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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2015-2016

Compte rendu
intégral

Séance du jeudi 12 mai 2016

Présidence de M. Claude Bartolone

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à seize heures.)

1

Motion de censure

Discussion et vote

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion et le vote sur la motion de censure déposée, en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, par MM. Christian Jacob, Philippe Vigier et 190 membres de l’Assemblée.

La parole est à M. Christian Jacob, pour le groupe Les Républicains.

M. Christian Jacob. Monsieur le Premier ministre, le Président de la République, dans une sorte de thérapie personnelle, tente depuis quelques jours d’expliquer l’inexplicable, de justifier l’injustifiable…

M. Guy Geoffroy. C’est sans espoir !

M. Christian Jacob. …de maquiller un bilan politique et économique qui est indéfendable. « La France va mieux »…

M. Dominique Baert. Eh oui !

M. Christian Jacob. …nous dit-il. En d’autres temps, nos compatriotes auraient pu sourire, voire rire d’un bon mot d’un Président complètement en apesanteur. Mais ils n’ont plus envie de rire. Ils n’ont plus envie de rire au spectacle pathétique d’un pouvoir exécutif en perdition. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Maurice Leroy. Très bien !

M. Christian Jacob. Je sais qu’au fond de vous-même, vous en avez conscience. C’est d’ailleurs, je l’admets, à votre honneur de rester loyal à un Président si impopulaire, au moment où l’un de ses ministres, et non des moindres, rompt avec tous les usages de solidarité gouvernementale et de droiture en politique. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

M. Guy Geoffroy. L’intéressé s’est reconnu !

M. Christian Jacob. Oui, il vient en quelque sorte se faire pardonner en s’asseyant non loin du Premier ministre !

M. le président. S’il vous plaît, mes chers collègues !

M. Christian Jacob. Le Président de la République vient pour la quatrième fois en un an de faire le choix d’utiliser l’article 49, alinéa 3 de notre Constitution, donc de violenter sa propre majorité – ou, permettez-moi de le dire, ce qu’il en reste – et, plus grave encore, d’abaisser le Parlement et, surtout, de discréditer votre gouvernement. François Hollande, par ce choix autoritaire, a fait la démonstration éclatante que, décidément, ça ne va pas mieux en France. II a fait la démonstration qu’en vérité – et c’est ce que les Français éprouvent – cela va de mal en pis. À moins d’un an du terme de son quinquennat, il vient lui-même d’en acter la fin, la fin d’un quinquennat pour le pire, d’un quinquennat d’immobilisme, d’un quinquennat perdu et définitivement irrécupérable.

Que révèle, ce soir, l’utilisation de l’arme constitutionnelle des pouvoirs faibles ? Elle révèle la décrépitude de votre majorité, elle révèle aussi et surtout le vide du bilan de votre gouvernement. Monsieur Valls, souvenez-vous de votre nomination à Matignon, de ce jour où la gauche dite moderne devait s’assumer pour réformer le pays et ainsi effacer les échecs de Jean-Marc Ayrault. Vous arrive-t-il de regarder lucidement dans le rétroviseur ? Si vous le faisiez, vous reconnaîtriez que, finalement, Jean-Marc Ayrault n’a pas démérité au regard de votre propre bilan. Lui, n’a jamais eu recours à l’article 49.3. (« Eh non ! » sur quelques bancs du groupe Les Républicains.)

M. Guy Geoffroy. C’est d’ailleurs pour ça qu’il est revenu !

M. Christian Jacob. Lui, n’a jamais vu, comme vous, son autorité bafouée au point qu’un de ses ministres se promène en France pour préparer son plan de carrière, crée un parti politique en dehors de la majorité… (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Alain Fauré. Occupez-vous de vos candidats !

M. Christian Jacob. …et, semble-t-il à votre insu, lève des fonds à l’étranger pour financer son activité politique. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains. – Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Yves Fromion. Et sa petite entreprise !

M. le président. S’il vous plaît, mes chers collègues !

M. Christian Jacob. Jean-Marc Ayrault avait, quant à lui, maintenu la cohésion de sa majorité ; de fait, sous la VRépublique, c’est ce que l’on demande à un Premier ministre.

La réalité politique de la France, monsieur le Premier ministre, c’est que vous ne tenez plus rien. Je vous rappelle qu’à peine devenu chef du Gouvernement, après la défaite historique des socialistes aux élections municipales, vous avez creusé un fossé entre vous et votre majorité parlementaire. Ce fossé ne se comblera plus. Chers collègues de gauche, vous êtes arrivés ici 340 en juin 2012, après la victoire électorale de François Hollande, qui sonne d’ailleurs chaque jour davantage comme un malentendu. Aujourd’hui, combien êtes-vous ?

Plusieurs députés du groupe Les Républicains. Peu nombreux !

M. Philippe Vigier. La preuve aujourd’hui sur leurs bancs !

M. Christian Jacob. Dans quel état se trouve le groupe socialiste…

Plusieurs députés du groupe Les Républicains. Au plus bas et divisé !

M. le président. S’il vous plaît, mes chers collègues !

M. Christian Jacob. …qui aurait dû être la véritable colonne vertébrale de la majorité ? Il en est devenu le fossoyeur.

L’arithmétique est brutale.

M. Bruno Le Roux. On va voter dans deux heures !

M. Christian Jacob. Près de cent députés de gauche ne soutiennent plus le Gouvernement. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.) Oui, monsieur le Premier ministre, votre bilan, c’est d’abord le dépôt de bilan du groupe socialiste, et ce sera votre marque dans l’histoire politique. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.) Si encore cette opposition frontale avec les vôtres avait été mise au service d’une grande réforme pour le pays, nous aurions pu vous accorder des circonstances atténuantes mais, avec cette loi Travail, nous revivons l’exacte réplique de la loi Macron : des mots, toujours des mots et, pour résultat, un texte creux, vide et même dangereux, qui ne sera adopté que par un consternant recours à l’article 49, alinéa 3.

M. Guy Geoffroy. Même Jeanne d’Arc n’y croit pas !

M. Christian Jacob. Ce recours à l’article 49.3, ce n’est pas seulement un affligeant mépris pour les organisations syndicales, que vous n’avez jamais associées à vos travaux ; ce n’est pas seulement un affront à vos électeurs de 2012, que vous trahissez ; ce n’est pas seulement un odieux camouflet pour votre majorité ; c’est maintenant un coup de force contre l’Assemblée nationale tout entière, car vous avez confisqué le débat parlementaire sans même qu’il y ait eu d’obstruction dans l’hémicycle.

Un député du groupe Union des démocrates et indépendants. Si, de l’obstruction à gauche !

M. Christian Jacob. Depuis plusieurs semaines, vous laissez prospérer des mouvements anarchistes, violents, qui ont occupé l’espace public et vous refusez aux députés de la nation, aux élus du peuple, le vote et, de manière plus incompréhensible encore, la discussion. Au fond, monsieur le Premier ministre, ce que l’on ne peut pas vous pardonner, c’est de tolérer la chienlit place de la République et d’interdire le débat, ici, à l’Assemblée nationale ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur plusieurs bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

On vous le pardonne d’autant moins que ce projet de loi ne répondra à aucun des défis auxquels la France est confrontée. De reculades en reculades, de renoncements en renoncements, que reste-t-il dans ce texte ?

M. Philippe Vigier. Rien !

M. Christian Jacob. Rien, madame la ministre ! Et c’est bien là que réside le problème majeur. Nous aurions pu comprendre que vous utilisiez le 49.3 pour imposer une grande réforme du code du travail, qu’attendent nos entreprises, nos artisans, nos commerçants, nos agriculteurs, les salariés de notre pays. Ils attendent tous, car votre politique conduit la France à la ruine, à la dégradation et au déclassement.

M. Pascal Popelin. Ils attendent tous ce que vous n’avez pas fait !

M. Christian Jacob. Nous vous aurions suivis dans une belle ambition, suivis sur la liberté de conclure des accords dans les entreprises, suivis sur la fin des 35 heures, suivis sur l’abandon du compte pénibilité, suivis sur une profonde réforme de l’apprentissage, suivis sur un nouveau barème prud’homal, suivis, enfin, sur la définition du licenciement économique pour renforcer l’attractivité de la France à l’égard des investisseurs étrangers.

M. Pascal Popelin. Tout ce que vous n’avez pas fait !

M. Christian Jacob. Nous ne devons avoir qu’une obsession : donner de l’oxygène à nos entreprises. Eh bien, il n’y aura rien de tout cela : le texte que vous imposez aux forceps est, au mieux, un statu quo, plus vraisemblablement, une régression. Vous parlez d’un texte de compromis. C’est faux : c’est un texte de petites compromissions. Demain, si ce texte venait à être adopté, ce sont de nouveaux freins, de nouveaux blocages à l’emploi dont vous porteriez la responsabilité. Avec votre texte, notre pays fera un pas de plus vers une société de défiance. C’est ce qui nous sépare par-dessus tout. Nous, nous faisons confiance aux chefs d’entreprise...

M. Bruno Le Roux. Vous vous êtes trompé : vous reprenez votre discours de l’an dernier…

M. Christian Jacob. Vous, vous voulez les infantiliser, les surveiller, en imposant notamment le mandatement syndical dans les petites entreprises. C’est dire le mépris dans lequel vous les tenez, comme s’ils n’étaient pas capables de négocier directement avec leurs salariés, qu’ils connaissent mieux que personne. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et sur plusieurs bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

Monsieur le Premier ministre, quand allez-vous ouvrir les yeux sur l’état du pays, qui perd des places dans la compétitivité mondiale ?

Plusieurs députés du groupe Les Républicains. Jamais !

M. Christian Jacob. Lorsque François Hollande a été élu, notre pays était la cinquième puissance du monde. Lorsqu’il partira, à quelle place sera la France ? La septième, la huitième, la neuvième ? Dans un monde en pleine mutation, les quatre années qui viennent de s’écouler ne sont malheureusement même plus des années d’immobilisme : ce sont des années de recul, de repli, de déclin. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.) Il est grand temps, dans l’intérêt supérieur de la France, que cette mascarade se termine. Le bilan de François Hollande est accablant. La France est à la traîne sur tous les indicateurs ; elle est la très mauvaise élève de l’Europe.

M. Guy Geoffroy. Il a raison !

M. Christian Jacob. Dans la France de François Hollande, les impôts ont flambé dans des proportions jamais atteintes et se sont concentrés sur les classes moyennes. Vous vous préparez même à mettre en place le prélèvement à la source, qui n’est rien d’autre que le faux nez de la fusion entre la contribution sociale généralisée et l’impôt sur le revenu, et la mise à mort des quotients conjugaux et familiaux. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Les Républicains.)

M. Christian Eckert, secrétaire d’État chargé du budget. Ce n’est pas vrai !

M. Christian Jacob. Dans la France de François Hollande, la dette a explosé pour atteindre 2 100 milliards, soit près de 100 % de notre richesse nationale.

Dans la France de François Hollande, le déficit, toujours bien au-delà des 3 % du produit intérieur brut, reste votre marque de fabrique. Le Président de la République, qui plus est, dépense, depuis quelques semaines, des milliards qu’il n’a pas.

Dans la France de François Hollande, la croissance reste atone et inférieure à celle de la zone euro.

M. Pascal Popelin. Vous étiez à zéro !

M. Christian Jacob. Dans la France de François Hollande, le chômage a galopé et touche à présent 700 000 Français de plus qu’en 2012. II frappe près d’un jeune sur quatre de moins de 25 ans. Ces jeunes sont les premières victimes de votre obstination idéologique à casser l’apprentissage.

Enfin, le fiasco le plus insupportable de votre action, c’est votre incapacité à rompre avec la logique de l’assistanat. Nous pensons qu’il faut d’abord aider celles et ceux qui travaillent dur, qui se lèvent tous les matins pour nourrir leurs enfants, pour les éduquer du mieux qu’ils peuvent. À toutes ces familles qui ne sont ni au revenu de solidarité active – le RSA –, ni à la couverture maladie universelle – la CMU –, ni à l’aide médicale de l’État – l’AME –…

M. Yves Censi. Ni à « Nuit debout » !

M. Christian Jacob. …quel message avez-vous envoyé ? Un message de stigmatisation, un message de division, un message de fracturation des Français entre eux. Elle faisait pourtant la fierté de notre modèle national, l’égalité de tous les enfants de France, d’où qu’ils viennent, où qu’ils habitent, quelle que soit la situation de leurs parents. Vous avez bafoué le principe sacré de l’universalité des allocations familiales. Je vous le dis solennellement, nous reviendrons sur cette injustice, car on ne fabrique pas une nation solide et solidaire en créant des enfants de deux catégories : les enfants de riches, d’un côté, les enfants de pauvres, d’un autre côté. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Je veux vous dire aussi que nous nous élevons contre la folie consistant à créer un RSA jeune pour les moins de 25 ans. Quelle idée du travail allez-vous transmettre à cette jeune génération si, avant même de travailler, de gagner sa vie, elle est assistée ?

M. Dominique Baert. La jeunesse appréciera !

M. Jean-Christophe Cambadélis. On peut la diffuser, votre intervention ?

M. Christian Jacob. Nous ne partageons pas votre vision idéologique d’une société où ce sont toujours les mêmes qui reçoivent sans jamais rien donner. Nous, la société, nous la voulons fondée sur le mérite, sur l’effort, sur le travail, sur la solidarité, quand c’est nécessaire, mais jamais sur l’assistanat, car l’assistanat, c’est le germe de l’appauvrissement général.

Plusieurs députés du groupe Les Républicains. Très bien !

Un député du groupe socialiste, républicain et citoyen. Ce n’est pas de l’assistanat, c’est de la solidarité !

M. Christian Jacob. L’échec de votre politique, monsieur le Premier ministre, est à la mesure du mouvement de défiance qui se manifeste dans les profondeurs du pays contre votre pouvoir : 84 % des Français, dont 68 % de ceux qui ont voté pour lui, pensent que le bilan de Français Hollande est mauvais.

Mme Elisabeth Pochon. Et si vous parliez un peu de l’opinion qu’ils ont de vous ?

M. Christian Jacob. Tout est dit ! Vous n’avez plus de base politique et le peuple français a zappé François Hollande. En toute franchise, le mieux qui puisse se produire pour la France, c’est de mettre fin, et vite, à votre aventure qui se terminera, je vous le prédis, comme les années Mitterrand et comme les années Jospin.

Pour cela, j’appelle vos frondeurs à prendre leurs responsabilités puisqu’ils ont échoué de peu à déposer leur propre motion de censure.

M. Patrice Verchère. Assumez !

M. Christian Jacob. Je sais que certains d’entre eux auront le courage de leur conviction profonde. Que celles et ceux qui veulent votre chute et celle de François Hollande passent à l’acte. C’est le moment !

M. Yves Fromion. Un peu de courage !

M. Pascal Popelin. Ça ne fait pas franchement envie…

M. Christian Jacob. S’ils ne le font pas, s’ils vous repêchent par crainte d’être emportés, ils vous permettront de rester. Mais ne vous y trompez pas, monsieur le Premier ministre, vous n’avez plus le pouvoir, vous n’en possédez plus que l’apparence. Si cette censure échoue, il restera aux Français à compter fébrilement les jours qui nous séparent de l’alternance.

M. Dominique Baert. Ah, le retour de Sarko, quel bonheur !

M. Christian Jacob. Aujourd’hui vous gagnerez un peu de temps pour vous-même, pour vos ministres et vos députés socialistes qui redoutent par-dessus tout d’affronter leurs électeurs. N’ayez crainte, ce moment viendra ; ce sera dans un an. Préparez-vous à la force de la vague qui vous submergera, elle sera à la mesure de la déception de vos électeurs et de l’écœurement des Français. Vous ne serez plus qu’une poignée sur ces bancs, comme vous l’êtes cet après-midi.

M. Bruno Le Roux. On n’a pas réussi à convaincre les autres de venir vous écouter…

M. Christian Jacob. Et ce sera justice car François Hollande aura ruiné la France, trahi les siens et profondément divisé les Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.) Ce jour-là, vous vous souviendrez de cette censure qui constitue un fait politique majeur puisqu’elle est double : la censure de tous ceux qui ont cessé de croire en vous et dans le Président de la République – ils sont dans vos rangs – et la censure de ceux qui n’ont jamais cru en vous – ils sont en face de vous, unis et déterminés à préparer la grande alternance de 2017. (Les députés du groupe Les Républicains se lèvent et applaudissent – Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. Bertrand Pancher. Très bien !

