvernement a décidé d’augmenter son actionnariat pour imposer le droit de vote double ? Deuxièmement, l’État français peut-il admettre un transfert d’activités industrielles, autrement dit une délocalisation, et la création d’une holding dans un paradis fiscal, même si celui-ci est européen ? Il y va de l’avenir de la France ! (Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et sur quelques bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique.
M. Pierre Lellouche. Allez, un peu de fermeté, monsieur Macron !
M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. Monsieur le député, je serai très clair et répondrai à vos deux questions.
D’abord, je veux rappeler que l’État français est un actionnaire de long terme dans le capital de Renault. C’est depuis 1945 que nous sommes au capital de cette grande entreprise, que nous avons accompagnée dans toutes les périodes, et que nous continuerons à accompagner.
Forts de cette vision à long terme, nous avons voulu appliquer à Renault ce que le législateur a voulu, à savoir un droit de vote double pour les actionnaires de long terme. À cette fin, nous avons acquis un peu plus de 4 % supplémentaires du capital de Renault, de manière à obtenir en assemblée générale ce droit de vote double. Nous continuerons donc à être actionnaires de long terme.
Il ne s’agit en aucun cas de rééquilibrer ou de transformer l’équilibre de l’alliance conclue en 2002. Cette montée au capital que nous avons voulue, ce droit de vote double que l’État a acquis, ne remettent nullement en cause l’alliance entre Renault et Nissan, et cela pour une raison simple : lorsque l’accord a été signé, en 2002, l’État détenait plus de 40 % du capital de Renault. Penser que cette opération a remis en cause les équilibres antérieurs est une vue de l’esprit.
En aucun cas, nous n’accepterons que ces équilibres soient revisités. L’objectif de l’État, en tant qu’actionnaire de long terme, est de pouvoir peser sur les décisions stratégiques de l’entreprise.
Quant à votre seconde question, je serai très clair. Le Premier ministre l’a rappelé il y a plusieurs semaines : il n’y a aucun projet de fusion, de délocalisation ou de transfert d’actifs. L’État a acquis en assemblée générale extraordinaire la possibilité de défendre ses droits et de disposer d’une minorité de blocage. C’est fort de ces droits que nous veillerons à la suite de la vie de l’entreprise, dont l’objectif est la consolidation de l’alliance. La stratégie aujourd’hui menée par la direction générale de l’entreprise est le renforcement de Renault-Nissan – pas plus, pas moins. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur plusieurs bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)
M. Pierre Lellouche. Très bien ! Il ne faut pas céder !
M. le président. La parole est à M. Guénhaël Huet, pour le groupe Les Républicains.
M. Guénhaël Huet. Monsieur le ministre de l’intérieur, dès le 13 novembre au soir, le Président de la République a annoncé le rétablissement des contrôles aux frontières françaises pour lutter contre la menace terroriste. Or, aujourd’hui les contrôles aux frontières apparaissent bien souvent précaires.
Nombreux sont les témoignages d’anonymes sur les réseaux sociaux, ou de médias français et européens, suite à des déplacements dans les pays frontaliers. Le 21 novembre, deux véhicules d’une équipe de tournage de la chaîne de télévision NRJ 12 franchissent la frontière belge sans rencontrer le moindre contrôle, alors même qu’ils transportaient des caisses remplies de matériel. Le lendemain, une reporter du journal Le Monde effectue un trajet aller-retour entre Paris et Londres en Eurostar, munie d’un grand couteau, sans être inquiétée.
Le journal Le Point note la rareté et le caractère très aléatoire des contrôles, et dénombre trois contrôles pour cent véhicules empruntant l’autoroute A2 vers la Belgique.
Mme Brigitte Bourguignon. Et alors ? Que proposez-vous de faire ?
M. Guénhaël Huet. Il affirme que sur le millier de points de passages potentiels entre la France et la Belgique, seule une soixantaine sont contrôlés. Sur les réseaux sociaux, de nombreux internautes s’étonnent également de l’absence de contrôles sur les routes et dans les aéroports. En fait, les contrôles réalisés sont, à l’heure actuelle, peu nombreux. De plus, ils sont effectués, pour l’essentiel, sur les grands axes routiers, et peuvent être aisément contournés.
Monsieur le ministre, je ne néglige en rien la difficulté de ce sujet. Mais vous savez aussi que nos concitoyens ne peuvent accepter qu’il y ait un décalage entre les déclarations et l’action. Je vous remercie donc d’indiquer à la représentation nationale les mesures précises et concrètes qui seront prises pour protéger efficacement nos frontières contre la menace terroriste. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Monsieur le député, je vous donnerai des éléments très précis. Depuis le 13 novembre, 13 900 policiers sont déployés, dont 9 700 de la police de l’air et des frontières. Je tiens à rendre un hommage très appuyé à ces policiers qui assurent des contrôles sur 131 points de passage terrestres – 115 points de passage routiers et 16 points de passage ferroviaires. Un point de passage maritime et vingt-deux points de passage aériens sont également contrôlés, pour un total de 154 points de passage autorisés couverts par les forces de police.
La gendarmerie nationale, quant à elle, se trouve particulièrement mobilisée à la frontière franco-belge, puisqu’elle couvre trente-deux points de passage, auxquels s’ajoutent six points supplémentaires sur le reste du territoire. Cela correspond très exactement à 1 400 gendarmes mobilisés, c’est-à-dire, en tout, 15 300 policiers et gendarmes mobilisés depuis le 13 novembre : je tiens à le souligner.
Vous m’interrogez à propos des intervalles et les espaces frontaliers de contrôle d’identité. Des ouvertures de coffre, sur réquisition judiciaire, sont mises en œuvre ; par ailleurs, la direction centrale de la police de l’air et des frontières a déployé un dispositif de contrôle mobile et aléatoire des points de passage autorisés secondaires. À la date d’hier, ce dispositif a eu pour effet de refuser l’admission sur le territoire de 832 personnes, certaines pour des raisons d’ordre public, d’autres – la majorité – car elles n’étaient pas en règle.
Afin de réaliser ces contrôles, les forces de l’ordre veillent à ce que les personnes arrêtées ne soient pas inscrites au fichier des personnes recherchées. Lorsqu’elles le sont, des contrôles supplémentaires sont immédiatement réalisés.
Mais comme vous le savez, monsieur Huet, y compris avant Schengen, lorsque le contrôle des frontières était la règle, les contrôles réguliers et systématiques ne permettaient pas d’étanchéifier complètement les frontières. Dire le contraire serait mentir aux Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à Mme Pascale Crozon, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Mme Pascale Crozon. Monsieur le Premier ministre, je vous remercie d’avoir rappelé que l’égalité entre les hommes et les femmes fait partie de notre pacte républicain.
Cent trente-quatre femmes et trente-cinq enfants sont morts en 2014 en France dans un contexte de violences conjugales et familiales. Ce chiffre glaçant, qui représente 20 % des homicides dans notre pays, appelle l’attention de nos concitoyens à l’occasion de la journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes.
Il n’épuise pourtant malheureusement pas les mécanismes de domination qui s’exercent en France à l’encontre des femmes. Une femme sur sept a en effet déjà subi un viol, dans 87 % des cas perpétré par son entourage. Selon une étude de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, 26 % des Françaises auraient été victimes de violences physiques ou sexuelles. À ces chiffres déjà effrayants, s’ajoutent des formes de violence aussi diverses que le harcèlement, l’emprise verbale ou économique, l’isolement social, les mariages forcés, l’excision, la prostitution, ou encore le chantage au séjour s’exerçant sur les ressortissantes étrangères.
Dans la continuité de la loi de 2010, par laquelle l’ensemble de la représentation nationale a affirmé que les violences faites aux femmes ne devaient plus être tolérées et que la parole des victimes devait être libérée, notre majorité a pris, depuis 2012, cette lutte à bras-le-corps. Je citerai notamment la loi sur le harcèlement sexuel de 2012, et la loi sur l’égalité entre les hommes et les femmes de 2014.
M. Guy Geoffroy. Comme si la majorité précédente n’avait rien fait !
Mme Pascale Crozon. Madame la ministre, quel bilan tirez-vous des évolutions législatives et des initiatives prises par le Gouvernement depuis 2012, et quelles sont, aujourd’hui, vos priorités pour continuer cette lutte et mieux garantir la sécurité de nos concitoyennes ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée des droits des femmes.
Mme Pascale Boistard, secrétaire d’État chargée des droits des femmes. Madame la députée, merci d’avoir rappelé le caractère massif des violences faites aux femmes. Ces violences, en particulier les violences sexuelles, les viols, sont encore taboues, parce qu’elles sont le fait de M. Tout-le-Monde, de proches ; parce que les femmes sont culpabilisées ; parce que ce sujet fait peur.
J’ai lancé hier une campagne pour faire connaître davantage le 3919, un numéro d’écoute contre toutes les violences faites aux femmes. Pour la première fois, une campagne gouvernementale de grande ampleur nomme les viols, les agressions sexuelles, et les place au premier plan. Il faut le rappeler ici : quand une femme dit non, c’est non !
Il faut rappeler aussi que les femmes victimes de violences n’ont pas à penser un seul instant que c’est de leur faute. La honte – je le dis très simplement – doit changer de camp. Harcèlement, viol, violence conjugale, féminicide, lesbophobie : contre toutes ces agressions, il faut lever le tabou. C’est lorsqu’un sujet est tabou que les victimes sont isolées, que les agresseurs ont un sentiment d’impunité, et que les crimes continuent.
Notre action porte ses fruits : la parole se libère de plus en plus, la tolérance de la société face aux violences sexistes diminue : c’est le signe que nous devons continuer dans ce sens. Il faut amplifier cette mobilisation. C’est non seulement la responsabilité du Gouvernement, mais aussi le rôle des élus comme vous, madame Crozon qui, sur le terrain, avec les acteurs de terrain, pouvez vérifier l’application des textes adoptés dans cet hémicycle.
Je veux dire aux femmes victimes de violences que des dispositifs sont déployés sur tout le territoire ; de plus en plus de professionnels sont formés. Il faut leur dire qu’elles peuvent être protégées. Il est essentiel de briser le silence. Merci, madame la députée, pour votre implication. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme Marianne Dubois, pour le groupe Les Républicains.
Mme Marianne Dubois. Ma question s’adresse à Mme la ministre de la culture et de la communication ; j’y associe ma collègue Elisabeth Pochon.
En tant que coprésidente du groupe d’études de l’Assemblée nationale sur la langue des signes, je déplore l’exclusion des personnes sourdes à l’information, depuis une semaine, suite aux terribles attentats qui ont endeuillé notre pays.
Alors que l’accès à l’information est déterminant dans de telles situations, les personnes sourdes se sont senties mal informées, les sous-titres des chaînes, notamment pour les journaux télévisés, n’étant pas de bonne qualité, et trop rapides pour des personnes ayant souvent des difficultés de lecture. Imaginez-vous le stress supplémentaire et les inquiétudes qu’elles ressentent lorsqu’elles voient défiler des images, des reportages et des intervenants sans appréhender l’exacte traduction des propos tenus.
L’absence d’interprètes en langue des signes française – LSF – pour les discours du Président de la République et des plus hautes autorités de l’État, dans ces circonstances, pose également un certain nombre d’interrogations légitimes auxquelles il convient de répondre.
Si les attentats de Paris du 13 novembre ont occupé la majorité des journaux télévisés français, des internautes ont dénoncé le manque d’accessibilité à ces journaux pour les personnes malentendantes. Ils ont été contraints de créer une page Facebook intitulée « Fusillade à Paris en direct LSF ». Cette initiative a été saluée, elle a été suivie par plus de 5 000 personnes et des appels ont été lancés sur les réseaux sociaux pour favoriser la transmission de l’actualité en langue des signes.
Madame la ministre, nous sommes tous d’accord pour estimer que chacun a droit à l’information. Je rappelle que l’accessibilité ne se résume pas à la seule mise aux normes de bâtiments. Par conséquent, nous vous demandons de rendre l’information accessible aux personnes sourdes par des sous-titres de qualité, par des alertes officielles sur les réseaux sociaux et par des interprètes pendant les journaux télévisés et pendant les interventions des autorités.
Quelles annonces pouvez-vous faire sur cette situation précisément et, plus globalement, sur la place de la langue des signes dans notre société médiatique ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la culture et de la communication.
Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication. Vous avez posé, madame la députée, une question essentielle. Vous avez raison, chacun a le droit d’accéder à une information de qualité.
Vous le savez, la loi a posé un certain nombre de principes, en particulier celui d’une adaptation très large des programmes télévisés, afin de les rendre accessibles au plus grand nombre de nos concitoyens : c’est là un enjeu d’égalité.
Ainsi, les grandes chaînes hertziennes, qui réalisent plus de 2,5 % de parts d’audience en moyenne, doivent rendre accessible l’intégralité de leurs programmes ; et parce que les programmes d’information revêtent évidemment une importance toute particulière, notamment en ce moment, les trois chaînes d’information de la télévision numérique terrestre – TNT – doivent également mettre à l’antenne trois journaux télévisés sous-titrés et un journal télévisé traduit en langue des signes du lundi au vendredi, et quatre journaux télévisés sous-titrés le week-end et les jours fériés, moyennant bien entendu une répartition des horaires de diffusion entre les trois chaînes.
S’agissant de France Télévisions, le contrat d’objectifs et de moyens actuel a renforcé les engagements pris par l’entreprise en 2011 afin de favoriser l’accès des personnes handicapées aux programmes ; il prévoit en particulier d’achever le sous-titrage intégral de tous les programmes nationaux des chaînes du groupe.
France Télévisions s’attache par ailleurs à étendre à tous les écrans la disponibilité de programmes accessibles, avec, depuis le printemps 2012, la mise en service d’une option de sous-titrage sur une grande partie des programmes proposés en télévision de rattrapage sur Pluzz, et, depuis fin 2013, la mise à disposition de sous-titres et de l’audiodescription sur la version mobile de Pluzz en direct. Ces fonctionnalités ont vocation à être généralisées, à terme, à tous les supports et à tous les systèmes d’exploitation.
En matière de langue des signes, puisque tel était aussi l’objet de votre question, France Télévisions s’est engagé dans une démarche très active de recherche et développement pour explorer les possibilités offertes par les nouveaux supports de diffusion. D’ores et déjà, le groupe assure la diffusion, avec une fenêtre en langue des signes, de deux flashs d’information quotidiens, des questions au Gouvernement sur France 3 et d’un magazine sur France 5.
Je puis donc vous assurer de la volonté du Gouvernement, avec ma collègue Ségolène Neuville, de faire en sorte que vos préoccupations soient mieux prises en compte par les diffuseurs. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Baumel, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
M. Philippe Baumel. Ma question, qui s’adresse à M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes, porte sur l’impact économique des attaques terroristes.
Face à ces attaques sans précédent qui ont touché au cœur notre nation et notre République le 13 novembre dernier, nous mettons tout en œuvre pour lutter contre la barbarie organisée, la violence aveugle et l’obscurantisme.
Nous vivons un moment à la fois dramatique et historique ; des obscurantistes tentent de susciter l’effroi pour diviser, pour opposer et pour affaiblir.
Après le deuil et l’inquiétude vient le temps de la résistance sur tous les plans et dans tous les secteurs, qu’ils soient politiques, économiques ou touristiques.
La France est la première destination touristique au monde et elle doit le rester. Depuis les attentats, les professionnels du secteur ont malheureusement enregistré de nombreuses annulations – avec 30 à 40 % d’occupation en moins dans certains grands hôtels parisiens –, certains touristes craignant pour leur sécurité.
Le Gouvernement a d’ores et déjà pris des mesures d’urgence pour soutenir ce secteur. En lien avec Bpifrance notamment, des mesures d’accompagnement financier ont été décidées et, dès ce lundi, des représentants du secteur touristique ont été reçus par M. Fabius et M. Fekl. Tous ont la volonté de construire une stratégie commune de mobilisation.
La COP21, événement mondial dont le Président de la République a décidé à juste titre le maintien, peut et doit être l’occasion d’un rebond du secteur. Accueillir le monde entier en France, à Paris et dans nos régions, c’est aussi une façon de faire partager nos valeurs d’humanisme, de partage et d’hospitalité : c’est aussi cela, résister.
Dans ce contexte sensible, pouvez-vous donc nous présenter, monsieur le secrétaire d’État, les objectifs et les actions du Gouvernement en matière de tourisme ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes.
M. Harlem Désir, secrétaire d’État chargé des affaires européennes. Je vous prie d’abord d’excuser Laurent Fabius, appelé par d’autres obligations.
Comme vous l’avez dit, monsieur Baumel, la France est le plus beau pays du monde et le demeure : nous ne laisserons personne remettre cela en cause ;…
M. Christian Hutin. Très bien !
M. Harlem Désir, secrétaire d’État. …du reste, elle le montre aussi dans les circonstances que nous traversons.
Le Gouvernement est entièrement mobilisé pour accompagner le secteur et les professionnels du tourisme, pour lesquels le choc à court terme est important.
Il est encore trop tôt pour nous prononcer sur l’impact des attentats à moyen et long terme, mais le Gouvernement est, plus que jamais, au côté des acteurs du tourisme. C’est pourquoi, vous l’avez rappelé, le Premier ministre ainsi que Laurent Fabius et Matthias Fekl ont réuni, lundi dernier, les représentants du secteur – agences de voyages, tour-opérateurs, hôteliers et transporteurs – pour discuter de la mise en place d’une communication coordonnée vis-à-vis des touristes étrangers, en lien avec le réseau diplomatique et l’opérateur pour le tourisme Atout France.
Pour le secteur hôtelier, Bpifrance a suspendu pour six mois le remboursement en cours des établissements franciliens, le délai étant aussi extensible, au cas par cas, hors d’Île-de-France.
Mme la ministre de la culture et de la communication a, quant à elle, annoncé la création d’un fonds spécifique d’aide exceptionnelle aux producteurs de spectacles et aux salles.
Vous l’avez dit, monsieur le député, les 577 circonscriptions de France, que l’ensemble d’entre vous représentent ici, conservent toutes leur qualité d’accueil, la beauté de leurs paysages, la richesse et la diversité de leur patrimoine. Le travail de fond entamé depuis deux ans autour de la promotion de la destination France doit être poursuivi et amplifié ; les grands rendez-vous internationaux que sont la COP21 et l’Euro 2016 de football seront déterminants pour convaincre le monde que la France, première destination touristique, incarne plus que jamais les valeurs d’accueil et d’hospitalité : nous sommes plus que jamais, je le répète, au côté des professionnels du tourisme pour le montrer. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
Mme Véronique Massonneau. Très bien !
M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.
M. le président. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures dix, est reprise à seize heures vingt-cinq, sous la présidence de Mme Laurence Dumont.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, en application de l’article 35, alinéa 3, de la Constitution, une déclaration du Gouvernement sur l’autorisation de la prolongation de l’engagement des forces aériennes au-dessus du territoire syrien.
Cette déclaration sera suivie d’un débat et d’un vote.
La parole est à M. le Premier ministre.
M. Manuel Valls, Premier ministre. Madame la présidente, monsieur le ministre de la défense, monsieur le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, monsieur le secrétaire d’État chargé des affaires européennes, monsieur le secrétaire d’État chargé des anciens combattants et de la mémoire, madame la présidente de la commission de la défense nationale, mesdames et messieurs les députés, le vendredi 13 novembre, Daech – l’État islamique – a frappé la France. Cette armée terroriste s’en est pris lâchement à ce qui fait notre pays, à ce qu’il représente : sa jeunesse, sa diversité, ses lieux de vie et de culture, son art de vivre, ses principes universels qui parlent au cœur des peuples, sur tous les continents. Cent trente victimes, de vingt nationalités différentes, et des centaines de blessés.
En attaquant la France, Daech a donc, une nouvelle fois, attaqué le monde.
Face à ce totalitarisme islamiste, la France mène et mènera une guerre implacable. Daech veut nous frapper ? Nous frapperons plus fort. Nous frapperons juste car nous agissons au nom de la liberté et pour la sécurité de nos concitoyens. Et nous gagnerons ! Oui, même s’il faut du temps, même s’il peut y avoir d’autres épreuves, nous gagnerons cette guerre contre la barbarie.
Gagner cette guerre, c’est mener de front deux combats ; c’est s’attaquer – le ministre de la défense l’a rappelé dimanche – aux deux têtes de ce terrorisme.
Ici, sur notre sol, en nommant notre adversaire, l’islamisme radical, le djihadisme, les fondements du salafisme, en traquant les individus, en débusquant les cellules, en démantelant les réseaux, en cassant les filières, en mettant les terroristes hors d’état de nuire ; en déjouant aussi les projets d’attentats, comme celui qui, après Paris et Saint-Denis, visait – le procureur de la République l’a rappelé hier –, le quartier de la Défense ; en coopérant avec nos voisins, la Belgique tout particulièrement, qui est aujourd’hui en état d’alerte.
La semaine dernière, à la suite du Président de la République, j’ai exposé devant vous les mesures exceptionnelles – celles de l’état d’urgence – que nous prenons pour la sécurité de nos concitoyens. Dans ce cadre, depuis le 14 novembre, plus de 1 400 perquisitions administratives ont été ordonnées, 241 armes ont été saisies, dont une vingtaine d’armes de guerre, 272 personnes ont été assignées à résidence. Nous poursuivrons cette action sans trêve ni pause. Le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve l’a encore rappelé il y a un instant.
Je vous ai également annoncé les moyens supplémentaires que nous affectons à la protection de notre territoire – 120 000 policiers, gendarmes et militaire mobilisés –, les recrutements nouveaux auxquels nous allons procéder, les investissements dans l’équipement de nos forces de l’ordre, les dispositions qui vont venir renforcer notre arsenal juridique, en plus de tout ce que nous mettons en œuvre depuis le début de l’année.
Mais le combat, nous devons avant tout le poursuivre en Irak et en Syrie, car c’est là que Daech prospère dans l’impunité de ses crimes, là qu’il faut frapper, à la racine.
Si les racines de Daech, de l’État islamique, sont en Irak, l’épicentre de son terrorisme est aujourd’hui la Syrie. Les djihadistes en contrôlent l’est et le nord, qui constituent un solide bastion. Ils y ont installé leur pseudo-capitale : Raqqa. Ils y ont bâti un régime reposant sur la terreur, le vol, la contrebande, les trafics d’armes, de drogue, mais aussi d’êtres humains.
Depuis cet épicentre, les attentats s’organisent et se planifient. Dans ces repaires, les commandos viennent se former et prendre leurs ordres. C’est de là, nous le savons, qu’ont été commanditées depuis plusieurs mois les attaques visant notre pays.
Nous avions une responsabilité, nous avions surtout un devoir : intervenir militairement en Syrie, comme nous le faisions déjà en Irak depuis septembre 2014.
C’est pourquoi, le 7 septembre, le chef de l’État a lancé l’offensive de nos forces aériennes dans le ciel syrien. Je vous avais alors informés, ici même, du cadre et des modalités de cette intervention.
Depuis, nos Rafale et nos Mirage ont multiplié les missions. D’abord pour observer, acquérir du renseignement, mieux connaître et localiser les points stratégiques de l’ennemi. C’était une étape indispensable avant d’entrer en action.
Puis nous avons frappé : des centres névralgiques, des postes de commandement, des camps d’entraînement. Nous avons détruit – les Américains et les Russes également, enfin ! – des infrastructures pétrolières, et ce faisant privé les terroristes d’une partie de leur manne financière.
Le 13 novembre a changé la donne. Une riposte à la mesure de l’agression que nous avons subie s’est imposée. Il n’y a pas d’alternative : nous devons anéantir Daech. Le Président de la République l’a dit devant le Parlement réuni en Congrès.
Depuis dix jours, nos forces aériennes ont intensifié leurs frappes ; elles ont élargi leurs cibles ; elles ont étendu le périmètre et la fréquence de leurs missions.
Nos chasseurs bombardiers ont lancé huit raids sur Raqqa. Ils ont bombardé de nouveaux sites de Daech en Irak, à Mossoul, hier encore. Ceci porte à plus de trois cents le nombre de frappes menées depuis que nos forces sont engagées au Levant.
Et notre action va prendre encore plus d’ampleur. La présence, depuis quarante-huit heures, en Méditerranée orientale, de notre porte-avions, le Charles-de-Gaulle, nous donne une force accrue pour amplifier nos opérations, aussi bien en Syrie qu’en Irak. Nos capacités sur zone ont été multipliées par trois.
Je veux rendre, ici, devant vous, une nouvelle fois, un hommage appuyé à tous nos militaires déployés au Moyen-Orient. (Applaudissements sur tous les bancs.)
Je veux saluer leur courage et leur engagement. J’ai pu constater leur sens du devoir, leur professionnalisme en me rendant sur une de nos bases aériennes en Jordanie. Ces femmes, ces hommes, comme celles et ceux de l’opération Barkhane, font la fierté de toute notre nation. La France est derrière ses militaires, nos soldats, qui se battent là-bas pour notre sécurité ici, sur le territoire national.
Ils agissent sous l’impulsion de l’état-major, du ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, dont je veux saluer l’action. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) Son sens de la décision est particulièrement précieux au moment où tout le gouvernement est mobilisé pour la défense et la sécurité de notre pays.
Mesdames et messieurs les députés, la France est au cœur de cette guerre contre Daech, aux avant-postes. Mais ce combat contre le terrorisme, c’est aussi celui des Nations unies. Vendredi dernier, le Conseil de sécurité a fait preuve de responsabilité en adoptant à l’unanimité la résolution 2249 – jusqu’ici les conditions n’étaient pas réunies pour permettre ce vote – qui appelle à amplifier la lutte contre les groupes terroristes djihadistes. C’était une demande de la France, du Président de la République et de notre diplomatie, exprimée au lendemain des attentats.
Ce combat, nous le menons aussi, dès à présent, dans le cadre d’une coalition avec une trentaine d’États engagés militairement en Irak et en Syrie. Et nous progressons, même si c’est difficile. Il ne faut rien ignorer de ces difficultés et faire preuve de lucidité, mais le rapport de forces sur le terrain commence à s’inverser. Avec l’appui de la coalition, les unités irakiennes et kurdes, et l’opposition syrienne modérée ont réussi à endiguer l’expansion territoriale de Daech.
En Irak, les villes de Baïji et Sinjar ont été reconquises, ce qui prive Daech, l’État islamique, d’axes stratégiques entre Mossoul et Raqqa. C’est bien le signe que l’emprise de l’armée terroriste sur cette zone n’est pas une fatalité.
Daech commence à subir des dommages sérieux, à éprouver des difficultés pour organiser les ravitaillements à Mossoul, pour payer ses combattants. Les recrues sont de plus en plus jeunes pour faire face aux pertes humaines et aux désertions. La population est touchée par d’importantes restrictions en eau et en électricité, ainsi que par la hausse des prix. La situation va se dégrader encore davantage avec l’arrivée de l’hiver.
Daech commence donc à reculer. C’est la preuve que cette organisation peut être vaincue. Pour cela, nous devons aller encore plus loin, plus fort, parce que cette armée terroriste a encore des ressources, parce qu’elle peut encore mener des offensives.
Aller plus loin, c’est mobiliser une coalition plus large. C’est la position de la France, et elle est constante.
Avec les États-Unis d’Amérique, bien sûr. Pour eux aussi, le 13 novembre a changé la donne. Vous le savez, le Président de la République était hier à Washington, où il a rencontré le Président Obama. Ensemble, nos deux pays, pays alliés, toujours soudés face aux épreuves, ont affirmé une volonté commune : agir encore plus étroitement, militairement et diplomatiquement. Après ce qui s’est passé à Paris, il n’y a plus d’hésitation à avoir.
Une coalition plus large, c’est aussi une coalition dans laquelle les Européens doivent assumer leur responsabilité, une responsabilité historique. Le combat contre le terrorisme n’est pas seulement le combat de la France. C’est, ce doit être le combat de l’Europe entière, de tous les pays de l’Union, car les terroristes se jouent des frontières. Ils frappent sans discernement à Paris, à Bruxelles, à Copenhague, comme ils ont frappé, hier, à Londres ou à Madrid.
L’Europe fait face à une même menace. C’est donc dans son ensemble que l’Europe doit se mobiliser. Aucun pays d’Europe ne peut se croire à l’abri ni hors de ce combat.
Au lendemain des attentats – et pour la première fois –, nous avons invoqué l’article 42-7 du Traité de l’Union européenne. Nous avons fait appel à la solidarité de nos partenaires pour qu’ils contribuent directement aux opérations militaires, pour qu’ils nous apportent leur concours logistique, pour que nous ne portions pas seuls le fardeau de la guerre.
Tous nos partenaires ont entendu cet appel. Il faut maintenant passer aux actes.
Dès à présent, plusieurs d’entre eux sont engagés à nos côtés en Irak : le Royaume-Uni, les Pays-Bas, la Belgique, le Danemark. Mais nous avons besoin de tous, en Irak et en Syrie, mais aussi au Sahel. L’attentat de Bamako est hélas venu souligner que les menaces, celles qui ont justifié notre intervention il y a deux ans, demeurent.
Nous aurons peut-être besoin de l’Europe demain en Libye : nos regards inquiets se tournent vers cette partie de l’Afrique du Nord, qui pourrait devenir, qui est en train de devenir un nouveau repaire des terroristes de Daech, à nos portes.
Déjà la Tunisie subit des assauts très lourds, au musée du Bardo, dans la ville de Sousse et hier à Tunis, l’attaque contre la garde présidentielle. Une nouvelle fois, je veux souligner notre solidarité à l’égard de la Tunisie et du peuple tunisien. (Applaudissements sur tous les bancs.)
La Tunisie est un exemple, dans le Maghreb et dans l’ensemble du monde arabo-musulman, un exemple que les organisations terroristes, notamment Daech, veulent abattre, parce que c’est là que retentissent des cris de liberté, d’égalité entre les hommes et les femmes, et de laïcité. La Tunisie mérite plus que jamais le soutien de la France, de l’Europe et de la communauté internationale. (Applaudissements sur tous les bancs.)
Pour mobiliser l’Union européenne, le Président de la République, vous le savez, rencontre ses principaux dirigeants : avant-hier, le Premier ministre britannique David Cameron, qui va demander à son parlement l’engagement de la Grande-Bretagne en Syrie ; ce soir, la chancelière allemande Angela Merkel, et je voudrais saluer la décision de l’Allemagne, qui pourrait dépêcher au Mali 650 hommes, pour participer à nos côtés à la lutte contre le terrorisme et à la préservation de la paix au Mali. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) Demain matin, le Premier ministre italien Matteo Renzi sera à Paris.
Nous le sentons bien : on prend enfin conscience de la gravité du danger et de la nécessité de joindre nos forces. C’est ce que nous disons depuis des mois dans les conseils européens des ministres des affaires étrangères ou de la défense.
Les attentats de Paris ont été un choc pour l’Europe entière. Celle-ci a bien compris qu’elle était aussi visée. Pour l’Europe également, le 13 novembre a changé la donne.
M. Guy Geoffroy. Pas sûr !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Au-delà des États-Unis et de l’Europe, nous devons mobiliser un front mondial. Nous sommes à l’heure de vérité : chacun doit prendre ses responsabilités et dire clairement que l’ennemi en Syrie, c’est Daech.
Cette position doit être sans ambiguïté celle de tous les pays de la région, car laisser Daech proliférer, c’est faire planer une menace de déstabilisation de tout le Moyen-Orient.
Demain, le Président de la République sera à Moscou.
M. Jacques Myard. Enfin !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Il rencontrera Vladimir Poutine.
M. Christian Hutin. Très bien !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Le dialogue avec les autorités russes – il faut quand même rétablir quelques vérités et un peu de bon sens – n’a jamais été interrompu : ni sur l’Ukraine et la mise en œuvre des accords de Minsk, ni sur la Syrie.
Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères. Bien sûr !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Ce dialogue a été permanent. Il y a encore quelques semaines, le Président russe rencontrait à Paris le Président Hollande, et ils ont bien sûr aussi discuté de la Syrie.
Pour la Russie également, le 13 novembre a changé la donne, d’autant plus qu’elle aussi a été frappée par Daech, qui a revendiqué l’attentat contre un avion d’une compagnie russe qui a fait 230 morts. Nous avons affirmé tout de suite notre solidarité à l’égard du peuple russe.
La Russie a reconnu qu’il s’agissait d’un attentat au lendemain de celui qui a frappé Paris : une nouvelle preuve que le 13 novembre a changé la donne, pour le monde, pour l’Europe, pour la Russie.
Nous agissons d’ores et déjà en coordination avec les Russes, qui interviennent directement en Syrie depuis le 30 septembre. Mais je veux rappeler que jusqu’à présent, l’essentiel des frappes russes n’étaient pas dirigées contre Daech. Il ne doit y avoir aucune équivoque, car cette coordination s’avère d’autant plus importante depuis le grave incident survenu entre deux avions turc et russe – le Président de la République a appelé à la désescalade.
M. Bruno Le Roux. Très bien !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Il ne doit y avoir aucune équivoque possible quant aux objectifs poursuivis, qui doivent uniquement viser à la destruction de Daech.
Si Daech est l’ennemi pour chacun de ces pays, l’objectif ne peut pas être de frapper l’opposition syrienne modérée. Chacun doit être mis devant ses responsabilités : l’objectif, c’est de frapper Daech et de détruire cette organisation terroriste qui a frappé aussi bien la France que la Russie. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
M. Claude Goasguen. Et Al-Qaida !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Ce front mondial contre Daech ne peut pas, contrairement à ce que j’ai pu entendre, intégrer le régime syrien. Car enfin, si Daech a pu autant prospérer, c’est parce que le régime de Bachar Al-Assad lui a laissé les coudées franches.
Ce front mondial doit, enfin, apporter tout son soutien à ceux qui se battent contre les troupes de l’État islamique, notamment les Kurdes, valeureux combattants que nous soutenons, et les groupes de l’opposition syrienne modérée.
Soutenir cette opposition, lui procurer les équipements dont elle a besoin, lui permettre d’entretenir ses forces combattantes, unifier les milices locales, c’est faciliter la bataille au sol. Oui, monsieur Goasguen, puisque vous y revenez toujours, c’est le sens de la résolution adoptée par les Nations unies : se battre contre toutes les organisations terroristes, je dis bien toutes, y compris Al-Qaida. Cela doit être clair et sans aucune ambiguïté. Mais il faut aussi, monsieur Goasguen, que toute ambiguïté soit levée concernant ceux qui défendent l’idée que nous pourrions nous battre, par exemple, aux côtés du Hezbollah. La clarification vaut pour tout le monde.
M. Claude Goasguen. Très bien ! Voilà une clarification !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Nous le savons bien, notre action aérienne doit appuyer les opérations terrestres. Et celles-ci ne peuvent être conduites que par les forces insurgées locales, y compris kurdes, renforcées le cas échéant par des armées sunnites de la région.
L’histoire récente nous l’apprend, en Irak comme en Libye : il serait totalement déraisonnable et improductif d’engager nous-mêmes des troupes au sol. Avec qui, dans quelles conditions, avec quels pays occidentaux ? Tirons les leçons de ce qui s’est passé dans cette région…
M. Pascal Popelin. C’est la sagesse qui parle !
M. Manuel Valls, Premier ministre. …et appuyons plutôt les troupes kurdes ou sunnites qui s’engagent sur le terrain. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur quelques bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)
Mesdames et messieurs les députés, nous sommes en guerre, et nous n’en sommes qu’au début. Cette guerre sera longue et demandera de la constance et de la ténacité. Nous devons ce langage de vérité à nos compatriotes.
M. Jacques Myard. C’est vrai.
M. Manuel Valls, Premier ministre. Ce langage de vérité, c’est aussi dire que l’action militaire ne sera pas suffisante pour stabiliser la Syrie, prévenir l’effet de contagion sur les pays voisins, et endiguer le flux des réfugiés vers l’Europe.
Faire la guerre contre Daech, contre l’État islamique, c’est inscrire notre engagement militaire dans une stratégie de long terme. C’est tirer les enseignements des interventions militaires conduites dans la région ces dix dernières années. C’est aussi être attentif à ne pas alimenter nous-mêmes ni intensifier les tensions, larvées ou frontales, entre sunnites et chiites.
Nous avons besoin d’une transition politique en Syrie, posant les bases d’une réconciliation nationale. Tous nos efforts diplomatiques, toutes les initiatives portées avec tant de détermination et d’engagement par le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, vont dans ce sens.
Nous connaissons les difficultés, nous mesurons les obstacles, nous n’ignorons pas les ambiguïtés entretenues par certains acteurs de la région. Mais un processus s’est enclenché : ce sont les rencontres de Vienne, qui font suite au processus de Genève. La France y contribue activement en parlant à tous les acteurs de la région : aux pays limitrophes, Turquie, Jordanie, Liban ; aux pays arabes –l’Égypte, l’Arabie Saoudite, les pays du Golfe.
Il faut maintenant accélérer ces négociation car nous sommes encore loin du compte – le mot est faible – même s’il y a un certain nombre d’acquis. Un cessez-le-feu, un gouvernement de transition, une nouvelle constitution pluraliste, des élections libres : telles sont les bases acceptées par tous les pays participant aux pourparlers, aux discussions de Vienne, y compris les Russes et les Iraniens, avec lesquels nous parlons aussi, car ils ont une responsabilité cruciale dans le règlement de la crise syrienne.
La France parle à tous, à tous elle tient le même langage. Ce qui fait notre force, c’est notre indépendance, c’est notre autonomie de décision, c’est notre clarté. À tous les pays, nous disons – ce sont les mots du Président de la République le 16 novembre à Versailles – que notre ennemi, c’est Daech, c’est l’État islamique.
Nous leur disons que dans le cadre de la transition politique, Bachar Al-Assad ne pourra pas incarner l’avenir. Comment, en effet, penser que les groupes syriens se rangeraient sous le même drapeau si on leur offrait pour horizon le maintien de celui qui a causé leurs malheurs et ceux de tout un peuple ?
Non, le régime syrien, contrairement à ce que certains voudraient faire croire, ne peut en aucun cas être un partenaire. Non, la coopération anti-terroriste ne peut être ni envisageable, ni utile, avec ce régime qui lui-même recourt à la terreur.
M. Jacques Myard. Errare Valls est !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Ce n’est pas envisageable aujourd’hui, pas plus que cela ne l’était en mars 2012, quand la France a pris la juste décision de rompre les relations avec la Syrie au lendemain des massacres de Deraa et d’Homs.
M. Pascal Popelin. C’est bien de le rappeler !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Il faut aussi se souvenir qu’en août 2012, certains de ceux qui exigent un bouleversement de notre politique vis-à-vis du régime syrien n’avaient pas de mots assez durs pour le condamner et exhortaient le Président de la République et le Gouvernement à agir fortement pour marquer l’opposition au régime.
M. Sébastien Pietrasanta. Très bien !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Il ne faut pas non plus oublier que plusieurs de nos compatriotes étaient retenus comme otages en Syrie jusqu’en avril 2014, et que l’action de nos services de renseignement et de notre diplomatie a permis de les ramener sains et saufs.
L’action résolue contre l’État islamique et les filières terroristes implique une coopération avec l’ensemble des États de la région, y compris les États de transit direct comme la Turquie. Si l’on veut prévenir ou limiter les tentations de ralliement de certaines populations sunnites de la région à Daech, à l’État islamique, il faut être capable d’énoncer une politique lisible, sans complaisance pour les atrocités commises par le régime syrien.
Je veux être très clair : jamais le régime syrien n’a fait preuve jusqu’ici d’une volonté sincère de coopération en matière de lutte contre le terrorisme. Je le dis ici, à l’Assemblée, et au-delà : que chacun évite de se faire instrumentaliser face à ce débat et à ces rumeurs. Je ne laisserai pas mettre en cause nos services de renseignement et la politique de la France en matière de lutte contre le terrorisme ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur quelques bancs du groupe écologiste et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)
Mesdames et messieurs les députés, la France pleure ses morts, mais elle ne plie pas. La France se bat et se battra sans relâche, jusqu’à atteindre son but : la destruction de notre ennemi, Daech.
Le Gouvernement sollicite donc votre autorisation, en vertu de l’article 35 de la Constitution, de poursuivre l’engagement de nos forces en Syrie. Et je ne doute pas que, comme la semaine dernière, vous enverrez un message très fort à nos concitoyens.
Nous mobilisons notre armée. Nous mobilisons notre diplomatie. La France, parce qu’elle se défend, parce qu’elle est une grande puissance, parce qu’elle est un pays libre qui s’adresse au monde, mène le combat.
C’est le combat de notre époque, qui vient après d’autres que la France a su mener, et emporter. Ce nouveau combat contre la barbarie, nous devons le mener unis et rassemblés. Et ce combat, notre démocratie, fidèle à elle-même, fidèle à ce que nous sommes, une fois de plus, l’emportera ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur quelques bancs du groupe écologiste, du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Le Roux, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
M. Bruno Le Roux. Madame la présidente, monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les ministres, mes chers collègues, la question qui nous est posée est claire : autorisons-nous la prolongation de l’engagement de nos forces aériennes au-dessus du territoire de la Syrie ?
Ces derniers jours, la France a intensifié ses frappes contre Daech, notamment sur les camps de commandement et d’entraînement, à Mossoul et à Raqqa sur le territoire syrien. Il y a une semaine, le porte-avions Charles-de- Gaulle a pris position au large des côtes syriennes. Il y a deux jours maintenant, les chasseurs qu’il emportait avec lui – des avions Rafale notamment – ont mené leurs premières frappes. L’engagement du Charles-de-Gaulle permet de multiplier les rotations d’appareils dans le ciel syrien et de frapper plus vite et plus fort.
La question qui nous est posée, j’y reviens, est donc simple : autorisons-nous nos forces aériennes, engagées au sein d’une coalition internationale, à cibler et neutraliser les intérêts stratégiques de Daech ?
La réponse ne me semble faire aucun doute. Sans négliger aucune dimension de notre débat et même aucune polémique saine, je sais que ce débat et ce vote, dans les circonstances actuelles, doivent permettre de montrer au monde entier la détermination sans faille de la France dans le combat qu’elle conduit avec d’autres contre Daech.
Plusieurs raisons plaident en faveur de cette prolongation de notre engagement militaire et, je l’espère, d’un vote unanime de notre assemblée. J’en citerai trois.
La première est au cœur de notre engagement. Je l’ai dit à la tribune du Congrès, je le redis ici : Daech ne nous combat pas pour ce que nous faisons, mais pour ce que nous sommes. Ne nous trompons pas : nous sommes face à une organisation totalitaire, qui veut détruire notre mode de vie, abattre nos valeurs et semer la guerre civile au nom d’une idéologie, qui est celle du salafisme djihadiste.
Nous sommes face à une organisation qui emploie des techniques d’endoctrinement de type sectaire et qui veut semer le chaos, se déployant dans la peur et la terreur qu’elle inspire et qu’elle organise. Nous sommes face à une organisation qui hait ce que nous sommes, qui hait nos valeurs, qui hait notre diversité. N’oublions jamais cela ! Ne cultivons pas l’illusion que si la France restait chez elle, que si la France ne s’occupait pas des affaires du monde, que si la France, en définitive, n’était pas la France, alors Daech nous laisserait en paix. C’est se tromper d’ennemi que de penser ainsi. C’est tromper nos compatriotes que de continuer à l’affirmer. Ne pas mener ce combat serait, pour paraphraser Churchill, avoir et le déshonneur et la guerre.
Mes chers collègues, nous en avons tous conscience : la guerre ne résoudra pas tout, mais sans la guerre contre Daech, rien ne pourra être résolu.
L’histoire, et singulièrement notre histoire européenne, nous a appris que face aux idéologies totalitaires, il ne fallait pas hésiter, différer, tergiverser, car si l’on hésite, si l’on diffère, si l’on tergiverse, il est toujours un peu trop tard.
La deuxième raison qui me conduit à plaider pour un vote unanime est la cohérence de notre action dans la lutte contre le terrorisme international. La France ne s’est pas dérobée. Jamais. Depuis le début du quinquennat, notre pays a su prendre ses responsabilités pour combattre le terrorisme, quel que soit le nom qu’il porte – Daech, AQMI, Boko Haram ou d’autres. La France engage des moyens importants, elle se déploie sur différents continents.
Je reviens un moment sur l’opération Serval. Nous l’avons engagée dès janvier 2013 pour venir en aide à nos amis maliens et stopper la progression des troupes d’Al-Qaida au Maghreb islamique. Rappelons-nous : le pays était occupé par les troupes d’AQMI, qui s’apprêtaient à en prendre le contrôle total. Nous les avons fait reculer, ils ont perdu leurs positions, ils ont perdu le contrôle du pays, et la vie démocratique de celui-ci a pu reprendre ses droits, même si, bien sûr, il existe encore des réseaux extrémistes.
Le Mali nous montre, mes chers collègues, que la détermination et l’engagement peuvent, et doivent, l’emporter sur le terrorisme. C’est ce qu’ont montré nos soldats par l’opération Barkhane, toujours en cours, par l’opération Chammal et par toutes les autres opérations auxquelles ils participent. Je veux saluer, ici, à mon tour, leur engagement, les remercier et les féliciter pour les résultats qu’ils obtiennent et le courage dont ils font preuve. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe écologiste et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, ainsi que sur quelques bancs du groupe Les Républicains.)
Pour combattre le terrorisme, il ne faut pas se tromper de cible. En Syrie, la France déploie sa force pour combattre Daech, et Daech uniquement. Aucune bombe française – je dis bien aucune – n’a jamais été larguée sur les partisans de Bachar Al-Assad et encore moins sur ceux qui le combattent. Nous savons nous assigner des priorités. Jamais l’un de nos moyens militaires, je le répète, n’a été utilisé à d’autre fin que le combat, sur le terrain, contre le terrorisme et Daech. Nous assumons totalement le fait de nous être fixé, de longue date, cette priorité.
Aujourd’hui, bien entendu, nous nous réjouissons tous ici, sur tous les bancs, du renforcement possible de la coalition internationale. Nous nous réjouissons que la Russie, touchée elle aussi par le terrorisme, frappe également, même si c’est encore trop peu, les intérêts et les installations de Daech. Mais ne nous trompons pas de débat, mes chers collègues. La recherche de la cohérence et de l’efficacité nous a conduits à ne jamais confondre la guerre contre Daech et l’action diplomatique pour la stabilité de la Syrie et à mener les deux de concert, une telle simultanéité étant essentielle.
En effet, notre pays est engagé dans une intense activité diplomatique pour fédérer toutes les forces déterminées à combattre Daech. À l’initiative de la France, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté à l’unanimité la résolution 2249, qui offre un nouveau point d’appui à notre engagement et à celui de la communauté internationale.
M. Jacques Myard. Ce n’est pas le chapitre VII !
M. Bruno Le Roux. Au plan européen, là encore à l’initiative de la France, les vingt-huit États membres se sont engagés à soutenir l’action militaire de notre pays, en vertu de l’article 47.2 du traité de Lisbonne. Les États-Unis veulent intensifier leur engagement et doivent maintenant préciser en quoi il consistera. Le Royaume-Uni déclare vouloir rapidement engager ses forces dans ce combat commun. Je l’ai déjà mentionné, après l’attentat qui a coûté la vie à 225 de ses ressortissants dans le Sinaï égyptien, la Russie a commencé à réorienter son engagement.
La France n’est donc pas seule, et elle est à l’initiative. L’image de Paris, livré en son cœur, l’espace de quelques heures, à une poignée de fous, sans foi ni âme, aura peut-être servi de catalyseur et permis une accélération du temps diplomatique comme du temps militaire. C’est aujourd’hui le temps des hommes et des peuples, qui tiennent à leur liberté et à leur mode de vie, et qui sont prêts à les défendre. Ils se sont réunis au cours des derniers jours, et vont probablement continuer à le faire dans les jours qui viennent, pour montrer qu’ensemble, ils entendent défendre leurs valeurs.
Mes chers collègues, nous savons deux choses. La première est que nous ne pourrons pas éradiquer Daech par le seul déploiement de forces aériennes coordonnées ou coalisées.
M. Jacques Myard. Laissez faire Bachar !
M. Bruno Le Roux. La deuxième est que si l’engagement de troupes au sol est nécessaire, il devra mobiliser des forces régionales.
Ces deux éléments conjugués nous conduisent à aborder, avec l’ensemble des pays de la région, la question de la recherche d’une solution politique en Syrie. Car le « laissez faire Bachar » ne permet la constitution d’aucune coalition régionale qui permettrait d’appuyer l’action de la communauté internationale. Là encore, ne réécrivons pas l’histoire : Bachar Al-Assad ne peut pas garantir la stabilité durable de la Syrie.
M. Pascal Popelin. C’est vrai !
M. Bruno Le Roux. C’est vrai aujourd’hui et ça le restera demain.
Nous devons par ailleurs déconstruire une à une toutes les raisons illusoires qui conduisent certains États de la région, si ce n’est à accepter, du moins à tolérer la présence de Daech sur les territoires syrien et irakien, au nom de puissants intérêts stratégiques et géostratégiques. De ce point de vue, l’ambiguïté qui caractérise l’engagement de la Turquie au sein de la coalition doit être rapidement levée.
M. Pascal Popelin. Très bien !
M. Bruno Le Roux. Pour conclure, je voudrais aborder rapidement l’enjeu européen. Ces derniers jours, les lignes ont bougé, et c’est peut-être dans la confrontation à l’adversité que l’Europe pourra trouver un nouveau souffle. Comment entend-elle défendre ses frontières ? Comment peut-elle faire face à l’afflux de réfugiés ? Comment compte-t-elle donner un sens réel au projet d’union au-delà de la seule logique comptable et libérale qui l’animait ces dernières décennies ? L’Europe ne peut plus faire l’économie de ces débats et d’une nouvelle organisation.
Mme Seybah Dagoma. Très bien !
M. Bruno Le Roux. Mes chers collègues, je ne saurais conclure sans rendre hommage aux victimes du terrorisme international, qu’il se nomme Daech, AQMI ou autrement. Je veux rendre hommage aux victimes françaises, à nos compatriotes. La nation entière saluera leur mémoire, vendredi, dans la cour des Invalides. Je veux rendre hommage aux victimes maliennes, prises en otage la semaine dernière dans un hôtel de Bamako ; aux victimes russes du vol A 321 ; aux victimes libanaises, frappées en plein Beyrouth, la veille des attentats de Paris et de Saint-Denis. Je pourrais évoquer les victimes camerounaises, tchadiennes, égyptiennes tunisiennes – la Tunisie a été durement frappée par trois fois cette année, et hier encore.
Je voudrais également saluer la mémoire des victimes syriennes, qui se comptent par milliers, par dizaines de milliers – trois cent mille aujourd’hui – pour lesquelles nous nous battons.
Leur mémoire, mais aussi la volonté que cesse cette énumération terrible, m’amène, monsieur le Premier ministre, à vous assurer de notre soutien à l’engagement de nos forces aériennes et aéronavales en Syrie et de notre totale détermination à combattre le terrorisme et Daech. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, ainsi que sur quelques bancs du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. François Fillon, pour le groupe Les Républicains.
M. François Fillon. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, le 13 novembre, c’est une certaine idée de la vie française qui a été massacrée ; cette vie où l’on déambule dans Paris, où l’on se retrouve au concert, à la table d’un café, entre amis ; cette vie où le débat et l’humour sont permis, cette vie où la beauté des femmes n’est pas recouverte de noir…
M. Guy Geoffroy. Bravo !
M. François Fillon. …cette vie où l’on peut croire en Dieu ou ne pas y croire ; cette vie où l’on s’exprime par son vote et non par les armes ; cette vie où les mots de liberté, d’égalité et de fraternité ont encore un sens.
Oui, cette vie-là a été frappée, et elle le fut par des djihadistes français qui préfèrent mourir pour un califat intégriste plutôt que de vivre dans le pays des droits de l’homme.
Pour ceux qui hésiteraient encore à mettre les mots sur les faits, nous sommes en guerre face à une organisation puissante et structurée, face à un État fanatique.
Contre cet ennemi, monsieur le Premier ministre, le groupe Les Républicains n’a jamais esquivé ses responsabilités. Pour l’engagement de nos forces armées en Irak, pour l’extension des opérations au-dessus de la Syrie, pour la prolongation de l’état d’urgence, nous avons fait notre devoir, et nous allons encore le faire aujourd’hui.
Mais depuis plus d’un an, aussi, nous avons lancé l’alerte : lorsqu’on fait la guerre, il faut se donner les moyens de la gagner. Or, nous sommes loin du but. Après des mois de bombardement, l’adversaire reste redoutable. Il s’attaque plus violemment encore qu’au mois de janvier à nos concitoyens ; il mène des opérations quasi simultanées contre les Russes en Égypte, contre la démocratie tunisienne, contre le fragile Liban ; il tient ses positions en Irak ; il est aux portes de Damas.
Certes, nous n’avons jamais cru à une victoire éclair, mais, monsieur le Premier ministre, il y a eu des erreurs, des retards et votre stratégie s’est trouvée dans l’impasse.
Il y a un an, vous affirmiez ici que l’intervention des forces aériennes ne pouvait concerner que l’Irak, et jamais la Syrie. Pour le Gouvernement, il fallait éviter à tout prix d’aider le régime de Bachar Al-Assad, alors qu’en réalité il fallait à tout prix détruire l’État islamique. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur plusieurs bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)
En septembre 2014, je vous avais pourtant alerté, avec d’autres, sur le fait que le combat contre l’État islamique ne pouvait être victorieux que s’il était livré sur tous les fronts. Nous avons perdu du temps et l’ennemi a utilisé le sien en alignant les conquêtes et les massacres. Les minorités chrétiennes et yézidies ont été décimées et chassées de leur pays.
M. Jean Glavany. Pas seulement !
M. François Fillon. Palmyre n’est plus. Quant à Damas, sa chute n’a pu être évitée que par l’intervention russe.
Cette impasse est le résultat d’une vision diplomatique erronée. Le leitmotiv du « ni Assad ni Daech » fut une erreur. Nous ne faisons preuve d’aucune complaisance à l’égard du président syrien, mais lorsqu’on fait la guerre et que l’on doit protéger les Français des représailles, on ne multiplie pas ses adversaires et, au surplus, on ne méprise pas ses éventuels alliés. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur plusieurs bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)
Je n’ai pas attendu le 13 novembre pour dire que Moscou devait être intégré à la coalition internationale. (Mêmes mouvements.) Au lieu de cela, nous avons préféré engager un bras de fer avec la Russie, lui imposer des sanctions, l’écarter du G 8, lui refuser la vente de nos Mistral.
M. Jacques Myard. Ridicule !
M. François Fillon. Bien sûr, la crise ukrainienne était là, mais à force de ne voir qu’elle, on a perdu de vue la menace principale. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur plusieurs bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.) Par manque de clairvoyance, la France s’est privée de marges de manœuvre et s’est retrouvée dépassée par les événements. C’est sans nous que les Américains et les Russes ont engagé des discussions directes cet été. Et c’est sans nous qu’ils ont pris l’initiative de relancer le mois dernier à Vienne le processus diplomatique, auquel notre pays s’est raccroché.
À Versailles, le Président de la République a semblé décidé à changer de stratégie. Après y avoir été hostile, il ordonne de frapper l’État islamique sur le territoire syrien. Il se rend au Kremlin, il milite pour une vraie coalition internationale et renonce – c’est du moins ce que j’ai cru comprendre – à faire du départ d’Assad le préalable du préalable.
M. Pascal Popelin. Quelle réécriture de l’histoire !
M. François Fillon. Ce qui était impossible ou inadmissible l’année dernière est devenu nécessaire aujourd’hui.
Nous soutenons ce revirement mais, au fond de nous, il y a de la colère devant le temps perdu. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.– Protestations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
Mme Catherine Quéré. Est-ce vraiment le moment de polémiquer ?
M. François Fillon. C’est pourquoi, monsieur le Premier ministre, nous vous disons, avec la franchise qu’autorise notre démocratie, que notre soutien ne sera pas sans critiques pour le passé ni sans exigences pour l’avenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Votre passé à vous, c’est la Libye ! Vous avez la mémoire sélective !
M. François Fillon. Nous attendons du Président de la République qu’il ne ménage aucun effort pour constituer la coalition la plus large possible contre l’État islamique.
Qu’est-ce que cela signifie ? D’abord, fédérer dans un même cadre opérationnel tous ceux qui sont présents sur le terrain pour lutter contre l’État islamique.
M. Jacques Myard. Eh oui !
M. François Fillon. Comment croire, alors qu’un avion d’un pays de l’OTAN a abattu hier un appareil russe, qu’une simple coordination des efforts internationaux contre l’État islamique pourrait suffire ? Ce dont nous avons besoin, c’est d’une coalition unique, d’une bannière unique contre le drapeau noir, avec des objectifs militaires et politiques partagés.
M. Jacques Myard. Très bien !
M. François Fillon. Ne soyons pas naïfs. Nous ne vaincrons pas l’État islamique sans cela. Churchill, de Gaulle, Roosevelt, Staline, qui avaient bien peu de choses en commun, n’en ont pas fait l’économie pour en finir avec le nazisme. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur plusieurs bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)
Il faut donc que nous fassions tout ce qui est en notre pouvoir pour que soit organisée une conférence au sommet associant les États-Unis, la Russie et les États de la région, y compris la Turquie, l’Iran et les pays du Golfe.
Mais ça n’est pas tout. Peut-on combattre côte à côte avec les Russes, alors que nous leur imposons en même temps des sanctions européennes ? La réponse est évidemment non. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.) La France doit prendre ses responsabilités et obtenir, lors du prochain conseil européen, qu’un terme soit mis à ces sanctions ou, pour le moins, qu’elles soient suspendues. L’enjeu n’est pas de savoir si le président russe joue une partie d’échecs diplomatique, parmi bien d’autres acteurs orientaux ou occidentaux ; l’enjeu est de mettre tout le monde en ordre de bataille.
L’accord sur le nucléaire permet aussi d’envisager la réintégration de l’Iran dans les discussions. Son influence sur le conflit syrien et la présence de ses forces spéciales sur le terrain en font, qu’on le veuille ou non, un élément clé de la victoire au sol.
M. Jacques Myard. C’est du réalisme !
M. François Fillon. Pour vaincre les terroristes, monsieur le Premier ministre, nous ne pourrons pas nous passer d’une liaison avec les autorités syriennes. Comment abattre l’État islamique, dont les sanctuaires et les centres de décision sont en Syrie, comment bâtir une solution politique, sans, a minima, des échanges de renseignements avec le régime en place ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur plusieurs bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.) Nous demandons l’ouverture d’un poste diplomatique à Damas et l’envoi, dans un premier temps, d’un chargé d’affaires pour ouvrir ce canal d’information. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.) J’ajoute, monsieur le Premier ministre, que ce serait un réconfort bienvenu pour la communauté française en Syrie, qui se sent totalement abandonnée. (Nouveaux applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur plusieurs bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)
Sur le terrain, comme vous l’avez dit, il faut intensifier les bombardements des centres névralgiques de l’ennemi.
L’arrivée du porte-avions Charles-de-Gaulle permet de tripler notre capacité de frappe, et je voudrais rendre hommage à tous nos militaires qui combattent sur tous les fronts pour défendre notre liberté et notre sécurité. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe écologiste, du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Mais nous ne pouvons pas nous cantonner à cibler Raqqa. Nous devons étendre nos frappes aux zones qui permettent à l’État islamique de répandre sa gangrène jusqu’en Europe, notamment à la frontière entre la Syrie et la Turquie. C’est indispensable pour mettre un terme à la porosité de la frontière, par laquelle transitent les combattants étrangers. C’est indispensable aussi pour aider les Kurdes, dont la bravoure ne se dément pas.
Toujours sur le plan militaire, nous devons aussi avoir le courage d’anticiper l’étape d’après et les actions au sol. L’État islamique sera affaibli depuis les airs mais il ne sera vaincu qu’au sol. Ne répétons pas les erreurs de l’Irak ou de l’Afghanistan…
Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées et Mme Marie-Françoise Bechtel. Vous oubliez la Libye !
M. François Fillon. …en laissant planer l’hypothèse d’une opération occidentale, qui provoquerait immanquablement une réaction de rejet sur laquelle misent justement tant de nos ennemis.
M. Jacques Myard. Très bien !
M. François Fillon. En revanche, il faut penser les actions au sol avec ceux qui combattent effectivement l’État Islamique en Syrie et en Irak et avec les États de la région, qui sont les plus directement menacés. C’est à eux qu’il revient d’éradiquer le mal qui menace désormais une immense région allant du Pakistan au Nigeria et dont le Yémen et la Libye constituent les cibles les plus fragiles.
Mme Nicole Ameline. Très bien !
M. François Fillon. Nos efforts doivent être autant militaires que diplomatiques. Les réunions qui se sont tenues à Vienne ont conduit à l’adoption d’une feuille de route et d’un calendrier, qui ont été endossés par la Russie et par l’Iran. Ne multiplions pas les points de blocage quant au départ préalable du président syrien et sachons rester ouverts aux schémas qui permettraient de concrétiser l’horizon d’une transition politique. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)
M. François Rochebloine. Très bien !
M. François Fillon. Notre action devra s’inscrire dans le cadre du droit international. Pour l’instant, la résolution 2249, votée à la demande de la France, n’est qu’un texte déclaratoire et symbolique. C’est un premier pas, un premier pas utile mais insuffisant. Nous devons obtenir du Conseil de sécurité l’adoption d’une résolution placée sous le chapitre VII de la charte des Nations unies, le seul qui prévoie l’autorisation de l’usage de la force, le seul qui permettrait de mettre nos adversaires au ban de la communauté internationale. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)
M. Jacques Myard. Eh oui !
M. François Fillon. Enfin, nous devons aussi exiger de certains de nos alliés la clarification de leur engagement.
M. Jacques Myard. Évident !
M. François Fillon. L’Arabie saoudite et certains États du Golfe restent flous à l’égard du financement des djihadistes. Le Gouvernement nous dit – et je le crois – qu’il ne dispose d’aucun élément de preuve de l’existence de tels financements, mais les mosquées de Molenbeek ont bien été financées par l’Arabie saoudite.
M. Claude Goasguen. Des financements privés !
M. François Fillon. On nous dit qu’il s’agit de « dons privés »… Cessons de fermer les yeux ! Nous devrions d’ailleurs nous poser la question de savoir s’il ne faut pas interdire tous financements étrangers pour l’édification de mosquées sur le sol de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur plusieurs bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)
Mme la présidente. Veuillez conclure, cher collègue !
M. François Fillon. Et que dire de la Turquie ? C’est par elle que transitent les flux les plus abondants de combattants européens vers la Syrie. C’est par elle que sort l’essentiel du pétrole produit dans les zones contrôlées par les terroristes. C’est son armée qui vient d’abattre un avion allié et qui bombarde les Kurdes. Notre pays et ses alliés doivent exiger le maximum de solidarité du président Erdogan, qui ne saurait utiliser la question des réfugiés pour éluder ses responsabilités à l’égard de l’Alliance atlantique.
M. Claude Goasguen. Absolument !
M. François Fillon. Le gouvernement français ne doit pas accepter qu’un accord entre l’Union européenne et la Turquie puisse être conclu sans une clarification de la politique d’Ankara à l’égard de la Syrie. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. Je vous prie de conclure, monsieur le député.
M. François Fillon. Monsieur le Premier ministre, vous pouvez vous convaincre que votre revirement ne serait que la conséquence d’un changement de la stratégie russe que vous êtes bien le seul à percevoir ; vous pouvez une nouvelle fois ignorer nos avis, mais vous prendrez alors seul la responsabilité d’un enlisement qui aura de graves conséquences pour la sécurité des Français.
Mes chers collègues, partout ces jours-ci la Marseillaise est chantée et je vois des drapeaux tricolores. Ce drapeau rassemble tous ceux qui, au-delà de leurs origines et de leur religion, aiment la France. Parmi nous, j’invite nos concitoyens musulmans à se dresser contre ceux qui instrumentalisent leur foi. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)
Sur aucune parcelle de notre territoire, les fanatiques ne doivent trouver le moindre repos. Partout, sur les plans sécuritaire, culturel, spirituel, les fondamentalistes doivent se heurter à un mur.
Les terroristes pensaient que nous étions incapables de réagir. J’ai lu, comme vous, le récit de ces Français qui, sur les lieux des attentats, ont été courageux. Au Bataclan, certains couvraient de leur corps leurs voisins, d’autres protégeaient ou secouraient les victimes. Et puis nous avons vu de quoi sont capables les policiers, les pompiers, les médecins et les soldats.
Oui, nous sommes les héritiers d’un grand peuple qui est monté sur les barricades pour défendre sa liberté, qui est sorti des tranchées pour sa souveraineté. Nous ne sommes pas des anonymes : nous sommes la France. Pour elle, nous allons résister, nous allons nous battre ensemble et nous devons vaincre. (Les députés du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants se lèvent et applaudissent longuement. – Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Folliot, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
M. Philippe Folliot. Madame la présidente, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre de la défense, mes chers collègues, la France a une nouvelle fois été touchée en plein cœur par des attentats, les plus meurtriers de son histoire.
Au nom du groupe UDI et de l’ensemble de la représentation nationale, je veux rendre hommage aux 130 victimes, aux blessés qui ont survécu, notamment ceux dont les jours sont encore en danger, à leurs proches et à toutes celles et ceux qui ont craint pour leur vie et ont vécu de terribles heures d’angoisse.
Nous voulons également rendre hommage aux militaires, aux forces de sécurité et aux professionnels de santé, à leur courage et à leur professionnalisme sans faille. Face à l’horreur qui a frappé Paris et la France, nous saluons l’action du Président de la République et du Gouvernement et soutenons les décisions graves qui ont été prises. Lorsque la barbarie frappe notre pays, la cohésion nationale et le consensus politique s’inscrivent comme une évidence à consolider chaque jour, au même titre que le rejet des amalgames, du racisme, de l’extrémisme et de l’intolérance.
Ces attentats nous rappellent, de la pire manière qui soit, que la France est en guerre. Nos adversaires agissent sur plusieurs fronts, sur notre sol comme à l’étranger. Notre ennemi peut revêtir divers noms : Daech, Al-Qaïda, Al-Mourabitoune, Al-Nosra, Fajr Libya, Boko Haram, etc. En réalité, il s’agit de la même folie barbare, de la même dérive sectaire, baignée dans une idéologie de mort sans rémission possible. Notre ennemi n’a qu’un seul objectif : nous détruire, détruire les valeurs qui font la grandeur de la France et de la République, détruire l’esprit des Lumières, détruire la civilisation, détruire tout simplement le concept d’humanité.
Ces terroristes ne cesseront de nous frapper que le jour où nous les aurons anéantis. C’est pourquoi notre combat doit être total. Or, nous avons laissé Daech prendre une ampleur inédite. Cette hydre, ce monstre à plusieurs têtes enfanté par la barbarie et les renoncements coupables de la communauté internationale ne cesse d’étendre son emprise territoriale, plus particulièrement en Irak et en Syrie. Ce ne sont pas seulement des points sur une carte qui passent d’un camp à un autre : pour les populations civiles, sunnites ou non, chaque conquête territoriale des islamistes fanatisés est synonyme de nouvelles souffrances. Des crimes à grande échelle sont commis. Des massacres et des exactions sont perpétrés sans relâche contre les plus vulnérables, plus particulièrement les femmes, violées, asservies, et les enfants, réduits en esclavage. Les minorités religieuses, au premier rang desquelles les chrétiens d’Orient, les Yézidis, les Kurdes, les Druzes, ont été et sont la cible d’une terrible épuration. Ces crimes sont une insulte aux valeurs des droits de l’Homme, que la France porte fièrement en étendard.
Au-delà de l’Irak et de la Syrie, chaque semaine, chaque jour, l’influence de Daech continue de se répandre, dans les pays voisins, en Lybie et au-delà : plus d’une vingtaine de mouvements djihadistes et salafistes ont prêté allégeance à Daech. Al-Qaïda n’est pas en reste, comme le confirme l’attaque contre l’hôtel Radisson Blu à Bamako voilà quelques jours.
Le fragile équilibre du Maghreb et du Moyen-Orient est plus que jamais menacé par la folie meurtrière et destructrice de Daech. Les États vacillent. La Turquie, le Liban, la Tunisie, l’Égypte et d’autres pays encore ont été frappés. Ces pays doivent à la fois combattre les terroristes à leurs frontières et s’organiser face à l’afflux toujours plus important de millions de réfugiés. Le risque de les voir basculer dans le chaos est réel.
Cette crise sans précédent atteint également l’Europe de manière brutale. Le défi est immense. Des centaines de milliers de réfugiés tentent de rejoindre nos rivages. Si l’aide humanitaire que nous pouvons leur apporter en les accueillant est essentielle, elle ne suffira pas à résoudre le cœur du problème : tant que Daech prospérera, ces hommes et ces femmes, arrachés à leur foyer, continueront, au péril de leur vie, à tenter l’impossible pour fuir les atrocités et les territoires dévastés.
Face à ce flux migratoire d’une ampleur inédite, qui a vu déferler depuis le début de l’année plus de 700 000 personnes en Europe, l’Union européenne doit mettre en place un contrôle plus efficace de ses frontières extérieures : ceux qui veulent nous frapper ne doivent pas pouvoir profiter de la crise des réfugiés pour nous atteindre.
Mes chers collègues, les combattants étrangers venant grossir les rangs de Daech affluent de plus d’une centaine de pays. La France détiendrait d’ailleurs le triste privilège d’occuper la première position parmi les pays européens : près de 1 700 soi-disant Français seraient impliqués d’une façon ou d’une autre dans les filières irako-syriennes. Chaque individu qui rejoint ces terroristes met en péril la sécurité de la France et des Français ; n’oublions pas que la plupart des auteurs des terribles attaques sur notre sol étaient Français et avaient séjourné en Syrie ou en Irak.
La communauté internationale a manifestement sous-estimé le danger et n’a que trop tardé à agir efficacement. Le groupe UDI a soutenu, depuis leur lancement voilà deux mois, les frappes aériennes contre Daech en Syrie. Cependant, force est de constater que si ces frappes ont permis de freiner l’avancée des terroristes et de reprendre le contrôle de certaines villes, elles n’ont suffi ni à entamer une véritable reconquête territoriale ni à affaiblir durablement Daech. Nous soutenons aujourd’hui la prolongation de l’engagement de nos forces aériennes en Syrie et saluons la décision du Président de la République de l’intensifier. Cependant, nous ne pouvons pas en rester là.
Nos actions doivent à présent nous permettre d’atteindre nos buts de guerre. Je l’avais dit ici même le 15 septembre dernier, la question d’une intervention au sol reste irrémédiablement posée. Refuser d’aller combattre ces monstres sur leur sol, c’est se résoudre à ce que cette guerre ne se livre que sur le nôtre.
Soyons clairs : il n’est pas question que la France se lance seule dans ce combat. L’exigence est aujourd’hui, en appui des forces alliées de la région, d’élargir la coalition internationale en associant mieux la Russie, qui pourra intervenir sous l’égide des Nations unies et définir une solution politique concertée pour stabiliser la zone de manière durable. Ce véritable Yalta de la lutte contre le terrorisme que nous appelons de nos vœux devrait être la première réponse face à Daech.
Il appartient à la France, en tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, d’être le fer de lance de cette mobilisation internationale et de mener, avec toutes celles et tous ceux qui placent la dignité humaine au-dessus de tout, cette lutte implacable, longue, violente, que seul un combat peut justifier : celui qui est mené au nom de l’humanité contre la barbarie.
La résolution adoptée à l’unanimité la semaine dernière permettant de prendre toutes les mesures nécessaires pour combattre Daech est une première étape importante, l’étape politique. Elle doit à présent se traduire en actes et nous espérons que la rencontre du Président de la République cette semaine avec David Cameron, Barack Obama, Angela Merkel, Vladimir Poutine et les principaux dirigeants arabes de la région portera ses fruits.
Nous devons également poser la question de notre positionnement face au régime syrien. Comme je l’ai indiqué à cette même tribune lors du débat sur les vols de reconnaissance, si dans l’indicible horreur Daech et le régime syrien se valent, force est de constater que l’un nous fait la guerre et l’autre non. Il est urgent d’en tirer les conséquences, comme en leur temps Roosevelt, Churchill et De Gaulle se sont entendus avec Staline pour éradiquer le nazisme !
M. Jacques Myard. Et ils ont eu raison !
M. Philippe Folliot. Enfin, la France doit prendre l’initiative de relancer l’Europe de la défense que le groupe UDI appelle de ses vœux depuis des années. Souvenons-nous que l’Europe a été créée au lendemain de la Seconde guerre mondiale pour préserver la paix. L’Europe des pères fondateurs, qui s’est éloignée de ses citoyens au fil des années, doit aujourd’hui trouver un nouveau souffle. C’est en unissant leurs forces et en mutualisant leurs moyens, notamment les échanges de renseignement, que les États membres lutteront plus efficacement contre le terrorisme et protégeront le peuple européen de la barbarie. L’effort de la France est massif mais chacun convient que nous avons atteint notre capacité maximale : 34 000 soldats sont actuellement engagés, tant en opérations intérieures qu’en opérations extérieures, dont 80 % en Afrique. Nous pouvons leur rendre hommage.
Il s’agit d’un niveau jamais atteint depuis la fin de la guerre d’Algérie. Certes, le Président de la République s’est engagé, lors de son discours devant le Parlement réuni en Congrès, à augmenter les moyens de la défense et mettre un terme aux suppressions de postes, ce à quoi nous l’avions invité lors du vote de l’actualisation de la loi de programmation militaire.
Il est urgent que les pays européens s’unissent pour se donner les moyens de mener une lutte implacable contre le terrorisme islamiste. À cet effet, le recours à la clause de solidarité communautaire, que la France a eu raison d’invoquer, témoigne de la puissance des outils dont nous disposons. Il reste à les utiliser concrètement, à bon escient et au bon moment.
La lutte sera longue et difficile mais il n’y a pas d’alternative, sauf à renoncer à notre sécurité et renier nos valeurs. Le groupe de l’Union des démocrates et indépendants votera sans états d’âme la prolongation de notre engagement. Il en va, non seulement de la protection des Françaises et des Français, mais également de la défense de notre liberté si chèrement gagnée au fil de notre histoire et des acquis de la démocratie et de la République ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)
M. Philippe Gomes. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Barbara Pompili, pour le groupe écologiste.
Mme Barbara Pompili. Madame la présidente, monsieur le Premier ministre, madame et messieurs les ministres, mesdames les présidentes de commission, chers collègues, chacun conçoit bien que la question de l’autorisation de la prolongation de l’engagement des forces aériennes françaises au-dessus du territoire syrien, sur laquelle nous nous prononcerons tout à l’heure, prend un sens particulier à la lumière des événements tragiques que nous avons vécus au cours des deux dernières semaines et qui ont changé la donne, qu’on le veuille ou non.
La France est en guerre au regard du droit international, et notamment de l’article 51 de la Charte des Nations unies, qui dispose qu’un État peut recourir à la légitime défense –et donc entrer en guerre – dès lors qu’il fait l’objet d’une agression armée.
La France est en guerre parce que les attaques perpétrées à Paris et Saint-Denis et les projets avortés grâce à l’action de nos forces de sécurité intérieure constituent des actes de guerre préparés, coordonnés, et revendiqués par une armée terroriste qui tente de prendre la forme d’un État. La France est en guerre parce que nous sommes engagés diplomatiquement et militairement dans une lutte durable contre le terrorisme au Mali comme au Sahel et au Moyen-Orient.
Cette guerre est singulière. Elle est menée au nom d’une foi dévoyée qui ne reconnaît ni nos lois ni le droit international. C’est une guerre qui nous a été déclarée par un adversaire qui cherche à conquérir par la force toutes les apparences et toutes les prérogatives d’un État mais refuse toutes les responsabilités qui incombent à un État sur la scène internationale.
Cette guerre nouvelle échappe au modèle de la guerre codifiée issue du droit international, un droit né précisément, faut-il le rappeler, en terre babylonienne il y a 4 000 ans. En ce sens, tout se tient et les destructions de trésors archéologiques ne sont pas le fruit du hasard : elles procèdent de la volonté de détruire l’idée même de civilisation. Les combattants qui la servent se nourrissent d’une idéologie singulière faisant de l’apocalypse tout à la fois son moteur et son but.
Cette guerre d’un type nouveau se caractérise par une continuité des menaces intérieure et extérieure. Notre réponse doit donc être elle aussi intérieure et extérieure. Nous avons adopté la semaine dernière plusieurs mesures visant à renforcer la sécurité des Français. Le débat que nous avons aujourd’hui doit préciser le sens, les objectifs et les contours de notre action militaire en Irak et en Syrie.
De part et d’autre de la frontière entre ces deux pays, l’autoproclamé État islamique administre, après l’avoir conquis par la force et hors de tout cadre international, un territoire aussi vaste que la Belgique. Il y lève l’impôt et y gère les services publics. Il y organise un commerce qui échappe lui aussi à toute règle et lui permet de financer ses actions criminelles. Il y développe des postes de commandement, y stocke des armes et y organise des centres d’entraînement. Il y accueille des combattants volontaires recrutés partout dans le monde, en particulier chez nous, qu’il embrigade et forme à la lutte armée et au crime.
Personne ne peut croire que nous parviendrons à circonscrire son pouvoir de nuisance en adoptant une stratégie de cordon sanitaire visant à confiner les terroristes chez eux et à nous barricader chez nous. La nature de la menace, la forme qu’elle a prise au cours des derniers mois et l’absence complète de possibilité de négocier ne laissent pas le choix de l’objectif qui doit être le nôtre et celui de la communauté internationale : détruire cet embryon d’État.
À l’heure où nous parlons, il ne fait guère de doute que la destruction de l’État islamique suppose une intervention militaire d’envergure et durable en Irak et en Syrie.
Par ailleurs, l’attaque terroriste du 13 novembre dernier est la plus meurtrière jamais perpétrée sur notre territoire depuis la Seconde guerre mondiale. Laisser impuni ce crime odieux impuni ou le traiter comme une entreprise criminelle sans prendre en compte son caractère éminemment politique reviendrait à envoyer un dramatique signal d’impunité aux terroristes de Daech.
Ce qui nous est demandé aujourd’hui, nous en avons conscience, ce n’est pas simplement de ne pas nous opposer à une réplique inéluctable, c’est de soutenir une riposte d’envergure.
Depuis le mois d’août 2014, la coalition internationale intervient militairement, notamment avec des moyens aériens, en Irak et en Syrie. Je rends ici hommage à tous nos soldats engagés dans cette opération. Ces frappes, qui viennent compléter l’action des combattants irakiens et syriens au sol, ont permis de briser la dynamique de conquête territoriale de l’État islamique mais sans la refouler ni l’affaiblir durablement. Et pour cause ! Depuis quatorze mois, ni les membres de la coalition, ni les puissances régionales, ni les relais au sol ne parviennent à s’accorder sur une vision et une stratégie communes. C’est pourtant une nécessité. La question des moyens est subsidiaire car en l’absence de stratégie commune, l’action militaire ne peut qu’être dispersée et inefficace. Il n’y aura pas de stratégie militaire efficace contre Daech sans consensus politique international.
De même que nous soutenons l’action militaire de la France, nous soutenons son action diplomatique visant à créer la « grande et unique coalition » évoquée par le Président de la République. Cet objectif est loin d’être atteint. Les rencontres du Président de la République avec le premier ministre britannique David Cameron, le président américain Barack Obama, le président russe Vladimir Poutine mais aussi les principaux chefs d’État et de gouvernement européens doivent avoir pour but, non seulement de coordonner les actions des forces sur le terrain, mais également d’associer à l’action tous ceux qui en ont la capacité et la volonté.
Une coalition unique, ce sont des engagements aériens supplémentaires, c’est le soutien naval de nouveaux acteurs, c’est une aide renforcée et sans arrière-pensée aux combattants engagés sur le terrain – l’armée irakienne et les combattants kurdes – ; c’est un partage effectif du renseignement.
La solidarité européenne que vous avez sollicitée, monsieur le Premier ministre, peut quant à elle prendre la forme de soutiens indirects. Je tiens à saluer ici la décision d’Angela Merkel de soumettre à l’approbation du Bundestag l’envoi de 650 soldats allemands au Mali, ce qui soulagera l’armée française et nous permettra de mieux nous concentrer sur les enjeux de sécurité intérieure et extérieure découlant du péril djihadiste. La solidarité européenne, c’est aussi la capacité à partager les coûts de la guerre car ces combats que nous menons, nous les menons aussi pour protéger l’Europe de la menace.
Enfin, une coalition unique, c’est une vision géopolitique concertée. La mobilisation sans précédent qui se dessine doit permettre de s’accorder sur une feuille de route politique, sur les évolutions de l’intervention militaire et sur la question cruciale de l’après Bachar el-Assad. En effet, si l’ennemi de la France en Syrie est l’État islamique, l’avenir durable de la Syrie ne saurait s’incarner dans un régime qui a gazé son peuple, créé le chaos dans son pays et piétiné les principes élémentaires du droit international.
Quant à l’évolution des opérations militaires, chacun a bien conscience que la nécessaire action au sol aura une efficacité et une légitimité seulement si elle est menée principalement par les acteurs locaux. Cela suppose que toutes les parties de la coalition, y compris la Turquie, acceptent que le rôle des combattants kurdes soit reconnu, respecté et soutenu matériellement et militairement.
Lors de nos trois précédents débats parlementaires sur l’action militaire de la France au Moyen-Orient, les écologistes ont défendu, par la voix de mon collègue François de Rugy, l’idée d’une grande conférence internationale consacrée en priorité à la question des minorités du Moyen-Orient. Cette question est plus que jamais au cœur des solutions car, dans cette région du monde, problématiques sécuritaire et communautaire sont enchevêtrées. C’est du chaos qui règne entre populations sunnites, chiites, kurdes, chrétiennes, yézidies et sabéennes, qu’ils entretiennent et exacerbent, que se repaissent les fondamentalistes.
Poser la question de la juste représentation de ces populations dans les institutions nationales, traiter les questions territoriales et nous interroger sur de nouveaux modèles d’administration respectueux des droits des minorités, notamment des Kurdes, créera les conditions d’un apaisement entre les peuples et privera l’État islamique de son apparence de légitimité auprès de ses soutiens. Cette conférence internationale permettrait en outre de placer un certain nombre de pays devant leurs responsabilités. Je rappelle ici que nous appelons depuis quatorze mois à une clarification de la position certains partenaires. Je pense bien entendu à la Turquie, qui laisse se dérouler sous ses yeux la contrebande d’hydrocarbures qui finance Daech, fait preuve d’un laxisme certain vis-à-vis des combattants européens qui transitent sur son sol et gère l’afflux des migrants en fonction de ses objectifs intérieurs et de la question kurde.
M. François Rochebloine. C’est vrai !
Mme Barbara Pompili. Je pense également aux pays du Golfe, qui doivent impérativement dissiper toutes les suspicions de financement de l’État islamique.
Tels sont, monsieur le Premier ministre, les principes qui forgent aujourd’hui l’engagement des écologistes : un soutien très majoritaire à la prolongation de l’intervention afin de riposter aux attentats et atteindre l’objectif de détruire l’État islamique ; un soutien au mode d’intervention retenu – des frappes aériennes conformes à la doctrine exposée ce matin en commission de la défense excluant les destructions massives d’installations pétrolières susceptibles de provoquer des dégâts écologiques irréversibles ; une analyse claire de la stratégie de la coalition internationale et des contours de la transition politique et des propositions pour combattre à la racine les tensions ethniques et territoriales sur lesquelles prolifère l’idéologie de Daech. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Saint-André, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
M. Stéphane Saint-André. Madame la présidente, monsieur le Premier ministre, madame et messieurs les ministres, chers collègues, comme le Président de la République l’a déclaré devant le Congrès la semaine dernière, nous sommes en guerre. Nous sommes en guerre contre des terroristes barbares qui ont pris pour cible ce que nous sommes, les symboles d’un mode de vie libre, laïque et pacifique.
Il s’agit d’une guerre d’un autre type, qui n’est plus conventionnelle, entre États, mais a quitté les champs de bataille et les états-majors. C’est une guerre asymétrique fondée sur l’hyper-terrorisme, une guerre qui est descendue dans la rue, dans les cafés et dans les salles de spectacles et qui tue des désarmés. Nous sommes en guerre contre Daech.
Issue d’une branche dissidente d’Al-Qaïda, cette organisation terroriste, autoproclamée depuis 2014 État islamique en Irak et au Levant, est devenue peu à peu la plus puissante et la plus dangereuse dans la région et dans le monde, en raison d’abord de l’immense territoire qu’elle contrôle.
En effet, Daech étend son influence sur environ la moitié des territoires irakien et syrien, contrôlant les principaux points de communications et axes stratégiques que sont les villes, les fleuves et les postes-frontières. Ambitionnant d’établir à terme un califat allant du Levant à l’Irak, Daech voudrait poursuivre son expansion terroriste.
Cette organisation sectaire est un danger car elle dispose de moyens financiers considérables. Sans une fortune estimée à plusieurs milliards de dollars, alimentée notamment par des avoirs récupérés dans les banques sur son territoire, l’exploitation des puits de pétrole et le racket organisé dans les zones sous son contrôle, Daech ne pourrait pas mener ses exactions barbares.
Il ne pourrait pas non plus y parvenir sans une force combattante de plusieurs dizaines de milliers d’individus venus d’Irak, de Syrie pour la plupart, et d’Occident, obéissant tous à une idéologie macabre.
Sous couvert de principes islamiques, cette organisation prône une doctrine mafieuse et criminelle pour asservir les populations sous son contrôle. Elle y parvient en menant une épuration ethnique et religieuse, en exécutant presque systématiquement les militaires et miliciens des armées irakiennes et syriennes faits prisonniers ainsi que les rebelles syriens, en massacrant des civils, notamment dans certaines communautés, comme les chrétiens d’Orient, les Yézidis, les Kurdes, pour ne citer qu’eux. Leurs méthodes d’exécutions sont toujours barbares : fusillades, décapitations, crucifiements et lapidations. C’est à juste titre que Daech est accusé de crimes de guerre, de nettoyage ethnique et de crimes contre l’humanité.
En plus de s’en prendre aux hommes, aux femmes, aux enfants, les terroristes s’attaquent aussi à l’histoire, à la culture et à l’art. Déjà, le musée de Mossoul, la cité assyrienne de Nimrod, le temple de Bêl à Palmyre ont été saccagés, dans cette volonté d’éradiquer toutes les traces d’un passé dans lequel ont coexisté les civilisations et les grandes religions.
Par son idéologie, ses méthodes et ses objectifs, Daech fait montre d’une dangerosité exceptionnelle. Son influence a pris, en une année, une ampleur considérable et, comme un mal qui gangrène, dépasse désormais les territoires qu’il a sous contrôle. L’afflux historique de réfugiés qui fuient la guerre et les massacres, drame humanitaire, en est la conséquence immédiate.
L’exportation du terrorisme en est une autre. Depuis sa base arrière, en Syrie, Daech nous touche régulièrement en plein cœur. Les événements tragiques que nous vivons depuis le début de l’année l’illustrent sombrement, qu’il s’agisse des attaques meurtrières de janvier, de celle avortée fin août dans le Thalys, ou de ce vendredi 13 de l’horreur, depuis lequel nous n’en finissons pas de pleurer nos 130 morts. Nous n’oublions pas les trois cents autres personnes qui ont perdu la vie au printemps, dans les attaques en Tunisie, en octobre, dans la destruction d’un avion de ligne russe, en novembre, dans l’attaque à la bombe à Beyrouth, et ces derniers jours à Bamako, à Tunis ou en Égypte.
Face à cette menace d’abord, à ces attaques ensuite, la France n’a pas tardé à réagir. Dès août 2014, en parallèle avec les frappes aériennes américaines menées dans le nord irakien, notre pays a commencé par envoyer, en Irak, de l’aide humanitaire aux réfugiés fuyant l’avancée de Daech, avant de livrer des armes aux forces kurdes et irakiennes, en première ligne dans le combat contre les djihadistes.
Quand, à la demande du gouvernement irakien – dans le cadre des résolutions adoptées par le Conseil de sécurité des Nations unies –, une large coalition internationale s’est formée, la France a pris l’initiative d’organiser à Paris, en septembre 2014, une Conférence internationale pour la paix et la sécurité en Irak. Quelques jours après, elle lançait l’opération Chammal.
Basée aux Émirats Arabes Unis et en Jordanie, cette opération, forte alors de plus de huit cents militaires et d’un dispositif important comptant notamment plusieurs avions Rafale et Mirage, s’est montrée très active. En étroite coordination avec nos alliés présents dans la région, elle a permis, dans cette guerre d’usure, des avancées significatives, en fournissant un appui aérien aux forces armées irakiennes et en acquérant du renseignement sur les positions et les mouvements des terroristes.
Cependant, Daech a poursuivi ses atrocités et étendu son emprise à la Syrie. Le Président de la République, chef des armées, a alors décidé, en septembre, l’engagement de nos forces aériennes pour des vols de reconnaissance au-dessus du territoire syrien. Il s’agissait de permettre aux services français de collecter du renseignement sur les centres d’entraînement et de décision, et éventuellement de les frapper. Le Parlement a donné son aval et la France a pu bombarder à trois reprises, avec succès, des camps d’entraînement de combattants étrangers.
À la suite des attentats meurtriers commis sur notre territoire, le temps est donc venu d’amplifier cet effort en menant, pour reprendre l’expression présidentielle, « un combat sans merci ».
Nous saluons les décisions immédiates qui ont été prises par le chef de l’État, et d’abord celle d’accentuer les frappes : dix chasseurs bombardiers ont lancé des raids massifs, jamais encore réalisés en Syrie. Visant Raqqa, bastion de l’État islamique, ils ont détruit des postes de commandement, un centre de recrutement djihadiste, un camp d’entraînement terroriste et des dépôts d’armes et de munitions.
Il a ensuite été décidé que le porte-avions Charles-de-Gaulle appareillerait pour le golfe persique, ce qui triple nos capacités d’action. Dès lundi, des chasseurs bombardiers en ont décollé pour frapper Ramadi et Mossoul, en appui de forces locales au sol, en progression contre les troupes de Daech. En moins de cinq jours, nos armées ont montré leur capacité de mobilisation et leur efficacité.
Nous soutenons ces frappes aussi pour la Syrie, ses 300 000 morts en quatre ans et ses quatre millions d’exilés, et pour l’Irak, son voisin, tout aussi dévasté. Car il faut également travailler à ce qui constitue, sans doute, la solution durable : une transition politique, pour redonner à ces peuples une perspective politique viable. Mais celle-ci ne pourra s’opérer que lorsqu’un coup d’arrêt définitif aura été mis à l’expansion de Daech, pour finir par son anéantissement.
Dans cette perspective, la volonté de la France, que nous soutenons, de réunir une grande coalition internationale, ou tout du moins une coordination, contre Daech, prend tout son sens, d’autant qu’une résolution, à l’initiative de notre pays, a été adoptée le 20 novembre par le Conseil de sécurité des Nations unies, permettant de « prendre toutes les mesures nécessaires » pour combattre l’organisation djihadiste.
Par conséquent, le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste soutient l’autorisation de la prolongation de l’engagement des forces aériennes au-dessus du territoire syrien. Si nous sommes en guerre, c’est pour gagner la paix ! (Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et sur quelques bancs du groupe écologiste et du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Candelier, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
M. Jean-Jacques Candelier. Madame la présidente, monsieur le Premier ministre, madame et messieurs les ministres, chers collègues, les périodes tragiques appellent des décisions graves. Décider d’intervenir militairement sur un territoire étranger en fait partie. Il convient donc, d’emblée, de souligner le caractère solennel de notre débat et le sens des responsabilités qui doit le guider.
Nous le devons à nos concitoyens, qui font face à la menace djihadiste avec courage et dignité. Nous leur devons aussi de garantir leur sécurité, mais sans posture martiale ni esprit de vengeance.
Il faut agir, oui, mais avec raison. C’est ainsi, que nous, députés du Front de gauche, soulignons plus que jamais que la solution au conflit syrien est foncièrement politique et diplomatique.
M. Jean-Luc Laurent. Exact, mais elle peut être aussi militaire.
M. Jean-Jacques Candelier. C’est dans cet esprit que nous attendons notamment des résultats aux initiatives de l’exécutif menées depuis ces derniers jours.
Les députés du Front de Gauche se prononceront après l’étude de plusieurs questions. D’où vient Daech ? Quel est le but de cette intervention ? Celle-ci est-elle légale ? Comment vaincre Daech ? Quel cadre multilatéral mettre en place ?
En préambule, je souhaite rappeler l’origine de ce groupe terroriste. Daech est la « créature des États-Unis », selon les mots d’Hillary Clinton. C’est un monstre hérité de l’intervention anglo-américaine en Irak en 2003, qui a créé un chaos et une guerre interconfessionnelle affectant l’ensemble de la région.
La marginalisation institutionnelle, politique et sociale des sunnites irakiens et syriens les a fait basculer dans l’impasse mortifère de l’islamisme radical. Les puissances occidentales, avec leurs alliés régionaux, ont persisté à vouloir construire leur hégémonie sur cette région, qui représente pour eux un enjeu majeur, en matière d’énergie notamment.
Aujourd’hui, il faut créer une alternative viable à Daech par une reconfiguration du pouvoir, en Syrie comme en Irak, reconfiguration que seuls ces peuples souverains sont légitimes à définir et à mettre en place, avec l’aide et la solidarité internationale.
L’intervention qui nous est proposée aujourd’hui répond-elle à ce cadre d’analyse ? François Hollande a déclaré au Congrès de Versailles chercher une solution politique dans laquelle Bachar Al-Assad ne peut constituer l’issue. Il a aussi affirmé que l’ennemi de la France en Syrie était Daech.
Néanmoins, l’intervention militaire n’est pas la solution d’avenir pour la Syrie. L’ONU doit être placée au centre d’initiatives diplomatiques et politiques. Nous partageons bien sûr l’objectif du Président de la République de détruire Daech. La destruction de cette organisation est nécessaire pour sauver des populations, celles de Syrie et d’Irak, mais aussi celles de Libye, du Liban, de Jordanie, de Turquie et des pays voisins.
L’impératif est également de nous protéger, pour éviter que des actes terroristes soient commis à nouveau sur notre territoire. Nous le savons, Daech est un ennemi de l’humanité entière. De Paris à Beyrouth, d’Ankara à Sousse, c’est le monde entier qui est pris pour cible, au nom d’une idéologie totalitaire et obscurantiste.
Quels sont les motifs légaux de notre intervention ? Le Gouvernement invoque l’article 51 de la Charte des Nations unies, qui porte sur la légitime défense. Cet article précise qu’un État a le « droit naturel » de se défendre en cas d’agression armée, jusqu’à ce que le Conseil de sécurité ait pris les mesures nécessaires pour maintenir la paix et la sécurité internationales.
Les attaques terroristes en France commanditées depuis la Syrie contribuent à accréditer cet argument de la légitime défense, et ce, même si l’organisation djihadiste n’est pas un État. Reconnaître à Daech la qualité étatique ne risque-t-il pas de conforter sa légitimité et de renforcer son ambition d’instituer un califat ?
Force est de reconnaître toutefois les capacités militaires importantes de cette organisation. Daech se bat avec des tanks et des véhicules blindés. L’armée du groupe « État islamique » réunit aujourd’hui l’équivalent de sept divisions, pour capitaliser une force militaire égale au double de celle de la Jordanie. Il n’y a aucune différence avec une armée régulière, sauf l’absence d’aviation. Malgré les pertes régulières de combattants, causées par les combats et les bombardements, ses capacités continuent de croître.
Face à ce danger, nos forces fournissent depuis septembre 2014, dans le cadre de l’opération Chammal, un soutien aérien aux forces armées irakiennes dans leur lutte contre ce groupe.
Depuis septembre 2015, l’opération s’est étendue au territoire syrien. Elle mobilise sept cents soldats, aviateurs, mécaniciens et fusiliers, douze chasseurs Rafale et Mirage 2000. Au lendemain des attentats de novembre, sur les 285 opérations aériennes menées depuis le lancement de Chammal, seules quelques frappes avaient eu lieu en Syrie. Ce n’est qu’en réaction aux attaques récentes que la France a accentué l’offensive contre Daech sur le territoire Syrien, avec l’entrée en jeu du porte-avions Charles-de-Gaulle, qui triple nos capacités d’action. Nous avons détruit des centres de commandement, de recrutement, d’entraînement et des dépôts de munitions.
Pour les députés du Front de Gauche, l’intervention ne peut être prolongée que dans le cadre d’une mobilisation multilatérale, sous l’égide de l’ONU. La résolution 2249, qui vient d’être adoptée à l’unanimité du Conseil de sécurité, y contribue. Elle demande aux États membres de coordonner leur action contre Daech et d’éliminer son sanctuaire en Irak et en Syrie.
Une nouvelle résolution, pour « l’émergence d’un front antiterroriste », a été déposée par la Russie auprès du Conseil de sécurité, autorisant explicitement le recours à la force. Une guerre se gagne avec des forces terrestres, notamment celle de Bachar Al-Assad, qui reste une des seules à pouvoir agir.
Nous ne vaincrons pas Daech uniquement avec des frappes.
Il faut donc soutenir et fournir un appui aux forces syriennes et irakiennes démocratiques, parmi lesquelles les Kurdes, qui combattent sur le terrain.
Il faut pleinement soutenir la résistance de terrain à l’État islamique. Il serait impensable de donner l’impression que cette guerre est menée par l’Occident car cela ne ferait que raviver la dangereuse théorie du choc des civilisations, laquelle provoque divisions et stigmatisations au sein de notre nation, riche de sa diversité.
La France doit aussi peser de tout son poids pour lutter contre la répression turque envers les Kurdes qui se battent pour notre liberté. Laisser les Kurdes se faire assassiner, c’est perdre la bataille contre Daech.
La France doit répondre favorablement aux demandes des Kurdes syriens en lutte contre Daech, qu’il s’agisse de livraison d’armes et de médicaments ou de soins apportés aux blessés. Elle doit également exiger de la Turquie la levée du blocus qui isole le Kurdistan.
Si le volet militaire participe à la solution, il n’est qu’une partie de la réponse si l’on veut permettre aux peuples de vivre dans une paix qu’ils ne connaissent plus depuis longtemps. Riposter à la violence terroriste par la seule voie militaire, sans stratégie politique visant le retour de la paix et le développement de toute la région, serait une grave erreur qui permettrait à Daech d’atteindre ses objectifs : la conquête de territoires, de richesses et de populations.
La France doit soutenir les efforts diplomatiques, après la dernière réunion à Vienne du Groupe international d’appui pour la Syrie. La transition politique passe par la reconquête de la Syrie afin de permettre à son peuple de décider librement de son avenir.
Au niveau économique, aucune perspective ne peut s’ouvrir dans cette région si les relations commerciales demeurent fondées sur des accords de libre-échange. Ceux-ci privent les peuples de leurs ressources au profit de multinationales. Sans mesures économiques et sociales, il n’y a aucun espoir de rétablir la paix.
Par ailleurs, la guerre contre Daech ne peut pas masquer les errements de notre diplomatie. Nous ne pouvons continuer à nourrir nous-mêmes les logiques de guerre dans lesquelles les terroristes veulent nous entraîner. Les liens avec les pétromonarchies, qui sont le fourrier du terrorisme fanatique, doivent être rompues. Les alliances actuelles avec les gouvernements réactionnaires de l’Arabie Saoudite et du Qatar doivent être reconsidérées sur d’autres critères que ceux de la vente d’armes.
L’argent, c’est le nerf de la guerre. La contrebande pratiquée par Daech est une source importante de ses revenus. Il est impensable de laisser le commerce du pétrole perdurer en toute tranquillité.
La France doit prendre sa responsabilité dans la bataille pour l’assèchement du financement de l’État islamique. Dès juin 2015, les députés du Front de gauche avaient demandé la création d’une commission d’enquête à ce sujet.
Ce sont aussi les filières de recrutement djihadiste qu’il faut assécher. Des Français tuent des Français. Un temps pour un examen de conscience doit être prévu dans l’agenda politique.
Le sécuritaire et le militaire ne sauraient absorber tout le politique, même en ces temps exceptionnels. On sait que les profils des individus basculant dans la radicalisation sont divers. Leur implication est associée, dans la plupart des cas, à des phénomènes de rupture scolaire, familiale, sociale ou psychologique. Le fracas des armes, les injustices et la misère développée par le capitalisme ne font qu’entretenir un ressentiment dont se nourrissent les recruteurs,
Notre ennemi, c’est le terrorisme fanatique. C’est également la misère sociale et le racisme qui participent à nourrir la « bête immonde ».
C’est forts de cette position argumentée que les députés du Front de gauche s’abstiendront sur la poursuite des opérations en Syrie. Merci. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires étrangères.
Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères. Madame la présidente, monsieur le Premier ministre, madame et messieurs les ministres, mes chers collègues, Daech, ce sont des criminels, porteurs d’une idéologie de mort, qui veut réduite à néant les valeurs universelles de l’humanité et qui bafoue l’idée même de civilisation.
Malgré la tragédie qui frappe notre pays, les victimes, leurs familles, nous n’oublions pas les attentats commis au Danemark, en Tunisie, en Égypte, au Liban, au Koweït, en Arabie Saoudite, en Turquie, en Lybie et contre la Russie, ni les otages norvégiens et chinois récemment exécutés. Les victimes se comptent par milliers, elles ont tous les visages et toutes les nationalités.
L’action de la France repose sur quatre piliers. Il s’agit tout d’abord d’obtenir une coordination accrue de tous ceux qui peuvent effectivement lutter contre Daech. Dans ce but, le Président de la République s’est rendu hier à Washington et sera demain à Moscou. Au Conseil de sécurité des Nations unies, la résolution proposée par la France a été adoptée à l’unanimité samedi dernier.
Contrairement à ce que certains prétendent, tout à l’heure encore, ici même, la France parle avec la Russie, avec l’Iran, avec les pays arabes de la région, comme évidemment avec les Américains et nos voisins européens, c’est-à-dire avec tous les acteurs de ce drame.
Le Président de la République et les ministres des affaires étrangères n’ont pas attendu le 13 novembre, ni même le 7 janvier, pour entretenir un dialogue direct avec les Russes, sur l’Ukraine, mais aussi sur la Syrie et le Moyen-Orient. Les Russes semblent frapper Daech davantage qu’auparavant à Raqqa et à Déir ez-Zor. C’est une évolution positive qui reste à confirmer et à amplifier dans les jours et les semaines qui viennent. Car il ne s’agit pas seulement de contenir Daech mais de détruire cette organisation, dont les populations civiles sont les premières victimes.
Deuxième axe, il s’agit de frapper résolument Daech en Syrie comme en Irak. En Irak, la coalition militaire à laquelle la France participe a déjà réussi, avec les forces de sécurité irakiennes et les peshmergas, à faire reculer Daech, notamment à Baïji et à Sinjar.
En Syrie, le Président de la République a décidé d’intensifier les opérations aériennes qui ont été engagées au mois de septembre, et de les prolonger. Comme le Gouvernement le demande aujourd’hui, nous devons autoriser nos forces aériennes à continuer leur engagement au-dessus du territoire syrien pour accentuer nos bombardements et détruire, comme nous l’avons fait récemment à Raqqa, des centres d’entraînement, des postes de commandement, des infrastructures pétrolières et gazières qui servent à financer Daech. Nous devons également augmenter notre appui à ceux qui combattent au sol, notamment aux Kurdes.
Le troisième axe est d’aboutir à une solution politique en Syrie mais aussi dans les autres conflits au Moyen Orient. Daech se nourrit avant tout des crises politiques et des conflits internes. La solution doit donc être politique et globale. En Libye, la formation d’un gouvernement d’union nationale est urgente et cruciale. En Irak, il faut continuer à aider le Gouvernement de M. Abadi à mettre en œuvre le processus de réconciliation nationale. Et n’oublions pas le conflit israélo-palestinien, ni la dure guerre au Yémen. En Syrie, bien sûr, il faut une transition politique. Tant que le pays n’aura pas un gouvernement inclusif, accepté par tous, la guerre continuera et l’extrémisme gagnera du terrain.
La dernière réunion qui s’est tenue à Vienne le 14 novembre et qui a rassemblé tous les acteurs, y compris la Russie et l’Iran, ouvre enfin une perspective. Un calendrier et des objectifs précis ont été approuvés : des négociations entre le régime et l’opposition non-terroriste, pour établir une gouvernance crédible, inclusive et non sectaire, respectant l’unité de la Syrie, pour mettre en place un cessez-le-feu, adopter une nouvelle constitution, organiser des élections conformes aux normes internationales, sous l’égide des Nations unies.
Une transition politique, conduisant au départ d’Assad, s’impose pour une raison simple. Il n’y a pas d’autre moyen de réunir les Syriens et l’ensemble des pays de la région.
Le dernier axe est de tarir les financements et lutter contre la radicalisation.
Éradiquer Daech sera long et difficile, et dépend de notre capacité à agir sur plusieurs fronts.
Il faut priver Daech de ses sources de financement : le trafic de pétrole, la prédation sur les populations, le recel d’antiquités. Les frappes de la coalition ont permis de détruire un nombre important de raffineries mobiles ainsi que des points de chargement de pétrole et de gaz. Le Conseil de sécurité a adopté la résolution 2199 contre ces trafics et le groupe d’action financière, le GAFI, agit contre le blanchiment de l’argent sale.
La lutte se mène aussi sur notre territoire national. Michel Sapin avait déjà annoncé en mars dernier un plan d’action, qu’il vient de renforcer.
Agir contre la radicalisation est l’affaire de tous. Dans cette lutte, les États ne peuvent pas tout faire. Nous avons besoin des sociétés civiles. Les États doivent fournir des outils contre la radicalisation mais il appartient à la société civile de bâtir un contre-discours et de le diffuser sur internet.
Avec une stratégie commune et cohérente contre Daech, ces 30 000 combattants peuvent être vaincus. C’est la raison pour laquelle, mes chers collègues, je dis très franchement à ceux qui se perdent dans les polémiques, et qui sont malheureusement les mêmes qui ont pris des décisions désastreuses, comme en Libye : « Privilégiez l’unité nationale et approuvons la prolongation de l’engagement de nos forces aériennes au-dessus du territoire syrien. » (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains. – Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées.
Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées. Madame la présidente, monsieur le Premier ministre, madame et messieurs les ministres, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, mes chers collègues, nous arrivons au terme de ce débat et beaucoup a déjà été dit. Je ne reviendrai donc pas sur la nécessité de nous défendre face à Daech. Il en va de notre sécurité nationale. Il en va aussi de la sécurité collective. Cela a été dit, et je ne doute pas du vote de notre assemblée.
Nous ne pouvons nous limiter à débattre de la seule question syrienne. Le défi est beaucoup plus large, mais ne constitue malheureusement pas une surprise. C’est un virement stratégique auquel nous sommes confrontés, comme l’a dit fort justement le général Pierre de Villiers, ce matin, devant la commission de la défense.
La dégradation de la situation au Proche-Orient était en effet connue de tous. Sans revenir sur l’enchaînement et les causes des événements, je relève que l’ampleur de la menace, son évolution et de ses conséquences ont été analysées avec justesse. En témoignent les nombreuses et régulières interventions du ministre de la défense devant notre commission ces deux, voire ces trois dernières années.
En tant que membre de la délégation parlementaire au renseignement, j’ajoute que nos services avaient anticipé tant le niveau de menace que l’évolution des modes opératoires des terroristes.
Face à tout cela, nous avons été actifs, contrairement à ce que certains ont prétendu cet après-midi.
Nous devons être fiers de notre pays et de sa capacité à agir et à décider de façon autonome. De nombreux parlementaires étrangers, que nous avons l’habitude de rencontrer autour des questions de défense, nous disent leur admiration face à l’action de la France.
Au travers de la loi de programmation militaire, pour la première fois respectée depuis très longtemps, à l’euro près de surcroît, nous avons maintenu le principe d’une défense couvrant l’ensemble du spectre des menaces. Les faits nous donnent raison et contredisent ceux qui plaidaient pour désendetter notre pays au détriment de l’outil de défense, ou ceux qui ont réduit de manière drastique les effectifs.
C’est vrai, la remontée en puissance prend du temps car, s’il est facile de supprimer des moyens, il est plus difficile de les régénérer. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
Nous avons adapté une première fois cette programmation cette année pour renforcer notre effort de défense, en permettant des recrutements supplémentaires et en prévoyant une hausse des crédits destinés aux matériels et à leur entretien.
Nous avons voté la loi relative au renseignement, ainsi que la proposition de loi sur les mesures de surveillance internationale. Les terribles épreuves que nous venons de traverser éclairent d’un jour singulier certaines des critiques qu’inspiraient ces deux textes. Mais les Français, dans leur sagesse, ne s’y sont pas trompés.
Nous avions aussi averti inlassablement nos partenaires et alliés de l’ampleur croissante de la menace. Nous continuons à avertir sur l’extension des risques, notamment en Libye, c’est-à-dire à nos portes, sans grand succès, il faut bien le dire, jusqu’à il y a peu de temps, si l’on considère le désintérêt européen pour les questions de défense et de sécurité.
Les grands chefs sont ceux qui rassemblent. C’est ce que fait le Président de la République en agissant pour bâtir une coalition internationale qui permettra de frapper Daech en son cœur, et en sollicitant sans relâche un effort supplémentaire de nos alliés sur d’autres théâtres afin de soulager nos forces. Je leur rends un hommage particulièrement appuyé. Leur taux d’engagement a clairement atteint ses limites, mais je sais qu’ils accompliront la mission qui leur est confiée sans se plaindre.
Car voici le dernier point sur lequel je me permets d’insister une nouvelle fois. Nous saluons souvent la capacité de nos armées à tirer le meilleur de ce dont elles disposent et nous louons la fameuse rusticité du soldat français. Mais, ne nous le cachons pas, nous avons atteint les limites de l’exercice. Il est temps que l’Europe se réveille : nous ne pouvons agir seuls.
Le général Pierre de Villiers, je l’ai dit, a parlé devant la commission de la défense de la rupture stratégique à laquelle nous faisons face. En effet, ce qui nous attend est considérable. Une nouvelle fois dans son histoire, notre pays va devoir lutter durablement, à l’extérieur comme à l’intérieur, contre un seul et même ennemi fanatique et sanguinaire. Il faut en tirer toutes les conséquences, comme l’a fait le Président de la République. Le pacte de stabilité ne peut empêcher les Européens de se défendre et d’atteindre enfin les 2 % de PIB consacrés à la défense. C’est l’engagement qu’a pris le Président de la République pour notre pays.
Aujourd’hui, nous devons accélérer le renouvellement et la modernisation de nos équipements militaires – c’est acté et c’est en cours –, garantir les recrutements et le niveau de formation – 5 500 hommes viendront bientôt rejoindre nos forces –, sécuriser les emprises militaires, retrouver des marges de manœuvre pour le fonctionnement de nos forces. Il faut aussi en finir avec les tergiversations : notre pays a besoin de réserves fortes et structurées pour faire face au défi dans la durée. Nous devrons en premier lieu faire évoluer notre législation en ce qui concerne la disponibilité des réservistes par rapport à leurs employeurs, car nous n’avons pas été assez loin en la matière.
Mes chers collègues, au moment de voter, nous mesurerons la gravité de situation. Pour toutes ces raisons, je vous appelle à voter la prolongation de l’engagement de nos forces au-dessus de la Syrie. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous invite à écouter tous les orateurs dans le silence. Si vous voulez ouvrir votre boîtier électronique de vote, merci de le faire discrètement !
La parole est à M. le ministre de la défense. (Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains. – Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, permettez-moi de faire quelques observations d’ordre militaire avant que le Premier ministre ne réponde plus globalement aux orateurs.
Je remercie les intervenants de leurs déclarations de soutien à la prolongation de l’opération Chammal et aux forces qui y sont engagées. Elles y seront très sensibles. Participent actuellement à cette opération 4 000 militaires, en incluant les effectifs du porte-avions et des bateaux qui l’accompagnent, les forces aériennes et les éléments de formation basés en Irak.
S’agissant des opérations internationales liées à Daech, on distinguera quatre éléments de stratégie.
Premièrement, il faut frapper Daech au cœur pour permettre la reconquête des territoires et pour éviter que l’organisation ne développe son attractivité. C’est ce que nous faisons depuis plus d’un an en Irak, où cette stratégie commence à produire des résultats significatifs, empêchant la progression de Daech vers Bagdad et vers Erbil et permettant aujourd’hui le début de la reconquête de territoires.
Deuxièmement, il faut priver Daech de ses ressources et de ses bases, y compris économiques et logistiques. Cela implique des frappes systémiques. Notre action en Irak va en ce sens. J’observe également que les États-Unis ont modifié leurs règles d’engagement et que les actions sont beaucoup plus organisées et efficaces désormais, singulièrement depuis le mois dernier.
Troisièmement, nous devons empêcher Daech de gagner du terrain autour des régions qu’il contrôle déjà au Proche-Orient. Plus précisément, il faut l’empêcher de pénétrer et de prendre des positions en Jordanie, au Liban et en Turquie. Je partage l’idée qu’il faut avoir avec la Turquie un dialogue très clair sur sa position à cet égard.
Enfin, nous devons contenir la dispersion de la menace et cloisonner davantage les théâtres, en empêchant l’extension du groupe qui se profile déjà au Maghreb – en Libye et en Tunisie – et en Afrique subsaharienne – tout à l’heure, le Nigeria et Boko Haram ont été cités.
Ces quatre axes forment une seule stratégie, la stratégie de la France. Aucun d’entre eux ne doit être sous-estimé. S’il existe, au centre, une action militaire, il faut que l’action préventive et l’action diplomatique permettent de réaliser un ensemble cohérent. C’est ce que fait le Gouvernement, conformément aux orientations exposées par le Président de la République devant le Congrès.
En deuxième lieu, je voudrais évoquer l’état de légitime défense, en particulier pour répondre à M. Candelier.
Jusqu’au 13 novembre, la légitime défense invoquée par la France était à titre principal la légitime défense collective. Elle reposait en effet sur la demande d’assistance formulée par les autorités irakiennes auprès de la communauté internationale pour que celle-ci aide l’Irak à se défendre contre l’agression armée de Daech agissant sur le territoire syrien.
Des considérations de sécurité nationale et la menace exceptionnelle que faisait peser Daech sur notre propre pays avaient fortement influé sur la décision de répondre positivement à la demande d’assistance irakienne. Mais, le 13 novembre, cette menace s’est malheureusement concrétisée. La France a subi une agression armée fomentée et organisée par Daech. La légitime défense individuelle est donc venue compléter la légitime défense collective sur laquelle nous nous fondions. La légitimité de l’intervention militaire en Syrie et en Irak vient par ailleurs d’être confortée par la résolution 2249 du Conseil de sécurité des Nations unies, adoptée à l’unanimité.
J’en viens à mon troisième point concernant les opérations militaires. Nous avons en ce moment trente-huit chasseurs dans la zone. Nous poursuivrons, dans la période qui va venir, les bombardements et les frappes à partir de la Méditerranée orientale. Puis le porte-avions rejoindra le golfe Persique afin d’y poursuivre les frappes. Simultanément, les forces aériennes stationnées dans les bases terrestres d’al-Dhafra et d’al-Safawi continueront leurs opérations.
L’action collective que nous voulons engager, renforcée hier à Washington par l’ouverture dont les États-Unis ont fait preuve en faveur d’une coopération beaucoup plus significative en termes de renseignement militaire, recueille au niveau européen un assentiment exceptionnel. Chacun de nos vingt-sept partenaires a décidé d’apporter un soutien à la France, soit de façon directe sur le théâtre syrien, soit de façon indirecte mais en lien avec nos opérations au Levant ou sur d’autres théâtres où les forces françaises sont engagées. Nous pourrons ainsi à terme alléger cet engagement et réorienter nos forces au mieux de nos possibilités.
Cette action collective de l’Europe, que la France a enclenchée en se fondant sur l’article 42, alinéa 7, du traité de Lisbonne, constitue une nouvelle marquante, puisque l’Europe se sent totalement concernée par l’action militaire que nous devons engager.
Pour conclure, je rappellerai deux impératifs.
Premièrement, pour constituer la grande coalition, nous devons nous assurer que tous nos partenaires partagent les mêmes objectifs politiques. Les références à la Russie sont intéressantes mais, si nous sommes intervenus en Syrie, c’est d’abord parce que Daech, bloqué contre Bagdad et contre Erbil a tourné son offensive vers la Syrie. Nous avons pris la décision de frapper parce que c’est aussi à partir de la Syrie que s’organisaient les attentats contre la France. La Russie n’était alors pas présente. Aujourd’hui, sa déclaration sur la nécessité impérieuse de frapper Daech constitue un narratif intéressant qui nous permettra sans doute d’avoir demain un objectif commun. Mais cet objectif n’a pas encore de traduction concrète. Convenez qu’il est difficile de passer un accord d’objectif commun avec un pays qui déclare attaquer Daech mais dont 10 % seulement des frappes visent cette organisation, le reste étant uniquement dirigé contre les insurgés qui protestent contre la dictature de Bachar al-Assad. On ne peut pas tenir plusieurs discours en même temps (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen. – Interruptions sur quelques bancs du groupe Les Républicains.) Dans les impératifs que nous devons fixer pour l’action collective, il faudra suivre une ligne claire : il y a un ennemi, Daech, et tous les objectifs et tous les moyens doivent viser à le détruire le plus rapidement possible.
Deuxièmement, il faut œuvrer à une stratégie d’action commun, c’est-à-dire à une mise en commun des orientations et des choix stratégiques et tactiques. Nous ne devons donc pas envisager – je réponds sur ce point à M. Folliot – une action au sol de nos propres forces : la stratégie commune est globale, elle intègre les frappes contre des objectifs militaires et économiques, mais aussi la participation des forces territoriales à la reconquête des territoires. C’est ainsi que l’on a remporté des victoires à Kobané, c’est ainsi que l’on a repris Sinjar et c’est ainsi que l’on reprendra demain Raqqa, en faisant en sorte que la coalition appuie au sol les forces territoriales qui seront, elles, les forces de la reconquête. Cela sera possible à condition que nous les formions, les instruisions et les équipions. C’est ce que la France, avec d’autres, essaie de faire depuis un an et qui amènera demain, j’en suis sûr, à la victoire contre Daech. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)
Mme la présidente. Je rappelle que la conférence des présidents a décidé que le vote sur la prolongation de l’engagement des forces aériennes au-dessus du territoire syrien donnerait lieu à un scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Je donne maintenant la parole à M. le Premier ministre.
M. Manuel Valls, Premier ministre. Je répondrai aux orateurs par respect du Parlement mais aussi parce que, tout en saluant la qualité et la hauteur de vue de chacune des interventions, j’estime qu’il faut aller jusqu’au bout des arguments.
Je vous remercie, monsieur le président Le Roux, pour votre soutien et pour la justesse de vos analyses et de vos arguments – dont beaucoup rejoignent ceux que Mmes Élisabeth Guigou et Patricia Adam ont développés – sur les conditions d’une solution politique à la crise syrienne ainsi que sur l’aspect humanitaire de cette crise et ses conséquences s’agissant des réfugiés.
Vous avez aussi évoqué la Russie : j’y reviendrai.
Par ailleurs, nous avons tous souligné la continuité de notre combat contre le terrorisme du Sahel au Levant.
Vous avez enfin martelé un argument essentiel : aucune de nos actions militaires n’a d’autre but que de frapper et d’éliminer Daech. Il faut le rappeler sans cesse. Lorsque l’on considère objectivement ce qui s’est passé ces derniers mois et ces dernières années, cela n’est évidemment pas le cas du régime syrien, cela n’est pas le cas de l’Iran, et cela n’est pas le cas de la Russie, du moins ces dernières semaines.
Vous avez raison, monsieur Folliot : en France comme au Levant, notre combat contre Daech doit être total. J’apprécie que vous ayez évoqué la situation des chrétiens d’Orient, qui ont été trop souvent les victimes et les oubliés de la crise irakienne et syrienne. Je garde en mémoire ma rencontre avec les chrétiens de Mossoul à Amman – j’étais accompagné de MM. Jean-Yves Le Drian et Jean-Marie Le Guen – et les messages qu’ils nous ont transmis à cette occasion.
Merci pour votre soutien aux décisions que nous prenons quant à nos moyens militaires, notamment le maintien des effectifs jusqu’en 2019, et merci à votre groupe pour son vote en faveur de la prolongation d’une opération essentielle pour notre sécurité et notre liberté.
Merci, madame la présidente Pompili, pour le soutien du groupe écologiste à la politique que nous menons en Syrie et pour ce vote positif. Vous avez raison de souligner la nécessité de la solidarité européenne, point que j’ai développé dans mon intervention liminaire. Cette solidarité peut en effet s’exprimer de multiples façons, y compris – et, pour ceux qui n’interviennent pas, surtout – par un partage des coûts de nos interventions. Lorsque nous intervenons au Sahel, nous n’agissons pas uniquement pour notre compte : nous agissons pour le compte de la communauté internationale et de l’Union européenne. J’ai pris bonne note de la suggestion de votre groupe de réunir une nouvelle conférence internationale sur les minorités du Moyen-Orient. Nous sommes prêts à évoquer cette initiative avec vous.
Monsieur Saint-André, vos propos pleins de justesse sur le financement du terrorisme résonnent dans cette assemblée. Michel Sapin a eu déjà l’occasion de s’exprimer sur ce point, Élisabeth Guigou y faisait référence : mener la guerre contre Daech, c’est aussi casser les circuits de financement du djihadisme, c’est exiger une transparence et une coopération exemplaires de tous les pays, notamment, bien sûr, de tous les pays de la région et des pays arabes, pour empêcher ces financements. Toutes les ambiguïtés doivent être levées, le ministre de la défense l’a dit.
Vous avez eu raison d’évoquer la situation politique en Irak. Il y a un risque, et nous sommes peut-être au-delà, d’éclatement communautaire dans ce pays et il faut absolument que le gouvernement irakien s’engage dans une réconciliation entre sunnites et chiites irakiens. C’est d’ailleurs l’un des sujets sur lesquels je reviendrai parce qu’il est au cœur de la réponse que nous devons apporter dans cette région.
Je vous remercie bien sûr pour votre vote positif.
Monsieur Candelier, vous connaissez parfaitement ces sujets, vous vous exprimez souvent. Nous sommes bien d’accord avec vous sur le fait que la solution à la crise syrienne ne peut pas être que militaire. Elle sera forcément politique, nous le disons tous, et c’est le sens de la diplomatie française.
Vous posez la question, mais Jean-Yves Le Drian y a répondu, du cadre légal de notre intervention. En Irak, nous agissons à la demande du gouvernement irakien. En Syrie, nous sommes en état de légitime défense. La résolution 2245 votée vendredi dernier par le Conseil de sécurité à l’unanimité renforce, même s’il faut aller plus loin, François Fillon le soulignait, la légitimité de cette action.
Vous avez raison d’évoquer le soutien que nous devons aux Kurdes. S’il y a un pays qui soutient les Kurdes et ils sont les premiers à le reconnaître, c’est bien la France. C’est un soutien politique, bien sûr, mais, par bien des aspects, c’est aussi un soutien humanitaire à la population kurde.
Dommage que vous n’alliez pas jusqu’au bout de votre soutien en préférant l’abstention, mais vos réflexions ont été, me semble-t-il, très utiles à ce débat, et je ne doute pas bien sûr de votre engagement total et absolu contre le terrorisme.
Madame Guigou, madame Adam, merci d’avoir rappelé tous les autres conflits de la région parce que ce sont des solutions globales qui devront être apportées.
Vous avez eu raison, madame la présidente de la commission, d’insister sur la nécessité d’agir contre les infrastructures pétrolières qui sont tombées entre les mains de Daech. Les Américains et les Russes frappent les camions, enfin. Il était temps. Nous avons nous-mêmes ciblé des infrastructures pétrolières et les effets sur les ressources de Daech vont se faire sentir très rapidement.
Enfin, je terminerai par l’intervention de François Fillon, qui s’est excusé parce qu’il avait une autre obligation. Je lui réponds ainsi, bien sûr, qu’à l’ensemble du groupe Les Républicains.
Nous sommes d’accord, et sans nous payer de mots, nous le disons depuis le début, nous sommes bien en guerre.
Vous dites que nous avons perdu du temps. Mais qui voulait agir militairement en Syrie dès l’été 2013 ? La question de Daech ne se posait d’ailleurs pas du tout dans les mêmes termes, Jean-Yves Le Drian l’a rappelé. Daech était à ce moment-là en Irak. Si, aujourd’hui, la Syrie est l’épicentre du terrorisme, la base politique, nous le savons bien, c’est cette alliance d’Al-Qaïda et des anciens cadres du régime irakien, d’où vient Daech, l’État islamique. À l’époque, je crois que nous étions un grand nombre, pas forcément tous, à être d’accord, sur la rupture des relations diplomatiques en mars 2012, décision du Président Nicolas Sarkozy quand François Fillon était Premier ministre, position réitérée à de nombreuses reprises. Qui a empêché la France d’agir alors qu’il était temps à ce moment-là ? Je rappelle quelle a été la position et de la Chambre des communes de nos amis britanniques et évidemment du Président Obama.
M. Pierre Lellouche. Ça, c’est un an plus tard !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Un an plus tard, en août 2013, le Président de la République a manifesté la volonté de frapper Damas, quelques jours après l’utilisation par le régime syrien d’armes chimiques contre sa propre population, et cela, personne ne pourra l’oublier. Nous agissons non pas uniquement pour des raisons morales, pour des raisons éthiques, mais au nom aussi de ce qui s’est passé dans ce pays.
Vous dites qu’il ne fallait pas sanctionner la Russie.
Plusieurs députés du groupe Les Républicains. On n’a pas dit ça !
M. Jean-Claude Perez. Si !
M. Manuel Valls, Premier ministre. La Russie pouvait-elle alors s’emparer de la Crimée sans aucune conséquence pour elle ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
Plusieurs députés du groupe Les Républicains. On n’a pas dit ça !
M. Manuel Valls, Premier ministre. On ne peut pas affirmer faire partie de la communauté internationale sans que cela ait un certain nombre de conséquences. Nous souhaitons que les sanctions contre la Russie soient levées mais elle doit remplir sa part du contrat – les choses avancent – qu’elle a signé dans le cadre des accords de Minsk.
M. Jean-François Lamour. Elle le fait actuellement !
M. Manuel Valls, Premier ministre. C’est à l’initiative de la France, dans le cadre des discussions de Normandie, le 6 juin 2014, puis à celle de la Chancelière Merkel et du Président Hollande, que le dialogue avec la Russie a été rendu possible. Parce que nous sommes conscients du rôle et de la place de la Russie dans le monde, dans l’Europe, de notre relation historique et des liens qui nous unissent, au-delà de l’Histoire, le dialogue a toujours été maintenu.
Je rappelle cependant, et personne ne peut démontrer le contraire, que, jusqu’à il y a encore quelques semaines, la Russie soutenait le régime de Bachar el-Assad et n’intervenait pas en Syrie. Quand elle est intervenue en Syrie, elle a concentré d’abord ses frappes contre l’opposition (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen), y compris l’opposition modérée au régime de Bachar el-Assad.
M. Meyer Habib. Très bien !
M. Manuel Valls, Premier ministre. La France, elle, intervient contre Daech, ce qui n’était pas le cas de la Russie, dans le cadre d’une coalition large en Irak, et la France a décidé de bombarder Daech avant même que la Russie ne bombarde cette organisation terroriste. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
Plusieurs députés du groupe Les Républicains. Non !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Enfin, la Russie a reconnu que Daech représentait un danger après avoir admis il y a quelques jours que c’était bien Daech qui avait fait exploser un avion d’une compagnie russe au-dessus du Sinaï.
Nous avons dans ce débat, et c’est normal, des divergences. Non, nous ne coopérons pas avec le régime syrien. Non, nous ne rétablirons pas des relations diplomatiques avec la Syrie. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.) Vous prétendez que nous nous sommes trompés sur la Syrie. Mais c’est bien en mars 2012 que les relations ont été rompues avec le régime de Bachar. Qu’est-ce ce qui justifierait aujourd’hui que nous rétablissions des relations avec le régime de Damas (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains)…
M. Christian Jacob. L’État islamique !
M. Bernard Accoyer. La guerre !
M. Manuel Valls, Premier ministre. …d’autant plus que, tout au long de ces dernières années, de ces derniers mois, ce régime n’a cessé lui-même de jouer précisément avec Daech pour mieux lutter contre sa propre opposition ?
Je veux d’ailleurs dire, et je ne m’adresse plus à François Fillon mais à quelques députés seulement, combien, non pas en tant que Premier ministre mais tout simplement en tant que Français, j’ai été choqué par le fait que des parlementaires soient avec Bachar el-Assad (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen)…
M. Jacques Myard. Et alors ?
M. Manuel Valls, Premier ministre. ...alors que celui-ci fait des commentaires particulièrement insupportables sur la nature et les conséquences des attentats dans notre pays.
Enfin, car débat va au-delà du vote de ce soir, je mets en garde, et je le dis notamment à l’ancien Premier ministre François Fillon, sur une contradiction qui me semble majeure dans son intervention.
Nous sommes tous d’accord sur l’idée qu’il faut une coordination et même une grande coalition pour lutter contre le terrorisme. Au sein de cette grande coalition, il y a d’ores et déjà différentes contradictions ou ambiguïtés chez un certain nombre de pays. La France, elle, est claire quant à son objectif de lutter contre Daech. On ne peut pas vouloir une grande coalition sans d’abord se mettre d’accord sur le fait que le seul objectif, c’est de lutter contre Daech. Chacun doit être au clair, pas seulement la Russie mais tous les pays, sur cette question.
Par ailleurs, on ne peut pas bâtir une grande coalition en excluant…
M. Jacques Myard. Bachar !
M. Manuel Valls, Premier ministre. …les pays sunnites, en posant des préalables relatifs uniquement à la Turquie, l’Arabie saoudite et d’autres pays du Golfe car, si cette grande coalition ne repose que sur un axe chiite, vous n’aurez pas les autres pays, à commencer par les États-Unis d’Amérique et les pays européens,…
M. Pierre Lellouche. Qui propose cela ?
M. Manuel Valls, Premier ministre. …et vous risquez de créer dans cette région du monde des conflits encore bien plus importants avec des conséquences majeures dans notre pays. On ne peut pas créer une coalition uniquement avec le régime de Bachar el-Assad, le Hezbollah et l’Iran.
M. Serge Grouard. On n’a jamais dit ça !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Cela ne marchera pas (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen), et cela aura les mêmes conséquences que celles que nous avons connues dans d’autres régions du monde.
Pour résumer la question en une formule, attention à une nouvelle forme de néoconservatisme qui, au lieu d’aller de l’ouest vers l’est, va cette fois de l’est vers l’ouest. Il entraînera les mêmes conséquences, les mêmes absurdités et les mêmes divisions.
Mesdames, messieurs, en vous remerciant de soutenir l’action de la France et d’autoriser le prolongement de notre action en Syrie, je veux affirmer encore une fois que la France agit de manière indépendante, en ne s’alignant sur aucune capitale, avec son autonomie d’action, au nom des principes qui sont les nôtres, pour protéger les Français et nos libertés. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, sur de nombreux bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et sur quelques bancs du groupe écologiste.)
Mme la présidente. Le débat est clos.
Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au vote sur l’autorisation de la prolongation de l’engagement des forces aériennes au-dessus du territoire syrien.
(Il est procédé au scrutin)
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants | 529 |
Nombre de suffrages exprimés | 519 |
Majorité absolue | 260 |
Pour l’adoption | 515 |
contre | 4 |
(L’Assemblée nationale a autorisé la prolongation de l’engagement des forces aériennes au-dessus du territoire syrien.)
Mme la présidente. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures quarante, est reprise à dix-huit heures cinquante.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution de M. Bruno Le Roux pour accéder, au-delà de la COP21, à une société à bas carbone (no 3219), et de la proposition de résolution de M. Jean-Claude Fruteau tendant à promouvoir la prise en compte des outre-mer dans les négociations de la COP21 (no 3171).
La conférence des présidents a décidé que ces deux propositions donneraient lieu à une discussion générale commune.
Mme la présidente. La parole est à M. Julien Aubert.
M. Julien Aubert. Madame la présidente, madame la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, monsieur le président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, mes chers collègues, le 22 juillet dernier, j’essayais de vous faire entendre, en présentant vingt-et-un arguments, que le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, qui avait été adopté ce jour-là, était un mauvais texte, fourre-tout et non stratégique.
Alors que la ministre parlait de co-construction législative, nous avons été témoins d’un mensonge affiché sans complexe : il s’agit en effet d’une tartufferie qui mènera, vous le verrez, notre pays dans une impasse budgétaire et environnementale.
Or voici que, quatre mois plus tard, à la veille la COP21, nous sommes réunis afin d’examiner un projet de résolution déposé et défendu par notre éminent et très apprécié président de commission, Jean-Paul Chanteguet, qui veut marquer les esprits, et notamment ceux des chefs d’État et de gouvernement qui participeront à cette conférence.
Certes, nous trouvons dans ce texte quelques points d’accord : la question d’un prix du carbone, qui serait un signal fort pour les marchés et que nous avions proposé lors de l’examen de la loi de transition énergétique ; la nécessaire diminution de la production et de la consommation d’énergie fossile, au sujet de laquelle nous proposions de porter la part des fossiles à 50 % du mix énergétique français au lieu de 66 % d’ici 2050 ; l’objectif « zéro charbon sous cinq ans », qui aurait interdit l’usage du charbon, énergie la plus polluante, d’ici 2020 ; ou encore la mise en place d’une véritable stratégie européenne de l’énergie qui est indispensable.
Néanmoins, nonobstant ces points d’accord, ce texte contient, évidemment, un certain nombre de points avec lesquels nous nous trouvons en total désaccord.
Tout d’abord, l’objectif de tendre, d’ici 2050, à 100 % d’énergies renouvelables, nous semble totalement irresponsable, sauf à admettre que la quatrième génération nucléaire sera considérée comme une énergie renouvelable, du fait du recyclage des combustibles usés.
Si vous considérez que l’énergie nucléaire est une énergie renouvelable, nous sommes d’accord avec vous sur cet objectif. Mais comme ce léger point de divergence nous sépare, nous préférons vous faire part de notre désaccord.
Tout au long des dix-huit mois de travaux relatifs à la loi de transition énergétique, nous n’avons eu de cesse de rappeler l’importance de la question du nucléaire dans notre mix électrique, mais aussi dans le mix électrique européen, du fait de son utilité en tant que soupape des variations de production de l’électricité issue de modes de production renouvelables importée d’Allemagne.
De plus, je m’étonne que cette résolution ne mentionne pas, de manière plus forte, le nucléaire, qui, je le rappelle, demeure une filière d’excellence et d’exportation pour notre pays.
M. Denis Baupin. Il le paye cher.
M. Julien Aubert. Un tel silence sera compris par tous nos partenaires comme le signal de la fin de cette industrie par l’État français, alors même qu’elle emploie pas moins de 400 000 personnes, directement ou indirectement, sur l’ensemble du territoire national.
M. Denis Baupin. Et Flamanville ?
M. Julien Aubert. Par ailleurs, il est clair que poser ainsi des objectifs précis et chiffrés après 2030 serait au mieux hasardeux : j’y vois surtout la preuve de l’inconséquence macro et micro-économique de cette majorité.
Nous avions proposé, lors de l’examen du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, de fixer une trajectoire de développement des énergies renouvelables, les ENR, avec un objectif non-contraignant de 15 % à 20 % d’ici 2020.
Il s’agit d’objectifs réalisables au regard des avancées technologiques actuelles qu’il faudrait poursuivre tout en simplifiant les règles existantes pour le déploiement des ENR matures, en laissant le marché arbitrer le prix des énergies et en privilégiant fiscalement les énergies vertes qui s’intègrent le plus harmonieusement au réseau existant, de manière à limiter les perturbations sur celui-ci.
S’agissant ensuite de l’agro-écologie en tant qu’alternative à notre mode de production agricole, votre résolution veut faire de ce mode de production l’alpha et l’oméga de notre agriculture. Or, si l’agro-écologie peut conduire à des expérimentations intéressantes, elle ne peut, à elle seule, constituer l’unique socle de la politique de développement agricole et assurer la totalité de la production alimentaire, que ce soit en France ou dans le reste du monde.
L’agro-écologie en Vaucluse, premier département – que je connais bien – agricole de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, est menacée par la prolifération des parasites. L’an dernier, la production d’huile d’olive s’est effondrée à cause de la bactérie Xylella fastidiosa. La production de cerises – qui a baissé de 40 % l’an dernier – est menacée par la drosophile Drosophila suzukii. Et certains vignerons bio ont décidé de faire machine arrière, compte tenu de la prolifération d’un autre parasite, le black-rot.
Nous avons besoin, au contraire, d’assurer la transition de l’agriculture vers des systèmes à la fois plus compétitifs et plus vertueux sur le plan écologique. Cela suppose de renforcer nos dispositifs de recherche et d’expérimentation, afin de faire face à ces parasites, et d’accélérer l’innovation dans nos filières, tout en les croisant avec les besoins et les initiatives locales. Je constate cependant, dans mon département, qu’à l’inverse les laboratoires d’expérimentation agricole sont confrontés à une baisse continue de leurs ressources, ce qui ne leur permet pas de faire face aux menaces.
De plus, que dire de la concurrence internationale, intra et extra-européenne, qui fait fi de notre réglementation interne et qui déverse allègrement sur le marché français des produits moins qualitatifs et qui ne respectent pas nos normes ? Ces dernières sont pourtant très restrictives en matière de produits phytosanitaires.
Je prendrai pour exemple le cas du diméthoate, pesticide utilisé dans la culture de la cerise, que les agriculteurs concernés ne peuvent utiliser avant une certaine date : cela, en tout cas en Vaucluse, fait baisser la production, alors que, dans le même temps, les étals se remplissent de cerises provenant de Turquie et dont les producteurs ne sont pas du tout frappés de la même interdiction qui est vue, dans notre pays, comme un problème sanitaire.
Cette situation aboutit à ce que les consommateurs français consomment, quoi qu’il en soit, du diméthoate : madame la ministre, nous marchons complètement sur la tête ! Il faut donc revenir au principe de réalité, face à une concurrence bien souvent déloyale au niveau mondial.
S’agissant enfin de l’économie circulaire, la promotion de celle-ci, aux côtés de la croissance verte et du développement local des énergies renouvelables, est, je vous le répète, tout simplement contradictoire.
Comme je vous l’avais fait remarquer lors de l’examen du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, les énergies renouvelables sont très dépendantes des ressources naturelles et font massivement appel aux ressources métalliques, comme le néodyme et le dyprosium – utilisés dans les aimants permanents des génératrices d’éoliennes – et le gallium, l’indium, le cadmium, ou le cuivre – utilisés dans la fabrication de panneaux photovoltaïques. Or il s’agit de terres rares qui, en tant que ressources finies, valent bien, madame la ministre, l’uranium.
En construisant ainsi des panneaux photovoltaïques et des éoliennes, nous prenons tout simplement le chemin de l’importation de ces ressources qui se trouvent en Chine. Prendre le tournant d’une économie circulaire revient donc à tourner en rond, sans compter les problèmes écologiques et sanitaires que posent certaines installations, que ce soit pour la faune, la flore ou, évidemment, le voisinage.
Pour toutes ces raisons très pratiques et très concrètes, notre groupe ne soutiendra pas votre texte et votera donc clairement contre celui-ci.
Mme la présidente. La parole est à Mme Maina Sage.
Mme Maina Sage. Madame la présidente, madame la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, monsieur le président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, mes chers collègues, permettez-moi avant tout, en cette période difficile, de vous transmettre, de la part notamment de mes collègues polynésiens et, plus largement, des collectivités du Pacifique, un message de solidarité et de soutien au gouvernement.
Comme vous le savez, nous sommes à la veille du sommet France-Océanie, qui va également traiter, naturellement, de la COP21. Cette semaine, nous nous sommes beaucoup vus et un élan de solidarité, qui a pris naissance à 20 000 kilomètres d’ici, nous a, dans le même état d’esprit que celui qui s’est développé en métropole, véritablement animés. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste, républicain et citoyen et écologiste.)
Mes chers collègues, à la veille de cet événement majeur, je regrette que nous ayons été si nombreux à assister au débat précédent, mais que, pour celui-ci qui engage l’ensemble de l’humanité, nous soyons si peu. La COP21 représente un enjeu planétaire, crucial et salutaire pour tous, pour l’avenir de l’humanité, pour notre avenir et celui de nos enfants.
La position de la France n’est pas facile. Elle fait face aujourd’hui à une double responsabilité. Elle doit accueillir la manifestation, mais aussi mener les discussions, pour elle-même et dans un cadre européen, tout en présidant cet événement afin de faciliter les négociations en vue d’un accord universel contraignant, crucial pour l’avenir.
Notre parlement, comme des centaines d’autres, ne pouvait pas ne pas prendre part à cet élan mondial. À ce titre, je souhaite remercier le président Bartolone, ainsi que le président de la commission du développement durable, monsieur Chanteguet, et le président de la délégation aux outre-mer de notre assemblée, monsieur Fruteau, pour avoir su entendre et comprendre qu’il était nécessaire que notre représentation apporte également sa contribution, son engagement et son soutien à la nation, ainsi qu’à toutes celles qui pourront s’engager à ses côtés en vue d’un accord universel en faveur de la lutte contre le changement climatique.
La discussion commune portant sur deux textes, dont l’un, proposé par la délégation aux outre-mer, est à prendre comme un message plus symbolique, j’exprimerai le point de vue du groupe UDI sur ces résolutions, essentiellement sur celle de la commission du développement durable, avant de revenir sur la situation particulière des outre-mer. Vous connaissez l’attachement de notre groupe à ces sujets cruciaux. Il soutiendra donc ces deux résolutions. De fait, même si certains postulats nous semblent encore un peu idéalistes, ils montrent la voie.
Nous devons rester responsables et fixer des objectifs réalistes. C’est le seul bémol que nous mettons à cette résolution. De même, un modèle énergétique fondé sur 100 % d’énergies renouvelables d’ici à 2050 nous paraît encore peu probable. La question de l’utilisation et de la place du nucléaire dans notre énergie reste en discussion.
Par ailleurs, alors que l’agriculture reste un secteur fortement émetteur de gaz à effet de serre, le groupe UDI tient à rappeler que nos agriculteurs et nos éleveurs ont entrepris de grands efforts et qu’ils continueront de le faire. Nous avons toujours soutenu le concept d’agroécologie, mais nous ne sommes pas certains qu’il soit pertinent d’inclure des objectifs aussi drastiques de réduction des gaz à effet de serre dans le cadre de la future PAC.
Cela étant, l’esprit général est en accord avec les valeurs que nous défendons et que nous continuerons à défendre demain dans le cadre de notre niche parlementaire. Mon collègue Bertrand Pancher, qui s’excuse de n’avoir pas pu être là ce soir, défendra une proposition de résolution sur l’aide au co-développement. Tous ces sujets se rejoignent.
Nous souhaitons redire ce soir que nous sommes favorables à l’idée que les pays les moins avancés, les territoires insulaires, qui sont les premières victimes du dérèglement climatique, doivent être aidés en priorité par la communauté internationale. Cela est d’autant plus important que le changement climatique ne cesse de faire des victimes dans des pays qui sont peu préparés à résister à ces catastrophes.
Nous allons devoir nous pencher rapidement sur la question du statut des réfugiés climatiques ou environnementaux. Ce sera un enjeu très important de la prochaine décennie, auquel nous devons être préparés. Nous saluons les initiatives prises en faveur de l’aide au développement et nous continuerons à soutenir un renforcement de la mobilisation collective en ce sens.
Le texte que nous présenterons demain regroupe un certain nombre des propositions de cette résolution, comme la taxe européenne sur les transactions financières ou l’implication des acteurs dits non-étatiques. À notre sens, c’est en outre-mer plus qu’ailleurs que l’on mesure les effets de l’implication de la société civile, qu’il s’agisse des entreprises ou de l’échelon le plus local possible. Les communes ou les écoles peuvent être des fers de lance pour faire en sorte que tous les citoyens se sentent impliqués.
Derrière ces pollutions, il y a certes des entreprises, mais aussi des consommateurs. C’est le message que je porte, lorsque j’ai l’occasion de m’exprimer sur ces sujets dans divers colloques. Il est facile de pointer du doigt des États, des pays, des entreprises et des grands pollueurs, mais derrière eux, il y a des citoyens, dont nous faisons ici tous partie, qui continuent à consommer ces produits. C’est cette prise de conscience individuelle que nous souhaitons susciter.
Pour revenir aux territoires d’outre-mer, l’enjeu est crucial et salutaire. Il est urgent d’agir pour nos territoires qui sont en première ligne du changement climatique. Cela est parfois difficile à entendre. Les travaux de la délégation aux outre-mer réalisés avec mes collègues Ibrahim Aboubacar et Serge Letchimy ont véritablement démontré, en accord avec ceux de la communauté scientifique, que nous étions en première ligne, madame la ministre. Nous nous sommes aussi rendu compte qu’aussi bien dans nos territoires que dans l’hexagone nous étions très loin de faire ce constat.
Je tenais à rappeler ce soir et à expliquer très clairement à la représentation nationale pour quelles raisons nous sommes en première ligne. Tout d’abord, cela s’explique par notre position géographique sur la ceinture intertropicale, où se trouvent quasiment l’ensemble de nos territoires outre-mer. Deuxièmement, presque tous ces territoires sont des îles. Or, la capacité d’amortir les chocs climatiques dans les îles n’a rien à voir avec celle des continents. Nous sommes beaucoup moins capables d’amortir ces chocs et nous avons beaucoup moins de solutions de repli. C’est un élément majeur à prendre compte.
De plus, nos populations habitent principalement sur les côtes. Elles vivent des ressources immédiates qui les entourent. Nos îles dépendent essentiellement de leur environnement, et notre économie, centrée sur le secteur primaire, dépend essentiellement de nos ressources naturelles : l’agriculture, la pêche, la perle ou l’aquaculture. Ces ressources sont menacées, non pas demain, mais aujourd’hui déjà, par le changement climatique dont nous subissons les conséquences : réchauffement et acidification des océans, augmentation du niveau de la mer. C’est une réalité.
Sur le continent, il sera possible de reculer de cinquante, de cent ou de deux cents mètres. Mais sur un atoll constitué d’un anneau de corail dont le point culminant ne dépasse pas la hauteur de la chaire de notre présidente, où pensez-vous que nous pourrons nous replier ? C’est à ce point terrible que la menace d’un mouvement de population se profile. Ce n’est pas du catastrophisme, c’est ce que nous vivons tous les jours dans nos territoires, qui sont, je vous le rappelle, français.
Le message des outre-mer est très simple. Nous sommes convaincus de l’engagement de la France en faveur des territoires les plus vulnérables. Nous soutenons et encourageons cette démarche. Mais il nous paraîtrait inconcevable que la France oublie que tous ces territoires si vulnérables, les petits États insulaires, ont des voisins français. Le changement climatique n’a pas de frontières. La lutte contre le changement climatique impliquera des stratégies régionales. C’est pourquoi il nous semble incohérent de ne pas pouvoir avoir accès aux mêmes moyens que ces territoires.
Pour conclure, il faut donner la priorité à la clarification des moyens financiers, au renforcement de la coopération régionale et enfin faciliter les programmes d’observation qui doivent être pérennisés. Le changement climatique ne doit pas faire l’objet d’un programme sur un, deux ou trois ans, mais au minimum sur dix ou quinze années. Tel est le message que les outre-mer souhaitaient vous faire passer.
Je tiens à remercier l’ensemble des élus d’outre-mer de l’Assemblée nationale pour leur contribution à ce rapport que vous prendrez le temps de lire, je l’espère, afin de prendre vraiment conscience et de promouvoir cette idée que la France n’est pas seulement européenne et continentale, mais maritime et mondiale. Nous devrions en être fiers et comprendre l’opportunité que représente pour la France ce réseau de territoires de par le monde. La France est le seul pays au monde où le soleil ne se couche jamais, et cela grâce à ses outre-mer. (Applaudissements sur tous les bancs.)
M. Sébastien Denaja. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à M. Denis Baupin.
M. Denis Baupin. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission du développement durable, madame la présidente de la commission des affaires européennes, dire que la conférence climatique de Paris se doit d’être un rendez-vous historique est quasiment de l’ordre de la lapalissade pour un écologiste. C’est pourquoi nous nous réjouissons que Jean-Paul Chanteguet ait pris l’initiative de ce débat et de cette résolution, qui montre la volonté de l’Assemblée nationale d’être présente dans la préparation de cette conférence.
Nous nous réjouissons aussi, madame la ministre, de votre implication en vue de la réussite de cette conférence climatique. Cela fait des mois, voire des années, que vous faites en sorte que nos concitoyens soient sensibilisés et que l’ensemble des acteurs soient mobilisés. Nous nous réjouissons enfin de l’implication extrêmement forte du Président de la République et du ministre des affaires étrangères, qui présidera la COP, pour faire de celle-ci un succès. Jamais, dans l’histoire des conférences climatiques, il n’y avait eu une telle mobilisation des organisateurs. Espérons que cela favorisera l’obtention d’un accord.
Je ne reviendrai pas sur les conséquences du dérèglement climatique que tout le monde connaît. Le fait même que l’on nous confirme que 2015 sera probablement l’année la plus chaude qu’on n’ait jamais connue depuis que l’on mesure les températures, et donc, sans doute, depuis que l’homme existe sur la terre, vient confirmer la gravité du dérèglement climatique en cours. Le nombre de phénomènes climatiques qui se manifestent aujourd’hui un peu partout dans le monde le confirme.
Malheureusement, le problème du dérèglement climatique ne se posera pas dans vingt, trente ou cinquante ans. Il est déjà très quotidien et a des implications, y compris dans les conflits ainsi que dans les mouvements de réfugiés, dus en partie aux dérèglements climatiques.
Les engagements pris par les États laissent entendre que nous trouverons probablement un accord à l’issue de la conférence de Paris. Toutefois, il ne sera sans doute pas suffisant pour respecter le plafond des deux degrés fixé par les scientifiques du GIEC, alors même qu’il faudrait sûrement se limiter à 1,5 degré, comme le confirment les propos de notre collègue sur les territoires d’outre-mer.
Même si nous savons que cet accord sera probablement insuffisant, l’essentiel est que nous puissions l’acter, mais surtout enclencher une dynamique. Le mécanisme de révision, sur lequel beaucoup d’États s’accordent aujourd’hui, devra absolument être acté dans le texte, de sorte que la clause qui prévoit une amélioration systématique des engagements des États tous les cinq ans nous permette de nous approcher vraiment des deux degrés.
D’autres conditions sont également nécessaires pour réussir la COP. La première est celle du financement. Tout le monde connaît l’engagement de consacrer 100 milliards de dollars par an pour aider les pays du sud à se développer et à se protéger des conséquences du dérèglement climatique.
Il doit être tenu. Or, pour le moment, ce n’est pas le cas. Il est donc absolument indispensable que dans les jours qui restent avant la COP21 et pendant celle-ci, il y ait véritablement un engagement de la part des États à l’égard des pays qui vont être les premières victimes du dérèglement climatique. On en constate déjà les impacts : il y aurait eu 600 000 morts dus aux conséquences des catastrophes climatiques sur les vingt dernières années, dont 89 % d’entre eux dans les pays les plus pauvres. Nous sommes clairement dans une situation où ce sont ceux qui ont le moins pollué qui sont déjà les premières victimes. Il faut absolument, si nous voulons les embarquer avec nous dans cet accord, que tous les engagements soient tenus.
Il faut aussi que la finance prenne sa part. C’est un sujet auquel un certain nombre d’entre nous se sont attelés, y compris dans le cadre de l’élaboration de la loi sur la transition énergétique – je salue en particulier Arnaud Leroy, avec qui j’ai défendu des amendements qui permettent à la France de s’engager aujourd’hui vers la finance verte, prenant notamment en compte l’empreinte carbone due aux investisseurs. Si nous voulons réussir, nous devons sortir d’un système complètement aberrant, dans lequel les énergies fossiles et le nucléaire sont sept fois plus subventionnés que les énergies renouvelables !
La proposition de résolution mentionne aussi qu’il est absolument essentiel, si nous voulons aboutir dans des délais relativement brefs, de mettre en place un corridor pour le prix du carbone. C’est notamment ce qu’avait proposé le rapport de Pascal Canfin et d’Alain Grandjean. Un tel dispositif est vertueux et complètement indispensable.
Je suis pour ma part à l’initiative d’une proposition, défendue notamment par nos collègues brésiliens et reprise aujourd’hui par l’ensemble du groupe des 77, et je remercie Jean-Paul Chanteguet de l’avoir introduite dans sa proposition de résolution. Ce message doit être repris dans la COP : mettre en place un prix positif pour les réductions de carbone. Il s’agit non seulement d’instaurer un malus pour les émissions d’énergie fossile, mais aussi un bonus sur les réductions d’émissions. Aujourd’hui, ce mécanisme de positive pricing, comme l’appellent nos collègues, est en train de progresser dans la négociation et a été repris dans certains textes préparatoires à la COP21. Je fonde beaucoup d’espoir sur ce dispositif parce que je pense que non seulement il est extrêmement important d’adresser des signaux positifs à ceux qui font des efforts, mais que cela peut être un mécanisme très vertueux pour faire les transferts financiers Nord-Sud dont nous avons besoin pour favoriser les technologies de développement propre.
Il faut donc aussi des transferts de technologies. Cela nécessite de l’argent mais également la volonté que les pays en développement puissent y parvenir avec les énergies les plus propres possible, notamment avec les énergies renouvelables.
Nous assistons aujourd’hui à un boom incroyable et formidable des énergies renouvelables. La chute des prix du solaire et de l’éolien permet leur développement massif à travers le monde. L’IRENA, l’Agence internationale des énergies renouvelables, annonçait ce matin que pour réussir à limiter à deux degrés le réchauffement climatique, il fallait doubler la part des énergies renouvelables dans la production totale d’ici 2030. L’Agence internationale de l’énergie, qui n’est pas connue comme particulièrement favorable aux énergies renouvelables, estime qu’en 2040, probablement 50 % de l’électricité mondiale en sera issue. Je le répète : il s’agit bien aujourd’hui d’un développement massif. Pour ma part, à la différence de notre collègue Julien Aubert, je me félicite que cette proposition de résolution évoque la volonté d’aller vers 100 % d’énergie renouvelable. Voilà l’objectif vers lequel nous devons tendre car c’est l’énergie la plus sûre, la moins chère un fois installée et, évidemment, qui n’émet pas de pollution. Passer des vieilles énergies de stock que sont le charbon, le gaz, le pétrole, l’uranium, aux énergies de flux que sont les énergies renouvelables est un objectif formidable. La France ne peut pas rester en dehors et la loi sur la transition énergétique permet d’ores et déjà de s’engager en ce sens.
Mais il faudra que la programmation pluriannuelle de l’énergie, sur laquelle nous discutons actuellement, madame la ministre, soit à la hauteur de l’objectif, notamment s’agissant de l’éolien off-shore. Il est extrêmement développé en Grande-Bretagne – plus de 1 000 éoliennes – et en Allemagne, alors que notre pays est en retard. Celui-ci n’est pas dû à ce gouvernement, il a été pris par le passé, mais nous nous devons de saisir cette opportunité dès lors que nous avons un domaine maritime aussi important. C’est non seulement nécessaire d’un point de vue environnemental et aussi tout simplement du point de vue de l’emploi. Vous ne cessez de le répéter, madame la ministre, mais vous avez raison de faire de la pédagogie : l’efficacité énergétique et le développement des énergies renouvelables recèlent un gisement d’emplois considérable… à la différence de l’énergie nucléaire.
On peut certes répéter tribune après tribune, comme Julien Aubert, que nous serions dans l’excellence dans le nucléaire, mais qui peut le croire aujourd’hui en voyant la situation de cette industrie ? Je ne m’en réjouis pas pour les salariés, sans doute dans l’inquiétude, mais il y a des moments où il faut savoir saisir les mutations qui sont en cours. C’est pourquoi EDF et AREVA doivent devenir des moteurs de la transition énergétique pour passer aux énergies d’avenir. On peut regretter, si on était fan du Minitel, qu’internet ait gagné… Mais c’est l’histoire, il faut en prendre acte. Par conséquent, à partir du moment où internet a gagné, comme aujourd’hui les énergies renouvelables, l’intérêt de notre pays n’est pas de rester bloqué sur les vieilles technologies mais de passer aux technologies d’avenir.
Enfin, je voudrais aborder un autre sujet qui importe à notre groupe : suite au constat que certaines de nos propositions parlementaires se heurtent parfois à la Constitution française, nous voulons pouvoir faire de la défense du climat un objectif de valeur constitutionnelle. Nous défendrons à cet effet une proposition de loi défendue par Cécile Duflot lors de notre niche parlementaire et nous comptons bien à cette occasion en faire un sujet de débat car cela permettrait de placer cet objectif au même niveau que d’autres qui sont aujourd’hui inscrits dans la Constitution.
Je conclurai, madame la ministre, en disant que le fait que cette conférence climatique se tienne quelques semaines après les événements dramatiques que nous venons de connaître à Paris et à Saint-Denis est un élément symbolique car nous sommes face à des défis considérables et qui sont liés. En effet, la sécheresse qui a sévi en Syrie est une des causes de la déstabilisation de ce pays. Le dérèglement climatique peut provoquer des conflits géopolitiques, et ceux que nous connaissons aujourd’hui ne sont probablement rien par rapport à ce qui risque d’arriver si nous ne réussissons pas à le juguler. Et puis le pétrole étant devenu une des sources de financement d’une partie des activités terroristes, nous avons en plus un intérêt géopolitique à ce que notre continent soit moins dépendant des énergies fossiles. En réussissant la COP21, en réussissant la transition énergétique, nous ferons la démonstration que ce qui est bon pour la planète est bon aussi pour l’emploi, pour le pouvoir d’achat de nos concitoyens et pour la souveraineté de notre pays et de notre continent. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Krabal, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
M. Jacques Krabal. Madame la présidente, madame la ministre de l’écologie, monsieur le président de la commission du développement durable, mes chers collègues, en premier lieu, je tiens à saluer le Gouvernement pour avoir maintenu la COP21 malgré les drames que nous venons de vivre. Ce n’était pas évident, mais ce choix me semble une réponse au terrorisme, une de nos ripostes supplémentaires au-delà des enjeux climatiques. Dans un tel contexte, nous ne devons ni faillir, ni faiblir.
Notre débat témoigne de l’implication des parlementaires sur les questions relatives à la lutte contre les dérèglements climatiques et à la décarbonisation de notre économie. Et il témoigne surtout de l’implication du président Jean-Paul Chanteguet, que je remercie encore une fois car le groupe RRDP salue son initiative. Il salue aussi celle du Président de la République et du Gouvernement, s’inscrivant dans une volonté de réussite de la COP21 pour qu’elle aboutisse, madame la ministre, à un accord efficace et contraignant afin de limiter la hausse des températures à deux degrés et que celle-ci n’atteigne pas un seuil irréversible.
Les six premières pages de la proposition de résolution pour « accéder, au-delà de la COP21, à une société bas carbone » sont un inventaire des conventions, accords et travaux majeurs effectués sur ces questions à tous les échelons par les meilleurs experts. Ensuite, la proposition expose de multiples considérants sur les menaces provoquées par le réchauffement et sur les méthodes pour les prévenir ou les limiter. Enfin, la troisième partie précise les actions pratiques souhaitables et le cap à suivre à chaque niveau d’action pour la décarbonisation de notre modèle économique et énergétique.
Cette proposition est un bon exemple des possibilités données aux parlementaires pour lancer des idées. Sans cette initiative, sans cette réflexion complémentaire à la politique du Gouvernement, notre Assemblée aurait accompagné la COP21 avec un rôle minoré.
Dans cette perspective, je propose, monsieur le président Chanteguet, que la commission du développement durable s’inscrive sur le long terme, dans une démarche de suivi des décisions de la COP21, et rapidement dans la préparation de la COP22. En effet, les COP se suivent mais manquent de continuité politique, et notre Assemblée peut contribuer à combler ce manque. Nous sommes appelés aujourd’hui à fixer un cadre des orientations et des priorités à suivre pour la COP21 et au-delà, avec des objectifs, des calendriers et des moyens.
Les mutations en cours sont sans précédent pour l’humanité par leur ampleur et par leur vitesse, par la nécessité de conduire le changement notre modèle économique et énergétique, de nos modes de consommation et de production. Notre mix énergétique va devoir évoluer avec le remplacement progressif des combustibles fossiles comme le pétrole, le charbon ou le gaz, par les énergies renouvelables, ainsi que l’a dit mon collègue Denis Baupin. Nous quittons un monde bercé par l’illusion de la profusion des ressources naturelles et des matières premières comme l’eau et les forêts, bercé par l’illusion d’un air sans CO2, celle d’un climat stable, d’une biodiversité en permanence renouvelable, bercé par l’illusion de terres agricoles fertiles en abondance, laissant croire à une production et une urbanisation illimitée. Pendant un siècle et demi, nous avons constaté un progrès considérable dans notre qualité de vie en termes de science, de médecine, de technologie et d’industrie, et, en dépit des lanceurs d’alertes, nous avons été aveugles devant l’amenuisement irrémédiable des ressources naturelles. Il aura fallu attendre les alertes répétées du GIEC, émanation de l’ONU, pour se rendre compte de l’état de la situation et, plus grave encore, que le scénario pour l’avenir est des plus pessimistes.
Cette proposition de résolution a toute sa part dans cet ensemble de documents demandant la refondation du modèle de croissance. Sinon, les conséquences seront plus dures que le changement exigé, qu’il s’agisse de la crise alimentaire, de l’étalement urbain, des nouvelles migrations climatiques avec des millions d’hommes et de femmes que nous ne pourrons plus renvoyer chez eux car ils n’auront plus de chez eux, désormais sous les eaux ou transformé en désert, ou encore qu’il s’agisse du problème des ressources en eau, des émeutes de la faim, de l’état des mers, des océans, des fleuves et des rivières partout dans le monde, y compris en France.
On a tendance à minorer les conséquences du réchauffement climatique sur l’eau. Je tiens à saluer la force de l’intervention de Maina Sage sur les problématiques des littoraux et plus largement des îles. Inondations, sécheresses, tempêtes : les dérèglements du cycle de l’eau menacent notre capacité à assurer les besoins fondamentaux que sont boire, se nourrir, se loger, se soigner. Ces dérèglements menacent aussi la biodiversité, les récifs, les écosystèmes aquatiques, et la stabilité des pays en causant des conflits, des guerres, des phénomènes migratoires, des épidémies.
Le changement climatique, c’est le changement aquatique : 90 % des catastrophes naturelles sont liées à l’eau. Tout se tient. Le paramètre de l’eau doit avoir plus de place dans la COP21, dans la prochaine COP 22 au Maroc et dans les suivantes, au même titre que l’énergie. Nos collègues élus dans des territoires littoraux ou ultramarins ne peuvent qu’en témoigner.
Les négationnistes ont longtemps voulu opposer l’écologie à l’économie, le progrès social ou la puissance industrielle à une indispensable évolution environnementale. Mais la mutation est si vaste et touche simultanément un si grand nombre de sujets qu’elle ne peut s’opérer que par la mise en mouvement de tous les acteurs, y compris et d’abord localement dans nos territoires. Pour ne donner qu’un seul exemple, madame la ministre, je salue les actions menées au sein des territoires à énergie positive grâce au Gouvernement, et nous en voyons les premiers effets. Ainsi, un calendrier d’actions a été établi dans mon territoire comme dans de nombreux autres, en parallèle à la COP21.
Bien sûr, il y a le niveau local, mais aussi le niveau international. Ces conférences montrent une ligne de partage avec une vision binaire du monde entre les pays industrialisés d’une part, et les pays en développement – parmi lesquels on trouve aussi des pays émergents – et les pays les moins avancés d’autre part. Le grand enjeu, c’est de faire bouger cette ligne de partage héritée du protocole de Kyoto et de la convention-cadre de l’ONU de 1992. On parle de climat depuis longtemps, mais en attendant un accord efficace, le CO2 s’accumule dans l’atmosphère.
Le GIEC a montré dans son cinquième rapport que la cause majeure du réchauffement est liée, personne ne peut plus en douter, aux activités humaines. Il a aussi montré que limiter le réchauffement à deux degrés signifie émettre en dessous du seuil de 400 gigatonnes de CO2 dans les prochaines années.
Or nous émettons 50 gigatonnes par an. Au rythme actuel, pour limiter le réchauffement à 2 degrés, il nous reste moins de dix ans pour devenir globalement neutre en carbone.
Le monde a changé : le premier émetteur au monde, ce ne sont plus les États-Unis, qui totalisent 17 % du total des émissions, mais la Chine, avec 25 % des émissions.
Pendant la COP21, il faudra sortir de ce cadre bipolaire qui n’a plus sa pertinence pour les questions climatiques et énergétiques. Le principe d’une responsabilité commune mais différenciée est acté mais il reste à savoir comment opérer cette différenciation. Les pays émergents émettent aujourd’hui beaucoup, mais nous disent qu’ils sont arrivés très tard, et qu’en termes de stock d’émissions, ils sont très loin derrière les pays dits industrialisés. Ces pays vivent les contraintes comme une sorte d’interdit à se développer.
Quant aux économistes, ils évoquent ce sujet sous l’angle des externalités : chacun a intérêt à ce que les autres pays fassent l’effort puisque tous en bénéficieront. Le coût de l’effort est privé ; le bénéfice, commun. C’est la position optimale du passager clandestin, où aucun État n’a intérêt à faire l’effort en premier.
La France et l’Europe ne peuvent plus sacrifier leur compétitivité et voir leurs industries se délocaliser quand des réponses connues, fondées, existent au niveau mondial. La proposition de résolution les détaille. Mais une décision au niveau supranational est nécessaire pour sortir du jeu du passager clandestin. C’est le problème de la gouvernance mondiale de l’écologie, qui a été abordé ce matin.
Nous devons rééquilibrer la gouvernance pour qu’une force publique impose des contraintes et mette en place des incitations vertueuses. Comment faire en sorte que le prix de l’énergie reflète davantage l’empreinte écologique suscitée par l’utilisation de cette énergie ? Sous quelle forme fixer ce prix ? Une taxation poserait des enjeux de redistribution complexes.
Comme cela a été rappelé, sans accord contraignant, une autre solution permettrait d’éviter l’impasse du passager clandestin : la taxe aux frontières, qui consiste à instaurer un prix du carbone dans une zone, sans conséquence sur la compétitivité de la zone et sans être obligé de faire évoluer ce prix au même rythme dans toutes les zones. C’est une piste pour harmoniser des trajectoires et des stratégies différentes de réduction des émissions.
S’agissant des instruments économiques pour penser la tarification du carbone, la difficulté réside dans la gestion des effets distributifs et des effets de compétitivité. Au centre des négociations, il faut mettre la question de la valeur que nous accordons au climat : quel niveau de tarification choisir pour le CO2 ? Sur quels mécanismes fonder la redistribution entre les pays ?
Le système de Kyoto reposait sur des droits historiques, avec un bonus aux pays ayant accumulé un stock de CO2. Il est toutefois impossible d’élargir cette structure de tarification au monde entier. Nous devons penser une formule distributive adéquate, comportant des dispositifs gagnant-gagnant – une formule que vous aimez bien, madame la ministre –, où les vertueux sont récompensés.
Pour que le succès soit au rendez-vous de la COP21, manier la carotte plutôt que le bâton, solution envisagée par les négociateurs, serait d’élargir la négociation à la prise en compte de formes de récompenses, de compensations, comme des quotas d’importations et d’exportations sur d’autres types de marchandises. Cela permettrait à des pays vertueux de progresser dans leur croissance car davantage de marchés leur seraient ouverts. Il s’agit donc là d’une forme d’incitation positive.
La tâche est immense, madame la ministre. Si vous pouvez compter sur nous pour décliner les solutions localement, nous comptons sur votre volonté et votre habileté pour que la COP21 soit féconde, en dépit du contexte de violence et de terreur. Comme l’écrit Alexandre Dumas, né à Villers-Cotterêts, « la nature sait calmer les plus vives douleurs ». L’enjeu de sa préservation doit rassembler les bonnes volontés et ouvrir des perspectives plus heureuses pour notre planète à travers l’emploi et l’égalité entre tous.
Les députés du groupe RRDP voteront sans réserve la proposition de résolution du président Jean-Paul Chanteguet. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Patrice Carvalho.
M. Patrice Carvalho. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, quelques jours nous séparent de l’ouverture de la COP21 au Bourget. Eu égard aux enjeux de ce sommet, il était souhaitable que la représentation nationale s’exprime sur ce sujet. Les deux propositions de résolution qui nous sont soumises nous offrent cette occasion. Elles énoncent toutes deux des objectifs, l’une pour accéder à une société à bas carbone, l’autre pour promouvoir la prise en compte des outre-mer dans les négociations de la COP21.
Je crois utile que nous nous saisissions de ce débat parlementaire pour évaluer où en sont les négociations, qui déterminent la réussite ou l’échec de cette COP. En ce qui concerne les enjeux et l’état des lieux climatiques, tout d’abord, le cinquième rapport du Groupe d’experts intergouvernemental, rendu public en novembre 2014, a élaboré quatre scénarios. Le plus probable, en l’état actuel de l’évolution du réchauffement climatique, est le scénario le plus pessimiste, qui table sur une poursuite des émissions de gaz à effet de serre et une hausse des températures de 5 degrés.
Par conséquent, seul un scénario de réduction des émissions de gaz à effet de serre est en mesure de maintenir l’augmentation de la température sous le seuil de 2 degrés. C’est un défi de taille, qui implique de réduire nos émissions de gaz à effet de serre de 10 % par décennie.
Les engagements annoncés par les États parties prenantes de la COP21 situent le réchauffement plus près de 3 que de 2 degrés. Les pays du G20, responsables de 90 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, se sont réunis, voici dix jours, en Turquie. Ils ont consacré l’essentiel de leur réunion à la lutte contre le terrorisme, ce qui constitue bien évidemment l’urgence du moment. Rien n’est ressorti quant à la COP21. De surcroît, avant cette réunion à Antalya, le secrétaire d’État américain, John Kerry, s’est fendu d’une déclaration qui a douché les espoirs d’un accord, même si nous n’ignorons pas l’aspect tactique qu’elle a pour l’administration Obama face à une majorité républicaine au Congrès. John Kerry a ainsi déclaré au Financial Time qu’il n’y aurait pas d’objectif de réduction juridiquement contraignant, comme cela avait été le cas dans le protocole de Kyoto. Il faut reconnaître aux États-Unis une belle constance puisqu’après avoir signé le protocole de Kyoto, ils ne l’avaient pas ratifié. Ce que les États-Unis appellent aujourd’hui de leurs vœux, pour le sommet de Paris, c’est une simple déclaration, qui ne servirait à rien et ruinerait toute possibilité de limiter le réchauffement climatique sous la barre des 2 degrés.
Dans ces conditions, la COP21 serait à l’image de nombreux sommets qui l’ont précédée : une série de beaux effets d’annonce non suivis d’effets. En réalité, nous butons sur la contradiction entre les impérieuses exigences climatiques, qui nous commandent de réduire nos émissions de gaz à effet de serre, et un mode de production et de développement fondé sur le productivisme, une consommation énergivore et le dumping social, c’est-à-dire la main d’œuvre à moindre coût.
L’envahissement de toutes les activités humaines par les lois du marché rend périlleux les accords internationaux nécessaires. Pour prendre des engagements communs, il nous faudrait un monde de coopération. Or, nous sommes dans un monde de la compétition et de la concurrence. Pour gagner des parts de marché, il faut les arracher à d’autres. Pour vivre un peu mieux, il faut que d’autres vivent moins bien. Tant que nous ne reconsidérerons pas nos modes de développement et de production, qui n’ont pas seulement consacré le dumping social mais aussi le dumping environnemental, tant que nous ne placerons pas le climat au centre des négociations sur le commerce mondial, nous peinerons à avancer et à trouver des solutions pérennes.
La seconde pierre d’achoppement concerne les pays en développement. Les négociations butent sur l’engagement pris en 2009 à Copenhague par les pays du Nord à fournir aux pays du Sud 100 milliards de dollars à partir de 2020 pour leur permettre de lutter contre le réchauffement climatique et de se développer de manière plus propre. Si cette promesse n’est pas tenue, il y a fort à craindre que les pays du Sud ne signent pas d’accord. Il a déjà fallu qu’ils haussent le ton, avec l’appui des organisations non gouvernementales, pour que le processus du Fonds vert s’amorce. Mais aujourd’hui, les contributions annoncées s’élèvent à environ 10 milliards de dollars.
Les pays du Sud sont confrontés non seulement à la question de leur développement sur un mode propre mais aussi aux conséquences des chocs climatiques, dont le coût s’élèverait à 200 milliards de dollars selon la Banque mondiale.
L’enjeu est énorme, car si nous sommes aujourd’hui confrontés à l’exode de milliers de personnes fuyant la guerre et la barbarie, mesurons que nous pourrions être demain confrontés à un flux de réfugiés climatiques. Alors qu’en 2013, 22 millions de personnes ont dû abandonner leur domicile à cause de désastres météorologiques ou hydrologiques, soit trois fois plus de personnes que celles déplacées à cause d’un conflit, le nombre de réfugiés climatiques dans le monde pourrait atteindre 250 millions de personnes en 2050, selon l’Organisation des Nations unies. C’est dire l’urgence !
Les deux propositions de résolution qui nous sont soumises traitent des questions que je viens d’aborder. Elles tendent à faire en sorte que notre pays s’engage à porter un nouveau modèle de développement à l’échelon national, européen et international, afin de constituer une sorte d’avant-garde sur la voie de la transition.
Pour l’essentiel, je ne peux que partager les propositions avancées par ces textes, en particulier, dans le premier, le passage à une économie décarbonée. Il en va de même pour la proposition de résolution tendant à promouvoir la prise en compte des outre-mer dans les négociations de la COP21, que les députés ultra-marins du groupe GDR ont cosignée. Ces territoires, par leur situation océanique, sont très directement exposés au dérèglement climatique, aux risques de tempêtes et de cyclones, en n’oubliant pas qu’ils représentent 80 % de la biodiversité française.
J’émettrai toutefois quelques réserves s’agissant de la proposition de résolution pour accéder, au-delà de la COP21, à une société à bas carbone. Notons tout d’abord l’insistance du texte sur l’adaptation au changement climatique. Nous avons toujours exprimé les plus vives réserves sur cette notion, qui laisse entendre que les scénarios de maîtrise efficaces proposés par le GIEC ne seront pas atteints, que la maîtrise du réchauffement climatique sera insuffisante, et qu’il convient prioritairement d’orienter les investissements vers l’adaptation de nos sociétés ou de celles des pays en développement à ce réchauffement.
Ce texte fait ensuite la part belle aux outils économiques et financiers issus du protocole de Kyoto et devant permettre aux États engagés de réduire leurs émissions. Ces outils, ou « finance carbone », ont avant tout contribué à accélérer les logiques financières et spéculatives du capitalisme mondialisé : les délocalisations d’activités, avec recours aux énergies carbonées et émissions de gaz à effet de serre, vers les pays du Sud ou même en Europe, ont élargi le cercle des pays pollueurs.
Nous avons également des divergences sur les modalités de mobilisation des investissements privés. Le texte évoque ainsi la nécessité de « lever, par des mesures législatives, les obstacles au financement des projets de long terme » ou encore d’encourager les investisseurs institutionnels « à cesser d’investir dans les énergies fossiles ».
II y a énormément de capitaux en circulation sur la planète. Le bon sens serait de capter une partie de cet argent pour l’orienter vers le financement d’infrastructures favorables à la transition écologique. Or ce sont les marchés financiers, donc les investisseurs privés, qui ne veulent pas en entendre parler parce qu’investir sur les marchés financiers rapporte encore 10 % par an. Aucun projet de l’économie réelle, a fortiori pour la transition énergétique, ne rapporte un tel taux annuel. Le politique doit donc mener un véritable bras de fer avec les investisseurs privés sur les marchés financiers, non appliquer de simples mesures incitatives, d’accompagnement ou de soutien.
Pour finir, notons que le texte n’évoque pas un seul instant la pauvreté et l’interdépendance des questions sociales et environnementales.
Sous ces réserves, nous voterons les deux propositions de résolution.
Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud Leroy.
M. Arnaud Leroy. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission, madame la présidente de la commission des affaires européennes, chers collègues, je vous remercie d’avoir pris l’initiative de cette résolution, afin que l’Assemblée nationale du pays hôte de la COP21puisse discuter non seulement des outre-mer mais surtout d’une stratégie bas carbone.
S’agissant de ces textes et du changement climatique, il importe que nous sortions de certains sillons et, notamment, que nous cessions de croire que les changements climatiques sont un problème environnemental.
Nous sommes confrontés à un problème civilisationnel. Qu’on le veuille ou non, nous sommes à l’orée d’une nouvelle société. Que l’on veuille rester dans la période actuelle ou que l’on assume le défi qui est devant nous, nous devrons changer.
Aujourd’hui, il y a les attentats, la crise des migrants ; comme l’a dit Denis Baupin, on peut y voir aussi un effet climatique : sécheresse à la fin des années 2000 en Syrie, sécheresse encore au Soudan, qui provoque des mouvements de population, ce qui explique que cette crise soit considérée par nombre d’experts comme le premier conflit vert à l’échelle du monde. Et regardons notre propre histoire : la Révolution française a fait suite à plusieurs mauvaises récoltes, qui ont provoqué des mouvements populaires qui ont à leur tour débouché sur l’insurrection révolutionnaire.
Il importe aussi de souligner que la COP21 n’est qu’un point d’étape, ou un point de départ vers cette société à bas carbone que nous devons embrasser. Il convient de le rappeler pour éviter toute déception. Si je suis optimiste quant à la possibilité d’aboutir à la mi-décembre à un accord, nous aurons simplement « cranté » quelques principes qu’il nous faudra réviser au fur et à mesure pour rester dans la trajectoire des deux degrés.
La COP21 devra aussi être l’occasion de restaurer la confiance entre les différentes parties, entre les pays dits de « l’annexe 1 » et les autres, c’est-à-dire entre le Nord et le Sud. On a trop souffert de ces divisions et d’un fossé que nous avons du mal à combler.
Pour restaurer cette confiance, nous disposons de deux outils : le Fonds vert pour le climat, qu’il faudra abonder à hauteur de 100 milliards à partir de 2020 – on peut toujours discuter des modalités, mais il convient de l’abonder à la hauteur des attentes et des besoins ; et le transfert de technologies. Ce dernier point est très peu évoqué ; pourtant, une demande récurrente des grands pays émergents, ou « émergés », comme on les appelle dorénavant – ainsi l’Inde, d’où je reviens avec la présidente Auroi –, est d’avoir accès à certaines technologies qu’ils ne peuvent pas s’offrir.
Je veux aussi insister sur le rôle des parlements – et il est bien dommage que nous soyons si peu nombreux ce soir pour discuter de la stratégie bas carbone de notre pays. Vous l’avez souligné à plusieurs reprises, madame la ministre : les modalités d’élaboration du texte font débat. Nous, représentants des peuples, ne pouvons plus rester en dehors des négociations ou être de simples visiteurs au sein d’une délégation, car les accords qui vont en résulter impacteront de plus en plus le mode de vie des peuples, et par conséquent les libertés individuelles à travers le monde. À cela s’ajoute l’effet multiplicateur des changements climatiques, donc les changements que nous devrons nous-mêmes mettre en œuvre.
Il convient de souligner la nécessité d’aboutir à un résultat sur le prix du carbone. Le débat ne sera pas tranché à la COP21. Il faudra pourtant que nous soyons au rendez-vous, car c’est une exigence pour l’ensemble de l’économie : il n’y aura pas de société à bas carbone sans prix du carbone.
Autre point important : la place de l’Europe, qui négocie pour nous dans ces conférences des parties et qui est, avec 500 millions d’habitants, le principal marché et l’un des principaux producteurs de carbone. Il convient de regarder combien nous émettons réellement, en réintégrant la part des consommations qui sont externalisées afin de pouvoir respecter les engagements de Kyoto.
En tant qu’élu national, je regrette que le vote de ce texte issu de la loi de transition énergétique ne donne pas lieu à un débat sur la stratégie nationale bas carbone. J’aimerais que nous puissions en revanche avoir un débat à l’Assemblée nationale sur la programmation pluriannuelle de l’énergie, notamment pour la soutenir et la guider, sans tomber dans la paresse intellectuelle que je dénonçais tout à l’heure. S’agissant notamment de l’éolien offshore, nous devons à nos industriels le respect des engagements qui ont été pris afin que nous soyons au rendez-vous de cette technologie et que nous puissions disposer d’une certaine visibilité sur la question.
Pour conclure, madame la ministre, comme vous l’avez dit à plusieurs reprises, à la suite notamment de Jean Jouzel : « Nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas ». Il faut agir, rompre avec la paresse intellectuelle pour s’engager enfin dans une nouvelle phase et mettre en œuvre la solidarité intergénérationnelle que nous devons aux jeunes et aux générations futures afin que, dans le futur, l’on puisse vivre décemment sur cette planète – car l’espèce en danger, cette fois, ce ne sont pas les rhinocéros, les baleines ou les éléphants, c’est l’être humain. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Christophe Bouillon.
M. Christophe Bouillon. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission du développement durable, madame la présidente de la commission des affaires européennes, chers collègues, nous examinons une proposition de résolution déposée par le groupe SRC à l’initiative du président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, Jean-Paul Chanteguet. Ce texte affirme la volonté d’accéder, au-delà de la COP21, à une société à bas carbone. « Au-delà de la COP21 » : voilà le cap.
Permettez-moi de m’arrêter un instant sur ce point. Pourquoi est-il important de préciser cela dans le titre même de la proposition de résolution ? La réponse réside dans ce qu’est la COP21.
La COP21 est d’abord un constat – simple : le changement climatique, c’est maintenant. Les dérèglements climatiques impactent déjà fortement notre environnement, avec la fonte des glaciers, la montée des eaux, les inondations, les sécheresses, les incendies, les disparitions d’espèces animales et végétales, la destruction d’écosystèmes. Des migrants climatiques commencent à quitter par millions certaines régions devenues submersibles ou incultivables. Face à ce constat « irréfutable et sans équivoque » – j’emprunte ces termes au dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat –, nous ne pouvons pas rester les bras croisés ou ballants.
La COP21, c’est aussi un accord. Nous le souhaitons universel, ambitieux, contraignant, différencié et financé. Il est à portée de main ; mais ce n’est pas une fin en soi. L’accord de Paris, pour reprendre les mots du projet de résolution, « ne sera pas un point d’arrivée, mais un point de départ ». Il faudra le vérifier en permanence et l’améliorer régulièrement.
La COP21, c’est enfin un combat climatique. C’est même le combat du siècle. Il ne s’agit pas d’attendre le 11 décembre prochain et la fin des négociations pour espérer entendre résonner le gong final de ce combat. Il faudra poursuivre l’effort de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour limiter l’augmentation des températures en dessous de deux degrés Celsius, voire 1,5 degré Celsius.
Dans cette lutte, la France doit s’engager à promouvoir un nouveau modèle de développement, et même un modèle de société. Elle doit le faire chez elle, bien évidemment, mais également au sein de l’Union européenne et à l’international. Notre pays doit être volontaire et exemplaire en la matière.
La France, pays hôte de la vingt et unième conférence sur les changements climatiques, a déjà montré l’exemple cet été en adoptant et en promulguant la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte. Cette loi, que vous avez longuement défendue, madame la ministre, va montrer la marche à suivre pour les négociations de la COP21 et pour le passage à une économie décarbonée. Il s’agit d’une formidable boîte à outils pour celles et ceux qui voudraient s’engager résolument vers la société à bas carbone.
Cet élan remarquable doit également se faire sentir au-delà de nos frontières.
À l’échelon européen d’abord, en demandant une réforme du mécanisme de fixation du prix du carbone sur le marché ETS, de manière à atteindre un niveau crédible ; en incitant l’Union européenne à dégager les ressources financières nécessaires aux transitions énergétique et climatique ; ou encore, en veillant à ce que la Commission européenne prenne des initiatives pour mettre le secteur financier au cœur de la protection du climat et en faisant en sorte qu’elle agisse en faveur du renforcement des ambitions et des politiques de l’Union.
Sur le plan international ensuite, à travers les négociations à venir, en proposant que soit institutionnalisé l’Agenda des solutions, voire en soutenant la création d’un Conseil pour l’Agenda des solutions ; en proposant la création, avec les pays développés et émergents qui le souhaitent, d’une avant-garde climatique qui travaillerait à la mise en place d’un corridor carbone ou d’une « cible carbone » dotés d’un prix minimum de l’ordre de 15 à 20 dollars la tonne de CO2 avant 2020 et d’un prix recommandé de l’ordre de 100 à 120 dollars la tonne en 2030-2035 ; ou encore en demandant que le FMI et la Banque mondiale soient chargés du suivi d’une feuille de route mondiale pour le financement d’une économie décarbonée, de manière à suivre les évolutions du prix carbone.
Je m’arrêterai là dans l’énumération des propositions, qui sont toutes répertoriées dans le texte que vous avez sous les yeux. Pour conclure, j’ajouterai que cette proposition de résolution est un appel à continuer le travail et à poursuivre notre effort, de sorte que nous ne lâchions pas prise et que nous soyons tous concentrés sur cet objectif, qui, comme l’a rappelé Arnaud Leroy, est un véritable objectif de civilisation.
Toutes ces raisons emportent notre résolution et transportent nos ambitions. François de La Rochefoucauld – qui ne connaissait rien à ces sujets – disait : « Il faut tenir une résolution parce qu’elle est bonne et non pas parce qu’on l’a prise ». Mes chers collègues, je vous invite à prendre cette résolution parce qu’elle est bonne. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
La parole est à M. le président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire.
M. Jean-Paul Chanteguet, président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les attentats, qui ont endeuillé notre capitale, le pays tout entier et qui ont provoqué un mouvement de solidarité internationale avec la France, loin de faire passer l’intérêt de la COP21 au second plan, doivent au contraire nous convaincre plus encore de la tragique, essentielle et urgente nécessité de trouver un accord.
Les dérèglements climatiques, les saccages écologiques que produit notre modèle de développement, basé sur le recours massif aux énergies fossiles et sur la surexploitation des ressources naturelles, font entrer l’humanité dans une nouvelle ère géologique, caractérisée par l’influence prédominante de l’homme sur la planète et sa capacité à la transformer : c’est l’anthropocène.
Mais cette destruction de nos écosystèmes concourt également au désordre géopolitique du monde. Monique Barbut, la secrétaire exécutive de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification a démontré qu’en Afrique sahélienne les cartes de la désertification, de l’insécurité alimentaire et de la présence de groupes islamistes armés se superposaient. En Syrie, la sécheresse qui a sévi de 2006 à 2010 a entraîné l’exode d’un million de paysans vers les villes et joué un rôle dans le déclenchement de la guerre civile.
Partout dans le monde, le changement climatique, en entraînant des exodes de population et des conflits pour l’appropriation des territoires, de l’eau et de la nourriture, accroît l’instabilité et la violence, en affectant en premier lieu les pays les plus pauvres et les plus déshérités. Ces nouvelles inégalités s’ajoutent à celles qui déstructurent déjà notre monde, dans lequel 1 % de la population possède autant que les 99 % restant. Le terrorisme se nourrit de ces injustices, de ces souffrances, de cette absence d’avenir et de sens, de cette perte des valeurs humaines.
Chers collègues, la lutte contre le changement climatique s’impose non seulement pour sauver l’espèce humaine, en préservant ce que l’on appelle les biens communs au sein de l’espace géographique qu’est la planète et au sein de l’espace temporel que constitue l’ensemble des générations, mais également pour bâtir un monde plus juste et plus solidaire. La COP21 actera, nous l’espérons tous, un accord résultant de la prise de conscience des pays participants, de la mobilisation de la société civile et du travail de notre diplomatie et de notre gouvernement, autour de Laurent Fabius, Ségolène Royal et Annick Girardin ; mais la tâche et la responsabilité de la France ne s’arrêteront pas le 11 décembre. Notre pays continuera à présider la COP durant une année entière. Après avoir joué le rôle du pays facilitateur, qui doit trouver un compromis entre 195 délégations, la France pourra alors mettre en avant ses propres convictions et soutenir un certain nombre d’initiatives, au plan national bien sûr, mais aussi au sein de l’Union européenne et sur la scène internationale.
C’est dans cette perspective que s’inscrit la proposition de résolution que nous présentons aujourd’hui. Son titre expose son ambition : accéder, au-delà de la COP21, à une société à bas carbone.
J’ai déjà expliqué la nécessité de se situer après le rendez-vous de décembre à Paris, aussi important soit-il. Je voudrais maintenant dire quelques mots sur cette société que j’appelle de mes vœux.
L’extraordinaire accélération des émissions de gaz à effet de serre, surtout ces quarante dernières années, et leur accumulation dans l’atmosphère au-delà de 100 000 ans imposent un changement de paradigme et une transition vers un monde tout entier réorganisé autour de la nécessité d’une faible émission de carbone. Il ne s’agit donc pas simplement de changer la motorisation de nos véhicules, mais bien de transformer l’ensemble de nos façons de produire, de consommer, de travailler, de financer, d’habiter, de circuler et d’échanger. Cela, il faut le comprendre, aura un impact sur l’ensemble des actes de nos vies, revues à l’aune de l’efficacité et de la sobriété, et notamment sur notre consommation des ressources naturelles, qu’il s’agisse des matières premières, y compris énergétiques, des sols, des océans, des forêts ou des eaux douces.
Pour s’engager sur la voie de ce monde décarboné, je souhaite que les députés, le moment venu, votent – bien sûr – l’accord qui sera trouvé à la COP21 de Paris. Mais ils ne devront pas en rester là : en tant que représentants des citoyens et de la société civile, qui est de plus en plus mobilisée à travers les territoires, les députés devront guider l’action du Gouvernement.
C’est le sens des différentes adresses que détaille la proposition de résolution pour une société à bas carbone. Je ne les citerai pas toutes, mais je tiens à mettre l’accent sur certaines d’entre elles, qui ont déjà été rappelées au cours des interventions des précédents orateurs. Nous demandons ainsi que notre pays fasse de ses territoires d’outre-mer – qui sont particulièrement concernés, et répartis à travers le monde – des espaces prioritaires d’innovation en matière d’adaptation et d’atténuation face au changement climatique, et qu’il affecte une part plus importante de ses financements dédiés au climat à l’adaptation des pays les plus vulnérables, y compris sous forme de dons.
Nous souhaitons ensuite que l’Union européenne concrétise la taxe sur les transactions financières, rénove la gouvernance du système d’échange de quotas d’émissions de gaz à effet de serre, et intègre la question climatique dans plusieurs de ses politiques, notamment agricole, d’investissement et de recherche.
Enfin, nous pensons qu’il est indispensable que le Gouvernement travaille dans plusieurs directions au plan international. Il faut d’abord former une avant-garde climatique de pays qui s’engageraient sur la voie d’un corridor carbone. Il faut ensuite créer un club pour les technologies propres susceptibles d’aider la transition vers la société à bas carbone. Il faut en outre fixer des objectifs de croissance neutre en carbone des secteurs aérien et maritime, et soutenir la création d’un fonds pour la restauration des sols pollués et dégradés, afin qu’une fois remis en culture ou replantés d’arbres, ils fixent à nouveau le carbone. De plus – et cela résonne d’autant plus fort depuis les attentats terroristes – nous souhaitons que le respect des droits humains et l’égalité entre hommes et femmes soient réaffirmés fortement dans toutes les politiques relatives au changement climatique.
Mes chers collègues, madame la ministre, vous comprendrez qu’une telle proposition transcende les partis et courants politiques. J’espère donc qu’elle sera votée par le plus grand nombre d’entre vous ; je vous en remercie par avance. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe écologiste et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes.
Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes. Madame la ministre, monsieur le président de la commission du développement durable, mes chers collègues, tout a déjà été dit, mais au nom de la commission des affaires européennes, je tiens à mon tour à souligner à quel point cette proposition de résolution – largement due à la plume de Jean-Paul Chanteguet – est importante pour nous.
Notre commission suit depuis des années les questions relatives au climat, toutes nuances politiques confondues – notre collègue Bernard Deflesselles, du groupe Les Républicains, est par exemple très impliqué sur cette question. Cela montre qu’il y a, sur tous les bancs, des gens qui ont conscience de l’urgence climatique et qui sont prêts à s’engager dans la préparation de la COP21, qui démarrera pratiquement demain.
C’est pour cela qu’un groupe de travail a été formé, composé de membres de trois commissions de notre assemblée : développement durable, affaires étrangères, affaires européennes. Au bout d’un an de travail, après que la COP21 aura eu lieu, ce groupe de travail constituera un très bon comité de suivi pour l’Assemblée nationale.
Au moment où nous prenons position, ensemble, sur cet avenir vital, majeur, commun, la proposition de résolution de nos collègues des outre-mer intègre pleinement une stratégie de lutte et d’adaptation au changement climatique, et s’inscrit dans la même logique : une logique essentielle, d’autant plus que certaines de nos îles sont directement concernées. En sauvant les îles, nous sauvons la biodiversité, car la COP21 parle aussi, quelque part, de biodiversité.
Cette conférence s’ouvrira le 30 novembre, c’est-à-dire demain ; c’est toute la communauté internationale qui se rendra à Paris pour dire oui à la volonté de maintenir le réchauffement climatique au-dessous de deux degrés. Nous savons que ce oui n’est pas toujours clair et franc, mais il faut dire et répéter que c’est nécessaire non seulement à la planète, mais aux humains et aux droits humains. La volonté affirmée de chacun ne peut que nourrir les uns et les autres.
Beaucoup d’entre vous ont parlé des déstabilisations majeures liées au climat ; l’exemple de la sécheresse en Syrie, notamment, a été évoqué à plusieurs reprises : je n’y insiste pas. J’insisterai, en revanche, sur le rôle de l’Union européenne. C’est avant tout l’Union européenne qui doit promouvoir une économie à bas carbone ; depuis les accords de Kyoto, elle a été, pour ainsi dire, la bonne élève du climat ; elle doit conserver cette place. L’Union européenne a pris des engagements pour 2030 : ils sont ambitieux, mais pour l’essentiel ils ne sont plus obligatoires. Vous connaissez tous l’exemple de l’efficacité énergétique : il faut que l’Union européenne exige de chaque État qu’il prenne sa part de responsabilité. Il me semble, madame la ministre, que la France l’a fait avec la loi sur la transition énergétique.
L’Union européenne doit aussi travailler sur les autres aspects du problème : les énergies renouvelables, les transports, l’environnement, mais aussi l’agriculture et la recherche. Certains aspects actuels de la politique agricole commune, par exemple, ne seront pas compatibles avec ce que demandera la COP21.
Il nous faut donner l’exemple, être volontaristes, comme nous le sommes ce soir. Il nous faut démontrer que nous sommes en avance ; parce que nous savons que nous avons beaucoup pollué par le passé, nous sommes capables plus que d’autres de prendre notre part du fardeau. Si nous donnons l’exemple, d’autres doivent suivre. C’est ce travail que l’Union européenne doit accomplir, notamment le commissaire européen au climat et à l’énergie qui négociera à vos côtés, madame la ministre, et aux côtés de M. le ministre des affaires étrangères. La phase qui s’ouvrira à Paris par la conférence sur le climat continuera pendant une année – la présidence française durera un an – et sera dirigée vers les objectifs futurs.
La taxation des transactions financières aussi est une obligation. Les pays en développement, qui nous regardent avec beaucoup de méfiance depuis Addis-Abeba, ne seront rassurés que si nous montrons, nous Européens – et spécialement nous Français – que nous sommes prêts à les financer via cette taxe sur les transactions financières. Il me semble que cette Arlésienne devrait enfin exister : les onze États qui se sont engagés devraient le faire.
L’Europe pourra ainsi financer les pays en développement à la hauteur de ses ambitions, ce qui leur permettra de se sentir rassurés – notamment les plus fragile d’entre eux, les PMA, c’est-à-dire les pays les moins avancés. Il faut les assurer que nous serons à la hauteur de ce qui nous a été proposé il y a quelques années, et que nous saurons abonder le Fonds vert dans des conditions qui permettront aux uns et autres de se faire confiance.
Nous ne pouvons que défendre cette proposition de résolution, qui contient des propositions innovantes et demande un suivi important. Il sortira de la conférence de Paris, le 11 décembre prochain, un accord contraignant et ambitieux. Par la suite, dans les mois et dans les semaines qui suivent, nous proposerons des choses encore plus positives pour toute la planète et pour tous ceux qui y habitent. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Ibrahim Aboubacar, suppléant M. Jean-Claude Fruteau, président de la délégation aux outre-mer.
M. Ibrahim Aboubacar. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission du développement durable, madame la présidente de la commission des affaires européennes, mes chers collègues, dans quelques jours l’humanité aura un rendez-vous crucial avec son destin à la COP21.
Notre pays y joue un rôle moteur, ce dont nous nous félicitons tous. En présentant cette proposition de résolution tendant à promouvoir la prise en compte des outre-mer dans les négociations de la COP21, aux côtés de la proposition de résolution défendue par le président Chanteguet, nous tenions à rappeler l’existence de ces 2,6 millions de Français vivant dans onze territoires répartis dans les trois océans de la planète. Leur situation est particulière au regard des défis soulevés par le dérèglement climatique ; la nécessité de prendre en compte ces territoires dans ces négociations complexes, aux enjeux infinis et aux intérêts si contradictoires en apparence, est impérieuse. Nous tenions à rappeler par ailleurs que ces outre-mer peuvent représenter un atout considérable pour la France dans ce dialogue mondial.
La proposition de résolution pour une société à bas carbone que nous examinons en discussion commune, et dont nous approuvons les orientations, souligne l’urgence à agir dans ces territoires, compte tenu des menaces qui pèsent sur leur biodiversité, et suggère d’en faire des espaces d’innovation. Nous approuvons ces préconisations générales, et souhaitons aller plus loin dans les enjeux que représente, pour les outre-mer, le dérèglement climatique. D’abord, il convient de souligner la vulnérabilité de ces territoires, liée à leur situation géographique, et exacerbée – pour la plupart d’entre eux – par leur insularité. Ces outre-mer, qui représentent 97 % de la zone économique exclusive française, regroupent 80 % de sa biodiversité, qui est particulièrement exposée aux menaces liées au changement climatique.
De nombreux écosystèmes – récifs coralliens, mangroves, herbiers – vitaux pour la protection de ces territoires, pour la sauvegarde de leurs ressources, ou pour leur valeur dans l’activité économique, sont aujourd’hui menacés de destruction. Oui, dans les outre-mer, nous serons souvent les premiers touchés par les effets du changement climatique, au même titre que certains petits États insulaires, dont nous comprenons et partageons les vives préoccupations.
Du reste, nous ressentons déjà l’impact du changement climatique ; il ne fera que se renforcer dans les décennies à venir. Il se traduit notamment par le déplacement et l’intensification des phénomènes cycloniques – qui nous touchent souvent – et des régimes de précipitations, par l’élévation du niveau de la mer, la salinisation des sols, l’augmentation de la température et l’acidification des océans. Oui, dans la plupart de ces territoires, la mer nous entoure, et quelles que soient les relations que nos populations entretiennent avec elle, tout ce qui touche à la mer nous concerne.
C’est pourquoi nous n’insisterons jamais assez sur la prise en compte de la dimension océanique dans le mandat de négociation européen, compte tenu de son rôle de principal régulateur du climat et de l’importance de sa protection pour nos territoires. C’est cela, prendre en compte nos territoires d’outre-mer.
Mais aussi vulnérables soient-ils, ces territoires représentent également des atouts considérables dans les débats à venir sur les évolutions du climat. D’abord, parce que leur positionnement géographique nous permet d’être des sentinelles de la plupart de ces phénomènes, tant en termes d’observations, de mesures, que de comparaison avec des situations non affectées par les actions anthropologiques – je rappelle qu’en effet, certains de ces territoires sont inhabités.
Ensuite, parce qu’un certain nombre de solutions d’atténuation y trouvent des développements exceptionnels notamment dans les énergies renouvelables. Ce n’est pas un hasard si, dans nos territoires, les ambitions dans ce domaine sont très élevées.
Enfin parce que les acteurs locaux y sont parmi les plus actifs en termes de solutions d’adaptation ; les exemples sont nombreux dans l’agenda des solutions outre-mer. Sur ces trois sujets, nos territoires constituent des points d’appui considérables en termes d’émergence de solutions concrètes. Nous sommes capables de nouer un dialogue riche et des échanges constructifs avec les États insulaires qui nous entourent, pour peu que ces initiatives soient davantage soutenues, coordonnées et suivies.
C’est pourquoi nous insistons pour favoriser l’accès des collectivités d’outre-mer aux financements multilatéraux des actions d’adaptation et d’atténuation ou, à défaut, pour créer un dispositif européen ou national de solidarité permettant de lever les ressources nécessaires. De même, nous insistons pour que ces collectivités puissent jouer plus que jamais leur rôle dans les dialogues régionaux. À ce sujet, nous aurions tout intérêt à créer des espaces de responsabilité leur permettant de coopérer de la manière la plus fonctionnelle possible avec les pays voisins sur les problématiques liées au changement climatique.
Ce débat sur le changement climatique reprend, en définitive, l’interrogation profonde que chacun de nous doit avoir sur sa relation avec la Nature. C’est sans doute sous cet aspect que l’apport des outre-mer est fondamental pour notre Nation. La prise en compte des relations que ces populations entretiennent encore avec leur environnement, de leur vision du monde, exprimée ou non, que chacun pourrait appréhender en étant attentif à l’autre : c’est en cela que nous considérons légitime que les outre-mer soient pleinement associés à la mise en œuvre ultérieure des décisions prises lors de la COP21. Il convient ainsi de mettre en place, au niveau national, des mécanismes qui permettront leur consultation automatique dans le cadre des discussions internationales sur le climat.
Telles sont les préoccupations qui ressortent des débats que nous avons eus au sein de la délégation à l’outre-mer au sujet du changement climatique outre-mer, sous la présidence de Jean-Claude Fruteau, que je supplée aujourd’hui à cette tribune. Maina Sage – qui, m’a-t-elle dit, a dû partir pour se rendre au sommet France-Océanie – Serge Letchimy et moi avons cosigné un rapport d’information sur cette question. Je remercie tous les collègues qui se sont investis dans les travaux préparatoires à ce rapport d’information, notamment Marie-Anne Chapdelaine, vice-présidente de la délégation, qui s’investit particulièrement pour les outre-mer. Nous avons également apprécié le soutien décisif du président Bartolone.
Ces débats ont nourri la proposition de résolution tendant à promouvoir la prise en compte des outre-mer dans les négociations de la COP21 que nous vous appelons à adopter, pour que les outre-mer français restent pleinement dans le sens de l’histoire. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.
Mme Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Monsieur le président Jean-Paul Chanteguet, madame la présidente Danielle Auroi, mesdames, messieurs les députés, dans quatre jours le monde aura rendez-vous avec lui-même, un dernier rendez-vous : c’est donc le moment où jamais pour agir. Aussi je vous remercie infiniment, monsieur le président, d’avoir pris l’initiative d’une telle proposition de résolution.
Vous vous engagez ainsi, mesdames et messieurs les députés, pour que les négociations, lors de la COP21, orientent la civilisation vers des sociétés à bas carbone, et vous plaidez pour qu’une place majeure soit réservée aux outre-mer, qui sont en effet les territoires les plus gravement touchés par le réchauffement climatique.
Vos propositions sont nombreuses, solides, précises et ambitieuses, et vos différentes interventions sont la preuve de votre engagement. Ces propositions confortent la présidence française de la COP21. Notre pays, en effet, a une responsabilité et une chance exceptionnelle d’accueillir cette conférence qui, dans quatre jours, réunira cent cinquante chefs d’État et de Gouvernement. Il n’a bien évidemment pas été question, malgré les événements dramatiques que nous avons connus, d’annuler cette conférence sur le climat. Non seulement les principaux chefs d’État et de Gouvernement ont d’emblée confirmé leur présence, mais nous en accueillerons plus encore que prévu.
La France est consciente de cette mission essentielle, même si, bien entendu, elle ne fera pas tout, toute seule ; elle assume un rôle, non seulement de présidence, mais aussi de médiation, et à ce titre elle s’impliquera pour faire converger les positions. La diversité et la complexité des sujets prouvent à quel point nous avons besoin de toutes les compétences, en particulier de celles des élus, vous qui êtes engagés dans la transition énergétique, non seulement à travers la loi qui lui est dédiée, dont vous maîtrisez parfaitement les enjeux si complexes, mais aussi sur vos territoires respectifs.
La conférence sur le climat réussira à quatre conditions : la conclusion d’un accord ambitieux et contraignant ; l’annonce et le respect d’engagements financiers ; la mise en œuvre d’actions concrètes – c’est tout le sens de l’Agenda des solutions, qui se tiendra du 1er au 11 – ; la mobilisation, enfin, de la société civile, de toute la société civile, sur l’ensemble de la planète : citoyens, entreprises, chercheurs, territoires, femmes, jeunes, scientifiques, ONG et peuples autochtones, qui composent les neuf « major groups » des Nations Unies, devront se saisir de cet engagement et le mettre en application.
Votre initiative appuie aussi les démarches engagées par la France pour étendre les dispositions issues de la loi sur la transition énergétique aux autres États membres de l’Union européenne. Nous nous félicitons, à cet égard, que la Commission européenne ait désigné la loi française comme la loi exemplaire pour les autres pays.
Par ces propositions vous affirmez également le leadership de la France en matière de transition énergétique et climatique ; j’en prendrai quelques exemples.
En premier lieu, vous souhaitez faire des outre-mer des territoires d’innovation. La loi de transition énergétique, nous en avions longuement débattu, leur consacre un chapitre entier, et prévoit un transfert de compétences essentielles aux élus afin de favoriser l’autonomie énergétique des territoires et l’anticipation des innovations en matière de transition énergétique.
Vous souhaitez l’intensification de l’aide au développement. De fait, l’engagement d’une enveloppe de 100 milliards de dollars par an à partir de 2020 doit être tenu ; d’après l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, cette enveloppe est aujourd’hui de 62 milliards. La contribution de la France, elle, sera portée de 3 milliards en 2015 à 5 milliards en 2020.
Le Fonds vert, que l’on annonce abondé à hauteur d’un peu plus de 10 milliards de dollars, doit permettre de financer des projets concrets ; à ce jour, huit projets ont été annoncés. La France, de fait, tenait à l’annonce d’initiatives opérationnelles avant la COP21.
Votre résolution tend aussi à placer l’investissement et le secteur financier au service du climat. L’article 173 de la loi de transition énergétique impose désormais aux investisseurs institutionnels d’inscrire dans leurs rapports annuels les impacts climatiques et environnementaux de leurs investissements. Le projet de décret d’application relatif à cet article vient d’être mis en consultation, comme je m’y étais engagée.
La France doit encourager les autres pays à suivre cet exemple, et le fera puisque le chef de l’État animera la coalition sur le prix du carbone et le risque climatique, lequel sera donc intégré au reporting des entreprises. Une quarantaine de pays à travers le monde ont déjà annoncé qu’ils participeraient à ladite coalition. L’État actionnaire a également anticipé en demandant aux entreprises publiques de ne plus investir dans les énergies fossiles, notamment le charbon – l’entreprise Engie y a ainsi renoncé. La décision de supprimer les aides à l’exportation de charbon a également été prise.
Vous souhaitez aussi que l’Union européenne dégage les ressources financières nécessaires aux transitions énergétique et climatique. Le plan d’investissement Juncker et les financements de la Banque européenne d’investissement contribuent à un tel engagement, à travers des programmes dédiés à la rénovation énergétique des bâtiments publics et aux transports collectifs.
D’autre part, les programmes de recherche NER300 et H2020 contribuent à faire émerger des solutions pour favoriser les énergies renouvelables, telle l’énergie thermique des mers dans les outre-mer. Vous pouvez aussi compter sur moi pour que la France veille à ce que la Commission européenne renforce les ambitions et les politiques de l’Union en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Vous souhaitez que la France obtienne, à l’issue de la COP21, un accord prévoyant une révision des engagements nationaux tous les cinq ans, et que la première de ces révisions intervienne dès 2018-2019. Cet objectif est en bonne voie.
La mise en œuvre des contributions nationales actuellement déposées constitue déjà un progrès indéniable pour la lutte contre le changement climatique, mais, vous le soulignez aussi, ces contributions n’empêcheraient pas une augmentation des températures supérieure à 2 degrés. Je partage pleinement votre souhait de voir ces engagements améliorés ; je pense d’ailleurs qu’ils le seront car la dynamique est lancée. Je vous confirme en tout cas que la France œuvrera en ce sens.
Vous demandez l’institutionnalisation de l’Agenda des solutions et la création d’un conseil dédié réunissant les parties prenantes. La COP21 sera en effet la première conférence du genre à faire des solutions une part intégrante des négociations sur le climat, à travers l’« action week » et l’« action day » le 5 décembre.
L’Agenda des actions Lima-Paris, initiative des présidences péruvienne et française avec les Nations unies, est une nouveauté très mobilisatrice, qui doit permettre à de nombreux acteurs non étatiques de s’engager.
Vous souhaitez que la France assure la promotion de l’inclusion du transport aérien et du transport maritime international dans les mécanismes de contrôle des émissions de carbone. Je travaille avec l’Organisation de l’aviation civile internationale pour obtenir, de la part des transporteurs aériens, des engagements en ce sens d’ici à septembre 2016, en jumelant réduction des émissions et mécanismes pérennes de compensation.
Je veux dire un dernier mot sur la place que vous souhaitez réserver aux outre-mer. Dès ce soir s’ouvre le sommet France-Océanie : comme l’ont souligné par Maina Sage et Ibrahim Aboubacar, l’enjeu est majeur car nous disposons de potentiels exceptionnels. Les régions ultramarines, souvent qualifiées de périphériques, peuvent être au centre de la transition énergétique en démontrant leur capacité à s’orienter vers l’autonomie énergétique ; à cet égard la COP21 offre la possibilité d’une nouvelle étape – et j’y veillerai – quant à l’implication des outre-mer dans les négociations sur le climat.
La France a pris l’engagement, en assumant la présidence de la COP21, de permettre à chaque voix d’être entendue, notamment celle des plus fragiles et des plus vulnérables. Les instances de la représentation politique constituent des relais indispensables de ces voix locales, qui pourront ainsi s’exprimer, comme ce fut le cas cet après-midi.
Je vous remercie pour votre engagement, et c’est avec enthousiasme que je soutiens, au nom du Gouvernement, ces propositions de résolution. Ce qui est difficile, c’est ce qu’il faut faire aujourd’hui ; ce qui est impossible, c’est ce qu’il faut faire demain. Comme le disait Mark Twain, « ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait ». (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
Mme la présidente. Je mets aux voix la proposition de résolution.
(La proposition de résolution est adoptée.)
Mme la présidente. Je mets aux voix la proposition de résolution.
(La proposition de résolution est adoptée.)
Mme la présidente. Prochaine séance, ce soir, à vingt-deux heures :
Suite de la discussion, en nouvelle lecture, du projet de loi, modifié par le Sénat, relatif à la santé.
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures vingt-cinq.)
La Directrice du service du compte rendu de la séance
de l’Assemblée nationale
Catherine Joly