SOMMAIRE
Présidence de Mme Laurence Dumont
1. Mobilisation collective en faveur de l’aide au développement
Mme Annick Girardin, secrétaire d’État chargée du développement et de la francophonie
Vote sur la proposition de résolution
Suspension et reprise de la séance
M. Yves Jégo, rapporteur de la commission des affaires économiques
Mme Frédérique Massat, présidente de la commission des affaires économiques
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche
Amendement no 1
Suspension et reprise de la séance
3. Création d’autorités administratives indépendantes en Nouvelle-Calédonie
Mme la présidente. La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, en application de l’article 34-1 de la Constitution, de la proposition de résolution de M. Bertrand Pancher tendant à amplifier la mobilisation collective en faveur de l’aide au développement (no 3123).
Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Bertrand Pancher.
M. Bertrand Pancher. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État au développement et à la francophonie, monsieur le président de la commission du développement durable, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à vous faire partager ma satisfaction de présenter aujourd’hui, dans cet hémicycle, un texte qui est le fruit du travail approfondi et réfléchi, mené depuis maintenant plusieurs mois avec tous les acteurs de l’aide au développement.
Le groupe de l’Union des démocrates et indépendants a toujours été très attaché à la défense des valeurs d’humanisme et de solidarité, notamment entre les pays du Nord et les pays du Sud, à qui nous devons plus que jamais tendre la main.
Dans un contexte international aussi difficile, où le repli sur soi est parfois érigé en principe de survie, nous devons envoyer un message fort à la communauté nationale et internationale, un message d’entraide, un message d’espoir.
Dans quatre jours, la France aura la chance d’accueillir la vingt-et-unième Conférence des parties sur le climat.
Nous sommes, je le crois, face à une responsabilité historique : celle de parvenir à un accord ambitieux, capable de contenir le dérèglement climatique à un niveau acceptable. Je dis acceptable car, si nous réfléchissons bien, il est certainement déjà trop tard pour espérer enrayer une bonne partie des catastrophes liées à cette véritable dérive climatique, et chacun sait que la hausse de deux degrés est maintenant inévitable.
Parmi les catastrophes, 1e drame des réfugiés environnementaux constitue l’un des défis les plus importants du XXIème siècle. D’ici à 2050, de 200 millions à 1 milliard d’individus pourraient devoir quitter leur lieu de vie sous l’effet des conditions climatiques.
Je pense également aux conflits générés par les catastrophes naturelles. Le Président Hollande n’a-t-il pas rappelé que la lutte contre Daech et celle contre le dérèglement climatique participaient d’un « même combat » : « Celui qui consiste d’une part à protéger l’humanité des actions de mort… et d’autre part à préserver la planète de nos propres inconséquences » ? Le terrorisme n’a-t-il d’ailleurs pas fait son lit sur la déstabilisation des États de la région, en grande partie causée par les émeutes de la faim qui sont elles-mêmes le fruit des mauvaises récoltes dans certains grands pays producteurs ? Et que dire de la crise des subprimes ?
Nous avons donc un devoir moral envers les générations futures, car nous sommes désormais parfaitement conscients des défis qui nous attendent.
Nos sociétés doivent s’adapter, évoluer, changer de paradigmes pour bâtir un nouveau modèle, plus durable et plus respectueux de notre planète.
La France, et plus généralement l’Union européenne, ont assurément un rôle à jouer dans cet éveil des consciences, dans la recherche des solutions et dans l’accompagnement des pays les plus menacés.
Accompagner les pays émergents dans l’adaptation au dérèglement climatique est devenu un véritable gage de paix. Car le dérèglement climatique ne doit plus, ne peut plus être cantonné à une simple dimension environnementale.
Il est aujourd’hui au cœur des grands défis de notre siècle : sécuritaire, démographique, migratoire, économique, social mais aussi culturel. En menant des politiques environnementales ambitieuses, mais surtout communes, nous ne faisons finalement que préparer l’avenir pour laisser à nos enfants une terre prospère, riche de ses ressources, mais surtout préservée pour l’homme dont l’implication dans le réchauffement climatique n’est désormais plus à démontrer.
Déjà en 1778, dans son ouvrage Époques de la nature, le comte de Buffon disait : « La face entière de la terre porte aujourd’hui l’empreinte de la puissance de l’homme ».
Nous avons l’opportunité de créer un monde nouveau, bâti sur une économie durable et respectueuse des valeurs des uns et des autres. Nous avons l’opportunité de le faire en aidant les pays les plus fragiles à écrire leur histoire et en y consacrant des moyens à notre portée.
Changer de modèle impliquera nécessairement des bouleversements dans nos habitudes et dans nos comportements. Mais n’est-ce pas finalement le propre de l’homme de devoir s’adapter ?
Jean Tirole faisait remarquer ce matin même dans Les Échos que nous serions fous si nous acceptions de détruire la planète pour préserver 2 % de pouvoir d’achat chaque année.
La COP21 qui s’ouvrira dans quelques jours doit aussi être l’occasion de relever un défi historique. Parmi les enjeux figure celui des moyens réels apportés aux pays du Sud, souvent très violemment impactés par le dérèglement climatique et qui sont les plus vulnérables.
Nous devons prendre nos responsabilités en soutenant réellement non seulement ces pays, mais également les petits États et les territoires insulaires dans leur combat contre le dérèglement climatique. C’est l’objet de cette proposition de résolution très concrète.
Le Président François Hollande rappelait il y a encore quelques jours que « la solution est à chercher du côté du financement ». Le Fonds vert pour le climat, qui doit être doté de 100 milliards de dollars par an d’ici à 2020, est une première réponse à ce défi. Mais encore faut-il savoir comment il sera abondé !
Chacun doit désormais prendre sa part dans cette lutte, qui sera certainement longue mais nécessairement fructueuse – je pense aux États, aux institutions privées, aux entreprises et aux citoyens.
Avec ce texte, le groupe UDI souhaite dans un premier temps obtenir plus de clarté, plus de lisibilité dans les subventions qui sont versées pour la lutte contre le dérèglement climatique. D’où proviennent les fonds ? À qui sont-ils affectés ? Nous devons concentrer nos efforts sur les pays les moins avancés.
Je pense aussi à nos territoires ultra-marins, dont la richesse constitue une grande partie de notre patrimoine naturel. Nous devons être à leurs côtés et les aider à être aux avant-postes des négociations internationales.
Plus largement, cette proposition de résolution est un appel pour amplifier la mobilisation en faveur de l’aide au développement. Celle-ci représente une chance inestimable, à la fois pour les pays à qui l’on tend la main et pour ceux qui offrent leur soutien.
Selon l’OCDE, la France n’a consacré que 0,36 % de son revenu national brut à l’aide publique au développement en 2014. Nous sommes malheureusement très loin de l’objectif de 0,7 % fixé par l’ONU en 1970.
Aujourd’hui, seuls cinq pays européens ont réussi à l’atteindre : le Danemark, le Luxembourg, la Norvège, le Royaume-Uni et la Suède. Ils ont montré la voie, à nous de les suivre sur ce chemin si nous voulons être crédibles dans nos discours, si nous voulons être crédibles lorsque nous nous permettons de demander aux autres de faire des efforts souvent si difficiles.
Le groupe UDI souhaite donc que la France consacre au moins 1 % de son revenu national brut au budget de l’aide au développement d’ici à 2030, dans le cadre d’une trajectoire que je vous invite à suivre.
Et plus que de simples objectifs chiffrés, nous voulons que notre pays s’engage à promouvoir chacune des actions entreprises pour fédérer les partenaires de l’aide au développement. Il y a un véritable maquis, c’est bien connu, dans les interventions des uns et des autres, et l’État a vocation à fédérer les acteurs, à soutenir les meilleurs initiatives et à les diffuser. Les attentes sont fortes, madame la secrétaire d’État.
Le projet d’électrification de l’Afrique, initié par Jean-Louis Borloo et sa fondation Énergies pour l’Afrique, est l’un des exemples les plus marquants de ce que nous pouvons construire, ensemble, pour aider un continent à passer de 20 % à 100 % d’électricité en quelques années. Nous souhaitons ardemment que ce projet se concrétise au plus vite.
Mes chers collègues, de tels projets – et il y en a beaucoup d’autres, plus modestes – doivent être soutenus par le Gouvernement français et portés à la connaissance de tous afin que les initiatives soient facilitées et multipliées.
Un vrai symbole serait de mettre en place un dispositif de jumelage environnemental entre une ville française et une ville d’un pays du Sud. Nous proposons donc de systématiser les jumelages climatiques. Cette initiative est à notre portée. J’ai ainsi soutenu dans mon territoire, le département de la Meuse, des opérations de jumelage avec plusieurs régions du Niger et mon département, qui compte 200 000 habitants, a apporté de l’eau à 200 000 habitants du Niger. Il suffit de faire une règle de trois pour voir comment, avec des moyens modestes, nous pouvons engager notre pays.
Aux côtés des moyens financiers, à la portée de tous, les pays du Sud ont également besoin d’être accompagnés dans leur quotidien. Ces jumelages permettraient de mutualiser les bonnes pratiques et de partager les savoir-faire – car nous avons, nous aussi, beaucoup à apprendre.
Le groupe UDI, profondément européen, souhaite en outre que l’Union européenne, trop souvent timide sur ces enjeux, devienne un véritable moteur en proposant des mesures concrètes et audacieuses.
Ainsi, nous demandons au Président Hollande de soutenir la mise en place d’une taxe sur les transactions financières au niveau européen afin d’abonder notamment le Fonds vert pour le climat. L’Union européenne doit désormais sortir de son immobilisme pour défendre des sujets qui sont au cœur de son projet initial. Il ne sert à rien de verser des larmes de crocodile en accueillant tous les réfugiés de la terre qui se pressent à nos frontières.
De notre côté, nous devons également augmenter le plafond des recettes de la taxe sur les transactions financières affectées au Fonds de solidarité pour le développement. Le Gouvernement nous a déjà suivis sur plusieurs points lors de l’examen du projet de loi de finances, mais il faut aller encore plus loin.
Nous, les élus, avons également un rôle fondamental à jouer dans cette transformation mondiale. Nos collectivités territoriales, je le rappelais il y a quelques instants, peuvent constituer un formidable levier d’action en mettant en place des actions de coopération décentralisée. Je pense au dispositif du « 1 % eau » mis en place par la loi Oudin-Santini, qui fête ses dix ans cette année. D’ailleurs permettez-moi de saluer André Santini qui se trouve parmi nous cet après-midi. Ce mécanisme, complété par le 1 % énergie et le 1 % déchets, est malheureusement encore trop peu connu par les différents acteurs de notre territoire et trop peu utilisé.
Pour le groupe UDI, ces dispositifs devraient être portés au niveau de l’Union européenne, ce qui nous permettrait de créer une dynamique sans précédent. Nous proposons donc que la France prenne une initiative forte au niveau européen afin de généraliser un dispositif qui a fait ses preuves chez nous. C’est à notre portée.
Plus généralement, cette proposition de résolution est un moyen de nous sensibiliser à ces enjeux – je pense à nous, les élus, mais aussi aux citoyens qui pourront prendre part à des projets de solidarité, véritables vecteurs de lien social dans nos territoires, ce lien social dont nous manquons aujourd’hui. À nous de tout mettre en place pour le recréer.
C’est aussi un appel aux entreprises, car les projets de solidarité, en plus d’être humainement forts, sont également créateurs de richesses et d’emplois.
Mes chers collègues, la lutte contre le dérèglement climatique représente une priorité non seulement internationale et nationale, mais aussi locale. En amplifiant l’aide au développement, nous permettrons à un certain nombre de pays de s’adapter et d’engager une véritable transition énergétique et, plus globalement, une transition vers un nouveau modèle de société.
Nous sommes à la croisée des chemins. La France ne peut se permettre de manquer le rendez-vous historique que représente la COP21.
En adoptant cette proposition de résolution, la représentation nationale montrera son soutien à une politique ambitieuse et solidaire, une politique que le Gouvernement, en cohésion avec tous les acteurs de notre territoire, devra mener à son terme.
Nous sommes face à nos responsabilités : à nous de faire les bons choix. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)
Mme la présidente. La parole est à M. Sergio Coronado.
M. Sergio Coronado. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je me félicite que notre assemblée soit aujourd’hui appelée à examiner la proposition de résolution, déposée par Bertrand Pancher et le groupe UDI, qui tend à amplifier la mobilisation collective en faveur de l’aide au développement. Je pense que sur ces sujets, au-delà des divergences traditionnelles qui se traduisent dans cet hémicycle, nous devrions trouver un terrain d’entente.
Vous n’ignorez pas que, depuis fort longtemps, les écologistes sont mobilisés, sur le champ à la fois politique et associatif, aux côtés de nombreuses associations pour que l’objectif ambitieux qui a été fixé – les pays développés devant consacrer 1 % de leur budget à l’aide au développement – soit atteint et que celui consistant à mobiliser 100 milliards de dollars par an – environ 92 milliards d’euros – d’ici à 2020 afin d’alimenter le Fonds vert pour le climat soit enfin respecté.
À quelques jours de l’ouverture de la COP21, il est nécessaire et urgent de rappeler que le soutien aux pays en voie de développement est indispensable pour assurer le succès de la lutte contre le dérèglement climatique.
Les pays les plus pauvres et les pays en développement ont besoin de moyens financiers pour faire face au changement climatique. Que les pays développés qui, depuis la révolution industrielle, ont créé et aggravé le phénomène, les aident à rendre leurs économies plus vertes, plus décarbonées, ne serait que justice.
En France, pour la cinquième année consécutive, le budget national de l’aide publique au développement ne fait pas partie des priorités gouvernementales. La baisse des crédits concerne aussi, malheureusement, le budget consacré à l’écologie. Sans esprit de polémique, je rappellerai simplement que majorité et opposition font souvent, sur ce sujet, de belles déclarations, mais éprouvent les plus grandes difficultés à passer à l’acte.
L’article 1er de la proposition de résolution formule le souhait que la France consacre 1 % de son revenu national brut – RNB – au budget de l’aide publique au développement d’ici à 2030. Le vœu est pour le moins modeste, mais, de ce fait, réaliste au regard des contraintes budgétaires que nous connaissons désormais.
Nous savons que le texte a déjà passé la phase de recevabilité par le Premier ministre puisque les propositions de résolution ne peuvent pas être inscrites à l’ordre du jour si le Gouvernement estime que leur adoption ou leur rejet est de nature à mettre en cause sa responsabilité ou qu’elles contiennent des injonctions à son égard. Je pense donc que Mme la secrétaire d’État proposera un vote de sagesse.
Si légitime que soit la résolution, sa portée demeure limitée, puisque le texte n’est pas contraignant. Mais, à l’approche de la Conférence sur le climat, il n’est pas sans intérêt d’élaborer une résolution parlementaire de cette nature. La politique est faite non seulement de décisions, mais parfois aussi de symboles. Cette déclaration en est un.
Lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2016, j’ai eu l’occasion d’intervenir, au nom du groupe écologiste, sur les crédits de la mission « Aide publique au développement », pour regretter que nous ne soyons pas à la hauteur du rendez-vous de la COP21. Sans commettre d’indiscrétion, je peux même rappeler dans cet hémicycle que la ministre n’était pas très satisfaite du budget qui lui était alloué. À cette occasion, je m’étais dit préoccupé par le non-respect par notre pays de ses engagements en matière d’aide publique au développement.
Pour autant, le travail parlementaire n’est pas vain. Grâce à l’adoption d’un amendement déposé avec mon collègue Pouria Amirshahi, et visant à augmenter les capacités d’intervention de l’Agence française de développement – AFD – par l’affectation à l’aide au développement de 25 % du produit de la taxe sur les transactions financières, nous pourrons en effet obtenir quelque 233 millions d’euros pour lutter contre l’extrême pauvreté et le changement climatique.
De plus, l’assiette de la taxe sur les transactions financières ayant été élargie aux opérations dites « intraday », des recettes supplémentaires peuvent également être dégagées. Cette retombée de 2 à 4 milliards d’euros par an devrait profiter dans une proportion de 50 % à l’aide publique au développement.
Il est stipulé, à l’article 6, que l’Assemblée nationale « souhaite que le Gouvernement français envisage d’augmenter le plafond des recettes de la taxe française sur les transactions financières affectées au Fonds de solidarité pour le développement ». J’eusse préféré que cette déclaration soit accompagnée d’un engagement plus ferme, sans doute plus volontaire, plus actif, des parlementaires du groupe UDI lors de l’examen par le Parlement du projet de loi de finances.
Nous avons été quelques-uns à mener cette bataille, sans recevoir toujours l’accord du Gouvernement, et nous aurions aimé pouvoir compter sur votre soutien, chers collègues de l’UDI, comme vous pourrez compter sur le nôtre lors du vote de la résolution.
Le texte invite également « le Gouvernement français à soutenir, dans le cadre des négociations de la 21ème Conférence des Parties de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques – COP21 –, la mise en place d’une taxe sur les transactions financières au niveau de l’Union européenne, afin notamment d’abonder le Fonds vert pour le climat ».
Nous ne pouvons qu’aller dans ce sens : les écologistes appellent l’Union européenne, en tant que premier bailleur de fonds, à agir collectivement et à faire appel à des recettes tirées de sources indépendantes des procédures budgétaires annuelles des États membres, telles que les recettes des enchères du marché carbone et la taxe sur les transactions financières. Sur ce point, chers collègues, nos points de vue convergent.
J’ai eu l’occasion de souligner au nom de mon groupe, et je le répète ici, que la contribution de la France au Fonds pour l’environnement mondial, principal fonds des conventions internationales des Nations unies en matière d’environnement, demeurait insuffisante, de même que notre contribution au Fonds vert pour le climat, pour lequel la France s’est engagée à hauteur de 774 millions d’euros pour la période 2015-2018.
Dès 1968, l’objectif de transférer 1 % du revenu national brut des donneurs avait été approuvé par l’ensemble des pays et organismes membres du Comité d’aide au développement, dont 0,7 % applicable à l’ensemble des concours publics. C’était il y a bien longtemps, et nous n’avons toujours pas atteint cet objectif.
En avril, la Commission européenne a annoncé que l’Union européenne ne parviendrait pas à atteindre son objectif d’aide publique au développement, fixé à 0,7 % de son revenu national brut. Or le financement public du climat est aussi inclus dans l’aide publique au développement. Il y a donc une forme de double discours et je le regrette.
M. Pancher l’a rappelé : seuls le Royaume-Uni, la Suède, le Luxembourg et le Danemark ont dépassé l’objectif de 0,7 % en 2014. Les contributions de la France, de l’Irlande, des Pays-Bas, de l’Espagne et de onze autres États membres ont même baissé l’an dernier. La France reste loin de l’objectif : elle n’a consacré à l’aide publique au développement que 0,36 % de son revenu national brut – RNB – en 2014. Elle a donc encore du chemin à parcourir.
Dans une tribune publiée le 30 septembre 2015 dans le quotidien La Croix, nous avions, avec d’autres parlementaires, notamment socialistes, interpellé le Gouvernement sur le budget pour 2016 consacré à l’aide au développement, en totale contradiction avec les objectifs affichés le 28 septembre par François Hollande à la tribune de l’Assemblée générale des Nations unies, deux mois avant la COP21.
Nous avions souligné l’importance de cette aide pour notre pays confronté à l’accueil des réfugiés, et la cohérence qu’il y a à lutter contre ce qui fait fuir les populations, qu’il s’agisse des guerres, de la pauvreté ou des catastrophes liées au climat. Nous savons aujourd’hui, car des études sont venues le démontrer, que la question climatique et celle des guerres sont intimement liées. C’est dans les territoires où la sécheresse s’étend le plus que l’on fait la guerre.
Là encore, les écologistes, notamment les Verts européens, formulent des revendications concrètes et réclament le respect, la protection et la promotion des droits de l’homme dans l’action contre le dérèglement climatique. Cela inclut l’égalité des sexes, la participation totale et égalitaire des femmes, et la promotion active d’une transition juste, qui permettra de créer des emplois décents et de qualité pour tous les travailleurs de la planète.
Les chances d’obtenir un accord ambitieux à Paris dépendent des pays les plus pauvres et de ceux qui sont en développement, ainsi que de leur volonté à respecter leurs engagements. Pour les encourager à le faire, il faut aussi que nous respections les nôtres et que nous tenions parole.
C’est pourquoi, il faut leur assurer que le financement de la transition nécessaire pour faire face au dérèglement climatique augmentera de manière significative dans les années à venir. Le vote de la résolution s’inscrit dans ce cadre.
L’aide au développement doit être liée à de véritables avancées en matière de démocratie et de respect des droits de l’homme. Les échanges entre le Nord et le Sud doivent être multipliés pour surmonter les idées fausses. Il faut encourager les financements innovants et le secteur privé, inciter les collectivités territoriales, sensibiliser les citoyens pour mobiliser encore plus sur les questions climatiques. Cela relève de notre responsabilité commune.
Au nom du groupe écologiste, je prendrai les miennes en votant cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Tourret.
M. Alain Tourret. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de résolution dont nous sommes saisis est à la fois sympathique et utile.
Aujourd’hui, le monde fait face à un nouveau défi. Un milliard de personnes, soit un habitant de la planète sur sept, vit dans la pauvreté. Les inégalités entre les pays développés et les pays en développement ou en voie de développement deviennent vertigineuses.
Au cours de la dernière décennie, alors que le PIB moyen par habitant se situait entre 30 000 et 35 000 dollars par an dans les pays riches, il a stagné à 2 000 dollars en Inde, en Asie du Sud et en Afrique subsaharienne.
Dans le même temps, un nouvel enjeu est apparu : le changement climatique. La dégradation de l’environnement et le réchauffement climatique menacent durement les régions les plus pauvres du monde. Celles-ci risquent de devenir encore plus pauvres, car leurs populations sont les premières touchées par la désertification, la hausse du niveau de la mer et l’augmentation de la fréquence des catastrophes climatiques, qui vont entraîner des vagues de migrations importantes, sans doute encore beaucoup plus fortes que celles que nous connaissons actuellement.
Il est donc essentiel qu’au niveau mondial les pays dits « riches », malgré un contexte marqué par l’austérité économique, continuent à lutter en faveur du développement, et contre la pauvreté, les inégalités et le changement climatique pour aider les pays les plus pauvres et les plus fragiles. L’aide publique au développement a un impact réel sur la vie de millions de personnes. Sans elle, leurs conditions ne peuvent s’améliorer et leurs tentations légitimes de fuir leurs pays ne peuvent que s’accroître. C’est également un défi que nous devons relever.
Face à celui-ci, il est heureux qu’après cinq années de baisse, le Gouvernement ait décidé de stabiliser – vous n’y êtes pas pour rien, madame la secrétaire d’État – le budget de l’aide au développement pour 2016.
En effet, depuis 2012, le budget de la solidarité internationale a progressivement fondu de 700 millions d’euros, ce qui a éloigné notre pays de l’objectif international, fixé par l’ONU en accord avec la France, de consacrer 0,7 % du revenu national brut au développement. Cette diète générale, à laquelle n’ont pas échappé d’autres dépenses publiques, est justifiée par le contexte budgétaire contraint dans lequel nous nous trouvons. D’ailleurs, notre groupe avait réussi, pour le dernier programme financier, à faire gagner à ce poste 10 millions de crédits supplémentaires, non sans difficulté puisque nous avions frôlé la deuxième délibération.
Pour pallier cette baisse critique, le Gouvernement a pris une décision qu’il faut saluer. Il a porté le plafond de la taxe sur les transactions financières – TTF, affectée au Fonds de solidarité pour le développement – FSD –, à 233 millions d’euros en 2016 – contre 140 millions initialement prévus – soit au niveau du quart de la TTF. Ces 93 millions d’euros supplémentaires viendront compenser, à due concurrence, la baisse des crédits. Faute d’une telle décision, le budget aurait accusé une nouvelle fois une chute de l’ordre de 6% par rapport à l’année précédente.
Ce relèvement s’inscrit dans l’engagement pris par le Président de la République devant l’Assemblée générale des Nations unies, le 28 septembre dernier, d’augmenter les financements en faveur du développement, à la fois en prêts – avec 4 milliards d’euros supplémentaires par an à l’horizon de 2020, dont la moitié sera consacrée à la lutte contre le changement climatique – et en dons. La France s’engage ainsi, avec d’autres États, à combattre la pauvreté, à lutter contre le changement climatique et à aider les populations les plus vulnérables.
Dans la même perspective, la décision salutaire d’un rapprochement de la Caisse des dépôts et consignations, et de l’Agence française de développement – AFD – permettra d’augmenter les volumes d’engagement, d’autant que celle-ci a vu sa capacité d’engagement s’accroître considérablement ces dernières années, pour atteindre le montant de 8,5 milliards d’euros prévu pour 2016.
Ce rapprochement devrait nous permettre de disposer d’une véritable agence de financement, soit en intégrant l’AFD au sein de la Caisse des dépôts – l’exécutif lui confierait alors la gestion des fonds dédiés à l’aide au développement, sur le modèle des encours des Livret A que l’institution gère pour le compte de l’État au sein du fonds d’épargne –, soit en constituant une filiale commune entre l’État et la Caisse des dépôts pour y loger l’AFD.
Celle-ci bénéficierait ainsi d’apports en fonds propres de ses actionnaires – à l’instar de ce qui se passe en Allemagne ou en Italie –, tout comme la Banque publique d’investissement mise sur pied en 2012.
Enfin, le redéploiement de 50 millions d’euros des autorisations d’engagement et des crédits de paiement prévus au programme 110, relatif aux bonifications de prêts dans les États étrangers, vers le programme 209, traitant de la coopération bilatérale sous forme de subventions, est une bonne disposition.
Ce transfert viendra abonder deux priorités concourant à la stabilisation et au développement des pays pauvres prioritaires de l’aide française : il apportera 25 millions d’euros pour le Fonds de solidarité prioritaire et 25 millions d’euros pour la continuation et la pérennité de l’initiative santé solidarité Sahel – ISSS –, qui vise à améliorer la santé de jeunes enfants et à renforcer les politiques de protection sociale dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne.
Ces mesures garantiront, dans un contexte budgétaire contraint, un meilleur niveau de ressources à la lutte contre les effets du dérèglement climatique et au développement des pays les plus pauvres, conformément aux engagements de la France.
Bien évidemment, nous voterons cette proposition de résolution.
Mme la présidente. La parole est à M. Patrice Carvalho.
M. Patrice Carvalho. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, chers collègues, le 27 septembre dernier, le chef de l’État annonçait à la tribune de l’Assemblée générale des Nations unies un engagement sans précédent de la France en termes d’aide publique au développement. Un effort de 4 milliards d’euros supplémentaires par an a été évoqué à l’horizon 2020, ainsi qu’une augmentation de 2 milliards d’euros de la contribution française pour le climat.
Mais au-delà des grands discours, le constat qui s’impose est que la France a réduit ces dernières années son aide publique au développement de manière conséquente, passant même l’an passé sous la moyenne européenne.
La part du RNB français consacrée à l’aide au développement est en effet tombée à 0,36 % du PIB en 2014, selon les chiffres de l’OCDE. Les ONG se sont émues du manque de volontarisme de la France. Il faut dire que chaque loi de finances nous éloigne un peu plus de l’objectif d’accorder 0,7 % de notre RNB à l’aide publique au développement. La France se distingue donc par un trop faible effort en matière de solidarité internationale.
Pourtant, nous le savons, la réponse aux déséquilibres du monde passe d’abord par la lutte contre la pauvreté et les inégalités. La réponse au dérèglement climatique passe également par une politique de développement ambitieuse.
C’est dans ce contexte qu’il convient d’apprécier la proposition de résolution de nos collègues du groupe UDI.
Nous partageons l’ambition de faire en sorte que notre pays consacre 1 % de son revenu national brut au budget de l’aide publique au développement. Il n’est pas nécessaire pour cela d’attendre 2030.
Nous apportons également notre soutien à l’augmentation du plafond des recettes de la taxe française sur les transactions financières affectées au Fonds de solidarité pour le développement.
Nous partageons encore le souhait que les gouvernements des pays du Nord, et notamment le gouvernement français, concentrent leurs subventions sur les pays les moins avancés, peu émetteurs de gaz à effet de serre mais particulièrement vulnérables au dérèglement climatique.
Dégager des moyens pour les pays les moins avancés doit demeurer la priorité. Comme le soulignent nombre d’ONG, les dons versés sous forme de subventions sont absolument nécessaires.
Si nous soulignons ce point, c’est que la majeure partie de l’aide publique au développement est toujours composée de prêts, qui servent pour une bonne part à financer des projets d’infrastructures dans les pays émergents.
La France en profite pour engranger des intérêts et faire bénéficier les entreprises françaises de nouveaux marchés à l’étranger. Peut-on réellement comptabiliser ces prêts dans l’aide publique au développement ? Ne devrions-nous pas donner la priorité à des projets permettant aux populations locales des pays les moins avancés de subvenir à leurs besoins primaires : se nourrir, se soigner, aller à l’école ?
Selon l’ONG Oxfam, seulement 7 % de l’aide française sont constitués de dons. L’Agence française de développement ne dispose ainsi que d’une enveloppe de 200 millions d’euros. À titre de comparaison, l’agence allemande de développement consacre 2 milliards d’euros aux dons dans les pays en développement.
Dans ce contexte, nous nous inquiétons du rapprochement entre l’AFD et la Caisse des dépôts et consignations. Nous ne cautionnons pas ce projet de rapprochement, qui manifeste la volonté de la France de prendre toute sa place dans le vaste marché du développement.
Il y a deux ans, une des recommandations du rapport d’Hubert Védrine intitulé Un partenariat pour l’avenir : 15 propositions pour une nouvelle dynamique économique entre l’Afrique et la France, commandé par Pierre Moscovici pour un Sommet Afrique-France, préconisait de mettre l’appareil diplomatique et les grands opérateurs de l’État, dont l’Agence française de développement, au service des intérêts économiques et stratégiques de la France de façon plus systématique.
L’AFD a ainsi signé plusieurs conventions de coopération avec Bpifrance et Business France, et même avec des chefs de file de filières sectorielles, tels que la RATP dans les transports urbains et le Syndicat des énergies renouvelables – SER – dans les énergies renouvelables.
Nous sommes hostiles à cette logique d’inféodation de l’aide au développement à la stratégie de « diplomatie globale. » Non seulement cette orientation ne permettra pas de développer l’accès aux biens essentiels pour les populations pauvres, mais elle risque d’encourager encore l’accaparement des richesses des pays en développement par de grandes entreprises occidentales.
Nous pensons au contraire que l’une des priorités, au plan international, doit être la lutte contre les comportements des grands groupes, notamment français, qui pillent sans vergogne les richesses agricoles ou minières des pays en développement au mépris des populations et de l’environnement.
Alors que 868 millions de personnes souffrent de sous-alimentation selon l’ONU, l’accaparement de terres agricoles par des multinationales de l’agrobusiness ou des fonds spéculatifs se poursuit. L’équivalent de trois fois l’Allemagne a ainsi été extorqué aux paysans africains, sud-américains ou asiatiques. Pour prendre un simple exemple, 40 % des forêts du Libéria, soit 20 000 kilomètres carrés, sont aujourd’hui gérés par des permis à usage privé. C’est un quart de la surface du pays !
Selon Oxfam, 60% des transactions ont eu lieu dans des régions « gravement touchées par le problème de la faim » et «plus des deux tiers étaient destinées à des cultures pouvant servir à la production d’agrocarburants comme le soja, la canne à sucre, l’huile de palme ou le jatropha ».
Nous mesurons ici les risques qu’il y a à faire intervenir des acteurs privés dans le champ du développement et à consacrer l’aide au développement à faciliter ces logiques ruineuses de concentration capitalistiques.
L’autre priorité en matière de politique de développement est sans doute de lutter enfin efficacement contre l’évasion fiscale des multinationales.
Selon le Comité catholique contre la faim et pour le développement – CCFD – plusieurs centaines de milliards d’euros continuent chaque année de s’évader des pays du Sud à cause de l’évasion fiscale, des activités criminelles et de la corruption. On évoque le chiffre de 800 milliards d’euros, soit dix fois l’aide publique au développement octroyée par l’ensemble des pays riches. Or, la France continue à ce jour de refuser l’idée de créer un organisme fiscal intergouvernemental sous l’égide de l’ONU, ce qui correspond pourtant à une demande de nombreuses ONG soutenant notamment les pays en développement, qui sont les principales victimes de l’évasion fiscale.
Notons enfin la baisse des crédits attribués au Fonds de solidarité prioritaire – FSP – chargé de financer des actions pour promouvoir la justice et les droits de l’homme : ils ont été divisés par deux entre 2012 et 2016.
Au regard de ces constats, nous ne pouvons qu’accueillir favorablement l’initiative de nos collègues, qui porte une ambition commune à l’ensemble de la représentation nationale en matière d’aide au développement.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Dufau.
M. Jean-Pierre Dufau. Monsieur Pancher, je connais votre engagement et votre intérêt pour les crédits de l’aide publique au développement. Qu’il n’y ait donc aucune équivoque entre nous !
Permettez-moi cependant, en guise d’introduction, de vous dire que votre proposition de résolution m’a à la fois étonné et ravi. Je vais vous exposer les raisons de mon étonnement, celles de mon ravissement, et je conclurai par quelques réflexions personnelles.
Commençons par mon étonnement. La Conférence de Paris, la COP21, est manifestement une aubaine que les hasards des calendriers vous ont opportunément fournie. Cet étonnement est donc la reconnaissance d’un talent certain qui vous caractérise, celui de l’opportunité – je n’ai pas dit de l’opportunisme.
Je suis tout aussi étonné de constater que, tant dans l’exposé des motifs que dans les considérants de votre proposition de résolution, vous vous bornez à reprendre des constats, des thèmes, des souhaits dont la généralité le dispute parfois à la banalité pour ceux qui s’intéressent à ces questions. Mais c’est vrai que tout cela se révèle très « tendance », comme le souligne votre proposition de résolution « tendant à amplifier la mobilisation ».
Pour ne pas être trop long, je citerai deux passages de l’exposé des motifs. « Dix-huit ans après l’adoption du Protocole de Kyoto – seul instrument juridiquement contraignant à ce jour – il est indispensable de réunir la communauté internationale autour d’un accord ambitieux, qui concernera aussi bien les pays développés que les pays émergents », écrivez-vous. Un peu plus loin, vous observez que « Relever ce défi historique passera nécessairement par une relation équilibrée, de confiance et de solidarité entre les pays du Nord et les pays du Sud, leur partenariat étant la pierre angulaire de la mobilisation internationale en faveur du climat. »
Qui peut contester ces belles et nobles ambitions ? À vrai dire, je cherche en vain, à ce stade, la valeur ajoutée de cet exposé des motifs. Je ne l’ai pas trouvée, d’où mon étonnement.
Pour en terminer avec ce premier point, j’en viens aux considérants. Vous soulignez par exemple, avec une pertinence que je partage, l’importance du Fonds vert pour le climat ; mais il existe déjà et doit être abondé, avec ou sans votre résolution. On peut noter que la Grande muraille verte partant du Sénégal et longeant les zones sahéliennes d’Ouest en Est pour lutter contre l’extension des déserts est un projet intéressant et concret à soutenir. Vous n’en parlez pas.
Je m’étonne enfin que bon nombre de vos considérants soient issus de la loi sur le développement et la solidarité internationale, dont j’étais le rapporteur, que nous avons votée à l’unanimité en 2014. Ils y sont largement développés, notamment dans le document annexé à la loi, ce qui lui donne un poids sans commune mesure avec la résolution dont nous débattons. Souvent, la résolution précède la loi ; ici, elle la suit. C’est la loi qui contient des avancées significatives, par exemple lorsqu’elle met en exergue la « coopération décentralisée » dont cette proposition de résolution fait aussi l’éloge, et qui a donné un nouveau souffle aux crédits de l’aide publique au développement. Vous me direz que l’art de la pédagogie est celui de la répétition. En ce sens, vous faites preuve de pédagogie.
J’en viens à mon ravissement. Alors que depuis quarante-cinq ans, l’engagement de nombreux pays – dont la France – n’a pas atteint les 0,7 % du revenu national brut, objectif fixé par les États membres de l’ONU, l’article unique de votre proposition de résolution fixe à 1 % pour 2030 le montant de l’aide publique au développement. Quelle audace ! Pourquoi vous limiter à 1 % ? Je suis impressionné, impressionné et ravi. Vous me direz que cela ne mange pas de pain et que cela donne un cap. Je suis ravi que vous partagiez avec moi, et avec mon groupe, cette volonté de faire bouger les choses. Vous soulignez justement depuis de trop nombreuses années la baisse constante des crédits de l’APD, tous gouvernements confondus. Comment ne pas être ravi que ce triste constat soit partagé sur tous les bancs de l’Assemblée ?
Avez-vous oublié que cette année, en commission des finances d’abord, puis dans l’hémicycle, un constat a été fait, à l’origine par les députés SRC, et partagé par une large majorité ? Nous avons commencé – insuffisamment – à faire bouger les lignes. Le projet de budget pour 2016 prévoyait une réduction de l’APD d’environ 170 millions d’euros. Les députés SRC ont convaincu le Gouvernement que ce n’était pas acceptable. L’impulsion du Président de la République dans ses déclarations récentes, auxquelles vous avez fait allusion, et l’arbitrage du Premier ministre ont permis au Gouvernement d’annuler cette baisse en rétablissant 150 millions d’euros de crédits par deux amendements, que nous avons bien évidemment tous votés.
Les députés SRC ont persisté…
M. Jean-Marie Tetart. Avec d’autres !
M. Jean-Pierre Dufau. …et déposé des amendements pour accroître ce financement. Ainsi, 100 millions d’euros supplémentaires iront à l’AFD. J’ai également obtenu que 50 millions soient transférés du poste des prêts à celui des dons et subventions pour les pays les moins avancés.
Même si la mobilisation de votre groupe lors de ce débat budgétaire n’a pas été aussi massive qu’aujourd’hui, c’est ensemble que nous avons obtenu cette avancée pour 2016. Cette année 2016 verra donc pour la première fois depuis longtemps, j’y insiste, une augmentation – sans doute insuffisante – des crédits de l’APD par rapport à l’année précédente. Voilà pourquoi je suis ravi.
Comme vous, je pense néanmoins qu’il faut rester vigilant. Vous savez comme moi que le Sénat – et vos collègues de droite – ont supprimé l’élargissement du champ d’application de la taxe sur les transactions financières aux transactions quotidiennes – ou intraday – que nous avions pourtant votée ensemble pour une application en 2017. Nous aurons à cœur de rétablir – ensemble, je l’espère – cette disposition en deuxième lecture. Je ne doute pas de vous avoir à nos côtés sur tous les bancs de l’hémicycle à ce moment-là.
Me voici arrivé – enfin, diront certains – à quelques réflexions personnelles dont votre proposition de résolution me permet de vous faire part – et j’en suis ravi.
Je ne suis pas de ceux qui pensent que la planète est peuplée d’hommes et de femmes de races différentes, car si l’espèce humaine existe bien, les races n’existent pas.
Je crois en la Déclaration universelle des droits de l’Homme, qui nous engage tous.
Je n’oublie pas non plus que l’Afrique, ce merveilleux continent, celui de Lucy, notre ancêtre commune, est et restera le berceau de l’humanité.
Je ne suis pas de ceux qui partagent les propos indécents tenus par Nicolas Sarkozy lors du discours de Dakar, affirmant que l’homme africain n’était pas entré dans l’histoire.
Je suis de ceux qui pensent qu’en son temps, le commerce des esclaves a été une monstruosité, notamment à l’égard des Africains, et que cela nous oblige, nous Européens.
Je crois comme vous que le dérèglement climatique est un risque majeur pour l’humanité, et d’abord pour les pays les plus pauvres, notamment en Afrique et dans les terres îliennes.
J’espère comme vous le succès de la COP21 à Paris.
Je crois aussi que la démographie galopante caractérisant certains continents, dont l’Afrique, se révélera un autre défi majeur à relever en matière de développement, de santé et d’éducation. Je crois enfin que la démocratie et l’État de droit sont une longue marche, en Afrique et ailleurs, dans des États dessinés arbitrairement par des empires coloniaux, souvent au mépris des ethnies et des cultures.
Cela étant, il nous faut rester optimistes et savoir aussi que de grands esprits africains ont su éclore, comme Léopold Sédar Senghor, Nelson Mandela, et jusqu’à Barack Obama qui préside aujourd’hui les États-Unis : belle victoire du « melting pot », n’en déplaise à certains esprits chagrins.
Pierre Rondière, que j’ai lu dans ma jeunesse, écrivait, en conclusion de l’un de ses ouvrages : « J’aurais aimé donner à voir dans ces quelques pages la misère poignante, la détresse affamée des pays en voie de développement. J’aurais enfin aimé donner à croire combien je crois passionnément que ceux qui ont faim demain seront rassasiés si tous nous y veillons ».
M. Alain Tourret. Très bien !
M. Jean-Pierre Dufau. On peut lire dans l’exposé des motifs du texte soumis à notre examen : « Faire de la lutte contre le dérèglement climatique une priorité internationale, nationale et locale en amplifiant l’aide au développement et en favorisant la coopération décentralisée en matière environnementale : tels sont les objectifs de la présente proposition de résolution. » Je souscris à cette déclaration généreuse même si, par tempérament, je préfère la justice à la charité. J’ai évoqué, au début de mon intervention, l’opportunité constituée par le calendrier. J’ajoute que cette proposition de résolution anticipe la période des vœux pieux, ou plutôt laïcs : celui de l’article 1er, dont chacun mesure la portée d’un souhait reporté à 2030. À nos souhaits ! Le groupe SRC ne s’opposera pas, bien entendu, à cette résolution… et plus si affinités.
M. Bertrand Pancher. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Tetart.
M. Jean-Marie Tetart. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, après avoir entendu M. Dufau, je ne sais pas si, à l’avenir, je préférerai bénéficier de son ravissement ou de son étonnement. (Sourires.) Je veux féliciter Bertrand Pancher, car ce texte ne relève aucunement de l’opportunisme : je crois qu’il est opportun d’avoir un débat à ce sujet après avoir voté le budget et avant l’ouverture de la COP21.
Cette résolution nous adresse deux invitations – augmenter massivement l’aide publique au développement et faire de la coopération décentralisée un instrument incontournable de sa mise en œuvre – que je reçois cinq sur cinq. Notre collègue Dufau a regretté que cette proposition de résolution soit truffée de banalités, issues, notamment, de la loi d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale, dite « loi Canfin ». Pour ma part, je regrette l’intitulé de cette loi, qui ne contenait aucune programmation ; si tel avait été le cas, peut-être aurions-nous fait preuve d’une plus grande constance dans le vote des crédits de l’aide au développement.
J’avais été agréablement surpris par l’accord unanime de cette assemblée pour augmenter les crédits de l’aide au développement ; peu importe que cet effort ait été accompli à l’initiative du groupe SRC, qui aurait négocié avec le Gouvernement et obtenu que celui-ci corrige sa copie, après avoir fait une grosse erreur de calcul. Ensemble, par la suite, nous avons obtenu un certain nombre d’avancées. Vous avez dit, monsieur Dufau, que l’Assemblée avait voté 150 millions de crédits supplémentaires, mais il ne faudrait pas oublier qu’un certain vendredi, à l’issue de l’examen de la deuxième partie du projet de loi de finances, le secrétaire d’État au budget, juste avant les remerciements, avant que chacun ne s’auto-félicite d’avoir si bien travaillé, a minoré de 162 millions les crédits accordés à l’aide publique au développement. Mieux vaudrait avoir la franchise de le dire à cette tribune, car c’est une régression : l’effort accompli cette année n’est pas aussi élevé qu’espéré. Le sursaut qui avait été obtenu, et qui mettait un terme à la tendance baissière de l’APD française, a ainsi été réduit nuitamment, au moyen de ce que j’ai appelé un « petit hold-up budgétaire ».
C’est une banalité – qui fait écho à d’autres banalités évoquées au cours ce débat – que de dire que la COP21 va conditionner l’avenir de notre monde en atténuant le réchauffement climatique, afin de rendre encore possible la maîtrise de ses conséquences par des mesures d’adaptation. De fait, la COP21 constitue un grand pari, qui ne pourra être gagné que si, le plus rapidement possible, les populations des pays les plus pauvres ont accès à l’ensemble des services de base, qui rendent supportable le présent et leur laisse espérer un avenir.
De fait, comment imaginer, chers collègues, que l’on puisse impliquer ces populations dans des dynamiques d’atténuation du réchauffement climatique, de préservation des ressources naturelles, de développement durable, alors qu’elles n’ont pas accès aujourd’hui aux ressources de base, qu’il s’agisse de la santé, de l’éducation, de l’eau, de l’assainissement, ou même d’un revenu minimal en mesure de les sortir de l’extrême pauvreté ? Cela relève de la mission impossible. La COP21 devra reconnaître ce préalable, et la France devra être au cœur de ce combat.
La France est en guerre contre l’État islamique terroriste. Elle défend ainsi ses libertés, ses valeurs, sa façon de vivre, sa culture, son histoire, son futur. La France est en guerre contre cette organisation terroriste, qui sape aussi les dynamiques de développement dans nombre de pays africains. Elle les sape par une déstabilisation institutionnelle et une insécurité permanente. Elle les sape par son obscurantisme moyenâgeux, refusant l’accès à l’éducation, à la santé, au confort de vie, déniant tout droit aux femmes.
La France doit donc mener cette autre guerre, la guerre du développement, contre la pauvreté, pour l’éducation, l’accès à la santé et aux services de base. Mais notre pays peut-il encore jouer un rôle majeur dans la coalition pour l’aide au développement ? Se donne-t-il encore les moyens de mener cette guerre du développement ? Peut-on la mener sans armes ni munitions ? De fait, on observe des réductions budgétaires inacceptables depuis 2012, notamment sur la partie « dons ». Les dons restent indispensables, comme cela a été rappelé tout à l’heure. Or, ils ne sont pas à la hauteur des enjeux auxquels font face les quatorze pays prioritaires, notamment s’agissant du développement des services sociaux. Le développement de ces services ne sera un succès que s’il est acceptable par les populations, compte tenu de leurs revenus. Dans l’équilibre économique de délivrance de ces services, on peut imaginer tous les partenariats public-privé, toutes les combinaisons prêts-dons : in fine, c’est bien le don qui permettra, à un moment donné, de rendre un service à un coût acceptable par les populations.
Le Président de la République avait annoncé l’objectif de porter l’aide publique au développement à 0,7 % du RNB en 2030. M. Dufau a évoqué ce vœu qui précède ceux que l’on formule en début d’année. Pour ma part, si je préfère naturellement un objectif de 1 % à un objectif de 0,7 % en 2030, ce qui m’intéresse, c’est que ces promesses de moyen terme soient assorties de la fixation de paliers. Le premier d’entre eux pourrait être établi en 2017 ; on pourrait prévoir qu’à cette date, la maison soit aussi propre qu’elle l’était en 2012, c’est-à-dire que l’on conserve au moins le même taux. Le Gouvernement pourrait ainsi s’honorer d’avoir à tout le moins stabilisé le niveau de notre aide publique au développement.
Un autre danger nous guette : la remise en cause permanente des financements innovants ou, du moins, une hésitation maladive à en envisager d’autres. Dans l’impasse budgétaire où se trouve notre pays, qui ne sait plus dégager de marges pour l’aide au développement, nous avons besoin de ces financements innovants, qu’ils s’ajoutent à l’aide budgétaire ou forment un tout avec elle. À l’image du principe pollueur-payeur, nous pourrions instituer le principe perturbateur-réparateur ou destructeur-reconstructeur. Il faut que l’on s’attache, dans un certain nombre de domaines, à développer ces financements innovants. L’adossement de l’AFD à la CDC, dont nous ne connaissons pas encore tous les contours, devra réserver une part importante aux dons.
La situation actuelle est inacceptable mais, s’il faut des armes et des munitions, il faut aussi des troupes. À cet égard, vous avez raison, cher collègue Pancher, de nous inviter à renforcer la coopération décentralisée des ONG. Aujourd’hui, ONG, société civile et collectivités locales forment bien l’armature d’une coopération efficace sur le terrain. En effet, si l’on pense que le développement territorial constitue la clé du développement, on ne peut se passer des collectivités locales françaises. Celles-ci ont en effet beaucoup à transmettre, qu’il s’agisse d’assistance technique, d’échange d’expériences, de formation, appliquées, à chaque fois, à un projet. Cette transmission n’a en effet de sens que si elle est appliquée à un projet s’inscrivant dans le temps. À défaut, ce ne seront que des formations académiques. Les collectivités ont la capacité de se projeter dans la durée et de nouer des coalitions d’acteurs locaux, qui peuvent apporter des compétences complémentaires pour mener un projet, je le répète, dans la durée.
Je ne pense pas que, compte tenu du degré de décentralisation élevé de notre pays, l’État ait encore les moyens d’envoyer des experts et des bureaux d’études coûteux, d’enseigner ou de partager son savoir-faire en matière de gestion locale. Seuls les maires, les présidents de conseils départementaux ou régionaux ont cette possibilité. Vous allez me demander comment faire pour que plus de villes s’engagent. Il me paraît nécessaire de fournir un argumentaire aux collectivités qui peuvent craindre, dans une période de montée des extrêmes, dans un contexte de réduction des dotations de l’État, de s’engager, d’expliquer à leur population les raisons de cet engagement.
Il faut également financer plus massivement les interventions. Aujourd’hui – j’en fais personnellement l’expérience –, on obtient des crédits en répondant à des appels à projet. Ceux-ci sont souvent le signe d’une insuffisance de crédits, que l’on distribue de façon très sélective, sur le fondement de cahiers des charges fort compliqués. Il faudrait que l’AFD et les ministères disposent d’un fonds de coopération décentralisée qui soutiendrait massivement et encadrerait l’action des collectivités locales. Ce n’est qu’à cette condition, me semble-t-il, grâce à des financements sérieux, crédibles, reconnaissables par les organisations internationales, et par le concours de la coopération décentralisée à l’action des ONG, que la France pourrait retrouver un rôle de chef de coalition dans la guerre pour l’aide au développement.
M. Bertrand Pancher. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Imbert.
Mme Françoise Imbert. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de résolution vise à apporter une contribution aux réflexions sur l’adaptation des pays en développement au défi du réchauffement climatique et à amplifier la mobilisation collective en faveur de l’aide au développement. Examiner cette proposition de résolution à quelques jours du début de la Conférence Paris Climat – la COP21 –, est louable. De fait, on ne peut que partager les objectifs de cette proposition.
Mes chers collègues auteurs de ce texte, vous craignez que l’effort de la France en faveur du développement ne soit pas à la hauteur de l’enjeu. Il y a deux jours, lors de la séance de questions au Gouvernement, j’ai posé une question relative à la COP21 à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, qui m’a apporté une réponse plutôt rassurante. Je pense que cette réponse nous a confortés et vous a persuadés que la France, le Président de la République, nos responsables gouvernementaux sauront donner l’impulsion nécessaire pour conduire tous les pays présents à conclure des accords concrets, ambitieux et contraignants. Ils travaillent, comme nous tous, à la réussite de la COP21. Je crois pouvoir affirmer que le Gouvernement est conscient du rôle et de l’influence que la France peut avoir lors de cette conférence.
La proposition de résolution que nous examinons fait référence à des initiatives, à des objectifs déjà évoqués au sein de notre assemblée, en commission, lors des discussions budgétaires – la dernière en particulier –, au cours d’auditions toujours respectueuses, informatives et argumentées. Mme la ministre de l’écologie a fait référence, il y a deux jours, à la loi de transition énergétique pour la croissance verte, qui a été promulguée le 17 août 2015. Cette loi définit les objectifs permettant de réussir la transition énergétique, de renforcer l’indépendance énergétique et la compétitivité économique de la France, de préserver la santé humaine et l’environnement, et de lutter contre le changement climatique.
Récemment, la ministre a présenté plusieurs thèmes majeurs qui seront développés au cours de la Conférence, notamment l’Afrique et le climat. Je crois pouvoir affirmer que le Gouvernement est soucieux de montrer l’influence de la France. Il est conscient, et nous le sommes tous ici, du fait que le dérèglement climatique peut avoir un impact fortement négatif lié à la multiplication des catastrophes naturelles, au manque d’eau, à l’extension des maladies. Le dérèglement climatique touche les populations les plus vulnérables, les plus pauvres. Le Gouvernement a conscience, comme nous tous, qu’une relation équilibrée de confiance et de solidarité doit être établie entre les pays du Nord et ceux du Sud. Il est également conscient, et nous aussi, que les pays les moins avancés doivent être les premiers bénéficiaires de l’aide au développement et des actions de coopération décentralisée.
Le 27 septembre dernier, à la tribune de l’ONU, le Président de la République a annoncé un important effort budgétaire de la France en faveur du développement à l’horizon de 2020 en précisant : « […] il faut le dire dès aujourd’hui pour que les pays émergents, les pays en développement puissent être sûrs qu’ils pourront être accompagnés […] ». C’est une perspective raisonnable, une perspective réaliste pour un pays responsable avec des gouvernants tout aussi responsables.
Mes chers collègues, je répète ce que Jean-Pierre Dufau vous a déjà précisé et j’y insiste : la France apporte déjà cette année une réponse financière aux grands défis et y imprime une certaine cohérence. Au terme du débat budgétaire au Parlement, le budget de l’aide publique au développement ne diminue pas. Le Gouvernement a décidé d’abonder l’effort en faveur de l’aide au développement de 100 millions d’euros. Les amendements adoptés sur l’initiative de notre groupe parlementaire ont également permis d’engager 100 millions d’euros supplémentaires.
Cette fin d’année 2015 est particulière à plus d’un titre. C’est certainement une fin d’année historique au cours de laquelle, avec la COP21, le monde va repenser sa manière de vivre demain et s’interroger sur la nécessité de construire un monde plus juste et plus équitable. Si la lutte contre le dérèglement climatique a été érigée en priorité nationale, c’est aussi une priorité internationale.
La proposition de résolution qui nous est soumise est porteuse, comme je l’ai dit en préambule de mon propos, d’une initiative louable. Selon les signataires de la proposition de résolution, notre pays doit s’inscrire au cœur de la politique en faveur du développement. Ces derniers mois ont prouvé l’effort de la France, son soutien et son dynamisme en faveur de la coopération décentralisée. Nous devons soutenir ce mouvement ; nous le faisons. La politique gouvernementale déjà engagée en est une preuve concrète. Par conséquent, dans ces conditions, est-il nécessaire d’apporter notre soutien à cette proposition de résolution ?
M. Jean-Pierre Dufau. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Marion Maréchal-Le Pen.
Mme Marion Maréchal-Le Pen. « La francophonie, c’est l’usage de la langue française comme instrument de symbiose, par-delà nos propres langues nationales ou régionales, pour le renforcement de notre coopération culturelle et technique, malgré nos différentes civilisations », disait Léopold Sédar Senghor. La France a une longue histoire avec l’Afrique, une histoire au cours de laquelle se sont noués des liens très particuliers. Au lieu d’être niés, ceux-ci doivent au contraire guider notre politique d’aide au développement pour accompagner les civilisations francophones dans leur marche vers le progrès.
C’est pourquoi la baisse de la participation française à l’aide au développement n’est pas un bon signe envoyé à nos partenaires africains. Cette baisse s’accompagne d’un décalage avec les objectifs géographiques que notre pays s’est fixés le 31 juillet 2013. Parmi les seize pays pauvres prioritaires, seuls quatre apparaissaient en 2013 dans les vingt premiers récipiendaires de l’aide bilatérale et un seul dans les dix premiers. Dans le même temps, des pays émergents tels que la Chine et le Brésil figuraient respectivement aux quatrième et sixième positions. Quant à la Turquie, elle bénéficiait la même année d’un versement de 45 millions d’euros pour des travaux de prolongement d’une ligne de métro à Istanbul.
Pourtant, le nombre d’Africains vivant dans l’extrême pauvreté est passé de 289,7 millions à 413,8 millions en vingt ans. D’ici à 2020, 41 % des pays les moins avancés seront des États d’Afrique francophone. Sachant qu’environ 9 % des émigrés africains choisissent la France, le choc démographique africain pourrait doubler les flux migratoires d’ici à 2050. Il est plus que jamais pressant d’optimiser notre politique d’aide au développement et de la rendre plus efficace.
Pour cela, la France doit retrouver une parole claire et distincte que le labyrinthe du multilatéralisme rend confuse. En effet, 65 % des crédits du programme « Solidarité à l’égard des pays en développement » sont alloués à l’action européenne et multilatérale. Cela a pour conséquences la dilution de l’effort de notre pays et la perte de nos marges de manœuvre au détriment de nos priorités géographiques et sectorielles. Ce sont souvent de grandes causes médiatiques internationales qui vampirisent cette déperdition. Or, une meilleure adaptation de l’aide sanitaire aux causes de mortalité contribuerait à la nécessaire transition démographique de l’Afrique.
Mon propos est non pas d’abandonner l’universalité de l’aide au développement, qui octroie à la France une certaine influence dans les institutions internationales, mais d’appeler à recentrer l’aide française sur le canal bilatéral afin de bénéficier de plus de marges de manœuvre. L’outil bilatéral, gage de souveraineté, permet de rendre visible l’effort français aux yeux des récipiendaires africains et d’honorer leur confiance dans un partenariat d’égal à égal.
À l’heure des restrictions budgétaires, nous devrions réfléchir à concentrer l’action de l’AFD sur les pays francophones. En effet, la langue française constitue notre vecteur d’influence culturelle et nous confère un statut international à part entière. Pourtant, nous amenuisons constamment notre soutien à l’éducation de base : celle-ci a diminué de près de 60 % entre 2008 et 2013. Pendant ce temps, les États-Unis financent massivement l’éducation de base des pays francophones. Par exemple, en 2011, au Sénégal, la France a consacré 600 000 dollars à l’éducation de base contre 20,7 millions de dollars pour les États-Unis. Plus inquiétant, on assiste à l’essor d’un soft power wahhabite qui se substitue à l’enseignement public de plusieurs États francophones aux structures affaiblies. La main basse des islamistes sur l’éducation constitue un terreau sur lequel prospère notamment Boko Haram, le clone africain de l’État islamique. Les risques de déstabilisation d’une Afrique multiconfessionnelle sont donc immenses, notamment pour les 24 % de chrétiens africains.
L’Afrique francophone, grâce à sa jeunesse, a tout pour sortir de la pauvreté : avec une moyenne de 5 % de croissance par an, le continent enregistre le deuxième taux de croissance économique, derrière l’Asie. Néanmoins, un rapport d’Hubert Védrine souligne la baisse de la part de marché de nos entreprises de 10 % à moins de 5 % entre 2000 et 2011. Ce décrochage profite non seulement aux États-Unis, mais également aux pays émergents tels que le Brésil et surtout la Chine.
Les Chinois font aujourd’hui jeu égal avec notre pays dans la zone francophone.
M. Jean-Pierre Dufau. C’était vrai hier !
Mme Marion Maréchal-Le Pen. Pourtant, la France possède sur place le premier réseau diplomatique et son savoir-faire en Afrique est inégalé. Le développement des infrastructures urbaines, l’assainissement, la mobilité, l’électrification, le numérique sont autant de marchés d’avenir dans une Afrique qui a soif de progrès. Tous ces défis sont autant de contrats potentiels pour les entreprises françaises, à condition que l’État français mette en place une véritable coopération entre le secteur privé et les pouvoirs publics pour la réalisation d’investissements à long terme. Les réseaux de l’AFD doivent prioritairement profiter aux entreprises françaises. Cela passe aussi par un Erasmus de la francophonie permettant des échanges entre établissements d’enseignement supérieur francophones pour aider à la formation des élites économiques et culturelles de l’Afrique de demain.
La France n’a pas à être inhibée par son passé ou la vieille lune de la Françafrique. Les Africains veulent au contraire que notre pays les soutienne pour relever les défis du XXIème siècle. Le président gabonais n’a-t-il pas, lors de sa visite en septembre dernier, demandé aux acteurs économiques français de venir investir au Gabon ? Détachons-nous de nos complexes et retrouvons notre pleine souveraineté dans la gestion de notre aide au développement. La France et l’Afrique ont tout à y gagner.
Mme la présidente. La discussion générale est close.
La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée du développement et de la francophonie.
Mme Annick Girardin, secrétaire d’État chargée du développement et de la francophonie. Madame la présidente, mesdames, messieurs les députés, dans une période d’une exceptionnelle gravité, la communauté internationale doit se retrouver autour de valeurs qui fondent notre humanité : engagement en faveur des autres, ouverture, écoute, dialogue. Le terme de solidarité est sans doute celui qui englobe tous les autres.
C’est précisément notre effort de solidarité envers les personnes et les pays les plus vulnérables qui s’exprime au travers de notre politique d’aide au développement. Il est d’ailleurs inscrit depuis juillet 2014 dans la première loi française dédiée à cette politique publique, texte dont Jean-Pierre Dufau était le rapporteur à l’Assemblée nationale.
L’année 2015 est exceptionnelle du point de vue du développement durable ; elle constituera un tournant majeur. Pour la première fois, la communauté internationale s’accorde pour apporter des réponses globales aux défis partagés par tous et dessine un monde « zéro carbone, zéro pauvreté », et je dirais même « zéro exclusion ». À Addis-Abeba, la communauté internationale s’est accordée sur une conception large des financements et des moyens à mettre en œuvre pour un développement durable. L’engagement européen d’atteindre 0,7 % du revenu national brut consacré à l’aide publique au développement à l’horizon de 2030 a été rappelé.
La conférence d’Addis-Abeba a également montré l’importance d’une action collective et de partenariats multi-acteurs où chacun prend sa part de responsabilité au service du développement. Les États et les banques de développement ont un rôle essentiel à jouer, mais rien ne sera possible sans l’implication du secteur financier, des entreprises, des collectivités locales et du secteur associatif.
L’année 2015 a aussi été marquée par l’adoption, à New York, de l’agenda 2030 pour le développement durable. Je voudrais souligner son importance dans le contexte des attentats que nous venons de vivre. Au-delà de l’implacable fermeté dont nous devons faire preuve face au terrorisme, l’agenda 2030 fournit à la communauté internationale dans son ensemble une vision partagée du monde que nous voulons construire ensemble, avec des axes d’action concrets pour travailler le terreau sur lequel le terrorisme prospère : exclusion, ignorance, misère sociale, intolérance. Je pense à l’accès à l’éducation, à l’égalité entre les femmes et les hommes, à l’État de droit et à l’accès à la justice, à la bonne gestion des migrations. Voilà ce que nous rappellent les objectifs de développement durable, ce à quoi ils nous engagent.
Concernant le défi migratoire, nous avons rappelé, lors du sommet de La Valette, que la migration est une responsabilité partagée entre les pays d’origine, les pays de transit et les pays d’accueil. Nous avons souligné la nécessité de nous attaquer aux causes profondes des migrations irrégulières. Nous les connaissons, vous les avez citées : la pauvreté, l’insécurité, la mauvaise gouvernance, le manque d’opportunités qui pousse les jeunes à quitter leur foyer. Cette conviction, nous la partageons avec nos partenaires africains. C’est pourquoi nous avons fortement appuyé la création d’un fonds d’urgence européen, fonds fiduciaire de 1,8 milliard d’euros qui financera notamment des projets ciblant la jeunesse, la création d’emplois, la formation professionnelle. Nous ferons en sorte que ce fonds, auquel la France contribue, soit à la hauteur des enjeux.
Le défi est en effet aussi celui de la jeunesse, en particulier en Afrique, où la moitié de la population a moins de 25 ans. D’ici à 2025, ce sont 330 millions de jeunes qui arriveront sur le marché du travail. L’insertion sociale et économique de cette jeunesse est un enjeu majeur. Mal préparée, elle peut faire peser des risques considérables sur la stabilité non seulement du continent africain, mais aussi de l’Europe. Bien anticipée et convenablement gérée et accompagnée, elle peut constituer une formidable opportunité de développement pour ces pays. C’est pourquoi j’ai voulu doter la France d’une stratégie spécifique pour la jeunesse. Depuis cet été, nous mobilisons nos opérateurs et nos partenaires internationaux pour qu’une part plus importante des ressources consacrées au développement cible spécifiquement la jeunesse des pays les moins avancés. Nous poursuivons également un projet de réforme de l’engagement citoyen à l’international – le volontariat international de solidarité – pour l’ouvrir à plus de jeunes, mieux le valoriser dans les parcours personnels et professionnels, et accroître la réciprocité des échanges entre jeunes du Sud et jeunes du Nord.
La dernière étape de la refondation du développement durable, c’est la Conférence de Paris sur le climat qui doit s’ouvrir dans quatre jours. Le Gouvernement a décidé de maintenir ce rendez-vous historique. C’est notre responsabilité et notre honneur. En effet, le dérèglement climatique dégrade les résultats économiques et les conditions de vie des pays les plus vulnérables, accentue la pauvreté et complique l’accès aux ressources de base, notamment à l’eau. Cela provoque des tensions autour des ressources, affaiblit les États et les économies. La France entend donc prendre toute sa part dans la mise en œuvre de l’agenda renouvelé du développement durable qui nous permettra construire un monde meilleur, plus juste et plus équitable.
Cela suppose des moyens à la hauteur des enjeux. Le Président de la République a annoncé, en septembre dernier, un effort de 4 milliards d’euros supplémentaires de financement pour le développement durable à partir de 2020. Cet effort financier renouvelé en faveur du développement prendra la forme non seulement de prêts, mais aussi de dons. À l’horizon 2020, le Gouvernement augmentera les dons afin que leur montant soit supérieur de 370 millions d’euros à ce qu’il est actuellement. Nous engagerons ce mouvement dès 2016 en stabilisant les crédits de la mission « Aide publique au développement ». Le projet de loi de finances pour 2016 prévoyait une diminution de 150 millions d’euros des crédits de cette mission. Le Gouvernement a donc proposé deux amendements visant à rétablir ces financements afin d’équilibrer le budget et celui du Fonds de solidarité pour le développement. Ces crédits qui connaissaient une baisse depuis plus de cinq ans sont donc stabilisés.
Vous avez décidé d’aller plus loin, mesdames, messieurs les députés, et d’affecter 25 % du produit de la taxe sur les transactions financières à l’Agence française de développement pour que l’année 2016 marque une augmentation de ces crédits. Le Gouvernement a entendu votre message mais l’a ramené dans un volume compatible avec nos objectifs de maîtrise des comptes publics. Vous avez finalement adopté en première lecture une augmentation du budget de 106 millions d’euros par rapport aux crédits votés pour 2015, soit 256 millions d’euros de plus que dans le projet de loi de finances qui vous était initialement soumis.
Ces fonds permettront de financer, à hauteur de 100 millions d’euros, des projets relatifs au climat, en particulier l’adaptation, principalement sous l’égide de l’Agence française de développement, et d’autres relatifs aux réfugiés, à hauteur de 50 millions d’euros, principalement dans les pays voisins de la Syrie en fonction de l’urgence sous l’égide des Nations unies qui sont les mieux placées pour agir rapidement. Les 106 millions d’euros restants serviront à honorer nos engagements internationaux, notamment en matière de santé et d’éducation.
En outre, le rapprochement entre l’Agence française de développement et la Caisse des dépôts et consignations renforcera les moyens de notre politique de développement. Nos moyens, en particulier les plus concessionnels d’entre eux, doivent en effet aller aux pays qui en ont le plus besoin – je pense aux PMA, à l’Afrique.
Lors de la conférence d’Addis-Abeba, l’Europe s’est engagée à atteindre collectivement l’objectif consistant à consacrer 0,2 % du revenu national brut à l’aide aux pays les moins avancés. Vous proposez, par le biais de cette résolution, d’aller encore plus loin en consacrant 1 % de notre revenu national brut à l’aide au développement. Je comprends à titre personnel, comme M. Dufau, les motivations généreuses de cette proposition, mais le Gouvernement doit concilier générosité et responsabilité. Or force est de constater que la situation de nos finances publiques n’est pas compatible avec un tel engagement.
La proposition de résolution que nous examinons aujourd’hui met aussi en lumière le rôle des collectivités territoriales dans notre politique de solidarité internationale. C’est un combat auquel je suis très attachée, car je sais pertinemment que la mobilisation de tous les acteurs et de toutes les énergies sera nécessaire face à l’ampleur des défis. Oui, monsieur Tétart, les collectivités territoriales sont en première ligne pour penser le développement économique. La protection de l’environnement et le bien-être des populations face aux menaces du climat, tel est leur lot quotidien et elles savent faire ! De nombreux résultats concrets ont déjà été obtenus par les collectivités territoriales avec le concours de l’État, qui sera désormais mieux ciblé. La loi du 7 juillet 2014 a mis en place une législation plus incitative permettant d’intervenir dans les secteurs clés comme l’eau, l’assainissement et les déchets. Ce projet a d’ailleurs été largement soutenu par les parlementaires.
Vous suggérez également de créer des jumelages environnementaux, comme je l’ai moi-même proposé en juillet dernier lors du sommet mondial « Climat et Territoires » qui s’est tenu à Lyon. Il y a plus de cinquante ans, le traité de l’Elysée accélérait les jumelages franco-allemands pour construire l’Europe. Aujourd’hui, je souhaite que nous favorisions les jumelages environnementaux pour construire ensemble, dans l’échange et le partenariat, un avenir durable. Cette proposition contribuera à renforcer les coopérations existantes et à généraliser les bénéfices de ces coopérations à l’ensemble des parties prenantes. Le succès des dispositions de la loi Oudin-Santini relative à l’eau et l’assainissement – je salue ici le député André Santini – est aujourd’hui reconnu et certains pays cherchent à s’en inspirer. Nous devons en être fiers ! Il nous faut plaider avec plus de force pour sa reconnaissance au niveau européen.
Alain Tourret a dit que notre système d’aide devait être réformé et il a insisté sur l’intérêt du rapprochement de l’Agence française de développement et de la CDC pour donner un élan supplémentaire à notre politique de développement. Accompagner encore davantage les collectivités, les entreprises et les ONG, aux côtés de l’État, dans nos politiques de développement, telle est notre ambition !
Sergio Coronado a quant à lui rappelé l’importance du respect des droits de l’homme. C’est en effet une priorité de notre politique de développement. Lors de tous mes déplacements, je veille à souligner l’importance du respect des échéances électorales et des libertés fondamentales. Je l’ai rappelé lors de mes déplacements en Afrique encore très récemment. Le mandat que nous avons décidé de confier à l’Agence française de développement en matière de gouvernance amplifiera la portée et l’efficacité de nos actions en la matière. J’y veillerai.
Je veux rassurer M. Carvalho s’agissant du rapprochement de l’Agence française de développement et de la Caisse des dépôts et consignations. Nous menons cette réflexion avec tous les parlementaires par l’intermédiaire du préfigurateur. Songeons que ce nouvel outil sera au service de la mission d’aide publique au développement pour mettre en œuvre l’agenda post-2015 ! Bien sûr, l’Agence française de développement ne doit pas y perdre son identité et nous y veillerons.
Le schéma retenu ira encore plus loin afin d’englober la responsabilité de nos multinationales que vous avez évoquée, monsieur le député. Il s’agit d’un sujet majeur dont je me préoccupe, tout comme de nombreux parlementaires. Un objectif demeure et nous devons l’atteindre collectivement, dans le cadre de l’Europe et de l’OCDE : comment avancer sur la question de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises ?
Je suis d’accord avec vous, monsieur Dufau, et vous remercie de vos paroles fortes sur l’Afrique. Ce grand continent est et restera pour nous une priorité de l’aide publique au développement. En matière de lutte contre le changement climatique, la France s’efforcera de faire progresser la question de l’adaptation, comme le réclament les États d’Afrique et les États insulaires dont j’ai rencontré les représentants à l’Elysée il y a quelques minutes encore. La question de l’adaptation doit être traitée au même niveau que celle de l’atténuation. L’adaptation c’est la lutte contre la déforestation, la désertification et la montée des eaux. Il faut nous y atteler.
Vous avez raison, monsieur Tétart, de parler d’une guerre pour le développement. C’est un combat que nous devons mener pour cette jeunesse qui aspire à un autre futur que la tentation du terrorisme. Ce combat, je le mène avec vigueur par le biais de la Stratégie jeunesse.
Vous avez raison, madame Imbert, la France a fait en sorte que toutes les voix soient entendues lors de la COP21 afin que l’accord qui en résultera certes s’applique à tous, mais soit pensé avec tous et que les pays vulnérables tels que les pays d’Afrique ou les États insulaires soient entendus dans cette conférence, au contraire de la conférence de Copenhague où certains pays industrialisés pensaient pour les autres. Ici, à Paris, aura lieu une COP21 de tous les pays ! Chacun y aura sa place et nous y veillerons ! Nous veillerons aussi à ce que la langue française soit largement présente dans cette COP21…
M. Philippe Folliot. Très bien !
Mme Annick Girardin, secrétaire d’État. …en créant un système de traduction en libre-service. Je me suis en effet rendu compte, lors de la COP20 à Lima, que certains pays ont les moyens de s’offrir des interprètes et d’autres non. Nous avons donc prévu un guichet de traduction gratuite en libre-service destiné aux États francophones vulnérables n’ayant pas les moyens de se fournir ce genre de service. Nous faisons aussi en sorte que tous les documents soient rapidement traduits en français, même si nous sommes conscients que la négociation se fait en anglais.
Madame Maréchal Le Pen, nous ne pouvons répondre aux défis du développement et de la lutte contre le dérèglement climatique et contre la pauvreté en nous limitant à des relations bilatérales. Comment agir au Sahel sans le fonds fiduciaire que nous venons de créer pour accompagner les pays d’Afrique ? Comment aurions-nous pu intervenir en République centrafricaine et l’accompagner financièrement sans créer au préalable un fonds fiduciaire avec nos partenaires, européens en particulier ? Le multilatéralisme est parfois une nécessité. Certes, la transparence et la lisibilité des actions sont importantes. Par ailleurs, le budget ne diminue pas, madame Maréchal Le Pen. Vous avez dû oublier de suivre les débats du Parlement au cours des dernières semaines ! Ce budget augmente et j’en suis fière.
Les événements tragiques qui ont frappé notre pays et d’autres pays amis nous confortent dans la conviction que la réponse de la France doit passer par la promotion de toutes ses valeurs : liberté, égalité, fraternité, et d’une solidarité ouverte au monde entier. Le Gouvernement partage votre volonté de mobiliser les moyens et les acteurs en faveur de l’aide au développement, mesdames, messieurs les députés. C’est pourquoi, en dépit de réserves assumées sur le volet budgétaire de la proposition de résolution, le Gouvernement s’en remet à la sagesse de l’Assemblée. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.– « Très bien ! » sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)
Mme la présidente. Je mets aux voix la proposition de résolution.
(La proposition de résolution est adoptée.)
Mme la présidente. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures trente, est reprise à seize heures trente-cinq.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Yves Jégo tendant à favoriser la baisse de la production de CO2 par le développement de l’effacement électrique diffus (nos 3146, 3229).
Mme la présidente. La parole est à M. Yves Jégo, rapporteur de la commission des affaires économiques.
M. Yves Jégo, rapporteur de la commission des affaires économiques. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, la présente proposition de loi est issue d’un constat simple : alors que l’effacement électrique diffus est une solution innovante et simple pour réduire, sans coût pour la collectivité, la facture des Français et surtout les émissions de gaz à effet de serre, cette technique n’arrive pas à prendre son envol en France.
Il est sans doute utile de revenir sur le principe de l’effacement électrique diffus. L’effacement de consommation consiste en une réduction temporaire du niveau de consommation d’un site. Parmi les différentes catégories d’effacement figurent l’effacement industriel et ce qu’il est convenu d’appeler l’effacement diffus, sur lequel porte cette proposition de loi.
L’effacement diffus concerne quasi exclusivement les foyers des particuliers, et procède de l’agrégation de microcoupures, essentiellement du chauffage électrique et des systèmes de climatisation. Les effacements peuvent être opérés par le fournisseur d’électricité lui-même, dans une logique d’optimisation de ses coûts d’approvisionnement, ou par un autre acteur, l’opérateur d’effacement indépendant.
Concrètement, les particuliers choisissent de s’équiper d’un boîtier sur leur alimentation en électricité, qui permet à l’opérateur d’effacement de contrôler à distance certains équipements électriques du logement.
La capacité d’énergie effacée en France est estimée à 500 mégawatts à peine, dans environ 100 000 foyers équipés, sur les 8 millions qui pourraient être concernés. C’est bien là où le bât blesse.
Si cette proposition de loi vise aujourd’hui à donner de l’élan à l’effacement électrique diffus, c’est parce qu’à l’heure de la COP21, il est plus que jamais nécessaire de montrer la voie et de mettre en œuvre, avec le maximum d’ambition, toutes les technologies qui permettent de réduire les émissions de gaz à effet de serre, sans qu’il soit nécessaire de ponctionner les budgets publics.
De fait, l’effacement électrique diffus permet d’éviter, en périodes de pic de consommation, l’activation de certaines centrales thermiques, fortement émettrices de CO2. Les conséquences positives sur l’environnement d’un développement massif de l’effacement électrique diffus seraient particulièrement importantes en France, où 8,2 millions de logements sont chauffés à l’électricité. Certaines études démontrent que si nous passions de 100 000 à 1 million de foyers équipés, il serait possible d’économiser jusqu’à 2 millions de tonnes de CO2 chaque année, sans aucun coût pour la collectivité. Vous avouerez que cette perspective est pour le moins intéressante.
Suite à la prise de conscience des avantages de ce dispositif, la loi Brottes de 2013 a créé un marché de l’effacement diffus. Celui-ci permet la valorisation, par les opérateurs d’effacement, de l’énergie non consommée sur les marchés. Dans ce cadre, les fournisseurs ont obtenu d’être compensés financièrement par un versement de l’opérateur d’effacement. C’est aujourd’hui le montant de ce versement, qui ne permet pas de rémunérer à leur juste valeur les actions d’effacement, qui, seul, empêche le développement de cette technologie et bloque le nombre de foyers qui en sont équipés à 100 000.
Cette réalité nous oblige à regarder de quelle manière il serait possible de dynamiser ce dispositif. Il est vrai que, voilà peu, pour tenter de répondre à ce blocage, nous avons créé un système d’appels d’offres dans le cadre du projet de loi de transition énergétique pour la croissance verte
Ce dispositif, qui encadre et précise les modalités de rémunération, à la fois des opérateurs d’effacement et des fournisseurs d’électricité, doit être mis en place. Toutefois, il est à craindre que son caractère aléatoire ne permette pas d’aller aussi loin que nous le souhaiterions et que les modalités financières obligent à ponctionner dans la contribution au service public de l’électricité – CSPE –, pratique à laquelle je suis opposé compte tenu des dérives qui ont pu se produire dans le passé.
L’organisation du marché et le système d’appels d’offres ne règlent pas de façon claire et durable la répartition des coûts et des bénéfices de l’effacement entre l’opérateur d’effacement et le fournisseur d’énergie. Une telle incertitude sur leur rémunération finale n’encourage pas les opérateurs d’effacement indépendants à investir dans la production et la maintenance des boîtiers installés – à leurs frais, je le rappelle – chez les particuliers.
Il semble donc y avoir une discordance entre les nombreux avantages de l’effacement diffus et son développement actuel, qui demeure trop limité au regard des ambitions que la France exprime à travers la COP21.
Cette proposition de loi vise à clarifier la répartition des coûts et bénéfices de l’effacement. À ce jour, l’opérateur d’effacement, lorsqu’il revend sur le marché les kilowatts effacés, effectue en compensation un versement au fournisseur. Or, et c’est le cœur du débat technique que nous vous proposons de trancher, le montant de ce versement ne prend pas en compte l’effet que l’opération d’effacement, qui se déroule en période de forte consommation, a eu sur le marché global de l’électricité et donc le gain sur le prix de l’énergie qu’a obtenu le fournisseur en question.
Lorsque les opérateurs vendent l’effacement sur le marché de l’électricité en période de pointe, ils font baisser le prix de l’électricité, ce qui diminue les coûts d’approvisionnement des fournisseurs. Il est donc proposé dans ce texte de confier au réseau de transport d’électricité – RTE – le soin d’évaluer ce bénéfice pour le fournisseur et de le déduire du montant du versement dû par l’opérateur d’effacement.
S’il s’avérait que ce mécanisme fait perdre de l’argent au fournisseur, l’effaceur aurait alors à sa charge un versement plus important. Si, au contraire, comme cela est démontré aux États-Unis, pays très en avance sur cette technologie, le fournisseur y gagne par la baisse de ses coûts, le marché pourra fonctionner sans qu’il soit nécessaire d’intervenir par des appels d’offres, forcément plus complexes et coûteux.
Enfin, il faut réaffirmer que l’effacement diffus ne remet pas en cause les grands équilibres de notre système de production d’énergie puisque tous les opérateurs d’effacement considèrent que le nombre de foyers pouvant être équipés ne dépassera pas le million – ils sont 100 000 aujourd’hui – et que la quantité globale d’effacement possible ne dépassera pas les 5 000 mégawatts – nous en sommes à 500 aujourd’hui. Le dispositif proposé ne déséquilibrera donc pas notre système énergétique, auquel nous sommes tous très attachés.
Ce texte vise ainsi, sans aucun risque financier pour la collectivité, à accélérer l’activité d’effacement diffus dans notre pays. S’il était adopté, il permettrait, dès sa publication, un démarrage plus rapide que ne le ferait le mécanisme des appels d’offres. Il permettrait aussi de tenir compte de la directive européenne relative à l’efficacité énergétique, qui fait de l’effacement un axe fort de la stratégie de développement de l’énergie sur notre continent. Comme il est écrit dans cette directive, « l’énergie la moins chère est celle que l’on ne consomme pas ».
J’approuve la création de la mission d’information sur l’effacement électrique diffus, décidée à la suite du dépôt de cette proposition de loi. Adopter cette proposition de loi aujourd’hui ne me semble néanmoins pas incompatible avec la conduite des travaux d’une telle mission d’information. En effet, compte tenu de la navette, ce véhicule législatif pourrait parfaitement prendre en compte les conclusions de la mission d’information, attendues pour le mois de février. Nous aurions alors un dispositif opérationnel qui permettrait de mettre en œuvre le plus vite possible cette mesure, certes technique, mais pleine de bon sens.
J’ajoute qu’au sein de cette assemblée, nous parlons de ces questions depuis 2007. Nous avons fait des progrès, notamment avec la loi Brottes. Mais le temps passe, et les autres pays avancent dans la mise en œuvre de ces technologies. Pour des raisons dues à la complexité du dispositif et à la nécessaire prudence dans les décisions que nous prenons, nous perdons beaucoup de temps dans un domaine où il ne faut pas en perdre.
Le mécanisme proposé ici est une réponse pragmatique et sans coût financier pour la mise en œuvre opérationnelle d’une mesure, certes très technique, mais qui démontrera aux 147 chefs d’État et de gouvernement, réunis à Paris pour la COP21, qu’à l’heure des grands discours pour la diminution des émissions de gaz à effet de serre, la France met ses actes en adéquation avec ses paroles et prend les bonnes décisions pour maîtriser sa consommation d’énergie. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion.
Mme Ségolène Neuville, secrétaire d’État chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, madame la présidente de la commission, mesdames et messieurs les députés, le sujet de l’effacement de la consommation d’électricité a été longuement débattu dans le cadre de la loi de transition énergétique pour la croissance verte. Ces discussions ont conduit à l’article 168 de la loi. C’est un dispositif équilibré, qui prend en compte toute la diversité des types d’effacement, qui pose les bases juridiques d’un développement ambitieux et maîtrisé de l’effacement, et qui met en place un cadre d’évaluation pour tenir compte du retour d’expérience.
La proposition de loi que nous discutons soulève les mêmes débats que ceux qui se sont tenus il y a quelques mois dans cet hémicycle, et qui ont été tranchés à ce moment-là. Elle reprend des amendements qui ont été repoussés par la rapporteure Ericka Bareigts et par le Gouvernement au cours de la loi de transition énergétique. Pour les mêmes raisons, le Gouvernement soutiendra l’amendement de suppression voté en commission des affaires économiques.
Au-delà de ces rappels importants sur l’historique du dossier et la méthode, je voudrais revenir sur le fond, afin que l’on ne se méprenne pas sur l’intention du Gouvernement en matière d’effacement.
Le Gouvernement soutient les effacements de consommation d’électricité, qui sont bénéfiques pour deux raisons. Ils contribuent à la sécurité d’approvisionnement, notamment pendant les périodes de pointe de consommation. En offrant de la flexibilité au système, ils permettent également d’accompagner le développement des énergies renouvelables intermittentes. Ils contribuent aux économies d’énergie, qui se traduisent par des baisses de factures, notamment pour les ménages.
La loi du 15 avril 2013 visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre a permis d’instaurer un cadre de valorisation des effacements de consommation sur les marchés de l’énergie.
L’article 168 de la loi de transition énergétique a tiré les enseignements de la mise en œuvre de cette loi, pour accélérer le développement des effacements. Cet article s’est construit progressivement, au fil des lectures à l’Assemblée et au Sénat ainsi que des échanges avec les parties prenantes.
Je voudrais revenir sur quatre points.
Tout d’abord, plus personne ne conteste la nécessité de mettre en place un versement au bénéfice du fournisseur effacé. C’est un point de consensus fort qui marque une avancée importante des débats autour de l’article 168.
Ensuite, une nouvelle filière industrielle est en phase de construction et il apparaît nécessaire de soutenir le développement de toutes les catégories d’effacement car elles sont complémentaires et offrent des perspectives intéressantes différentes.
Plusieurs dispositifs ont été mis en place pour rémunérer l’effacement, notamment le mécanisme de capacité, mais il est nécessaire de les compléter à titre transitoire, afin d’accompagner la montée en puissance de filières industrielles qui ne sont pas encore matures.
À cette fin, le dispositif d’appel d’offres instauré par l’article 168 est le meilleur outil. Il permet de stimuler la concurrence pour trouver les solutions les plus innovantes et les moins chères, de sécuriser le financement des lauréats, de maîtriser le soutien public et par conséquent l’impact sur la facture du consommateur.
Par ailleurs, certains acteurs de l’effacement, dont le développement est plus avancé, demandent à bénéficier d’un modèle économique alternatif qui ne repose pas sur l’intervention des pouvoirs publics via des appels d’offres, mais sur une régulation incitative des mécanismes de marché.
Force est de constater que ce dispositif alternatif, qui repose sur la notion de « bénéfice net », ne fait pas l’unanimité chez les économistes. Il génère de nombreuses inquiétudes, à commencer par celle des associations de consommateurs, et il conduira à d’importants mouvements financiers entre les acteurs, dont nous ne maîtrisons pas les conséquences à ce jour.
La régulation de l’effacement étant particulièrement complexe, il est préférable de s’en tenir pour l’instant au dispositif dérogatoire prévu à l’article 168, qui offre déjà des opportunités intéressantes et dont les incidences financières sont maîtrisées.
Ce dispositif dérogatoire est strictement encadré et la part du versement mutualisé entre les fournisseurs est plafonnée à la part de l’effacement donnant lieu à des économies d’énergie.
Le Gouvernement est très attaché à ce plafonnement et la part mutualisée du versement aura vocation à se réduire progressivement pour que les consommateurs tirent pleinement le bénéfice de l’effacement.
Enfin, pour que la réflexion continue de progresser sur ce sujet complexe, l’article 168 prévoit de confier à la Commission de régulation de l’énergie – CRE –, autorité administrative indépendante, un rapport destiné à évaluer le régime de versement, l’incidence de l’effacement sur les prix et, surtout, les flux financiers générés par l’activité d’effacement. C’est en quelque sorte une clause de revoyure à l’issue de laquelle des évolutions du régime de versement pourront être mises en œuvre.
Quant à la création d’une mission parlementaire d’information sur l’effacement de consommation, que vous venez de décider, elle fournira un travail utile pour accompagner la mise en œuvre de la loi de transition énergétique. Cependant, plusieurs textes réglementaires d’application de la loi sont encore en cours d’élaboration, et ce n’est qu’à l’issue de leur application qu’il sera véritablement possible d’en tirer le retour d’expérience et d’envisager d’éventuelles évolutions législatives. Autrement dit : sur ce sujet, il est urgent d’attendre avant de légiférer à nouveau. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires économiques.
Mme Frédérique Massat, présidente de la commission des affaires économiques. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, chers collègues, nous discutons aujourd’hui d’une proposition de loi relative à l’effacement électrique diffus. Si les efforts du rapporteur pour donner de l’élan à cette technique sont louables, l’adoption de cette proposition reviendrait à légiférer dans la précipitation. La commission des affaires économiques en a jugé de même puisqu’elle a rejeté cette proposition la semaine dernière.
Il ne s’agit pas de contester les avantages de l’effacement. Au contraire ! Nous devons absolument tout essayer pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. L’effacement électrique diffus, qui fait appel à l’agrégation de micro-coupures, essentiellement du chauffage électrique des particuliers, peut être l’une des alternatives à la mobilisation de moyens de production chers et polluants dans les périodes de pointe, c’est-à-dire celles où la demande d’électricité est supérieure à l’offre.
C’est d’ailleurs en raison de ces vertus que le législateur, depuis 2007, a élaboré un cadre normatif clair pour encourager le développement de cette technique. La loi du 15 avril 2013 a défini pour la première fois un cadre pour les effacements dits « explicites », qui permettent de valoriser l’énergie effacée sur les marchés de l’énergie. Les opérateurs d’effacement, en arrêtant de façon synchronisée un grand nombre d’appareils de faible puissance, créent une économie de puissance, appelée « capacité d’effacement », que la loi de 2013 leur permet de valoriser économiquement, non plus seulement sur le mécanisme d’ajustement de RTE – Réseau de transport d’électricité – mais également sur le marché de gros de l’électricité.
Cette loi, tout en aidant les opérateurs d’effacement à se développer, a fixé le principe du versement d’une rémunération des opérateurs d’effacement aux fournisseurs d’électricité. En effet, l’effacement revient pour les fournisseurs à injecter de l’énergie sur le réseau sans se faire rémunérer par les clients effacés. Une rémunération est donc justifiée.
Ce cadre normatif a été amélioré tout récemment par la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, après de nombreuses heures de débat et l’organisation d’une table ronde au sein de la commission des affaires économiques,…
M. Jean-Luc Laurent. Tout à fait !
Mme Frédérique Massat, présidente de la commission des affaires économiques. …où les acteurs du secteur ont pu s’exprimer. Cette loi remplace la prime aux opérateurs prévue par la loi Brottes par un système d’appels d’offres rémunérant les effacements de consommation du candidat retenu. C’est un dispositif équilibré…
M. Jean-Luc Laurent. Efficace !
Mme Frédérique Massat, présidente de la commission des affaires économiques. …qui permet également de préciser les modalités du versement de la rémunération aux fournisseurs d’électricité par les opérateurs d’effacement.
La loi relative à la transition énergétique tente de trouver le juste équilibre entre la volonté d’encourager le recours à l’effacement électrique diffus et la nécessité d’avancer progressivement dans un domaine où les incertitudes demeurent nombreuses. Comme le soulignait mon prédécesseur, lors des débats sur la transition énergétique, « il ne faut pas jouer aux apprentis sorciers ». Le réseau électrique est de plus en plus sollicité, et de manières très diverses. Les acteurs doivent apprendre à se connaître et à trouver peu à peu les solutions optimales pour la collectivité.
Or, cette proposition de loi cherche à modifier dès à présent, avant même la pleine entrée en vigueur de toutes ses dispositions, la loi relative à la transition énergétique. Une telle démarche n’est pas cohérente. Laissons le temps aux mécanismes votés il y a quelques mois d’être évalués. Le Gouvernement n’a même pas encore lancé les premiers appels d’offres ! C’est la principale raison pour laquelle la commission des affaires économiques a rejeté cette proposition de loi.
Le rejet de la proposition de loi par notre commission n’a pas pour objectif de couper court au débat.
M. Jean-Luc Laurent. Certainement pas !
Mme Frédérique Massat, présidente de la commission des affaires économiques. Bien au contraire ! Dans une démarche constructive avec les groupes minoritaires et d’opposition, j’ai proposé une mission d’information, dont M. Jégo est le président et Mme Battistel la rapporteure. Elle a été créée le 10 novembre. La réunion constitutive a eu lieu aujourd’hui, les auditions commencent la semaine prochaine et les conclusions seront rendues en mars.
L’effacement électrique diffus est un sujet extrêmement complexe dont les effets sur les prix de marché, le mécanisme de capacité et les coûts des réseaux sont encore incertains. L’objectif de la mission est clair : évaluer précisément les charges qui pèsent sur tous les acteurs – opérateurs d’effacement, fournisseurs d’électricité et consommateurs, qui se sont émus de cette proposition de loi – et estimer la nécessité ainsi que l’opportunité de légiférer pour modifier les dispositions de la loi relative à la transition énergétique.
Pour conclure, je vous invite à suivre l’avis de la commission des affaires économiques qui a rejeté ce texte, pour mieux y travailler, en s’appuyant sur une étude d’impact, et décider en connaissance de cause s’il est nécessaire de légiférer. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Franck Reynier.
M. Franck Reynier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche, madame la présidente de la commission, chers collègues, à quelques jours de l’ouverture de la COP21, la France, en tant que pays hôte, a la responsabilité de se positionner comme l’un des leaders mondiaux en matière de lutte contre le dérèglement climatique.
Si notre pays a un rôle central à jouer lors des négociations, en facilitant notamment l’adoption d’un accord international contraignant, il doit aussi présenter des mesures concrètes et réalistes.
En effet, notre politique environnementale ne peut se résumer à la présentation de grands objectifs. Au contraire, si nous voulons accompagner notre société dans une transition énergétique ambitieuse, nous devons proposer des avancées technologiques innovantes qui nous permettront, dès lors, d’atteindre les objectifs que nous nous fixons. Dans ce domaine, la France a toujours été considérée comme un pays précurseur. Mais pour combien de temps encore ?
L’effacement diffus, au cœur de cette proposition de loi, en est une illustration parfaite. Faute d’un cadre législatif ambitieux, nous risquons de perdre un véritable savoir-faire français en matière énergétique.
Mes chers collègues, je tiens, tout d’abord, à saluer le travail de Yves Jégo, impliqué sur ces sujets depuis longtemps et qui a compris l’importance de débattre d’un enjeu, à première vue technique, mais pourtant essentiel.
À travers ce texte, monsieur le rapporteur, vous ne cherchez finalement qu’à permettre le développement d’une technique avant-gardiste qui, en plus d’être utile pour les consommateurs, favorise la baisse de la production de CO2. L’effacement n’est pas un concept nouveau, mais je crois important de le remettre au cœur des débats législatifs, à l’heure où nous cherchons à tendre vers une société à faible émission de carbone.
Si l’effacement industriel reste, encore aujourd’hui, difficile à mettre en place, l’effacement diffus, qui concerne principalement les particuliers, est quant à lui beaucoup plus facile à développer.
Pour rappel, la France, du fait de sa politique énergétique très axée sur l’électricité, se démarque par une proportion particulièrement élevée de ménages utilisant un chauffage électrique. En effet, environ 31 % des logements individuels et collectifs disposent d’un chauffage électrique. La production électrique a la particularité de devoir s’adapter pour maintenir une production très proche du volume consommé sachant qu’il est aujourd’hui difficile de stocker l’électricité à grande échelle.
Ainsi, lors des pics de demande d’électricité, nous nous retrouvons face à un choix compliqué pour satisfaire la demande : soit il faut activer des moyens supplémentaires de production électrique, soit il faut tenter de réduire la consommation de certains acteurs.
La première solution est coûteuse et particulièrement émettrice de gaz à effet de serre, puisqu’elle impose de faire appel à des centrales utilisant généralement des combustibles fossiles, comme le charbon, le fuel ou le gaz.
Alors que la récente loi sur la transition énergétique a inscrit des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de la consommation énergétique des énergies fossiles, il ne nous paraît pas judicieux de recourir à de telles centrales, extrêmement émettrices.
Il est donc préférable de chercher un moyen intelligent de réduire la consommation énergétique des Français, sans conséquence sur leur quotidien. L’objectif n’est pas de couper le chauffage pendant trois heures un matin d’hiver. L’effacement diffus permet, au contraire, de procéder à de micro-coupures, qui ne seront pas directement ressenties par le consommateur.
Facile à mettre en œuvre, cette technique ne représente pas une contrainte pour le consommateur, tant matériellement que financièrement. En effet, l’opérateur d’effacement se charge d’équiper, gratuitement, les habitations chauffées à l’électricité d’un boîtier qu’il pourra directement contrôler à distance, en effectuant ces fameuses micro-coupures. Cette technique, plutôt simple et de bon sens, est pourtant essentielle pour notre politique énergétique.
Essentielle car elle évite de recourir à des sources d’énergie polluantes lors des pics de consommation. Essentielle car elle permet de réduire sensiblement la facture énergétique des consommateurs.
La France compte plus de 5 millions de ménages en situation de précarité énergétique. Face à un constat aussi alarmant, il est important d’agir, et l’effacement diffus représente, assurément, une première mesure pour aider ces personnes en vulnérabilité énergétique.
Il doit venir en complément de dispositifs déjà existants. Je pense par exemple aux compteurs Linky, que l’on va commencer à déployer sur notre territoire. Ces outils très intéressants permettent de sensibiliser les ménages à leur consommation énergétique, donc de les aider à mieux la maîtriser. Les débats que nous avons eus lors de la discussion de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte ont d’ailleurs permis de prévoir, pour les ménages précaires, un affichage en temps réel, fonction qui n’était pas intégrée à ces compteurs intelligents au départ. Alors que certains fabricants préparent des outils domotiques à brancher sur les compteurs Linky, on peut espérer également une évolution de ces boîtiers les rendant capables de gérer l’effacement diffus.
Nous ne pouvons pas nous permettre de rater ce tournant majeur, qui amorce de manière concrète la transition énergétique de notre pays. Notre rôle est bien d’aider l’émergence de dispositifs intelligents. Pour ce faire, il est nécessaire de bâtir un cadre législatif pertinent et équilibré.
Souffrant de grandes divisions, le marché de l’effacement est, aujourd’hui encore, trop confidentiel, alors même qu’il représente une richesse inestimable pour notre pays, à la fois en termes énergétiques et économiques : énergétiques, car il apporte une solution viable à un problème connu de tous ; économiques, car il permet aux ménages de réaliser des économies substantielles, donc de gonfler leur pouvoir d’achat. Une étude de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie – ADEME – évoquait des économies pouvant atteindre 7 % pour le particulier.
C’est également un marché plein d’avenir, tant il peut être porteur de croissance et d’emplois. Actuellement, la capacité d’énergie effacée est estimée à 500 mégawatts. Environ 100 000 foyers sont équipés d’un boîtier. C’est un début, une belle dynamique que nous voulons encourager.
Cette proposition de loi a justement le mérite de viser à clarifier un système difficilement compréhensible pour ses acteurs, en trouvant une répartition plus équilibrée des coûts et bénéfices entre les opérateurs d’effacement et les fournisseurs d’électricité. Si le mécanisme de l’effacement diffus paraît simple sur le papier, il souffre cependant d’un cadre législatif complexe. La loi dite « Brottes » de 2013 n’a malheureusement pas réussi à répartir de manière équitable les bénéfices de l’effacement entre les opérateurs et les fournisseurs. Le texte, proposé par notre collègue Yves Jégo, permet donc d’encadrer de manière plus efficiente le marché de l’effacement pour lui permettre d’évoluer positivement.
Actuellement, l’opérateur d’effacement doit effectuer au fournisseur des sites effacés un versement dont le montant est calculé en fonction des quantités d’électricité effacées. Est également prévu le versement d’une prime, en partie financée par la CSPE, aux opérateurs d’effacement, pour leur contribution aux objectifs de politique énergétique.
Comme l’a indiqué Yves Jégo dans sa présentation, cette prime a été remplacée par des appels d’offres depuis la loi relative à la transition énergétique. Néanmoins, le système souffre toujours d’un déséquilibre entre le versement réalisé par l’opérateur et la rémunération tirée de la revente de l’énergie effacée. Ainsi, le montant du versement acquitté par les opérateurs ne prend toujours pas en compte le gain sur le prix de l’énergie résultant de l’action d’effacement. En effet, lors de périodes de pointe, les opérateurs font baisser le prix de l’électricité, donc permettent indirectement de diminuer les coûts d’approvisionnement des fournisseurs.
Pour le groupe UDI, il est absolument nécessaire de mieux valoriser l’énergie effacée. L’opérateur d’effacement, qui installe gratuitement les boîtiers, doit pouvoir lui aussi s’y retrouver en termes de rémunération. Pour ce faire, cette proposition de loi prévoit de confier à RTE le versement aux fournisseurs d’électricité. Les coûts restant à la charge du gestionnaire du réseau public de transport seraient ensuite répartis entre fournisseurs.
Le groupe UDI ne peut que soutenir l’idée selon laquelle le versement est mis à la charge de l’opérateur d’effacement en cas de report de consommation, et à la charge des fournisseurs en cas de réelles économies d’énergie. En somme, ce texte revient sur une situation absolument intenable pour les opérateurs d’effacement, qui contribuent pourtant, et de manière non négligeable, à la politique énergétique de notre pays.
Mes chers collègues, monsieur le secrétaire d’État, comme vous l’aurez compris, le groupe UDI ne peut que soutenir une proposition de loi qui favorisera le développement d’une technologie innovante. Plus généralement, il me semble que l’effacement diffus doit être replacé dans un cadre plus global et dans une perspective davantage axée sur le long terme. Je pense notamment à la montée en puissance des énergies renouvelables, dont la production est trop souvent variable et imprévisible. L’effacement diffus pourrait alors devenir un excellent complément pour réduire temporairement, et lorsque cela est nécessaire, la consommation.
En commission des affaires économiques, la présidente l’a rappelé, la proposition de loi a malheureusement été rejetée. Si le groupe UDI se réjouit de la création d’une mission d’information sur l’effacement diffus, il reste convaincu que l’adoption d’un tel texte constituerait un message fort, et surtout un point de départ pour un travail plus approfondi.
M. André Santini. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Tourret.
M. Alain Tourret. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, la proposition de loi sur le développement de l’effacement diffus est d’abord le fruit d’un travail parlementaire de fond réalisé par notre collègue rapporteur Yves Jégo. Elle témoigne de son engagement pour faire avancer ce sujet important, afin d’économiser l’énergie et de diminuer les émissions de CO2. Au nom du groupe RRDP, nous tenons à l’en féliciter.
Qu’est-ce que l’effacement diffus ? Tout le monde, ou presque, l’ignore. N’ayant pas les connaissances de M. le secrétaire d’État, il a fallu que j’attende ce texte pour le découvrir !
L’effacement diffus, donc, est la possibilité d’une réduction temporaire du niveau de consommation par l’agrégation de micro-coupures, essentiellement du chauffage électrique et de la climatisation des particuliers et des bureaux. Pour donner un exemple concret, c’est l’interruption brève – de 30 minutes au maximum – mais coordonnée de l’alimentation de radiateurs, ballons d’eau chaude sanitaire ou climatiseurs à l’intérieur de logements, en s’assurant d’un effet quasi imperceptible en termes de confort. Le but est bien entendu de réduire la demande totale d’une région, voire d’un pays.
Une des problématiques majeures de l’énergie, dont découlent nos grands choix énergétiques et nos choix d’investissements en milliards d’euros, est la difficulté du stockage de l’électricité. Elle est d’ailleurs au centre de nos débats sur les énergies renouvelables. Le photovoltaïque et l’éolien sont promis, nous le savons, à des développements importants car ils utilisent une ressource naturelle gratuite et renouvelable à l’infini – ou presque, puisque l’infini n’existe pas en physique. Mais, à la différence de la biomasse et, dans une certaine mesure, de l’hydraulique, ils dépendent de facteurs dont la maîtrise est impossible. La fameuse « intermittence », sujet au cœur de débats houleux, du vent et du soleil, est le mot technique pour dire leur caractère plus ou moins irrégulier et imprévisible. C’est l’inconvénient majeur, pour l’instant sans solutions satisfaisantes, des énergies renouvelables.
En attendant, cette intermittence impose nécessairement une limite au pourcentage d’intégration des sources renouvelables et exige une quantité d’énergie nucléaire incompressible. L’exemple de nos voisins allemand amène à réfléchir car il illustre parfaitement la question : en faisant le choix de fermer leurs centrales nucléaires, ils ont dû accroître la production de leurs 130 centrales à charbon et en ouvrir 10 nouvelles. Ils émettent ainsi des millions de tonnes de CO2 supplémentaires. On parle de 11 millions de plus en 2013 par rapport à 2012. J’aurais aimé que les Verts soient présents pour l’entendre, mais peut-être cela ne les intéresse-t-il plus depuis qu’ils sont écolos… (Sourires.)
M. Jean-Luc Laurent. Seraient-ils moins écolos ?
M. Alain Tourret. Peut-être…
Les meilleurs experts travaillent à des méthodes pour compenser les défauts de cette intermittence : hydrogène, batteries, interconnexions à grande échelle, réseaux électriques intelligents, etc. Nous avançons tous les jours, mais pas suffisamment pour résoudre le problème à grande échelle.
Ainsi, le réseau électrique doit en permanence être en équilibre entre l’offre, c’est-à-dire l’électricité injectée dans le réseau par les producteurs, et la demande, c’est-à-dire l’électricité prélevée par les consommateurs. Dans les moments où la consommation dépasse la production, RTE, notre opérateur gestionnaire du transport de l’électricité et responsable de la planification de l’équilibre, peut demander à certains producteurs d’augmenter leur production, en activant par exemple les centrales de pointe au gaz ou au fioul, grandes émettrices de CO2.
L’effacement est au cœur de cet enjeu : il permettrait de limiter ce recours à l’émission de CO2 moyennant une baisse du niveau de consommation que l’on obtiendrait en commandant à un opérateur d’effacement la coupure immédiate et coordonnée de multiples postes de consommation dans le secteur résidentiel, tertiaire ou industriel. Depuis de nombreuses années, cette solution est mise en exergue pour optimiser la gestion des pointes de consommation d’électricité, souvent dans les soirées glaciales en hiver, en particulier dans nos montagnes.
L’effacement présente aussi l’avantage de permettre aux consommateurs de réaliser des économies d’électricité, de l’ordre de 6 à 15 % selon les études des différents acteurs impliqués sur le sujet. Notre rapporteur évalue à 200 millions d’euros par an l’économie potentielle totale.
Toute la question réside dans la maximisation de ces économies et, bien évidemment, dans la gestion des effets distributifs de ces montants. Comment répartir équitablement les économies réalisées entre les consommateurs, les opérateurs d’effacement, les producteurs d’électricité et les opérateurs gestionnaires de réseau ? Chacun doit recevoir ce qu’il mérite.
Les députés du groupe RRDP tiennent à une redistribution favorable d’abord aux consommateurs, en particulier les plus défavorisés, ceux qui habitent dans des territoires ou la baisse des températures fait grimper la facture d’électricité. Mon collègue Joël Giraud, député des Hautes-Alpes, a souvent participé à ces débats, montrant que la part de dépense contrainte dans le budget des ménages pour chauffer un logement est un facteur d’inégalité et d’injustice sociale, et qu’elle provoque une baisse significative du pouvoir d’achat. N’oublions pas que le chauffage électrique et le chauffe-eau peuvent représenter 80 à 90 % de la consommation électrique d’un foyer chauffé à l’électricité.
Les députés du groupe RRDP sont également favorables à une récompense proportionnée pour les opérateurs d’effacement innovants, des acteurs souvent situés en France. S’il n’est pas question qu’ils captent une partie déraisonnable du montant des économies réalisées, ils doivent être encouragés et justement rémunérés, à la hauteur de leur utilité sociale.
Notre ancien collègue François Brottes s’était passionné pour ces sujets. En 2013, il a défini pour la première fois un cadre pour les effacements explicites, c’est-à-dire les effacements permettant une valorisation de l’énergie effacée sur les marchés de l’énergie. Nous avons ainsi posé les bases de la rémunération des fournisseurs par les opérateurs d’effacement et le principe d’un versement d’une prime auxdits opérateurs.
Au départ, il était prévu que cette prime soit alimentée par la contribution au service public de l’électricité, la CSPE, qui fait l’objet de tant de polémiques. Rappelons qu’il s’agit d’un prélèvement de nature fiscale sur les consommateurs, une sorte de « TVA énergie » qui a vocation à dédommager les opérateurs de certains surcoûts engendrés par les obligations qui leur sont imposées, notamment pour compenser le surcoût des énergies renouvelables.
L’évolution préoccupante de la CSPE, sa hausse et son coût croissant pour les consommateurs, ne peuvent cependant continuer indéfiniment. Aussi le Gouvernement mène-t-il une réforme pour la limiter.
Dans cette perspective, et après une large concertation des acteurs – Mme la présidente de la commission le rappelait tout à l’heure –, les débats lors de l’examen du projet de loi relatif à la transition énergétique ont porté sur la détermination du mode de calcul appliqué aux versements faits par les opérateurs aux fournisseurs. La loi relative à la transition énergétique, promulguée en août dernier, a finalement modifié la loi Brottes en remplaçant la prime aux opérateurs par un système d’appels d’offres rémunérant les effacements de consommation du candidat retenu, système dont les modalités sont fixées par arrêté conjoint des ministres de l’économie et de l’écologie.
Cette modification optimise les effets redistributifs. Elle permet de maîtriser les charges de la CSPE et de piloter efficacement le déploiement en volume de cette filière prometteuse.
Dans le même temps, elle clarifie le rôle des gestionnaires de réseau dans la mise en œuvre. Responsable de la mise en œuvre technique des effacements, RTE doit rester neutre et ne peut légitimement exercer l’activité d’opérateur d’effacement.
Enfin, la loi relative à la transition énergétique définit deux régimes non cumulables : un régime général, pour la rémunération des opérateurs via le système d’appel d’offres et un régime dérogatoire pour les cas d’économie d’énergie significative, afin de répartir le paiement fait aux fournisseurs entre l’opérateur d’effacement et le gestionnaire de réseau. Le « règlement des écarts » encadre la couverture des coûts de RTE par la communauté des fournisseurs.
Un subtil équilibre, optimal et consensuel, a ainsi été trouvé après de multiples concertations. La présente proposition de loi tend à le modifier en revenant sur plusieurs dispositions, notamment sur la répartition du bénéfice.
Comme vous le savez parfaitement, monsieur le rapporteur, le Gouvernement va lancer les premiers appels d’offres et il évaluera ensuite leurs résultats. Votre volonté d’accélérer le mouvement est louable mais, dans une affaire aussi complexe, elle présente le risque de déséquilibrer le dispositif adopté et menace l’équité même du modèle.
Mme Marie-Noëlle Battistel. C’est vrai.
M. Alain Tourret. Après le travail réalisé par la commission, le modèle que le Gouvernement proposera sera appelé à évoluer. On pourra l’ajuster en fonction des évaluations, mais il serait aventureux de le faire sans un état des lieux solide et de nouvelles évaluations.
Les études montrent la complexité du système, s’agissant par exemple de la question du report, c’est-à-dire de la consommation supplémentaire post-coupure. Les premières évaluations donnent des résultats très différents selon les modèles utilisés pour calculer les économies d’énergie. Il semble hasardeux d’affirmer aujourd’hui, comme vous le faites dans votre proposition de loi, que les effacements ne s’accompagnent d’aucun report, sans compter les incertitudes scientifiques quant aux quantités d’économies d’émissions de CO2 et au gain pour les consommateurs.
Tout cela exige, à l’évidence, de la prudence, des expertises et des évaluations. Notre seule boussole à cet égard ne peut être que scientifique.
Monsieur le rapporteur, vous présidez une mission d’information rassemblant des députés de tous les groupes, qui vient de commencer un travail de fond. Le fait même que vous la présidiez témoigne de la volonté d’ouverture de la commission et de sa présidente. Je ne doute pas de la fécondité de votre implication personnelle tout au long de ces travaux.
Dans ces conditions, si nous pouvons partager votre enthousiasme, nous sommes cependant beaucoup plus réservés quant à l’utilité de votre proposition de loi et ne souhaitons donc pas nous y associer. Le débat doit, en revanche, se poursuivre jusqu’à l’examen du fond et il serait inutile de l’interrompre rapidement. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
Mme la présidente. La parole est à M. Patrice Carvalho.
M. Patrice Carvalho. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, quatre mois après l’adoption de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, nos collègues du groupe de l’Union des démocrates et indépendants ont décidé de remettre à l’ordre du jour la question du fonctionnement du marché de l’effacement.
L’objet de ce texte est double : il s’agit à la fois d’accélérer le démarrage de l’activité d’effacement diffus et de définir de nouvelles règles de répartition des profits générés par la valorisation du courant non consommé par les ménages – car ce sont presque toujours les ménages qui sont concernés lorsqu’il est question d’effacement diffus.
Il convient avant toute chose de préciser que l’effacement, pratique largement méconnue du grand public, consiste à couper temporairement la consommation d’électricité d’entreprises ou de particuliers à un moment précis et à revendre les kilowattheures non utilisés sur le marché de l’électricité à RTE, filiale d’EDF, qui s’en sert pour équilibrer le réseau.
L’effacement peut apparaître comme une pratique vertueuse, puisqu’il a pour but est d’alléger la demande de courant en période de pointe, c’est-à-dire quand les besoins explosent – typiquement, en fin de journée en hiver. Plutôt, en effet, que d’obliger RTE, lors de brusques hausses de la consommation, à acheter de l’électricité plus chère et produite par des centrales au fioul ou au gaz très émettrices de CO2, l’effacement diffus permet de valoriser du courant non consommé.
Si la pratique de l’effacement procure des avantages à la collectivité en matière de maîtrise de la demande d’énergie ou de sobriété énergétique, elle autorise néanmoins les opérateurs d’effacement à valoriser leurs mégawatts non consommés sur les marchés. Les kilowatts effacés ayant été préalablement achetés par un fournisseur tel qu’EDF, Direct Énergie ou GDF Suez au producteur, qui les achemine vers ses clients sans savoir s’ils seront effacés ou non, le législateur, depuis la loi Brottes, demande aux « effaceurs » de payer ces mégawatts aux fournisseurs au moyen d’un versement, mais il leur offre aussi une prime, subventionnée par la contribution au service public de l’électricité, taxe acquittée par le consommateur final.
Début 2015, le ministère a fixé à 16 euros par mégawattheure effacé en heures pleines, de 7 à 23 heures, le tarif de cette prime d’effacement, ce qui représentera, selon les estimations de la Commission de régulation de l’énergie, une facture d’environ 250 millions d’euros sur dix ans, dans l’hypothèse d’une croissance annuelle de la capacité d’effacement de 750 mégawatts, contre environ 500 mégawatts au total aujourd’hui. Alors que le prix de l’électricité ne cesse d’augmenter en France ces dernières années, aggravant la précarité énergétique de millions de nos concitoyens, la facture s’alourdit encore pour le consommateur final.
Avec la loi sur la transition énergétique, la prime aux opérateurs a été remplacée par un système d’appel d’offres rémunérant les effacements de consommation du candidat retenu.
Comme nous le rappelait Mme Marie-Noëlle Battistel, la loi relative à la transition énergétique a en outre défini deux régimes qui ne sont pas cumulables : le régime général, qui permet aux opérateurs de se rémunérer via le système d’appel d’offres, et le régime dérogatoire qui, en cas d’économie d’énergie significative, permet de répartir le paiement fait aux fournisseurs entre l’opérateur d’effacement et le gestionnaire de réseaux. Les coûts supportés par ce dernier sont ensuite couverts par la communauté des fournisseurs au moyen d’un « règlement des écarts ».
Ce système présente à son tour deux écueils majeurs : il revient, d’une part, à créer une sorte de caisse d’assurance des opérateurs d’effacement contre les économies d’énergie et, d’autre part, écarte RTE de toute activité d’opérateur d’effacement au nom de la neutralité.
Nous pouvons dire, sans mauvais jeu de mot, que la loi de transition énergétique a créé une véritable usine à gaz qui, à défaut de permettre des économies substantielles en matière d’émission de gaz à effet de serre, permet aux opérateurs privés de l’effacement d’engranger de juteux profits.
Le créneau a été flairé voilà plusieurs années par la société Voltalis, seule entreprise sur le créneau de l’effacement diffus, qui équipe gratuitement les foyers de particuliers, avec le soutien de collectivités locales, de boîtiers permettant d’éteindre leurs radiateurs électriques et chauffe-eau, sans que le consommateur ait la main, la chronologie des coupures étant entièrement maîtrisée par Voltalis en fonction des besoins, mais aussi des opportunités du marché.
Les ménages, en revanche, ne bénéficient pas de l’effacement. Les profits s’accumulent dans leur dos, alors que ce sont eux qui fournissent l’effort indispensable à tout cet édifice en acceptant la coupure de leur chauffage électrique ou de leur chauffe-eau pendant cinq à quinze minutes. C’est le particulier qui se prive, mais c’est Voltalis qui valorise son geste et ce sont les fournisseurs qui s’indemnisent contre ce manque à gagner. Tout se passe comme si le petit monde des acteurs économiques de l’énergie avait, avec la caution des pouvoirs publics, trouvé un arrangement.
L’association UFC-Que Choisir a porté plainte devant le Conseil d’État contre le dispositif, qu’elle juge scandaleux, de l’effacement diffus. « Il n’y a pas d’intérêt général poursuivi », expliquait l’association, mais « un système approximatif en fonction d’intérêts particuliers ». La Coalition France pour l’efficacité énergétique, qui regroupe des associations et des entreprises, considère pour sa part que la tarification de l’électricité modulable en fonction d’heures pleines et creuses serait le moyen le plus économiquement efficace de soutien aux effacements.
Nous souscrivons aux critiques contre l’effacement diffus et le racket pur et simple qu’il organise en faisant les poches des usagers pour le plus grand profit de groupes capitalistes, à l’image de Voltalis, dont la famille Mulliez est le principal soutien.
Nous sommes d’autant plus opposés au déploiement du marché de l’effacement diffus que son efficacité en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre n’est pas établie. D’après l’ADEME, qui a réalisé en 2012 la seule étude indépendante sur le sujet, le taux d’économie d’électricité obtenu les jours d’effacement par rapport à la consommation journalière d’un foyer ne dépasse pas 6,8 à 8,3 %. Les économies sur le chauffe-eau sont nulles – toute l’énergie effacée est à nouveau consommée – et, pour le chauffage électrique, un effacement sur 33 % du temps engendre une économie de 13,2 %. Selon l’ADEME, les économies « peuvent être en partie annulées par un surplus de consommation à l’issue de la période d’effacement, par exemple pour remettre le logement à la température souhaitée ».
C’est sur cette base que l’Autorité de la concurrence a conclu, en 2013, que le subventionnement de l’activité d’effacement n’était pas pertinent, déclarant qu’« il apparaît que le lien entre effacement de consommation et économies d’énergie n’est pas clairement démontré ».
Opposés à la réforme structurelle du marché et du prix de l’électricité, qui s’opère sur les décombres du service public de l’énergie, nous ne saurions, en tout état de cause, cautionner le dispositif proposé par nos collègues. Pas plus que lors de l’examen du projet de loi sur la transition énergétique, nous ne nous satisfaisons de l’existence d’un marché de l’effacement, quand la priorité nous semble au contraire de réaffirmer l’exigence d’une maîtrise publique de l’énergie, plus à même de répondre aux enjeux sociaux et environnementaux qui nous occupent.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Noëlle Battistel.
Mme Marie-Noëlle Battistel. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur, chers collègues, la loi sur la transition énergétique adoptée cet été a fixé les grands objectifs du nouveau modèle énergétique français en rééquilibrant le mix énergétique. Elle prévoit une série de mesures pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre et diminuer notre consommation pour une meilleure efficacité énergétique, notamment en matière de réhabilitation thermique et d’économies d’énergie.
L’effacement industriel nécessaire à la compétitivité de nos entreprises est également l’un des axes de la loi pour atteindre cet objectif d’efficacité, tout comme l’effacement diffus, moins connu, qui concerne les particuliers.
Avec cette loi qui se veut équilibrée et ambitieuse, la France est en ordre de marche, alors qu’elle reçoit la conférence de Paris sur le climat, réunissant 147 chefs d’État, qui débutera la semaine prochaine et qui, nous l’espérons, aboutira à un nouvel accord international sur le climat, applicable à tous les pays.
La proposition de loi portée par M. Jégo et que nous discutons aujourd’hui concerne l’effacement diffus, qui peut être un très bon outil de réduction des consommations énergétiques, notamment en période de pointe, contribuant à la sécurité d’approvisionnement et offrant de la flexibilité au système. Il permet également l’accompagnement du développement des énergies renouvelables.
Permettez-moi de rappeler brièvement le contexte législatif.
En 2013 est votée la loi Brottes, visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre. Cette loi définit, pour la première fois, un cadre pour les effacements « explicites », c’est-à-dire permettant la valorisation de l’énergie effacée sur les marchés de l’énergie. Le principe d’une rémunération des fournisseurs par les opérateurs d’effacement est posé, ainsi que celui du versement d’une prime aux opérateurs d’effacement, alimentée par la CSPE, au titre de leur contribution aux objectifs de la politique énergétique. La loi de 2013 a été mise en œuvre et des effacements diffus ont été valorisés sur le marché de l’électricité – même si, je vous l’accorde, monsieur le rapporteur, cela n’est pas suffisant.
En janvier 2015, dans le cadre de la commission spéciale pour l’examen du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, a été organisée une table ronde sur le sujet, au cours de laquelle tous les parlementaires présents et les entreprises du secteur invitées convenaient de la nécessité d’un versement des opérateurs aux fournisseurs, mais toute la question était de savoir comment devait être calculé ce versement.
En juillet dernier, la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte en a tiré les enseignements et a modifié la loi Brottes. La prime aux opérateurs a été remplacée par un système d’appels d’offres rémunérant les effacements de consommation du candidat retenu et dont les modalités sont fixées par arrêté des ministres chargés de l’énergie et de l’économie. Le système d’appel d’offres a l’avantage, à l’inverse de la prime, de mieux maîtriser les charges du soutien public, et donc l’impact sur la facture du consommateur, et de piloter le déploiement de la filière en volume.
Le rôle des gestionnaires de réseau dans la mise en œuvre est également clarifié. Ainsi, RTE ne peut pas exercer l’activité d’opérateur d’effacement, car il assure déjà la mise en œuvre technique des effacements et doit donc rester neutre.
Enfin, la loi sur la transition énergétique définit deux régimes, qui ne sont pas cumulables. Le premier est le régime général, qui permet aux opérateurs de se rémunérer via le système d’appels d’offres. Les capacités d’effacement sont rémunérées dans le cadre de ces appels d’offres et ne peuvent pas bénéficier du régime dérogatoire qui permet aux opérateurs d’effacement de réduire leur contribution au versement fait aux fournisseurs. Le second est le régime dérogatoire, qui s’applique en cas d’économies d’énergies significatives, pour lequel la part du versement est mutualisée entre les fournisseurs, ce qui permet de répartir entre l’opérateur d’effacement et le gestionnaire de réseau le paiement fait au fournisseur. Les coûts supportés par le gestionnaire sont ensuite couverts par la communauté des fournisseurs dans le cadre d’un « règlement des écarts ».
Aujourd’hui, quatre mois tout juste après la promulgation de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, vous déposez, monsieur Jégo, une proposition de loi qui revient sur certaines de ses dispositions, en particulier sur la répartition du bénéfice, sur la base d’amendements que vous aviez déposés, qui avaient été largement débattus et que nous avions repoussés.
Je rappelle qu’un dispositif équilibré a été trouvé dans la loi, prenant en compte toute la diversité des types d’effacement, et que le Gouvernement doit d’ailleurs lancer les premiers appels d’offres et en évaluer les retours d’expérience. Par ailleurs, l’article 168 de la loi prévoit de confier à la CRE un rapport d’évaluation du régime de versement et de l’incidence de l’effacement sur les prix. À ce stade, en outre, aucune évaluation nouvelle et partagée n’a été réalisée, notamment sur la question du report – on ne peut, en effet, se fonder sur le postulat qu’il n’y aurait aucun report dans tout effacement et que tout effacement serait égal à une économie d’énergie. Cette question est, du reste, régulièrement soulevée par les associations de consommateurs.
Les résultats des calculs des reports peuvent d’ailleurs s’avérer très différents selon que l’on modélise à quelques heures ou à quelques jours. Aucune évaluation nouvelle n’a été réalisée sur l’impact escompté sur les économies d’émissions de gaz à effet de serre et sur le gain pour le consommateur.
Enfin, une étude a été confiée par la Commission de régulation de l’énergie à RTE sur la question de l’effacement diffus concernant le report, le contrôle de la réalité des effacements et la prise en compte des effets de bords.
Par conséquent, aucune analyse technico-économique nouvelle ne justifie aujourd’hui que l’on revienne sur la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte pour modifier les règles de soutien à l’effacement diffus. Même si chacun ici est convaincu que l’effacement est un dispositif vertueux, et même si personne ne conteste la nécessité de sa mise en œuvre, il mérite un développement ambitieux et maîtrisé.
Malgré des perspectives écologiques et économiques intéressantes, l’effacement, qui contribue aux économies d’énergies s’inscrit aujourd’hui dans une zone d’instabilité, à l’aube d’une nouvelle filière de développement industriel.
Le sujet mérite une expertise approfondie car de nombreuses questions restent en suspens, notamment sur le choix du bon modèle économique, sur la répartition des gains retirés de l’effacement et sur la répercussion sur le prix payé par le consommateur.
Nous ne souhaitons pas légiférer dans la précipitation sur un sujet aux enjeux aussi importants. Une mission d’information a d’ailleurs été lancée par Mme Massat, présidente de la commission des affaires économiques. Nous conduirons cette mission, monsieur Jégo, vous en tant que président et moi-même en tant que rapporteure. Ce sera l’occasion d’approfondir ce sujet d’importance sur toutes les interrogations que je viens d’évoquer.
Dans le cadre de cette mission, que je considère utile et nécessaire, nous aurons l’occasion d’auditionner des associations de consommateurs, des opérateurs de l’effacement, des syndicats, des universitaires et spécialistes des questions d’énergies pour permettre l’étude et l’approfondissement de toutes les solutions et trouver le meilleur équilibre pour économiser l’énergie, rémunérer l’effacement et agir sur le pouvoir d’achat du consommateur.
Vous comprendrez donc, monsieur le rapporteur, que nous ne pouvons aujourd’hui adopter en l’état votre proposition de loi. Mais nous n’enterrons pas le dossier car nous soutenons les dispositifs d’effacement. Nous considérons cette question avec grand intérêt, et la mission d’information qui a été créée permettra d’approfondir tous ces thèmes. Nous proposerons donc la suppression de l’article unique de votre proposition de loi.
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Gibbes.
M. Daniel Gibbes. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, nous examinons aujourd’hui une proposition de loi de notre collègue Yves Jégo sur un sujet qui, je le sais, lui tient à cœur : l’effacement électrique diffus. Il faut l’avouer, ce sujet technique et complexe n’est maîtrisé que par quelques spécialistes. Pourtant, l’effacement électrique diffus mérite d’être popularisé auprès des consommateurs comme des professionnels.
De quoi s’agit-il ? Il s’agit d’un dispositif permettant de réduire les émissions de gaz à effet de serre en faisant baisser temporairement, chez des consommateurs, le niveau de soutirage effectif d’électricité sur les réseaux publics. Ainsi efface-t-on l’électricité avant qu’elle ne soit consommée, d’où l’expression « effacement de consommation ».
Plus précisément, un opérateur d’effacement soustrait une quantité d’électricité à des consommateurs volontaires, via des microcoupures, afin de l’injecter sur le marché de l’énergie et sur le mécanisme d’ajustement de l’offre et de la demande.
L’effacement électrique a un véritable intérêt en période de forte consommation. En effet, en hiver, lorsque la température baisse ne serait-ce que d’un degré, la consommation augmente de 2 300 mégawatts, soit deux fois la consommation de la ville de Marseille. Lors de ces périodes dites « de pointe », l’effacement électrique permet d’équilibrer le réseau sans recourir à une augmentation de la production, à la fois coûteuse et néfaste en termes de développement durable.
Pour les consommateurs, l’effacement électrique permet de faire baisser la facture grâce aux économies d’électricité réalisées. En période de difficultés économiques, les consommateurs auraient donc tout intérêt à se porter volontaires, alors même que leur quotidien ne se trouve en aucun cas impacté par les microcoupures.
Enfin, d’un point de vue économique, le développement de l’effacement électrique peut faire émerger des acteurs français champions de cette technologie. Comme l’a très justement remarqué Yves Jégo dans son rapport, des entreprises françaises ont déjà élaboré des techniques pour gérer les microcoupures d’électricité. La France pourrait donc devenir un des leaders mondiaux du savoir-faire technique de l’effacement diffus, avec à la clé la création de nombreux emplois.
L’effacement électrique présente donc toutes les qualités, économiques et environnementales, pour être encouragé par les pouvoirs publics. Or, pour cela, il est indispensable que le cadre juridique, c’est-à-dire les droits et devoirs de chaque acteur, soit clairement défini et équilibré.
Ce cadre juridique, issu initialement de la « loi Brottes » de 2013, règle les relations financières entre l’opérateur d’effacement et le fournisseur d’électricité du site effacé, le premier devant verser au second une compensation financière puisque, d’une part, l’électricité effacée ne sera pas consommée par le consommateur et donc ne sera pas payée ; d’autre part, l’opérateur d’effacement peut revendre cette électricité sur le marché et ainsi retirer un gain financier pour une électricité qu’il n’aura pas produite mais seulement réorientée.
Le montant de la compensation financière, appelée « versement », dépendra du type d’effacement, c’est-à-dire selon qu’il conduit à une véritable économie d’énergie ou à un simple report de consommation sur le réseau, et donc des bénéfices retirés ou non par l’opérateur d’effacement.
Si la loi Brottes a déterminé un cadre juridique applicable à l’effacement électrique, elle ne lui a malheureusement pas permis de se développer significativement. Or, on estime que la capacité d’énergie effacée s’élèverait à 500 mégawatts et concernerait 100 000 foyers. Il est donc indispensable de promouvoir l’effacement électrique et de le rendre attractif sur le marché de l’énergie.
C’est la raison pour laquelle la loi relative à la transition énergétique entend réformer son cadre juridique. Lors de l’examen de l’article 168 de cette loi, de longs débats avaient été engagés, notamment autour des propositions d’Yves Jégo. Julien Aubert, l’orateur de notre groupe, avait soutenu ces propositions, rappelant que « la meilleure énergie est celle qu’on ne produit pas, qu’on ne dépense pas. L’effacement est donc la meilleure façon de réussir la transition énergétique. »
À la veille de la COP21, il apparaît opportun de valoriser ce dispositif utile en termes de maîtrise de la consommation énergétique et de développement durable. La proposition de loi d’Yves Jégo a le mérite de reprendre le débat sur l’effacement électrique afin de le mettre sur le devant de la scène et le rendre plus attractif auprès des opérateurs, en clarifiant les modalités du versement aux fournisseurs.
Les députés du groupe Les Républicains ne peuvent être que favorables à cet objectif et soutenir la proposition de loi. La commission des affaires économiques n’a d’ailleurs pas remis en cause cette proposition de loi, mais a renvoyé aux conclusions de la mission d’information sur l’effacement électrique diffus qui vient d’être lancée. Nous souhaitons par conséquent que cette mission d’information travaille rapidement et fasse des propositions pragmatiques et équilibrées pour tous les acteurs de la chaîne : opérateur d’effacement, fournisseur et, bien sûr, consommateurs.
M. Philippe Gomes. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Christophe Borgel.
M. Christophe Borgel. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, je ne reviendrai pas sur ce qu’est l’effacement diffus, plusieurs intervenants avant moi ayant amplement développé ce thème.
Je me concentrerai sur les questions auxquelles nous devrons répondre si nous voulons faire avancer le dossier de l’effacement diffus. J’expliquerai pourquoi le groupe socialiste estime que le chemin que nous propose notre collègue Yves Jégo n’est pas le bon, à ce stade, et pourquoi nous privilégions la proposition de la présidente de la commission des affaires économiques d’une mission d’information.
Certes, l’idée est séduisante : effacer une petite quantité de l’électricité consommée chez de très nombreux particuliers permettrait de réduire les émissions de CO2. Cela permettrait en outre d’intervenir sur le prix du marché pour les fournisseurs et sur le transport d’électricité pour le gestionnaire du réseau de transport ; cela permettrait enfin une baisse de la facture pour le consommateur.
Pourquoi, dès lors, ne pas immédiatement emprunter cette voie ? Le problème tient à ce que, si tous les éléments énoncés ont l’air de fonctionner parfaitement, les réponses apportées à chaque étape ne sont pas totalement précisées ni assurées, comme le démontre la relecture des débats de la commission spéciale et de la séance sur la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte.
Des risques existent : si, au lieu du schéma idéal que j’ai résumé, un problème survient chez le fournisseur d’énergie, celui-ci, ayant l’obligation d’équilibrer le système de consommation, injectera de toute façon de l’électricité, même si elle n’est pas consommée. Faute d’une baisse de l’achat d’électricité par le fournisseur, cela pose un premier problème. La facture pour le consommateur peut baisser mais, on l’a vu dans d’autres circonstances, si in fine le système n’est pas équilibré, c’est vers le consommateur que l’on se retournera pour assurer cet équilibre.
Si l’on souhaite progresser dans la voie de l’effacement, il faut préciser ce qu’il se passe à chaque étape pour le fournisseur. Baisse réelle du prix d’achat de l’énergie, diminution de la masse d’énergie qu’il doit injecter dans le système pour garantir l’équilibre entre l’offre et la demande, baisse du transport pour le gestionnaire, baisse de la facture pour le consommateur : si l’on veut faire avancer la cause de l’effacement, si l’on souhaite que les opérateurs d’effacement qui investiront, si cela se développe, en tirent une rémunération, il faut apporter des réponses précises à chaque étape.
La méthode que nous propose notre collègue Jégo – avec constance, je le reconnais –, c’est, quelques semaines après le débat sur la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, de revenir sur les mêmes sujets sans les éclairer beaucoup. Certes, un rapport de RTE apporte quelques éléments, mais l’essentiel des questions reste posé.
La mission d’information que propose la commission des affaires économiques paraît donc être le bon choix. Ainsi que la présidente l’a indiqué lors de la réunion de la commission, il s’agit d’une « mission flash ». Certes, il peut paraître étrange de se concentrer sur de tels sujets, quand on pense aux épreuves que traverse notre pays. Mais la vie parlementaire et la vie de la planète continuent et, même si l’effacement diffus n’en constitue qu’une petite partie, nous avons tous conscience de parler d’un sujet essentiel pour l’avenir de la planète.
La voie à suivre est donc celle de la mission. Celle-ci doit se tenir dans un temps court pour pouvoir apporter des réponses en cohérence avec les textes réglementaires en application de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte.
Je veux dire à nos collègues de l’UDI, qui se sont exprimés ici, que le groupe socialiste ne souhaite pas enterrer le débat, mais au contraire l’éclairer davantage pour aller plus vite.
Notre collègue Carvalho a cité un document qui nous a été adressé par les associations de consommateurs et par un certain nombre d’acteurs : ceux-ci disent qu’il faut laisser travailler en toute indépendance RTE et l’ADEME, qui sont des experts indépendants, loin des parlementaires qui seraient soumis aux lobbies.
Je souhaite lui répondre que nous pouvons être favorables à l’effacement ou au contraire nous inquiéter de ses conséquences sans pour autant céder, dans un cas comme dans l’autre, à la pression d’un quelconque lobby. Il est utile, indépendamment de ce que peuvent apporter les experts extérieurs à notre Assemblée, que les parlementaires se saisissent de cette question essentielle dans le débat sur l’avenir de la planète.
Mme la présidente. La discussion générale est close.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Yves Jégo, rapporteur. Cette proposition de loi déposée par le groupe UDI fait suite à la discussion d’amendements qui, à une voix près, n’ont pas recueilli l’assentiment de la majorité de cette Assemblée.
Un certain nombre de questions n’en demeurent pas moins posées en la matière.
Pour faire écho à ce que disait tout à l’heure la ministre, si la loi relative à la transition énergétique a modifié la loi Brottes, c’est que cette dernière ne fonctionnait pas. Voilà la réalité : en 2013, on a voté une loi et créé un système dont on s’est ensuite aperçu qu’ils ne marchaient pas, puis, on a inventé un autre système, les fameux appels d’offres. Je ne voudrais pas que, dans trois ans, on constate une fois de plus que les choses ne fonctionnent pas et que l’on a encore pris du retard.
Il est donc bon que la question de l’effacement électrique reste posée et que l’on puisse l’approfondir à l’occasion de nos débats.
Nombre d’intervenants ont souvent cité des représentants des associations de consommateurs mais leur avis ne correspond pas exactement à ce que j’ai quant à moi entendu, en tout cas de la part de l’UFC-Que choisir, laquelle semble absolument opposée à l’idée du versement – on ne doit pas verser quoi que ce soit aux fournisseurs.
Son dernier texte semble d’ailleurs saluer les perspectives ouvertes par cette proposition de loi. Il serait là encore souhaitable d’auditionner ses représentants dans le cadre de la mission d’information.
Je vous remercie, madame Massat, d’avoir créé cette dernière et de lui avoir donné un calendrier au fond assez resserré mais une question se pose à son propos : comme l’a dit la secrétaire d’État, visera-t-elle à contrôler l’application de la loi relative à la transition énergétique – mais nous n’aurons alors pas assez de recul – ou, ce que je souhaite évidemment, sera-t-elle chargée de faire des propositions sur le sujet qui nous préoccupe de manière à ce que celles-ci soient incluses assez rapidement dans un texte de loi – si l’on parvient à trouver les réponses qui satisfont tout le monde ?
Soit les appels d’offres qui seront lancés rétabliront la prime, soit ils instaureront un système de compensation du versement qui ne sera pas très éloigné de celui proposé par cette proposition de loi. Quoi qu’il en soit, la situation sera très vite éclaircie.
Je remercie chacun des intervenants. Si je comprends parfaitement que la majorité et le Gouvernement souhaitent rester cohérents par rapport à la loi relative à la transition énergétique, qui n’est pas si ancienne que cela, vous comprendrez également que ceux qui se sont mobilisés pour essayer de défendre les idées de cette proposition de loi fassent également preuve de constance.
Si, d’ici quelques semaines, nous parvenons à faire en sorte que ces deux chemins se croisent, nous aurons progressé ensemble.
Comme l’a dit M. Borgel, une discussion aussi technique est peut-être en décalage par rapport à l’ambiance, au climat et à la situation de notre pays mais pas autant, toutefois, que l’on pourrait le croire de prime abord : 140 chefs d’État se réunissent dans quelques jours à Paris pour réfléchir à l’avenir de la planète.
Le discours politique de la France consistera à dire qu’il n’est plus possible d’attendre : il faut prendre aujourd’hui les décisions qui auront demain un effet patent.
Si en quelques mois – et non en quelques heures, je veux bien l’admettre – nous parvenons à mettre en œuvre le dispositif proposé, nous pourrons marquer des points en matière de réduction de gaz à effet de serre.
C’est cela, le combat vital, et non la défense de tel ou tel, la prise en compte de telle ou telle habitude ou de tel ou tel intérêt sectoriel.
Il en va de notre capacité à utiliser moins souvent les centrales à charbon afin de limiter les émissions de CO2. Je crois que, sur ce point, nous pouvons nous rejoindre.
Je remercie à nouveau chacun d’entre vous.
À titre personnel, je n’approuve évidemment pas la suppression à venir de l’article unique de la proposition de loi mais je suis d’accord avec l’idée de mener un travail commun dans le cadre d’une mission dont les travaux, je l’espère, seront présentés très vite dans cet hémicycle et aboutiront à une solution consensuelle.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche.
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche. Monsieur le rapporteur, madame la présidente de la commission des affaires économiques, mesdames et messieurs les députés, je vous prie tout d’abord de bien vouloir m’excuser pour n’avoir pas assisté aux débuts de vos travaux mais, depuis ce matin, j’ai été retenu par une très longue négociation avec les différents acteurs de la SNCM et nous nous devions aboutir.
Je vous remercie, monsieur le rapporteur, de votre « piqûre de rappel », en quelque sorte, puisque tel était votre objectif si j’ai bien compris.
Au fond, Mme Battistel a bien résumé ce dernier et la situation qui est la nôtre : vous proposez un dispositif vertueux dont le développement mérite d’être maîtrisé. Je crois que vous avez trouvé les mots justes, madame.
Les uns et les autres avez démontré l’intérêt de ce système suite à la loi Brottes et au très long débat qui s’est déroulé ici même voilà quatre mois seulement et qui a abouti à l’article 168 de la loi relative à la transition énergétique, lequel témoigne de l’attachement des uns et des autres à la mise en place de l’effacement diffus.
Nous constatons qu’une manière de consensus se fait jour quant à l’objectif à atteindre et à la détermination pour ce faire mais des questions n’en demeurent pas moins ouvertes : celles des reports – y compris, dirais-je, sur le plan scientifique – ou du partage des gains de ce système.
M. Carvalho a fait état d’un certain nombre de réticences qui, même si on ne les partage pas, n’en font pas moins partie du débat public.
Dès lors, il y a quatre mois, vous avez décidé de la bonne marche à suivre, laquelle a été renforcée par l’initiative de la commission visant à mettre en place une mission d’information.
Celle-ci permettra de réaliser toutes les auditions nécessaires mais, surtout, d’essayer de parvenir à répondre à l’ensemble des questions qui se posent.
Le pire, sachant qu’il s’agit là d’une bonne idée, serait de prendre le risque de rater sa mise en œuvre. Telle est la question politique de fond !
Je répète l’engagement qui a été pris : comme la ministre Ségolène Royal – qui vous prie de bien vouloir l’excuser – l’a dit et redit, le Gouvernement est très attaché à l’application de ce dispositif.
J’ajoute que les initiatives qu’il a prises suite au vote de la loi relative à la transition énergétique pourront également éclairer vos travaux.
En effet, au mois de novembre, nous avons lancé un appel d’offres de 2 300 mégawatts pour développer l’effacement en général – cela représente une augmentation de 30 % par rapport aux appels d’offres des années précédentes – dont, surtout, un lot est dédié pour la première fois à l’effacement diffus, en l’occurrence à hauteur de 300 mégawatts, ce qui représente une hausse de 50 % par rapport aux effacements diffus existants.
Le Gouvernement ne se borne pas à faire des déclarations, il agit avec la commission dans le sens des objectifs que vous avez souhaité nous rappeler aujourd’hui, monsieur le rapporteur.
Comme Mme Battistel l’a fort bien dit : nous souhaitons vraiment maîtriser la mise en œuvre de cette idée vertueuse. Aujourd’hui, il est trop tôt pour prendre des risques mais il est temps de rappeler notre détermination commune pour parvenir à l’appliquer. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
Mme la présidente. J’appelle maintenant l’article unique de la proposition de loi dans le texte dont l’Assemblée a été saisie initialement puisque la commission n’en a pas adopté.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Noëlle Battistel, pour soutenir l’amendement de suppression no 1.
Mme Marie-Noëlle Battistel. Cet amendement vise en effet à supprimer l’article unique de ce texte.
Je tiens à rappeler que, malgré les vertus de l’effacement diffus – je les ai largement développées pendant la discussion générale –, nous considérons que cet article revient sur certaines dispositions de la loi relative à la transition énergétique adoptée il y a seulement quatre mois, et tout particulièrement sur la répartition du bénéfice, sans que nous disposions d’une évaluation du retour d’expérience et alors que le Gouvernement lance les premiers appels d’offres.
Ce sujet mérite une expertise plus poussée et la mission d’information permettra d’approfondir tous les questionnements qui, à ce jour, demeurent en suspens.
Elle permettra aussi de déterminer pourquoi ce dispositif reste à ce jour peu efficace.
Sur un sujet aussi important, rien ne serait pire que de légiférer dans la précipitation. Attendons donc les conclusions de la mission et supprimons cet article unique !
Mme la présidente. Vous vous êtes déjà prononcé sur cet amendement, monsieur le rapporteur…
M. Yves Jégo, rapporteur. En effet : je regrette qu’il ait été déposé mais j’en prends acte. Je reste toutefois défavorable à son adoption.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. Avis favorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Folliot.
M. Philippe Folliot. Juste un mot, madame la présidente.
Monsieur le rapporteur, cette proposition de loi n’est pas bonne mais très bonne.
Compte tenu de vos propos sur les vertus de ce texte, monsieur le secrétaire d’État, on ne peut que s’étonner de votre avis favorable à cet amendement de suppression.
Dans notre pays, il est toujours trop tôt pour bien faire ! Il serait plus judicieux de voter ce texte, donc, contre un tel amendement.
Vient le moment, en effet, où il importe de donner des signes.
Mme Marie-Noëlle Battistel. C’est ce que nous faisons en procédant ainsi !
M. Philippe Folliot. Nous parlions ce matin de l’amour et des preuves d’amour. La COP21 se profilant, nous donnerions à l’environnement une preuve d’amour en votant ce texte !
Votre amendement de suppression, ma chère collègue Battistel, me paraît particulièrement mal venu.
Je ne reviendrai pas sur les propos qui ont été tenus quant au caractère vertueux des propositions de notre excellent collègue Yves Jégo mais il me paraît sage de repousser cet amendement pour avancer enfin et faire en sorte que nous disposions d’un nouveau cadre législatif, plus adéquat avec la réalité des situations et qui, finalement, nous permettrait de donner un signe positif avant la COP21.
Tel était le sens de cette proposition de loi défendue par l’UDI ! Un tel cadre aurait permis d’être positivement vertueux, c’est important.
Le groupe UDI votera bien évidemment contre cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Laurent.
M. Jean-Luc Laurent. Très brièvement.
Compte tenu du débat que nous avons eu en commission et des éléments dont nos collègues nous ont fait part, nous devons prendre la mesure des choses.
Je sais que vous avez envie de donner des preuves d’amour, monsieur Folliot, mais gardons la mesure des choses : il s’agit d’effacement électrique !
Mme Battistel l’a dit : des avancées ont eu lieu sur cette question-là dans la loi relative à la transition énergétique, une mission d’information permettra d’approfondir l’ensemble des questions qui se posent et je ne doute pas que nous parviendrons de surcroît à nous rassembler autour de propositions encore plus complètes que celles proposées par l’auteur de la proposition de loi.
Je soutiens donc pleinement cet amendement de suppression… et de sagesse pour nous permettre d’avancer tous ensemble.
Mme Frédérique Massat, présidente de la commission des affaires économiques. Très bien !
(L’amendement no 1 est adopté et l’article unique est supprimé.)
Mme la présidente. Nous avons achevé l’examen de la proposition de loi.
L’Assemblée ayant supprimé son article unique, il n’y aura pas lieu de procéder au vote solennel décidé par la Conférence des Présidents.
M. Philippe Folliot et M. Philippe Gomes. Quel dommage !
Mme la présidente. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures, est reprise à dix-huit heures cinq.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi organique de M. Philippe Gomes tendant à faciliter la création d’autorités administratives indépendantes en Nouvelle-Calédonie (nos 3224, 3067).
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Gomes, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
M. Philippe Gomes, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Madame la présidente, madame la ministre des outre-mer, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui, dans le cadre de ce que l’on appelle la niche de l’Union des démocrates et indépendants, pour examiner la proposition de loi organique que j’ai déposée le 17 septembre 2015, et qui vise à régler un problème qui se pose dans notre pays : la création d’autorités administratives indépendantes et, en l’occurrence, d’une autorité de la concurrence, que la Nouvelle-Calédonie appelle de ses vœux depuis longtemps.
Avant d’en venir au texte lui-même, je souhaiterais rappeler le contexte dans lequel s’inscrit la création de cette autorité administrative indépendante.
L’Autorité de la concurrence nationale est venue à deux reprises en Nouvelle-Calédonie et a rendu deux rapports extrêmement intéressants…
M. René Dosière. Passionnants !
M. Philippe Gomes, rapporteur. …qui rappellent les causes structurelles de la vie chère en Nouvelle-Calédonie. Elles sont connues et se font également sentir dans de nombreux petits pays insulaires, ainsi que dans les départements d’outre-mer – en Guadeloupe, en Martinique ou à la Réunion, par exemple. Parmi ces causes, on compte d’abord l’insularité – il est clair que ce n’est pas un cadre qui favorise les meilleurs prix ; l’éloignement – la Nouvelle-Calédonie se trouve à des distances respectables des pays alentour, qu’il s’agisse de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande, et encore plus de son principal fournisseur, qui reste l’Europe ; un marché restreint, enfin – avec 250 000 habitants, elle constitue un micromarché, et il est évident que les prix ne peuvent y être véritablement compétitifs. L’Autorité de la concurrence indique par ailleurs ce que l’on savait déjà – on ne l’a pas fait venir par hasard –, à savoir que certains secteurs connaissent des concentrations excessives, notamment celui de la distribution de biens et de services.
C’est dans ce contexte que j’ai déposé, au titre du groupe politique auquel j’appartiens en Nouvelle-Calédonie, le groupe Calédonie ensemble, une proposition de loi, dénommée communément « loi antitrust », qui vise à éviter ces concentrations excessives et qui a été adoptée à la fin de l’année 2013 par le Congrès de la Nouvelle-Calédonie.
Les dispositions de cette loi sont simples et s’inspirent assez largement du droit métropolitain, mais elles le renforcent, pour tenir compte de la concentration particulièrement importante constatée en Nouvelle-Calédonie. Cette loi vise à contrôler les situations de croissance externe, notamment dans le cadre des fusions-acquisitions entre différentes sociétés. Dès lors que le chiffre d’affaires des deux sociétés dépasse 600 millions de francs CFP, la fusion ne peut avoir lieu qu’après autorisation – il faut d’abord s’assurer que la concurrence ne sera pas affectée dans le secteur d’activité concerné.
La loi instaure également un contrôle des opérations de croissance interne, à travers, notamment, des surfaces commerciales nouvelles, qui peuvent être ouvertes, dès lors qu’elles sont supérieures à 350 mètres carrés. Elle introduit, enfin, un dispositif particulier, l’injection structurelle, par laquelle l’Autorité de la concurrence peut obliger une entreprise à céder des actifs, lorsque la concurrence semble menacée dans un secteur donné et que la négociation entre l’Autorité et l’entreprise n’a pu aboutir à un accord amiable.
Tel est le dispositif global. Il a été contesté par certains en Nouvelle-Calédonie. Le texte a donné lieu à une seconde lecture, et même, ce qui est assez rare, à une saisine du Conseil constitutionnel. Celui-ci a statué : il a certes constaté que les dispositions de notre loi antitrust étaient plus restrictives que celles qui sont applicables en France métropolitaine, mais il a estimé que la situation particulière de la Nouvelle-Calédonie, ses spécificités, son niveau de concentration autorisaient que de pareilles dispositions soient prises et déclarées conformes à la Constitution de la République française.
Pour que ce dispositif soit vraiment contrôlé, qu’il y ait à sa tête un vrai gendarme, nous avons souhaité qu’une autorité administrative indépendante soit créée. Cela a été fait, après que le comité des signataires de l’accord de Nouméa, qui s’est réuni à la fin de l’année 2012, a trouvé un consensus sur le sujet. Dès lors, un projet de loi organique a été déposé et adopté par les assemblées. Il prévoit la possibilité, pour la Nouvelle-Calédonie, de créer des autorités administratives indépendantes et, en l’espèce, une autorité de la concurrence. Il introduit des dispositions particulièrement strictes en ce qui concerne les incompatibilités professionnelles, aussi bien du président que des membres de cette autorité. Il est notamment prévu que le Congrès de la Nouvelle-Calédonie, après avoir auditionné publiquement les candidats désireux de siéger au sein de cette autorité, se prononce à une majorité qualifiée – la majorité des trois cinquièmes.
Toutes les garanties d’impartialité ont donc été prises par le législateur pour que cette autorité voie le jour le plus rapidement possible. Force est pourtant de constater que nous avons échoué. En effet, cela fait deux ans que la loi a été adoptée et, pour autant, cette autorité n’a toujours pas été mise en place. La raison en est très simple : il est prévu notamment que les fonctions de membre de l’autorité sont incompatibles avec tout emploi public. Cette disposition ne soulève pas de difficulté en ce qui concerne le président de l’autorité, puisque cette fonction constitue un emploi à temps plein : il est donc tout à fait normal que celui-ci n’ait aucun emploi public à côté de ces fonctions. S’agissant, en revanche, des membres de l’autorité, il est bien spécifié que ce sont des membres non permanents. Dès lors, comment faire en sorte qu’ils n’exercent pas d’emploi public ? Il serait extrêmement difficile pour eux de ne vivre que de leurs vacations.
J’ai appelé l’attention de mes collègues sur ce sujet, dès que notre assemblée a examiné cette proposition de loi. J’ai hélas reçu un avis défavorable du Gouvernement et du rapporteur, mon cher collègue René Dosière, et n’ai donc pu faire aboutir ce projet. J’ai de nouveau appelé l’attention du Gouvernement sur ce dossier, lors de l’examen du projet de loi relatif à la constitution du corps électoral en vue de la sortie de l’accord de Nouméa – ce corps électoral qui doit nous permettre de voter dans des conditions de sincérité et de transparence lors du référendum de novembre 2018.
J’ai alors proposé, par voie d’amendement, que cet obstacle soit levé. Le rapporteur, que je salue et que je remercie, ainsi que le Gouvernement, par la voix de Mme la ministre, ont cette fois reconnu que la situation dans laquelle nous nous trouvions interdisait la création d’une autorité de la concurrence, mais ils ont indiqué qu’il ne leur semblait pas opportun de retenir cet amendement dans le cadre de la loi que nous examinions, étant donné qu’il portait sur une question fondamentalement différente. Le Gouvernement et le rapporteur se sont néanmoins engagés à soutenir toute proposition de loi organique qui serait déposée sur le sujet et qui viserait à régler cette difficulté.
Tel est le sens de cette proposition de loi organique ; le sens, également, de l’amendement que j’ai déposé en commission et qui a obtenu l’avis favorable unanime de la commission des lois.
Que dit ce texte ? Que dit cet amendement ? Ils sont d’une simplicité quasi biblique.
Il prévoit bien sûr que les fonctions de président d’une autorité administrative indépendante sont incompatibles avec tout emploi public, et que les fonctions de membre d’une telle autorité sont incompatibles avec tout emploi public exercé au sein des institutions de la Nouvelle-Calédonie, des provinces, des communes ou de leurs établissements publics. En clair, un emploi public exercé dans une administration de l’État en Nouvelle-Calédonie ou dans une administration de l’État ou d’une collectivité locale en France métropolitaine n’est pas considéré comme incompatible avec les fonctions de membre de l’autorité de la concurrence.
Enfin, le congrès de la Nouvelle-Calédonie, consulté dans le cadre de la proposition de loi organique déposée au Sénat par Mme Catherine Tasca, qui poursuit le même objet, a émis le souhait que soit prévue une incompatibilité pour les personnes susceptibles d’être nommées membres de l’autorité de la concurrence qui auraient exercé, au cours des trois années précédentes, un emploi public dans une collectivité calédonienne, qu’il s’agisse d’une administration de la Nouvelle-Calédonie elle-même, des provinces, des communes ou de leurs établissements publics. Ce délai de carence de trois années constitue donc un gage d’impartialité supplémentaire.
Tel est le sens de la proposition de loi organique que j’ai déposée. Son adoption permettra enfin l’installation, très attendue, de l’autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie, probablement dans le courant du premier semestre de l’année 2016. Aujourd’hui, c’est l’administration calédonienne qui suit la mise en œuvre de la loi anti-trust, ce qui est toujours susceptible de donner lieu à certains procès légitimes et justifiés compte tenu des enjeux de ces fusions-acquisitions et de ces opérations de concentration. Désormais, ce sera une autorité véritablement indépendante qui sera chargée de la mise en œuvre de cette loi de manière équilibrée.
C’est une chance pour notre pays. D’abord, la mise en place de cette autorité de la concurrence permettra très probablement, sur un pas de temps assez long, de l’ordre d’une décennie, à des secteurs dans lesquels l’activité est concentrée dans les mains de quelques-uns de connaître désormais une situation plus concurrentielle. Dès lors, on peut légitimement s’attendre à une baisse des prix. Par ailleurs, cette avancée législative permettra à d’autres entrepreneurs calédoniens d’investir enfin dans des secteurs jusqu’alors cadenassés, verrouillés, dans lesquels ils ne pouvaient pas s’engager. Pour le monde de l’entreprise en général et pour l’ensemble des citoyens calédoniens, ce sera une bonne nouvelle. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et du groupe Les Républicains.)
M. René Dosière. Tout à fait !
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre des outre-mer.
Mme George Pau-Langevin, ministre des outre-mer. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi organique tendant à faciliter la création d’autorités administratives indépendantes en Nouvelle-Calédonie. Cette modification de la loi organique du 19 mars 1999 devrait doter la Nouvelle-Calédonie d’un cadre juridique équilibré, de nature à permettre l’installation d’autorités administratives indépendantes sur son territoire.
La mise en place d’une autorité de la concurrence en Nouvelle-Calédonie est un vieux dossier. Cette collectivité détient en effet de larges compétences en matière de régulation économique. À ce titre, une réflexion a été engagée, depuis plusieurs années, sur la levée des obstacles à la libre concurrence car, comme dans d’autres territoires ultramarins, les prix des biens de consommation courante demeurent élevés.
Plusieurs raisons expliquent cet état de fait. Il y a bien sûr les difficultés touchant à l’insularité et à l’éloignement des circuits de distribution, mais il y a aussi l’excessive concentration de l’économie calédonienne. Ce constat est largement partagé au niveau local : dans certains secteurs, le nombre limité d’opérateurs révèle l’existence d’obstacles à la concurrence, lesquels maintiennent les prix à un niveau élevé.
En 2013, le législateur organique a donc modifié la loi statutaire de 1999 pour donner à la Nouvelle-Calédonie la possibilité de créer des autorités administratives indépendantes.
Exploitant cette nouvelle possibilité, la collectivité a créé, par la loi du pays du 24 avril 2014, une autorité de la concurrence. Selon les termes de cette loi du pays, l’autorité nouvellement établie doit veiller « au libre jeu de la concurrence en Nouvelle-Calédonie et au fonctionnement concurrentiel des marchés en Nouvelle-Calédonie ». Cette démarche convient au Gouvernement, puisqu’elle rejoint nos préoccupations constantes de lutte contre la vie chère dans les outre-mer.
Composée d’un président et de trois autres membres nommés pour une durée de cinq ans, cette autorité locale de la concurrence doit exercer en toute indépendance les prérogatives dévolues au gouvernement de la Nouvelle-Calédonie en matière de lutte contre les pratiques anticoncurrentielles. Des précautions ont été prises pour garantir l’impartialité de ses décisions. Une règle de déport a été introduite et un dispositif imaginé pour prévenir les conflits d’intérêts.
Toutefois, comme le disait le rapporteur, cette autorité n’a toujours pas commencé ses travaux. En effet, pour désigner les membres qui la composent, le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie se heurte à l’excessive rigueur du régime des incompatibilités. Si la nomination du président de l’autorité de la concurrence ne pose pas de difficultés sérieuses, puisqu’il exerce son office à temps plein, la nomination des autres membres du collège est plus délicate, dans la mesure où ceux-ci n’exercent leurs fonctions qu’en parallèle de leur activité principale. Dans la pratique, il s’est avéré difficile d’identifier des personnalités qualifiées dont l’activité principale ne tombe pas sous le coup des incompatibilités voulues par le législateur organique.
Le besoin s’est donc fait sentir de pondérer les garde-fous mis en place en 2013 en aidant le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie à pourvoir les postes de cette nouvelle autorité de la concurrence.
Le constat étant posé, nous avons cherché le vecteur législatif approprié. De prime abord, la loi relative à la consultation sur l’accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté pouvait sembler s’y prêter. Toutefois, le Gouvernement a préféré ne pas accepter d’amendements parlementaires allant dans ce sens, considérant que ce véhicule législatif n’était pas approprié du fait de son objet très particulier. Nous avons donc convenu qu’un texte dédié serait plus opportun pour lever la difficulté technique qui nous occupe aujourd’hui. J’avais pris cet engagement devant chacune des assemblées parlementaires.
Chacun a beaucoup travaillé. Deux propositions de loi organique ont été déposées, l’une au Sénat par Mme Tasca au mois de juin, l’autre à l’Assemblée nationale par M. Gomes en septembre. La semaine dernière, le Sénat a adopté la proposition de loi organique déposée par Mme la sénatrice Tasca. Aujourd’hui, nous examinons celle de M. Gomes. Je me félicite du travail interparlementaire entre députés et sénateurs, qui a permis de faire converger les points de vue des deux chambres : aujourd’hui, ces deux textes ont une rédaction identique. J’espère que nous trouverons la solution pour réunir ces deux processus.
Sur le fond, la proposition de loi organique dont nous discutons aujourd’hui propose de modifier l’article 27-1 de la loi organique du 19 mars 1999 pour limiter les incompatibilités applicables aux membres d’une autorité administrative indépendante aux seuls emplois publics exercés sur ce territoire. En d’autres termes, un fonctionnaire d’État tel qu’un universitaire ou un magistrat pourra exercer les fonctions de membre de l’autorité administrative indépendante. Conformément aux observations formulées par le congrès de la Nouvelle-Calédonie, un régime plus rigoureux sera mis en place pour le président de l’autorité de la concurrence.
Le texte propose également l’instauration d’un délai de carence appelé à faire obstacle à la désignation d’une personnalité qualifiée « si, au cours des trois années précédant sa nomination, [elle] a exercé un mandat électif ou détenu des intérêts considérés comme incompatibles » avec ces fonctions. Cette mesure, également souhaitée par le congrès, doit permettre de renforcer les garanties d’impartialité des autorités administratives indépendantes.
La proposition qui vous est soumise aujourd’hui trouve un équilibre réaliste entre l’obligation d’impartialité et la nécessité de désigner des personnalités qualifiées à l’expérience reconnue.
L’intérêt de la Nouvelle-Calédonie et la lutte contre la vie chère auront donc été le fil conducteur de l’approche consensuelle qui a présidé à la rédaction de ces textes. Je ne peux que m’en féliciter. (Applaudissements sur tous les bancs.)
Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Yves Jégo.
M. Yves Jégo. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je me réjouis que cette proposition de loi organique soit débattue. Je veux remercier le rapporteur et auteur de ce texte, et saluer sa pugnacité et sa détermination sur ce sujet.
Cette proposition de loi organique est évidemment soutenue par le groupe UDI. Pour ma part, elle appelle également deux réflexions.
Sur le fond, la lutte contre les concentrations trop importantes d’activités économiques dans les milieux insulaires ouvre un débat quelquefois virulent, mais indispensable pour nos outre-mer. Lorsque j’étais aux responsabilités, j’ai pu mesurer de façon très douloureuse combien ces questions pouvaient trouver des traductions violentes et combien nos compatriotes ultramarins attendaient que nous agissions de la meilleure manière pour éviter des situations capitalistiques entraînant une hausse des prix absolument insupportable.
Nous pouvons donc nous réjouir que cette autorité indépendante puisse enfin exister et être mise en place concrètement, grâce à la proposition de loi organique qui sera votée aujourd’hui, je l’espère, par l’ensemble de notre assemblée. Il faut savoir reconnaître les erreurs que nous avons commises. Sans doute avons-nous fait preuve, dans le texte qui s’applique aujourd’hui, d’une trop grande prudence sur la question des incompatibilités. Puisque la loi n’était manifestement pas applicable et que l’autorité ne pouvait pas être créée, nous devons corriger ces erreurs.
Sur le fond, donc, j’approuve totalement ce dispositif.
Sur la forme, je souhaite faire une remarque qui sort un peu – mais pas tout à fait – de notre débat, mais je peux me le permettre puisque je serai loin d’utiliser les dix minutes de temps de parole qui ne sont accordées. Je déplore qu’il y ait, entre les discours politiques, les annonces politiques et leur mise en œuvre opérationnelle, des délais incompréhensibles pour nos compatriotes.
À l’époque où j’étais en charge du ministère de la rue Oudinot, cette question commençait à naître dans les esprits. Cinq ou six ans plus tard, force est de constater que nous sommes encore en train de corriger nos erreurs pour que les dispositions votées deviennent opérationnelles, si tout va bien, en 2016, et qu’elles produisent peut-être leurs premiers effets en 2017 ou en 2018 pour nos compatriotes de Nouvelle-Calédonie. À ce simple exemple, on mesure les défauts de notre système et sans doute la nécessité qu’il y aura, à un moment ou un autre, d’être plus pragmatiques pour être plus efficaces et plus rapides dans nos décisions.
Nous discutons d’une question technique. J’espère qu’elle fera l’objet d’un consensus, comme l’intervention de Mme la ministre le laisse présager. Cependant, nous avons perdu un temps considérable. En attendant, les souffrances et les difficultés perdurent. Avec cette question des délais, c’est la crédibilité des pouvoirs publics qui est en jeu.
Sur le fond, donc, j’approuve ce texte et je félicite Philippe Gomes d’avoir porté ce sujet avec conviction. Sur la forme, je souhaite, comme l’ensemble de notre assemblée, que nous puissions réfléchir à la manière d’être plus pragmatiques, plus rapides, et de faire en sorte que ce que nous votons soit opérationnel le plus rapidement possible. Ce dossier est un bel exemple de ce qu’il ne faut plus faire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Tourret.
M. Alain Tourret. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, nous sommes conscients que le coût de la vie et les prix des biens de consommation sont plus élevés en outre-mer qu’en métropole. Tous ceux qui se sont rendus à La Réunion et à Tahiti s’en sont rendu compte – les rares à être allés en Nouvelle-Calédonie également !
Nous avons déjà pu exprimer notre satisfaction suite à la mise en place de mesures visant à lutter contre la vie chère, permettant une meilleure prise en compte des besoins de la population ainsi qu’une baisse sensible des prix. Ces mesures passaient notamment par l’extension du champ d’application territoriale de l’Observatoire des prix, des marges et des revenus à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy, et par l’application à Saint-Martin du bouclier qualité-prix, c’est-à-dire des accords annuels de modération des prix.
Nous avions alors insisté sur le besoin de prendre en compte la spécificité des territoires ultramarins, afin de permettre une baisse de prix des produits, dont la plupart sont importés. Je rappelle que la loi du 20 novembre 2012, que nous avons soutenue, a étendu la mission des six observatoires des prix, mis en place en 2007, à l’analyse du niveau et de la structure des marges.
Or force est de constater qu’en Nouvelle-Calédonie, l’étendue de l’offre en matière de biens de consommation est limitée.
En effet, comme le rapporteur Philippe Gomes a pu le préciser, la Nouvelle-Calédonie fait face à un secteur économique contraint, en raison d’une concurrence amoindrie quant à la fourniture de biens et services. En 2012, l’Autorité de la concurrence notait que pour le grand Nouméa, seuls deux groupes, à savoir le groupe Bernard Hayot et le groupe Kenu-In détenaient plus de 80 % de parts de marché en surfaces de vente. Cette absence de concurrence entraîne un surcoût des prix et un abondement des marges, inconvénients qui pourraient être atténués par la mise en place d’une Autorité de la concurrence à Nouméa.
Or le rapporteur précise que les dispositions actuellement applicables en Nouvelle-Calédonie rendent impossible le recrutement de candidats pour les emplois en Nouvelle-Calédonie, en raison de nombreuses incompatibilités applicables. Il est donc proposé de rendre compatible l’exercice de la fonction de membre d’une autorité administrative indépendante calédonienne avec un emploi public, notamment dans la fonction publique d’État dès lors que le membre n’est pas placé sous l’autorité des institutions ou communes de la Nouvelle-Calédonie.
En effet, en l’état actuel des dispositions de l’article 27-1 de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, « la fonction de membre d’une autorité administrative indépendante est incompatible avec tout mandat électif, tout autre emploi public et toute détention, directe ou indirecte, d’intérêts dans une entreprise du secteur dont ladite autorité assure la régulation ». Cela semble en effet extrêmement sévère.
Le texte tel qu’issu de la commission des lois prévoit également que la fonction de président ou de membre d’une autorité administrative indépendante est incompatible pour une personne ayant, dans les trois années précédant sa nomination, exercé un mandat électif ou détenu, de manière directe ou indirecte, des intérêts dans les entreprises du secteur régulé.
En revanche, il est prévu que la fonction de Président reste incompatible avec l’exercice d’un emploi public au sein des institutions de la Nouvelle-Calédonie, des provinces et des communes de la Nouvelle-Calédonie ainsi que leurs établissements publics.
Enfin, il a été ajouté en commission des lois de l’Assemblée nationale qu’il ne pouvait être mis fin au mandat d’un membre d’une autorité administrative indépendante qu’en cas d’empêchement ou de manquement à ses obligations, constaté par une décision unanime des autres membres de l’Autorité.
Aussi et parce que ce texte va dans le sens d’une concurrence plus efficace des marchés en Nouvelle-Calédonie, et parce qu’il est nécessaire de donner aux autorités administratives indépendantes les moyens de se mettre en place et d’agir sur les territoires, vous l’aurez compris, nous approuvons ce texte qui nous semble être de parfait bon sens et qui a été présenté avec qualité par notre ami, M. Gomes.
M. Philippe Gomes, rapporteur. Merci.
Mme la présidente. La parole est à M. René Dosière.
M. René Dosière. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le grand intérêt du texte qui nous est soumis ne réside pas tant dans la forme puisqu’il s’agit d’une modification d’une partie d’un article de la loi organique que dans le fond car il concerne la vie chère en Nouvelle-Calédonie.
Comme l’indiquait le rapporteur, il s’agit de définir avec davantage de réalisme et d’efficacité les incompatibilités qui frappent les membres de la future Autorité de la concurrence de Nouvelle-Calédonie. La création de cette Autorité, nous l’avons permise par les lois organique et ordinaire du 15 novembre 2013. La modification de la loi organique rendue nécessaire par le transfert des compétences en matière commerciale à la Nouvelle-Calédonie, le 1er juillet 2013, a été suivie par le vote d’une loi de pays 2014-12 du 24 avril 2014, qui a créé cette Autorité et précisé ses modalités de fonctionnement.
De son côté, l’État a étendu par ordonnance du 7 mai 2014 à la Nouvelle-Calédonie les dispositions du code de commerce en matière de pouvoir d’enquête, de voies de recours, de sanctions et d’infractions pour compléter les pouvoirs de cette Autorité.
Au terme de ce parcours législatif au demeurant rapide et exemplaire puisqu’il a témoigné d’une collaboration étroite entre l’État et la Nouvelle-Calédonie, du fait de compétences complémentaires et liées en matière de concurrence, tout était prêt pour assister à la naissance de cette Autorité, souhaitée par les autorités calédoniennes.
Et pourtant deux ans plus tard, elle ne fonctionne toujours pas. Pourquoi ? Parce que soucieux de garantir l’impartialité des membres de cette Autorité, ce qui est tout de même un élément fondamental, nous avons fixé des conditions trop restrictives en prévoyant l’incompatibilité avec « tout emploi public », formule qui concernait non seulement les fonctionnaires exerçant en Nouvelle-Calédonie – ce qui de ce point de vue était plutôt réaliste et judicieux quand on connaît la nature des relations hiérarchiques et sociales qui peuvent exister dans une collectivité d’outre-mer dont la population est faible…
M. Philippe Gomes, rapporteur. Tout à fait.
M. René Dosière. …et qui est très éloignée de la métropole – mais également des fonctionnaires exerçant en métropole.
Étant à l’origine de cette disposition – le rapporteur n’a pas manqué de le rappeler (Sourires) –, je reconnais humblement ne pas en avoir mesuré à l’époque toutes les conséquences. M’appliquant à moi-même la pensée de Charles Péguy selon laquelle « Il y a quelque chose de pire que d’avoir une mauvaise pensée. C’est d’avoir une pensée toute faite. », j’ai donc réexaminé ma position initiale.
C’est pourquoi lors de l’examen d’une modification récente de la loi organique, j’ai souhaité – à la demande du gouvernement de la Calédonie et de notre collègue rapporteur Philippe Gomes – que cette erreur d’appréciation soit corrigée.
Le Gouvernement a préféré conserver l’unité de son texte consacré, il est vrai, à un autre sujet puisqu’il s’agissait de la consultation en vue de l’accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté. Vous avez, madame la ministre, souhaité renvoyer à un texte ultérieur, mais rapide, les précisions concernant l’Autorité de la concurrence.
Ce texte le voici. Il est présenté par notre collègue Philippe Gomes dans le cadre de l’ordre du jour réservé au groupe UDI. Son texte a fait l’objet d’une concertation étroite avec le Gouvernement et le Sénat afin que le texte que nous allons voter soit conforme avec celui qui a été déposé et voté au Sénat à l’initiative de Catherine Tasca au nom du groupe socialiste.
Il conviendra, madame la ministre – c’est de votre responsabilité – de provoquer dans les meilleurs délais et dans le respect des contraintes constitutionnelles s’agissant d’une proposition de loi organique une lecture définitive ultérieure pour que cette proposition devienne une loi. Si cela pouvait intervenir avant Noël, cela serait un beau cadeau de Noël pour la population calédonienne.
M. Yves Jégo. Elle ne croit plus au Père Noël !
M. René Dosière. En effet, et nous touchons là le fond de ce texte, il est attendu par la population calédonienne qui subit avec une colère de moins en moins contenue la vie chère. La Nouvelle-Calédonie est en effet l’une des régions du monde où le coût de la vie mesuré par l’indice « Big Mac » est le plus élevé, comme l’a relevé la mission de l’Autorité de la concurrence, confirmant les conclusions antérieures d’un rapport du cabinet Syndex.
Plus récemment, la Cour des comptes, citant les travaux de l’organisme Comptes économiques rapides de l’outre-mer – CEROM –, signalait que les écarts de prix avec la métropole s’élevaient en 2012 à 34 % ou à 49 % selon l’indice utilisé pour mesurer la cherté de la vie.
Parmi les raisons qui expliquent le niveau élevé des prix en Nouvelle-Calédonie – que vous avez également évoqué, madame la ministre –, je voudrais en souligner deux parmi les principales.
En premier lieu, il y a la surrémunération des fonctionnaires. Les fonctionnaires – calédoniens ou détachés de métropole – bénéficient d’importantes majorations de traitement : le traitement de base est majoré de 1,73 pour les communes du grand Nouméa et de 1,94 dans le reste du territoire, ce à quoi s’ajoute une indemnité d’éloignement.
Or les salariés du secteur public représentent près d’un salarié sur trois. Je souligne au passage, mais c’est un autre problème, que ces revenus élevés subissent une imposition plus faible qu’en métropole.
Comme le précise le rapport 2015 de la Cour des comptes, « les divers travaux de mesure effectués au cours des cinq dernières années font apparaître sans ambiguïté que la majoration de traitement et le complément spécial font plus que compenser le différentiel de prix existant entre ces territoires et la métropole ».
Autrement dit, contrairement à de nombreuses idées reçues, ce n’est pas la vie chère qui explique ou justifie les surrémunérations, mais exactement l’inverse. En outre, ces rémunérations élevées dans le secteur public génèrent de multiples inégalités, avec le secteur privé en particulier.
Je rappelle que 20 % des ménages ayant les plus hauts revenus en Calédonie reçoivent près de 50 % de l’ensemble des revenus, alors qu’à l’opposé, un ménage sur cinq est sous le seuil de pauvreté, soit une proportion triple de la métropole.
Cette répartition inégale des revenus a des conséquences importantes sur la formation des prix : les fonctionnaires métropolitains détachés sont en mesure de conserver leurs habitudes de consommation, malgré un coût élevé des produits importés puisqu’ils peuvent payer ces prix élevés compte tenu de leurs revenus.
En second lieu, l’existence de nombreuses situations de monopoles – qui sont apparus au rythme de l’histoire coloniale de ce territoire –, donc l’absence de concurrence favorise le maintien de prix élevés. Dans le rapport élaboré en 2012 par l’Autorité de la concurrence, ô combien intéressant, je relève notamment que s’agissant de la grande distribution alimentaire, deux groupes cumulent 80 % des parts de marché, en surface ou en chiffre d’affaires.
Concernant le gaz, il n’existe qu’en seul importateur, trois pour les carburants ou le tabac. S’agissant des produits agroalimentaires de fabrication locale, on relève quatre situations de monopole – riz, yaourt, conserves de viande de bœuf, eau de source – et deux situations de duopole – bière, chocolat-biscuits.
Ces structures de marché sont de nature à faciliter la mise en place et le maintien de comportements collusifs entre les acteurs du marché. Ainsi, les rapporteurs de l’Autorité de la concurrence soulignent qu’ « au cours des auditions menées sur le territoire, de nombreux acteurs ont fait état de pratiques anticoncurrentielles » et ils concluent que « le contrôle des pratiques anticoncurrentielles constitue donc un enjeu majeur pour la Nouvelle-Calédonie ».
Je poursuis la citation. « À long terme, l’absence de concurrence fait peser un risque sur l’innovation puisque l’innovation est une résultante de la concurrence. En effet, dans la plupart des secteurs économiques soumis à la concurrence, où la recherche d’un avantage concurrentiel de coût est toujours difficile en raison de la mondialisation, l’innovation apparaît comme une condition indispensable du développement pour de nombreuses entreprises. »
« Elle permet aux entreprises de renforcer leur position concurrentielle sur les marchés. L’innovation permet aux entreprises d’augmenter leur productivité, d’améliorer la qualité de leurs produits ou de leurs services et de développer des compétences clés. Sans concurrence, pas de stimulation pour développer l’innovation, qui permet surtout aux entreprises d’améliorer leur compétitivité hors prix, et, partant, leur capacité à maintenir des avantages concurrentiels durables sur des marchés évolutifs. »
« Toutefois, la concurrence ne peut jouer un rôle moteur que s’il existe des structures de contrôle de la concurrence. En effet, le fonctionnement efficace des marchés concurrentiels peut être compromis par l’existence de comportements qui permettent l’exercice d’un pouvoir de marché. Ces comportements sont nuisibles au consommateur, qu’ils privent de la liberté de choisir au meilleur prix. Mais ils portent aussi atteinte à son bien-être de façon indirecte, puisqu’ils sont préjudiciables à l’innovation, surtout si c’est une innovation commerciale, à l’efficacité économique et, finalement, à la croissance. »
Le texte de loi qui nous est soumis va enfin permettre de mettre en place cette autorité, attendue par le Gouvernement de la Calédonie…
M. Philippe Gomes, rapporteur. Tout à fait !
M. René Dosière. …ainsi que par notre collègue rapporteur Philippe Gomes, dont nous avons souligné la constance et la pugnacité.
Je salue une disposition qui permettra au Gouvernement de la Calédonie de transférer à cette autorité une part significative de ses pouvoirs.
M. Philippe Gomes, rapporteur. Absolument !
M. René Dosière. Ce n’est pas une mince attitude, et je tiens à le souligner, que de privilégier l’intérêt de la population calédonienne au détriment du maintien de situations acquises qui favorisent des intérêts particuliers, sinon partisans.
Bien entendu, l’apparition d’une véritable concurrence et la lutte contre les ententes ne résoudront pas toutes les difficultés que connaît l’économie calédonienne. Je songe en particulier à l’avenir de l’industrie du nickel, qui est inséparable de l’histoire de ce territoire et de son développement.
Mais dans la mesure où il s’agit d’un véritable progrès, le groupe socialiste, républicain et citoyen approuve ce texte, sans réserve ni arrière-pensée. (Applaudissements sur tous les bancs.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Gibbes.
M. Daniel Gibbes. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, comme on dit chez nous « The last but perhaps not the least ». (Sourires.)
Je tiens avant tout à m’associer à tous les orateurs qui sont intervenus avant moi pour féliciter tous les signataires de ce texte, en particulier Philippe Gomes, pour le travail qu’ils ont accompli.
Le coût élevé de la vie dans les outre-mer, que nous appelons souvent entre nous « la vie chère », est une réalité bien connue mais qui nécessite de notre part une vigilance constante.
Si la problématique est partagée par la totalité des outre-mer, la Nouvelle-Calédonie représente un cas d’espèce puisque les prix élevés sont tout particulièrement dus à de nombreux obstacles qui se dressent face à la libre concurrence, ce qu’a confirmé officiellement en 2012 un rapport de l’Autorité de la concurrence.
Ainsi, et cela a été rappelé dans les interventions précédentes, lorsque le législateur, en 2013, a introduit au sein de la loi statutaire de 1999 la faculté pour la Nouvelle-Calédonie de créer des autorités administratives indépendantes, cette faculté visait précisément la mise en place d’une autorité spécifique et locale de la concurrence.
L’option d’une autorité administrative indépendante, parce que cette autorité devait être dotée de pouvoirs décisionnels, imposait de modifier les dispositions organiques formant le statut de la Nouvelle-Calédonie. C’est d’ailleurs ce qui avait été fait pour la Polynésie française en 2011.
En effet, si aucun obstacle constitutionnel n’existe à la création, par le Congrès de la Nouvelle-Calédonie, d’autorités administratives indépendantes dans les domaines relevant de sa compétence, l’exercice par toute autorité d’un pouvoir de réglementation, de sanction ou de transaction appelait une modification de la loi organique.
Cette modification seule pouvait permettre au Congrès de créer un organe exerçant des compétences normalement dévolues au gouvernement local.
Le Parlement national a choisi d’ouvrir cette voie par un vote unanime de l’article 1er de la loi organique du 15 novembre 2013 portant actualisation du statut de la Nouvelle-Calédonie.
Au cours de la discussion parlementaire, le Parlement s’est attaché à fixer les conditions de l’indépendance et de l’impartialité des membres appelés à siéger au sein de cette autorité locale de la concurrence.
Il a été inscrit le principe de l’irrévocabilité des membres de cette autorité et prévu leur nomination après un avis adopté à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés du Congrès.
Parallèlement, les membres de cette autorité ont été soumis à un régime d’incompatibilité stricte, qui, jusqu’à ce jour, rend la fonction incompatible avec tout mandat électif, tout autre emploi public et toute détention, directe ou indirecte, d’intérêts dans une entreprise du secteur dont ladite autorité assure la régulation.
Suite à cette loi nationale, la Nouvelle-Calédonie a fait tout ce qu’il convenait de faire.
La loi du pays du 24 avril 2014 a ainsi marqué une nouvelle étape en créant une autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie, dotée d’un statut d’autorité administrative indépendante et comprenant un président et trois autres membres – dont un vice-président – nommés pour une durée de cinq ans. Le président exerce ses fonctions à plein temps, tandis les autres membres sont « non permanents ».
Au final, l’ensemble des textes législatifs et réglementaires ont été pris par les autorités locales et nationales pour mettre en place la Haute autorité. Pourtant, à ce jour, cette instance n’a pas pu être installée.
En effet, le Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, autorité de nomination, a fait connaître ses difficultés à recruter des membres en raison des incompatibilités assez drastiques prévues par le législateur organique.
Pourtant, force est de reconnaître que la situation avait été plus ou moins pressentie et exposée en séance publique par le député UDI aujourd’hui rapporteur du texte, Philippe Gomes, qui avait rappelé, je cite, que « si cette incompatibilité ne soulève pas de difficultés s’agissant du président et du rapporteur qui exercent ces fonctions à temps plein, il n’en va pas de même pour les autres membres ».
C’est la raison pour laquelle il a déposé cette proposition de loi organique, cosignée par vingt députés du groupe Les Républicains, dont je fais d’ailleurs partie. De son côté, la sénatrice socialiste Catherine Tasca a fait de même, avec un texte initialement légèrement différent.
Toutefois, après l’adoption d’amendements identiques dans les commissions des lois des deux chambres, on a abouti finalement à un consensus.
Ce texte propose de modifier l’article 27-1 de la loi organique statutaire du 19 mars 1999 afin de limiter l’incompatibilité applicable aux membres d’une autorité administrative indépendante.
L’amendement du rapporteur, adopté en commission des lois, qui vise à prendre en compte les observations du Congrès de Nouvelle-Calédonie, permettra non seulement une adoption unanime mais, cette fois, une application effective du dispositif. De quoi s’agit-il ?
Tout d’abord, de définir des régimes d’incompatibilité professionnelle différents selon qu’on envisage le président de l’autorité administrative indépendante ou bien les autres membres de ces autorités.
La loi du pays, je l’ai rappelé tout à l’heure, a en effet placé le président de l’Autorité de la concurrence dans un régime spécifique puisqu’il est tenu d’exercer ses fonctions à temps plein et peut prendre certaines décisions seul.
Il n’est donc pas illogique, au contraire, que les incompatibilités professionnelles opposables au président soient plus étendues que celles opposables aux autres membres.
Ainsi, l’article unique de la proposition de loi interdit désormais au président d’exercer tout autre emploi public en Nouvelle-Calédonie, tandis que les autres membres de l’autorité pourront exercer parallèlement un emploi public, à condition toutefois qu’il ne relève pas de la Nouvelle-Calédonie, des provinces, des communes ou de leurs établissements publics.
Cette disposition permettra à ces autres membres d’exercer dans une juridiction ou, par exemple, à l’université.
Par ailleurs, et c’est encore une demande du Congrès de Nouvelle-Calédonie, le texte instaure un délai de carence de trois ans, empêchant que soit nommée une personne qui, au cours des trois années précédant sa désignation, aurait exercé les mandats ou fonctions, ou détenu des intérêts compris dans le champ des incompatibilités. Un meilleur équilibre général a sans nul doute été trouvé.
En conclusion, vous l’aurez compris, le groupe Les Républicains votera sans réserve cette proposition de loi organique qu’il souhaite voir aboutir au plus vite, dans l’intérêt de nos compatriotes calédoniens. (Applaudissements sur tous les bancs.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
La parole est à M. Philippe Gomes, rapporteur.
M. Philippe Gomes, rapporteur. Je remercie l’ensemble de mes collègues et les groupes au nom desquels ils se sont exprimés pour le soutien qu’ils ont apporté à ce texte. Je remercie également le Gouvernement qui, par la voix de la ministre des outre-mer, a donné son imprimatur à ce texte.
Je suis très heureux à l’idée que demain, peut-être, en tout cas dans le courant de l’année 2016, cette autorité sera enfin mise en place.
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Folliot, pour une explication de vote au nom du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
M. Philippe Folliot. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, en Nouvelle-Calédonie comme dans l’ensemble des îles ultramarines, la concentration excessive des activités économiques, qui contribue à la cherté de la vie, est devenue l’un des freins les plus importants au développement économique et social des outre-mer.
Dans ce contexte, l’instauration d’une véritable concurrence, qui suppose la création d’une autorité administrative indépendante, est une revendication récurrente et tout à fait légitime de la société civile.
Cette proposition de loi organique mettra fin à une situation de blocage. Nous avons laissé beaucoup de temps s’écouler entre l’adoption de l’amendement qui instaurait le régime d’incompatibilité des membres des autorités administratives indépendantes et cette proposition de loi. L’adoption de ce texte signe l’aboutissement d’un long processus législatif pour parvenir à la création d’une autorité locale de la concurrence.
Nous nous réjouissons de l’adoption de ce texte tant attendu par la collectivité nationale dans son ensemble et par nos compatriotes néo-calédoniens en particulier.
Nous pouvons remercier et féliciter notre collègue Philippe Gomes qui, avec le dynamisme, la fougue et l’enthousiasme qu’on lui connaît, a su trouver les mots pour convaincre tout un chacun de la nécessité d’adopter ce texte particulièrement important. (Applaudissements sur tous les bancs.)
(L’article unique est adopté ainsi que l’ensemble de la proposition de loi organique.) (Applaudissements sur tous les bancs.)
Mme la présidente. Prochaine séance, demain, à quinze heures :
Suite de la discussion, en nouvelle lecture, du projet de loi de modernisation de notre système de santé.
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-huit heures cinquante-cinq.)
La Directrice du service du compte rendu de la séance
de l’Assemblée nationale
Catherine Joly