M. Yves Fromion. C’est très beau !

M. le président. La parole est à M. Philippe Vigier, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Philippe Vigier. Monsieur le Premier ministre, quand je vois le nombre des députés socialistes, j’ai envie de leur dire : Hé oh ! les députés socialistes, où êtes-vous ? (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et du groupe Les Républicains, dont de nombreux membres crient «  oh ! ».)

Je suis venu pour vous parler de la France. J’aurais pu vous parler longuement des divisions du parti socialiste, qui donnent une nouvelle fois une triste image de l’Assemblée nationale et vous contraignent à engager la responsabilité du Gouvernement. J’aurais pu vous parler de l’acte de décès de la gauche plurielle, un certain 10 mai, trente-cinq ans, jour pour jour, après l’accession de François Mitterrand à l’Élysée. Je ne le ferai pas : les Françaises et les Français savent dorénavant que les membres de cette majorité préfèrent débattre de l’avenir de la gauche entre eux plutôt que de celui de la France avec nous.

M. Yves Fromion. Bravo !

M. Philippe Vigier. J’aurais pu vous parler de ce projet de loi, mais personne ne sait plus ce qu’il contient vraiment…

M. Pascal Popelin. Il suffit de lire !

M. Philippe Vigier. …tant vous avez improvisé et reculé, pour finalement renoncer. L’absence de méthode a réduit à néant l’ambition initiale de ce projet de loi. Car le dialogue social, ce n’est pas se contenter de demander à William Martinet, président de l’Union nationale des étudiants de France, l’UNEF, de corriger la copie de Pierre Gattaz. La réforme, ce n’est pas céder à celles et ceux qui crient le plus fort ou à celles et ceux qui défendent des intérêts partisans.

J’aurais pu vous parler des frondeurs, ou du vieux monde auquel ils s’accrochent comme à leurs sièges de députés, puisqu’ils ne voteront pas plus cette motion de censure que les précédentes. S’ils avaient fait passer leurs convictions avant tout, ils auraient quitté le parti socialiste, ils seraient allés jusqu’au bout de leur logique en votant notre motion de censure. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et sur quelques bancs du groupe Les Républicains.)

M. Yves Fromion. C’est trop leur demander.

M. Philippe Vigier. Je leur dis : faites comme le groupe communiste qui est prêt, lui, à prendre ses responsabilités au nom de ses convictions ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et sur quelques bancs du groupe Les Républicains.)

J’aurais pu vous parler de vous, monsieur le Premier ministre, otage d’une majorité qui s’est construite sur un mensonge, un Premier ministre isolé, réduit à l’impuissance. Disons-le sans détour : vos velléités de réformes ont été progressivement étouffées par la cacophonie qui règne à gauche et le silence cynique de François Hollande. Vous voir aujourd’hui engager la responsabilité du Gouvernement sur un projet de loi dont la portée n’a cessé d’être amoindrie en constitue la démonstration implacable.

Non, je suis venu vous parler de la France parce que cette majorité l’a perdue de vue depuis trop longtemps. Oui, cette majorité s’est coupée de la France, au point que notre pays est devenu pour elle l’arrière-plan de ses petites querelles, la petite scène sur laquelle se joue le grand show socialiste. Oui, cette majorité n’a plus qu’une idée fausse et éloignée des réalités de notre pays. Monsieur le Premier ministre, toute la France ne passe pas la « nuitdebout ».

M. Maurice Leroy. Eh oui ! Nuit debout, c’est le parti socialiste couché.

M. Philippe Vigier. Toute la France ne passe pas ses nuits à rêver d’une autre gauche. Toute la France ne passe pas non plus ses nuits à se retrouver dans le confort d’un entre-soi qui brave nos lois sous votre regard complaisant. Les Françaises et les Français ont fait depuis longtemps le deuil du discours du Bourget et ont cessé de se demander ce que ce Président de la République pourrait faire pour eux, car il a tant promis, mais rien fait. En revanche, ils ont la volonté sincère et authentique de se réapproprier leur destin, d’en finir avec un système qui ne sert plus que lui-même, ce qui dépasse largement l’ambition du mouvement « Nuit debout » devant lequel votre autorité chancelle. En revanche, les jeunes aspirent à de vraies avancées concrètes, et vous les avez déçus avec ce projet de loi.

Monsieur le Premier ministre, contrairement à ce que vous avez pu penser, la France ne peut pas comprendre que cette gauche, qui n’avait que partage du temps de travail, assistanat et contrats aidés à la bouche, prêche tout d’un coup la facilitation des licenciements avec le zèle du converti. Vous avez ainsi donné le sentiment aux Français que faute d’avoir su mettre en place une politique efficace en faveur de la création d’emplois, c’est à leurs droits que vous alliez vous attaquer pour donner de l’oxygène aux entreprises. Pourtant, ils ont pleinement conscience que le monde du travail et l’entreprise doivent s’adapter à un monde ouvert aux échanges, qui évolue à toute vitesse. Ils ont conscience que les réformes sont nécessaires, mais ils savent que ce n’est pas avec des gadgets estampillés « gratuité, égalité, universalité », comme le compte personnel d’activité, que vous allez mieux les protéger, créer de l’emploi et lutter plus efficacement contre la précarité.

Monsieur le Premier ministre, contrairement à ce que vous pourriez craindre, la France n’est pas non plus « en marche », comme l’appelle de ses vœux Emmanuel Macron.

M. Guy Geoffroy. Elle est en marche arrière !

M. Philippe Vigier. Comment pourrait-elle avancer alors même que François Hollande a patiemment tout mis en œuvre pour que les énergies soient étouffées par les contraintes et la réussite, jugée suspicieuse ? La France est à l’arrêt depuis que cette majorité a décidé de supprimer la défiscalisation des heures supplémentaires et les allégements de charges décidés par la précédente majorité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et du groupe Les Républicains.) La France est à l’arrêt car vous n’avez pas su prendre les décisions courageuses pour réduire les dépenses publiques qui continuent d’augmenter et la dette, dont le poids est désormais écrasant. Elle est à l’arrêt car avec 85 milliards d’euros de prélèvements obligatoires, cette majorité a asphyxié la France d’impôts et bloqué l’ensemble des moteurs de l’économie en s’attaquant aux secteurs vitaux pour l’emploi. Elle est à l’arrêt car François Hollande a durablement fragilisé la confiance des entreprises et des ménages en enterrant la promesse de pause fiscale et en échouant à inverser la courbe du chômage. Comment voudriez-vous d’ailleurs qu’Emmanuel Macron puisse être « en marche » vers quoi que ce soit alors qu’il passe son temps à mettre un pied dehors avant de remettre un pied dedans ?

Enfin, monsieur le Premier ministre, contrairement à ce que François Hollande affirme, la France ne va pas mieux. Au contraire, François Hollande n’a eu de cesse de l’abîmer. Il dit que cela va mieux sur le front de l’emploi alors que le nombre de chômeuses et de chômeurs explose malgré les tentatives de diminuer artificiellement les chiffres du chômage. Il dit que cela va mieux, peut-être en pensant à Jean-Paul Huchon qui demande à être recasé avec une retraite dorée de plus de 100 000 euros par an. Pour ceux qui n’ont pas la carte du parti socialiste, cela ne va pas mieux ; pour eux, il ne reste que la file de Pôle emploi. François Hollande dit, l’air satisfait, que cela va mieux pour les entreprises ; elles croulent pourtant sous les impôts, les charges et les contraintes administratives. Pour améliorer leur compétitivité, vous aviez trouvé une idée lumineuse à laquelle vous venez de renoncer en catastrophe : surtaxer les contrats à durée déterminée. François Hollande dit, d’un air ravi, que cela va mieux à l’école. Il ferme ainsi honteusement les yeux sur l’immense gâchis humain que représentent les 150 000 jeunes qui sortent chaque année du système scolaire sans diplôme ni qualification.

Mme Sylvie Tolmont. Est-ce de notre fait ?

M. Philippe Vigier. Monsieur le Premier ministre, vous souhaiteriez nous faire croire que vous êtes pris en tenaille par les conservatismes de toutes sortes, par une conjonction d’oppositions. Cela est faux. En réalité, vous êtes écartelé entre une gauche qui se sent légitimement trahie par les mensonges de François Hollande et une opposition à laquelle vous ne pouvez pas tendre la main, sous peine de faire imploser ce qu’il reste de vos soutiens – et on voit où ils sont. N’est-ce pas vous qui disiez espérer une majorité de gauche pour voter ce projet de loi ? N’est-ce pas vous qui avez considéré qu’il était impossible de transcender les clivages partisans ? Pourtant, vous le savez, le groupe de l’Union des démocrates et indépendants était prêt à prendre ses responsabilités en s’engageant sans réserve dans ce débat. Nous l’avons toujours fait lorsque l’intérêt de la Nation était en jeu.

M. Dominique Lefebvre. Jamais !

M. Philippe Vigier. Nous y étions prêts avec le pacte de responsabilité et de solidarité. Nous y étions prêts avec le projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques – Emmanuel Macron le sait. Nous l’avons prouvé lorsque nous avons voté le projet de loi sur l’agriculture, les emplois d’avenir, la réforme de l’asile, la loi sur la sécurisation de l’emploi, la réforme ferroviaire, la loi sur le renseignement, la loi sur le terrorisme. Nous l’avons prouvé en nous associant à l’unité nationale, en vous soutenant sur les opérations militaires, sur l’état d’urgence, sur la déchéance de nationalité.

M. Dominique Baert. Vous devriez continuer !

M. Philippe Vigier. Notre opposition constructive n’a jamais rencontré le moindre écho au sein de votre majorité, parce que celle-ci était repliée sur elle-même, toujours à gérer ses contradictions. Vous le savez bien ; c’est d’ailleurs de votre camp, madame la ministre, qu’est venue l’obstruction sur ce projet de loi. Le groupe de l’Union des démocrates et indépendants a déposé 128 amendements ; cherchez l’erreur !

Monsieur le Premier ministre, vous prétendez que cette motion de censure ne sera pas adoptée parce que nous serions uniquement dans la posture et qu’il n’existe pas de majorité alternative à la vôtre. Cela est également faux.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Ah bon ?

M. Philippe Vigier. Nous portons cette ambition. Nous la portons quand nous défendons une France qui retrouve son autorité et dont la voix soit à nouveau audible en Europe.

M. Maurice Leroy. Eh oui !

M. Philippe Vigier. Nous la portons en défendant une Europe différente de la vôtre : une Europe qui ne plie pas devant les États-Unis lorsqu’il s’agit de négocier un traité dont les conséquences sur notre mode de vie seraient désastreuses, une Europe qui ne marchande pas avec la Turquie lorsqu’il s’agit de ses valeurs et de la vie de milliers de femmes et d’hommes qui fuient la guerre.

M. Maurice Leroy. Eh oui !

M. Philippe Vigier. Nous portons également cette ambition en défendant une vraie méthode de gouvernance, pour faire en sorte de sortir de l’impuissance qui caractérise l’action publique depuis tant d’années et qui est devenue insupportable. Cette méthode privilégiera le dialogue social, la consultation en amont, l’écoute des forces vives, les consultations populaires, pour créer le rassemblement le plus large possible. Elle passera nécessairement par une recomposition politique, permettant de bâtir une coalition des modernes et des progressistes. Cette coalition sera capable d’initier des réformes qui rassemblent au-delà des considérations partisanes, des réformes qui constitueront des mutations irréversibles s’inscrivant dans la durée, à l’image du plan de rénovation urbaine ou du Grenelle de l’environnement, impulsés par Jean-Louis Borloo.

M. Jean-Pierre Vigier. Enfin, nous portons cette ambition en proposant une voie alternative à ce projet de loi devenu, à force de renoncements, nocif pour l’emploi. Vous m’avez dit mardi ici même, monsieur le Premier ministre, que nous n’avançons pas de propositions. Permettez-moi de vous les rappeler. Si vous n’aviez pas fait usage de l’article 49, alinéa 3, nous aurions défendu la sortie du carcan des 35 heures, comme vous le proposiez lors des primaires socialistes. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. Maurice Leroy. Très bien !

M. Jean-Pierre Vigier. Nous aurions également défendu une baisse massive des charges, comme vous le proposiez également lors des primaires socialistes, car elle est plus efficace et lisible que l’addition d’aides et de crédits d’impôts que vous avez fait voter. Nous aurions proposé la modulation des seuils sociaux, comme l’a fait un certain François Rebsamen ici même le 28 mai 2014 sans que cette réforme soit jamais adoptée. Nous aurions décidé d’une baisse de l’impôt sur les sociétés, qui était la proposition n2 de François Hollande lors de la campagne oubliée depuis, comme nous le demandons année après année, proposition que vous mettrez sans doute en œuvre en 2017.

M. Maurice Leroy. Comme par hasard !

M. Jean-Pierre Vigier. Nous aurions défendu l’instauration d’un contrat unique de travail comme vous le proposiez le 22 octobre 2014 dans un entretien dont le titre était « Il faut en finir avec la gauche passéiste ».

M. Jacques Myard. « Gauche passéiste », c’est un pléonasme !

M. Jean-Pierre Vigier. Il sonne aujourd’hui comme un formidable aveu de faiblesse ! Nous aurions proposé d’étendre les horaires des apprentis pour les calquer sur ceux des tuteurs, comme vous l’aviez initialement imaginé et écrit avant que l’éternel étudiant William Martinet vous contraigne à y renoncer. Nous aurions plafonné les indemnités prud’homales en cas de licenciement, mesure que vous jugiez vous-même indispensable et à laquelle vous avez renoncé pour tenter de rallier quelques voix qui ont bel et bien disparu. En cet instant, je mesure combien chacune de nos propositions doit sonner pour vous comme un constat d’échec !

Je vous l’ai dit au nom de mon groupe à l’issue de votre discours de politique générale, monsieur le Premier ministre : vous ne disposez pas des moyens politiques nécessaires pour mener à bien votre mission au service de la France. Le groupe de l’Union des démocrates et indépendants a choisi de vous parler de la France parce que vous n’en parlez plus, vous qui en avez si bien parlé ici. Nous avons choisi de vous parler de la France qui se rappellera longtemps du quinquennat de François Hollande comme d’un interminable congrès du parti socialiste. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et du groupe Les Républicains.)

M. Maurice Leroy. Très bien !

M. Jean-Pierre Vigier. Notre groupe a choisi de vous parler de la France parce qu’elle a un potentiel immense, parce que nous avons confiance en elle, parce que nous ne croyons pas à son déclin et parce que vous n’avez plus que votre impuissance et vos renoncements à lui offrir. François Hollande vous a entraîné dans sa chute. Votre majorité vous a entraîné dans sa chute. Nous ne nous résignons pas, nous, à ce que vous entraîniez maintenant la France dans votre chute ! Aussi, monsieur le Premier ministre, le groupe de l’Union des démocrates et indépendants votera la motion de censure. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants et du groupe Les Républicains.)

M. Alain Fauré. Ça, c’est de la chute !

M. le président. La parole est à M. Alain Tourret, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

M. Patrice Verchère. Progressiste, on verra…

M. le président. S’il vous plaît, monsieur Verchère. Je vous ai déjà dit de faire attention à vos cordes vocales ! (Sourires.)

M. Alain Tourret. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les ministres, chers collègues, la situation de l’emploi en France n’est guère brillante. (« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.) La France compte plus de 10 % de chômeurs et plus de 25 % de ses jeunes âgés de 15 à 25 ans sont au chômage. Depuis le début du quinquennat du président Hollande en 2012, le nombre de chômeurs a augmenté de plus de 700 000, ce qui est inédit.

M. Maurice Leroy. C’est normal, ça va mieux !

M. Alain Tourret. Plus précisément, depuis cinq années, jamais le nombre de chômeurs n’a baissé deux mois de suite et plus de 360 000 salariés ont recours chaque année aux ruptures conventionnelles. Ce chômage de masse concerne des populations qui ont, à 80 %, un niveau de formation inférieur ou égal au baccalauréat.

