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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2015-2016

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du jeudi 04 février 2016

SOMMAIRE

Présidence de Mme Sandrine Mazetier

1. Capacités d’intervention des forces de l’ordre

Présentation

M. Éric Ciotti, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

M. Thierry Braillard, secrétaire d’État chargé des sports

Rappel au règlement

M. Alain Chrétien

M. Éric Ciotti, rapporteur

Discussion générale

M. Pierre Morel-A-L’Huissier

M. Michel Zumkeller

M. François de Rugy

M. Olivier Falorni

M. Patrick Mennucci

M. Alain Chrétien

Mme Anne-Yvonne Le Dain

Mme Marion Maréchal-Le Pen

M. Éric Ciotti, rapporteur

Motion de rejet préalable

M. Patrick Mennucci

M. Guillaume Larrivé

M. François de Rugy

Suspension et reprise de la séance

2. Lutte contre le hooliganisme

Présentation

M. Guillaume Larrivé, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

M. Thierry Braillard, secrétaire d’État chargé des sports

Discussion générale

M. Philippe Goujon

M. Michel Zumkeller

M. François de Rugy

Mme Gilda Hobert

M. André Chassaigne

M. Patrick Mennucci

M. Gilbert Collard

M. Régis Juanico

Discussion des articles

Article 1er

Amendements nos 4 , 23 , 25 , 5

Article 2

Amendement no 6

Article 3

Article 4

Amendement no 28

Après l’article 4

Amendements nos 21 , 20 , 19 , 27 , 17 rectifié , 18 rectifié , 24 , 3 , 2 , 7 , 8 , 1 , 9 rectifié , 10 , 11

Titre

Amendement no 26

Vote sur l’ensemble

Suspension et reprise de la séance

3. Développement régional de l’apprentissage

Présentation

M. Christian Estrosi, rapporteur de la commission des affaires sociales

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

Discussion générale

Mme Isabelle Le Callennec

4. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de Mme Sandrine Mazetier

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Capacités d’intervention des forces de l’ordre

Discussion d’une proposition de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Éric Ciotti et plusieurs de ses collègues visant à élargir les capacités d’intervention des forces de l’ordre (nos 3271, 3446).

Présentation

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Ciotti, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Éric Ciotti, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État chargé des sports, monsieur le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République – permettez-moi de vous féliciter pour votre récente élection –, mes chers collègues, notre pays est aujourd’hui confronté à un niveau d’insécurité extrêmement élevé. Je pense naturellement à la menace terroriste et aux attentats qui ont tragiquement ponctué l’année 2015. Je pense également aux multiples répliques, de plus ou moins grande intensité, qui les ont suivis, ainsi qu’aux attentats déjoués grâce à la vigilance citoyenne, que ce soit dans le Thalys ou dans d’autres circonstances.

Ce matin, les médias ont diffusé le témoignage de la personne qui a permis l’arrestation des terroristes auteurs des attentats du 13 novembre. Ce témoignage est terrifiant. Selon les dires d’Abaaoud, abattu lors de l’assaut de Saint-Denis, quatre-vingt-dix terroristes seraient entrés sur le territoire national, et d’autres attentats étaient prévus quelques jours après ceux du Bataclan, à La Défense, contre un commissariat et une crèche. Nous savons que ces menaces restent maximales.

Mais au-delà du terrorisme, c’est en vue de lutter contre la criminalité et la délinquance en général – celles que notre pays connaît au quotidien – qu’il convient de renforcer les moyens d’action des forces de l’ordre. Les policiers et les gendarmes forment en effet le premier rempart garantissant à chaque citoyen son droit à la sûreté, droit naturel et imprescriptible proclamé à l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Nous devons bien entendu une reconnaissance forte à nos policiers, à nos gendarmes et à nos miliaires, qui assurent cette sécurité au péril de leur vie. À cet égard, je rappellerai que onze policiers ont été tués en service en 2014. Plus de 15 000 agressions physiques ont été subies par nos policiers et nos gendarmes. Les violences à l’encontre de ces derniers ont augmenté de 40 % au cours des six dernières années. Oui, nous leur devons une reconnaissance ! Mais nous leur devons également, à la hauteur de cette gratitude, une protection qui garantisse leur propre sécurité, parce qu’ils sont les premiers remparts pour assurer la sécurité de tous.

M. Alain Chrétien. Oui, il faut les protéger !

M. Éric Ciotti, rapporteur. Je pressens d’ores et déjà que la majorité, qui a déposé une motion de procédure quelque peu dilatoire, nous opposera que cette proposition de loi ne serait pas le bon vecteur puisqu’un projet de loi réformant la procédure pénale est en cours de préparation. Mais ce que l’on connaît aujourd’hui de ce projet, présenté hier en conseil des ministres, apparaît notoirement insuffisant au regard du contexte et de la menace.

Monsieur le secrétaire d’État, vous qui remplacez de façon un peu étonnante le ministre de l’intérieur dans notre débat de cet après-midi, je vous invite à nous écouter. Dès le 2 avril, je défendais à cette tribune, au nom du groupe Les Républicains, une proposition de loi visant déjà à mieux protéger ceux qui détiennent l’autorité de la République et ceux qui sont autorisés à utiliser la force pour protéger nos concitoyens. Vous ne nous avez pas écoutés, hélas ! Vous nous avez renvoyés à la réunion d’une pseudo-commission de travail. Trop souvent, monsieur le secrétaire d’État, vous avez refusé d’écouter l’opposition. Si vous nous aviez écoutés davantage et plus fréquemment, si vous aviez pris en compte les conclusions de la commission d’enquête sur les filières djihadistes, que j’ai eu l’honneur de présider, nous serions peut-être parvenus à limiter quelques-unes des conséquences les plus tragiques des événements terroristes que j’évoquais tout à l’heure. C’est pour cela que je vous conjure aujourd’hui de nous écouter, de nous entendre !

Le Gouvernement, la majorité et le Président de la République à Versailles ont réclamé l’union nationale, l’unité nationale contre le terrorisme.

M. Alain Chrétien. Ils le répétaient sans cesse !

M. Éric Ciotti, rapporteur. Or, systématiquement, avec une forme de mépris procédural, vous vous opposez à ce que nous voulons mettre en place pour mieux assurer la sécurité de nos concitoyens.

M. Alain Chrétien. Cette union nationale, il faut la réaliser !

M. Éric Ciotti, rapporteur. C’est une erreur, une faute. Écoutez-nous ! Nos propositions vont dans le bon sens. Vous vous êtes tellement trompés par le passé ! Vous avez été tellement contraints de changer d’avis ! La déchéance de nationalité en est la meilleure preuve : rappelez-vous ce que vous disiez après le discours de Nicolas Sarkozy à Grenoble. Je vous appelle aujourd’hui à la responsabilité sur ce texte.

J’en viens à la présentation des trois séries de mesures que cette proposition de loi comporte.

En premier lieu, elle vise à modifier la mise en jeu de la responsabilité pénale des forces de l’ordre lorsqu’elles font usage de leurs armes dans l’exercice de leurs missions. Comme je l’ai déjà dit, cette question avait fait l’objet d’une proposition de loi discutée par l’Assemblée nationale le 2 avril dernier.

Je rappelle qu’en matière d’usage des armes, à la différence des gendarmes qui disposent d’un régime spécifique, les policiers relèvent pour l’essentiel du droit commun de la légitime défense. Pour eux, les conditions du recours à la force armée sont donc particulièrement contraignantes. Cette différence de traitement n’a plus de raison d’être.

M. Guillaume Larrivé. Absolument !

M. Éric Ciotti, rapporteur. Cette question est abordée dans la réforme pénale dont nous débattrons prochainement. Mais ne serait concerné par ce texte que le cas d’un « périple meurtrier ». Les syndicats et représentants des policiers se sont d’ailleurs montrés très réservés et très sceptiques quant au contenu de cette réforme.

M. Guillaume Larrivé. Ils ont raison !

M. Éric Ciotti, rapporteur. Pire : nous avons appris hier que le Conseil d’État avait émis un avis très réservé sur le texte du Gouvernement. Dans cet avis daté du 28 janvier, il a souligné que la disposition législative proposée par le Gouvernement « n’apportera qu’une sécurité juridique relative ». Dans le langage du Conseil d’État, c’est déjà très violent !

M. Guillaume Larrivé. Tout est dit !

M. Alain Chrétien. Cela commence mal !

M. Éric Ciotti, rapporteur. Cela signifie que cette disposition ne servira à rien ! Je vous prends à témoin, cher Guillaume Larrivé, vous qui avez été membre du Conseil d’État avant d’être élu député !

En outre, toujours selon le Conseil d’État, la combinaison de cette  nouvelle disposition avec les règles en vigueur « pourrait s’avérer délicate tout spécialement pour les gendarmes qui seront soumis à trois régimes juridiques différents ». En conséquence, le Conseil d’État considère que l’usage des armes par les forces de l’ordre « devrait être redéfini plus globalement ». Tel est précisément, mes chers collègues, l’objet de l’article 1er de notre proposition de loi.

En deuxième lieu, cette proposition de loi assouplit les règles encadrant les contrôles d’identité, ainsi que les fouilles de véhicules et de bagages.

Là encore, le cadre juridique en vigueur n’est plus adapté. En matière de fouilles de véhicules, les forces de l’ordre ne peuvent, hors enquête de flagrance, agir qu’avec l’accord du procureur. Les contrôles d’identité ne sont possibles que sur réquisition écrite du procureur de la République ou à condition qu’existent des raisons plausibles de soupçonner qu’une infraction a eu lieu ou est en cours. Quant aux fouilles de bagages, elles ne sont même pas prévues par le code de procédure pénale.

Si vous soutenez cette proposition de loi, mes chers collègues,…

M. Alain Chrétien. Vous la soutiendrez, n’est-ce pas ?

M. Éric Ciotti, rapporteur. …les policiers et les gendarmes pourront demain, pour l’application des dispositions du code pénal, « contrôler l’identité des personnes se trouvant sur le territoire national », « procéder à la visite des moyens de transport » et procéder à l’inspection visuelle de bagages et à leur fouille. La conformité de ces dispositions à la Constitution a été établie à au moins quatre reprises par la Cour de cassation.

Troisième et dernier point : la proposition de loi permet aux policiers et aux gendarmes de porter leur arme en dehors du service.

Enfin, j’ai souhaité compléter ce texte par des amendements allant tous dans le sens d’une plus grande protection non seulement de nos policiers et de nos gendarmes, mais aussi de nos policiers municipaux – je le dis devant le président de la commission consultative des polices municipales, Christian Estrosi, qui a d’ailleurs souhaité, par un amendement que je soutiens, renforcer ces dispositions.

Je souhaite donner aux forces de l’ordre des moyens supplémentaires pour mener des perquisitions à domicile en matière de criminalité organisée. Je souhaite porter à huit jours, au lieu de six actuellement, la durée maximale de garde à vue en matière de terrorisme. Je souhaite faciliter la consultation et le croisement des données issues des différents fichiers. Je souhaite rétablir la possibilité de fouilles systématiques des détenus et des visiteurs en prison.

Pour conclure, je souhaite que cette proposition de loi, rejetée par notre commission des lois, fasse aujourd’hui l’objet d’un consensus qui témoigne de la reconnaissance que nous portons à nos forces de l’ordre et que son adoption permette à celles-ci d’être dotées des moyens que nous leur devons pour mieux les protéger, car ce sont elles qui sont en première ligne dans ce combat contre l’insécurité et le terrorisme. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des sports.

M. Alain Chrétien et M. Guy Geoffroy. Il va y avoir du sport ! (Sourires.)

M. Thierry Braillard, secrétaire d’État chargé des sports. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, je vous prie de bien vouloir excuser M. Bernard Cazeneuve, qui n’a pu être présent cet après-midi. Comme il est prévu que je représente le Gouvernement pour la proposition de loi suivante, je remplacerai le ministre de l’intérieur sur ce texte, sachant que, n’en déplaise à certains, le Gouvernement est totalement solidaire…

M. Alain Chrétien. Vous voulez parler de Mme Taubira ?

M. Thierry Braillard, secrétaire d’État. …et que la voix d’un secrétaire d’État chargé des sports est la même que celle du ministre de l’intérieur.

M. Éric Ciotti, rapporteur. Audacieux !

M. Thierry Braillard, secrétaire d’État. La proposition de loi visant à élargir les conditions d’intervention des forces de l’ordre, présentée par Éric Ciotti, aborde des sujets qui méritent d’être traités avec une grande rigueur.

Elle est d’ailleurs motivée par une intention louable : le Gouvernement partage, monsieur le député, votre souci de renforcer, dans le strict respect du droit, la sécurité et les marges d’intervention des policiers et des gendarmes,…

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Il faut le faire tout de suite !

M. Guy Geoffroy. Et voter le texte !

M. Thierry Braillard, secrétaire d’État. …lesquels se trouvent en première ligne pour lutter contre la menace terroriste à laquelle nous sommes aujourd’hui confrontés. C’est la raison pour laquelle, comme vous le savez, le Gouvernement s’est lui-même déjà saisi de cette question.

Par-delà la lutte antiterroriste, les femmes et les hommes qui composent les forces de l’ordre, confrontés à de nouvelles formes de criminalité, risquent leur vie pour protéger nos concitoyens et faire respecter les lois de la République. Chacun d’entre nous ici connaît le prix que, trop souvent, ils paient dans l’accomplissement de leurs missions.

Il est donc nécessaire que, dans le contexte actuel, nous nous efforcions de clarifier le cadre juridique dans lequel interviennent – et notamment font usage de leurs armes – les policiers et les gendarmes. Néanmoins, nous devons le faire dans un double souci d’efficacité opérationnelle et de respect du droit. Telle est la boussole qui doit nous guider.

Or la proposition que vous faites, monsieur M. Ciotti, semble davantage traduire une intention – que nous partageons –, qu’une détermination à aboutir et je vais vous le démontrer.

Dans son article 1er, votre proposition prévoit une extension du cadre légal de l’usage des armes pour les forces de l’ordre. À cet égard, la rédaction proposée vise à aligner les conditions de la légitime défense des policiers sur celles des gendarmes, dans une démarche louable, très largement théorique – vous avez échangé à de nombreuses reprises sur cette question avec le Gouvernement – et adresse un message dénué de portée réelle.

Que dit le droit en vigueur ? Il prévoit que les policiers, hors opérations de maintien de l’ordre et intervention en milieu carcéral, ne peuvent utiliser leur arme de service qu’en situation de légitime défense. Selon la jurisprudence, celle-ci, pour être constatée, suppose que trois conditions impératives soient réunies. Le danger doit d’abord être réel et actuel. Ensuite, la riposte doit relever d’une absolue nécessité. Enfin, elle doit être proportionnée à la menace. Je relève que ces conditions ont été tout à fait intériorisées par les agents des forces de l’ordre.

Concernant les gendarmes, le fondement juridique est distinct, mais les conclusions opérationnelles sont parfaitement similaires. Le code de la défense prévoit qu’ils peuvent recourir à leurs armes non seulement en ripostant à une agression qui met leur vie en danger – tout comme les policiers –, mais aussi après sommations verbales, et ce dans deux cas de figure :

En cas de voies de fait, pour défendre leur terrain quand il n’existe pas d’autres moyens pour contraindre une personne qui cherche à échapper à leur garde à s’arrêter, ou encore pour immobiliser un véhicule ;

Dans le cadre de leurs missions militaires, pour défendre une zone de défense hautement sensible.

Mais la réalité est que l’usage des armes, qu’il soit le fait d’un policier ou d’un gendarme, est subordonné par la jurisprudence aux conditions de nécessité absolue et de proportionnalité définies par l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales garantissant le droit à la vie. La Cour européenne des droits de l’homme considère ainsi qu’un contrôle de cette double condition s’impose, contrôle qu’elle applique de la même façon et avec la même rigueur à tous les représentants des forces de l’ordre.

La Cour de cassation elle-même considère que l’usage d’une arme ne peut être justifié que lorsqu’il est « absolument nécessaire » au regard de la situation. C’est pourquoi elle apprécie au cas par cas, quand des policiers ou des gendarmes ont eu recours à leurs armes de service, si ces derniers étaient ou non en situation de légitime défense, sans distinguer entre les uns et les autres.

Par conséquent, au vu de cette jurisprudence convergente et constante, nationale aussi bien qu’européenne, on peut dire que les conditions d’usage des armes par les policiers et les gendarmes sont déjà harmonisées.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Une jurisprudence, cela peut se changer !

M. Thierry Braillard, secrétaire d’État. En outre, l’article 1er de la proposition de loi reprend en partie les dispositions de l’article L. 211-9 du code de la sécurité intérieure relatif à l’usage de la force sans sommation en maintien de l’ordre, sans indiquer s’il serait abrogé, pour les introduire dans le code pénal. Or le Gouvernement considère qu’il n’est pas souhaitable de confondre avec le droit commun le domaine du maintien de l’ordre, qui pose des problématiques distinctes.

Votre proposition, monsieur Ciotti, pose une autre difficulté : elle aurait vocation à s’appliquer à tous les dépositaires de l’autorité publique « régulièrement autorisés à porter et à faire usage d’une arme de service », ce qui concernerait donc, outre les policiers nationaux et les gendarmes, les policiers municipaux, les douaniers, mais aussi d’autres catégories non mentionnées dans l’exposé des motifs, telles que les agents de l’Office national des eaux et des milieux aquatiques. Chacun conviendra que ces fonctions et ces activités, si respectables soient-elles, ne sont pas les premières concernées par l’extension des cas de légitime défense.

M. Alain Chrétien. Absurde !

M. Thierry Braillard, secrétaire d’État. Je vous laisse ce commentaire.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. C’est votre interprétation !

M. Thierry Braillard, secrétaire d’État. Surtout, ce texte reprend fidèlement une proposition de loi que vous aviez déjà présentée au mois de mars, à la suite de quoi le ministre de l’intérieur a mis en place un groupe de travail. Ce groupe a examiné le sujet avec la plus grande attention, sans esprit de polémique, sans effet de manche – ce qui ne me semble pas être le cas, de ce côté de l’hémicycle (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains) – en réunissant notamment les Inspections générales de la police et de la gendarmerie nationales. Vous étiez, monsieur Ciotti, naturellement associé à ce groupe de travail, et vous avez été convié à l’ensemble de ces réunions. Bernard Cazeneuve, le ministre de l’intérieur, a d’ailleurs veillé à ce que ces réunions puissent avoir lieu en milieu de semaine, à ce qu’à chaque fois l’attache de vos services soit scrupuleusement prise, et malgré toutes ces précautions, malgré l’opiniâtreté que vous semblez mettre à défendre cette mesure, vous ne vous êtes rendu à aucune de ces réunions.

M. Éric Ciotti, rapporteur. C’est faux !

M. Pierre Morel-A-L’Huissier et M. Alain Chrétien. Fait personnel !

M. Guy Geoffroy. Abordez plutôt les arguments de fond !

M. Thierry Braillard, secrétaire d’État. On me rapporte que M. Folliot était présent, ce qui n’est pas le cas cet après-midi, que Mme Pochon était très assidue, que vous voulez parler de légitime défense des policiers depuis les tribunes mais jamais dans les réunions de travail.

M. Éric Ciotti, rapporteur. C’est faux !

M. Thierry Braillard, secrétaire d’État. Je comprends, ce n’est pas grave, mais cela explique que vous rééditiez les mêmes erreurs qu’en mars.

Je me permets donc de vous faire partager, à vous ainsi qu’à l’ensemble des députés, les conclusions de ce groupe de travail. Celui-ci a débouché sur des propositions d’évolutions législatives qui ont été intégrées dans le projet de loi, présenté hier en Conseil des ministres, renforçant la lutte contre le crime organisé et son financement, l’efficacité et les garanties de la procédure pénale.

Ainsi, la création d’un régime juridique spécifique d’usage des armes par les forces de l’ordre est l’objet de l’article 20 de ce projet de loi, dont vous serez bientôt amenés à débattre dans cet hémicycle.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Il est temps !

M. Thierry Braillard, secrétaire d’État. J’ajoute que c’est précisément parce que le Gouvernement a conscience des problématiques inédites que soulève l’utilisation d’armes lourdes par les réseaux terroristes et de la grande délinquance qu’il a décidé sans tarder, il y a maintenant un an, de moderniser l’armement des policiers et d’améliorer les mesures de protection dont ils disposent – gilets pare-balles et casques balistiques – tandis que le ministre de l’intérieur a lancé, au début du mois de novembre, un grand plan de lutte contre les trafics d’armes.

Les articles 2 à 4 de la proposition prévoient ensuite un assouplissement des règles relatives aux fouilles de véhicules et de bagages, ainsi que des règles qui encadrent les contrôles d’identité.

Force est de reconnaître que, sur ce sujet aussi, les mesures proposées manquent de rigueur et de précision. À tel point qu’elles seraient sans aucun doute censurées à la fois par le Conseil constitutionnel et par la Cour européenne des droits de l’homme.

L’article 2 prévoit en effet une suppression pure et simple de l’article 78-2 du code de procédure pénale, qui encadre les différents cas de contrôles d’identité – judiciaires, administratifs et dans les zones frontalières –, pour ne conserver à l’article 78-1 que la simple mention suivante : « Les autorités de police et les gendarmes peuvent contrôler l’identité des personnes se trouvant sur le territoire national ».

Or le législateur, en refusant d’encadrer la pratique des contrôles d’identité, c’est-à-dire en refusant de prévoir précisément les conditions dans lesquelles ceux-ci peuvent être opérés, et en omettant de placer leur déroulement sous le contrôle de l’autorité judiciaire, serait très certainement censuré par le Conseil constitutionnel pour incompétence négative et ce d’autant plus que la loi, dans son état actuel, fixe très précisément ces conditions et prévoit expressément le contrôle de l’autorité judiciaire.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. C’est du juridisme !

M. Thierry Braillard, secrétaire d’État. La Cour européenne des droits de l’homme suivrait sans aucun doute le même raisonnement. Dans un arrêt du 12 janvier 2010, elle avait ainsi considéré qu’une loi britannique de 2000 violait l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme au motif que les pouvoirs d’interpellation et de fouille que celle-ci prévoyait n’étaient « ni suffisamment encadrés, ni entourés de garanties légales adéquates contre les abus ».

De la même façon, l’article 3 prévoit d’introduire dans le code de procédure pénale un article 78-1-1 permettant aux fonctionnaires de police et aux militaires de la gendarmerie de procéder, « pour l’application des dispositions du code pénal », à la visite des moyens de transport, sans indiquer s’il abroge ou non les autres dispositions du code de procédure pénale relatives à la visite des véhicules – articles 78-2-2, 78-2-3 et 78-2-4. Il ajoute enfin un article 78-1-2 prévoyant en termes identiques la « visite des marchandises ».

On peut donc difficilement faire moins précis !

Le Gouvernement, quant à lui, est tout à fait conscient de la nécessité de renforcer les visites de véhicules et la fouille des bagages en vue de prévenir la commission d’actes terroristes, mais en faisant preuve de la rigueur qui sied à l’importance de telles procédures. C’est pourquoi il a soutenu la proposition de loi relative à la sécurité dans les transports du député Gilles Savary, qui prévoit la possibilité de fouiller des bagages, dans le respect des principes de nécessité et de précision.

Enfin, monsieur le député, votre proposition prévoit de donner la possibilité aux policiers et aux gendarmes de porter leur arme en dehors du service. Or le champ de la modification législative avancée est en réalité beaucoup plus large que celui qui figure dans l’exposé des motifs.

En effet, l’article 5 vise à modifier l’article L. 315-1 du code de la sécurité intérieure, ce qui aurait pour effet de permettre non seulement aux policiers et aux gendarmes, mais aussi à tous « les fonctionnaires et agents des administrations publiques exposés par leurs fonctions à des risques d’agression » – par conséquent, les fonctionnaires et les agents des douanes, les agents de la police municipale,…

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Et alors ?

M. Thierry Braillard, secrétaire d’État. …les agents publics chargés des transports de fonds, les magistrats, les gardes champêtres –…

M. Alain Chrétien. Où est le problème ?

M. Thierry Braillard, secrétaire d’État. …à porter leur arme, y compris en dehors du service, ce qui est pour le moins problématique, chacun en conviendra.

Par ailleurs, dans le cadre de l’état d’urgence, le Gouvernement, sans attendre vos préconisations, monsieur le député, a déjà décidé de mettre en place, de façon temporaire, un régime dérogatoire permettant aux policiers de porter leur arme individuelle en dehors de leur service, y compris en dehors du ressort territorial où ils exercent leurs fonctions, afin qu’ils puissent faire face à des individus armés représentant un danger, en toutes circonstances et dans le respect du droit applicable.

Le Gouvernement considère que l’extension éventuelle de ce régime au-delà de la situation d’état d’urgence mérite de faire l’objet d’une analyse approfondie. Un retour d’expérience, à la fin de l’état d’urgence, nous permettra ainsi d’évaluer le dispositif et de réfléchir, notamment à partir des enseignements qui pourront en être tirés, à l’opportunité éventuelle qu’il y aurait à le pérenniser et, par conséquent, à modifier la loi en ce sens.

Pour l’ensemble de ces raisons, le Gouvernement demande que ce texte soit rejeté. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Rappel au règlement

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Chrétien, pour un rappel au règlement.

M. Alain Chrétien. Monsieur le secrétaire d’État, nous souhaitons comme vous qu’il n’y ait pas de polémiques et que le débat se déroule bien. Nous regrettons donc l’attaque personnelle que vous avez proférée à l’encontre de M. Éric Ciotti, évoquant d’éventuelles absences. Ce n’est pas un argument recevable dans le cadre de ce débat que, comme vous, nous souhaitons serein, apaisé et respectueux. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Éric Ciotti, rapporteur. Madame la présidente, je demande la parole.

Mme la présidente. Monsieur Ciotti, vous pouvez intervenir s’il s’agit d’un rappel au règlement ou un fait personnel.

M. Éric Ciotti, rapporteur. Monsieur le secrétaire d’État, je conteste totalement votre argumentation. Ce texte est utile et son application est urgente. Si vous aviez retenu dès le 2 avril dernier les dispositions que nous proposions dans le cadre de la proposition de loi défendue par le groupe Les Républicains, nous n’aurions pas perdu près d’une année.

M. Jacques Myard. Eh oui ! C’est toujours la même chose : le Gouvernement procrastine !

M. Éric Ciotti, rapporteur. Le texte sur la procédure pénale que vous jugez plus opportun que notre proposition de loi ne devant vraisemblablement pas être promulgué avant cet été, nous aurons perdu plus d’un an et demi pour les mesures de protection des policiers, des gendarmes et de tous ceux qui sont dépositaires de l’autorité publique.

M. Jacques Myard. Eh oui !

M. Alain Chrétien. Il y a urgence !

M. Éric Ciotti, rapporteur. Nous avons voulu que ceux qui, parce qu’ils sont porteurs de l’autorité de la République, sont amenés à faire usage de leurs armes soient mieux protégés.

Mme la présidente. Monsieur le rapporteur, s’il ne s’agit pas d’un rappel au règlement ou d’un fait personnel, il n’est pas prévu que vous puissiez intervenir à ce stade du débat. Il vous sera bien évidemment possible de répondre au terme de la discussion générale.

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Pierre Morel-A-L’Huissier.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je remercie M. Éric Ciotti de cette proposition de loi, qui est fondamentale.

« Habituez-vous à vivre avec le terrorisme », nous a conseillé le Premier ministre au lendemain des attentats de janvier 2015. « Nous sommes en guerre », a déclaré le Président de la République au lendemain des attaques terroristes du 13 novembre dernier. Il est incontestable aujourd’hui que le terrorisme s’installe de manière durable en France, car ses causes sont profondes. Il faut donc se préparer à un combat de longue haleine, à une véritable guerre, qu’il nous faudra impérativement gagner.

Il est aujourd’hui urgent de s’en donner les moyens. Concrètement, cela passe en premier lieu par le renforcement des moyens d’action de celles et ceux qui mènent cette guerre au quotidien sur notre territoire : les forces de l’ordre, qu’il s’agisse des policiers ou des gendarmes. Ce sont elles qui sont en première ligne de cette guerre, à la fois parce qu’elles sont chargées d’assurer la sécurité des citoyens sur le territoire, mais également parce qu’elles sont une cible prioritaire des terroristes qui s’en prennent à l’uniforme. Onze policiers ont ainsi été tués en service en 2014.

Pourtant, depuis la série d’attentats sans précédent qu’a connue la France, aucune mesure pérenne de renforcement des capacités d’intervention des forces de l’ordre n’a été prise par le Gouvernement. Il est aujourd’hui impératif de prendre conscience que les moyens donnés aux forces de l’ordre pour protéger la population et se protéger elles-mêmes ne sont plus adaptés et qu’il faut les mettre en cohérence avec le nouveau contexte de violence terroriste exacerbée.

Cela doit passer en premier lieu par un assouplissement des règles d’utilisation des armes par les forces de l’ordre. Actuellement, un policier qui utilise son arme doit être en état de légitime défense pour ne pas être considéré comme pénalement responsable. Compte tenu de l’extrême violence des attaques terroristes, il est incompréhensible de ne pas autoriser un policier à déployer la force armée pour agir en amont de l’attaque. Faut-il attendre que les terroristes aient fait couler le sang pour autoriser les policiers à riposter ? Cela n’est pas sérieux, et d’autant moins que les militaires de la gendarmerie nationale bénéficient, quant à eux, d’un régime d’irresponsabilité pénale beaucoup plus extensif – ils peuvent, par exemple, user de la force armée lorsqu’ils sont simplement menacés par des individus armés. Pourtant, policiers et gendarmes interviennent souvent de concert lors d’une même opération. Comment, dès lors, justifier une pareille différence de traitement ?

Pour faire face efficacement aux comportements criminels les plus dangereux, il est impératif de mettre en place un régime d’irresponsabilité pénale commun à l’ensemble des forces de l’ordre, qui excède le cadre de la légitime défense tout en étant circonscrit à des situations précises et strictement énumérées, afin d’empêcher tout usage inadapté de la force armée.

Par ailleurs, parce que la menace terroriste ne s’arrête pas à la porte du vestiaire du commissariat, nous devons permettre aux forces de l’ordre de porter leur arme en dehors du service.

M. Jacques Myard. Très bien !

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Face à une menace terroriste permanente, qui peut frapper partout, à tout instant, nous devons donner à ces personnes qualifiées et formées au maniement des armes la possibilité d’intervenir à tout moment en cas d’attaque terroriste.

S’il est vrai qu’il existe à ce jour un régime dérogatoire qui autorise le port d’arme en dehors des heures de service, cette possibilité est limitée à la durée de l’état d’urgence et concerne uniquement la police nationale. Il faut pérenniser cette mesure pour qu’elle perdure au-delà de la levée de l’état d’urgence et qu’elle soit applicable à toutes les forces de l’ordre.

Ces deux mesures relatives à l’usage légal des armes doivent concerner toutes les forces de l’ordre, notamment les policiers municipaux, qui sont souvent les grands oubliés des réformes. Se jugeant injustement laissés pour compte, ces derniers sont tout aussi exposés à la violence que leurs homologues nationaux et rien ne justifie qu’on ne leur donne pas les mêmes moyens d’action et de défense.

Faut-il rappeler que, le 8 janvier 2015, une policière municipale est tombée sous les balles d’un terroriste alors qu’elle était en intervention ? Elle n’avait ni arme, ni équipement, et n’était à l’évidence pas en mesure de neutraliser un individu surarmé et déterminé à tuer. Un an après, l’armement des policiers municipaux est toujours considéré comme un régime d’exception, autorisé individuellement par le préfet sur demande du maire. De ce fait, seuls 38 % d’entre eux disposent d’une arme à feu. Pour les 62 % qui n’en possèdent pas, l’exercice de leurs fonctions est très dangereux et les risques liés au port de l’uniforme sont les mêmes pour la que police nationale ou la gendarmerie.

Il est donc urgent de rendre obligatoire l’armement des policiers municipaux. Le groupe Les Républicains le demande de longue date et nous sommes nombreux à avoir déposé en ce sens des propositions de loi, qui sont restées lettre morte.

Renforcer les moyens d’action des forces de l’ordre, c’est aussi leur permettre de gagner en efficacité dans le cadre des contrôles qu’elles effectuent. En raison de l’évolution des formes de délinquance et de criminalité, qui s’affranchissent de toute limite, il paraît indispensable de renforcer la capacité des forces de l’ordre à effectuer des contrôles d’identité et des fouilles de véhicules et de bagages.

En matière de contrôles d’identité, le cadre juridique actuel diffère pour les policiers et pour les gendarmes : les premiers doivent se fonder sur un comportement suspect pour justifier un contrôle d’identité, alors que, pour les seconds, c’est la prévention des atteintes à l’ordre public – notamment la sécurité des personnes et des biens – qui justifie le contrôle. Par ailleurs, il existe une distinction entre les contrôles d’identité judiciaires et administratifs, ces derniers étant contraints par l’obligation de justifier des circonstances particulières établissant l’atteinte à l’ordre public. Ce régime juridique, complexe et trop strict, doit être uniformisé et élargi pour répondre aux nouveaux enjeux du contexte sécuritaire. Il est impératif de créer, pour l’ensemble des gendarmes et des fonctionnaires de police, un droit général à procéder à des contrôles d’identité.

Il en va de même pour les fouilles de véhicules et de bagages. Cadres juridiques multiples et complexes, impossibilité d’effectuer des fouilles en dehors de quelques hypothèses restrictives, exclusion du champ d’application de certains types de véhicules, notamment ceux à usage d’habitation, nécessité du consentement de la personne concernée, sauf cas de flagrant délit ou réquisitions écrites du procureur : ces contraintes apparaissent largement excessives au regard des pratiques délinquantes et criminelles actuelles – l’un des terroristes du 13 novembre dernier a ainsi fait l’objet de contrôles routiers sans être inquiété. Est-ce ainsi que l’on prétend assurer la sécurité des Français ?

Pour renforcer efficacement la sécurité, il faut permettre la fouille des véhicules et des bagages, à tout moment et en tout lieu, sans exiger l’existence préalable d’indices concrets d’infraction, comme c’est déjà le cas en matière douanière. En effet, qu’est ce qui justifie que les policiers et les gendarmes ne disposent pas, en la matière, des mêmes prérogatives que les agents des douanes ?

Toutes ces mesures sont des mesures de bon sens, que nous devons adopter au plus vite pour mieux protéger les Français et nos forces de l’ordre, qui ont le plus grand mal à assurer la sécurité de la population si le cadre d’intervention ne leur permet pas d’assurer la leur propre.

Je regrette que la majorité, avec des arguments frôlant le juridisme – ce sont, du reste, des arguments du même ordre que vient d’employer M. le secrétaire d’État –, ait rejeté en commission cette proposition de loi qui aurait dû faire l’objet d’un consensus, tant elle est nécessaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Zumkeller.

M. Michel Zumkeller. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, cette proposition de loi aborde des sujets complexes qui ont trait à l’essence même de notre pacte républicain, lequel veut que la puissance publique dispose du monopole de la riposte légitime. En effet, il est toujours difficile pour une société comme la nôtre, soucieuse de réglementer strictement le port et le transport des armes, de légiférer sur l’usage légal de la force armée.

Avant tout, au lendemain des attentats de novembre, nous tenons à rendre hommage aux policiers, qui exercent leur métier avec dévouement, courage et professionnalisme. Ceux qui sont quotidiennement confrontés au danger sont en droit d’attendre de la République qu’elle leur donne tous les moyens nécessaires pour se prémunir contre les risques auxquels ils s’exposent lors d’interventions opérationnelles. Il leur faut donc un cadre protecteur digne de ce nom, tout en respectant un difficile équilibre entre protection des forces de l’ordre et sécurité collective.

Aujourd’hui, il existe de fait une inégalité entre policiers et gendarmes, les policiers étant soumis au régime de droit commun alors qu’ils sont eux aussi confrontés à des situations exceptionnelles. Contrairement aux gendarmes et aux douaniers, qui peuvent le faire après des sommations verbales et dans des conditions limitatives, les policiers ne sont autorisés à faire usage de leur arme à feu qu’en réponse à une agression de même nature, c’est-à-dire dans le cas strict de la légitime défense. C’est donc le droit commun de la responsabilité pénale qui s’applique à eux.

Le texte vise à instaurer un régime de responsabilité pénale commun à l’ensemble des forces de l’ordre, encadrant plus précisément les conséquences du recours à la force armée.

Nous sommes favorables à la réforme générale proposée par l’article 1er, qui énonce les circonstances dans lesquelles les forces de l’ordre, qui y sont autorisées, pourront faire usage de leurs armes sans être considérées comme pénalement responsables.

Une autre disposition du texte vise à permettre aux fonctionnaires, agents publics et personnels en charge d’une mission de gardiennage autorisés à être armés de conserver leur arme individuelle en dehors de l’exercice de leurs fonctions. Elle étend également cette possibilité aux militaires de la gendarmerie nationale.

Je rappelle que, dans le cadre de l’état d’urgence, le ministère de l’intérieur a adressé aux services de la police nationale une instruction qui établit un régime dérogatoire autorisant le port d’armes en dehors des heures de service, pour la seule durée de l’état d’urgence et au seul profit de la police nationale.

Permettre aux policiers et aux gendarmes, hors état d’urgence, de porter leur arme en dehors du service semble être une mesure de bon sens lorsque, pour répondre aux situations de crise, on demande aux élus locaux de déployer le maximum d’effectifs policiers armés dans l’espace public. Cela permettrait une réaction rapide et efficace, conduite par des professionnels de la sécurité, afin de mieux protéger nos concitoyens.

Enfin, dans le contexte actuel de lutte contre le terrorisme, nous approuvons également les mesures visant à étendre les possibilités de contrôle d’identité, ainsi qu’à assouplir les règles relatives aux fouilles de véhicules et de bagages.

En matière de contrôles d’identité, nos collègues auteurs de ce texte proposent de remplacer les dispositions actuelles par une formulation plus simple et plus claire, selon laquelle « les autorités de police et les gendarmes peuvent contrôler l’identité des personnes se trouvant sur le territoire national ». Cet élargissement nous semble nécessaire.

En outre, les règles permettant aux forces de l’ordre de procéder à des fouilles de véhicules sont aujourd’hui très restreintes, par comparaison avec les prérogatives des agents des douanes, qui disposent d’un droit de visite général. La réforme de la présente proposition de loi permettrait de ne pas subordonner l’exercice de ce pouvoir à l’existence préalable d’indices concrets d’infraction. Seraient visés tous les types de véhicules, ainsi que les parties condamnées qu’ils renferment, telles que le coffre ou le capot d’une voiture.

S’agissant de la fouille des bagages, les policiers et les gendarmes ne peuvent y procéder sans l’accord de la personne concernée qu’en cas de crime ou de flagrant délit, ou sur commission rogatoire d’un juge d’instruction.

La proposition de loi du groupe socialiste sur la sécurité dans les transports, en cours de discussion au Parlement, n’apporterait qu’une amélioration marginale en permettant des fouilles de bagages uniquement dans les gares, trains et métros.

Le présent texte permettrait d’aller plus loin en attribuant aux gendarmes et aux policiers les mêmes prérogatives qu’aux agents des douanes. Cette proposition de loi comporte donc des dispositions utiles et nécessaires, particulièrement dans le contexte que nous connaissons aujourd’hui.

Mes chers collègues, en commission, tous les articles ont été rejetés, à l’initiative de la majorité, au prétexte que le projet de loi de lutte contre le crime organisé répondrait à ces différents enjeux. Il s’agit d’une manœuvre à laquelle nous sommes malheureusement habitués. Puisque chacun semble convenir de la nécessité de légiférer en ce sens, nous devrions agir en responsabilité et adopter ce texte.

M. Alain Chrétien. Exactement !

M. Michel Zumkeller. Vous l’aurez compris, le groupe UDI votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. François de Rugy.

M. François de Rugy. Je voudrais tout d’abord vous dire, monsieur le rapporteur, puisque vous êtes l’auteur principal de cette proposition de loi, que je partage l’idée selon laquelle la sécurité est un défi permanent.

Rien n’est pire que le déni en la matière, même si cela existe parfois, malheureusement. Les dramatiques événements de l’année 2015 et les attentats qui ont frappé la France sont venus rappeler à certains que le déni de réalité n’était plus possible. Or, quand on regarde la réalité en face, on doit rechercher l’efficacité et le sérieux des mesures, au-delà de toute question idéologique ou de toute posture politicienne.

Il faut faire évoluer non seulement les moyens humains et financiers, comme cela est souvent demandé, mais aussi les moyens techniques et juridiques que l’on donne aux forces de l’ordre – police, gendarmerie – ainsi qu’aux autres composantes de la sécurité – douanes, polices municipales et même sociétés de sécurité privées.

Il en va de même pour la justice : pour ce qui nous concerne, de même que nous n’opposons pas liberté et sécurité, nous n’opposons pas justice et police. La concurrence, voire la guerre, qui a pu exister entre services de police peut exister aussi entre des policiers ou des gendarmes et des magistrats ; mais notre rôle politique consiste à éviter cela.

Nous partageons donc avec vous, monsieur le rapporteur, l’idée que le chantier de la sécurité ne sera jamais terminé – malheureusement, mais c’est ainsi ! Au-delà même de la question du terrorisme, les délinquants, tous ceux qui veulent contourner la loi ou refusent de la respecter, évoluent eux-mêmes dans leurs moyens, dans leurs pratiques, utilisent les dernières technologies à leur disposition. Il faut que l’État et les différentes collectivités qui contribuent à la sécurité des citoyens s’adaptent et se dotent également de moyens permettant de faire face et de lutter contre la délinquance, la violence et le terrorisme.

Je voudrais toutefois souligner un problème de méthode ; et je crois que vous pourriez en convenir. L’on ne peut traiter ce type de sujet, dont le champ est assez large, avec une proposition de loi inscrite dans ce que l’on appelle une « niche parlementaire » – ce n’est pas très joli, mais c’est le terme qui s’est imposé –, cette journée réservée aux groupes pour inscrire une ou plusieurs propositions de loi.

Ce problème n’est pas nouveau : ces « séances du jeudi » concernent toutes les majorités et tous les groupes. Ayant été député d’opposition, je me permets de rafraîchir la mémoire de certains collègues qui se plaignent du traitement réservé aux propositions de loi de l’opposition – le même traitement étant parfois réservé aux propositions de loi de groupes de la majorité.

M. Alain Chrétien. Vous êtes toujours dans l’opposition, me semble-t-il ?

M. François de Rugy. Au cours de la précédente législature, la majorité de l’époque utilisait une étrange technique, prévue par notre règlement, consistant à réserver le vote sur l’ensemble des articles et des amendements et à le reporter à un vote solennel la semaine suivante.

La situation était donc un peu étrange : nous débattions avec nous-mêmes puisque la majorité ne venait même pas. Seul un député donnait la position de celle-ci, toujours négative naturellement : jamais une proposition de loi de l’opposition n’a été adoptée sous la précédente législature ! Nous avions donc un débat sur les amendements et sur les articles, mais pas de vote, tout étant rejeté par un vote solennel la semaine suivante. Ce n’était pas très correct !

Désormais, sous l’actuelle majorité, on a essayé de faire évoluer les choses. Pour autant, soyons sérieux, on ne peut pas adopter des textes qui, comme ce matin, traitent de l’agriculture : allions-nous ouvrir un chantier très important sur la politique agricole, sur la compétitivité de l’agriculture française, avec une simple proposition de loi examinée en quelques heures ?

Chers collègues de l’opposition, vous avez déposé quatre propositions de loi aujourd’hui !

M. Éric Ciotti, rapporteur. Nous travaillons !

M. François de Rugy. Vous saviez donc très bien qu’on ne pouvait pas examiner sérieusement votre proposition de loi sur la sécurité en quelques heures ! Il aurait fallu, à la limite, n’inscrire que celle-là – et encore ! Il n’est pas certain qu’une journée de séance aurait suffi !

Du reste, nous avons un indice : la mobilisation de votre groupe, monsieur Ciotti ! Tout de même, si je fais les comptes, à part vous-même qui êtes rapporteur, il n’y a que deux députés de votre groupe dans l’hémicycle !

M. Alain Chrétien. Les meilleurs sont là !

M. Guy Geoffroy. Il n’y a qu’un seul député écologiste : il est à la tribune !

M. François de Rugy. C’est tout de même un peu léger pour montrer votre engagement.

M. Alain Chrétien. C’est tout le système qui est à revoir !

M. François de Rugy. Je ne dis pas cela seulement pour vous faire sourire : si la sécurité est un sujet important – et elle l’est –, si vous pensez qu’il est absolument indispensable d’adopter dans ce cadre et rapidement ces mesures, vous seriez venus plus nombreux ! Et vous auriez même pu emporter la majorité !

M. Alain Chrétien. Vous stigmatisez !

M. Gilbert Collard. Ce n’est pas beau de stigmatiser !

M. François de Rugy. Monsieur Chrétien, je vais vous répondre : le 14 janvier dernier – ce n’est pas très vieux –, alors que nous avions une séance de même nature, une douzaine ou une quinzaine de députés sur les dix-huit que compte mon groupe étaient présents, soit les deux tiers : à cette aune, vous devriez être au moins 150 !

M. Gilbert Collard. Nous, nous sommes 100 % !

M. François de Rugy. Nous avons même pu faire adopter des textes à la surprise du Gouvernement puisque nous assurions la majorité dans l’hémicycle avec notre groupe.

M. Guy Geoffroy. Six minutes pour ne rien dire !

M. François de Rugy. Sur la méthode, il faut déposer des propositions de loi « à objet unique ». M. Larrivé en a d’ailleurs déposé une : elle sera examinée tout à l’heure, et nous pourrons alors avoir un débat d’amendements et peut-être même l’adopter. Mais en l’occurrence, les sujets que vous abordez – qui sont de vrais sujets, je le reconnais – ne seront ni examinés ni adoptés. Alors ne faites pas votre cinéma en dénonçant le temps perdu ! Cela peut en revanche avoir pour fonction d’aiguillonner : on met un sujet sur la table, même si on sait qu’il ne sera pas adopté, pour aiguillonner le Gouvernement et le pousser à s’exprimer.

M. Éric Ciotti, rapporteur. C’est ce que nous faisons aujourd’hui !

M. François de Rugy. Cela tombe très bien ! Sur la question des transports, je suis plutôt de ceux qui considèrent – c’est connu dans ma famille politique – qu’on devrait permettre aux agents de la SNCF, pour ce qui concerne les trains, de faire ouvrir leurs sacs aux voyageurs et de faire des contrôles de routine aléatoires – et non systématiques, parce qu’on ne pourra pas mettre des portiques partout – afin de faire de la prévention.

Une proposition de loi initiée par Gilles Savary, un collègue socialiste, a déjà été adoptée sur ce sujet. Un certain nombre des points que vous avez abordés dans votre proposition de loi ont déjà été débattus et examinés : ainsi que M. le secrétaire d’État l’a dit tout à l’heure, nous avançons, même si le Sénat peut apporter des améliorations, parce qu’il y a encore matière à le faire.

Quant au projet de loi sur la procédure pénale préparé par le Gouvernement, un certain nombre des sujets que vous avez soulevés sont sur la table, comme la question dite de la légitime défense, qui n’est quand même pas un petit sujet – vous le savez, monsieur Ciotti, vous qui vous êtes attentif à ces questions.

Un procès récent a encore provoqué une grande controverse, avec une décision d’acquittement d’un policier qui avait abattu une personne en fuite, cette décision étant, comme toujours dans ces cas-là, contestée par certains et saluée par d’autres.

Ces situations sont compliquées : on ne peut pas prétendre qu’on va autoriser la légitime défense d’un claquement de doigts et que tous les policiers de France et de Navarre seront mieux protégés. Nous savons bien que le métier de policier est extrêmement difficile et que les agents, qui mettent leur vie en danger pour notre sécurité, sont eux-mêmes exposés à des situations difficiles : ils savent que ce n’est pas simple.

De même, l’autorisation pour les policiers et les gendarmes de porter leur arme en dehors de leur service est un sujet complexe. À une époque, on a même fait le chemin inverse à la demande des policiers, qui préféraient ne plus avoir la responsabilité lourde de porter leur arme de service en dehors de leur service.

Aujourd’hui, nous allons peut-être faire le chemin inverse. Cela peut se comprendre parce que les temps ont changé : la menace est différente, la violence monte, les armes à feu circulent en beaucoup plus grand nombre dans notre pays. Il faut y faire face avec beaucoup de détermination – nous avons d’ailleurs, selon moi, sous-estimé le risque pendant de nombreuses années.

Mais cela ne se fait pas ainsi, en deux heures, de cette façon ! C’est un débat important, qui sera traité dans le projet de loi présenté par le Gouvernement. C’est pourquoi, pour ma part, j’appellerai au vote de la motion de rejet préalable de façon à ce que ces sujets, qui méritent d’être traités, le soient correctement lors de l’examen du projet de loi du Gouvernement.

M. Alain Chrétien. Quel mépris pour le travail d’Éric Ciotti !

M. Guy Geoffroy. M. de Rugy aura tout fait pour entrer au Gouvernement !

M. Patrick Mennucci. C’est élégant !

M. Alain Chrétien. Mais c’est juste !

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Falorni.

M. Olivier Falorni. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois – que je félicite pour sa nomination récente –, monsieur le rapporteur, chers collègues, nous sommes aujourd’hui réunis pour l’examen de la proposition de loi visant à élargir les capacités d’intervention des forces de l’ordre, présentée par notre collègue Éric Ciotti dans le cadre de la journée réservée au groupe Les Républicains, et qui a été rejetée mardi dernier en commission des lois.

L’auteur et rapporteur de la présente proposition de loi précise que ce texte fait suite aux récentes menaces subies par la France et aux risques d’attentats et d’atteintes à la sûreté de l’État mettant les forces de l’ordre en grande difficulté, celles-ci étant le premier rempart contre la criminalité et la violence terroriste.

Le texte que nous présente M. Ciotti prévoit en premier lieu de renforcer la protection pénale des dépositaires de l’autorité publique déployant la force armée dans des situations dangereuses. Cette disposition, visant à élargir la reconnaissance des cas de légitime défense des forces de l’ordre, avait déjà fait l’objet d’un texte, présenté par M. le rapporteur lui-même et rejeté le 2 avril 2015 dans notre hémicycle.

Nous ne nions pas le souci de renforcer la sécurité des forces de l’ordre compte tenu de la menace terroriste à laquelle elles font actuellement face. L’action des forces de l’ordre est à saluer et à féliciter, et nous ne pouvons que rendre hommage à leur mobilisation, d’autant plus dans le contexte actuel de l’état d’urgence où toutes les forces de sécurité sont mises à contribution afin d’assurer la sécurité de nos concitoyens.

Nous ne nions pas l’existence d’événements dramatiques renforçant le besoin de sécurité et de protection des individus contre les grands délinquants et les terroristes. Nous ne nions pas non plus le recours fréquent aux armes lourdes par ces délinquants et à l’usage du feu fait par ceux-ci.

Mais le dispositif du premier article de la proposition de loi que vous nous présentez, monsieur le rapporteur, est le même qu’en avril dernier. Or, nous avions déjà eu l’occasion d’opposer des critiques en avril, et vous ne serez pas surpris que nous ne changions pas d’analyse maintenant.

Plusieurs conditions, confirmées par une jurisprudence constante, se posent afin de pouvoir parler de légitime défense, et ces conditions s’appliquent également aux forces de l’ordre.

La légitime défense, pour être caractérisée, suppose que le danger soit réel et actuel, que la riposte soit absolument nécessaire et que cette riposte soit proportionnée à la menace. Or le dispositif, tel que vous le présentez, introduit de fait une présomption de légitime défense dans les ripostes faites par les forces de l’ordre.

Il apparaît difficilement concevable de remettre en cause cet équilibre sans remettre en cause la proportionnalité, si difficile à trouver, entre la menace et la riposte.

Pour autant, nous partageons votre constat, monsieur le rapporteur, à savoir que la différence de traitement entre les forces de l’ordre trouve de moins en moins de justifications. En effet, les gendarmes sont des forces militaires qui exercent leurs fonctions essentiellement en milieu rural et assurent la protection des bâtiments publics. Les policiers en revanche exercent leurs missions en milieu urbain. Or il faut admettre, et les récents événements le confirment, que les menaces sont particulièrement fortes en milieu urbain et le régime d’irresponsabilité pénale spécifique dont bénéficient les militaires de la gendarmerie nationale et dont sont exempts les policiers nationaux est difficilement justifiable aujourd’hui.

En ce sens, nous avions déposé, à l’occasion de l’examen de la proposition de loi sur la légitime défense des policiers, un amendement visant à aligner le principe de proportionnalité entre la défense et l’attaque entre les policiers et les gendarmes. L’annonce de la création d’un groupe de travail, à la demande du ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve, visant à harmoniser les deux statuts et réunissant les inspections de la police et de la gendarmerie nationales ainsi que des parlementaires de la majorité et de l’opposition était de ce point de vue bienvenue. En effet, il apparaît nécessaire de trouver sur ce sujet un consensus républicain, consensus utile pour les forces de l’ordre et conforme à la confiance exprimée encore récemment par les citoyens dans l’action de celles-ci. Nous aurons l’occasion d’y revenir lorsque nous examinerons le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, adopté hier en conseil des ministres.

Votre texte propose aussi, monsieur le rapporteur, en son article 2, d’étendre les possibilités de contrôle d’identité reconnues aux forces de l’ordre.

Aujourd’hui et en temps normal, le contrôle d’identité opéré par les officiers de la police judiciaire peut intervenir soit à l’initiative des forces de l’ordre, soir sur réquisition du parquet lorsqu’il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner que la personne a commis ou tenté de commettre une infraction, qu’elle se prépare à commettre un crime ou un délit, qu’elle est susceptible de fournir des renseignements utiles à l’enquête en cas de crime ou de délit ou qu’elle fait l’objet de recherches ordonnées par une autorité judiciaire.

En ce qui concerne le contrôle d’identité de police administrative, celui-ci peut intervenir pour toute personne et quel que soit son comportement afin de prévenir une atteinte à l’ordre public, notamment à la sécurité des personnes ou des biens.

Si, en période d’état d’urgence, il est possible de trouver une justification à la généralisation des contrôles d’identité des personnes se trouvant sur le territoire national en raison de la menace pesant sur les intérêts fondamentaux et la préservation de l’intégrité de l’État, il convient, hors de cette situation, de renforcer l’efficacité des contrôles d’identité : le projet de loi adopté hier en conseil des ministres prévoit que ces contrôles, décidés sur réquisition du procureur de la République et sous son contrôle, seront étendus à l’inspection visuelle et la fouille des bagages. En outre, les personnes dont le comportement paraîtrait lié à des activités terroristes pourront être retenues, afin que leur situation soit examinée, pendant une durée maximale de quatre heures, nonobstant le fait qu’elles aient présenté des documents d’identité qui peuvent être falsifiés.

Il n’apparaît pas souhaitable d’insérer dans le code de procédure pénale l’extension des possibilités de fouille des véhicules et des bagages par les fonctionnaires de police et les militaires de la gendarmerie proposée par les articles 3 et 4 de la proposition de loi. Cette possibilité se heurterait à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Le Gouvernement a d’ailleurs renoncé à inscrire des dispositions similaires dans son projet de loi.

Ces propositions sont d’autant plus contestables qu’elles sont faites la veille de la présentation à l’Assemblée nationale du projet de loi constitutionnelle de protection de la nation, qui vise à constitutionnaliser le dispositif de l’état d’urgence et conduit à la reconnaissance de prérogatives étendues au bénéfice des forces de l’ordre et des pouvoirs publics pendant la durée d’application de l’état d’urgence.

Monsieur le rapporteur, nous comprenons votre préoccupation, à savoir la protection de nos forces de l’ordre, et nous la partageons, comme nous partageons votre volonté de renforcer la sécurité dans notre pays. Cependant nous différons quant aux solutions à apporter et nous ne pensons pas que le texte que vous nous proposez, en ce qu’il modifie les dispositions législatives du code de procédure pénale, remplisse les objectifs qu’il prétend atteindre. L’examen du projet gouvernemental, plus complet, permettra, j’en suis persuadé, d’adopter de manière consensuelle des dispositions particulièrement adaptées à la nécessité de donner à la police administrative et judiciaire les moyens de lutter contre le terrorisme et de préserver ainsi la sécurité de nos concitoyens.

Vous l’aurez compris, le groupe Radical, républicain, démocrate et progressiste ne votera pas cette proposition de loi.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Mennucci.

M. Patrick Mennucci. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, je serai bref car la position du Gouvernement correspond exactement à ce que nous pensons. Il n’y a pas de volonté de notre part de rejeter les propositions de M. Ciotti, d’autant que les mesures adoptées hier en conseil des ministres correspondent à ces idées-là. Il est vrai que l’Assemblée nationale doit pouvoir faire valoir un certain nombre d’idées, notamment en défendant des propositions de loi.

Ce texte vise d’abord à étendre le cadre légal de l’usage des armes par les forces de l’ordre. La rédaction proposée, qui vise à aligner les conditions de la légitime défense des policiers sur celles des gendarmes, pose de réelles difficultés juridiques et opérationnelles. Vous reprenez quasiment à l’identique les termes de la proposition de loi rejetée par l’Assemblée nationale le 30 mars 2015.

M. Alain Chrétien. Quel temps perdu !

M. Patrick Mennucci. Nous sommes entre nous, monsieur Chrétien, et nous n’avons pas besoin…

M. Alain Chrétien. Nous ne sommes pas entre nous, nous sommes en séance publique !

Mme la présidente. Monsieur Chrétien, cessez d’interrompre en permanence les orateurs avec lesquels vous n’êtes pas d’accord ! Vous pourrez vous exprimer dans la discussion générale quand votre tour viendra.

Poursuivez, monsieur Mennucci.

M. Patrick Mennucci. L’examen de la proposition de loi avait conduit le ministre de l’intérieur à mettre en place un groupe de travail sur le sujet de la légitime défense des policiers, auquel vous avez participé, monsieur Ciotti, même si vous n’avez peut-être pas assisté à toutes ses réunions. En tout cas personne ne peut dire que vous n’êtes pas un spécialiste de cette question et que vous ne vous intéressez pas à ces problèmes. Les propositions d’évolutions législatives formulées par le groupe de travail ont été insérées dans le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et son financement et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale, qui a été examiné hier par le conseil des ministres.

Reconnaissez, monsieur Ciotti, vous qui êtes une personnalité qui n’a pas de mal à parler avec le ministre de l’intérieur et avec qui il y a des échanges réguliers sur ces questions de terrorisme – je peux en témoigner – que Bernard Cazeneuve fait preuve dans cette affaire d’une volonté de dialoguer avec tous les parlementaires, quelles que soient leurs opinions politiques.

Sur cette question-là, votre demande est donc satisfaite par ce qu’a fait hier le conseil des ministres.

M. Philippe Vitel. Tout va bien !

M. Patrick Mennucci. S’agissant de l’assouplissement des règles relatives aux fouilles des véhicules et des bagages ainsi qu’aux contrôles d’identité, les mesures que vous proposez, monsieur le rapporteur, sont lapidaires et imprécises. Elles seraient sans aucun doute invalidées tant par le Conseil constitutionnel que par la Cour européenne des droits de l’homme. Je ne crois pas que l’Assemblée nationale doive prendre ce risque.

Le Gouvernement est toutefois bien conscient, et il vous l’a dit à plusieurs reprises, de la nécessité de renforcer, dans un cadre de police administrative et pour la prévention du terrorisme, les visites de véhicules et la fouille des bagages. C’est d’ailleurs l’objet de l’article 17 du projet de loi relatif à la lutte contre le crime organisé et à son financement, que nous examinerons dans les semaines qui viennent.

Concernant la possibilité pour les policiers et les gendarmes de porter leur arme en dehors du service, le champ de la modification législative proposée est beaucoup plus large que celui figurant dans l’exposé des motifs de la proposition de loi, qui ne vise que les policiers et les gendarmes. En effet, la rédaction que vous proposez permettrait aux fonctionnaires et aux agents des douanes, de la police municipale, aux agents publics chargés des transports de fonds, aux magistrats et aux gardes champêtres de porter leur arme même en dehors du service.

J’ai entendu tout à l’heure un collègue dire qu’il fallait armer les polices municipales. Je rappelle que cette possibilité existe déjà, mais qu’elle se heurte aux réticences de certains maires. Ainsi, à Marseille, il a fallu atteindre vingt ans pour que quarante-cinq armes de service soient mises à la disposition des policiers qui patrouillent la nuit.

S’agissant de l’éventuelle extension de ce régime au-delà de l’état d’urgence, elle mérite d’être analysée de manière approfondie. Un retour d’expérience aura lieu à la fin de l’état d’urgence, dont nous ne connaissons pas la date aujourd’hui, pour évaluer ce dispositif et réfléchir, à partir notamment des enseignements qui pourront en être tirés, à l’éventuelle opportunité de sa pérennisation et d’une modification de la loi en ce sens.

Le groupe socialiste, républicain et citoyen ne votera pas en l’état ce texte, mais cela ne signifie pas, monsieur Ciotti, que nous balayons d’un revers de main les éléments que vous avez portés à notre attention au travers de cette proposition de loi.

Deux textes majeurs ont été présentés hier en conseil des ministres et nous allons pouvoir les examiner dans les semaines qui viennent – la commission des lois a déjà désigné des rapporteurs. Nous pourrons à ce moment-là reprendre ces propositions, de façon consensuelle et avec une attention particulière portée aux droits, aux conséquences.

M. Philippe Vitel. C’est complètement incohérent !

M. Patrick Mennucci. Sur cette question du terrorisme, même s’il existe des appréciations différentes, l’Assemblée nationale a la volonté de faire perdurer l’unité pour défendre nos concitoyens et notre nation. Telles sont les raisons pour lesquelles, monsieur le rapporteur, malheureusement pour vous, nous ne voterons pas ce texte.

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Chrétien.

M. Alain Chrétien. Je n’étais pas impatient, madame la présidente, puisque je savais que mon tour viendrait. Vous me permettrez cependant, comme chacun d’entre nous, de réagir aux interventions de mes collègues. C’est cela la démocratie !

Monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, voilà des mois que votre majorité s’enferre, s’enferme, s’enlise dans un débat philosophique, idéologique, bien loin des préoccupations de nos concitoyens, qui sont inquiets pour leur sécurité.

Voilà des mois, mes chers collègues de la majorité, que vous montrez votre incapacité à prendre une décision rapide, concrète, pour protéger les Français.

Cet après-midi, nous avons l’honneur de vous présenter, par le biais d’Éric Ciotti, des mesures qui, elles, sont concrètes, efficaces, pour protéger les policiers, les gendarmes, les douaniers, et surtout pour simplifier le mode opératoire, opérationnel, de l’ensemble des forces de police.

Car en fait, de quoi s’agit-il ? Monsieur le secrétaire d’État, vous nous avez opposé la jurisprudence, mais nous sommes ici au Parlement : c’est nous qui faisons la loi et ce sont ensuite les juges qui l’interprètent. Si le législateur est soumis à la jurisprudence, alors, c’est le Gouvernement des juges !

Certes, selon la jurisprudence, le droit régissant gendarmes et policiers peut-être interprété comme identique, mais nous n’en souhaitons pas moins que la loi reconnaisse désormais que ces derniers doivent être soumis au même régime juridique.

J’entends certains en appeler jusqu’au Conseil européen des droits de l’homme ! Mais qu’y a-t-il de surprenant à vouloir harmoniser le régime des fouilles entre douaniers, gendarmes et policiers ? Est-ce contraire à la Convention européenne des droits de l’homme que de le conférer à ceux-ci le même pouvoir de fouiller les véhicules ? Tout cela n’est pas très sérieux, mes chers collègues ! Vous n’avez pas d’arguments à opposer.

Je suis désolé, monsieur le secrétaire d’État, mais lorsque vous attaquez le rapporteur en disant qu’il n’assistait pas à ces réunions, c’est faux ! Il était bien présent le 1erdécembre au siège de l’IGPN, l’Inspection générale de la Police nationale, 18 rue des Pyrénées – d’ailleurs, avec l’une de nos collègues de la majorité.

Notre débat est sérieux. Vous avez dit que le Gouvernement saisirait le Parlement d’une loi importante, mais tous les collègues ont manifesté leur accord avec les propositions d’Éric Ciotti, moyennant quelques interprétations.

Si tel est le cas, mes chers collègues, si vous prônez l’union nationale chaque fois qu’il est question de terrorisme, pourquoi ne pas faire un geste envers l’opposition et considérer que ces mesures sont bonnes, qu’il est juste de les approuver par anticipation avant de les intégrer par voie d’amendements au texte que vous proposerez ?

Vous ne pouvez pas vous livrer à des incantations sur l’union nationale et, chaque fois que nous formulons des propositions construites, précises, concrètes et réfléchies – Éric Ciotti est un spécialiste, comme l’a dit Patrick Mennucci – les balayer d’un revers de main alors que les services de police eux-mêmes les demandent. Il y a là une contradiction.

M. le secrétaire d’État nous dit qu’il ne faut pas d’effet de manches, mais si ces idées sont bonnes, pourquoi ne pas les faire vôtres et ne pas les accepter dès aujourd’hui avant de les réintégrer dans vos propres projets de loi ?

Mes chers collègues, évitons au moins de rejeter cette PPL en votant la motion que vous ne manquerez pas de défendre dans quelques minutes ! Allons au fond ! Nous devons nous retrouver autour de cette idée d’harmonisation des régimes juridiques de nos forces de l’ordre afin de montrer aux Français que, sur des sujets aussi importants, nous sommes unis. C’est comme cela que les Français veulent nous voir et c’est comme cela que nous devons nous montrer face à la menace !

Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État, d’avoir étudié avec acuité et fort expertement ces propositions qui, je le rappelle à François de Rugy, ont été examinées en commission des lois. Le travail n’a donc pas été bâclé ! Nous pourrions prendre tout le temps que nous voudrions, cet après-midi, pour examiner cette proposition de loi et ne pas nous contenter de quelques minutes.

M. François de Rugy. Il y en a deux autres à examiner !

M. Alain Chrétien. Nous devrions pourvoir passer à l’examen des articles !

D’un côté, vous dites qu’il faut beaucoup de temps et, de l’autre, vous vous apprêtez à voter une motion de rejet préalable pour expulser ce texte de l’ordre du jour ! Là encore, un peu de cohérence ! Travaillons cet après-midi sur ces articles pour être enfin cohérents avec nous-mêmes ! Dépassionnons ce débat extrêmement important et sérieux pour nos concitoyens !

Merci à Éric Ciotti et à l’ensemble des membres de notre groupe d’avoir mis à l’ordre du jour ces dossiers très importants. Nous ne manquerons sans doute pas de les examiner à l’occasion des prochains textes qui nous seront soumis mais, avec Éric Ciotti, nous aurons été à l’avant-garde de la protection des Français ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, cela vaut pour M. Chrétien comme pour M. de Rugy et pour chacun d’entre vous : merci de ne pas interrompre les orateurs qui sont à la tribune.

La parole est à Mme Anne-Yvonne Le Dain.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Le sujet est d’importance. D’une certaine manière, je remercie également M. Ciotti et l’opposition de l’avoir mis à l’ordre du jour, même si je m’en étonne. En effet, nous avons vu arriver hier un projet de loi important du Gouvernement concernant précisément ces différents points, notamment la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et son financement à travers des modifications du code de procédure pénale. Nous sommes donc au cœur du problème.

Nous ne partageons pas nécessairement les propositions de M. Ciotti et du groupe Les Républicains. Un certain nombre d’entre elles sont en effet déjà satisfaites par les textes en vigueur et d’autres le seront par ceux que nous devons examiner. Pour autant, ce texte permet de les évoquer dans une enceinte calme et, oserais-je le dire, paisible même si un peu de passion se manifeste parfois dans le vocabulaire et la tonalité générale des propos.

M. Alain Chrétien. La passion est en effet parfois présente !

M. Guy Geoffroy. Il peut y avoir des passions paisibles !

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Si j’ai souhaité m’exprimer aujourd’hui à la tribune, c’est parce que dans mon département de l’Hérault, à Montpellier, à Lunel, des drames se sont produits. Des jeunes, des pères de famille sont partis faire le djihad et sont morts. Leur situation ne relevait pourtant pas du crime organisé ni même du terrorisme – ils n’ont pas agi sur le territoire national – mais nous devons nous montrer attentifs à ces populations.

Nous savons également que l’état d’urgence a été décrété après un drame qui a fait tant de morts, tant de blessés, dont certains souffrent encore à l’hôpital ou chez eux et qui auront beaucoup de mal à s’en remettre. Malgré la chaleur ou la verdeur des propos tenus, gardons à l’esprit que nous travaillons dans un contexte douloureux qui perdurera pour nos citoyens, qu’ils soient civils ou professionnels des métiers de la sécurité – vous l’avez souligné dans votre rapport, monsieur Ciotti.

Gendarmes, policiers, militaires ou civils, des gens s’engagent et se mettent au service de la nation et de la protection de nos concitoyens dans des conditions difficiles. Ils risquent leur vie ! Onze d’entre eux ont été tués cette année ! Beaucoup ont été blessés – on le dit peu. Faisons en sorte, en leur mémoire, que notre débat se tienne dans l’honneur et la constance !

Il ne faut pas non plus céder à l’arbitraire, comme cela fut jadis parfois le cas dans le domaine de la sécurité – je pense à certains comportements du ministre Marcellin, dont certains se souviennent encore. Grosso modo, l’arbitraire était alors sinon la règle, du moins la réalité. Je pense aux fouilles, aux contrôles, aux portes forcées – lorsque j’avais une petite tendance à manifester contre certains gouvernements, jadis, j’ai moi-même connu cela. À Paris ou ailleurs, des personnes qui étaient pourtant dans des lieux festifs pouvaient faire l’objet de contrôles et d’interpellations.

Il faut faire attention : nous sommes dans une société démocratique. La construction d’une démocratie est lente et implique le respect de fondamentaux. Les forces de l’ordre, ce sont l’ensemble des institutions dont le travail est de veiller au respect de l’ordre public et de la loi. Il s’agit là d’un principe important et ancien.

Dans nos démocraties, le respect des libertés collectives – dont la sécurité de chacun, assurée par l’État – implique celui des libertés individuelles. L’équilibre est difficile à trouver entre une loi assurant la protection des personnes et des biens et une autre assurant le respect de l’ordre public. Il faut tenir cette ligne de crête, qui plus est dans le contexte douloureux et difficile que nous connaissons aujourd’hui avec le terrorisme et le développement de la criminalité organisée.

La loi qui a été déposée le 3 février dernier et dont nous discuterons bientôt visera à embrasser l’ensemble de ces grandes questions : l’équilibre entre le respect des libertés individuelles et la nécessité d’assurer la liberté collective. C’est dans cet axe-là que nous nous situons.

Notre pays, à mon sens, a une tendance étrange et fâcheuse à ne traiter les questions essentielles qu’en cas de crises. Notre pays ne raisonne pas sur la longue durée, non plus qu’il ne module pas à pas le droit et la loi en fonction de l’évolution des mentalités et des situations. Nous avons une fâcheuse tendance à travailler d’une manière un peu chaotique. C’est une réalité dont je me désole assez souvent, mais je tenais à le dire à nouveau.

Le texte qui sera bientôt présenté est de haut niveau, de qualité. Je connais votre ferveur, monsieur Ciotti, vos convictions dirais-je même, mais dans un moment où nous devons tous nous rassembler pour protéger nos concitoyens et la nation, je regrette que l’on soit obligé de parler de ces dispositions alors qu’elles seront à l’ordre du jour très prochainement.

M. Guy Geoffroy. Pourquoi écartez-vous systématiquement cet examen ? Vous ne le jugez jamais opportun !

Mme Anne-Yvonne Le Dain. En effet, ce n’est pas opportun aujourd’hui. Pour autant, les idées que vous évoquez sont intéressantes, mais une partie d’entre elles est déjà satisfaite, une autre partie le sera dès demain.

M. Guy Geoffroy. Si c’est demain, ce n’est pas tout de suite…

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Il n’est donc pas pertinent, à mon sens, d’en parler aujourd’hui même si je partage le constat que vous faites : les forces de l’ordre sont le premier rempart contre la criminalité et la violence organisée. Nous sommes bien sûr tous d’accord ! Néanmoins, monsieur Ciotti, chers collègues, vous ne m’empêcherez pas de penser que c’est un gouvernement d’une autre majorité qui a supprimé près de 10 000 postes de fonctionnaires de police et de gendarmerie.

M. Alain Chrétien. Nous y voilà ! Au bout d’une heure de débat ! L’argument qui tue !

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Il faut le rappeler ! Il n’est pas possible d’être dans la démonstration de force – « Il faut protéger notre nation et notre population ! » – tout en se laissant aller à supprimer une partie de ces personnels.

Et lorsque l’on supprime des postes de fonctionnaires, il est plus difficile d’en recréer car il faut former ces derniers. On supprime des postes de fonctionnaires formés, vaillants, valides, capables, aptes – y compris au maniement des armes – et ouvrir des postes suppose toute une formation qui prend du temps, ce qui n’est pas anodin.

Grâce à la procédure que nous avons mise en place, nous avons réussi à faire en sorte que 5 300 fonctionnaires arrivent sur le terrain prochainement, mais il a fallu ouvrir les postes, procéder aux recrutements et à la formation. Ce n’était ni facile ni simple, mais nous l’avons fait et nous continuerons à le faire.

Ce texte s’inscrit dans cette logique-là : il s’agit d’être cohérents, responsables, actifs, de manière à ce que non seulement nos forces de l’ordre, mais aussi les juges, les procureurs, ceux qui agissent sur le moyen et le long termes pour rassurer la population, travaillent dans le respect de l’État de droit de façon à ce que l’arbitraire ne règne pas. C’est ainsi qu’une démocratie doit se défendre.

Pour cela, il faut porter les armes, mais dans le respect des personnes et de la légalité. C’est cela qui est difficile à faire et à admettre lorsqu’il s’agit de lutter contre les violences terroristes et la logique de l’arbitraire, que véhicule en l’occurrence cette proposition de loi – même si elle contient bien des choses intéressantes.

Je rappelle une fois encore que nombre de propositions sont déjà satisfaites et que, demain, nous examinerons un texte constitutionnel essentiel concernant la protection de la République. Il constitutionnalisera le concept même d’état d’urgence et précisera la façon dont les professionnels de la sécurité pourront agir au nom de la nation et du droit, ainsi que la manière dont les professionnels de la justice devront et pourront œuvrer.

Nous débattrons, demain, d’un beau texte et, plus tard, d’un texte tout aussi beau qui simplifiera, clarifiera, homogénéisera et rendra le droit compréhensible, lisible, pour tous.

M. Guy Geoffroy. Il faut aussi qu’il soit efficace !

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Il importe donc de ne pas adopter votre proposition de loi, monsieur Ciotti, même si j’en comprends l’esprit et si je lui concède certaines qualités, dont la force de conviction. J’en fais preuve aussi, je vous le dis avec simplicité, presque sympathie…

M. Alain Chrétien. Oh ! C’est touchant ! Avec affection !

Mme Anne-Yvonne Le Dain. … en espérant que nous aurons à cœur de ne jamais supprimer des postes de forces de l’ordre dans notre pays.

M. Philippe Vitel. Bravo !

Mme la présidente. La parole est à Mme Marion Maréchal-Le Pen.

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Je vous le concède : étudier une proposition de loi un jeudi après-midi avec dix députés présents sur des sujets aussi importants n’est pas idéal. Mais autant le Gouvernement se montre capable de mettre en place, en deux heures à peine, une procédure aussi solennelle qu’une réforme constitutionnelle bâclée, autant rien n’est fait depuis trois ans et demi pour assurer une meilleure sécurité de nos forces de l’ordre dans le contexte que nous connaissons. C’est même plutôt l’inverse puisque le Gouvernement a eu plutôt tendance à les décourager – je pense à un certain nombre de réformes, dont la contrainte pénale, qui leur donne le sentiment de devoir vider l’océan à la petite cuillère.

Je remercie M. Éric Ciotti qui, décidément, arrive à arracher un compliment à chacun d’entre nous, de revenir sur cette question majeure et d’enfoncer le clou, une fois encore, car l’année 2015 fut une année absolument terrible pour nos policiers, une année de tous les dangers, entre attentats islamistes, attaques de commissariats, en hausse l’été dernier, et augmentation du nombre de policiers tombés en mission. Je rappellerai quelques chiffres édifiants : sur la dernière décennie, 36 policiers ont été tués en mission, et plus de 52 000 blessés ont été recensés.

Depuis 2009, les effectifs de police et de gendarmerie ont été réduits, de même que leurs moyens matériels : c’est avec des cartouches rationnées et un matériel de protection vieillissant, voire obsolète, qu’ils doivent faire face aux armes de guerre de plus en plus utilisées par le grand banditisme et le terrorisme. Le degré de gravité des agressions à l’encontre de nos policiers et le délitement de leur autorité ne sont pas sans lien avec leur taux de suicide élevé – quarante-deux par an en moyenne depuis cinq ans – qui en fait l’une des professions les plus suicidaires de France.

Le sentiment d’injustice des policiers est légitime : il est en effet invraisemblable que ceux-ci ne bénéficient pas du même régime particulier de légitime défense que les gendarmes, alors qu’ils sont confrontés aux mêmes périls. Ce régime pénal de droit commun, même assoupli par la jurisprudence, les rend vulnérables, ce qui est préjudiciable à la bonne marche de leurs missions. L’harmonisation de la protection pénale de l’ensemble des forces de l’ordre, inscrite dans la proposition de loi que nous discutons aujourd’hui, semble donc indispensable et juste.

Cette proposition de loi a le mérite de relancer le débat sur la lecture de la légitime défense, actuellement très restrictive et déconnectée de la réalité du terrain. L’immédiateté n’a pas de sens. En effet, un individu courant les armes à la main demeure dangereux, tant pour le policier que pour les tierces personnes. Cette temporalité inadaptée aboutit à des situations ahurissantes : aujourd’hui, par exemple, un policier doit attendre que le terroriste recharge son arme pour pouvoir lui tirer dessus !

L’introduction de la notion de « danger imminent » permet de surmonter cette notion d’instantanéité en prenant en considération la globalité de l’action : c’est une nécessité si nous voulons mettre fin à la menace actuelle que constitue le déplacement d’un individu armé. Le policier pourrait intervenir en anticipant le danger et mettre ainsi à l’abri les civils présents dans l’environnement immédiat de l’agresseur.

De même, la notion de « proportionnalité », inadaptée aux missions des forces de l’ordre, doit être revue pour intégrer, comme le propose ce texte, la notion de « violences graves ». La législation actuelle, fondée sur la proportionnalité, est irréaliste : on ne peut pas demander à une personne se retrouvant soudain face à un danger de mort imminent, avec la peur et la surprise que cela peut impliquer, de réagir mécaniquement à l’agression dans une proportion quasi égale.

Cet irréalisme se retrouve dans l’obligation faite aux policiers de ne pouvoir faire usage de leur arme qu’après deux sommations lorsque des individus armés refusent de déposer la leur. Un policier représente – ou devrait en tout cas représenter –, en lui-même, une injonction à la loi. Dès lors, tout individu armé manifestant une hostilité à son égard devrait pouvoir être exposé à une riposte selon la légitime défense. Les deux injonctions peuvent-elles être prononcées à haute et intelligible voix dans une situation d’hyper-stress ? Et qu’en est-il si l’agresseur ne comprend pas le français, ce qui n’est pas rare de nos jours ?

Il n’est pas inutile de donner un exemple concret : aujourd’hui, selon la lecture actuelle de la légitime défense, un agresseur armé d’un couteau a l’avantage sur une personne portant une arme à feu à partir de sept mètres !

Cette réforme de la légitime défense nécessiterait par ailleurs d’être accompagnée d’une réévaluation des heures de formation consacrées au perfectionnement des techniques de tir.

La simplification des contrôles d’identité, de même que la fouille des véhicules et de leurs coffres, va aussi dans le bon sens. En effet, ne permettre la fouille qu’en cas de soupçon de crimes ou de délits imputables au conducteur ou sur réquisition écrite du procureur de la République réduit considérablement l’efficacité du travail des policiers. Il est d’ailleurs malheureux, à ce titre, de se cacher exclusivement derrière des arguments juridiques – avis de la CEDH ou de la Cour de cassation – pour balayer systématiquement d’un revers de main la pertinence de cette proposition, qui est largement réclamée par nos forces de l’ordre.

Les capacités d’intervention des forces de l’ordre doivent également être revues au sujet des perquisitions : les heures légales des perquisitions constituent un frein qu’il convient de lever en alignant le régime juridique des enquêtes préliminaires sur celui des enquêtes de flagrance.

Enfin, le port d’arme des officiers en dehors des heures de service doit être inscrit dans la loi, afin qu’il soit toujours autorisé après l’état d’urgence. J’imagine en effet que personne ici n’est assez naïf pour considérer que la fin de l’état d’urgence signera l’évanouissement, comme par magie, de la menace terroriste.

Mme la présidente. Merci de conclure, madame.

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Il est logique que les forces de l’ordre, qui sont armées et qui sont des cibles privilégiées des terroristes, puissent se défendre et défendre nos concitoyens en dehors de leurs heures de service. Je voterai donc cette proposition de loi avec enthousiasme, même si je suis navrée de n’avoir pu aller jusqu’au bout de mon intervention.

M. Gilbert Collard. Très bien !

Mme la présidente. La discussion générale est close.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Éric Ciotti, rapporteur. Le débat s’est déroulé dans un climat serein, que je veux saluer, avec, sur tous les bancs de cet hémicycle, la conscience que nous abordons un sujet majeur, grave, auquel il convient d’apporter des réponses fortes. Ce sujet majeur, c’est la protection de ceux qui sont en charge de notre sécurité, de ceux qui, sur la première ligne du front, mènent le combat dans cette guerre qui nous a été déclarée.

Nous avons une responsabilité, un devoir : c’est de leur apporter des réponses. Je regrette donc que, malgré ce climat, qui souligne l’importance et la gravité du sujet, et malgré la nécessité d’y apporter des réponses, le Gouvernement nous oppose une fin de non-recevoir.

Vous avez dit, madame Le Dain, et je vous en remercie, qu’on réagit souvent après les événements. C’est précisément ce que nous reprochons au Gouvernement. Les textes dont nous débattrons dans quelques jours, celui qui a été déposé par le Gouvernement, comme tous ceux qui, depuis 2012, ont suivi des événements graves, des attentats, des actes tragiques pour notre pays, ont tous été écrits en réaction, et jamais par anticipation. Il est temps aujourd’hui de changer de perspective, de changer notre regard sur la protection et la sécurité des forces de l’ordre. Nous leur témoignons notre reconnaissance dans ce climat tragique, mais sachons aussi leur apporter la protection dont elles ont besoin.

J’en viens au fond. Vous avez évoqué, monsieur le secrétaire d’État, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Or cette jurisprudence – et les décisions de la CEDH en témoignent – ne fait pas obstacle à ce que nous modifiions la loi aujourd’hui, bien au contraire.

M. Alain Chrétien. Bien sûr !

M. Éric Ciotti, rapporteur. Si votre argument était valable, l’usage de la force, tel qu’il est aujourd’hui permis aux gendarmes, ne serait pas possible. Votre argument n’est donc absolument pas pertinent.

M. Alain Chrétien. Exactement !

M. Éric Ciotti, rapporteur. Vous avez déclaré, monsieur Mennucci, que le projet de loi sur la procédure pénale, qui a été présenté hier en Conseil des ministres, qui sera débattu dans quelques semaines, et qui ne sera hélas promulgué que dans quelques mois, peut-être même dans un an, parce que le temps parlementaire est long, répondait à tous les cas de figure. Mais ce n’est absolument pas le cas.

Les syndicats l’ont souligné, ils ont rappelé l’imperfection de ce texte et son caractère extrêmement partiel, puisqu’il ne répond qu’à un aspect du problème : celui du crime répétitif. Ce cas de figure est évidemment important, mais il reste encadré par les critères de proportionnalité et de simultanéité. Or nous, nous allons plus loin, puisque nous introduisons les notions de « danger imminent » et de « violence grave » supportée par les policiers.

Rappelez-vous le cas du commissaire Jean-François Illy, qui a été pris dans un traquenard par des personnes qui n’avaient pas d’armes, seulement leurs poings, et qui ont failli le laisser pour mort, sur le trottoir, à Sarcelles. Rappelez-vous le gendarme Daniel Nivel, victime des hooligans. Dans les deux cas, il y avait un déséquilibre : comme leurs agresseurs n’avaient pas d’arme, ils ne pouvaient pas répliquer avec leur arme de service. Ce sont ces cas que nous voulons prendre en compte avec cette proposition de loi.

S’agissant des fouilles et des contrôles d’identité, je rappelle que la Cour de cassation a jugé conformes à la Constitution les dispositions qui s’appliquaient pour les douaniers, et dont notre proposition de loi s’inspire. Pourquoi la législation en vigueur pour les douaniers ne s’appliquerait-elle pas aux policiers et aux gendarmes dans le contexte de la menace terroriste ? C’est totalement incohérent et personne ne peut le comprendre. Nos concitoyens ne peuvent pas comprendre qu’un policier ne puisse pas fouiller le coffre d’un véhicule ou contrôler l’identité d’une personne, alors que la caissière d’un supermarché peut demander ses papiers d’identité à un client. C’est absurde !

On nous oppose un problème de constitutionnalité. Puisque vous êtes très motivé, monsieur le secrétaire d’État, pour modifier notre Constitution, rien ne vous empêche, si vous considérez que ces sujets sont particulièrement graves, de les introduire dans la révision constitutionnelle.

M. Guillaume Larrivé. Très bien !

M. Éric Ciotti, rapporteur. Quant à la proposition de loi sur les transports, évoquée par François de Rugy, elle n’est toujours pas votée et n’apporte que très peu d’avancées, puisqu’elle se borne à faire en sorte que les policiers et les gendarmes aient autant de pouvoirs que les services de sécurité de la RATP et de la SNCF : cela n’est pas sérieux.

Enfin – et je m’adresse à vous avec respect, et même avec amitié, monsieur le secrétaire d’État, puisque vous n’y êtes pour rien – je tiens à vous dire que celui qui vous a donné le discours que vous avez lu, sans doute rédigé par le cabinet du ministre de l’intérieur, a commis, par malveillance ou par incompétence, une erreur. Cette erreur avait déjà été commise en commission par M. Patrick Mennucci, qui a ensuite rectifié le tir, ce dont je le remercie. J’ai bel et bien participé aux réunions du groupe de travail qui a été créé, ici même, le 2 avril 2015, lorsque nous avons débattu de la première proposition de loi déposée par le groupe Les Républicains – comme toujours, le Gouvernement s’en était sorti en créant un groupe de travail.

J’étais présent à la réunion de ce groupe de travail le 1er décembre 2015, comme l’a dit tout à l’heure Alain Chrétien, au 18 de la rue des Pyrénées, avec Mme Elisabeth Pochon, députée socialiste, sous la présidence de M. Bertrand Michelin, directeur adjoint de l’Inspection générale de la police nationale. Je voudrais, monsieur le secrétaire d’État, que vous corrigiez cette erreur, que certains vous ont fait commettre. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Motion de rejet préalable

Mme la présidente. J’ai reçu de M. Bruno Le Roux et des membres du groupe socialiste, républicain et citoyen une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 10, du règlement.

La parole est à M. Patrick Mennucci.

M. Patrick Mennucci. Si les motions de rejet préalable, prévues par le règlement de l’Assemblée nationale, ne sont pas toujours justifiées, celle-ci l’est bel et bien. Avec le travail qui a été fait en Conseil des ministres hier, et malgré toute la considération que nous avons pour Éric Ciotti, il ne nous semble pas possible de traiter ces questions aujourd’hui, au travers de cette proposition de loi. C’est la raison pour lequel notre groupe a déposé cette motion de rejet préalable.

Mme la présidente. Nous en venons aux explications de vote.

La parole est à M. Guillaume Larrivé, pour le groupe Les Républicains.

M. Guillaume Larrivé. Je voudrais, au nom du groupe Les Républicains, m’exprimer avec une certaine gravité. Nous avons le sentiment que le Gouvernement perd du temps sur cette question majeure pour la sécurité des Français. En septembre 2012, au nom du groupe de l’Union pour un mouvement populaire, j’ai présenté une proposition de loi sur le régime d’emploi des armes par les policiers : elle a été rejetée dans cet hémicycle, avec l’avis défavorable de Manuel Valls, alors ministre de l’intérieur, en décembre 2012. En 2015, Éric Ciotti a déposé une nouvelle proposition de loi, très proche de la précédente : avec l’avis défavorable de Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur, l’Assemblée nationale, à nouveau, a rejeté ce texte.

Pour la troisième fois, le groupe Les Républicains vous fait aujourd’hui des propositions extrêmement précises pour répondre à des urgences opérationnelles et pour mieux protéger les policiers qui interviennent sur le terrain face à un péril très grave. Et, une nouvelle fois, vous vous apprêtez à rejeter ce texte, pour un motif, monsieur le secrétaire d’État, que je crois non seulement profondément inopportun politiquement, mais aussi techniquement inexact.

À cet égard, je voudrais, madame la présidente, donner lecture de l’avis rendu jeudi 28 janvier 2016 par l’assemblée générale du Conseil d’État, saisie du projet de loi du Gouvernement sur cette question précise de l’emploi des armes par les policiers.

C’est un véritable réquisitoire : « La disposition proposée par le Gouvernement n’apportera qu’une sécurité juridique relative aux interventions des forces de l’ordre » ; « La combinaison de cette disposition avec les règles préexistantes pourrait s’avérer délicate tout spécialement pour les gendarmes » ; « Dès lors que le parti est pris par le Gouvernement de modifier le régime de l’usage des armes par les forces de l’ordre, devrait être redéfini plus globalement cet usage afin notamment de renforcer la cohérence de l’ensemble du dispositif, […] de fixer à ces forces des conditions d’usage plus précises et moins sujettes à difficultés d’appréciation, et enfin d’harmoniser les règles applicables aux policiers et aux gendarmes, ces deux forces étant désormais placées sous une même autorité ».

C’est précisément ce que, depuis bientôt quatre ans, le groupe Les Républicains vous demande de faire. À trois reprises, nous vous soumettons des textes précis pour travailler sur ces questions et vous ne cessez de les écarter en prenant un retard coupable, un retard qui se paie par des coups, par des blessures, par des agressions dont sont victimes les policiers, et par une moindre sécurité pour tous les Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Patrick Mennucci. Ce n’est pas vrai !

Mme la présidente. Sur la motion de rejet préalable, je suis saisie par le groupe Les Républicains d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

Un autre groupe souhaite-t-il procéder à une explication de vote ?…

La parole est à M. François de Rugy, pour le groupe écologiste.

M. François de Rugy. Ce n’est pas pour ralentir le débat que je prends la parole, puisque, de toute façon, il est impossible de procéder immédiatement au scrutin public.

Il faut être concret et efficace lorsqu’on parle de sécurité. Comme l’a souligné Patrick Mennucci, personne ne conteste la sincérité de notre collègue Éric Ciotti, qui est actif sur le sujet, voire hyperactif en termes d’initiative législative.

M. Jacques Myard. Pas du tout ! Il a parfaitement raison.

M. François de Rugy. Il vaut mieux être hyperactif que passif.

M. Alain Chrétien. Il est proactif !

M. François de Rugy. En l’occurrence, il faut être sérieux et efficace.

Mes chers collègues, si nous voulons avancer sur ces questions qui, touchant à l’organisation de la police et au maniement des armes à feu, ne doivent pas être traitées à la légère…

M. Guy Geoffroy. Refuser d’étudier le texte, ce n’est pas avancer !

M. François de Rugy. Mais si, monsieur Geoffroy. Vous connaissez comme moi la procédure parlementaire et vous êtes d’ailleurs député depuis beaucoup plus longtemps que moi : vous savez bien que ce n’est pas dans des séances de quelques heures qu’on traite de tels sujets. Le Gouvernement a préparé un projet de loi – M. Mennucci et M. le secrétaire d’État l’ont rappelé –, sur lequel les parlementaires de toutes tendances politiques ont pu effectuer un travail préparatoire.

M. Jacques Myard. Surtout un travail nécrologique !

M. François de Rugy. Nous pourrons passer à l’action dans les semaines qui viennent en commission des lois puis en séance publique. Si chacun y met du sien et a envie d’aboutir sur ces sujets – je le souhaite du moins – dans un esprit d’unité nationale, un nouvel arsenal législatif complétera dans deux ou trois mois celui qui existe déjà. Sans doute, dans quelques années, faudra-t-il, comme je l’ai déjà souligné, de nouveau adapter les textes, car il faut le faire régulièrement, mais il convient d’y consacrer préalablement le temps nécessaire à un travail de fond.

M. Guy Geoffroy. M. Ciotti a effectué ce travail de fond !

M. François de Rugy. Monsieur Geoffroy, si nous n’avions pas rejeté ce matin par une motion de rejet préalable le texte sur l’agriculture, nous serions encore en train de l’étudier, vous le savez très bien. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Plusieurs députés du groupe Les Républicains. Et alors ?

M. Jacques Myard. Ce que vous dites est scandaleux ! Vous êtes sectaire !

M. François de Rugy. Vous avez inscrit vos propositions de loi uniquement pour ouvrir des débats et non pour qu’elles soient adoptées. (Mêmes mouvements.)

M. Philippe Vitel. Quel mépris !

Mme la présidente. Un peu de calme, mes chers collègues !

M. François de Rugy. Je voterai pour la motion de rejet préalable. J’espère qu’elle sera adoptée. Ensuite, nous passerons à l’examen du texte suivant, sur lequel nous pourrons également travailler de façon constructive,…

M. Guy Geoffroy. Cela commence mal !

M. François de Rugy. …ce qui nous permettra d’effectuer un travail législatif de qualité.

M. Pascal Popelin. Exactement !

Mme la présidente. Je mets aux voix la motion de rejet préalable.

(Il est procédé au scrutin.)

Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants26
Nombre de suffrages exprimés26
Majorité absolue14
Pour l’adoption14
contre12

(La motion de rejet préalable est adoptée.)

Mme la présidente. En conséquence, la proposition de loi est rejetée.

M. Yves Censi. Ce n’est pas passé loin !

Suspension et reprise de la séance

Mme la présidente. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinquante, est reprise à dix-sept heures.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

2

Lutte contre le hooliganisme

Discussion d’une proposition de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Guillaume Larrivé et plusieurs de ses collègues renforçant la lutte contre le hooliganisme (nos 3082, 3445).

Présentation

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Larrivé, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Guillaume Larrivé, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État chargé des sports, mes chers collègues, dans quatre mois, la France accueillera l’Euro 2016. Ce sera le rendez-vous de toutes celles et tous ceux qui aiment le football et qui veulent assister, avec passion, à une compétition qui soit aussi une fête. Votre responsabilité, monsieur le secrétaire d’État, mais aussi celle des députés, sur tous les bancs, c’est de tout faire pour qu’aucun incident ne vienne gâcher cette fête.

Nous avons un devoir d’exemplarité et d’efficacité, dans un contexte, hélas ! de menace terroriste, que chacun garde à l’esprit, et qui nécessite de concentrer l’effort des forces de l’ordre sur leurs missions essentielles de protection de la nation, sans les disperser vers des tâches périphériques consommatrices d’effectifs et de moyens. Moins il y a d’incidents dans et autour des stades, plus les policiers peuvent se consacrer à leur cœur de métier.

C’est dans cet esprit que, depuis quelques mois, le groupe Les Républicains a travaillé avec les professionnels du football, les services du ministère de l’intérieur et les services placés sous votre responsabilité, monsieur le secrétaire d’État chargé des sports, en prenant l’initiative de cette proposition de loi très opérationnelle, qui recueille le soutien public unanime des ligues de sport professionnelles.

Nous ne partons évidemment pas de rien : depuis une dizaine d’années, d’abord sous l’impulsion personnelle de Nicolas Sarkozy et de Brice Hortefeux au ministère de l’intérieur, avec le concours très professionnel du préfet Michel Bart, puis sous l’impulsion de Manuel Valls et de Bernard Cazeneuve, en liaison avec les différents ministres des sports, beaucoup a été fait pour lutter contre les violences dans les stades et à leurs abords. Une coopération solide, active et confiante avec les clubs a été organisée. Des progrès ont été enregistrés : ainsi, entre 2010 et 2013, le nombre des interpellations lors des manifestations sportives a diminué d’un tiers.

Mais depuis l’an dernier, les clignotants sont à nouveau passés au rouge. La saison 2014-2015 a ainsi été marquée par une hausse de près de 20 % des interpellations au cours des championnats de football professionnel de Ligue 1 et de Ligue 2. Afin de rompre avec cette tendance et pour mieux assurer la sécurité au sein et aux abords des stades, je propose quelques ajustements juridiques. Ils ont pour objet de clarifier la répartition des rôles en matière de sécurité entre les organisateurs et l’État, et de donner aux organisateurs de manifestations sportives les moyens d’assumer pleinement leurs obligations en matière de sécurité.

Pour cela, nous proposons trois principales mesures opérationnelles. La première consiste à renforcer le régime juridique des interdictions administratives de stade, en allongeant, d’abord, leur durée maximale de douze à vingt-quatre mois et, en cas de réitération, de vingt-quatre à trente-six mois.

M. Jacques Myard. C’est très bien, mais les lettres de cachet, c’était mieux ! (Sourires.)

M. Guillaume Larrivé, rapporteur. Ainsi, compte tenu des mois d’intersaison, nous serons sûrs de couvrir au moins une saison complète. Tout cela, naturellement, sous le contrôle du juge des référés, du juge administratif, et dans le respect des libertés.

De même, il me paraît nécessaire, comme l’a suggéré Philippe Goujon, par un excellent amendement que la commission des lois a adopté à l’unanimité, de communiquer la liste des interdits de stade aux organismes sportifs internationaux, comme l’UEFA ou le Comité international olympique, lorsqu’une équipe française participe à une manifestation sportive organisée par leurs soins.

Deuxième mesure : nous proposons de renforcer la capacité d’action préventive assumée par les clubs professionnels, et plus généralement celle de tous les organisateurs de manifestations sportives à but lucratif.

M. Jacques Myard. Très bien !

M. Guillaume Larrivé, rapporteur. Il ne s’agit pas uniquement du football, mais bien au-delà, de toutes les compétitions sportives professionnelles. Concrètement, les clubs pourront désormais refuser la délivrance de titres d’accès ou s’opposer à l’accès d’un certain nombre d’individus qui ont porté atteinte ou portent atteinte aux dispositions prises par les organisateurs pour contribuer au bon déroulement et à la sécurité des manifestations sportives.

Il nous apparaît indispensable, sur les plans juridique et opérationnel, de clarifier la situation actuelle, car hormis l’obligation faite aux organisateurs de manifestations sportives d’en refuser l’accès aux interdits de stade, et la possibilité contractuelle dont ils disposent toujours de résilier un abonnement en cas de non-respect des conditions générales de ventes, des incertitudes juridiques entourent les conditions dans lesquelles un organisateur peut refuser la vente ou interdire l’accès au stade ou à une tribune. Je pense notamment à un problème que les services opérationnels nous ont précisément décrit : celui des manœuvres de « contre-parcage », qui consistent, pour des individus cherchant à semer le désordre, à essayer de pénétrer dans des tribunes adverses.

Il est tout à fait légitime et souhaitable qu’en pareil cas, les clubs professionnels – et donc, très concrètement, les stadiers, qui sont leurs agents – aient le pouvoir de refuser l’accès ou d’annuler le billet. En aval, il faut évidemment préciser le cadre juridique – c’est notre office – permettant aux organisateurs de manifestations sportives de mettre en œuvre un traitement des données personnelles des individus présentant un danger pour la sécurité dans le stade.

En l’état actuel du droit, les organisateurs peuvent mettre en œuvre des fichiers d’interdits de stade à partir des données qui leur ont été transmises par le préfet. Mais ils ne peuvent créer de traitements de données relatifs à des personnes exclues pour d’autres motifs, si ce n’est – ainsi que l’a indiqué la Commission nationale de l’informatique et des libertés dans une délibération du 30 janvier 2014 – pour impayés, pour non-respect des règles de billetterie, pour activité commerciale dans l’enceinte sportive en violation des conditions générales de vente et pour paris dans le stade sur le match en cours. La CNIL elle-même, dans cet avis que nous avons examiné à la loupe, a invité le Parlement et le Gouvernement à rendre la législation plus opérationnelle.

C’est pourquoi nous prévoyons, par cette proposition de loi, que la mise en œuvre de ces traitements automatisés de données sera soumise à un encadrement précis, destiné à assurer le respect de la vie privée. Les données personnelles ainsi récoltées devront être traitées et conservées dans le respect des dispositions de la loi du 6 janvier 1978 dite « loi informatique et libertés ». Une déclaration devra ainsi être effectuée auprès de la CNIL, et la personne concernée sera naturellement informée qu’elle dispose d’un droit d’accès et de rectification. La CNIL sera chargée du contrôle de la mise en œuvre de ces traitements automatisés.

À cet égard, le décret en Conseil d’État qui devra préciser les conditions de mise en œuvre de ces traitements automatisés mentionnera un certain nombre d’éléments très précis : les données que les organisateurs sont autorisés à conserver concernant ces individus fauteurs de trouble, c’est-à-dire au moins leur nom, leurs prénoms, leur date de naissance, le numéro de leur carte d’abonnement, le cas échéant, et le ou les motifs pour lesquels ils sont inscrits dans le traitement ; la durée de conservation de ces données, qui devrait être d’au moins dix-huit mois, afin de couvrir au moins une saison et le début de la saison suivante ; ainsi, bien sûr, que les destinataires de ces données en dehors du club concerné : les services de l’État, au premier chef, les fédérations agréées, les ligues professionnelles et les clubs où se déplacent les supporters du club détenteur d’un tel traitement. Tous ces éléments seraient définis par le décret en Conseil d’État auquel notre proposition de loi renvoie, après avis de la CNIL.

Troisième mesure : nous avons travaillé, au fil des auditions et lors des réunions de la commission, pour renforcer l’organisation du dialogue avec les supporters. Nous sommes tous, sur tous les bancs de cette assemblée, très attachés au renforcement de ce dialogue, qui doit être mieux organisé à l’échelle locale comme nationale. Dans chaque club professionnel, il est tout à fait souhaitable qu’un ou plusieurs référents soient chargés d’assurer des échanges réguliers avec les supporters du club. Nous sommes nombreux à avoir déposé un amendement en ce sens – c’est le cas du président François de Rugy. C’est un amendement très utile que nous étudierons et que nous adopterons très largement, j’en suis persuadé.

Je suis favorable, de même, à la création, auprès du secrétaire d’État chargé des sports, d’une instance nationale du supportérisme, pluridisciplinaire, qui serait chargée d’organiser le dialogue entre les supporters et les instances nationales du sport, en particulier s’agissant des questions relatives au bon déroulement des manifestations sportives et à la promotion des valeurs du sport.

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, vous l’avez compris : c’est une proposition de loi pour les supporters et contre les hooligans que je vous propose d’adopter. La commission des lois l’a votée à l’unanimité, après l’avoir enrichie par des amendements présentés par Patrick Mennucci au nom des députés du groupe socialiste, républicain et citoyen, et par Philippe Goujon au nom des députés du groupe Les Républicains. C’est dans cet esprit que nous allons poursuivre aujourd’hui, en séance publique, ce travail de co-construction avec les différents groupes parlementaires et le Gouvernement, avec le soutien unanime et public des ligues professionnelles de basket, de cyclisme, de hand-ball, de rugby, de volley et de football. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des sports.

M. Thierry Braillard, secrétaire d’État chargé des sports. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, le Gouvernement partage l’objectif d’assurer la sécurité au sein des enceintes sportives – j’y reviendrai. Cependant, il ne faudrait pas que cette proposition de loi considère les supporters exclusivement sous un angle répressif, centré sur le hooliganisme, comme l’indique le titre.

M. François de Rugy. Très bien !

M. Thierry Braillard, secrétaire d’État. Cela n’enverrait pas un bon message à toutes celles et tous ceux dont l’une des passions s’exprime par le soutien à un club, à un écusson, à un maillot.

J’ai déjà eu l’occasion de dire qu’un match ne doit pas être une guerre, mais avant tout une fête. À cet égard, ce texte est l’occasion de voir émerger des propositions sur l’ensemble des questions touchant au supportérisme. Il doit permettre de poser les fondations du dialogue entre les supporters et le monde du sport professionnel.

Nous avons l’occasion aujourd’hui de reconnaître, enfin, le rôle du supporter. À cet égard, je remercie le rapporteur de ce texte pour le travail qu’il a réalisé sur le hooliganisme. Je remercie également tous les parlementaires qui partagent les préoccupations du Gouvernement sur le sujet du supportérisme et qui les ont traduites dans une autre proposition de loi, qui nourrira le débat de cet après-midi.

La commission des lois a adopté ce texte à l’unanimité : ce vote montre une fois de plus que sur les questions sportives, les parlementaires de tous bords peuvent, de concert, contribuer à faire avancer le sport français. C’est ce qui a été fait ici même avec la loi sur le statut des sportifs, qui a été votée à l’unanimité en novembre dernier.

Dans cet esprit, cette proposition de loi permettra d’éclaircir les confusions qui sont souvent entretenues entre les différents types de supporters, d’une part, et les hooligans, d’autre part. Je me refuse d’ailleurs à appeler ces derniers des supporters car, comme vous le savez, ces individus recherchent avant tout la violence physique…

M. Jacques Myard. Ce sont des casseurs !

M. Thierry Braillard, secrétaire d’État. …et se désintéressent totalement du sport et des compétitions sportives.

M. Guillaume Larrivé, rapporteur. Absolument !

M. Patrick Mennucci. Ils ne regardent même pas le match !

M. Thierry Braillard, secrétaire d’État. Permettez-moi tout d’abord de faire un peu de pédagogie sémantique en reprenant le travail du sociologue Nicolas Hourcade, qui a distingué quatre types principaux de supportérisme.

Premièrement, celui des supporters classiques, généralement assis en tribune, en famille ou entre amis, qui chantent peu et ne se livrent guère à des incivilités.

Deuxièmement, celui des associations de supporters traditionnels ou officiels qui encouragent leur équipe et cherchent à nouer des relations étroites avec les joueurs et les dirigeants, à les aider sans entraver leur action, et qui rassemblent des supporters de tous âges.

Troisièmement, celui des supporters autonomes, parmi lesquels on retrouve les « ultras », qui, au sein des kops, préparent et mettent en scène le soutien à leur équipe. Ils adoptent une posture de revendication et de défense de leurs intérêts et affirment leur autonomie par rapport aux associations officielles et aux dirigeants du club.

En tant que tels, ils ne doivent pas être confondus avec la quatrième catégorie, peu répandue en France : celle des hooligans, qui forment des bandes informelles, recherchent régulièrement la violence sous toutes ses formes et doivent donc être sévèrement punis en cas d’infraction pénale.

Depuis plus de trente ans, les textes législatifs et réglementaires français sur le supportérisme se sont, pour l’essentiel, concentrés sur la répression des actes de violence. C’est bien entendu indispensable, car cela permet d’assurer la sécurité des personnes et des biens et de préserver le bon déroulement des compétitions. Il est important d’en renforcer certains aspects, liés en particulier aux interdictions de stade ou de déplacement. Ces interdictions sont décidées afin de satisfaire un juste équilibre entre, d’une part, la protection des stades et des spectateurs, et, de l’autre, la préservation des libertés publiques. Le ministère de l’intérieur et la Division nationale de lutte contre le hooliganisme préservent d’ailleurs cet équilibre, sans volonté de nuire à qui que ce soit.

Il est tout aussi important de doter les clubs professionnels d’outils complémentaires et encadrés afin qu’ils puissent assumer leurs obligations en matière de sécurité. C’est l’objet initial de la présente proposition de loi.

Je puis vous assurer que cet objectif de lutter contre la violence dans et hors des stades est une priorité du Gouvernement. Dans le cadre de l’Euro 2016 de football, qui aura lieu en France du 10 juin au 10 juillet, tout est mis en œuvre, sous l’égide du ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, pour que cet événement sportif international se déroule dans les conditions les plus parfaites, tant du point de vue de la sécurité que de l’accueil, sur notre territoire, de milliers de spectateurs, et pour que, au final, il soit une très belle fête populaire.

À la suite des dramatiques événements que notre pays a connus en 2015, et face aux menaces dont il est l’objet, les mesures de sécurité prévues pour l’Euro 2016 ont encore été renforcées afin que celui-ci se déroule au plus haut niveau de sécurité possible. Cela concerne tant les stades et leurs abords que les « fan zones » dans les dix villes hôtes et les autres lieux ouverts au grand public de retransmission des matchs.

Mais, sans évidemment méconnaître ces impératifs de sécurité, ils ne peuvent être la seule approche s’agissant des supporters et du supportérisme.

M. Régis Juanico. Tout à fait !

M. Thierry Braillard, secrétaire d’État. En effet, le dialogue avec les supporters est lui aussi essentiel, en particulier pour préserver la sécurité lors des rencontres sportives. C’est donc un rééquilibrage entre ces deux aspects qu’il nous faut prôner, et que je prône, à titre personnel, depuis plusieurs années. Cela nécessite – et c’est une condition sine qua non – des interlocuteurs crédibles et responsables, qui doivent être exemplaires et capables de condamner tout comportement contraire aux valeurs du sport.

L’enjeu est ainsi de responsabiliser les supporters et leurs associations afin de mieux les reconnaître et de mieux les associer au mouvement sportif français. Avec ce texte, qui sera amendé, c’est une main qui leur est tendue.

Le contexte est aujourd’hui favorable à une telle évolution. La Convention européenne sur la violence et les débordements de spectateurs lors de manifestations sportives, qui date de 1985, est à un tournant : en témoigne l’actuel processus de révision qui, pour la première fois, met l’accent sur le dialogue avec les supporters. En France, en 2010, sur l’initiative de Rama Yade, Le Livre vert du supportérisme avait souligné ce besoin de dialogue et de reconnaissance des supporters vis-à-vis des instances sportives et institutionnelles.

Cette volonté, nous l’avions bien perçue, avec Marie-George Buffet, Pascal Deguilhem et Guénhaël Huet, lorsque nous avons commis, en 2013, un rapport sur le fair-play financier européen et son application au modèle économique des clubs de football professionnel français.

En 2014, Jean Glavany, dans son rapport Pour un modèle durable du football français remis à Valérie Fourneyron, alors ministre des sports, allait également dans ce sens. Sur cet aspect, l’une de ses propositions était, en effet, d’associer les supporters et leurs associations agréées à la prévention de la violence et de développer le dialogue, tant au niveau local que national. La proposition de loi relative à la représentation des supporters, déposée à l’Assemblée nationale et au Sénat en juin 2015 et signée par de nombreux parlementaires de tous bords, montre à quel point le sujet est d’actualité et doit pouvoir, cet après-midi, nous réunir.

Plusieurs colloques – telles les assises du supportérisme de 2014 et 2015 – et la constitution de fédérations de supporters – tels le Conseil national des supporters de football, le CNSF, ou l’Association nationale des supporters, l’ANS – confirment la démarche de prévention et de dialogue dans laquelle l’ensemble des acteurs du sport professionnel se sont engagés et doivent encore s’engager.

C’est d’ailleurs dans cet esprit que s’inscrit l’action de la Fédération française de football, qui ouvre le dialogue avec les associations de supporters de football. On peut dresser le même constat dans les autres disciplines sportives.

Il existe donc aujourd’hui une réelle volonté, de la part des supporters, de se structurer et d’apparaître comme des interlocuteurs crédibles vis-à-vis des autorités, en premier lieu des autorités publiques. C’est pourquoi le temps est venu de responsabiliser et de reconnaître les supporters comme des acteurs du sport, qui doivent en respecter et en promouvoir les valeurs éducatives et citoyennes, tout en rappelant, dans le même temps, qu’ils doivent participer au bon déroulement des manifestations sportives et prévenir les comportements répréhensibles dans les stades.

Les supporters ne sont pas des consommateurs de sport : ils sont des acteurs de la vie d’un club, vecteur de lien social. Ils sont essentiels pour l’animation des stades, pour assurer le caractère festif et convivial des matchs et pour pousser les sportifs à se dépasser.

Lors de l’Euro, nos Bleus auront besoin du soutien de tous leurs supporters pour aller le plus loin possible dans cette prestigieuse compétition.

M. Jacques Myard. Il faut qu’ils la gagnent !

M. Thierry Braillard, secrétaire d’État. Un amendement déposé par le Gouvernement vise à officialiser cette démarche, et à jeter ainsi les bases d’un nouveau supportérisme à la française, plus ouvert, plus accueillant, mais aussi plus responsable.

Une fois ces fondements établis, il faut impérativement que le dialogue se concrétise sur le terrain. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement soutient et accompagne la démarche de nombreux parlementaires, conduite notamment par François de Rugy et Gilda Hobert à l’Assemblée nationale et Dominique Bailly au Sénat : il s’agit d’officialiser, par la loi, un dialogue au niveau local, chaque club professionnel – et pas seulement de football – devant désigner une ou plusieurs personnes référentes en charge des relations avec les supporters, ainsi qu’un dialogue au niveau national, avec la mise en place d’une instance nationale du supportérisme, placée auprès du ministre des sports, pluridisciplinaire et composée de l’ensemble des acteurs concernés par les questions touchant aux supporters.

Cette instance pourra organiser un dialogue durable entre les supporters et les instances nationales du sport. Elle pourra réfléchir aux questions de la participation des supporters au bon déroulement des compétitions, à l’amélioration des conditions de leur accueil ainsi qu’à la promotion des valeurs du sport. Elle pourra également rendre des avis et faire des propositions sur tous ces sujets.

Nous aurons l’occasion, au cours des débats, d’évoquer plus précisément les dispositions de ce texte et les amendements qui peuvent l’enrichir. L’essentiel est que, à la veille de l’Euro 2016, il soit un message fort de la représentation nationale et du Gouvernement aux supporters et au monde du sport professionnel. Il permettra ainsi, d’une part, d’assurer pleinement la sécurité des manifestations sportives, en prévenant et en réprimant avec la plus grande fermeté tout comportement inacceptable et violent, et, d’autre part, de reconnaître les supporters et leurs associations crédibles et responsables comme des acteurs à part entière du sport. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Philippe Goujon.

M. Philippe Goujon. La proposition de loi présentée par notre excellent collègue Guillaume Larrivé est aussi pertinente qu’urgente, et elle concerne un phénomène intolérable, celui des violences commises, dans les manifestations sportives, par les hooligans, que nous devons effectivement distinguer de la multitude des autres supporters, dont le sport ne saurait se passer et qui se voient à juste titre reconnus comme des acteurs à part entière. En témoigne, d’ailleurs, le débat constructif qui s’est noué entre majorité et opposition en commission des lois, où plusieurs amendements ont été adoptés et le texte voté à l’unanimité.

La proposition de loi complète l’arsenal juridique que le législateur a progressivement constitué pour sécuriser les manifestations sportives et répondre aux violences inacceptables commises par ceux qui bafouent les valeurs du sport. Certes, nous ne partons pas de rien.

Autrefois rapporteur pour la commission des lois du Sénat de la loi du 5 juillet 2006 de prévention des violences lors des manifestations sportives, issue d’une proposition de loi de notre collègue Claude Goasguen et complétée, depuis, par la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, dite loi LOPPSI 2, je me réjouis de voir un arsenal juridique – dont l’efficacité et l’effet dissuasif ont été attestés – être à nouveau amélioré pour répondre aux évolutions du hooliganisme.

Je vous proposerai d’ailleurs d’ajouter à la liste des infractions pouvant donner lieu à la peine complémentaire d’interdiction judiciaire de stade le fait de pénétrer ou de tenter de pénétrer dans une enceinte sportive lors du déroulement d’une manifestation sportive en possession ou sous l’emprise de stupéfiants.

Aujourd’hui, une nouvelle amélioration du cadre légal s’impose car des obstacles juridiques empêchent les clubs de refouler les supporters indésirables, ces mêmes clubs s’exposant alors à des poursuites pour refus de vente, et ce au moment où notre pays s’apprête à accueillir l’Euro 2016.

Par une délibération du 7 avril 2015, la CNIL a en effet refusé aux clubs le droit de mettre en œuvre un traitement automatisé de données à caractère personnel visant à exclure certains clients pour des motifs d’ordre sécuritaire, même si ces derniers figuraient dans les conditions générales de vente des billets. La CNIL avait rappelé que, faute d’une évolution législative – à laquelle elle nous invite par conséquent –, cette possibilité devait seulement porter sur le non-respect de règles commerciales.

Le Conseil d’État, dans sa décision du 21 septembre 2015 sur le « fichier STADE », a pour sa part annulé la communication de ces données aux fédérations et groupements sportifs agréés, au motif que ceux-ci n’exerceraient pas de missions relatives à la prévention des troubles publics ou aux atteintes à la sécurité des personnes et des biens.

L’intervention du législateur, proposée par Guillaume Larrivé, est donc indispensable pour leur permettre de créer un fichier des indésirables, autrement dit de la frange des individus susceptibles de provoquer des troubles et des violences, mais qui ne font pas encore l’objet d’une interdiction administrative ou judiciaire de stade ; elle donnera aussi aux organisateurs de manifestations sportives la possibilité d’assumer leurs obligations de sécurisation de l’enceinte sportive, comme le rappelle la circulaire du ministre de l’intérieur du 9 décembre 1994. La CNIL ayant dénié aux clubs le droit d’exploiter un tel fichier et de refuser de vendre des billets à certaines catégories d’individus, l’article 1er de la proposition de loi vient pallier un manque.

Par ailleurs, la durée légale des interdictions administratives de stade pose problème puisque, pour éviter tout risque juridique, en moyenne, la durée effective est plus proche de quatre mois que du maximum légal, à savoir douze mois. Cette durée, trop courte, ne couvre pas la saisonnalité des championnats et ne permet pas d’éloigner un hooligan pour toute la durée de la saison, comme le demandent les responsables de clubs que nous avons auditionnés. Aussi est-il indispensable de porter cette durée de douze à vingt-quatre mois, et même à trente-six en cas de récidive, comme le propose l’article 2.

Cette durée restera, en tout état de cause, inférieure à celle de l’interdiction judiciaire de stade, qui peut atteindre cinq ans, ainsi qu’aux durées en vigueur chez plusieurs de nos voisins européens.

Alors que les autorités étrangères des pays européens accueillant des manifestations sportives internationales sont déjà destinataires des noms des personnes interdites de stade en France – et réciproquement –, il importe de diffuser aussi ces informations aux organismes sportifs internationaux tels que l’Union des associations européennes de football, l’UEFA, comme le propose désormais l’article 3, introduit en commission grâce à l’un de mes amendements.

En outre, pour que ces signalements permettent de bloquer les hooligans et fauteurs de trouble, il importe de généraliser la vente nominative d’abonnements, afin d’éviter la pratique des ventes en bloc de billets grâce auxquelles les hooligans contournent les vérifications d’identité : c’est ce que permettra l’article 4, introduit par un excellent amendement de notre collègue Patrick Mennucci.

Enfin, l’adoption de cette proposition de loi est urgente dans la perspective de l’organisation, à Paris, de l’Euro 2016 au mois de juillet, plusieurs matches « à risques » ayant d’ores et déjà été identifiés. Je ne vous cache pas mes inquiétudes, chers collègues, quant à la sécurisation de cet événement sportif en une période de surcroît marquée par un risque terroriste aussi élevé qu’imminent.

J’ai retiré mes amendements relatifs à la sécurisation des « fan zones » en commission, dans l’attente de réponses claires du Gouvernement sur les mesures opérationnelles qui seront prises pour sécuriser l’Euro 2016.

Quelles dispositions concrètes seront-elles prises pour sécuriser le flux des personnes accédant au stade ? Des portiques de détection seront-ils installés ? Chaque personne sera-t-elle fouillée et ses bagages contrôlés ? Si une enceinte close, un stade, peut être sécurisée en temps ordinaire par les stadiers, les policiers présents sur place ainsi que par des initiatives privées comme celle du collectif Sportitude, la sécurisation des « fan zones », en particulier celle du Champ-de-Mars, semble présenter d’importantes failles.

En effet, en l’absence de contrôles d’identité à l’entrée – les vigiles ne procédant qu’à une simple fouille visuelle des sacs ainsi qu’à une palpation de sécurité des spectateurs –, comment pourra-t-on identifier les interdits de stade et les empêcher de se mêler au rassemblement ? Plus grave : comment pourra-t-on neutraliser les risques d’attentats ?

De plus, contrairement aux stades ou à leurs abords, où le refoulement des personnes à qui l’accès en est interdit ne constitue pas une atteinte à une liberté fondamentale, ainsi que l’a reconnu le juge du référé-liberté du tribunal administratif de Marseille dans son ordonnance du 6 novembre 2010, le régime juridique des « fan zones » pose, on le sait, problème.

En effet, ces « fan zones » constituent des lieux dans lesquels les manifestations publiques sont placées sous la responsabilité non des clubs organisateurs mais des pouvoirs publics. L’interdiction d’accès à ces espaces constitue, par conséquent, une interdiction de manifester, déjà identifiée comme problématique par la commission d’enquête sur les missions et modalités du maintien de l’ordre républicain dans un contexte de respect des libertés publiques et du droit de manifestation, dont j’étais secrétaire.

Dans la mesure où, aux termes de l’article L. 332-16 du code du sport, l’autorité administrative peut interdire à une personne de pénétrer ou de se rendre aux abords des enceintes où de telles manifestations se déroulent ou sont retransmises en public, il me paraît nécessaire d’ajouter cette notion dans la définition du périmètre couvert par l’interdiction judiciaire de stade définie au même article.

Il serait également utile d’ajouter aux lieux visés par l’interdiction de déplacement – ce qui est différent – notifiée aux personnes susceptibles d’occasionner des troubles graves pour l’ordre public, outre les lieux dans lesquels se déroulent des manifestations sportives, déjà visés par les articles L. 332-16-1 et L. 332-16-2, les lieux où ces événements sont retransmis en public, afin de couvrir le cas des « fan zones ».

Par ailleurs, quand on se rappelle les débordements inacceptables qui avaient entaché la célébration, le 13 mai 2013, du trophée de champion de France du Paris Saint-Germain, au Trocadéro – ils m’avaient conduit à présenter au nom de mon groupe une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête –, on ne peut que craindre que de telles exactions se reproduisent à l’occasion de l’Euro 2016.

Elles pourraient avoir lieu aux abords des « fan zones » qui seront installées dans différentes villes, et, dans la capitale, dans les XVe, VIIe et XVIarrondissements. Je n’évoque même pas le risque de fights, ces combats rangés entre bandes de supporters, dans les rues de Paris.

Sous ces réserves, qui sont me semble-t-il très importantes et même essentielles, et en souhaitant la suppression pure et simple – je le dis franchement – des « fan zones » si les autorités publiques ne parviennent pas à donner toutes les garanties nécessaires à leur sécurisation, je me réjouis, bien entendu, qu’une dynamique transpartisane permette de dépasser les clivages politiques traditionnels et d’aboutir à l’adoption d’un texte aussi nécessaire qu’utile. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Zumkeller.

M. Michel Zumkeller. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État chargé des sports, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, les événements sportifs sont, avant tout, des moments universels de convivialité, de loisir et de partage. La violence de certaines personnes, qui se disent supporters, est contraire à l’éthique même du sport. Les débordements violents et racistes qui peuvent avoir lieu dans les stades n’y ont pas leur place : ils doivent être sanctionnés avec la plus grande fermeté.

Aussi saluons-nous l’initiative de cette proposition de loi présentée par notre collègue Guillaume Larrivé et destinée à mieux lutter contre le hooliganisme. Dans la perspective de l’Euro 2016, qui aura lieu en France, nous devons être à la hauteur en assurant la sécurité dans et hors des stades.

Tout d’abord, s’agissant de l’article 1er et de la constitution de fichiers, nous soulignons le fait qu’ils doivent être mis en place en respectant les règles établies par la CNIL, qui garantit le respect des libertés individuelles.

En septembre 2013, la CNIL avait mis en demeure le Paris Saint-Germain au motif que ce club avait constitué, depuis août 2012, ses propres fichiers de supporters indésirables. La Commission avait considéré que ces systèmes d’exclusion ne pouvaient « être légalement mis en œuvre, faute d’avoir été préalablement autorisés » par elle.

La mise en demeure avait été levée deux mois plus tard et, en janvier 2014, le PSG avait été autorisé à constituer un fichier respectant certains critères quant aux individus à enregistrer. Le club parisien avait de nouveau été mis en demeure de juin à septembre 2015. En septembre dernier, c’est un arrêté signé par le ministre de l’intérieur l’autorisant à créer le fichier « STADE » qui avait été annulé par le Conseil d’État.

Dans le cadre de la présente proposition de loi, nous ne devons pas commettre les mêmes erreurs. De plus, dans le combat contre le hooliganisme, il serait contre-productif de s’attirer les foudres des vrais supporters, comme cela a été le cas précédemment. Nous devons donc respecter les règles établies par la CNIL.

Nous sommes favorables à la nouvelle rédaction de l’article 1er adoptée en commission. Il était en effet nécessaire de placer la CNIL et le Conseil d’État au centre du dispositif.

Ce traitement automatisé de données à caractère personnel permettra, avant tout, d’écarter les individus qui peuvent poser problème dans une enceinte sportive et de garantir ainsi la tranquillité des supporters.

L’utilisation de ces fichiers doit également reposer sur la coopération entre les clubs, les associations de supporters, la justice, les fédérations et, évidemment, la Division nationale de lutte contre le hooliganisme. Tel est d’ailleurs l’objectif de l’article 3, également adopté par la commission, qui prévoit la possibilité de communiquer l’identité des personnes faisant l’objet d’une interdiction judiciaire ou administrative de stade aux organisateurs de manifestations sportives internationales.

On peut néanmoins se demander, dans la perspective de l’Euro 2016, quel dispositif permettra aux forces de l’ordre françaises d’être informées de la présence d’éventuels individus perturbateurs venus d’autres pays européens.

Par ailleurs, nous sommes favorables à l’allongement de la durée d’interdiction de stade. Nos voisins d’outre-Manche l’ont utilisée au cours des années 1970 et 1980, les années noires du hooliganisme, dans le cadre de leur politique visant à combattre ce phénomène au sein du football anglais.

Plus aucun doute n’est permis lorsque l’on voit aujourd’hui le respect et l’ambiance régnant dans les stades anglais : ces mesures ont été efficaces. Le durcissement des peines d’interdiction de stade a un effet dissuasif très important, notamment lorsqu’il se double, comme dans les stades anglais, d’une sanction – bien souvent plus lourde – de la part des clubs.

L’extension de la durée de l’interdiction de stade d’une à deux années, voire à trois ans en cas de récidive, dissuadera certains perturbateurs qui ne respectent pas l’éthique sportive.

Assurer la sécurité dans les stades impose également d’être vigilant lors de la vente de titres d’accès aux événements. Il est évidemment nécessaire de mettre en place, de manière systématique, des cartes d’abonnement nominatives, comme le prévoit l’article 4, introduit en commission.

Toutefois, la répression ne peut être l’unique voie dans la lutte contre le hooliganisme. La prévention, le travail de terrain et la pédagogie doivent être également au cœur de notre stratégie. Les clubs de supporters, les centres de formation de jeunes, les associations antiracistes, les clubs de football, la Division nationale de lutte contre le hooliganisme, la Ligue de football professionnel comme la Fédération française de football doivent poursuivre ensemble cet objectif.

Nous soutiendrons donc la proposition de créer un organisme national représentatif des supporters. Nous devons tendre la main aux interlocuteurs que sont les groupes de supporters afin d’instaurer avec eux un dialogue permettant la mise en place de solutions concrètes pour lutter contre la violence dans les stades.

Un rapport de la commission des affaires culturelles du Sénat datant de 2007 – et intitulé Faut-il avoir peur des supporters ? – montrait déjà le rôle incontournable des clubs de supporters dans la régulation des comportements à risques. Il ne faut pas uniquement voir ces associations comme un collectif de soutien, mais également comme un acteur majeur des décisions à prendre pour le bon déroulement des événements sportifs.

Je tiens également à appeler l’attention de la représentation nationale sur les violences dans le football amateur. Hélas, à l’instar du monde professionnel, nos championnats locaux sont parfois entachés par des actes indignes de ce sport visant des arbitres ou des joueurs. Il est nécessaire de trouver des solutions concrètes pour lutter également contre certaines dérives constatées dans les matchs ayant lieu dans nos villages.

Mes chers collègues, si les dramatiques épisodes du hooliganisme semblent derrière nous, certains événements, en France ou ailleurs, sont là pour nous rappeler que nous devons rester vigilants et renforcer notre législation dans ce domaine. C’est la raison pour laquelle le groupe de l’Union des démocrates et indépendants votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. François de Rugy.

M. François de Rugy. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État chargé des sports, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi qui a été présentée et, j’imagine, rédigée par notre collègue Guillaume Larrivé. Cette proposition de loi vise, selon son titre, à renforcer « la lutte contre le hooliganisme ».

Elle a été inscrite à l’ordre du jour de notre assemblée dans le cadre de la journée d’initiative parlementaire du groupe Les Républicains. L’objectif affiché par son auteur, qui en est également le rapporteur, est de lutter contre la violence dans et aux abords des stades puisque, comme on le sait – notre collègue Michel Zumkeller vient de le rappeler –, les violences qui ont malheureusement lieu lors des manifestations sportives se déroulent plus souvent à l’extérieur des stades qu’en leur sein.

Cet objectif de lutte contre la violence est partagé par tous. Comme l’a dit M. le secrétaire d’État, le hooliganisme est, et c’est heureux, un phénomène extrêmement minoritaire en France : il est circonscrit à quelques individus. Il faut cependant le combattre avec le plus grand acharnement.

Il est absolument inacceptable que d’autres individus, qui ne sont pas forcément classés dans la catégorie des hooligans, commettent, dans ou aux abords des stades, des actes de violence lors de matchs, notamment de football. Nous les condamnons avec la plus grande fermeté : il faut donc se donner les moyens, en la matière comme dans d’autres, d’assurer la sécurité des Français assistant à ces matchs.

Évidemment, vous l’avez dit, la perspective de l’Euro 2016 renforce encore cette obligation de trouver des moyens concrets de renforcer la sécurité dans et aux abords de nos enceintes sportives. Par ailleurs, il semblerait que les statistiques pour la saison 2014-2015 de football indiquent une légère recrudescence des épisodes et des actes de violence dans notre pays.

Le législateur que nous sommes doit, évidemment, contribuer à assurer le bon déroulement des manifestations sportives en permettant d’abord aux clubs de garantir, pour ceux qui se rendent au stade, le bon déroulement des matchs. Les clubs ont, bien sûr, une part de responsabilité en matière de sécurité.

Il faut également permettre aux forces de police de se concentrer, surtout en ce moment, sur leurs priorités : elles sont en effet aujourd’hui très mobilisées dans la lutte contre le terrorisme.

M. Guillaume Larrivé, rapporteur. C’est très juste !

M. François de Rugy. Il serait donc encore plus mal venu de leur demander d’assurer, en outre, des tâches en matière de sécurité sportive. Tout le monde doit donc s’y mettre, notamment les clubs de football, mais aussi les clubs et associations de supporters à qui on doit garantir de pouvoir assister aux matchs en toute sécurité. On doit par ailleurs, naturellement, offrir la même garantie à ceux de nos concitoyens qui n’appartiennent à aucune de ces structures et qui viennent assister aux matchs.

Il faut tout à la fois que les supporters de football n’aient à subir ni la violence ni des mesures de sécurité qui seraient inadaptées.

À cet égard, je veux condamner les dérives auxquelles nous avons assisté il y a quelques mois. Je n’en donnerai qu’un seul exemple – même si, malheureusement, il en existe d’autres –, qui a trait à la ville d’Amiens, quand bien même il n’impliquait pas le club de football de cette ville. Devait s’y dérouler, au mois de juin dernier, un match opposant le Football club de Nantes et le Racing club de Lens, cette équipe ne disposant pas d’un stade en état d’accueillir la rencontre.

À l’époque, notre pays ne vivait donc pas dans le cadre de l’état d’urgence. Or tout déplacement de supporters avait été purement et simplement interdit par arrêté du préfet. Des contrôles ont ensuite été menés par la police, ce qui est normal, mais sur la base de critères quelque peu étonnants, comme le numéro de plaque d’immatriculation : il ne faisait visiblement pas bon arborer le chiffre 44 sur sa voiture, ce qui, vous le comprendrez, me paraît inacceptable. (Sourires.)

Des personnes ont même été placées en garde à vue en raison du simple port de l’écharpe jaune et verte des supporters du Football club de Nantes. C’est absolument incompréhensible, d’autant plus que leur garde à vue a duré, me semble-t-il, près de quinze heures, gâchant non seulement la fin d’après-midi mais aussi la soirée et la nuit de ces personnes, la mesure n’ayant été levée que le lendemain matin.

D’une manière générale, l’interdiction pure, simple et générale des déplacements de supporters est une mesure extrême qui ne peut réellement se concevoir que dans des circonstances très particulières. Pour le coup, l’état d’urgence déclaré après les attentats de novembre a justifié de telles mesures ; je crois d’ailleurs que les clubs de supporters ont pu les comprendre. Elles ont d’ailleurs été levées alors que l’état d’urgence est toujours en vigueur, car on a bien vu qu’elles étaient disproportionnées. Je tiens à dire qu’il faut garder cet équilibre.

La proposition de loi que vous présentez, cher collègue Larrivé, comporte deux dispositions principales. L’article 1er autorise les organisateurs de manifestations sportives à refuser l’accès aux stades aux personnes portant atteinte à la sécurité de ces mêmes manifestations.

Il permet également aux clubs, dans certaines circonstances, de mettre en place « un traitement automatisé de données à caractère personnel » – c’est-à-dire un fichier – « relatif au non-respect des conditions générales de vente et du règlement intérieur ».

L’article 2 étend les durées d’interdiction individuelle de stade, à l’instar de ce qui peut se pratiquer dans d’autres pays européens.

En commission, un amendement déposé sur l’initiative du groupe socialiste, républicain et citoyen et défendu par Patrick Mennucci a permis de récrire l’article 1er afin d’encadrer plus strictement la constitution de ces fichiers.

Il prévoit que les conditions dans lesquelles le traitement automatisé de données personnelles peut être mis en œuvre sont « fixées par décret en Conseil d’État pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés ». Cet encadrement garantira le respect du droit à la vie privée des supporters et permettra, je l’espère, de dissiper les craintes exprimées par les associations de supporters, notamment lors de la création du fichier « STADE ».

Il faut un équilibre. La CNIL légitime le traitement automatisé de données, donc la constitution de fichiers, pour des raisons commerciales, comme dans de nombreux autres secteurs, lorsqu’il y a des impayés, que les règles de billetterie ne sont pas respectées ou que des paris sont réalisés dans l’enceinte sportive. Ce doit être également possible pour assurer la sécurité des personnes : il faut que tous les acteurs, y compris la CNIL, comprennent que cet équilibre est nécessaire. Des matchs de foot peuvent rassembler dans un stade des dizaines de milliers de personnes – 20 000, 30 000, 40 000, jusqu’à 80 000 pour le Stade de France. C’est donc une responsabilité très lourde d’assurer la sécurité à l’occasion d’un match de football.

Plus généralement, la proposition de loi de M. Larrivé, dans sa forme actuelle, avant l’adoption, je l’espère, d’amendements, ne traite la question de la violence dans les stades que sous l’angle du fichier et d’une mesure très restrictive, à savoir l’interdiction de stade.

Il y a pourtant beaucoup à faire, et d’abord avec les supporters, pour renforcer la prévention et, ainsi, mieux lutter contre les phénomènes de violence. L’immense majorité des supporters soutiennent le principe du fair-play et contribuent à faire du sport un vecteur de cohésion sociale ou même, on peut le dire, de mixité sociale. Le stade est un lieu où tout le monde peut se retrouver. C’est la raison pour laquelle j’avais d’ailleurs exprimé en commission des réserves sur le titre de la proposition de loi.

Comme M. le secrétaire d’État, je rappelle qu’il y a eu de nombreux travaux parlementaires, sans oublier Le Livre vert du supportérisme. M. Glavany avait également fait des propositions en ce sens.

J’ai moi-même déposé une proposition de loi visant à promouvoir la représentation des supporters. Ce texte, préparé avec les associations de supporters, a été signé par plus de soixante de nos collègues, de tous les groupes. Il proposait notamment d’élargir la composition des organes des fédérations aux représentants de supporters, d’instaurer un conseil des supporters au sein des sociétés commerciales qui exploitent les clubs de football, de développer l’actionnariat populaire et de créer un organisme représentatif des supporters afin de renforcer les liens entre les supporters, les clubs et les instances nationales sportives mais aussi les pouvoirs publics.

Dans la continuité de ce travail, j’ai déposé plusieurs amendements, toujours dans le même état d’esprit, et ils sont signés aussi par des collègues de plusieurs groupes, pour rééquilibrer le dispositif de la proposition de loi.

Deux de ces amendements ont fait l’objet de discussions très poussées avec vous, monsieur le secrétaire d’État, et avec votre cabinet, bien sûr. Je tiens d’ailleurs à vous remercier pour votre écoute, votre sensibilité sur le sujet et votre esprit extrêmement constructif pour avancer concrètement à l’occasion de cette proposition de loi.

Le premier amendement prévoit la désignation par les clubs, après avis des associations de supporters, point important, d’une ou plusieurs personnes référentes chargées des relations avec les supporters ; le second permet la création d’une instance nationale du supportérisme, dont la mission est de contribuer au dialogue entre les supporters et les autres acteurs du sport concernés.

Ces amendements, s’ils sont adoptés, permettront de faire entrer dans la loi une définition positive des supporters et une représentation à la fois locale et nationale. Je souhaite qu’ils soient adoptés le plus largement possible. Je défendrai aussi, bien sûr, les autres dispositions que contenait la proposition de loi que nous avions déposée.

Mme la présidente. La parole est à Mme Gilda Hobert.

Mme Gilda Hobert. « Ce que je sais de la morale, c’est au football que je le dois », écrivait Albert Camus.

L’intitulé de la proposition de loi qui nous réunit cite nommément le hooliganisme. Je reviendrai sur la nécessité de faire une distinction entre les genres. Commençons donc par le hooliganisme. Mais d’où leur vient cette envie, ce besoin d’en découdre, de se laisser aller à des paroles et à des gestes de violence, voire de haine ?

Les hooligans sévissent aujourd’hui partout dans le monde et se distinguent par leur brutalité, essentiellement lors de matchs de football, bien qu’on soit en droit de s’interroger sur l’authenticité de leur intérêt pour ce sport. Ils s’adonnent à la violence avant, pendant et après les matchs. Il me vient à l’esprit, à ce propos, une phrase de Jean-Paul Sartre : « La violence n’est pas un moyen parmi d’autres d’atteindre la fin, mais le choix délibéré d’atteindre la fin par n’importe quel moyen ».

En parallèle, on trouve les ultras, des supporters amateurs de foot, fans de leur équipe mais parfois excessifs dans leurs réactions. Citons notamment les incidents qui se sont hélas produits le week-end dernier lors de la rencontre entre Nantes et Rennes, à l’issue de laquelle des supporters nantais s’en sont pris à des Bretons.

La proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le hooliganisme présentée par notre collègue Guillaume Larrivé a été adoptée mardi dernier en commission des lois. Le texte fait suite aux événements survenus en septembre dernier lors du match de football entre l’Olympique marseillais et l’Olympique lyonnais.

Durant la rencontre, en effet, des canettes et des fumigènes ont été lancés depuis les tribunes sur les forces de l’ordre et les joueurs, ce qui provoqua une suspension de jeu d’une vingtaine de minutes. En outre, des échauffourées se sont produites avant et après la rencontre aux abords du stade, ce qui a entraîné la condamnation de supporters de l’Olympique de Marseille par le tribunal correctionnel de Marseille, en comparution immédiate, à des peines de quatre à six mois de prison ferme.

Vous avez condamné ces incidents, monsieur le secrétaire d’État, rappelant que nous sommes à six mois de cet événement formidable qu’est l’organisation de l’Euro de football par notre pays. Qui pourrait dire le contraire au sujet de l’Euro 2016 ? Nous nous réjouissons par avance.

Quant au président de la Ligue de football professionnel, Frédéric Thiriez, il a expliqué qu’il fallait aider le club, avec les pouvoirs publics, à reprendre le contrôle de son public, notamment de ses virages. Il a proposé un renforcement des sanctions financières et sportives à l’encontre des clubs dans les stades desquels se produisent de tels incidents.

Les comportements incivils des supporters ultras dans les championnats professionnels de Ligue 1 et de Ligue 2 lors de la saison 2014-2015 et les événements de Marseille, de Reims, ou encore ceux qui se sont produits lors des rencontres entre l’équipe de Lyon et celles de Saint-Étienne ou de Nice ne peuvent qu’être condamnés, et les sanctions applicables doivent être renforcées.

En effet, les agissements de certains supporters ou des hooligans – je m’efforce de faire le distinguo – sont condamnables et il apparaît nécessaire de renforcer la sécurité à l’intérieur et aux abords de nos équipements sportifs, et ce d’autant plus à la proche perspective de l’Euro 2016.

Pour autant, nous devons éviter les amalgames entre un hooligan et un supporter. Un supporter encourage, s’enthousiasme, exprime ses déceptions et ses joies, parfois haut et fort, mais sans recourir à la violence physique. Il soutient une équipe pour la performance de ses joueurs et des clubs auxquels ils appartiennent. Vous avez souligné la distinction avec raison, monsieur le rapporteur. Nous devons la réaffirmer et ne pas nous abandonner à une stigmatisation généralisée des supporters et des clubs.

Aujourd’hui, des interdictions de stade peuvent être prononcées à l’encontre de supporters violents selon deux moyens : des interdictions judiciaires, peines complémentaires aux sanctions de comportements répréhensibles prévues par le code du sport et le code pénal, et des interdictions administratives, qui permettent aux préfets d’agir préventivement, sans attendre que soit commise une infraction et que soit prononcée une condamnation par le juge pénal, mais la sanction administrative ne peut être prononcée que si la personne constitue une menace pour l’ordre public, ce qui est normal.

Que les personnes fassent l’objet d’une interdiction judiciaire ou administrative de stade, elles sont inscrites de facto au fichier national des interdits de stade, fichier créé par l’arrêté du 28 août 2007 portant création d’un traitement automatisé de données à caractère personnel relatif aux personnes interdites de stade. Ce fichier est mis en œuvre par la direction générale de la police nationale, et les données relatives aux personnes interdites sont conservées pendant cinq ans.

Le rapport précise que le nombre d’interdictions judiciaires de stade a été relativement stable au cours des six dernières saisons de football. Les interdictions administratives de stade ont quant à elles subi une hausse, en raison notamment de confrontations entre les forces de l’ordre et certains agitateurs à l’intérieur et aux abords des stades.

L’article L. 332-1 du code du sport dispose que les organisateurs de manifestations sportives à but lucratif peuvent être tenus d’assurer un service d’ordre au sein des équipements sportifs. Pour ce faire, monsieur le rapporteur, vous proposez opportunément la mise en place d’un nouveau dispositif permettant aux organisateurs de refuser aux supporters violents l’accès aux manifestations ou d’en annuler les titres d’accès.

L’article 1er prévoyait, dans sa rédaction initiale, d’autoriser également les clubs à établir un fichier ad hoc de données pertinentes relatives à ces personnes interdites d’accès aux stades et de conserver les données pendant une durée maximale de trois ans.

La commission des lois a adopté une rédaction plus respectueuse des libertés des supporters, ce dont nous devons nous réjouir. Il est ainsi prévu que les organisateurs établissent « un traitement automatisé de données à caractère personnel relatif au non-respect des conditions générales de vente et du règlement intérieur, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État et après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés ».

Ces dispositifs apparaissent plus que nécessaires afin d’endiguer l’augmentation du nombre d’incidents violents constatés lors de certains matchs. Ils sont également le gage d’une bonne gestion de la sécurité des joueurs et des spectateurs par les organisateurs de manifestations sportives.

Cela dit, il me paraît important de considérer avec respect les supporters sportifs qui témoignent de leur soutien à une équipe sans recours à la violence ; ils participent à la vie des clubs et à leur promotion. C’est pourquoi j’ai cosigné des amendements tendant à créer un dispositif renforçant le dialogue avec les supporters, un dispositif qui leur confère davantage de responsabilités, qui les associe au bon fonctionnement d’un réseau renouvelé entre clubs et supporters, avec désignation de représentants officiels. C’est par l’accompagnement des nombreux supporters responsables que la lutte contre le hooliganisme sera plus efficace.

Pour accompagner une réduction des incidents constatés lors des rencontres sportives, l’article 2 de la proposition de loi prévoit un allongement de la durée de l’interdiction administrative de stade.

Aujourd’hui, la durée maximale de cette interdiction est de douze mois lorsque les personnes sanctionnées ne l’ont pas été dans les trois années précédentes. Elle est de vingt-quatre mois dans le cas inverse. La proposition de loi, dans son article 2, propose d’allonger ces deux délais d’une année, en portant ainsi la durée maximale à vingt-quatre mois pour une première sanction et à trente-six mois en cas de récidive. L’allongement des délais permettra de se rapprocher du délai de droit commun de cinq ans de la peine complémentaire d’interdiction de stade prononcée par le juge pénal. Les pouvoirs publics et les organisateurs de manifestations sportives afficheront ainsi un message fort en faveur du renforcement de la lutte contre toutes les violences.

Enfin, la vente nominative des cartes annuelles d’abonnement proposée par la commission des lois semble être une mesure judicieuse pour prévenir les risques de débordement. Elle renforcera la sécurité de l’ensemble des personnes présentes dans le stade.

À condition que soient acceptés les amendements, notamment après l’article 4, qui garantissent une meilleure coordination, une responsabilisation, le dialogue et l’ouverture, le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste votera avec enthousiasme cette proposition de loi.

M. Guillaume Larrivé, rapporteur. Merci pour votre enthousiasme !

Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je suis le porte-voix de Marie-George Buffet, qui a eu un empêchement de dernière heure, et vais donc vous donner lecture du texte qu’elle devait prononcer à cette tribune.

Nous débattons aujourd’hui de la proposition de loi du groupe Les Républicains relative au renforcement de la lutte contre le hooliganisme. Au motif de lutter contre les violences dans les stades, les dispositions contenues dans ce texte renforcent les outils répressifs utilisés contre les hooligans.

En effet, il serait désormais possible d’autoriser un club à ficher et à refuser l’accès au stade à des supporters ne faisant pas l’objet d’une interdiction administrative de stade, « en raison de leur comportement ». Cette rédaction hasardeuse est la porte ouverte à toutes les interprétations et à toutes les dérives. Le texte prévoit également d’allonger d’un à deux ans la durée des interdictions administratives.

Ces différentes mesures nous interpellent, alors même que la législation actuelle comporte de nombreuses dispositions pour prévenir et sanctionner les violences dans les enceintes sportives sous l’autorité de l’État. Les clubs sont déjà largement associés à la lutte contre le hooliganisme, et ce à double titre. D’une part, ils peuvent refuser l’accès au stade à toute personne s’il existe un motif légitime. D’autre part, s’agissant du fichage des supporters, la CNIL permet aujourd’hui aux clubs sportifs qui en font la demande de constituer un traitement automatisé de données à caractère personnel avec pour finalité la constitution d’une liste d’exclusion de clients.

Quant au volet répressif, le code du sport comprend actuellement un large éventail de sanctions. En vertu de ce code, le juge judiciaire peut prononcer une interdiction de stade, pouvant aller jusqu’à cinq années, contre une personne commettant l’un des délits propres aux manifestations sportives. S’agissant des autorités administratives, celles-ci ont par l’intermédiaire du préfet la faculté d’interdire de stade un supporter à titre préventif pour une durée de douze mois.

Comme l’a fait remarquer le rapporteur en commission, la politique de lutte contre le hooliganisme « est une politique publique qui fonctionne bien ». Les chiffres de l’Observatoire de la sécurité du football professionnel l’attestent, puisque la violence dans les stades et à leurs abords a reculé entre les saisons 2011-2012 et 2013-2014. Dès lors, on peut légitimement s’interroger sur l’opportunité de telles dispositions.

Par conséquent, cette proposition de loi ne vise qu’à renforcer un arsenal législatif déjà contraignant pour les supporters, au risque de porter atteinte aux libertés individuelles et aux droits fondamentaux comme les droits de la défense, le droit à un procès équitable ou encore le droit au respect de sa vie privée.

Par ailleurs, la nouvelle rédaction issue des débats en commission n’a fait qu’accentuer nos inquiétudes, en amplifiant le caractère liberticide de ce texte. Ainsi, le nouvel article 3 prévoit un élargissement des communications des données personnelles des supporters aux organismes sportifs internationaux à l’occasion de l’organisation d’une manifestation sportive. Le nouvel article 4 oblige, quant à lui, à personnaliser les cartes annuelles d’abonnement pour l’entrée dans les stades.

Ces dispositions permettront, si elles sont appliquées, le fichage des supporters par des structures privées au mépris des règles de confidentialité et du droit au respect de sa vie privée. Au contraire, si l’on veut lutter efficacement contre le hooliganisme, il importe de sortir d’une logique uniquement punitive pour y associer une logique préventive qui intègre les premiers acteurs concernés, à savoir les représentants des supporters.

Sur ce point, je note qu’un amendement déposé en commission sur l’initiative de notre collègue François de Rugy prévoit la création d’un organisme national chargé de représenter les supporters. Certes, cette mesure va dans le bon sens, mais elle n’efface pas le caractère globalement répressif de ce texte.

Il serait plus opportun de reprendre le texte proposé par l’Association nationale des supporters, dont l’objet est bien plus ambitieux. Déposé à l’Assemblée au mois de juin 2015 et cosigné par une cinquantaine de parlementaires de tous bords, il vise à ouvrir les clubs et les instances fédérales à la représentation des supporters.

S’il permet de répondre à l’absence de représentation organisée des supporters dans les instances nationales du sport, il pose également les jalons d’une meilleure implication des associations de supporters dans la gouvernance du sport, que ce soit dans les clubs et les ligues professionnels ou dans les fédérations. Je reste persuadé que c’est en responsabilisant ces acteurs essentiels du mouvement sportif que l’on viendra à bout de ce problème qui nuit à l’image du sport professionnel et amateur.

C’est en effet la garantie d’une meilleure politique de prévention permettant de lutter efficacement contre les phénomènes de violence et de discrimination qui ont lieu dans nos stades. Plus largement, cette représentation est aussi le gage d’une plus grande transparence et d’une plus grande durabilité du sport, vecteur de cohésion sociale et de responsabilité sociétale.

Tous ces objectifs sont aujourd’hui absents de la rédaction actuelle de la proposition de loi qui nous est présentée. Cette proposition de loi uniquement motivée, c’est évident, par l’organisation de l’Euro 2016, n’apporte pas une réponse complète et équilibrée pour agir contre les hooligans. Pour toutes ces raisons, les députés du Front de gauche ne pourront voter en faveur de ce texte dans sa forme actuelle.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Mennucci.

M. Patrick Mennucci. Avant de vous donner notre avis sur la proposition de loi présentée par Guillaume Larrivé, je voudrais dire à Thierry Braillard que notre groupe juge positivement le travail qu’il a réalisé avec ses équipes dans le cadre de la préparation de l’Euro 2016. Cette tribune nous permet de rappeler le travail qui a été engagé, non pas tant sur la partie sportive laissée, je le suppose, à Didier Deschamps, mais sur l’organisation, la promotion et la sécurisation, en lien avec le ministère de l’intérieur, de cette très belle manifestation que la France accueillera en 2016.

M. Christian Estrosi. C’est vrai !

M. Patrick Mennucci. Le travail mené en commission et la situation que nous constatons autour des stades ont conduit le groupe socialiste, républicain et citoyen à soutenir ce texte, modifié par un certain nombre d’amendements qui ont, je crois, permis de le rendre tout à fait applicable.

La proposition de loi vise à renforcer l’arsenal normatif de lutte contre le hooliganisme, en offrant aux clubs sportifs la possibilité d’établir des fichiers de personnes indésirables et en renforçant les sanctions d’interdiction de stade.

Comme plusieurs orateurs l’ont rappelé, la législation en vigueur est déjà fournie en ce domaine : interdictions administratives de stade ; obligation de pointage au commissariat, y compris lors des manifestations qui ont lieu à l’étranger ; pouvoir du ministre de l’intérieur d’interdire le déplacement individuel ou collectif de personnes dont la présence est susceptible de troubler l’ordre public – Bernard Cazeneuve a d’ailleurs eu recours à cette possibilité ces derniers mois à plusieurs reprises ; possibilité de définir un périmètre autour des stades et d’interdire l’accès des « fan zones » ; communication aux autorités de pays étrangers recevant nos équipes de l’identité des personnes faisant l’objet d’une interdiction administrative de stade et susceptibles d’être dangereux.

L’intérêt de ce texte est, me semble-t-il, de renforcer les pouvoirs des clubs sportifs. C’est une façon de rendre les clubs plus responsables dans la lutte contre le hooliganisme. J’ai toujours pensé que les clubs ne pouvaient pas se contenter de renvoyer ce problème à la police ou au ministère de l’intérieur. Il faut qu’ils soient en capacité d’agir sur cette question. Quand on voit le nombre de policiers ou de gendarmes déployés, on comprend le coût que cela peut représenter pour la collectivité. Peut-être faudrait-il d’ailleurs un jour, monsieur le secrétaire d’État, que nous en connaissions ce coût exact. Nous serions sans doute surpris des besoins en policiers dans ce genre de situation.

L’article 1er vise tout d’abord à donner explicitement aux clubs sportifs le droit de refuser la vente de billets à certains spectateurs. Comment peut-on imaginer lutter contre la violence, sans leur donner la possibilité de refuser la vente d’un billet ? En cohérence, ce même article permet aux clubs sportifs de créer des fichiers de hooligans.

Cette disposition a soulevé en commission un certain nombre de difficultés d’ordre juridique qui ont été résolues par l’adoption d’un amendement du groupe SRC, puisque les organisateurs de manifestations ne pourront créer ce type de fichier que « dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés ».

L’article 2 aggrave les sanctions d’interdiction administrative de stade, dans une logique répressive à l’encontre de ceux qui se comportent de façon inadéquate ou violente dans les stades. Il vise à faire passer la durée maximale d’interdiction de stade de vingt-quatre à trente-six mois. C’est une idée qui ne rencontre pas d’opposition de principe de notre part.

L’article 4 est issu d’un amendement que j’ai présenté au nom du groupe socialiste. Il vise, en cohérence avec l’esprit de la proposition de loi, à imposer que les titres d’accès du type de la carte d’abonnement annuel soient personnalisés et fassent l’objet d’une vente nominative. Refuser les ventes en bloc puis les reventes ne répond pas seulement à un problème lié au hooliganisme : cela permet également de lutter contre certains trafics.

En effet, derrière les ventes de billets achetés à un tarif réduit grâce aux abonnements annuels puis revendus à chaque match à un prix bien supérieur, il y a parfois des organisations dont la moralité n’est pas tout à fait garantie. Monsieur le secrétaire d’État, vous nous ferez des propositions pour rendre cet amendement compatible avec la législation en vigueur, afin de ne pas mettre dans l’embarras les clubs et les fédérations – je pense aussi aux comités d’entreprise qui achètent parfois ces abonnements annuels.

Enfin, l’article 3, introduit par l’amendement de M. Goujon et qui prévoit d’étendre la possibilité de communiquer l’identité des personnes faisant l’objet d’une interdiction judiciaire ou administrative de stade aux organisateurs de manifestations sportives internationales ne nous pose strictement aucun problème.

Mes chers collègues, on m’avait octroyé vingt-cinq minutes, mais six auront été suffisantes. Je pense à nos collègues qui attendent la proposition de loi suivante. Régis Juanico prendra un peu de mon temps de parole inutilisé pour le groupe SRC. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Philippe Goujon. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert Collard.

M. Gilbert Collard. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce texte est tout à fait recevable dans son essence et ses intentions. Il l’est d’autant plus que l’urgence de l’Euro 2016 se fait sentir. On peut tout à fait comprendre la nécessité de renforcer les mesures destinées à lutter contre cette forme de violence collective qui s’appelle le hooliganisme.

M. Patrick Mennucci. Vous n’allez pas nous dire que vous êtes contre le texte ?

M. Gilbert Collard. Monsieur Mennucci, taisez-vous ! Soyez un peu discipliné et ne me volez pas mon temps, car j’en ai peu !

Mme la présidente. Vous avez cinq minutes, monsieur Collard !

M. Gilbert Collard. Vous verrez lorsque vous serez dans l’opposition, dans peu de temps…

M. Patrick Mennucci. Espérons que nous serons plus de deux, quand même !

M. Gilbert Collard. Je vais aller à l’essentiel, puisque M. Mennucci me pompe mon temps.

Je trouve ce texte pavé de bonnes intentions, mais je ne peux pas m’empêcher de dire qu’il m’inquiète – et ce pour deux raisons.

Les clubs peuvent déjà refuser l’accès du stade à toute personne, en invoquant un motif légitime, comme le dispose l’article L. 122-1 du code de la consommation que M. Mennucci, qui est un consommateur, doit connaître.

Par ailleurs, comment peut-on enlever au juge la faculté d’interdire l’accès au stade pour la conférer à des organismes divers ?

M. Patrick Mennucci. Vous êtes contre parce qu’il y a des identitaires parmi les hooligans ?

M. Gilbert Collard. Telles sont mes deux préoccupations. Vous n’allez pas me dire que c’est mal, monsieur Mennucci !

C’est dans un souci de protection des libertés que je mets en avant ces deux préoccupations.

J’ai peur très franchement qu’avec cette volonté aujourd’hui de tout contrôler, de tout enrégimenter, par peur que les choses ne nous échappent – peur qui peut être légitime –, on en arrive à surveiller ce qui n’a pas à l’être. Je crains les dérives, et elles peuvent provenir aussi de ceux qui ont toujours bonne conscience, avec la fleur au fusil.

Il y a donc des raisons de s’interroger. Fondamentalement, le texte a mon approbation parce qu’il vise à renforcer les contrôles sur une forme de violence à laquelle on aurait pu s’intéresser depuis très longtemps.

Le hooliganisme a été la naissance du « tribalisme postmoderne » pour reprendre l’expression du sociologue Maffesoli. On n’a pas su analyser cette violence qui cherchait un lieu, un motif et une apparence pour s’exprimer de manière collective. À présent, on est rattrapés par ces formes de violence collective qui cherche partout des prétextes, des occasions. Et il est vrai qu’aujourd’hui, on court le risque d’une conjonction des violences collectives, et on doit prendre les mesures qui s’imposent.

Je suis pour ces mesures, mais on ne peut me faire croire qu’il n’y a pas pour nos libertés un sujet d’inquiétude. Si je ne craignais pas de le faire périr d’apoplexie, je dirais que j’ai écouté avec beaucoup d’intérêt l’intervention de M. Chassaigne…

M. Patrick Mennucci. Là, il s’est planté ! (Sourires.)

M. Gilbert Collard. …parce qu’on peut ne pas avoir les mêmes idées, les mêmes opinions, et parfaitement s’accorder quand il s’agit d’une menace pesant sur les libertés.

En conclusion, je dirai qu’il faut lutter contre toutes les formes de violence collective, mais que vous commencez tout de même, messieurs de la majorité, à piétiner un bon nombre de libertés.

M. Patrick Mennucci. N’y a-t-il pas des identitaires parmi les hooligans ? Vous prenez cette position parce que sont des fachos !

M. Gilbert Collard. Il est bon de rappeler ici, à cette tribune, que l’histoire démontre que vous avez bien souvent bafoué la liberté au nom des grands principes. Ne me faites pas de procès d’intention : je pourrais vous en faire quelques-uns qui, bien que vous soyez roses, vous feraient rougir !

M. François de Rugy. Quel guignol !

M. Patrick Mennucci. Vous pouvez envoyer votre texte à Bardot !

Mme la présidente. Je rappelle que seul l’orateur a la parole et je vous remercie, mes chers collègues, de ne pas l’interrompre.

M. Gilbert Collard. Mais quand c’est moi, on peut !

Mme la présidente. La parole est à M. Régis Juanico, dernier orateur inscrit.

M. Régis Juanico. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, chers collègues, nous sommes tous d’accord pour ne pas confondre le hooliganisme, fait d’une minorité d’individus violents, et le supportérisme qui, lui, est festif, populaire et pacifique, et qui ne doit pas disparaître de nos stades. Au contraire, il doit être conforté car nous ne voulons pas de stades aseptisés.

C’est pourquoi la proposition de loi de lutte contre le hooliganisme de notre collègue Guillaume Larrivé mérite, et il en a convenu, d’être complétée dans son titre comme dans son contenu, rééquilibrée, ainsi que l’a dit M. le secrétaire d’État dans son intervention liminaire, en prévoyant des mesures renforçant le dialogue avec les associations de supporters. Tel est le sens des amendements que François de Rugy et moi avons déposés, issus de la proposition de loi sur laquelle nous avions travaillé il y a quelques mois.

Il s’agit de mieux reconnaître la représentativité et la représentation des associations de supporters dans les instances nationales du sport pour qu’elles deviennent des interlocutrices privilégiées des pouvoirs publics et des ministères concernés, mais aussi des clubs professionnels à travers la désignation de référents chargés des relations avec les supporters.

La proposition de loi renforce les sanctions à l’encontre des violences commises dans les stades et aux abords. C’est nécessaire. Nous ne devons pas nier les phénomènes de violence qui empoisonnent aujourd’hui régulièrement certaines rencontres sportives, essentiellement des matchs de football, il faut bien le reconnaître – sur 367 interdictions administratives de stade l’an dernier, seules six concernaient d’autres disciplines, en l’occurrence le basket et le rugby. Mais au regard des 30 000 matchs de football organisés chaque week-end dans notre pays, il apparaît que les actes de violence n’en concernent qu’un petit nombre. Il faut par conséquent relativiser aussi l’interdiction de déplacements – quelques dizaines ces derniers mois –, même si je sais qu’elles sont mal vécues et fortement pénalisantes pour les supporters concernés.

Je vais citer deux exemples de violences récentes inacceptables et que vous avez tous en tête. Le premier, à l’occasion du dernier derby à Lyon entre l’Olympique lyonnais et l’Association sportive de Saint-Étienne, ce sont les neuf blessés, dont un stadier lyonnais qui a été grièvement blessé, perdant l’usage d’une de ses mains en ramassant ce qu’il pensait être un fumigène alors qu’il s’agissait d’un engin explosif ; lors de la même soirée, Georges Bereta, un ancien joueur de l’ASSE, a failli être lynché à la sortie du stade. Et puis quelque temps plus tard, une dizaine d’ultra-violents stéphanois ont mené une expédition punitive pour aller saccager un mariage dans le Beaujolais, croyant s’en prendre à un supporter lyonnais, et condamnés à de la prison ferme.

J’ajoute que les rencontres classées à risque de Ligue 1 ou de Ligue 2 sont fortement consommatrices en moyens humains, qu’il s’agisse de CRS, de gendarmes mobiles ou de policiers, avec parfois même l’utilisation d’hélicoptères, les effectifs s’élevant souvent à plusieurs centaines, voire cinq cents à six cents. Chacun peut se rendre compte du coût financier que cela représente à la fois pour les clubs et pour l’État, alors que ces moyens devraient pouvoir être consacrés plus utilement à la sécurité de nos concitoyens, a fortiori dans un contexte d’état d’urgence face à la menace terroriste qui en fait une priorité. Le climat dans les stades de foot et aux abords doit être paisible, ce qui n’empêche pas la fête – M. le secrétaire d’État l’a rappelé.

L’article 1er a été réécrit en commission. Il permettra aux organisateurs de manifestations sportives de refuser la vente de billets ou l’accès au stade aux personnes portant atteinte aux dispositions prises par les organisateurs pour le bon déroulement et la sécurité desdites manifestations. Cet article répond à une logique : étant co-responsables de la sécurité au sein des stades, ils doivent disposer des moyens d’y contribuer de façon effective. Des progrès ont été réalisés dans ce sens : M. le secrétaire d’État a pu le constater le 22 novembre dernier en venant visiter le PC sécurité du stade Geoffroy-Guichard lors de la rencontre ASSE-Olympique de Marseille. Il a vu la coordination des services de la police nationale, de la police municipale, des gendarmes et des stadiers, et les moyens de vidéo-surveillance mis en œuvre.

Je voudrais tout de même que vous puissiez mettre fin à certaines inquiétudes, voire certaines craintes, suscitées par cet article. Bien sûr, le fichier tenu par les organisateurs de manifestations sportives sera soumis à un avis de la CNIL et mis en œuvre dans les conditions définies par le Conseil d’État, mais peut-on s’assurer qu’un tel fichier sera bien utilisé pour écarter les personnes violentes et non pour effectuer un tri sur d’autres critères ? Il s’agirait par exemple d’écarter les supporters pas tout à fait dans la ligne de la direction du club. Il sera important que vous puissiez, lors de la discussion des articles, nous apporter des garanties et des précisions sur les contrôles qui seront effectuées, et ainsi nous rassurer sur la portée de l’article 1er.

Je suis entièrement d’accord avec l’article 2, qui renforce les mesures d’interdiction administrative de stade. Elles ont prouvé leur efficacité.

Dès lors que les amendements que François de Rugy et moi-même avons déposés sur la question de la représentation des supporters seront favorablement accueillis et que vous aurez apporté des garanties sur l’article 1er, c’est un texte que je pourrai voter. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Discussion des articles

Mme la présidente. J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles de la proposition de loi.

Article 1er

Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne, pour soutenir l’amendement, n4, tendant à supprimer l’article 1er.

M. André Chassaigne. Les clubs peuvent déjà refuser l’accès au stade à toute personne pour motif légitime, notamment si celle-ci contrevient aux conditions générales de vente ou au règlement intérieur du stade.

Seuls un juge ou un préfet doivent pouvoir interdire l’accès au stade à une personne qui a commis une infraction ou dont le comportement d’ensemble laisse à craindre qu’elle va troubler l’ordre public. Dans les mains d’une société commerciale, l’exercice de cette compétence laisserait place à un risque d’arbitraire d’autant plus regrettable que ces décisions ne pourront faire l’objet d’un recours en urgence – selon la procédure du référé-liberté – devant un tribunal.

Par ailleurs, la CNIL permet déjà aux clubs sportifs qui le demandent de constituer un traitement automatisé de données à caractère personnel ayant pour finalité la constitution d’une liste d’exclusion de clients. Cela couvre l’existence d’un impayé, le non-respect des règles de billetterie et l’activité commerciale dans l’enceinte sportive – dans ces deux derniers cas au titre de la violation des conditions générales de vente –, ainsi que les paris dans l’enceinte sportive sur le match en cours. De plus, les clubs disposent déjà du Fichier national des interdits de stade – par un tribunal ou par un préfet –, leur permettant de refuser l’accès auxdites personnes.

Par conséquent, quand cet article apporte quelque chose au droit existant, c’est qu’il entre en contradiction avec les limites fixées par la Convention n108 du Conseil de l’Europe, ratifiée par la France, pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Guillaume Larrivé, rapporteur. Elle est évidemment défavorable à cet amendement de suppression. J’invite André Chassaigne à relire l’article 1er tel qu’il est issu des travaux de la commission parce que nous avons bien prévu d’encadrer le dispositif à partir d’un état du droit aujourd’hui insuffisant en la matière.

Tout d’abord, nous définissons précisément la finalité du dispositif : les organisateurs doivent contribuer à la sécurité des manifestations sportives – et non pas à l’assurer directement, la sécurité publique restant de la compétence de l’État. Il s’agit d’organiser la coopération entre les forces de sécurité publique et des acteurs de sécurité privés.

Ensuite, nous avons bien prévu les motifs qui permettront à ces organisateurs de refuser ou d’annuler la délivrance de titre d’accès ou encore de refuser l’accès. Nous visons bien des individus précisément ciblés : ceux qui, en raison de leur comportement, c’est-à-dire de données objectives, factuelles, ont porté atteinte au bon déroulement ou à la sécurité de la manifestation sportive.

Enfin, nous renvoyons à un texte réglementaire de niveau très élevé puisqu’il s’agira d’un décret en Conseil d’État, de surcroît pris après avis de la Commission national de l’informatique et des libertés. Ce décret, je l’ai déjà rappelé en présentant la proposition de loi, devra être extrêmement précis quant aux données qui pourront être collectées – je vais d’ailleurs défendre un amendement visant à préciser que l’avis rendu par la CNIL devra, comme celui du Conseil d’État, être publié.

Ce sont autant d’éléments qui encadrent strictement sur le plan juridique cet article et qui justifient que nous l’adoptions en confiance.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Thierry Braillard, secrétaire d’État. Monsieur le député, il est toujours difficile de se faire le porte-parole de quelqu’un d’autre, parce qu’on entre dans un texte sans en connaître exactement les finalités. La lecture de l’amendement que vous avez défendu m’amène à vous dire qu’il contient deux confusions.

La première, c’est qu’à aucun moment le texte ne prévoit que l’on donne à des sociétés privées le soin d’interdire au stade au sens des articles L. 332-11 ou L. 332-16 du code du sport, lesquels rappellent bien que c’est au juge que revient cette capacité et pas à une société privée.

Seconde confusion : tout est prévu pour que le respect des données individuelles, assuré sous l’autorité de la CNIL, soit assuré. En plus des motifs que vous avez évoqués pour figurer dans le fichier – l’existence d’impayés, la vente de billets dans le stade ou le fait d’y pratiquer des paris –, il faut transmettre l’information lorsqu’une décision judiciaire d’interdiction de stade a été prise.

Vous comprenez donc bien que les libertés publiques ne sont pas en jeu et que M. Collard – qui nous fait toujours l’amitié de parler et de partir juste après car incontestablement seul s’entendre l’intéresse – aurait mieux fait de nous écouter, car je pense que ma réponse était juridiquement importante par la précision que je viens de vous apporter.

M. Patrick Mennucci et Mme Martine Carrillon-Couvreur. Très bien !

(L’amendement n4 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État, pour soutenir l’amendement n23.

M. Thierry Braillard, secrétaire d’État. Il est rédactionnel.

(L’amendement n23, accepté par la commission, est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement n25.

M. Guillaume Larrivé, rapporteur. Cet amendement garantit que l’avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés – CNIL – sera non seulement motivé mais aussi publié. Par là même nous démontrons une nouvelle fois, malgré les craintes de M. Collard et de M. Chassaigne, que les dispositions de la proposition de loi sont parfaitement conformes au nécessaire respect des libertés.

(L’amendement n25, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne, pour soutenir l’amendement n5.

M. André Chassaigne. Il s’agit d’un amendement de repli, qui a pour objet de charger la CNIL d’une mission annuelle de contrôle, dont les résultats seront rendus publics.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Guillaume Larrivé, rapporteur. À titre personnel, je ne suis guère favorable à ce que l’on multiplie les rapports. Comme chacun le sait, la CNIL rend déjà un rapport annuel public. Toutefois, la commission a émis un avis favorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Thierry Braillard, secrétaire d’État. Bien que j’estime superfétatoires les rapports demandés au Gouvernement ou aux ministres, j’émettrai un avis favorable sur cet amendement, pour aller dans le sens des explications qui viennent d’être fournies.

(L’amendement n5 est adopté.)

(L’article 1er, amendé, est adopté.)

Article 2

Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne, pour soutenir l’amendement n6 ; qui tend à supprimer l’article.

M. André Chassaigne. Il est défendu.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Guillaume Larrivé, rapporteur. Avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Thierry Braillard, secrétaire d’État. Même avis. Les États voisins de la France appliquent d’ores et déjà des condamnations comparables, voire plus lourdes, allant jusqu’à trois ans d’interdiction en Suisse, cinq ans en Allemagne, en Espagne et au Portugal, et jusqu’à dix ans au Royaume-Uni. C’est dire que la proposition de loi, qui vise à allonger la durée d’interdiction de stade, n’apparaît pas sortir de la norme européenne.

(L’amendement n6 n’est pas adopté.)

(L’article 2 est adopté.)

Article 3

(L’article 3 est adopté.)

Article 4

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État, pour soutenir l’amendement n28.

M. Thierry Braillard, secrétaire d’État. Cet amendement, qui conforte la volonté exprimée par M. Mennucci en commission, vise à remplacer l’article 4 de la proposition de loi encadrant la vente des abonnements annuels dans le cadre des compétitions sportives, pour permettre aux clubs d’en assurer la vente et d’en confier la gestion à une société commerciale mandatée à cet effet ou à un comité d’entreprise. Il s’agit donc de limiter les personnes morales pouvant vendre des abonnements sans que l’identité des acheteurs ne soit nécessairement connue.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Guillaume Larrivé, rapporteur pour avis. La commission n’a pas pu examiner cet amendement, déposé il y a seulement quelques instants. Nous en avions cependant une version intermédiaire, qui convainc pleinement le rapporteur que je suis.

En effet, cet amendement enrichit la rédaction initiale de l’article, proposée par M. Mennucci. Nous mettrons ainsi progressivement fin à des pratiques qui doivent relever du passé.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Mennucci.

M. Patrick Mennucci. Je remercie le Gouvernement de l’attention qu’il a portée à une volonté de la commission des lois. Il a su saisir l’occasion offerte par la proposition de loi de M. Larrivé, pour, lorsque cela est nécessaire, assainir la vente des abonnements annuels. Ces derniers, en tant qu’ils peuvent être revendus à l’unité pour chaque match, empêchent de connaître l’identité des personnes présentes dans les stades. De telles pratiques doivent disparaître.

À cet égard, je remercie le Gouvernement d’avoir déposé cet amendement et le rapporteur d’y avoir donné un avis favorable. Cette évolution n’est pas facile à obtenir, notamment parce que certains clubs – très grands ou plus petits – utilisent les comités d’entreprise pour vendre des abonnements. Par cet amendement du Gouvernement, nous avons trouvé la formule qui, dans les années à venir, permettra d’assainir ces pratiques.

(L’amendement n28 est adopté et l’article 4 est ainsi rédigé.)

Après l’article 4

Mme la présidente. Je suis saisie de plusieurs amendements portant article additionnel après l’article 4.

La parole est à M. François de Rugy, pour soutenir l’amendement n21.

M. François de Rugy. Cet amendement reprend l’une des dispositions de la proposition de loi relative à la représentation des supporters, que j’avais déposée, avec de nombreux collègues de différents groupes et qui portait sur l’extension des dispositions relatives au financement participatif des clubs. Ce thème, je le reconnais, est un peu éloigné de l’objet de la présente proposition de loi. Pourtant, certains supporters souhaitent pouvoir, à terme, devenir actionnaires de leur club, comme cela existe déjà, notamment en Espagne.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Guillaume Larrivé, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur cet amendement. Il y a quelques mois, monsieur le secrétaire d’État, vous avez, de manière tout à fait louable, lancé une grande conférence sur le sport professionnel français. C’est sans doute dans ce cadre que les questions liées au financement participatif pourraient être utilement étudiées.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Thierry Braillard, secrétaire d’État. En écoutant vos propos, monsieur le rapporteur, je me demandais si vous n’aviez pas franchi le Rubicon pour rejoindre notre majorité. (Sourires.)

M. Patrick Mennucci. Ce n’est pas encore pour demain ! (Sourires.)

M. Thierry Braillard, secrétaire d’État. Aussi, je vous remercie d’avoir rappelé que le Gouvernement a lancé une grande conférence sur le sport professionnel. La question de l’intégration des associations de supporters ou des supporters, comme les socios espagnols, y sera étudiée. Je souhaite d’ailleurs que toutes les structures de supporters puissent être entendus par les animateurs de cette grande conférence, afin d’avancer sur ce sujet.

Aujourd’hui, en revanche, il m’apparaît un peu prématuré de donner un avis favorable à cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. François de Rugy.

M. François de Rugy. Prenant en compte les propos de M. le secrétaire d’État, je retire cet amendement.

(L’amendement n21 est retiré.)

Mme la présidente. Vous conservez la parole, monsieur de Rugy, pour soutenir l’amendement n20.

M. François de Rugy. Cet amendement est en lien plus direct avec la proposition de loi de M. Larrivé. Il s’agit, toujours en reprenant des dispositions de notre proposition de loi, d’instaurer un conseil des supporters au sein même des sociétés qui exploitent les clubs professionnels de football. Ce serait le meilleur moyen de parvenir à un dialogue approfondi et permanent entre les dirigeants des clubs à l’échelle du territoire et les supporters.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Guillaume Larrivé, rapporteur. La commission a émis un avis nettement défavorable sur cet amendement.

Autant nous sommes d’accord pour bien distinguer le hooliganisme et le supportérisme, deux réalités totalement différentes, et pour organiser le dialogue avec les supporters, autant, du moins pour ce qui me concerne, je ne suis pas favorable à l’idée de créer, au sein même des entreprises que sont ces sociétés à objet sportif, des instances qui excèdent sans doute le périmètre de leurs missions. Oui au dialogue avec les supporters ; non à la confusion entre la responsabilité des dirigeants des clubs et celle des supporters.

M. Guy Geoffroy. Tout à fait !

M. Guillaume Larrivé, rapporteur. Donc avis très nettement défavorable à votre amendement, monsieur de Rugy.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Thierry Braillard, secrétaire d’État. J’accueillerai cette proposition de manière beaucoup moins négative que M. Larrivé.

M. de Rugy sait bien que, pour mettre en place ce dialogue des supporters avec le club, nous avions le choix entre différents dispositifs. La proposition d’un conseil des supporters présidé par un membre de la société commerciale – c’est-à-dire du club –, là aussi, nous a semblé un peu prématurée. C’est la raison pour laquelle cette question devra également être abordée lors de la grande conférence sur le sport professionnel, dont le comité de pilotage, je le rappelle, intègre les présidents des fédérations et des ligues de sports collectifs.

Je vous demande donc, monsieur de Rugy, de retirer votre amendement, d’autant qu’un de vos amendements suivants recevra, comme vous le savez, un avis plus bienveillant du Gouvernement.

Mme la présidente. La parole est à M. François de Rugy.

M. François de Rugy. J’ai bien entendu les propos du rapporteur et du secrétaire d’État. Vous avez bien fait, monsieur le rapporteur, de préciser, dans la seconde partie de votre intervention, que ce n’était pas la commission qui avait émis un avis « nettement défavorable » sur cet amendement – j’ignore d’ailleurs ce qu’est un avis « nettement défavorable » de la part d’une commission, d’autant qu’en l’espèce, l’amendement a été examiné en application de l’article 88 du règlement, donc très rapidement.

Vous avez bien indiqué, monsieur le rapporteur, votre position à titre personnel. Elle ne m’étonne pas, car vous vous inscrivez sur ce point dans une logique assez conservatrice s’agissant des instances actuelles.

Prenant en considération les propos de M. le secrétaire d’État, j’accepte de retirer mon amendement. La réflexion méritera cependant d’être poursuivie. En effet, ne vous en déplaise, monsieur Larrivé, il s’agit d’une évolution assez importante de notre société. C’est ce que l’on a appelé parfois la démocratie participative, par exemple – pour citer une des mesures prises par notre majorité – le fait d’associer les salariés aux conseils d’administration des entreprises, à partir d’un certain niveau. Ce serait la même logique pour les supporters, qui participent à la vie de leur club, sur leur territoire.

(L’amendement n20 est retiré.)

Mme la présidente. Vous conservez encore la parole, monsieur de Rugy, pour soutenir l’amendement n19.

M. François de Rugy. Il est défendu.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Guillaume Larrivé, rapporteur. Avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Thierry Braillard, secrétaire d’État. Même avis.

(L’amendement n19 est retiré.)

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 27 et 17 rectifié.

La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement n27.

M. Guillaume Larrivé, rapporteur. Cet amendement de la commission vise à demander aux clubs, qu’il s’agisse d’associations sportives ou de sociétés, de désigner une ou plusieurs personnes référentes chargées des relations avec leurs supporters. Dans le monde du football, il s’agit, on le sait, d’une préconisation de l’UEFA.

C’est une bonne pratique, qu’il convient d’encourager, en l’organisant, pour renforcer le dialogue avec les supporters car si nous les distinguons des hooligans, nous les appelons aussi à une forme de responsabilité. En effet, pour que chacun distingue bien les supporters des hooligans dans le débat public, il faut qu’eux-mêmes se comportent de manière pleinement responsable.

Il est vrai qu’il est utile d’organiser le dialogue. Hermann Ebongue, vice-président national de SOS Racisme et président de Sportitude France nous en a fait la proposition lors des auditions. Mes chers collègues, c’est donc un amendement, je le crois, utile que nous nous proposons.

Mme la présidente. La parole est à M. François de Rugy, pour soutenir l’amendement n17 rectifié.

M. François de Rugy. Je salue le fait que M. le rapporteur ait repris notre amendement – non seulement notre idée mais aussi notre rédaction. Cela montre que nous pouvons converger même si les intentions, au départ, n’étaient pas les mêmes. Tant mieux !

Cela étant, je revendique très clairement la paternité de cet amendement qui, par ailleurs, a aussi été travaillé avec M. le secrétaire d’État.

Il s’agit de reprendre une recommandation de l’Union européenne des associations de football, l’UEFA, visant à instituer, dans chaque club professionnel, un officier de liaison des supporters.

Comme cette nouvelle instance pourrait ne pas avoir de lien direct avec les associations qui structurent et représentent, le cas échéant, les supporters, nous avons prévu que sa désignation se ferait après avis des associations de supporters.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Thierry Braillard, secrétaire d’État. Je remercie le rapporteur, Guillaume Larrivé, pour son esprit d’ouverture. Au demeurant, il faut tout de même rendre à César ce qui appartient à César : un travail a été fait pour dépasser l’idée selon laquelle les supporters seraient des gens qui n’amèneraient que du négatif et mériteraient des sanctions, et dire qu’il serait préférable d’avoir un a priori favorable envers eux et de les aider à organiser le supportérisme aux échelons local et national.

M. Philippe Vitel. Le « supportérisme » ?

M. Thierry Braillard, secrétaire d’État. Nous avons donc travaillé avec M. de Rugy bien en amont de ce texte !

Ces amendements nous permettront d’inscrire dans la loi que les clubs professionnels ont l’obligation de nommer une personne, qui sera désignée par les supporters – je dis bien par les supporters, et non par le club –, pour être le référent chargé du dialogue avec eux. Je crois qu’il s’agit d’un amendement important. Le Gouvernement y est bien entendu favorable.

(Les amendements identiques nos 27 et 17 rectifié sont adoptés.)

Mme la présidente. La parole est à M. François de Rugy, pour soutenir l’amendement n18 rectifié.

M. François de Rugy. Cet amendement est lui aussi important et va d’ailleurs dans le même sens ; il vise à créer une représentation nationale des associations de supporters.

On a évoqué le lien entre les clubs et les territoires, mais on voit bien que pour appréhender certains sujets – il a été question de la sécurité, mais on pourrait en évoquer d’autres, relatifs à l’économie, notamment, en ce qui concerne le football, les politiques tarifaires dans les stades –, il serait utile d’instaurer à l’échelon national un dialogue entre les instances sportives nationales – Fédération française de football et Ligue de football professionnelle pour le football – et les autorités publiques. Certaines décisions en matière de sécurité, relatives à la fréquentation des stades, sont ainsi prises par les préfets au nom du ministre de l’intérieur. Il serait nécessaire que les autorités publiques aient en face d’elles des interlocuteurs qui puissent amorcer un dialogue. On sortirait ainsi de la situation actuelle où, cette représentation n’existant pas – les fédérations n’en ayant pas pris l’initiative : si cela avait été le cas, nous ne serions pas obligés de passer par la loi –, certaines mesures s’avèrent totalement inadaptées à la lutte contre les violences dans les stades.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Guillaume Larrivé, rapporteur. L’avis est favorable, puisque nous pensons nécessaire de renforcer le dialogue avec les supporters à la fois au plan territorial et au plan national. L’amendement présenté par François de Rugy, qui a été cosigné par des députés républicains, comme MM. Salen ou Straumann, et par le président du groupe UDI, M. Vigier,…

M. Régis Juanico. Et par quelques députés socialistes… (Sourires.)

M. Guillaume Larrivé, rapporteur. …est de ce point de vue très positif.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Thierry Braillard, secrétaire d’État. La création de cette instance nationale permettra d’organiser le dialogue entre les supporters et les instances nationales du sport, et de réfléchir sur les questions de supportérisme, notamment la participation des supporters au bon déroulement des compétitions, l’amélioration des conditions de leur accueil, ainsi que la promotion des valeurs du sport.

Je souligne en outre que ces dispositions s’adressent à l’ensemble des disciplines sportives, et pas uniquement au football.

Avis favorable, donc.

(L’amendement n18 rectifié est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État, pour soutenir l’amendement n24.

M. Thierry Braillard, secrétaire d’État. Cet amendement tend à définir le rôle des supporters et des associations de supporters, en précisant qu’ils sont garants du bon déroulement des compétitions sportives et qu’ils doivent respecter et promouvoir les valeurs du sport. Il s’agit donc de les responsabiliser pour mieux les reconnaître comme des acteurs du sport à part entière. Le nouvel article ainsi créé serait d’ailleurs inséré dans le livre II du code du sport, intitulé « Acteurs du sport ». Cela constituerait un socle pour l’ensemble des mesures législatives de nature à créer les conditions d’un dialogue avec les supporters.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Guillaume Larrivé, rapporteur. Avis favorable. Cet amendement, s’il est adopté, permettra de responsabiliser les supporters : il leur donnera la responsabilité de concourir au bon déroulement des manifestations sportives. Si nous souhaitons que le football reste une fête, il faut que les supporters participent dans un esprit conforme aux valeurs du sport.

Mme la présidente. La parole est à M. Régis Juanico.

M. Régis Juanico. Je veux saluer la démarche gouvernementale. On a beaucoup parlé de répression ces dernières années, mais, à travers les amendements qu’avec François de Rugy nous avons présentés, nous sommes en train d’adopter un dispositif qui, pour la première fois, reconnaît le rôle positif des associations de supporters dans les différentes disciplines sportives et le fait qu’elles concourent aussi à la prévention et à la transmission des valeurs positives du sport. C’est donc un tout cohérent que nous construisons ce soir, et je tenais à souligner la portée de ces amendements pour l’ensemble du monde sportif.

(L’amendement n24 est adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Goujon, pour soutenir l’amendement n3.

M. Philippe Goujon. Il est vrai que nous avons rééquilibré ce texte ; permettez-moi donc de revenir du côté de la répression, ce qui était quand même l’objet principal de la proposition de loi – même si nous devons bien sûr travailler avec les supporters et en faire des acteurs écoutés pour l’organisation des matchs.

Il se trouve que la liste des infractions pouvant donner lieu à l’interdiction judiciaire de stade prévue par la loi du 5 juillet 2006 comprend des infractions spécifiquement commises dans les stades, comme l’introduction de boissons alcooliques. Il serait cohérent, me semble-t-il, d’ajouter à cette liste le fait de pénétrer dans une enceinte sportive en possession ou sous l’empire de stupéfiants. Si l’on ne peut entrer avec des boissons alcooliques, pourquoi pourrait-on le faire en possession de stupéfiants sans risquer une sanction spécifique ?

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Guillaume Larrivé, rapporteur. C’est un avis défavorable que la commission a rendu. Toutefois, à titre personnel, je comprends très bien l’intention de Philippe Goujon, qui pose une vraie question, à laquelle, monsieur le secrétaire d’État, il faudra répondre, sinon au plan législatif, tout au moins au plan opérationnel.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Thierry Braillard, secrétaire d’État. Le Gouvernement est défavorable à cet amendement, car celui-ci est redondant, l’article L. 3421-1 du code de la santé publique punissant déjà l’usage de stupéfiants par des sanctions pénales, quel que soit le lieu où l’infraction est commise.

Mme la présidente. Monsieur Goujon, maintenez-vous l’amendement ?

M. Philippe Goujon. Certainement, madame la présidente.

(L’amendement n3 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Goujon, pour soutenir l’amendement n2.

M. Philippe Goujon. Là aussi, il s’agit d’une disposition qui me paraîtrait logique – mais cet avis ne semble pas être partagé par tous. Le présent amendement vise en effet à harmoniser le périmètre de l’interdiction judiciaire de stade, qui constitue une peine complémentaire, avec celui de l’interdiction administrative de stade, donc d’englober parmi les lieux interdits aux personnes s’étant rendu coupables d’infractions pénalement sanctionnées, au-delà des enceintes sportives et de leurs abords, les lieux où les manifestations sportives sont retransmises en public. Il s’agit d’une mesure de nature à sécuriser les « fan zones », l’effet dissuasif des interdictions de stade ayant par ailleurs été constaté dans le bilan d’application de la loi du 5 juillet 2006 réalisé par notre collègue Claude Goasguen.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Guillaume Larrivé, rapporteur. La commission a émis un avis favorable sur cet amendement.

M. Philippe Goujon. Ah !

M. Philippe Vitel. Bravo !

M. Guillaume Larrivé, rapporteur. Il y a eu, je le rappelle, 367 interdictions de stade lors de la saison précédente : 118 interdictions judiciaires, suivant une logique répressive, et 249 interdictions administratives, suivant une logique préventive. Il est bien évident que pour que ces deux dispositifs soient pleinement opérationnels, il faut qu’ils soient parfaitement articulés et qu’ils s’appliquent, comme le propose cet excellent amendement de Philippe Goujon, au même périmètre.

M. Guy Geoffroy. Très bien !

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Thierry Braillard, secrétaire d’État. Il n’est pas le même que celui de la commission, puisqu’il est défavorable. (« Quelle erreur ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Il pose en effet le problème juridique de la définition du lieu de retransmission en public d’un événement sportif. Vous précisez dans l’exposé sommaire que la disposition concerne les « fan zones » ; or un lieu de retransmission publique de l’événement ne se réduit pas à elles, et il paraît impossible de délimiter avec précision un tel lieu. Cela pourrait très bien être un bar, ouvert à tous, où chacun peut regarder le match. Personne ne pourra contenir le périmètre de l’interdiction !

Avis défavorable, donc, pour cause d’infaisabilité de la mesure proposée – même si je comprends votre préoccupation, monsieur Goujon.

Concernant les « fan zones », une circulaire du ministre de l’intérieur en date du 15 mars 2015 en avait organisé la sécurité. En raison des événements dramatiques que nous avons connus, le ministre de l’intérieur, en liaison avec le club des villes hôtes de l’Euro 2016, a décidé de renforcer la sécurité dans les « fan zones », en prévoyant notamment que chaque personne fera l’objet d’une palpation, qu’une vidéosurveillance sera exercée à l’entrée et que des agents de sécurité seront présents en renfort à l’intérieur de la zone.



Sachez donc que le Gouvernement et le club des villes hôtes de l’Euro 2016 – dont un des parlementaires ici présents est membre, puisque Nice accueillera des matchs de l’Euro de football – veillent à renforcer la sécurité de ces zones. C’est la raison pour laquelle, compte tenu de l’infaisabilité de la mesure proposée, je vous demande de retirer votre amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Guillaume Larrivé, rapporteur. Je ne voudrais pas prolonger les débats, mais il s’agit seulement, monsieur le secrétaire d’État, de prévoir que le périmètre des interdictions judiciaires est le même que celui des interdictions administratives. En effet, la loi – plus précisément, l’article L. 332-16 du code du sport – donne la faculté au préfet de prononcer des interdictions pour « se rendre aux abords des enceintes où de telles manifestations se déroulent ou sont retransmises en public ». L’amendement de Philippe Goujon ne fait que transposer à la matière judiciaire ce qui existe déjà dans le domaine administratif.

M. Guy Geoffroy. Bien sûr !

M. Guillaume Larrivé, rapporteur. J’entends bien l’argumentation du secrétaire d’État, mais sur cet amendement, je crains qu’elle ne soit inopérante.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Goujon.

M. Philippe Goujon. Il s’agit vraiment d’une simple question de cohérence : il serait paradoxal qu’une interdiction administrative puisse s’appliquer à la gestion des événements dans les « fan zones » – comme l’a dit excellemment le rapporteur, l’article L. 332-16 du code du sport donne la possibilité d’interdire « de se rendre aux abords des enceintes où de telles manifestations se déroulent ou sont retransmises en public » –, alors qu’une interdiction judiciaire ne le pourrait pas. C’est parfaitement illogique, même sur le plan juridique !

Je suis bien conscient des efforts consentis par le Gouvernement pour sécuriser davantage les « fan zones » depuis les événements dramatiques que notre pays a connus, et j’en prends acte ; cela étant, une disposition juridique de ce type me paraîtrait tout à fait opportune. Compte tenu de la nécessité de maintenir l’ordre public dans les « fan zones », je ne peux pas retirer cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Estrosi.

M. Christian Estrosi. Monsieur le secrétaire d’État, la ville de Nice est au cœur du sujet, puisqu’elle accueillera quatre rencontres de l’Euro 2016, jusqu’aux huitièmes de finale.

Ce n’est pas dans l’enceinte du stade ni à ses abords que nous serons les plus exposés, mais dans la « fan zone », qui accueillera jusqu’à 450 000 personnes du 10 juin au 10 juillet prochain. C’est à cet endroit qu’il conviendra de déployer le plus d’effectifs, le plus de moyens en termes de sécurité et de surveillance, mais aussi de prendre le plus de mesures administratives et juridiques. L’amendement de Philippe Goujon me paraît donc particulièrement opportun.

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Thierry Braillard, secrétaire d’État. Je maintiens ma position. Tout en vous écoutant, monsieur Goujon, je lisais l’article L. 332-16 du code du sport. Les interdictions prévues par cet article concernent des manifestations où il faut, à un moment donné, montrer que l’on détient un ticket d’accès. Or, dans les « fan zones », il n’y aura pas de ticket d’entrée : les supporters auront la liberté d’aller et de venir. Il en sera de même dans tout endroit organisant une retransmission publique des événements : dans un bar, par exemple, on ne paiera pas de droit d’entrée et on n’aura pas de ticket d’accès pour voir un match qui se jouera à l’Allianz Riviera de Nice.

C’est là que votre amendement n2 pose problème, de même que l’amendement n1 que vous présenterez tout à l’heure. Les « fan zones » sont d’accès gratuit, sans ticket d’entrée.

M. Christian Estrosi. Ce mode d’organisation a été imposé par l’UEFA !

M. Thierry Braillard, secrétaire d’État. Autrement dit, on ne peut pas en interdire l’accès.

Voilà la position du Gouvernement. Cela étant, le Parlement fera ce qu’il voudra de cet amendement !

M. Éric Ciotti. Il l’adoptera !

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Mennucci.

M. Patrick Mennucci. Il est vrai que l’on peut s’interroger sur l’intérêt de cet amendement. À l’origine, j’avais la même position que le Gouvernement, mais en écoutant le débat, notamment l’explication de Christian Estrosi, j’ai compris que cette interdiction était déjà prévue à l’article L. 332-16 du code du sport, que vous évoquez, monsieur le secrétaire d’État.

Vous expliquez que l’amendement n2 serait difficilement applicable lorsqu’il n’est pas prévu de ticket d’entrée. Je comprends bien qu’on ne va pas faire payer les gens pour regarder une retransmission. Toutefois, on peut interdire à certaines personnes d’aller quelque part en France sans qu’il y ait de ticket d’entrée ! Il ne s’agit donc pas, à mon sens, d’un argument qui emporte la décision.

Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État, d’avoir indiqué que vous laissiez les députés se prononcer en sagesse. (Sourires.) Nous allons voter pour l’amendement n2, mais nous nous opposerons à l’amendement n1, monsieur Goujon !

Mme la présidente. Je résume : l’amendement n2 a reçu un avis favorable de la commission et un avis défavorable du Gouvernement.

M. Thierry Braillard, secrétaire d’État. Sagesse ! (« Ah ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Vitel. On avance !

(L’amendement n2 est adopté.)

(Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne, pour soutenir l’amendement n7.

M. André Chassaigne. À l’heure actuelle, une personne poursuivie au titre de l’article L. 332-11 du code du sport et relaxée par un tribunal peut, pour les mêmes faits, faire l’objet d’une interdiction administrative de stade décidée après le jugement du tribunal et en contradiction avec cette décision de justice. Mon amendement vise à revenir sur cette incohérence et à garantir le respect de la séparation des pouvoirs.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Guillaume Larrivé, rapporteur. La commission des lois est très défavorable à un amendement entaché d’un profond manque de logique juridique. Il est totalement exclu que l’administratif soit tenu par le judiciaire : il s’agit de deux autorités et de deux logiques tout à fait indépendantes.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Thierry Braillard, secrétaire d’État. Même avis. L’administratif ne peut pas être tenu par le judiciaire.

M. Patrick Mennucci. Ce serait n’importe quoi !

(L’amendement n7 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne, pour soutenir l’amendement n8.

M. André Chassaigne. À l’heure actuelle, les tribunaux administratifs refusent le plus souvent de statuer en référé sur les mesures d’interdiction administrative de stade en raison d’un défaut supposé d’urgence. De ce fait, lorsque les tribunaux administratifs se prononcent bien plus tard, au fond, sur la mesure d’interdiction contestée, celle-ci a bien souvent été déjà exécutée. Son annulation, très fréquente, est dès lors dépourvue d’effet autre que symbolique. Il convient de remédier à cette carence, afin que les tribunaux administratifs se prononcent en référé sur cette mesure administrative privative de liberté.

M. Patrick Mennucci. Ils n’ont que cela à faire !

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Guillaume Larrivé, rapporteur. Défavorable. Monsieur Chassaigne, vous êtes trop respectueux de l’indépendance des différentes autorités juridictionnelles pour envisager que le législateur tienne à ce point la main de ces dernières ! Laissez la justice administrative faire son office ! Il revient au juge administratif, en tant que juge des référés, d’apprécier, d’une part, s’il y a un doute sérieux sur la légalité de la mesure, et d’autre part, si la condition d’urgence est remplie. Il le fait en toute indépendance, puisqu’il est un vrai juge.

Cela me donne d’ailleurs l’occasion de rappeler à l’ensemble de la représentation nationale que le juge administratif est un vrai juge : il a l’office entier d’un juge.

M. Patrick Mennucci. Merci pour votre cours, monsieur le rapporteur ! C’est au programme de la première année de droit…

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Thierry Braillard, secrétaire d’État. Monsieur Chassaigne, c’est le code de justice administrative qui confie au juge des référés le soin d’apprécier l’urgence de la demande qui lui est soumise, au vu des justifications apportées par le requérant. Le législateur n’a pas à se substituer au juge pour décider d’une présomption irréfragable d’urgence. Avis défavorable.

(L’amendement n8 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Goujon, pour soutenir l’amendement n1.

M. Philippe Goujon. Il s’agit du deuxième amendement qu’évoquait mon collègue Mennucci – je le remercie d’ailleurs d’avoir soutenu mon amendement n2, comme l’avaient fait nos collègues Ciotti et Estrosi en commission.

L’amendement n1 vise à étendre la portée de l’arrêté pris par le ministre de l’intérieur sur le fondement de l’article L. 332-16-1 du code du sport interdisant le déplacement de supporters risquant de causer des troubles graves à l’ordre public. Actuellement, le périmètre visé est celui du lieu de la manifestation sportive ou de ses abords ; je propose d’ajouter le lieu de la retransmission en public de cette manifestation.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Guillaume Larrivé, rapporteur. S’il était adopté, cet amendement serait sans doute plus difficile à appliquer que l’amendement précédent de Philippe Goujon, que nous avons adopté.

M. Régis Juanico. Il serait totalement inapplicable !

M. Guillaume Larrivé, rapporteur. Sur le plan opérationnel, le maintien de l’ordre dans les « fan zones » est une mission très délicate, qu’il revient aux autorités préfectorales d’assumer. Je suis conscient de ces limites opérationnelles ; toutefois, la commission des lois a donné un avis favorable à cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Thierry Braillard, secrétaire d’État. Excusez-moi, monsieur Goujon : cette fois, je serai moins sage ! (Sourires.) Je donne à votre amendement un avis défavorable, compte tenu des explications que je vous ai fournies tout à l’heure. Lorsqu’un arrêté interdit des déplacements, le périmètre est déjà fixé. Si l’on y ajoute les lieux où la manifestation est retransmise en public, alors tous les endroits où un téléviseur retransmet le match pourraient être compris dans le périmètre ! C’est infaisable. Je vous demande donc de retirer votre amendement ; à défaut, je lui donnerai un avis défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Mennucci.

M. Patrick Mennucci. La notion de retransmission est extrêmement complexe. Qui organise la retransmission d’une manifestation sportive ? Dans ma circonscription, à Marseille, sur la Canebière, lorsqu’il y a des matchs, les bars sortent des téléviseurs, des écrans… Je suppose qu’il en est de même dans un certain nombre de nos villes. On voit donc l’immense complexité du contrôle d’une telle mesure d’interdiction !

Qui assure la retransmission d’un événement ? L’interdiction doit-elle être limitée aux endroits où c’est le maire qui assure la retransmission ? S’il s’agit d’un club de supporters, d’un restaurant, d’un bar ou d’une association d’amis, que fait-on ? D’ailleurs, comment sait-on qu’une retransmission est organisée ? Elle n’a pas à faire l’objet d’une déclaration préalable !

Il me semble donc, monsieur Goujon, que le retrait de votre amendement serait la meilleure des solutions.

Mme la présidente. Maintenez-vous votre amendement, monsieur Goujon ?

M. Philippe Goujon. Oui, madame la présidente.

(L’amendement n1 n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne, pour soutenir l’amendement n9 rectifié.

M. André Chassaigne. Il est défendu.

(L’amendement n9 rectifié, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne, pour soutenir l’amendement n10.

M. André Chassaigne. Défendu.

(L’amendement n10, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne, pour soutenir l’amendement n11.

M. André Chassaigne. Défendu également.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Guillaume Larrivé, rapporteur. Défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Thierry Braillard, secrétaire d’État. Monsieur Chassaigne, je ne veux pas laisser rejeter tous vos amendements ! Je vous demanderai de retirer votre amendement n11, puisqu’il est satisfait.

Vous demandez qu’un chargé des relations avec les supporters soit désigné dans les clubs de football professionnel. Or, compte tenu des dispositions que nous venons d’adopter, votre demande est satisfaite. C’est pourquoi je vous invite à retirer votre amendement, ce qui lui évitera un rejet.

Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Je retire mon amendement, madame la présidente.

(L’amendement n11 est retiré.)

Titre

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement n26, tendant à modifier le titre de la proposition de loi.

M. Guillaume Larrivé, rapporteur. Il est proposé que ce texte s’intitule désormais « proposition de loi renforçant le dialogue avec les supporters et la lutte contre le hooliganisme ». Tel est bien son objet au terme de ce travail de co-construction, que nous avons conduit avec les différents groupes de l’Assemblée nationale, avec M. le secrétaire d’État chargé des sports et avec les différents acteurs du football professionnel et d’autres sports. C’est bien une proposition de loi pro-supporters et anti-hooligans que nous élaborons.

(L’amendement n26, accepté par le Gouvernement, est adopté, et le titre de la proposition de loi est ainsi modifié.)

Mme la présidente. Nous avons achevé l’examen des articles.

Vote sur l’ensemble

Mme la présidente. Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi.

(La proposition de loi est adoptée.)

Mme la présidente. Avant de suspendre la séance, je sors quelques secondes de ma fonction de présidente pour dire à quel point la banderole des ultras de Marseille, déployée dans la ville au lendemain des attentats du 13 novembre, a touché tous les Parisiens et tous les supporters d’autres clubs que l’Olympique de Marseille. (Applaudissements.) Le rôle des supporters peut être important.

M. Guy Geoffroy. C’est bien de l’avoir dit !

Suspension et reprise de la séance

Mme la présidente. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures quinze, est reprise à dix-neuf heures vingt-cinq.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

3

Développement régional de l’apprentissage

Discussion d’une proposition de loi

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Christian Estrosi et plusieurs de ses collègues, favorisant le développement régional de l’apprentissage (nos 3077, 3447).

Présentation

Mme la présidente. La parole est à M. Christian Estrosi, rapporteur de la commission des affaires sociales.

M. Christian Estrosi, rapporteur de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la ministre du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle, mes chers collègues, pour ma part, j’ai toujours considéré que l’apprentissage était une filière d’excellence. Pourtant, aussi bien la droite que la gauche l’ont toujours dévalorisé par rapport à d’autres filières d’enseignement. Lorsque, avec plus de quatre-vingts collègues parlementaires j’ai déposé cette proposition de loi, j’ai été motivé par la chute du nombre d’apprentis que connaît notre pays : leur nombre est passé de 520 000 en 2012 à 460 000 en 2015.

Quel triste bilan que celui de la majorité sur fond de contrats aidés, de suppression des aides à l’apprentissage et de réforme Peillon ! Et ce n’est pas faute pour notre groupe de vous avoir alertés sur cette question à plusieurs reprises, sans possibilité de dialogue constructif. En 2014 encore, rappelons-le, vous déposiez une motion de rejet préalable sur la proposition de loi défendue par notre collègue Gérard Cherpion.

M. Arnaud Richard. Excellent collègue !

M. Christian Estrosi, rapporteur. Mais depuis le dépôt de la présente proposition de loi en septembre dernier et l’entrée en vigueur de la loi NOTRe, intervenue en 2015, il me semblait que la situation était en train d’évoluer, notamment après les déclarations du Président de la République le 31 décembre dernier, puis à de nombreuses reprises ces dernières semaines. Il semblait soudain découvrir que l’apprentissage pouvait être une filière d’exception, d’excellence pour lutter contre le chômage dans notre pays et offrir de véritables débouchés à notre jeunesse.

Aussi, me suis-je dit que l’apprentissage était enfin devenu une priorité pour notre pays. Nous avons au demeurant participé, avec vous, madame la ministre, à un séminaire autour du Premier ministre et du Président de la République mardi dernier lors d’une rencontre avec les présidents de région, au cours de laquelle l’apprentissage a été au cœur du débat. L’apprentissage semblait bel et bien être devenu une nouvelle priorité de la majorité actuelle. Les propos du Premier ministre n’ont d’ailleurs fait que me conforter dans cette idée lorsqu’il a indiqué qu’après avoir organisé une telle réunion avec les présidents de région, il n’était pas question d’opposer une fin de non-recevoir à leurs propositions. Cette réunion devait servir à faire avancer les choses, a-t-il dit.

Comment n’aurais-je pas été satisfait de ce revirement de l’exécutif sur cette filière de l’apprentissage, de nouveau considérée comme d’excellence ? Nous ne sommes pas là pour engager une bataille de chiffres. Ces chiffres sont là et ils sont rudes pour l’exécutif – lequel en a pris conscience. Tournons-nous ensemble vers l’avenir plutôt que de ressasser le passé. Je ne retiendrai qu’un seul chiffre : l’objectif fixé par le Président de la République d’atteindre 500 000 apprentis en 2017.

La proposition de loi que je défends va dans ce sens : elle aurait pu être une main tendue au Gouvernement pour l’aider à réussir si je n’avais découvert cet après-midi que la majorité avait déposé une motion de rejet préalable alors que nous avions l’occasion de nous rassembler en faveur d’une politique ambitieuse en faveur de cette filière – dont j’avais le sentiment depuis quelque temps qu’elle pouvait être partagée.

L’heure pourrait être cruciale et la proposition de loi que je vous présente aujourd’hui devrait, en toute logique, conduire à un consensus entre majorité et opposition sur ce sujet.

Mme Isabelle Le Callennec. En toute logique…

M. Christian Estrosi, rapporteur. D’aucuns diront qu’à partir de 2014, le Gouvernement a essayé de redonner un souffle à l’apprentissage, mais les mesures prises restent largement insuffisantes pour contrecarrer la crise qui affecte ce domaine.

D’autres avanceront, à raison, qu’on ne saurait se satisfaire de l’état actuel du droit : le changement des mentalités que cela suppose est tellement considérable, qu’un texte comme celui-ci ne me paraît pas superflu.

Comme vous l’aurez remarqué, ces propositions reposent sur l’échelon régional. C’est tout d’abord l’échelon compétent depuis longtemps pour mettre en œuvre les actions de formation professionnelle continue et d’apprentissage. Mais c’est aussi l’échelon le mieux à même pour développer cette filière, que cela soit en termes d’offre de formation ou de rencontre entre tous les acteurs concernés.

Soyons réalistes : l’apprentissage ne pourra croître que si nos régions marchent main dans la main avec l’État. Sur ce point, la majorité doit être en cohérence avec elle-même : vous avez souhaité, avec la loi NOTRe, confier aux régions la compétence en matière d’emploi. Donner la main unique à la région sur toute la coordination de l’emploi est pour moi la solution la plus efficace pour gagner, comme nous le souhaitons tous, cette bataille contre le chômage. C’est en donnant à la région toutes les cartes de l’apprentissage que nous pourrons changer les choses.

Avant de vous présenter les articles de la proposition de loi, qu’il me soit permis de dire à cette tribune que je regrette très sincèrement le comportement politicien qu’ont eu en commission certains députés de la majorité qui, au lieu d’enrichir ce texte, se sont contentés de déposer des amendements de suppression pour chaque article. Comment comprendre ce comportement idéologique qui leur fait refuser cette occasion de trouver ensemble les moyens d’avancer sur cette question ?

M. Arnaud Richard. Très bien !

M. Christian Estrosi, rapporteur. Nous proposons tout d’abord, dans l’article 1er, que la région pilote l’ensemble de la formation professionnelle initiale et devienne l’interlocuteur unique de l’apprentissage. Le but est que les plans de formation ne soient plus définis par les administrations, mais par la région, en lien avec les autres collectivités et avec le monde du travail. Dans la région dont je suis élu, 25 000 offres d’emploi ne sont pas pourvues, pour la simple raison que les plans de formation précédents ont été élaborés par la seule administration régionale, sans jamais parler au monde de l’entreprise (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen) et qu’il y a donc trois ans de décalage entre la réalité des besoins des entreprises et les formations dispensées. Ces 25 000 emplois auraient pu être pourvus si les plans de formation étaient en cohérence avec les besoins du monde de l’entreprise.

La région est déjà chargée d’élaborer le contrat de plan régional de développement des formations et de l’orientation professionnelle. Avec cet article, nous proposons d’aller au bout de la logique de décentralisation de l’apprentissage prévue par la loi du 5 mars 2014, en unifiant au niveau de la région l’ensemble des offres de formation professionnelle. Notre objectif est simple : mieux adapter l’offre de formation aux besoins économiques locaux en optimisant l’organisation et la carte de ces formations. S’il n’avait pas été déposé une motion de rejet qui semble devoir être adoptée – mais on peut encore espérer un recul –, j’aurais redéposé des amendements à cet article dans le but de permettre à la région d’arrêter la carte régionale des formations professionnelles initiales sans que l’accord du recteur soit nécessaire et d’inciter à la fusion des lieux de formation.

Avec l’article 2, nous souhaitons par ailleurs la création d’une banque régionale d’apprentissage, sorte de guichet où se rencontreraient les entreprises et les organismes de formation pour mettre en adéquation l’offre de formation et les besoins des entreprises. Vous me direz certes que je peux en prendre moi-même l’initiative, mais je souhaiterais que cette création soit rendue obligatoire et j’ai du reste déposé un amendement en ce sens. Le législateur aurait donc pu adopter cette mesure mais, l’article 40 ayant été invoqué pour déclarer cet amendement irrecevable, seul le Gouvernement peut désormais en prendre l’initiative.

Pour aider les régions à promouvoir cette voie d’excellence, nous devons mieux encadrer et revaloriser cette filière. Avec l’article 3, nous proposons que l’apprentissage soit possible dès quatorze ans, en alternance avec l’école, à raison de trois jours en entreprise et deux jours dans l’éducation nationale. C’est pour moi une disposition essentielle et c’est par conviction que j’en fais l’article central de cette proposition de loi.

Je suis en totale harmonie avec le dispositif qu’avait lancé Gérard Cherpion en 2011 et que Vincent Peillon a sacrifié sur l’autel de l’idéologie, en 2013, avec la loi pour la refondation de l’école – Ségolène Royal elle-même avait qualifié à l’époque votre abrogation de l’apprentissage à quatorze ans d’« idéologie dépassée, vu la gravité de l’échec scolaire ». Je vous rappelle en effet que c’est entre treize et quinze ans que nous observons des milliers de déscolarisations et d’échecs scolaires. Alors que tant de familles sont en désespérance et que la société se désagrège dans certains territoires, nous savons que cette filière peut sauver des milliers de jeunes en les aiguillant le plus tôt possible.

Cette mesure n’est pas incompatible avec l’obligation d’éducation et d’instruction des jeunes jusqu’à seize ans, principe républicain auquel je suis très attaché. C’est la raison pour laquelle je souhaite que l’adolescent conserve son statut scolaire, même s’il bénéficie de l’apprentissage.

Enfin, cet article permettrait aux apprentis de bénéficier des mêmes conditions de travail que les autres salariés, dans un objectif gagnant-gagnant. Il est incompréhensible – et les chefs d’entreprise, qui devraient faire appel à des apprentis mais ne le font pas toujours, ne le comprennent pas – qu’un apprenti charpentier ne puisse pas monter sur une échelle ou qu’un apprenti boulanger ne puisse pas mettre la pâte dans le four à pain. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Voici, mes chers collègues, les motivations qui nous ont conduits à vous présenter cette proposition de loi, qui vise tout simplement à libérer les freins qui empêchent certains jeunes d’entrer sur le marché du travail dans un contexte économique dégradé. J’espère donc que la majorité saura entendre notre appel pour nous aider à développer cet outil très efficace d’insertion professionnelle.

On dit souvent que la parole donnée doit se transformer en parole tenue. Madame la ministre, nous étions ensemble mardi : il ne saurait y avoir, le mardi, l’ouverture du dialogue et de la concertation, la demande de propositions et d’avancées et, le jeudi, un repli et un dogmatisme qui viendraient clore ce chapitre et prévaloir sur cette tentative d’ouverture.

Si vous rejetez ce texte, vous devrez expliquer dans quelques années aux jeunes de notre pays pourquoi vous avez refusé une fois de plus, par dogmatisme, de donner la possibilité à certains de réussir dans cette filière d’excellence. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. Christophe Sirugue. Rendez-nous Cherpion ! (Sourires.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Madame la présidente, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je tiens tout d’abord à vous remercier toutes et tous pour votre intérêt et votre mobilisation en faveur de l’apprentissage, voie de formation très noble que l’on connaît finalement assez mal et qui est souvent, à tort, stigmatisée. Souvent, en effet, on pense que l’apprentissage est une voie de repli, réservée aux publics en difficulté ou en situation d’échec. Nous avons sans doute à mener ensemble une révolution culturelle pour faire tomber les clichés et rendre à l’apprentissage – et, plus généralement, à la voie professionnelle – ses lettres de noblesse.

Nous devons mieux faire connaître ce qu’est l’apprentissage auprès de la communauté éducative, des parents, des enseignants et des éducateurs, et je sais que Najat Vallaud-Belkacem s’y emploie chaque jour aux côtés des personnels du ministère de l’éducation nationale, qui jouent naturellement un rôle essentiel en la matière – j’y reviendrai.

Dans le contexte que nous connaissons, il n’y a pas de place pour les postures, les caricatures ni les polémiques. Le débat que nous ouvrons ce soir est important et mérite l’attention de tous, car il concerne l’avenir de notre jeunesse. Pour cela, nous devons nous écouter et étudier toutes les propositions qui viennent du terrain – des parlementaires, des partenaires sociaux, des acteurs de la formation, des associations, des entreprises et des collectivités, en particulier des régions, qui ont une responsabilité majeure en matière de formation.

C’est dans cet état d’esprit que je m’exprime devant vous ce soir. J’ai été attentive aux propositions que vous avez formulées, monsieur le rapporteur, dans le cadre de votre proposition de loi.

Je ne veux ni ne peux nier que certains jeunes se trouvent en échec scolaire à quatorze ans. C’est du reste tout l’objet de la politique de lutte contre le décrochage scolaire que mène avec conviction ma collègue Najat Vallaud-Belkacem et nous obtenons d’ailleurs des résultats encourageants, car le nombre de jeunes sortis du système scolaire sans qualification a chuté de 20 % en très peu de temps.

Nous avons cependant, monsieur le rapporteur, un désaccord majeur. La proposition de loi que vous présentez ce soir veut ouvrir l’apprentissage dès quatorze ans en alternance. Bien sûr, je comprends votre objectif, qui est de faciliter l’insertion professionnelle des jeunes en situation d’échec en leur apprenant un métier, en les insérant progressivement dans l’entreprise. Mais votre proposition de loi va bien plus loin : vous proposez que les jeunes apprentis puissent désormais être considérés dès l’âge de quatorze ans comme des salariés à part entière – vous venez pourtant de les désigner comme des jeunes sous statut scolaire – et que le chef d’entreprise puisse confier aux apprentis des missions identiques à celles des autres salariés, sans préciser d’ailleurs si l’apprenti pourra bénéficier d’une rémunération.

La majorité à laquelle vous apparteniez avait pourtant mis en place l’apprentissage junior, que vous n’avez visiblement pas jugé très concluant à l’époque, puisque vous l’avez suspendu dès la rentrée 2007, un an à peine après l’avoir mis en place en 2006. Moins de 1 000 jeunes seulement en ont bénéficié. Je m’étonne donc que vous souhaitiez le remettre en place.

Sur le fond, votre proposition suppose que les jeunes aient choisi en conscience, dès quatorze ans, le métier qu’ils entendent exercer, mais aussi qu’ils aient la maturité suffisante pour se projeter et s’engager dans la démarche de l’apprentissage, où ils doivent acquérir les codes de l’entreprise. Vous savez très bien que tous les jeunes ne peuvent satisfaire à cette exigence et que tous les employeurs n’acceptent d’ailleurs pas de recruter si tôt des jeunes si inexpérimentés, parfois même si vulnérables. C’est du reste parce que nous avons constaté une baisse du nombre des contrats d’apprentissage conclus avec des mineurs que nous avons créé l’aide « TPE jeune apprenti ».

En outre, je vous l’ai dit, cette proposition soulève aussi une question de droit. En effet, l’âge d’entrée dans la vie active étant légalement fixé à seize ans, l’ouverture de l’apprentissage dès quatorze ans en alternance n’est tout simplement pas conforme à la directive européenne de 1994 relative à la protection des jeunes au travail. La seule dérogation possible concerne les jeunes âgés d’au moins quinze ans au cours de l’année civile, qui peuvent souscrire un contrat d’apprentissage s’ils justifient avoir accompli la scolarité du premier cycle de l’enseignement secondaire. C’est d’ailleurs afin de respecter la législation européenne que l’ancien ministre de l’éducation nationale, Vincent Peillon, dans le cadre de la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’École de la République du 8 juillet 2013, est revenu sur les dispositions antérieures.

Plus généralement, toutefois, je ne veux pas renoncer à ce que les jeunes acquièrent un socle minimum de compétences qui leur permettra d’évoluer professionnellement tout au long de leur vie. Vous le dites d’ailleurs vous-même : « l’apprentissage ne doit plus être le filet de repêchage pour les décrocheurs, mais une voie d’excellence pour l’ensemble des élèves qui veulent apprendre un métier ». Je partage cette ambition. Oui, l’apprentissage est une voie d’excellence. Oui, l’apprentissage est utile pour une partie de notre jeunesse, pour nos entreprises et pour notre économie. Oui, l’apprentissage doit être favorisé, mais pas à n’importe quel prix.

Nous devons ensemble promouvoir plus encore l’apprentissage. C’est notre responsabilité partagée. Il faut dire et expliquer aux acteurs ce qu’est l’apprentissage. Pour cela, nous devons engager une mobilisation nationale en faveur de l’apprentissage et mieux accompagner les entreprises dans cette voie. Nous devons les y encourager.

J’en viens à présent aux autres mesures de cette proposition de loi, qui prévoit notamment la fusion des centres de formation d’apprentis – les CFA – et des lycées professionnels. Vous avez raison : il y a bien deux voies de formation professionnelle initiale, qui sont tout à fait complémentaires et répondent à des besoins différents. Cette alternative se justifie et il ne me paraît pas pertinent de la remettre en cause.

Avec l’apprentissage, un jeune choisit un métier, à l’exercice duquel le contenu de la formation est spécifiquement adapté. Il y a là une exigence forte, car le jeune est à la fois en formation et déjà salarié, avec une place au sein d’un collectif de travail. Cette voie comporte des avantages : le jeune formé par l’entreprise connaît mieux les codes et les valeurs de l’entreprise et se constitue un réseau, gage de son insertion professionnelle. Elle suppose cependant qu’il ait défini très précisément sa voie professionnelle et qu’une entreprise accepte de signer un contrat d’apprentissage.

Avec l’enseignement professionnel, le chemin est différent : le jeune peut certes aussi choisir directement un métier mais, généralement, il choisit plutôt un secteur professionnel dans lequel il acquerra une formation qui lui permettra par la suite de choisir entre différents métiers.

La fusion des CFA et des lycées professionnels n’est donc pas souhaitable. Vous avez cependant raison sur un point : nous devons mieux veiller à la complémentarité des sessions de formation dispensées en lycée professionnel ou en CFA et il est de notre responsabilité d’offrir les formations les plus efficaces, répondant aux besoins des entreprises. À ce titre, les régions ont un rôle important à jouer, en ce qu’elles arrêtent la carte des formations.

Par ailleurs, monsieur le rapporteur, je souscris à certaines des autres propositions que vous détaillez dans l’exposé des motifs de votre proposition de loi. La plupart d’entre elles ont été mises en œuvre dans le cadre du plan de relance que le Président de la République a décidé en septembre 2014 et qui a été soutenu collectivement par les acteurs. Ce plan avait plusieurs objectifs.

Le premier est de mettre en place une offre de services numériques complète pour permettre aux employeurs et aux apprentis de consulter les offres de contrats d’apprentissage disponibles dans chaque territoire.

Je sais que la région PACA a déjà travaillé sur l’intermédiation de l’offre et la demande. L’offre de services numériques que nous proposons est complémentaire des initiatives locales et peut très utilement couvrir les territoires qui ne se sont pas engagés pour le faire.

En outre, l’offre de services que je propose est plus complète que cette bourse à l’apprentissage qui, depuis le mois d’octobre, recense les offres d’emploi des entreprises ainsi que les offres de formation.

L’employeur peut désormais simuler sur le portail de l’alternance les aides qui lui sont associées et calculer la rémunération qu’il devra verser aux jeunes. Il peut aussi demander en ligne le bénéfice de l’aide « TPE jeunes apprentis ». En outre, pour aller plus loin, j’ai souhaité que d’ici à quelques mois, il soit possible d’enregistrer en ligne les contrats d’apprentissage. Enfin, au printemps prochain, un outil d’aide à la décision pour prospecter les entreprises qui pourraient recruter des apprentis sera proposé, en particulier aux régions.

Le deuxième objectif a été de lancer au niveau national une démarche d’engagement de services des CFA afin d’accompagner le développement de services d’appui et de conseil aux employeurs et aux apprentis au sein des CFA. Il s’agit très concrètement de proposer des outils aux CFA afin de les engager dans des démarches de qualité qui pourraient être reconnues par les régions dans le cadre des conventions de gestion. Les travaux sont en cours au sein du CNEFOP – Conseil national de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelles – et devraient aboutir dans les prochaines semaines.

Le troisième objectif est de mettre en place un statut de l’apprenti, c’est-à-dire d’établir un socle complet de droits et de prestations. D’ores et déjà, le décret permettant la prise en compte des périodes d’apprentissage pour le calcul des droits à la retraite a été publié. Les partenaires sociaux, sous l’égide du CNEFOP, ont commencé les concertations sur ce sujet en juillet dernier.

Autre objectif : adapter le cadre de recrutement des apprentis. Ainsi, la réglementation relative à l’emploi des apprentis mineurs a été fortement revue par le décret publié en avril dernier, sans réduire pour autant le niveau de protection des jeunes qui devront être préalablement formés avant d’être affectés à des travaux réglementés.

Il fallait adapter les conditions d’emploi des apprentis, ce que nous avons fait. Contrairement à ce que j’entends encore dire, les jeunes peuvent aujourd’hui monter sur un escabeau pour changer une ampoule ; l’apprenti boucher peut se servir d’un couteau pour apprendre à découper la viande ; même l’apprenti boulanger peut apprendre à pétrir sa pâte à partir de quatre heures du matin.

M. Christophe Sirugue. Exactement !

Mme Myriam El Khomri, ministre. Sur ce dernier point, la procédure d’autorisation qui permet aux entreprises de faire travailler un jeune plus tôt pourra être assouplie afin de passer à une procédure de déclaration.

Ces adaptations, essentielles, ont été faites sans remettre en cause le niveau d’exigence de protection des jeunes. Aussi, n’hésitez pas à dire que ce point est réglé : c’est essentiel non seulement pour la sérénité du débat public, mais surtout pour que ces jeunes puissent trouver une entreprise !

Enfin, dernier objectif : il s’agit de mobiliser les acteurs de l’orientation scolaire pour que l’apprentissage devienne une voie de transmission des connaissances à égale dignité avec les autres. La ministre de l’éducation nationale a décidé de plusieurs actions de formation, de sensibilisation, de modification des parcours des élèves, qui installent une nouvelle approche de l’apprentissage dans les pratiques des professionnels de l’enseignement et de l’orientation scolaire.

Toutes les évolutions que nous avons engagées ont d’ores et déjà permis d’obtenir des résultats encourageants. Sur les sept premiers mois de la campagne d’apprentissage que nous avons engagée, ce sont près de 249 600 contrats publics et privés qui ont été enregistrés, soit une hausse de 4,2 % par rapport à la même période en 2014.

Nous avons évidemment des marges de progression, notamment s’agissant de la lisibilité des aides aux entreprises ; le Gouvernement reste attentif à toutes les propositions émanant de cette assemblée.

Parce que nous devons innover et répondre aux problématiques qui se posent, et pour diversifier l’offre de formation, tant en faveur des employeurs que des jeunes apprentis, j’ai décidé d’ouvrir les titres professionnels de mon ministère à la voie de l’apprentissage. Cela permettra également des entrées en apprentissage tout au long de l’année et de sortir ainsi de la saisonnalité imposée par le calendrier scolaire. Nous le faisons là où existent des besoins, particulièrement dans quatre branches professionnelles.

Voilà cinq mois que je suis en responsabilité au ministère du travail, et je sais à quel point de nombreux blocages persistent et nous empêchent d’avancer et d’agir efficacement sur le terrain de la formation et de l’apprentissage.

Il y a sans doute eu des erreurs, je le reconnais volontiers, notamment s’agissant des aides financières aux entreprises. Des décisions successives ont déstabilisé les employeurs qui n’avaient plus confiance dans le soutien que le Gouvernement apportait à l’apprentissage, mais nous avons su très vite recréer les conditions de cette confiance.

Reconnaissez également que nous avons su identifier un à un les freins au développement de l’apprentissage et que nous avons apporté des solutions concrètes, rapides, qui stabilisent les règles du jeu. Nous sommes même allés plus loin en revalorisant le statut de l’apprenti ; c’était un engagement du Président de la République.

L’accès des apprentis à la prime d’activité est l’une de ces premières avancées. Entrée en vigueur le 1er janvier 2016, cette mesure soutient le pouvoir d’achat des apprentis. Cette aide bénéficiera à plus d’un million de jeunes, dont les apprentis, ce qui est totalement nouveau. Il s’agit là d’une avancée sociale majeure, qui permettra de les accompagner dans leur autonomie. Certains d’entre eux pourront toucher près de 250 euros par mois.

Parce que l’accès à l’apprentissage est inégalitaire et qu’il m’apparaît inadmissible que les jeunes des quartiers prioritaires n’accèdent pas à l’apprentissage – moins de 5 % des jeunes sont concernés –, j’ai lancé en novembre dernier une expérimentation « parcours apprentissage ». L’objectif est d’identifier des jeunes qui souhaiteraient s’engager dans cette voie et de leur proposer un accompagnement personnalisé : je souhaite que 10 000 jeunes puissent bénéficier de ce parcours.

Parce que nous croyons dans les politiques volontaristes que nous menons, nous nous sommes engagés en tant qu’employeurs à recruter des apprentis. L’objectif de recruter 4 000 apprentis a été atteint dès la rentrée 2015 : nous comptons, au moment où je vous parle, plus de 4 500 apprentis au sein des services de l’État.

Alors, bien sûr, je ne suis pas en train de vous dire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Nous avons encore du chemin à parcourir, mais nous devons le tracer ensemble.

Vous le savez, nous étions réunis mardi dernier autour du Président de la République, du Premier ministre et des membres du Gouvernement, avec les présidents de région pour engager ensemble une nouvelle dynamique collective, pour élaborer ensemble une stratégie gagnante en faveur de l’emploi et de la formation, au plus près des territoires.

Nous avons en effet la conviction que c’est au plus près des territoires, et même bassin d’emploi par bassin d’emploi, que nous créerons et réunirons les conditions optimales pour faire reculer le chômage.

Pour cela, pour être en phase avec les besoins locaux, nous avons besoin de l’ensemble des acteurs. Le Premier ministre l’a d’ailleurs évoqué en début de semaine avec les présidents de vos régions : il faut que les acteurs locaux, qui connaissent mieux que personne l’écosystème local, les entreprises, les PME, les TPE, les start-up, assument pleinement leurs responsabilités.

Vous l’avez rappelé, la loi NOTRe a confié de nouvelles compétences aux régions dans le champ de la formation et de l’apprentissage : les dispositions doivent en être pleinement appliquées.

Chacun doit prendre sa part. Les régions doivent mieux accompagner les jeunes vers leur autonomie, leur permettre d’être mobiles et de trouver un hébergement, l’apprentissage nécessitant parfois plusieurs lieux de vie.

Là aussi, l’État a pris ses responsabilités. À travers le PIA – programme d’investissements d’avenir –, nous avons investi pour construire des logements et rénover des places de formation : 119 projets ont été soutenus à hauteur de 450 millions d’euros, 100 000 places de formation ont été rénovées et 7 000 construites.

Le débat que nous ouvrons ce soir au travers de cette proposition de loi mérite notre attention à tous, au-delà des clivages politiques traditionnels. Nous n’avons en effet pas d’autre choix ; tel est du reste le sens du nouveau partenariat conclu entre le Premier ministre et le président de l’Association des régions de France.

Nous aurons un nouveau rendez-vous important dans quelques jours avec les présidents de région. Comme je m’y suis engagée mardi dernier devant eux, j’examinerai toutes les propositions qui me seront faites et donnerai suite à toutes celles qui me paraîtront innovantes et qui ont le souci de l’efficacité, même si cela doit passer par des mesures réglementaires ou législatives.

Les apprentis comme les employeurs ont besoin de cette mobilisation exemplaire. Nous le leur devons ; nous le devons à nos jeunes ; nous le devons aussi aux entreprises qui peinent à recruter dans certains secteurs. Nous devons continuer à travailler collectivement afin que nos jeunes soient mieux formés pour obtenir un emploi. Il s’agit bien là, je le crois, d’un objectif qui nous rassemble toutes et tous ici sur les bancs de cet hémicycle. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste.)

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Isabelle Le Callennec.

Mme Isabelle Le Callennec. Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, chers collègues, nous avons examiné cette proposition de loi sur l’apprentissage la semaine dernière en commission des affaires sociales. Présentée par notre collègue Christian Estrosi, désormais président de la région PACA, elle vise à favoriser le développement régional de l’apprentissage.

L’apprentissage a été particulièrement malmené au début du quinquennat de François Hollande, ce que vous venez de reconnaître, madame la ministre : suppression des primes, division du crédit d’impôt par deux, réforme du circuit de la taxe. Le résultat fut sans appel dans toutes les régions : les entrées en apprentissage ont reculé de près de 11 % ces deux dernières années. Tant mieux si elles remontent, mais quel temps perdu !

Notre groupe Les Républicains n’a eu de cesse de dénoncer votre choix du « tout-emploi aidé » au détriment de l’apprentissage. Le Président de la République a fini par annoncer plusieurs plans de relance, la création de nouvelles primes – plus restrictives –, l’aide « TPE Jeunes apprentis » ou les mesures d’assouplissement du plan pour l’emploi. Malheureusement, entre-temps, les liquidations judiciaires se sont multipliées sur le territoire, notamment chez les artisans, principaux employeurs d’apprentis.

La mauvaise conjoncture est donc la première raison pour laquelle, d’après une enquête IPSOS d’il y a seulement quelques mois, sept entreprises sur dix n’envisagent plus d’embaucher d’apprentis. C’est dans l’agriculture – et pour cause ! –, dans le commerce et dans les très petites entreprises que les intentions d’embauche sont les plus faibles. Et pourtant, les formations en apprentissage, dont le taux d’insertion est en moyenne de 70 %, sont un très bon moyen de faciliter l’insertion professionnelle des jeunes, de tester leur motivation et de les former aux besoins des entreprises.

Par ailleurs, les entreprises nous signalent de nombreux freins : la réglementation, inadaptée ; les contraintes administratives, trop lourdes ; les aides, en dents de scie ; l’organisation du calendrier des formations, parfois inadéquate avec le rythme de l’entreprise. Je vous donne acte d’avoir pris des décrets pour tenter d’améliorer la situation, mais tout n’est pas réglé, madame la ministre.

Pour atteindre l’objectif de 500 000 jeunes en apprentissage en 2017, il va donc falloir que le Gouvernement accepte de lever tous ces obstacles. Parce que les conditions du succès reposent en grande partie sur les épaules des régions, qui ont la compétence formation professionnelle et apprentissage, votre majorité serait bien inspirée d’accepter de discuter les propositions contenues dans ce texte. Or il n’y a pas de discussion puisque le groupe socialiste présentera une motion de rejet.

Je pense à l’idée de faciliter le lien entre apprenti et entreprise afin de susciter une véritable mobilisation à l’échelle des territoires. Les régions assurent le service public de l’orientation et ont un rôle majeur à jouer en matière d’orientation, de formation et d’insertion durable.

Je pense au transfert de la compétence des lycées professionnels à la région, dont vous venez de nous parler – vous n’y êtes pas favorable, madame la ministre. Pour nous, cela permettrait d’aller au bout de la logique de décentralisation de l’apprentissage, renforcée par la loi du 5 mars 2014. Cela favoriserait la synergie plutôt que les doublons ou la concurrence stérile entre CFA et lycées professionnels, sans compter la question du statut des enseignants qui interviennent en CFA et en lycées professionnels. Sur ce point également, il faudra faire des propositions, madame la ministre.

S’agissant de la possibilité de conclure un contrat d’apprentissage dès 14 ans, même sous statut scolaire, j’avoue ne pas y être personnellement favorable. Je crains en effet un manque de maturité des jeunes de cet âge et donc une difficulté pour les maîtres d’apprentis.

Mme Marie-Françoise Clergeau. Très bien ! Voilà qui est raisonnable !

Mme Isabelle Le Callennec. En revanche, je continue à penser que le collège unique est en partie responsable de l’échec scolaire et qu’encore trop de jeunes sont orientés vers la voie professionnelle par défaut. C’est pourquoi toute initiative locale qui valorise les métiers et les fait découvrir aux jeunes doit être encouragée. Je pense en particulier à l’association L’Outil en Main, animée par d’anciens hommes ou femmes de métier qui transmettent leur savoir-faire à des jeunes de neuf à quatorze ans.

Mais je pense aussi à l’éducation nationale, à condition que la découverte des métiers reste une priorité. Quand je constate que la réforme du collège de la ministre de l’éducation a supprimé les DP3 et les DP6 – les heures de découvertes professionnelles – pour les remplacer par une option facultative, il est permis d’en douter.

Enfin, il me semble que les territoires doivent se pencher sur les raisons des ruptures des contrats d’apprentissage, car cela existe. Une meilleure préparation des jeunes et un accompagnement tout au long de leur formation renforceraient leurs chances de réussite. La résolution des problèmes de mobilité et de logement serait aussi de nature à lever les derniers obstacles à l’accès à l’apprentissage.

Ce mardi, le Président de la République et le Premier ministre ont reçu les présidents de région. « L’État doit faire confiance aux régions », a-t-on même entendu. Une fois de plus, il y a un grand écart entre les discours et les actes.

J’en veux pour preuve cette motion de rejet que le groupe SRC a déposée – vous auriez au moins pu déposer une motion de renvoi en commission, nous aurions ainsi pu en rediscuter –, qui traduit une volonté de rejeter nos propositions en bloc. C’est vraiment dommage ! Vous venez de nous dire, madame la ministre, que nous devons nous écouter.

Je vous appelle donc, mes chers collègues, à refuser cette motion de rejet pour que nous puissions enfin discuter, et d’accepter le débat. Je me consolerai sans doute en vous ayant entendu déclarer, madame la ministre, que l’apprentissage est une voie d’excellence : il restera à le prouver sur le terrain. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, je ne sais pas pourquoi, la rumeur court que la séance serait prolongée : il n’en est rien ! Il est vingt heures, la séance va être levée et nous poursuivrons l’examen de cette proposition de loi, comme il est d’usage, à vingt et une heures trente. (Mouvements divers sur plusieurs bancs.)

Les séances se tiennent de neuf heures trente à treize heures, de quinze heures à vingt heures et de vingt et une heures trente à une heure au plus tard. Hier soir, la séance a été prolongée de façon un peu sauvage jusqu’à vingt-deux heures trente. Les personnels de la séance comme nos collaborateurs ont aussi besoin, de temps en temps, de s’alimenter !

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

4

Ordre du jour de la prochaine séance

Mme la présidente. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :

Suite de la discussion de la proposition de loi favorisant le développement régional de l’apprentissage.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly