SOMMAIRE
Présidence de Mme Catherine Vautrin
1. Questions sur la politique du Gouvernement en matière d’infrastructures de transports
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État
2. Questions sur l’économie collaborative
Mme Martine Pinville, secrétaire d’État
Mme Martine Pinville, secrétaire d’État
Mme Martine Pinville, secrétaire d’État
Mme Martine Pinville, secrétaire d’État
Mme Martine Pinville, secrétaire d’État
Mme Martine Pinville, secrétaire d’État
Mme Martine Pinville, secrétaire d’État
Mme Martine Pinville, secrétaire d’État
Mme Martine Pinville, secrétaire d’État
Mme Martine Pinville, secrétaire d’État
Mme Martine Pinville, secrétaire d’État
Mme Martine Pinville, secrétaire d’État
Mme Martine Pinville, secrétaire d’État
Mme Martine Pinville, secrétaire d’État
Mme Martine Pinville, secrétaire d’État
Mme Martine Pinville, secrétaire d’État
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur
Mme la présidente. La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle les questions sur la politique du Gouvernement en matière d’infrastructures de transports.
Je vous rappelle que la Conférence des présidents a fixé à deux minutes la durée maximale de chaque question et de chaque réponse.
Nous commençons par des questions du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
La parole est à M. Stéphane Demilly
M. Stéphane Demilly. Monsieur le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche, les prochaines étapes du projet de canal Seine-Nord Europe seront décisives si nous voulons que les retombées économiques tant attendues, particulièrement en termes de création d’emplois, se concrétisent.
Les élus locaux y travaillent d’arrache-pied, vous le savez, et j’ai eu l’occasion d’intervenir à plusieurs reprises pour qu’ils soient étroitement associés à chaque étape.
La prochaine sera la création par ordonnance de la société de projet. Chargée de piloter la phase du chantier ainsi que ses retombées économiques, cette dernière supportera selon le plan de financement un emprunt de 700 millions d’euros.
Or si l’article 7 de votre projet d’ordonnance envisage diverses ressources, rien de précis n’est arrêté concernant d’éventuelles recettes dédiées, pourtant indispensables pour supporter un tel emprunt.
Plusieurs outils sont de nature à inciter le report modal de la route vers la voie d’eau – je pense à l’eurovignette pour les poids-lourds étrangers, aux recettes domaniales, aux péages ou encore à la taxe incitative sur les entrepôts. Parmi toutes ces options, quelle est celle que le Gouvernement entend privilégier ?
Parmi les ressources prévues à ce même article 7 figurent les dotations en nature, notamment sous forme de terrains, attribuées par les collectivités. S’agit-il de la base de vie du chantier, pour laquelle nous avons proposé l’ancienne friche de Flodor à Péronne, des différentes plate-formes économiques qui jalonneront le tracé du canal, en particulier à Nesle, ou de tout autre terrain pouvant servir à la réussite du chantier ?
Concernant les plate-formes économiques, qui permettront d’attirer des entreprises et donc de développer l’emploi, plusieurs questions se posent sur leur gouvernance, leur financement, et sur l’accompagnement technique que l’État, directement ou via la société de projet, pourra apporter aux collectivités.
Des réponses à ces interrogations découle la question des recettes domaniales de ces plate-formes et de la base de vie du chantier. Pouvez-vous, monsieur le secrétaire d’État, nous garantir qu’elles bénéficieront directement aux collectivités concernées ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche.
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche. Monsieur le député, comme vous le savez, ce projet avance à grands pas depuis l’annonce faite par le Premier ministre à Arras le 27 septembre 2014. Le schéma n’a pas changé, qui prévoit un début des travaux en 2017 et une mise en service en 2023.
Afin de compléter votre question, il convient de rappeler que depuis que nous avons repris ce dossier, nous avons obtenu de l’Europe qu’elle finance le projet à hauteur de 40 %, et c’est ce financement qui rend les choses possibles.
Quant aux procédures administratives, elles sont certes complexes mais elles avancent à grands pas. En effet, l’enquête publique préalable à la DUP – déclaration d’utilité publique – s’est achevée le 20 novembre 2015 et la commission d’enquête a émis un avis favorable le 11 janvier 2016. La DUP modificative devrait être arrêtée au début de l’année 2017.
La création de la société de projet à laquelle vous faites référence a exigé de nos services un travail considérable. Nous sommes dans les temps puisque, conformément à ce que prévoit la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, le projet d’ordonnance, actuellement examiné par le Conseil d’État, devrait être adopté au cours du premier trimestre 2016. La création de la société de projet pourrait donc intervenir dans le courant du premier semestre 2016.
La société de projet a précisément pour objet de mettre en place une gouvernance partagée, de nature partenariale, entre l’État et les collectivités locales.
S’agissant du financement, j’ai mis en place une mission regroupant les acteurs locaux et qui a commencé à travailler avec les partenaires concernés. Quelles sont les ressources possibles ? Vous les avez presque toutes citées : recette dédiée, financement normal, contribution des collectivités locales ou emprunt. À ce jour, je vous le confirme, toutes ces possibilités existent. Quoi qu’il en soit, après l’analyse qui a été confiée à l’Inspection générale, les décisions seront prises en commun.
Le projet avance et j’espère que tout le monde sera au rendez-vous, le moment venu, y compris les collectivités locales qui attendent les retombées de ce projet.
Mme la présidente. La parole est à M. Yannick Favennec.
M. Yannick Favennec. « C’est un projet voulu, décidé par l’État, considérant que c’était important pour le développement économique et urbain du territoire, pour réduire les nuisances subies par les habitants de la métropole de Nantes, et pour la préservation de l’environnement. Le projet a été déclaré d’utilité publique en 2008. Le tribunal administratif, en juillet, a rejeté tous les recours ».
Monsieur le secrétaire d’État, ces propos n’émanent pas de moi ni des partisans locaux de la construction du futur aéroport de Notre-Dame-des-Landes : ils sont du Premier ministre. Ils ont été rapportés par le journal Ouest-France dans son édition d’aujourd’hui. Je ne peux que m’en réjouir, notamment en ma qualité de vice-président du conseil régional des Pays de la Loire, tant ce projet est soutenu par l’ensemble des collectivités concernées.
Je ne vous cache pas ma surprise devant l’annonce récente du Président de la République de conditionner la réalisation de ce chantier à l’organisation d’un référendum local.
Cette annonce, concernant une question déjà sensible, génère davantage de flou que de clarté. Elle est révélatrice d’une certaine forme d’amateurisme dans la façon de traiter ce dossier.
Si la réforme constitutionnelle de 2003 a rendu possible les référendums locaux, ce ne peut être que sur des sujets relevant de la compétence des collectivités locales. Or, Notre-Dame-des-Landes relève de celle de l’État puisque c’est lui qui, notamment, a signé le décret d’utilité publique.
Par ailleurs, pourquoi limiter l’expression des habitants au seul département de la Loire-Atlantique, qui n’est d’ailleurs pas demandeur, et ne pas élargir le périmètre de cette consultation aux départements limitrophes tels que la Mayenne ou, mieux encore, aux deux régions Pays de la Loire et Bretagne qui sont toutes les deux impactées par ce projet et qui participent au Syndicat mixte aéroportuaire du Grand Ouest, chargé de la réalisation du futur aéroport ?
M. Philippe Vigier. Excellente question !
M. Yannick Favennec. Monsieur le secrétaire d’État, de la bonne organisation de cette consultation et en particulier de la solidité de ses fondements juridiques dépendra la légitimité du résultat.
Mais aujourd’hui tout laisse à penser que ce référendum, probablement boycotté tant par ceux qui soutiennent le projet que par ceux qui y sont opposés, sera contesté en justice et, par conséquent, ne résoudra rien. Bref, il est un prétexte pour le Président de la République à reculer encore le moment de prendre la décision de démarrer la construction.
Monsieur le secrétaire d’État, quand le Président de la République, le Premier ministre et vous-même prendrez-vous vos responsabilités et déciderez-vous enfin d’évacuer la ZAD de Notre-Dame-des-Landes afin de commencer le chantier de cet aéroport indispensable au Grand Ouest ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)
M. Guy Geoffroy. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. Monsieur le député, je comprends votre question, mais vous auriez pu préciser que la déclaration d’utilité publique datait de 2008 et qu’entre 2008 et 2012 il s’était passé certaines choses qui expliquent pourquoi le dossier n’a pas beaucoup avancé.
Aujourd’hui la situation est connue de tous. Le Premier ministre a été très clair en rappelant ici même, mardi, en réponse à une question d’actualité, la détermination du Gouvernement.
Il reste une interrogation sur les modalités qui seront retenues pour la consultation. Le Premier ministre a encore été très clair ce matin même en indiquant qu’une négociation est en cours avec les collectivités locales, notamment sur les conditions d’organisation de la consultation. Quant au choix du périmètre, il a précisé que celui qui lui semblait le plus pertinent était le département, simplement parce que c’est le périmètre qui avait été choisi pour l’enquête publique – à une époque, je le souligne, où nous n’étions pas aux responsabilités.
Cette question s’est donc déjà posée, sous une autre forme juridique, lorsqu’il vous a fallu déterminer le périmètre de l’enquête publique. Vous aviez alors décidé que ce serait le département. Cette décision n’ayant pas été attaquée ni sanctionnée, on peut donc juger pertinente la réflexion du Premier ministre. Quoi qu’il en soit, ce dernier a simplement exprimé son opinion et n’a pas encore pris de décision.
Le Premier ministre a également été très clair, ce matin, en ce qui concerne le calendrier. Il a en effet indiqué que le référendum aurait lieu de façon à ce que nous puissions apporter une réponse avant la date du début des travaux, d’ores et déjà fixée en octobre.
Ce référendum nous apportera une réponse, qu’elle soit favorable ou non. Si elle est favorable, les travaux se poursuivront. Le Premier ministre a été très clair. Certes, un nouvel élément est apparu avec la vérification démocratique, que chacun peut approuver ou désapprouver, mais il était important de préciser dans quelles conditions se déroulerait la consultation.
Mme la présidente. Nous en venons aux questions du groupe écologiste.
La parole est à Mme Véronique Massonneau.
Mme Véronique Massonneau. Monsieur le secrétaire d’État, en 2005, le gouvernement Raffarin a choisi de céder une large part du réseau autoroutier français à des compagnies privées. En contrepartie, une redevance domaniale est reversée à l’État, sur la base d’un accord contractuel contraignant ces entreprises à respecter un certain nombre de directives, notamment en termes d’entretien, d’aménagements et de sécurité.
Ces obligations sont systématiquement mises en avant par les sociétés d’autoroutes pour justifier les nombreuses augmentations des tarifs de péage.
L’an dernier, ces augmentations ont fait l’objet de longues négociations avec le ministère en charge du dossier et Ségolène Royal a fini par obtenir un gel des tarifs pour 2015.
Aujourd’hui, ces mêmes sociétés annoncent une augmentation de 1,12 % en moyenne des tarifs de péage, contrairement aux annonces faites en 2015 qui promettaient pour 2016 un gel ou une augmentation limitée, indexée sur l’inflation. Or, cette augmentation effective est bien supérieure à l’augmentation du coût de la vie.
La Cour des comptes a alerté à plusieurs reprises sur cette question, pointant des contrats de plan largement favorables aux concessionnaires et donc, à l’inverse, défavorables aux contribuables et aux usagers.
L’an dernier, c’est l’Autorité de la concurrence, saisie par la commission des finances de l’Assemblée nationale, qui a épinglé ces sociétés en pointant la rentabilité exceptionnelle de nos autoroutes.
Bien sûr, la gestion de telles infrastructures demande des financements conséquents et les Français le comprennent. Mais comment justifier que sur chaque euro versé au péage, 20 centimes aillent aux actionnaires des sociétés d’autoroutes ?
Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous dire précisément ce qui justifie cette augmentation des tarifs des péages par les sociétés d’autoroutes au regard de cette rentabilité exorbitante pointée à la fois par la Cour des comptes et par l’Autorité de la concurrence ? Je vous remercie.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. Madame la députée, vous revenez sur un débat qui nous a beaucoup occupés il y a quelques mois ; ce que nous vivons aujourd’hui est justement la conséquence de l’accord qui a été trouvé pour sortir de cette crise.
Les tarifs pratiqués par les sociétés d’autoroutes sont strictement contrôlés par les services de mon ministère puisqu’ils résultent des contrats de concession et sont fixés sur la base de formules prévues dès l’origine.
S’agissant du conflit auquel vous faites allusion, il était apparu, suite aux rapports de l’Autorité de la concurrence et de la Cour des comptes, que les modalités de rémunération pouvaient être remises en cause et il avait été décidé temporairement de geler l’augmentation des tarifs.
Les négociations ont abouti à plusieurs décisions, notamment celle qui oblige les sociétés d’autoroutes à entreprendre un programme exceptionnel de travaux pour un montant supérieur à 3 milliards d’euros. Ce programme, considérable, est actuellement en cours et constitue un véritable atout pour l’activité économique. Les sociétés concessionnaires financent en totalité ces chantiers, dans le cadre de que l’on appelle le plan de relance autoroutier, avec l’obligation de confier 55 % des travaux à des PME, c’est-à-dire des entreprises qui ne leur sont pas liées sur le plan capitalistique.
Aux termes de l’accord, l’augmentation des tarifs, qui avait été temporairement gelée en 2015, devait être reportée sur les années suivantes – non pas intégralement sur l’année 2016 mais lissée sur plusieurs années.
Le rattrapage fait donc partie du dispositif contractuel et je vous confirme que c’est bien en application de ce dispositif que les sociétés d’autoroutes ont été autorisées à procéder à des augmentations au 1er janvier 2016.
Par ailleurs, nous surveillons la mise en œuvre des autres parties de l’accord contractuel passé entre l’État et les sociétés concessionnaires, qu’elles concernent le plan de relance autoroutier ou d’autres modalités auxquelles vous pourrez être sensible, comme le développement de tarifs spéciaux pour le covoiturage.
Mme la présidente. La parole est à Mme Eva Sas.
Mme Eva Sas. Monsieur le secrétaire d’État, la Cour des comptes remettait la semaine dernière un rapport sur la situation des transports publics en Île-de-France. Aucune révélation dans ce document, mais la confirmation de trente années de sous-investissements dans les transports du quotidien de la part des gouvernements successifs qui s’étaient enfermés dans le tout-TGV.
La Cour vient donc appuyer le constat fait par tous ceux qui, comme nous, se mobilisent depuis de longues années pour améliorer la mobilité au quotidien tout en préservant notre santé et l’environnement régional.
En revanche, l’augmentation des tarifs préconisée par la Cour aurait pour effet de faire peser sur le pouvoir d’achat des Franciliens les errements passés des opérateurs et des gouvernements. Je n’ose imaginer la réaction des usagers du RER découvrant, dans leur rame bondée et sans cesse en retard, la proposition faite par la juridiction financière d’augmenter le prix du pass Navigo…
La Cour joue certes ici son rôle de conseil, mais la décision que nous avons à prendre est politique. L’État doit assumer les mesures nécessaires au financement des transports franciliens sans augmentation des tarifs pour l’usager.
Votre gouvernement a d’ailleurs accepté, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2015, le relèvement du plafond du versement transports afin de permettre la mise en place du pass Navigo au tarif unique de 70 euros. Il serait incompréhensible d’augmenter aujourd’hui ce montant.
Cette mesure historique, obtenue de haute lutte par les élus écologistes au conseil régional et à l’Assemblée, est une triple victoire : sociale, parce qu’elle améliore le pouvoir d’achat des franciliens ; environnementale, parce qu’elle préserve la qualité de l’air en favorisant le report modal ; et territoriale, puisqu’elle met fin aux coupures urbaines que représentaient les cinq zones de la grille tarifaire.
Pouvez-vous donc nous dire quelle suite vous comptez donner à ce rapport en matière de financement des transports, et si, comme nous, vous vous rangez au constat selon lequel il faut dégager plus de moyens financiers pour accélérer la rénovation des lignes existantes ? Ne pensez-vous pas qu’il faut réétudier la question de la taxe poids lourd nationale ou régionale, qui reste l’outil fiscal et environnemental le plus juste en matière de financement des transports collectifs ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. Madame la députée, dans son rapport, la Cour des comptes souligne le retard accumulé en matière de maintenance du réseau exploité par la SNCF en Île-de-France, et recommande d’accorder désormais la priorité à l’entretien de celui-ci.
À dire vrai, je n’ai pas attendu de lire le rapport pour mettre en œuvre cette recommandation, conforme à la politique que nous suivons depuis plusieurs années. Le budget du réseau pour 2016 s’inscrit dans cette orientation, puisqu’il prévoit d’augmenter de 15 % les investissements sur le réseau existant en Île-de-France et de 20 % ceux qui s’effectueront sur le seul périmètre renouvellement et performances. Cette question est d’ailleurs au cœur du contrat de performance décennal que doivent signer l’État et la SNCF.
Il suffit de regarder ces chiffres – surtout si l’on peut, ce qui est votre cas, les comparer à ceux qui concernent d’autres actions – pour se convaincre que l’État a fait de ce dossier une priorité.
Vous pointez ensuite la question du financement du pass Navigo à tarif unique, en rappelant l’observation de la Cour. La différence majeure entre le comptable et le politique est que la vision du premier s’arrête à une heure fixe, tandis que le second doit se projeter davantage dans l’avenir. Chacun sa fonction. Dans cette affaire, celle du politique est de dire les choses clairement : le Gouvernement est favorable au maintien du pass Navigo à tarif unique.
Il considère en effet que celui-ci représente un acquis social et que la mobilité figure au premier rang des conditions du vivre-ensemble. Certains résultats électoraux nous incitent à des décisions qui prennent en compte ce qui s’est passé.
S’il y a une impasse financière, nous en avons discuté avec la nouvelle présidente de la région. Le Premier ministre a pris des engagements. Notre volonté est de garantir à l’avenir ce qui représente un acquis important en termes de mobilité. En tout cas, il n’est pas envisageable de remettre en cause une démarche extrêmement positive et progressiste.
Mme la présidente. Nous en venons aux questions du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
La parole est à M. Jean-Noël Carpentier.
M. Jean-Noël Carpentier. Monsieur le secrétaire d’État, la Cour des comptes, constatant de nombreux dysfonctionnements du réseau ferroviaire en Île-de-France, propose une augmentation de tarifs pour réaliser les travaux de modernisation nécessaires.
J’y suis personnellement défavorable.
Pour autant, je partage le constat alarmant de la Cour, dont le rapport décrit une situation « à la limite de la rupture ». Le manque de régularité, de ponctualité et de confort figure parmi les griefs les plus importants des Franciliens, qui utilisent chaque jour le train pour aller travailler. Si certaines lignes se sont améliorées – il faut s’en féliciter –, le sentiment d’insatisfaction est fort chez les usagers.
La majorité actuelle n’est pas seule responsable d’une situation qui, loin d’être récente, résulte d’un sous-investissement chronique et ancien dans la maintenance et de l’entretien du réseau.
La SNCF, consciente du retard, augmente régulièrement ses crédits de modernisation. Cependant, le rythme est trop faible. Il est à craindre que les conditions de transport ne se dégradent encore davantage dans les prochaines années.
Dans ma circonscription, plusieurs lignes sont concernées, mais les usagers de la ligne J, qui est très importante, souffrent plus particulièrement. Beaucoup craignent que l’extension du fret ne détériore encore la situation.
Ma question est double : d’une manière générale, quelles mesures envisagez-vous pour améliorer les conditions de transport des Franciliens ; de manière plus particulière, quelles sont vos intentions pour améliorer le quotidien des usagers de la ligne J ? (Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. Monsieur le député, vous n’aurez guère de mal à me croire si je vous dis que je partage votre constat, puisque, sitôt entré en fonction, j’ai suspendu les travaux de reconstruction de certaines gares – ce qui ne m’a pas valu que des félicitations de la part des élus – pour consacrer les moyens nécessaires à l’amélioration de la maintenance.
Cette orientation est d’ores et déjà prise. Vous en êtes convenu. Les crédits courants de la maintenance sont passés de 320 millions d’euros en 2010 à 400 millions en 2015. Ils devraient atteindre 450 millions en 2018. En 2016, le montant des opérations de renouvellement par réseau sera de 600 millions, soit une augmentation de 100 millions par rapport à 2015. Vous mesurez l’importance de ces chiffres.
Je rappelle en outre que les investissements liés au projet du Grand Paris amélioreront considérablement le mode de fonctionnement de l’Île-de-France et la vie des Parisiens : 200 kilomètres de lignes de métro automatique et soixante-neuf gares accueilleront 2 millions de voyageurs par jour.
J’en viens aux projets de mobilisation pour les transports. Vous connaissez la réalité des projets d’amélioration de la qualité du service et du développement du réseau existant, qui sont financés par les contrats de plan État-région, les CPER.
Le plan de financement d’EOLE – Est-Ouest liaison expresse – vient d’être bouclé, après l’annonce par le Premier ministre de l’engagement des collectivités concernées et la décision de l’État de mobiliser, à hauteur de 1,5 milliard, des recettes affectées à la Société du Grand Paris.
Dans ce cadre, les efforts de l’État et de la région en faveur de l’amélioration des lignes des RER et des transiliens s’élèvent à 1,4 milliard sur la période.
Concernant votre demande particulière, le STIF travaille actuellement à un schéma de secteur, mais les études concernant la ligne J n’ont pas encore été rendues. Une fois celles-ci terminées, il appartiendra à l’autorité organisatrice d’engager la concertation au niveau local.
J’ai également chargé le préfet du Val-d’Oise de s’assurer avec SNCF Réseau que le projet de modernisation de la ligne Serqueux-Gisors n’interfère pas avec la qualité de service de la ligne J du Transilien. Je sais pouvoir compter sur votre soutien afin de mener cette démarche incontournable pour la réussite du projet d’itinéraire fret alternatif.
Mme la présidente. Nous en venons à une question de M. Jacques Krabal.
M. Jacques Krabal. Monsieur le secrétaire d’État, les infrastructures ferroviaires sont un atout pour le développement de nos territoires ruraux.
Nos débats dans cette enceinte portent essentiellement sur l’extension des lignes à grande vitesse, mais pour financer le tout-TGV, les lignes traditionnelles ont été oubliées depuis de nombreuses années, alors même qu’elles transportent quotidiennement des centaines de milliers d’habitants.
Depuis quatre ans, j’interviens sur cette problématique très aiguë pour Château-Thierry et le Sud de l’Aisne. Pour les 6 000 voyageurs journaliers et pour le fret, le pire est à craindre. En 2015, sur les lignes du TER Vallée de la Marne et du Transilien, tous les records ont été battus en matière d’incidents, de retards et d’annulations de trains.
Comment pourrait-il en être autrement, compte tenu de la vétusté des infrastructures et du matériel Corail des années soixante-dix ?
La coupe est pleine pour ces usagers qui se lèvent tôt afin d’aller travailler. Ces dysfonctionnements ont des conséquences professionnelles et familiales. Y pense-t-on ?
Des efforts ont été faits pour multiplier les canaux d’information, mais les usagers et leurs associations – le comité de défense des intérêts des usagers, ou CDIU, l’association des Châlonnais-en-Champagne usagers de la SNCF, ou ACCUS, l’association des usagers de ligne, ou ADUL – nous disent leur ras-le-bol. S’ils soulignent la compréhension des agents de la SNCF, ils craignent des dérapages toujours possibles.
Par ailleurs, ils sont las des discriminations, de l’injustice tarifaire. Je rappelle que Château-Thierry – gare dite « frontière », ce qui entraîne une complexité de gestion, car elle est au carrefour de trois régions – est à vingt kilomètres de la zone carte Orange.
Quels moyens comptez-vous mettre en œuvre pour que le transport du quotidien ne soit plus une galère mais un service public digne de ce nom ? Quid de l’électrification de la ligne Meaux-Lizy-La Ferté-Milon ?
Qu’en est-il de la fermeture annoncée de la ligne voyageurs La Ferté-Milon-Fère-en-Tardenois-Fismes-Reims ? Quel avenir pour le fret des entreprises qui utilisent cette ligne – Vossloh Cogifer, Acolyance, Sifraco, Mapei – menacées dans leur développement, au même titre que l’emploi dans nos communes rurales ? Quel est l’avenir de cette ligne ?
La problématique interrégionale impose l’organisation d’une table ronde avec des représentants de l’État, de la SNCF, des trois régions, des responsables du TER, du Transilien et des associations, ainsi que des élus locaux.
Compte tenu de l’exaspération et de la colère des usagers, que je partage, des engagements concrets doivent être pris. Il faut agir avant qu’il ne soit trop tard.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. Il me semble que, sur de tels sujets, quand des inquiétudes sont aussi graves et aussi justifiées, il faut que chacun assume ses responsabilités et que nos concitoyens sachent comment apporter des réponses.
La gare de Château-Thierry est desservie par des services transiliens organisés par le Syndicat du transport d’Île-de-France et par des services TER, connus sous le nom de TER vallée de la Marne, et organisés par les régions Nord-Pas-de-Calais-Picardie et Alsace-Champagne-Ardennes-Lorraine.
Le retard constaté par les voyageurs sur ces relations est principalement lié, vous l’avez dit, à des défaillances du matériel roulant, qui est ancien.
Pour améliorer sa disponibilité, SNCF Mobilités engage depuis plusieurs années de nombreuses actions, notamment de maintenance des locomotives. Toutefois, une amélioration substantielle de la qualité du service ne pourra être atteinte que par un renouvellement du parc de matériel roulant.
Dès lors qu’il s’agit d’une ligne de TER, il appartient aux autorités organisatrices concernées par cette desserte, c’est-à-dire les régions et, le cas échéant, le Syndicat des transports d’Île-de-France, de décider de telles orientations stratégiques.
Par ailleurs, à l’instar de nombreuses autres portions du réseau ferré, les lignes que vous évoquez font l’objet d’importants travaux de maintenance, que justifie leur état. Or on ne peut réparer les chemins de fer qu’en arrêtant le fonctionnement de la ligne. C’est un problème auquel les voyageurs sont confrontés au quotidien.
Les travaux entraînent des modifications d’horaires, parfois des suppressions de trains. Ainsi, la réfection par réseau de la plate-forme du tunnel d’Armentières, entre Château-Thierry et Paris, entraînera des interruptions ferroviaires entre février et avril 2016.
Les travaux sont importants et nécessaires. Or personne ne sait les faire sans que le service en porte les conséquences. C’est toute la difficulté du moment, même si les interventions n’entraînent des perturbations éventuelles qu’en vue d’améliorer l’avenir.
La politique que nous menons aujourd’hui vise à multiplier les travaux de maintenance et à améliorer le réseau. Je partage votre diagnostic, mais il faut que chacun s’engage. Je peux apporter des réponses sur la qualité du réseau et sur celle du matériel. Cependant, des réponses doivent aussi être apportées par ceux auxquels la loi a attribué des responsabilités.
Mme la présidente. Nous en venons aux questions du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
La parole est à M. Gaby Charroux, qui va poser sa première question.
M. Gaby Charroux. Monsieur le secrétaire d’État, fin janvier, M. Jean Ghedira, directeur d’Intercités, indiquait dans un entretien que « l’État pourrait annoncer un appel à manifestation d’intérêt – AMI – pour savoir si des opérateurs, extérieurs à la SNCF, sont intéressés pour […] exploiter [les trains de nuit] ». Il ajoutait que ses équipes travaillaient déjà en ce moment avec des Russes pour tester, dès cet été, des trains de nuit plus confortables sur la ligne Paris-Nice.
Par ailleurs, le Gouvernement s’apprête à annoncer une expérimentation de la concurrence sur certaines des douze lignes du réseau de nuit des Intercités. Ces annonces s’inscrivent dans le prolongement des préconisations du rapport Duron, favorable au démantèlement des trains d’équilibre du territoire.
Le recours à des opérateurs privés constituerait une première dans le transport national ferroviaire de voyageurs qui, depuis 1938, est assuré intégralement par l’entreprise publique SNCF. À ce jour, seules des liaisons internationales sont effectuées par des opérateurs privés, comme Eurostar, Thalys ou Thello.
Aucun texte européen n’oblige actuellement la France à adopter une telle libéralisation, puisque l’entrée en vigueur du quatrième paquet ferroviaire n’interviendra pas avant 2020. Si les trains de nuit sont aujourd’hui déficitaires, rien n’interdit de concevoir des assouplissements et des adaptations de l’offre.
Il n’est pour cela nullement nécessaire de faire appel à la concurrence et de nous engager dans un processus de démantèlement et de privatisation de l’ensemble du réseau des trains d’équilibre du territoire.
Êtes-vous prêt à revenir sur cette décision et à faire prévaloir la notion fondamentale de service public sur une fuite en avant libérale, contraire aux intérêts des personnels et surtout des usagers ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. À propos des trains d’équilibre du territoire, vous avez fait référence au rapport Duron, monsieur Charroux. Pour être précis, il faut distinguer la situation des trains de nuit et celle des trains de jour que vous avez un peu englobées en une seule. Elles sont distinctes et doivent donc faire l’objet de réponses distinctes. À ce sujet, le Gouvernement fera demain des annonces que je ne dévoilerai pas par anticipation.
Les trains de nuit présentent-ils une spécificité ? Oui. On ne saurait dire que nous sommes à la recherche d’un quelconque profit. Nous cherchons à éviter un désastre financier, ce qui n’est tout de même pas la même chose. Les trains de nuit représentent 3 % des trains d’équilibre du territoire et 25 % du déficit global, qui est passé de 200 millions d’euros en 2010 à 400 millions actuellement. Pour chaque voyageur qui monte à bord d’un train de nuit, l’État verse cent euros.
Peut-on raisonnablement considérer qu’il s’agit d’une situation durable ? Non. Les Allemands viennent de supprimer les trains de nuit, constatant qu’en raison du développement du covoiturage et de l’aviation low-cost ils ne correspondent probablement plus à la demande des consommateurs. Il n’y a plus assez de voyageurs. Certes, un éventuel abandon peut soulever des difficultés pour ceux qu’il concerne. La position du Gouvernement est donc claire et nette. Je formulerai demain une réponse spécifique distincte de celle applicable à l’ensemble des trains d’équilibre du territoire.
Quoi qu’il en soit, il ne s’agit pas d’une privatisation. Il s’agit de savoir si on continue ou pas. La semaine dernière, les Allemands ont purement et simplement décidé que ce modèle ne correspond plus à rien et y ont mis un terme. Cette décision fait partie de l’épure de la réflexion spécifique aux trains de nuit que nous menons actuellement. Ayez toujours à l’esprit, monsieur le député, ce à quoi nous sommes confrontés en la matière : 3 % des trains d’équilibre, 25 % du déficit et cent euros chaque fois que quelqu’un y monte. La responsabilité du pouvoir politique, au sens noble du terme, est de trouver une solution à une telle situation. Nous ne recherchons aucun profit, nous ne cherchons pas à privatiser, nous cherchons à mettre un terme à ce qui est actuellement une catastrophe financière.
Mme la présidente. La parole est à M. Gaby Charroux, pour une seconde question.
M. Gaby Charroux. Depuis 2013, le Gouvernement ne cesse de justifier la mise en place de la métropole Aix-Marseille-Provence par l’urgence en matière de transports et de mobilité dont nous convenons qu’ils sont les clés du développement économique. Jean-Marc Ayrault, alors Premier ministre, annonçait même le 8 novembre 2013 à Marseille un plan de 3 milliards d’euros pour les transports et précisait que « cet effort […] pourra encore s’accroître lorsque l’agglomération se sera dotée d’une métropole […] ». L’annonce principale consistait en la création d’une gare souterraine à Marseille pour 2,5 milliards d’euros visant à permettre un vrai développement des TER. La métropole, malgré des remous dus à l’incapacité de respecter les acteurs du territoire, est officiellement en place depuis le 1er janvier 2016.
Qu’en est-il aujourd’hui des transports ? On ne sait pas où sont les financements. La SNCF annonce des fermetures totales ou partielles de gares et de guichets, ce qui a entraîné un mouvement de grève de ses agents le mois dernier. Ses effectifs sont si comprimés qu’en ce moment même, en période de vacances scolaires dans la région, les TER sont remplacés par des bus sur les lignes reliant Marseille à Miramas. Comment peut-on croire que nous travaillons au développement du transport ferroviaire, en particulier de nos TER, alors que la SNCF démantèle le réseau de gares, supprime des trains par manque de personnel, menace de supprimer les douze arrêts en gare d’Arles des trains intercités vers l’ouest du pays et ferme des guichets et des gares ? Au regard des engagements gouvernementaux en la matière, comment comptez-vous agir, monsieur le secrétaire d’État, afin de développer la véritable politique de mobilité dans les Bouches-du-Rhône qui a été annoncée et imposer à la SNCF d’en assurer les moyens humains, logistiques et financiers ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. Je me permets de rappeler à nouveau, monsieur le député, qu’il faut aborder ces sujets en précisant bien de quelles responsabilités il s’agit. Certaines interrogations que vous soulevez s’adressent à l’État, d’autres aux autorités publiques organisatrices des transports régionaux. Le projet de nouvelle gare souterraine Saint-Charles que vous avez évoqué est une composante du projet « Ligne Nouvelle Provence Côte d’Azur ». Il s’agit pour le Gouvernement d’un projet déterminant visant à désenclaver la gare en la rendant traversante, comme vous l’avez parfaitement expliqué. Notre feuille de route, validée par deux décisions ministérielles récentes, prévoit le lancement en 2017 de l’enquête préalable à la déclaration d’utilité publique et son achèvement en 2019 ainsi que des crédits inscrits au contrat de plan État-région 2015-2020 de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur.
Le Gouvernement ayant donné la priorité aux trains du quotidien, les travaux de maintenance sur les réseaux où ils circulent relevaient de notre responsabilité. J’ai rappelé tout à l’heure l’augmentation considérable des enveloppes dédiées aux travaux de maintenance au cours des dernières années. Quant aux fermetures de gares, elles découlent des accords passés entre la SNCF et les autorités organisatrices. C’est donc vers celles-ci qu’il faut se tourner pour obtenir une réponse car il m’incombe de respecter le principe de libre administration des collectivités locales.
Les dysfonctionnements actuels que vous évoquez, monsieur le député, résultent de la conjonction de ces deux phénomènes et souvent des travaux de maintenance qu’impose un réseau qui a malheureusement beaucoup vieilli. Nous n’avons pas le choix, il faut en supporter les conséquences. Ces difficultés passagères, dont il me semble normal que vous vous fassiez l’écho, ne doivent pas occulter la perspective sur laquelle nous pouvons nous accorder consistant à faire correspondre le train du quotidien à ce que vivent les gens au quotidien en leur permettant de se déplacer à un prix acceptable et dans des conditions moins perturbées qu’elles ne le sont actuellement.
Mme la présidente. Nous en venons à des questions du groupe SRC.
La parole est à M. Christophe Bouillon.
M. Christophe Bouillon. Je souhaite vous interroger, monsieur le secrétaire d’État, sur l’avancement du projet de modernisation de la ligne de fret ferroviaire entre Serqueux et Gisors en Normandie. J’ouvrirai mon propos en soulignant que ma question fait écho au travail que mène actuellement ma collègue Valérie Fourneyron qui a été chargée par le Premier ministre d’une mission sur l’avenir des ports du Havre et de Rouen en lien avec l’axe Seine. Il s’agit de rendre les places portuaires normandes pleinement compétitives face à leurs principaux concurrents d’Europe du nord, faute de quoi le transport de marchandises via le Canal Seine-Nord Europe risque de fragiliser cette porte d’entrée maritime.
Une réponse est donc attendue en matière de connexions ferroviaires. La desserte du fret ferroviaire entre le port du Havre et le territoire du Grand Paris doit être améliorée. Plusieurs raisons m’amènent à penser que la modernisation des 50 kilomètres de ligne ferroviaire entre Serqueux et Gisors constitue la solution la plus efficace et la plus acceptable. Développer le fret ferroviaire sur la ligne Serqueux-Gisors, c’est développer l’activité économique et l’emploi des ports du Havre et de Rouen qui y gagneraient, selon de récentes estimations, près de 55 000 emplois directs et indirects. Développer le fret ferroviaire sur la ligne Serqueux-Gisors, c’est également décongestionner les routes. Un train de fret équivaut en effet à environ quarante poids lourds.
Développer le fret ferroviaire sur la ligne Serqueux-Gisors, c’est aussi libérer des sillons pour le développement du trafic voyageur utilisant l’itinéraire Paris-Rouen-Le Havre et donc améliorer la régularité des trains de voyageurs, ce qui constitue une priorité de la majorité des voyageurs normands. Dès lors, pouvez-vous indiquer, monsieur le secrétaire d’État, les prochaines étapes de ce projet ambitieux d’amélioration de la ligne de fret ferroviaire entre Serqueux et Gisors en termes de calendrier et de décision ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. Vous avez raison de soulever cette question majeure, monsieur le député. La modernisation de la ligne Serqueux-Gisors est une nécessité pour renforcer la compétitivité des ports normands, notamment celui du Havre, face à leurs concurrents d’Europe du nord. Améliorer les liaisons entre le port du Havre et son hinterland francilien, et au-delà avec le reste de l’Europe, confortera la position de la France au cœur des grands flux maritimes reliant l’Europe aux grandes économies mondiales. Il s’agit selon nous d’un projet prioritaire auquel nous avons d’ailleurs travaillé et qui bénéficie d’un financement européen de 71 millions d’euros au titre des réseaux transeuropéens de transport. Le taux de subvention des travaux est de 30 %. Cette participation européenne est évidemment un soutien déterminant.
C’est pourquoi j’ai décidé de lancer l’enquête publique du projet Serqueux-Gisors le 8 mars 2016. Je serai particulièrement attentif à la qualité des travaux et à l’efficacité des solutions proposées par SNCF Réseau. Je comprends aussi les préoccupations locales côté francilien au sujet des conséquences d’une augmentation du trafic ferroviaire, notamment dans le département du Val d’Oise. Nous devons y répondre car elles sont légitimes. Je compte sur la détermination des élus, y compris les élus normands dont je vous remercie de vous faire le porte-parole, pour promouvoir ce projet avec le Gouvernement afin qu’il soit perçu par tous comme un projet fédérateur pour la Normandie mais aussi pour la France. Il s’agit d’un projet très important porteur de développement, d’emplois et d’avenir pour l’ensemble de la vallée de la Seine et de l’ouest du Bassin parisien.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Louis Bricout.
M. Jean-Louis Bricout. Le développement des infrastructures de transport constitue un enjeu essentiel du désenclavement des territoires ruraux et bien entendu de leur développement économique. Je peux en témoigner d’après l’exemple de ma circonscription que vous connaissez bien, monsieur le secrétaire d’État, où passe la RN 2 qui relie Paris à Bruxelles ainsi que le nord et le sud de la grande région Nord-Pas-de-Calais-Picardie.
Au fil des années, les nouveaux projets et les grands chantiers ont pris une part importante dans les budgets, prenant très largement le dessus sur les projets d’entretien et de maintenance des réseaux existants, ce qui a suscité un fort sentiment d’abandon dans les territoires traversés par une nationale, comme celui où je suis élu. Au fil des années, le manque évident d’entretien courant nous amène à un constat alarmant et nous contraint à des travaux de maintenance bien plus lourds. Vous en avez pris conscience dans le cas de la RN 2, monsieur le secrétaire d’État. En plus d’importants chantiers initiés sur l’ensemble de l’axe en direction de Paris comme du nord, conformément à une logique d’amélioration sensible de cet axe, l’État se mobilise et se mobilisera.
La mobilisation du Gouvernement en faveur de l’investissement dans les réseaux existants a permis de débloquer en 2015 une enveloppe de 600 000 euros consacrée à des travaux de réfection entre La Capelle et Froidestrées. Une deuxième enveloppe est prévue pour rénover la traversée d’Étréaupont en 2016, comme vous vous y êtes engagé lorsque vous êtes venu sur place, ce dont je vous remercie encore. Dans le cadre de ces moyens renforcés, notamment ceux de l’AFITF, l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, pouvez-vous confirmer que l’effort continuera de porter sur l’entretien du réseau existant qui en a grandement besoin, en sus d’un projet plus ambitieux de contournement des petites villes et des villages de ma circonscription de Thiérache et par-delà le seul exemple de la RN 2 ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. Vous êtes un militant de la défense de l’état du réseau routier national, si vous me permettez l’expression, monsieur le député ! Vous m’avez souvent interrogé sur la RN 2 et sa situation m’est naturellement venue à l’esprit l’année dernière lorsque j’ai obtenu le financement des premiers programmes exceptionnels à hauteur de 100 millions d’euros. Nous sommes venus sur le terrain constater avec vous l’utilisation à La Capelle des 600 000 euros supplémentaires. Ces travaux ont été réalisés sur bon de commande et les crédits ont été entièrement utilisés en 2015.
Le Président de la République et le Premier ministre ont donc autorisé, comme je l’ai annoncé en début de semaine lors d’une visite de l’entreprise Colas, le financement d’un nouveau programme exceptionnel destiné d’une part à Voies navigables de France et d’autre part à l’entretien du réseau routier pour un total de 150 millions d’euros qui transiteront par l’AFITF – je vois que son président, M. Duron, se réjouit d’une telle décision. Dès lors, les travaux que j’ai annoncés lors de mon déplacement seront réalisés dans votre circonscription, monsieur le député.
En plus des travaux réalisés depuis 2007 pour un montant de 4 millions d’euros, nous réaliserons des travaux d’entretien préventifs de chaussée supplémentaires à Étréaupont dans le cadre du nouveau plan exceptionnel. Deux autres opérations sont prévues sur la RN 2, la réhabilitation d’une section de chaussée de 3 kilomètres au sud de Soissons et des aménagements de sécurité au lieu-dit La Champignonnière. Ces travaux sont importants pour les entreprises locales et pour l’activité économique. Il importe également que les élus locaux, dont vous êtes, monsieur le député, relaient ces demandes. J’ai souvent l’occasion de dire qu’on n’inaugure pas des opérations de maintenance. Nous avons fait exception en inaugurant le renouvellement d’une voie, ce qui est aussi important pour la vie quotidienne des habitants. Je vous remercie de transmettre sans relâche ces demandes et suis heureux d’y apporter des réponses positives.
Mme la présidente. Nous en venons aux questions du groupe Les Républicains. La parole est à M. Martial Saddier.
M. Martial Saddier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, la loi du 4 août 2014 portant réforme du système ferroviaire reposait sur le postulat que l’intégration du gestionnaire d’infrastructure au sein d’un groupe public ferroviaire améliorerait l’efficacité industrielle et permettrait de réaliser 1,5 milliard d’euros d’économies par an.
Le code des transports prévoit que l’État stratège et le groupe SNCF, composé de trois établissements publics industriels et commerciaux, doivent s’engager dans un contrat de performance d’une durée de dix ans. Plus d’un an et demi après la promulgation de la loi du 4 août 2014, nous nous étonnons de ne rien savoir de l’avancement ni de la teneur de ces contrats de performance, singulièrement de celui concernant le gestionnaire d’infrastructure, SNCF Réseau. La même loi dispose qu’un cadre social harmonisé doit être négocié et validé d’ici juin 2016. Or les négociations relatives à l’organisation et à l’aménagement du temps de travail n’ont pas vraiment débuté. Où en est-on du décret-socle ?
En diverses occasions, monsieur le secrétaire d’État, vous avez considéré que cette convention collective de branche serait un préalable à l’ouverture à la concurrence des services aux voyageurs. Comment le Gouvernement s’assure-t-il que la commission mixte paritaire en charge de cette négociation est à même de tenir ses objectifs ? En cas d’échec ou de retard, quelles dispositions envisagez-vous pour sortir de l’immobilisme actuel et permettre à toutes les entreprises ferroviaires de dégager les gains de productivité dont ce mode de transport a besoin ?
Votre gouvernement a mené une réforme territoriale visant à faire émerger des régions plus fortes, avec la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, et la loi du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions. De nouveaux exécutifs viennent de prendre les commandes de ces régions au périmètre élargi et aux compétences accrues : ils devront déterminer les priorités de leur mandat, alors que la contrainte budgétaire se resserre.
Dans ces conditions, pourquoi ne pas leur reconnaître le droit de recourir à la concurrence régulée – ce qui est élémentaire pour toute autorité organisatrice de transports – afin de rechercher le meilleur rapport qualité-prix pour l’exploitation des services régionaux de TER ? Quelle est la position exacte du Gouvernement dans les négociations européennes qui ont lieu actuellement à Bruxelles sur ce sujet ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. La position du Gouvernement français sur ces questions est connue, elle est publique : vous ne pouvez l’ignorer. S’agissant du quatrième paquet ferroviaire, le Conseil des ministres de l’Union européenne est arrivé à une position commune. Le processus n’est pas terminé, car nous en sommes à la phase des trilogues, c’est-à-dire des négociations entre la Commission européenne, la présidence du Conseil de l’Union européenne, et le Parlement européen.
La France a soutenu cet accord à partir d’une position commune avec l’Allemagne – je tiens à le rappeler. Il prévoit, d’une part, une ouverture à la concurrence sur les lignes commerciales à partir du 1er janvier 2020, et d’autre part, la possibilité d’une ouverture sur les lignes régionales, celles que vous appelez « lignes TER », qui sont aujourd’hui couvertes par le monopole de l’opérateur historique, à partir de 2025.
Cet accord maintient la possibilité d’une attribution directe : en d’autres termes, l’autorité organisatrice de transports pourra continuer à travailler directement avec l’opérateur historique. J’ai bien compris que ce n’est pas là votre position ; c’est en tout cas celle que défend le Gouvernement français, d’accord avec de nombreux autres pays comme l’Allemagne, le Luxembourg ou les Pays-Bas. Je ne sais pas quel sera le résultat final de la procédure de décision européenne, mais telle est notre position.
Vous m’avez interrogé sur le décret-socle : je ne sais pas si c’est une coïncidence, mais j’ai mis en ligne ce matin le projet de décret réalisé par le Gouvernement, ainsi que le calendrier du processus. Ces documents ont été envoyés aux organisations syndicales, ainsi qu’aux organisations patronales. D’ici au 15 mars une négociation aura lieu, après quoi le projet de décret sera transmis au Conseil d’État : cela se fait en toute transparence.
De premiers commentaires ont été formulés. Les discussions seront, évidemment, complexes, puisqu’il s’agit de déterminer le rôle même de ce décret-socle. Pour ma part, je considère qu’il doit garantir des règles de sécurité pour l’ensemble des salariés, ce qui ne dispense pas les partenaires sociaux d’exercer leurs responsabilités. Je profite de votre question pour le dire : le décret-socle ne dispense pas les partenaires sociaux de négocier la convention collective.
Précisément, si le Gouvernement a décidé de publier le projet de décret-socle – sachant que ce décret devra de toutes façons, en vertu de la loi, entrer en vigueur le 1er juillet –, c’est pour éviter que les partenaires sociaux regardent ailleurs, pour éviter qu’ils s’en remettent totalement au Gouvernement en attendant la négociation. Notre position est claire : nous allons prendre le décret-socle, mais nous souhaitons que la négociation sociale ait lieu, et que la convention collective prévue par la loi soit conclue.
Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Furst.
M. Laurent Furst. Monsieur le secrétaire d’État, construire une infrastructure aujourd’hui relève du parcours du combattant. Une durée de dix ans semble être le minimum avant de pouvoir commencer le chantier d’une route ou d’une voie de chemin de fer ; pour un aéroport, c’est trente ans.
Chaque citoyen – et c’est heureux – peut faire des recours, mais que dire de la longueur des procédures ? Elles ralentissent les projets, tout en laissant tourner le compteur de la dépense publique. Lorsque ces procédures arrivent à leur terme, l’espoir renaît.
Mais voilà qu’un nouveau mot est apparu dans le vocabulaire français : le zadisme. C’est une occupation illégale du terrain par la violence. C’est le déni du choix des élus porteurs de la légitimité démocratique. C’est le mépris des procédures républicaines de notre pays. Les zadistes se sont fait connaître à Sivens, où ils ont eu la peau du barrage, en Isère, en s’opposant à la construction d’un Center Parcs, et surtout à Notre-Dame-des-Landes, où ils luttent contre le projet d’aéroport.
M. Yannick Favennec. Eh oui !
M. Philippe Vigier. Notre-Dame-des-Landes, priez pour nous !
M. Laurent Furst. Face à cette situation, un État moral, un État normal, devrait avoir pour seul objectif le respect de la loi de la République. Mais voilà, nous avons entendu mardi M. le Premier ministre déclarer, l’air manifestement gêné :…
M. Philippe Vigier. Sous le regard de Ségolène Royal !
M. Laurent Furst. …« Nous savons que cette évacuation, et c’est la responsabilité du Gouvernement de l’intégrer, se passera dans des conditions difficiles. C’est pour cela qu’avec le Président de la République, nous avons considéré qu’il fallait donner une légitimité supplémentaire à ce dossier. »
M. Yannick Favennec. Tu parles !
M. Laurent Furst. En clair, il suffit que des activistes violents occupent le terrain, et toutes les procédures républicaines, la légitimité des élus, vingt à trente ans de travail, pourraient être balayés d’un revers de main par un gouvernement trop faible. Permettez-moi de dire que cette position me scandalise, car je sais qu’elle cache un refus de trancher entre les partisans et les opposants de l’aéroport, y compris – et peut-être même avant tout – au sein même du Gouvernement.
M. Yannick Favennec. C’est tout à fait cela !
M. Laurent Furst. Ma question porte sur le grand contournement ouest de Strasbourg. Le 4 février dernier, Emmanuelle Cosse dénonçait, sur le terrain, l’ « absurdité » de ce projet. Le 11 février, elle entrait dans un gouvernement qui vient de signer la concession autoroutière de ce même projet.
J’ai deux questions. Le Gouvernement est-il uni et solidaire pour porter ce projet ? Aujourd’hui, des zadistes s’installent sur le terrain : le Gouvernement défendra-t-il ce projet, ou reculera-t-il une nouvelle fois ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. Monsieur le député, si vous aviez été un peu objectif, vous m’auriez félicité d’avoir réussi à mener à bien le projet de grand contournement ouest de Strasbourg, que d’autres responsables n’avaient pas achevé. C’est tout de même le plus important.
M. Laurent Furst. C’est vrai !
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. Vous avez la mémoire sélective : c’est moi qui ai mené à bien ce projet, et certains élus de votre bord politique m’en ont félicité. Vous auriez pu le rappeler !
M. Laurent Furst. Je l’admets tout à fait !
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. S’agissant de Notre-Dame-des-Landes, je rappelle que des zadistes y étaient déjà installés entre 2008 et 2012, alors que vous étiez majoritaires ; votre indignation était alors plus mesurée.
M. Yannick Favennec. Non, nous avons toujours tenu le même discours !
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. Cela ne change rien, du reste, au fond du problème. Comme vous, je suis républicain, et je crois que la loi de la République doit s’appliquer partout, à Notre-Dame-des-Landes comme à Strasbourg. Il n’y a aucune raison que l’on puisse s’opposer par la force à la loi.
Le Premier ministre a annoncé une vérification démocratique : cette démarche me paraît acceptable pour un républicain. Pour le reste, la position du Gouvernement est la même pour le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes et pour le grand contournement ouest de Strasbourg.
M. Laurent Furst. Fessenheim !
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. Que personne n’aille s’imaginer qu’il peut rendre une situation irréversible !
Contrairement à ce qui a été fait les années précédentes, je vous assure que je serai très vigilant pour qu’aucune situation ne remette en cause irrémédiablement ce qui est important pour l’agglomération de Strasbourg. En plus, ce projet créera des travaux, et donc de l’activité économique.
Mme la présidente. Nous en revenons aux questions du groupe UDI. La parole est à M. Philippe Folliot.
M. Philippe Folliot. Monsieur le secrétaire d’État, l’agglomération Castres-Mazamet est la seule agglomération de plus de 100 000 habitants de notre pays à ne disposer ni d’une autoroute, ni d’une gare TGV, ni d’un aéroport international.
M. Philippe Vigier. Rien !
M. Philippe Folliot. Cette situation est insupportable pour l’ensemble des acteurs économiques du territoire.
C’est ainsi que depuis plusieurs années, les acteurs de l’agglomération Castres-Mazamet, mais aussi de tout l’arrière-pays, notamment les monts de Lacaune, demandent une autoroute. Cette revendication est défendue par les acteurs économiques, mais aussi par les associations et les centrales syndicales de salariés : il y a un très large consensus, dans l’ensemble du département, pour que cette infrastructure voie enfin le jour.
Depuis 2002, je suis intervenu à de nombreuses reprises pour défendre ce projet. Il m’a été répondu que suite à une décision ministérielle de Jean-Louis Borloo datée de 2010, une enquête d’utilité publique devait être organisée dès 2012. Le Président de la République, François Hollande, est venu à Castres en 2013, et a regretté que cette infrastructure – qui, selon lui, aurait dû être réalisée depuis longtemps – n’ait pas encore vu le jour.
Il y a quelques jours, une rencontre a eu lieu à la préfecture de région. Il a été convenu que l’enquête publique démarrerait à la fin de l’année 2016. Ce n’est pas acceptable pour les acteurs du territoire : la réalisation de cette infrastructure si importante est repoussée de mois en mois, d’année en année.
Ne serait-il pas possible de gagner un peu de temps, pour que l’enquête d’utilité publique démarre au mois de septembre ? Si elle ne commence qu’au mois de décembre, on arguera de la proximité des élections présidentielles et législatives pour la retarder encore de quelques mois.
M. Philippe Vigier. Il a raison !
M. Philippe Folliot. Cette autoroute est-elle toujours une priorité pour le Gouvernement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. Monsieur le député, il y aura probablement, au cours des élections à venir, des divergences entre nous, mais il me semble que sur ce sujet, il n’y a pas lieu d’en avoir ! Il y a eu, en effet, pour ce projet, un engagement commun – mais certains se sont engagés plus effectivement que d’autres. J’espère que nous pourrons poursuivre notre travail.
Par une décision ministérielle du 22 avril 2014, le Gouvernement a confirmé le choix d’un aménagement par concession autoroutière, dans lequel l’État apportera 50 % de la subvention d’équilibre. Sur cette base, au cours de l’année 2015, les études techniques ont été réalisées, et le projet a été adapté, en concertation avec les acteurs locaux, notamment socio-professionnels. Le dossier d’enquête public doit être présenté aux acteurs du territoire et aux instances impliquées dans cette concertation au cours du printemps 2016.
La saisie de l’autorité environnementale et du commissariat général aux investissements est quant à elle prévue avant l’été 2016. Dans ces conditions, l’objectif est de lancer l’enquête publique en décembre 2016,…
M. Philippe Folliot. C’est trop tard !
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. …comme cela a été confirmé lors du comité de pilotage réuni le 11 février dernier. Certes, nous aurions pu aller plus vite, et je le regrette, mais à ce stade du processus, c’est la seule date qui puisse être retenue. Je sais que des retards ont été constatés, mais ils permettront d’aboutir à un projet de meilleure qualité, car il est apparu indispensable de confronter les points de vue au cours de la concertation.
Je vous confirme que l’objectif de terminer le chantier en 2022 reste tenable ; il est inclus dans le calendrier dont je viens de vous parler. Vous pouvez compter sur la détermination du Gouvernement pour qu’il en soit ainsi, dans l’intérêt de la région de Castres et de tout le territoire tarnais.
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Vigier.
M. Philippe Vigier. Monsieur le secrétaire d’État, Philippe Folliot a mis le doigt sur une vraie difficulté avec cette enquête publique qui doit démarrer en fin d’année. Une autre infrastructure routière se trouve dans cette situation : l’autoroute A 154 entre Chartres et Orléans. Dans un contexte de campagne électorale, il sera difficile de mener à bien cette enquête publique.
Je souhaite revenir sur l’accident ferroviaire de Brétigny-sur-Orge, qui a causé sept morts en juillet 2013. De nombreux rapports d’expertise ont été remis aux juges d’instruction ; ils montrent que le réseau est dans un état de grand délabrement. Tous les acteurs s’accordent à dire – vous le savez, monsieur le secrétaire d’État, je sais que c’est une de vos préoccupations – qu’un nouveau Brétigny peut arriver à tout moment.
La Cour des comptes a été très sévère au sujet des transports ferroviaires franciliens dans l’avis qu’elle a remis il y a quelques jours. Elle reconnaît que des travaux de modernisation ont été réalisés, et que du matériel roulant a été acheté. Mais vous savez qu’il faudra construire le Grand Paris Express, qui représente 260 kilomètres et soixante-douze nouvelles gares, pour 35 milliards d’euros.
Si nous saluons tous ces efforts, la modernisation du transport ferroviaire demeure indispensable. Comme vous le savez fort bien, 15 % des caténaires ont plus de quatre-vingts ans, 40 % des voies et 30 % des aiguillages ont plus de trente ans. Que faire ? Quel programme pluriannuel de travaux engager ? La question se pose d’autant plus que le contexte actuel est marqué par de nouveaux projets : la ligne à grande vitesse Bordeaux-Toulouse et celle, ô combien importante – vous ne me démentirez pas, monsieur le secrétaire d’État – reliant Bordeaux à Dax, prévue pour 2032.
Chacun a donc compris que la modernisation du réseau est indispensable, qu’un accident peut arriver, que la mise en service de nouvelles lignes TGV doit intervenir. Mais avec quels financements et selon quel calendrier ?
Ma question est simple : avez-vous établi ce programme pluriannuel, avec quelles sources de financement pérennisées ? L’incertitude ne peut prévaloir en la matière. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)
M. Yannick Favennec. Excellente question !
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. Monsieur le député, je partage votre constat et suis en accord avec vous sur le fait qu’il faut apporter des réponses claires et précises. S’agissant du constat, vous avez cité des chiffres éloquents. Cette situation m’a beaucoup frappé mais, auparavant, elle a malheureusement frappé un certain nombre de victimes. Le risque, en présence d’un réseau en aussi mauvais état, doit évidemment tous nous inquiéter. La responsabilité publique consiste à augmenter les crédits destinés à la restructuration du réseau. Toute autre politique serait absurde, car, plus le réseau vieillit, plus la maintenance est coûteuse : il est donc plus efficace de renouveler le réseau au bout d’un certain temps.
Le Gouvernement a fait de la maintenance une priorité. Ce ne sont pas que des mots : l’année dernière, nous avons créé 500 emplois liés au réseau, et 350 cette année. À l’aune de la situation budgétaire actuelle, que vous connaissez suffisamment bien, vous pouvez mesurer l’importance de telles décisions. J’y insiste, ce ne sont pas des mots ; des actes ont été accomplis, comme l’attestent les travaux d’un montant de 4,9 milliards qui ont été engagés cette année. De nombreux chantiers sont effectués par réseau et bénéficient de technologies extrêmement modernes. Les choses sont en cours, mais il nous faudra du temps – la prudence est de mise en la matière –, probablement une dizaine d’années, pour parachever cet effort.
Je veux cependant le dire très clairement : il n’y a pas de collision, en termes de calendrier, entre les lignes TGV, dont les financements se situent à un horizon de quinze ans, et la problématique que je viens d’évoquer. À l’heure actuelle, la priorité est d’assurer la maintenance du réseau. Ensuite, la France pourra se poser des questions sur les lignes à grande vitesse, dont celles que vous avez évoquées.
Reste la question du financement. De fait, il conviendra de définir les modalités du financement des travaux, concernant à la fois les infrastructures et, éventuellement, le développement. Certains ont imaginé des solutions, qui ont d’ailleurs été mises en œuvre, s’agissant notamment de la ligne Tours-Bordeaux : on voit les difficultés résultant de ce choix, dont je suis aujourd’hui obligé de gérer les conséquences, tout en espérant que l’on trouvera une solution rapidement.
Des questions demeurent en suspens. Personne, aujourd’hui, en responsabilité, ne peut dire que nous pouvons à la fois faire face à ces situations d’urgence – et donc dégager les moyens nécessaires à la maintenance – et assurer le développement des infrastructures, le tout sans se poser la question de l’augmentation des moyens dévolus à l’AFITF. Je l’ai dit lors de la discussion budgétaire : la décision est devant nous, elle devra intervenir dans le cadre du budget pour 2017 et, probablement, pour les années suivantes.
Mme la présidente. Nous en revenons aux questions du groupe socialiste, républicain et citoyen.
La parole est à M. Philippe Duron.
M. Philippe Duron. Monsieur le secrétaire d’État, dans une économie mondialisée, le transport maritime connaît un développement considérable. Trop longtemps, en dépit d’une situation géographique exceptionnelle, les ports français ont pâti de la concurrence forte et efficace des ports du Benelux et de la Méditerranée.
Depuis 2008, toutefois, la situation des ports évolue positivement dans trois domaines. En matière d’organisation des ports, tout d’abord, la réforme de 2008 a permis de clarifier les rôles entre l’État, propriétaire des infrastructures, et les manutentionnaires, en charge des superstructures. Ensuite, s’agissant de la bonne gouvernance des ports, facteur clé du succès des ports hanséatiques, la proposition de loi sur l’économie bleue portée par notre collègue Arnaud Leroy vient opportunément renforcer la place des régions, en proposant la création d’une commission des investissements au sein du Conseil de développement. Cette meilleure prise en compte des parties prenantes permettra peut-être d’éviter des dysfonctionnements tels que ceux constatés avec le terminal multimodal du Havre. Enfin, en termes d’organisation du personnel, la mission de Mme Martine Bonny et la proposition de loi qui a permis d’en transcrire les conclusions précisent le rôle des ouvriers dockers. Elles contribueront à l’amélioration du climat social et, par conséquent, à l’attractivité des ports français.
Ces mesures complètent heureusement la démarche que vous avez entreprise pour orienter et dynamiser la logistique française, dont les ports sont un élément déterminant. La conférence nationale pour la logistique fut un réel succès. Le prochain conseil stratégique de l’attractivité aura pour thème « La France, plateforme logistique d’exportation » et sera l’occasion de rendre publique la feuille de route du Gouvernement « France logistique 2025 ».
Le Premier ministre vient aussi de nommer six parlementaires en mission pour réaliser un diagnostic sur les interfaces et les hinterlands des trois principaux complexes portuaires français. Ce diagnostic devra traduire les objectifs portés par la stratégie nationale sur un plan opérationnel et territorialisé.
Pour compléter ce dispositif en faveur de la compétitivité de nos ports, il conviendrait désormais de simplifier certaines procédures douanières, telles que l’autoliquidation de la TVA à l’importation, qui permettrait d’être en cohérence avec les facilités administratives en vigueur dans les autres ports européens. Pouvez-vous, monsieur le secrétaire d’État, nous indiquer l’état d’avancement de ce dossier et, plus globalement, préciser à la représentation nationale votre stratégie et vos objectifs en matière portuaire ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. Monsieur le député, vous avez raison d’évoquer cette question fondamentale pour notre pays. En vertu de la continuité démocratique, nous faisons toujours référence, les uns et les autres, à la loi de 2008, qui a été une bonne loi pour les ports et que nous continuons à appliquer.
En arrière-plan se pose la question majeure des relations entre les ports et les territoires, c’est-à-dire l’hinterland. La France a en effet une spécialité : alors qu’elle dispose d’une importante façade maritime et d’un certain nombre de ports, ceux-ci, d’une certaine façon, ignorent les territoires qui les entourent. Nous avons évoqué cet enjeu tout à l’heure s’agissant de Serqueux-Gisors et de la réponse à apporter à ceux qui s’inquiètent, du côté du Havre, du canal Seine-Nord-Europe. De fait, la réponse n’est pas de rester isolé au Havre mais d’irriguer le territoire. Je sais que vous partagez ce point de vue.
Vous l’avez également rappelé, le conseil supérieur de l’attractivité, qui se tiendra le 22 mars, sous la présidence du Président de la République, et qui aura pour thème transversal la question de la logistique, permettra de faire un point d’étape et de formuler un certain nombre de propositions en s’appuyant sur la stratégie logistique, les travaux des conférences fluviales et ferroviaires et les projets stratégiques des grands ports maritimes.
S’agissant de la procédure d’autoliquidation de la TVA, comme je l’ai mentionné, le Premier ministre a, lors du comité interministériel de la mer, fixé un objectif clair d’élargissement de ce dispositif très attendu par nos places portuaires. Nous l’avons d’ailleurs évoqué dans le cadre du débat sur la proposition de loi sur la croissance bleue.
Dans ce contexte, nous devons aussi travailler avec l’administration des douanes, comme nos services s’y emploient.
Demeurent aujourd’hui quelques difficultés, s’agissant notamment du complexe multimodal du Havre : nous y travaillons aussi, les acteurs sont présents, et je veux les en remercier. Il est à mes yeux nécessaire de développer le fret capillaire. Je crois d’ailleurs, monsieur Duron, que vous partagez ce point de vue ; beaucoup de vos collègues ici présents qui s’intéressent à ce sujet le savent parfaitement : nous disposons aujourd’hui de tous les outils requis, nous avons de grands ports, il nous appartient à présent d’établir le lien entre ces ports et les territoires. La solution réside dans le fret ferroviaire et, en fin de course, dans le fret capillaire.
Tous les acteurs s’investissent pour apporter des réponses. Je sais que vous y contribuez à la tête de l’AFITF. En tout état de cause, soyez sûr de ma détermination pour que la France utilise finalement, tout simplement, ses atouts, pour que cette France-là, dans laquelle je crois, soit au rendez-vous.
Mme la présidente. La parole est à M. Florent Boudié.
M. Florent Boudié. Monsieur le secrétaire d’État, le 23 juin 2014, le Parlement adoptait la loi visant à répartir les responsabilités et les charges financières liées aux ouvrages d’art assurant la continuité des voies routières et ferroviaires. Très attendue par nos élus locaux, elle visait à répondre aux nombreux contentieux survenus entre, d’un côté, les collectivités territoriales et, de l’autre, l’État et ses établissements publics, SNCF et Voies navigables de France.
Je prendrai l’exemple de la commune de Libourne, dans ma circonscription, qui a connu, il y a sept ans, pour des motifs de sécurité publique, la fermeture à la circulation des poids lourds d’un pont datant du XIXe siècle, qui enjambe la ligne de TGV Bordeaux-Paris. SNCF réseau renvoie la prise en charge de dépenses de reconstruction évaluées à 3,5 millions d’euros à la commune de Libourne, elle qui n’a ni décidé de la construction de l’ouvrage, ni même été associée à son entretien et à sa surveillance pendant plus d’un siècle d’utilisation.
C’est précisément pour répondre à ces situations que la loi du 7 juillet 2014 établit un principe simple : qui décide paie. Autrement dit, qui décide de construire une nouvelle voie de circulation doit en assumer les conséquences. Au gestionnaire de la nouvelle infrastructure de transport la responsabilité des charges d’entretien, d’étanchéité, de surveillance, de reconstruction des ouvrages d’art ; aux collectivités territoriales la prise en charge de la chaussée et de la voirie.
J’ajoute qu’en cas de contentieux visant les ouvrages d’art existants, sur la base d’un amendement que j’avais d’ailleurs introduit, la loi oblige l’État ou l’un de ses établissements publics à rechercher une solution négociée et à conclure une convention avec les collectivités territoriales concernées.
Vous le savez, l’application de la loi du 7 juillet 2014 nécessite un décret d’application en Conseil d’État. Il tarde à venir, près de deux ans après l’adoption de la loi. Beaucoup de contentieux sont pourtant en suspens. L’enjeu est d’ailleurs celui de la sécurité publique pour nos administrés. La loi est, de fait, restée lettre morte. Ma question va de soi, monsieur le secrétaire d’État : quand l’État sera-t-il en mesure de prendre ce décret d’application très attendu par nos élus locaux ? Je le répète, il s’agit de permettre l’application – retardée depuis maintenant près de deux ans – d’une loi adoptée en 2014 mais discutée dès 2011 au Parlement, soit durant trois ans.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. Monsieur le député, vous m’interrogez sur la loi du 7 juillet 2014 visant à répartir les responsabilités et les charges financières concernant les ouvrages d’art de rétablissement des voies. Cette loi, adoptée à l’unanimité, fixe le principe d’une convention destinée à répartir les responsabilités et les charges entre le gestionnaire d’une infrastructure de transport nouvelle et la personne publique dont la voie de communication est interceptée par cette infrastructure. Pour être encore plus précis, votre question porte sur la publication du décret d’application prévu par cette loi.
Ce décret a pour objet d’apporter les précisions nécessaires à la mise en œuvre des principes posés par la loi dans les domaines suivants : la nature des charges relatives à l’ouvrage d’art de rétablissement à assumer, respectivement, par le gestionnaire et par la personne publique propriétaire de la voie, ainsi que l’adaptation, prévue par la loi, du principe de référence au regard de la capacité financière de la collectivité territoriale ou de l’établissement public de coopération intercommunale, de leur capacité technique ou de l’intérêt retiré.
Le projet de décret a été soumis aux consultations d’usage et, après une première présentation au Comité national d’évaluation des normes, au printemps 2015, il a nécessité, vous l’avez rappelé, de nouvelles discussions avec les associations d’élus. Cette deuxième phase a permis de vérifier l’existence d’un consensus avec l’Association des maires de France, mais aussi la persistance d’un blocage avec l’Assemblée des départements de France.
Comme vous, je souhaite une entrée en vigueur de ce texte dans les meilleurs délais, mais le sujet, sensible techniquement, et le caractère novateur du dispositif envisagé par la loi rendent l’exercice complexe, notamment au regard de l’évaluation de ses impacts financiers. Telle est la difficulté à laquelle se heurtent les discussions avec les départements et le sujet du blocage actuel. Je peux vous assurer de l’attention qui est portée à la bonne mise en œuvre de cette loi qui, je le disais, a recueilli, lors de son vote, le soutien unanime des parlementaires de toutes sensibilités, ainsi que celui du Gouvernement. Je souhaite que nous puissions prendre ce décret d’application, mais vous concevrez que nous essayions d’obtenir, à tout le moins, un dialogue constructif. Or, si le dialogue existe, il ne permet pas, pour l’heure, d’aboutir à un accord, notamment avec l’Assemblée des départements de France.
Mme la présidente. La parole est à M. Gilles Savary.
M. Gilles Savary. Monsieur le secrétaire d’État, je voudrais évoquer avec vous l’un des dossiers les plus baroques et les plus inattendus dont vous avez hérité : la concession de la ligne à grande vitesse Tours-Bordeaux, qui ne cesse de défrayer la chronique et a pris, ces derniers temps, un caractère curieusement polémique.
Ce dossier a été concédé au groupe Lisea dans un contexte que vous avez rappelé tout à l’heure : celui de la recherche de financements relais, l’État se révélant incapable de financer autant de LGV nouvelles dans un délai aussi court, et ce d’autant plus qu’il tend à réorienter ses priorités vers la maintenance, ce dont je vous félicite.
S’agissant du financement initial du projet, les collectivités locales ont été largement sollicitées sur des engagements de desserte. Mais on s’est finalement aperçu que l’acteur en mesure de les assurer, SNCF Mobilités, ne se considérait pas engagé. Un certain nombre de collectivités locales ont donc retiré leur participation. Aussi, aux 600 millions que doit actuellement l’État à Réseau ferré de France, convient-il d’ajouter un manque à financer, celui des collectivités locales qui considèrent que les engagements qui avaient été pris par l’État n’ont pas été honorés.
Mais il y a plus : ces contrats assez obscurs révèlent que le concessionnaire privé, Lisea, se serait engagé sur trente-six allers-retours par jour, là où la SNCF prétend ne pouvoir en assurer que treize. Je crois que vous êtes déjà intervenu dans ce débat, monsieur le secrétaire d’État. La SNCF a concédé qu’elle pouvait assurer seize allers-retours et demi, moyennant une perte d’exploitation de 150 millions d’euros. Ainsi, le jour de l’inauguration, le nouvel exploitant inaugurerait aussi une perte par rapport à la situation actuelle.
La région Aquitaine vient de conduire une contre-expertise, qui montre au contraire que la SNCF pourrait réaliser un profit considérable. Où faut-il rechercher la mauvaise foi ? À Lisea ou à la SNCF ? En tout état de cause, le nombre de dessertes est bien inférieur à ce que les élus locaux avaient envisagé.
Au-delà, la question du modèle concessif se pose, surtout lorsque l’on connaît les déboires de la ligne Perpignan-Figueras, la première grande concession de LGV française.
Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous faire le point sur la liaison Tours-Bordeaux ? Comment envisagez-vous le développement de nouvelles concessions, dans la mesure où ce mode de financement paraît privilégié pour le développement du réseau LGV ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. Monsieur le député, votre question est d’actualité ! Effectivement, il a été décidé que le financement de la LGV reposerait à la fois sur la participation des collectivités locales et sur une concession. Les travaux suivant leur cours normal, cette ligne doit entrer en fonctionnement le 1er juillet 2017.
SNCF Mobilités et Lisea, dont l’actionnaire principal est Vinci, discutent actuellement des conséquences et des modalités de ce contrat. L’État leur demande de trouver un accord et de sortir de ce débat sur les chiffres – chiffres sur lesquels je m’interroge également. Vous connaissez comme moi cette région, son développement. L’attractivité et le succès de la ligne constitueront, le moment venu, une réponse. Il est vrai que l’engagement de nombreuses collectivités dépendait du prolongement de la ligne vers Toulouse et Dax. Je souhaite que les parties, dans le cadre contractuel, trouvent rapidement le chemin d’un accord, car je crois au succès de la ligne Tours-Bordeaux.
L’interrogation de fond que vous avez soulevée demeure. Je ne suis pas certain que le modèle concessionnaire soit adapté. Sans doute faut-il regarder ce qui se passe dans les autres pays et avoir le courage de se dire que de telles infrastructures ne peuvent être financées, dès lors que l’on ne parvient pas à mobiliser 65 % au moins de financements publics.
Cela ne signifie pas qu’il faille renoncer pour autant à ces infrastructures. Ce qui se passe pour la ligne Perpignan-Figueras est d’une autre nature que la difficulté à laquelle est confronté Lisea, mais les deux situations apportent un éclairage certain sur la stratégie concessionnaire. Je n’y suis pas opposé par principe, mais j’estime qu’il faut tirer toutes les conséquences. Je demande aux acteurs de nous aider, car cette ligne doit constituer une réussite, jusque dans l’application du contrat.
Mme la présidente. La parole est à M. Gilles Lurton, pour le groupe Les Républicains.
M. Gilles Lurton. Monsieur le secrétaire d’État, au mois de mai 2013, j’ai interrogé votre prédécesseur sur les travaux de modernisation de la ligne ferroviaire reliant Dinan à Dol-de-Bretagne. Cette opération, actée dans le cadre des grands travaux de Réseaux Ferrés de France en 2013, vise à favoriser le maillage des gares desservies par la ligne à grande vitesse entre Saint-Malo, Dol-de-Bretagne, Rennes et Paris. Aujourd’hui, un premier tronçon a été réalisé entre Dinan et Pleudihen-sur-Rance. Reste la partie la plus compliquée, entre Pleudihen-sur-Rance et Dol-de-Bretagne.
SNCF Réseaux s’était engagée, à l’occasion d’une réunion en mairie de Dinan le 10 janvier 2014, à débuter les travaux préparatoires en octobre 2016, avec une fermeture de ligne jusqu’en août 2017 et une mise en service de trains directs entre Dinan et Rennes en juin 2018. Or nous avons découvert, le 5 octobre 2015, un nouveau planning prévoyant finalement une fermeture de ligne en mars 2019, soit vingt-sept mois plus tard.
Je crains que SNCF Réseaux ne mette en cause le financement des collectivités pour justifier ce retard. Il est vrai que les collectivités, sollicitées à hauteur de 800 000 euros pour le financement des études, ont rencontré quelques difficultés pour réunir les sommes nécessaires. Mais ces collectivités, dès le 10 janvier 2014, ont pris l’engagement qu’elles financeraient les études dans les délais impartis du premier calendrier annoncé par SNCF Réseaux. Aujourd’hui, cet engagement est tenu.
Les pays de Dinan et de Saint-Malo doivent enfin pouvoir disposer de trains directs entre Dinan et Rennes et entre Dinan et Saint-Malo, liaisons indispensables à leur développement économique. Aussi, monsieur le secrétaire d’État, je vous demande de tout mettre en œuvre pour que SNCF Réseaux puisse respecter le premier calendrier annoncé et débuter les travaux en octobre 2016.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. Monsieur le député, la deuxième tranche de renouvellement, entre Pleudihen et Dol, est inscrite au projet de contrat plan État-région 2015-2020 pour 24 millions, dont 20 % sont apportés par l’État. Cette opération sera complétée par la modernisation de la signalisation sur l’ensemble de la ligne Dinan-Dol.
Les élus et l’association reçus par mon cabinet en avril 2015 s’interrogeaient sur la difficulté de boucler le financement des études d’avant-projet et de projet, ainsi que sur la création du croisement de Miniac-Morvan. Il a été convenu de lancer les études, avec l’objectif d’un démarrage des travaux pour fin 2016 et une mise en service pour mi-2018, sous condition d’avoir résolu ces deux points avant la fin de l’année 2015.
Je crois savoir qu’un consensus s’est dégagé autour du croisement de Miniac-Morvan, afin que les études d’avant-projet intègrent cet évitement et permettent d’en affiner le coût, la consistance, et surtout la nécessité de réalisation au regard de l’offre TER attendue.
En ce qui concerne le financement des études, il fallait que les collectivités locales concernées par l’avenir de la ligne s’entendent, afin d’apporter le complément de 825 000 euros. J’ai conscience qu’il s’agit là d’un montant élevé, mais la mobilisation des collectivités est indispensable sur une opération dont l’intérêt local est avéré.
Si l’accord sur le financement des 825 000 euros, manifestement tardif, et en tout cas postérieur au comité de pilotage de janvier 2016, est avéré, je suis prêt à demander au président de SNCF Réseaux, Jacques Rapoport, de réexaminer la possibilité de respecter l’échéancier qui vous avait été donné. À ce stade, je ne peux vous apporter la garantie de sa réponse, mais je m’engage à effectuer cette démarche en votre nom.
Mme la présidente. Monsieur Lurton, je vous invite à poser une nouvelle question, pour le groupe Les Républicains.
M. Gilles Lurton. La nouvelle ligne à grande vitesse entre Le Mans et Rennes doit être mise en service au mois de mai 2017. Il s’agit de l’un des plus gros chantiers de l’histoire du groupe de travaux publics Eiffage, avec plus de 180 kilomètres de lignes opérationnelles. Cet investissement, de plus de 3,4 milliards d’euros, mettra, au printemps 2017, Saint-Malo à deux heures quinze de Paris et Rennes à une heure vingt-sept de Paris, contre un peu plus de deux heures aujourd’hui.
Nous attendons cet investissement depuis 1986, date à laquelle le conseil régional de Bretagne a accepté l’électrification de la ligne Rennes-Saint-Malo, afin de permettre aux TGV de circuler jusqu’à Saint-Malo.
Cela représente une aubaine pour la Bretagne et l’économie bretonne tout entière, même si je continue de regretter que ces travaux n’aient pu être poursuivis jusqu’à Quimper et Brest. L’économie touristique du Pays de Saint-Malo devrait aussi profiter de cette aubaine, tout comme les Rennais et les Malouins, qui sont de plus en plus nombreux à se rendre chaque jour à Paris pour travailler.
La Région Bretagne et le Pays de Saint-Malo ne s’y sont pas trompés. Avec l’État et SNCF Réseaux, ces collectivités ont accepté de s’engager financièrement, à hauteur de 655 millions d’euros. C’est dire l’importance de cet investissement pour notre région tout entière.
Mais nous apprenons aujourd’hui que cette ligne coûtera plus cher : Eiffage réclamerait 200 millions supplémentaires, au motif que des spécifications techniques lui ont été transmises tardivement.
Aussi, monsieur le secrétaire d’État, je souhaiterais que vous confirmiez que ces coûts supplémentaires n’auront pas d’autres conséquences sur les contributions financières des collectivités. Par ailleurs, je sais que la livraison prévue en mai 2017 demeure un exercice exigeant. Pouvez-vous confirmer que le calendrier sera bien tenu ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. Monsieur le député, j’essaierai de vous donner la réponse la plus précise possible, après avoir rappelé tout l’intérêt de ce projet, qui constitue le prolongement en direction de Rennes de la LGV Paris-Le Mans.
Je tiens d’abord à confirmer que les travaux se déroulent conformément au calendrier général, avec une mise en service prévue mi-2017.
Comme vous, nous avons eu connaissance des réclamations avancées par Eiffage. Elles se font dans le cadre contractuel, sans impact sur les participations des collectivités territoriales ni sur la réalisation de ce projet. Il s’agit là d’un litige classique, qui trouvera son issue dans le cadre des voies de droit, mais qui ne remet en cause ni le calendrier ni le financement des collectivités territoriales.
Mme la présidente. La parole est à M. Gilles Lurton, pour sa troisième et dernière question, au nom du groupe Les Républicains.
M. Gilles Lurton. Monsieur le secrétaire d’État, votre agenda, à la page du vendredi 19 février, mentionne un point d’étape sur la feuille de route « pour un nouvel avenir des trains d’équilibre du territoire ». Notre collègue Philippe Duron, dans son rapport d’information sur les TET, préconise une expérimentation de la concurrence sur certains trains de nuit. Je souhaiterais savoir si vous envisagez de vous appuyer sur les conclusions de ce rapport et si vous avez l’intention de proposer une telle expérimentation.
L’exploitation des trains de nuit ne semblant plus intéresser la SNCF, cette expérimentation me paraît devoir être tentée. Elle permettrait de savoir si des opérateurs extérieurs de transports seraient prêts à se positionner sur ce nouveau marché, même si ces trains de nuit ne représentent que 3 % des voyages Intercités, mais 25 % des déficits. Seule une telle expérimentation permettra d’éviter la disparition d’un certain nombre de dessertes.
Cette proposition se heurte cependant à une difficulté. La plupart des travaux ferroviaires sont réalisés la nuit et empêchent très souvent la circulation des trains. Nous savons tous qu’ils sont nécessaires, compte tenu de l’état de dégradation du réseau ferroviaire – sur lequel nous ne cessons d’ailleurs de vous interroger. Si SNCF Réseaux doit poursuivre et intensifier ces travaux, il faut aussi qu’elle mette en place des mesures d’organisation qui permettront de ne pas pénaliser davantage la circulation des trains de nuit. Aussi, monsieur le secrétaire d’État, je souhaiterais savoir quelles garanties l’État peut apporter afin qu’une telle expérimentation emporte un maximum de succès.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. Monsieur le député, ce point d’étape sur l’avenir des TET, annoncé depuis longtemps, fait suite à l’excellent rapport déposé par Philippe Duron, auquel ont collaboré de nombreux parlementaires. À cette occasion, je donnerai des indications sur le matériel et sur l’avenir des relations contractuelles avec les nouvelles régions.
Les trains de nuit, vous l’avez dit vous-même, représentent 3 % des intercités, ce qui est peu, mais 25 % du déficit, ce qui est considérable. Personne ne peut ignorer qu’à chaque fois qu’un voyageur monte dans un train de nuit, il en coûte à l’État 100 euros de financement public. L’Allemagne a décidé d’arrêter les trains de nuit, considérant qu’à l’heure du covoiturage, des LGV et de l’aviation low cost, ils n’attiraient plus suffisamment de passagers.
J’indiquerai demain la position de la France. Il ne s’agit pas de faire un choix politique, en organisant une privatisation ou en choisissant je ne sais quelle solution ; il s’agit de dire ce qu’en pense la puissance publique et d’évoquer les solutions alternatives, s’il en existe. C’est dans cet état d’esprit, pragmatique, que j’interviendrai demain, avec une seule règle : ne pas ignorer la difficulté.
Celle que vous avez signalée est réelle. Les travaux de maintenance, dont j’ai répété à plusieurs reprises cet après-midi qu’ils étaient indispensables, se font la nuit, ce qui perturbe le trafic des trains de nuit et des trains de fret. Nous prendrons en considération ce type de paramètres. L’annonce que nous ferons demain ne portera pas sur une décision définitive mais constituera une avant-dernière étape, la dernière étant prévue pour le mois de juin.
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec les questions sur la politique du Gouvernement en matière d’infrastructures de transport.
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle les questions sur l’économie collaborative.
La conférence des présidents a fixé à deux minutes la durée maximale de chaque question et de chaque réponse.
La parole est à Mme Véronique Massonneau, pour le groupe écologiste, pour une première question.
Mme Véronique Massonneau. Je représente mon collègue Éric Alauzet et je m’associe aux trois questions que je vais poser.
En 2015, près d’un Français sur deux a déjà acheté ou vendu à un autre particulier sur Internet : les pratiques ont évolué. L’économie dite collaborative est porteuse de nouveaux enjeux auxquels nous devons réfléchir et nous adapter.
C’est la dynamique que le Gouvernement a enclenchée en proposant au député Pascal Terrasse de produire son rapport, dans lequel quatre grands objectifs sont fixés : permettre à l’économie collaborative de libérer la croissance, garantir le fonctionnement loyal et transparent des plateformes, accompagner les parcours professionnels des travailleurs de ce secteur, faire contribuer les plateformes d’économie collaborative à l’impôt.
Ce dernier point a retenu particulièrement notre attention puisque le rapport Terrasse apporte une nouvelle proposition en ce sens, la numéro 11 : « Assurer la contribution des plateformes aux charges publiques en France ».
En tant que membre de la commission des finances, Éric Alauzet a été particulièrement vigilant aux mesures discutées lors du projet de loi de finances 2016, concernant l’application des mesures du plan d’action BEPS – Base Erosion and Profit Shifting. L’objectif est de mettre fin aux montages fiscaux permettant le transfert international des bénéfices.
La France, qui s’est engagée sur cette voie avec la déclaration pays par pays devra donc décliner ces orientations fiscales en pratique. Aussi, Éric Alauzet souhaiterait savoir comment le Gouvernement compte assurer la contribution des plateformes aux charges publiques en France, sachant que le secteur de l’économie numérique est le plus exposé et le plus difficile à réguler.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée du commerce, de l’artisanat, de la consommation et de l’économie sociale et solidaire.
Mme Martine Pinville, secrétaire d’État chargée du commerce, de l’artisanat, de la consommation et de l’économie sociale et solidaire. Madame la députée, depuis le sommet de Los-Cabos en 2012, la France soutient les travaux de l’OCDE et du G20 relatifs à l’optimisation fiscale, notamment celle des multinationales. Le plan d’action BEPS de l’OCDE, adopté par les chefs d’État et de Gouvernement à Antalya en novembre 2015, permettra de mettre fin à ces pratiques qui conduisent à une perte de recettes d’impôts sur les sociétés de 4 à 10 % à l’échelle de la planète. Notre priorité est désormais que ce plan soit mis en œuvre le plus rapidement et par le plus grand nombre.
Nous avons déjà adopté en loi de finances initiale 2016 la déclaration pays par pays des principaux agrégats comptables des multinationales, en particulier le chiffre d’affaires, le bénéfice mais aussi l’impôt payé.
Michel Sapin a également signé le 27 janvier un accord avec plus de trente autres pays pour que ces informations puissent être, d’ici à la fin de 2017, échangées automatiquement avec les administrations fiscales des autres pays, ce qui permettra de détecter rapidement les montages d’optimisation fiscale. Un accord multilatéral sera finalisé avant la fin 2016 pour adapter nos conventions fiscales bilatérales au nouveau cadre – la France en a 125.
Le 28 janvier dernier, la Commission européenne a également présenté son projet de directive contre l’évasion fiscale, qui vise à appliquer de façon coordonnée en Europe les conclusions de BEPS. La France souhaite donc une adoption rapide de ce projet.
Par ailleurs, des avancées spécifiques ont été réalisées, lors de travaux européens, dans le domaine de la fiscalité des nouveaux modèles économiques et reposant sur les technologies numériques. Pour la première fois, des options innovantes visant à créer des nouveaux principes pour les imposer de manière adaptée ont été examinées. Il s’agit en particulier de la proposition française de présence fiscale numérique, qui permet à un État, si une entreprise utilise internet pour collecter des données de manière massive sur son territoire, d’imposer les bénéfices ainsi réalisés.
Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Massonneau pour une deuxième question.
Mme Véronique Massonneau. Pour reprendre les propositions de ce rapport Terrasse et leur application concrète, il serait aussi intéressant de revenir sur la proposition numéro 12, « Clarifier la doctrine de l’administration fiscale sur la distinction entre revenu et partage de frais et celle de l’administration sociale sur la notion d’activité professionnelle ».
Les utilisateurs, qui ont recours aux plateformes pour commander une voiture, un service, de la nourriture, un appartement, attendent des clarifications concernant la notion de revenu imposable et la notion d’activité professionnelle.
La clarification du cadre juridique est importante : les plateformes ne doivent pas être pénalisées ou au contraire favorisées par rapport aux acteurs de l’économie plus traditionnelle hors cadre internet.
L’administration sera sûrement obligée d’expliquer que certaines activités ne créent pas de revenu imposable – par exemple le covoiturage se limite à du partage de frais – et que, quand elles dépassent la pratique amateur, ces activités exigent que l’utilisateur s’enregistre en tant que professionnel, pour accumuler des droits sociaux.
C’est un vrai enjeu sur lequel nous avons besoin de clarté.
Éric Alauzet souhaiterait donc savoir comment le Gouvernement envisage de clarifier la doctrine de l’administration fiscale sur la distinction entre revenu et partage de frais et celle de l’administration sociale sur la notion d’activité professionnelle.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Martine Pinville, secrétaire d’État. Madame la députée, vous évoquez deux sujets, la frontière entre revenu et partage de frais, et celle entre professionnels et non professionnels. En fonction de ces critères, l’économie collaborative peut prendre plusieurs formes. L’on peut ainsi distinguer deux grandes catégories. La première est l’économie de partage, sans objectif de captation économique, à l’image de BlaBlaCar pour le covoiturage. Elle s’appuie sur l’échange de services et de biens entre particuliers. Il s’agit de partager des frais non professionnels par définition.
La seconde est l’économie des services, qui s’appuie sur des services en ligne générateurs de revenus souvent importants, et dont Uber est un exemple pour le transport de personnes. Nous sommes là dans des activités professionnelles, qui génèrent de surcroît des revenus.
Cette frontière existait déjà dans le cadre de l’économie traditionnelle – les brocantes par exemple –, bien avant l’émergence d’internet, mais aujourd’hui, ce sujet concerne de plus en plus de personnes, notamment les usagers des plateformes numériques.
Le partage de frais s’apprécie au regard du coût d’une prestation. Il est ainsi assez simple de connaître le coût d’un trajet en voiture et si le prix payé est inférieur à ce coût. L’activité professionnelle s’apprécie en fonction de son caractère habituel et organisé, et de sa finalité, c’est-à-dire le fait d’en tirer un revenu. La jurisprudence a précisé cette notion mais sa complexité reflète la diversité des situations que l’on peut rencontrer.
Le partage de frais non professionnels est exonéré de toute contribution, sauf cas particulier. Les revenus, professionnels ou non, sont soumis à l’impôt, tandis que les revenus professionnels sont soumis aux charges sociales, et donc à l’obligation de créer et d’immatriculer une entreprise.
Le rapport de Pascal Terrasse pose clairement ces deux sujets qui sont les préalables à une meilleure information des usagers des plateformes sur leurs droits et leurs devoirs, et le cas échéant à la mise en place de régulations plus adaptées à l’économie collaborative.
Le Gouvernement s’est donc attelé à préciser ces définitions.
Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Massonneau pour sa dernière question.
Mme Véronique Massonneau. Toujours à propos du rapport Terrasse, nous aurions souhaité revenir sur une autre proposition, la numéro 14, « S’engager avec les plateformes dans une démarche d’automatisation des procédures fiscales et sociales »
Il ne s’agit pas ici de la collecte de l’impôt, même si les plateformes ont connaissance des revenus dégagés par leurs utilisateurs, mais de l’organisation d’une télétransmission à destination des organismes sociaux et de l’administration fiscale.
Si cela est déjà en vigueur dans l’économie plus traditionnelle, puisque c’est le cas avec les employeurs pour les salaires ou avec les banques pour les revenus mobiliers, cela serait tout à fait nouveau dans ce domaine.
L’avantage serait plutôt pour l’utilisateur et pour l’administration elle-même. Ce serait également plus cohérent avec l’automatisation progressive du recouvrement de l’impôt.
En revanche, on peut imaginer la complexité que cela pourrait représenter pour ces plateformes dont la force est justement de ne pas fonctionner selon un schéma traditionnel.
Nous devrons déterminer dans un premier temps le périmètre des plateformes concernées, parmi celles qui gèrent les transactions. Il faudra par ailleurs s’assurer de la coopération des plateformes présentes sur le marché français mais qui opèrent depuis l’étranger.
Comment le Gouvernement compte-t-il mettre en œuvre cette télétransmission des procédures fiscales et sociales par les plateformes ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Martine Pinville, secrétaire d’État. Madame la députée, j’ai indiqué au cours des questions au Gouvernement que l’économie collaborative n’est pas une zone de non-droit mais une nouvelle forme d’économie dont il convient de soutenir le développement, à condition qu’il soit loyal et équitable à l’endroit des acteurs traditionnels, que sont les hôteliers ou les restaurateurs. Ils m’en parlent à chaque fois que nous nous rencontrons, ce qui est assez fréquent, en rendez-vous ou lors de mes déplacements. C’est cet équilibre que l’État doit trouver et auquel je travaille : une régulation sans surréglementation.
Vous le savez, les dispositions fiscales et sociales applicables aux activités de l’économie collaborative sont celles de droit commun. L’enjeu est également de définir la frontière entre activité professionnelle et activité non professionnelle, en fonction de son caractère habituel et de son but lucratif.
Finalement, la question qui se pose est moins celle de la modification de la fiscalité existante, que celle de son application effective et de son contrôle.
Le rapport de Pascal Terrasse, dans le dessein de garantir cette équité fiscale, fournit des pistes sérieuses pour atteindre cet objectif. La transmission automatique des revenus est une mesure qui pourrait lever les suspicions sur le respect des règles de déclaration fiscale et limiter les risques de fraude.
Vous le rappelez à juste titre : c’est le cas avec les employeurs pour les salaires ou avec les banques pour les revenus mobiliers.
Vous évoquez également les questions qui se posent en termes de périmètre des plateformes concernées et de leur coopération pour celles opérant notamment depuis l’étranger.
Les modalités de mise en œuvre de cette proposition soulèvent donc un certain nombre de questions. C’est une perspective intéressante qui facilitera le pré-remplissage des déclarations. À titre personnel, j’y suis favorable.
Bien entendu, cela nécessite un travail important et préalable pour clarifier la fiscalité applicable, et que nous engageons en lien avec les ministres en charge de la fiscalité.
Mme la présidente. Nous en venons aux questions du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
La parole est à M. Stéphane Claireaux,
M. Stéphane Claireaux. Mme la secrétaire d’État, je souhaite vous interroger sur le volet social de l’économie collaborative. Le rapport de notre collègue Pascal Terrasse préconise en effet de ne pas créer de « statut particulier » à côté de celui de salarié et de travailleur indépendant, ce qui était initialement la piste explorée par l’administration de Bercy.
En effet, notre collègue considère que cette piste « serait une source de complexité et d’insécurité juridique supplémentaire pour les plateformes, sans forcément améliorer la situation des travailleurs, dans la mesure où le troisième statut pourrait être une forme dégradée de salariat ».
Nous le rejoignons sur ce point, car les travailleurs de plateformes ont des profils variés – des acteurs de l’économie dite « réelle » qui modernisent leur vitrine commerciale, des artisans, ou encore des particuliers qui souhaitent plutôt amortir leurs biens personnels.
De leur côté, les intervenants des plateformes choisissent en général le régime de la micro-entreprise, bien souvent dans l’espoir de devenir un indépendant classique, voire un salarié.
Introduire dans la loi un statut particulier de l’intervenant précaire des plateformes de l’économie collaborative comporterait donc le risque de sanctuariser leur précarité professionnelle et de leur ôter tout espoir de droit social.
À l’inverse, la mobilisation du « compte personnel d’activité » pour instaurer une véritable portabilité de leurs droits, telle que préconisée par le rapport Terrasse, semble tout à fait adéquate. Comment le Gouvernement entend-il inclure cette réflexion au texte qui sera prochainement présenté par Mme la ministre du travail ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Martine Pinville, secrétaire d’État. Monsieur le député, le régime social applicable aux personnes offrant des services sur les plateformes est régi par nos règles de droit commun mais comme l’économie collaborative se place souvent à la frontière avec une grande diversité de situations, nous devons redoubler d’efforts pour clarifier et lever les doutes.
Lorsque l’activité génère des revenus, qu’elle est habituelle et organisée, elle est professionnelle. Cette notion est simple mais elle se retrouve confrontée à de nouveaux modèles, ce qui appelle une clarification et une lisibilité accrue, auxquelles le Gouvernement s’est attelé, sur les recommandations du rapport Terrasse.
Je mentionnerai deux contre-exemples : la location de meublé peut rester une activité non professionnelle, tandis que les services à la personne sont toujours professionnels, indépendamment des critères que je viens de citer. Pour ces activités professionnelles, le modèle du travailleur indépendant est le plus répandu. Dans le cas des entreprises unipersonnelles qui réalisent un petit chiffre d’affaires, l’entrepreneur peut opter pour le prélèvement forfaitaire du régime micro-social. Il est alors redevable de cotisations sociales en proportion de son chiffre d’affaires, selon le principe « pas de revenus, pas de charges ». Ce régime est particulièrement attractif pour de petits revenus de complément, mais il l’est peu pour des activités à fortes charges d’exploitation, par exemple le transport de personnes avec le coût du véhicule et du carburant.
D’une manière générale, le régime social des indépendants, le RSI, a été considérablement amélioré alors que la réforme qui l’avait institué avait tourné, je n’y reviendrai pas, à la catastrophe. Il reste néanmoins de nombreux points à améliorer, raison pour laquelle on a créé un comité de suivi qui se réunira à nouveau prochainement.
Le compte personnel d’activité, que Myriam El Khomri présentera dans le cadre de son projet de loi sur le travail, prolongera cette modernisation du droit social applicable aux indépendants. Il leur permettra de porter leurs droits sociaux tout au long de leur carrière et, par exemple, de mieux bénéficier du droit à la formation.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Krabal.
M. Jacques Krabal. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, ma question s’inscrit dans la continuité de celle de Stéphane Claireaux.
L’économie collaborative bouscule les pratiques économiques et sociales des citoyens. La révolution numérique met à la portée de l’individu un marché à la fois local et global. Elle multiplie, de manière exponentielle, ses capacités d’échanges sociaux mais aussi lucratifs.
Ce progrès rencontre un succès important. Il s’inscrit dans un contexte où les formes d’emploi indépendant à titre principal ou complémentaire sont encouragées par une conjoncture peu favorable à l’emploi sous statut salarié.
Les questions de la fiscalité ont été récemment posées par l’actualité avec Uber. On connaît la puissance et surtout la rapidité avec laquelle ces intermédiaires s’imposent. Ils perturbent des secteurs entiers par la captation d’une ressource en lieu et place des charges assumées par les entrepreneurs qui ne sont pas, pour leur part, « libérés » de leurs obligations réglementaires, économiques, sociales et fiscales.
L’économie collaborative entretient un certain nombre de confusions avec des formes plus anciennes d’échanges non lucratifs qui poursuivent, elles, des finalités de partage ou de défense d’intérêts collectifs. Il apparaît donc urgent de lever certaines ambivalences entre l’économie collaborative et l’économie sociale et solidaire.
Les démarches de coopération économique qui se développent dans les territoires pour restaurer le tissu économique local s’appuient sur l’implication des citoyens, et des acteurs politiques et économiques. Dans ma circonscription, les exemples ne manquent pas : boutique solidaire avec Yaka demander, ressourceries, AMAP – association pour le maintien d’une agriculture paysanne –, friperie sociale avec Le Relais, ou encore PATS – projets et actions pour des territoires solidaires. Toutes ces structures visent à remédier aux effets environnementaux, économiques et sociaux d’une économie ultralibérale reposant sur la seule rentabilité financière. Ces démarches de coopération se construisent dans des logiques de filières, se structurent en circuits courts et visent des enjeux qui dépassent les seuls intérêts économiques.
La révolution numérique est un défi qu’il faut réguler et clarifier dans la lisibilité, avec une stratégie offensive de reconquête d’une économie plus humaine. Où en sont les dispositions prises pour caractériser la nature lucrative ou non lucrative des transactions opérées par les intermédiaires des plateformes collaboratives et pour appliquer les réglementations juridiques et fiscales en conséquence ? Comme l’écrivait Jean de La Fontaine dans la fable Le Lion et le Rat : « Il faut, autant qu’on peut, obliger tout le monde ».
Mme Isabelle Attard. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Martine Pinville, secrétaire d’État. Monsieur le député, vous m’interrogez en réalité sur la nature fiscale des transactions générées par l’économie collaborative. Cette question qui emporte le régime d’imposition auquel les revenus sont soumis est, je l’ai dit, celle de la frontière entre ce que l’on peut appeler le partage des frais et un revenu, c’est-à-dire entre une activité qui ne génère pas de surplus et celle qui dégage une rentabilité. C’est toute la différence entre l’économie de partage, de faible rémunération et qui s’appuie sur l’échange de services et de biens entre particuliers, comme dans le cas de BlaBlaCar, que j’évoquerai à nouveau, et l’économie de services, qui s’appuie sur des services en ligne générateurs de revenus conséquents et dont Uber est un exemple pour le transport de personnes.
Le rapport Terrasse nous recommande de clarifier ces définitions qui sont le préalable à une meilleure information des usagers des plateformes sur leurs droits et devoirs fiscaux. La diversité des situations et des modèles économiques développés par les plateformes ne peut se résumer en un critère ultra-simplifié. Aussi la méthode indiquée par le secrétariat d’État chargé du budget me semble-t-elle être la bonne. La doctrine doit être clarifiée par grandes masses ou par cas particuliers, et vulgarisée pour être comprise et appliquée par chaque plateforme et chaque usager. C’est là, je crois, qu’est tout l’enjeu et c’est le prérequis pour une bonne application des mesures d’information des usagers concernant les plateformes notamment.
C’est aussi le prérequis pour la question qui se pose ensuite, celle de la transmission automatique des informations relatives aux revenus. Une telle mesure pourrait lever les suspicions au sujet du respect des règles de déclaration fiscale et limiter les risques de fraude. Mais elle ne sera possible qu’à condition d’avoir clarifié les règles au préalable.
La méthode est donc claire : l’enjeu est de rendre nos règles lisibles, mais aussi adaptées à la diversité des situations économiques.
Mme la présidente. Nous en venons aux questions du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
La parole est à M. Gaby Charroux, pour une première question.
M. Gaby Charroux. Madame la secrétaire d’État, en janvier dernier, le Conseil national du numérique vous a remis un rapport sur le travail et l’emploi numériques. Le CNN recommandait notamment de faire évoluer le droit commun pour assurer une protection effective aux travailleurs indépendants mais économiquement dépendants.
Aujourd’hui, avec le numérique, le nombre de travailleurs juridiquement indépendants mais économiquement dépendants ne cesse en effet d’augmenter.
Parmi les pistes avancées pour offrir une protection juridique et économique à ces travailleurs faussement indépendants figure celle de la constitution d’un droit de l’activité professionnelle composé d’un socle de droits fondamentaux applicables à tous les travailleurs. Si l’idée de mettre en place un tel socle de droits communs aux salariés et aux indépendants peut sembler séduisante, elle présente le risque de servir de prétexte à une remise en cause d’un certain nombre de droits attachés aux statuts actuels. La numérisation de l’économie est devenue une formidable machine à précariser l’emploi qui, sous couvert de valoriser l’entrepreneuriat individuel, encourage le dumping social et la multiplication des travailleurs pauvres et isolés, nous entraînant toujours plus vers une économie low cost et, partant, des emplois low cost.
Plusieurs propositions se font jour pour mieux encadrer les plateformes de l’économie collaborative et éviter qu’elles ne deviennent le nouvel eldorado d’un capitalisme sans foi ni loi. Parmi les pistes intéressantes figure celle de l’extension du salariat par la redéfinition du principe de subordination juridique autour de la notion de dépendance économique.
Madame la secrétaire d’État, quelles pistes le Gouvernement privilégie-t-il actuellement en matière de requalification des relations entre ces travailleurs de l’économie collaborative et les plateformes, et quel est son calendrier ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Martine Pinville, secrétaire d’État. Comme vous le savez, monsieur le député, le droit et le juge français ont choisi le lien de subordination juridique et non la notion de dépendance économique pour caractériser le contrat de travail. Une jurisprudence très nourrie permet donc, en France, de requalifier les relations qui débordent la simple relation commerciale en relations relevant du droit du travail.
Il ne faut pas faire, je crois, de distinction entre les travailleurs indépendants dont l’activité est fournie ou facilitée par des plateformes numériques et les autres travailleurs indépendants. Il n’y a pas de raison de traiter différemment le chauffeur qui est sollicité par le biais d’une application de téléphone mobile et celui qui est sollicité par un central téléphonique. Dans les deux cas, une situation de subordination juridique doit pouvoir être requalifiée.
Quant à la notion de dépendance économique, elle doit être maniée avec précaution. Il nous paraît important, dans une première étape, d’observer les comportements des acteurs avant de statuer sur la nécessité de légiférer ou de prendre des mesures en la manière, car nous en sommes à un stade où cette économie reste en développement.
Le rapport Terrasse va dans ce sens, dégageant pour l’heure comme priorité de rapprocher la protection sociale des indépendants de celle des salariés.
Le Gouvernement, vous le savez, proposera dans le projet de loi de la ministre du travail, qui vous sera présenté très prochainement, les détails du compte personnel d’activité. Ce dispositif permettra de mieux gérer la portabilité des droits entre le statut de salarié et celui d’indépendant, notamment en ce qui concerne la formation, ce qui constitue une première étape importante.
Mme la présidente. Vous avez de nouveau la parole pour votre seconde question, monsieur Charroux.
M. Gaby Charroux. Comme l’a récemment souligné notre collègue Pascal Terrasse dans le rapport remis à M. le Premier ministre sur l’économie collaborative, la contribution des plateformes aux charges publiques représente un enjeu considérable. Selon l’OCDE – Organisation de coopération et de développement économiques –, les pratiques d’optimisation fiscale abusives auxquelles se livrent nombre d’entreprises numériques induiraient un manque à gagner pour les recettes publiques de l’ordre de 93 à 224 milliards d’euros – la fourchette est large ! – par an dans le monde.
Les 15 et 16 novembre derniers, les chefs d’État et les ministres des finances des pays du G20 ont approuvé les préconisations de l’OCDE visant à contrer les pratiques fiscales les plus dommageables, notamment en encadrant les règles relatives aux prix de transfert. Le plan d’action de l’OCDE est sans portée contraignante mais, si près de quatre-vingt-dix pays collaborent aujourd’hui à la rédaction d’un instrument pour amender le réseau existant de conventions fiscales bilatérales, cela n’interdit pas à notre pays de prendre des initiatives.
L’obligation faite aux entreprises, par la loi de finances pour 2016, de déclarer à l’administration fiscale dans un rapport, pays par pays, la nature des activités poursuivies et le montant des bénéfices réalisés, va dans ce sens et nous apprécions cette mesure. Il est néanmoins possible d’imaginer d’autres outils. Nous avions formulé, par exemple, la proposition d’instaurer une contrepartie financière au recours aux paradis fiscaux par les établissements bancaires français. Cette disposition pourrait être étendue aux entreprises numériques.
Notre question sera donc double : quelle est la position aujourd’hui défendue sur ces questions par le Gouvernement dans le cadre des négociations internationales et des échanges avec nos partenaires européens, et quelles mesures nouvelles envisagez-vous de proposer lors des prochaines échéances budgétaires ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Martine Pinville, secrétaire d’État. Monsieur le député, depuis le sommet de Los Cabos en 2012, la France soutient les travaux de l’OCDE et du G20 sur l’optimisation fiscale pratiquée par les multinationales. Le plan BEPS – plan de lutte contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices – de l’OCDE, adopté par les chefs d’État et de gouvernement à Antalya en novembre 2015 permettra de mettre fin à ces pratiques qui conduisent à une perte de recettes d’impôt sur les sociétés de 4 % à 10 % à l’échelle de la planète. On évalue à 240 milliards d’euros le montant d’impôt non payé par les grands groupes multinationaux grâce à des stratégies d’évitement de l’impôt.
Notre priorité est donc que ce plan soit désormais mis en œuvre le plus rapidement possible et par le plus grand nombre.
Vous l’avez dit, nous avons adopté en loi de finances initiale pour 2016 une mesure de déclaration pays par pays des principaux agrégats comptables des multinationales, en particulier le chiffre d’affaires et le bénéfice, mais aussi l’impôt acquitté.
Le 27 janvier dernier, Michel Sapin a signé un accord avec plus de trente pays pour que ces informations puissent être échangées automatiquement d’ici à la fin de 2017 avec les administrations fiscales des autres pays, ce qui permettra de détecter rapidement les montages d’optimisation fiscale. Un accord multilatéral sera finalisé avant la fin de 2016 pour adapter nos conventions fiscales bilatérales – la France, je le rappelle, en a conclu 125 – au nouveau cadre post-BEPS, afin notamment d’y introduire des clauses anti-abus permettant de lutter contre le treaty shopping.
Ces avancées doivent également être transcrites au niveau européen. C’est pourquoi, en novembre 2014, Michel Sapin et ses homologues allemand et italien Wolfgang Schäuble et Pier Carlo Padoan ont adressé au commissaire européen Pierre Moscovici une lettre l’invitant à présenter des propositions législatives transcrivant les mesures prévues par le plan BEPS. Un premier succès a été obtenu le 8 décembre dernier avec l’adoption d’une directive sur l’échange automatique des tax rulings, dont le rôle dans l’optimisation avait été révélé par l’affaire dite « LuxLeaks ».
Mme la présidente. Nous en venons aux questions du groupe SRC.
La parole est à M. Serge Bardy.
M. Serge Bardy. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ma question portera sur l’impact de l’économie collaborative sur le développement durable.
On voit bien les opportunités qu’ouvrent non seulement l’économie collaborative, mais aussi l’économie sociale et solidaire, en matière de développement durable. BlaBlaCar permet de mutualiser des trajets en voiture et d’économiser ainsi du CO2, et ce n’est qu’un exemple parmi de nombreuses plateformes qui nous permettent d’une manière ou d’une autre de partager et, ce faisant, de limiter notre consommation de ressources. L’open data, quant à lui, ouvre des perspectives très intéressantes en matière de protection de l’environnement, de santé et d’amélioration du cadre de vie, et pas forcément sur le plan marchand. Tout cela est bien exposé dans le rapport de mon collègue Pascal Terrasse.
Néanmoins, le « développement durable 2.0 » achoppe sur un point fondamental : les appareils numériques présentent aujourd’hui un bilan écologique peu glorieux. Or les enjeux sont considérables, entre l’utilisation de métaux rares parfois produits dans des conditions scandaleuses – comme l’illustre le débat émergent, au niveau européen, sur ce que l’on appelle les « minerais du sang » –, l’énergie nécessaire au stockage des données et au refroidissement des serveurs et le manque de recyclabilité des appareils numériques.
Quel regard portez-vous sur ce point ? L’appel à projet pour les « Green Tech », lancé par la ministre Ségolène Royal, intègre-t-il cette dimension ? Il est fondamental de nous emparer de cette question et je suis prêt à travailler avec le Gouvernement si vous le souhaitez.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Martine Pinville, secrétaire d’État. Monsieur le député, l’économie collaborative permet de passer de la possession à l’usage et au service diminuant le besoin matériel en ressources, que ce soit par la mutualisation – avec Autolib’ ou BlaBlaCar – ou par la réutilisation, avec Leboncoin notamment. Ainsi, on vend non plus des produits mais des services, ce qui est vertueux du point de vue environnemental en général.
Vous m’interrogez sur le versant négatif de la numérisation et le mauvais bilan écologique des appareils numériques. Vous avez raison : la fabrication d’un téléphone portable ou d’un ordinateur consomme des matières premières, dont des métaux rares qui ne sont pas produits en France et les ressources sont limitées. L’enjeu est de parvenir à créer des filières de traitement et de recyclage de ces appareils afin de fermer le cycle autant que possible et d’avoir un besoin limité de nouvelles matières premières.
Au niveau européen, une filière de responsabilité élargie du producteur a été mise en place pour les déchets électroniques de manière à assurer leur recyclage.
Enfin, vous avez raison, ces appareils électroniques et les serveurs consomment de l’électricité mais cela représente quelques pourcentages de notre consommation totale.
Plusieurs actions sont menées au niveau européen. La directive Éco-conception vise ainsi à faire en sorte que les équipements électroniques consomment moins d’énergie en fonctionnant. Des initiatives sont également prises au niveau national afin de réutiliser la chaleur dégagée par les serveurs pour d’autres usages.
L’initiative de l’incubateur « Green Tech », quant à elle, a deux composantes principales : un volet d’ouverture de données liées à l’environnement et à l’énergie ; la création d’un incubateur du ministère de l’environnement qui accueillera des start-up des « Clean Tech » travaillant à la réduction des consommations d’énergie ou de matières premières des équipements électroniques et des serveurs – elles sont tout à fait éligibles pour en faire partie.
Mme la présidente. La parole est à M. Serge Bardy, pour poser une seconde question.
M. Serge Bardy. Comme le rapport de Pascal Terrasse en fait fort bien état, madame la secrétaire d’État, l’économie collaborative modifie et continuera de modifier notre modèle économique et social en profondeur.
Deux piliers du capitalisme occidental traditionnel sont particulièrement mis à mal : la propriété et le salariat. Nos sociétés sont aujourd’hui entièrement organisées sur un modèle de plein-emploi majoritairement salarié et notre protection sociale repose en grande partie sur le paritarisme.
Or, aujourd’hui, le plein-emploi n’existe plus, cela n’aura échappé à personne, et le salariat s’effrite au profit de l’entrepreneuriat sous l’effet de l’économie collaborative. Au-delà, c’est la notion même de travail qui est bouleversée dans l’économie collaborative et l’économie sociale et solidaire.
De nombreux entrepreneurs travaillent sur des projets à très haute valeur ajoutée qui ne sont pas forcément rentables au sens classique et marchand du terme – je pense par exemple aux « Civil Tech » ou aux « Green Tech ».
Pour l’instant, je trouve que nous manquons de vision et j’aimerais nous entendre – nous, les députés mais aussi et surtout le Gouvernement – tenir un discours sur ce que sera la France dans dix ou vingt ans.
À mon sens, il est clair qu’il faut, d’une part créer les conditions pour parvenir, à terme, à instaurer un revenu universel pour tous et, d’autre part, aboutir à une réduction globale du temps de travail productif et marchand.
Cela suppose évidemment d’avoir une vision des étapes permettant d’y parvenir. Les deux premières me paraissent être l’individualisation des droits et le rapprochement des droits associés aux statuts de salarié et d’entrepreneur.
Qu’en pensez-vous ? Ne croyez-vous pas, par exemple, que le débat sur le compte personnel d’activité mériterait d’être présenté sous cet angle ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Martine Pinville, secrétaire d’État. Monsieur le député, bien que l’actualité fasse souvent écho au développement des plateformes collaboratives numériques, il faut, je crois, relativiser leur part dans l’emploi total, tout en gardant à l’esprit leur potentiel important.
Le développement du travail indépendant, donc de l’emploi, constitue un objectif en soi, non pour qu’il se substitue au salariat mais pour permettre à ceux qui le préfèrent d’exercer leur métier sous cette forme – je pense également à ceux qui ne parviennent pas à accéder au salariat parce qu’il est plus facile de se trouver un client qu’un patron.
Je rappelle qu’en France le travail indépendant – qui connaît un regain – est néanmoins plus faible que le niveau historiquement atteint, puisque, en 2013, les travailleurs indépendants sont moins nombreux qu’en 1989. En outre, le taux est inférieur de six points à la moyenne européenne.
Par ailleurs, lorsque certains – qu’il s’agisse de plateformes ou de tout autre type de donneur d’ordre – débordent dans le recours au travail indépendant et franchissent la ligne de la subordination juridique qui caractérise le contrat de travail, notre droit et le juge n’hésitent pas à procéder à la requalification des relations commerciales en contrat de travail. Nous disposons donc d’un cadre qui réprime très sérieusement les abus.
Enfin, concernant le dernier point que vous avez évoqué, je ne juge pas opportun le recours au droit du travail pour réguler la relation avec le travailleur indépendant. En revanche, je souhaite – comme vous le dites – que le compte personnel d’activité puisse permettre d’étendre certains droits individuels dont bénéficient les salariés aux indépendants et, en premier lieu, la formation.
Mme la présidente. Nous en arrivons aux questions du groupe Les Républicains.
La parole est à M. Gilles Lurton, pour une première question.
M. Gilles Lurton. L’économie dite collaborative a aujourd’hui le vent en poupe. Je me réjouis du développement d’entreprises comme BlaBlaCar, qui favorise le covoiturage et qui connaît actuellement une véritable explosion, mais il existe aussi une économie collaborative dont les effets peuvent être dévastateurs sur certains secteurs de notre économie – c’est le cas notamment de sociétés comme Airbnb pour les meublés de tourisme.
Certes, les clients de l’économie collaborative y trouvent de nouveaux services plus efficaces – et surtout moins chers –, mais des personnes voient dans cette nouvelle économie le moyen de produire des revenus à bon compte, voire même d’y trouver leur revenu principal.
Derrière le masque d’une économie moderne, jeune et partageuse, se cache le visage d’une économie prédatrice et clandestine qui échappe à toute réglementation.
Si le prix est aussi bas et attractif, c’est parce qu’il échappe aussi à toute déclaration et à toute imposition.
Dans les communes touristiques, nous ne comptons plus le nombre de logements, de chambres privées mis à la location sur Airbnb, ce qui constitue souvent une concurrence déloyale à l’hôtellerie traditionnelle. Pire, dans certains centres-villes, cela entraîne une véritable pénurie de logements pour les jeunes ménages, obligés dès lors de s’en éloigner.
Madame la secrétaire d’État, cette économie a besoin d’un minimum de règles pour être loyale, faute de quoi elle pourrait aussi être destructrice d’emplois, notamment dans nos communes touristiques.
Pourquoi ne pas envisager une déclaration obligatoire des acteurs de l’économie collaborative auprès des communes qui, en l’état, sont en effet pénalisées et totalement dépourvues de moyens pour faire face aux effets de cette nouvelle économie ?
Pourquoi ne pas exiger des plateformes numériques la transmission d’un récapitulatif de leurs revenus annuels à l’autorité fiscale ?
Madame la secrétaire d’État, je souhaiterais savoir ce que vous envisagez de faire pour que l’économie dite collaborative soit soumise aux mêmes règles de concurrence que l’ensemble des autres entreprises d’un même secteur.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Martine Pinville, secrétaire d’État. Monsieur le député, le développement des plateformes collaboratives que vous évoquez, notamment Airbnb, doit être bien évidemment loyal à l’égard de l’industrie hôtelière et de la location de longue durée, mais aussi – vous l’avez dit – utile à l’économie touristique.
Il convient de rappeler que l’offre d’Airbnb représente 200 000 logements en France, dont 60 000 à Paris. Dans la capitale, 93 % de ces logements sont des résidences principales louées de manière occasionnelle et parfaitement légale. Le chiffre de 40 000 logements soustraits est peut-être un peu surévalué. Le phénomène est certes important et même préoccupant, mais il reste circonscrit et la mise en place des contrôles en réduira l’ampleur.
Pour le Gouvernement, il importe que ces locations de courte durée respectent les textes législatifs et réglementaires en vigueur, à commencer par la législation fiscale et sociale – je l’ai dit tout à l’heure. C’est précisément ce que nous nous sommes attachés à faire ces derniers mois.
Le contrôle des activités lucratives exercées au moyen d’internet est permis grâce à la mise en place d’un droit de communication au profit de l’administration fiscale. Plus récemment, la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2016 – je sais que vous y êtes attentif, monsieur le député – a également doté les administrations de sécurité sociale de cette faculté.
Au-delà de ces procédures de contrôle, des dispositions ont été prises pour établir des rapports commerciaux plus équilibrés entre les hôteliers avec les plateformes de réservation en ligne.
Outre la saisine des tribunaux de commerce et de l’Autorité de la concurrence, la loi pour la croissance et l’activité a permis notamment d’adopter le contrat de mandat, d’interdire la clause générale de parité tarifaire et l’obligation de faire apparaître une information loyale, claire et transparente.
En effet, il importe de favoriser une meilleure application du droit social et du droit fiscal en s’assurant de la connaissance du droit par les utilisateurs. Tel est l’objectif des mesures adoptées au mois de décembre dernier instaurant, je le rappelle, une obligation d’information générale des plateformes à l’attention des usagers sur la législation en vigueur, la remise systématique aux utilisateurs d’un récapitulatif annuel des recettes générées sur la plateforme lorsque celle-ci a connaissance des transactions réalisées, enfin, la certification par les plateformes du respect de leurs obligations sous le contrôle de l’administration fiscale.
Je sais, monsieur le député, que ce sujet constitue une préoccupation pour les professionnels comme pour la représentation nationale, ainsi qu’en ont témoigné les débats sur le projet de loi pour une République numérique.
Mme la présidente. La parole est à M. Frédéric Lefebvre, pour une première question.
M. Frédéric Lefebvre. Je souhaite évoquer plusieurs sujets relatifs à l’économie collaborative, madame la secrétaire d’État.
Ma première question concerne ce qui est en train de se dessiner dans notre pays et qui, de mon point de vue, engage le Gouvernement et le Parlement : je veux parler des modifications substantielles de l’organisation du travail.
Très clairement, le salariat est en train de passer de mode dans une grande partie de l’économie de notre pays.
J’ai quant à moi formulé des propositions nouvelles concernant le RSI voilà quelques jours, comme vous le savez sans doute, à la suite de la visite d’une entreprise sise tout près de la tour Eiffel, Illumination Mac Guff.
Je souhaite ainsi que les commerçants et les artisans bénéficient de la liberté d’affiliation au RSI et puissent souscrire des assurances privées – dans le cadre, bien évidemment, d’un cahier des charges défini par l’État – ou se diriger vers le régime général, lequel devrait être adapté en termes de protection et de cotisation.
Je travaille également à la définition d’un contrat adapté à cette économie collaborative, intégrant la disruption – un jeune de 27 ans me disait récemment qu’il avait connu 17 emplois différents, parfois dans le cadre salarial, parfois pas – et assurant bien évidemment la protection, notamment par la portabilité des droits.
Il est donc nécessaire – c’est notre devoir – de faire évoluer les statuts existants. La loi défendue par votre collègue Myriam El Khomri permettra de débattre d’un certain nombre de questions mais, de mon point de vue, il importe aussi de favoriser la création d’un nouveau statut plus adapté.
Je le répète : s’agissant du RSI, il faut enfin bouger car des gens, vous le savez bien, se trouvent dans une vraie misère.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Martine Pinville, secrétaire d’État. Monsieur le député, je vous répondrai tout d’abord sur l’évolution du marché du travail qui, vous l’avez dit, se caractérise par une mobilité accrue des travailleurs.
Une telle évolution peut soulever des problèmes, vous l’avez également dit, dans un système où nos droits sociaux ont été initialement conçus en lien avec l’emploi salarié à partir de la norme du CDI dans le cadre du salariat.
Dans ce contexte, l’idée de rattacher des droits aux individus et non à l’emploi doit permettre de garantir une continuité qui couvre les différents statuts rencontrés ou choisis dans un parcours professionnel.
Vous l’avez évoqué : le compte personnel d’activité – auquel serait rattaché l’ensemble des droits – s’inscrit dans ce contexte et figurera dans le texte de Myriam El Khomri qui vous sera présenté dans quelques jours.
J’ai eu l’occasion de le rappeler : plus généralement, les droits sociaux des travailleurs indépendants ont été améliorés ces derniers mois – même si j’entends vos remarques et vos propositions.
L’effort se poursuit. Au-delà de l’état des lieux qui existe et qui permet de constater un certain nombre de difficultés, nous devons avancer.
Et si vous me permettez, monsieur le député, de m’exprimer sur les propositions que vous faites, je crois qu’il faut être prudent, parce que le RSI, même s’il pose des problèmes – sur lesquels nous travaillons – est tout de même un système qui assure la protection sociale des indépendants. Recourir à l’assurance privée individuelle, sans forme d’obligation, pourrait être dangereux.
M. Frédéric Lefebvre. J’ai dit qu’il y aurait un cahier des charges obligatoire !
Mme Martine Pinville, secrétaire d’État. J’entends bien, mais je répète qu’il faut être très prudent.
La réforme du barème de cotisation minimale, qui a permis de baisser cette cotisation et d’améliorer les droits, est une avancée majeure, notamment pour les indépendants, et surtout pour ceux qui ont des revenus modestes – il faut aussi le rappeler. L’amélioration des droits sociaux et le regroupement des droits dans le compte personnel d’activité constituent un ensemble cohérent et pragmatique pour répondre aux besoins de sécurité des indépendants, nouveaux et anciens, mais aussi pour libérer l’activité.
Mme la présidente. Nous en venons aux questions du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
La parole est à M. Philippe Folliot.
M. Philippe Folliot. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les entreprises de l’économie collaborative représentent un levier de croissance puissant pour notre pays, et le récent rapport de notre collègue Pascal Terrasse, que je tiens à saluer pour son initiative et la pertinence de son analyse, est éloquent à cet égard. Il précise en effet que ce secteur représentait un chiffre d’affaires de 2,5 milliards d’euros en 2014 et qu’il pourrait atteindre 7,5 milliards d’euros en 2025.
Ce secteur souffre pourtant d’un problème majeur : la faible capacité d’investissement de notre pays dans ces nouvelles entreprises. Si les entreprises de l’économie collaborative doivent à terme être mieux encadrées, elles doivent aussi être davantage encouragées par les pouvoirs publics. Elles représentent en effet un atout incontestable et inestimable pour nos territoires. Dans ma circonscription, le pôle tarnais de coopération économique, Les Ateliers, à Castres, est un exemple tout à fait innovant et assez exceptionnel, car il regroupe plusieurs activités : la vente de produits locaux en circuit court, la location d’espaces en coworking, ainsi que plusieurs modes de financement participatif.
De tels lieux doivent absolument être préservés, car ils représentent des vecteurs de création d’emplois non délocalisables, ce qui est un élément important, et donc indispensables à l’attractivité économique de nos régions. Pour contribuer au développement de ce secteur, il est donc nécessaire de lui donner des moyens et de piloter une politique économique ambitieuse, notamment au niveau régional.
Pouvez-vous nous indiquer, madame la secrétaire d’État, les moyens que l’État peut et compte allouer aux territoires pour leur permettre de soutenir ce genre d’initiatives locales ? Certes, French Tech est un excellent dispositif pour valoriser nos start-up, mais il est limité aux métropoles et laisse de côté nombre de territoires ruraux.
Enfin, pour financer le développement de l’innovation, M. Macron a proposé la création d’un fonds de pension à la française. Où en sommes-nous de ce projet ? Et serait-il possible d’envisager qu’il puisse intervenir dans ce domaine d’activité ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Martine Pinville, secrétaire d’État. Monsieur le député, votre question en contient en réalité plusieurs !
Je voudrais évoquer d’abord le problème de la création, du développement et du soutien des entreprises, en commençant par rappeler toutes les actions que le Gouvernement a engagées en ce sens. Vous évoquez le développement d’une activité économique ancrée dans les territoires. Les entreprises concernées peuvent prendre des formes diverses, celle d’entreprises individuelles, mais aussi toute autre forme d’entrepreneuriat.
Les micro-crédits et les prêts d’honneur d’associations, comme l’Association pour le droit à l’initiative économique – l’ADIE –, peuvent répondre à certains besoins dans nos territoires, notamment pour des microentreprises. Il existe également des compléments d’accompagnement, notamment avec le nouvel accompagnement pour la création et la reprise d’entreprise – le NACRE –, les prêts à taux zéro. Je mentionnerai encore les financements spécifiques dans les quartiers prioritaires ou les dispositifs de garantie pour faciliter l’emprunt, par BPI France ou la SIAGI, sans oublier les nombreux dispositifs mis en œuvre, soit par les collectivités territoriales, que vous évoquiez, notamment par les régions, dont le développement économique est l’une des compétences, soit par des acteurs privés.
En matière de soutien à l’embauche, je ne citerai que l’aide à l’embauche de 2 000 euros par an et par salarié recruté, inscrite dans le plan pour l’emploi, en précisant par ailleurs que la moitié des entreprises a bénéficié du CICE et du pacte de responsabilité, qui étaient destinés aux TPE et aux PME, ce qui a fait baisser le coût du travail. Vous savez, enfin, qu’une baisse de charges interviendra dans quelques mois.
L’enjeu essentiel est celui de l’accès à ces dispositifs : comment faire en sorte que des entreprises qui souhaitent s’installer, qui souhaitent se développer, aient connaissance des dispositifs existants ? Je conduis actuellement des travaux pour répondre à ce besoin des entreprises, pour faire en sorte qu’elles aient connaissance des dispositifs qui peuvent les aider à s’installer et à se développer, depuis la création du premier emploi jusqu’à l’ouverture à l’export. Tel est, je le répète, l’enjeu essentiel.
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Folliot, pour une seconde question.
M. Philippe Folliot. Madame la secrétaire d’État, je souhaite appeler votre attention sur la situation des travailleurs dans le secteur de l’économie collaborative. Majoritairement, les intervenants dans ce domaine choisissent le statut d’indépendant, notamment celui de micro-entrepreneur, qui a succédé à celui d’autoentrepreneur.
Or des voix se lèvent pour demander que des droits soient reconnus à ceux qui se lancent dans ces nouvelles activités. La professionnalisation de l’activité sur ces plateformes a en effet créé des situations problématiques : contournement du statut de salarié par celui d’indépendant, travail dissimulé, développement de la multi-activité, émergence d’une nouvelle forme de précarité. Comme tous les travailleurs indépendants, ces professionnels font face à une absence de couverture obligatoire de certains risques sociaux et ont souvent des droits inférieurs à ceux des salariés, en matière notamment de retraite ou de prévoyance. Cela ne manque pas de poser des problèmes.
En outre, les indépendants, qu’ils soient commerçants, artisans, ou qu’ils exercent une profession libérale, se plaignent des lourdeurs administratives et demandent, de manière récurrente, une simplification des démarches auxquelles ils sont soumis, notamment une simplification du bulletin de paie, dont les lignes de cotisations, du reste, ne cessent de se multiplier.
Il serait utile et opportun, madame la secrétaire d’État, que nous sachions ce que le Gouvernement compte faire pour simplifier les choses. Il importe évidemment que nos concitoyens, qui sont de plus en plus nombreux à se trouver dans cette situation, paient leurs cotisations, mais il faut aussi qu’ils aient des droits sociaux à la hauteur de ces cotisations, et surtout que leur régime juridique soit simplifié.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Martine Pinville, secrétaire d’État. Monsieur le député, avant d’aborder le problème de la simplification, je vais répondre à votre question relative aux micro-entrepreneurs qui s’installent et qui souhaitent développer leur activité.
Je veux d’abord préciser que ces micro-entreprises doivent s’immatriculer au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers et faire le stage préalable à l’installation, comme les artisans classiques. Ils doivent par ailleurs s’acquitter de la cotisation foncière des entreprises après deux ans d’activité et justifier des mêmes qualifications professionnelles que les entrepreneurs classiques, vérifiées par les chambres des métiers – je crois qu’il est important de le préciser.
En parallèle, les régimes – micro-fiscal ou micro-social – ont été alignés en termes de plafond, pour que la simplicité du régime, qui tient à la déclaration d’un chiffre d’affaires et au paiement de prélèvements forfaitaires libératoires, joue à plein. On a trop tendance, monsieur le député, à assimiler le régime de la micro-entreprise à ce qu’étaient précédemment les autoentrepreneurs. Or nous avons tenu, dans la loi relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, à simplifier et à rééquilibrer un certain nombre d’inégalités.
Aujourd’hui, les micro-entreprises sont soumises à des obligations très similaires à celles que connaissent les entreprises classiques, même si l’on peut entendre, ici ou là, des critiques persistantes dénonçant une concurrence déloyale. Je crois qu’il était important de rappeler les obligations auxquelles doivent se soumettre ceux qui ont choisi le régime de la micro-entreprise.
Vous soulignez également la nécessité d’une simplification administrative. Ce gouvernement y travaille régulièrement, en présentant tous les six mois un projet de loi de simplification, et nous poursuivons ce travail engagé dès 2012.
Mme la présidente. Nous en revenons aux questions du groupe socialiste, républicain et citoyen.
La parole est à M. Pascal Terrasse.
M. Pascal Terrasse. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, permettez-moi tout d’abord de féliciter M. Michel Moreau, qui vient d’être nommé il y a quelques instants aux hautes fonctions de secrétaire général de l’Assemblée nationale, en remplacement de Mme Corinne Luquiens, qui va rejoindre, sur l’initiative du président de l’Assemblée nationale, le Conseil constitutionnel. À travers ces deux fonctionnaires, c’est l’ensemble des fonctionnaires qui nous accompagnent durant nos travaux que je voudrais saluer. Et je songe notamment, en l’occurrence, aux travaux que j’ai menés dans le cadre de la mission sur l’économie collaborative, que m’ont confiée le Président de la République et le Premier ministre.
Le rapport que j’ai rendu, et dont il a été question cet après-midi, reposait sur un constat assez simple, à savoir que la part de l’économie collaborative dans notre économie globale se développe très vite – beaucoup plus vite que ce que l’on peut imaginer. Vous le voyez : le temps politique, parfois, n’est pas adapté à ce nouveau temps économique.
J’ai donc fait dix-neuf propositions, que certains de mes collègues ont aimablement évoquées, et qui visent à relever les défis qui sont devant nous.
Il convient d’abord de libérer le potentiel et la croissance de l’économie collaborative. L’idée, au fond, est de ne pas la brider, de ne pas l’arrêter, mais au contraire de l’accompagner ; la puissance publique a un rôle indéniable à jouer en la matière.
Ensuite, il est nécessaire de garantir le fonctionnement loyal et transparent de ces plateformes – certains de mes collègues l’ont rappelé –, notamment au profit des consommateurs. Il y a là un souci d’équité vis-à-vis des acteurs de l’économie traditionnelle.
Le troisième objectif est de mieux accompagner les parcours professionnels des travailleurs de ce secteur. Certains de mes collègues – Philippe Folliot notamment – ont fait référence au compte personnel d’activité et aux micro-entrepreneurs.
Il reste la question fiscale, celle de la juste contribution des acteurs de l’économie collaborative, qu’il s’agisse de particuliers ou de professionnels : cela fera l’objet de ma seconde question.
Madame la secrétaire d’État, face aux enjeux que je viens de rappeler, et compte tenu des propositions que j’ai formulées, pouvez-vous nous faire part de l’intention du Gouvernement pour répondre aux attentes des consommateurs, des salariés et des citoyens, qui quelquefois, dans cette économie, sont d’ailleurs les mêmes personnes ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Martine Pinville, secrétaire d’État. Monsieur le député, je veux tout d’abord vous féliciter et saluer toutes les propositions de qualité que vous avez faites dans votre rapport. Je sais qu’elles sont le fruit de nombreuses auditions et d’une large consultation en ligne, et elles ont fait l’objet d’une expertise de la part du Gouvernement. Je vous remercie vivement pour les travaux que vous avez menés.
En ce qui concerne les grands enjeux, que vous avez rappelés, et pour accompagner ce développement de l’économie collaborative, qui va très vite, le Gouvernement doit répondre à plusieurs exigences. Puisque vous avez annoncé que vous aborderiez le volet fiscal dans votre seconde question, je me concentrerai ici sur deux exigences complémentaires qui concernent plus particulièrement le portefeuille qui m’a été confié.
La première exigence est celle de l’équité réglementaire par rapport aux acteurs traditionnels. Je prendrai deux exemples. En ce qui concerne la location de meublés de courte durée, nous devons nous assurer, pour ceux qui la pratiquent, du respect des règles de changement d’usage et des outils de suivi du développement du secteur collaboratif, et poursuivre notre modernisation du secteur de l’hôtellerie. C’est une préoccupation très forte de ce secteur. S’agissant de la restauration à domicile, un travail à deux niveaux doit être effectué : évaluer la pertinence des règles applicables aux restaurateurs et définir le niveau adapté de normes que devra respecter la restauration collaborative.
Cela rejoint la seconde exigence qui guide notre action : l’information et la protection du consommateur. Les dispositions du projet de loi pour une République numérique favorisent le fonctionnement loyal et transparent des plateformes intermédiaires. Des questions très concrètes se posent sur les règles qui doivent être appliquées. Pour rebondir sur le sujet de la restauration, comment s’assurer, par exemple, que la consommation d’alcool dans des prestations à domicile ne porte pas atteinte à la sécurité des consommateurs ?
Monsieur le député, que ce soit en termes de protection, d’information des consommateurs ou d’équité réglementaire et fiscale avec les acteurs traditionnels, le Gouvernement s’attelle à apporter des réponses pragmatiques et justes aux questions soulevées par le développement de ces nouvelles formes de consommation. Il s’appuiera sur vos recommandations qui tracent un chemin pour atteindre cet objectif.
Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Terrasse, pour une seconde question.
M. Pascal Terrasse. Madame la secrétaire d’État, à la suite des avancées de la loi de finances pour 2016, les particuliers qui proposent des services relevant de l’économie collaborative reçoivent désormais, par le biais des plateformes, annuellement, un relevé des revenus qu’ils ont perçus ainsi qu’un rappel de leurs obligations fiscales – tel est le dispositif qui a été voté en loi de finances rectificative –, à charge évidemment pour eux de se rapprocher des services fiscaux pour faire leur déclaration.
Toutefois, force est de constater qu’une des principales revendications des professionnels traditionnels est l’équité fiscale – vous venez de l’évoquer. Pour l’assurer, le Gouvernement envisage-t-il, en résonance avec les propositions que j’ai formulées, de s’assurer que les revenus générés soient effectivement soumis à fiscalité ou, en tout cas, à contribution de la charge publique pour intégrer notre pacte social ?
Vous le savez, je me suis efforcé, tout au long du rapport que j’ai remis, de différencier ce qui relève d’une activité de professionnel de ce qui relève d’une activité de particulier. Vous avez évoqué à l’instant la question du logement : un propriétaire peut louer quelques semaines durant ses vacances un logement qu’il habite de manière permanente, sans que cela nécessite la perception d’une fiscalité. En revanche, dès lors qu’il en fait quasiment un métier, il entre dans le champ de l’économie dite traditionnelle, au même titre qu’un loueur de gîte ou de chambres d’hôte : il convient alors de satisfaire le besoin d’équité.
La difficulté, vous l’avez soulignée en répondant à un de mes collègues, est qu’il faut recourir au rescrit fiscal. L’administration de Bercy doit se mettre au travail pour préciser la fiscalité par métier, voire établir des fiches métier par secteur d’activité, ce qui est difficile, car la frontière entre professionnels et particuliers est toujours délicate à fixer. Nous devons rapidement réfléchir à cette frontière pour prévenir des risques de déconvenues de la part des acteurs de l’économie collaborative. Quelle est la position du Gouvernement en la matière ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Martine Pinville, secrétaire d’État. Monsieur le député, comme je l’ai déjà souligné lors d’une séance des questions au Gouvernement et comme je l’ai rappelé cet après-midi, l’économie collaborative n’est pas une zone de non-droit : c’est une nouvelle forme d’économie, dont il convient de soutenir le développement et à laquelle il faut s’adapter.
Ce développement doit se faire de manière loyale et, surtout, équitable vis-à-vis des acteurs traditionnels, notamment les hôteliers et les restaurateurs qui m’ont déjà entretenue de la question. C’est cet équilibre que l’État doit veiller à mettre en place : Bercy y travaille, monsieur le député, avec l’ensemble des ministres concernés.
Il faut procéder à une régulation sans surréglementation. Je le répète régulièrement : les dispositions fiscales et sociales applicables aux activités de l’économie collaborative sont celles du droit commun. L’enjeu, vous l’avez rappelé, est de fixer la frontière entre activité professionnelle et non professionnelle, en fonction de son caractère habituel et de son but lucratif. La question est donc moins celle de la modification de la fiscalité que celle de son application effective et de son contrôle, les règles devant être rappelées.
Les dernières lois de finances ont amélioré le droit d’accès des services fiscaux et sociaux pour effectuer des contrôles. Vous proposez la transmission automatique des revenus : cette mesure pourrait lever des suspicions sur le respect des règles des déclarations fiscales et limiter les risques de fraude. Il faudra toutefois s’interroger sur l’application de ce principe aux plateformes historiques, notamment téléphoniques, puisqu’un ensemble de plateformes seront concernées. C’est une perspective intéressante qui facilitera le préremplissage des déclarations. J’y suis favorable à titre personnel. Elle nécessite toutefois un travail important et préalable de clarification sur la fiscalité applicable.
Mme la présidente. Nous terminerons avec les deux dernières questions du groupe Les Républicains.
La parole est à M. Frédéric Lefebvre.
M. Frédéric Lefebvre. Madame la ministre, il est inutile de vous dire que je n’ai pas été satisfait de votre réponse relative au RSI, notamment lorsque vous avez laissé entendre que les assurances privées pourraient représenter une moindre protection des entrepreneurs et des travailleurs indépendants, alors que, vous le savez, ils sont aujourd’hui malheureusement moins bien protégés que les salariés.
Ce que nous entendons sur ces bancs depuis le commencement de ces questions sur l’économie collaborative me conduit à vous rappeler avec force ce que je répète depuis des mois, à savoir que notre système économique et social est à bout de souffle. Il est inadapté à la réalité du monde d’aujourd’hui. C’est la raison pour laquelle je défends avec force l’idée de l’allocation universelle qui, seule, pourra être à même de répondre à l’effet de ciseau qui fait que, depuis quarante ans, nous sommes passés de 400 000 chômeurs à plus de 6 millions et 8,5 millions de pauvres. Dans le même temps, l’endettement a explosé puisqu’il est passé de 20 % à 97 % du PIB et les prélèvements obligatoires sont passés de 35 % à 45 %. Alors que le MIT nous annonce que 50 % des emplois sont automatisables, que chacun peut constater les dégâts actuels dans les services et qu’un rapport prévoit la destruction de 3 millions d’emplois dans les dix prochaines années, notre débat ne porte que sur les rustines à placer pour pallier les défaillances de tel ou tel secteur, et cela dans une complexité inouïe, puisque plus personne n’y comprend rien.
Alors que j’ai rencontré hier un commerçant qui dort dans sa cave, faute d’avoir trouvé un autre moyen pour continuer de payer ses salariés, ou que d’autres rognent sur leurs retraites pour la même raison, on me répond qu’il faut prendre le temps des réformes. Non, il n’y a plus le temps ! Il y a urgence. Il faut aujourd’hui se mettre autour de la table – je ne suis pas le seul à être de cet avis : d’autres le partagent sur d’autres bancs – pour bâtir un nouveau modèle.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Martine Pinville, secrétaire d’État. Monsieur le député, je ne peux pas laisser passer sans réagir vos propos sur le RSI, qui répond de manière insatisfaisante, j’entends bien…
M. Frédéric Lefebvre. Ah bon !
Mme Martine Pinville, secrétaire d’État. Je connais suffisamment de commerçants et d’artisans pour savoir quels problèmes pose le RSI depuis 2008. Nous travaillons à améliorer son fonctionnement. Nous avons fait le constat des difficultés rencontrées et, je le répète, nous travaillons à améliorer ce régime.
M. Frédéric Lefebvre. Libérez !
Mme Martine Pinville, secrétaire d’État. Je connais votre attachement à la proposition consistant à remplacer l’ensemble des aides sociales par une allocation universelle mensuelle. Le Conseil national du numérique a récemment présenté ses travaux sur le sujet à Mme El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.
Convenez toutefois que le lien avec l’économie collaborative, qui nous occupe cet après-midi, est assez indirect.
M. Frédéric Lefebvre. Il est très direct, au contraire, puisque c’est un nouveau modèle !
Mme Martine Pinville, secrétaire d’État. Les risques sociaux couverts par les aides de l’État et des collectivités territoriales visent des publics bien plus larges que les seules personnes qui lancent une activité professionnelle sur les plateformes numériques. Je m’attache au sujet spécifique que nous avons à traiter cet après-midi.
M. Frédéric Lefebvre. L’économie change !
M. Gaby Charroux. A-t-on le droit de dialoguer avec l’orateur, madame la présidente ?
Mme la présidente. Seule Mme la secrétaire d’État a la parole, et M. Lefebvre le sait parfaitement.
Mme Martine Pinville, secrétaire d’État. M. Lefebvre a effectivement l’habitude des débats !
La question que vous soulevez est celle des droits sociaux des individus. Selon vous, l’allocation universelle serait un moyen d’assurer un revenu de subsistance à chacun, quel que soit son statut sur le marché du travail – salarié, indépendant, agent public, personne en recherche d’emploi.
Si cette question est pertinente dans un contexte où la mobilité professionnelle entre ces différents statuts s’accélère, le Gouvernement a choisi d’emprunter une autre voie, que vous pourriez considérer comme une première étape : elle consiste à rattacher les droits aux individus et non plus seulement à l’emploi, afin de garantir une continuité qui couvre les différents statuts rencontrés ou choisis dans un parcours professionnel. La réflexion sur le compte personnel d’activité s’inscrit dans ce contexte et sera défendue par la ministre du travail dans son projet de loi. Ce compte personnel d’activité permettra aux travailleurs qui passent d’un statut à un autre de conserver leurs droits, notamment leurs droits à la formation, pour disposer à tout moment de la possibilité de faire évoluer leurs compétences en fonction de leurs choix de parcours.
Mme la présidente. La parole est à M. Gilles Lurton, pour poser la dernière question.
M. Gilles Lurton. Madame la secrétaire d’État, l’économie collaborative recouvre à la fois des plateformes d’échanges de biens et de services entre particuliers, sans recherche de profit, et des plateformes d’offre commerciale. La France est en pointe dans ce domaine avec 276 plateformes, dont 70 % françaises, actives sur le marché français. C’est un secteur en plein essor, incarné par une génération d’entrepreneurs plein d’audace, qui tend à faire évoluer notre modèle socio-économique et qui peut concurrencer, voire bousculer, les activités traditionnelles. C’est un secteur que nous devons encourager à la fois pour le développement économique et pour la préservation de notre environnement. Tous, ici, nous voulons faciliter le développement des sociétés de covoiturage.
La société française BlaBlaCar emploie plus de 350 personnes et le nombre d’utilisateurs de la plateforme est passé de 3 millions en 2013 à 20 millions l’année dernière. Ces chiffres induisent cependant une courbe inverse pour la fréquentation de certains trains, puisque la start-up a fait perdre presque 1 million d’utilisateurs à la SNCF, ce qui représente un manque à gagner de presque 80 millions d’euros.
Je l’ai souligné lors de l’examen du projet de loi Macron : nous ne sommes pas opposés au développement du covoiturage, bien au contraire, à partir du moment où le consommateur y trouve son compte. Nous ne sommes pas opposés non plus au développement du transport par autocar sur notre territoire, à partir du moment où il facilite les déplacements de nos concitoyens à des prix défiant, du moins pour le moment, toute concurrence.
Nous craignons toutefois que ce développement ne mette en difficulté les lignes de transport express régional, les TER, pour lesquels les déficits sont financés par les régions.
Madame la secrétaire d’État, comment comptez-vous encourager l’économie collaborative tout en soutenant les lignes ferroviaires, à l’équilibre déjà très fragile, indispensables toutefois au maillage ferroviaire de notre territoire ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Martine Pinville, secrétaire d’État. Monsieur le député, l’économie collaborative permet de passer de la possession à l’usage et au service, ce qui diminue le besoin matériel en ressources, à l’image des mutualisations que chacun peut constater avec Autolib’, organisé par les collectivités territoriales, ou avec BlaBlaCar, service d’une plateforme collaborative sur laquelle vous m’interrogez aujourd’hui.
Vous avez évoqué le covoiturage : le partage des frais pour un trajet vers une destination convenue à l’avance a toujours existé. Le covoiturage est économe, écologique et pratique pour nos concitoyens. Il affecte nécessairement l’ensemble des services de mobilité, plus particulièrement les moyennes et longues distances, vous l’avez rappelé. Je tiens à souligner que certains services mis en place pour des courtes distances par d’autres plateformes étaient illégaux en faisant une concurrence illégale – je pense aux taxis et aux VTC.
Concernant la possible concurrence que vous évoquez entre la SNCF et BlaBlaCar, je tiens à rappeler que la SNCF a pris récemment, pour 28 millions d’euros, 75 % du capital de OuiCar, ce qui lui permettra de gonfler son offre de mobilité routière.
La SNCF parie donc elle aussi sur le covoiturage de proximité, avec OuiCar, ce qui atteste en partie que l’économie collaborative n’entre pas obligatoirement en concurrence directe avec les autres mobilités.
L’économie collaborative, économie du partage, ouvre de nouvelles opportunités à ceux qui souhaitent voyager ainsi. Il me semble qu’un grand nombre d’entre eux n’auraient pas pris le train, à en croire le profil des adeptes de cette nouvelle forme de mobilité autour de nous.
Globalement, l’essor de solutions de type BlaBlaCar ou OuiCar bénéficie souvent à l’usager, qui voit l’offre se diversifier, et contribue à la croissance de notre économie.
Si nous devons rester très attentifs à ce que le droit soit respecté et à ce que la concurrence soit loyale, je crois que l’exemple précis sur lequel vous m’interrogez, monsieur Lurton, est davantage une opportunité qu’une menace.
M. Pascal Terrasse. Absolument !
Mme la présidente. Nous avons terminé les questions sur l’économie collaborative.
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, en lecture définitive, du projet de loi relatif au droit des étrangers en France (nos 3513, 3517).
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, voici maintenant un peu plus d’un an, en décembre 2014, le Gouvernement lançait une grande réforme de la législation applicable aux étrangers en France. L’adoption de la loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d’asile, votée à une large majorité, a constitué la première étape de ce mouvement de réforme, qui nous a d’ores et déjà permis de moderniser nos procédures et de nous placer en situation de faire face à la crise migratoire à laquelle est confrontée l’Union européenne depuis plusieurs mois.
Le projet de loi relatif au droit des étrangers, sur lequel vous vous apprêtez aujourd’hui à vous exprimer, en constitue, quant à lui, la seconde et l’ultime étape. Nous voici donc sur le point de parachever cette belle ambition consistant à moderniser la politique que nous menons à l’égard des étrangers en France. Le texte que vous avez examiné et amendé au cours de ces derniers mois contient ainsi plusieurs dispositions importantes qui vont nous permettre de répondre aux failles qui pénalisaient depuis trop longtemps notre politique migratoire.
Notre premier objectif, je vous le rappelle, consiste à mieux accueillir et à mieux intégrer les étrangers qui viennent légalement sur notre sol. Pour ce faire, nous souhaitons que chaque étranger qui s’installe légalement et durablement en France puisse disposer de tous les outils nécessaires pour bien s’intégrer à la société française, puis, s’il en fait le choix, pour rejoindre notre communauté nationale grâce, notamment, à la naturalisation. Il est en effet du devoir de la France d’aider celles et ceux qui souhaitent la rejoindre à s’approprier notre langue et les valeurs universelles que notre pays défend.
C’est la raison pour laquelle le Gouvernement a proposé de créer un titre de séjour pluriannuel après la première année de séjour, ce qui permettra aux personnes concernées d’éviter des allers-retours inutiles et pénalisants en préfecture. La création de ce titre de séjour s’accompagnera de deux évolutions indispensables.
Tout d’abord, le parcours d’intégration sera renforcé. Il devra s’accompagner de cours de langue renforcés pour permettre aux étrangers d’atteindre un niveau A2, suffisant pour la vie courante.
Ensuite, les outils dont disposent les préfectures pour lutter contre la fraude seront également renforcés, avec l’instauration d’un droit de communication. La préfecture n’aura plus à demander à la personne concernée de produire des pièces toujours plus difficiles à fournir, mais pourra se tourner directement vers des administrations ou des établissements publics ou privés afin de leur réclamer les informations nécessaires. Nous gagnerons ainsi incontestablement en simplicité et en efficacité.
Notre deuxième grand objectif consiste, dans le contexte de la mondialisation qui accroît la concurrence entre les États, à renforcer l’attractivité de notre pays pour les talents et les étudiants étrangers. Il serait en effet regrettable qu’une réglementation sourcilleuse les empêche de venir chez nous, car nous avons aussi besoin d’eux pour accroître la compétitivité et le rayonnement de notre pays. Nous avons donc proposé d’introduire dans notre législation deux innovations.
D’une part, nous créerons un titre unique, le passeport talents, destiné à tous les étrangers dont nous souhaitons qu’ils viennent en France. Ce titre sera valable quatre ans, renouvelable et délivré à la personne et à sa famille. Il regroupera et élargira certaines catégories de titres existants.
D’autre part, le passage du statut d’étudiant à celui de salarié sera simplifié, pour que les meilleurs étudiants puissent concrétiser dans leur vie professionnelle les espoirs que la France a placés en eux en leur permettant d’étudier dans ses universités.
Pour résumer, avec le titre de séjour pluriannuel et le passeport talent, nous souhaitons renforcer fortement notre législation en matière de droit au séjour et l’adapter aux réalités de la mondialisation. Nous pourrons ainsi mieux tenir compte des mobilités liées à la connaissance, au savoir et à la culture. Nous intégrerons mieux les étrangers présents sur notre sol. Enfin, nous lutterons plus efficacement contre la fraude. Tels sont, pour le Gouvernement, les objectifs que doit poursuivre une politique d’accueil des étrangers conforme à l’esprit et à la tradition de la République.
Avec ce projet de loi, nous poursuivons également un troisième grand objectif, qui consiste à renforcer la lutte que nous menons contre l’immigration irrégulière. À cet égard, le Gouvernement fera toujours preuve de la plus grande fermeté : un étranger en situation irrégulière doit être reconduit à la frontière, et les filières criminelles de l’immigration clandestine doivent être démantelées. Il y va du respect de l’État de droit, même si je constate que l’opposition n’est pas d’accord avec ce principe. (Sourires.)
Mme Françoise Descamps-Crosnier. Pour le moment, elle n’est pas représentée dans notre hémicycle !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Pour que notre action soit pleinement efficace, nous avons ainsi proposé de consolider la transposition dans le droit français de certains aspects de la directive européenne Retour. Ainsi, les étrangers à qui nous remettons une mesure d’éloignement pourront davantage faire l’objet de l’interdiction de retour prévue par les textes européens.
Par ailleurs, là aussi en conformité avec les directives européennes, nous faisons le choix de privilégier les mesures les moins coercitives, notamment pour les familles avec enfants. Le projet de loi prévoit donc de renforcer l’assignation à résidence pour en faire une solution alternative efficace à la rétention, y compris pour les personnes relevant de la procédure Dublin. Pour ce faire, il clarifie les conditions de l’action des forces de l’ordre dans le cadre d’une assignation à résidence et leur apporte le cadre juridique nécessaire.
Je précise que le texte final prévoit que le dispositif puisse également s’appliquer aux personnes frappées d’une expulsion administrative ou judiciaire pour un motif d’ordre public, ou bien aux personnes qui braveraient l’interdiction administrative du territoire qui leur a été signifiée. De telles mesures concernent bien entendu les prêcheurs de haine et les personnes liées aux activités terroristes, que nous pourrons ainsi expulser du territoire dans les meilleurs délais.
La réforme que nous proposons permettra également de mieux respecter le droit, sans pour autant céder sur nos objectifs d’efficacité, puisque nous avons décidé de clarifier les compétences des juges administratif et judiciaire en la matière, là où un texte précédent avait créé énormément de confusion.
Mme Sandrine Mazetier. C’est un grand progrès !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je veux également profiter de cette ultime lecture pour dire l’esprit d’apaisement qui sera toujours le mien et celui du Gouvernement dans l’approche de ces sujets migratoires. Je suis très préoccupé de voir les questions migratoires instrumentalisées comme elles le sont, dans l’espace et le débat publics, par des sensibilités de toutes natures qui considèrent que ce sujet est propice à toutes les postures, qu’il convient de ne jamais en sortir pour regarder la réalité, et qu’une solution humanitaire initiée dans la discrétion et avec le souci de l’efficacité vaut toujours moins qu’une posture adoptée sur un théâtre de difficultés. Je pense notamment à Calais, une ville devenue désormais un lieu de tourisme politique presque obligé,…
M. Erwann Binet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. En effet !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. …où des responsables se rendent chaque jour pour faire des déclarations sans nécessairement regarder la complexité de la réalité du sujet, sans rendre compte de l’ensemble des actions conduites pour essayer d’apporter, dans un contexte difficile, une solution humanitaire responsable. C’est aussi dans ce vacarme, dans ce tohu-bohu de chaque jour, que le Gouvernement essaie de dégager les solutions les plus responsables et, il l’espère, les plus pertinentes.
Dans cette volonté d’apaisement et d’humanisation du débat sur les questions migratoires, un certain nombre de parlementaires se sont admirablement mobilisés.
Je pense à Marie-Anne Chapdelaine, qui s’est engagée en faveur de la sécurisation du droit au séjour des étrangers et du renforcement de leurs capacités d’intégration. Elle a présenté sur ce sujet des amendements très utiles.
Je pense également à Valérie Corre qui, au nom de la commission des affaires culturelles, a beaucoup contribué à la qualité de nos échanges et à l’amélioration des dispositions du projet de loi concernant le droit au séjour des étudiants ou l’accueil des talents internationaux.
Je pense aussi bien sûr à Sandrine Mazetier, qui a réalisé un travail formidable sur le contentieux de la rétention administrative et le droit d’asile, à Denys Robiliard et à Seybah Dagoma.
Je pense enfin au rapporteur Erwann Binet. Sur ce texte comme sur d’autres qui n’étaient pas parmi les plus faciles, il a été un sage, adoptant sur tous les sujets des positions d’équilibre, permettant de faire aboutir intelligemment des débats où la solution n’allait pas de soi.
Dans un contexte où la passion l’emporte souvent sur la raison, un ministre ne peut rien faire tout seul. Les parlementaires dont je viens de citer les noms, et tant d’autres encore qui se sont engagés dans nos discussions, ont contribué à élever le niveau du débat et à faire en sorte que ce projet de loi, dont j’espère qu’il sera voté au terme de cette ultime lecture, soit un bon texte, utile pour la fraternité, la solidarité, la tolérance et la responsabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
Mme la présidente. La parole est à M. Erwann Binet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
M. Erwann Binet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, le parcours législatif de ce projet de loi a mis en évidence une approche très différente de l’accueil et du séjour des étrangers entre les députés et les sénateurs. La seconde chambre a en effet rejeté le projet de loi en nouvelle lecture. Dans ces conditions, il ressort que le désaccord persistant ne peut être surmonté qu’en donnant le dernier mot à notre assemblée, comme le permet la Constitution.
Dans son projet de loi initial, le Gouvernement, suivi par l’Assemblée nationale en juillet dernier, a souhaité faciliter les conditions d’intégration de ceux, parmi les étrangers, qui ont vocation à vivre dans notre pays pour une période supérieure à trois mois, parce qu’ils sont mariés à des compatriotes, parce qu’ils sont parents d’enfants français, parce qu’ils doivent être soignés, parce qu’ils viennent se former dans nos établissements d’enseignement supérieur, ou parce que leur talent est utile à la France.
Notre assemblée a abordé ce texte avec le souci de la situation de l’étranger dans sa singularité. Le Sénat a privilégié une conception globale, en instituant par exemple le vote triennal d’un contingent d’étrangers autorisé par le Parlement.
Quand nous faisons le choix d’une meilleure intégration, par la carte pluriannuelle, par le parcours personnalisé d’intégration républicaine ou par une exigence plus forte de maîtrise de la langue française, le Sénat préfère, quant à lui, imposer une exigence d’intégration irréaliste depuis le pays d’origine et un niveau de maîtrise de la langue illusoire ; il réduit le champ de la carte pluriannuelle et limite fortement l’exercice par l’étranger de ses droits élémentaires à une vie familiale.
En matière d’éloignement, nous avons suivi le Gouvernement dans sa volonté de faire mieux respecter le droit qu’il ne l’est aujourd’hui. Les étrangers n’ayant pas vocation à rester sur notre territoire en vertu de la loi doivent être reconduits à la frontière. Ce texte apporte des outils plus efficaces en la matière, tout en renforçant les droits lorsqu’il s’agit d’ériger en principe l’assignation à résidence, au demeurant en l’encadrant davantage, ou lorsqu’il s’agit d’imposer l’intervention du juge des libertés et de la détention après quarante-huit heures de rétention administrative. Là encore, nos collègues sénateurs ne nous ont pas suivis.
De nombreux apports du Sénat, au-delà même des simples enrichissements rédactionnels, ont été intégrés par notre assemblée en nouvelle lecture. Mais sur l’essentiel, sur notre conception même des conditions d’accueil et de séjour des étrangers, nos positions ne semblent pas conciliables. Même la perspective d’un recours de plein contentieux confié au juge administratif en matière de rétention, disposition qui m’apparaissait vraiment intéressante, a recueilli des réactions très négatives auprès des magistrats administratifs et judiciaires que j’ai interrogés.
L’Assemblée nationale est, sur ce point également, revenue en nouvelle lecture au texte qu’elle avait transmis au Sénat.
Je regrette d’ailleurs que nos positions soient à ce point irréconciliables sur un sujet qui, particulièrement en ce moment, gagnerait à nous rassembler. Je note néanmoins avec satisfaction, pour ne pas dire avec une certaine gratitude à l’égard de l’opposition, que nos débats et nos réflexions dans cette enceinte, comme les échanges avec mon homologue rapporteur au Sénat, n’ont pas été trop encombrés des récupérations politiques outrancières auxquelles le sujet de l’immigration invite trop souvent.
Nos positions ne sont pas conciliables certes, mais nos travaux ont été d’un très bon niveau et je souhaite en remercier tous les collègues qui ont pu y contribuer activement, en particulier ceux du groupe socialiste, républicain et citoyen et sa responsable, Marie-Anne Chapdelaine, qui a apporté de nombreuses dispositions utiles. Je souhaite remercier également les rapporteurs pour avis, en particulier Mme Valérie Corre pour la commission des affaires culturelles et de l’éducation.
Je me réjouis, monsieur le ministre, de nos échanges tout au long du cheminement de votre projet de loi. Alors que nous sommes à quelques minutes de son adoption définitive, je tiens à saluer le Premier ministre, qui avait engagé le travail initial alors qu’il était place Beauvau, ainsi que notre ancien collègue Matthias Fekl, dont le rapport a servi d’élément fondateur à cette réforme.
Nous pouvons être heureux et fiers du travail collectif que nous avons produit, heureux et fiers également de la petite révolution que va constituer la délivrance du titre de séjour pluriannuel, à la fois pour les services préfectoraux et pour les étrangers concernés, heureux et fiers d’une loi qui a trouvé son point d’équilibre entre respect du droit et respect des droits – un point d’équilibre qui restera durablement dans notre droit, je le souhaite. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Marie-Anne Chapdelaine.
Mme Marie-Anne Chapdelaine. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui, en lecture définitive, le projet de loi relatif au droit des étrangers en France.
Ce texte est l’aboutissement d’une promesse du Président de la République, François Hollande : celle de lutter efficacement contre l’immigration illégale, d’une part, tout en sécurisant l’immigration légale, d’autre part. Ce texte poursuit donc les objectifs de simplification des démarches, de renforcement de l’attractivité de la France et d’une meilleure intégration des étrangers en situation régulière tout en luttant de manière plus efficiente contre l’immigration illégale.
J’aimerais rappeler en quelques mots les grandes dispositions de ce texte et les avancés qu’elles représentent.
En matière d’accueil, le texte met en place un nouveau parcours personnalisé d’intégration républicaine. Il comprend bien sûr une formation civique et linguistique renforcée. La bonne réalisation de ce contrat entre l’étranger et l’État pourra aboutir à la délivrance d’une carte de séjour pluriannuelle de quatre ans après un titre de séjour d’un an, stabilisant ainsi le séjour de l’étranger et lui permettant de mieux s’intégrer.
En matière d’attractivité, le séjour des étudiants étrangers en France sera simplifié et sécurisé. Ils pourront effectivement bénéficier d’une carte de séjour temporaire « salarié » ou « entrepreneur-profession libérale ».
Le groupe socialiste a pleinement pris sa part dans la construction de ce projet de loi. Plusieurs de nos amendements sont ainsi venus enrichir le texte. Soulignons par exemple la possibilité de la délivrance d’une autorisation provisoire de séjour de six mois, renouvelée tout au long de la prise en charge médicale de l’enfant, qui ouvre le droit à l’exercice d’une activité professionnelle à l’un de ses parents. Par ailleurs, l’accès à une carte de résident pour les conjoints et enfants de Français ayant résidé en France durant trois ans se fait désormais de plein droit, sous couvert de cartes de séjour annuelles ou pluriannuelles, afin de sécuriser le parcours d’intégration de ces personnes.
Parmi les avancées, il faut également mentionner que le renouvellement de la carte de séjour « vie privée et familiale » des personnes victimes de violences au sein du couple et qui ne font pas nécessairement l’objet d’une ordonnance de protection deviendra automatique, alors que cela n’était aujourd’hui possible qu’au bout d’un an.
Enfin, les membres d’une fratrie arrivée très jeune sur le territoire Français et dont un frère ou une sœur bénéficie déjà de la nationalité française pourront demander la nationalité française par déclaration.
Afin que les étrangers en France puissent pleinement exercer leurs droits et que l’intérêt de l’enfant prime, l’assignation à résidence va devenir la règle et le placement en rétention l’exception et, surtout, une mesure de dernier recours. En contrepartie, l’autorité administrative est renforcée afin de pouvoir exécuter une décision de retour.
L’Assemblée nationale et le Sénat ne sont malheureusement pas tombés d’accord sur un texte commun. La commission mixte paritaire n’a pu aboutir à un accord car le texte avait été tristement rebaptisé « projet de loi portant diverses dispositions relatives à la maîtrise de l’immigration » à l’issue de la première lecture au Sénat, et alourdi de dispositions restreignant inutilement et considérablement les possibilités de séjour des étrangers en France.
En nouvelle lecture, le Sénat s’est donc contenté de rejeter le texte. Il nous appartient désormais de le voter dans sa version initiale, laquelle est équilibrée et pragmatique.
Je tiens à saluer l’engagement de M. le ministre et de ses équipes. Leur capacité d’écoute, leur esprit de conciliation et leur attachement à apporter des réponses précises à chacune de nos interrogations ont été très appréciés. Je veux également remercier chaleureusement l’engagement d’Erwann Binet, rapporteur de la commission des lois sur ce texte, qui a fait preuve des mêmes qualités que M. le ministre. Je n’oublie pas de citer nos collègues rapporteurs pour avis, en particulier Mme Valérie Corre qui, s’agissant de l’enseignement supérieur, nous a fait bénéficier de ses compétences.
Ce texte n’est pas le résultat de postures politiciennes, d’idéologie, voire de fantasmes. Il se veut à l’inverse pragmatique, optimiste et équilibré – équilibré entre droits et obligations, entre sécurisation et simplification, entre fermeté et solidarité. Ce texte confirme la place de la France comme un pays ouvert sur le monde et patrie des droits de l’homme. N’oublions jamais que l’étranger n’est pas un poids pour la France ; il est source de richesses économiques et culturelles. Nombre de nos grands intellectuels, scientifiques, artistes et personnalités politiques, y compris dans cette assemblée, sont d’origine étrangère. Un nombre plus grand encore d’anonymes étrangers s’investissent quotidiennement dans leur milieu professionnel et associatif pour faire progresser notre société. Et de cela nous pouvons être fiers.
C’est pour toutes ces raisons que le groupe socialiste votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Geoffroy.
M. Guy Geoffroy. En préambule, je tiens à féliciter notre rapporteur qui, ce matin en commission, grâce à sa légendaire capacité de synthèse a sans doute établi un nouveau record de brièveté dans l’examen d’un texte puisque, en quelques secondes, nous avons traité, comme il se devait, la lecture définitive du texte qui nous est proposé cet après-midi. (Sourires.)
Lecture définitive en effet car, à l’issue de nos débats, subsistent des points sur lesquels nous ne parvenons pas à nous mettre d’accord. Autant nous devons accorder du respect à la position qui est la vôtre, autant je crois avoir constaté que vous ne manquez pas de le faire à l’égard des positions qui ont été les nôtres et celles du Sénat – et sur lesquelles je vais me permettre de revenir.
Le Sénat nous avait suivis pour faire un certain nombre de propositions alternatives qui, d’après nous et contrairement à ce qui vient d’être dit, auraient véritablement permis l’adoption d’un texte d’équilibre entre droits et devoirs des étrangers que nous souhaitons accueillir sur notre territoire.
Ainsi, nous aurions souhaité que vous nous rejoigniez sur la tenue d’un débat annuel au Parlement sur nos choix en matière de politique d’immigration – vous ne l’avez pas fait, préférant la version individualisée, alors que nous souhaitions une vision plus globale et annuelle.
Vous avez refusé de nous rejoindre sur le maintien des conditions de délivrance du titre de séjour aux étrangers malades. Le dispositif actuel permet de refuser ce titre de séjour lorsque le traitement existe dans le pays d’origine. Vous avez préféré remplacer ces dispositions par une autre qui sera difficile, voire impossible à mettre en œuvre, car elle est fondée sur l’effectivité de la possibilité de recevoir un traitement.
Vous avez également refusé notre proposition sur la transformation de l’aide médicale d’État en une aide médicale d’urgence, afin de mettre fin aux dérives actuelles que vous ne pouvez pas nier. Non seulement, le volume des crédits consacrés à l’AME a plus que doublé, mais nos concitoyens, à juste titre, sont interpellés et hérissés par les constats qu’ils font s’agissant des dérives évidentes de ce dispositif.
Vous avez en outre refusé de traiter comme nous le souhaitions la question de l’allongement du délai imposé pour demander le regroupement familial. Vous avez altéré le pouvoir d’appréciation du préfet pour délivrer les titres de séjour. Contrairement à ce que nous prônions, vous avez préféré le régime de l’assignation à résidence plutôt que le placement en rétention administrative. Enfin, et dans la période que nous vivons – il faut faire beaucoup d’efforts pour comprendre votre démarche et l’accepter –, vous avez mis fin au caractère exceptionnel qu’il convenait, d’après nous, de réserver à la carte pluriannuelle, en la destinant aux titres de séjour bénéficiant aux étrangers qui viennent pour travailler sous contrat en France, l’ensemble des autres titres restant délivrés pour une année et renouvelables.
À toutes nos propositions, à toutes nos réserves, à toutes nos tentatives pour améliorer le texte, à toutes nos mises en garde, vous avez préféré faire la sourde oreille.
Ce projet de loi, tel qu’il ressort des débats, ne contient aucune disposition qui permette de répondre aux failles qui pénalisent notre politique migratoire. Car si votre principal objectif consiste à mieux accueillir et à mieux intégrer les étrangers qui vivent légalement sur notre sol, ce que tout le monde peut partager, nous devons faire le constat que votre second grand objectif consiste bel et bien à renforcer l’attractivité de notre pays pour les étrangers. Est-ce bien utile par les temps qui courent ?
C’est la raison pour laquelle vous avez créé un passeport talent, sur lequel le ministre a apporté les informations qu’il croyait nécessaires ; c’est la raison pour laquelle vous avez souhaité la simplification du passage du statut d’étudiant à celui de salarié, ce qui ne manquera pas de poser quelques problèmes.
Ainsi, sous couvert d’intentions sans doute louables, que nous n’avons pas à contester, vous menez une politique qui peut s’avérer dangereuse et, pourquoi pas, mensongère, parce que la France n’en a probablement pas les moyens.
Enfin, vous n’ignorez pas que le Sénat, et probablement nous avec lui, demandera au Conseil constitutionnel de censurer certaines dispositions que l’Assemblée a ajoutées en nouvelle lecture, après l’échec de la commission mixte paritaire, sans qu’elles trouvent à se justifier par la nécessité de coordination ou de correction d’une erreur matérielle – ainsi en est-il de l’ouverture aux étrangers du service civique. Le Conseil constitutionnel sera là pour dire le droit et déterminer qui, de nous ou de vous, a raison.
Nous regrettons que nos points de vue n’aient pas pu se rapprocher afin d’aboutir à un meilleur texte, alors que cela aurait été possible. Vous comprendrez donc que les députés du groupe Les Républicains voteront, sans aucun état d’âme et sans la moindre hésitation contre le texte que vous nous proposez.
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Folliot.
M. Philippe Folliot. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous achevons l’examen d’un texte controversé puisqu’il a été rejeté hier dans son intégralité par le Sénat.
La navette parlementaire a révélé de nombreuses divergences et des points de vue inconciliables, en particulier sur les modalités d’accès à la carte de séjour pluriannuelle ou aux titres de séjour réservés aux étrangers malades. La mesure la plus caractéristique de ce désaccord a d’ailleurs été l’instauration par le Sénat d’un quota triennal d’étrangers autorisés à s’installer en France, rejetée ensuite par l’Assemblée nationale.
L’échec de la CMP et le rejet du texte par le Sénat nous amènent donc à examiner le texte adopté par notre assemblée lors de la précédente lecture.
Sans nier les difficultés qui entourent la politique d’immigration, cette dernière ne doit pas être uniquement perçue comme une contrainte à juguler. Elle peut aussi être une chance. Pour autant, elle doit aussi rimer avec intégration – dont les composantes sont l’apprentissage de la langue, l’appropriation des valeurs de la République et l’accès à l’emploi.
Dans ce même esprit, le projet de loi a l’avantage de rénover le contrat d’accueil et d’intégration, reconnu, notamment par l’Inspection générale des affaires sociales, comme un dispositif coûteux et présentant certaines faiblesses.
Nous souscrivons donc à votre volonté de mettre en œuvre une logique personnalisée. Pour autant, une simple information sur la vie en France et les droits et devoirs qui y sont liés est loin d’être à la mesure de l’enjeu. L’étranger qui souhaite s’installer durablement sur le territoire français doit, avant son entrée en France, apporter la preuve de sa capacité d’intégration à la société française.
Pour ce qui est des conditions de connaissance de la langue française pour la délivrance de la carte de résident, l’intention est louable. Nous regrettons néanmoins que l’exigence d’un niveau suffisant ne figure plus dans le texte actuel.
Quant à la carte de séjour pluriannuelle, nous craignons l’aspect quasi automatique de la délivrance que prévoit le projet de loi. En outre, les conditions de délivrance du titre de séjour pluriannuel ont été, à notre sens, excessivement assouplies.
Un autre des objectifs affichés de ce texte est celui de « contribuer à l’attractivité de la France ». Dans un contexte de mondialisation, nous devons faire en sorte d’attirer les meilleurs talents, les étudiants et les artistes prometteurs qui représentent de véritables atouts pour un pays. Mais, là encore, la navette parlementaire n’a pas permis d’encadrer davantage les dispositions dans ce domaine. Pour le passeport talent, par exemple, les termes demeurent trop incertains.
En outre, certaines dispositions de ce texte pourraient avoir pour effet néfaste de favoriser la fraude ou, du moins, d’y contribuer – je pense notamment à l’élargissement de l’accès à la procédure de séjour pour les étrangers malades et de l’autorisation de séjour de plein droit pour le parent d’un enfant malade.
Enfin, vous souhaitez privilégier l’assignation à résidence et faire du placement en rétention une exception, ce qui ne permet en rien d’améliorer la lutte contre l’immigration irrégulière.
J’ajouterai, à titre plus personnel, qu’il importe d’aborder ces questions de la manière la plus dépassionnée possible. Il s’agit en effet de ne pas faire de cette question importante, à propos de laquelle une bonne partie de notre pays nous regarde et à laquelle la jeunesse française est particulièrement sensible, un enjeu trop partisan ou trop clivant. En effet la France est belle et grande lorsqu’elle est ouverte et accueillante, mais aussi lorsqu’elle se montre responsable. Nous devons accueillir celles et ceux qui doivent légitimement pouvoir venir dans notre pays parce qu’ils sont pourchassés dans leur pays d’origine, mais nous ne pouvons pas – si je puis paraphraser un ancien Premier ministre – accueillir toute la misère du monde.
Ce projet de loi, s’il est ambitieux sur le plan de l’intégration, de la clarification des procédures et de la simplification des parcours, l’est beaucoup moins sur le plan de la maîtrise des flux et de la lutte contre l’immigration irrégulière.
Avec regret, le groupe UDI votera donc, comme lors des précédentes lectures, contre ce texte.
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Claireaux.
M. Stéphane Claireaux. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous nous retrouvons pour l’examen, en lecture définitive, du projet de loi relatif au droit des étrangers en France. Nous déplorons la manière dont les débats ont eu lieu au Sénat, notamment l’adoption de la question préalable sur ce texte, que ce soit en commission ou dans l’hémicycle.
En effet, ce texte a pour objectif de compléter la législation relative au séjour des étrangers en France, ainsi que le droit de l’éloignement des personnes entrées irrégulièrement sur le territoire national. Un tel sujet d’actualité aurait mérité un autre traitement et un nouvel examen par le Sénat.
M. Joël Giraud avait déjà pu critiquer le dogmatisme et les amalgames exprimés par nos collègues sénateurs de l’opposition lors de la première lecture du projet. Le texte qu’ils nous avaient alors proposé aggravait en effet la précarité et le contrôle des étrangers en situation régulière.
Qualifiant de laxistes les dispositions du projet de loi amendées par les députés, la droite sénatoriale avait adopté des articles visant à instaurer des quotas d’étrangers admis à s’installer en France. Il était prévu que ces quotas, notamment pour l’immigration professionnelle, familiale et étudiante, soient déterminés par un vote du Parlement, après la remise d’un rapport du Gouvernement sur les orientations pluriannuelles de la politique d’immigration et d’intégration des étrangers en France.
Heureusement, sur l’initiative du rapporteur de l’Assemblée nationale, ces dispositions ont été supprimées en nouvelle lecture. Profondément contraire à notre tradition nationale d’accueil et aux valeurs humanistes de notre République, et alors même que le texte vise à encadrer plus précisément les règles d’accueil et d’éloignement, l’instauration de quotas d’étrangers admis à s’installer était pour le moins inacceptable et, en tout état de cause, contraire au principe d’égalité – qui, nous le savons depuis la Déclaration des droits de l’homme, ne s’applique pas qu’aux citoyens français.
De plus, force est de constater que le texte s’inscrit dans la continuité de la législation existante – celle de 2006, 2007 et 2011. L’objectif affiché est clair : rendre plus efficientes les dispositions régissant les droits et le statut des étrangers régulièrement admis sur le territoire français, mais aussi rendre efficaces les mesures mises en place pour permettre l’éloignement des étrangers qui y sont entrés illégalement.
Or, vous le savez, la question de l’immigration est souvent une source de tensions et de stigmatisation des étrangers arrivant en France. Une adaptation de notre législation en la matière après la réforme du droit d’asile, était donc particulièrement opportune.
Ce texte permet de répondre à un double objectif : améliorer notre système d’accueil et d’intégration des arrivants et renforcer la lutte contre la fraude et l’immigration irrégulière. Ses dispositions vont donc dans le sens d’un bon équilibre entre l’accueil et la sécurité.
Ainsi, pour lutter contre l’immigration irrégulière et le démantèlement des réseaux frauduleux, le texte renforce le régime des mesures d’éloignement, limite le recours à la rétention administrative et favorise l’assignation à résidence.
Les sénateurs avaient souhaité allonger, en la portant à cinq ans, prorogeables en cas de menace à l’ordre public, la durée des interdictions de retour sur le territoire français et réduire à sept jours le délai de départ volontaire des étrangers après une obligation de quitter le territoire français. Ces mesures ont heureusement été modifiées par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture.
De plus, le texte prévoit la mise en place d’un parcours individualisé d’intégration républicaine, qui vise à proposer un suivi plus approfondi de l’étranger dans ses premières années de présence sur le territoire, ce qui apparaît indispensable, notamment pour l’apprentissage de la langue et la connaissance des droits et devoirs au sein de la République française.
Enfin, le projet de loi propose la création d’un nouveau titre de séjour : la carte de séjour pluriannuelle, qui sera délivrée à tous les immigrants ayant obtenu un premier titre de séjour d’un an et ayant fait preuve d’une bonne assiduité aux formations proposées dans le cadre du dispositif d’accueil. D’une durée théorique maximale de quatre ans, elle s’accompagne d’un contrôle tout au long de sa durée de validité. Cette innovation est utile, le caractère pluriannuel de cette carte simplifiant le parcours administratif auquel est confronté l’étranger qui souhaite obtenir un titre de séjour.
Dans la rédaction qui nous est proposée aujourd’hui, le texte nous paraît ainsi équilibré et propre à contribuer à un meilleur accueil et un meilleur accompagnement des étrangers arrivant sur le territoire français.
Pour toutes ces raisons le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste le votera.
Mme la présidente. La parole est à M. Gaby Charroux.
M. Gaby Charroux. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, chers collègues, dans un contexte exceptionnel, propice au repli sur soi, les députés du Front de gauche réaffirment, à l’occasion de cette ultime lecture, leur volonté de mettre en œuvre une politique ambitieuse et généreuse à l’égard des étrangers, fondée sur le respect des libertés et des droits fondamentaux.
Alors qu’en 2015, plus d’un million de migrants sont arrivés en Europe, l’incapacité des États de l’Union européenne, y compris la France, à se montrer à la hauteur de ce défi et à définir une politique coordonnée et globale est à la fois inquiétante et inacceptable. Cela est d’autant plus vrai que, face à l’urgence actuelle, la distinction entre immigration « économique » et immigration « de refuge » n’a plus de sens.
Aussi regrettons-nous, après plus de dix ans de durcissement continu de la législation relative aux droits des étrangers, que ce projet de loi ne marque pas une nette rupture avec les réformes précédentes, même s’il comporte certaines avancées importantes, soulignées par mon collègue Marc Dolez dès la première lecture.
De fait, pour ce qui est du droit au séjour, l’institutionnalisation de la carte de séjour pluriannuelle et les dispositions permettant un accès facilité au séjour, à la nationalité, à la carte de résident et au regroupement familial sécurisent davantage le séjour des étrangers.
En matière d’accès aux soins, nous avions également relevé des dispositions de sécurisation intéressantes.
Il en va de même pour le contentieux de la rétention et de l’éloignement, où la mise en conformité de notre législation avec la directive « retour » constitue, a priori, une avancée.
C’est également vrai du délai de quarante-huit heures, au lieu de cinq jours en l’état actuel du droit, qu’il est proposé de fixer pour l’intervention du juge des libertés et de la détention en cas de contestation de la décision de placement en rétention.
Le Sénat a tenté de revenir sur ces avancées importantes. La version sénatoriale, heureusement rejetée par la commission des lois de notre assemblée, aggravait ainsi la précarité des personnes en situation régulière.
Toutefois, les dispositions du texte favorables aux étrangers restent nuancées – pour le moins – par des mesures encore restrictives d’accès au droit.
Pour ce qui concerne le séjour, on doit regretter qu’en dépit de l’instauration du principe de pluriannualité du titre de séjour, subsistent encore une multitude de régimes spécifiques moins favorables. Surtout, l’instauration d’un contrôle inédit des conditions d’attribution du titre pluriannuel par la préfecture et la possibilité du retrait, à tout moment, du titre de séjour constituent un dispositif inquiétant.
Le projet de loi n’organise pas l’automaticité de la délivrance d’une carte de résident de dix ans, ni le renouvellement du titre pluriannuel de quatre ans. En un mot, le titre pluriannuel ne règle pas le problème de la précarisation du séjour, et ce d’autant moins que, comme l’ont souligné de nombreuses associations, le projet de loi ne prévoit pas expressément de poser en principe la délivrance de la carte de résident. On ne peut donc exclure que le risque de généralisation de la carte de séjour pluriannuelle ait paradoxalement pour effet de marginaliser la carte de résident.
Nous appelons à revenir au principe de la délivrance d’une carte de résident de plein droit d’une durée de dix ans pour les catégories de migrants et de migrantes ayant vocation à vivre en France et ayant ainsi déjà acquis le droit d’y séjourner. Seule la possession de cette carte peut apporter à son titulaire la sécurisation de son séjour, nécessaire à son intégration.
Pour ce qui est des étrangers malades, les dispositions du projet de loi ne nous paraissent pas non plus assez protectrices. En particulier, le transfert à l’Office français de l’immigration et de l’intégration – OFII – de l’évaluation médicale avant la décision relative à la délivrance de la carte constitue un recul important pour le droit à la santé.
En matière de recours à la rétention administrative, le régime proposé n’est pas plus satisfaisant. Comme le souligne le Défenseur des droits, si l’assignation à résidence est érigée en principe, celui-ci « souffre de trop nombreuses dérogations et peut conduire à ce que l’assignation à résidence soit en réalité une mesure supplémentaire de contrainte et non alternative à la rétention ».
En outre, le problème des mineurs en rétention et en zone d’attente demeure inchangé : aucune interdiction formelle de placement en rétention ou en zone d’attente n’est prévue. Nous le déplorons également.
Enfin, on doit regretter une fois encore le maintien, dans les outre-mer, d’un régime d’exception qui prévoit une protection juridique au rabais.
En définitive, vous l’aurez compris, nous saluons plusieurs avancées importantes de ce projet de loi, mais nous regrettons que cette réforme demeure complexe, difficilement lisible peut-être, et qu’elle ne semble finalement pas prévoir une meilleure garantie et une meilleure effectivité du droit des étrangers. C’est la raison pour laquelle les députés du Front de gauche s’abstiendront une nouvelle fois sur ce texte.
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Mme la présidente. J’appelle maintenant, conformément à l’article 114, alinéa 3, du règlement, le projet de loi dans le texte voté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
Mme la présidente. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
Débat sur l’évaluation de l’action de la douane contre les fraudes.
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-huit heures trente.)
La Directrice du service du compte rendu de la séance
de l’Assemblée nationale
Catherine Joly