M. Maurice Leroy. Ça va mieux !

M. Alain Tourret. Notre société est bloquée, prise de sinistrose. Comme vous l’avez souligné, madame la ministre du travail, pour un nombre croissant de jeunes, l’horizon du CDI tourne au mirage. En vingt ans, l’âge moyen d’accès au CDI est passé de 22 à 27 ans. 700 000 emplois ont été détruits dans le secteur privé alors même que 70 000 emplois supplémentaires, sans compter les contrats aidés, ont été créés dans la fonction publique, notamment dans l’enseignement.

M. Maurice Leroy. C’est implacable !

M. Alain Tourret. D’un côté, une précarisation toujours plus forte, ressentie comme une agression car elle remet en cause un équilibre de vie ; de l’autre, une stabilité et une sécurisation indéniables alors même que salariés du public et salariés du privé effectuent très souvent le même travail. Le dialogue social est au point mort. Moins de 8 % des Français sont syndiqués et la formation traite plus l’employabilité et la mutabilité internes de ceux qui ont un emploi que la situation désespérante de ceux qui n’en ont pas ou n’en trouvent pas.

M. Maurice Leroy. C’est un membre de la majorité qui le dit…

M. Alain Tourret. Or, c’est par le dialogue social et la négociation collective que les verrous d’une société bloquée sauteront. Pour autant, faut-il sauvagement déréglementer en conservant uniquement le contrat individuel au détriment de la norme collective ? L’échec massif des syndicats, qu’ils soient réformistes ou révolutionnaires,…

Mme Laure de La Raudière. Et toujours conservateurs !

M. Alain Tourret. …ne doit pas masquer d’un rideau de fumée ce qui se passe dans l’entreprise. Une entreprise, c’est une collectivité comportant du personnel, des entrepreneurs et des organisations syndicales qui signent, la CGT en particulier, près de 80 % des accords et participent ainsi au dialogue social par le bien-être collectif. Mais c’est bien l’entrepreneur qui prend des risques, crée de l’emploi et participe à la richesse nationale, au pouvoir d’achat et à la relance de la consommation !

M. Claude Goasguen. C’est vrai !

M. Alain Tourret. L’entrepreneur ne peut rien faire seul, faute de quoi notre société ne serait constituée que d’auto-entrepreneurs. Cet entrepreneur est aussi bien l’artisan employant deux salariés que le responsable d’un groupe international comptant plusieurs centaines de milliers de salariés. L’employeur, c’est bien sûr, même en période de mondialisation, le responsable d’une TPE, ces petites entreprises qui fourmillent dont certaines comptent moins de onze personnes et d’autres moins de cinquante. Les TPE sont la richesse de la France !

M. Yves Fromion. Ils ne l’ont pas compris !

M. Maurice Leroy. Il va falloir le répéter !

M. Alain Tourret. Il faut donc résoudre un casse-tête politique : favoriser la création d’emplois dans les TPE et empêcher le licenciement de milliers de personnes dans les grands groupes si avides de délocalisations. Créer de l’emploi, tel était le but du projet de loi instituant de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs. Après la loi Macron, l’ambition du Gouvernement était énorme : déverrouiller, oxygéner, libérer, créer. Or, depuis 1945, la vie de l’entreprise est codifiée par un droit du travail formé d’un amoncellement sans fin de normes et d’interdictions en vertu duquel les dommages et intérêts sont punitifs et non facteurs d’indemnisation.

M. Paul Giacobbi. Très bien !

M. Alain Tourret. L’ambition du Gouvernement était immense et je vous en sais gré, monsieur le Premier ministre. Elle pouvait s’appuyer sur des précédents qui furent autant de réussites en Allemagne ou en Italie. Mais la société française, la classe politique et la classe syndicale sont profondément pénétrées du concept de lutte des classes et d’une certitude inavouée que seul l’État peut répartir. On a souvent cité Lacordaire, qui fit un tabac au dix-neuvième siècle en prétendant que « c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit ».

M. Julien Aubert. Vous, citer un curé ?

M. Alain Tourret. C’est une belle phrase, sans aucun doute, doublée d’une ignorance économique complète et caractérisée par le simplisme de la réflexion. Les mois d’efforts de Mme la ministre, de M. le rapporteur et des commissions saisies ont débouché sur un compromis qui ne laissera pas une grande trace dans la légistique sociale. Les erreurs, il est vrai, se sont accumulées, et d’abord une vérité peu contestable : il fallait présenter cette loi en 2012.

Plusieurs députés du groupe Les Républicains. Eh oui !

M. Alain Tourret. Elle aurait pu participer au redémarrage de l’économie française et en tout cas persuader les entrepreneurs, qui décident d’employer ou de ne pas employer, que la France ne veut pas les matraquer fiscalement mais qu’elle est avec eux et les soutient ! Aujourd’hui, il est sans doute trop tard et c’est bien dommage. L’erreur d’aiguillage est flagrante car cette loi apparaît non comme favorisant l’embauche mais comme fragilisant l’emploi. De la flexisécurité qui s’en voulait l’inspiration, les Français n’ont retenu que la flexibilité et partant la fragilité.

C’est pourquoi près de 80 % d’entre eux restent à convaincre que cette loi favorisera et l’économie et l’emploi. La négociation avec les partenaires syndicaux s’est révélée calamiteuse. Si les syndicats réformistes se sont laissé convaincre, c’est au prix d’un détricotage de la loi initiale en raison duquel les associations d’employeurs n’en veulent plus, au contraire de la loi Macron. Mais le pire était à venir : les attaques conjuguées de la droite, prise dans un délire libéral, oublieuse du gaullisme social. (Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Yves Fromion. Mais non ! C’est du réalisme !

M. Alain Tourret. Pourquoi avez-vous oublié le général de Gaulle ? Pourquoi avez-vous oublié Philippe Séguin ? La primaire présidentielle de la droite est passée par là ! Chacun de vos candidats, et ils sont désormais près de quinze chez vous, prévoit désormais de supprimer tous les impôts, licencier les fonctionnaires par centaines de milliers et diriger la France en supprimant et la règle et la loi ! (Mêmes mouvements.)

M. Patrick Ollier. Stupide !

M. Alain Tourret. La droite, pâlement imitée par le centre, a donc décidé de s’opposer à cette loi et à toutes les règles de progrès qu’elle comporte sans même les avoir lues ! L’esprit politicien l’a désormais emporté sur l’esprit politique !

M. Yves Fromion. Il va se coucher !

M. Alain Tourret. La France n’a finalement que la droite qu’elle mérite et M. Guaino, authentique gaulliste, n’a plus que ses yeux pour pleurer face à un champ de ruines où l’anarchie tente en vain de supplanter la règle ! Cette loi libérale a trouvé de surprenants alliés. Passons sur les communistes, toujours persuadés des vertus des nationalisations du programme commun d’économie administrée. À leurs côtés, près de quarante députés socialistes s’y opposent avec une volonté farouche dont près de trente-cinq étaient prêts à signer une motion de censure contre le Gouvernement. Le goût du mortifère l’emporte sur tout !

M. Yves Censi. Rangez la guillotine !

M. Alain Tourret. À l’évidence, deux gauches irréconciliables viennent de naître sous nos yeux, dans la tradition de l’opposition entre Ferry et Clemenceau, monsieur le Premier ministre, et de celle qui coupa en deux le SPD au temps d’Helmut Schmidt et d’Oskar Lafontaine. Le Président de la République et vous-même auriez dû en prendre acte beaucoup plus tôt afin de reconstituer une majorité d’idées ! Ce que veulent les Français, ce n’est pas de l’idéologie libérale ou nationale, c’est un surcroît de pouvoir d’achat ! Notre groupe ne suivra pas les frondeurs.

M. Yves Fromion. Et on se couche !

M. Yves Censi. Il va à Canossa !

M. Alain Tourret. C’est que la fronde, depuis Condé, a toujours rassemblé des féodaux opposés au pouvoir royal qui assura toujours, comme la République, la grandeur de la France !

M. Hervé Gaymard. Vive le roi !

M. Alain Tourret. Pourquoi ne pas voter la motion de censure ? (« Ah ! »sur les bancs du groupe Les Républicains.) Tout d’abord, nous ne souhaitons pas qu’une crise institutionnelle induite par la démission du Gouvernement vienne s’ajouter à la crise économique, européenne et mondiale alors même que la France doit être unie pour lutter de toutes ses forces contre le terrorisme. Ensuite, en rejetant la motion de censure, nous adoptons les aspects positifs du texte dont personne ne parle, les dispositions positives d’une loi qui en compte beaucoup et qu’il faut rappeler. Le texte proposé par le Gouvernement est très différent de celui proposé en conseil des ministres en février dernier. Près de 500 amendements ont été adoptés, ce qui témoigne d’une nouvelle culture associant le législatif à l’exécutif. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Yves Fromion. Plutôt couché que mort !

M. le président. Retrouvons le calme indispensable à cet hémicycle, mes chers collègues.

M. Alain Tourret. La première mouture était soutenue par les associations d’employeurs et par une partie de l’opposition. Il est bien malheureux que tout cela relève désormais du passé ! Il suffisait pourtant de peu de chose, en particulier ôter, comme cela a été fait et comme nous le demandions, l’inscription dans le texte des soixante-et-un principes essentiels rédigés par Robert Badinter. Il était en effet insupportable de voir inscrit dans la loi que la liberté du salarié de manifester ses convictions, y compris religieuses, ne pouvait être restreinte que par l’exercice d’autres droits et libertés et par les impératifs du bon fonctionnement de l’entreprise, ce qui à l’évidence favorisait l’intrusion du communautarisme dans l’entreprise, et ça, jamais !

Plusieurs députés du groupe Les Républicains. Très bien !

M. Alain Tourret. Le texte a également été bonifié par l’adoption de l’un de nos amendements, soutenu par Dominique Orliac, à laquelle je rends hommage, relatif à la protection de la femme enceinte de retour dans l’entreprise. Il a aussi été enrichi par l’adoption de mesures favorables aux petites entreprises, qu’on le veuille ou non !

M. Philippe Briand. Il ne ressemble plus à rien !

M. Alain Tourret. Ainsi, une entreprise employant moins de onze salariés pourra se séparer d’un ou plusieurs salariés si elle est confrontée à une baisse de commandes ou de chiffre d’affaires pendant au moins un trimestre. Le seuil est porté à deux trimestres pour les entreprises comptant entre onze et cinquante salariés, à trois trimestres pour les entreprises en comptant entre cinquante et 300 et à quatre trimestres au-delà. Il est par ailleurs prévu que des critères alternatifs puissent être invoqués par l’employeur, comme l’a reconnu la chambre sociale de la Cour de cassation, tels que les pertes d’exploitation, la dégradation de la trésorerie ou celle de l’excédent brut d’exploitation. Le Gouvernement aurait pu s’y opposer, tant les risques de sanction du Conseil constitutionnel sont grands en raison de la rupture du principe d’égalité. Il a cependant décidé, à raison, d’inscrire dans le texte ce principe très favorable aux TPE.

De même a-t-il créé de nouveaux droits en termes de congés, de compte personnel d’activité. Il n’a pas accepté notre proposition d’exonérer les TPE du compte pénibilité, mais j’espère que nous parviendrons dans la navette à la lui faire accepter. Bien mieux, alors que nous lui demandions de rendre possible le recours au système assurantiel pour la prise en charge des conséquences indemnitaires des licenciements, le Gouvernement a prévu des dispositions fiscales permettant l’anticipation du coût même des licenciements.

L’une des mesures les plus importantes de ce texte concerne l’adaptation du droit du travail à l’ère du numérique. Le droit à la déconnexion permet enfin d’assurer le respect de la vie personnelle et familiale des salariés. Le stress au travail est tel que cette mesure est proprement révolutionnaire ! (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Dominique Tian. Ça alors !

M. Alain Tourret. La crispation de certains sur l’inversion de la hiérarchie des normes est incompréhensible. Croire que l’accord d’entreprise est systématiquement pris pour contourner l’accord de branche est inepte et montre en tout cas une volonté de rejeter la discussion au sein de l’entreprise. L’entreprise est d’abord un lieu de discussion, non d’affrontement.

M. Philippe Briand. Ridicule !

M. Alain Tourret. On aurait pu aller plus loin en élargissant le référendum au sein de l’entreprise.

M. Philippe Briand. Il ne sait pas ce qu’est l’entreprise…

M. Alain Tourret. Enfin, le Gouvernement a fait preuve de sagesse en renonçant à taxer les CDD, une mesure qui aurait nui à l’emploi. Le texte qui nous est proposé est long, sans doute beaucoup trop long, au moment où il faut simplifier le droit du travail.

M. Yves Fromion. Eh oui ! Il ne faut pas le voter !

M. le président. Monsieur Fromion, un peu de calme je vous prie !

M. Yves Fromion. Nous écoutons des contre-vérités insupportables, monsieur le président !

M. Alain Tourret. Ce texte prévoit des mesures positives pour l’emploi et les salariés. Certains, nombreux au sein de notre groupe, auraient préféré aller plus loin dans la protection des salariés ; d’autres auraient préféré renforcer la souplesse.

M. Dominique Tian. Votez la motion de censure !

M. Alain Tourret. Nous sommes donc arrivés à une forme d’équilibre. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Briand. Ça ne ressemble à rien !

M. Alain Tourret. Nous refusons de voter une motion de censure destructrice, et de mêler notre voix au tintamarre de cet après-midi. Ce que nous voulons, c’est rassembler la France ! (Bruit prolongé sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. Chers collègues, je vous prie d’écouter l’orateur.

M. Philippe Briand. Ce discours a été écrit il y a quinze jours, il n’est plus d’actualité !

M. Alain Tourret. D’évidence, l’utilisation de l’article 49, alinéa 3 n’est pas une preuve de la bonne santé du Gouvernement. Nous aurions aimé un gouvernement de combat ; nous aurions aimé ne pas perdre notre temps et nos convictions sur la déchéance de la nationalité – fiasco constitutionnel s’il en est. Nous souhaitons que le Gouvernement, dans l’année à venir, se préoccupe des Français, qu’il s’inscrive dans la volonté de renforcer les services publics, qu’il se préoccupe de la protection et de la sécurité des personnes.

M. Philippe Briand. Arrêtez de souffrir, concluez !

M. Alain Tourret. Dans cette période troublée, que certains veulent utiliser à des fins politiciennes, nous voulons plus de solidarité et, surtout, plus de laïcité ! (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Nous voulons que, dans cette dernière année du quinquennat, le Gouvernement propose au Parlement des textes qui rassemblent et renforcent l’unité de la France.

M. Patrice Verchère. Et qu’il propose plus de maroquins ministériels !

M. Alain Tourret. Notre pays doit retrouver un rôle essentiel en Europe, au moment où la Grande-Bretagne s’engage dans le Brexit, ce dont personne ne parle. Alors que de nouvelles et grandes migrations menacent la France et l’Europe, nos combats franco-français relèvent du royaume de Picrochole et ne sont pas à la hauteur des enjeux internationaux.

Il faut rappeler avec force que l’État doit affirmer son rôle de protecteur, qu’il doit assurer la protection des Français contre le terrorisme ! Telles sont nos exigences, monsieur le Premier ministre !

M. Dominique Tian. Il faut changer de gouvernement !

M. Yves Censi. Cessez donc, arrêtez la torture !

M. Alain Tourret. Loin du fracas actuel, la France a besoin de retrouver la sérénité, le sens de l’État.

M. Dominique Tian. Eh oui, il faut changer de Premier ministre !

M. Alain Tourret. Nous ne voterons donc pas la motion de censure qui nous est proposée ! (Applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. Christophe Cavard, pour le groupe écologiste.

M. Christophe Cavard. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, vous avez engagé la responsabilité du Gouvernement en déclenchant avant-hier le 49.3 sur la loi Travail. Il n’y aura donc pas de débat parlementaire en première lecture. Ce n’est pas une bonne nouvelle.

Après des semaines de travail sur ce projet de loi, de très nombreuses auditions en amont et dans le cadre de la commission des affaires sociales, des heures de discussions entre les députés de tous bords les plus impliqués, et alors que ce texte avait déjà beaucoup évolué, nous nous préparions à poursuivre le travail dans l’hémicycle. Compte tenu des fortes inquiétudes soulevées par ce projet de loi qui traite entre autres de dialogue social et de négociation collective, il était nécessaire d’apporter des modifications ou des précisions sur certains points. Nous sommes désormais privés de cette possibilité.

Nous sommes victimes, c’est regrettable, d’injonctions contradictoires : pour la droite, ce texte est trop protecteur pour les salariés ; pour la gauche radicale, il serait trop favorable aux « patrons ». Pour ma part, je m’inscrivais dans une démarche volontaire, constructive, la plus mesurée et équilibrée possible, afin de faire en sorte que ce texte apporte de nouveaux droits et de nouvelles protections aux uns et aux autres. Car s’il existe bien une relation de subordination entre employés et employeurs, il en existe aussi une, et non des moindres, entre PME et donneurs d’ordre, sans compter la finance mondiale.

Nous avons participé à la redéfinition du licenciement économique. Nous voulions mieux encadrer la méthode et les règles d’élaboration ou de conclusion des accords d’entreprise pour impulser et sécuriser une nouvelle culture du dialogue social, pour des négociations loyales et équilibrées.

Nous voulions réaffirmer le rôle des branches professionnelles pour contrer le dumping social ou la concurrence déloyale dans un même secteur d’activité. Nous nous félicitions de la création du compte personnel d’activité et de son ouverture aux fonctionnaires, aux demandeurs d’emploi, aux professions libérales, aux agents des chambres consulaires et aux retraités.

L’augmentation des heures prévues pour la formation des salariés en reconversion ou des personnes en recherche d’emploi est un enjeu majeur pour lutter contre le chômage et pour favoriser la transition énergétique et écologique. À l’heure du numérique et des mutations économiques qui lui sont liées, il faut de nouvelles protections pour les salariés, tel que le droit à la déconnexion et l’encadrement du télétravail.

Oui, les écologistes sont favorables au dialogue social, à la démocratie sociale, et à la négociation au plus près des spécificités de la production et de l’organisation du travail, au plus près des acteurs concernés. Les écologistes souhaitent favoriser et renforcer la participation des salariés dans les entreprises. C’est pour cela qu’ils sont porteurs du modèle de l’économie sociale, où un homme – une femme – égale une voix.

Force est de constater que certains députés ne voulaient pas ouvrir ce débat-là et ont préféré se réfugier dans une opposition de principe, refusant même le compromis. Des centaines d’amendements de suppression ont été déposés, bloquant la discussion de fond sur des points essentiels du texte.

De son côté, le Gouvernement a commis des erreurs dès la rédaction, en omettant de discuter et de négocier avec les partenaires sociaux, en laissant fuiter un texte portant à confusion, en le retirant – pour le remettre en débat une fois modifié. Mais le coup était parti et la vague de protestation populaire, aux motifs parfois sans rapport avec le texte lui-même, a pu influencer une partie de la représentation nationale. Celle-ci y a vu une opportunité de déstabiliser le Gouvernement, à un an de l’élection présidentielle. Malgré la forte implication du rapporteur, Christophe Sirugue, pour trouver un nouvel équilibre, c’était trop tard : l’opinion « de tous contre tous » avait pesé sur les députés, à un an des élections législatives.

Quant à la dictature des sondages, ils se contredisent tellement que la pression qu’ils exercent n’est pas rationnelle. On nous dit que 70 % des Français seraient contre cette loi, alors même que 66 % d’entre eux se disent favorables à la proposition d’Alain Juppé de négocier la durée légale de travail entre 35 heures et 39 heures au niveau de l’entreprise !

M. Yves Censi. Cela prouve que ce n’est pas le bon gouvernement !

M. Christophe Cavard. Les échanges dans l’hémicycle en ce début de semaine sont très vite devenus caricaturaux – un vrai cirque ! Les responsabilités sont partagées.

M. Philippe Briand. Vous vous y connaissez en matière de caricature !

M. Christophe Cavard. Pourtant dehors, au-delà de la loi Travail, à « Nuit debout », d’autres chantiers s’ouvraient déjà, avec la création de commissions « démocratie » ou « écologie ». Les débats fondamentaux sont ailleurs et ce mouvement offre l’opportunité de réfléchir aux dysfonctionnements de notre république.

En effet, notre démocratie est malade. Nos institutions, essoufflées, doivent impérativement évoluer.

M. Yves Nicolin. Pas les institutions, le Gouvernement !

M. Christophe Cavard. Nous devons ouvrir le chantier de la VIe République.

Trop de Français sont désormais dans « l’élu bashing », sans apporter pour autant de solutions démocratiques satisfaisantes. L’invective remplace le débat, les menaces se substituent aux échanges d’arguments, les réseaux sociaux amplifient la haine et la violence. Certains usent de leur clavier comme d’un défouloir, où les diverses frustrations se mêlent et se confondent. Nous arrivons à une situation de blocage.

Ces phénomènes peuvent inquiéter, au moment où l’extrême droite choisit une stratégie de communication absurde et récupératrice, soi-disant fondée sur l’apaisement, alors même que son fonds de commerce consiste à alimenter et à manipuler les colères. Que se passe-t-il en Pologne, en Autriche et ailleurs ? Voyons-nous bien où l’expression de nos espoirs déçus va nous conduire ?

Oui ! Il faut renouveler la démocratie, sociale, institutionnelle, économique.

M. Yves Fromion. L’avez-vous fait ?

M. Christophe Cavard. Il faut renforcer le parlementarisme, contraindre la finance mondiale, inventer des outils de démocratie directe, poursuivre la décentralisation, intégrer la participation citoyenne dans les politiques publiques, soutenir le développement de l’économie sociale et solidaire.

M. Yves Fromion. C’est tout ?

M. Christophe Cavard. Mais attention ! Si vouloir plus de démocratie, c’est aussi vouloir une représentation à la proportionnelle intégrale, celle-ci demande une vraie culture de compromis, une culture de la négociation, une capacité et des outils pour négocier. Sinon, elle mènera au chaos.

Ces débats ont été ouverts avec la loi Travail. Nous ne les menons pas à leur terme, et la faute en incombe à la fois aux tenants de l’avant-garde éclairée, aux jacobins, aux ultra-libéraux, à un exécutif national qui semble déstabilisé et se déchire. Nous voilà donc rendus au point de la caricature, comme l’ont montré les deux premières interventions.

M. Yves Censi. La caricature, c’est vous !

M. Christophe Cavard. Il faut dire que, pour une fois, au-delà du traditionnel jeu de l’obstruction par amendements – dont le dépôt précipité le dernier jour a fait exploser le système informatique ! –, au-delà de ce petit jeu de l’opposition qui cherche la confrontation plutôt que l’échange, une partie de la majorité elle-même a fini par trouver pratique de ne pas se prononcer sur un texte à l’égard duquel elle subit une pression médiatique, physique et morale.

Combien avons-nous reçu de mails depuis le début de la semaine ? Plusieurs centaines ! Si certains sont remplis d’insultes et de menaces, plus nombreux encore sont ceux qui comportent inexactitudes et fausses informations. Nos institutions sont plongées dans l’absurde !

M. Yves Fromion. Heureusement qu’elles sont là !

M. Christophe Cavard. L’Assemblée travaille, fait évoluer le texte, cherche un compromis cohérent, écarte les dispositions intenables – celles-là même qui ont déclenché les premières oppositions. À l’extérieur, une opposition se mobilise non plus contre le texte, mais contre ce qu’elle perçoit d’un système à bout de souffle, contre des institutions usées, qui lentement mais sûrement nous amènent à l’impasse, bien loin du dialogue et du compromis démocratique.

M. Guy Geoffroy. Il faut commencer par se débarrasser de la gauche !

M. Christophe Cavard. Pourtant, pas un jour ne passe sans que de nouvelles solutions existent pour vivre mieux, pour construire une société hors de la violence économique ou politique. Voyez le succès d’un film comme Demain qui, cinq mois après sa sortie, a réuni plus d’un million de spectateurs, et tourne encore dans 300 salles !

Oui, notre rôle de parlementaires est d’écouter, de chercher le compromis, de modifier et de faire évoluer les textes. Il ne s’agit pas simplement de dénoncer ce qui nous paraît déséquilibré, il nous faut aussi proposer et convaincre !

M. Marc Le Fur. Venez-en à la conclusion, plus personne ne vous écoute !

M. Christophe Cavard. Notre rôle n’est pas non plus de faire tomber un gouvernement sans autre alternative que la surenchère libérale, dans laquelle la droite s’est lancée dans sa primaire, ou l’extrême-droite, qui se frotte les mains devant ce spectacle.

M. Franck Marlin. La faute à qui ?

M. Christophe Cavard. Pour autant, cela vaut-il blanc-seing, acceptation de tout ? Non, certainement pas. Depuis 2012, j’ai estimé que certains choix du Gouvernement ne pouvaient être soutenus et j’ai parfois voté contre. Mais j’affirme aussi que cette majorité, avec laquelle il m’arrive d’être en désaccord, propose des textes utiles, en accord avec nos valeurs.

M. Guy Geoffroy. Bientôt les législatives !

M. Christophe Cavard. Je pense aux lois sur l’économie sociale et solidaire, la santé, la formation professionnelle, la biodiversité, la transition énergétique, le mariage pour tous et bien d’autres encore, à l’image du texte à venir sur l’égalité et la citoyenneté.

M. Yves Fromion. Des lois qui créent des emplois…

M. Christophe Cavard. J’assume surtout ne pas avoir été mandaté en 2012 pour faire élire la droite ou l’extrême-droite, ni même l’extrême-gauche ! C’est tellement plus facile d’en appeler à la révolution plutôt que de s’atteler à créer des solutions dans le dialogue ! C’est tellement plus difficile d’inventer une nouvelle voie, plutôt que de se replier sur des idéologies qui ont fait maintes fois la preuve de leur faillite. Le capitalisme n’a jamais été autre chose que la domination des égoïsmes. Le nationalisme n’a jamais été autre chose que le refus de l’intelligence et l’exacerbation de la peur.

Personne ne m’enfermera dans ces choix du passé. Je continuerai à chercher inlassablement les conditions d’une autre voie, sans violence, sans terreur, pour réformer et avancer chaque fois que c’est possible vers une autre société, démocratique, écologiquement responsable, ouverte, celle de l’écologie politique.

M. Philippe Briand. C’est un accouchement sans péridurale !

M. Christophe Cavard. C’est pourquoi une très grande majorité des membres du groupe écologiste ne votera pas cette motion de censure. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Briand. Tout ça pour ça !

M. Christophe Cavard. Elle est une impasse. Le seul mérite de cette séquence aura été de nous rappeler que le véritable chantier est ailleurs, dans la réforme d’institutions déséquilibrées, usées, dépassées.

M. Yves Censi. C’est bon, tu l’as gagnée, ta circonscription !

M. Christophe Cavard. Voilà où il faut mettre notre énergie en priorité pour les années à venir. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Yves Fromion. Pitoyable !

M. le président. La parole est à M. André Chassaigne, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine. (« Ah enfin ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Briand. On n’est pas d’accord avec lui, mais au moins est-il un orateur !

M. Éric Ciotti. En marche, monsieur Chassaigne !

M. André Chassaigne. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les ministres, chers collègues, ainsi le Gouvernement ne veut pas débattre de l’un des textes phares de son quinquennat.

Malgré l’absence de majorité parlementaire et de soutien populaire, vous optez pour le passage en force, alors que la sagesse politique aurait dû vous conduire à retirer un texte rejeté de toute part.

M. Marc Dolez. Très bien !

M. André Chassaigne. Faute d’arguments, c’est à l’article 49, alinéa 3 que le Gouvernement s’en remet donc, dans un geste d’impuissance et de faiblesse qui symbolise bel et bien l’état de déliquescence dans lequel l’exécutif se trouve aujourd’hui. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Cet usage du 49.3 est un triple coup de force. Un coup de force contre le monde du travail et le droit du travail. Un coup de force, également, contre nos concitoyens qui, à 75 %, se prononcent contre le recours à l’article le plus rétrograde de notre Constitution.

M. Claude Goasguen et Plusieurs députés du groupe Union des démocrates et indépendants. Très bien !

M. André Chassaigne. Un coup de force, enfin, contre la représentation nationale qui s’apprêtait à voter majoritairement contre ce texte.

Il faut le dire, monsieur le Premier ministre, céder à la tentation de l’article 49.3 constitue un acte foncièrement antidémocratique,…

M. Jacques Myard. Parlez-en à Michel Rocard !

M. André Chassaigne. …qui affecte la dignité de la représentation nationale, dépossédée de sa fonction de législateur. Vous tentez, en effet, de bâillonner l’expression de la volonté générale, celle d’un peuple qui ne veut pas de votre texte. C’est donc le peuple souverain lui-même que vous espérez condamner au silence. C’est aussi la dignité de ce peuple que vous bafouez. ( « Très bien ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Monsieur le Premier ministre, votre politique est dénuée de ce qui devrait être le cœur de sa substance : le respect du peuple.

Aussi, pour reprendre Bertolt Brecht : …

M. Manuel Valls, Premier ministre. Ah !

M. André Chassaigne. …« Ne serait-il pas plus simple que le Gouvernement dissolve le peuple pour en élire un autre ? »

D’ailleurs, l’humiliation, le choc dans vos propres rangs, ont été tels, que nous avons été à deux doigts, à deux voix près, de pouvoir déposer une motion de censure réunissant des députés de toutes les formations de gauche de cet hémicycle. Cinquante-six signataires sur les cinquante-huit requis. « Le coup passa si près que le chapeau tomba ». Ce célèbre vers de Victor Hugo a dû résonner dans toutes les têtes, et en particulier dans la vôtre. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Briand. Chapeau blanc, blanc chapeau !

M. André Chassaigne. C’est une première victoire, une belle victoire, pour tous les opposants à ce texte qui en souhaitent le retrait. C’est aussi la victoire des 71 % des Français opposés à ce projet de loi. C’est aussi à eux, désormais, de continuer à exprimer leur opposition en vue d’obtenir le rejet définitif de ce texte inique. Souvenons-nous du contrat première embauche qui fût abrogé deux semaines après sa promulgation grâce à la mobilisation populaire.

Derrière le recours à cet artifice constitutionnel se cache aussi l’aveu d’un double échec.

L’échec d’un Gouvernement qui n’a pas réussi à convaincre les Français, les députés, et même sa propre majorité du bien-fondé de sa réforme.

Mais, au-delà de ce texte, c’est aussi la politique gouvernementale dans son ensemble qui est rejetée. Votre projet de loi vient ponctuer un quinquennat frappé du sceau du renoncement aux principes et valeurs de la gauche et de la trahison des engagements de la campagne présidentielle. Nous n’assistons pas à un tournant, mais à la conclusion d’un long processus émaillé de décisions qui ont placé le pouvoir sur la voie d’un irrémédiable dévoiement. Ce projet de loi le prouve : la politique économique et sociale du pouvoir actuel et sa conception du marché du travail sont bel et bien inspirées par les recettes libérales éculées des années 1980. Voilà pourquoi, monsieur le Premier ministre, vous êtes réduit à la loi du mensonge triomphant et de l’artifice politicien, pour ne pas dire de l’emberlificotage, afin de nous faire voir la lune en plein midi.

M. Philippe Gosselin. Très bien.

M. André Chassaigne. Ce dévoiement prend sa source dans la ratification du « pacte austéritaire » négocié par Mme Merkel et M. Sarkozy, acte fondateur de la présidence de François Hollande et péché originel de son mandat. Une fois inscrite sa politique dans le marbre de l’austérité financière, le « changement » promis n’était plus permis.

C’est dans ce cadre que l’exécutif a assené au peuple une série de mauvais coups incarnés par la doctrine néolibérale, par la loi dite de sécurisation de l’emploi, par le mal nommé « pacte de responsabilité », par les dizaines de milliards d’euros distribués généreusement au patronat via le CICE, …

Un député du groupe Les Républicains. Au patronat ? À La Poste, plutôt !

M. André Chassaigne. …ou encore par la fameuse « loi Macron ». Aucun de ces dispositifs « eurocompatibles », ou plutôt « eurotéléguidés », n’a permis que cela « aille mieux ».

Avec ce nouveau projet de loi, vous avez confirmé votre incapacité à entendre la voix du peuple et de sa représentation pour succomber aux sirènes du MEDEF et de Bruxelles, les deux timoniers de votre politique.

C’est ainsi que le vice-président de la Commission européenne, Valdis Dombrovskis, connu pour ses positions libérales,…

M. Franck Gilard. Ça fait peur, la liberté !

M. André Chassaigne. …s’est réjoui de ce projet. Et pour cause : il est la réponse de ce Gouvernement aux demandes incessantes de Bruxelles. Le manque de création d’emploi et la faible croissance seraient, selon les experts de l’exécutif européen, liés aux rigidités structurelles de l’économie de l’Hexagone, et notamment aux difficultés de licencier des salariés.

Ces prétendus experts ne sont que de piètres idéologues. Aucune étude empirique n’a jamais démontré que le niveau de la protection accordée aux salariés par le droit du travail avait un effet sur le niveau du chômage. Pourquoi alors mettre tant de soin et de zèle à satisfaire la Commission européenne ? Qui décide et au nom de quels intérêts ?

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement. Ils faisaient 30 %, ces gens-là ?

M. André Chassaigne. Je vous remercie d’écouter et de respecter ceux qui s’expriment, monsieur. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe Les Républicains.) Faites attention, on peut lire sur les lèvres ce que vous dites.

À Bruxelles comme à Paris, réformer c’est libéraliser. À Paris comme à Bruxelles – je dois me répéter, puisque les petites conversations n’ont pas cessé –,…

M. Pascal Terrasse. Adressez-vous plutôt à vos amis de la droite !

M. André Chassaigne. …réformer, c’est régresser. Pourtant nous connaissons tous les résultats auxquels ont abouti les politiques de Thatcher, Blair ou Schröder. Nous n’échapperons pas à la règle : déréglementation tous azimuts, concurrence sauvage et régression sociale sont synonymes de pauvreté et de précarité.

Rédigé conformément aux desiderata du MEDEF – qui n’a d’ailleurs pas caché sa satisfaction –, ce projet de loi marque une rupture historique avec la vocation première du code du travail : la protection des droits des salariés.

Notre code, fruit d’années de luttes et de conquêtes sociales, s’est d’abord construit pour préserver la santé des travailleurs et leur assurer des revenus décents. Aujourd’hui, vous souhaitez en faire un simple outil au service de la performance économique, au service de l’idée gadget de la « flexisécurité ». Précariser les salariés pour sécuriser le patronat, telle est la matrice de votre projet. Vous privez, ainsi, les salariés du dernier rempart qu’il leur reste contre la mondialisation, les marchés financiers et l’arbitraire patronal.

M. Yves Fromion. Vous y allez un peu fort…

M. André Chassaigne. La régression la plus emblématique de ce texte est, bien évidemment, l’inversion de la hiérarchie des normes en droit du travail. Malgré tous les efforts déployés par les défenseurs de ce projet pour convaincre du contraire, cette réforme enterre le principe de faveur, en faisant primer l’accord d’entreprise sur l’accord de branche. Plus grave encore, elle vide la loi de toute portée normative en sous-traitant la production de la norme sociale aux entreprises.

Nous connaissons déjà les conséquences dévastatrices de cette décentralisation de la négociation collective. C’est la porte ouverte au dumping social entre les entreprises et à la concurrence généralisée entre les travailleurs.

Cet émiettement du droit du travail, dans un contexte où le rapport de forces est défavorable aux salariés, les plongera dans un face-à-face dangereux avec leur employeur, en leur laissant comme seule option la négociation du niveau de précarité.

Est-ce le remord qui vous a conduit à vouloir introduire à la dernière minute un amendement du rapporteur qui visait à instaurer un contrôle a priori des accords d’entreprise par les branches ? Cet amendement, simple artifice, ne changeait rien au fond. Une fable : de loin, c’est quelque chose, mais de près ce n’est rien. Pour vaincre le risque de dumping social, il eut simplement fallu rétablir le principe de faveur.

De même, l’instauration du principe majoritaire est présentée sous un profil flatteur comme la garantie d’un dialogue social favorable aux salariés comme aux entreprises. Pourtant, dans le même temps il est vidé de toute portée en permettant à des organisations syndicales minoritaires de contourner les syndicats majoritaires par le biais des référendums d’entreprise. Sous prétexte de « démocratie directe », cette mesure consacre l’affaiblissement de la légitimité syndicale et tourne le dos à la représentation démocratique des salariés.

M. Jacques Myard. Vous avez donc peur de la consultation populaire ?

M. André Chassaigne. Les digues érigées par les luttes sociales sautent les unes après les autres au fil de la lecture de ce texte.

Ainsi en est-il de la facilitation des licenciements économiques et de la possibilité d’accords « offensifs » dont le seul objectif est de faire des travailleurs la variable d’ajustement des carnets de commandes des entreprises. Des mesures qui font la démonstration de l’objectif fondamental de ce texte : sécuriser les employeurs en écartant les deux gêneurs essentiels que sont le juge et le représentant du personnel.

Il faut enfin ajouter à cela la remise en cause de l’objectif fondamental de protection de la santé des travailleurs avec la mise au pas de la médecine du travail qui se voit retirer la plupart de ses prérogatives.

Nous posons la question : quelles sont alors les avancées sociales de ce texte pour les salariés ?

M. Yves Fromion. Eh oui….

M. André Chassaigne. Le compte personnel d’activité ? Bien éloigné d’une sécurisation de l’emploi, il se limitera, en fait, à un accompagnement social de la précarisation de l’emploi.

Quoi qu’il en soit, mes chers collègues : que valent deux petites pages d’avancées contre cent cinquante de régressions sociales ? (Protestations sur certains bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Les ultimes retouches apportées au texte n’y changeront rien, monsieur le rapporteur : la ligne fondamentale est la régression historique du droit des salariés.

Face à ce funeste projet de loi, nous aurions aimé porter ici des alternatives progressistes : la réduction du temps de travail, la mise en place d’une véritable Sécurité sociale professionnelle, la promotion de la démocratie dans l’entreprise, l’encadrement des rémunérations des dirigeants d’entreprises, la protection des salariés contre l’« ubérisation ».

Toutes ces propositions démontrent qu’un code du travail plus simple et plus protecteur est possible.

M. Dominique Baert. Ce n’est guère précis !

M. André Chassaigne. Lucides et vigilants, nos concitoyens ne s’y sont pas trompés lorsqu’ils ont été, très vite, plus d’un million – 1,3 million pour être précis – à signer la pétition contre votre projet de loi. Nombreux sont celles et ceux qui se mobilisent aujourd’hui encore, dans la rue, sur les places, aux côtés des syndicats, pour exiger le retrait de ce texte. Ils ont été blessés, autant que la représentation nationale, par le coup de force législatif du Gouvernement.

Le retrait de ce texte est désormais le seul objectif que nous nous fixons avec eux. Faute de quoi, votre loi deviendra une réalité pour l’ensemble du monde du travail, pour les millions de salariés qui vivront progressivement une transformation profonde de leurs conditions de travail. Elle deviendra aussi un sinistre horizon pour ces millions de jeunes qui demeurent sans emploi, sans formation ou qui vivent sous le seuil de pauvreté. Ultime trahison d’un pouvoir présidentiel qui avait placé son mandat sous le maître mot de la priorité donnée à la jeunesse : cette priorité à la jeunesse, au crépuscule de ce mandat, le projet de loi la condamne !

C’est pourquoi les députés Front de gauche vont aujourd’hui censurer le Gouvernement en conscience et en responsabilité. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants).

Mme Sylvie Tolmont. Avec la droite ultralibérale, bien sûr !

M. André Chassaigne. Ils vont se saisir l’unique moyen encore à leur disposition pour rejeter ce texte. Ils s’en saisissent pour simplement respecter les valeurs qu’ils portent et leurs engagements vis-à-vis de celles et ceux qui les ont élus en 2012.

Comme chacune le sait ici, notre censure du Gouvernement et du projet de loi Travail n’a évidemment rien à voir avec les motivations de la droite.

M. Daniel Vaillant. Ah bon ?

M. André Chassaigne. Comme chacun le sait, au-delà de l’habillage verbal, nos collègues de droite auraient souhaité l’adoption de ce texte. À tel point que, craignant son rejet, ils ont déserté leurs bancs au moment du vote de leur motion de rejet préalable et de renvoi en commission. Nous, nous étions au rendez-vous !

M. Yves Fromion. Pourquoi être si méchant ? (Sourires sur divers bancs.)

M. André Chassaigne. Ces incohérences et ces contradictions sont, aujourd’hui encore, mises à jour, puisque la majorité d’hier s’apprête à voter contre un texte qu’elle aurait rêvé d’écrire en son temps.

M. Philippe Briand. Mais non, nous aurions fait bien mieux !

M. André Chassaigne. Du reste, nous ne sommes pas dupes du programme destructeur qui est celui de la droite et qui enfoncerait encore un peu plus notre pays dans la crise. Mais c’est précisément parce qu’il faut mettre un terme à toutes ces hypocrisies politiciennes (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen) que nous assumons le fait de condamner la politique du Gouvernement. La censure, c’est notre outil pour rejeter ce projet de loi,…

M. Philippe Briand. Très bien !

M. Yves Fromion. Avec la faucille et le marteau ?

M. le président. Laissez l’orateur conclure, mes chers collègues !

M. André Chassaigne. …l’outil que nous saisissons pour mettre un terme au fourvoiement d’un Gouvernement dans les méandres du libéralisme économique prôné par la droite.

C’était l’objet de la motion de censure que nous aurions souhaité déposer avec quarante-six de nos collègues progressistes dans l’objectif de rejeter ce texte.

Mme Sylvie Tolmont. Avec Jean Lassalle également.

M. André Chassaigne. Avec eux, nous ne perdons pas de vue cet objectif que nous conjuguons avec l’exigence d’une politique de gauche à l’opposé de votre dérive libérale. La mobilisation de l’opposition progressiste et citoyenne peut avoir raison de votre déraison. Le temps est venu de vous en faire la démonstration. Un vent s’est levé et, soyons-en certains, il balaiera les porteurs d’un système en fin de vie, qu’ils soient sur ces bancs ou qu’ils soient sur ceux-ci. (« Mais non, pas nous ! » sur les bancs du groupe Les Républicains.) Il les balaiera, quel que soit le côté de la barricade que vous avez choisi. (Mêmes mouvements.) Car, en fait, vous avez choisi le même côté ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine ainsi que sur quelques bancs du groupe écologiste et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Le Roux, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen. - Huées sur certains bancs du groupe Les Républicains.)

M. Yves Fromion. C’est « Mission impossible » !

M. Philippe Briand. Il n’y a pas grand-monde de son groupe pour l’entendre !

M. le président. Laissez l’orateur s’exprimer, monsieur Briand !

M. Bruno Le Roux. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social – chère Myriam El Khomri –, mesdames et messieurs les ministres, mes chers collègues,…

M. Jean-Frédéric Poisson. Jusque là, ça va !

M. Bruno Le Roux. ...il y a, au moment où nous sommes, trois questions à se poser. Car j’estime normal ce devoir d’explication,…

M. Claude Goasguen. Il est bien tard !

M. Bruno Le Roux. …compte tenu de la stratégie d’opposition systématique qui a amené à l’usage de l’article 49, alinéa 3. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. le président. Du calme, mes chers collègues ! M. Le Roux vient à peine de commencer !

M. Yves Fromion. Il commence mal !

M. Bruno Le Roux. La première est simple : le texte qui nous est soumis est-il utile ? Est-il utile aux entreprises ? Est-il utile aux salariés ? Est-il utile pour l’emploi ? (Interruptions sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. le président. Écoutez l’orateur, s’il vous plaît !

M. Bruno Le Roux. La deuxième question est tout aussi simple : comment ce texte s’inscrit-il dans la politique globale du Gouvernement et en quoi peut-il renforcer la lutte contre le chômage ?

M. Patrice Verchère. On se le demande !

M. Bruno Le Roux. Enfin… (Nouvelles interruptions sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. le président. Vous n’allez tout de même pas faire cela à chaque phrase, mes chers collègues ! Tout le monde a compris que vous n’êtes pas d’accord avec l’orateur. Maintenant, laissez-le s’exprimer ! On verra bien au moment du vote…

M. Yves Fromion. Vous ne faites que l’encourager, monsieur le président !

M. le président. Monsieur Le Roux, vous seul avez la parole.

M. Patrice Verchère. Il n’a rien à dire !

M. le président. Monsieur Verchère ! Ça va !

M. Bruno Le Roux. Enfin, la troisième question s’impose d’elle-même, et elle vous intéressera, mes chers collègues : quelle pourrait être l’alternative à ce projet de loi ?

M. Sylvain Berrios. Pas vous, en tout cas !

M. Bruno Le Roux. Je vais prendre ces questions dans l’ordre et rapidement, beaucoup de choses ayant déjà été dites.

Est-ce un texte utile ? Est-ce un texte de progrès social ? Ma réponse est oui, deux fois oui, trois fois oui. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. Claude Goasguen. Ce n’est pas le sujet ! Le sujet, c’est le 49.3 !

M. Bruno Le Roux. L’économie générale de ce texte prend acte de ce que j’appellerai le nouvel âge du travail. En un siècle, la part consacrée au travail dans nos vies est passée de 40 à 12 %. Par ailleurs, 30 % des salariés travaillent en horaires décalés. Le monde du travail d’aujourd’hui est profondément différent de celui que nous avons connu. L’âge moyen du premier CDI se situe entre 26 et 28 ans.

Ce texte s’attaque à une réalité inacceptable : les contrats précaires concernent 50 % des 15-24 ans. C’est la jeunesse qui est la plus touchée. C’est inacceptable, et c’est un motif incontournable de notre volonté de réformer.

Un député du groupe Les Républicains. Vous ne faites rien du tout !

M. Bruno Le Roux. La jeunesse subit la précarité ; l’accès à l’emploi est toujours plus tardif, laborieux. L’essentiel des nouvelles embauches se concluent en CDD. La multi-activité se développe. Le monde du travail est en pleine mutation. Il se transforme de plus en plus rapidement. L’arrivée des nouvelles technologies, la révolution numérique, bousculent les cadres que nous connaissions jusqu’alors.

Pour autant, depuis plus de vingt ans, nous faisons tous comme si rien n’avait véritablement changé.

M. Patrick Hetzel. Vous, peut-être, mais certainement pas nous !

M. Bruno Le Roux. De facto, notre pays a fait le choix d’un chômage de masse, qui s’inscrit comme une singularité française.

Eh bien, le projet de loi sur le travail entend répondre aux troubles et aux difficultés que génère cette mutation du monde du travail.

M. Guy Geoffroy. On rêve !

M. Bruno Le Roux. Je veux en rappeler certains éléments importants, du moins pour nous. La loi pose les fondements de la sécurité sociale professionnelle.

M. Jean-Christophe Cambadélis. Très bien !

Un député du groupe Les Républicains. C’est du vent !

M. Bruno Le Roux. Face à la fragmentation des parcours professionnels, elle met en place le compte personnel d’activité. C’est une révolution en soi que d’attacher des droits à la personne et non pas seulement à son statut. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) Qui aujourd’hui et qui demain pourrait contester ce progrès social majeur ?

La loi offre aux jeunes en difficulté une garantie d’accompagnement grâce à la généralisation de la garantie jeune.

M. Jean-Christophe Cambadélis. Très bien !

M. Bruno Le Roux. Qui aujourd’hui et qui demain pourrait contester un tel dispositif et la nécessité de cet accompagnement ?

Mes chers collègues, le texte qui sera adopté à l’issue de cette procédure sera bel et bien le texte que nous avons, nous parlementaires, remodelé et considérablement enrichi. Je voudrais à ce titre saluer et remercier chaleureusement notre rapporteur, notre collègue Christophe Sirugue (Vifs applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et du groupe écologiste), pour la qualité de son travail, pour sa ténacité et son souci constant – c’était important – de rapprocher toujours les points de vue dans le sens du progrès social. (Murmures sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. Philippe Briand. Surtout entre les membres de votre propre groupe !

M. Bruno Le Roux. En définitive, cela donne un texte équilibré, nourri de plus de huit cents amendements – huit cents amendements, mes chers collègues ! Le travail n’a pas été vain, si je puis dire.

Plus de trois cents amendements ont été intégrés lors de l’examen du texte en commission.

M. Claude Goasguen. Ils n’ont pas été débattus !

M. Bruno Le Roux. Plus de trois cents amendements du rapporteur ont été ajoutés au texte issu de la commission. Le Gouvernement lui-même en a intégré près d’une cinquantaine.

M. Philippe Briand. Eh bien, il n’est pas fameux, le texte !

M. le président. Monsieur Briand ! Ça va !

M. Bruno Le Roux. Des amendements du groupe socialiste, des amendements du groupe RRDP, des amendements du groupe GDR, des amendements du groupe écologiste et même des amendements du groupe Les Républicains…

M. Gérard Cherpion. Trois !

M. Bruno Le Roux. …sont venus enrichir ce projet de loi. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. Yves Fromion. Ils n’ont même pas été appelés !

M. Bruno Le Roux. En définitive, le dispositif permet notamment aux très petites entreprises de bénéficier de seuils spécifiques en matière de définition de licenciement économique.

M. Guy Geoffroy. C’est surréaliste !

M. Bruno Le Roux. Il permet notamment de multiplier par deux le crédit du compte personnel de formation pour les personnes sans qualification.

Il permet notamment – et ce n’est pas rien – d’apprécier le motif économique du licenciement non pas au niveau national mais au niveau mondial.

Il permet notamment de requalifier en licenciement économique le départ d’un salarié qui ne souscrirait pas aux accords offensifs conclus dans son entreprise, le faisant ainsi bénéficier des droits attachés à ce licenciement.

Il permet notamment – et j’en oublie certainement – de mieux contrôler le recours aux travailleurs détachés, de mieux protéger les travailleurs saisonniers, de mieux lutter contre le sexisme au travail et de mieux lutter contre les discriminations dont les femmes font l’objet. Ce n’est pas rien que d’avoir permis ces évolutions dans ce texte, et nous en sommes fiers. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

J’en viens donc à ma deuxième question : comment ce texte s’inscrit-il dans la politique générale du Gouvernement ?

Un député du groupe Les Républicains. Nul ne le sait !

M. Bruno Le Roux. Depuis quatre ans, nous n’avons de cesse de développer le dialogue social dans notre pays. (Rires sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

M. Claude Goasguen. C’est un franc succès !

M. Bruno Le Roux. Depuis quatre ans, nous n’avons de cesse de replacer les partenaires sociaux au cœur de la vie économique et sociale de notre pays.

M. Dominique Baert. Eh oui !

M. Bruno Le Roux. Nous, nous ne sommes pas pour la disparition des corps intermédiaires. Nous, nous ne sommes pas pour la marginalisation des corps intermédiaires. Nous, nous ne sommes pas pour la stigmatisation des corps intermédiaires telle que l’a pratiquée pendant dix ans l’ancienne majorité.

M. Claude Goasguen. C’est vous qui les stigmatisez !

M. Bruno Le Roux. Et je le dis – je veux être clair sur ce point – même si certains agissements, le recours à la violence et au saccage, notamment contre des permanences de parlementaires, n’appartiennent aucunement à la tradition syndicale et déshonorent ceux qui s’y livrent. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur quelques bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.) De la même façon, je dénonce les attaques qui ont eu lieu dans les manifestations aujourd’hui contre les services d’ordre de Force ouvrière et de la CGT. Cela n’appartient pas à la tradition démocratique et au droit de manifester qui existent dans notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur quelques bancs du groupe Les Républicains.)

Depuis quatre ans, les grandes réformes sociales que nous avons conduites l’ont été après concertation avec les partenaires sociaux : la loi de sécurisation de l’emploi, la loi sur la formation professionnelle, la loi sur le dialogue social, la loi sur l’avenir et la justice des systèmes de retraites.

M. Alain Marty. Ça marche bien, tout ça !

M. Bruno Le Roux. Notre pays n’est pas de tradition libérale. Il ne faut pas s’y tromper. Il n’est pas non plus de tradition social-démocrate, même s’il y aspire.

M. Philippe Briand. Il serait temps que vous y songiez !

M. Bruno Le Roux. Il n’en a ni la culture, ni les structures. C’est précisément sur cette culture sociale-démocrate et sur les cadres de la démocratie sociale et du compromis social que nous agissons depuis le début du quinquennat pour sortir de cette culture de l’affrontement et de la défiance généralisée, sans naïveté bien sûr, et sans nier et les rapports de force et les intérêts parfois divergents ; pour faire de l’entreprise un lieu où le dialogue, le compromis, l’accord majoritaire permettent le développement de l’outil de travail et la création d’emplois.

Notre pays, je le pense sincèrement, sera plus productif, plus inventif, plus confiant et entreprenant si le dialogue s’instaure à tous les niveaux, notamment au cœur de l’entreprise. C’est une révolution culturelle qu’il s’agit de conduire et pour le patronat, qui trop souvent régresse de ce point de vue-là, et pour les syndicats de salariés, qui ont une opportunité formidable à saisir.

Avec ce projet de loi, nous insufflons du dialogue et de la négociation sociale dans toutes les entreprises.

M. Claude Goasguen. Vous rêvez !

M. Bruno Le Roux. Avec ce projet de loi, nous donnons une place aux syndicats là où ils n’en avaient aucune – et je comprends que cela puisse faire mal à certains dans cet hémicycle. Avec ce projet de loi, nous renforçons les moyens des syndicats de salariés. Le paysage social s’en trouvera bouleversé, nous le verrons dans les années qui viennent, et la prime sera donnée à ceux qui sauront s’adapter et défendre réellement les salariés au cœur de chacune des entreprises de notre pays. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

J’en viens à ma troisième question, celle que vous attendiez, mes chers collègues de l’opposition.

M. Philippe Briand. Pas vraiment !

M. Bruno Le Roux. Quelle serait l’alternative à ce texte ? Le statu quo ? Une dérégulation totale, comme vous le souhaitez à droite ? La suppression du code du travail, pour laquelle certains sur ces bancs plaident ?

M. Yves Fromion et M. Patrice Verchère. Ne dites pas n’importe quoi !

M. Bruno Le Roux. La création de jobs à 1 euro comme en Allemagne, que certains prennent pour modèle ? (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.) La création de contrats de travail à 0 heure comme au Royaume-Uni, ce que l’on entend aussi ? (Mêmes mouvements.)

M. Philippe Gosselin. Caricature !

M. Philippe Briand. N’importe quoi ! C’est inadmissible !

M. le président. Retrouvez votre calme, monsieur Briand !

M. Bruno Le Roux. Je sais que, dans l’opinion publique, le scepticisme l’emporte. Par nos débats,…

M. Patrice Verchère. Quels débats ?

M. Bruno Le Roux. …par nos divisions même, par le petit jeu politique de la caricature et des procès d’intention,…

M. Philippe Briand. C’est nous qui avons inventé la sécurité sociale, pas vous !

M. le président. Ça va, monsieur Briand, on a compris !

M. Bruno Le Roux. Quand on a des mauvaises idées, on n’entend plus que les gueulards dans cet hémicycle. (Vives protestations sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants. – Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) Eh bien c’est ce qui se passe depuis tout à l’heure : le banc des gueulards n’accepte pas d’être pris en flagrant délit de régression sociale, comme je vais vous en donner, messieurs les gueulards, quelques exemples sans plus attendre. (Vivres protestations et claquements de pupitres sur les bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants. – Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. Monsieur Le Roux, mes chers collègues, essayez d’avoir une conduite qui corresponde à ce que doit être le débat entre parlementaires. (Mêmes mouvements.)

M. Bruno Le Roux. Puisque les propositions sont mises sur la table, il faut les prendre au sérieux, les faire connaître et les comparer.

Le report de l’âge de la retraite à 65 ans pour tout le monde, sans tenir compte de la pénibilité des emplois exercés, M. Juppé pense certainement que c’est une mesure de justice sociale…

M. Patrice Verchère. Vous, vous ne faites rien !

M. le président. Monsieur Verchère !

M. Bruno Le Roux. …et la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune, M. Juppé pense certainement que c’est une mesure de justice fiscale ! (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.) Le plafonnement des minima sociaux – il fallait y penser – est très certainement une mesure de solidarité nationale pour M. Juppé, tout comme la suppression du tiers payant généralisé. Ce sont les propositions de la droite ! La suppression des 35 heures et le retour à la durée légale du travail à 39 heures : encore une mesure de progrès social pour M. Juppé !

M. Patrice Verchère. Vous êtes bien dans l’opposition !

Mme Claude Greff. Grossier personnage !

M. Bruno Le Roux. Cela vous gêne, mais ce sont vos propres propositions ! (Exclamations prolongées sur les bancs du groupe Les Républicains.) Et je ne comprends pas que vous n’assumiez pas des propositions qui sont les vôtres et que votre seule stratégie soit d’essayer de couvrir de votre voix la réalité de ces propositions ! C’est cela, la réalité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen. - Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Claude Goasguen. Vous vous égarez !

M. Bruno Le Roux. Je n’ai pas terminé ! Demander aux banques de fournir une attestation prouvant que les bénéficiaires du RSA n’ont pas d’autres revenus : on voit que M. Le Maire souhaite s’attaquer à la fraude sociale,…

M. Claude Goasguen. On s’en fout !

M. Bruno Le Roux. …dont on sait qu’elle est minoritaire dans notre pays, plutôt qu’à la fraude fiscale, qui a toujours été couverte par votre camp et a toujours représenté le moindre des soucis de ceux qui ont gouverné ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen. - Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Patrice Verchère. Cahuzac ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. Monsieur Verchère, cela sert à quoi ? (« Cahuzac ! Cahuzac ! » sur de nombreux bancs du groupe Les Républicains. - « Balkany ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Bruno Le Roux. Je n’ai pas terminé ! Supprimer un million de postes de fonctionnaires – c’est un chiffre rond –, ce qui représente cent mille postes par an. Selon M. Le Maire, cela concernerait uniquement les services régaliens de l’État. Mais comment fait-il ? Où supprime-t-il ce million de postes de fonctionnaires, madame la ministre de la fonction publique ?

M. Patrick Ollier. Le problème vient de la majorité !

M. Bruno Le Roux. C’est une question que nous devons nous poser ! Nous, nous avons réussi à réduire le déficit de l’État en préservant les services publics pour les Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme Claude Greff. C’est faux !

M. Bruno Le Roux. Ce que je retiens, c’est que vous n’avez tiré aucune leçon de vos échecs. (Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains.) Vous avez oublié dans quel état vous avez mis le pays entre 2002 et 2012 : la dette, les déficits, les caisses vides, les services publics au bord de la rupture, les Français opposés les uns aux autres, le pays fracturé comme jamais. La radicalité des propositions que vous faites aujourd’hui ne ferait que rajouter de la crise à la crise (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains),…

M. Philippe Briand. Vous devriez descendre dans la rue !

M. Bruno Le Roux. …ne ferait que déstabiliser notre pays, casser les systèmes de solidarité et provoquer le déclin de notre pays, déclin que pourtant vous n’avez de cesse de dénoncer. (Exclamations prolongées sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Sylvain Berrios. C’est terminé !

Plusieurs députés du groupe Les Républicains. Monsieur le président, son temps de parole est écoulé !

M. Bruno Le Roux. Nous, depuis trois ans, madame la ministre, nous préservons notre pacte social. Nous, depuis trois ans, madame la ministre de l’éducation nationale, nous renforçons les services publics. Nous, depuis quatre ans, nous redressons les comptes publics.

M. Sylvain Berrios. Au revoir, au revoir !

Mme Claude Greff. C’est fini, vous devez conclure !

M. Bruno Le Roux. Vous avez utilisé la moitié de mon temps et vous voudriez que je termine alors que j’ai encore beaucoup de choses à vous dire ? (Exclamations et claquements de pupitre sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. Monsieur Le Roux, veuillez aborder votre conclusion !

M. Bruno Le Roux. En quatre ans, nous avons réduit de moitié le déficit de la sécurité sociale, et ce sans remettre en cause la moindre protection pour les Français. Qu’auriez-vous supprimé pour le même résultat ?

En 2015, le déficit de l’État a reculé de 15 milliards d’euros sans que les services publics en soient atteints. Qu’auriez-vous supprimé pour le même résultat ?

M. Sylvain Berrios. Ce n’est qu’un au revoir, mes frères...

M. Bruno Le Roux. Oui, les résultats sont là : la croissance repart, l’investissement reprend, l’emploi redémarre.

M. Yves Censi. Cela suffit !

M. Bruno Le Roux. Il n’est pas interdit d’être heureux quand son pays a de bonnes nouvelles en matière de croissance. Il n’est pas interdit de donner aux Français des raisons d’aller de l’avant, de se réjouir, de s’entraider et d’inventer de nouvelles belles années.

Monsieur le Premier ministre, la majorité vous accordera bien entendu toute sa confiance en ne suivant pas la motion de censure déposée par les apôtres de la régression sociale. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen. - Huées sur les bancs du groupe Les Républicains et sur quelques bancs du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. Rudy Salles. Levez-vous, la gauche !

M. Claude Goasguen. Alors tout va bien !

Mme Claude Greff. Allez dans la rue pour voir si les gens sont contents !

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le président, messieurs les présidents de groupe, mesdames et messieurs les députés, gouverner c’est en effet faire des choix, les assumer, les porter dans la durée.

M. Guy Geoffroy. Gouverner, pour Hollande, c’est pleuvoir…

M. Manuel Valls, Premier ministre. C’est aussi savoir écouter et bâtir des compromis. Et c’est fort de ces principes, fort de la conviction que notre économie a besoin d’être soutenue au moment où elle retrouve le chemin de la croissance…

Mme Claude Greff. Ah ah !

M. Manuel Valls, Premier ministre. …et qu’il faut moderniser notre modèle social, que j’ai engagé, après l’accord du Conseil des ministres présidé par le Chef de l’État, la responsabilité de mon gouvernement sur le texte instituant de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs.

Cette décision, elle s’est imposée. Car derrière les appels au dialogue, il y a depuis le début une volonté d’aller jusqu’au blocage.

Avec le Président de la République, le Gouvernement et bien sûr Myriam El Khomri, nous sommes arrivés au constat qu’une alliance des contraires était en mesure de faire obstacle à l’adoption de ce projet de loi.

M. André Chassaigne. Babillage politicien !

M. Jean-Pierre Door. Où est donc votre majorité ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. Alliance des contraires, oui. Il y a de tout dans ce qui motive les signataires et ceux qui bientôt voteront cette motion de censure. Il y a ceux qui veulent – ils l’ont montré dans les amendements qu’ils ont déposés – s’affranchir des syndicats, partout et tout le temps, ceux qui trouvent que cette loi instaure trop de nouveaux droits pour les salariés, et ceux qui, au contraire, considèrent qu’elle remet en cause des acquis sociaux.

Je ne mélange pas ces positions. Il y a des divergences de fond, que je respecte, elles côtoient de petits calculs politiciens, très loin de la situation du pays. Malgré la dureté de certaines attaques, je fais la différence entre les convictions et les postures, entre la loyauté et le jeu de rôle, entre les objectifs assumés et les ambitions cachées.

M. Michel Herbillon. Le jeu de rôle, c’est pour Macron…

M. Manuel Valls, Premier ministre. Mais à la fin, au seul moment qui compte, à l’occasion du vote, monsieur le président Chassaigne, ces voix vont se retrouver, s’additionner et se mélanger.

M. André Chassaigne. Qui divise les Français ? Il ne fallait pas utiliserle 49.3 !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Des oppositions s’expriment dans la rue et il est hors de question, bien évidemment, de restreindre cette liberté essentielle. C’est la démocratie, l’honneur et la force de notre pays, plus particulièrement dans cette période marquée par la menace terroriste.

Mais l’opposition – vous l’avez souligné, monsieur le président Le Roux –, ce ne peut jamais être la violence, les menaces…

M. Pierre Lequiller. C’est exactement ce qui se passe dehors !

M. Manuel Valls, Premier ministre. …ou le saccage de permanences parlementaires.

J’appelle donc chacun à adopter une position très claire, à se démarquer de ceux qui jouent le coup de force contre la légitimité de nos institutions. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur quelques bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

Mme Claude Greff. Le 49.3, ce n’est pas un coup de force ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. Et j’appelle à ne pas souffler sur les braises. Car refuser de condamner cette violence, c’est mettre en cause la République.

Je veux saluer ici, une nouvelle fois, l’engagement de nos forces de sécurité, policiers et gendarmes, dont certains oublient l’esprit de sacrifice et la responsabilité qui pèse actuellement sur elles. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur quelques bancs du groupe Les Républicains et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

Gouverner, mesdames et messieurs les députés, ce n’est pas craindre le débat…

Mme Jacqueline Fraysse. Ni craindre le vote !

M. Dominique Tian. Quel débat ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. …c’est aussi savoir le clore quand il faut.

Pendant combien de temps encore allons-nous continuer à opposer employeurs et salariés ? Quand allons-nous enfin passer à une autre vision des rapports dans l’entreprise – une vision qui, délaissant les vieux réflexes et les doctrines venues d’un autre temps, fait pleinement confiance au dialogue social, dialogue qui se déploie à tous les niveaux ?

Je vous le dis tranquillement : ni le Gouvernement, ni la très grande majorité du groupe socialiste, monsieur Chassaigne, n’ont de leçon de gauche à recevoir de vous (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur plusieurs bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et du groupe écologiste - « Oh si ! » sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine), qui vous trompez depuis cent ans !

M. Nicolas Sansu. Ça suffit !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Ni le Gouvernement, ni les députés qui se sont engagés loyalement dans l’amélioration de ce projet de loi n’ont de leçons à recevoir en matière d’économie ou de confiance dans nos entreprises, TPE et PME.

Monsieur Christian Jacob, le Gouvernement a respecté le temps du dialogue, tout d’abord avec l’ensemble des partenaires sociaux…

M. Yves Censi. C’est faux !

Mme Claude Greff. C’est un peu court !

M. Manuel Valls, Premier ministre. …sur la base des travaux initiés par le rapport de Jean-Denis Combrexelle qui a été remis au Gouvernement il y a plus de six mois.

Nous avons construit un compromis avec les syndicats réformistes et les mouvements de jeunesse. Puis un dialogue très nourri a eu lieu en commission, à l’Assemblée nationale.

M. Claude Goasguen. Mais pas en séance publique !

M. Manuel Valls, Premier ministre. D’ailleurs, et c’est inédit sous la cinquième République, Alain Tourret l’a rappelé, le Gouvernement prend à son compte plus de 460 amendements issus du travail des députés…

M. Claude Goasguen. Ils n’ont pas été débattus en séance !

M. Manuel Valls, Premier ministre. …et ce après l’examen en commission qui avait déjà vu l’adoption de près de 340 amendements.

M. Pierre Lequiller. Vous devriez aller voir rue de Babylone !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Avec la ministre, dont je salue l’engagement, avec le rapporteur Christophe Sirugue, dont chacun ici a souligné la qualité du travail et de l’écoute (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen), avec Yves Blein, rapporteur pour avis, avec les présidentes de commission Catherine Lemorton et Frédérique Massat, nous avons échangé, confronté, construit. Chacun a fait quelques pas et a pu apporter des améliorations, comme vous l’avez rappelé, monsieur Cavard.

M. Yves Censi. Tout s’est passé à Matignon et à Bercy !

M. Christian Jacob. Rien n’a eu lieu dans l’hémicycle !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Mesdames et messieurs les députés, sortons des postures et des caricatures ! Monsieur Jacob, qu’y a-t-il dans ce projet de loi qui alimente tant de fantasmes et de contrevérités ?

Tout d’abord la volonté de faire entrer sur le marché du travail ceux qui en sont exclus, ceux qui cherchent un emploi et essuient refus après refus, ceux qui replongent dans le chômage après un CDD de quelques jours ou de quelques mois. Car s’il y a un échec français, c’est bien celui-là : la dualité du marché du travail, le fait que nous nous soyons habitués à vivre avec autant de chômeurs, principalement des jeunes peu qualifiés.

Un député du groupe Les Républicains. Cet échec, c’est le vôtre !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Il faut permettre à nos entreprises, TPE et PME, de créer plus d’emplois. Nous le faisons à travers différents outils – je pense à l’aide à l’embauche pour les PME à qui l’on doit 270 000 embauches, dont 60 % dans les entreprises de moins de dix salariés.

M. Pierre Lequiller. Regardez rue de Babylone !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Mais aujourd’hui, pour ces entreprises, embaucher en CDI signifie parier lourdement sur l’avenir. C’est prendre un risque car le coût d’un licenciement peut les mettre en difficulté, voire les condamner. Le licenciement a actuellement pour seul cadre une législation imprécise et une jurisprudence fluctuante.

Nous avons déjà agi, dans la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, portée par Emmanuel Macron, pour réduire drastiquement les délais des procédures devant les prud’hommes et pour que les jugements soient plus cohérents, grâce à la mise en place d’un barème indicatif.

Le projet de loi poursuit dans cette voie en clarifiant les motifs de licenciement économique, non pas pour faciliter les licenciements, comme le disent certains – d’ailleurs, qui peut le croire ? – mais pour donner plus de visibilité et donc favoriser les embauches en CDI.

Encourager l’embauche en CDI, c’est aussi mieux encadrer le recours aux CDD de très courte durée. Plus de 80 % des embauches sont des contrats à durée déterminée et la moitié dure moins d’une semaine. Cela n’existait pas il y a quinze ans. Il faut donc combattre cette précarité nouvelle et c’est l’enjeu de la négociation sur l’assurance chômage. Les cinq organisations syndicales sont déterminées à ce que la future convention soit à la hauteur des enjeux et je suis confiant dans la capacité des partenaires sociaux – de tous les partenaires sociaux – à assumer leurs responsabilités et à construire un système de modulation qui mette un terme à cette dérive.

Ce projet de loi sert aussi à renouveler notre confiance dans le dialogue social, en droite ligne de la loi relative au dialogue social et à l’emploi, de la loi relative à la formation professionnelle, de la loi relative à la sécurisation de l’emploi, mais aussi en droite ligne des lois Auroux et Aubry.

L’histoire de la gauche – j’oserai même dire du mouvement social –, c’est de croire en la capacité des individus à prendre leur destin en main et à décider par eux-mêmes.

Mme Claude Greff. Pas au Parlement, en tout cas !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Alors, oui, nous faisons confiance à la décentralisation du dialogue social. Nous faisons confiance aux partenaires sociaux dans les entreprises pour décider de ce qui les concerne.

M. Yves Fromion. Nous aussi !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Oui, nous faisons confiance aux entrepreneurs et aux salariés et nous croyons que c’est en leur donnant plus de responsabilité qu’on les rendra plus responsables.

Chacun ici, à juste titre, évoque la crise de confiance que nous vivons, la crise de confiance dans nos institutions, dans nos représentants, dans les corps intermédiaires. Nous, nous voulons faire confiance au dialogue social et aux acteurs de terrain…

M. Yves Fromion. Le résultat n’est pas brillant !

M. Christian Jacob. En tout cas, vous n’avez pas convaincu les syndicats !

M. Manuel Valls, Premier ministre. …pour sortir de la culture de la défiance et de l’affrontement, selon les mots du président Le Roux.

Mme Claude Greff. Vous vous rendez compte de ce que vous dites ? Franchement…

M. Manuel Valls, Premier ministre. Pour la première fois, avec ce texte, nous affirmons clairement que rendre les entreprises plus compétitives – personne ne l’avait écrit jusqu’ici –,…

M. Yves Censi. Il ne suffit pas de l’écrire !

M. Christian Jacob. Il faut avoir volonté politique de le faire !

M. Manuel Valls, Premier ministre. …ce n’est pas imposer à toutes, dans leur très grande diversité, un même cadre uniforme.

Les entreprises n’interviennent pas sur le même marché. Leurs cycles de production, leurs pics saisonniers ne sont pas les mêmes. Il faut donner à chacune plus de liberté pour prendre les décisions qui conviennent, par exemple, en matière d’organisation du temps de travail.

Monsieur Chassaigne… Vous souhaitiez être écouté ? Écoutez-moi, alors ! Non, ce texte n’inverse pas la hiérarchie des normes.

M. André Chassaigne et M. Marc Dolez. Mais si !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Il ne remet pas en cause le principe de faveur. Il donne plus d’espace au dialogue social de proximité.

Mme Jacqueline Fraysse. Mensonges !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Et il est pour le moins étonnant que vous fassiez une intervention sur la démocratie et le dialogue social, mais que vous ne souhaitiez pas ce dialogue social dans l’entreprise, auprès des entrepreneurs et surtout des salariés. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

Et puis, ce texte préserve aussi les grandes garanties posées par la loi : salaire minimum – oui ou non ? –, durée légale du travail – oui ou non ? –, majoration des heures supplémentaires – oui ou non ? –, repos quotidien – oui ou non ? – …

Alors, monsieur Chassaigne, arrêtez de mentir quand vous présentez ce texte ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen. – Protestations sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe Les Républicains.)

M. André Chassaigne. C’est vous qui mentez !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Nous agissons pour que cette décentralisation du dialogue social s’accompagne des garanties nécessaires.

La première garantie, c’est que ces nouvelles souplesses accordées aux entreprises ne pourront être déclenchées que par des accords. Et pour renforcer la légitimité de ceux-ci, la loi consacre le principe majoritaire. C’est d’ailleurs une vieille idée de la CGT, monsieur Chassaigne. Qui peut sérieusement soutenir qu’un accord signé par des organisations syndicales représentant plus de 50 % des salariés serait une voie vers le dumping social ? C’est tout simplement travestir la réalité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

M. Dominique Tian. Expliquez ça aux syndicats !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Deuxième garantie : pour que le dialogue social soit équilibré, il doit être mené par des salariés formés, protégés et soutenus par des organisations syndicales. C’est pour cela, oui, que nous avons élargi les possibilités de mandatement dans les TPE et PME. Elles pourront ainsi bénéficier, grâce au dialogue social, des nouvelles souplesses prévues par ce texte de loi.

M. Yves Fromion. Ben voyons !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Garantie, enfin, grâce aux branches professionnelles, qui seront moins nombreuses et plus efficaces. De 700, elles seront réduites à 200 en trois ans.

M. Dominique Tian. En trois ans ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. Leur rôle d’évaluation des accords d’entreprise sera renforcé.

Le projet de loi Travail, c’est aussi de grandes avancées pour tous les salariés, car progrès social, dialogue social, emploi et compétitivité sont liés et doivent avancer ensemble. Ce texte porte cette grande révolution qu’est le compte personnel d’activité.

M. Christian Jacob. C’est un discours pour le groupe socialiste, pas pour l’hémicycle !

M. le président. Monsieur le président Jacob ! On écoute !

M. Dominique Tian. …une oraison funèbre !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Il fait que tous les droits – pénibilité, formation – suivront tout au long de la carrière.

Il permet de construire cette Sécurité sociale professionnelle dont on parle depuis si longtemps.

Ceux qui, jusqu’à présent, n’avaient aucun droit à la formation – artisans, jeunes décrocheurs, dont vous avez parlé, monsieur le président Vigier, chômeurs peu qualifiés – pourront, grâce à ce compte, se former, voire apprendre un métier.

M. Christian Jacob. À cause de vous, il y a 700 000 chômeurs de plus !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Ainsi, dès la publication de la loi, chaque salarié peu qualifié bénéficiera automatiquement – cela, c’est du concret – de quarante-huit heures de formation…

M. Dominique Tian. Quarante-huit heures ? Tout ça ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. …créditées sur son CPA et renouvelées tous les ans dans la limite de 400 heures.

Je vois que certains ne connaissent pas le texte.

Dès la publication de la loi, tous les jeunes de moins de vingt-six ans sortis sans diplôme du système scolaire, monsieur Vigier, pourront se former gratuitement pour obtenir une qualification. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Cette loi, c’est aussi la généralisation de la garantie jeune, dont personne ici ne veut parler : 460 euros par mois pour les 16-25 ans afin de les accompagner vers la formation et vers l’emploi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) Ce sont des bourses prolongées de quatre mois pour que les jeunes boursiers sortant de leurs études puissent sereinement chercher et trouver un emploi.

M. Dominique Tian. Ça, on le doit à l’UNEF, non ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. Cette loi, ce sont de nouveaux droits pour les travailleurs indépendants des plates-formes numériques. Ainsi, ils auront désormais accès à une couverture accident du travail, ce qui n’existait pas avant. Encourager l’esprit d’initiative, c’est aussi cela.

M. Pascal Terrasse. Excellent !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Cette loi, ce sont de multiples avancées concrètes pour la vie quotidienne des salariés, car c’est à eux qu’il faut s’adresser : le droit à la déconnexion ou encore le droit de prendre des congés dès la première année de son contrat. Et cela, personne ne le dit. Vous souhaitez l’oublier.

Ce projet de loi apporte également de nouvelles protections aux personnes handicapées, aux travailleurs saisonniers, aux salariés des réseaux de franchisés, aux salariés ultramarins… (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Pascal Terrasse. Excellent !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Et il nous permettra d’aller plus loin en matière d’égalité entre les femmes et les hommes. Il nous permettra de renforcer les moyens de lutte contre les fraudes au détachement. C’est tout cela qu’il y a dans cette loi.

M. Christian Jacob. Dites-le aux frondeurs !

M. Manuel Valls, Premier ministre. C’est tout cela que la majorité a souhaité.

M. Yves Fromion. Quelle majorité ?

M. Guy Geoffroy. Vous ne l’avez plus !

Mme Claude Greff. La majorité, c’est nous !

M. Manuel Valls, Premier ministre. C’est tout cela qui est défendu avec force par la ministre du travail depuis des semaines. Vous l’oubliez. C’est ça pourtant qui est au cœur de ce projet. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

La loi Travail – le Président de la République l’a rappelé ce matin – est une loi de progrès social et une réforme indispensable pour notre pays.

M. Michel Herbillon. Vous n’en avez convaincu personne !

M. Christian Jacob. Vous êtes le seul à le penser !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Je crois, mesdames, messieurs les députés, qu’il faut toujours revenir au fondement de ce qu’est une motion de censure. Au fond, que voulez-vous censurer ?

M. Christian Jacob. Vous !

M. Manuel Valls, Premier ministre. La confiance faite aux acteurs de terrain, aux chefs d’entreprise, aux salariés, pour redonner de la compétitivité à nos petites et moyennes entreprises ?

Que voulez-vous censurer ? La visibilité que nous donnons aux entrepreneurs dans la décision de se développer et d’embaucher ? Le fait que nous renvoyons aux partenaires sociaux, toujours dans cette logique de confiance, l’encadrement du recours au CDD ?

Que voulez-vous censurer ? Le fait de continuer à tout faire pour consolider la reprise économique et pour combattre le chômage de masse ? De répondre à l’inquiétude de nos jeunes, ceux qui enchaînent les missions, sont ballottés de petits boulots en petits boulots, alors qu’ils ne demandent qu’à travailler ?

M. Dominique Tian. Justement : donnez-leur du travail !

M. Manuel Valls, Premier ministre. D’agir pour accompagner des carrières moins linéaires, exigeant des salariés plus autonomes, mieux formés, plus libres de réaliser leurs projets ?

Mme Claude Greff. C’est du bla-bla !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Que voulez-vous censurer ?

M. Yves Censi. Tout cela !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Des mesures pour anticiper sur l’évolution du travail : l’essor du numérique, les nouvelles formes d’emploi et d’activité ? Pour se battre à armes égales dans une économie concurrentielle, alors que nos partenaires ont fait les réformes qui s’imposaient ? Pour attirer plus d’investisseurs, pour créer plus de valeur, plus de croissance ? C’est tout cela que vous voulez censurer ?

Cette question, au fond, je l’adresse aux deux côtés de l’hémicycle.

M. Yves Fromion. Bien sûr, puisque la gauche vous censure !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Je sais qu’une motion de censure dite « de gauche » a été envisagée, disons-le clairement, pour renverser le Gouvernement.

M. Yves Censi. Du jamais vu !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Renverser le Gouvernement et donc aussi faire tomber cette majorité…

M. Michel Herbillon. Vous ne l’avez plus !

M. Manuel Valls, Premier ministre. …qui a créé la prime d’activité, qui a augmenté le RSA,…

M. le président. Monsieur Herbillon, s’il vous plaît !

M. Manuel Valls, Premier ministre. …qui a engagé la refondation de notre école, qui a généralisé le tiers payant, qui a engagé la France sur la voie de la transition énergétique, qui fait tant pour l’égalité entre les femmes et les hommes, qui a permis le mariage pour tous, qui a sauvé la Grèce en difficulté. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Et vous voudriez faire tomber cette majorité ?

M. André Chassaigne. Oui, ceux qui trahissent !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Mais où est la cohérence ? Cette majorité qui n’a jamais fait autant pour protéger les Français,…

M. Nicolas Sansu. Ils ne s’en rendent pas compte !

M. Manuel Valls, Premier ministre. …pour lutter contre la menace djihadiste, même si je n’oublie pas que des députés communistes et écologistes n’ont voté aucune des lois antiterroristes.

M. Philippe Briand. C’est vrai !

M. Yves Fromion. Pour une fois qu’il dit la vérité !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Cette démarche aventureuse a au fond un intérêt : celui d’une clarification entre ceux qui s’arc-boutent sur le passé et ceux qui préparent l’avenir, entre ceux qui assument l’exercice du pouvoir et ceux qui se contentent d’être dans la proclamation, dans le confort de l’opposition, car il est difficile d’assumer les responsabilités dans des temps tumultueux. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur quelques bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et du groupe écologiste.)

Je prends cette tentative pour ce qu’elle est. Elle est grave, même si elle a échoué, mais ses signataires sont dans une impasse. Je vous livre une conviction : je ne laisserai pas détruire la gauche de gouvernement,…

Mme Jacqueline Fraysse. C’est vous qui la détruisez !

M. Manuel Valls, Premier ministre. …la social-démocratie française. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et sur certains bancs du groupe écologiste.)

M. Yves Fromion. Vous vous en chargez tout seul !

M. Marc Dolez. Vous êtes le fossoyeur de la gauche !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Oui, le temps de la clarification est venu. Monsieur le président Jacob, vous avez fait preuve de cette modération, qui vous caractérise, vous qui êtes tout en nuances… Vous voudriez tellement que tout aille mal. Mais je vais vous décevoir : la France est en train de relever la tête. (Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Il y a des premiers résultats. Il faut les consolider, mais nous sommes sur la bonne voie.

La croissance est revenue : elle a été de 1,2 % en 2015. Sur le seul premier trimestre, elle est déjà de 0,5 %, confortant la prévision de 1,5 % pour l’année 2016.

M. Christian Jacob. Tout va bien !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Cette croissance est portée par la consommation des ménages, qui a augmenté de 1,2 % au premier trimestre, soit la plus forte hausse depuis 2004.

M. Yves Censi. Grâce aux taux d’intérêt et au prix du pétrole !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Elle est portée aussi par l’investissement des entreprises, qui s’est fortement accéléré, en augmentant de 1,6 %.

Le nombre de défaillances d’entreprises a par ailleurs baissé de 10 % en un an, ce qui constitue la plus forte baisse depuis 2009.

Et si la croissance revient, si nous créons à nouveau des emplois – il y en a eu 80 000 en 2015, ce qui reste bien sûr insuffisant –, si nous obtenons des résultats encourageants en matière de baisse du chômage,…

M. Christian Jacob. Vous avez créé 700 000 chômeurs en quatre ans !

M. le président. Monsieur le président Jacob, vous avez eu la parole. C’est le Premier ministre qui l’a, à présent.

M. Manuel Valls, Premier ministre. …c’est parce que nous avons agi ; c’est parce que nous avons dû répondre aussi aux situations que nous avons trouvées, notamment à la perte de compétitivité des entreprises pendant dix ans et à l’accentuation du différentiel avec l’Allemagne entre 2002 et 2012. Vous nous avez laissé 600 milliards de dette. C’est ça aussi, qui a mis l’économie française en difficulté.

M. Daniel Vaillant. Très juste !

M. Yves Nicolin. « C’est pas nous, c’est les autres ! »

M. Manuel Valls, Premier ministre. Si la croissance revient, c’est aussi parce que nous avons baissé les charges des entreprises, pris des mesures spécifiques pour nos TPE et nos PME,…

Mme Sophie Errante. Tout à fait !

M. Manuel Valls, Premier ministre. …stimulé l’investissement, réorienté notre industrie vers l’innovation. C’est parce que nous avons simplifié, assoupli, levé un à un certains blocages qui entravaient notre économie. C’est parce que nous avons voulu que l’esprit d’entreprise soit encouragé et le travail, le mérite, récompensés.

M. Yves Nicolin. Tu parles !

M. Manuel Valls, Premier ministre. C’est parce que nous avons agi aussi pour les ménages, en baissant leur impôt sur le revenu en 2014, 2015, 2016,…

M. Yves Fromion. Je vais vous envoyer ma feuille d’impôt !

M. Manuel Valls, Premier ministre. …sans attendre, comme certains voudraient le faire croire, je ne sais quelle échéance électorale !

Monsieur le président Jacob, monsieur le président Vigier, nous continuerons d’agir, à l’issue de ce vote, je n’en ai aucun doute, car je cherche, mais je ne vois pas ici, sur ces bancs, d’autre majorité, cette « immense majorité » dont vous parlez.

M. Christian Jacob. Vous la verrez l’été prochain !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Je ne la vois pas car elle n’existe pas. Monsieur Jacob, soyez plus modeste et plus respectueux des Français qui voteront dans un an. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen. - Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

Censurer est une chose ; caricaturer, c’est la facilité des faibles. Proposer, réformer, messieurs les présidents Vigier et Jacob, en est une autre. Et au fond, pendant que vous hurlez, ce débat que nous avons, aujourd’hui, anticipe le grand débat nécessaire, attendu, démocratique, que nous allons bientôt avoir devant les Français. Vous devrez leur dire clairement le modèle de société que vous voulez et les moyens que vous proposez pour y arriver.

Réformer est une démarche exigeante. Elle implique de prendre les bonnes décisions, et de les corriger quand c’est nécessaire, de prendre des décisions utiles et efficaces. Elle demande d’être à l’écoute du pays, d’en comprendre les attentes, les angoisses, les tensions, les contradictions aussi ; elle demande de ne pas encourager les tensions par l’attitude ou les mots employés, de ne pas encourager l’extrême droite, de ne pas souffler plus encore sur les braises des populismes.

Mme Sophie Errante. Tout à fait !

M. Yves Fromion. Ça, c’est en train de se faire…

M. Manuel Valls, Premier ministre. Je sais que les contributions au débat – discours, entretiens dans la presse, livres – sont nombreuses dans vos rangs. Alors, je vous pose à mon tour des questions. Pensez-vous que ce dont notre pays a besoin, c’est la suppression de l’ISF, alors qu’il y a une telle nécessité de solidarité envers les plus fragiles ?

M. Philippe Briand. Demandez-le à Macron !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Pensez-vous, comme vient de le proposer Alain Juppé, qu’il faille couper aussi violemment dans les dépenses publiques – à hauteur de 100 milliards – alors que cela ne peut pas se faire, disons la vérité aux Français, sans couper dans le budget des forces de l’ordre, de la justice, de l’éducation ou de la santé ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et sur certains bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

M. François de Rugy. Très bien !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Par ailleurs, les élus locaux seront heureux d’apprendre que les collectivités territoriales seraient mises à contribution à hauteur de 15 milliards. (Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. Yves Censi et Mme Laure de La Raudière. Pas vous ! Pas ça !

M. Guy Geoffroy. Quelle folie !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Ce que j’ai du mal à comprendre – mais vous m’expliquerez comment vous y parviendrez –, c’est que vous faites toutes ces économies en consentant, aux termes de la proposition de Nicolas Sarkozy, un « effort sans précédent » en faveur de la défense. L’équation est intenable !

M. Yves Fromion. Ce n’est pas vrai !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Pensez-vous, également, qu’il faille supprimer – cela dit, vous en avez pris l’habitude – 300 000 emplois de fonctionnaires, alors que ce que nos concitoyens attendent, ce sont des services publics qui gagnent certes en efficacité, mais qui ont les moyens humains d’agir ?

M. Franck Gilard. Qu’ils travaillent davantage !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Ceux qui soutiennent des candidats qui proposent la suppression de dizaines de milliers de fonctionnaires sont ceux-là mêmes qui ici, dans l’hémicycle, demandent plus de policiers, plus de gendarmes, alors que vous avez supprimé 13 000 postes quand vous étiez au pouvoir (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen), et réclament plus d’enseignants dans leurs écoles, alors que vous avez supprimé 80 000 postes d’enseignant ! Ce sont ceux-là mêmes qui demandent plus d’hôpitaux de proximité, alors que vous voulez tailler dans les dépenses de santé !

M. François Scellier. Caricature !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Quelle cohérence ! Quel mensonge aux Français ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Pensez-vous, mesdames et messieurs les députés de l’opposition, que le modèle social auquel les Français sont attachés, qui est au cœur de notre pacte républicain, c’est la retraite à 65 ans, y compris pour celles et ceux qui ont commencé à travailler jeunes, à qui nous avons permis de s’arrêter dès 60 ans ?

M. Claude Goasguen. Parlez donc du 49.3 !

M. Christian Jacob. On croirait entendre Hollande !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Pensez-vous que ce soit un progrès social de supprimer, comme vous le proposez, le compte pénibilité, qui donne des droits à ceux qui travaillent à la chaîne, font les trois-huit, s’échinent toute la journée à porter des charges lourdes ?

M. Yves Fromion. Les croix fictives, ça va !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Oui, monsieur le président Jacob, et monsieur le président Vigier – j’ai d’ailleurs été étonné que vous-même utilisiez ce mot –, il y a un débat sur la conception de la solidarité.

M. Christian Jacob. Oui !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Vous, vous ne savez parler que d’assistanat ; nous, nous parlons de solidarité…

M. Yves Fromion. Nous, on parle de fraternité !

M. Christian Jacob. De mérite, de travail !

M. Manuel Valls, Premier ministre. …parce que les Français, et notamment ceux qui souffrent, l’attendent. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste. - Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. François de Rugy. Très bien !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Oui, il y a une exigence de solidarité. Elle inspire notre action depuis 2012 : ce sont les résultats du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion depuis 2013 ; c’est la scolarisation des moins de trois ans ; c’est un RSA qui a augmenté de 10 % ; ce sont des prestations familiales qui ont augmenté de 25 % pour les parents isolés…

M. Patrick Balkany. Et le nombre de chômeurs, de combien a-t-il augmenté ?

M. Guy Geoffroy. Changez de logiciel !

M. Manuel Valls, Premier ministre. …et de 50 % pour les familles nombreuses pauvres ; ce sont 600 000 personnes modestes de plus qui bénéficient aujourd’hui d’une couverture maladie complémentaire. C’est cela, la solidarité !

M. Damien Abad. Et le matraquage fiscal !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Et vous, vous ne savez parler que d’assistanat, courant derrière un discours qui mine le pacte républicain (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen)

M. Christian Jacob. Tu parles !

M. Manuel Valls, Premier ministre. …alors que les plus pauvres, les plus fragiles, ceux qui ont perdu un emploi ont besoin de cette solidarité !

Il y a le projet. Il y a la méthode. Pensez-vous, comme vous le proposez, pour certains en tout cas, que légiférer par ordonnances sur des sujets majeurs, c’est respecter les droits du Parlement ?

M. Christian Jacob. Ne nous parlez pas des droits du Parlement !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Contester le 49.3 est une chose, c’est d’ailleurs presque une posture quand on est dans l’opposition. Mais convenez que pour ceux qui se réclament du gaullisme, c’est tout de même assez étrange !

M. Yves Fromion. De quoi parlez-vous ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. Pensez-vous que faire passer « quinze lois essentielles » en l’espace d’une journée – j’ai entendu cette proposition dans vos rangs –, c’est respecter le débat public, la démocratie, c’est considérer les corps intermédiaires, c’est permettre à l’opposition de jouer son rôle ? Non !

Dans la situation que connaît notre pays depuis des années – et nous le voyons dans le débat politique, mais aussi dans un certain nombre de manifestations –, oui, il y a de la violence. Or ce que vous proposez, mesdames et messieurs les députés de l’opposition, c’est davantage de tensions et de violence !

M. Yves Fromion. Pour cela, on vous fait confiance !

M. Philippe Briand. Allez voir dans la rue !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Agir ainsi, c’est être irresponsable ! Moi, j’assume mes responsabilités devant la représentation nationale et devant les Français !

M. Yves Censi. Ils sont tous dans la rue !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Mesdames et messieurs les députés, ce que nos compatriotes attendent de nous, c’est que nous mettions plus encore notre pays en mouvement…

M. Yves Nicolin. Arrêtez, vous devenez comique !

M. Manuel Valls, Premier ministre. …que nous continuions sans relâche sur la voie des réformes. C’est la mission de mon gouvernement. Il est aux prises avec la réalité. Sans démagogie, qui est toujours la solution la plus facile, il avance, avec cohérence et avec conviction.

Moi, je suis fier de ce projet de loi. Cette fierté, je la partage avec la ministre du travail, avec la grande majorité du groupe socialiste, des radicaux, des écologistes – je remercie Bruno Le Roux, Alain Tourret et Christophe Cavard –, et au-delà, avec les organisations syndicales qui ont travaillé pour franchir une nouvelle étape. Une étape qui est aussi un appel à tous les réformistes,…

M. Olivier Marleix. À Macron ?

M. Patrice Verchère. Macron président !

M. Manuel Valls, Premier ministre. …pour qu’ils se rassemblent autour du progrès social, du compromis, toujours nécessaire dans la société, et des valeurs qui font notre République ; pour qu’ils se rassemblent contre les conservatismes, pour moderniser notre modèle social, pour faire avancer notre pays…

M. Patrice Verchère. Macron Premier ministre !

M. Manuel Valls, Premier ministre. …avec une seule obsession, qui guide ce gouvernement : l’intérêt supérieur des Français.

Oui, la gauche a une tâche,…

M. Patrick Balkany. Une grande tache !

M. Manuel Valls, Premier ministre. …une responsabilité majeure, elle ne doit jamais l’oublier : gouverner. Et son destin est grand quand il se confond avec celui du pays.

M. Christian Jacob. Ce n’est pas le cas !

M. Manuel Valls, Premier ministre. C’est ce que je lui demande de faire une nouvelle fois. Le pays a besoin de son action, de ses valeurs, de ses résultats ; plus que jamais, il a besoin qu’elle se confonde avec la nation et la République. Dans le moment présent, elle représente le chemin nécessaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) Face à ceux qui n’ont pas compris comment le monde avait évolué et à ceux qui nous proposent la violence, il y a un chemin : c’est celui que je vous propose. (Mmes et MM. les députés du groupe socialiste, républicain et citoyen se lèvent et applaudissent ; applaudissements sur les bancs du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)

M. Christophe Cavard et M. François de Rugy. Très bien !

M. le président. La discussion est close.

Je vais maintenant mettre aux voix la motion de censure.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

Je rappelle que seuls les députés favorables à la motion de censure participent au scrutin, et que le vote se déroule dans les salles voisines de l’hémicycle.

Le scrutin va être ouvert pour trente minutes : il sera donc clos à dix-huit heures trente-cinq.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures cinq, est reprise à dix-huit heures quarante.)

M. le président. La séance est reprise.

Voici le résultat du scrutin :

Majorité requise pour l’adoption de la motion de censure, soit la majorité absolue des membres composant l’Assemblée         288

Pour l’adoption                246

La majorité requise n’étant pas atteinte, la motion de censure n’est pas adoptée.

En conséquence, est considéré comme adopté le projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actif-ve-s.

2

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, mardi 17 mai, à quinze heures :

Questions au Gouvernement ;

Projet de loi autorisant la ratification de l’accord de Paris adopté le 12 décembre 2015.

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-huit heures quarante-cinq.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly