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Edition J.O. - débats de la séance

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2015-2016

Compte rendu
intégral

Première séance du mercredi 13 janvier 2016

SOMMAIRE

Présidence de M. Claude Bartolone

1. Hommage aux victimes de l’attentat d’Istanbul

2. Questions au Gouvernement

Prêts de la Caisse des dépôts et consignations

M. Éric Alauzet

Mme Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie

Lutte contre le chômage

M. Arnaud Richard

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

Économie de l’innovation

Mme Corinne Erhel

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique

Lutte contre le chômage

M. Dominique Dord

M. Manuel Valls, Premier ministre

Prime d’activité

Mme Marie Le Vern

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes

Lutte contre le chômage

M. Jean-Charles Taugourdeau

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement

Soutien aux entreprises

M. Alain Rousset

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique

Crise de l’agriculture

M. Guillaume Chevrollier

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement

Couverture santé des Français

Mme Martine Faure

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes

Douanes

M. Edouard Philippe

M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget

Situation financière des hôpitaux en Guyane

M. Gabriel Serville

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes

Agressions sexuelles en Europe

Mme Valérie Boyer

Mme Pascale Boistard, secrétaire d’État chargée des droits des femmes

Restructuration de l’entreprise Pentair d’Armentières

M. Yves Durand

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique

Création d’un EPIDE en Guadeloupe

M. Ary Chalus

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

Politique du Gouvernement

M. Philippe Gosselin

M. Manuel Valls, Premier ministre

Suspension et reprise de la séance

3. Questions sur l’état d’urgence et la politique pénale

M. Georges Fenech

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice

M. Jean-Frédéric Poisson

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux

M. Jean-Christophe Lagarde

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

M. Michel Zumkeller

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

M. Sergio Coronado

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

M. François de Rugy

Présidence de M. Marc Le Fur

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice

M. Jean-Pierre Maggi

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux

M. Alain Tourret

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux

M. Jean-Jacques Candelier

M. Bernard Cazeneuve, ministre

M. Jean-Jacques Candelier

M. Bernard Cazeneuve, ministre

M. Pascal Popelin

M. Bernard Cazeneuve, ministre

Mme Anne-Yvonne Le Dain

M. Bernard Cazeneuve, ministre

M. Philippe Goujon

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux

M. Olivier Marleix

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux

M. Alain Chrétien

M. Bernard Cazeneuve, ministre

Mme Cécile Untermaier

M. Bernard Cazeneuve, ministre

M. Yves Goasdoué

M. Bernard Cazeneuve, ministre

Mme Sylviane Alaux

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux

4. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Claude Bartolone

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Hommage aux victimes de l’attentat d’Istanbul

M. le président. Après l’attentat d’Ankara, qui avait fait 103 morts en octobre dernier, la Turquie a de nouveau été victime, hier, du terrorisme.

De nombreuses personnes, dont au moins dix de nationalité allemande, ont trouvé la mort dans un attentat suicide perpétré en plein cœur d’Istanbul. Comme en Tunisie, en juin dernier, ce sont des touristes, désireux de découvrir une autre culture, ouverts au monde et à la diversité, qui ont été visés.

En votre nom à tous, j’exprime à la Turquie, ainsi qu’à nos amis allemands, la solidarité et le soutien de la représentation nationale. Je réaffirme notre volonté sans faille de lutter partout contre le terrorisme. Je présente aux familles des victimes les condoléances de l’ensemble de notre assemblée, et je vous invite à observer une minute de silence. (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent et observent une minute de silence.)

2

Questions au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Prêts de la Caisse des dépôts et consignations

M. le président. La parole est à M. Éric Alauzet, pour le groupe écologiste.

M. Éric Alauzet. Madame la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, hier, le Président de la République proposait de rebaptiser la Caisse des dépôts et consignations « Caisse des dépôts et du développement durable », confiant à la vieille dame la responsabilité de la transition écologique et énergétique. Cette évolution va notamment se traduire par l’octroi d’une enveloppe de 1,5 milliard d’euros pour financer « un programme de grands travaux pour la rénovation de nos bâtiments », déjà annoncé par le Président de la République lors de ses vœux.

Voilà une réponse précise pour concrétiser la COP21, d’autant que les travaux d’économie d’énergie font partie des rares investissements publics qui diminuent rapidement les dépenses de fonctionnement, surtout si on y associe une optimisation des mètres carrés. Ce sont de surcroît des investissements qui s’autofinancent et ne pèsent pas ou peu sur les déficits et la dette. C’est aussi une réponse pour soutenir le secteur du bâtiment et des travaux publics, en grande difficulté depuis la crise de 2008, et pour répondre au fléau du chômage et à l’urgence économique et sociale décrétée, toujours lors de ses vœux, par le Président de la République. Le plan de formation de 500 000 chômeurs et la relance de l’apprentissage vont trouver là un terrain d’application privilégié.

Mais ces travaux – je ne parle pas de ceux qui sont prévus pour la construction et l’isolation thermique de logements sociaux, qui bénéficieront également de 1,5 milliard d’euros – reposent sur l’engagement de l’État et des collectivités locales à rénover leur propre patrimoine, alors que leur capacité d’investissement s’est réduite fortement. La question est donc bien, madame la ministre, de connaître précisément les modalités d’action de ce plan et de savoir s’il palliera la baisse des moyens de l’État et des dotations financières aux collectivités ou, au contraire, s’il accentuera la pression sur celles-ci, en raison des éventuelles contreparties qu’elles ne pourraient assurer, à moins qu’il ne se concrétise tout simplement pas, faute de moyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.

Mme Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Monsieur le député, vous avez raison de souligner qu’après la COP21, et grâce à la loi de transition énergétique, la France a tout pour garder un temps d’avance sur la création d’activités et d’emplois dans la croissance verte. C’est à cette fin que la Caisse des dépôts et consignations a été mobilisée, comme l’a dit le chef de l’État, pour devenir l’organisme de la transition énergétique et de la croissance verte, et s’est vu confier deux actions très simples, très concrètes et très efficaces.

Il s’agit, d’abord, du déblocage d’1,5 milliard d’euros pour accorder des prêts à taux zéro, sans apport initial. Les communes pourront ainsi financer à 100 % les travaux d’isolation dans tous les bâtiments publics.

Il s’agit, ensuite, d’un deuxième volet de financement des territoires à énergie positive. Vous le savez, puisque le Grand Besançon abrite un territoire à énergie positive très performant. Deux cent soixante territoires ont déjà signé une convention avec le ministère de l’écologie et du développement durable. J’ai reçu 140 nouveaux projets. Au total, ce seront 400 territoires à énergie positive qui pourront engager des travaux d’isolation, d’éclairage public, d’économies d’énergie, d’énergies renouvelables, de transports propres, de gestion des déchets, pour créer des activités et des emplois sur leur sol. Cette deuxième tranche de 250 millions d’euros va être débloquée très rapidement. Je recevrai à la fin du mois les représentants de ces 400 territoires pour compléter la première enveloppe de 500 000 euros qu’ils ont reçue et pour parvenir à un montant pouvant atteindre 2 millions d’euros par territoire, leur permettant ainsi d’engager très rapidement les travaux créateurs d’activités et d’emplois qui sont bons pour le climat, bons pour le pouvoir d’achat des citoyens et bons pour l’emploi. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Lutte contre le chômage

M. le président. La parole est à M. Arnaud Richard, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Arnaud Richard. Monsieur le Premier ministre, la désespérance gronde dans notre pays. Les Français ne vous croient plus, à force de constater que vos promesses ne sont pas tenues et que vos politiques sont inefficaces. Ils ne croient plus en la puissance publique, incapable de contrer ce mal qui ronge notre société : le chômage.

Notre pays compte un million de chômeurs supplémentaires depuis votre arrivée aux responsabilités. Qu’avez-vous fait face à ces drames humains ? Ce ne sont pas la loi relative à la sécurisation de l’emploi et ses limites, le fameux pacte de responsabilité et de solidarité ou la mise en œuvre en 2016 d’un état d’urgence sur l’emploi qui y changeront quoi que ce soit. Quel aveu d’impuissance !

Monsieur le Premier ministre, en la matière, il est temps que vous changiez de méthode. Il est temps que vous prêtiez attention à ce qui a pu fonctionner. Nous l’avons fait avec Jean-Louis Borloo, vous le savez, en réduisant le taux de chômage à moins de 8 % dans notre pays. La méthode, c’est le décloisonnement, le partenariat, l’échange avec l’ensemble des acteurs, tant ceux de l’économie sociale et solidaire que les régions. Il est temps d’arrêter de croire qu’une loi va changer les choses. Ce n’est pas une loi, quelle qu’elle soit, qu’elle soit portée par M. Macron ou par un autre membre du Gouvernement – y compris le Premier ministre, lequel se chargera ainsi de présenter la réforme constitutionnelle faute d’un accord entre les membres de son gouvernement –, qui changera les choses.

Il est temps que vous écoutiez ce qui se passe sur le terrain, monsieur le Premier ministre. Vous l’avez d’ailleurs très bien fait à Montreuil, où vous avez écouté comment les acteurs de l’économie sociale et solidaire sont capables de ramener nos compatriotes sur le marché du travail. Faites-le donc, et cessez d’essayer de nous imposer un diktat gouvernemental au moyen de lois qui ne changeront rien pour nos compatriotes. Alors que vous êtes aux responsabilités depuis quatre ans, le pays compte 5,4 millions de chômeurs ; c’est un scandale ! Monsieur le Premier ministre, il est temps d’agir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et sur quelques bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Mesdames, messieurs les députés, monsieur Arnaud Richard, d’où partons-nous ?

M. Christian Jacob. La bonne question est plutôt : où allez-vous ?

Mme Myriam El Khomri, ministre. En 2015, les jeunes chômeurs étaient 25 000 de moins (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains) ;…

M. le président. S’il vous plaît, mes chers collègues !

Mme Myriam El Khomri, ministre. …cela montre que les dispositifs mis en œuvre, notamment la garantie jeunes, fonctionnent bien. Je partage en effet une de vos convictions : les mesures doivent être partenariales. La garantie jeunes, en permettant un travail avec les entreprises au plus près des territoires, fonctionne particulièrement bien.

Par ailleurs, en 2015, il y a eu 40 000 créations nettes d’emplois dans notre pays, ce qui est mieux que les années précédentes, au cours desquelles nous avons au contraire enregistré des destructions d’emplois. Cela reste cependant insuffisant au regard de notre croissance démographique et du nombre d’entrées sur le marché du travail tous les ans. Le pacte de responsabilité et de solidarité et le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi – le CICE – ont permis aux entreprises de retrouver des marges,…

M. Arnaud Richard. Des marges sur quoi ? C’est un échec !

Mme Myriam El Khomri, ministre. …d’investir, mais pas suffisamment de créer de l’emploi.

Le plan d’urgence pour l’emploi que nous lançons aujourd’hui a un double objectif.

Le premier est de soutenir la création d’emplois, et nous continuerons à cet égard, au travers du pacte de responsabilité et de solidarité, à redonner des marges aux entreprises afin que ces dernières puissent créer de l’emploi.

Le second est de former les demandeurs d’emploi les moins qualifiés, car notre pays compte un nombre important de chômeurs peu ou pas qualifiés. Ce plan sera conçu non pas hors sol, rue de Grenelle, mais à partir d’une mobilisation générale de l’ensemble des acteurs de l’emploi, au premier rang desquels les présidents de région, ainsi que les entreprises d’insertion, afin de développer davantage la préparation opérationnelle à l’emploi, les contrats de professionnalisation, et la création d’entreprises par les demandeurs d’emploi.

M. Yves Nicolin. Baratin !

Mme Myriam El Khomri, ministre. Vous le voyez : ce plan vise à amplifier les mesures qui ont été prises. Les prévisions de croissance sont meilleures pour 2016 et permettront précisément de créer plus d’emplois. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Économie de l’innovation

M. le président. La parole est à Mme Corinne Erhel, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Corinne Erhel. Ma question s’adresse à M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique.

Monsieur le ministre, dans un contexte tendu, l’essor du numérique, véritable opportunité pour notre économie compte tenu de l’excellence française en la matière, nous invite à faire preuve d’optimisme. Vous étiez la semaine dernière aux États-Unis pour promouvoir l’expertise et l’attractivité de notre pays dans la Silicon Valley et soutenir la très nombreuse délégation french tech présente au Consumer Electronics Show, ou CES, salon de l’électronique grand public, rendez-vous mondial incontournable des acteurs du numérique.

Vitrine de l’innovation française, cette formidable délégation était composée de 190 entreprises et start-up venues de toutes les régions de France. Nous avons pu constater que, bien loin du french bashing, le dynamisme français, l’énergie entrepreneuriale et notre capacité à innover ont été saluées.

Un député du groupe Les Républicains. Vous n’y êtes pour rien !

Mme Corinne Erhel. Ces messages très positifs doivent être soulignés et nous obligent.

Avec Ségolène Royal, vous avez aussi porté un message fort en faveur d’une accélération de la transformation numérique et de la transition énergétique et environnementale, deux piliers incontournables pour la croissance dans notre pays. Je souscris pleinement à votre ambition : il nous faut accélérer l’innovation, nous projeter, anticiper les nouveaux modèles économiques et préparer la France aux emplois de demain.

M. Christian Jacob. En voilà une belle question !

M. Jacques Myard. Allô !

Mme Corinne Erhel. Nous devons impérativement donner une traduction concrète à tous ces signaux positifs.

Dès lors, monsieur le ministre, comment donner une dimension plus large aux politiques de soutien à l’innovation sous toutes ses formes et dans tous les territoires ? Et, surtout, comment transformer ce potentiel, cette dynamique en création d’emplois en s’appuyant notamment sur une politique volontariste de formation et d’adaptation des compétences ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique.

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. Madame la députée, vous l’avez rappelé, la semaine dernière, la délégation française au CES, le plus grand événement en matière d’électronique et d’internet au monde, était la première délégation non américaine, avec la présence de 190 entreprises, dont 127 start-up. Cela montre la vitalité de cette innovation en France.

Un député du groupe Les Républicains. Vous n’y êtes pour rien !

M. Emmanuel Macron, ministre. Dans un paysage parfois sombre, et compte tenu des préoccupations réelles quant à notre tissu économique, pour faire référence à la question précédente, c’est également une source d’espoir.

Tout d’abord, ce mouvement de l’entreprenariat n’est pas anecdotique. Les deux tiers des start-up qui étaient présentes au CES de Las Vegas, où vous-même et Bruno Le Roux vous êtes également rendus (« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains), venaient du territoire français hors Paris. Cela montre la vitalité de la french tech, ainsi que des treize labels qu’Axelle Lemaire et moi-même avons décernés depuis deux ans à la suite d’une initiative qui avait été prise par Fleur Pellerin. Cela montre également la vitalité économique de cet entreprenariat dans l’ensemble du territoire : il crée des emplois non seulement d’entrepreneurs mais aussi de production, s’agissant des objets connectés, comme à Angers ou à Toulouse.

Ensuite, plusieurs grands groupes et entreprises de taille intermédiaire étaient également présents. La clé du succès, la diffusion de l’innovation passe par les contrats, les partenariats, parfois les acquisitions que ces entreprises noueront, car c’est de cette manière qu’elles transformeront leur modèle économique et feront croître l’économie de l’innovation.

Enfin, ce projet est au cœur de l’industrie du futur : la montée en gamme, la différenciation de notre tissu industriel dans toutes ses composantes passent par ce truchement et permettront à notre économie par l’innovation, par l’investissement privé, de créer davantage d’emplois dans notre territoire. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Lutte contre le chômage

M. le président. La parole est à M. Dominique Dord, pour le groupe Les Républicains.

M. Dominique Dord. Madame la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, vous avez réitéré sans sourciller mardi, et tout à l’heure encore, la promesse de l’inversion de la courbe du chômage. (« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.) Comment osez-vous encore ? Depuis 2012, le Président de la République a promis six fois cette inversion aux Français lors d’allocutions solennelles. Plus de 1 000 jours ont passé et la promesse n’a pas été tenue !

M. Guy Geoffroy. Et pour cause !

M. Dominique Dord. Mais 2016 ne semble pas calmer vos ardeurs communicantes ! Seul M. Macron, dans un accès de lucidité un peu cynique, prononce avec un talent fou l’éloge funèbre de votre politique en matière d’emploi. Je le cite : « On n’a pas tout fait […] On aurait dû réagir plus vite et plus fort et avec plus d’audace […] plus frontalement ». Dans quel monde vivez-vous, madame la ministre ? Votre politique a fabriqué 1,1 million de chômeurs supplémentaires tandis que, selon M. Macron, vingt-quatre pays d’Europe sur vingt-huit ont fait baisser le chômage !

Plusieurs députés du groupe Les Républicains. Eh oui !

M. Dominique Dord. Voilà bientôt quatre ans que vous êtes au pouvoir et vous présenterez le 14 ou le 18 janvier un plan d’urgence. N’y avait-il pas urgence jusqu’à présent ? Vous annonciez encore tout à l’heure une réforme audacieuse pour mars prochain, c’est-à-dire applicable en septembre. Mais qu’avez-vous fait depuis quatre ans ? Certes, la courbe finira par s’inverser car vous n’allez tout de même pas tuer les vingt-huit millions d’emplois que compte notre pays ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.) Le seul objectif honorable que vous devriez viser serait de rendre les clés en 2017…

M. Damien Abad. Avant !

M. Dominique Dord. …avec moins de chômeurs qu’en 2012. Mais cet objectif, vous savez qu’il n’est pas tenable ! Alors sauvez ce qui peut encore l’être ! N’ajoutez pas l’impudence des nouvelles promesses disqualifiées au désastre social que vous avez créé ! Faites preuve de discrétion ! Travaillez plus et communiquez moins ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Manuel Valls, Premier ministre. Je vous réponds, monsieur le député, car votre question est polémique.

Mme Claude Greff. Vous êtes trop drôle !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Elle relève de la communication et ne formule aucune proposition,…

M. Olivier Marleix. C’est vous qui êtes au Gouvernement !

M. Manuel Valls, Premier ministre. …tout au contraire de la ministre du travail, Myriam El Khomri, qui est pleinement engagée dans la bataille de l’emploi. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) Personne ici, ni vous ni nous, ne peut nier…

M. Damien Abad. Votre échec ! (Rires sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

M. Manuel Valls, Premier ministre. …que le mal français est lié au chômage de masse auquel nous nous sommes accoutumés depuis des années. Je pourrais, et avec quelle facilité, vous renvoyer au bilan de 2012, monsieur le député. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Plusieurs députés du groupe Les Républicains. Cela fait quatre ans !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Je pourrais rappeler les engagements de Nicolas Sarkozy qui avait expliqué lui-même qu’il ne serait pas candidat si le taux de chômage n’était pas divisé par deux.

M. Alain Chrétien. C’est la faute à Sarko !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Alors, pas de leçons sur ce sujet !

M. Yves Fromion. Où sont vos engagements ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. Il faut de la lucidité et celle-ci oblige, comme le disent Myriam El Khomri et Emmanuel Macron, à continuer à tout faire pour l’emploi et pour faire baisser le chômage.

M. Yves Fromion. Où sont les résultats ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. Jamais un gouvernement n’avait pris un tel engagement : 40 milliards d’euros pour faire baisser le coût du travail et soutenir les entreprises, notamment les PME. Jamais nous n’avons tant fait pour l’innovation et la recherche !

M. Yves Nicolin. Ce sont les régions qui paieront !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Au lieu de critiquer en permanence, mais je conçois que c’est votre rôle, rappelez aussi ce qui marche. Emmanuel Macron soulignait, il y a un instant, que l’image de la France, ô combien détériorée, …

M. Yves Fromion. C’est votre seul résultat !

M. Manuel Valls, Premier ministre. …avait changé et que les investissements étrangers dans notre pays augmentent. Il faut continuer car le nombre de chômeurs, notamment de chômeurs de longue durée et de jeunes sans qualification, oblige à une mobilisation.

M. Guy Geoffroy. Il serait temps !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Au lieu de chercher la vaine polémique et les bons mots, ce pour quoi cet hémicycle compte beaucoup de talents, monsieur le député, mobilisons tous les services de l’État et les partenaires sociaux ! (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

M. Alain Chrétien. Plus personne n’y croit !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Chacun a des responsabilités, y compris le patronat. Dès lors que la nation consent un investissement de 40 milliards d’euros, chacun doit être au rendez-vous. Quant aux régions, j’en rencontre actuellement tous les présidents car les régions ont des compétences en matière de développement économique, de formation et d’apprentissage. Sur ce sujet, plutôt que la polémique, le bon mot et les attaques à l’égard d’un ministre, c’est le rassemblement et la bonne volonté que nous devons aux Français ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Prime d’activité

M. le président. La parole est à Mme Marie Le Vern, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Marie Le Vern. Ma question s’adresse à Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

L’une des mesures majeures de la loi relative au dialogue social est entrée en vigueur le 1er janvier. Il s’agit de la prime d’activité qui se substitue au RSA activité et à la prime pour l’emploi. Ces prestations, certes utiles, n’ont pas eu les résultats espérés pour réduire efficacement la précarité des travailleurs aux revenus modestes, faute de simplicité et de lisibilité. La prime d’activité consistera désormais en un seul dispositif, une seule demande et un seul interlocuteur. C’est une incitation forte au retour à l’exercice d’une activité professionnelle et l’assurance que le retour à l’emploi, en France, n’est pas synonyme de perte de revenus. Jamais on ne devrait perdre du pouvoir d’achat en reprenant une activité ! C’est l’affirmation de la valeur travail comme un moyen d’émancipation, de liberté, d’intégration et de citoyenneté.

Un député du groupe Les Républicains. Là, on rêve !

Mme Marie Le Vern. Dans notre pays, il n’existait aucun dispositif destiné à la jeunesse active, aux jeunes salariés, apprentis, étudiants salariés et stagiaires pourtant pleinement concernés par la précarité. Nous avons fait de la jeunesse une priorité. Il était donc de notre devoir de trouver une aide, un accompagnement à l’âge où on a besoin d’autonomie afin de bâtir un projet de vie.

Les jeunes âgés de dix-huit à vingt-cinq ans pourront donc bénéficier de la prime d’activité. Afin que ce dispositif atteigne sa pleine efficacité, il est impératif qu’il soit connu de ses bénéficiaires pour qu’ils le revendiquent. Par quels moyens entendez-vous vous assurer, madame la ministre, que la prime d’activité rencontre son public ? Combien de jeunes seront concernés ? Quelles sont les conditions à remplir pour percevoir cette prime si on a entre dix-huit et vingt-cinq ans ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Madame la députée, vous avez raison d’insister sur le progrès majeur que constitue la mise en place de la prime d’activité qui sera versée à des millions de personnes pour la première fois le 5 février prochain.

La prime d’activité incarne notre volonté de moderniser notre modèle social pour l’adapter à la réalité de la situation des Français d’aujourd’hui en faisant notamment en sorte que ceux dont les revenus sont modestes, c’est-à-dire inférieurs à 1 500 euros par mois pour une personne seule, bénéficient d’un accompagnement et d’un soutien. Elle constitue par ailleurs un droit nouveau pour un million de jeunes qui, jusqu’à présent, n’avaient droit à rien et qui pourront en bénéficier.

La prime d’activité ne rentrera pas dans le revenu imposable de nos concitoyens, j’insiste sur ce point. Il s’agit d’une prime supplémentaire qui ne fera pas l’objet de prélèvements fiscaux – il importe de le dire. Par ailleurs, nous avons mis en place un système simple : pas de papiers, pas de justificatifs, quelques informations demandées en ligne. Vous avez raison, madame la députée, il est important de faire connaître la prime d’activité. J’ai donc mis en place un simulateur hébergé par la caisse d’allocations familiales. (« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

M. Yves Censi. Et comment s’appelle-t-il, ce simulateur ?

M. Jacques Myard. Simulateur ou dissimulateur ? (Rires sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

Mme Marisol Touraine, ministre. Ce simulateur a rencontré un succès majeur et vous feriez mieux de ne pas rire, mesdames, messieurs les députés de l’opposition, car 4,5 millions de Français ont vérifié s’ils pouvaient avoir droit à la prime d’activité. Plus de la moitié d’entre eux y sont d’ores et déjà éligibles et la percevront à partir du mois prochain.

M. Yves Censi. Ce n’est pas le Président de la République, le simulateur ?

Mme Marisol Touraine, ministre. Par ailleurs, tous les bénéficiaires du RSA activité recevront automatiquement la prime d’activité. Ce sont donc bien des millions de Français qui bénéficieront, à partir du mois prochain, grâce à votre vote, mesdames, messieurs les députés, d’une prime d’activité qui pourra atteindre plusieurs centaines d’euros par mois. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Lutte contre le chômage

M. le président. La parole est à M. Jean-Charles Taugourdeau, pour le groupe Les Républicains.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Monsieur le Premier ministre, mes questions ont toujours le même fil : la création de travail en France – c’est la meilleure façon de lutter contre le chômage. Pensez-vous vous rapprocher de la France qui se lève tôt en allant samedi soir sur le plateau de On n’est pas couché ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) Cette émission, qui ne sert pas la grandeur de l’engagement politique, est peut-être intéressante pour le socialiste Manuel Valls, mais ce n’est surtout pas la place du Premier ministre de la France.

M. Christian Jacob. Il a raison !

M. Jean-Charles Taugourdeau. Ne nous dites pas que le Président de la République va y aller aussi ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

Comment créer du travail avec des grands projets bloqués dans des « zones à défendre » comme Notre-Dame-des-Landes ? Comment créer du travail en disant que l’on va simplifier, mais sans toucher au contrat de travail, au temps de travail ou aux modes de licenciement ? « Dire et ne pas faire » : avouez que c’est malheureusement votre marque de fabrique et celle de votre gouvernement.

M. Guy Geoffroy. Très bien !

M. Jean-Charles Taugourdeau. Vos ministres sont-ils ministres ou agents doubles ? On dit blanc, mais on fait bleu ou rouge selon la tendance ou les sondages. De là viennent peut-être les visions hallucinatoires de votre ministre du travail sur la courbe du chômage ?

Je vous adresse tout de même mes félicitations, monsieur le Premier ministre : votre communication, c’est quand même de la très haute cuisine, digne de Top Chef. Malheureusement, pour la France et les Français, c’est plutôt Cauchemar en cuisine.

M. Jean Glavany. Citez-en encore une !

M. Jean-Charles Taugourdeau. Ma première question est simple, monsieur le Premier ministre : quand comptez-vous créer du travail en France ? Je vais vous mettre très à l’aise : si vous ne savez pas comment créer du travail, ne dites rien ; laissez répondre un de vos ministres.

Ma seconde question est tout aussi simple : monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les ministres, quand allez-vous enfin joindre les actes à la parole ?

Plusieurs députés du groupe socialiste, républicain et citoyen. Nul !

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement.

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le député, étant en charge des relations avec le Parlement, j’essaie en général de valoriser le travail de tous les parlementaires.

M. Christian Jacob. Ça ne se voit pas !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. L’emploi est un sujet majeur pour notre société. Vous l’avez évoqué dans votre question de façon très intermittente, tenant des propos non seulement incohérents – je vous renvoie, sur ce point, à votre propre réflexion –, mais surtout un peu légers, teintés d’une ironie quelque peu déplacée. Ils ne sont pas, me semble-t-il, à la hauteur de ce que les Français attendent d’un député de l’opposition qui entend poser la question de l’emploi. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Monsieur le député, les Français nous regardent et, effectivement, ils sont interrogatifs. Ils souhaitent une mobilisation des partenaires, de l’État et du Gouvernement ; ils veulent une action volontaire, qui soit capable de lever un certain nombre de tabous.

M. Yves Fromion. Ils l’attendent depuis longtemps !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. C’est ce que nous faisons aujourd’hui, en mettant en œuvre les propositions du Président de la République, ce plan d’urgence économique et sociale qui met l’accent sur l’apprentissage et la formation et mobilise les moyens pour de grands travaux.

M. Alain Chrétien. Baratin !

M. Jean-François Lamour. Il n’y a plus d’argent !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. Le projet de loi que défendra Myriam El Khomri dans les mois qui viennent permettra de mettre tout en action pour lutter en faveur de l’emploi et de la revalorisation du travail, ce que vous n’avez pas été capable de faire pendant des années. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Soutien aux entreprises

M. le président. La parole est à M. Alain Rousset, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Alain Rousset. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’économie. Le Gouvernement et le Président de la République ont souhaité lancer, en ce début d’année, une nouvelle action contre le chômage, à travers la formation des demandeurs d’emploi.

Un député du groupe Les Républicains. Au bout de quatre ans !

M. Alain Rousset. Après toutes les expériences que nous avons connues sur le terrain, cela pose certes la question de l’organisation du service public de l’emploi, mais aussi celle de l’accompagnement des PME, des TPE et des ETI, car ce sont elles qui créent des emplois.

M. François Rochebloine. C’est vrai !

M. Alain Rousset. Dans notre modèle encore trop centralisé, nous avons l’habitude de considérer que le vecteur économique passe par les grands groupes. Mais les grands groupes sont aspirés à l’international. Les PME et les ETI, quant à elles, ont créé ces dernières années pas moins de 80 000 emplois, singulièrement dans le monde industriel.

Un député du groupe Les Républicains. C’est vrai !

M. Alain Rousset. Et, dans le monde industriel, la création d’un emploi entraîne la création de trois à quatre autres emplois, grâce à un effet multiplicateur.

Nous avons déjà eu cette discussion, monsieur le ministre : on sait qu’une PME française, compte tenu de la capacité des régions tant réglementaire que financière, est cinq fois moins aidée qu’une PME allemande. Ce n’est pas un débat idéologique, il ne faut pas être naïf ; c’est simplement la réalité de l’accompagnement de ces entreprises.

M. François Rochebloine et M. Maurice Leroy. Très bien !

M. Alain Rousset. Ma question est double : la compétence économique des départements étant transférée aux régions, qui consacrent 1,5 milliard à l’accompagnement des entreprises, où cette somme va-t-elle aller ? Le plan du Gouvernement comprendra-t-il un volet sur les PME, TPE et ETI ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique.

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. Monsieur le député, bien évidemment, la nouvelle compétence en matière de développement économique des régions conduit l’État à travailler de façon plus rapprochée avec ces dernières sur les politiques économiques et de l’emploi. Le Premier ministre réunira début février l’ensemble des présidents de région pour orchestrer ces politiques et la mise en œuvre des annonces que le Président de la République fera dans quelques jours.

Si l’on veut comparer l’aide des régions à celle qu’apportent les Länder, il faut prendre en compte les différences entre les systèmes institutionnels et l’action propre de l’État. Nous proposons en effet une politique d’aide à l’export, avec la COFACE, et une politique de développement industriel, qui passe par le programme d’investissements d’avenir, le PIA, et par la Banque publique d’investissement, la BPI. Ces dernières années ont été marquées par un fort volontarisme dans ce domaine.

M. Philippe Le Ray. On voit le résultat !

M. Yves Fromion. Il n’y en a pas…

M. Emmanuel Macron, ministre. Permettez-moi d’insister, mais notre politique économique, notamment en matière de compétitivité et d’innovation, est essentiellement focalisée sur les PME et les ETI. S’agissant de la compétitivité coût, le pacte de responsabilité associé au CICE – 33 milliards cette année, 40 milliards l’année prochaine – sont essentiellement focalisés sur les PME et les ETI. Les allégements fiscaux vont en ce sens puisque la C3S a été supprimée l’année dernière pour les PME et le sera cette année pour les ETI.

S’agissant de la compétitivité hors coût et de la politique d’innovation et de montée en gamme, on s’aperçoit que les neuf solutions pour la nouvelle France industrielle entraînent beaucoup plus d’ETI et de PME que par le passé. Par ailleurs, l’alliance pour l’industrie du futur va permettre de financer et d’encadrer 2 000 PME et ETI, afin de les aider à prendre le tournant que leurs homologues allemandes ont négocié avec succès, celui de l’investissement productif et de la formation des individus. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Crise de l’agriculture

M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier, pour le groupe Les Républicains.

M. Guillaume Chevrollier. Monsieur le ministre de l’agriculture, la crise agricole n’est pas derrière nous, loin s’en faut, et ce n’est pas polémiquer que de constater que la situation demeure insupportable pour nos agriculteurs, en particulier pour nos producteurs de porcs, de lait et de viande bovine.

Le plan d’urgence de l’été dernier semble avoir eu peu d’effets sur les crises profondes que traversent toutes les filières animales. Les éleveurs sont en situation de détresse. Ils ne peuvent continuer à travailler à perte. Beaucoup d’exploitations sont en liquidation – on parle d’une sur cinq. La disparition d’un éleveur, c’est sept emplois détruits dans le monde rural, ce qui est considérable !

Avec un prix du porc descendu à 1,07 euro au lieu du 1,40 euro, nécessaire et annoncé, un éleveur peut-il vivre ?

M. Charles de La Verpillière. Non !

M. Guillaume Chevrollier. Quand une laiterie rachète 1 000 litres de lait 265 euros en ce début 2016 contre 330 euros en 2015 et 374 euros en 2014, un éleveur laitier peut-il continuer ? (« Non ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Or, ces baisses des prix ne se répercutent pas sur les consommateurs, et l’opacité de la répartition des marges tout au long des filières est encore prégnante. Que faites-vous pour que le label Viande de France ait un réel effet auprès du consommateur français ? (« Rien ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.)



Monsieur le ministre, vous avez déclaré, hier, dans cet hémicycle, qu’il fallait « donner de l’espoir aux filières par la contractualisation, par l’engagement de structurations ».

Je suis d’accord, mais passez aux actes !

Les éleveurs français paient très cher la désorganisation, l’excès de normes et de contraintes, la concurrence et les effets de l’embargo russe.

On sait tous, monsieur le ministre, que les problèmes sont aussi européens et que vous tentez de faire entendre la voix de la France, mais les agriculteurs ne peuvent attendre des années l’effet de votre politique. Ils réclament un vrai plan d’urgence. Monsieur le ministre, entendez leur appel au secours ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le député, vous avez rappelé que la crise n’était pas derrière nous, c’est vrai. Nous avons affaire à une crise du marché de l’élevage, qui porte sur le lait. Je l’ai déjà dit et je ne reviendrai pas sur la désorganisation du marché puisque la fin des quotas laitiers a été décidée en 2008. Il ne s’agit pas aujourd’hui de revenir en arrière.

M. Guy Geoffroy. Et qu’avez-vous fait pendant quatre ans ?

M. Stéphane Le Foll, ministre. La crise est aussi celle de la filière porcine. Vous avez rappelé que nous avons essayé à un moment donné de trouver un accord, et de répondre, sur le fameux marché du porc de Plérin, à une demande légitime des producteurs, à savoir assurer leurs prix et leurs coûts de revient. Je ne referai pas l’histoire, là non plus.

Mme Claude Greff. On attend les réponses !

M. Stéphane Le Foll, ministre. Ce sont des acteurs économiques, les acheteurs coopératifs et industriels, qui ont renoncé ou fait renoncer à ce qui pouvait être simplement un objectif de répartition de la valeur ajoutée au profit des producteurs.

Dès lors, un plan de soutien à l’élevage a été mis en place pour 700 millions sur trois ans, sachant que 180 millions d’euros sont d’ores et déjà engagés. Plus de 14 000 dossiers ont été déposés depuis le début de l’année – nous en étions déjà à 11 500 dossiers la première fois que je l’ai présenté.

M. François Sauvadet. Ce n’est pas à la hauteur !

M. Stéphane Le Foll, ministre. Il faudra continuer à mettre en œuvre la totalité de ce plan.

Cependant, vous l’avez dit, demeurent des sujets d’organisation, de structuration, voire de grandes questions, en particulier celle de l’opportunité de réajuster à nouveau ce plan de soutien à l’élevage compte tenu de la situation. Chacun doit bien réaliser que, pour faire face à cette crise de l’élevage, il faut s’appuyer sur des modèles, mais accepter aussi des évolutions, en particulier pour accroître la valeur ajoutée dans la production et la conserver. Cela n’a pas été fait depuis plusieurs dizaines d’années. Là est aussi l’enjeu : le court terme, mais aussi le moyen et le long terme. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Yves Fromion. Il n’y a pas eu de réponse !

Couverture santé des Français

M. le président. La parole est à Mme Martine Faure, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Mme Martine Faure. Madame la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, depuis 2012, notre majorité travaille pour renforcer les droits des Français et leur accès aux soins. Les réformes sociales que nous avons entreprises portent peu à peu leurs fruits. La précarité, l’absence de moyens financiers, ne doivent plus empêcher les Français de se soigner et nous pouvons être satisfaits des réformes engagées.

Nous sommes partis d’un constat simple : trop de Français renoncent à se soigner pour des raisons financières. Sans complémentaire santé, vous devez acquitter des sommes conséquentes pour consulter un dentiste, un opticien, ou faire face à des frais d’hospitalisation.

Depuis le 1er janvier, grâce à la loi pour la sécurisation de l’emploi, la couverture complémentaire santé collective est devenue obligatoire dans les entreprises. L’employeur doit ainsi proposer à ses salariés ne disposant pas d’une complémentaire, une couverture mutualiste efficace, et la prendre en charge pour moitié. C’est une grande avancée, notamment pour les 4 millions de salariés qui, en 2013, en étaient dépourvus.

Notons aussi que, depuis le 1er janvier 2016, la protection universelle maladie simplifie l’accès aux droits de tous ceux qui travaillent ou résident en France, quel que soit leur parcours. Elle permet d’assurer la continuité des droits, même lorsque l’assuré change de statut, ce qui n’était pas le cas auparavant.

S’inscrivant dans une démarche d’efficacité, de solidarité et de simplification, ces deux mesures sont mises en place tout en réduisant le déficit de la Sécurité sociale.

Madame la ministre, pouvez-vous nous dire ce que la généralisation de la complémentaire santé et la protection universelle maladie changeront pour les Français qui en seront désormais bénéficiaires ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Madame la députée, oui nous innovons, nous modernisons notre système social pour qu’il réponde mieux aux attentes de nos concitoyens. Depuis le 1erjanvier dernier, deux réformes majeures sont entrées en vigueur. Vous avez évoqué la première, l’obligation pour les entreprises de proposer une couverture complémentaire santé à leurs salariés. Concrètement, grâce à ce dispositif, 1 million de Français qui, jusqu’à aujourd’hui, ne disposaient pas de complémentaire santé, pourront désormais être couverts par celle-ci.

Par ailleurs, près de 4 millions de nos concitoyens verront s’améliorer la qualité de leur couverture santé puisque, désormais, les entreprises prennent en charge une partie de ce coût.

M. Edouard Philippe. Ce sont des charges en plus !

Mme Marisol Touraine, ministre. C’est donc une innovation et une avancée très importantes.

Quant à la deuxième réforme, entrée en vigueur le 1er janvier dernier, elle a mis en place la protection universelle maladie. Il s’agit d’éviter les ruptures de droits lorsque nos concitoyens changent de situation suite à une perte d’emploi, un divorce, ou un changement de domicile, par exemple. Depuis le 1er janvier dernier, sans qu’ils aient à faire aucune démarche, ceux de nos concitoyens qui ont perdu un emploi ou se sont séparés continueront d’être couverts par un régime d’assurance maladie.

En outre, une carte vitale, qui les accompagnera tout au long de leur vie, pourra être proposée aux enfants dès l’âge de douze ans. Notons également cette innovation importante : les femmes – qui sont les principales concernées – n’auront plus besoin d’être ayant droit de leur conjoint. Même si elles ne travaillent pas, elles disposeront d’un statut à part entière. Nous poursuivrons cette réforme et vous le voyez, madame la députée, nous innovons dans l’intérêt de nos concitoyens. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Douanes

M. le président. La parole est à M. Edouard Philippe, pour le groupe Les Républicains.

M. Edouard Philippe. Pascal Robinson. Havrais. Douanier. Fier de son métier. Fier de servir son pays. Le 23 novembre dernier, en pleine intervention à Toulon, ce chef d’équipe de la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières a été assassiné d’une balle dans la tête. Il laisse une compagne, un enfant et des collègues inconsolables.

Comme d’autres dans cette assemblée, j’ai rencontré sa famille. Elle n’exprime ni colère ni désir de vengeance ; elle a confiance en la justice. Mais elle voudrait que ce drame soit l’occasion d’une prise de conscience nationale.

En vingt ans, les missions de la douane se sont considérablement alourdies : mondialisation des fraudes et des réseaux, contrefaçon, commerce électronique, trafic d’armes et de stupéfiants et, désormais, flux migratoires et menaces terroristes.

Ce sont des missions à risques.

Or les moyens attribués ne sont pas, ne sont plus, à la hauteur. Et depuis longtemps.

Pascal Robinson devait bricoler lui-même un bélier en prévision d’une intervention. Des agents doivent équiper à leurs frais leurs véhicules ou s’acheter des gilets pare-balles lourds qui ne sont pas en dotation administrative. Tous ceux qui connaissent les douanes le savent.

M. Yann Galut. C’est vrai !

M. Edouard Philippe. Monsieur le Premier ministre, le Président de la République a annoncé, devant le Congrès, la création de 1 000 emplois supplémentaires dans les douanes dans les deux années à venir. Cette annonce n’est pas totalement dénuée de flou. En effet, le 2 décembre dernier, le secrétaire d’État chargé du budget annonçait la création de 500 postes seulement, laissant entendre que le solde résulterait de la non-suppression de postes initialement appelés à être supprimés.

Ma question est simple : les 1 000 postes en question seront-ils effectivement créés ? Et qu’allez-vous faire, au-delà des projets stratégiques qui existent s’agissant de la douane, pour permettre aux agents de mener à bien la mission difficile et essentielle qui leur est confiée ?

J’ai conscience, monsieur le Premier ministre, que cette question est sans doute moins spectaculaire et moins médiatique que celles qui concernent la déchéance de nationalité, mais j’ai la conviction intime qu’elle est en réalité bien plus importante pour nos concitoyens et pour leur sécurité. Merci d’éclairer les Français sur la réalité de votre action. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains, du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, ainsi que sur certains bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe écologiste et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du budget.

Mme Claude Greff. C’est au Premier ministre de répondre !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget. Monsieur le député, je me suis rendu personnellement aux obsèques de Pascal Robinson,…

M. Guy Geoffroy. Alors tout va bien !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. …qui était très attaché à ce que l’on prononce son patronyme à l’anglaise. J’ai rencontré sa famille, j’ai dialogué avec sa compagne, avec son fils, et je peux vous dire que nous tirerons tous les enseignements de cette triste aventure qui a coûté la vie à un de nos fonctionnaires et a marqué profondément les esprits non seulement des douaniers, mais aussi de tous ceux qui ont la responsabilité des douanes, à commencer par le secrétaire d’État chargé du budget et le ministre des finances.

Le Président de la République a annoncé 1 000 embauches supplémentaires pour les douaniers. Cet engagement sera tenu. Le 22 de ce mois, je présenterai mes vœux aux douaniers à la frontière suisse.

M. Guy Teissier. Vous ne prenez pas de risques !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. À cette occasion, je préciserai la localisation, la nature et l’accompagnement de ces emplois supplémentaires. L’équipement, notamment, fera l’objet d’un montant global de 35 millions d’euros, inscrit en loi de finances et dûment décliné.

Je partage par ailleurs votre analyse, monsieur le député. Les missions de la douane sont multiples. Dans le cadre de la surveillance des frontières, comme tous les personnels en uniforme, les douaniers peuvent représenter une cible. Ils ont fait la preuve de leur efficacité dans la lutte contre tous les trafics, lesquels sont très souvent liés, on le sait, au djihadisme et au terrorisme. La coopération entre la douane, les services de police et de gendarmerie et, au-delà, tous les services de l’État, y compris ceux de notre ministère, est complète.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Absolument !

M. Christian Eckert, secrétaire d’État. Le Gouvernement est pleinement engagé pour donner aux services douaniers non seulement toute leur place, mais aussi tous les moyens nécessaires. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur quelques bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

Situation financière des hôpitaux en Guyane

M. le président. La parole est à M. Gabriel Serville, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Gabriel Serville. Madame la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, alors que la Guyane se relève à peine d’une épidémie de chikungunya qui a touché plus de 15 000 personnes en deux ans, et tandis qu’elle doit désormais faire face à la menace du virus zika, qui a déjà affecté plus d’un million de personnes chez notre voisin brésilien, les finances des centres hospitaliers locaux sont au plus mal.

Le centre hospitalier de Cayenne voit sa situation se dégrader et annonce, au titre de 2015, un déficit budgétaire de 11 millions d’euros, doublé d’un handicap de 25 millions d’euros de dettes impayées auprès des fournisseurs.

Le centre médico-chirurgical de Kourou présente également des comptes extrêmement dégradés, avec un déficit estimé à plus de 8 millions d’euros. Cette situation pourrait entraîner le retrait de la Croix-Rouge de sa gestion puis son intégration forcée au centre hospitalier de Cayenne, qui se retrouverait dès lors face à un déficit insupportable, avec à court terme des besoins de l’ordre de 44 millions d’euros.

En outre, les personnels de santé affichent désormais publiquement leur désarroi et leurs inquiétudes, lesquelles sont relayées par la société civile qui a lancé une pétition en ligne pour sauver le centre médico-chirurgical de Kourou.

Pis, sur la situation financière calamiteuse viennent maintenant se greffer des contestations sociales émanant des cadres supérieurs de santé du centre hospitalier de Cayenne, qui mettent directement en cause la gestion de l’actuel directeur de leur établissement.

Dans votre loi sur la santé, madame la ministre, vous avez affiché de fortes ambitions pour les ultramarins, qui attendent aujourd’hui des actes concrets. Aussi, je vous remercie de bien vouloir m’éclairer quant aux mesures immédiates que vous envisagez pour apporter des réponses pérennes aux difficultés éprouvées par le service public de la santé en Guyane. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Il est vrai, monsieur le député, que la Guyane est confrontée à d’importants défis en matière de santé. Vous avez évoqué les maladies vectorielles telles que le chikungunya, ou aujourd’hui le zika. Il existe également des enjeux quant à l’attractivité médicale de ce territoire : il faut faire en sorte que des professionnels y soient présents.

Dans ce contexte, nous avons absolument besoin de l’engagement des centres hospitaliers de Kourou et de Cayenne.

J’ai pris très au sérieux les difficultés financières de ces établissements, puisque j’ai décidé d’apporter une aide exceptionnelle de près de 9 millions d’euros à celui de Cayenne pour l’exercice 2015, et de 1,5 million d’euros à celui de Kourou. Cette aide se poursuivra à travers le financement de l’investissement, ces hôpitaux – en particulier celui de Cayenne – ayant aussi besoin d’une rénovation de leurs bâtiments. Le Gouvernement accompagnera ce projet de reconstruction.

Je souhaite que cet engagement pour une perspective d’avenir soit l’occasion d’un dialogue fructueux entre – et avec – les différents professionnels, car je sais les efforts qu’ils consentent quotidiennement, dans des conditions parfois difficiles, pour permettre que toute la population soit accueillie, et bien accueillie.

Je veux donc vous dire, monsieur de député, l’engagement du Gouvernement, qui se poursuivra d’ailleurs par la définition de la stratégie nationale de santé pour les territoires ultramarins. Vous pouvez compter sur notre présence à vos côtés.

Agressions sexuelles en Europe

M. le président. La parole est à Mme Valérie Boyer, pour le groupe Les Républicains.

Mme Valérie Boyer. Monsieur le Premier ministre, je voulais vous demander votre soutien à la demande de grâce présidentielle formulée par les filles de Jacqueline Sauvage, avec le concours de maître Tomasini, et soutenue par de nombreux parlementaires.

M. Jean Glavany. Ce n’est pas le lieu pour cela !

Mme Valérie Boyer. Vous le savez, Jacqueline Sauvage est le symbole français des 134 femmes qui sont décédées en 2014 sous les coups d’un mari violent.

Mais, actualité oblige, comment ne pas réagir aux inquiétants événements qui se déroulent en Europe ? Les autorités allemandes ont recensé plus de 600 plaintes pour injures, agressions sexuelles et viols, pour la seule ville de Cologne, le soir du Nouvel An.

C’est grâce aux informations circulant sur internet que les langues des autorités se sont enfin déliées. Il a fallu attendre plusieurs jours pour que l’on apprenne que ces agressions ont été coordonnées et perpétrées par des étrangers et des migrants, qui sont accueillis par milliers en Allemagne.

M. Bernard Roman. Nous y voilà !

Mme Valérie Boyer. En Suède, on nous a caché viols et agressions dans les mêmes circonstances. Mais attention, pas d’amalgame ! Plutôt que de condamner avec la plus grande fermeté ces actes odieux, on les cache. On demande même aux femmes d’adapter leur tenue et leur comportement. C’est évident, si elles se sont fait agresser, c’est de leur faute, elles l’ont bien cherché !

À la lumière de ces événements, comment ne pas être choqué par le manque de réaction des autorités européennes ? Où sont les féministes ? Sommes-nous en train d’assister à l’avènement d’une nouvelle forme de terrorisme, un terrorisme sexuel où l’on considère les femmes comme du gibier ?

Les Français sont inquiets. D’après les statistiques de l’Organisation internationale pour les migrations pour 2015, 70 % des migrants sont des hommes, en grande majorité jeunes. Savons-nous pourquoi on accueille majoritairement des hommes et pas des familles ? Que deviennent leurs familles ? En France, qu’en est-il ?

Ces questions sont dérangeantes. Elles sont choquantes. Mais il serait irresponsable de ne pas les aborder avec franchise et transparence.

M. Guy Geoffroy. Très bien !

Mme Valérie Boyer. Monsieur le Premier ministre, nous aspirons tous à vivre dans une France apaisée. À l’heure où vous répartissez les migrants dans nos villes et nos campagnes, pouvez-vous nous dire quelles mesures sont prises concrètement pour que leur accueil se passe au mieux ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée des droits des femmes.

Mme Pascale Boistard, secrétaire d’État chargée des droits des femmes. Madame la députée, votre question mélange des sujets terribles, mais elle fait aussi beaucoup d’amalgames.

Je rappelle que le viol est dans notre pays considéré comme un crime…

Mme Valérie Boyer. En Allemagne aussi !

Mme Pascale Boistard, secrétaire d’État. …et il ne m’appartient pas ici de me substituer à mon homologue allemande.

M. Yves Censi. Mais vous pourriez au moins vous indigner !

Mme Pascale Boistard, secrétaire d’État. En revanche, et vous ne l’avez pas dit dans votre question, toutes les femmes et tous les hommes qui défendent les droits des femmes et luttent contre les violences faites aux femmes, sur ces bancs et ailleurs, se sont émus de cette situation.

Ces moments difficiles pour plusieurs centaines de femmes sont l’occasion pour nous, en France, de nous dire que ce gouvernement a fait une priorité de la lutte contre les violences faites aux femmes et a renforcé la lutte contre ce crime qu’est le viol, qui se produit encore trop souvent dans notre pays.

M. Claude Goasguen. Langue de bois !

Mme Pascale Boistard, secrétaire d’État. C’est grâce à notre détermination que ces violences reculeront encore dans notre pays.

M. Claude Goasguen. Ce n’est pas digne !

Mme Pascale Boistard, secrétaire d’État. Soyez à nos côtés au niveau européen pour obtenir une stratégie européenne sur les droits des femmes pour lutter contre les violences qui sont faites aux femmes en Europe.

M. Christian Jacob. Minable !

Mme Valérie Boyer. Lamentable ! Vous refusez de voir l’évidence !

Mme Pascale Boistard, secrétaire d’État. Aujourd’hui, nous avons besoin de tout le monde pour que les droits des femmes avancent en Europe. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Guy Teissier. Cette réponse n’est pas au niveau !

Restructuration de l’entreprise Pentair d’Armentières

M. le président. La parole est à M. Yves Durand, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.

M. Yves Durand. Monsieur le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique, les 258 salariés de l’entreprise Pentair d’Armentières s’inquiètent pour leur emploi. En effet, un plan de restructuration a été annoncé par la direction américaine de cette entreprise.

Mais au-delà de leur emploi, les salariés craignent aussi, et peut-être même surtout, pour le maintien de leur savoir-faire dans un secteur stratégique puisqu’ils produisent du matériel pour l’industrie nucléaire. Leurs clients s’appellent Areva, EDF et la DCN pour les sous-marins nucléaires.

Il semble bien que la direction américaine privilégie les sites allemands, italiens et anglais, au détriment des sites français de Ham, sur lequel nous vous avons posé une question hier, et d’Armentières.

J’ai pu moi-même constater la mobilisation de l’ensemble du personnel autour de son usine et de sa production. Je veux aussi rappeler que l’entreprise a bénéficié de la baisse de charges de 1 million d’euros pour 2015 au titre du CICE, et donc de l’effort considérable que le Gouvernement consent pour l’emploi et l’investissement.

Tous les élus se sont mobilisés et c’est en notre nom à tous, toutes tendances confondues, que le président de la région Nord-Pas-de-Calais-Picardie, M. Xavier Bertrand, a rencontré la direction de la société à Zurich la semaine dernière avant le comité d’entreprise du 18 janvier.

Monsieur le ministre, quels moyens pouvez-vous utiliser pour que ce savoir-faire reconnu de tous et stratégique reste en France ? Comment comptez-vous associer les élus aux discussions que vous souhaitez engager avec la direction de Pentair ou avec un éventuel repreneur ?

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique.

M. Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. Monsieur le député, vous avez raison de revenir sur ce sujet important qu’est la situation industrielle critique, dans un bassin d’emploi déjà particulièrement en souffrance, du site d’Armentières.

Ce sont vingt-cinq salariés qui sont touchés par le plan annoncé le 15 décembre dernier, en plus de la fermeture du site de Ham dont nous avons évoqué le sort hier.

Sur ce sujet, le travail initié par les pouvoirs publics et l’ensemble des collectivités territoriales est fondamental. L’ensemble des élus ici présents et le président de région, avec qui j’ai eu l’occasion d’en discuter hier, seront pleinement associés et ils auront eux aussi leur propre démarche.

Avant tout, nous avons engagé un dialogue avec la direction de Pentair pour revoir ces déclarations et étudier la façon dont nous pouvons accompagner le groupe pour améliorer sa compétitivité sur les sites français. Car, vous l’avez dit, ces choix sont faits dans le cadre d’une restructuration d’ensemble du groupe, de ses marques et de ses sites productifs.

Le dialogue est en cours. Plusieurs pistes sont apparues et devraient être poursuivies, ce qui me donne quelque espoir. Nous vous en tiendrons bien évidemment informés.

Le deuxième axe de travail est celui que nous devons conduire avec l’ensemble des donneurs d’ordre, qui ont une responsabilité en tant que têtes de filière. Les grands groupes, qu’ils soient énergéticiens, chimiques ou nucléaires, s’agissant du site d’Armentières, doivent faire des efforts en termes de commandes et c’est ce que nous leur avons demandé. Ce travail va se poursuivre dans les prochaines semaines et je vous en tiendrai également informés.

Enfin, nous devons d’ores et déjà nous intéresser aux partenaires, aux éventuels repreneurs du site de Ham et, éventuellement, aux co-investisseurs sur le site d’Armentières pour consolider l’avenir industriel de ces sites. Nous avons su le faire pour d’autres sites de la région comme celui d’Arques, par exemple, où nous sommes sortis par le haut, si je puis dire, d’un conflit et de grandes difficultés il y a quelques mois. Nous devons poursuivre dans ces trois axes et c’est ce que nous ferons. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Création d’un EPIDE en Guadeloupe

M. le président. La parole est à M. Ary Chalus, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Ary Chalus. Monsieur le Premier ministre, alors que la situation semblait s’apaiser en Guadeloupe, on assiste à une recrudescence des faits de violence et de la délinquance.

Depuis quelques mois, le nombre de braquages augmente. Nous avons même eu à déplorer le week-end dernier des tirs visant les forces de l’ordre. Le nombre d’armes en circulation n’a jamais été aussi important. Le manque de policiers se fait ressentir en Guadeloupe.

Si le travail, très efficace, des enquêteurs de la gendarmerie et de la police permet, en général rapidement, d’appréhender les auteurs des faits, je pense qu’il y a urgence à nous interroger sur le sens des condamnations et des peines prononcées pour prévenir le fléau de la récidive, en favorisant une réelle insertion à la fois citoyenne et professionnelle.

Je souhaite ainsi revenir sur ma proposition du 5 novembre 2014 de créer un établissement public d’insertion de la défense – EPIDE – en Guadeloupe.

Ce dispositif, issu de la loi du 26 décembre 2011, propose aux mineurs délinquants âgés de seize à dix-huit ans, à titre d’alternative à une peine d’incarcération et sur la base du volontariat, d’accomplir un contrat de service. Cette expérimentation apparaît plus que jamais comme une réelle opportunité.

Le dispositif, même s’il pourrait être amendé, me semble aussi aller dans le sens de la volonté que le Président de la République a exprimée le 11 janvier 2016, lors de ses vœux à la jeunesse et aux forces de l’engagement, d’étendre le service civique.

Une mesure ciblée en milieu ouvert et non plus en prison est surtout un excellent moyen de prévenir la récidive.

En concertation avec le conseil départemental et les communautés d’agglomération, je pense que nous sommes en mesure de concrétiser la création du premier EPIDE en outre-mer.

Monsieur le Premier ministre, le Gouvernement souhaite-t-il nous accompagner pour mettre en place un dispositif visant l’encadrement militaire des mineurs délinquants afin qu’en outre-mer, on puisse mieux répondre aux besoins des jeunes en voie de marginalisation ? (Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

M. Arnaud Richard. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Monsieur le député, je partage votre constat sur la situation compliquée que connaît la Guadeloupe où – je puis en témoigner –, les services de police, de gendarmerie et de justice sont particulièrement mobilisés.

Vous saluez l’action que mènent les EPIDE. Grâce à ces dispositifs d’insertion professionnelle, le taux d’insertion des jeunes sans qualification et sortis du système scolaire depuis de nombreuses années, devient particulièrement intéressant. C’est pourquoi le Président de la République a souhaité augmenter dès 2015 le nombre de places dans ces établissements. Actuellement, ceux-ci accueillent 3 500 jeunes. Ils en accueilleront près de 4 500 le mois prochain. Deux centres vont s’ouvrir cette année, l’un à Toulouse, l’autre à Nîmes.

Vous interrogez le Gouvernement sur les dispositifs qui existent en Guadeloupe, où il n’existe pas d’EPIDE. C’est d’ailleurs le cas dans tout l’outre-mer, puisque ces établissements ont été créés en 2005, justement sur le modèle du service militaire adapté à l’outre-mer. Le SMA, qui existe depuis de nombreuses années en outre-mer, a permis de toucher près de 5 000 jeunes.

Les centres proposaient d’accueillir des jeunes de seize à dix-huit ans placés sous main de justice, mais cette expérience, qui a été menée pendant un an, n’a pas été poursuivie, pour plusieurs raisons.

L’une d’elles tient aux difficultés d’encadrement, en termes de mixité, quand il existe des mineurs et des majeurs, et qu’on mène des activités en direction des entreprises.

Par ailleurs, l’expérience n’a pas été jugée efficace, au regard de la mixité du public mais aussi du point de vue du personnel pédagogique. De fait, la pédagogie de l’EPIDE est fondée sur le volontariat.

L’EPIDE et le SMA restent cependant tournés vers l’insertion professionnelle des jeunes. Le Gouvernement est ouvert pour travailler avec vous, avec le ministère de la justice, celui de l’outre-mer et celui de la défense, sur un nouveau dispositif. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Politique du Gouvernement

M. le président. La parole est à M. Philippe Gosselin, pour le groupe Les Républicains.

M. Philippe Gosselin. Monsieur le Premier ministre, le feuilleton de la déchéance de nationalité continue. Le président Urvoas est envoyé en mission d’urgence pour tenter de recoller les morceaux dans la majorité.

M. Bernard Roman. Il est président de la commission des lois !

M. Philippe Gosselin. On ne sait où plus on en est. Déchéance de nationalité ? Déchéance de citoyenneté ? Indignité nationale ? La garde des sceaux est remplacée par le Premier ministre lui-même pour défendre le texte au Parlement. Que d’atermoiements ! Que de yo-yo !

Les Français attendent, eux, de se sentir en sécurité. Personne, vraiment personne, n’a contraint le Président de la République à s’exprimer comme il l’a fait à Versailles. N’a-t-il donc aucune autorité ?

Et surtout, beaucoup d’autres sujets en attente ne sont pas pris en compte. Les agriculteurs français lancent un appel au secours. Crise du porc. Crise du lait. Crise de l’élevage. Crise légumière, désormais. Crise pour tous, si j’ose dire.

La crise fait des ravages dans nos campagnes. Nos paysans n’en peuvent plus. Que fait-on pour eux ?

Les PME, les artisans, les commerçants, tous ont de lourdes charges. Les normes les ralentissent. Le RSI ne les comprend pas toujours. Les marchés sont atones. Que fait-on pour eux ?

M. Pascal Popelin. Quelle démagogie !

M. Philippe Gosselin. Les salariés sont inquiets pour leurs entreprises, pour leur emploi. Que fait-on pour eux ? Vingt-quatre pays sur vingt-huit en Europe ont commencé à inverser la courbe du chômage. Quatre n’ont toujours pas réussi, dont la France !

Et que proposez-vous ?

Un plan d’1 milliard d’euros, sans doute pour retirer 500 000 chômeurs des statistiques. Ce n’est franchement pas à la hauteur.

M. Jean-Luc Laurent. Voilà le discours d’un candidat aux primaires des Républicains !

M. Philippe Gosselin. Même la ministre de l’emploi se prend les pieds dans le tapis de la courbe du chômage et se contredit à deux ou trois jours d’intervalle.

Alors, monsieur le Premier ministre, au lieu de colmater les brèches dans la majorité sur la révision de la Constitution,…

M. Marc Le Fur. En effet !

M. Philippe Gosselin. …quand allez-vous mettre toutes vos forces, au-delà de ce que vous faites aujourd’hui, dans la bataille de l’économie, de l’emploi et du pouvoir d’achat, pour être vraiment au service de la France et des Français ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur plusieurs bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Oui, monsieur le président, c’est le cas cette semaine, je réponds à la dernière question, qui, sans avoir l’outrance de celle d’hier, mélange – vous avez votre propre cohérence, que je respecte, monsieur le député – toute une série de sujets.

M. Christian Jacob. Les ministres sont interdits de parole !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Ne vous inquiétez pas, monsieur Jacob : chacun peut parler.

M. Christian Jacob. On ne les entend pas beaucoup !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Il est vrai que celui qu’on entend surtout, c’est vous, mais rarement sur le fond, et jamais pour formuler des propositions. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Je répondrai à la première partie de votre question, monsieur Gosselin, où, je pense, vous avez voulu ramener le débat à l’essentiel : la situation de notre pays, confronté d’abord à une menace terroriste sans précédent.

M. Guy Geoffroy. Et à un chômage également sans précédent !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Je pense bien sûr aux attaques de janvier et de novembre. Pour ma part – et chacun d’entre nous ressent la même chose –, je veux d’abord me souvenir des victimes, des centaines de blessés et des milliers de personnes qui leur sont proches. Le pays est encore sous le coup, sous le choc, sous la sidération de ces événements.

Le 16 novembre, trois jours après l’attaque terrible du 13 novembre, le Président de la République a voulu faire en sorte que la nation se rassemble, à travers la réunion du Parlement en congrès à Versailles.

Personne ne doit oublier ni son discours ni son engagement, qui s’est traduit par des moyens supplémentaires, comme cela avait été le cas en février, pour nos forces de sécurité – armée, police et gendarmerie – et pour la justice.

À travers la réforme constitutionnelle, il a voulu asseoir dans notre droit fondamental l’état d’urgence et faire en sorte que nous cherchions l’unité et le rassemblement, non seulement des responsables politiques,…

M. Guy Geoffroy. Dans la majorité, c’est raté !

M. Manuel Valls, Premier ministre. …mais des Français, dans un moment où tout pouvait basculer.

Ma tâche, notre tâche et celle de tous ceux qui exercent la belle responsabilité du gouvernement de la France, c’est de faire en sorte que cette union, ce rassemblement sur ce sujet majeur soient en permanence assurés.

Le poids de cette responsabilité est sur les épaules non seulement du Gouvernement mais de chaque parlementaire. Il y a tout juste un an, dans cette enceinte, nous avons décrit ce qui se passe dans nos quartiers : le racisme, le rejet de l’autre et un mal profond qui dit tout le reste : l’antisémitisme. Hier, le ministre de l’intérieur a répondu à une question d’un parlementaire sur l’agression insoutenable qui s’est produite à Marseille.

L’antisémitisme qui monte vient malheureusement de très loin. C’est celui de l’extrême droite, qu’on retrouve sur les réseaux sociaux, celui de Dieudonné et de Soral, celui d’une partie, malheureusement, de l’extrême gauche, qui, sur ces questions, s’est égarée.

Voilà qui nous oblige, monsieur le député, à être, comme vous le dites, à la hauteur de la situation. C’est vrai, bien sûr, dans tous les domaines, et d’abord en matière de sécurité. C’est vrai dans la manière de lutter contre le racisme et l’antisémitisme, et dans la volonté de rassembler les Français. C’est vrai aussi sur tous les autres sujets. La responsabilité du Gouvernement est d’agir ; la vôtre est de proposer ou de critiquer, et d’agir.

Mais l’important est de faire en sorte – et je ne doute pas de votre réaction, dans quelques secondes, ni de celle du président de votre groupe –, c’est de le faire dans un esprit de responsabilité.

M. Christian Jacob. Ah oui !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Vous voyez : vous êtes tombé dans le panneau. (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

C’est en nous écoutant, en essayant d’avancer, que nous ferons en sorte que les Français qui nous regardent se disent que leurs responsables politiques sont à la hauteur.

M. Yves Nicolin. Vous prétendez rassembler, mais vous faites l’inverse !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Je me dis très modestement, et je suis sûr que vous partagez ce constat, que ceux qui regardent les questions au Gouvernement se disent parfois que les uns et les autres ne sont pas à la hauteur de la responsabilité attendue par les Français.

Sur tous les sujets que vous avez évoqués, le Gouvernement a la responsabilité d’agir pour obtenir des résultats, parce que c’est ce que les Français nous demandent. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures dix, est reprise à seize heures vingt.)

M. le président. La séance est reprise.

3

Questions sur l’état d’urgence et la politique pénale

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions sur l’état d’urgence et la politique pénale.

Je vous rappelle que la conférence des présidents a fixé à deux minutes la durée maximale de chaque question et de chaque réponse, sans droit de réplique.

Nous commençons par des questions du groupe Les Républicains.

La parole est à M. Georges Fenech.

M. Georges Fenech. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre de l’intérieur, le 12 décembre 2015 s’est tenue la Conférence nationale des procureurs, qui a lancé un cri d’alarme. Elle a appelé à ne plus rédiger les rapports administratifs et à ne plus participer aux instances ne présentant pas un caractère opérationnel. C’est vous dire l’inquiétude des procureurs quant à la surcharge de travail ! Qu’avez-vous à leur répondre, madame la ministre de la justice ?

D’autre part, une très vive inquiétude monte aujourd’hui dans la magistrature au sujet de la réforme pénale que vous préparez et qui conduirait, si elle devait voir le jour, à une dépossession de la justice au profit d’autorités administratives. Nous nous retrouverions dans une sorte d’état d’urgence permanent : puisque le préfet remplacerait le procureur et le juge, il pourrait ordonner toute sorte de mesures attentatoires aux libertés – fouilles, perquisitions, assignations – sous le seul contrôle, a posteriori, du juge administratif. Allez-vous, madame la ministre, abandonner l’état de droit au profit d’un état policier ? Je vois du reste un symbole dans le fait que vous soyez aujourd’hui assise à côté du ministre de l’intérieur.

Mme Martine Lignières-Cassou. Oh !

M. Georges Fenech. Pourquoi vous obstinez-vous par ailleurs, madame la ministre, à faire bénéficier les délinquants les plus dangereux et les plus susceptibles de verser dans le terrorisme de traitements pénaux de faveur ? Suppression des peines plancher, contrainte pénale en lieu et place de la prison, réduction de peine automatique, libération conditionnelle sans contrôle : il est temps de revoir toute votre politique pénale à cet égard ! Après l’agression d’un enseignant juif marseillais par un jeune qui n’est même pas âgé de seize ans, persisterez-vous à vouloir supprimer les tribunaux correctionnels pour mineurs et à étendre les mesures éducatives jusqu’à l’âge de vingt-et-un ans ?

Enfin, madame la ministre, selon des informations qui me sont parvenues, et qui sont à mettre au conditionnel, des détenus radicalisés continueraient, par l’intermédiaire de Skype, à dialoguer depuis leur cellule de prison avec l’État islamique, peut-être pour préparer de nouveaux attentats. Avez-vous reçu les mêmes informations ? Et quelles mesures pourriez-vous prendre pour lutter contre cet état de fait, s’il était avéré ?

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, monsieur le député, je ferai de mon mieux pour répondre à la batterie de questions que vous m’avez posées sur des sujets très différents, et qui appellent des réponses très précises. Et, sur les questions que je n’aurai pas le temps d’approfondir, j’irai jusqu’à vous envoyer une réponse écrite.

Nous avons installé et continuons d’installer des brouilleurs de haute technologie dans les établissements pénitentiaires. J’ai déjà eu l’occasion de dire ici que ces brouilleurs posent un certain nombre de problèmes, notamment celui du brouillage des communications dans l’environnement immédiat de l’établissement, ainsi qu’un certain nombre de problèmes de santé. C’est la raison pour laquelle nous avons dû prendre des précautions – et cela fait dix-huit mois que nous y travaillons. Nous disposons déjà de 658 brouilleurs et allons en installer de nouveaux, de dernière génération. Nous sommes soucieux d’être efficaces sur ces questions et avons déjà posé 300 détecteurs de téléphones portables.

J’en viens maintenant à vos propos sur le mécontentement des procureurs. Je rappelle que leurs missions sont définies, principalement, par le code de procédure pénale. Or, participer à des réunions relatives à la prévention de la délinquance fait partie de ces missions. Je rappelle également que nous avons donné à la magistrature des moyens, notamment en termes d’effectifs. En effet, depuis que nous sommes aux responsabilités, nous avons plus de 300 élèves magistrats par promotion.

Pour compenser les 300 départs à la retraite qui ont lieu chaque année, la précédente majorité aurait dû faire des promotions de plus de 300 élèves, or elles ne comptaient que 100 à 120 élèves en moyenne. Depuis que nous sommes aux responsabilités, les promotions ont compté successivement 350, 368, puis 382 élèves magistrats. Et nous en aurons 560 cette année, au lieu des 482 initialement prévus, grâce au plan de lutte antiterroriste, qui nous permettra de renforcer notre école.

Nous donnons des moyens à la magistrature et assurons l’arrivée dans les juridictions de nouveaux magistrats. Et vous savez par ailleurs que nous avons simplifié les procédures.

M. le président. Merci de conclure, madame la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Dans le projet de loi portant réforme de la procédure pénale, nous simplifierons encore les procédures. Sur les deux autres questions que vous m’avez posées, monsieur le député, je vous enverrai une réponse écrite.

M. le président. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson.

Je rappelle que la durée maximale de chaque question et de chaque réponse est de deux minutes.

M. Jean-Frédéric Poisson. Madame la garde des sceaux, j’aimerais vous poser deux questions, dans le prolongement de celle de notre collègue Georges Fenech.

Dans le cadre du contrôle de l’état d’urgence, nous avons souvent entendu avec Jean-Jacques Urvoas que, si la coopération entre les services de renseignement et l’administration pénitentiaire est satisfaisante en matière de surveillance des activités à caractère terroriste dans le monde carcéral, certains éléments dangereux, qui sont surveillés ou punis comme tels, continuent néanmoins de communiquer avec l’extérieur, grâce à leur téléphone, mais aussi par d’autres moyens, et poursuivent ainsi leur activité.

Au-delà, donc, de l’installation de brouilleurs, il semble tout à fait nécessaire d’inventer d’autres moyens d’action – fouilles, surveillance, contrôle – et même un contrôle de l’isolement. En effet, comme je l’ai dit ce matin en commission des lois, un détenu condamné pour des faits de terrorisme dans une maison de détention de province, et qui est à l’isolement, a réussi à donner une interview à un organe de presse étranger – ce qui montre que cet isolement est tout relatif ! Il convient donc de prendre des mesures extrêmement sévères pour mettre fin à ce qui relève d’une poursuite de la menace terroriste. Dans ces circonstances, que comptez-vous faire, madame la ministre, au-delà de ce que vous avez exposé tout à l’heure ?

Ma deuxième question porte sur la fin de l’état d’urgence, qui arrivera bien un jour, et le retour à l’état de droit commun. Elle porte plus particulièrement sur la transition qu’il conviendra d’organiser entre la justice administrative – et les mesures qu’elle prend aujourd’hui – et la poursuite d’un certain nombre de ces mesures sur le plan judiciaire. Il convient de réfléchir à la transition, ou à la passerelle, entre ces deux manières d’exercer la justice. Madame le garde des sceaux, cette question fait-elle actuellement partie du champ d’action et de réflexion de vos services ? Où en sont vos réflexions pour assurer, ne serait-ce que la sécurisation des procédures entamées et leur poursuite dans le cadre de la justice judiciaire de droit commun ?

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je vais, cette fois encore, tenter de faire de mon mieux et d’appuyer sur l’accélérateur, tout en essayant, par respect pour vous, d’être compréhensible.

J’apprécie que vous n’ayez pas repris la formule de M. le député Georges Fenech, qui a parlé d’État policier, par opposition à l’État de justice : nous n’en sommes pas là. Respectons notre démocratie et reconnaissons que, s’il nous a été nécessaire, pour faire face au défi du terrorisme, de donner aux enquêteurs et aux magistrats les moyens d’investigation dont ils ont besoin, nous avons aussi pris toutes les précautions nécessaires pour rester dans l’État de droit. Le Président de la République a toujours dit très clairement que toutes les avancées que nous ferions, aussi bien en matière d’encadrement des activités des services administratifs de renseignement, que dans l’octroi de nouvelles mesures d’investigation, devraient se faire dans la logique de l’État de droit.

L’État de droit, c’est tout simplement le contrôle : cela signifie que, lorsque de nouvelles mesures d’investigation sont octroyées, le juge des libertés et de la détention est là pour autoriser et contrôler. Je vous informe par ailleurs – mais vous le savez sans doute, pour travailler sur ces sujets depuis longtemps – que dans notre réforme J21, il est prévu un statut spécialisé du juge des libertés et de la détention. Le contenu de la loi de procédure pénale vous sera bientôt présenté.

S’agissant des terroristes détenus dans des établissements pénitentiaires, ceux qui se rendent coupables de prosélytisme et qui sont très radicalisés font l’objet d’un isolement et d’un contrôle régulier. Des dispositifs de fouilles ont été mis en place. Je rappelle que la loi pénitentiaire de 2009 a prévu la réglementation des fouilles selon les règles pénitentiaires européennes, mais n’a pas mis en place de moyens de substitution. Depuis que nous sommes là, nous avons installé des portiques de détection à ondes millimétriques et à masse métallique, et des contrôles sont faits régulièrement.

Vous avez raison : les moyens technologiques et, en l’occurrence, les brouilleurs, ne suffisent pas. C’est pour cette raison que nous avons développé le renseignement pénitentiaire. Lorsque nous sommes arrivés au pouvoir, le renseignement pénitentiaire était composé de 72 agents. Aujourd’hui, il en compte 159, et ils seront 185 l’année prochaine. Nous avons redéployé le renseignement pénitentiaire et placé 144 officiers pénitentiaires dans nos établissements. Nous avons par ailleurs développé nos relations avec l’unité de lutte contre le terrorisme et nous avons actuellement un directeur pénitentiaire qui siège au sein de l’unité de coordination de lutte antiterroriste – UCLAT.

M. le président. Nous en venons aux questions du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde.

M. Jean-Christophe Lagarde. Monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre de l’intérieur, si, dès les drames du mois de novembre, nous avons approuvé l’état de d’urgence, reconnaissant qu’il correspondait à un besoin, et le fait de donner au Gouvernement des moyens exceptionnels, qui ont été prolongés par le Parlement, nous avons également affirmé la nécessité d’inclure dans le droit commun des dispositifs juridiques qui paraissent nécessaires non seulement aujourd’hui, dans la crise que nous traversons, mais, cette crise n’étant pas limitée dans le temps, le resteront également demain, que l’état d’urgence soit ou non prolongé dans quelques semaines. C’est pourquoi il convient à nos yeux d’adapter notre législation – le Gouvernement semble s’orienter dans cette direction – ainsi que les moyens de contrôle de l’action de l’État. En effet, à des moyens exceptionnels on doit pouvoir opposer à la fois des contrôles parlementaires exceptionnels – certes, nous n’en avons pas la culture mais le président de la commission des lois a d’ores et déjà entrepris de la modifier sur ce point –, et des contrôles d’ordre juridictionnel effectués par le juge administratif.

Pour pouvoir procéder à cette adaptation législative qui, je le répète, nous a paru nécessaire dès le début, et vers laquelle le Gouvernement semble aujourd’hui s’orienter, les parlementaires devraient disposer d’un bilan plus précis et plus détaillé de l’utilité des mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence. Quels sont, par exemple, les fruits réels des assignations à résidence ou, par-delà le nombre des armes saisies, dont la plupart n’ont sans doute pas grand-chose à voir avec le terrorisme, ceux des perquisitions administratives ? Quelles informations les services de l’État, notamment les services de renseignement et ceux qui garantissent la sécurité des Français ces mesures ont-ils pu obtenir grâce à ces mesures ? Il serait utile que le Gouvernement en fasse bénéficier le Parlement en vue de l’éclairer lorsqu’il s’agira d’adapter notre législation.

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Monsieur le député, vous avez raison de rappeler que les prérogatives données à l’administration dans le cadre de l’état d’urgence en vue de prévenir des risques terroristes justifient un contrôle puissant du Parlement. Ces prérogatives, en effet, ne relèvent pas du droit commun même si elles sont toutes inscrites dans le droit : je pense aux mesures de police administrative que sont les perquisitions administratives, l’assignation à résidence, la possibilité d’interdire des manifestations dans des circonstances particulières ou la sécurisation de différents lieux, notamment des sites Seveso. Le Parlement a souhaité exercer ce contrôle et l’exerce effectivement à travers le travail très pugnace du président Urvoas et de M. Jean-Frédéric Poisson, dans le cadre, notamment, de contrôles permanents sur pièces et sur place au sein des préfectures.

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est vrai.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Vous y passez du temps. Les préfets et les directeurs départementaux de la sécurité publique sont à votre disposition. De même, vous avez pu rencontrer l’ensemble des collaborateurs du ministère de l’intérieur que vous souhaitiez rencontrer et leur poser toutes les questions que vous vouliez. De plus, lorsqu’une lettre a été adressée par les deux rapporteurs au ministère de l’intérieur, j’ai donné instruction, et mis en place une équipe à cette fin, pour que, dans les quarante-huit heures, la réponse la plus détaillée possible soit apportée.

Le président Urvoas et Jean-Frédéric Poisson ont rendu ce matin un rapport d’étape,…

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. En commission des lois.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. …dont l’AFP a rendu compte et qui témoigne de l’efficacité du contrôle qui est exercé.

Par ailleurs le Premier ministre réunit deux fois par mois l’ensemble des groupes parlementaires pour leur rendre compte point par point des conditions dans lesquelles l’état d’urgence est mis en œuvre. Je fais de même place Beauvau. C’est dire à quel point les vœux que vous exprimez ont été exaucés. Nous avons l’intention de continuer à le faire. Du reste, si tel n’était pas le cas, vos deux rapporteurs se rappelleraient à notre bon souvenir.

M. le président. La parole est à M. Michel Zumkeller.

M. Michel Zumkeller. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre de l’intérieur, mes chers collègues, comme cela a été rappelé, grâce à l’amendement du président de la commission des lois, M. Urvoas, les parlementaires reçoivent une information très importante, comme ce matin en commission des lois, ce qui permet au Parlement de remplir sa fonction de contrôle. Même si quelques préfets ne jouent pas encore pleinement le jeu, il faut reconnaître que, globalement, l’information que nous recevons est intéressante.

Je tiens à évoquer celle des élus locaux, principalement des maires qui peuvent, eux aussi, en raison de leur connaissance du terrain, jouer un rôle très important. Il convient donc de le valoriser. D’ailleurs, dans votre réponse à une question sur le sujet qui vous avait été posée le 16 décembre dernier, vous sembliez favorable à ce que les maires soient informés. Il serait en effet déplaisant que ceux-ci apprennent le lendemain par la presse les perquisitions qui ont eu lieu dans leur ville, alors que, je le répète, leur connaissance du territoire leur permettrait de vous apporter une aide concrète. Avez-vous donné instruction aux préfets et aux différents acteurs pour informer les maires ? Si tel n’est pas le cas, quelles sont vos intentions en la matière ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Monsieur le député, j’ai, le 23 novembre dernier, dans le cadre d’une circulaire que j’ai communiquée aux rapporteurs, donné instruction aux préfets de réunir une fois par mois les maires et les parlementaires du ressort de leur territoire pour les tenir informés des conditions dans lesquelles l’état d’urgence est mis en œuvre. Des préfets, si j’en crois les comptes rendus qu’ils m’ont envoyés, ont engagé cette action de manière très forte, notamment en Bretagne, en région Rhône-Alpes ou en région PACA. Vous m’indiquez que, alors même que je leur en ai donné l’instruction, des préfets n’ont pas fait ce travail : ils ont eu tort et ils s’en rendront compte très vite. Je le répète : des instructions ont été données en ce sens et il est souhaitable que ces contacts aient lieu.

Afin que l’instruction des élus soit complète, j’ai également rencontré à plusieurs reprises les présidents des grandes associations, notamment le président de l’Association des maires de France. Nous sommes convenus d’échanger régulièrement sur les conditions dans lesquelles l’état d’urgence est mis en place et sur le niveau de la menace. Au-delà, nous avons même souhaité que l’État et les maires puissent véritablement collaborer sur différents sujets. C’est ainsi que, sans remettre en cause le principe de la libre administration des collectivités locales, j’ai souhaité offrir aux maires qui le voulaient l’armement de leur police municipale : 400 pistolets de type Glock ont été ainsi remis aux polices municipales lorsque les maires en ont exprimé le besoin. Ce fut le cas à Marseille. Nous finançons également, dans le cadre du Fonds interministériel de prévention de la délinquance – FIPD –, des moyens de protection des polices municipales, notamment des boucliers. C’est dire combien, sur ces questions, est étroite la relation entre l’administration de l’État et les collectivités locales.

M. le président. Nous en venons aux questions du groupe écologiste.

La parole est à M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Un bilan chiffré des résultats de l’état d’urgence nous a été communiqué par le ministère de l’intérieur et, ce matin, par le président de la commission des lois dans le cadre du contrôle parlementaire. Au 7 janvier 2016, 3 021 perquisitions administratives ont été effectuées, 464 infractions ont été constatées, et il a été procédé à 366 interpellations, 316 gardes à vue et 381 assignations à résidence. Or, seules quatre procédures seraient confiées à la section antiterroriste et un seul dossier entraînerait la mise en examen d’un homme – un seul : je souhaite qu’on retienne ce chiffre.

En somme, si un grand nombre d’infractions a été constaté, une faible partie d’entre elles est en lien avec le terrorisme. Comme l’a souligné le président Urvoas en commission des lois, l’essentiel de l’intérêt des mesures exceptionnelles est derrière nous, ce qui est normal puisque l’effet de surprise s’est estompé rapidement. Dans ces conditions, quelle est la position du Gouvernement sur la proposition d’une partie de l’opposition qui vise à prolonger l’état d’urgence ?

Mon deuxième point concerne les arrêtés d’assignation à résidence. Je n’ignore pas que le Conseil constitutionnel, qui avait été saisi le 11 décembre dernier à la suite du recours déposé par un des sept militants écologistes visés préventivement avant la tenue de la conférence sur le climat de Paris, a conforté les assignations à résidence. Ces militants étaient tenus, je le rappelle, de pointer trois fois par jour au commissariat sur la seule base de notes blanches des services de renseignement non datées et non signées. Je rappelle également que les arrêtés d’assignation à résidence étaient bâtis sur le même modèle, sans précision de durée. Est-il normal que l’état d’urgence ait servi à régler des questions d’ordre public plutôt qu’à déployer nos efforts uniquement sur les affaires liées au terrorisme ?

Enfin, les effets de l’état d’urgence ne se limitent pas aux opérations de police administrative. Des mesures administratives ont été prises contre des fonctionnaires. Serait-il possible de disposer d’une évaluation de ces mesures qui sont des conséquences non pas directes, mais indirectes, de l’état d’urgence ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Nous avons, monsieur Coronado, un désaccord sur ces sujets depuis plusieurs semaines.

M. Sergio Coronado. Pas sur les chiffres.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Nous l’avons non pas sur les chiffres mais sur votre affirmation selon laquelle les perquisitions n’ont servi que marginalement à suivre la radicalisation éventuelle d’individus susceptibles de se livrer à des activités terroristes. La réponse très simple que je vous apporterai correspond à la réalité du phénomène : lorsqu’on va perquisitionner chez un individu, on ignore ce qu’on y trouvera. Si on le savait, on ne procéderait pas à une perquisition administrative mais on ouvrirait une procédure judiciaire. En effet, lorsqu’on sait que les individus chez lesquels on se rend sont susceptibles d’être coupables d’activités terroristes, on est en situation de déclencher l’action publique et de se rendre chez eux en raison des actes qu’ils ont commis puisqu’on en a la preuve.

Je réfute donc le propos que je vois se déployer, y compris dans la presse, selon lequel nous avons procédé à des perquisitions chez des individus qui ne sont pas des terroristes, puisque nous n’avons pu le savoir qu’après nous être rendus chez eux. Je le répète, si nous avions connu auparavant la nature de leurs activités, nous n’aurions pas eu besoin de recourir à des perquisitions administratives. Cet argument a l’apparence de la cohérence, alors qu’il est, en réalité, totalement incongru.

De plus, ce n’est pas parce qu’une perquisition ne permet pas de trouver des armes ou des papiers qui témoignent d’un engagement dans des activités terroristes, que les suites judiciaires qui seront données à cette perquisition ou que les expertises numériques sur les éléments qui auront été trouvés n’apporteront pas la preuve du caractère terroriste des activités auxquelles les individus perquisitionnés ont pu contribuer. Nous ne pouvons pas connaître à cette heure le véritable résultat, en matière de lutte antiterroriste, des perquisitions auxquelles il a été procédé.

Les enquêtes récentes témoignent enfin d’une véritable fongibilité ou porosité entre la question de la délinquance et des trafics en tous genres et celle du terrorisme. Rentrer par le droit commun dans les perquisitions est également une manière de prévenir des activités à caractère terroriste.

M. le président. La parole est à M. François de Rugy.

M. François de Rugy. Madame la garde des sceaux, je tiens à rappeler mon soutien, ainsi que celui des députés écologistes de ma sensibilité, aux mesures prises par le Président de la République, le Gouvernement et le Parlement, non seulement depuis les attentats mais depuis le début du mandat, en matière de lutte contre le terrorisme, de renseignement, de sécurité et de justice. Je pense notamment aux mesures prises sur la base des travaux de M. Jean-Jacques Urvoas, comme la recréation du renseignement territorial.

Toutefois, en matière de lutte antiterroriste, les dispositions mises en œuvre ne constituent jamais un arsenal judiciaire et policier parfait ou immuable. L’évolution des menaces, des moyens technologiques et des modes d’action appelle des adaptations continues de notre législation. Si notre majorité a déjà engagé de nombreuses rénovations de celle-ci, le chantier n’en est pas pour autant achevé. Je tiens à saluer le travail de fond engagé par la chancellerie depuis plusieurs mois pour « renforcer de façon pérenne les outils et moyens mis à disposition des autorités administratives et judiciaires, en dehors du cadre temporaire de l’état d’urgence ».

En effet, en plus de garantir de nouveaux moyens, de nouveaux cadres et de nouveaux contrôles pour l’institution policière, ce projet de loi que le ministre de l’intérieur et vous-même avez présenté en conseil des ministres, prévoit plusieurs adaptations de la procédure pénale aux défis de la lutte antiterroriste : élargissement des possibilités de perquisition de nuit sur décision du juge des libertés et de la détention, possibilité d’utilisation des instruments de détection pour les magistrats de l’instruction et du parquet et, surtout, ce qui représente une avancée considérable, introduction d’un débat contradictoire dans les enquêtes préliminaires de plus d’un an.

Madame la garde des sceaux, pourriez-vous détailler ces nouvelles dispositions et nous indiquer comment elles garantiront tout à la fois la protection de droits des personnes mises en cause et une action plus efficace en matière de lutte antiterroriste ?

(M. Marc Le Fur remplace M. Claude Bartolone au fauteuil de la présidence.)

Présidence de M. Marc Le Fur

vice-président

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Vous avez raison, monsieur le député, ce projet de loi de réforme de la procédure pénale est un travail de longue haleine. Nous en avons engagé le chantier il y a presque un an. L’examen de différents textes relatifs à la justice m’a déjà plusieurs fois donné l’occasion de vous indiquer que nous répondrons à vos préoccupations, sur la base des deux rapports que j’ai commandés : le rapport de Jean-Louis Nadal, procureur général honoraire, qui a conduit, à ma demande, une mission visant à refonder le ministère public, et celui du procureur général Jacques Beaume sur la réforme de la procédure pénale, laquelle a été quelque peu bousculée par la transposition de plusieurs directives qui ont produit des lourdeurs, des difficultés et des complications. Ma démarche vise à retrouver de la cohérence. Nous y travaillons depuis un an avec le ministère de l’intérieur. Nous avons abouti à un texte qui améliore les moyens d’investigation du parquet et des juges d’instruction tout en renforçant les contrôles.

Compte tenu de la situation à laquelle nous sommes confrontés, de la nécessité de lutter contre le terrorisme et de renforcer nos moyens en matière de prévention, il faut effectivement améliorer nos capacités de détection. C’est le rôle des services administratifs, dont les prérogatives seront accrues, mais toujours dans le cadre de l’État de droit, comme je l’expliquais tout à l’heure.

Ainsi, cette augmentation des prérogatives s’accompagnera d’un renforcement des contrôles. Si les enquêteurs auront effectivement davantage de possibilités de mener des investigations, ils seront soumis au contrôle de la juridiction administrative qui, dans notre droit et selon l’usage, contrôle les activités des services administratifs. Par ailleurs, le procureur ne sera jamais loin, puisqu’il doit obligatoirement être informé d’un certain nombre d’actes pris par les services administratifs.

Il est difficile de vous présenter le contenu de ce texte en deux minutes, mais je peux vous assurer que nous avons veillé à ce que toutes les augmentations de moyens consenties aux enquêteurs et aux magistrats du parquet ou du siège soient encadrées par l’ensemble des garanties de l’État de droit.

M. le président. Nous en venons aux questions du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

La parole est à M. Jean-Pierre Maggi.

M. Jean-Pierre Maggi. Depuis les attentats de novembre à Paris et Saint-Denis, notre pays vit sous le régime de l’état d’urgence, ce qui se justifie pleinement au vu de l’ampleur de la menace. En deux mois, les forces de l’ordre ont démantelé plusieurs réseaux djihadistes sur le territoire national et saisi quantité d’armes, de munitions et d’explosifs. Aussi, je leur adresse mes félicitations et mes encouragements car elles font preuve, dans ces circonstances difficiles, d’un courage et d’un dévouement remarquables.

À moins de six semaines de l’extinction prévue de l’état d’urgence, nous entrons dans une nouvelle phase de notre mobilisation collective contre le terrorisme. Daech continue de menacer la France. Notre pays doit donc continuer de mobiliser toutes ses forces pour se prémunir de nouvelles attaques. C’est l’objet du projet de loi portant réforme du code pénal, qui devrait être discuté au Parlement en février.

Ce texte prévoit de renforcer substantiellement les moyens d’enquête des forces de police, des préfets et du parquet en intégrant au droit pénal des techniques et outils auxquels il n’est aujourd’hui possible de recourir que dans le cadre de l’état d’urgence, par définition temporaire. Parmi les nouvelles possibilités qu’il est prévu d’octroyer à l’administration figurent, entre autres, les perquisitions de nuit, les fouilles de véhicules, l’assouplissement des conditions d’engagement du tir pour les policiers, ou encore les assignations à résidence et les contrôles administratifs pour les personnes revenant des territoires contrôlés par Daech ou simplement soupçonnées de vouloir s’y rendre.

Aussi, ma question sera double. Pour contrebalancer les pouvoirs prochainement étendus des autorités administratives et du parquet, quelles mesures sont envisagées pour protéger les libertés publiques et individuelles ? Par ailleurs, puisqu’il n’est pas prévu que ce projet de loi soit adopté avant le terme de la période d’état d’urgence, pouvez-vous nous indiquer si le Gouvernement entend ou non solliciter le Parlement pour proroger ce régime d’exception au-delà du 26 février prochain ?

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur le député, je viens d’indiquer que nous avons veillé à inscrire toutes les garanties dans le projet de loi. Ce texte sera évidemment soumis à la discussion et à l’adoption du Parlement : il vous reviendra donc de l’améliorer, de l’amender, comme vous le faites très régulièrement.

Nous avons veillé à accompagner ces nouvelles mesures de toutes les garanties nécessaires. Permettez-moi d’insister sur le rôle du juge des libertés et de la détention, que j’ai déjà évoqué tout à l’heure, d’une phrase, en répondant à M. le député Jean-Frédéric Poisson. Il est important pour nous qu’un juge du siège indépendant soit en situation d’autoriser ou non un certain nombre d’investigations. En effet, il est essentiel de protéger non seulement les Français, mais aussi leurs libertés.

C’est pourquoi j’ai veillé à faire du juge des libertés et de la détention un juge spécialisé – dans le cadre du projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIsiècle, j’ai fait cette proposition au Sénat, qui ne l’a pas retenue, mais le sujet doit encore être débattu par les députés. Le juge des libertés et de la détention doit avoir un statut protégé et bénéficier d’une formation spécialisée : il sera nommé par décret et assumera la mission importante de veiller au respect de la loi, c’est-à-dire au respect des dispositions que vous, législateurs, aurez introduites dans la loi.

En clair, les mesures administratives contenues dans le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé sont très encadrées. Ainsi, il est très précisément prévu que la possibilité de perquisitionner la nuit ne doit s’appliquer qu’aux cas de terrorisme et aux situations où il y a un risque d’atteinte à la vie, à l’environnement physique et personnel. Il appartiendra au juge des libertés et de la détention de s’assurer que ces conditions sont remplies pour autoriser ces perquisitions de nuit. Il ne s’agira donc pas de procéder à des perquisitions de nuit à tout bout de champ ; en revanche, si un terroriste, dont on sait qu’il est armé, se réfugie dans un immeuble et met en péril la vie des personnes qui l’entourent, alors le juge des libertés et de la détention pourra autoriser une perquisition.

Les conditions d’encadrement de ces possibilités supplémentaires d’investigation sont énumérées dans le projet de loi que nous soumettrons au législateur : il appartiendra alors au juge du siège de veiller à leur respect.

M. le président. La parole est à M. Alain Tourret.

M. Alain Tourret. Madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, l’état d’urgence ne figure pas dans la Constitution. Pour légitimer les mesures prises de manière exceptionnelle – des assignations à domicile et des perquisitions, pour l’essentiel –, il a donc fallu se référer à la loi de 1955.

La Constitution de 1958 comporte en revanche un article relatif à l’état de siège et un autre relatif aux insurrections armées. Ce sont les articles 36 et 16.

Au moment où le Président de la République compte convoquer le Parlement pour insérer dans la Constitution un article 36-1 relatif à l’état d’urgence, ne faudrait-il pas légiférer plus globalement sur l’état de nécessité, c’est-à-dire sur une période qui n’est pas insérée dans un délai prédéterminé ?

Il n’est pas contestable que l’article 16, dans sa nouvelle rédaction, doit être maintenu, en dépit des abus qui l’ont accompagné en 1961, lors de la prise du pouvoir à Alger, au mois d’avril, par un pronunciamiento de quatre généraux. Ces abus furent sanctionnés en leur temps par le Conseil d’État. L’article 16 institue en effet une dictature de l’exécutif, qui doit de ce fait être contrôlé avec la plus grande rigueur par le pouvoir législatif.

En revanche, on peut s’interroger sur le maintien de l’article 36 relatif à l’état de siège, qui permet le transfert de certaines compétences des autorités civiles aux autorités militaires. Un tel article doit à l’évidence être supprimé ! Sinon, envisagerait-on de recréer des juridictions militaires ?

Le Président de la République et le Gouvernement accepteraient-ils de légiférer sur l’état de nécessité et non sur l’état d’urgence ? Accepteraient-ils de supprimer toutes les références à l’état de siège ?

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

M. Jean-Frédéric Poisson. Bonne chance ! (Sourires.)

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur le député, j’ai écouté attentivement votre question, qui est en fait une pétition : vous exprimez le désir qu’à l’occasion de la prochaine révision de la Constitution, certaines dispositions soient introduites ou supprimées. Nous avons entendu votre préoccupation.

Je vais peut-être apporter quelques nuances à vos propos – vous avez notamment parlé de « dictature de l’exécutif ». Les institutions de la VRépublique ont un certain nombre de vertus. Je ne cache pas le fait que j’ai milité, pendant des années, pour une VIRépublique – mon combat était public –, mais il se trouve que notre Constitution est celle de la VRépublique. Ses institutions ont des vertus, mais aussi un certain nombre de défauts, notamment celui d’un manque d’espace pour l’expression des citoyens. En 1958, en effet, lorsque la Constitution a été conçue, le dynamisme et la vitalité de la société civile n’étaient pas les mêmes qu’aujourd’hui. Mais ce n’est pas l’objet de notre débat.

Est-ce le moment de supprimer de la Constitution l’article 16, qui donne les pleins pouvoirs au Président de la République dans des circonstances particulières, ou l’article 36, qui permet la mise en œuvre de l’état de siège ? Il est vrai qu’à la lecture de ces deux articles, on se demande quel usage on peut en avoir. Il est souhaitable que nous n’en ayons aucun usage ! Cela étant, ces articles figurent dans la Constitution.

Dans le projet de loi constitutionnelle soumis au Conseil d’État, qui vous sera présenté dans quelques semaines, il n’est pas prévu de modifier ces deux articles. Il vous appartiendra éventuellement, en tant que législateurs, de déposer des amendements tendant à les supprimer.

M. le président. Nous poursuivons avec les questions du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

La parole est à M. Jean-Jacques Candelier.

M. Jean-Jacques Candelier. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis l’instauration de l’état d’urgence, les témoignages dénonçant dérives, erreurs et abus se multiplient. Le 22 décembre dernier, le Défenseur des droits, Jacques Toubon, nous a alertés en ces termes : « au fur et à mesure, on va s’apercevoir qu’il y a un certain nombre de cas dans lesquels les mesures qui ont été prises ont été excessives ».

M. Olivier Marleix. Pas du tout ! Pour l’instant, c’est l’inverse !

M. Jean-Jacques Candelier. Plusieurs cas en témoignent déjà. Monsieur le ministre, je veux vous interroger sur deux problèmes spécifiques relatifs aux mesures d’assignation à résidence.

Le premier concerne l’obligation de se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie. D’une part, monsieur le ministre, pourquoi prescrire à certaines personnes l’obligation de se signaler plus de trois fois par jour, alors que la loi de 1955 prévoit expressément une limite de trois présentations par jour ? D’autre part, pourquoi contraindre certaines personnes assignées à résidence à se présenter dans des commissariats éloignés de leur domicile, ce qui les oblige à effectuer de nombreuses heures de transport et les empêche notamment de trouver un emploi ou de le conserver ? Pourquoi ne pas leur prescrire l’obligation de se présenter aux services les plus proches de leur domicile ?

Le second problème sur lequel je souhaiterais avoir des explications concerne l’absence de mention de durée d’application des mesures d’assignation à résidence. Il y a quelques jours, le 30 décembre 2015, le tribunal administratif de Pau, saisi en référé par une personne assignée à résidence, a constaté que l’arrêté du ministre de l’intérieur ne comportait « aucune précision formelle, conditionnelle ou implicite quant à son application dans le temps », alors qu’« être informé, dès la notification d’une mesure portant restriction de la liberté d’aller et venir, de la durée pendant laquelle cette mesure est susceptible d’être mise en œuvre » est un droit. Cette illégalité semble être généralisée, puisque la plupart des arrêtés d’assignation à résidence, rédigés suivant le même modèle, ne comportent pas de date de fin de la mesure.

M. Olivier Marleix. Pauvres choux !

M. Jean-Jacques Candelier. Monsieur le ministre, avez-vous des explications à nous fournir sur ces faits précis, qui ressemblent fort à des abus de pouvoirs contraires aux libertés individuelles ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Comme vous le savez, monsieur le député, la loi du 3 avril 1955 modifiée prévoit la faculté pour l’autorité administrative d’assortir l’assignation à résidence d’une obligation de présentation périodique aux services de police ou aux unités de gendarmerie, dans la limite de trois présentations quotidiennes.

La périodicité et les horaires de pointage sont fixés au cas par cas, d’une part, au regard des nécessités de l’ordre public, d’autre part, sans compromettre la finalité de la mesure, en fonction de la situation de l’intéressé. Sont pris en compte, par exemple, la durée du trajet entre le domicile et le lieu de pointage, ainsi que l’exercice d’un emploi : dans ce cas, mes services ont veillé systématiquement à la cohérence des horaires de pointage avec les horaires de travail de la personne assignée à résidence.

Si aucun motif d’ordre public ne s’y oppose, les modalités de pointage auxquelles vous faites référence peuvent bien entendu être aménagées, afin de prendre en compte des contraintes particulières de l’intéressé – des problèmes de santé, des problèmes familiaux, des démarches administratives –, ou pour des raisons plus pérennes tenant à l’exercice d’une activité professionnelle. Le Conseil d’État exerce d’ailleurs, en référé, un contrôle étroit sur ce point.

M. Pascal Popelin. Eh oui !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Il a notamment rappelé qu’il revenait à l’autorité administrative de donner suite aux demandes d’aménagement ponctuel ou pérenne, afin de concilier l’assignation à résidence avec la vie privée et familiale, l’activité professionnelle ou d’autres éléments. Dans ce cadre, une dizaine d’arrêtés d’assignation à résidence ont été modifiés. Bien entendu, nous tenons compte des contraintes de l’intéressé : l’aménagement n’est refusé que lorsqu’il compromet la finalité de la mesure.

Le Conseil d’État et les tribunaux administratifs se sont exprimés et prononcés à plusieurs reprises sur le contenu des mesures que nous avons prises et qui ont fait l’objet de recours, en référé-liberté ou sur le fond. Dans le cadre de ces recours portant sur des perquisitions ou des assignations à résidence, l’État n’a quasiment jamais été condamné : sur 3 400 assignations à résidence et perquisitions administratives, nous avons été, la plupart du temps, soutenus par les tribunaux. Il y a donc loin de la réalité à votre dénonciation d’une remise en cause des principes de notre droit.

M. Jean-Frédéric Poisson. Exactement !

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Candelier, pour une seconde question.

M. Jean-Jacques Candelier. Madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, dans l’exposé des motifs du projet de loi visant à renforcer la lutte contre la criminalité organisée et son financement, l’efficacité et les garanties de la procédure pénale, vous indiquez vouloir « renforcer de façon pérenne les outils et moyens mis à disposition des autorités administratives et judiciaires, en dehors du cadre juridique temporaire mis en œuvre dans le cadre de l’état d’urgence ».

Si, à l’origine, cette réforme devait porter sur la procédure pénale, de nombreuses mesures du projet de loi visent désormais à donner plus de pouvoirs aux policiers et aux préfets, au détriment des procureurs, mais aussi à confier à ces mêmes procureurs des décisions qui relevaient jusque-là de juges statutairement indépendants.

Plusieurs mesures d’ « exception » figurent ainsi dans ce projet de réforme. Sur simple autorisation du préfet, bagages et véhicules pourront être fouillés s’ils se trouvent à proximité « d’établissements, d’installations ou d’ouvrages sensibles ».

Le recours aux contrôles d’identité sera élargi. La police pourra retenir une personne quatre heures au poste pour vérification de sa situation administrative même si cette personne a ses papiers sur elle.

Pour les personnes revenant d’Irak ou de Syrie ou soupçonnées d’avoir « tenté de se rendre sur un théâtre de groupements terroristes », et sous certaines conditions, le projet crée un contrôle administratif des retours, hors état d’urgence. Le ministre de l’intérieur peut ainsi assigner ces personnes à résidence et les soumettre à une série d’obligations administratives : signalement des déplacements, interdiction d’être en relation avec certaines personnes, etc.

Autrement dit, plusieurs mesures de l’état d’urgence devraient être intégrées dans le code pénal. Confirmez-vous que certaines mesures d’exception deviendraient ainsi des mesures de droit commun ?

En d’autres termes, cette réforme ne vise-t-elle pas à se rapprocher d’une forme d’état d’urgence permanent ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Monsieur le député Candelier, je voudrais, si vous en êtes d’accord, profiter de votre question pour cheminer avec vous dans votre raisonnement en prenant des exemples concrets.

Vous considérez comme étant une atteinte aux droits le fait d’autoriser, dans le cadre de mesures de police administrative, les services qui sont sous mon autorité à contrôler des véhicules et à procéder à des fouilles lorsque ces véhicules, dans le seul cas de risque terroriste, sont à proximité d’un site sensible, notamment d’un site Seveso.

Que proposez-vous donc ? Que l’on laisse ces véhicules pénétrer dans les sites – et généralement, ils y pénètrent rapidement – avec tous les risques qui s’y rattachent car le temps de la procédure judiciaire n’est pas celui de la police administrative ? Si c’est cela que vous proposez, vous comprendrez aisément que, en charge de la lutte contre le terrorisme, je n’y suis pas favorable.

Deuxième exemple : lorsque nous arrêtons une personne titulaire d’une fiche S13, S14 ou S15, et que nous savons pour des raisons qui tiennent aux informations détenues par les services de renseignement qu’elle peut se livrer à la commission d’un acte terroriste, que proposez-vous ? Qu’on la laisse partir ? Ou qu’au titre d’une mesure de police administrative, nous puissions la retenir jusqu’à ce qu’il ait été procédé à toutes les vérifications, permettant ainsi d’éviter qu’elle ne commette un acte terroriste grave ?

Si vous proposez qu’on la laisse partir, je pense pour ma part qu’il est beaucoup plus raisonnable dans un contexte de menace terroriste élevée, au titre d’une mesure de police administrative de procéder à sa rétention jusqu’à ce nous ayons levé le doute. Il est en effet responsable de raisonner ainsi.

Dans votre troisième exemple, vous affirmez que les techniques de renseignement dont dispose le procureur ne sont pas convenables pour leur permettre de lutter contre le terrorisme. Je rappelle que votre groupe, au moment de l’examen de la loi relative au renseignement, s’est indigné du fait que ces techniques de renseignement ne puissent être utilisées que par les services de renseignement et non par les juges, du siège ou du parquet, considérant le fait que les juges ne puissent pas mobiliser ces techniques était une manière d’entrave au principe de l’État de droit dont vous vous réclamez dans votre intervention.

Une fois que l’on confère ces pouvoirs aux magistrats du parquet, vous considérez qu’il n’est pas convenable non plus de les donner.

M. Pascal Popelin. C’est compliqué ! (Sourires.)

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Au fond, vous considérez, comme souvent dans vos prises de position, que l’État est toujours suspect lorsqu’il se propose par des mesures de police administrative sous le contrôle du juge administratif de prévenir la commission d’actes terroristes. J’ai même vu récemment des prises de position qui consistaient à affirmer que lorsque le juge administratif assure le contrôle de mesures de police, il n’y a pas de juge. Comme si le juge administratif n’était pas un juge ! Nous ne lutterons pas contre le terrorisme sans donner à l’État, sous le contrôle du juge administratif ou judiciaire, les moyens de protéger les Français.

M. Gérard Bapt. Très bien.

M. Bernard Debré. En effet.

M. le président. Nous en venons aux questions du groupe socialiste, républicain et citoyen.

La parole est à M. Pascal Popelin.

M. Pascal Popelin. La loi du 20 novembre 2015 prorogeant l’état d’urgence pour une durée de trois mois a renforcé et modernisé le dispositif des assignations à résidence, afin de le rendre plus efficace et plus opérationnel.

Elle en a notamment élargi l’application à « toute personne à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre public. »

Les assignations à résidence décidées dans le cadre de l’état d’urgence prendront fin, de droit, lorsque ce régime juridique d’exception arrivera à son terme, soit pour le moment, le 26 février prochain.

Le risque que peuvent présenter les personnes concernées par ces mesures pour la sûreté de l’État et pour l’intégrité de nos concitoyens ne s’évanouira pas pour autant. Quelles sont, à ce titre, les intentions du Gouvernement à l’égard des intéressés ?

Pourriez-vous préciser à la représentation nationale, la proportion de mesures d’assignation à résidence qui pourraient faire l’objet d’une judiciarisation et se poursuivre de ce fait dans le cadre d’une décision de justice et la part de celles prononcées en prévention d’une menace pour la sécurité publique ? Pour ces dernières, pourriez-vous nous indiquer les conditions dans lesquelles elles prendront fin et à quelle échéance ?

Enfin, les travaux réalisés dans le cadre du suivi parlementaire de la mise en œuvre de l’état d’urgence ont laissé apparaître l’émergence d’effets pervers pouvant découler de l’exécution des décisions d’assignations à résidence.

À titre d’exemple, le pointage au commissariat est devenu, par endroits, un moment d’échange et donc de mise en relation entre assignés à résidence, alors que ces individus, potentiellement à risque, ne se côtoyaient pas nécessairement auparavant. Quels moyens pourraient être mis en œuvre pour éviter ces phénomènes ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Monsieur le député, votre question me permet de faire le bilan chiffré des assignations à résidence. À la date du 12 janvier 2016, aujourd’hui, 382 mesures d’assignation à résidence ont été prononcées ; 17 d’entre elles ont été prises dans l’urgence après le 13 novembre et ont été abrogées après une réévaluation de la situation ; 27 autres mesures avaient été prononcées pour une durée plus courte, limitée au contexte de la COP21, et ont pris fin le 12 décembre.

J’en profite, car je n’ai pas répondu à Sergio Coronado sur ce point, pour dire que les assignations à résidence dans le cadre de la COP21 étaient destinées non à assigner à résidence des militants écologistes, mais des individus violents dont la violence dans les manifestations aurait mobilisé des forces mobiles dont j’avais besoin qu’elles soient mobilisées dans la lutte antiterroriste. Il y avait donc par conséquent un lien entre ce que j’ai décidé à ce moment-là et la lutte antiterroriste.

Vous avez raison de souligner que ces mesures cesseront de s’appliquer à la fin de la période de l’état d’urgence, ce qui est légitime s’il est considéré que les circonstances ne justifient pas une nouvelle prorogation de l’état d’urgence.

S’agissant de la question de la judiciarisation, les choses doivent être claires. Il s’agit de mesures de prévention de menaces à l’ordre public qui permettent également de recueillir des informations sur les individus ciblés lorsque la mise en œuvre de ces mesures de police administrative conduit à constater des infractions. Celles-ci sont poursuivies pénalement sous la responsabilité de l’autorité judiciaire.

L’assignation à résidence en particulier est une mesure qui permet de prévenir de possibles troubles à l’ordre public, y compris lorsque les informations disponibles ne sont pas encore suffisantes pour engager une procédure judiciaire. Mais les dispositions sont prises pour assurer le lien entre ces mesures et une possible phase judiciaire ultérieure ; les parquets sont informés de chacune de ces décisions et, comme l’a indiqué le président Urvoas dans son rapport, une parfaite coopération entre autorité administrative et parquet dans le cadre de l’état d’urgence a eu lieu.

Un lien peut être aussi fait entre la mesure d’assignation à résidence et d’autres décisions de police administrative. Je pense notamment aux perquisitions, dont l’application peut ne pas se limiter à la période de l’état d’urgence.

Enfin, vous évoquez le risque de l’obligation de pointage qui peut provoquer des occasions de rencontre, pas convenables, entre les personnes assignées à résidence qui ne se connaissaient pas auparavant. Soyez rassuré, les commissariats de police et les brigades de gendarmerie sont des lieux surveillés ; ce ne sont pas des lieux de rencontre entre des gens dont nous ne souhaitons pas qu’ils se rencontrent.

M. Jean-Frédéric Poisson. Cela s’est déjà produit, monsieur le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Et nous organisons les passages, les horaires afin que cette connexion ne puisse pas avoir lieu.

M. le président. La parole est à Mme Anne-Yvonne Le Dain.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. À l’occasion de la prolongation de l’état d’urgence, nous avons réformé un certain nombre de points de la loi de 1955. Cette réforme avait plusieurs objectifs : adapter l’existant aux exigences de l’état de droit ; apporter des mesures nouvelles en lien avec les nouvelles technologies qui ont changé la vie des gens – la vôtre, la nôtre, celle de l’ensemble de nos concitoyens – et, hélas, facilité l’organisation des méthodes terroristes, leurs méthodes de communication, leur influence et leur capacité de nuire.

À cet égard, nous avons notamment modifié le régime des perquisitions administratives afin de pouvoir accéder aux données informatiques présentes sur tout support informatique se trouvant sur le lieu perquisitionné – ordinateur, téléphone, console de jeux – avec la possibilité de copier les données en présence d’un officier de police judiciaire.

C’est un élément clé de la lutte antiterroriste. Le renforcement du dispositif des perquisitions administratives est bienvenu, car il permet aux services de police de réunir les éléments qui, croisés avec d’autres, sont de nature à prévenir les troubles à l’ordre public sans pour autant déclencher une procédure judiciaire. Si les services de police se sont emparés de ce nouvel outil qui a été mis à leur disposition, ils n’ont pas manqué d’en souligner les limites en indiquant que la copie des données informatiques n’est pas totalement satisfaisante puisque les fichiers effacés ne peuvent être récupérés sur une copie alors que cela est possible sur les fichiers sources des disques durs initiaux.

La récupération des données sur copie est souvent longue, entre cinq heures et douze heures, et en tout état de cause, elle ne permet pas d’accéder aux effacements. La saisie semble être, à nos yeux, une option plus efficace. Qu’en pensez-vous ? Mais la saisie ne peut être effectuée sans le contrôle du juge judiciaire.

D’autres mesures ont été adoptées telles que la possibilité de bloquer les contenus informatiques, la dissolution d’associations et de nouvelles mesures pour renforcer les liens entre les opérations de police administrative et leur traduction judiciaire.

Aujourd’hui, nous en sommes à l’évaluation des mesures prises pour lutter contre le terrorisme. Pouvez-vous nous faire part des résultats obtenus s’agissant de l’exploitation des données informatiques captées ? Pouvez-vous nous indiquer si vous vous êtes saisis des nouvelles mesures introduites par la réforme de la loi de 1955 relative à l’état d’urgence ? Cela a-t-il permis la constatation d’infractions pénales et entraîné des procédures judiciaires ? Cela a-t-il abouti à des mesures de police administrative telles que des interdictions de sortie du territoire, des dissolutions d’associations ou des blocages de sites internet ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Madame la députée, vous avez parlé très vite et, en deux minutes, vous avez posé beaucoup de questions. Je ne pourrai y répondre en totalité car je parle plus lentement (Sourires) et qu’elles appelleraient des développements exhaustifs. J’irai donc à l’essentiel.

La loi du 21 novembre 2015 a précisé, complété, encadré le régime des perquisitions administratives. Elle a introduit plusieurs garanties : définition d’un critère de menace pour l’ordre public, exclusion de certains lieux protégés, information immédiate du procureur. Elle a apporté beaucoup d’améliorations opérationnelles comme la possibilité, vous l’avez souligné, d’accéder à des données stockées dans un équipement informatique présent sur le lieu ; cette mesure est régulièrement utilisée.

Elle est très importante car lorsque nous procédons à des perquisitions administratives, nous pouvons trouver des armes, de l’argent liquide. Nous pouvons également récupérer des documents, cela a notamment conduit le Gouvernement, ce matin en conseil des ministres, à prendre la décision de dissoudre certaines associations à Lagny.

Les éléments récupérés par copie ne peuvent être exploités instantanément. Lorsque vous récupérez des éléments informatiques stockés sur des supports numériques, il faut que le travail d’investigation puisse aller à son terme, que les enseignements issus de la collecte de ces éléments puissent être optimisés afin de pouvoir aller au-delà de la perquisition en procédant, éventuellement, à l’interpellation d’autres individus, car les éléments récupérés peuvent justifier de relations entre des individus qui sont à l’origine d’actes de radicalisation ou susceptibles de passer à l’acte et d’éventuels complices.

Le dispositif que nous avons mis en place permet de récupérer et d’exploiter ces données. C’est la raison pour laquelle il est trop tôt pour faire le bilan de ce que nous avons pu identifier comme éléments à caractère terroriste – car il faut prendre le temps de l’exploitation des données. D’ores et déjà, par-delà les perquisitions de moyens numériques – je peux indiquer qu’en l’espace de deux mois, nous avons récupéré 500 armes. Sur ces 500 armes, il y avait une cinquantaine d’armes de guerre. Autrement dit, en deux mois, nous avons récupéré la moitié du volume d’armes de guerre récupéré en un an.

M. le président. Nous en revenons aux questions du groupe Les Républicains.

La parole est à M. Philippe Goujon.

M. Philippe Goujon. Madame la garde des sceaux, depuis sa mise en œuvre, l’état d’urgence a facilité l’interpellation d’individus suspectés de terrorisme. Quelles en ont été les suites judiciaires ? Quelles condamnations ont été, éventuellement, prononcées ?

Il va sans dire que l’opposition ne peut être que favorable à l’adoption de mesures qu’elle a inspirées depuis déjà longtemps. Encore faut-il que la ligne du Gouvernement soit claire, ce qui n’est pas toujours le cas.

Nous sommes en guerre et d’autres mesures sont indispensables. Alors que le Conseil d’État déconseille de pérenniser les procédures de police administrative en état d’urgence, sur quels éléments vous fonderez-vous pour, éventuellement, prolonger cet état d’urgence ? Choisirez-vous d’édicter des ordonnances avant la fin du mois de février ?

Pendant l’état d’urgence, les réductions et aménagements de peine continuent à concerner sans restriction des personnes condamnées pour terrorisme. Quel suivi prévoyez-vous pour les 100, 150 ou 200 terroristes qui seront libérés dans les trois ans qui viennent, dont une cinquantaine, nous dit-on, sont déjà relâchés ? Ne faut-il pas, du reste, les exclure à l’avenir des réductions et aménagements de peine ?

Il vous faut clarifier la position du Gouvernement sur l’application de la rétention de sûreté aux terroristes dès aujourd’hui et, pour ce qui concerne les suspects, ou du moins certains d’entre eux, sur le placement sous bracelet électronique, l’assignation à résidence, le placement en centre de déradicalisation et l’incrimination de la consultation de sites terroristes, vecteur essentiel de radicalisation, comme ce fut le cas pour le jeune terroriste marseillais.

Enfin, alors que la loi renseignement ne le permettait malheureusement pas, la démonstration n’a-t-elle, hélas, pas été apportée qu’il est urgent d’intégrer, comme le souhaitait le président de notre commission des lois, le renseignement pénitentiaire à la communauté du renseignement et de lui ouvrir les techniques spécialisées, ainsi que d’isoler électroniquement les détenus radicalisés, comme préconisé dans ma proposition de loi malheureusement rejetée ?

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur le député, ce n’est pas une question que vous me posez, mais plusieurs, et je m’efforcerai donc de répondre aussi vite que possible à quelques-unes d’entre elles, en m’efforçant de bien mesurer celles qui correspondent à vos priorités.

Tout d’abord, 20 % environ des perquisitions ont donné lieu à des procédures judiciaires, 62 condamnations ont été prononcées et 54 personnes ont été écrouées sur cette base. Deux de ces procédures ont fait l’objet de saisines de la section antiterroriste de Paris. Pour le reste, comme l’a dit le ministre de l’intérieur, l’essentiel des résultats des perquisitions a concerné des infractions à la législation sur les armes et sur les stupéfiants.

Pour ce qui concerne le traitement des détenus, je rappelle que le régime des permissions de sortie, puisque vous l’évoquez en citant un chiffre que nous avons entendu à la radio ce matin, date de 2004 – ou plutôt de 2005, lorsque vous vous êtes rendu compte que la loi de 2004 était assez mal rédigée et l’avez modifiée. C’est donc ce régime qui s’applique aujourd’hui encore. En termes de résultats, on a recensé quinze libérations conditionnelles en 2011 et quatorze en 2015 : la situation actuelle ne représente donc pas une rupture par rapport à ce qui se faisait précédemment.

Je vous rappelle en outre que ce sont des magistrats spécialisés qui prononcent ces décisions de libération conditionnelle. Il existe en effet à Paris un pôle spécialisé, où siègent des magistrats spécialisés dans l’application des peines. Il s’agit donc de magistrats qui connaissent bien à la fois la matière et les personnes concernées.

Dans les établissements pénitentiaires, je rappelle – et j’aurai sans doute l’occasion d’y revenir – que nous prenons des décisions concernant une population captive : lorsque nous décidons de l’isolement, c’est l’isolement ; lorsque nous décidons de la fouille, c’est la fouille et lorsque nous décidons, par exemple, d’un programme de détection des processus de radicalisation, nous l’imposons sur place. Or, comme je le dis depuis février 2013, environ 15 % des personnes concernées par des actes terroristes – 11,5 % selon les derniers chiffres – ont été incarcérées préalablement : la proportion de personnes qui ont pu se radicaliser en prison est donc d’environ 11,5 % à 15 %, ce qui nous renvoie à la question de ce qui se passe au sein de la société. Les attentats de novembre nous ont en effet appris, malheureusement, que certaines personnes qui n’ont aucun antécédent judiciaire peuvent faire des dégâts terrifiants.

M. le président. La parole est à M. Olivier Marleix.

M. Olivier Marleix. Madame la garde des sceaux, je regrette que vous n’ayez pas eu l’occasion de me répondre hier lors de la séance de questions d’actualité et je réitère donc ma question, très simple : quelle politique pénale appliquez-vous aujourd’hui aux djihadistes de retour en France ? Cette question, contrairement à ce que le ministre l’intérieur a exprimé posément hier, est légitime.

Pour la sécurité de nos compatriotes, il nous faut nous assurer que ces 250 djihadistes de retour sont tous incarcérés et qu’ils le sont pour une période longue, mais cela dépend évidemment de la qualification pénale des faits pour lesquels ils sont poursuivis à leur retour. Pour l’heure, les quelques décisions de justice connues à l’encontre de ces individus sont pour le moins troublantes.

Plusieurs remises en liberté ont en effet été ordonnées par des juges à l’endroit de djihadistes de retour de Syrie dans le courant de l’année 2015, au motif qu’ils avaient un emploi, qu’ils étaient mariés ou qu’ils avaient déjà été trop longtemps séparés de leurs enfants ! Je n’invente rien : ces décisions ont été relayées notamment par un article de Mme Vincent dans Le Monde du 19 juin 2015. Plus récemment, deux tribunaux ont condamné des djihadistes français à des peines d’emprisonnement assez légères, refusant la période de sûreté demandée par le Parquet, au motif qu’il était nécessaire de « trouver un équilibre entre répression et volonté de réinsertion ».

Il est pourtant avéré que, sur les théâtres d’opération sur lesquels se rendent ces individus, se commettent des crimes de guerre, qu’il y existe une volonté de génocide à l’encontre de certaines populations, chrétiennes, musulmanes et yézidies, avec une cruauté tout à fait insoutenable. Les Français qui se rendent là-bas sont donc coupables au minimum, aux termes du code pénal, de complicité de ces atrocités.

Or, l’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, qui est aujourd’hui le socle – je suis tenté de dire : l’alpha et l’oméga – de votre politique de répression, n’est à l’évidence pas à la hauteur de la gravité de ces atrocités. Notre code pénal contient des dispositions relatives aux crimes de guerre et au génocide, ainsi qu’aux complicités de ces atrocités, qui prévoient des peines très lourdes. Pourquoi ne faites-vous pas appliquer ces dispositions, qui auraient au moins le mérite de dissuader ces individus de revenir dans notre pays, ce qui serait plus efficace que toutes les déchéances de nationalité ?

Enfin, madame la ministre pourquoi ne pas vous donner le temps d’investiguer sur les agissements réels de ces criminels de retour en créant, comme nous le demandons depuis un an, une vraie rétention administrative de sûreté ?

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur le député, je vous réponds très volontiers. Votre affirmation que le génocide doit être puni ne souffre aucune contestation. Nous sommes dans un État de droit, dans une démocratie, et appliquons en outre ce qu’on appelle le droit continental, c’est-à-dire que notre droit est codifié, écrit, prévisible. C’est sur ce droit que s’appuient les magistrats. Vous voudrez bien convenir que des magistrats n’élargissent pas des personnes pour lesquelles ils disposent d’éléments de caractérisation d’infractions ou de crimes relevant du génocide ou du crime.

Dans notre droit pénal, l’association de malfaiteurs est une infraction couvrant un champ relativement large. Il s’agit du reste d’une disposition remontant à la loi de 1986, qui permet aux magistrats de caractériser des pratiques très diverses. Lorsque ces pratiques ont un caractère délictuel, les décisions de la justice relèvent de ce que le code a prévu pour les délits. Lorsqu’elles ont un caractère criminel, c’est la cour d’assises qui juge. Dans un État de droit, il s’agit donc de caractériser les faits, et non pas de se contenter de dire ce qu’ont pu faire les personnes qui sont parties.

Notre droit prévoit donc des dispositions applicables au retour. Dans le projet de réforme de la procédure pénale, nous ajoutons des dispositions encadrées pour les décisions qui doivent être prises à l’égard des personnes revenant de zones de guerre. Ce que je peux vous dire, c’est qu’on a dénombré huit aménagements de peine sur toute l’année 2015 et que 243 procédures ont été ouvertes pour infractions terroristes. Dans le cadre de ces procédures, c’est-à-dire avant jugement, les magistrats ont pris une décision de détention provisoire à l’encontre de 65 % des personnes concernées et de contrôle judiciaire pour les 35 % restantes.

Je m’étonne donc que, malgré ces décisions prises par des magistrats spécialisés à partir d’éléments tout à fait objectifs et vérifiables, vous parveniez à dire que des personnes susceptibles d’être impliquées sont lâchées dans la nature. Arithmétiquement, il ne reste en effet aucun espace pour ce que vous dénoncez.

M. le président. La parole est à M. Alain Chrétien.

M. Alain Chrétien. Monsieur le ministre de l’intérieur, lors de l’examen de la loi sur l’état d’urgence, en novembre dernier, j’avais déposé un amendement tendant à permettre la saisie du matériel informatique plutôt que la copie des données qui s’y trouvent. Il apparaît en effet qu’il est parfois plus simple pour les forces de police de saisir un ordinateur que de consulter les données, d’autant plus que cet ordinateur est parfois endommagé ou bloqué par des mots de passe. Cet amendement a été refusé – manu militari, si je puis dire –, par le président de la commission des lois et par le Premier ministre. Entre-temps, toutefois, M. Jean-Jacques Urvoas, qui est malheureusement déjà parti, m’a avoué que cet amendement aurait été fort utile – ou plutôt, qu’il était fort utile – et que, plutôt que d’attendre une éventuelle évaluation, il était urgent de permettre aux forces de police de saisir le matériel et d’en exploiter les données dans des laboratoires appropriés, quitte à le rendre à son propriétaire s’il appert qu’il ne contient pas de données délictueuses.

Je déposerai dans les prochains jours une proposition de loi visant à modifier cette loi sur l’état d’urgence, afin de donner aux forces de l’ordre les moyens de saisir physiquement les données, et non pas seulement de les copier, afin de donner plus d’efficacité à ce dispositif.

Le Gouvernement est-il favorable à cette proposition de loi simple qui se justifie pour les raisons que je viens d’évoquer ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Nous ne sommes pas opposés au fond à la proposition que vous avez faite par amendement. Je n’ai en effet, pour ma part, aucune raison de m’opposer sur le fond à une mesure dont je vois bien la pertinence et l’intérêt pour lutter contre le terrorisme dans un contexte de risque élevé. Ce qui a présidé au refus de votre amendement par le Gouvernement lorsque vous l’avez présenté, c’est la conviction que nous avions, sur la base d’une analyse juridique que je crois assez fine, de son inconstitutionnalité.

Si nous proposons de modifier la Constitution pour constitutionnaliser l’état d’urgence, c’est précisément aussi pour pouvoir recevoir un jour de tels amendements que nous n’avons pas reçus pour des raisons d’inconstitutionnalité. C’est du reste la raison pour laquelle vous voterez la réforme de la Constitution.

M. le président. Nous en revenons aux questions du groupe socialiste, républicain et citoyen.

La parole est à Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier. Monsieur le ministre de l’intérieur, depuis le 29 avril 2014, le Gouvernement a mis en place un dispositif national d’assistance aux familles et aux proches des personnes embrigadées dans la radicalisation, au moyen d’un centre national d’assistance et de prévention de la radicalisation doté d’un numéro vert, complété d’un formulaire accessible en ligne. Cette plate-forme de signalement est pilotée par l’unité de coordination de la lutte antiterroriste. Les signalements ainsi collectés viennent nourrir le fichier de sécurité nationale de lutte contre le terrorisme. Une telle structure préexistait à l’état d’urgence. Elle permet, outre un soutien à l’entourage des personnes radicalisées, l’identification des situations problématiques et la mise au jour de cas de radicalisation.

Pouvez-vous préciser comment fonctionne ce dispositif dans les circonstances particulières de l’état d’urgence ? Pouvez-vous indiquer en particulier s’il y a eu une augmentation sensible du nombre d’appels et préciser le taux d’appels téléphoniques et de signalements par la voie d’internet ? Je souhaiterais également connaître leur pertinence et l’importance des appels de délation – de dénonciation –, ainsi que la suite qui leur est réservée. Enfin, quelle évolution pensez-vous utile de donner à cette plate-forme à partir des enseignements tirés de cet outil, avant et pendant l’état d’urgence ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Madame la députée, merci pour votre question, qui me permet de faire un bilan précis du fonctionnement de cette plate-forme que nous avons mise en place pour prévenir la radicalisation.

Du 29 avril 2014 au 7 janvier 2016, le centre national d’assistance et de prévention de la radicalisation a pris en compte, et ce n’est pas un faible bilan, 4 456 signalements, dont 4 122 sont avérés, ce qui dénote un très faible taux de signalements sans rapport avec la radicalisation – de l’ordre de 8 %.

Ceux qui signalent le font à 65 % au moyen du numéro vert et à 13 % via le formulaire accessible sur le site internet du ministère de l’intérieur, tandis que 22 % des signalements sont aussi le fait des services du renseignement territorial, après que les signalants se sont manifestés dans un commissariat de police ou une brigade de gendarmerie.

Il y a bel et bien, à la suite des attentats du 13 novembre dernier, une nette augmentation du nombre d’appels via le numéro vert ainsi que du nombre de formulaires internet. Ils ont atteint un niveau très élevé : 420 signalements au mois de novembre 2015, qui a été un niveau record, ce niveau élevé persistant au mois de décembre 2015, mais à un moindre degré, avec 289 signalements.

Il faut mettre ces chiffres en rapport avec la moyenne des signalements mensuels, qui s’établit à 180 environ, et indiquer que les signalements ont également crû de manière importante au lendemain des attentats de janvier avec 324 et 326 cas en janvier et février 2015.

J’en tire la conclusion que le dispositif préventif qui s’adosse à cette plate-forme a toute sa pertinence. Il apparaît clairement que celle-ci apporte une réponse concrète à tous nos concitoyens, qui peuvent faire ainsi part de situations préoccupantes de rupture constatées chez leurs proches ou dans leur environnement.

Les perspectives pour la plate-forme consistent tout d’abord à conforter son fonctionnement et les moyens qui lui sont alloués. Il s’agit ensuite de développer les partenariats avec les acteurs publics, voire privés, pour inciter à la mise en avant de la possibilité de signaler à travers elle, de manière sécurisée, des situations de radicalisation.

Par ailleurs, les connaissances acquises par la plate-forme pourront faire l’objet d’une étude qualitative des situations des personnes radicalisées, le but étant de mieux identifier les profils, de mieux comprendre le phénomène de radicalisation, de mieux aider les administrations mobilisées autour des préfets et des procureurs dans les territoires, de manière à ce que l’action de déradicalisation soit plus efficace.

M. le président. La parole est à M. Yves Goasdoué.

M. Yves Goasdoué. Je profite de l’occasion qui m’est donnée pour remercier le président de la commission des lois, Jean-Jacques Urvoas, et notre collègue Jean-Frédéric Poisson pour la communication qu’ils nous ont faite ce matin en commission des lois : cela nous a permis d’être pleinement rassurés et de constater que la mise en œuvre de l’état d’urgence ne nous éloignait en rien de l’application stricte de l’État de droit.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Très bien !

M. Jean-Frédéric Poisson. Merci !

M. Yves Goasdoué. Je veux interroger le Gouvernement sur la lutte contre le trafic d’armes. Le Gouvernement peut-il nous indiquer le nombre d’armes saisies lors des perquisitions menées depuis le 14 novembre 2015, tout en nous précisant leur classification au regard du code de la sécurité intérieure ? Les saisies d’armes recouvrent en effet des réalités extrêmement différentes : armes de guerre, armes soumises à autorisation, à déclaration ou à simple enregistrement.

Ces résultats devront être comparés au nombre de saisies annuelles recensées par les services de renseignement militaires ou policiers, les douanes ou la police judiciaire, afin que nous puissions comparer les chiffres et ainsi appréhender l’impact réel de l’état d’urgence sur la mise hors circulation d’armes, en particulier d’armes d’assaut.

Sur le long terme, vous avez annoncé, monsieur le ministre, un plan de lutte contre le trafic d’armes. Je souhaiterais savoir quelles mesures législatives vous envisagez pour endiguer cette prolifération ? On sait que les armes viennent, pour partie, de pays de l’Est de l’Europe et sont transmises aux terroristes par des filières, mais aussi par internet après avoir été prétendument neutralisées. Cette question me paraît fondamentale.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Très belle question !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Monsieur le député, vous posez une question qui est vraiment au cœur des préoccupations du ministère de l’intérieur et au cœur de l’action que j’ai engagée au plan européen.

Quelques éléments, tout d’abord, sur le résultat des perquisitions administratives : je le disais en répondant à la question de Mme Le Dain, nous avons prélevé, récupéré, 500 armes, dont 41 armes de guerre, 184 armes longues – ce n’est pas rien ! – et 141 armes de poing, le tout donnant lieu à 376 interpellations et 325 gardes à vue. Pour les seules armes de guerre, ces saisies représentent un tiers du nombre de saisies que nous effectuons en une année.

Par ailleurs, comme vous l’indiquiez, les saisies d’armes débouchent sur des procédures judiciaires. Sur les 542 procédures judiciaires engagées dans le cadre de l’état d’urgence depuis le 14 novembre, 34 % relèvent de la législation sur les armes et ont, à elles seules, donné lieu à 30 incarcérations. Vous avez là quelques chiffres sur l’état d’urgence qui montrent, s’il en était besoin, que les choses sont, en termes de résultats, assez claires.

Nous avons engagé une action très forte au plan européen. À ma demande, la Commission et les États membres ont adopté, le 18 novembre – enfin ! Je demandais cela depuis dix-huit mois ! Mais notre combat et notre insistance ont porté leurs fruits –, le projet de révision de la directive 91/477/CEE sur les armes à feu. Ce projet contient des propositions intéressantes que la France avait demandées : l’extension du champ d’application de la directive aux armes blanches et neutralisées, l’adoption d’un système commun de marquage ou encore l’encadrement plus rigoureux de la vente des armes sur internet.

Par ailleurs, le futur projet de loi renforçant la lutte contre la criminalité organisée, porté par Mme la garde des sceaux, contiendra des mesures puissantes pour lutter contre le trafic d’armes : les peines encourues en cas d’acquisition, de cession, de détention non autorisée d’armes ou d’éléments d’armes de catégories A et B seront aggravées ; l’effectivité des interdictions judiciaires ou administratives d’acquérir ou de détenir une arme sera accrue. Dans le cadre de procédures judiciaires, le recours aux techniques spéciales d’enquête sera élargi : la technique du « coup d’achat » sera par exemple autorisée pour les policiers et les gendarmes.

Ainsi, nous avons, à travers l’action européenne, les dispositions législatives nouvelles et l’état d’urgence, engagé une action extrêmement déterminée contre le trafic d’armes : c’est un élément essentiel de la lutte contre le terrorisme.

M. le président. La parole est à Mme Sylviane Alaux.

Mme Sylviane Alaux. Bien avant la mise en place de l’état d’urgence, nous savions déjà que la radicalisation posait un problème crucial dans notre société, et plus particulièrement dans le monde carcéral. Après les attentats de janvier 2015 et ceux du 13 novembre, il s’avère essentiel de prendre en charge les personnes radicalisées ou en voie de radicalisation, notamment dans les prisons.

La situation est effectivement inquiétante, d’autant plus que ce phénomène ne touche plus une seule catégorie de population. La promiscuité dans les prisons permet à certains détenus déjà radicalisés d’exercer une pression et une influence sur des personnes fragiles afin de les emmener sur la voie de la radicalisation.

Alors que le manque de places dans les établissements pénitentiaires est avéré, quel système pensez-vous instaurer afin que cette prise en charge soit réelle et efficace ?

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Madame la députée, pour répondre très précisément à votre question, nous avons mis en place, fin 2012, un dispositif particulier de détection et de suivi des personnes radicalisées et violentes dans les établissements pénitentiaires. Ainsi, après la circulaire sur les « détenus particulièrement signalés » – les DPS –, que j’ai diffusée en novembre 2012 et actualisée en novembre 2013, j’ai décidé en juin 2013 d’un plan de sécurisation des établissements pénitentiaires. De plus, dès début 2014, j’ai décidé de revoir les critères de détection des personnes radicalisées dans nos établissements.

Pour cette raison, j’ai renforcé dès 2012 le renseignement pénitentiaire : en effet, pour détecter les personnes radicalisées, il faut d’abord que notre renseignement pénitentiaire soit performant. Nous avons augmenté les effectifs : lorsque nous sommes arrivés, ils étaient 72 ; ils sont aujourd’hui 159 et seront bientôt 185. Nous les avons déployés, restructurés dans l’ensemble du territoire ; nous avons placé des agents spécialisés dans les établissements pénitentiaires.

Nous avons constaté, grâce aux informations que le renseignement pénitentiaire nous a très vite remontées, qu’il y a désormais des stratégies de dissimulation. Il existait un guide qui, à partir de trois critères, permettait de repérer les personnes radicalisées : le premier critère portait sur la vie quotidienne et l’activité, le deuxième sur la pratique éventuelle d’une activité religieuse et le troisième sur le rapport à l’institution et à l’autorité.

Nous nous sommes rendu compte qu’il y avait des stratégies de dissimulation ; par conséquent, nous partons maintenant à la chasse aux « signaux faibles », c’est-à-dire aux premiers signes nous permettant de repérer une personne qui pratique de l’endoctrinement ou un détenu exposé à cet endoctrinement. Nous nous sommes donné les moyens de cette détection et avons consacré un million d’euros à des « recherches actions » que j’ai lancées depuis 2014, qui nous permettent d’identifier ces signaux faibles.

Par ailleurs, nous avons engagé la prise en charge de ces personnes. Les personnes très radicalisées, celles qui sont en capacité de faire de l’endoctrinement, font l’objet d’isolement, de fouilles, de contrôles réguliers, fréquents et, souvent, de transfèrements dans d’autres établissements pénitentiaires.

Les personnes en situation intermédiaire font partie de cette catégorie de détenus que l’on place dans des unités dédiées. Nous expérimentons, depuis octobre 2014, une unité dédiée ; nous allons en créer cinq, dont une qui sera étanche – la séparation sera double : séparation de la population carcérale et séparation entre eux puisqu’ils seront en cellule individuelle.

Nous avons un programme ambitieux de formation des personnels. Nous avons déjà formé 1 500 personnels de surveillance à l’emprise sectaire et à la pratique des religions. Nous recrutons des aumôniers musulmans, dont nous avons doublé les effectifs.

Tous ces moyens de détection et de prise en charge sont actualisés, notamment avec la contribution de la préfecture de police de Paris et des organismes universitaires que nous avons fortement mobilisés dans ces recherches.

4

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :

Débat en salle Lamartine sur la sidérurgie et la métallurgie françaises et européennes.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-sept heures quarante.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly