SOMMAIRE
Présidence de Mme Sandrine Mazetier
1. Réforme du Conseil supérieur de la magistrature
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux
Motion de renvoi en commission
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux
Amendement no 2
Mme la présidente. La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi constitutionnelle, modifié par le Sénat, portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature (nos 1226, 3618).
Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, monsieur le président et rapporteur de la commission des lois, mesdames et messieurs les députés, le texte que le Gouvernement vous propose aujourd’hui doit rassembler l’Assemblée nationale.
M. Guy Geoffroy. C’est pas gagné !
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. C’est en tout cas le but de ma plaidoirie.
Ce texte doit rassembler, disais-je, d’abord parce qu’il fait consensus entre les deux chambres, ensuite parce qu’il correspond à une évolution souhaitée par tous et que votre assemblée a déjà adopté les dispositions qu’il contient, non seulement le 4 juin 2013, mais aussi le 3 juin 1998 et le 6 octobre 1998. Il doit également rassembler parce qu’il vient mettre le droit en conformité avec une pratique suivie par tous les gardes des sceaux depuis 2009 et enfin parce qu’il s’inscrit dans une certaine vision de la justice.
De fait, ce point fait consensus. Il y a trois ans, le 14 mars 2013, le Gouvernement déposait un projet de loi portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature – CSM. Sa vocation était de renforcer les pouvoirs de cette instance en la mettant à l’abri de toutes les interventions politiques, tant en ce qui concerne sa composition que son fonctionnement. L’article 1er de ce texte revenait sur la composition du CSM, afin que les magistrats y soient majoritaires. Cela marquait une différence avec la révision constitutionnelle de 2008. L’article 2, lui, prévoyait que la nomination de l’ensemble des magistrats du parquet, y compris des procureurs généraux, soit subordonnée à l’avis conforme du Conseil.
Deux mois plus tard, votre commission des lois, sous la responsabilité éclairée de son rapporteur Dominique Raimbourg, modifiait substantiellement le contenu de ce texte. Celui qu’elle adoptait le 22 mai fit en effet évoluer la composition du CSM, pour établir une parité entre magistrats et personnalités extérieures. Parallèlement, la commission des lois amendait les modes de désignation de ces dernières et ajustait quelques-unes des attributions du CSM. Mais l’article aux termes duquel les magistrats du parquet devaient faire l’objet d’une nomination avec avis conforme fut maintenu en l’état. Lors des débats en séance dans cet hémicycle, d’abord le 28 mai 2013, puis lors du vote solennel le 4 juin, ce même article fut à chaque fois adopté.
Lors de son examen par le Sénat, d’abord en commission le 19 juin, puis en séance publique les 3 et 4 juillet, les débats furent tout aussi riches ; et naturellement, l’écriture du texte s’en trouva à nouveau modifiée. Ainsi, toutes les dispositions relatives à la composition du CSM furent rejetées. Mais aucun changement ne vint altérer la volonté affichée par le Gouvernement en matière de nomination du parquet. Bref, à aucun moment, dans aucune des deux chambres, l’avis conforme ne fut remis en question.
Cependant le Gouvernement, constatant l’écart entre les ambitions initiales et les textes adoptés par les deux assemblées, décida de suspendre le parcours législatif du projet de loi. C’est dans ce cadre que j’avais déclaré – puisque l’on a souvent rappelé ces propos – que, dans la mesure où le texte était vidé de « son cœur », c’est-à-dire la modification du CSM, je comprenais, en tant que président de la commission des lois, l’attitude du Gouvernement. La confrontation sur la composition du CSM paraissait indépassable, la déception était forte, le projet de loi était suspendu.
Pourquoi, dès lors, vous en saisir à nouveau trois ans plus tard ? Parce que, dans tous les débats, que vous avez sans doute relus et que j’ai brièvement rappelés, l’ensemble des orateurs ont souligné que cette disposition représentait une « avancée essentielle » ; parce que dans tous les débats, l’ensemble des orateurs ont souligné qu’elle était un point de consensus – non pas de compromis, mais de consensus, autrement dit de rassemblement.
Une telle évolution, c’est le deuxième point de mon propos, est donc largement souhaitée. Les magistrats du parquet, que vous connaissez et rencontrez, vivent leur métier avec passion ; mais, comme le procureur général Jean-Louis Nadal l’écrivait dans son rapport remis à Christiane Taubira en novembre 2013, « ils ressentent un malaise devenu insupportable face aux critiques sur l’ambiguïté de leur statut ». Membres de l’autorité judiciaire en vertu de la Constitution, chargés par la loi de veiller au respect des droits et libertés des justiciables, ils réclament régulièrement la reprise de la procédure de révision constitutionnelle. Relisez l’ensemble des communiqués et des conférences des procureurs, y compris généraux : vous y trouverez la trace de ce souhait.
Cette évolution est aussi largement souhaitée par bien des responsables des formations politiques représentées sur les bancs de votre hémicycle. Le président Roger-Gérard Schwartzenberg, dans une tribune publiée dans le journal Le Monde le 13 décembre 2011, écrivait ainsi, en parlant du parquet : « l’exécutif ne pourra plus procéder aux nominations n’ayant pas reçu un avis favorable du CSM ».
Lors de ses derniers vœux aux hautes juridictions le 13 janvier 2012, le président Nicolas Sarkozy, pour sa part, indiquait vouloir dorénavant demander « au Conseil supérieur de la magistrature de rendre un avis conforme pour la nomination des magistrats du parquet, comme c’est le cas avec la nomination des magistrats du siège ».
Éric Ciotti, dans une proposition de loi datant du 5 mai 2014, préconisait une « nouvelle étape » en soumettant « les nominations au parquet à l’avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature ». Plus récemment encore, Georges Fenech, répondant aux questions du quotidien L’Opinion du 3 juin 2015, estimait que cette « réforme du Conseil supérieur de la magistrature paraît aller dans le bon sens ».
Chacun d’entre vous pourra lire aussi les déclarations d’Alain Juppé qui, page 155 de son livre Pour un État fort, écrit : « Il faut à mon sens inscrire cette pratique dans la loi pour que nul n’ait de doute sur les conditions d’indépendance dans lesquelles sont nommés les membres du parquet » – propos qu’il réitère d’ailleurs à la page 229. Je pourrais même ajouter une phrase du livre Faire de François Fillon, qui, page 190, proclame – même si la justice n’occupe pas l’essentiel de l’ouvrage – que l’« indépendance [du parquet] doit être renforcée à l’égard du pouvoir », sans toutefois préciser les modalités de cette indépendance.
Cette convergence de vues ne doit d’ailleurs pas surprendre. Le 3 juin 1998, lors du vote solennel qui engageait l’Assemblée nationale, bien des députés RPR avaient alors voté la disposition dont nous parlons : Bernard Accoyer, Gilles Carrez, Patrick Devedjian, Thierry Mariani, Patrick Ollier, François Vannson, Jean-Luc Reitzer, Marie-Jo Zimmermann, Jean-Luc Warsmann, André Schneider et même Christian Jacob… Ils étaient quatre-vingt-trois députés du groupe RPR, à l’époque, à approuver le texte ; seuls dix s’étaient prononcés contre et cinq s’étaient abstenus.
Pourtant, depuis que le projet de loi a été réinscrit à l’ordre du jour, j’entends dire que ces prises de position ou ces votes seraient à contextualiser, et qu’ils tiendraient à d’autres éléments, absents du texte ici proposé. Je peine à comprendre ces tentatives d’amodiation. Par exemple, je ne crois pas à la pertinence de l’idée selon laquelle cette réforme, si elle va dans le bon sens, reste insuffisante pour endiguer le réflexe corporatiste qui existerait au sein de la magistrature. Cet argument ne tient pas, dans la mesure où, en 2008, la révision du CSM était déjà motivée par cette crainte même. « Toutes les critiques sur le corporatisme vont disparaître », avait alors déclaré Rachida Dati devant la commission des lois le 30 avril 2008.
L’argument est d’ailleurs constant puisque, dès 1958, le rapporteur du projet de Constitution, Paul Coste-Floret, déclarait en présentant son texte devant l’Assemblée nationale : « [la] composition [du CSM] se tient à égale distance d’une subordination de la magistrature à l’Assemblée nationale et d’une inadmissible composition corporative du Conseil, [ce qui] paraît devoir donner toute satisfaction et réaliser le but à atteindre » – entendons, éviter le corporatisme. Le Constituant, dans la loi constitutionnelle du 27 juillet 1993, n’avait pas dit autre chose, non plus qu’Élisabeth Guigou, alors garde des sceaux du gouvernement de Lionel Jospin, en 1998.
Reste que, actuellement, le CSM bénéficie d’une composition pluraliste, « les membres extérieurs à la magistrature acquérant une place prépondérante », écrit Jean-Luc Warsmann dans son rapport du 15 mai 2008 ; et personne, aujourd’hui, ne propose de revenir sur cette composition. Comment, dès lors, craindre un « corporatisme » que l’on jugeait hier impossible ?
Un certain nombre de députés expliquent que leur hostilité au texte actuel doit sa cohérence à leur souhait de voir interdire, dans le même temps, la syndicalisation des magistrats. J’imagine que leur but est de lutter contre ce que le président Bernard Accoyer appelle les « magistrats hautement politisés ».
M. Guy Geoffroy. Cela existe !
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Outre qu’un tel argument ne résisterait pas une seconde devant la Cour européenne des droits de l’homme, interdire la syndicalisation n’empêchera pas les magistrats d’avoir des convictions. (Exclamations sur quelques bancs du groupe Les Républicains.) Les magistrats ont bien évidemment des convictions politiques et sans doute, en tout cas souhaitons-le, l’écrasante majorité d’entre eux vont-ils voter ! D’ailleurs, nous connaissons tous des magistrats devenus des élus, et personne n’imagine qu’ils aient fait ce choix sans avoir, auparavant, partagé les idées du parti dont ils ont le soutien. Ce fut vrai à gauche comme à droite : je pense par exemple à Jean-Paul Garraud, à Jean-Louis Debré, à Rachida Dati… ou à Georges Fenech.
Les magistrats n’évoluent pas dans un univers éthéré, suspendus dans l’abstraction des normes, sous les lambris – même défraîchis – des palais de justice. Certains ont même des convictions religieuses ! Mais cela doit être moins grave, car on ne propose pas de leur interdire la fréquentation des églises, des temples, des mosquées ou des synagogues…
D’ailleurs, les milliers de citoyens qui, chaque année, rejoignent les cours d’assises en tant que jurés ont, également, des convictions religieuses. Mais là encore, leurs opinions politiques, qui peuvent pourtant perturber les débats, ne semblent pas être évoquées par ceux qui réclament une interdiction de la syndicalisation des magistrats. Il arrive même que certains juges soient choisis en raison de leur appartenance syndicale : songez aux conseils de prud’hommes ! Et, pour autant, personne ne propose de supprimer ces juges qui ne sont peut-être pas impartiaux…
Dans la même veine, puis-je me permettre de faire remarquer que si la partialité des magistrats est souvent évoquée, elle n’est jamais démontrée ? Or, quand on accuse, il faut expliquer, et illustrer. Où sont donc les faits, les phrases ambiguës ? Quelles sont les pièces qui permettent de conclure que, pour reprendre une expression qui a été utilisée, telle « dame » aurait fait primer ses convictions politiques ou syndicales sur les éléments de son dossier ?
Nous touchons au cœur de notre sujet : peu importe les opinions des magistrats, ce qui compte est qu’elles n’interfèrent pas avec l’analyse rigoureuse et objective du dossier qu’ils traitent. Ce qui importe, c’est que leurs décisions ne soient fondées que sur les seuls éléments du dossier et sur l’application du droit. Chaque année, des centaines de milliers de justiciables n’obtiennent pas des décisions conformes à leurs souhaits : ils continuent pourtant à respecter les magistrats !
Faut-il encore souligner que les matières du droit qui laissent place aux convictions syndicales d’un juge sont bien rares ? Comment pourraient-elles se manifester lorsqu’une juridiction statue en droit des contrats, en droit de la construction, en droit commercial, ou encore en droit rural ? Je rappelle par ailleurs que, s’il y a eu des excès, ils ont été rares, et surtout qu’il existe des procédures disciplinaires permettant de sanctionner les responsables.
Ce n’est donc pas dans les faits qu’il faut chercher l’origine de notre désaccord, mais, je crois, dans une certaine conception de la justice. Au fond, ceux qui s’opposent à ce texte ont, par rapport à la majorité et au Gouvernement, une vision différente du juge. Ils cherchent, notamment dans le domaine pénal, à transformer le juge en un maillon tant espéré d’une chaîne sécuritaire qui serait dévoyée. Ils espèrent faire des juges des machines vassalisées dont l’unique mission serait la distribution automatique de peines : c’était, déjà, la philosophie des peines plancher.
Bref, les juges, les magistrats ne peuvent pas se vouer à une application mécanique de la loi. Le retour à la magistrature du Second Empire, à des juges transformés en clones dans une hiérarchie sans faille n’est pas d’actualité. Nous ne partageons pas cette conception réductrice de la justice.
Troisième point : ce projet de loi met le droit en conformité avec les pratiques. Oui, depuis quelques années, les gardes des sceaux suivent sans mot dire les avis du CSM. Mais quelques années seulement ! En 2003, à cinq reprises, le garde des sceaux a nommé des procureurs à rebours du CSM. En 2004, il y a eu six passer outre – c’est le terme qui désigne le fait, pour le garde des sceaux, de s’émanciper du CSM. Il y en a eu encore six en 2006, et même dix en 2007. Il est vrai qu’à l’époque la garde des sceaux s’autoproclamait « chef des procureurs » et disait agir ainsi au nom de la « légitimité suprême » que les Français avaient confiée au Président de la République en l’élisant. À l’époque, la Chancellerie convoquait également des magistrats du parquet pour les houspiller, comme des gamins trop turbulents, et l’inspection générale des services judiciaires était mandatée en pleine nuit pour procéder à des contrôles de parquetiers sommés de s’expliquer.
Alors oui, les gardes des sceaux respectent désormais les avis du CSM, mais cela ne remonte qu’à 2008. Je croyais, très sincèrement, que ce sujet était définitivement tranché, que nous en avions fini avec le temps de la suspicion et des fantasmes, et que plus personne ne chercherait à contester l’indépendance de l’autorité judiciaire ou à caporaliser le parquet.
Et pourtant sont réapparues, à l’occasion de ce débat, des déclarations nostalgiques d’une justice aux ordres, respectueuse du pouvoir en place et de ceux qui en sont les titulaires. Cela rappelle ceux que l’on appelait, avant la Révolution française, les « gens du Roi », qui étaient le bras armé de l’exécutif.
M. Philippe Houillon. C’est une caricature !
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Il m’a semblé voir poindre, à nouveau, le refus de renoncer à faire des procureurs les bras armés d’une politique partisane. Au demeurant, et curieusement, à cette tentation nostalgique me paraît répondre une autre dérive, tout aussi surprenante qu’inquiétante, de certains juges qui semblent désireux de retrouver la place qui était la leur dans les parlements d’Ancien régime.
Je veux croire que ces dérives ne sont pas majoritaires et que ce texte saura nous rassembler, au nom de cette phrase de Jean Monnet dans ses Mémoires : « rien n’est possible sans les hommes, rien n’est durable sans les institutions ».
Pour le Gouvernement comme pour sa majorité, ce nouveau pas s’inscrit dans la cohérence d’une démarche de longue date. Il y eut d’abord, sous la XIIe législature, entre 1997 et 2002, la décision d’Élisabeth Guigou puis de Marylise Lebranchu de renoncer à la possibilité d’adresser des instructions individuelles, de quelque nature qu’elles soient. Puis il y eut la loi du 25 juillet 2013, défendue par Christiane Taubira avec comme rapporteur Jean-Yves Le Bouillonnec, aux termes de laquelle le ministre de la justice n’a plus la possibilité d’adresser d’instructions individuelles aux magistrats du parquet. Vient enfin ce projet de loi constitutionnelle, dont je rappelle à nouveau que la disposition principale a été votée en termes identiques par chacune des chambres.
Je voudrais, enfin, répondre à une critique que j’ai entendue et qui mérite querelle : ce projet de loi n’organise pas l’autonomie d’un contre-pouvoir judiciaire. J’ai bien examiné cette critique, et je ne la crois pas fondée.
Évidemment, la montée en puissance du juge conduit à s’interroger sur la légitimité de son pouvoir. Je vous renvoie à cet égard à l’excellent ouvrage de Bertrand Mathieu, professeur de droit constitutionnel à la Sorbonne et ancien membre du CSM : Justice et politique : la déchirure ?
La justice tire sa force et sa légitimité de sa fonction de tiers impartial. S’il est doté par la loi du pouvoir d’empêcher, le juge ne doit pas usurper le pouvoir de vouloir, qui appartient au pouvoir politique. La séparation des pouvoirs n’est pas l’autonomie de l’autorité judiciaire : les prérogatives que la Constitution lui confère s’articulent avec celles qu’elle reconnaît à d’autres, notamment au pouvoir exécutif.
C’est pourquoi l’article 20 de la Constitution, qui dispose que le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation, garde toute son actualité et toute sa pertinence : la « politique de la nation », c’est aussi la politique pénale. Une politique pénale implique que le garde des sceaux reçoive des parquets généraux et des parquets une information fiable et complète sur le fonctionnement de la justice. C’est l’objet des rapports annuels et particuliers établis par les procureurs généraux et par les procureurs de la République. En organisant la remontée d’informations, ils permettent au ministre de la justice de veiller à une application uniforme de la loi pénale, de garantir l’égalité des citoyens devant la loi et d’inciter à la résolution d’éventuels conflits de compétences.
Ainsi donc, il revient au ministre de la justice de définir les priorités de la politique pénale et aux procureurs généraux et aux procureurs de décliner ces orientations générales dans leur ressort. C’est l’objet des circulaires générales de politique pénale adressées aux chefs des parquets, auxquelles ils ont obligation de se conformer. Il ne saurait en être autrement : il en va du principe de l’égalité des citoyens devant la justice sur tout le territoire. Ces circulaires constituent la garantie d’une réponse cohérente de la justice dans tout le pays.
Mesdames et messieurs les députés, ce texte ne devrait pas nous diviser : la réforme du CSM est en effet à la fois un devoir et un droit républicain. Son adoption réglerait de surcroît une question statutaire qui pèse depuis trop longtemps sur les magistrats du ministère public. Elle ferait taire ce « murmure insupportable » que dénonçait Jean-Claude Marin, procureur général près la Cour de cassation, dans son discours prononcé à l’occasion de la rentrée solennelle de la Cour, le 9 janvier 2012. Il affirmait que ce « soupçon de la dépendance des procureurs à l’égard du pouvoir exécutif » conduit à nier leur « qualité même de magistrats ».
Cette réforme que je défends aujourd’hui n’est donc pas une correction à la marge, mais au contraire un pas déterminant pour l’État de droit. Je suis convaincu que si les convictions supplantent les postures, si les idéaux supplantent les idéologies, si la congruence supplante les hypocrisies, alors l’opportunité de parvenir à un consensus général existe.
Henri IV aurait dit un jour : « Si je n’étais pas roi de France, j’aurais voulu être conseiller au parlement de Bordeaux ». Au-delà de ce que cette phrase signifie quant à la beauté du métier de ceux qui font œuvre de justice, elle constitue une réflexion avant-gardiste sur la séparation des pouvoirs.
La séparation des trois pouvoirs ne signifie en effet pas leur indifférence mutuelle, pas plus que leur compétition. Au contraire, cette séparation est une condition nécessaire pour qu’il y ait articulation, coordination et équilibre. Elle garantit, surtout, un respect mutuel. Ce respect est une forme de politesse républicaine. Et sans ce respect républicain, il ne peut y avoir ce que Cicéron appelait dans son discours Pro Cluentio la « confiance publique ».
Mesdames et messieurs les députés, en votant ce texte, en choisissant de constitutionnaliser l’indépendance de la justice, vous contribuerez, je le crois, à construire cette confiance publique. (Applaudissements et « Excellent ! » sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Raimbourg, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République et rapporteur de ce texte.
M. Dominique Raimbourg, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la réforme que j’ai l’honneur de rapporter devant vous est extrêmement simple.
Au-delà d’une correction de vocabulaire relative au Conseil supérieur de la magistrature, elle affirme, tout simplement, deux choses. Premièrement, le ministre de la justice, lorsqu’il nomme un procureur, un substitut du procureur ou un membre du parquet, doit suivre l’avis du Conseil. Deuxièmement, le même ministre de la justice, lorsqu’il sanctionne un membre du parquet, doit se conformer à la sanction proposée par ce même conseil. Il s’agit donc d’une réforme à la fois extrêmement simple et nécessaire.
Elle est nécessaire tout d’abord car elle renforce l’indépendance de la justice, tout comme l’image de cette indépendance. Or ce renforcement s’avère absolument indispensable dans une période aussi difficile que celle que nous traversons : jamais la crise de confiance entre les citoyens et les institutions n’a en effet été aussi aiguë. Cette réforme est donc bienvenue dans notre système démocratique, elle conforte notre démocratie.
Cette réforme est également nécessaire parce qu’elle constitue un gage d’efficacité de la justice. En effet, celle-ci ne fonctionne pas comme un petit village gaulois totalement indépendant d’instances supérieures : elle vit en permanence sous le regard de la Cour européenne des droits de l’homme.
M. Philippe Houillon. Justement, justement.
M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Or celle-ci, qui éprouve bien des difficultés à bâtir un système cohérent à partir des emprunts qu’elle effectue, à gauche et à droite, dans les législations des vingt-huit États membres de l’Union européenne – et même, au-delà, dans celles des membres du Conseil de l’Europe – nous oblige à modifier notre droit positif.
Elle considère en effet que le procureur français, le procureur « à la française » n’est pas un magistrat, et ce pour deux raisons : d’abord parce qu’il ne bénéficie pas d’un statut garantissant son indépendance, et ensuite parce qu’il est une autorité poursuivante.
Dans toutes les réformes que nous avons adoptées, nous avons tiré les conséquences de cette appréciation de la Cour. Ce faisant, nous avons modifié l’organisation de notre système judiciaire, en prévoyant que le procureur avait, dans un premier temps, le pouvoir de valider un certain nombre de restrictions ou d’atteintes aux libertés si, dans un second temps, la procédure était validée par des magistrats du siège.
Cela revient à dire que ceux qui s’opposent aujourd’hui à cette réforme prennent un risque très important : celui de nous placer dans une situation similaire à celle dans laquelle nous nous sommes retrouvés lors de la réforme de la garde à vue, lorsque, dans l’urgence, il a fallu tout changer…
M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Eh oui !
M. Dominique Raimbourg, rapporteur. …pour échapper au risque extrême de voir s’effondrer de nombreuses procédures et, par conséquent, de devoir libérer un certain nombre de personnes, ou en tout cas de les libérer des liens de la prévention, ce qui ne signifie pas forcément les remettre en liberté. Encore que ! En tout cas, le risque était grand.
Ceux qui refusent cette réforme prennent le risque de mettre, demain matin, le procureur de la République dans l’incapacité de décider d’un placement en garde à vue ou d’une prolongation de cette même garde à vue, ou de s’opposer à ce que la personne gardée à vue puisse téléphoner à sa famille.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Bien sûr !
M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Ils prennent le risque de voir le même procureur incapable de confirmer l’ouverture d’une enquête pénale ou la rétention pour validation d’un contrôle d’identité, ou encore de valider la pose d’une balise pour la géolocalisation d’une voiture.
Ce risque est immense. Demain matin, nous pourrions être mis en accusation par l’opinion publique. On nous dira : mais qu’avez-vous donc fait ? Comment se fait-il que toutes les procédures, y compris à l’encontre de terroristes, aient été annulées ?
M. Georges Fenech. Il ne faut pas mettre la charrue avant les boeufs.
M. Dominique Raimbourg, rapporteur. À nouveau, nous serons obligés de répondre, dans l’urgence, à ces critiques. Il est absolument nécessaire que nous validions notre système juridique, que nous donnions une protection au procureur de la République.
Je ne reviens pas sur les explications de M. le garde des sceaux, je ne reviens pas sur ce murmure insupportable dont nous parle Jean-Claude Marin. Je ne reviens pas sur le fait que l’accusation permanente d’avoir été nommé parce que l’on a des accointances avec le pouvoir politique en place est insupportable pour une partie des magistrats – il faut s’en rendre compte ! Il est donc nécessaire de voter cette réforme.
C’est d’autant plus nécessaire qu’il n’y a aucun risque. Il n’y a pas de risque de gouvernement des juges parce que le garde des sceaux garde la possibilité de déterminer la politique pénale à partir d’une circulaire de politique pénale. Il n’y a pas non plus de risque d’une montée du corporatisme car, dans le Conseil supérieur de la magistrature tel qu’il est aujourd’hui composé, les magistrats sont minoritaires et ce sont des personnalités civiles qui sont majoritaires.
Enfin, comme l’a rappelé M. le garde des sceaux, la disposition en question est pratiquée depuis 2008. Elle avait été pratiquée auparavant par de précédentes gardes des sceaux, Mme Élisabeth Guigou et Mme Marylise Lebranchu. Nous n’avons pas assisté pour autant à une montée de l’indépendance de la justice, avec une espèce d’isolement vis-à-vis de la société ! La justice a fonctionné alors même que tous les gardes des sceaux depuis la fin de 2008, de droite et de gauche, ont respecté tous les avis du Conseil supérieur de la magistrature.
Il est donc nécessaire de voter ce texte. Comme l’a souligné M. le garde des sceaux, il ne faut pas se laisser aller à la tentation, induite en nous par les institutions, de voir l’opposition s’opposer, s’affronter en permanence à la majorité.
Il ne faudrait surtout pas croire que le peuple de notre pays accorde tant d’importance que cela au fait que l’on réussisse ou que l’on échoue à faire adopter un texte en Congrès. J’entends parfois dire que l’on ne peut pas faire ce « cadeau » au Président de la République. Ce n’est pas un cadeau, parce que si le Congrès se fait, le Président de la République n’en sortira pas renforcé dans l’opinion publique – et s’il ne se fait pas, il n’en sortira pas affaibli.
Certes, nos discussions sont très intéressantes mais pas au point d’intéresser beaucoup au-delà de l’hémicycle, et l’attitude qui consiste à s’opposer pour des raisons politiques ne convient pas. Elle doit être abandonnée.
Elle a d’ailleurs été abandonnée ! Je vous rappelle que le texte a été voté par 131 sénateurs Les Républicains, 32 sénateurs de l’UDI et 18 sénateurs RDSE et qu’il est arrivé ainsi à l’Assemblée. Je vous rappelle également que l’un de nos éminents collègues, Éric Ciotti, avait fait une proposition de loi allant dans ce sens. Je crois que la sagesse veut que nous adoptions ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
Mme la présidente. J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe Les Républicains une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.
La parole est à M. Guillaume Larrivé.
M. Guillaume Larrivé. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, quelle est donc cette manie qui consiste à tenter d’amender la Constitution chaque semaine ?
Il y a à peine six jours, depuis le palais de l’Élysée, le chef de l’État a pris la parole, devant le peuple français, pour clore la parenthèse constitutionnelle qu’il avait imprudemment ouverte à Versailles. Ni sur la nationalité, ni sur l’état d’urgence, la Constitution ne sera révisée. L’improvisation constitutionnelle, à l’automne, a suscité la confusion institutionnelle cet hiver, qui aboutit à la capitulation présidentielle au printemps.
Faute d’avoir convaincu, le Président a été vaincu. On devine l’inquiétude qui, dès lors, a saisi le stratège élyséen et les tacticiens qui peuplent sa cour. Les horloges tournent et, clopin-clopant, le quinquennat s’achemine vers sa fin.
Puisque le meilleur remède à l’immobilité, c’est encore le mouvement, si l’on veut bien nous pardonner cette lapalissade, le président François Hollande a dû se dire qu’il était temps de bouger. C’est pourquoi il veut un Congrès pour un Congrès, comme s’il craignait qu’un président sans Congrès, cela soit déjà un président en congé.
Aussi, pour exaucer le vœu présidentiel, la Chancellerie est allée rechercher, au fond des cuves parlementaires, ce qui pourrait constituer, peut-être, un début d’ordre du jour versaillais.
Pas moins de six projets de loi constitutionnelle ont fleuri au cours du quinquennat. Le sixième, que chacun garde à l’esprit, a déjà connu des obsèques nationales, les cinq autres, plus discrets, semblaient eux aussi promis à un sort funeste. Dans cette morne plaine, un seul projet de loi constitutionnelle n’a pas encore tout à fait expiré, et c’est ce mort-vivant que nous sommes invités, ce soir, à examiner de plus près. Nous reprenons donc l’autopsie là où elle s’était interrompue, au palais du Luxembourg, il y a bientôt trois ans.
Faut-il modifier la Constitution pour réformer le Conseil supérieur de la magistrature dans les termes qui nous sont soumis aujourd’hui ? La réponse des députés Républicains, monsieur le garde des sceaux, tient en quelques mots : pour nous, c’est non. Mais, pour vous, est-ce vraiment oui ?
Très attentifs à l’avis toujours éclairé et souvent éclairant du premier président de la commission des lois de cette législature, il nous revient que celui-ci avait déclaré qu’il n’y avait « aucune pertinence à ce que l’Assemblée nationale soit ressaisie » de ce texte. Ce que le député Jean-Jacques estimait hier inutile, le ministre Urvoas le croit aujourd’hui nécessaire.
M. Guy Geoffroy. Et urgent !
M. Guillaume Larrivé. Passons sur cette légère incohérence temporelle. Sur le chemin escarpé du compromis, comme on dit à la Fondation Jean Jaurès, on trouve parfois quelques cailloux.
Venons-en au fond : il y aurait d’un côté ceux qui veulent conforter l’indépendance de la justice et, de l’autre, ceux qui ne songeraient qu’à la piétiner ? Absurde simplisme. Tâchons d’en sortir en évoquant, aussi précisément que possible, nos points d’accord et de désaccord.
Nous sommes évidemment d’accord aujourd’hui pour considérer que le Président de la République ne doit pas présider lui-même le CSM et que le garde des sceaux ne doit pas en être le vice-président. Ce point n’est désormais plus en débat, puisque vous ne proposez pas de défaire ce à quoi vous vous étiez opposés : c’est en effet en dépit de la vive opposition des députés socialistes de l’époque, au premier rang desquels François Hollande, que la Constitution avait été révisée en 2008 sur l’initiative du Président Nicolas Sarkozy, dans la continuité de la révision votée en 1993 lorsque Édouard Balladur était Premier ministre. Bref, le chef de l’État n’est plus le président du CSM.
Encore pourrait-on légitimement débattre sur le choix de la personnalité appelée à présider le CSM. Cette responsabilité incombe aujourd’hui d’une part au premier président de la Cour de cassation s’agissant de la formation compétente pour les magistrats du siège, d’autre part au procureur général près la Cour de cassation s’agissant de la formation compétente pour les membres du parquet.
« Il semble que l’on ait confondu ici indépendance et changement de dépendance », relevait le professeur Carcassonne dans son commentaire désormais classique, aux éditions du Seuil, de la Constitution. Je ne suis pas loin personnellement de partager cet avis, tant paraît grande l’influence désormais confiée à ces deux magistrats éminents sur le choix non seulement des affectations de leurs pairs, mais aussi de leurs propres successeurs. J’observe néanmoins que ce point n’est plus en débat dans le projet de révision constitutionnelle qui nous est soumis ce soir.
Pour ce qui est de la composition du CSM, chacun admet qu’il doit mêler des clercs et des laïcs, c’est-à-dire des magistrats et des personnalités qui ne le sont pas. Mais, dès qu’il s’agit de doser, trois options au moins s’affrontent. Je n’ai pas le sentiment que le Gouvernement sache vraiment ce qu’il veut, puisqu’il a plaidé pour la majorité des clercs en 2013, s’est rallié à la parité entre les clercs et les laïcs devant l’Assemblée en première lecture et revient vers nous en semblant accepter la majorité des laïcs. Plutôt que ces palinodies gouvernementales, la position des Républicains a le mérite de la constance et de la clarté, qui ne voit pas l’intérêt de modifier, sur ce point, le texte adopté en 2008.
J’en viens au cœur de notre débat, ou de ce qu’il en reste : la mission et les compétences confiées au Conseil supérieur de la magistrature.
À l’article 1er, que vous n’avez pas évoqué, monsieur le garde des sceaux, vous estimez nécessaire de modifier l’article 64 de la Constitution, selon lequel le Président de la République est garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire – car nous n’avons évidemment pas attendu d’être saisis du présent texte pour que l’indépendance de l’autorité judiciaire soit mentionnée dans la Constitution – et qu’il est assisté par le CSM.
On nous propose de substituer à cette assistance la mention d’un vague concours. Le texte qui nous revient du Sénat dispose en effet que « le Conseil supérieur de la magistrature concourt à garantir cette indépendance. »
Je ne vois vraiment pas ce que l’on gagnerait à remplacer la rédaction actuelle, claire et exacte, par une rédaction nouvelle, obscure et imprécise. Car, si le CSM concourt à garantir l’indépendance de la magistrature, c’est sans doute que d’autres institutions y concourent elles aussi, mais lesquelles ? Cette rédaction malhabile est au mieux inutile, au pire malencontreuse. Elle ne saurait être approuvée, et l’on s’étonne du reste que les sénateurs, qui se plaisent parfois à donner des leçons de rigueur légistique, aient cru pouvoir la voter.
À dire vrai, ce débat n’est pas que rédactionnel, car ce qui le sous-tend, c’est l’idée, pernicieuse, que le Président de la République ne peut pas vraiment être ce que le premier alinéa de l’article 64 affirme qu’il est, c’est-à-dire le garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire.
Il me semble, au contraire, que notre devoir de constituant est de nous en tenir à la conception, exigeante, classique, d’un Président de la République qui est pleinement le chef de l’État, dans la totalité de la mission institutionnelle que lui confie l’article 5 : il « veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État ».
N’allons pas improviser ce soir, pour des raisons obscures, une modification hasardeuse de l’article 64, au risque de rogner ce qui doit être impérativement préservé. Nous ne pourrons donc pas approuver l’article 1er du projet de loi.
J’en viens à l’article 2 et à ce qu’il est convenu d’appeler l’avis conforme du CSM sur les nominations des membres du parquet. Ce débat, jusqu’alors, me semble avoir été assez mal posé.
Permettez-moi d’abord de m’étonner des diverses expressions publiques de magistrats nous appelant à voter cette révision de la Constitution.
Est-il vraiment besoin d’évoquer le souvenir du chancelier Maupeou ou, au contraire, celui de Maurepas pour rappeler à tous les magistrats que le temps n’est plus aux remontrances de la magistrature d’Ancien régime s’adressant au souverain ? La question a été réglée par la Révolution française. Depuis lors – cela fait un peu plus de deux siècles – les magistrats judiciaires sont censés ne pas se mêler des affaires publiques en général, de la chose politique en particulier. Ce serait avoir une bien étrange conception de la séparation des pouvoirs que de permettre à une autorité constituée de faire la leçon au constituant.
Je passe sur cette lettre étrange, datée du reste du 1eravril, que les commissaires aux lois ont reçue de la présidente de l’Union syndicale des magistrats, lettre vraiment bizarre, tout aussi incongrue que serait celle d’un parti politique qui se permettrait d’intervenir dans le jugement d’une affaire individuelle pour demander au magistrat de juger dans tel ou tel sens. Le fait qu’un magistrat nous appelle à réviser la Constitution n’est pas, en soi, un argument opérant.
Je passe rapidement, de même, sur l’argument de l’eurocompatibilité. Il existe, mais il me paraît faible car le constituant n’écrit pas sous la dictée des juges de Strasbourg ou de Luxembourg. Nous avons le droit et même le devoir de rester, en cette matière si essentiellement régalienne qu’est l’organisation de l’autorité judiciaire, pleinement maîtres de nos choix.
Il me reste alors trois remarques à formuler.
Il faut souligner, d’abord, que la réforme proposée ne consiste pas exactement, contrairement à ce qui est dit ici ou là, et contrairement à ce que vous disiez vous-même, monsieur le garde des sceaux, à la tribune, à aligner le régime de nomination des parquetiers sur celui des magistrats du siège. Il existerait encore une distinction importante : tous les magistrats du parquet resteraient nommés sur la proposition initiale du garde des sceaux, à la différence des plus hauts magistrats du siège, c’est-à-dire les membres de la Cour de cassation, les premiers présidents de cours d’appel et les présidents de tribunaux de grande instance, qui sont, eux, nommés sur la proposition du CSM.
En soulignant cette différence, je ne plaide certes pas pour son abolition, mais il me semble que son maintien enlève beaucoup de sa pertinence à l’argument selon lequel il faudrait impérativement modifier la Constitution pour aligner le régime des nominations des parquetiers sur celui des magistrats du siège.
M. Guy Geoffroy. Très juste !
M. Guillaume Larrivé. Si vous étiez vous-même, monsieur le ministre, totalement convaincu de cette nécessité, vous le feriez entièrement et donc symétriquement, en vous retirant à vous-même, garde des sceaux, le pouvoir de proposition sur les nominations des avocats généraux à la Cour de cassation, des procureurs généraux près les cours d’appels et des procureurs près les tribunaux de grande instance. Vous choisissez de ne pas le faire et il est nécessaire que vous vous en expliquiez clairement.
Deuxième remarque, incidente : il est curieux que personne ne s’interroge précisément sur une éventuelle extension du champ de proposition du CSM à l’ensemble des magistrats du siège, car si la main du garde des sceaux ne doit s’approcher des nominations de magistrats que pour contresigner en aval un décret pris sur l’avis conforme du CSM, n’est-on pas surpris de constater que subsistent en amont, compte tenu des modalités de proposition, deux modes de désignation et, partant, deux catégories de magistrats du siège ?
Les uns, investis des plus hautes fonctions, ne peuvent théoriquement l’être que si le ministre de la justice n’y est pour rien. Tous les autres, qui exercent eux aussi les fonctions de jugement qui incombent à tous les magistrats du siège, ne peuvent être nommés que si le ministre de la justice le propose. Il y a là, pour le moins, une difficulté logique qui ne peut être passée sous silence.
La troisième et dernière remarque porte sur le cœur du texte qui nous est présenté ce soir : faut-il ou non modifier la Constitution pour prévoir que les magistrats du parquet ne pourront être nommés, demain, que sur l’avis conforme du CSM ?
Vous avez eu raison de rappeler, monsieur le garde des sceaux, que telle est la pratique suivie depuis 2009 par vos divers prédécesseurs. Chacun s’accorde à souhaiter la continuer. L’argument est cependant très réversible. On pourrait vous objecter que, puisque c’est une pratique déjà ancienne et appelée à perdurer, il n’est nullement indispensable d’adopter un texte qui viendrait, comme l’on dit, la graver dans le marbre. Mais cet argument n’étant pas dirimant, je ne le retiendrai pas.
Le vrai sujet, me semble-t-il, est de préciser quelle est notre conception de l’indépendance de la justice. L’indépendance de l’autorité judiciaire, ce doit être l’impartialité des jugements, et non pas l’autonomie d’un contre-pouvoir judiciaire. En souhaitant inscrire dans la Constitution un droit de veto du CSM sur les nominations des membres du parquet, sans prendre aucune autre mesure d’aucune sorte, vous n’améliorez en rien l’impartialité des jugements, mais vous donnez le sentiment de vous aventurer vers l’autonomie d’un contre-pouvoir judiciaire. C’est le cœur de notre désaccord avec ce texte.
L’impartialité des jugements disparaît lorsqu’il n’y a pas d’indépendance vis-à-vis d’un parti pris, d’un préjugé ou d’une opinion partisane. Nous constatons, pour la déplorer, la confusion qui existe parfois, hélas, entre la défense légitime de préoccupations professionnelles et l’expression illégitime d’opinions politiques par certains magistrats. Comme Éric Ciotti, comme Georges Fenech, comme l’ensemble des députés Les Républicains, il me semble nécessaire de nous interroger ici, comme constituant ou législateur organique, sur les limites de l’appartenance syndicale des magistrats.
J’ajoute que, pour conforter l’impartialité des jugements, d’autres questions juridiques et pratiques, de nature et d’importance différentes, devront être sereinement et sérieusement abordées. J’ai évoqué tout à l’heure l’éventuelle extension du champ de proposition du CSM à l’ensemble des magistrats du siège. D’autres questions tiennent au contenu et au périmètre de la formation dispensée à l’École nationale de la magistrature, mais aussi aux parcours de carrière des magistrats, à leur régime indemnitaire, à la multiplicité des grades et même, disons-le nettement, à la pratique des décorations de magistrats en fonction, laquelle ne paraît pas spontanément compatible avec l’apparence d’une totale indépendance.
Conforter l’impartialité des jugements reste une ardente nécessité, à laquelle ce projet de révision ne répond pas. Mais, dans le même temps, vous vous aventurez vers l’autonomie d’un contre-pouvoir judiciaire, car le veto que vous souhaitez donner au CSM sur les nominations des membres du parquet n’est qu’une avancée virtuelle qui s’accompagne d’un recul réel : la renonciation à exercer une vraie politique pénale.
Les parquets sont aujourd’hui encombrés d’une multitude d’infractions abondamment et trop fréquemment définies par le législateur, sans que le garde des sceaux, au nom du peuple français, ne définisse clairement une politique pénale, c’est-à-dire un ordre de priorité des poursuites, dans l’intérêt de la société. Cette carence est regrettable.
De même, je suis convaincu – et nous sommes sur ce point en désaccord – que la suppression, votée en 2013, de toute possibilité d’instruction individuelle du garde des sceaux au parquet, à la double condition que celle-ci soit à la fois écrite et versée au dossier, a été un recul de la politique pénale.
Il me semble que le garde des sceaux, membre d’un gouvernement responsable devant l’Assemblée nationale, doit assumer une vraie fonction de direction de l’action publique, en conduisant une politique pénale selon des procédures transparentes, contrôlables et contrôlées, qui ne laissent aucune place à l’arbitraire ni aux choix partisans, mais qui garantissent l’existence d’un vrai choix démocratique. Car si le garde des sceaux renonce à toute politique pénale, il sera semblable aux kantiens qui, selon Charles Péguy, ont les mains pures, mais n’ont pas de mains ! (Sourires.)
Monsieur le garde des sceaux, le projet de loi constitutionnelle que vous nous présentez ce soir est au mieux inabouti. Il n’est que la partie d’un tout qui n’a pas été reconstruit. Les députés Les Républicains ne peuvent donc l’approuver. Nous ne vous donnerons pas de majorité pour une vingt-cinquième révision de la Constitution qui, loin de renforcer l’État, ne ferait en vérité que l’affaiblir. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Monsieur Larrivé, vous avez posé des questions dont personne ne peut nier l’intérêt, vous avez défendu des opinions particulièrement argumentées et vous avez confirmé que nous avions des désaccords manifestes. Mais, de mon point de vue, l’objet d’une motion de rejet préalable est de demander à l’Assemblée nationale de ne pas discuter. Et en l’espèce, voter cette motion revient à nier la réalité du pouvoir parlementaire.
Vous avez dit, monsieur le député, que le Président de la République voudrait un Congrès.
M. Guy Geoffroy. Absolument !
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Mais vous connaissez fort bien l’article 89 de la Constitution : une révision constitutionnelle n’est pas faite par le Président de la République !
M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Exactement !
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Elle est décidée par le Parlement, c’est-à-dire par l’Assemblée nationale et le Sénat.
M. Guy Geoffroy. Mais c’est bien le Président de la République qui convoque le Congrès !
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. En l’espèce, les deux chambres ont constaté qu’elles avaient un accord sur un texte. Ce n’est pas le texte du Gouvernement ! Il en a déposé un que la commission des lois de l’Assemblée nationale puis l’Assemblée elle-même ont modifié. Au final, ce texte n’est pas celui du Gouvernement, ni celui de la commission des lois, ni même celui de l’Assemblée nationale, pas plus que celui du Sénat : c’est un point commun entre ces différents textes.
Mais il y a un constat : celui d’un élément de rassemblement. Cela nous amène à penser que le vote des deux chambres était la traduction d’une conviction, à savoir qu’il était utile de faire maintenant ce pas supplémentaire, de supprimer le lien qui existe entre les nominations et le choix du Gouvernement, de faire que les magistrats du parquet soient nommés sur l’avis conforme du CSM.
Le constat de cette conviction, c’est la simplicité de l’évidence, monsieur le député, c’est la force de la clarté ! N’importe qui, en découvrant ce sujet, constatera qu’il y a un point qui rassemble. Ne pas aller plus loin, c’est imaginer qu’il n’y avait pas de conviction, ce que, naturellement, ici, personne ne pense.
Depuis longtemps, on parle de cette indépendance de la justice. Depuis longtemps, elle est réclamée. Elle a même été votée, comme je l’ai rappelé, par le RPR puis par la gauche, il y a trois ans. C’est maintenant que nous pouvons passer des mots aux actes. Je crois que c’est cela qui restera. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
Mme la présidente. Dans les explications de vote, la parole est à Mme Colette Capdevielle, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Mme Colette Capdevielle. Le groupe SRC votera bien sûr contre cette motion de rejet. J’ai écouté M. Larrivé avec beaucoup d’attention. Ce n’est qu’à la onzième minute qu’il a abordé le fond du texte, soit l’article 2.
Monsieur Larrivé, je pense que vous faites une confusion importante…
M. Georges Fenech. Il n’est pas le seul !
Mme Colette Capdevielle. …entre l’indépendance et l’impartialité. L’indépendance des juges, c’est par rapport au pouvoir judiciaire ; l’impartialité, par rapport aux parties. Vous avez mêlé ces deux notions, vous faites une erreur très importante en confondant indépendance, impartialité et désintéressement. Ce sont trois notions qui sont complètement différentes. Or, pour qu’un procès soit équitable, il doit reposer sur ce triptyque.
Toutes vos explications, politiciennes à souhait, étaient hors sujet. La question qui se pose aujourd’hui est de savoir si nous votons pour inscrire dans la Constitution l’indépendance de la magistrature et l’indépendance totale des magistrats du parquet. Vous n’avez donné aucun élément de fond s’y opposant.
Vous avez même reconnu que la question de l’eurocompatibilité se posait. En effet, aujourd’hui, notre droit pénal doit aussi s’inscrire dans le respect de la Convention européenne des droits de l’homme, et particulièrement de son article 5. C’est une difficulté qui se pose à nous, comme le garde des sceaux et le rapporteur l’ont exposé tout à l’heure.
Nous n’avons donc noté aucun véritable motif de rejet, si ce n’est relevant de la toute petite politique politicienne.
M. Guy Geoffroy. Oh !
Mme Colette Capdevielle. Vous avez parlé de clarté, mais il y en avait peu dans vos arguments. Vos collègues sont d’ailleurs assez peu nombreux à être venus soutenir cette motion de rejet...
M. Guillaume Larrivé. Intervention nulle !
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Houillon, pour le groupe Les Républicains.
M. Philippe Houillon. Monsieur le garde des sceaux, il est quand même difficile d’entendre ce que vous avez déclaré pour vous opposer à la motion. Vous venez de nous dire qu’il existe un accord, que vous nous demandez de constater, en toute simplicité. Mais s’il y avait un accord et si ce n’était pas, pour reprendre l’expression de Mme Capdevielle, de la toute petite politique politicienne, pourquoi avez-vous donc attendu deux ans et demi pour ressortir ce texte ?
M. Guy Geoffroy. Mais bien sûr !
M. Philippe Houillon. Vous l’avez ressorti parce que vous pensiez, il y a quelque temps encore, conserver l’article 1er de la loi dite de protection de la nation et, comme c’était un peu court, renforcer l’affaire avec ce texte-ci.
Mme Cécile Untermaier. Mais cela ne change rien à l’objectif !
M. Philippe Houillon. Voilà l’explication ! Si c’était aussi important que vous nous le dites aujourd’hui, vous n’auriez pas attendu deux ans et demi. Toute autre considération est précisément de l’explication politicienne.
Par ailleurs, s’agissant de l’indépendance du parquet, j’ai entendu dans les propos de présentation, aussi bien ceux du président de la commission des lois que du garde des sceaux, que l’on chevauchait allègrement du juge du siège au magistrat du parquet. Je vous renvoie aux arrêts Medvedyev et Moulin de 2008 et 2010. La Cour européenne des droits de l’homme y énonce que, pour être membre de l’autorité judiciaire et accomplir des actes judiciaires, il faut être indépendant à l’égard de l’exécutif et des parties.
Même si le parquet était totalement indépendant de l’exécutif, ce que le présent texte ne consacre d’ailleurs pas, il ne serait pas – parce qu’il est l’avocat de la République et qu’il porte l’accusation – indépendant à l’égard des parties. En tout état de cause, il ne pourrait pas remplir les conditions posées par la Cour. C’est la raison pour laquelle Guillaume Larrivé a bien raison de vous dire que le sujet est beaucoup plus compliqué et plus vaste que cela et que le travail n’a pas été accompli. Nous voterons donc cette motion. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Paul Molac, pour le groupe écologiste.
M. Paul Molac. J’ai bien entendu M. Larrivé nous dire que cette disposition allait affaiblir l’État. Mais la justice n’est pas tant au service de l’État que des Français, qui n’ont pas une grande confiance dans nos institutions. Il me semble donc que chercher à couper ce lien incestueux entre le pouvoir exécutif et la justice est une excellente chose.
J’ai également bien entendu M. Raimbourg nous expliquer cela, et nous dire qu’il fallait éviter le corporatisme. Le garde des sceaux, dont les discours sont toujours excellents, nous a dit que tout le monde était d’accord, mais qu’en fonction des opportunités, du fait que l’on soit dans la majorité ou dans l’opposition, les avis changeaient. Cela aussi, les Français le trouvent lassant : tous ces revirements, ces petites querelles… Ils finissent par se demander si leurs hommes politiques sont là pour se faire mousser ou pour leur rendre service.
En ce qui nous concerne, puisque nous attendons tout de même la réforme depuis 2013, nous voterons bien sûr contre cette motion de rejet préalable, de même que nous voterons contre la motion de renvoi en commission.
(La motion de rejet préalable, mise aux voix, n’est pas adoptée.)
Mme la présidente. J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe Les Républicains une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 6, du règlement.
La parole est à M. Georges Fenech.
M. Georges Fenech. Votre texte, monsieur le ministre, ce n’est pas le Parlement, ni même le Gouvernement qui en sont à l’origine, mais bien le Président de la République ! J’ai encore en mémoire sa déclaration sur le perron de l’Élysée, après l’affaire Cahuzac. Il a dit qu’il fallait réformer le CSM pour éviter à l’avenir des affaires de ce type. Celle-ci n’avait pourtant strictement rien à voir avec la composition du Conseil. D’ailleurs, comme je l’ai rappelé lors d’une précédente intervention, l’un des membres du CSM a eu le courage et l’audace d’écrire au Président de la République pour se plaindre de ce procédé, parce que le CSM n’avait strictement rien à voir dans l’affaire Cahuzac. Bref, voilà comment l’histoire a été lancée.
Cela ne veut pas dire pour autant, monsieur le ministre, qu’il ne faut pas réfléchir à une réforme du CSM, mais je voulais rappeler le contexte. Je suis très embarrassé car je connais votre sincérité, et le souci de servir l’intérêt de la justice, loin de l’esprit partisan, de clivage, qui vous anime souvent. Vous m’en avez d’ailleurs fait bénéficier : c’est grâce à votre bienveillance comme président de la commission des lois que j’ai pu proposer, avec Alain Tourret, des textes consensuels relatifs à la révision des condamnations pénales définitives et à la prescription pénale. J’aimerais tenter de vous convaincre que c’est dans le même esprit, sans arrière-pensée politique, que je voudrais m’exprimer.
Vous nous proposez aujourd’hui cette réforme dans un hémicycle très peu garni, à une heure tardive. Une réforme de cette importance ! Certes, la qualité y est, puisqu’en dehors de vous, monsieur le ministre, je compte deux anciennes gardes des sceaux, Mme Lebranchu et Mme Guigou. Nous voilà plongés dans un débat récurrent, celui de l’indépendance de la justice, à laquelle nous sommes tous très attachés. Évitons la caricature, à laquelle vous avez parfois cédé dans votre discours, entre ceux qui seraient, comme nous, pour une justice aux ordres, et votre majorité qui serait respectueuse de son indépendance. Non, nous sommes tous pour l’indépendance de la justice, je tiens à le souligner.
Mais si vous voulez entrer dans ces considérations, permettez-moi de vous rappeler quelques heures douloureuses que nous avons vécues sous des gouvernements de gauche. Souvenez-vous de l’affaire des fameuses fiches du CSM, sous François Mitterrand, où le nom des candidats était accompagné d’annotations sur leur appartenance politique ! Et plus récemment, votre prédécesseure, Christiane Taubira, a fait convoquer François Falletti, procureur général de Paris, dans le bureau de sa directrice de cabinet qui lui a signifié qu’il devrait songer à demander une autre affectation, puisqu’il n’était pas de la même sensibilité politique que la garde des sceaux… De quoi s’agit-il sinon d’instrumentalisation et de politisation de la justice ? Bref, les tentatives de mainmise sur le pouvoir judiciaire ne sont réservées à personne, et chaque camp compte des affaires douloureuses qui ne font honneur ni à la classe politique ni à la magistrature.
Comme l’a souligné Philippe Houillon, vous avez, dans votre intervention, allègrement confondu le juge et le procureur. Le juge est souverain ; statutairement indépendant, inamovible, il est là pour juger. Le procureur de la République, lui, est soumis à une hiérarchie puisque le garde des sceaux est le chef ultime des parquets. En l’affirmant, Rachida Dati ne faisait que constater le fonctionnement de nos institutions, basé sur ce cordon ombilical qui relie le garde des sceaux et les procureurs, que vous voudriez aujourd’hui totalement supprimer.
Dans ce domaine, il y a déjà eu des avancées considérables. L’une des premières, comme l’a rappelé Guillaume Larrivé, fut la réforme constitutionnelle menée sous Pierre Méhaignerie, qui a imposé que les instructions du garde des sceaux soient écrites et versées au dossier. Cette transparence a représenté un grand progrès. Un peu plus tard, sous le ministère de Dominique Perben, il a été interdit au garde des sceaux d’ordonner un classement sans suite. Enfin, reconnaissons l’avancée importante qu’a permise Christiane Taubira en supprimant toute instruction individuelle. Petit à petit, l’on s’approche ainsi d’une indépendance statutaire des parquets.
Vous nous accusez de crier au loup et assurez que les magistrats ne sont pas politisés – sauf quelques parlementaires, et là je me suis un peu senti pris à partie, qui sont d’anciens magistrats reconvertis dans la politique. Oui, on peut faire, quand on est magistrat, le choix citoyen de quitter sa robe, au nom de ses convictions personnelles, pour se soumettre au suffrage universel ! Mais la confusion des rôles n’intervient que lorsque ce sont des magistrats en exercice qui prennent des positions politiques. Vous ne pouvez pas nier l’existence de tels cas devant la représentation nationale et devant tous les Français qui suivent nos débats. Quelques exemples : que pensez-vous d’un syndicat de magistrats qui condamne la loi travail de Myriam El Khomri ? Pensez-vous que ces magistrats, dans les conseils des prud’hommes, n’auront pas d’arrière-pensées politiques au moment où ils l’appliqueront ?
M. Éric Straumann. Jamais !
M. Georges Fenech. Que pensez-vous d’un syndicat de magistrats qui saisit le Conseil d’État pour faire annuler la loi sur l’état d’urgence ? En quoi cela le regarde-t-il ? Est-ce à lui de défaire ce que la représentation nationale a fait ? On peut citer bien d’autres exemples. Que penser d’un syndicat qui, en pleine campagne électorale, appelle à faire battre un candidat à la présidence de la République ? Et vous trouvez qu’il n’y a pas de politisation au sein de la magistrature ?
M. Éric Straumann. Non, cela n’existe pas !
M. Georges Fenech. En tant que magistrat, j’ai été nourri à cette idéologie. Je vous rappellerai la fameuse harangue que connaissent toutes les générations de magistrats, prononcée vers 1975 par Oswald Baudot devant des auditeurs de justice : « Soyez partiaux », disait-il ! Vous qui entrez dans cette noble et difficile fonction, soyez partiaux ; selon la tradition capétienne, équilibrez la balance en la faisant pencher du côté du plus faible ; soyez les défenseurs naturels de la femme contre le mari, de l’enfant contre le père, du voleur contre la police, du plaideur contre la justice. Voilà les discours que j’entendais ! Je vous invite à relire les revues syndicales qui reprennent ces harangues, qui disent que juger est un acte politique.
Mme Élisabeth Guigou. Oui, relisons-les !
M. Georges Fenech. Cela vous gêne quand on vous dit la vérité. Moi, j’ai été amené à me syndiquer pour lutter contre cette politisation ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) J’ai été obligé de me syndiquer afin d’éviter d’être critiqué pour ne pas respecter mon obligation de réserve ! (« Oh là là ! » sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
Mme Colette Capdevielle. Vous vous en êtes remis ?
M. Georges Fenech. Cela fut un vrai combat. Je l’assume, et j’en suis fier.
Aujourd’hui, vous nous dites que le risque de politisation de la justice n’existe pas. Mais qu’en est-il dans les faits ? Vous souhaitez rendre les procureurs statutairement indépendants, alignant le statut du parquet sur celui du siège. Mais, comme l’a rappelé Guillaume Larrivé, il ne s’agit pas d’un véritable alignement…
M. Guy Geoffroy. Loin de là !
M. Georges Fenech. …car il faudrait alors également vous dépouiller du pouvoir de proposition. Actuellement, le CSM possède ce pouvoir pour les premiers présidents et les présidents de tribunaux. Dans la réforme que vous proposez, vous conservez précautionneusement la possibilité de proposer les nominations.
C’est donc l’avis conforme – une pratique courante depuis 2009 – que vous souhaitez inscrire dans le marbre de la Constitution. Soit, et après ? Que se passera-t-il une fois que, après avoir supprimé les instructions individuelles, vous aurez remis entre les mains du CSM le pouvoir de nomination des procureurs, chargés d’appliquer une politique pénale voulue par le pays et dont vous êtes, monsieur le ministre, le seul responsable ? Car, jusqu’à preuve du contraire, les magistrats n’ont pas de responsabilité telle que la nôtre… Une fois donc que vous leur aurez donné la possibilité de se nommer, de se sanctionner, de se promouvoir, vous n’aurez plus de fonctions, monsieur le ministre de la justice ! Vous transformez l’autorité judiciaire, inscrite dans la Constitution, en un pouvoir judiciaire. Autant modifier le terme aussi dans la Constitution !
C’est là que je ne vous suis pas. Je suis d’accord pour ce qui est de l’avis conforme, mais j’estime qu’il manque à la réforme un volet essentiel : celui de la responsabilité des magistrats qui devront mettre en œuvre votre politique pénale sans que vous puissiez prendre la moindre sanction s’ils s’écartent de vos circulaires.
Vous expliquiez tout à l’heure que la politique pénale était faite à partir des éléments que les magistrats veulent bien vous faire remonter. Ce pouvoir d’information, quel sens a-t-il, au fond ? Souvenez-vous de Mme Taubira, brandissant certain document alors qu’elle prétendait qu’elle n’était pas informée d’une procédure ! Et, ayant fait partie de la commission d’enquête Cahuzac, je sais que dans cette affaire, le garde des sceaux a reçu des signalements durant des années. Était-ce pour organiser la politique pénale, ou pour être informé au plus près des affaires sensibles ?
Allez donc jusqu’au bout, monsieur le ministre, supprimez cette pratique des informations qui remontent au garde des sceaux, supprimez tout ! Que vous restera-t-il alors ? Des procureurs qui deviendront des roitelets de la République, chacun faisant sa politique pénale dans son coin, sans aucune harmonie dans le pays, entraînant une rupture d’égalité devant la loi pour les citoyens. Est-ce la justice que vous voulez ? Attaché à une justice égale pour tous, je ne partage pas cette vision.
Aller vers l’indépendance statutaire du parquet, c’est aussi prévoir la responsabilité des magistrats et l’interdiction un fois pour toutes, pour les syndicats de magistrats, de se mêler d’affaires politiques. Je suis totalement contre l’idée de supprimer les syndicats de magistrats, mais ils doivent défendre les intérêts professionnels, comme dans n’importe quelle corporation, et non dire au législateur que telle loi est bonne ou mauvaise, ou déclarer qu’ils l’appliqueront… ou non, comme pour les lois Pasqua sur l’immigration ! Ce gouvernement des juges m’apparaît hautement préjudiciable au fonctionnement de la démocratie. Revenez donc en commission des lois pour nous présenter un dispositif qui permette au juge de respecter son rôle sans l’outrepasser, et nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Guy Geoffroy a dit tout à l’heure que ce n’était pas le bon moment de conduire cette réforme. C’est une phrase que j’ai dû entendre à propos de tous les textes débattus depuis 2012 ! (Sourires.)
Au début de la législature, on nous a dit que les textes ne correspondaient pas aux priorités ni aux attentes des Français. Lors des débats de 2013 sur le CSM, c’est Gilles Bourdouleix qui a exprimé cette idée au nom du groupe de l’UDI. Et aujourd’hui, en fin de législature, ce n’est apparemment pas le bon moment non plus… Je nous invite collectivement à réfléchir, pour la prochaine législature, au moment adéquat pour faire voter telle ou telle loi. En attendant, cet argument n’est pas suffisant en soi.
Pour ce qui est de la motion qu’a défendue Georges Fenech, je crois en effet que les magistrats sont des citoyens et qu’il est bon qu’ils se syndiquent. Dire que vous avez été contraint de vous syndiquer pour vous défendre est un des meilleurs plaidoyers que j’ai entendus pour justifier la syndicalisation, car les syndicats de magistrats, comme ceux de salariés ou d’autres professions, sont utiles pour donner à leurs membres un pouvoir d’expression, et c’est en tant qu’interlocuteurs qu’ils sont pertinents et fiables. Nous regrettons d’ailleurs souvent que les syndicats ne soient pas suffisamment forts car cela rend possible de contester leur représentativité, ce que personne ne souhaite. C’est un point de désaccord entre nous.
Mais si vous avez eu le sentiment d’être pris à partie, je m’en excuse car tel n’était pas mon objectif. Si le trait vous a paru forcé, c’est parce que j’ai voulu souligner l’orientation de cette réforme. Je me placerai d’un point de vue que nous n’avons guère emprunté jusqu’à présent : celui du justiciable. Au mois de décembre, je me suis rendu à l’École nationale de la magistrature pour rencontrer les auditeurs de justice, et nous avons débattu de l’indépendance du parquet. Je leur ai demandé quel en était l’intérêt du point de vue du justiciable. En effet, on peut en imaginer l’intérêt pour le magistrat, pour la profession ou pour le pouvoir, qui peut y trouver une forme de pertinence politique. Mais que peut en attendre le justiciable ? Quelle est pour lui la plus-value de cette indépendance ?
Un auditeur m’a répondu : c’est la qualité du service que les magistrats doivent à la population. C’est l’exigence de responsabilité qu’ils assument dans l’équité de leurs décisions. Qu’attend le justiciable, en effet ? Que la décision soit rendue à partir du dossier et de la règle de droit. Voilà ce qu’est, au final, l’indépendance de la justice : les idées de celui qui juge ne doivent pas interférer avec la règle de droit lors du verdict.
Vous l’avez évoqué, certaines pratiques ont pu se révéler contestables. Je voudrais à cet égard vous rappeler la devise inscrite sur une horloge de la chambre criminelle de la Cour de cassation, et que je me garderais bien de vous citer en latin : « Le temps dévore tout, seul le droit demeure. »
Je vous propose de faire en sorte que le droit demeure et que l’indépendance de la justice soit assurée. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
Mme la présidente. Je suis saisie de plusieurs demandes d’explication de vote.
La parole est à Mme Marie-Anne Chapdelaine, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Mme Marie-Anne Chapdelaine. En 1993, les fondements du projet de loi dont nous débattons ce soir furent largement approuvés sur tous les bancs de cette assemblée. Aujourd’hui, nous avons un texte qui rejoint l’esprit et la lettre de ce qui, hier, faisait consensus. C’est d’ailleurs dans cette logique que nous comptions nous retrouver. Et puis, par surprise, voire par calcul, le texte qui nous revient du Sénat est remis en cause par certains de nos collègues, qui sont allés jusqu’à déposer une motion de renvoi en commission.
Pourtant, ce texte a donné lieu à deux séances en commission des lois, l’une consacrée à l’audition du garde des sceaux, l’autre à un examen attentif des articles.
Aussi cette motion de renvoi en commission n’a-t-elle aucun sens et je vous invite, mes chers collègues, à la repousser. Nous devons nous montrer à la hauteur de celles et ceux qui, il y a quelques années, ne s’étaient pas livrés à de petits calculs politiciens et s’étaient montrés dignes d’un sujet tel que l’indépendance de la magistrature.
Sachons aussi faire confiance aux magistrats. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
M. Paul Molac. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Geoffroy, pour le groupe Les Républicains.
M. Guy Geoffroy. Monsieur le garde des sceaux, vous n’avez pas répondu aux arguments de Georges Fenech en faveur d’un renvoi de ce texte en commission. Et pourtant, deux raisons suffiraient à justifier un tel renvoi ! Tout d’abord, vous essayez de nous convaincre – tout en essayant de vous en persuader vous-même – qu’un consensus se serait dégagé entre l’Assemblée nationale et le Sénat, dans toutes leurs dimensions. C’est faux. S’il y avait eu consensus, le Sénat n’aurait pas détricoté en 2013 le texte qui lui était proposé et nous n’essaierions pas aujourd’hui de rattraper, près de trois ans après, un projet dont vous estimiez qu’il n’avait plus aucune pertinence à venir devant l’Assemblée nationale, comme vous l’avez d’ailleurs vous-même reconnu tout à l’heure.
Par ailleurs, vous avez négligé un point très important soulevé par Guillaume Larrivé et qui justifiait le renvoi en commission. Au fond, si vous souhaitiez, ce que nous pourrions comprendre, qu’une véritable similitude existe entre les règles qui fondent l’indépendance du juge du siège et celles qui fondent l’indépendance du magistrat du parquet, vous iriez jusqu’au bout de la logique. C’est ce que Guillaume Larrivé vous a suggéré mais vous n’avez rien trouvé à y redire. Il y a bien là motif à retourner en commission.
Après avoir perdu près de trois ans sur ce texte, nous pouvons bien y consacrer encore un peu plus de temps, ce qui ne serait pas perdu. Le moment serait en effet venu d’en faire un texte réfléchi et approfondi, ce qui, vous en conviendrez vous-même puisque vous avez le premier avancé l’argument, n’est absolument pas le cas aujourd’hui. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)
(La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n’est pas adoptée.)
Mme la présidente. La parole est à M. Gaby Charroux.
M. Gaby Charroux. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, mercredi dernier, M. le Président de la République François Hollande, constatant l’hostilité de l’opposition à toute révision constitutionnelle, qu’elle porte sur l’état d’urgence ou la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, a affirmé qu’il renonçait à poursuivre la révision constitutionnelle initiée au lendemain des attentats du 13 novembre 2015. Je cite : « J’ai décidé […] de clore le débat constitutionnel ». Le message paraissait clair.
Pourtant, le lendemain, en contradiction avec le discours présidentiel, vous assuriez, monsieur le garde des Sceaux, vouloir mener à bien le projet de réforme constitutionnelle relatif au Conseil supérieur de la magistrature.
Ainsi, vous défendez aujourd’hui cette réforme que vous qualifiez de réforme « de bon sens, nécessaire, urgente et simple », alors même qu’au lendemain du vote sénatorial, lorsque vous étiez encore président de la commission des lois, vous déclariez : « Il n’y a aucune pertinence à ce que l’Assemblée soit ressaisie d’un texte vidé de son cœur ».
Admettez le peu de clarté de la séquence. Il y a de quoi s’y perdre même si vous avez, monsieur le garde des sceaux, tenté d’éclairer le débat au cours de votre plaidoirie initiale.
Finalement, est soumise à notre approbation une réforme profondément altérée par le Sénat, lequel a restreint le champ de la réforme du Conseil supérieur de la magistrature au seul sujet de ses compétences, tout en limitant sa portée. Contrairement à ce qui était proposé dans le texte initial et dans la version adoptée par l’Assemblée nationale, le Sénat a renoncé à lui conférer un pouvoir d’autosaisine sur les questions relatives à l’indépendance de l’autorité judiciaire et à la déontologie des magistrats.
Ainsi, le texte que nous examinons constitue-t-il une version a minima, bien éloignée de l’esprit originel de la réforme que nous soutenions. Rappelons en effet que la réforme initiale visait à approfondir les garanties d’indépendance de la justice et à placer le Conseil supérieur de la magistrature à l’abri de toute intervention politique, de par sa composition, son mode de désignation et son fonctionnement.
Comme le rappelle une recommandation adoptée en novembre 2010 par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe, l’indépendance des magistrats « ne constitue pas une prérogative ou un privilège accordé dans leur intérêt personnel mais dans celui de l’État de droit et de toute personne demandant et attendant une justice impartiale ».
L’enjeu de cette réforme constitutionnelle était ainsi de redonner confiance aux citoyens afin qu’ils aient la conviction que les décisions prises par la justice ne le sont que dans l’intérêt de la loi et des justiciables. Dès lors, la nomination des magistrats du siège comme du parquet, et les conditions dans lesquelles ils exercent leurs fonctions, devaient être entourées de toutes les garanties rendant l’impartialité de la justice irréprochable pour tous les justiciables.
Nous avions souligné en première lecture les nombreuses avancées de la réforme, largement améliorées par le travail réalisé par la commission des lois de notre assemblée. Je pense notamment aux modifications relatives à la composition du Conseil supérieur de la magistrature. Si nous souhaitions que soit maintenue une majorité de personnalités extérieures au sein du Conseil, nous avions cependant considéré que le choix de la parité entre magistrats et non-magistrats écartait le risque d’autogestion du corps de la magistrature et constituait un point d’équilibre de nature à éloigner les soupçons de corporatisme et de clientélisme.
La désignation des six personnalités extérieures par un collège de personnalités indépendantes permettait également de rompre clairement le lien avec le pouvoir politique. Le vote positif aux trois cinquièmes des commissions des lois des deux assemblées renforçait les exigences sur le collège tout autant que la légitimité des personnes ainsi nommées. De même, la substitution au vote sur liste bloquée d’un vote candidat par candidat, apparaissait plus lisible.
S’agissant de la présidence du CSM, le choix d’un président unique désigné par le collège ad hoc, dont la nomination devait être soumise à l’approbation des commissions des lois des deux assemblées permettait de lever tout soupçon de corporatisme de l’institution et de renforcer son image d’impartialité.
Nous nous étions par ailleurs réjouis du renforcement des compétences du CSM. Outre la nomination des magistrats du parquet sur avis conforme de la formation compétente du CSM et l’alignement de leur statut sur celui des magistrats du siège en matière disciplinaire – maintenu dans le projet de loi que nous examinons –, la réforme prévoyait d’accorder un pouvoir d’autosaisine au CSM en matière d’indépendance de la justice et de déontologie des magistrats. Nous avions souligné cette avancée intéressante qui offrait la possibilité aux magistrats de saisir directement le Conseil pour une question de déontologie.
De ces nombreuses avancées, force est de constater qu’il ne reste pas grand-chose. En définitive, la réforme reste trop limitée.
L’article 1er reconnaît que le CSM concourt à garantir l’indépendance de l’autorité judiciaire et non plus simplement à « assister le Président de la République ».
L’article 2 renforce les pouvoirs du CSM à l’égard des magistrats du parquet, en matière de nomination et de discipline. Il s’agit d’aligner le régime de nomination des magistrats du parquet sur ceux du siège qui n’occupent pas les postes les plus élevés dans la hiérarchie. Est ainsi prévu l’avis conforme du CSM sur les nominations des magistrats du parquet.
De même, la formation du CSM compétente à l’égard des magistrats du parquet statue comme conseil de discipline de ces mêmes magistrats, ce qui met fin à la règle selon laquelle cette dernière ne dispose que du pouvoir de donner un avis au garde des sceaux sur les sanctions disciplinaires qu’il entend prononcer.
Ces dispositions représentent l’une des garanties de l’autonomie des parquets et de la protection de leur statut juridique mais ne suffisent pas. Comme le souligne Virginie Duval, présidente de l’Union syndicale des magistrats, l’USM, syndicat majoritaire : « C’est mieux que rien, mais le lien entre parquet et pouvoir n’est pas rompu ». Ce n’est donc pas la réforme que nous attendions. Elle ne suffira pas à équilibrer l’accroissement continu des pouvoirs du parquet depuis une vingtaine d’années.
Alors que nos concitoyens ont le vif sentiment que la justice n’est pas la même pour tous, qu’elle est complaisante à l’égard de certains intérêts particuliers et trop souvent dépendante du pouvoir politique, le compromis proposé apparaît décevant.
Les députés du Front de gauche avaient soutenu en premier lecture une réforme ambitieuse, une refonte du CSM qui devait, selon l’exposé des motifs du projet de loi, « mettre ce conseil à l’abri de toute intervention politique, tant en ce qui concerne sa composition que son fonctionnement, et renforcer ses pouvoirs ».
C’est donc une occasion manquée.
Aujourd’hui, les députés du Front de gauche voteront néanmoins, non sans amertume, ce texte qui comporte encore l’avancée d’une meilleure reconnaissance du rôle du CSM et le renforcement de ses pouvoirs vis-à-vis des magistrats du parquet, tant dans leur mode de nomination que dans leur procédure disciplinaire.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président et rapporteur de la commission des lois, chers collègues, ce n’est pas totalement la réforme que nous avions espérée lorsque, en 2013, nous avions travaillé sur ce texte important, et que Dominique Raimbourg, déjà à cette époque, avait construit avec une grande partie des membres de cette Assemblée, un dispositif législatif dans lequel, tant le Conseil supérieur de la magistrature lui-même que sa fonctionnalité se trouvaient en bien meilleure adéquation avec notre conception des principes fondamentaux de la justice.
Non, ce n’est pas là le texte que nous attendions, mais dans ce domaine, chaque pas accompli, chaque obstacle surmonté est pour nous une avancée dans l’exigence à laquelle nous sommes aujourd’hui tenus vis-à-vis de nos concitoyens : celle d’assurer une justice totalement indépendante du pouvoir exécutif et du pouvoir politique. Je suis très clair. Le garde des sceaux a eu raison de dire que ce débat mettait au jour deux conceptions de la justice – toutes deux légitimes et je n’en remets aucune en cause. Mais nous avons bien là deux conceptions de la justice.
Au nom du groupe socialiste, républicain et citoyen, je centrerai ma réflexion sur l’objet de la réforme que nous proposons – la nomination des procureurs sur l’avis conforme du CSM – et sur la place du parquet dans notre justice. Je suis de ceux qui considèrent que notre parquet est exemplaire, remarquable, et qu’il nous faut le défendre. Par la force de sa tradition, notre système judiciaire a contribué à la construction de l’État de droit. Il ne doit pas se trouver altéré par les exigences très légitimes formulées notamment par la Cour européenne des droits de l’homme. Or ces exigences pourraient, demain, nous mettre en grave difficulté.
Chacun se souvient du premier texte examiné au cours de la présente législature, la loi relative au harcèlement sexuel. L’exigence était d’apporter au plus vite une réponse législative aux actes que subissaient nos concitoyens. Rappelons-nous aussi les circonstances dans lesquelles il nous a fallu réformer les modalités de la garde à vue, alors que nous tentions depuis des années – Élisabeth Guigou et Marylise Lebranchu le savent bien – de construire un dispositif plus conforme au droit.
En outre, les responsabilités du parquet ont évolué, et, mes chers collègues de la droite, vous n’y avez pas été pour rien. C’est vous qui avez amené le parquet, sans prendre la précaution de marquer son indépendance, à exercer des compétences où le juridictionnel n’est plus absent. La reconnaissance préalable de culpabilité : excusez du peu ! Les ordonnances pénales : excusez du peu ! La transaction et la conciliation : excusez du peu ! Vous qui êtes des praticiens du droit, vous savez fort bien que nous n’avons fait qu’exposer davantage le modèle de parquet à la française aux observations de ceux qui attachent aux systèmes judiciaires des États démocratiques un certain nombre d’impératifs. Avec l’élargissement des compétences du parquet, nous nous sommes de plus en plus confrontés à cette contradiction. Moi qui, en définitive, accepte des évolutions que nous n’avions pas imaginées au départ – je me souviens du beau débat sur la reconnaissance de culpabilité, désormais intégrée dans notre dispositif –, je considère qu’il est de notre responsabilité non seulement d’avancer de cette manière, mais aussi de protéger notre institution.
Or nous rencontrons un problème considérable. Tant que la question relevait du niveau conventionnel, c’est-à-dire de la Cour européenne des droits de l’homme, l’indépendance du parquet ne souffrait pas forcément de grandes critiques. Mais la Cour de cassation a elle aussi commencé à visiter cette question, et elle le fait au nom des principes qu’elle s’est appropriés, les principes fondamentaux du droit. Quant au Conseil constitutionnel, il a montré dans quelques commentaires appropriés qu’il n’était pas non plus exempt de questionnements.
Oui, nous sommes en face d’une vraie difficulté. Il faut protéger le modèle de parquet à la française, dont nous sommes nombreux à considérer qu’il est exemplaire. Mais pour ce faire, il est impératif que nous restions attachés aux critères que nous imposent à la fois nos accords internationaux et notre conception fondamentale du droit en matière d’action publique. Conformément à la Constitution, je me garde bien de confondre, en effet, les magistrats du siège et les magistrats du parquet, qui exercent l’action publique. Pour autant, l’exercice de l’action publique n’enlève pas à ces derniers le statut de magistrats que le décret de 1958 leur a conféré et que personne ne souhaite remettre en cause. Nous devons écarter tout ce qui ne prendrait pas en compte cette réalité. Il appartient au législateur et à lui seul de traiter cette question.
Il me faut rappeler ici le travail accompli. En 2013, la réforme du Conseil supérieur de la magistrature que nous proposions était parallèle à la loi supprimant les instructions individuelles. Or, en modifiant l’article 30 du code de procédure pénale, celle-ci allait déjà un peu plus loin, puisqu’elle précisait que : « Le ministre de la justice conduit la politique pénale déterminée par le Gouvernement. Il veille à la cohérence de son application sur le territoire de la République. » Cet alinéa fait écho à l’article 20 de la Constitution : « Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation. » L’alinéa suivant de l’article 30 ajoute que le ministre de la justice adresse, à cette fin, des instructions générales. Ces instructions sont adressées aux procureurs généraux, lesquels ont compétence pour les adapter aux conditions de leur ressort et les transmettent aux procureurs. Inversement – on l’oublie trop souvent –, les procureurs rendent compte aux procureurs généraux et un rapport est publié chaque année.
Ainsi, l’action publique est exercée indépendamment des contingences politiques. Son engagement à l’égard d’un citoyen se trouve pour ainsi dire isolé de tout ce qui n’appartient pas à la justice. C’est cela que nous essayons de marquer encore davantage, en faisant en sorte que le processus de nomination de la personne qui exerce l’action publique dans ce cadre ne dépende pas de la volonté de l’exécutif.
Je voulais simplement rappeler ce que nous sommes en train de faire. Il ne s’agit pas de rapports politiques, il ne s’agit pas de vouloir ou non réunir le Congrès à Versailles pour modifier la Constitution : il s’agit d’assurer la protection de notre système. Tous les juristes – et vous êtes juristes, mes chers collègues de l’opposition – le disent : si nous ne le faisons pas, nous aurons un pépin. Le jour où l’on remettra en cause des actes du parquet, nous serons dans une vraie difficulté.
M. Philippe Houillon. Là, vous vous trompez.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec. En somme, nous devons répondre à une exigence d’efficacité pour le dispositif que nous avons les uns et les autres établi au fil des législatures.
Je conclus. Le garde des sceaux a raison de dire que c’est nous qui provoquons la réunion du Congrès, parce que c’est nous qui la rendons possible.
M. Guillaume Larrivé. Mais non ! Relisez donc l’article 89 de la Constitution !
M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Un seul Président de la République a insulté cette volonté. En effet, la réforme que nous examinons avait déjà été élaborée. Si elle n’est pas arrivée à son terme, c’est que le chef de l’exécutif d’alors n’a pas pris en compte la réalité de ce qu’exprimait le Parlement en procédant à l’adoption conforme, à l’Assemblée et au Sénat, de cette modification.
Aussi mon groupe entend-il adopter ce dispositif afin d’écarter le plus vite possible tous les aléas pesant sur le parquet et sur ses magistrats dont, je le dis en ces circonstances, nous sommes fiers. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
Mme Cécile Untermaier et Mme Colette Capdevielle. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Houillon.
M. Philippe Houillon. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes donc saisis, après un vote du Sénat du 4 juillet 2013, d’un projet de loi constitutionnelle prétendant porter réforme du Conseil supérieur de la magistrature mais qui finalement ne la porte pas, puisqu’il traite quasi uniquement du mode de nomination des magistrats du parquet – et ce en raison de l’absence d’accord, monsieur le garde des sceaux, contrairement à ce que vous avez dit à plusieurs reprises.
Ce texte semble bien avoir été précipitamment sorti du sommeil profond dans lequel vous l’aviez plongé depuis deux ans et demi, pour venir à la rescousse du projet de loi dit de protection de la Nation, à une époque où vous imaginiez encore sauver la convocation du Congrès. Il est clair que si vous aviez accordé à ce texte issu de votre majorité sénatoriale de l’époque une autre importance que sa seule utilité stratégique du moment, vous ne l’auriez pas enterré deux ans et demi !
C’est si vrai que vous évoquiez vous-même, monsieur le ministre, « un texte qui avait perdu toute sa substance ». Aujourd’hui, changeant subitement de pied, vous plaidez qu’il est absolument nécessaire et qu’il y a urgence à l’adopter. Ce n’est pas sérieux !
Après ses déclarations contraires de la semaine dernière, le chef de l’État convoquera-t-il finalement un Congrès sur ce texte ? À défaut, avez-vous l’intention de continuer à utiliser la Constitution comme un outil de communication pour tenter de faire porter à l’opposition je ne sais quelle responsabilité ? Compte tenu de ce que nous avons entendu jusqu’à présent, c’est bien probable !
Sur le fond, il s’agit d’un sujet difficile remis à plusieurs reprises sur le métier, particulièrement depuis les décisions de la CEDH de 2008 et de 2010 relatives aux affaires Medvedyev et Moulin. Aux termes de ces décisions, les membres du parquet français ne remplissent pas, au regard de la Convention européenne des droits de l’homme, les garanties d’indépendance pour être qualifiés de « juge ou autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires ». La Cour de cassation a jugé également et pour les mêmes motifs, le 15 décembre 2010, que le ministère public n’était pas une autorité judiciaire.
Depuis lors on n’a eu de cesse, sous couvert des prétendues exigences européennes, de vouloir rompre le lien hiérarchique entre les membres du parquet et le garde des sceaux, donc de les rendre indépendants. Ce mouvement va d’ailleurs bien au-delà maintenant, puisque de hautes personnalités judiciaires demandent, outre une majorité de magistrats au CSM, le rattachement à ce dernier de la direction des services judiciaires, de l’inspection des services judiciaires et de l’École nationale de la magistrature, alors même que ces institutions sont, de fait, déjà dirigées par des magistrats, au demeurant très présents également au sein du ministère de la justice.
Concernant le parquet, je crains que l’on ne se berce de mots. La Cour européenne des droits de l’homme exige de celui qui exerce des fonctions judiciaires des garanties d’indépendance à l’égard de l’exécutif, certes, mais également, et de manière consubstantielle, à l’égard des parties. Or le texte dont nous débattons, en mettant le droit en accord avec la pratique actuelle, aligne les modalités de nomination des magistrats du parquet sur celles des juges du siège, moyennant un avis conforme au lieu d’un avis simple, mais il maintient leur présentation et leur désignation par l’exécutif. C’est l’exécutif qui fera les choix, donc les carrières. Ce texte donne l’apparence de faire un pas mais constitue en même temps une formidable hypocrisie.
M. Guillaume Larrivé et M. Guy Geoffroy. Très juste !
M. Philippe Houillon. Ensuite le parquet sera toujours l’avocat de la République, disposant du pouvoir de poursuite, représentant l’accusation et étant par là même une partie au procès pénal. De ce point de vue, même totalement indépendant de l’exécutif – ce qui n’est pas le cas avec ce texte –, le parquet n’offrira pas la garantie d’indépendance à l’égard des parties exigée par la CEDH. C’est indiscutable ; pour autant, allais-je dire, ce n’est pas grave. Le procureur n’est pas le juge. Il a des fonctions différentes. Certains collègues confondent un peu tout !
Ce qui complique les choses c’est que dans notre pays les membres du parquet sont magistrats. Ils sont même devenus au fil des années – M. Le Bouillonnec le soulignait à juste titre – des quasi-juges et il existe cette notion culturelle d’unité du corps judiciaire, avec notamment la possibilité donnée aux magistrats de passer plusieurs fois au cours d’une carrière du parquet au siège et du siège au parquet.
En fait, ce texte ne change pas grand-chose mais il imprime en même temps une direction déséquilibrée, donc non satisfaisante. Pour tout régler, il faudrait tout mettre sur la table car tout est lié.
L’équation est compliquée : le parquet n’est pas juge mais voudrait avoir le même statut que le juge ; en même temps, les poursuites doivent être exercées de manière indépendante du pouvoir politique, lequel est cependant seul titulaire de la légitimité démocratique et a seul qualité pour déterminer la politique pénale de la nation, dont il est comptable du résultat. Il faut donc conjuguer cette forme d’indépendance du parquet avec le lien organique qui doit exister entre le peuple et la justice rendue en son nom. C’est toute la difficulté de l’exercice !
Cela passe d’abord par l’existence d’une autorité hiérarchique nationale. Certes, le texte dont nous débattons ne supprime pas formellement le rattachement hiérarchique du parquet au garde des sceaux, mais il le rend de plus en plus théorique ou virtuel alors même que les procureurs généraux des cours d’appel n’ont aucun autre supérieur hiérarchique national. Se pose donc un problème non seulement d’égalité des politiques pénales sur l’ensemble du territoire, mais aussi de contrôle de leur application.
Cela passe ensuite par une double indépendance – ou une double autonomie : indépendance des magistrats du parquet dans l’exercice des poursuites, indépendance à l’égard du pouvoir politique, en ce sens qu’ils ne sauraient évidemment faire l’objet d’instructions individuelles de ne pas poursuivre ou d’instructions particulières, mais aussi indépendance qu’ils doivent au justiciable comme gage de leur impartialité.
Dans les deux cas, il importe que toute suspicion de politisation soit exclue. Or tel n’est pas le cas, Georges Fenech le rappelait, lorsqu’un syndicat de magistrats – donc les magistrats adhérents, qui exercent au quotidien – appelait, en 2012, à ne pas voter Nicolas Sarkozy – j’aurais dit la même chose s’il s’était agi d’un autre candidat – ou à boycotter les peines planchers, ou encore lorsqu’il inscrivait sur le « mur des cons » des appréciations injurieuses concernant des personnalités politiques ou, il y a quelques jours, le 24 mars 2016, lorsqu’il vous écrivait pour vous prévenir qu’un mot d’ordre de grève allait être lancé pour exiger le retrait de la loi El Khomri. Tout cela sans qu’aucune sanction, à ma connaissance, n’ait à ce jour été prononcée, et alors que chacun connaît l’influence des syndicats dans les élections au CSM.
De la même manière, il n’existe en l’état, pour les magistrats, aucun examen d’intérêt concernant des engagements politiques, religieux ou philosophiques de nature à influencer ou paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction. Car il y a l’impartialité et l’exigence de l’apparence de l’impartialité. C’est à tout cela qu’il faut répondre.
Tout compte fait, notre architecture actuelle ne fonctionne pas si mal, même si de nombreuses réflexions portent sur sa nécessaire évolution. Mais celle-ci doit répondre à tous les enjeux que je viens d’effleurer et ne peut se contenter de ce texte pauvre, sorte de faux gage en trompe-l’œil donné aux magistrats au mépris de la cohérence d’ensemble du système et des équilibres démocratiques.
Monsieur le ministre, vous disiez tout à l’heure que ce n’est jamais le bon moment et vous vous demandiez : quand est-ce le bon moment ? Pour moi, le bon moment, c’est tout simplement quand on est prêt.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Et quand est-on prêt ?
M. Philippe Houillon. Or nous ne sommes pas prêts puisque nous ne répondons à aucune de ces questions.
Mme Élisabeth Guigou. Vous avez eu dix-huit ans pour y répondre !
M. Philippe Houillon. Je partage en partie les propos de M. Le Bouillonnec. C’est vrai, la situation est difficile. Nous sommes un peu au milieu du gué, compte tenu de la fonction actuelle du parquet, et ce n’est certainement pas en se faisant plaisir avec un texte comme celui-ci que les problèmes seront réglés. Le sujet mérite une véritable et difficile réflexion si nous voulons aboutir à un dispositif équilibré. Nous sommes très loin du compte et c’est la raison pour laquelle le groupe Les Républicains ne votera pas ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Zumkeller.
M. Michel Zumkeller. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mes chers collègues, près de trois ans après la première lecture de ce projet de loi, nous reprenons ce débat sur la réforme du Conseil supérieur de la magistrature – un débat avorté à l’issue de son examen au Sénat avec une probabilité minime de voir le texte inscrit de nouveau à l’ordre du jour de notre assemblée.
Alors qu’approche la fin de la législature, c’est dans un contexte tout autre que nous examinons ce texte. Nous avons appris il y a quelques jours que le Président de la République renonçait à réunir le Congrès sur le projet de loi de protection de la Nation. Il a ainsi enlisé le pays dans un débat interminable, stérile, pour un projet qui ne verra finalement pas le jour. Dans un tel contexte, comment ne pas penser que nous débattons encore aujourd’hui pour rien, que nous examinons un projet de loi qui n’aboutira probablement jamais, tout au moins pas sous cette législature ?
Mes chers collègues, l’indépendance de la justice est l’un des principes cardinaux de notre démocratie, une condition essentielle au fonctionnement d’une République respectueuse de la séparation des pouvoirs. Il est donc essentiel de restaurer la crédibilité des institutions judiciaires.
Depuis sa création, l’histoire et l’évolution du CSM sont indissociables de la construction de l’indépendance de la magistrature. En supprimant la présidence du CSM par le Président de la République et en révisant sa composition, la réforme constitutionnelle de juillet 2008 avait également pour objet de renforcer l’autonomie du Conseil, tout en le préservant d’éventuels soupçons de corporatisme.
Cinq ans après cette réforme, en 2013, le Président de la République nous a présenté une réforme du CSM visant à accorder l’indépendance à l’autorité judiciaire et à veiller à ce que les magistrats du siège comme ceux du parquet aient la capacité d’exercer leur mission de juger dans des conditions d’impartialité.
Nous sommes en 2016 et le texte que nous avons sous les yeux n’a plus rien de comparable avec celui que notre assemblée avait adopté en première lecture.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. C’est vrai.
M. Michel Zumkeller. En premier lieu, je tiens à vous rappeler la position initiale du groupe UDI. Nous ne contestions pas la nécessité d’une réforme du CSM, mais force est de constater que le projet de loi initial comportait un grand nombre de défauts.
Volonté forte et affirmée du Président de la République, le projet gouvernemental introduisait au sein du CSM un déséquilibre prenant véritablement le contre-pied de la formule retenue en 2008. Il privilégiait une logique autogestionnaire. Nous avions alors obtenu la composition paritaire du CSM – huit magistrats et huit personnalités qualifiées. C’était un moindre mal mais qui ne permettait pas d’éviter les deux écueils que sont le corporatisme et la politisation.
Nous avions également eu gain de cause sur la modification du mode de désignation des membres extérieurs dans le but de renforcer leur légitimité, et sur la parité hommes-femmes parmi les personnalités qualifiées.
En revanche, nous n’avions pas été entendus s’agissant de notre quatrième revendication, à savoir l’incompatibilité entre la fonction de magistrat membre du CSM et toute autre activité professionnelle. C’était pourtant une condition sine qua non de la mise en place d’une autorité véritablement indépendante. Un organe de nomination et de discipline des magistrats, qui, en tant que tel, gère leur avancement et leur carrière, ne peut être composé de magistrats eux-mêmes en cours de carrière.
Considérant que cette réforme n’était pas à la hauteur des enjeux auxquels la justice doit aujourd’hui faire face, le groupe UDI avait estimé qu’il n’était pas nécessaire de réunir le Congrès, procédure dont on connaît la lourdeur et le coût élevé, pour consulter la représentation nationale sur le seul ajout d’un magistrat au sein du CSM.
Les avancées acquises, notamment grâce au groupe UDI lors de la première lecture à l’Assemblée, ainsi que les autres aspects de la réforme ont été supprimés par le Sénat.
Le texte désormais soumis à notre assemblée ne comporte plus que quelques dispositions. Il précise que le CSM concourt à la garantie de l’indépendance de la justice, prévoit que les magistrats du parquet sont nommés sur l’avis conforme de la formation du CSM compétente à leur égard, et enfin, il instaure la formation du CSM comme conseil de discipline des magistrats du parquet.
Le Sénat a donc non seulement restreint le champ de la réforme du CSM au seul sujet de ses compétences, mais il en a également limité la portée en renonçant à lui conférer un pouvoir d’autosaisine s’agissant des questions relatives à l’indépendance de l’autorité judiciaire et à la déontologie des magistrats.
L’avis conforme pour la nomination des procureurs est bien évidemment une avancée, mais elle était déjà une pratique des précédents gardes des sceaux. Entreprendre une révision constitutionnelle pour institutionnaliser une pratique est très discutable.
Plutôt que d’entreprendre cette modification à la marge, on pourrait justifier la réunion du Congrès par la nécessité de repenser le fonctionnement du CSM, et de la justice dans son ensemble, en prenant en compte tous les acteurs de notre système judiciaire et l’ensemble des problématiques qui l’entourent de manière à améliorer réellement et durablement son fonctionnement et à préserver son indépendance. Le groupe UDI s’abstiendra donc de voter ce projet de loi en deuxième lecture.
M. Philippe Gosselin. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Paul Molac.
M. Paul Molac. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, je suis heureux que nous puissions enfin étudier un véritable serpent de mer de la Ve République : la réforme du Conseil supérieur de la magistrature.
La création du CSM remonte à 1883 – année importante, marquée aussi par la reconnaissance des syndicats. Le Conseil était alors une instance disciplinaire, sans pouvoir de nomination. C’est la IVe République qui l’a constitutionnalisé.
La Constitution de 1958 place le Président de la République au cœur de l’institution, l’article 64 l’instituant garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire. Le CSM, qu’il préside, est réputé l’assister dans cette tâche. Le Président nomme d’ailleurs les neuf autres membres du Conseil.
Une première réforme constitutionnelle, en 1993, va dans le sens d’une plus grande indépendance de la justice. Elle crée deux formations – l’une pour le parquet, l’autre pour le siège – et impose des avis conformes pour les nominations des magistrats du siège. Le Président de la République perd l’essentiel de ses pouvoirs de nomination, au détriment de magistrats élus et des présidents des deux assemblées.
En 1998, un projet de loi constitutionnelle envisage que le CSM donne un avis conforme pour les nominations au parquet, mais, chose inédite, le Président de la République revient sur le décret de convocation du Congrès.
L’importante réforme constitutionnelle de 2008 prévoit plusieurs modifications. D’abord, le Président de la République et le garde des sceaux ne sont plus membres du CSM. Le garde des sceaux peut seulement participer aux débats, mais sans droit de vote. Le justiciable se voit reconnaître le droit de saisir le CSM. Enfin, le nombre des personnalités extérieures passe de quatre à huit. Les magistrats deviennent minoritaires en matière de nomination, ce qui en Europe est une particularité – que nous ne partageons qu’avec le Portugal. C’est d’ailleurs l’aspect le plus contesté de cette réforme de 2008.
Malgré ces différents changements, le parquet français fait l’objet de critiques régulières de la part de la Cour européenne des droits de l’homme du fait de son manque d’indépendance. Son arrêt Moulin contre France du 23 novembre 2010, a ainsi souligné que le parquet français n’était pas « une autorité judiciaire au sens de l’article 5-3 de la Convention européenne des droits de l’homme ».
Si, depuis 2011, le garde des sceaux respecte les avis du CSM pour les nominations au parquet, il semble indispensable de le graver dans le marbre constitutionnel. Il n’est pas loin le temps où des gardes des sceaux UMP ignoraient les avis du CSM, y compris pour des nominations importantes.
M. Philippe Gosselin. Les attaques commencent !
M. Paul Molac. Une réforme du statut du parquet apparaît d’autant plus nécessaire que les missions du procureur de la République se développent, comme le montre le projet de loi portant réforme de la procédure pénale qui donne au parquet des compétences en matière de sonorisation ou de perquisitions de nuit. Le parquet français est le seul en Europe à avoir autant de pouvoirs et aussi peu d’indépendance...
Les interventions ou tentatives d’interventions du pouvoir exécutif dans les affaires judiciaires ont parsemé l’histoire de notre République. Ni les gouvernements, ni la justice n’en sont jamais ressortis grandis. C’est pourquoi nous soutenons fortement la rupture de ce lien entre le parquet et le pouvoir exécutif, lien dont je disais tout à l’heure qu’il était incestueux mais qui est inscrit au cœur même de la Constitution.
La première lecture de ce projet de loi constitutionnelle a eu lieu il y a trois ans. Il faisait alors parti d’un « paquet » de quatre textes déposés par le Gouvernement. Nous regrettons que ces autres textes aient été oubliés, tout comme nous regrettons l’enterrement de la ratification de la Charte européenne des langues régionales…
M. Jean-Luc Laurent. Non, ce dernier point, c’est une bonne chose !
M. Paul Molac. … et l’abandon du droit de vote des résidents extracommunautaires.
Mais, il y a trois ans, l’importance des différences entre les versions de l’Assemblée et du Sénat a conduit le Gouvernement à oublier ce texte. Il a alors été réduit à une légère retouche de l’article 64 de la Constitution afin de renforcer le rôle du CSM – qui ne devait pas être réduit à un simple rôle d’assistance du Président de la République. Les sénateurs avaient conservé, à l’article 65, la nomination des magistrats du parquet sur avis conforme de la formation compétente du CSM. Ce texte avait été adopté par la droite sénatoriale, alliée aux radicaux, contre l’avis du Gouvernement et des autres groupes de gauche.
M. Dominique Raimbourg, rapporteur. C’est vrai !
M. Paul Molac. Nous regrettons qu’à front renversé, les sensibilités qui ont alors fait adopter cette rédaction s’y opposent aujourd’hui.
Mme Colette Capdevielle. Eh oui !
M. Paul Molac. Pourtant, afin d’aboutir à un compromis entre les deux chambres, on a renoncé à une grande partie des ambitions de ce texte. Nous aurions souhaité, avec d’autres, un texte allant plus loin sur plusieurs points.
L’objectif initial du projet de loi était en effet de renforcer l’indépendance du CSM vis-à-vis des pouvoirs politiques en abaissant le poids des personnalités extérieures, dans le but d’assurer une véritable parité entre magistrats et non-magistrats.
La version initiale du projet de loi prévoyait également l’autosaisine du CSM ou sa saisine par un magistrat. Car si le pouvoir exécutif ou un simple citoyen peuvent saisir le CSM, les magistrats sont les seuls à ne pas pouvoir le faire. Cette interdiction est absurde et incompréhensible.
De plus, l’impossibilité pour le CSM de s’autosaisir limite parfois fortement son champ d’action. Le Conseil, durant son dernier mandat, a ainsi renoncé à l’actualisation du Recueil des obligations déontologiques des magistrats, redoutant qu’une telle entreprise ne soit interprétée comme relevant d’une saisine d’office et donc contraire à la Constitution.
Autre point oublié en chemin, mais qui nous importe particulièrement : la parité hommes-femmes. Si, avec 60 % de magistrates, la profession de magistrat est massivement féminisée, les femmes représentent actuellement moins du quart des membres du CSM.
Mme Marie-Anne Chapdelaine. On est loin de l’égalité !
M. Paul Molac. Cette inégalité est particulièrement forte parmi les magistrats élus au Conseil, puisqu’il n’y a que deux magistrates dans la formation compétente à l’égard des magistrats du siège et aucune dans celle compétente pour le parquet. Si les conditions de parité étaient définies par la loi organique, son principe doit être inscrit dans la Constitution.
Nous défendrons également des amendements sur deux autres points, qui ne figuraient pas dans la version adoptée par l’Assemblée.
Nous souhaitons en effet donner un pouvoir de proposition au Conseil supérieur de la magistrature pour les nominations à certains postes de magistrats du parquet. Dans la première version, pour le siège, l’Assemblée proposait que le Conseil, outre son pouvoir de proposition pour la Cour de cassation, les premiers présidents de cour d’appel et les présidents de TGI, puisse proposer des noms pour les présidents de tribunal de première instance. De telles prérogatives devraient, selon nous, être données au CSM concernant les nominations pour les postes équivalents au parquet.
Autre point qui a fait débat en commission et qui est directement lié à ce débat sur la justice : la place des avocats dans la Constitution. Actuellement, comme l’a souligné le commentaire du Conseil constitutionnel sur la loi renseignement, si les magistrats et les membres du Parlement ont un statut dont certaines caractéristiques découlent d’exigences constitutionnelles, ce n’est pas le cas des avocats et des journalistes. Il n’y a d’ailleurs pas de droit général à l’avocat prévu par notre Constitution, comme l’indique la décision sur la garde à vue.
Il est à nos yeux nécessaire de prévoir une protection constitutionnelle pour le droit à l’assistance d’un avocat, comme le font d’ailleurs de nombreuses constitutions étrangères.
M. Philippe Houillon. Très bien !
M. Paul Molac. L’article 29 de la récente constitution tunisienne prévoit ainsi qu’un détenu a le droit de se faire représenter par un avocat. Notre Constitution protège trop peu les garanties des citoyens dans leurs rapports à la justice, admettant trop souvent que les réformes soient des conséquences des pressions exercées par le droit européen.
C’est pourquoi nous sommes heureux que, la semaine dernière, la commission des lois ait adopté, à l’initiative de mon collègue Sergio Coronado, un amendement constitutionnalisant un droit à l’avocat.
Si la volonté d’aboutir à une adoption conforme met en danger cet apport important voté par la commission, je suis certain que le débat reviendra, comme celui sur la place du Président de la République en matière d’indépendance de la justice, celui sur la composition du Conseil supérieur de la magistrature ou sur sa saisine.
Il est en effet à craindre que les débats sur l’article 65 de la Constitution ne reviennent un jour. En attendant, même si les députés écologistes auraient souhaité une réforme plus ambitieuse, nous voterons ce texte qui est un pas, certes limité, mais indispensable pour que la justice gagne en indépendance et en sérénité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Capdevielle.
Mme Colette Capdevielle. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président et rapporteur de la commission des lois, mes chers collègues, l’histoire de la réforme du Conseil supérieur de la magistrature est une succession de rendez-vous ratés : 1993, 1998, 2008, 2010, 2013. Il serait tout de même insensé d’inscrire aujourd’hui 2016 dans cette suite illogique.
Pourtant, en 1998, lorsque les deux chambres avaient abouti à un texte commun, nous y avions cru, jusqu’à ce que le Président Chirac, poussé par son propre camp, annule le Congrès prévu. Cette fois-ci, grâce à votre volontarisme et à un pragmatisme qui vous honore, monsieur le garde des sceaux, vous avez sorti ce projet de loi constitutionnelle de l’impasse.
C’est bien la droite qui est comptable de toutes les reculades. C’est bien elle également qui entretient un rapport très ambigu et très hypocrite avec l’indépendance de la justice. (Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Gosselin. Ça se passait bien…
Mme Colette Capdevielle. Il n’est plus acceptable aujourd’hui de se dérober au moment de voter, même si j’ai constaté qu’à droite de l’hémicycle, « vérité un jour » ne rime pas avec « vérité toujours ». Continuer à se cacher derrière des faux-semblants et des arguments éculés ne convaincra personne. De toute façon, ce ne sera jamais le bon moment.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. En effet !
Mme Colette Capdevielle. Chers collègues, vous souhaitez conserver un lien entre le pouvoir politique et les procureurs, car vous craignez ce que vous appelez un « gouvernement des juges ». Vous accusez même les magistrats de syndicalisme, comme s’ils devaient être privés de ce droit fondamental,…
M. Philippe Gosselin. Il y en a tout de même qui font un peu de politique, non ?
Mme Colette Capdevielle. … comme si le fait d’être syndiqués allait les empêcher de maintenir leur jugement à distance des autorités publiques – c’est-à-dire d’être indépendants –, à distance des parties au procès – c’est-à-dire d’être impartiaux – et à distance des intérêts ou des valeurs en jeu – c’est-à-dire d’être désintéressés.
Évoquons les conseillers prud’hommes, comme l’a fait tout à l’heure le garde des sceaux, les assesseurs des tribunaux pour enfants ou des tribunaux des affaires sociales, les jurés d’assises, les avocats qui remplacent les magistrats. Les magistrats du parquet sont des femmes et des hommes qui ont le droit, comme tous les autres, d’exprimer leur opinion. C’est pourquoi je ne comprends pas, chers collègues de l’opposition, votre réaction à ce sujet.
Deux candidats déjà déclarés, et non des moindres, à l’élection présidentielle sont favorables à la réforme de la nomination des membres du parquet. Je déplore donc, avec tous mes collègues du groupe socialiste, républicain et citoyen, votre incapacité à passer des discours aux actes.
Nous aurions aimé voter la version du texte adoptée en première lecture par la commission des lois, mais nous nous satisferons de la rédaction en discussion, parce qu’elle apporte un très net progrès.
Ce texte coupe définitivement tout lien entre le pouvoir politique et les magistrats du parquet en inscrivant dans la Constitution que ces magistrats sont nommés sur avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature.
Pour ma part, j’ai trouvé cinq bonnes raisons de voter le texte. Je vous les soumets.
Tout d’abord, nous avons déjà trop tardé.
Ensuite, on l’a dit et répété : le projet de loi répond à une exigence européenne posée par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, selon laquelle le parquet à la française n’est pas une autorité judiciaire et ne peut donc constituer une garantie suffisante à la protection des libertés.
Surtout, il s’agit d’une nécessité absolue, compte tenu de l’augmentation des pouvoirs et des compétences de notre parquet, mouvement qui s’est accéléré depuis vingt ans. Aujourd’hui, c’est le procureur de la République qui a le pouvoir sur les comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité, qui décide des ordonnances pénales, des compositions pénales, qui exerce des pouvoirs accrus en matière de délinquance financière, qui décide de l’ouverture des informations judiciaires, qui aiguille vers une comparution immédiate ou renvoie devant le juge d’instruction, et qui siège enfin dans les conseils locaux de prévention de la délinquance.
Désormais, le procureur de la République dirigera les enquêtes pénales, à charge et à décharge. Il autorisera les perquisitions de nuit, les recours à l’IMSI-catcher, à la captation des données, au contrôle des personnes retenues plus de quatre heures pour vérification. Le cas échéant, il sanctionnera aussi les forces de police.
La quatrième raison de voter le texte tient à la nécessité de l’unité du corps judiciaire pour tous les magistrats, qu’ils appartiennent au siège ou à la magistrature debout.
Enfin, le texte répond à la demande forte et légitime de nos concitoyens, qui veulent une justice indépendante, détachée du pouvoir politique, une justice qui ne soit pas sous influence. Il faut restaurer la confiance du justiciable.
Je regrette vraiment la confusion à laquelle vous procédez. Le juge doit être indépendant du pouvoir exécutif mais il doit rester soumis à la loi. C’est pour cela que le juge doit être indépendant. Cela signifie non qu’il serait libre de prendre n’importe quelle décision, mais qu’il doit respecter la loi.
Parce que ce texte représente une avancée notable, j’invite mes collègues de tous les groupes à le voter. En tout cas, monsieur le garde des sceaux, vous pouvez compter sur le soutien sans faille du groupe socialiste, républicain et citoyen. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Geoffroy.
M. Guy Geoffroy. Monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, chers collègues, je le dis sans que cela m’inquiète plus qu’autre chose : nous avons des points de désaccord, et je regrette que vous ne les affrontiez pas, comme vous êtes capables de le faire, de manière approfondie, afin que les uns et les autres, nous sortions des incertitudes que le temps dresse devant nous.
Vous faites les pieds au mur pour soutenir exactement l’inverse de ce que vous affirmiez il y a peu, mais il serait facile de vous tirer de cette difficulté : il suffirait d’accepter le débat au fond.
Celui-ci est toutefois perverti par l’interversion trop fréquente des appellations. En fonction de ce qui vous arrange, vous parlez de l’indépendance des magistrats, des juges ou de la justice. On croit ou l’on feint de croire que c’est la même chose. Ce n’est pourtant pas tout à fait le cas.
J’évoquerai trois souvenirs du non-magistrat que je suis, statut qui n’exclut pas une certaine pertinence dans l’observation, la réflexion et pourquoi pas la décision. Ces trois exemples qui m’ont toujours troublé m’invitent à réfléchir au fond.
Je citerai d’abord une visite avec une de nos collègues à l’École nationale de la magistrature. Au cours d’une séance de formation continue destinée aux juges aux affaires familiales, je me suis trouvé face à des magistrats qui me disaient sans aucune hésitation, alors que nous réfléchissions avec eux sur la mise en œuvre des dispositions de la loi du 9 juillet 2010 : « Votre ordonnance de protection, nous estimons qu’elle ne sert à rien, et nous ne l’appliquons pas. »
J’avais été troublé que ces magistrats du siège, chargés de juger au nom du peuple, estiment très tranquillement, au nom de je ne sais quel principe, qu’ils n’avaient pas à appliquer une loi votée par les représentants du peuple au nom du peuple.
Un autre jour, avec un de nos collègues, je suis allé au tribunal de grande instance de Paris vérifier la manière dont étaient mises en œuvre les dispositions du texte sur les peines planchers, dont j’ai eu l’honneur d’être le rapporteur en juillet 2007. Le procureur, dont je n’ai pas besoin de citer le nom, était entouré de la quasi-totalité des magistrats du siège. Tous les vice-présidents étaient présents. Ces magistrats m’ont tranquillement fait remarquer qu’au TGI de Paris, on n’appliquait pas les peines planchers.
J’ai demandé au procureur de Paris s’il avait interjeté appel, comme il devait le faire, de la décision des magistrats de ne pas justifier le non-recours aux peines planchers. Il m’a répondu qu’il ne l’avait pas fait. Je ne pense pas qu’il en ait subi des conséquences très graves, puisque, à ma connaissance, il est devenu depuis lors procureur général près la Cour de cassation.
Un troisième élément m’a également beaucoup troublé. Je rencontre fréquemment des associations ou des syndicats de magistrats qui, représentant autant le parquet que le siège, m’ont assuré non moins tranquillement que si telle loi ne leur plaisait pas, eh bien, ils ne l’appliquaient pas.
Tout cela, il faut que nos concitoyens le sachent. Ils le savent d’ailleurs confusément, même s’ils sont également conscients que l’immense majorité des magistrats sont des femmes et des hommes de très grande qualité, qui s’efforcent de faire œuvre de justice de la meilleure manière possible, tant au parquet qu’au siège.
En tout cas, ces souvenirs m’amènent à réfléchir vraiment aux conséquences de la réforme que vous nous proposez. Je vous le dis tout net, monsieur le garde des sceaux : que la pratique adoptée depuis quelques années par le garde des sceaux devienne la règle, pourquoi pas ? Mais à ce moment-là, il faut éviter que l’indépendance du parquet ne conduise à une scission totale avec l’autorité politique que vous représentez.
Si demain le garde des sceaux n’est plus qu’un commentateur ou un observateur du fonctionnement de la justice, la démocratie et la justice rendue au nom de la démocratie et du peuple auront considérablement régressé.
Je regrette que nous n’ayons pas pu avoir tous ces débats, parce que je sais que vous aviez toute la capacité de les mener. Seulement, vous agissez sur ordre. Il faut une révision constitutionnelle. Il faut que le Président de la République actuel ne soit pas le premier de la Ve République à ne pas avoir mené sa réforme constitutionnelle. Il faut que celle-ci porte sur un texte que vous considériez encore récemment comme inutile et vidé de sa substance.
Nous ne jouerons pas la carte d’une fausse révision constitutionnelle, d’une fausse marche vers une meilleure indépendance du parquet. Il fallait aller ou plus ou moins loin et à tout le moins accepter le débat, ce que vous n’avez pas fait. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Lassalle, dernier orateur inscrit.
Mme Marie-Anne Chapdelaine. Et candidat à la présidence de la République ! (Sourires.)
M. Jean Lassalle. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président et rapporteur de la commission des lois, je viens de la place de la République, où j’ai vu la jeunesse éternelle de France se réveiller à nouveau, ce qui m’a fait plaisir.
Concernant la justice, dont nous traitons ce soir, j’ai comme tout un chacun le sentiment que nous sommes en présence d’un des sujets qui clivent le plus et qui fracturent le plus notre société aujourd’hui. Le rejet de la finance, à l’instar du rejet des politiciens et des partis politiques, fait l’unanimité ; le rejet des médias, à l’exception des médias régionaux, arrive ensuite. Et il y a la justice. J’ai rarement vu un secteur avec autant d’hommes et de femmes malheureux, les uns parce qu’ils passent des jours et des nuits à travailler – hauts magistrats, magistrats, juges, procureurs –, les autres parce qu’ils sont totalement indignés par le sentiment que nous sommes dans un perpétuel déni de vérité.
Une profonde aspiration à la justice est pourtant très largement partagée par notre peuple. Celui qui est cruellement lésé attend que son sort soit reconnu à son véritable niveau et réparé. Celui qui en est la cause rêve de soulager son esprit et ses entrailles par la parole, l’échange et peut-être le pardon. Peut-être espère-t-il même bénéficier d’un nouveau départ, d’une nouvelle chance, d’une nouvelle vie. Enfin, celui qui a la terrible charge de rendre la justice au nom du peuple français souhaite pouvoir le faire avec la sérénité indispensable à l’importance de sa décision avec les moyens adéquats et nécessaires, la compréhension, ainsi que le respect dont il a besoin.
M. Jacques Valax. On ne comprend rien ! Traduis !
M. Jean Lassalle. L’immense majorité des justiciables espère que le jour viendra enfin où le fait de passer devant la justice ne sera plus synonyme de malheur, mais constituera une raison majeure d’espérer. Nos compatriotes aspirent à retrouver la justice, si tant est qu’ait existé un jour dans la longue histoire des hommes une justice sereine, apaisée et célère en laquelle on puisse placer toute sa confiance.
Le modèle français de gestion des juges, des procureurs, des tribunaux et, plus largement, du fonctionnement de la justice place l’exécutif en première ligne. C’est la chancellerie essentiellement qui gère les carrières des magistrats ; elle est l’autorité censée garantir l’indépendance de ces derniers. Le Conseil supérieur de la magistrature n’a plus de place réelle dans les institutions, il n’a aucune visibilité pour nos concitoyens.
Les difficultés actuelles du Conseil supérieur de la magistrature sont de différents ordres : moyens financiers et humains faibles, compétences restreintes, procédure de nomination des magistrats du parquet différente de celle des magistrats du siège, tutelle maintenue du Président de la République. Les blocages autour de ce texte sont essentiellement liés au mode de désignation des membres du CSM et, partant, de leur réelle indépendance. Certains proposent un tirage au sort ; pourquoi pas ? En tous les cas, ce texte est insuffisant pour réaliser l’ambition qu’il affiche.
Les difficultés rencontrées pour réformer le CSM démontrent clairement combien il devient urgent de faire le point sur le fonctionnement de la justice dans son ensemble et sur ses dysfonctionnements, en termes d’indépendance et d’impartialité.
Ainsi, depuis de nombreuses années déjà, la perception de nos concitoyens sur la justice de leur pays est catastrophique, ce qui me paraît particulièrement préoccupant pour notre démocratie.
Je m’interroge sur l’intérêt de ce texte, monsieur le ministre ; un projet plus global relatif à « la justice au XXIe siècle » serait en cours d’élaboration et viendrait modifier à nouveau dans les prochains mois l’ensemble de notre droit. Je crois dès lors qu’il est indispensable d’engager un débat national sur la refonte de notre justice entre tous les acteurs concernés – exécutif, législatif, professionnels du droit et société civile – afin qu’elle puisse remplir sa véritable fonction et que nos concitoyens puissent à nouveau lui faire confiance.
C’est pour ces raisons, madame la présidente, que je compte déposer dans les prochains jours sur le bureau de l’Assemblée nationale une proposition de résolution visant à créer une commission d’enquête parlementaire sur l’état de la justice en France.
M. Jacques Valax. Oh ! C’est original ! C’est nouveau !
M. Jean Lassalle. Non, ce n’est pas du tout nouveau. Je pense en effet qu’avant de construire, il faut poser de bonnes fondations.
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Mme la présidente. J’appelle maintenant les articles du projet de loi constitutionnelle sur lesquels les deux assemblées n’ont pu parvenir à un texte identique.
(L’article 1er est adopté.)
Mme la présidente. Nous en venons aux amendements à l’article 2.
La parole est à M. Paul Molac, pour soutenir l’amendement no 3.
M. Paul Molac. Si vous le permettez, madame la présidente, je présenterai également les amendements no 4 et 5, qui sont des amendements de repli par rapport à celui-ci.
Mme Marie-Anne Chapdelaine. Très bien ! Excellente décision !
Mme la présidente. Je suis en effet saisie de deux amendements, nos 4 et 5, qui peuvent faire l’objet d’une présentation groupée.
Veuillez poursuivre, mon cher collègue.
M. Paul Molac. L’amendement no 3 vise à prévoir une parité entre magistrats et non-magistrats au sein du CSM ; j’ai déjà évoqué ce point dans la discussion générale. Il vise également à garantir la parité entre les femmes et les hommes au sein de ce conseil, une disposition reprise dans l’amendement no 5. Il tend en outre à ce que la formation du CSM compétente à l’égard des magistrats du parquet fasse les propositions pour les nominations des magistrats du parquet à la Cour de cassation, pour celles de procureur général près la cour d’appel, de procureur de la République et de procureur de la République financier, mesure qui figure dans l’amendement no 4.
L’amendement a enfin pour objet de prévoir que les personnes qualifiées resteront nommées par le Président de la République, le président de l’Assemblée nationale et le président du Sénat ; il ne reprend pas le dispositif envisagé par l’Assemblée en première lecture.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur ces trois amendements ?
M. Dominique Raimbourg, rapporteur. L’avis est défavorable, pour les raisons qui avaient déjà été indiquées en commission : il est nécessaire que le texte soit voté conforme si nous souhaitons réunir le Congrès. Il n’est par conséquent pas possible de donner un avis favorable à ces amendements, qui visent à revenir à un état antérieur du texte.
M. Guy Geoffroy. C’est une réponse un peu courte !
M. Philippe Gosselin. C’est donc décidé ? Un Congrès va être convoqué ? Voilà une belle réponse !
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Je ne peux qu’aller dans le même sens que le rapporteur, ce qui ne surprendra pas M. Molac, auquel je demanderai de retirer ses amendements.
Ainsi que nous l’avons dit depuis le début, nous ne cherchons pas à restaurer le texte tel qu’il avait été déposé par le Gouvernement, nous ne souhaitons pas que l’Assemblée reprenne le texte qu’elle avait adopté. Chacun d’entre nous a des conceptions sur ce que devrait être le Conseil supérieur de la magistrature, et j’ai moi-même publié un petit travail de réflexion auquel Guillaume Larrivé a fait référence voilà quelques instants, mais tel n’est pas le sujet.
M. Philippe Gosselin. Le sujet, c’est la convocation du Congrès !
M. Guy Geoffroy. Il faut sauver le soldat Hollande !
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Nous sommes ici pour prendre acte du point de rassemblement qui s’est dégagé après des votes successifs. Par conséquent, monsieur le député, si vous acceptiez de retirer vos amendements, le Gouvernement vous en saurait gré.
Mme la présidente. Vos amendements sont-ils maintenus, monsieur Molac ?
M. Paul Molac. Vous connaissez notre esprit de consensus et notre volonté d’aller dans le bon sens, monsieur le ministre. Nous allons donc bien évidemment retirer ces trois amendements.
M. Philippe Gosselin. La majorité se ressoude autour du Congrès !
Mme Cécile Untermaier. Et ce n’est que le début !
(Les amendements nos 3, 4 et 5 sont retirés.)
Mme la présidente. Monsieur Molac, un dernier amendement, no 6, a été déposé par votre groupe sur cet article. Est-il retiré dans le même mouvement ?
M. Paul Molac. Cet amendement a pour objet la saisine du CSM. Je le retire également.
(L’amendement no 6 est retiré.)
(L’article 2 est adopté.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement no 2, portant article additionnel après l’article 2.
M. Dominique Raimbourg, rapporteur. La situation est un peu particulière, dans la mesure où cet amendement a été voté contre mon avis.
M. Guy Geoffroy. Et très largement voté !
M. Philippe Gosselin. C’est un crime de « lèse-présidence » !
M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Si j’en suis signataire, je souhaite néanmoins que cet amendement soit rejeté pour les mêmes raisons que celles que je viens d’indiquer au sujet des amendements précédents : son adoption empêcherait le vote conforme.
M. Philippe Gosselin. Et alors ? On relancera la navette ! Rien ne presse ! Sauf le Président de la République !
M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Le point de consensus qu’a évoqué M. le garde des sceaux en sera modifié. Je souhaite donc que cet amendement ne soit pas adopté par notre assemblée.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. L’avis est défavorable. En matière constitutionnelle, chacun sait qu’il ne peut y avoir de cavalier. En l’espèce, l’amendement n’a qu’un rapport extrêmement éloigné avec le texte.
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Larrivé.
M. Guillaume Larrivé. Les masques tombent, monsieur le garde des sceaux. Nous comprenons avec le caractère extrêmement expéditif de ces discussions sur les amendements que cette séance n’a en réalité qu’un seul objectif,…
M. Philippe Gosselin et M. Guy Geoffroy. Le Congrès ! Le Congrès !
M. Guillaume Larrivé. … faire en sorte que le Président de la République puisse avoir son Congrès.
Mme Marie-Anne Chapdelaine. C’est une obsession !
M. Guillaume Larrivé. C’est devenu en effet votre obsession, au point que vous caporalisez la majorité en lui demandant de ne pas défendre ses amendements.
Tout cela est assez regrettable car, au fil des débats, nous avons posé des questions de fond qui méritent une réponse ; une question est notamment revenue à plusieurs reprises. Vous affirmez que vous souhaitez par cette révision constitutionnelle aligner le mode de nomination des magistrats membres du parquet sur celui des magistrats du siège, mais pourquoi diable n’allez-vous pas au bout de cette logique ? Pourquoi maintenez-vous le monopole de proposition des différents postes de magistrat du parquet dont dispose le garde des sceaux ? Voilà une question de fond, monsieur le ministre de la justice, qui est véritablement au cœur de celle qui nous est posée ce soir. Nous nous étonnons vraiment que vous refusiez à ce stade de répondre à notre interrogation et nous le regrettons.
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Geoffroy.
M. Guy Geoffroy. Monsieur le garde des sceaux, chers collègues de la majorité, vous nous avez annoncé très clairement que vous vous présenteriez, urbi et orbi, comme les vertueux, et que vous nous désigneriez comme ceux qui ne voudraient pas de l’indépendance de la justice. Les Français doivent cependant savoir, et nous allons le leur dire, que le présent amendement, qui a été voté à une très large majorité par la commission, pourrait être rejeté dans l’hémicycle par ceux-là mêmes qui l’ont voté en commission. Vous avez dit voilà quelques instants que ce n’était pas le moment de modifier le texte, mais l’objet de cet amendement est tout simplement d’inscrire dans la Constitution que toute personne a droit à l’assistance d’un avocat pour assurer la défense de ses droits et libertés. Voilà ce qui ne serait pas à l’ordre du jour !
Monsieur le garde des sceaux, vous avez l’obsession du vote conforme, mais je vous mets au défi : qu’est-ce qui vous empêche de prendre l’initiative, après avoir accepté que cet amendement soit voté, d’inscrire le projet de loi constitutionnelle ainsi modifié par l’Assemblée nationale à l’ordre du jour du Sénat ? Il serait intéressant que la nouvelle majorité du Sénat, que le Sénat issu du dernier renouvellement puisse indiquer si, oui ou non, il est d’accord avec ce que le Sénat d’hier avait fait, c’est-à-dire dépouiller le projet de loi constitutionnelle qui lui était présenté de son essence même.
M. Philippe Houillon. Très bien !
M. Guy Geoffroy. Acceptez donc, monsieur le garde des sceaux, que l’Assemblée vote cet amendement, faites inscrire le projet de loi constitutionnelle ainsi modifié au Sénat ; une vraie transparence sera ainsi assurée, et le vrai débat pourra avoir lieu, un débat que peut-être vous refusez parce que la seule chose qui vous intéresse, c’est non pas l’indépendance de la justice mais la réunion du Congrès.
M. Philippe Houillon. Très bien !
Mme Cécile Untermaier. Les deux vont de pair !
Mme la présidente. La parole est à M. Paul Molac.
M. Paul Molac. Il ne m’appartient pas de retirer cet amendement. Chacun aura compris l’importance de son objet, qui est de constitutionnaliser le droit à l’assistance d’un avocat. Je vois bien qu’il ne sera pas adopté ce soir, et je n’en serai pas marri outre mesure. Je souhaitais néanmoins insister sur ce point.
Parce que je ne veux pas décevoir nos amis du groupe Les Républicains, qui ont demandé le Congrès, je ne voterai pas cet amendement. Vous aurez le Congrès, chers amis.
M. Guy Geoffroy. Je n’ai rien compris !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Je m’attacherai à discuter cet amendement contre lequel j’ai voté lors de son examen en commission aux côtés de notre président Dominique Raimbourg. Était-ce l’effet de la grande fatigue, des grands embruns ou de la bombarde bretonne ? Quoi qu’il en soit, j’ai senti la commission un peu égarée ! L’amendement, qui propose l’ajout d’un alinéa absent du texte initial, n’aurait pas dû être voté car il ne tient absolument pas, il est a-juridique !
M. Guy Geoffroy. « A-juridique » ? Ce terme n’a aucun sens !
M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Tout d’abord, si vous avez raison, cher collègue, de citer la belle constitution tunisienne, je me permets néanmoins de vous rappeler que le droit français distingue défendre et représenter. Un avocat qui représente n’assiste pas forcément et peut inversement défendre sans représenter. Tel est le droit. En outre, c’est le principe du droit à l’assistance et à la défense qu’il convient de mentionner et non l’avocat, car l’avocat n’est pas seul à défendre ; c’est aussi le cas d’un syndicaliste en conseil de prud’hommes, parmi mille autres circonstances. L’avocat n’est pas le seul à incarner le droit à la défense.
Deuxièmement, s’il est exact d’affirmer que magistrats et parlementaires ont un statut qui leur est conféré par la Constitution, celui-ci ne s’étend pas à ce qu’ils font. Ce n’est pas ce que fait le magistrat ou le parlementaire qui est reconnu par la Constitution mais ce qu’ils sont, respectivement garants de l’indépendance de la chose jugée et élus de la nation. Par conséquent, les arguments opposés à l’amendement ne sont pas appropriés.
M. Guy Geoffroy. Il suffit de le sous-amender !
M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Le droit fondamental considère que l’on doit pouvoir être défendu. Le Conseil constitutionnel a reconnu voici très longtemps que la défense est un droit constitutionnel, d’ailleurs réaffirmé lors de l’introduction de l’avocat dans la garde à vue. En outre, la Cour européenne des droits de l’homme considère qu’être assisté est l’un des signes de validité de l’exercice des libertés individuelles. Il n’est donc pas nécessaire de constitutionnaliser ce dispositif.
Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Je voudrais répondre à la question posée par Guy Geoffroy. Lorsque le Gouvernement a décidé de réinscrire ce texte à l’ordre du jour du Parlement, sa première démarche a consisté à s’assurer que le Sénat se sent concerné par la disposition qu’il a adoptée en 2013 lorsque la majorité y était différente de l’actuelle. J’ai donc rencontré le président Larcher afin d’en étudier la possibilité. Comme il l’a déclaré publiquement, un dimanche matin sur Europe 1, il considère que ce texte engage l’actuel Sénat. Comme nous faisons toute confiance au président Larcher, il nous a semblé nécessaire de respecter ses intentions et nous en tenir aux cas conformes.
J’ai par ailleurs eu l’occasion d’interroger les autres présidents de groupe de la majorité sénatoriale, le président Zochetto, le président Retailleau et le président Mézard – lequel ne fait pas vraiment partie de la majorité car il est très indépendant ! (Sourires.) Les trois sénateurs que je viens d’évoquer m’ont dit combien ils sont attachés au vote du texte tel que le Sénat l’a adopté en 2013. C’est la raison pour laquelle je souhaite que le texte soit voté conforme. Cela ne va pas vous rassurer, mesdames et messieurs les députés de l’opposition, mais le Sénat se sent engagé par ce texte. Seul manque le vote conforme de l’Assemblée nationale !
(L’amendement no 2 n’est pas adopté.)
Mme la présidente. Nous avons achevé la discussion des articles du projet de loi constitutionnelle.
Je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les explications de vote et le vote par scrutin public sur l’ensemble du projet de loi auront lieu le mardi 26 avril, après les questions au Gouvernement.
Mme la présidente. Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :
Questions au Gouvernement ;
Discussion, en lecture définitive, de la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel.
La séance est levée.
(La séance est levée, le mercredi 6 avril 2016, à zéro heure cinq.)
La Directrice du service du compte rendu de la séance
de l’Assemblée nationale
Catherine Joly