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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIVe législature
Session ordinaire de 2015-2016

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du jeudi 19 mai 2016

SOMMAIRE

Présidence de M. Marc Le Fur

1. Lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement

Présentation

M. Pascal Popelin, rapporteur de la commission mixte paritaire

Mme Colette Capdevielle, rapporteure de la commission mixte paritaire

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice

Discussion générale

Mme Jacqueline Fraysse

M. Yves Goasdoué

M. Thierry Mariani

M. Jonas Tahuaitu

M. Alain Tourret

M. Sergio Coronado

M. Pascal Popelin, rapporteur

Texte de la commission mixte paritaire

Amendements nos 1 , 2 , 3 rectifié

Vote sur l’ensemble

2. Modernisation de la justice du XXIe siècle

Discussion des articles (suite)

Article 16

Amendement no 264

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Suspension et reprise de la séance

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice

Article 16 bis

Article 16 ter

Article 16 quater

Article 17

Amendements nos 222 , 149

Article 17 bis

Article 17 ter

Mme Catherine Coutelle

M. Hervé Mariton

M. Xavier Breton

M. Patrick Hetzel

Mme Colette Capdevielle

M. Jacques Myard

M. Jean-Frédéric Poisson

M. Alain Tourret

M. Paul Giacobbi

Amendements nos 26 , 101 , 104 , 177 , 105 , 229 , 40 , 102 , 231 , 41 , 232 , 192 , 42 , 234 , 398 (sous-amendement) , 106 , 107 , 108 , 109 , 110 , 111 , 112 , 113 , 114 , 382 deuxième rectification

Article 18

Amendements nos 77 , 78

Article 18 bis A

Article 18 bis B

Amendements nos 357 , 358

Article 18 bis

Amendement no 359

Article 18 ter

Après l’article 18 ter

Amendement no 151

Suspension et reprise de la séance

Article 18 quater

Amendements nos 282 rectifié , 400, 401, 402 (sous-amendements) , 283 rectifié, 150 rectifié , 178 deuxième rectification , 360

Article 18 quinquies

Amendements nos 361, 362 , 381 , 237

Articles 18 sexies et 18 septies

Articles 19 à 29

Article 30

Amendement no 363

M. Jean-Michel Clément, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Articles 31 à 44

Article 45

Amendement no 366

Article 45 bis

Article 45 ter

Amendements nos 367 , 368

Articles 45 quater et 45 quinquies

Après l’article 45 quinquies

Amendements nos 233 , 248

Article 46

Amendement no 374

Article 46 bis

Amendement no 369 rectifié

Article 47 A

Amendement no 305

Article 47

Amendements nos 307 , 242 rectifié , 311 rectifié , 309 , 310 , 4 , 313 , 356 rectifié

Après l’article 47 bis

Amendements nos 240 , 241

Article 47 ter

Article 48

Amendements nos 268 , 270 , 271

Article 49

Article 50

Amendements nos 273 , 375

Après l’article 50

Amendement no 245

Articles 50 bis, 51 et 51 bis

Après l’article 51 bis

Amendements nos 216 , 318 rectifié , 217 , 383

Articles 51 ter et 51 quater

Article 51 quinquies

Amendement no 386

Article 51 sexies

Article 52

Amendements nos 218 , 219

Article 52 bis

Après l’article 52 bis

Amendement no 194

Article 53

Amendements nos 377 rectifié , 384

Article 53 bis

Article 54

Amendements nos 378 , 308

Après l’article 54

Amendements nos 236 , 193

Suspension et reprise de la séance

Seconde délibération

Amendement no 1

3. Ordre du jour de la prochaine séance

Présidence de M. Marc Le Fur

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement

Commission mixte paritaire

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale (n3742).

Présentation

M. le président. La parole est à M. Pascal Popelin, rapporteur de la commission mixte paritaire.

M. Pascal Popelin, rapporteur de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, madame la vice-présidente de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, madame la rapporteure de la commission mixte paritaire – chère Colette Capdevielle –, mes chers collègues, le texte sur lequel la commission mixte paritaire a trouvé un accord est attendu et important.

Les articles 1er à 11 et 17 à 21, dont j’ai été le rapporteur, doteront en effet nos magistrats et nos forces de l’ordre de moyens nouveaux, permettant de mieux prévenir et de mieux combattre le terrorisme. Ils ont vocation à adapter notre droit aux évolutions des menaces auxquelles nous sommes confrontés, à couvrir les angles morts de nos moyens juridiques tels qu’ils ont été identifiés au cours des dernières années. Si ce texte n’est en rien une transposition dans le droit commun des procédures spécifiques de l’état d’urgence, il crée les conditions d’une possible sortie de cette période d’exception, sans désarmer nos capacités juridiques de lutte contre le terrorisme.

Partant de ces objectifs que nous partageons tous, mais d’approches parfois différentes quant au meilleur chemin pour les atteindre, nous étions parvenus à trouver, en première lecture, une écriture qui avait permis l’adoption de ce projet de loi par une très large majorité de l’Assemblée nationale. Forts de ce vote et empreints de l’esprit de rassemblement qui l’avait rendu possible, nous avons travaillé, avec Colette Capdevielle et Dominique Raimbourg, à rapprocher nos points de vue de ceux des sénateurs, représentés par le rapporteur du texte au Sénat, Michel Mercier, et par le président de la commission des lois de la Haute assemblée, Philippe Bas. Ces échanges fructueux, faits de concessions réciproques, nous ont permis de présenter à la commission mixte paritaire des amendements communs aux rapporteurs de chacune des deux chambres. Les travaux de la CMP s’en sont naturellement trouvés facilités et ont abouti à un vote unanime des présents, après quelques ultimes discussions.

S’agissant des dispositions renforçant l’efficacité des investigations judiciaires, nous avons retenu une grande partie des améliorations apportées par le Sénat aux dispositifs votés par l’Assemblée nationale en matière de perquisitions domiciliaires nocturnes et de recours aux techniques spéciales d’enquête. Nous nous sommes accordés sur une rédaction nouvelle, qui me semble plus pertinente, sur la saisie des données informatiques et l’usage judiciaire de l’IMSI catcher.

Les dispositions renforçant la répression du terrorisme sont celles qui ont suscité le plus de discussions.

Le Sénat a accepté de revenir sur plusieurs articles qu’il avait introduits alors que l’Assemblée nationale ne les avait pas retenus, pour des raisons pragmatiques – je pense à la criminalisation de l’association de malfaiteurs en vue d’une entreprise terroriste « commise à l’occasion ou précédée d’un séjour à l’étranger sur un théâtre d’opérations de groupements terroristes » – ou pour des raisons de principe – je pense par exemple à la systématisation de la peine complémentaire d’interdiction du territoire français pour les étrangers reconnus coupables d’une infraction terroriste, qui contreviendrait à l’attachement que nous portons à l’individualisation des peines.

Nous avons, en revanche, accepté la création de deux nouveaux délits, l’un d’entrave au blocage des sites faisant l’apologie du terrorisme, et l’autre de consultation habituelle de tels sites, même si je continue d’émettre des réserves sur la constitutionnalité de ce dernier. La jurisprudence tranchera sans doute rapidement ce point.

Un compromis s’est facilement dégagé sur le renforcement du cadre répressif applicable en cas de non-dénonciation d’infractions terroristes par les proches des auteurs et sur l’aggravation des peines encourues par les personnes refusant de remettre la convention secrète de déchiffrement d’un moyen de cryptologie susceptible d’être utilisé pour commettre une infraction.

S’agissant du renseignement pénitentiaire, nous sommes revenus au texte adopté par notre assemblée, qui permet l’intégration du Bureau du renseignement pénitentiaire dans le deuxième cercle de la communauté du renseignement. Nous avons également complété les dispositions votées par le Sénat en matière de contrôle des communications illégales en détention à des fins judiciaires.

Pour ce qui concerne l’inscription dans la loi des unités dédiées dites « de déradicalisation », nous avons retravaillé la version adoptée par le Sénat, considérant que les expérimentations doivent être menées à leur terme avant toute systématisation.

Nous avons conservé le durcissement, proposé par le Sénat, des modalités de relèvement de la période de sûreté de trente ans ou incompressible en matière de terrorisme, adoptée par notre assemblée, sous réserve de rendre consultatif l’avis de la commission de cinq magistrats de la Cour de cassation.

Le temps m’étant compté, je ne m’attarderai pas sur les dispositions renforçant l’enquête et les contrôles administratifs, sur lesquelles la CMP est parvenue à un accord sans difficulté.

Je vous invite donc, mes chers collègues, à approuver par votre vote les résultats de ce travail et à doter ainsi notre droit des outils qui lui font aujourd’hui défaut pour mieux faire face à ceux qui, par leurs entreprises criminelles et terroristes, s’en prennent à la France, à ses habitants et à ses libertés. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à Mme Colette Capdevielle, rapporteure de la commission mixte paritaire.

Mme Colette Capdevielle, rapporteure de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, madame la vice-présidente de la commission des lois, monsieur le rapporteur – cher Pascal Popelin –, mes chers collègues, les divergences entre les versions de l’Assemblée nationale et du Sénat sur les soixante-treize articles dont j’ai la responsabilité, c’est-à-dire sur les titres II et III de ce projet de loi, ont été aplanies de façon à ce que le compromis que nous avons réussi à atteindre soit acceptable par tous. Les membres de la commission mixte paritaire ont considéré que, l’Assemblée nationale et le Sénat ayant adopté le projet de loi à de très fortes majorités en première lecture, cela nous imposait de parvenir ensemble à un accord.

Comme mon collègue rapporteur Pascal Popelin, je souhaite vous faire part de la satisfaction que je ressens à présenter devant vous les conclusions auxquelles est parvenue la commission mixte paritaire. Je remercie vivement celles et ceux qui ont rendu cet accord possible – non seulement les présidents des commissions des lois, en particulier Dominique Raimbourg, qui a bien sûr beaucoup œuvré, mais aussi vous-mêmes, chers collègues de la majorité comme de l’opposition qui, cette fois-ci, s’est comportée de façon responsable et a participé à l’adoption unanime des travaux de la CMP.

M. Guy Geoffroy. Très bien !

Mme Colette Capdevielle, rapporteure. Je vous salue, monsieur Geoffroy : je sais que vous avez beaucoup travaillé pour que nous puissions aboutir à ce texte commun.

Les dispositions relatives à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, comme tous les articles relatifs à la procédure pénale, avaient en fait suscité assez peu de divergences entre les deux assemblées. C’était d’autant plus vrai que le Sénat avait adopté un nombre significatif de suggestions et d’amendements provenant du Gouvernement. Je me bornerai donc à indiquer que nous avons recherché un équilibre acceptable par tous sur les quelques points de discorde qui subsistaient.

Nous avons convenu de ne pas modifier le dispositif de la contrainte pénale. Certains voulaient la supprimer quand d’autres voulaient la renforcer : nous avons donc mis la balle au centre, le statu quo étant finalement un terrain d’entente et la meilleure solution.

Nous avons aussi entendu la prudence du Sénat face à une éventuelle embolie des services judiciaires. Sur ce sujet, les sénateurs étaient peut-être plus prudents que nous : alors que nous étions très enthousiastes, ils nous ont ramenés à la sagesse. Nous avons compris les difficultés auxquelles auraient pu être confrontés les services judiciaires, et nous avons donc accepté de revoir nos ambitions à la baisse quant à l’introduction du contradictoire dans les enquêtes préliminaires et à la création d’une procédure de référé-restitution. Cependant, il était important pour nous de maintenir le principe de ces deux nouvelles procédures.

Le Sénat, de son côté, a notamment accepté que la plate-forme nationale des interceptions judiciaires commence à fonctionner dès 2017 – ce point est très important non seulement pour notre assemblée, mais aussi pour le Gouvernement –, et que l’aide aux victimes puisse être financée par des sur-amendes que la commission des lois et son président se réjouissent d’être enfin parvenus à inscrire dans notre droit. Sur ce second point, je rends hommage à M. Raimbourg pour sa ténacité. Cela fait quatre ans que nous nous battons là-dessus !

Enfin, je précise que tous les articles relatifs à la délinquance en col blanc ont été renvoyés au projet de loi « Sapin 2 », qui sera prochainement examiné dans notre hémicycle.

Je sais que le Gouvernement présentera aujourd’hui quelques amendements de précision, techniques, sur nos conclusions. J’indique d’ores et déjà que je serai favorable à ces trois amendements.

Mes chers collègues, au-delà des oppositions et des querelles partisanes qui animent parfois nos débats – nous l’avons encore vu ce matin –, il est réconfortant de constater que, lorsque la sécurité de la nation et la protection des libertés publiques et individuelles sont en jeu, nous parvenons finalement à nous unir et à nous réunir pour mieux protéger nos compatriotes. Je vous invite donc à poursuivre dans la voie de la concorde ouverte par la commission mixte paritaire et à vous prononcer toutes et tous en faveur de l’adoption de ses conclusions. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe de l’Union des démocrates et indépendants.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, madame la vice-présidente de la commission des lois, madame, monsieur les rapporteurs, la CMP est une étape lors de laquelle le Gouvernement est spectateur : c’est à peu près le seul moment de la procédure parlementaire où sa capacité d’influence est quasi nulle. Vous comprendrez donc que je serai très peu loquace, et que je me bornerai à remercier les acteurs de la réunion du 11 mai qui a, heureusement, abouti.

Je salue évidemment les deux rapporteurs, Colette Capdevielle et Pascal Popelin. Je n’oublie pas Dominique Raimbourg, qui a été un artisan de ce succès et auquel vous transmettrez mes remerciements. Merci aussi, évidemment, aux membres des différents groupes, qui reflètent les diverses composantes de l’Assemblée nationale et qui ont œuvré à la construction de ce consensus.

Il est vrai que les débats dans cet hémicycle avaient montré le chemin, puisque le projet de loi avait été adopté en première lecture par une large majorité, ce qui n’est pas très courant pour des textes de cette importance – 474 voix pour, 32 voix contre. Nous avons retrouvé cette quasi-unanimité au Sénat : 299 sénateurs s’étaient prononcés favorablement sur ce texte, quand seulement 29 d’entre eux avaient choisi de ne pas lui apporter leur soutien. Les deux assemblées avaient ainsi manifesté, dans les débats et dans les votes, leur claire volonté d’aboutir et de consolider la plupart des articles, lesquels ont été portés par trois ministres, de façon à balayer les différents aspects de la lutte contre le terrorisme, contre la criminalité organisée, et des réformes de la procédure pénale.

Vous l’avez dit, madame, monsieur les rapporteurs : la CMP a sagement su dépasser les différends qui existaient. L’engagement des deux présidents de commission n’y est sans doute pas pour rien.

Nous pouvons être, tous ensemble, assez fiers du travail accompli et de notre capacité de rassemblement autour de la sécurité, des garanties pour nos concitoyens, du renforcement des moyens des magistrats et de l’ensemble des simplifications procédurales qui ont abouti.

Il est précieux que, sur ces sujets, la volonté d’aboutir n’ait pas failli et qu’à chaque étape du processus parlementaire, on ait trouvé des points d’accord.

Ces efforts se constatent dans les chiffres : de 34 articles originels lors de sa présentation en conseil des ministres, le texte est passé à 102 articles à l’issue des débats au sein de cet hémicycle et il en compte maintenant 125 après les travaux de la commission mixte paritaire.

Bien sûr, des observateurs superficiels ou des esprits chagrins – mais il n’y en a pas dans l’hémicycle – critiqueront cet accroissement. Je préfère plus sérieusement y voir un travail parlementaire abouti, réalisé avec d’autant plus de constance et de méticulosité que, la plupart du temps, le Gouvernement était en parfaite harmonie avec les aspirations des parlementaires.

Je n’emploie pas cette précision, « la plupart du temps », par hasard. Il y a en effet, dans le texte de la CMP, des points qui n’auraient sans doute pas recueilli l’appui du Gouvernement dans l’hémicycle, mais c’est la manifestation légitime de la souveraineté parlementaire qui s’est exprimée. Mes convictions personnelles s’agissant des libertés du législateur sont suffisamment connues pour que je ne m’en formalise pas aujourd’hui.

Nous sommes tous les auteurs de ce texte et nous pouvons tous en revendiquer une partie importante. Ce projet de loi avait trois ambitions : des moyens supplémentaires pour lutter contre un phénomène dont on sait qu’il sera malheureusement durable, même s’il a fait une irruption brutale dans notre quotidien – je veux bien sûr parler du terrorisme ; plus de garanties pour le justiciable – personne ne comprendrait que notre équilibre soit altéré – et enfin, surtout, une longue série de simplifications procédurales.

Avant de conclure, j’aborderai deux points sur lesquels je souhaiterais m’attarder un instant et qui me permettront de répondre aux questions qui sont posées à l’extérieur de nos murs, car ici chacun connaît les réponses.

Pourquoi avions-nous besoin d’une troisième loi antiterroriste depuis le début de ce quinquennat et qui sera sans doute promulguée cet été, après celle de décembre 2012 et celle du 13 novembre 2014 ? Céderions-nous, comme j’ai pu le lire, à une sorte de fuite en avant de l’antiterrorisme, certains ayant parlé d’un canard sans tête dont on ne sait pas trop où il va aboutir ? Je ne le crois pas. Je suis même férocement convaincu du contraire.

Ce texte vient, par de multiples aspects, consolider le modèle français de lutte contre le terrorisme qui confie à l’autorité judiciaire une large capacité d’action qui s’étend de la prévention à la répression. Il apporte de la modernité technologique afin de préserver cette spécificité qui confie à l’autorité judiciaire la capacité de mouvement. Il permettra de renforcer la police judiciaire qui ne doit pas être moins efficace que la police administrative pour continuer d’exercer pleinement son office. Dès lors, il s’inscrit dans l’avenir de notre pays, parce qu’il le prépare, et même, le rend possible.

Mais au-delà de l’antiterrorisme, ce texte, je veux le souligner, doit être vu comme l’un des éléments constitutifs de l’ambition que j’essaie de porter pour le ministère que j’ai le privilège de servir depuis un peu plus de trois mois. Il ne peut pas se lire indépendamment du projet de loi de modernisation de la justice du XXIe siècle que vous examinez en ce moment même, non plus que du travail réglementaire réalisé ou des moyens budgétaires qui sont mobilisés.

Les mots peuvent paraître galvaudés à force d’être répétés mais, avec ce texte, nous œuvrons ensemble pour une justice plus efficace, plus accessible pour le citoyen et, surtout, pour une justice moins pauvre.

Je veux, par tous les moyens, poursuivre cet objectif tout à la fois évident et ambitieux. Je veux une autorité judiciaire qui, dans l’exercice quotidien comme face à la violence terroriste, continue de faire honneur à notre pays. Une justice dont nos concitoyens puissent se dire fiers et à laquelle ils puissent spontanément accorder leur confiance et le respect qui s’impose. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Jacqueline Fraysse.

Mme Jacqueline Fraysse. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, madame, monsieur les rapporteurs, chers collègues, je crains d’introduire un grain de sable dans le concert de satisfaction que je viens d’entendre.

Sans surprise, ce texte de compromis issu de la CMP confirme plusieurs mesures dangereuses pour les libertés individuelles. Il s’agit clairement, comme l’a reconnu le Président de la République, d’anticiper la sortie de l’état d’urgence. Si nous avions souligné en première lecture les quelques avancées de ce texte, nous ne pouvons accepter le rapprochement dangereux qu’il opère vers une forme d’état d’urgence permanent.

En effet, plusieurs dispositions intègrent des mesures exceptionnelles dans notre droit commun et engendrent un déséquilibre entre autorité administrative et autorité judiciaire.

Il s’agit d’abord de l’article 17 qui prévoit l’extension des pouvoirs des forces de l’ordre à l’occasion des contrôles et vérifications d’identité. La liste des infractions permettant de recourir à l’inspection visuelle et à la fouille de bagages apparaît trop largement définie. Elle ne se limite pas aux actes de terrorisme, mais inclut également le vol simple et le recel.

En outre, ce dispositif n’est pas suffisamment encadré. La problématique du recours à des critères purement subjectifs pour procéder à un contrôle d’identité et l’absence d’obligation en pratique de motivation des contrôles effectués constituent une source d’inquiétude majeure. Ce dispositif apparaît ainsi disproportionné au regard de l’atteinte aux libertés permise dans le cadre des pouvoirs donnés aux forces de l’ordre.

Ensuite, l’article 18 crée ce qui s’apparente une « garde à vue administrative » sans avocat, consécutive à un contrôle d’identité alors même que la personne aura justifié de son identité ! Les forces de l’ordre pourront retenir une personne pendant quatre heures maximum pour vérification de sa situation en cas de soupçon de lien avec une activité terroriste. Or si le comportement d’une personne est suffisamment en lien avec une activité terroriste, celle-ci devrait être placée en garde à vue sous le contrôle de l’autorité judiciaire. À défaut de la mise en évidence d’un tel comportement, aucune raison ne légitime un tel régime dérogatoire à la fois inutile et dangereux.

Nous nous opposons également à l’article 19 qui prévoit un nouveau cas d’irresponsabilité pénale pour les policiers, gendarmes et douaniers. Cette extension n’apparaît pas justifiée et n’est pas nécessaire juridiquement au regard des critères actuels de la légitime défense, de l’usage des armes par les forces armées et de sécurité intérieure.

Enfin, l’article 20 autorise le ministre de l’intérieur, sans enquête judiciaire approfondie, à assigner à résidence et à imposer des obligations et des interdictions à toute personne soupçonnée de revenir d’un théâtre d’opérations terroristes. Ce dispositif substitue au contrôle juridique un contrôle administratif confié à l’exécutif. Ainsi, l’autorité administrative se voit dotée de pouvoirs quasi pénaux portant une atteinte grave à la liberté d’aller et venir.

En dépit des nombreuses critiques émanant d’associations de défense des droits de l’homme, d’avocats et de magistrats, d’institutions indépendantes, aucun infléchissement n’a été consenti sur ces dispositifs particulièrement préoccupants. Nos amendements ont été rejetés tandis que la CMP a confirmé l’adoption de ces derniers. Pis, elle est venue aggraver ce texte en acceptant les conditions de relèvement de la période de sûreté attachée à une condamnation à perpétuité qui avait été adoptée par la droite sénatoriale. Il a ainsi été convenu d’une période de trente ans avant que ce relèvement soit possible.

Finalement, le texte adopté en CMP conforte le déséquilibre entre la protection des droits et des libertés et l’impératif de sécurité publique ainsi que de prévention et de répression des infractions pénales. Les députés du Front de gauche voteront donc une nouvelle fois résolument contre ce projet de loi.

M. le président. La parole est à M. Yves Goasdoué.

M. Yves Goasdoué. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, les rapporteurs ont tout dit sur ce qui a été décidé en CMP. C’est un texte important On ne peut pas dire qu’il ne devrait pas exister et dans le même temps s’interroger sur les moyens de sortir de l’état d’urgence. Ce texte fait partie de l’arsenal juridique qui nous permettra de sortir de l’état d’urgence tout en assurant aux Françaises et aux Français, et aux visiteurs qui viennent dans notre pays la sécurité à laquelle ils ont droit.

Je me contenterai de rappeler les dispositifs les plus importants du texte, les rapporteurs ayant insisté sur ce qui avait été résolu en CMP.

L’efficacité de l’enquête, d’abord. En matière de grande criminalité, le projet de loi donne de nouveaux moyens d’investigation au parquet comme au juge d’instruction. Ainsi, en matière de terrorisme, les perquisitions de nuit pourront être autorisées ainsi d’ailleurs que le recueil de données de connexions, la sonorisation ou la fixation d’images. L’utilisation de ces techniques est bien entendu limitée au strict nécessaire, et conditionnée – on ne le dit pas assez souvent – au fait qu’aucune autre technique moins intrusive ne puisse être efficacement mise en œuvre, il faut le souligner. Le juge des libertés et de la détention sera le garant de cette condition essentielle.

S’il existe des raisons sérieuses de penser que le comportement d’un individu puisse être lié à des activités terroristes, celui-ci pourra être retenu au maximum quatre heures en vue d’approfondir le contrôle d’identité.

Le retour d’une personne qui se sera déplacée sur un théâtre d’opérations à l’étranger pour participer à des activités terroristes sera mieux encadré et sécurisé. Si la judiciarisation de cette personne n’est pas possible, et uniquement dans ce cas, elle pourra, sous la censure du juge, faire l’objet d’un contrôle administratif.

Par ailleurs, les témoins qui participeront à l’identification de ces personnes ou aux procédures afférentes seront beaucoup mieux protégés, il faut le souligner.

La lutte contre le trafic d’armes est renforcée et s’accompagne d’une répression accrue.

Par ailleurs, le texte vise à pénaliser le trafic de biens culturels provenant de théâtres d’opérations terroristes et à limiter l’usage des cartes prépayées.

Il s’agit donc non seulement d’adapter les techniques d’investigation, mais aussi de renforcer les garanties au cours de la procédure pénale. Le texte crée le contradictoire dans les enquêtes les plus longues et donc les plus complexes. Il améliore les garanties applicables en matière d’interception de communication et en cas de détention provisoire. Pour sécuriser les procédures et l’intervention des forces de l’ordre, que ce soit d’un côté comme de l’autre – et tel est l’objet de cette mesure –, l’usage des caméras piéton, dites mobiles, est généralisé.

Il est essentiel de rappeler que toutes les mesures restrictives de liberté prévues dans ce texte sont placées sous le contrôle des juridictions en général et du juge des libertés et de la détention en particulier. Ces garanties seront renforcées par la création prochaine d’un statut particulier du juge des libertés et de la détention – vous souligniez à juste titre, monsieur le ministre, que les textes étaient liés entre eux. Au vu de l’augmentation considérable des responsabilités de ce juge des libertés, nous devons lui assurer un statut qui garantisse son indépendance et en fasse un juge spécialisé. C’est le travail que nous mènerons cet après-midi dans le cadre de l’examen du projet de loi pour la justice du XXIsiècle.

Objet d’un consensus transpartisan, le texte qui nous occupe répond par des éléments de droit commun aux menaces terroristes actuelles. Il renforce les équilibres de notre procédure pénale en la rendant plus efficace, sans toutefois lui enlever ce qui fait sa raison d’être, c’est-à-dire la protection des individus.

Pour toutes ces raisons, le groupe SRC votera ce projet de loi sans aucune difficulté. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. La parole est à M. Thierry Mariani.

M. Thierry Mariani. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, madame la vice-présidente de la commission, madame et monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, mon collègue Éric Ciotti, qui était présent ce matin, comme la plupart d’entre nous, pour le vote de la prolongation de l’état d’urgence, aurait souhaité s’exprimer en cet instant, mais il a dû regagner les Alpes-Maritimes. Permettez-moi donc d’exprimer la position du groupe Les Républicains sur ce texte.

La commission mixte paritaire étant parvenue à trouver un accord, nous nous apprêtons aujourd’hui à voter le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale. Je le dis d’emblée : le groupe Les Républicains, dans son ensemble, votera ce projet de loi. Ce texte apporte en effet des outils juridiques et techniques améliorant la réponse aux manques manifestes de moyens constatés après les attentats de novembre dernier. Il s’agit notamment des dispositions renforçant l’efficacité des investigations judiciaires et augmentant les pouvoirs de police administrative.

De plus, comme le disait Winston Churchill, il n’y a aucun mal à changer d’avis, pourvu que ce soit dans le bon sens. (Sourires.)

M. Yves Goasdoué. Ça arrive à tout le monde !

M. Thierry Mariani. Nous sommes donc ravis, monsieur le ministre, que vous ayez changé d’avis sur certains sujets, tout en regrettant le temps perdu au détriment de la sécurité des Français.

En effet, le texte comprend des mesures que les députés de l’opposition et de nombreux spécialistes réclamaient depuis longtemps – je pense notamment à la possibilité pour l’administration pénitentiaire de recourir aux techniques de renseignement, à l’assouplissement des conditions des fouilles dans les établissements pénitentiaires, à la création d’un délit de consultation habituelle des sites incitant à la commission d’actes de terrorisme, à la possibilité de décider de la perpétuité dite « incompressible » pour les individus condamnés pour des faits de terrorisme,…

M. Yves Goasdoué. Il n’y a pas que l’opposition qui le propose !

M. Thierry Mariani. …à la possibilité de procéder à des perquisitions de nuit et au renforcement des sanctions à l’encontre des opérateurs de télécommunications qui refuseraient de transmettre des informations utiles aux enquêteurs.

Outre le temps perdu, nous regrettons aussi, monsieur le ministre, les occasions manquées En effet, ce texte nous offrait l’opportunité d’initier la grande loi de programmation pour la justice que nous réclamons depuis 2012 C’est une occasion manquée de revenir sur la politique pénale irresponsable de la précédente garde des sceaux, une occasion manquée de redonner du sens à la sanction pénale en modifiant profondément les règles en matière d’exécution des peines, en particulier pour les terroristes, une occasion manquée de doter les forces de l’ordre des moyens dont elles ont réellement besoin, notamment en matière d’usage de la force armée, et une occasion manquée d’apporter une réponse solide à la question du retour des djihadistes sur notre territoire.

Malgré ces occasions manquées et les lacunes de ce texte, et comme nous l’avons fait chaque fois qu’il s’agissait de soutenir une initiative visant à renforcer la sécurité des Français, même insuffisante, dès lors qu’elle allait dans le bon sens, le groupe Les Républicains votera le projet de loi qui nous est proposé. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jonas Tahuaitu.

M. Jonas Tahuaitu. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la vice-présidente de la commission des lois, madame et monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, les tragédies qui ont frappé la France en plein cœur en 2015 ont rendu indispensable une modification de notre législation afin de faire face au défi que représente la lutte contre le terrorisme. C’est ainsi que le présent projet de loi, initialement destiné à simplifier la procédure pénale, est devenu avant tout un texte de lutte contre le terrorisme et le crime organisé.

Notre assemblée vient de prolonger de deux mois l’état d’urgence, mais celui-ci n’est pas voué à durer éternellement. Il doit demeurer exceptionnel. Nous devons donc dès à présent préparer l’« après état d’urgence » en intégrant de nouvelles mesures dans notre droit commun pour faire face à une crise et à une menace dont nous savons qu’elles seront durables. Nous approuvons donc sans réserve la démarche qui a consisté à intégrer dans ce texte des mesures de détection et de surveillance de la menace. Ainsi, nous sommes favorables à bon nombre des mesures que contient ce projet de loi : les perquisitions de nuit, les dispositions relatives à la fouille des bagages lors d’un contrôle d’identité ou encore la procédure de retenue d’une personne, en cas de suspicions sérieuses, pendant une durée de quatre heures.

La lutte contre le terrorisme implique aussi nécessairement une lutte contre son financement. Il était donc primordial de ne pas négliger cet aspect dans le projet de loi, en renforçant notamment le rôle de TRACFIN, mais également en luttant contre les trafics d’armes et de biens culturels émanant de théâtres d’opérations de groupements terroristes, qui peuvent contribuer à alimenter des activités terroristes.

Cependant, ainsi que nous l’avons indiqué en première lecture, ces différentes mesures doivent être suffisamment proportionnées et encadrées. Ce texte ne doit pas se traduire par une normalisation de l’exception qui pourrait comporter un risque important pour nos libertés individuelles.

Un certain nombre d’amendements adoptés par notre assemblée vont dans ce sens. Ils ont notamment permis de mieux encadrer la procédure de retenue et le recours à l’ IMSI catcher. Sur ce dernier point, en revanche, il eût été préférable que les données irrégulièrement recueillies en cas d’urgence, lorsqu’elles n’ont pas été autorisées par le juge des libertés et de la détention, fussent détruites, comme l’avait proposé le Sénat, et non pas seulement placées sous scellés fermés.

Nous sommes également favorables à certaines avancées introduites par nos deux assemblées – je pense notamment à la période de sûreté, qui pourra être portée à trente ans, ou à la création d’un délit de consultation habituelle de sites terroristes.

Néanmoins, reconnaissons-le, si la CMP est parvenue à élaborer un texte commun, c’est au prix des nombreux compromis acceptés par le Sénat. À titre d’exemple, l’exclusion des délits terroristes du champ de la contrainte pénale, ainsi que du mécanisme de la libération sous contrainte et du bénéfice des crédits automatiques de réduction de peine, n’a pas été conservée, ce que nous regrettons.

Enfin, le groupe UDI aurait souhaité aller plus loin.

Sur le cadre légal de l’usage des armes par les forces de l’ordre, le dispositif prévu par le texte se réfère au cas d’un périple meurtrier durant lequel la légitime défense ne pourrait être invoquée, mais qui relève d’un état de nécessité. Nous lui aurions préféré la formulation, moins restrictive, de danger imminent ou de violences graves, telle qu’elle était inscrite dans la proposition de loi du groupe Les Républicains.

En outre, la question du retour des djihadistes sur notre territoire doit être au cœur de nos préoccupations. Le projet de loi prévoit notamment, pour répondre à cette menace, un contrôle administratif des retours sur le territoire. Il s’agit d’une mesure de bon sens, car les qualifications juridiques existantes – l’association de malfaiteurs et l’entreprise terroriste individuelle – imposent d’apporter la preuve que les personnes s’étant rendues en Syrie et en Irak l’ont fait pour rejoindre un groupe terroriste. Nous aurions toutefois pu prévoir une interdiction de retour sur le territoire français et nous inspirer des mesures concrètes adoptées par le Sénat avec la proposition de loi tendant à renforcer l’efficacité de la lutte antiterroriste, en sanctionnant notamment le séjour sur un théâtre d’opérations terroristes par la création d’un nouveau délit.

En dépit de ces réserves, le groupe UDI ne s’oppose pas au projet de loi, qui comporte des dispositions nécessaires à la lutte efficace contre le terrorisme et le crime organisé.

M. le président. La parole est à M. Alain Tourret.

M. Alain Tourret. Monsieur le ministre, comment ne pas vous cacher un certain malaise ? Il est d’abord structurel, car les membres de notre groupe sont éliminés de toutes les CMP – voilà quatre ans que nous n’avons pas participé à une seule d’entre elles. Comment défendre le bilan d’une CMP dont nous avons été éliminés ?

Ensuite, nous prenons bien évidemment en compte les rapprochements qui ont été possibles du fait que les positions initiales n’étaient pas trop éloignées. On ne peut pas se rapprocher quand on est trop loin – cette tautologie est une réalité.

Nous sommes un peu mal à l’aise en réfléchissant en historiens sur l’histoire du terrorisme qu’a connu la France et sur les mesures qui ont été prises. En 1945, première montée du terrorisme en Algérie : à Sétif, le général Duval envoie l’armée et tue 18 000 personnes. À Madagascar, des dizaines de milliers de personnes ont été massacrées. Nous avons ensuite connu, entre 1954 et 1962, la guerre d’Algérie, où nous appelions « terroristes » ceux qui se révoltaient contre la France. C’était une véritable lutte, une guerre. La torture et tous les moyens de non-droit ont été autorisés. Tous les officiers qui torturaient ont été couverts par l’autorité. Toute personne susceptible d’être condamnée à mort était exécutée. Moi qui suis un mitterrandiste de toujours, je rappelle que l’ancien président Mitterrand a joué en la matière un rôle qui n’était pas brillant. Il n’était donc pas si facile de résoudre le problème du terrorisme. Il fallait rappeler que l’on peut admettre certaines restrictions des libertés, à condition de rester fidèles à nos principes démocratiques : la balance et son fléau d’un côté, le glaive de l’autre.

Les mesures proposées me semblent susceptibles de recueillir notre approbation, sauf une : la retenue de quatre heures. Après vous avoir tous écoutés à plusieurs reprises, je ne parviens toujours pas à comprendre pourquoi vous avez inscrit cette mesure dans ce projet de loi relatif au terrorisme. Ça me dépasse complètement ! Il était pourtant très simple de se rattacher à la garde à vue et, comme vous l’expliquez, de se situer ainsi dans le cadre de l’État de droit. En effet, la garde à vue et les mesures susceptibles d’être prises à ce titre sont bien connues.

Il faudra faire le bilan de ce dispositif. Je ne demande pour ma part qu’à être convaincu : si on peut me dire que cette mesure a permis d’éviter telle action terroriste ou susceptible de menacer l’État, très bien ! Mais, pour l’instant, ce n’est pas le cas.

Je n’arrive pas à approuver une telle mesure car c’est contraire à tous mes engagements. Depuis 1997, je me bats sur les questions de présomption d’innocence et de garde à vue : les droits doivent être incontestables dans cette période si compliquée, où l’on donne tellement de pouvoirs à ceux qui sont chargés de réprimer, à ceux qui sont chargés d’obtenir des aveux.

Je sais bien ce que vous allez me répondre : de toute façon, on n’interrogera pas, les aveux ne seront pas recueillis, etc. Mais instituer cette période de non-droit est à mon sens un danger pour la République. Cela ne m’empêchera pas de voter le texte, mais je regrette profondément de ne pas avoir été écouté sur ce sujet, dont je ne comprends pas l’intérêt.

Je vous propose donc, puisque nous sommes entre républicains, de faire un bilan dans six mois, un véritable bilan, afin d’établir si, oui ou non, les droits fondamentaux ont été respectés ou bafoués ; si, oui ou non, nous avons eu raison d’accepter que cette période de non-droit devienne désormais l’une des lois de la République. Voilà ce que je vous demande.

Je suis républicain depuis toujours. Ici, à l’instar de mon ami Giacobbi, les radicaux veulent défendre la République. Ils comprennent très bien que lorsque la République est attaquée, elle doit pouvoir se défendre.

Mais le président François Hollande, alors que je me trouvais avec lui au Caire, s’est adressé au maréchal Al-Sissi pour lui rappeler que les droits de l’homme – tous les droits de l’homme – étaient le meilleur moyen pour lutter contre le terrorisme. On ne doit jamais transiger avec les droits de l’homme.

M. Paul Giacobbi et Mme Jacqueline Fraysse. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame et monsieur les rapporteurs, chers collègues, depuis la date de son dépôt, ce texte de lutte contre le crime organisé et le terrorisme n’a eu de cesse de s’étoffer et de se durcir.

Il a fait l’objet de nombreux amendements, pour tout dire assez musclés, portés par la droite mais également par le Gouvernement à l’Assemblée nationale puis au Sénat, pour être finalement adopté en commission mixte paritaire le 11 mai dernier.

Que contient ce texte ? Outre l’autorisation des perquisitions de nuit, le projet de loi prévoit la création d’un régime de saisie de données de messageries électroniques indépendant de la perquisition, ainsi que l’élargissement de l’utilisation des IMSI catchers à l’interception de correspondances pendant une durée de quarante-huit heures, renouvelable une fois.

Le texte prévoit également un système d’assignation à résidence d’un mois et un contrôle administratif des personnes de retour de Syrie, même s’il n’existe aucun élément constitutif d’un délit justifiant de saisir la justice.

Ce texte crée aussi un régime de retenue administrative de quatre heures pour vérification d’identité sans la présence d’un avocat, même si la personne retenue a ses papiers en règle. La seule limite est la notification à la personne de son droit de garder le silence et l’accord exprès du procureur s’il s’agit d’un mineur.

Il prévoit également la création du délit de consultation habituelle des sites internet.

Surtout, pour que ce texte puisse être adopté par la droite sénatoriale, la commission mixte paritaire a considérablement durci le régime applicable aux périodes de sûreté. Ainsi, cette période est portée de vingt-deux ans à trente ans, avec quasiment aucune possibilité d’aménagement des peines.

M. Pascal Popelin, rapporteur. C’est nous qui avons écrit cela !

M. Sergio Coronado. En outre, les conditions d’examen par le tribunal d’application des peines des demandes de relèvement de la période de sûreté pour les condamnés concernés par les dispositifs de perpétuité réelle seront très strictement encadrées. Cette décision ne pourra être octroyée qu’après une incarcération minimale de trente ans.

Parmi les conditions figure notamment le recueil de l’avis des victimes ayant la qualité de partie civile lors de la décision de condamnation. Vous aviez, monsieur le garde des sceaux, pertinemment relevé la difficulté à réunir les victimes trente ans après les faits.

Pour ma part, je crois que ce texte est à la limite de ce que la Constitution et nos engagements internationaux nous autorisent à faire. Je le dis avec gravité : ces dispositions sont susceptibles de porter gravement atteinte aux droits fondamentaux des personnes privées de liberté, notamment le respect de la dignité des personnes détenues.

Pour conclure, je voudrais dire un mot sur les dispositifs concernant la prison elle-même. Ainsi, les services spécialisés du ministère de la justice figureront finalement dans la communauté du renseignement.

Nous avons eu ce débat à plusieurs reprises : les agents du bureau du renseignement pénitentiaire auront donc accès à des techniques de surveillance très larges et ce, sans le contrôle de la CNCTR – Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. À l’époque, le Gouvernement s’y était opposé. Je regrette que les objections soulevées pertinemment par le Gouvernement il y a quelques mois soient aujourd’hui ignorées.

Plus inquiétant encore : le rétablissement des fouilles à nu en détention. Il y a sept ans, la France avait supprimé leur caractère systématique après trois condamnations successives pour des fouilles jugées dégradantes. Depuis, elles ne pouvaient plus être utilisées qu’en dernier recours et s’il y avait une présomption d’infraction.

Le retour des fouilles à nu est véritablement une régression importante de notre droit. Le comité contre la torture des Nations unies a rappelé avec force, il y a quelques jours, que les fouilles à nu en prison devaient rester exceptionnelles. De son côté, le comité anti-torture du Conseil de l’Europe a appelé les États membres à revoir le traitement des condamnés à la perpétuité et à garantir une perspective de libération qui ne soit pas purement formelle – deux exigences qui me semblent bafouées dans ce texte.

Monsieur le garde des sceaux, vous avez indiqué votre satisfaction après l’adoption par la commission mixte paritaire de ce texte permettant de mettre à niveau les moyens de prévention et de lutte contre le crime organisé et le terrorisme. Or ce texte dépasse de très loin votre ambition première puisqu’il s’agit de la « loi antiterroriste la plus sévère d’Europe », pour reprendre le titre d’un quotidien du soir.

M. le président. La discussion générale est close.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Pascal Popelin, rapporteur. Alain Tourret, tout en indiquant son intention de voter le texte, a appelé de ses vœux quelques raisons pour se convaincre de la pertinence de l’article 18 relatif à la retenue de quatre heures. Je vais donc lui donner un exemple concret, qui devrait aussi permettre à Mme Fraysse de corriger son impression selon laquelle il s’agirait d’une garde à vue sans avocat.

Dans le cadre d’un contrôle d’identité effectué dans les règles de l’art, si la personne contrôlée présente des papiers d’identité en règle et si la vérification qui est faite dans la minute de la situation de cette personne ne fait apparaître aucun élément délictuel, celle-ci repart, même si, au moment où l’on procède à cette vérification, l’on constate qu’elle fait l’objet d’une fiche S. En effet, une fiche S n’est pas en elle-même un élément suffisant pour placer systématiquement la personne en garde à vue.

La retenue sera au maximum de quatre heures, tout simplement parce que c’est le temps maximal estimé par les services pour effectuer une recherche auprès de services de renseignement étrangers. Si la recherche doit être effectuée auprès de nos propres services de renseignement, c’est l’affaire de quelques minutes, durant lesquelles on recherchera les raisons ayant conduit au signalement de cette personne dans les fichiers : est-ce ancien ou bien récent ? Est-ce que cela donne matière à une judiciarisation via une garde à vue ?

Voilà l’objectif de cette retenue d’une durée maximale de quatre heures, qui ne peut être confondue avec une garde à vue. Nous avons en effet explicitement précisé dans la loi, du fait de l’adoption d’un amendement que j’ai moi-même proposé, à quoi pouvait servir ce temps, c’est-à-dire de quels droits les policiers disposaient pendant ce temps. De plus, nous avons expressément inscrit dans le texte qu’il ne pourrait y avoir d’interrogatoire.

Dans l’hypothèse où les éléments recueillis durant ce temps de vérification amènent à considérer que la personne doit faire l’objet d’une garde à vue, le temps de la retenue sera décompté du temps normal de la garde à vue, pendant laquelle les avocats pourront naturellement intervenir.

Enfin, nous avons ajouté une garantie supplémentaire avec l’information du procureur de la République de cette mise en retenue provisoire, le temps de la vérification.

Nous avons donc donné toutes les garanties de respect des droits et des libertés individuelles des personnes qui pourraient se trouver dans cette situation, tout en couvrant un angle mort de notre droit. Aujourd’hui, en effet, on peut, en toute connaissance de cause, après un contrôle d’identité, laisser partir une personne signalée comme pouvant être dangereuse, simplement parce qu’elle présente des papiers en règle : cela arrive très souvent.

Je souhaite également dire à M. Coronado que l’amendement introduit par le Gouvernement au Sénat ne modifie en rien les règles de l’article 57 de la loi pénitentiaire de 2009 sur la fouille à nu. Les conditions dans lesquelles est effectuée ladite fouille ne sont en rien modifiées, pas plus que les différents degrés de fouille déterminés par cette loi de 2009.

Sont modifiés en revanche les cas de recours, dans certaines circonstances particulières. En conséquence, parler de fouille à nu en donnant le sentiment que cette loi crée une nouvelle catégorie de fouille est tout simplement inexact et non conforme à la réalité du texte.

M. Sergio Coronado. Je n’ai pas dit cela ! J’ai parlé de fouille sans commission d’infraction !

M. Pascal Popelin, rapporteur. Je souhaitais donc, puisque vous n’avez pas voulu le dire comme cela, et pour éviter toute ambiguïté, apporter cette précision à la représentation nationale avant que nous ne procédions à l’adoption définitive de ce texte.

Texte de la commission mixte paritaire

M. le président. J’appelle maintenant le texte de la commission mixte paritaire.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. C’est un amendement de coordination.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Pascal Popelin, rapporteur. À titre personnel, puisque nous n’avons pu examiner cet amendement en commission mixte paritaire, mon avis est favorable dans la mesure où il s’agit d’un amendement de coordination.

M. Thierry Mariani. C’est un peu plus que de la coordination !

Mme Colette Capdevielle, rapporteure. Non !

M. Alain Tourret. Ce n’est pas de la coordination !

(L’amendement n1 est adopté.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, pour soutenir l’amendement n2.

M. Thierry Mariani. Celui-ci est vraiment un amendement de coordination !

M. Jean-Frédéric Poisson. Coordination réelle !

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Cet amendement n’est pas de coordination, mais mérite une précision – je ne voudrais pas que l’Assemblée nationale me juge discourtois dans mes explications. Il a pour objectif de réaliser non pas une, mais l’ensemble des coordinations nécessaires pour la mise en œuvre d’un outil auquel nous sommes tous collectivement attachés : la plateforme nationale des interceptions judiciaires, dite PNIJ.

En effet, l’Assemblée et le Sénat sont convenus – je les en remercie encore – de la nécessité pour la PNIJ d’être l’interface entre les opérateurs de communications électroniques et les magistrats et enquêteurs.

Il convenait dès lors de citer tous les articles du code de procédure pénale qui évoquent les opérations d’interception judiciaire ou de réquisition des données techniques, y compris pour la géolocalisation téléphonique en temps réel. Cela avait échappé à notre vigilance collective pendant les débats.

Il convenait également de spécifier quelles techniques employées par le renseignement pénitentiaire devront, lorsqu’elles seront mises en œuvre, transiter par la PNIJ, de façon à éviter des suspicions, et de préciser dans quelles conditions.

(L’amendement n2, accepté par la commission, est adopté.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, pour soutenir l’amendement n3 rectifié.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Il s’agit également d’un amendement de coordination qui, de manière très habituelle, concerne l’outre-mer. Nous harmonisons certaines dispositions afin d’éviter des ambiguïtés qui sont apparues une fois que le texte de la commission mixte paritaire a été stabilisé.

(L’amendement n3 rectifié, accepté par la commission, est adopté.)

Vote sur l’ensemble

M. le président. Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi, compte tenu du texte de la commission mixte paritaire modifié par les amendements adoptés par l’Assemblée.

(Le projet de loi est adopté.)

2

Modernisation de la justice du XXIe siècle

Suite de la discussion d’un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi, adopté par le Sénat, de modernisation de la justice du XXIsiècle (nos 3204, 3726).

Discussion des articles (suite)

M. le président. Hier soir, l’Assemblée a poursuivi la discussion des articles du projet de loi, s’arrêtant à l’article 16.

Article 16

M. le président. La parole est à M. Denys Robiliard, pour soutenir l’amendement n264.

M. Denys Robiliard. Il vise à faire sorte qu’un testament olographe, recueilli sur un acte contresigné par un avocat, échappe aux dispositions générales qui s’appliquent aux testaments olographes et mystiques, c’est-à-dire n’ait pas besoin d’être décrit par un procès-verbal dressé par un notaire.

Le législateur a institué l’acte d’avocat qui apporte une sécurité juridique. Il faut que nous sachions en tirer les conséquences. C’est le sens de cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour donner l’avis de la commission sur cet amendement.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Nous ne sommes pas prêts, monsieur le président. Je demande une suspension de séance.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures dix.)

M. le président. La séance est reprise.

Monsieur le rapporteur, vous avez la parole pour donner l’avis de la commission sur l’amendement n264.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Merci, monsieur le président. Je vais répondre à notre collègue, sachant que les rapporteurs ont émis un avis défavorable à son amendement. Je le fais dans le cadre d’une réflexion de fond : je ne suis pas certain que l’on améliore la justice en confondant les missions de ceux qui la servent.

Les notaires sont des officiers ministériels, comme les huissiers. Les avocats sont des auxiliaires de justice. Nous avons besoin des uns et des autres, mais on n’améliorera pas les choses en voulant toujours réunir les professions dans des exercices confus.

M. Jean-Frédéric Poisson. Nous ne vous le faisons pas dire !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Nous considérons qu’il appartient à chacun d’assumer les fonctions que la loi lui confère, dans l’intérêt bien compris du justiciable et du droit.

C’est l’article 1007 du code civil qui prévoit que « tout testament olographe ou mystique sera, avant d’être mis à exécution, déposé entre les mains d’un notaire ».

Ce notaire a obligation de dresser le « procès-verbal de l’ouverture et de l’état du testament, en précisant les circonstances du dépôt ». Le testament ainsi que le procès-verbal seront conservés au rang des minutes avant d’être transmis au tribunal de grande instance.

Nous considérons qu’il faut garder dans le cadre de l’article 1007 les compétences du notaire, de sorte qu’il n’y ait pas d’ambiguïté sur les missions de chacun.

Quand nous procédons à des auditions, les professions demandent à conserver leur domaine de compétence. Nous ne pensons pas que nous améliorerions la situation en faisant autrement. Les choses sont claires et bien établies. L’officier ministériel, vous le savez mieux que moi, a des compétences. Il a aussi des privilèges, mais je me permets de rappeler que ses actes ne peuvent être contestés que par l’inscription de faux : c’est une garantie.

Tel est le sens de notre avis défavorable.

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice, pour donner l’avis du Gouvernement sur cet amendement.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice. Le Gouvernement émet aussi un avis défavorable. Un alignement du testament par acte authentique et par acte d’avocat ne paraît pas acceptable. En effet, un testament par acte authentique est soumis à des règles de rédaction extrêmement exigeantes qui n’existent pas pour les testaments olographes, fussent-ils contresignés par un avocat.

Je rappelle que le testament authentique est reçu par deux notaires, ou au moins par un notaire assisté de deux témoins. Les modalités de recueil de la volonté du testataire sont par ailleurs très encadrées par le code civil.

C’est la raison pour laquelle le Gouvernement donne un avis défavorable à cet amendement qui altère les garanties dues au respect de la volonté du testateur et les intérêts de certains héritiers, d’autant que l’article 16 prévoit un allégement du contrôle des formalités d’envoi en possession lorsque l’on est en présence d’un testament par acte authentique.

(L’amendement n264 n’est pas adopté.)

(L’article 16 est adopté.)

Article 16 bis

(L’article 16 bis est adopté.)

Article 16 ter

(L’article 16 ter est adopté.)

Article 16 quater

(L’article 16 quater est adopté.)

Article 17

M. le président. La parole est à M. Guy Geoffroy, pour soutenir l’amendement n222, qui est de suppression.

M. Guy Geoffroy. Monsieur le ministre, l’article 17 prévoit purement et simplement un transfert de compétence.

En effet, la compétence des greffes des tribunaux d’instance en matière d’enregistrement et de dissolution du pacte civil de solidarité – PACS – serait confiée aux officiers de l’état civil et donc aux communes.

Sur le fond, l’intention ne peut pas être critiquée : alléger la charge de nos juridictions en la matière n’a rien en soi de choquant, mais – car il y a un « mais » – vous proposez ce transfert aux officiers d’état civil et à leurs collaborateurs sans qu’il s’accompagne d’aucun moyen supplémentaire pour les communes.

Nous sommes en période où, vous ne l’ignorez pas, votre Gouvernement fait subir aux communes une véritable purge budgétaire. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Xavier Breton. Protestations molles sur les bancs de la majorité…

M. Guy Geoffroy. Au même moment, vous envisagez de leur transférer de nouvelles compétences, qui ne sont pas anodines : elles supposent de mettre en place une formation destinée aux personnels qui, dans nos communes, vont être chargés de cette nouvelle responsabilité.

Par ailleurs, et je ne pense pas me tromper en le disant puisque ce sont vos propres services qui nous le font savoir, le nombre de documents et de procédures à mettre en place correspond grosso modo à celui des mariages célébrés en une année dans une commune.

Pour nos services d’état civil, qui consacrent du temps et des compétences à la préparation et à la célébration des mariages, vous doublez la mise avec cette disposition relative au pacte civil de solidarité. C’est la raison pour laquelle il nous semblerait sage d’entreprendre un examen complémentaire et, surtout, d’attendre la décision légitime que vous devriez prendre afin de nous donner les moyens budgétaires qui nous permettront de faire face à cette nouvelle responsabilité.

Le présent amendement vise donc à donner le temps au Gouvernement d’être cohérent avec lui-même et à permettre aux communes de ne pas se trouver encore plus chargées, alors que l’État, lui, se décharge de ses responsabilités et nous enlève les moyens budgétaires qui vont avec les nôtres.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Défavorable. Nous avons déjà eu un long et intéressant débat en commission sur le sujet. J’observe d’ailleurs que celui-ci semble avoir convaincu M. Geoffroy de l’intérêt qu’il y a à ce que ce soient les communes qui enregistrent les PACS. M. Geoffroy pose en effet le seul problème de la compensation financière du coût de ces enregistrements. C’est intéressant. La réception et la transcription des PACS à l’état civil figuraient dans le projet de loi initial de 1999, et elles avaient été abandonnées pour des raisons en partie similaires. On avait ensuite envisagé d’attribuer cette responsabilité à la préfecture, puis on avait décidé, dans des circonstances quelque peu étonnantes, de la transmettre au greffe – mais chacun se rappelle cette histoire.

Sur le fond, il appartiendra au Gouvernement de répondre, puisque le maire agira dans le cadre de sa fonction d’officier de l’état civil, c’est-à-dire – je me permets de le rappeler, monsieur Geoffroy – de représentant de l’État dans la commune, fonction pour laquelle il bénéficie de l’appui de l’administration communale.

Je voudrais revenir sur deux arguments qui ont été abondamment discutés en commission.

Premièrement, les communes ont tout intérêt à rester enracinées dans le quotidien de vie de leurs habitants. De ce fait, je juge très pertinent que des actes courants, qui concernent l’état civil ou la situation de nos concitoyens, soient référencés à l’échelon de la commune. Je trouve même que cela permettra de mieux asseoir le fonctionnement de nos communes : les grandes et, surtout, les moins grandes. Il est important de prévoir que c’est dans ces services que ces choses-là se feront. Je défends cette position, y compris dans les débats qui regroupent des maires – dont je fais moi aussi encore partie, monsieur Geoffroy. Le meilleur moyen de se défendre pour la commune est de s’approprier les compétences qui concernent la vie des gens.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Bien sûr !

M. Jean-Frédéric Poisson. Curieux raisonnement !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Deuxièmement, pour ce qui est des capacités, les services de l’état civil de nos communes font des choses bien plus compliquées que recevoir l’enregistrement d’un acte ! Je ne pense pas que cela soulève une quelconque difficulté.

Je considère pour ma part qu’il s’agit d’un progrès, qui aura pour effet de réduire les charges de fonctionnement des greffes, qui assumaient cette tâche dans des conditions pas toujours faciles, ni pour eux ni pour les personnes qui venaient dans une position de justiciables.

Je vous propose donc, monsieur Geoffroy, de retirer votre amendement ; à défaut, nous y donnerions un avis défavorable, tout en laissant au Gouvernement le soin de répondre sur les aspects financiers.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Très bien !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement est lui aussi défavorable à cet amendement.

Je voudrais d’abord relativiser la dépense ou la charge potentielle qu’une telle disposition pourrait représenter pour les 36 000 collectivités concernées. On compte 163 000 PACS par an : toutes les communes n’auront pas à faire face à un surcroît de travail conséquent ; je ne demanderai pas au maire de Moult combien de PACS il aura à enregistrer l’année prochaine, mais je pense que cela devrait être de l’ordre du supportable pour sa mairie.

M. Alain Tourret. En tout cas, cela restera supportable pour le maire…

M. Paul Giacobbi. N’y aura-t-il donc pas moult PACS à Moult ? (Sourires.)

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. En tout état de cause, le Sénat, sous la responsabilité du sénateur Yves Detraigne, après un travail effectué en commission des lois il y a déjà quelques mois, se propose de créer ce qu’il appelle, non pas un baptême civil – le terme serait paradoxal –, mais un parrainage civil, c’est-à-dire quelque chose qui n’a en fin de compte qu’un rapport assez lointain avec l’état civil. Il compte demander aux communes de s’en occuper. C’est un sénateur qui appartient à l’opposition qui fait cette proposition, et il n’est sans doute pas le moins bien qualifié pour juger de ces questions.

Surtout, monsieur le député, vous savez bien que le Gouvernement a prévu des compensations à hauteur de 2,350 millions d’euros, via notamment un amendement qui tend à supprimer les doubles des registres de l’état civil, ce qui compensera largement la charge éventuelle. Je voudrais faire ici état non pas de négociations – car cela n’a pas eu lieu –, mais de conversations que j’ai eues, à ma demande, avec François Baroin, le président de l’Association des maires de France, que j’ai invité à la Chancellerie. Je lui ai fait part de mes arguments ; je ne lui ai pas demandé s’il était favorable ou hostile à une mesure de ce type, je lui ai simplement demandé si celle-ci serait de nature à alléger les charges qui pèsent sur les collectivités ; il me l’a confirmé, alors même qu’il ne disposait pas du chiffre que je viens de citer.

Je pense donc que la compensation est conséquente, d’autant plus qu’elle s’accompagne d’autres, à travers le dispositif de rectification des erreurs matérielles dans les actes de l’état civil ou l’extension du dispositif COMEDEC de communication électronique des données de l’état civil aux actes de mariage et de décès. De l’avis même de ceux qui sont des maires – comme vous le savez, monsieur le député, je n’en suis pas –, il s’agit d’allégements suffisamment substantiels pour compenser les éventuelles charges liées au fait que ce seront enfin les officiers de l’état civil qui enregistreront les PACS. Cette disposition répond d’ailleurs à un vœu très ancien de nombre de parlementaires, et notamment à la proposition émise par M. Michel Mercier et Mme Catherine Tasca dans un rapport d’information du Sénat en 2014.

M. le président. La parole est à M. Alain Tourret.

M. Alain Tourret. Monsieur le garde des sceaux, je voudrais rétablir quelques vérités historiques.

Le PACS est issu d’une proposition de loi, qui avait été signée par cinq parlementaires, dont j’étais.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. C’est bien ce que j’ai dit !

M. Alain Tourret. Nous étions cinq, il en reste deux :…

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est dire si cela a marché !

M. Alain Tourret. …Bloche et Mamère ; les deux autres sont partis vers d’autres horizons. Lorsque nous avons signé la proposition de loi, nous avions prévu que le PACS serait enregistré auprès des officiers d’état civil. Je m’étais battu en ce sens.

Là-dessus, nous avons reçu une pétition d’environ 13 000 maires, des maires qui disaient qu’ils refuseraient d’enregistrer les PACS. On ne se rend pas compte aujourd’hui de la furie qui se manifestait à l’époque !

M. Erwann Binet. C’est vrai !

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Et maintenant, c’est une réalité…

Mme Catherine Coutelle. On a vu la même chose à l’occasion du mariage pour tous !

M. Alain Tourret. Oh, croyez-moi, c’était pire au moment du PACS ! J’ai été insulté comme jamais personne ne l’avait été ; j’ai même été traité de zoophile sur les bancs de cette assemblée !

Lorsque nous avons vu la résistance que cela provoquait de la part d’un certain nombre d’officiers de l’état civil, nous nous sommes dit que l’on ne pouvait pas mener une guerre contre 13 000 maires et nous avons réfléchi pour trouver qui devrait s’en charger. À l’époque, une proposition avait été faite dans les rangs socialistes : confier cette responsabilité aux préfectures. C’est moi qui ai obtenu, via un amendement, que l’on abandonne cette idée. Pourquoi ? Parce que j’ai invoqué le ficher des juifs ! On en était là ! On a donc retiré l’enregistrement des PACS de la compétence des préfectures pour, via l’amendement que j’avais proposé, le donner à celle des tribunaux d’instance.

Toutefois, chacun avait compris que c’était par défaut que l’on en arrivait là : notre volonté initiale était de s’en remettre aux compétences des officiers de l’état civil français.

C’est pourquoi j’estime que revenir à ce qui avait été prévu, mais n’avait pas été possible pour des raisons purement politiques, est une excellente chose. Cela honore les maires, les officiers de l’état civil, et cela justifie leur existence au moment où ils perdent un certain nombre de compétences.

J’insiste donc pour que l’amendement de suppression ne soit pas voté.

M. le président. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson.

M. Jean-Frédéric Poisson. Notre collègue Tourret oublie un fait historique : l’Assemblée nationale avait à l’époque rejeté un amendement déposé par un député communiste, qui proposait que le PACS soit signé en mairie. Il s’est donc trouvé dans cet hémicycle une majorité pour rejeter cet amendement.

M. Alain Tourret. J’ai expliqué pourquoi : il y avait 13 000 maires contre !

M. Jean-Frédéric Poisson. Le Parlement a donc statué sur le sujet.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Les choses ont évolué depuis !

M. Jean-Frédéric Poisson. Si je me permets cette précision, c’est pour la justesse de votre rappel historique, monsieur Tourret.

Monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, il y a quelque chose que je ne comprends pas dans votre argumentation : je ne vois pas ce qui, dans la nature du PACS, pourrait le rapprocher de quelque manière que ce soit d’une problématique d’état civil. Le PACS a été conçu en vue d’être un contrat, et seulement un contrat, dont les modalités de rupture ont été ramenées au plus simple. Celles-ci sont encore en vigueur : c’est toujours par simple lettre recommandée envoyée au greffe du tribunal que l’on rompt un PACS ; cela pour assurer dans les meilleures conditions possibles une dévolution des biens sur laquelle le juge ne statue pas – ce qui est, on le sait, un des obstacles à la rupture. Tout cela avait été signalé dès le départ.

Mais tout cela répondait aussi à la volonté initiale des concepteurs du PACS ; Alain Tourret s’en souviendra, et Patrick Bloche, qui suit certainement nos débats, aussi. Le fait de demander à l’état civil d’enregistrer le PACS veut donc dire deux choses.

Premièrement, vous allez donner au PACS une portée qu’il n’a pas et qu’il n’a jamais eue. Vous invoquez l’enracinement des communes dans la vie quotidienne ; je veux bien, mais, dans ce cas, il faudrait aussi enregistrer en mairie les contrats commerciaux et d’autres choses très structurantes pour la vie quotidienne !

Mme Catherine Coutelle. Ce n’est pas la même chose !

M. Jean-Frédéric Poisson. Deuxièmement – mais je n’en suis pas étonné –, par contrecoup, on aligne progressivement le régime du mariage sur celui du PACS, en faisant monter le PACS d’un cran et en ramenant le mariage à un simple contrat, alors qu’il est bien plus que cela : ce sera fait tout à l’heure, avec l’article 17 ter. En définitive, tout cela est cohérent – je n’ai d’ailleurs pas l’habitude de reprocher à mes adversaires leur manque de cohérence.

Il reste que je ne vois pas, en dehors du fait que cela représenterait, c’est vrai, une charge nouvelle pour les communes, ce qui dans le régime du PACS justifierait, de quelque manière que ce soit, un rapprochement avec une notion qui relèverait de l’état civil. Cela n’a jamais été le cas, cela ne veut pas l’être et cela ne peut pas l’être.

Pour ces raisons, qui, j’en conviens, sont un peu différentes des siennes, je soutiendrai activement l’amendement de notre collègue Geoffroy.

M. le président. La parole est à M. Guy Geoffroy.

M. Guy Geoffroy. Je ne retirerai pas l’amendement, car l’argumentation du rapporteur me laisse perplexe et les explications du ministre ne me comblent guère d’aise.

Que notre collègue sénateur Yves Détraigne dépose une proposition de loi, c’est son droit le plus strict ; quant à nous y associer d’office, c’est autre chose, et cela ne me paraît nullement évident. Un tel argument peut certes être présenté, mais il ne me paraît pas totalement pertinent.

La question que je me pose est la suivante : pourquoi le Gouvernement présente-t-il cette mesure ? Il nous dit qu’il faut alléger les charges de la justice, afin que celle-ci puisse mieux se consacrer à ce qui correspond, dans l’esprit de nos concitoyens, aux nécessités actuelles de la prestation de l’autorité judiciaire ; mais, quand on envisage les choses du côté des communes, comme par miracle, cela ne représente presque pas de charge !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Ce n’est pas la même chose !

M. Guy Geoffroy. Voilà qui n’est pas convenable ! Soit c’est une charge, soit ce n’est pas une charge ; et si le ministère souhaite être « déchargé », c’est bien qu’il y a un transfert de charge.

Quant à l’argumentation d’Alain Tourret, argumentation dont la pertinence devient de ce fait toute relative, je constate qu’au moment de l’examen du PACS, on a estimé qu’on ne pouvait pas mépriser 13 000 maires – au point que la disposition a été supprimée. Les maires aujourd’hui, on n’a plus besoin de les mépriser : ils sont accablés par la diminution considérable des ressources provenant de l’État – qui ne sont, précisons-le, que des ressources découlant de la solidarité nationale envers les collectivités. Heureusement que nous sommes là pour soulever les problèmes, car ils n’en sont plus, les maires, à relever tous ces petits ruisseaux qui formeront à terme l’énorme rivière, bientôt en crue, des compétences nouvelles qu’on leur attribue. On estime qu’ils sont tout à fait capables de les assumer, alors même que non seulement on ne leur en donne pas les moyens, mais qu’on leur retire des ressources budgétaires considérables, qui leur servaient à assumer les responsabilités que l’État leur confère dans le cadre – j’en conviens – de l’état civil, et aussi celles que l’État leur permet d’assumer dans le cadre de la compétence générale qui est la leur.

M. le président. Merci, cher collègue.

M. Guy Geoffroy. Je ne retirerai donc pas cet amendement. Il faut que chacun ait bien conscience que la disposition qui va être votée, si mon amendement ne l’est pas, va entraîner un surcroît de responsabilités et de dépenses pour les communes.

M. Xavier Breton. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Si la charge de travail qui pesait sur un tribunal d’instance se trouve répartie entre 250 mairies, il est bien évident que les officiers d’état civil de ces 250 mairies n’auront pas le même travail que le greffe du tribunal – si tant est, d’ailleurs, que les 250 mairies aient à enregistrer des PACS. Je pense d’ailleurs que de nombreux maires se réjouiront un jour que la conclusion d’un PACS puisse être associée au nom de leur ville.

Deuxièmement, j’ai toujours considéré qu’il était important que les administrés se rendent à la mairie de leur commune pour remplir les formalités touchant à leur vie quotidienne.

M. Jean-Frédéric Poisson. Cela dépend pour quoi !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Et je considère que l’Association des maires de France devrait continuer à soutenir l’idée selon laquelle la maison commune que constitue la mairie est le lieu dans lequel tout le monde peut se retrouver.

M. Guy Geoffroy. Les mairies doivent en faire de plus en plus avec de moins en moins d’argent ! Bravo !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Troisièmement, lorsque vous niez au PACS son caractère d’instrument d’état civil, vous oubliez que celui-ci, une fois enregistré, est mentionné sur les actes de naissance de chacune des personnes concernées, tout comme sa transformation, son annulation ou sa contestation. Cela veut bien dire que le PACS est un instrument de l’état civil de nos concitoyens. Par exemple, lorsqu’un maire s’occupe des formalités précédant un mariage et qu’il s’aperçoit que l’un des futurs époux était déjà lié par un PACS, il doit commencer par effectuer la rectification, pour que le PACS ne se cumule pas avec un acte de mariage.

Oui, le PACS est inscrit sur l’acte de naissance de chacune des personnes concernées. Il s’agit donc bien d’un instrument d’état civil, au sens le plus beau du terme : j’existe, et j’existe dans une réalité sociétale.

M. Jean-Frédéric Poisson. C’est du violon !

(L’amendement n222 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Christophe Caresche, pour soutenir l’amendement n149.

M. Christophe Caresche. Cet amendement prolonge la discussion que nous venons d’avoir. S’il est vrai que le transfert du PACS à l’état civil ne pose pas de difficulté, il est vrai aussi que la question de la compensation se pose – puisque c’est une obligation constitutionnelle. Mon amendement vise précisément à créer cette compensation pour couvrir le coût d’un tel transfert de compétences aux communes.

Mais je vous ai entendu, monsieur le ministre, et les montants que vous avez annoncés me semblent correspondre exactement au coût de cette formalité. J’ai cru comprendre que le Gouvernement avait déposé un amendement, mais j’aimerais savoir précisément, monsieur le ministre, la procédure que vous avez retenue.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Nous avons déjà évoqué cette difficulté, et le fait que ce transfert de compétences ne pèsera pas de la même manière sur toutes les communes – je reconnais volontiers qu’il sera particulièrement important pour la ville de Paris.

La commission a émis un avis défavorable sur cet amendement, étant précisé qu’il appartient au Gouvernement d’apporter une réponse à la question posée par M. Caresche.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Les amendements du Gouvernement relatifs à la compensation ont été déposés sur l’article 18 du projet de loi. Ils suppriment l’exigence de confection d’un double des registres de l’état civil et l’envoi des avis de mention aux juridictions détentrices de ce double.

M. le président. La parole est à M. Guy Geoffroy.

M. Guy Geoffroy. Christophe Caresche, avec son amendement, dit exactement la même chose que moi, avec le mien. Pour ma part, je serai cohérent et je voterai cet amendement – sans taxer mon collègue d’incohérence, je constate qu’il n’a pas voté le nôtre, qui revenait pourtant au même.

M. Jean-Frédéric Poisson. Cela sent le retrait !

M. Guy Geoffroy. Plutôt que de renvoyer à un autre article la définition de cette compensation financière, qui, pour solde de tout compte, vaudra pour tous les transferts de compétences, je crois qu’il serait plus clair, comme le propose cet amendement, qu’à une compétence nouvellement dévolue aux communes corresponde, de manière claire et transparente, un nouveau financement. Je voterai donc cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Christophe Caresche.

M. Christophe Caresche. L’amendement que j’ai présenté n’est pas du tout le même que celui de M. Guy Geoffroy…

M. Guy Geoffroy. Dans l’esprit, c’est le même !

M. Christophe Caresche. …mais je vais le retirer (« Ah ! » sur quelques bancs du groupe Les Républicains) puisqu’il est satisfait par la réponse du ministre.

(L’amendement n149 est retiré.)

(L’article 17 est adopté.)

Article 17 bis

(L’article 17 bis est adopté.)

Article 17 ter

M. le président. La parole est à Mme Catherine Coutelle, première oratrice inscrite sur l’article.

Mme Catherine Coutelle. Cet article, qui a été introduit en commission, crée une disposition discutée depuis longtemps – précisément depuis la loi de 2004, qui a autorisé le divorce par consentement mutuel.

La Délégation aux droits des femmes ne s’était pas saisie de ce projet de loi, mais de nombreuses associations féministes ou défendant les femmes victimes de violences conjugales ont appelé son attention sur cet article. Je sais, monsieur le ministre, que vous avez répondu par voie de presse à certaines d’entre elles, mais il importe que la représentation nationale soit éclairée avant de se prononcer.

J’ai lu attentivement le compte rendu des débats en commission, afin de comprendre quel était votre objectif. Permettez-moi de rappeler la manière dont les choses se passent aujourd’hui, et ce qui va changer.

Le compte rendu rappelle bien le rôle du juge dans le divorce par consentement mutuel, qui représente 53 % des 126 000 divorces prononcés chaque année, ce qui est considérable. Il revient actuellement au juge de s’assurer de la volonté des époux et de leur consentement éclairé et de vérifier que la convention préserve les intérêts de chaque époux et des enfants. Le juge peut refuser d’homologuer une convention, lorsque l’équité n’est pas respectée. À ce stade, monsieur le ministre, je souhaiterais savoir si l’on connaît la proportion de refus d’homologation. Dans combien de cas les juges repoussent-ils la convention, en engageant les époux à poursuivre leur discussion, voire à annuler leur demande de divorce ?

Il est également précisé que le juge protège les époux, au besoin contre eux-mêmes, contre l’abus de l’un d’eux face à la faiblesse de l’autre, et qu’il protège l’intérêt des enfants. Ce point nous intéresse particulièrement, parce qu’on sait que, même en cas de consentement mutuel, lorsqu’il y a eu des violences au sein du couple, certaines femmes, parce qu’elles sont pressées d’en sortir, acceptent le consentement mutuel pour aller plus vite.

Que va-t-il se passer demain ? Le projet de loi prévoit que les époux pourront consentir mutuellement à leur divorce par un acte sous signature privée, contresigné par les avocats, et que cet acte sera déposé au rang des minutes d’un notaire, qui lui conférera date certaine et force exécutoire. La convention sera discutée entre les époux, avec leurs avocats respectifs.

Vous avez posé des garde-fous, sans doute parce que vous sentez qu’il pourrait y avoir des dérives.

M. le président. Merci de conclure, chère collègue.

Mme Catherine Coutelle. Cet article est important, monsieur le président, et je n’ai pas beaucoup pris la parole jusqu’ici…

Le rapport indique que la convention contresignée offre un cadre juridique sécurisé, puisque c’est à l’avocat qu’il revient d’attester qu’il a éclairé pleinement les parties. Je dois dire que cet argument me pose question. Le notaire, contrairement à ce qui est dit et répété, ne procédera à aucun contrôle : il se contentera d’enregistrer.

Monsieur le ministre, connaissez-vous le nombre de refus d’homologations ? Comment concevez-vous le rôle des avocats, chargés d’éclairer les parties et de détecter leurs faiblesses, sachant qu’ils sont partie prenante de la discussion ? S’agissant du contenu de la convention, comment seront réglées les questions relatives à la garde des enfants, à la pension alimentaire ou à la participation à l’éducation des enfants ? En l’absence de juge, en l’absence d’une personnalité extérieure, c’est aux deux parties prenantes qu’il reviendra de s’entendre.

J’aimerais, pour finir, évoquer une disposition au sujet de laquelle j’ai été alertée. En cas de défaut de paiement de la pension alimentaire, le parent qui ne reçoit pas la pension – en général, la mère – peut poursuivre l’autre parent pour abandon de famille. Or, en vertu de l’article 227-3 du code pénal, ce délit n’est constitué que s’il y a eu décision judiciaire ou convention judiciairement homologuée, ce qui, me semble-t-il, n’est pas le cas ici.

M. Jean-Frédéric Poisson. Eh oui !

M. Jacques Myard. Bien vu !

Mme Catherine Coutelle. Je vous remercie, monsieur le ministre, de bien vouloir répondre à toutes ces interrogations, et à ces inquiétudes.

M. le président. La parole est à M. Hervé Mariton.

M. Hervé Mariton. Le Gouvernement est toujours dans la même logique, qui promeut l’individualisme et conduit à la précarité. Nous la subissons depuis le début de ce mandat, notamment en ce qui concerne la vision de la famille. Et c’est, hélas, ce que nous avions pu craindre, aussi, lors du mandat précédent.

Ce texte facilite le changement de prénom – nous l’évoquions il y a quelques heures –, dans une logique individualiste ; avec la déjudiciarisation du mariage, celui-ci est de moins en moins une institution, et s’apparente de plus en plus à un simple contrat. Or, ces dernières années, la vie concrète de nos concitoyens a été facilitée. La loi du 26 mai 2004, relative au divorce, a permis d’améliorer sensiblement les délais de procédure du consentement mutuel, qui est passé de neuf mois à trois mois et demi. Pour un événement aussi important qu’un divorce, un délai de trois mois et demi est-il indécent ?

Doit-on absolument aller vers des mariages et des divorces kleenex, dans une logique d’uberisation du divorce ? Que nous proposera-t-on après cela ? Des procédures simplifiées et des contrats-types, accessibles grâce à une application sur nos téléphones portables ? Divorcer, ce sera facile : il y aura une application pour cela !

Monsieur le ministre, chers collègues, le regard du juge est indispensable – cela a été dit sur ces différents bancs, à l’occasion de la discussion générale –, car le juge prévient l’injustice et protège le faible contre le fort. Mêmes dans les cas que vous visez dans cet article, il peut y avoir un faible et un fort. Méconnaître le juge, c’est retirer au justiciable le droit d’être protégé. À propos du divorce, Jean Carbonnier rappelait que la présence du juge était la seule à même de garantir la liberté des consentements, la seule. Sans l’intervention d’un juge, l’un des époux pourrait être lourdement lésé, et le notaire – cela a été rappelé par Catherine Coutelle – ne ferait que l’enregistrer.

J’en viens à ce qui est le plus grave, la place de l’enfant, sur laquelle le Défenseur des droits, Jacques Toubon, a appelé notre attention. Votre dispositif est contraire à la Convention européenne des droits de l’homme. Chaque année, ce sont 60 000 enfants qui sont concernés par cette procédure. Plus de la moitié des divorces par consentement mutuel interviennent en présence de mineurs. L’enfant pourra être entendu, dites-vous. Mais dans quelles conditions ? Qui vérifiera que ce droit a été effectivement proposé à l’enfant, si le juge ne le fait pas, comme il doit le faire aujourd’hui, de manière systématique ?

Votre texte est inacceptable. Il est inacceptable par la vision qui l’inspire. Même s’il ne s’accorde pas toujours sur tout, notre groupe, très majoritairement, combat votre vision des choses. Au-delà même de cette question, il y a un enjeu concret, immédiat : celui de l’intérêt des conjoints et des enfants. Je sais que, sur d’autres bancs que les nôtres, de très nombreux parlementaires s’inquiètent des effets que pourrait avoir votre proposition. Vous devez, monsieur le ministre, comme d’autres gouvernements l’ont fait avant vous, y renoncer, car elle va contre le mariage, contre les conjoints et contre les enfants. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.)

M. Jacques Myard. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. L’examen des amendements déposés sur cet article nous donnera l’occasion d’entrer dans le détail de la proposition que vous avez faite, monsieur le garde des sceaux, et qui a été adoptée par la commission des lois.

Ce n’est pas la discussion sur l’article qui nous permettra d’épuiser les différents problèmes qui se posent. Mais je veux dire, pour commencer, qu’il y a clairement un problème de méthode.

Cette proposition nous arrive sous forme d’amendement à un texte déjà examiné en première lecture par le Sénat – est-ce à dire que les sénateurs n’ont pas leur mot à dire sur le sujet ? –, de manière subreptice, sans étude d’impact. Il est vrai que nous avons l’habitude de vous voir passer en force sur tous les sujets de société.

Deuxième point, en supprimant l’intervention du juge dans la procédure de divorce par consentement mutuel, on ôte des garanties, à la fois aux adultes, notamment en matière de protection des conjoints, et surtout des conjointes, les plus vulnérables, et aux enfants, l’intérêt supérieur de l’enfant étant très clairement mis en péril.

L’amendement que vous avez proposé à la commission et qu’elle a adopté traduit une conception du divorce, et plus largement du mariage, voire de la société, que nous ne partageons pas. Vous fondez la société sur une éthique de l’autonomie, en vertu de laquelle des adultes interchangeables pourraient prendre leurs décisions. Malheureusement, ce monde parfait n’existe pas. Pour notre part, nous nous inscrivons dans une éthique de la vulnérabilité, qui commande de prendre en compte les fragilités des parcours de chacun. C’est ce que nous nous attacherons à montrer en défendant nos amendements.

M. le président. La parole est à M. Patrick Hetzel.

M. Patrick Hetzel. On est assez mal à l’aise face à certains arguments : on a l’impression qu’on parle d’un contrat comme les autres, comme si cette question relevait du code de commerce. Or nous parlons du code civil.

Je suis d’autant plus étonné, monsieur le garde des sceaux, qu’il vous revient au contraire d’affirmer que le rôle des juges est décisif au sein de la république, ce dont nous sommes convaincus depuis Montesquieu. À cet égard, supprimer le rôle du juge dans le cas présent est assez inquiétant. En effet – et je partage en cela l’analyse des orateurs précédents – le juge est susceptible d’apporter un certain nombre de garanties, notamment en matière de protection des plus faibles. Or ce point est très largement écarté.

Il ne s’agit pas simplement d’une question de principe, même si nous sommes nombreux, de ce côté de l’hémicycle, à considérer que le mariage n’est pas simplement un contrat : c’est aussi une institution, au croisement de l’intime et du public. Mais même si on fait abstraction de ces considérations subsiste la question fondamentale de la protection des plus faibles. Comme les précédents orateurs l’ont souligné, le Défenseur des droits a tenu à rappeler qu’au terme de l’article 3 de la convention relative aux droits de l’enfant, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale et que l’article 12 de la même convention garantit à l’enfant capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question le concernant.

Certes, dans sa rédaction actuelle, le texte prévoit que la procédure de divorce par consentement mutuel devant notaire ne pourra pas aller à son terme si l’enfant demande à être entendu par un juge mais rien n’assure l’effectivité de ce droit : c’est une pétition de principe dont l’application n’est pas garantie. S’il appartient aux parents d’informer l’enfant, le texte ne désigne aucune autorité chargée de vérifier la parfaite information de celui-ci. Vous comprendrez donc aisément que pour nous ce texte est extrêmement dangereux. Il ne garantit pas les intérêts des plus faibles qui devraient toujours être notre priorité.

M. le président. La parole est à Mme Colette Capdevielle.

Mme Colette Capdevielle. Mon intervention a pour objet d’apporter tout le soutien du groupe SRC à cette nouvelle disposition. Si certaines craintes sont compréhensibles, comme celles exprimées par Mme Coutelle, que je vais tenter de rassurer, l’opposition systématique de certains, notamment à droite de l’hémicycle, est assez surprenante…

M. Patrick Hetzel. C’est scandaleux ! Ce n’est pas de l’opposition systématique !

Mme Colette Capdevielle. … d’abord par son caractère hétéroclite : elle va des évêques aux associations féministes, en passant par des organisations très corporatistes.

M. Jacques Myard. Les avocats ?

Mme Colette Capdevielle. Si cette disposition a déjà été débattue dans le passé, ce n’est qu’aujourd’hui que nous sommes véritablement prêts à accepter le fait qu’un divorce par consentement mutuel peut se passer de l’intervention d’un juge.

D’abord le consentement mutuel concerne 54 % des procédures de divorce, soit plus de la moitié. Or aujourd’hui, les conventions de divorce sont rédigées par un seul avocat : il n’y a donc ni respect du contradictoire ni contrôle d’un deuxième avocat. Et puis ne nous racontons pas d’histoire : le rôle du juge aux affaires familiales lors de l’audience s’apparente à celui d’une chambre d’enregistrement.

M. Erwann Binet. Absolument !

Mme Colette Capdevielle. En moyenne, les audiences durent huit minutes, les salutations et le temps de s’asseoir compris. Le juge demande si ça se passe bien et la réponse est en général positive ; la convention définitive est lue rapidement et le juge prononce le divorce. On assiste à ces divorces à la chaîne dans toutes les juridictions de France.

Permettez-moi de vous rappeler l’histoire du divorce. Avant 1975, il fallait inventer des fautes pour pouvoir divorcer.

M. Erwann Binet. Absolument !

Mme Colette Capdevielle. Ce n’est que petit à petit qu’on a avancé vers une responsabilisation des époux.

Avec cette disposition on change de paradigme. On fait confiance, d’abord aux professionnels …

M. Patrick Hetzel. Mais pas aux juges !

Mme Colette Capdevielle. … à leur expérience, à leurs compétences, à leur sens de la responsabilité, eux qui passent de longues heures à écouter les personnes qui souhaitent divorcer, leurs craintes, parfois leurs doutes. On fait également confiance aux justiciables qui, enfin, deviennent les acteurs de leur propre séparation.

M. Xavier Breton. Le délire de l’autonomie !

Mme Colette Capdevielle. S’agissant des prestations compensatoires, il n’y a pas de difficulté : il existe des tables et des barèmes. Il en va de même pour les pensions alimentaires.

M. Jacques Myard. C’est déjà le cas aujourd’hui !

Mme Colette Capdevielle. De plus on met en place des garde-fous : deux avocats, qui engageront leur responsabilité civile professionnelle, un délai de quinze jours pour solliciter un autre avis. Surtout, il sera possible à l’un ou l’autre des parents, s’ils ne sont pas satisfaits de ce qui a été signé, de contester à n’importe quel moment devant le juge des affaires familiales l’ensemble des dispositions concernant les enfants, qu’il s’agisse de l’autorité parentale, du lieu de résidence, de la contribution à l’entretien et à l’éducation. À cela s’ajoute le contrôle du notaire puisque si des biens sont en jeu, une convention notariée restera obligatoire.

Ce dispositif permettra d’accompagner en douceur les époux pour qu’ils définissent eux-mêmes les conditions de leur rupture. Qui mieux que les époux connaît leurs enfants et leur propre situation matrimoniale ?

Il aura aussi l’avantage d’éviter cette période trouble pendant laquelle les conjoints ne sont plus  ensemble sans être vraiment séparés. Nous savons tous combien cette période est  difficile. Il permet aussi d’éviter le traumatisme d’une comparution devant le juge, qui est très dévalorisante et intrusive, et souvent inutile. Enfin cela allégera le travail de nos juges et de nos greffiers.

M. Jacques Myard. Pauvres petits canards, ils ont trop de travail !

Mme Colette Capdevielle. C’est donc une disposition très importante, qui est fondée sur le principe de responsabilité. C’est pourquoi, monsieur le garde des sceaux, notre groupe votera contre tous les amendements de suppression.

M. le président. La parole est à M. Jacques Myard.

M. Jacques Myard. Vous connaissez la phrase de Montesquieu, reprise par Portalis : « Il ne faut toucher aux lois que d’une main tremblante ». C’est le cœur de notre débat, parce que le code civil n’est pas un code ordinaire, surtout lorsqu’il règle l’état des personnes.

À la fin de mes études de droit – car si j’ai surtout étudié le droit public, j’ai fait aussi un peu de droit privé –, l’une de mes jeunes condisciples m’avait prédit qu’on irait, en matière de divorce, vers la répudiation.

M. Erwann Binet. Elle avait tort !

M. Jacques Myard. Cette phrase m’avait beaucoup frappé à l’époque au point que je l’ai encore en tête. Il faut dire qu’à force de vouloir faciliter le divorce on tend à lui donner raison. Vous savez, j’ai divorcé deux fois et je n’en suis pas mort ! Je sais ce que c’est que d’aller devant un juge et je conviens que c’est parfois rapide – et tant mieux. Mais de là à reléguer le juge en dehors du code civil notamment en matière de divorce ! J’en viens à me demander si vous aimez encore les juges, monsieur le garde des Sceaux.

Pour mon divorce, je me souviens que l’audience avait duré dix minutes puisque j’étais d’accord avec mon ex-deuxième femme – je les numérote (Sourires). Il n’en demeure pas moins que l’autorité du juge a permis de sanctifier et d’authentifier l’acte. C’est ce qui fait toute la différence avec de simples avocats qui ne sont, excusez-moi, que des auxiliaires de justice. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Cela a été rappelé avec force sur vos bancs même, par quelqu’un qui connaît les risques de déséquilibres. Je suis désolé de le dire mais la présence des avocats n’est pas une garantie à cet égard, et ne voyez dans mes propos aucune attaque contre cette profession.

Plus qu’une erreur, vous commettez une faute. Je n’ignore pas le problème de l’encombrement des tribunaux, mais puisque cette procédure est rapide, ce n’est pas sur elle qu’il faut porter nos efforts de réforme mais sur le droit pénal voire sur le code de procédure civile, dont on sait très bien que les délais sont trop longs.

Vous commettez une faute et vous risquez de vous en mordre les doigts.

M. le président. La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson.

M. Jean-Frédéric Poisson. Décidément, ce quinquennat aura été celui de l’affaiblissement progressif de toutes les institutions. Cela a commencé par la fonction présidentielle …

M. Jacques Myard. On peut y remédier !

M. Jean-Frédéric Poisson. ,…cela continue par le mariage, et je ne sais pas par quoi cela va se terminer.

Au-delà des situations concrètes parfaitement décrites par plusieurs orateurs et qui posent effectivement problème, en écartant l’autorité judiciaire de la procédure de divorce, vous ravalez le mariage au rang d’un simple contrat, ce qu’il est, mais il n’est pas que ça. C’est un contrat qui emporte des effets publics, engage des responsabilités devant toute la société, qui ouvre des droits civils reconnus par tous, ce qui lui confère ce caractère si spécifique qui est celui d’une institution.

M. Jacques Myard. Même ceux qui n’en ont pas les attributs sexuels le demandent !

M. Jean-Frédéric Poisson. En plus de tous les éléments de protection des personnes, des adultes comme des enfants, le mariage présente une dimension publique car c’est l’ensemble de la société qui est présente à travers l’officier d’état civil qui le célèbre. C’est d’ailleurs la fonction des témoins – ils ne sont pas là par hasard. Il est normal que la société civile dans son ensemble soit aussi présente au moment de sa dissolution au travers de la personne du juge. Il y a là une forme de parallélisme de forme qu’il me paraît indispensable de respecter.

Vous dites que la disposition ne changera rien concrètement. Nous verrons bien ! Vous avez tellement joué aux apprentis sorciers jusqu’à présent que je prends vos engagements avec beaucoup de précaution. En définitive, c’est ce caractère collectif et public du mariage que vous êtes en train d’attaquer, même si vous le niez. La réalité vous rattrapera, sur ce sujet comme sur les autres !

Supprimer le rôle du juge et ravaler la dissolution du mariage à une simple affaire privée, c’est évacuer la société civile et la priver de l’ensemble des droits qu’elle a sur le couple marié, de même que le couple marié a des droits sur la société. C’est cette réciprocité institutionnelle qui fait la spécificité du mariage et que vous êtes en train d’ignorer, affaiblissant à nouveau cette belle institution qui ne vous avait rien fait.

M. le président. La parole est à M. Alain Tourret.

M. Alain Tourret. Monsieur le garde des Sceaux, c’est une grande proposition que vous nous faites, qui rejoint en réalité l’état actuel de la société.

Il est vrai que le mariage n’est pas seulement un contrat mais aussi une institution : tout étudiant de première année en droit civil le sait. Il est tout aussi vrai que le mariage peut être rompu par une procédure de divorce qui est plus compliquée qu’une simple lettre recommandée. Dont acte.

Considérons maintenant la réalité. Environ 127 000 divorces ont été prononcés en 2014 et 137 000 en 2010. On constate qu’il y a un lien entre la diminution du nombre de mariage et celle du nombre de divorces puisque ce sont dans les premières années du mariage qu’on divorce – je ne sais pas ce qu’il en fut pour notre ami M. Myard.

M. Jacques Myard. J’ai fait toutes les expériences !

M. Alain Tourret. Rappelons un certain nombre de vérités. Ce sont en général les avocats qui reçoivent les personnes qui souhaitent divorcer ; ce ne sont pas les magistrats ni les conciliateurs de justice.

M. Erwann Binet. Il a raison !

M. Alain Tourret. Les avocats ont donc pour mission essentielle de trouver des solutions pour régler ce divorce. Le divorce est une période compliquée. C’est un échec et c’est très rarement de gaieté de cœur que l’on divorce…

Mme Colette Capdevielle. Cela dépend !

M. Alain Tourret. …surtout lorsqu’il y a des enfants, en particulier des enfants mineurs, sans parler des biens.

Ce sont donc les avocats – qui sont désormais souvent des avocats spécialisés dans ce domaine – qui auront à faire tout ce travail de préparation, si bien que le juge ne sert pratiquement plus à rien.

M. Jacques Myard. Il donne de la force à la démarche !

M. Alain Tourret. Nous constatons en outre que l’audience devant le juge des affaires familiales ne dure que quelques minutes, comme notre collègue Capdevielle nous l’a expliqué. J’ai moi-même fait deux mille divorces dans ma vie…

M. Jacques Myard. C’est scandaleux ! Je suis battu ! (Rires.)

M. Alain Tourret. Deux mille divorces en tant que professionnel ! Je ne suis pas M. Myard !( Rires et exclamations.) Moi qui ai exercé pendant quarante ans, je n’ai jamais vu un juge refuser une proposition de consentement mutuel. Jamais !

Deuxièmement, le temps de l’audience permet-il au juge d’exercer un contrôle ? Non.

M. Jacques Myard. Pourquoi ne le fait-il pas ?

M. Alain Tourret. Il se contente de vérifier les états civils.

M. Jacques Myard. C’est important !

M. Alain Tourret. Il ne vous demande même pas d’enlever votre manteau : vous divorcez en manteau (Sourires) parce le temps presse et que d’autres attendent leur tour. C’est exactement comme cela que ça se passe ! C’est la réalité vécue par tous les avocats de France et par tous ceux qui ont divorcé.

Dans ces conditions, la présence du magistrat sert-elle à quelque chose ? Voilà la question fondamentale. Eh bien, elle ne sert à rien.

Je note que, comme lors de l’examen du texte relatif au mariage pour tous, l’opposition est assurée par des élus très engagés dans ces débats de société.

M. Jacques Myard. C’est vrai, merci !

M. Xavier Breton. Nous sommes là !

M. Alain Tourret. Je le reconnais. Où sont-ils, les Mme Kosciusko-Morizet et les autres ? Ils ont disparu. Nous saurons leur rappeler.

Mme Catherine Coutelle. C’est vrai, dans l’opposition il n’y a que des hommes pour parler du divorce !

M. Alain Tourret. La solution proposée respecte les droits de chacun.

Elle pourrait cependant poser problème, monsieur le garde des sceaux, en ce qui concerne les enfants. Vous proposez que dans les cas où l’enfant demanderait à être entendu par un magistrat la procédure du divorce serait judiciarisée. Cette solution, à mon avis, pose incontestablement un problème de preuve et tant qu’il y aura un problème de preuve, il y aura un risque de nullité de la procédure. Il faut faire extrêmement attention à ce point.

C’est pourquoi j’ai déposé un amendement visant à ce que les avocats reçoivent les enfants, en présence des parents et établissent une attestation, qui figurera au dossier, prouvant qu’ils ont entendu les enfants et leur ont expliqué la situation. Cet amendement élimine le problème de la preuve.

Pour ces raisons, j’estime que la proposition du garde des sceaux est non seulement novatrice mais révolutionnaire et conforme à l’état de notre société.

M. Jacques Myard. N’exagérons rien !

M. le président. La parole est à M. Paul Giacobbi.

M. Paul Giacobbi. Je voudrais rappeler brièvement, dans un débat où l’on confond certaines notions, que le mariage était, chez ce peuple très juriste que sont les Romains, un acte purement privé, de la même manière que la filiation et l’adoption. De minimis non curat praetor. On ne se marie pas devant un juge chez les Romains. C’est un acte privé, et si consentement il y a, c’est un consentement continu.

Quant à l’église, elle a attendu mille deux cents ans avant de faire du mariage un sacrement, après avoir considéré qu’il n’était qu’une simple déclaration : c’est en 1215 que le pape Innocent III – qui était tout sauf innocent – a créé le sacrement du mariage.

M. Jacques Myard. Vous savez tout du mariage !

M. Paul Giacobbi. Je me suis marié devant le brahmin – et devant le maire !

Par la suite, le mariage est devenu avant tout un contrat. Dans les comédies de Molière, quand on se marie, on va devant le notaire avant d’aller devant le curé.

M. Jacques Myard. Je doute que les paysans allassent devant le notaire !

M. Paul Giacobbi. À partir du moment où le mariage est devenu un sacrement, il n’y avait pas de divorce – cela n’empêchait pas les grands de divorcer quand même, voire d’autres un peu moins grands, l’église reconnaissant des cas de nullité du mariage. Une des rares fois où cela n’a pas marché, il y a eu un schisme.

Aujourd’hui, on peut effectivement considérer le mariage sous plusieurs angles. On peut le considérer comme une institution, ce qui au passage ne veut rigoureusement rien dire mais est quand même une réalité pour beaucoup de gens. On peut le considérer comme un contrat, même s’il se réfère par défaut aux dispositions du droit commun concernant la communauté réduite aux acquêts. Enfin, on peut le considérer comme un sacrement.

Alors, au lieu de prétendre que le mariage a toujours été identique à lui-même, qu’il est un contrat sacré, etc, essayons d’être pratiques. Ce que propose le Gouvernement est éminemment pratique et correspond à l’état de la société. Si cette proposition est complétée par l’amendement dont l’initiative revient à mon excellent ami Alain Tourret, qui a une expérience professionnelle du divorce, je crois que nous aurons couvert toutes les situations.

Mme Pascale Crozon. Si c’est un professionnel…

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 26 et 101, tendant à la suppression de l’article 17ter .

La parole est à M. Xavier Breton, pour soutenir l’amendement n26.

M. Xavier Breton. Monsieur le garde des sceaux, comment pouvez-vous prétendre réformer par le biais d’un amendement une question aussi sensible ? Les échanges que nous venons d’avoir ont fait apparaître des expériences et des sensibilités très différentes. Et vous, par un seul amendement en commission, vous faites passer cette réforme, sans même avoir demandé l’avis du Sénat – nos collègues sénateurs apprécieront – et, puisque ce texte fait l’objet d’une procédure d’urgence, sans deuxième lecture, ni au Sénat, ni à l’Assemblée.

Tout est fait pour réduire le débat au minimum, non seulement au Parlement, mais aussi dans la société : aucune concertation n’a été engagée avec les associations familiales, les professionnels de l’enfance, les associations de défense des droits des parents ou des enfants. Il suffit d’entendre les récriminations qui se font entendre de toutes parts.

Alors de deux choses l’une. Soit vous considérez que ce sujet est trop futile pour mériter un débat, et sur ce point nous ne sommes pas d’accord car le divorce et le mariage sont pour nous des questions essentielles ; soit vous considérez que c’est une réforme importante et vous cherchez à escamoter le débat parce que vous vous sentez en difficulté.

En faisant adopter par voie d’amendement une telle réforme, sans la soumettre au Sénat ni revenir devant l’Assemblée, vous vous privez de sécurités juridiques mais également d’un vrai débat avec l’ensemble de la société. Il est vrai que vous avez peur du débat sur ces sujets de société. Nous le regrettons.

M. Jacques Myard. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Patrick Hetzel, pour soutenir l’amendement n101.

M. Patrick Hetzel. Cet amendement vise à supprimer un article qui a été introduit par le Gouvernement en commission, ce qui pose un vrai problème de méthode, comme cela vient d’être dit. Traiter un tel sujet, qui est bien loin d’être une simple modification formelle, en commission alors que le Sénat avait déjà examiné le texte, ce n’est pas raisonnable.

Il est dangereux de penser que le divorce sera plus favorable aux époux et moins douloureux s’il se déroule plus rapidement et sans l’intervention d’un juge. Cet article pourrait créer un rapport de force voire une iniquité entre les conjoints. En l’absence de juge, le conjoint le plus fragile ou le moins bien défendu par son avocat risque de se retrouver lésé par l’autre, risque qui n’a à aucun moment été mentionné dans vos argumentations. Le juge est une garantie de sécurité pour les parties en présence.

Par ailleurs, un accord amiable n’est pas forcément la garantie d’un accord équitable. Nous ne pouvons pas ignorer le risque qu’un conjoint pressé de se libérer des liens du mariage n’« achète » sa liberté en renonçant à la prestation compensatoire à laquelle il a pourtant droit. La procédure de rétractation prévue par l’article ne suffira pas à protéger le conjoint le plus fragile.

Cette question de la protection du plus fragile se pose pour les conjoints et encore davantage pour les enfants, surtout mineurs. C’est d’autant plus surprenant que vous semblez insister sur la protection des conjoints et des enfants. Or dans le texte qui nous est présenté aucune garantie ne leur est donnée. Vous n’apportez pas de réponse précise à cette question.

Il est tout aussi surprenant que le garde des sceaux consente à ce qu’on prive le juge d’une mission à laquelle le parallélisme des formes invoqué par notre collègue Jean-Frédéric Poisson donne tout son sens.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Le ministre exposera sans nul doute l’ensemble des éléments de réponse qu’appellent les interventions sur l’article et en défense des amendements de suppression. Je voudrais pour ma part rappeler quelques points.

De quoi parlons-nous ? Nous parlons du divorce. Comment divorce-t-on en France aujourd’hui ? Il existe quatre manières de divorcer :le consentement mutuel, l’acception du principe de la rupture, l’altération du lien conjugal et la faute. La réforme la plus récente, qui a eu lieu en 2004, a été votée par la majorité d’alors et, je dois le dire, par un certain nombre de députés de l’opposition dont je faisais partie.

Nous ne parlons ici que du divorce par consentement mutuel : aucun des trois autres cas de dissolution du lien matrimonial n’est concerné. Nous parlons donc du divorce entre deux époux qui ont convenu ensemble, premièrement, du principe du divorce, et deuxièmement de l’intégralité des conséquences du prononcé du divorce. Voilà ce qu’est le consentement mutuel.

M. Jacques Myard. Ce sont les apparences !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Lorsque les époux ne sont pas capables de se mettre d’accord, ni sur la volonté de divorcer ni sur l’intégralité des conséquences du consentement, ils doivent utiliser l’une des trois autres procédures.

Nous ne parlons donc que de la procédure dans laquelle les époux sont entièrement d’accord, ce qui invalide une grande partie des observations que vous venez de faire. Nous ne sommes pas en effet dans le cas d’une séparation conflictuelle ; nous sommes certes face à une rupture qui peut être douloureuse, pénible, difficile, qui peut générer des souffrances, mais nous sommes dans le cadre du consentement. Cela donne un autre relief aux propos que vous avez tenus.

Actuellement la procédure du divorce par consentement mutuel, qui représente la majorité des procédures – près de 60 000 par an – n’implique qu’un seul avocat – un seul ! Les époux conviennent ensemble de l’intégralité des conséquences avec un seul avocat et se présentent devant le juge qui les écoute pendant trois minutes en moyenne, y compris lorsqu’il s’agit de régler la situation des enfants.

M. Jean-Michel Clément, rapporteur. Bien sûr !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Le texte est très clair : l’accord vaut pour la situation des enfants, les contreparties, l’aménagement de l’exercice de l’autorité parentale, etc.

Or vous êtes en train de nous dire que le dispositif que nous mettons en place serait moins protecteur : c’est une contrevérité intellectuelle.

Intellectuellement – je ne vous soupçonne de rien d’autre – vous vous situez dans un autre débat que celui que nous proposons. Notre objectif est de faciliter, autant que faire se peut, la procédure dans laquelle les époux assument leur divorce, comme ils ont assumé leur mariage, en tant qu’époux et en tant que parents.

Ils l’assument dans des conditions fixées par un accord commun conclu avec l’assistance de deux avocats : il s’agit d’une garantie supplémentaire.

M. Xavier Breton. Et des honoraires supplémentaires ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. En effet la plupart des procédures de divorce par consentement mutuel se déroulent avec un seul avocat.

M. Patrick Hetzel. Parce qu’il y a un juge !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Pourquoi ce que vous proposiez en 2004 avec la procédure par requête conjointe, qui permet aux époux d’avoir recours au même avocat serait-il plus favorable que ce que nous proposons aujourd’hui, à savoir que chacun ait son propre avocat ?

Dans le dispositif dont nous débattons, toutes les compétences du juge, et notamment la vérification de l’état-civil et celle de la réalité de l’intention, sont certes transférées aux avocats. Mais le serment que ceux-ci prêtent, et que je m’apprête, chers collègues, à vous rappeler, les engage.

M. Jean-Michel Clément, rapporteur. Bien sûr !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Même dans le cas de procédures de divorce pour faute, les avocats ont toujours été engagés par leur serment.

Chaque avocat jure d’exercer ses fonctions « avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité ». J’affirme que chaque avocat, en présence d’une personne, avec son parcours de vie, ses difficultés et qui se trouve confrontée à une rupture dont elle doit régler les conséquences sans compromettre l’avenir de quiconque, est susceptible d’exercer pleinement cette mission.

Cela veut dire qu’en cas de problème, notamment concernant les enfants, on n’opte pas pour une procédure par consentement mutuel. Cela s’est toujours passé de cette façon : il y a dans cet hémicycle des avocats qui peuvent le confirmer. Ils n’ont jamais fait ce que leur conscience les empêchait de faire, ni cédé à la pression qu’un époux souhaitait exercer sur l’autre. Si certains l’ont fait, ils n’ont pas agi conformément à leur serment.

M. Jean-Michel Clément, rapporteur. Voilà !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. J’affirme enfin que, concernant les enfants, le dispositif est exactement le même que dans le cadre de la requête conjointe en vue d’un divorce par consentement mutuel. En effet, la mission du juge est de s’assurer que ceux-ci ont été informés de leur droit à être entendus par lui.

C’est exactement ce que nous allons faire. Un amendement gouvernemental va même permettre de prouver que cette condition a été respectée, engageant ainsi autant la conscience des parents que celle des avocats.

Dans ces conditions, Jean-Michel Clément et moi-même contestons l’idée selon laquelle nous serions en train de réformer la procédure de divorce. Nous améliorons simplement la procédure de divorce par consentement mutuel lorsqu’elle est choisie par deux époux qui ont conscience des conséquences de leur décision et qui entendent que leur avenir, comme celui de leurs enfants, ne soit pas compromis par les circonstances dans lesquelles leur divorce est prononcé.

Enfin j’ajoute que ceux – en premier lieu les juges aux affaires familiales – qui connaissent le fonctionnement des juridictions savent très bien qu’au-delà de ce que nous mettons en place, l’important est de rendre possible une accélération de l’examen des dossiers conflictuels.

En effet, d’une manière absolument extraordinaire, c’est en cas de conflit, qu’il s’agisse des rapports entre époux, de la possibilité de construire un avenir commun ou de décider ensemble des mesures à prendre pour les enfants, que le règlement est le plus lent.

Mme Cécile Untermaier, vice-présidente de la commission des lois. Eh oui.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. On passe des mois, voire des années, à régler ces situations conflictuelles. L’offre du Gouvernement est très intéressante en ce qu’elle permettra aux magistrats de traiter plus rapidement les cas qui appellent des solutions rapides.

De ce point de vue, nous améliorerons la situation des couples que vous voulez protéger mais qui ne sont pas protégés dans le dispositif actuel et nous permettrons par ailleurs aux femmes et aux hommes qui en pleine liberté se sont mariés et en pleine liberté divorcent d’exercer pleinement leur rôle de parent, mais également de conjoint. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Quelle leçon !

M. Erwann Binet. Brillant !

M. Jacques Myard. Trop brillant !

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Je suis déjà convaincu que je ne parviendrai pas à vous convaincre.

M. Jacques Myard. Vous pouvez compter sur nous pour ne pas l’être. (Sourires.)

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Je vais cependant exposer mes arguments, ne serait-ce que pour vous convaincre que je ne prends évidemment pas ce sujet à la légère. Il s’agit en effet d’un moment important. Je l’ai dit en présentant ce projet de loi : on peut être pragmatique et avoir de grandes ambitions. Dans ce texte, il y a de grandes ambitions.

M. Xavier Breton. Pour les avocats civilistes ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Évacuons d’abord la question du véhicule législatif. Dans l’histoire de la République, l’amendement n’a rien d’anodin.

M. Jacques Myard. L’amendement Wallon !

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le 30 janvier 1875, la République a été sauvée par un amendement. Je considère donc qu’un amendement a la même noblesse qu’un projet ou une proposition de loi.

Je vous propose aussi d’évacuer les accusations selon lesquelles je chercherais à agir en catimini par crainte du débat. Vous connaissez bien mieux que moi la vie parlementaire : quand un gouvernement passe du temps sur un projet de loi, on l’accuse de de perdre son temps, de fracturer la société ! Pensez-vous que nous n’ayons que cela à faire, de parler de ces sujets qui intéressent beaucoup de monde et qui sont consensuels puisque, comme c’est le cas ici, 72 % des Français sont d’accord ?

M. Xavier Breton. Et la peine de mort ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. À l’inverse, quand le Gouvernement agit par voie d’amendement et ne consacre pas à la question un texte spécifique, on l’accuse de ne pas jouer le jeu et de ne pas prendre le temps de la pédagogie.

C’est comme la question du moment opportun. Peut-être qu’à la fin du quinquennat il me sera possible de déterminer quel était le bon moment pour examiner le projet de loi dont nous débattons. En effet, les sujets que nous avons abordés au début du quinquennat n’étaient pas traités au bon moment, pas plus que ceux que nous abordons à son terme.

Cela pourrait vouloir dire que nous sommes maladroits, mais je crains que le précédent quinquennat n’ait essuyé les mêmes critiques. Je crois même avoir dit au gouvernement de l’époque, dans cet hémicycle, que ce n’était pas le moment. En réalité, ce n’est jamais le bon moment : plus exactement, la majorité et l’opposition n’ont pas la même conception de ce qu’est le bon moment.

Voilà pour les éléments de forme. Attaquons-nous aux éléments de fond. Imaginons que nous vous proposions une réforme du divorce par consentement mutuel qui se limiterait à quelques principes simples : obligation pour les parties de recourir à un seul avocat ; obligation d’une seule audience devant le juge de façon à accélérer la procédure, suppression en matière civile du pouvoir d’investigation dont dispose le juge pour vérifier la véracité des déclarations des parties.

Voteriez-vous une telle réforme – un seul avocat, une seule audience, aucun pouvoir d’investigation ? Évidemment non. Vous me feriez valoir que deux avocats sont nécessaires. Nous avons d’ailleurs examiné hier, et tout à l’heure encore, des amendements déposés par des membres de votre groupe tendant à prévoir un droit à l’avocat pour tout justiciable, pour qui il constitue une garantie fondamentale.

De même, si je vous avais proposé une seule audience, vous m’auriez dit que cela ne suffisait pas, qu’il en fallait beaucoup plus pour assurer le respect du contradictoire et permettre au juge de conserver une véritable capacité d’investigation.

Le problème est que la situation que je vous décris correspond à la réalité actuelle : dans la plupart des 54 000 divorces par consentement mutuel prononcés par an, un seul avocat intervient.

Mme Cécile Untermaier, vice-présidente de la commission des lois. Évidemment !

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Et dans ce cas, mesdames et messieurs les députés, qui défend la partie la plus faible ? Le conjoint qui paye l’avocat est-il traité de la même façon que celui qui ne le paye pas ? Que penser d’un avocat qui n’a affaire qu’à un seul des deux conjoints et se prévaut pourtant de l’accord de l’autre conjoint ?

Je vous renvoie à la presse d’aujourd’hui : vous y trouverez l’histoire de cette femme qui sort en larmes du cabinet du juge parce qu’elle a appris que son conjoint part avec quelqu’un d’autre. C’est ce qu’on a l’habitude d’appeler la cause secrète du divorce.

Monsieur le député, quelle est la capacité d’investigation du juge en matière civile ? Elle est nulle.

Mme Catherine Coutelle. Évidemment !

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Vous évoquez, et vous avez raison de le faire, la protection de l’enfant.

M. Jacques Myard. Alors là, c’est délirant !

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. En effet, un divorce est nécessairement un échec : le mariage devait durer longtemps, et pourtant il faut à un moment tourner la page. Cela peut se faire dans le calme, cela peut se faire dans la souffrance.

Quand le divorce a lieu dans la souffrance, alors oui, la protection est nécessaire, car il s’agit d’un acte définitif qui peut fragiliser une vie. Nous connaissons tous des personnes que le divorce a fait basculer d’une vie équilibrée dans la précarité. Il faut donc protéger le faible.

Je ne sais pas, pour ce qui me concerne, ce que sont les magistrats : je ne connais que leur rôle social, les engagements qu’ils prennent et les serments qu’ils prêtent. J’ai assisté à la prestation de serment des magistrats à l’école nationale de la magistrature de Bordeaux, serment dont Jean-Yves Le Bouillonnec vient de nous rappeler la teneur.

Sur un plan déontologique et éthique, lorsqu’un avocat se charge d’un dossier, il n’a qu’un seul souci, celui de la défense de son client.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Exactement !

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. La noblesse du métier d’avocat, c’est qu’il n’exerce pas sa mission en fonction de sa rémunération : il la remplit de la même manière qu’il soit rémunéré au titre de l’aide juridictionnelle ou par des honoraires libres.

De la même façon, lorsque le magistrat se prononce, il fait ce qu’il peut avec les moyens qui lui sont donnés. Dans le cas d’espèce, s’agissant de la protection de l’enfance, quel est, monsieur le député, le pouvoir du magistrat ? Il se borne à prendre acte des déclarations de la partie qui lui garantit que l’enfant a été informé de son droit à être entendu. Le juge ne peut pas faire plus : il ne dispose en la matière d’aucune capacité d’investigation.

Ce que je vous propose est différent. Je propose d’abord que les deux parties bénéficient chacune de l’assistance d’un avocat, ce qui permettra de garantir un équilibre. En outre, une possibilité de rétractation est prévue au cas où les choses ne se passent pas bien se passer.

Il arrive que des conflits éclatent après la signature et le dépôt de la convention.

M. Xavier Breton. Ils vont se multiplier !

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Même aujourd’hui, dans le cas de procédures de divorce par consentement mutuel, une grande partie des conflits éclatent dès le lendemain de l’homologation de la convention et du prononcé du divorce, tous les magistrats vous le diront. On conteste devant le juge les conditions du droit de visite, le montant de prestation compensatoire ou de la pension alimentaire. C’est la vie !

Dans ce cas le juge interviendra parce que l’intérêt collectif exige que le juge intervienne lorsqu’on a besoin de lui.

Nous nous arrêtons sur des cas compliqués mais dans la grande majorité des cas, les choses se passent bien. Et il faudrait laisser mariner dans une attente punitive des personnes qui ont tout réglé en quinze jours, tout ça pour rencontrer un juge qui ne leur laisse même pas le temps d’enlever leur manteau, pour reprendre l’expression d’Alain Tourret ? Attendre huit mois pour ça ?

M. Hervé Mariton. Trois mois et demi en moyenne.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Cela dépend des juridictions : à Lyon c’est plus de huit mois. À Bobigny, une procédure conflictuelle, c’est-à-dire celle où la protection des enfants et de la partie la plus faible – la femme le plus souvent, comme l’a rappelé la présidente de la Délégation aux droits des femmes – est particulièrement nécessaire, dure trois ans. On contraint la partie la plus faible à demeurer dans les liens du mariage pendant trois ans, alors qu’il faudrait au contraire que le juge intervienne rapidement. Libérons le juge ! Protégeons les personnes ! (Approbations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Faisons donc bénéficier chacune des parties de l’assistance d’un avocat. Respectons, monsieur le député, les engagements de la France et notamment, de la convention internationale des droits de l’enfant – créditez-moi de la volonté de les respecter. J’entends ce que dit le Défenseur des droits, nonobstant le fait qu’il peut commettre des erreurs ; j’affirme cependant que le projet de loi dont nous débattons respecte la convention que la France a signée et ratifiée.

Pour toutes ces raisons, monsieur le député, et tout en ayant conscience que je ne vous ai pas convaincu – mais je ne poursuivais pas cette chimère ! –, je suis défavorable aux amendements de suppression. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Plusieurs députés du groupe SRC. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Patrick Hetzel.

M. Patrick Hetzel. Vous avez justifié le choix du véhicule législatif en invoquant le précédent de l’amendement fameux qui a sauvé la République. Ce choix n’est cependant pas sans conséquence. Ainsi nous allons dans quelques instants examiner un amendement gouvernemental n382, deuxième rectification, qui comporte pas moins de vingt-huit alinéas. Cela n’est donc pas une mince affaire.

Or du fait que le Gouvernement a engagé la procédure accélérée, le Sénat ne débattra plus du sujet.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Si, en commission mixte paritaire.

M. Patrick Hetzel. Certes, mais pas en séance publique, ce qui est problématique dans un système bicaméral.

Par ailleurs, nous aurions été plus rassurés si le Conseil d’État avait été consulté sur ces dispositions, ce qu’interdit la voie de l’amendement. Ces éléments de procédure méritent donc une attention toute particulière.

Vous nous dites que 72 % des Français sont d’accord mais, outre qu’on peut discuter de la pertinence de l’échantillon retenu, il faut regarder de près ce avec quoi ils sont d’accord : ils sont d’accord avec le principe du consentement mutuel et ils sont évidemment favorables à une accélération des procédures, mais celle-ci est peut-être affaire de moyens.

Je ne trouve pas très rassurant qu’on juge qu’il faille retirer cette compétence au juge sous prétexte qu’aujourd’hui l’audience dure huit minutes. Malgré tout le respect que j’ai à l’égard de la profession d’avocat, monsieur le rapporteur, et soyez assuré qu’il est grand, je considère que son rôle n’est pas comparable avec celui du juge.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Non, ils n’ont pas la même mission !

M. Patrick Hetzel. Or c’est ce que vous êtes en train de faire. Ce que vous ne voulez pas admettre, et c’est sans doute ce qui rend nos positions irréconciliables, c’est que, en l’espèce, le rôle du juge est essentiel.

M. le président. La parole est à M. Jacques Myard.

M. Jacques Myard. J’ai cru entendre dans cet hémicycle des plaidoiries pro domo pour une certaine catégorie professionnelle. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Ce n’est pas bien !

M. Xavier Breton. Cela fait mal !

M. Jacques Myard. Je suis désolé, mais j’ai entendu une plaidoirie pro domo en faveur des avocats.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. C’est insupportable !

M. Jacques Myard. Ce qui est insupportable, mon cher collègue, c’est votre façon de ne pas regarder les réalités en face. Il y a un moment où il faut aller au-delà des apparences et s’en tenir aux réalités de la société.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Vous ne pouvez pas dire que c’est du corporatisme !

M. Jacques Myard. Tout homme a le droit à un défenseur aux termes de la Convention européenne des droits de l’homme. C’est tout à fait vrai,  mais s’en remettre à un avocat pour régler des problèmes aussi vitaux qu’un divorce, je suis désolé mais c’est une plaidoirie pro domo, et je vous le dis en face, que cela vous plaise ou non.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Vous commettez une très grosse injustice à mon égard !

M. Jacques Myard. Ce n’est pas une injustice, c’est une réalité et je vais même aller plus loin : il y a dans cet hémicycle de puissants avocats, tout le monde le sait. Je m’en réjouis par ailleurs parce que ce sont d’excellents collègues, mais il n’en demeure pas moins qu’il faut aussi ouvrir les yeux.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Je n’exerce pas !

M. Jacques Myard. Vous nous avez rappelé, monsieur le garde des sceaux, ainsi que monsieur le rapporteur, qu’il y a 60 000 divorces par consentement mutuel avec un avocat. On a compris : il y aura dorénavant deux avocats et donc un doublement des honoraires. Il faut en tenir compte. Si vous voulez protéger les gens, l’argument économique a aussi sa place dans le débat.

Vous parlez de Bobigny, monsieur le garde des sceaux. Nous n’allons pas reprendre vos fameuses déclarations sur la situation catastrophique de la justice. C’est un véritable problème et je souhaite, en tant que justiciable, que l’on réconcilie les Français avec la justice car c’est un grand service public. Cela ne justifie pas qu’on tire prétexte des problèmes rencontrés à Bobigny et de la pénurie de juges pour les remplacer par des avocats.

Il ne faut pas se tromper sur le véritable problème de votre proposition : c’est une dévalorisation de ce que sont le divorce et l’institution du mariage, vous ne pouvez pas le nier. Alors je suis prêt à entendre tous les arguments au ras des pâquerettes, la pénurie de juges, la nécessité d’accélérer la procédure. Il n’en demeure pas moins qu’il ne faut pas nier la valeur symbolique de ce que vous êtes en train de mettre à terre.

M. le président. La parole est à M. Hervé Mariton.

M. Hervé Mariton. Nous sommes plusieurs à être intervenus sur des questions de principe. Manifestement, sur ce point, nous ne sommes pas d’accord, et vous ne poursuivez aucune chimère, monsieur le ministre, mais il y a une question très concrète, à laquelle, n’étant pas spécialiste, je cherche de bonne foi la réponse.

La pension alimentaire est payée aujourd’hui sur la base de la décision de justice qu’est le jugement de divorce. Sur quelle base sera-t-elle payée demain ? N’introduisez-vous pas par ce dispositif une fragilité supplémentaire ? Tant que tout se passe bien, il n’y a pas de problème mais si la pension alimentaire n’est pas normalement versée, le dispositif que vous proposez apportera-t-il les mêmes garanties que le jugement du divorce ?

M. Paul Giacobbi. Évidemment ! Une convention légalement passée a force de loi.

M. Hervé Mariton. Je n’en suis pas convaincu et j’aimerais avoir une réponse du Gouvernement sur ce point.

Mme Cécile Untermaier, rapporteure. Très bonne question !

M. le président. La parole est à M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Je voudrais revenir sur les questions de méthode, monsieur le garde des sceaux. Soit vous aviez cette idée en tête depuis un certain temps et, à ce moment-là, pourquoi ne pas avoir intégré ces dispositions dans le projet de loi ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Parce que cela ne fait que trois mois que je suis garde des sceaux !

M. Xavier Breton. Peut-être aviez-vous peur de l’étude d’impact. Peut-être aviez-vous peur des débats au Sénat. Je ne pense pas que vous ayez décidé de proposer ces dispositions à la commission des lois en vous levant le matin ! Dites-nous donc pourquoi vous n’avez pas intégré ces dispositions dès le départ, sinon parce que vous aviez peur du débat. Je pense que nos collègues sénateurs vont apprécier que vous leur interdisiez de débattre sur un tel sujet.

Et puis, encore une fois, l’avis du Conseil d’État aurait été très intéressant sur des questions de sécurité juridique comme celle que M. Mariton vient de poser.

Une nouvelle fois, sur des sujets de société, vous passez en force. Vous cherchez systématiquement à détruire des institutions comme la famille. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.) Vous le faites de manière brutale, d’un point de vue juridique mais également d’un point de vue sociétal.

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Si je ne l’ai pas fait plus tôt, monsieur Breton, c’est parce que je n’étais pas garde des sceaux. (Rires.) Le projet de loi a été étudié par le Gouvernement à la mi-juin et il est passé au Sénat en novembre, soit à une époque où je n’étais pas garde des sceaux. Désormais je suis garde des sceaux et je fais ce que je crois devoir faire au regard de la responsabilité qui est la mienne.

Ce sujet n’est pas nouveau, vous le savez bien, et c’est la raison pour laquelle on peut avancer vite. On a posé tellement de diagnostics sur le sujet, qui a fait l’objet de tellement de projets de loi. Hervé Mariton l’a rappelé, nombre de mes prédécesseurs ont défendu cette proposition…

M. Hervé Mariton. Hélas !

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. …avant d’être contraints de la retirer par la force de conviction du Parlement. Je crois que je vais être l’exception qui va confirmer la règle.

Cela dit, votre question est juste. Catherine Coutelle l’avait d’ailleurs posée avant vous.

Aujourd’hui, 99,9 % des conventions sont homologuées par les juges, selon les chiffres de la direction des affaires civiles et du sceau.

Le dispositif que nous proposons aura la même force exécutoire que celui qui existe actuellement. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avons besoin de l’intervention du notaire. S’il y a ensuite un désaccord, pourra-t-on engager des procédures judiciaires pour que celui qui ne respecte pas ses engagements puisse être traîné devant les tribunaux ? Oui. C’est d’ailleurs dans ce but que nous avons déposé un amendement qui comprend vingt-huit alinéas, monsieur Hetzel, l’amendement n382, deuxième rectification. L’objectif est précisément d’assurer les coordinations dont nous avons besoin, notamment sur le plan pénal, pour que l’on puisse aller devant les tribunaux en cas de carence. C’est parce que nous avons été alertés par Mme Coutelle que nous vous proposons ce rectificatif de façon à mettre en place la totalité des coordinations. Comme quoi le travail parlementaire est utile.

Mme Catherine Coutelle. Merci, monsieur le ministre.

M. le président. La parole est à M. Alain Tourret.

M. Alain Tourret. Vous avez été très convaincant, monsieur le garde des sceaux, en particulier en ce qui concerne la force exécutoire qui sera donnée à la convention du fait de son dépôt au rang des minutes du notaire. Il n’en reste pas moins que se posera incontestablement le problème du coût du divorce.

Mme Catherine Coutelle. Absolument !

M. Alain Tourret. C’est pourquoi je souhaiterais que des avis de modération soient adressés par l’ensemble des bâtonniers, à votre demande.

Je me souviens d’un paysan qui avait divorcé deux fois. La première fois, disait-il, cela lui avait coûté une vache, la seconde fois deux.

M. Paul Giacobbi. C’est parce que le prix des vaches diminue ! (Sourires.)

M. Alain Tourret. Certes mais l’inflation du coût du divorce est également une réalité.

M. Jacques Myard. Bien sûr !

M. Alain Tourret. Il y tout un marché du divorce, qui représente des centaines de millions d’euros et, à partir du moment où la profession bénéficiera d’un appui extraordinaire si le projet est adopté, il est indispensable qu’il y ait des accords de modération.

M. Jacques Myard. Très bien !

(Les amendements identiques nos 26 et 101 ne sont pas adoptés.)

M. le président. La parole est à M. Xavier Breton, pour soutenir l’amendement n104.

M. Xavier Breton. Cet amendement vise à supprimer les alinéas 2 à 5 de l’article.

C’est l’occasion de rappeler le rôle du juge. Aujourd’hui, de multiples rapports ont été rédigés sur une déjudiciarisation du divorce dans les années antérieures. Tous sont parvenus au même constat : le juge est le seul garant de l’ordre public en matière d’état des personnes.

Je voudrais à ce propos citer les associations familiales, s’exprimant par la voix de l’Union nationale des associations familiales, l’UNAF, qui les regroupe toutes : « Le juge est le garant de l’intérêt des enfants et du maintien de leurs liens avec leurs deux parents après la séparation. Il assure par son indépendance et son impartialité l’équité des accords intervenus entre les parties, la protection du conjoint le plus vulnérable, et vérifie qu’il n’a pas fait l’objet de pressions et que son libre consentement n’a pas été contraint. »

On voit bien que le juge ne sera pas remplacé dans ce rôle. des avocats ne peuvent pas assurer cette impartialité puisque, par définition, ils sont partiaux ; c’est même leur mission. Nous vous appelons donc à voter cet amendement.

(L’amendement n104, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Alain Tourret, pour soutenir l’amendement n177.

M. Alain Tourret. Il y a un point qui me perturbe, monsieur le garde des sceaux.

Vous nous proposez un article 229-2 aux termes duquel les époux ne peuvent consentir mutuellement à leur divorce par acte sous signature privée contresigné par avocats lorsque le mineur, informé par ses parents de son droit à être entendu par le juge dans les conditions prévues à l’article 388-1, demande son audition par le juge.

Très franchement, cela me pose problème. Je vois mal comment on peut rapporter la preuve en la matière. Or l’absence de preuve peut avoir des conséquences énormes. Le seul fait d’un doute sur la preuve pourrait « rejudiciariser » le divorce.

C’est pourquoi il m’a paru préférable d’imposer aux deux avocats une nouvelle obligation, celle d’entendre les enfants mineurs âgés de plus de treize ans et de leur donner toute explication sur les conséquences du divorce, un compte rendu de cette audition devant être établi par les avocats et déposé avec la procédure de divorce au rang des minutes d’un notaire.

Ainsi, vous aurez une garantie. Chacun reconnaît qu’à partir du moment où il y a deux avocats, il y a une objectivité beaucoup plus forte que lorsqu’il n’y en avait qu’un.

Par ailleurs, les moyens de pression des parents sur les enfants sont beaucoup plus forts que ceux des avocats sur ces mêmes enfants. Mon amendement propose donc un moyen de preuve absolu et qui supprimera tout risque de remise en cause du divorce. Supposons en effet que, quelques mois après que le divorce a été prononcé, il soit établi que l’enfant n’a pas été prévenu. La conséquence, c’est la nullité, une nullité quasi absolue même puisque l’on passerait d’un divorce sans magistrat à un divorce avec magistrat.

Il aurait fallu pour le moins limiter la nullité aux problèmes concernant les enfants. Cela n’a pas été prévu. Je crains donc qu’il n’y ait un problème majeur à ce niveau.

Nous devons en discuter, monsieur le garde des sceaux. Je ne sais quelle sera votre réponse, mais je suis persuadé de mon bon droit et j’ai rarement été aussi convaincu du bien-fondé d’une demande. Je souhaite donc que l’on puisse préciser les dispositions que vous avez proposées.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Je n’arrive pas à bien mesurer la portée de l’analyse de M. Tourret, dont je ne nie pas qu’elle porte sur une question dont chacun reconnaît l’importance.

Le dispositif obéit en effet à la même logique que l’actuel divorce par consentement mutuel. En cas de divorce par consentement mutuel, chacun des deux avocats ou plutôt, la plupart du temps, l’avocat unique doit, lorsque la requête en est établie, indiquer que l’audition de l’enfant n’est pas demandée. C’est déjà dans la loi. Le juge aux affaires familiales ne peut donc que vérifier qu’il est bien fait mention que les parents n’ont pas demandé l’audition de l’enfant. Il n’a aucun moyen de faire venir directement l’enfant parce qu’on ne l’a pas saisi – je vous renvoie à l’article 388-1 du code civil.

Il a été de plus rappelé par voie de circulaire qu’il appartient aux parents d’opter pour l’audition de leur enfant par le juge. Le texte ne modifie donc en rien le dispositif actuel sur ce point – nous le constaterons lorsque nous en viendrons à la formulation de la mention indiquant que l’enfant a bien été informé. Vous proposez que les avocats informent les enfants mineurs : comme il y aura un avocat par époux, chaque avocat, lorsqu’il recevra un des deux parents, aura la capacité de s’assurer, comme le font du reste les juges, de la réalité de la situation.

Le texte conserve donc la logique du dispositif actuel : le prononcé du divorce sera assorti du constat que les parents ont bien mentionné que l’enfant a été informé. La procédure actuelle ne prévoit aucune possibilité de vérifier que tel a bien été le cas. La garantie supplémentaire que le texte apporte tient dans le fait que, désormais, deux avocats auront à se préoccuper de savoir si l’enfant a été informé, et ce dans les formes que chacun jugera les plus appropriées, en rapport avec la personne dont il défend les intérêts. Il pourra rencontrer l’enfant si cela lui paraît nécessaire. Je suis certain, monsieur Tourret, que vous l’avez fait chaque fois que vous l’avez jugé nécessaire.

M. Alain Tourret. Mon amendement protège l’enfant, le texte, lui, ne le protège pas.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. C’est un jugement de valeur. Je le répète : le texte obéit à la même logique que la procédure actuelle. C’est terrible qu’on ne puisse jamais aborder ces questions sans jugements de valeur !

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Si je comprends bien, l’amendement oblige les avocats à entendre les mineurs âgés de plus de treize ans. Et alors ? Concrètement, quel droit ou moyen supplémentaire une telle disposition engendre-t-elle, puisque l’avocat entend le mineur sans avoir les moyens de contraindre la ou les parties d’évoluer ? Cette obligation d’information n’apporte donc rien sur le plan normatif. Je ne suis pas hostile à cette mesure par principe. M. Myard a rappelé qu’ « il ne faut toucher aux lois que d’une main tremblante ». Il faut avancer. Avis défavorable.

M. le président. La parole est à M. Alain Tourret.

M. Alain Tourret. Monsieur le garde des sceaux, l’amendement apporte une garantie. La rédaction actuelle du texte évoque simplement « le mineur, informé par ses parents de son droit à être entendu par le juge ». De quel mineur s’agit-il ? De tout mineur, de sa naissance à dix-huit ans ? Aucun âge n’est mentionné.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le droit d’être entendu repose sur le discernement.

M. Alain Tourret. Si tel est le cas, vous allez vous heurter à des problèmes énormes de preuve et de validité du divorce, avec des procédures pour nullité à foison.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Non.

M. Alain Tourret. Écoutez-moi bien, monsieur le garde des sceaux. À l’heure actuelle, que le mineur ait été informé ou pas, la juridiction demeure la même. Si le nouveau dispositif est adopté, le divorce passera d’une procédure non juridictionnelle à une procédure juridictionnelle : les conséquences sont énormes. Dans un premier temps, les époux, assistés chacun par un avocat, constateront leur accord dans une convention enregistrée par le notaire ; dans un second temps, si le mineur estime ne pas avoir été prévenu, la procédure passera au plan judiciaire. Vous soulignez que le mineur concerné doit être capable de discernement. À quel âge l’en reconnaît-on capable ? À sept ans, à huit ans, à douze ans, à quinze ans ? En tant que praticien, je vous assure que vous ouvrez les vannes à de multiples procédures.

M. le président. La parole est à M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Cet amendement et la discussion auquel il donne lieu montrent bien que le nouveau dispositif pose un problème de prise en compte de l’intérêt de l’enfant, problème que l’amendement cherche précisément à résoudre. Il vise les mineurs âgés de plus de treize ans : quid des enfants de moins de treize ans ? Sont-ils des biens meubles appelés à être déplacés en fonction des desiderata des adultes ? La question des enfants est mal traitée dans le texte actuel.

(L’amendement n177 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Xavier Breton, pour soutenir l’amendement n105.

M. Xavier Breton. Cet amendement vise à supprimer les alinéas 6 à 24 de l’article 17 ter.

C’est l’occasion de rappeler que ce texte va à l’encontre de la protection des enfants et donc de leur intérêt supérieur.

Ce point a du reste suscité les « vives réserves » du défenseur des droits. Certes, vous avez suggéré, monsieur le garde des sceaux, que le défenseur des droits pouvait commettre des erreurs, compliment qu’il appréciera, j’en suis certain, à sa juste mesure.

M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur. Il ne sera pas vexé.

M. Xavier Breton. Il faut également lire les déclarations de Mme Lieberherr, chef du pôle « défense des enfants » chez le défenseur des droits : « Ce texte révèle une méconnaissance de la convention internationale des droits de l’enfant, qui défend leur intérêt supérieur. »

En effet, en supprimant l’intervention du juge, le texte supprime une garantie en matière de protection des enfants. On sait que certains parents souffrent tellement eux-mêmes qu’ils peuvent malheureusement perdre de vue l’intérêt de leurs enfants : les parents ne sont pas toujours, en période de divorce, à même d’apprécier avec justesse la meilleure décision à prendre à leur égard. Nous savons bien que l’intérêt d’un enfant n’est pas la simple addition des intérêts des deux parents et encore moins le plus petit dénominateur commun de ces intérêts.

Vous avez évoqué un prétendu garde-fou, qui permet le retour à une procédure classique, pour le cas où un mineur informé par ses parents souhaiterait être entendu. Soyons sérieux : quel enfant osera s’opposer à la décision de ses parents de divorcer sans juge ? De quelle responsabilité vous accablez les enfants ! De plus, ce prétendu garde-fou n’apportera aucune protection aux enfants qui ne sont pas en âge de s’exprimer. C’est pourquoi l’amendement propose la suppression de ces alinéas.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Pour toutes les raisons que j’ai déjà données, avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Même avis.

M. le président. La parole est à Mme Colette Capdevielle.

Mme Colette Capdevielle. Monsieur Breton, cette nouvelle procédure de divorce par consentement mutuel devant notaire permet toujours à un avocat, qui reçoit un des deux époux qui veut divorcer et qui constate que la question des enfants peut poser difficulté, en matière notamment de résidence ou d’autorité parentale, de proposer aux parents de recourir à une médiation familiale en vue de leur permettre de définir ensemble les modalités de leur séparation liées aux enfants. La question des enfants est donc un faux nez. Le recours, qui a lieu dans de très nombreuses juridictions, à des médiateurs familiaux spécialisés et très bien formés a des effets très positifs. Ces médiateurs, qui prennent le temps d’écouter les deux parents, les amènent à trouver ensemble la meilleure solution pour les enfants.

Je considère par ailleurs que le coût du divorce devrait diminuer du fait que le nouveau dispositif supprime la phase juridictionnelle. Les formalités seront plus simples et moins chronophages, puisqu’il n’y aura plus ni déplacement devant la juridiction, ni comparution devant le juge aux affaires familiales, ni de droits de plaidoirie à régler ni de démarches à faire auprès du greffe et de documents à demander – livret de famille, acte de naissance, justification des revenus. La nouvelle procédure permettant de réaliser des gains en termes de temps et de formalités, son coût devrait diminuer.

M. le président. La parole est à M. Erwann Binet.

M. Erwann Binet. Je conteste l’idée selon laquelle le juge, en cas de séparation des parents, devrait nécessairement intervenir pour exprimer l’intérêt supérieur de l’enfant.

Chers collègues, nous ne parlons pas ici des couples qui ne sont pas mariés, qui ont fondé des familles, qui se séparent et qui ne sont pas contraints de se présenter devant le juge lorsqu’ils   partagent l’autorité parentale, qu’ils l’exercent de façon sérieuse et qu’ils se sont mis d’accord : ils continuent de vivre en couple parental, même si le couple conjugal s’est séparé. Or, à aucun moment, nous ne demandons ici à ce que le juge intervienne auprès de ces couples. Il ne faut surtout pas laisser s’installer l’idée que le juge doit nécessairement intervenir, en toute occasion, pour déterminer l’intérêt supérieur de l’enfant. C’est d’abord au couple parental, qu’il soit séparé ou non, qu’il appartient de le déterminer. Ne laissons pas s’installer l’idée qu’un enfant aurait pour intérêt supérieur de recourir au juge chaque fois qu’il est en désaccord avec ses parents.

M. le président. La parole est à M. Patrick Hetzel.

M. Patrick Hetzel. Ce qui est en jeu, ce sont les garanties que nous devons apporter aux enfants. Je vous invite à regarder de près les déclarations du Défenseur des droits : vous vous apercevrez alors combien il est essentiel que l’intérêt supérieur de l’enfant soit réellement garanti. Or un simple seing privé n’y suffit pas. Il faut respecter un certain formalisme. Vous semblez oublier que certaines de nos institutions ont précisément pour fonction d’apporter des garanties à nos concitoyens. Je suis même étonné qu’un législateur puisse considérer que cet aspect de la question est complètement négligeable.

(L’amendement n105 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Colette Capdevielle, pour soutenir l’amendement n229.

Mme Colette Capdevielle. Cet amendement précise que les avocats des parties recueillent leur consentement à divorcer. Il précise également que les avocats des parties constatent, en leur présence, le divorce, afin d’apposer leur contreseing dans les conditions prévues à l’article 1374 du code civil. L’amendement précise enfin que l’accord est déposé par les avocats signataires au rang des minutes d’un notaire et que ce notaire ne peut pas être celui qui est chargé de l’état liquidatif du régime matrimonial des époux.

Le notaire ne fait donc qu’enregistrer l’acte sous signature privée contresigné par leurs avocats et donner à cet acte la force exécutoire.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Je demande à Mme Capdevielle de bien vouloir retirer son amendement, car le nouveau dispositif s’appuie sur les rôles respectifs des avocats, qui assistent et conseillent leurs clients, et du notaire, qui ne fait que recevoir l’acte et lui donne date certaine, ce qui permettra, en cas de besoin, d’engager les processus d’exécution.

Le fait d’interdire au notaire chargé de l’état liquidatif de recevoir cet acte me paraît incompatible avec le fait qu’un notaire reçoit tous les actes auxquels on veut donner la force d’un acte authentique. Il n’y a donc aucune raison de prévoir une telle interdiction.

D’autant que, lorsqu’un notaire dresse un état liquidatif, il ne décide pas du contenu de cet état liquidatif : il ne fait que le recevoir, le notaire n’ayant pas, dans un tel cadre, à prendre parti. D’ailleurs, je rappelle qu’un notaire ne prend jamais parti. Quand surgit une difficulté entre les différentes parties, il dresse un procès-verbal de carence, ce qui a pour effet d’ouvrir les procédures de contentieux de liquidation de régime matrimonial ou de succession. Il n’y a donc aucune difficulté.

Je fais confiance à ces professionnels dont les missions respectives sont parties intégrantes du processus de la justice dans notre pays.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Je partage le point de vue du rapporteur. Je ne vois pas pourquoi on l’interdirait au notaire, dans la mesure où il enregistre l’acte, mais n’en est pas le rédacteur, pas plus qu’il ne conseille les parties. Je préférerais que Mme Capdevielle retire son amendement ; sinon, je serai contraint – et j’en serai fort marri – de donner un avis défavorable.

M. le président. La parole est à Mme Colette Capdevielle.

Mme Colette Capdevielle. Je le retire.

(L’amendement n229 est retiré.)

M. le président. Je suis saisi de cinq amendements, nos 40, 102, 231, 41 et 232, pouvant être soumis à une discussion commune.

Les amendements nos 40, 102 et 231, d’une part, et les amendements nos 41 et 232, d’autre part, sont identiques.

La parole est à M. Patrick Hetzel, pour soutenir l’amendement n40.

M. Patrick Hetzel. Il s’agit par cet amendement de réserver, au moins dans un premier temps, la nouvelle procédure de divorce par consentement mutuel par acte sous signature privée contresignée par avocats aux couples sans enfant ou dont les enfants sont majeurs. En effet, si les auteurs de l’amendement considèrent comme plus que légitime la simplification de la procédure, ils estiment en revanche que le dispositif actuel n’est pas suffisamment abouti, notamment quant à la prise en compte de l’enfant mineur et au respect d’un équilibre dans la convention de partage entre époux. Monsieur Le Bouillonnec, vous ne nous avez pas vraiment rassurés avec vos arguments. C’est la raison pour laquelle nous proposons, au moins dans un premier temps, de réserver cette procédure aux cas les plus simples des couples sans enfant ou dont les enfants sont majeurs, avant d’étudier l’extension du dispositif à l’ensemble des divorces. Cette mesure conservatoire permettrait d’évaluer l’impact de la réforme.

M. le président. L’amendement n102 est défendu.

La parole est à M. Xavier Breton, pour soutenir l’amendement n231.

M. Xavier Breton. Il s’agit en effet d’un amendement de repli. On a pu constater que les intérêts de l’enfant n’étaient pas pris en compte par cette proposition. Il s’agit donc de limiter le nouveau dispositif aux foyers ne comptant pas d’enfants mineurs, de sorte à préserver l’intérêt supérieur de l’enfant.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces trois amendements ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Si ces amendements étaient maintenus, nous donnerions un avis défavorable.

M. Patrick Hetzel. C’est dommage.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Je ne vois pas pourquoi l’on priverait les parents qui veulent divorcer du bénéfice du consentement mutuel assumé et responsable. Je ne comprends pas cette position. Il n’y a aucune raison que des époux qui veulent divorcer et qui ont des enfants le fassent d’une manière contraire aux intérêts de l’enfant et non d’une manière responsable. Nous voyons tous les jours des couples divorcer, qui ont des enfants et qui assument pleinement, les hommes et les femmes – ou les femmes et les hommes, madame la présidente de la délégation ! –…

Mme Catherine Coutelle. Merci !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. …cette responsabilité. C’est d’ailleurs une qualité beaucoup plus grande qu’il faut leur demander. Je considère donc personnellement qu’il n’y a pas de raison d’écarter les couples ayant des enfants mineurs, alors que le dispositif proposé est plus protecteur, grâce à la présence de deux avocats, que la procédure par requête conjointe, qui permettait tout cela avec un seul avocat, sans que personne ne s’en offusque.

M. le président. La parole est à M. Patrick Hetzel, pour soutenir l’amendement n41.

M. Patrick Hetzel. Défendu.

M. le président. La parole est à M. Xavier Breton, pour soutenir l’amendement n232.

M. Xavier Breton. Défendu également.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements identiques ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Même avis.

M. le président. La parole est à M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Le rapporteur vient de dire textuellement qu’il n’y a pas de raison que des adultes consentants ne prennent pas en compte l’intérêt de l’enfant. Mais c’est méconnaître complètement la réalité ! Il y a des situations de souffrance où la haine réciproque aveugle les adultes sur les intérêts de l’enfant.

M. Erwann Binet. Mais dans ce cas il n’y a pas consentement !

M. Xavier Breton. Des situations de tension entre conjoints, de peurs…

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Mais on ne parle pas de ces situations-là !

M. Xavier Breton. …cela existe. Le monde d’adultes consentants que vous décrivez est théorique. Dans ce monde individualiste, les individus sont parfaits, dotés d’une autonomie complète. Mais la réalité est différente, c’est celle de situations de fragilité sociale et à l’intérieur des couples. Cela, vous refusez de le prendre en compte. C’est là que nous sommes en désaccord : raisonnant dans un monde abstrait, théorique, idéal, vous estimez que c’est l’autonomie des individus qui doit prévaloir. Mais la réalité, ce sont des gens qui souffrent, qui ont des failles. Le rôle de la société est d’être là pour les accompagner au lieu de les laisser se débrouiller entre eux. Vous le refusez au nom de la vision qui a inspiré toutes les réformes sociétales que vous avez menées depuis le début de ce mandat, et que vous faites passer en force, en évitant à chaque fois de vous concerter avec tous les acteurs de la société et de prendre en compte les avis juridiques. C’est toujours cette même démarche que vous adoptez, qui vous aveugle. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

(Les deux séries d’amendements identiques, nos 40, 102 et 231, et nos 41 et 232, successivement mises aux voix, ne sont pas adoptées.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Coutelle, pour soutenir l’amendement n192.

Mme Catherine Coutelle. Nous souhaitons ajouter aux cas où il n’est pas possible d’opter pour la procédure de divorce par consentement mutuel sans juge les cas de violence exercé par l’un des époux l’encontre de l’autre. Je rappelle, monsieur le ministre, chers collègues, que nous avons enfin ratifié, le 4 juillet 2014, la convention d’Istanbul qui demande d’interdire les mesures législatives qui permettraient des modes alternatifs de résolution des conflits, y compris de médiation et de conciliation, en cas de violence de toute forme faite aux femmes et aux enfants.

Lorsqu’il y a eu des violences au sein d’un couple, l’on ne devrait pas pouvoir prononcer un divorce par consentement mutuel. Aujourd’hui 200 000 femmes sont victimes de violences conjugales. Certaines d’entre elles demandent certainement de divorcer par consentement mutuel parce qu’elles veulent sortir rapidement de cette situation de conflit. J’entends que dans la majorité des cas du consentement mutuel, les époux sont d’accord entre eux et peuvent discuter en adultes ; il peut y avoir des crises, mais ayant assumé le mariage, ils assument le divorce. Cependant, dans certains cas, cela peut cacher une situation dissymétrique et des violences.

M. Xavier Breton. Très bien !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Tout le monde ici soutient les combats que vous menez contre ce fléau des violences conjugales et familiales. Il n’y a aucune ambiguïté quant à l’engagement de tous les membres de cet hémicycle dans ces combats. Mais comme je l’ai rappelé au départ, il y a quatre manières de divorcer ; nous ne parlons que du cas où les époux décident ensemble de divorcer, se mettent d’accord sur l’intégralité des conséquences du divorce et vont, grâce aux nouvelles dispositions, bénéficier chacun d’un avocat. On ne peut pas imaginer que ce dispositif sera utilisé dans une situation de crise au paroxysme de l’inacceptable, qui relève d’ailleurs de la loi pénale.

M. Xavier Breton. Et pourquoi donc ? Vous vivez vraiment dans un monde rêvé.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Cela ne se conçoit pas. Chacun peut aller voir un avocat et consentir au dispositif. Pour ce qui est des pressions, le système actuel les rend d’ores et déjà possibles. C’est dans la clairvoyance des acteurs du système – des avocats et, dans le constat, du notaire – que l’on trouvera la solution. Mais le consentement mutuel suppose qu’il n’y a pas de difficultés qui rendraient, par leur gravité, impossible de réaliser une rupture dans des conditions respectant les intérêts de l’un et de l’autre. Dans le cas du consentement mutuel, l’hypothèse que vous évoquez ne peut pas se réaliser. Par conséquent, si vous ne retirez pas votre amendement, nous donnerons un avis défavorable. En effet, cet ajout au dispositif du consentement mutuel ne paraît pas pertinent.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Madame la présidente, il faut évidemment protéger les personnes qui font l’objet de violences. C’est pourquoi le Gouvernement a donné un avis favorable à l’amendement qui exclut la médiation en cas de violences. En effet, la médiation n’admet pas de filtre et représente donc une situation de péril pour les victimes.

Je comprends votre démarche, mais je suis défavorable à votre amendement. Interdire le divorce par consentement mutuel en cas de violences serait contraindre la personne violentée à subir un divorce contentieux, plus long, alors qu’il faut au contraire lui permettre de sortir le plus vite possible du mariage. Il y a une forme de punition à la maintenir dans cette situation. En effet, même avec cette réforme, le divorce contentieux restera quand même plus long.

En tout état de cause, la conclusion d’une convention de consentement mutuel n’exclut en rien la sanction pénale contre l’époux agresseur. Le juge aux affaires familiales peut délivrer une ordonnance de protection si l’ex-époux persiste dans son comportement. Si vous excluez ces couples du divorce par consentement mutuel, vous permettez même à l’agresseur de maintenir une forme de domination sur son conjoint. Dans l’intérêt de la victime de violences, il faut lui permettre de sortir de cette situation. En effet, monsieur le député – nous n’arriverons pas à nous mettre d’accord ! –, le divorce est un processus qui porte atteinte au mariage. (Rires sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. Jacques Myard. Ce n’est pas le problème. Nous ne sommes pas contre le divorce !

M. le président. Avant de donner la parole à plusieurs députés, je précise que sur l’amendement n192, je suis saisi par le groupe Les Républicains d’une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

La parole est à M. Patrick Hetzel.

M. Patrick Hetzel. Les arguments développés par Mme Coutelle nous paraissent extrêmement pertinents. Nous avons notamment noté qu’elle insistait sur le risque d’asymétrie. Celui-ci est réel ; c’est pourquoi nous voterons en faveur de cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Jacques Myard.

M. Jacques Myard. Monsieur le garde des sceaux, la vérité éclate enfin. Votre loi ressemble au Canada Dry : le dispositif a l’apparence du consentement mutuel, mais qu’en est-il en réalité ? Prenez le cas  où un époux violent menace sa femme d’une paire de gifles si elle n’accepte pas le divorce par consentement mutuel. C’est cela, la réalité, aussi sordide soit-elle. Vous confortez donc, une nouvelle fois, le droit du plus fort et non celui du consentement mutuel.

Derrière l’apparence du consentement mutuel, la réalité est tout autre. C’est la raison pour laquelle nous soutiendrons cet amendement frappé au coin du bon sens.

M. le président. La parole est à M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Je m’étonne des propos du rapporteur qui affirme que ce cas ne se présentera pas. Quand la réalité s’oppose à vos délires, vous déclarez que ces cas n’existent pas.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Voilà qu’on parle de délires !

M. Xavier Breton. Or ces cas peuvent malheureusement exister. Vous méconnaissez la réalité, enfermés dans une idéologie abstraite et totalitaire, qui vous permet d’oblitérer les situations décrites par notre collègue Coutelle. Pour ma part je voterai cet amendement.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Coutelle.

Mme Catherine Coutelle. Vous n’aurez pas le plaisir de mêler vos voix à la mienne car nous n’avons pas les mêmes combats. Vous restez sur un débat qui date de la loi sur le mariage pour tous, dans lequel je m’étais fortement opposée à votre vision du code civil qui fait de la femme une mineure.

M. Jacques Myard. Arrêtez ! On ne vous a pas attendue.

Mme Catherine Coutelle. C’est cela qui vous plaisait puisque vous aviez repris cet argument dans l’exposé des motifs de plusieurs amendements. Je ne partage ni votre vision de la femme, ni votre vision de la société, ni votre vision du mariage.

M. Jacques Myard. C’est réciproque !

Mme Catherine Coutelle. Je cherche à protéger les personnes victimes de violences car elles sont 200 000 dans notre société à souffrir de ce qu’on appelle la domination masculine.

M. Jacques Myard. Oui !

Mme Catherine Coutelle. Ce qui me surprend c’est qu’aujourd’hui, pour défendre ce texte, votre groupe n’a que des hommes. Mais c’est votre problème et non le mien.

M. Jacques Myard. Mais c’est intolérable d’entendre des sottises pareilles !

Mme Catherine Coutelle. Nous sommes là devant une situation très grave. Je ne partage pas vraiment votre avis, monsieur le rapporteur, sur le fait que de tels cas ne peuvent pas exister. Je pense que c’est possible : comme le dit M. le ministre, pour sortir de cette situation, certaines femmes acceptent la procédure par consentement mutuel pour s’en aller le plus vite possible, quitte à perdre leurs droits. C’est cela qui m’ennuie et me gêne.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Mais l’évite-t-on avec le recours au juge ?

Mme Catherine Coutelle. Monsieur le garde des sceaux, puisqu’on me laisse un peu plus de temps pour m’exprimer, je tiens à vous dire à quel point je suis frappée du fait que l’on demande à des couples, dans le cadre d’une procédure devant un juge aux affaires familiales, de recourir à une médiation pour essayer de se rabibocher, alors même qu’une procédure pour violence est en cours sous l’autorité du procureur, tout simplement parce qu’on n’a pas fait le lien entre les plaintes au pénal et les procédures au civil ! J’ai fait des recherches sur ce point : il ne semble pas que cela relève du domaine législatif, mais du domaine réglementaire. Il faut mener une politique globale pour que dans les tribunaux, les magistrats se parlent, échangent leurs informations.

Il ne faut pas laisser les femmes victimes de violences seules face à leur conjoint comme si elles étaient, vis-à-vis d’eux, dans une situation d’égalité. Je retire cet amendement mais je tenais à faire ces considérations afin qu’elles figurent au compte rendu des débats.

M. le président. La parole est à M. Patrick Hetzel.

M. Patrick Hetzel. Monsieur le président, je souhaite reprendre cet amendement.

M. le président. L’amendement est donc repris.

Je mets aux voix l’amendement n192.

(Il est procédé au scrutin.)

M. Patrick Hetzel. Vous allez voter contre votre amendement, madame Coutelle ?

Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants13
Nombre de suffrages exprimés13
Majorité absolue7
Pour l’adoption4
contre9

(L’amendement n192 n’est pas adopté.)

M. Xavier Breton. Dommage !

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 42 et 234, qui font l’objet d’un sous-amendement n398 du Gouvernement.

La parole est à M. Jacques Myard, pour soutenir l’amendement n42.

M. Jacques Myard. Il est défendu.

M. le président. La parole est à M. Xavier Breton, pour soutenir l’amendement n234.

M. Xavier Breton. Tout d’abord, je m’étonne du sectarisme qui vient de s’exprimer. Je profite du temps de parole dont je dispose au titre de cet amendement pour dire que le divorce sans juge n’est pas une bonne mesure pour les adultes non plus. Le juge assure en effet, par son indépendance et son impartialité, l’équité des accords intervenus et la protection du conjoint le plus vulnérable. En supprimant le juge, on supprime toutes ces garanties !

Un accord amiable n’est pas nécessairement un accord équitable ! Le traumatisme, la peur, peuvent en effet pousser l’un des conjoints à accepter une séparation rapide, sans forcément prendre le temps de la réflexion pour se protéger à long terme. Il peut être amené à accepter un accord déséquilibré et sans juge il sera plus difficile de prendre la mesure de ce déséquilibre. Nous voyons bien, une nouvelle fois, que vous privilégiez l’éthique de l’autonomie sur l’éthique de la vulnérabilité.

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, pour soutenir le sous-amendement n398.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Je pense que le texte même de ce sous-amendement est suffisamment explicite pour que l’Assemblée se considère comme informée.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ce sous-amendement n398 et sur les deux amendements identiques nos 42 et 234 ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Nous sommes favorables au sous-amendement du Gouvernement, qui permet de rectifier la rédaction des amendements déposés par nos collègues – auxquels nous sommes favorables, sous réserve de l’adoption du sous-amendement.

M. le président. La parole est à M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Je m’étonne de ce bricolage juridique : nous modifions un pan important de notre droit par des sous-amendements discutés à la dernière minute. Ce bricolage juridique n’est pas à la hauteur de ces sujets !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Mais enfin, c’est vous qui avez déposé ces amendements, pas nous !

(Le sous-amendement n398 est adopté.)

(Les amendements identiques nos 42 et 234, sous-amendés, sont adoptés.)

M. le président. La parole est à M. Xavier Breton, pour soutenir l’amendement n106.

M. Xavier Breton. Je profite du temps de parole qui m’est donné pour défendre cet amendement pour évoquer les prétendues économies d’argent et de temps que ce dispositif permettrait de réaliser. Plusieurs rapports publiés antérieurement affirment le contraire. On peut lire dans celui de Catherine Tasca et de Michel Mercier, publié en 2014, que « le gain escompté d’une déjudiciarisation risque d’être peu significatif ». Six ans auparavant, la commission Guinchard estimait que « le risque d’un contentieux étant très important à l’issue d’un divorce déjudiciarisé, l’économie budgétaire serait hypothétique, sinon nulle. »

En effet, un accord mal ficelé au départ alimentera le contentieux du divorce, avec à la clé un retour régulier des ex-conjoints devant le juge. Il y a donc un vrai risque d’effet boomerang. Certes, la procédure sera plus rapide au départ, mais au risque, par la suite, d’un pourrissement de la situation.

Quant à l’aspect financier proprement dit, au coût du divorce, la réforme que vous proposez imposera à chacun d’avoir son propre avocat, alors qu’aujourd’hui nombre de conjoints optent pour un divorce à l’amiable, en n’en prenant qu’un seul. Le coût global des honoraire pourrait alors s’envoler. Cette réforme serait donc contraire à l’intérêt des justiciables, qui n’auraient plus la possibilité de choisir un avocat commun – choix qui est actuellement majoritaire, et qui permet aux justiciables de réaliser d’importantes économies.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Cet amendement vise à empêcher qu’au cours des autres procédures de divorce, les conjoints aient recours à la procédure de consentement mutuel. Ce n’est pas acceptable, puisque notre objectif premier, c’est l’accord des époux. Plus les époux parviennent à se mettre d’accord, plus le divorce sera apaisé. Nous sommes donc défavorables à cet amendement.

Jusqu’à la fin des procédures de divorce, les époux pourront donc divorcer par consentement mutuel. Je vous signale que c’est déjà le cas à l’heure actuelle, y compris dans le cadre des procédures pour faute, car le juge peut constater, dans son jugement, l’accord des époux. Il n’y a donc aucune raison d’empêcher les époux de choisir la manière la plus appropriée de divorcer.

(L’amendement n106, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Xavier Breton, pour soutenir l’amendement n107.

M. Xavier Breton. Il y a entre nous des divergences très profondes quant à la conception du divorce. Pour vous, c’est une simple formalité. Nous savons très bien que sa simplification fera progresser sa banalisation ; ainsi l’impact réel du divorce sur la vie des personnes sera encore moins pris en compte. Le divorce, même s’il est envisagé de manière consensuelle, n’est jamais banal, tant pour les adultes que pour les enfants.

L’article 17 ter de ce projet de loi laisse entendre que plus vite on ira au divorce, mieux ce sera mais il est illusoire de croire que la douleur du divorce ne provient que de la lourdeur et de la durée des procédures. En réalité, cette douleur provient surtout de la rupture elle-même. C’est pourquoi nous avons déposé cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Avis défavorable à cet amendement qui vise à supprimer les alinéas 29 à 32 de cet article, réduisant à néant la totalité du dispositif. Monsieur le député, les couples qui choisissent le divorce par consentement mutuel sont des couples qui veulent divorcer ! Si les gens veulent divorcer, ils doivent pouvoir le faire !

M. Jacques Myard. Nous ne disons pas le contraire !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Vous partez toujours de l’hypothèse selon laquelle quand on est marié, on ne divorce pas ; mais cela, ce n’est pas la loi !

M. Xavier Breton. Je n’ai jamais dit cela !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Raison de plus : si on considère que le dispositif judiciaire doit permettre à la volonté de divorcer manifestée par les époux d’ aboutir, on doit maintenir ces dispositions. L’avis de la commission est donc défavorable.

(L’amendement n107, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Xavier Breton, pour soutenir l’amendement n108.

M. Xavier Breton. À l’occasion de l’examen de cet amendement, je voudrais interroger M. le rapporteur Le Bouillonnec et M. le garde des sceaux. Êtes-vous d’accord avec la position officielle des associations familiales, relayée par l’UNAF, selon laquelle « le mariage n’est pas un simple contrat patrimonial. Il est célébré devant la société, en un acte solennel et public, sa dissolution doit recevoir un formalisme suffisant dans le respect du parallélisme des formes. » Oui ou non, pour vous, le mariage est-il simplement un contrat, et le divorce une formalité, ou engage-t-il plus largement non seulement les conjoints, mais aussi la société ?

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Cet amendement vise à supprimer les alinéas 33 à 36 de cet article. L’avis de la commission est donc défavorable.

(L’amendement n108, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Xavier Breton, pour soutenir l’amendement n109.

M. Xavier Breton. Je n’ai pas obtenu de réponse à ma question, qui reste donc posée : le mariage a-t-il une dimension sociale et symbolique ? Je crois, pour ma part, qu’il ne s’agit pas d’un simple contrat. Par une telle réforme, en instituant le divorce sans juge, c’est l’individualisme qui l’emportera sur la protection des plus faibles. Selon vous, la société – en l’espèce, le juge – n’a pas à s’immiscer dans le choix de deux adultes consentants – c’est ce qu’indiquait tout à l’heure M. le rapporteur. Notre opinion est différente : la société doit proposer son assistance aux familles en difficulté, et non s’en désintéresser.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Avis défavorable, pour les mêmes raisons.

(L’amendement n109, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Xavier Breton, pour soutenir l’amendement n110.

M. Xavier Breton. Cet amendement me donne l’occasion de rappeler qu’un divorce sans juge serait, de plus, contraire à la convention d’Istanbul, ratifiée par la France le 4 juillet 2014. Celle-ci engage notamment les États signataires à promulguer des lois plus protectrices des droits des femmes et des enfants en cas de séparation. Nous l’avons vu au cours de ces débats : les dispositions de ce projet de loi ne seront pas plus protectrices des droits des femmes ni des enfants, bien au contraire.

(L’amendement n110, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Xavier Breton, pour soutenir l’amendement n111.

M. Xavier Breton. Sur tous ces sujets de société, vous recourez toujours à la même méthode : celle du passage en force. Rappelons-nous la loi de modernisation de notre système de santé, qui assouplit l’encadrement du don d’organe, ou encore la réforme du régime de la recherche sur les embryons, qui a été réalisée par amendement, sans étude d’impact ni avis juridique. Je pense aussi à la suppression du délai de réflexion de huit jours et de la notion de détresse pour les interruptions volontaires de grossesse.

M. Gérard Sebaoun. Heureusement !

M. Xavier Breton. Je pense à la loi du 2 février 2016 sur la fin de vie, qui était à l’origine une proposition de loi, précisément pour éviter l’avis du Conseil d’État. À chaque fois, vous passez en force, et vous refusez de mener une véritable concertation. C’est ce que vous faites à nouveau ce soir pour le divorce sans juge.

(L’amendement n111, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Xavier Breton, pour soutenir l’amendement n112.

M. Xavier Breton. Défendu.

(L’amendement n112, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Xavier Breton, pour soutenir l’amendement n113.

M. Xavier Breton. Défendu.

(L’amendement n113, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Xavier Breton, pour soutenir l’amendement n114.

M. Xavier Breton. C’est le dernier amendement que je défendrai sur cet article. Je regrette que nous n’ayons pu débattre ni de nos conceptions du divorce, ni des conséquences de celui-ci sur la vie des époux qui se séparent et sur leurs enfants, ni de nos conceptions de la place du mariage dans notre société.

M. Jacques Myard. Très bien !

(L’amendement n114, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, pour soutenir l’amendement n382 deuxième rectification.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Contrairement à ce que voudrait faire croire M. Breton, nous ne passons pas en force ; nous respectons la procédure parlementaire en déposant des amendements, qui sont ensuite examinés par les députés qui le veulent bien.

Cet amendement vise d’abord à conférer au divorce par consentement mutuel par acte sous signature privée contresigné par avocat et déposé au rang des minutes d’un notaire des effets similaires à n’importe quel autre type de divorce en matière d’exécution forcée de l’ensemble des dispositions prévues à la convention. En effet, en dépit de la force exécutoire conférée par le futur article 229-4 du code civil à la convention de divorce, celle-ci ne pourrait, en cas de difficulté d’exécution, permettre l’usage de certaines procédures d’exécution forcée qui reposent sur une décision du juge ou une convention homologuée.

En conséquence, cet amendement prévoit que la procédure en paiement direct prévue à l’article L. 213-1 du code des procédures civiles d’exécution et la procédure en recouvrement public prévue à l’article 1er de la loi du 11 juillet 1975 seront possibles sur la base de dispositions prévues dans la convention de divorce par consentement mutuel prenant la forme d’un acte sous seing privé contresignés par avocats et déposés au rang des minutes d’un notaire.

Il est en outre indispensable de modifier les articles L. 523-1 et L. 581-2 du code de la sécurité sociale afin de permettre, d’une part, au créancier d’une pension alimentaire fixée dans le cadre d’un divorce par consentement mutuel par acte d’avocat de pouvoir bénéficier du droit à l’allocation de soutien familial en cas de défaillance du débiteur, ou à l’allocation différentielle en cas de fixation d’une pension alimentaire inférieure au montant de l’allocation de soutien familial, et d’autre part, à l’organisme débiteur de l’allocation d’être subrogé dans ses droits de créancier pour récupérer auprès du débiteur les sommes dues, dans la limite du montant de l’allocation de soutien familial.

Par coordination, il a été ajouté au bénéfice de ces dispositions l’acte reçu en la forme authentique par un notaire au regard des garanties présentés par ce type d’acte.

Il est aussi proposé de modifier, toujours par souci de coordination, trois articles du code général des impôts qui portent sur les conséquences fiscales du divorce prononcé par jugement.

Grâce à l’intervention de Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes, nous avons rectifié cet amendement pour prévoir également dans le code pénal la coordination nécessaire, c’est-à-dire à l’article L. 227-3 pour abandon de famille et à l’article L. 227-6 pour les atteintes à l’exercice de l’autorité parentale.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Il est bien entendu favorable puisque le Gouvernement revisite, avec cet amendement, l’ensemble des conséquences du dispositif législatif qu’on a mis en place dans le cadre de la procédure civile d’exécution, des dispositifs de la Sécurité sociale et du code général des impôts.

(L’amendement n382, deuxième rectification, est adopté.)

(L’article 17 ter, amendé, est adopté.)

Article 18

M. le président. La parole est à M. Xavier Breton, pour soutenir l’amendement n77.

M. Xavier Breton. Il est défendu.

(L’amendement n77, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. Xavier Breton, pour soutenir l’amendement n78.

M. Xavier Breton. Il est défendu.

(L’amendement n78, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

(L’article 18 est adopté.)

Article 18 bis A

(L’article 18 bis A est adopté.)

Article 18 bis B

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec, pour soutenir l’amendement n357.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Il s’agit d’un amendement rédactionnel.

(L’amendement n357, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec, pour soutenir l’amendement n358.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Rédactionnel.

(L’amendement n358, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

(L’article 18 bis B, amendé, est adopté.)

Article 18 bis

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec, pour soutenir l’amendement n359.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Rédactionnel.

(L’amendement n359, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

(L’article 18 bis, amendé, est adopté.)

Article 18 ter

(L’article 18 ter est adopté.)

Après l’article 18 ter

M. le président. La parole est à M. Christophe Caresche, pour soutenir l’amendement n151.

M. Christophe Caresche. Le Gouvernement s’est lancé dans une démarche de simplification et d’économies, et cet amendement vise à y contribuer en proposant de supprimer la transcription de l’acte de décès à la mairie du domicile du défunt, ce qui est sollicité de longue date par les officiers d’état civil. Je rappelle qu’elle a été créée après la Première guerre mondiale pour permettre à la famille du défunt de disposer d’un acte de décès plus accessible à la mairie de leur domicile. Cette disposition visait donc à répondre à des circonstances exceptionnelles de décès loin du domicile à une époque où les familles étaient très largement sédentaires. Aujourd’hui, la majorité des demandes d’actes d’état civil sont faites par courrier ou en ligne. Cette transcription d’un tel acte ne répond donc plus à une nécessité pour les familles. L’élaboration d’un second acte de décès constitue par ailleurs une surcharge de travail pour les officiers d’état civil qui doivent, en outre, en assurer la mise à jour de la même manière que le premier dressé au lieu du décès. Il s’agit donc de modifier à cet effet le premier alinéa de l’article 80 du code civil.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. J’ai déjà considéré en commission que l’on devait défendre la mention de l’acte de décès dans la ville de domiciliation du défunt parce que c’est souvent le seul élément d’information dont dispose la collectivité, surtout si l’un de ses habitants est décédé depuis très longtemps.

M. Yves Goasdoué. C’est vrai.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. C’est aussi le moyen pour l’administration communale de régler certaines situations. Ainsi, je peux vous dire que quand un locataire vivant seul dans un HLM est décédé, il est utile pour la mairie de le savoir. Et je pourrais citer une multitude de situations de même nature.

Plus encore, je considère que la convivialité justifie que les habitants de la commune, la collectivité des citoyens, soit informée des décès. C’est la raison pour laquelle nombre de journaux municipaux en rendent compte – ainsi même que les naissances, quoique la formule de transcription est différente. Je pense que c’est un élément d’autant plus important qu’on décède de moins en moins chez soi et que la plupart des communes n’ont pas d’hôpital.

C’est pourquoi je m’étais opposé à l’amendement du Gouvernement sur ce sujet et que je demande à Christophe Caresche de retirer le sien. À défaut, j’émettrais, à mon grand regret, un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Le Gouvernement, lui, est favorable à l’amendement de M. Caresche pour des raisons qui ne surprendront ceux qui ont participé à nos travaux en commission puisqu’il est demandeur de toute mesure de simplification, ce qui est exactement le cas ici. Il a de plus été fort justement rappelé que celle-ci était souhaitée par beaucoup d’officiers d’état civil. Mais connaissant les convictions du rapporteur sur ce sujet, je m’engage, si l’amendement est voté, à modifier dans les meilleurs délais les dispositions relatives aux tables annuelles et décennales de l’état civil afin de permettre une inscription des références du décès survenu dans une autre commune sur les tables annuelles de celle du domicile du défunt. Cela devrait ainsi permettre de disposer des éléments d’information que vous souhaitez, monsieur le rapporteur, tout en allégeant les charges administratives que cet amendement emporte.

La parole est à Mme Colette Capdevielle.

Mme Colette Capdevielle. Je demande une suspension de séance de quelques minutes, monsieur le président.

M. le président. La suspension est de droit.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures trente-cinq, est reprise à dix-huit heures cinquante.)

M. le président. La séance est reprise.

La parole est à M. Christophe Caresche.

M. Christophe Caresche. S’il est toujours difficile de simplifier un amendement, puisque l’on supprime des éléments pouvant être utiles, je considère que les réponses du Gouvernement devraient donner satisfaction au rapporteur. En effet, le garde des sceaux s’est engagé à prendre des dispositions permettant de relayer l’information auprès des communes. Je maintiens donc mon amendement.

(L’amendement n151 n’est pas adopté.)

Article 18 quater

M. le président. Je suis saisi de plusieurs amendements, nos 282 rectifié, 283 rectifié, 150 rectifié et 178 deuxième rectification, pouvant être soumis à une discussion commune. Les amendements nos 282 rectifié et 283 rectifié sont identiques, de même que les amendements nos 150 rectifié et 178 deuxième rectification.

La parole est à Mme Pascale Crozon, pour soutenir l’amendement n282 rectifié.

Mme Pascale Crozon. Cet amendement est issu d’une proposition de loi, déposée voici plusieurs mois, qui a été signée par plus d’une centaine de députés et approuvée par le groupe socialiste, républicain et citoyen.

Le Défenseur des droits a rendu public l’exemple d’une femme dont la candidature à un poste de formatrice avait été retenue, après deux entretiens d’embauche. Au moment de présenter ses documents administratifs – papiers d’identité, carte vitale –, elle a pourtant vu son embauche annulée car l’employeur a alors appris qu’elle avait été, et restait légalement, un homme.

Au-delà d’une procédure longue et difficile, incertaine et, disons-le, très humiliante, ce sont les droits fondamentaux de la personne humaine qui sont ici en cause. Nous ne pourrons pas assurer le droit au respect de la vie privée, ni la protection contre les discriminations et les violences transphobes, tant que le changement de sexe sera assujetti à des conditions médicales.

Cet exemple montre qu’à la source de ces violences, il y a la discordance entre le sexe légal et l’identité dans laquelle les personnes transgenres vivent et se présentent à la société. C’est d’ailleurs ce qui guide les résolutions 1728 et 2048 du Conseil de l’Europe, et c’est ce qui motive notre amendement, qui tend à s’en rapprocher le plus possible.

Nous savons que cela reste insuffisant pour certaines associations, qui réclament un changement sur simple déclaration. Nous savons aussi que des blocages subsistent au regard de notre tradition juridique sur l’état des personnes. Voilà pourquoi nous assumons de vous présenter non un amendement militant, sur lequel pèserait une quelconque insécurité, mais un amendement réfléchi, discuté et, je le crois, responsable, qui a vocation à améliorer concrètement la situation de plusieurs milliers de personnes.

Je me félicite d’ailleurs du soutien de l’Inter-LGBT, d’Amnesty International et de plusieurs associations représentant et accompagnant au quotidien les personnes transgenres dans leur démarche. Elles nous appellent, nous, parlementaires, à prendre nos responsabilités, afin que le droit à modifier la mention de son sexe, reconnu aux citoyens français depuis près de vingt-cinq ans, soit enfin inscrit dans la loi et qu’il s’exerce hors de toute contrainte médicale, gratuitement et dans des délais raisonnables. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. Je suis saisi de trois sous-amendements, nos 400, 401 et 402, pouvant faire l’objet d’une présentation groupée.

La parole est à M. le garde des sceaux, pour les soutenir.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Comme l’a dit Pascale Crozon, ce sujet important ne fait l’objet d’aucun texte dédié. C’est la Cour de cassation qui a défini le changement de sexe, lequel est conditionné à la démonstration de son caractère irréversible.

Bien qu’une circulaire de la chancellerie ait cherché à préciser cette jurisprudence, son application reste très variable selon les juridictions. L’amendement vise donc un objectif légitime, celui de mettre fin à une insécurité juridique.

Pour autant, le Gouvernement ne peut pas lui donner un avis favorable, dans sa rédaction actuelle. Aussi, je propose trois sous-amendements, ce qui ne surprendra pas les parlementaires présents dans l’hémicycle, puisque nous avons déjà discuté de ce sujet.

Le premier sous-amendement, n400, a trait à la justification de la possession d’état de l’autre sexe et aux preuves destinées à son établissement. Le changement d’état ne doit pas reposer sur une simple déclaration des intéressés. Il faut que la personne puisse démontrer qu’elle considère appartenir de manière sincère et continue au sexe opposé à celui mentionné sur son état civil. Le regard social, qui fait porter à une personne son appartenance à l’un ou l’autre sexe ne peut en effet suffire. Il s’agit d’abord du ressenti personnel de celui ou celle qui souhaite ce changement.

Dans le cas contraire, une personne simplement travestie, par exemple pour l’exercice de sa profession, mais sans intention réelle de changement de sexe, pourrait accéder à ce dispositif. Cela n’est évidemment l’intention ni des défenseurs de l’amendement ni du Gouvernement.

Dans un souci de lisibilité, le Gouvernement propose par ailleurs certains aménagements rédactionnels, visant à distinguer clairement, dans deux articles, ce qui relève du fond de la demande, de ce qui relève des aspects procéduraux du dispositif.

La réunion d’une série de faits, énumérés à titre indicatif, permet d’établir cet état, selon la méthode du faisceau d’indices. Ces faits peuvent être très divers. Quatre d’entre eux ont été mentionnés à titre principal : se présenter publiquement comme appartenant au sexe revendiqué ; être connu de son entourage comme tel ; avoir obtenu un changement de prénom ; avoir suivi des traitements médicaux de manière à modifier l’apparence physique du sexe revendiqué. La liste, chacun le comprendra, n’est pas exhaustive.

La preuve de ces faits, dont la réunion de plusieurs d’entre eux permettra d’établir la possession d’état de l’autre sexe, est en revanche libre. La méthode du faisceau d’indices reste particulièrement adaptée à la multiplicité des situations individuelles. Il est par ailleurs indiqué que, parmi les éléments devant entrer en compte, le fait de ne pas avoir subi d’opération chirurgicale ni de stérilisation ne peut faire à lui seul échec à la demande, ce qui permettra de mettre fin à la principale divergence de la jurisprudence.(« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

Avec ce sous-amendement, le Gouvernement poursuit un objectif de sécurité juridique essentiel, tout en maintenant un cadre suffisant pour garantir le respect de l’immutabilité de l’état des personnes atteintes, qui est disproportionné.

En raison de l’importance de ce dernier principe, le Gouvernement propose un deuxième sous-amendement, n401, destiné à maintenir la compétence du tribunal de grande instance, celle du droit commun, qui s’exerce pour toutes les demandes de modification de l’état civil portées en justice. Il n’y a pas de raison qu’une action en matière de filiation doive être portée devant le tribunal, alors qu’une action aux fins de faire modifier la mention de son sexe à l’état civil ne le doive pas.

Au contraire, si les jurisprudences deviennent constantes, et ne peuvent plus s’opposer au rejet du seul fait de l’absence d’opération chirurgicale, maintenir une présence du tribunal apparaît comme une garantie d’une bonne prise en compte de chacun des intérêts fondamentaux qui sont en jeu.

L’appréciation des changements de sexe nécessite un débat, qui risque d’être systématiquement proposé par le ministère public, dans la version présentée par l’amendement n208, et que le juge doit trancher. C’est ainsi revenir aux fondamentaux du juge, ce qui constitue d’ailleurs l’un des axes forts de ce projet de loi.

Le dernier sous-amendement, n402, a vocation à supprimer toute référence à la mise à jour des documents d’identité, de telles mentions ne figurant pas sur ces documents pour les autres changements de l’état d’une personne. Il s’agit d’une évidence. Si nous le précisions pour les changements de sexe, nous risquerions d’obscurcir la conduite à tenir pour les autres modifications relatives à un acte de l’état civil, où une telle précision n’est pas portée.

Pour mémoire, les papiers d’identité ne reprennent pas l’historique des mentions à l’état civil – seul ce dernier conserve les mentions anciennes. Au demeurant, ces questions relèvent en tout état de cause de la voie réglementaire.

Sous réserve de l’adoption de chacun de ces sous-amendements, le Gouvernement donnera un avis favorable à celle de l’amendement n282 rectifié. Ces trois sous-amendements étant liés, leur rejet le contraindrait à émettre un avis défavorable à cette adoption, ce qu’il regretterait.

Nous sommes vraiment convaincus que ce texte est une occasion pour régler une situation dont, ici ou là, nous avons pu mesurer les souffrances qu’elle génère. Cette question est évidemment sensible et il faut y répondre de la manière la plus juridiquement stable possible, y compris en termes d’évolution politique dans la société. De ce point de vue, le juge du siège – qui est indépendant – me paraît plus protecteur que le parquet.

Sous réserve de ce que je viens d’énoncer, monsieur le président, le Gouvernement sera donc favorable à l’adoption de cet amendement sous-amendé.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Jean-Michel Clément et moi-même, vos co-rapporteurs, souhaitons d’abord saluer la démarche initiée et défendue par un certain nombre de nos collègues, notamment Pascale Crozon et Erwann Binet, afin de faire entendre une voix qui ne l’était pas. Nous partageons une certaine fierté à nous être engagés sur ce chemin et, je l’espère, à  aboutir.

Le dispositif adopté par la commission a évolué à travers l’adoption d’amendements de rectification proposés par les auteurs initiaux de la démarche ainsi que grâce au débat que nous avons eu entre nous.

Je souhaite que vous en preniez acte : vos co-rapporteurs ont souhaité favoriser l’aboutissement de cette démarche et non y faire obstacle.

Nous n’avons jamais cessé de vouloir aboutir mais nous étions confrontés à un certain nombre de difficultés. D’abord, celles que soulevaient vos propres réflexions et qui impliquaient l’évolution d’un dispositif qui n’était pas satisfaisant ; les observations que nous assumons dans le cadre de ce texte qui concerne aussi les enjeux liés à l’état civil – notamment sur les problèmes issus d’une jurisprudence non-construite si ce n’est par la Cour de cassation, en quelque sorte, faute qu’il soit possible de s’appuyer sur quelque élément de texte que ce soit. La jurisprudence implique de tels fondements, or, il n’y avait rien. L’étape que nous allons franchir – telle est la position des deux co-rapporteurs – vise d’abord à installer un dispositif législatif formant le cadre à partir duquel les juridictions ou les autorités compétentes pourront agir.

Ensuite, nous avons fait évoluer la réflexion puisque – même si nous n’en avons pas été à l’origine – nous avons fortement retenu l’hypothèse de ce que l’on appelle la possession d’état. Vos co-rapporteurs ont souhaité que ce dispositif soit le critère de référence parce qu’il n’est pas complété par le seul texte de la loi mais par des réalités qui lui sont liées – d’aucuns jugent d’ailleurs que cette notion est la plus compliquée à définir.

M. Jean-Michel Clément, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. C’est sûr !

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Il n’en reste pas moins que, compte tenu de ces réalités, tous les juristes le savent, elle offre un certain nombre de chances.

Nous sommes donc satisfaits que vous ayez repris la démarche en intégrant la possession d’état. Je me tourne vers le garde des sceaux : une telle introduction permet de résoudre des problèmes de compétences, la possession d’état relevant de la compétence du juge, comme d’ailleurs celle concernant les modifications de l’état civil.

Vos co-rappporteurs souhaitent encourager l’aboutissement de cette démarche, laquelle peut donc être considérée comme inachevée eu égard aux personnes concernées qui essaient d’obtenir la satisfaction qui leur est due.

Nous disons au Gouvernement que nous allons donner un avis favorable à l’adoption de l’amendement défendu par Mme Crozon et à celle des trois sous-amendements visant à rectifier le dispositif – nous considérons qu’ils ont à peu près « purgé » les questions de droit. Le pire, en effet, serait que demain matin des jurisprudences voient le jour à partir d’une instabilité juridique et que nous rencontrions un tout petit problème quant aux compétences du juge en raison notamment du contrôle constitutionnel.

Avec Jean-Michel Clément, nous souhaitons ainsi poser cet acte, en confiance et en solidarité avec tous ceux dont la situation, demain, évoluera grâce au dispositif législatif que nous adopterons. Nous ferons en sorte que sa mise en œuvre soit fidèle à ce que nous avons voulu faire.

Compte tenu de ces observations, monsieur le président, nous sommes favorables à l’adoption de l’amendement n282 rectifié sous-amendé par les trois sous-amendements du Gouvernement.

M. le président. Je suis saisi de deux amendements, nos 283 rectifié – identique à l’amendement n282 rectifié – et 150 rectifié, qui peuvent faire l’objet d’une présentation groupée.

La parole est à M. Sergio Coronado, pour les soutenir.

M. Sergio Coronado. Outre la présentation de ces deux amendements vous me permettrez peut-être, monsieur le président, de rebondir à partir de l’intervention de M. le rapporteur.

Notre majorité et les majorités de gauche précédentes ont oublié les discriminations dont sont victimes les personnes transsexuelles. De grandes avancées ont été réalisées en faveur de l’égalité avec le Pacs et, en 2013, l’ouverture du mariage civil aux couples de même sexe. En même temps, nous aurions en l’occurrence souhaité non une ministre plus mobilisée – elle l’a été avec flamboyance – mais un Gouvernement plus ferme, plus déterminé, plus audacieux afin de défendre les projets sur lesquels la majorité s’était engagée pendant la campagne électorale. La mobilisation hostile à laquelle nous avons assisté a été également possible parce que ce Gouvernement-là, justement, a un peu manqué à l’appel.

Lorsque l’on est attaché au combat pour l’égalité, nous avons toujours le sentiment de ne pas aller au bout de nos logiques de droit. C’est le cas avec l’ouverture de la procréation médicalement assistée pour les couples de femmes – cette question a été abordée lors du débat sur le mariage des couples de même sexe et il s’agissait même d’un engagement, dont nous savons d’ailleurs qu’il ne sera pas tenu. C’est également le cas avec la question des transgenres : il ne s’agit pas seulement d’un parcours du combattant mais d’un itinéraire jalonné de violences institutionnelles et sociales.

Ce sont environ 10 000 à 15 000 personnes qui, en France, ont commencé ou achevé un parcours de transition sexuelle. C’est un parcours jalonné de violences institutionnelles, disais-je, parce que les jurisprudences sont fluctuantes – le garde des sceaux l’a dit – et même étonnantes lorsqu’on les regarde de près, et qu’elles partent du principe de l’irréversibilité de la transition médicale. Il s’agit d’un parcours psychiatrique, médical, qui place ces personnes dans une situation de désarroi que l’on ne mesure pas : je voudrais que l’on se rende compte de ce que cela signifie, naître dans un corps qui est une prison.

Mon amendement n150 rectifié s’inspire de la législation argentine, comme il m’est arrivé de le faire depuis trois ans. Il s’agit d’un modèle déclaratif – les Norvégiens sont allés un peu dans le même sens. Je comprends la possible fragilité de ce type de proposition mais je crois que les revendications des associations vont dans ce sens. Lorsque l’on est attaché à un travail de co-élaboration avec elles, on peut aussi se faire leur porte-parole dans cette enceinte.

Néanmoins, je reste prêt à faire des compromis. C’est pourquoi, avec Pascale Crozon, Erwann Binet et d’autres encore nous avons décidé de présenter un amendement commun.

Ce combat, en effet, est important et nous n’avons pas voulu l’abandonner. Il nous reste peu de temps avant la fin de la mandature et une telle fenêtre de tir risque de disparaître pour longtemps.

L’amendement n283 rectifié est assez simple, monsieur le garde des sceaux. Il repose sur l’autodétermination du demandeur, qui invite le procureur de la République compétent à constater qu’il se présente et est connu dans un sexe ne correspondant pas à celui qui est inscrit à l’état civil. À l’appui de sa demande, il produit les documents de son choix permettant d’établir ce constat sans qu’aucune condition médicale ne soit exigible ni suffisante à rejeter la demande.

Je ne vois pas d’inconvénient particulier à voter le premier et le troisième sous-amendements déposés par le Gouvernement mais je m’interroge un peu sur le second – même s’il est dans la logique gouvernementale de le présenter. Je ne serai pas quant à moi un adepte du tout ou rien : un parlementaire peut choisir et trier. Je voterai donc en faveur du premier et du troisième sous-amendement mais je ne voterai pas en faveur du deuxième.

Nous avons pris un certain nombre d’engagements mais ce compromis est fragile. Nous pouvons le faire vivre ici à travers un vote majoritaire puis nous verrons dans le cadre de la navette si la solidité juridique doit être ou non renforcée.

M. le président. La parole est à M. Alain Tourret, pour soutenir l’amendement n178 deuxième rectification, identique à l’amendement n150 rectifié.

M. Alain Tourret. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, je fais miennes toutes les observations qui viennent d’être formulées par Sergio Coronado.

Les histoires dont nous parlons sont marquées par la souffrance, la violence des institutions et des bien-pensants. Si nous parvenons à une solution, forcément de compromis mais aussi d’apaisement, elle permettra de panser des blessures et d’accroître notre propre humanité.

M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Je retire l’amendement n150 rectifié.

(L’amendement n150 rectifié est retiré.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Nous restons donc dans le contexte de la discussion de deux amendements identiques et de trois sous-amendements.

J’ai interrogé la chancellerie quant aux réponses à apporter aux questions de la gratuité, de la rapidité et de l’implication du procureur, laquelle peut constituer un élément déterminant – je rappelle qu’en matière civile les procureurs peuvent intervenir à tout moment même si ce n’est pas la pratique – s’il n’y avait pas l’hypothèse que la saisine du tribunal passe par la procédure sur requête en chambre du conseil : dépôt entre les mains du procureur, lequel réunit les éléments de constat, la chambre du conseil statuant.

Cette procédure, gratuite, est utilisée sans l’obligation d’assistance d’un avocat, par exemple dans le cas des procédures d’adoptions simples des enfants du conjoint. Cette technique, à mon avis, apaiserait un peu les craintes qui ont été exprimées, l’aboutissement final reposant sur la décision d’un tribunal. Si tel n’était pas le cas, je vous le dis très clairement, je ne sais pas ce qu’il adviendra de ce dispositif sur un plan purement constitutionnel puis sur le plan de la cassation. Quoi qu’il en soit, il faut faire preuve de prudence.

Je me demande donc, monsieur le garde des sceaux, si l’hypothèse de la technique de saisine ne serait pas celle de la requête en chambre du conseil passant par le dépôt des documents au procureur de la République sans l’assistance d’un avocat – j’ai évoqué l’exemple, notamment, de la procédure d’adoption simple.

Je ne vois pas que cette solution présente des difficultés mais je ne prétends pas être omniscient ! En tout cas, il s’agit peut-être d’une solution.

M. le président. Maintenez-vous votre amendement n178 deuxième rectification, monsieur Tourret ?

M. Alain Tourret. Oui.

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Afin qu’il n’y ait pas d’ambiguïté quant à la disponibilité du Gouvernement – dont je m’attendais d’ailleurs à ce que Sergio Coronado la souligne – je rappelle que ce n’est pas un acte anodin que le Gouvernement pose en ce moment. Je sais bien que l’on peut toujours faire mieux mais lorsque l’on agit, c’est bien aussi de le reconnaître.

Monsieur le rapporteur, il s’agit d’un acte réglementaire qui, naturellement, aboutira.

M. le président. La parole est à M. Sergio Coronado.

M. Sergio Coronado. Oui, monsieur le ministre, c’est un acte important ! Il aurait pu être décidé il y a longtemps, c’est vous qui l’accomplissez aujourd’hui. Nous pouvons en être fiers. Et si nous avons décidé de construire un compromis, c’est que nous savions qu’il existait de votre part une volonté d’avancer.

Je ne vois pas, dans cette discussion, d’esprit polémique, revanchard ou inutilement critique, mais une exigence : la démarche doit être facilitée et l’accès à la justice gratuit. On sait que des procédures peuvent requérir des moyens financiers dont les personnes concernées par la transition sont dépourvues. Nous avons eu ce débat lors de l’examen du texte sur la prostitution, et j’avais déposé des amendements en ce sens. Une grande partie des personnes qui entament un parcours de transition sont obligées, pour gagner leur vie, de recourir à la prostitution.

M. le président. La parole est à M. Erwann Binet.

M. Erwann Binet. Je veux commencer par vous remercier infiniment, monsieur le Garde des sceaux, pour les échanges que nous avons eus ces dernières heures avec vous et votre équipe, et pour le regard bienveillant que vous n’avez cessé de porter sur notre initiative parlementaire, issue d’une proposition de loi du groupe socialiste, républicain et citoyen de 2015. Je remercie aussi l’opposition pour son absence bienveillante sur cette question. (Sourires.)

Vos sous-amendements tendent à réécrire la définition de la possession d’état. D’un point de vue légistique, votre écriture est beaucoup plus élégante, efficace et respectueuse que la nôtre. La formulation suivante est beaucoup plus précise et explicite que celle que nous avions tentée : « le seul fait de ne pas avoir subi des traitements médicaux, une opération chirurgicale ou une stérilisation ne peut suffire à motiver le refus de faire droit à la demande ». Nous n’étions pas allés jusque-là. Je vous remercie de le faire, car la médicalisation est le problème principal – posé par la jurisprudence actuelle –, et la raison pour laquelle la France se verra probablement condamnée à deux reprises par la CEDH dans les mois qui viennent.

Nous avions certainement mordu sur les compétences réglementaires : vous avez tout à fait raison de nous le signaler et de corriger cette erreur avec le sous-amendement n402.

Vous conservez le délai de trois mois. Il faut le souligner, car c’est une revendication très forte : la discordance entre les papiers d’identité et l’apparence physique de la personne peut durer des mois, des années parfois. Cela peut entraîner une désocialisation – que Pascale Crozon a illustrée d’un cas très précis – et des situations de harcèlement permanent, qui peuvent expliquer le taux de suicide très élevé chez les personnes transidentitées.

J’avais quelques réserves sur le sous-amendement n401, jusqu’aux interventions frappées au coin du bon sens de Jean-Yves Le Bouillonnec et de Jean-Michel Clément. Pourquoi, au terme de ces mois, de ces années de travail, notamment avec Pascale Crozon, la solution du procureur s’est-elle imposée à nous ?

D’abord parce qu’elle permet de répondre à la disparité des jugements. De Quimper à Strasbourg et de Lille à Marseille, les appréciations par les juges du siège diffèrent. Cela est clairement dû à la jurisprudence, mais c’est un problème, d’autant que les exigences d’expertise sont très mal vécues par les personnes concernées.

Ensuite, le procureur est celui qui, aux termes de l’article 34-1 du code civil, contrôle l’exercice de leurs fonctions par les officiers d’état civil.

Enfin, la saisine du procureur nous semblait une procédure simple, gratuite. Vous y répondez, monsieur Le Bouillonnec, lorsque vous expliquez qu’il s’agit de faire une requête en Chambre du Conseil, ce que le Garde des sceaux vient de confirmer.

Nous réalisons aujourd’hui une avancée considérable, attendue depuis des années. La France était très en retard ; elle est, enfin, au rendez-vous. C’est une très bonne nouvelle ! (« Très bien ! » et applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen)

(Les sous-amendements nos 400, 401 et 402, successivement mis aux voix, sont adoptés.)

(Les amendements identiques nos 282 rectifié et 283 rectifié, sous-amendés, sont adoptés et l’amendement nos 178 deuxième rectification tombe.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur, pour soutenir l’amendement n360.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Il est rédactionnel.

(L’amendement n360, accepté par la commission et le Gouvernement, est adopté.)

(L’article 18 quater, amendé, est adopté.)

Article 18 quinquies

M. le président. Je suis saisi de deux amendements, nos 361 et 362, qui peuvent faire l’objet d’une présentation groupée.

La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur, pour les soutenir.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Ils sont rédactionnels.

(Les amendements nos 361 et 362, acceptés par le Gouvernement, sont successivement adoptés.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, pour soutenir l’amendement n381.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Cet amendement vise à préciser le mécanisme de changement de nom lorsque la personne concernée est mineure.

(L’amendement n381, accepté par la commission, est adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Colette Capdevielle, pour soutenir l’amendement n237.

Mme Colette Capdevielle. Il est défendu.

(L’amendement n237, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

(L’article 18 quinquies, amendé, est adopté.)

Articles 18 sexies et 18 septies

(Les articles 18 sexies et 18 septies sont successivement adoptés.)

Articles 19 à 29

(Les articles 19, 19 bis, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28 et 29 sont successivement adoptés.)

Article 30

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Clément, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour soutenir l’amendement n363.

M. Jean-Michel Clément, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Il est rédactionnel.

(L’amendement n363, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

(L’article 30, amendé, est adopté.)

Articles 31 à 44

(Les articles 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43 et 44 sont successivement adoptés.)

Article 45

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Clément, rapporteur, pour soutenir l’amendement n366.

M. Jean-Michel Clément, rapporteur. Cet amendement a pour objet de prévoir que l’action de groupe en matière de discrimination dans les relations relevant du code du travail peut être également engagée à compter de la notification par l’employeur qu’il ne reconnaît pas la situation de discrimination collective alléguée.

Cette disposition permet à l’employeur de contester la discrimination et au demandeur d’exercer immédiatement le recours juridictionnel.

La rédaction proposée permet une coordination avec la disposition similaire introduite par la commission des lois à l’article 45 bis, relative à l’action de groupe en matière de discrimination causée par un employeur et engagée devant le juge administratif.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. L’amendement est en cohérence avec celui déjà adopté par la commission des lois dans le code de justice administrative pour les actions de groupe engagées contre un employeur public.

Il apparaît en effet nécessaire de permettre à l’employeur de contester l’existence de la discrimination collective alléguée, en conséquence de quoi l’association ou le syndicat pourra, sans attendre, engager l’action de groupe. Avis favorable.

(L’amendement n366 est adopté.)

(L’article 45, amendé, est adopté.)

Article 45 bis

(L’article 45 bis est adopté.)

Article 45 ter

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Clément, rapporteur, pour soutenir l’amendement n367.

M. Jean-Michel Clément, rapporteur. L’amendement n367 vise à supprimer le mot « physiques », et d’inclure ainsi les personnes morales dans le champ des victimes pouvant agir par la voie de l’action de groupe en matière d’environnement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. La suppression est cohérente avec le socle, à l’article 20, qui n’exclut pas les personnes morales des bénéficiaires de l’action de groupe. Avis favorable.

(L’amendement n367 est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Clément, rapporteur, pour soutenir l’amendement n368.

M. Jean-Michel Clément, rapporteur. Dans le même esprit, cet amendement vise à supprimer le mot « individuels ».

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. La référence aux préjudices individuels n’apparaît pas indispensable. Elle n’est faite ni en matière de santé ni en matière de discriminations. La commission des lois a d’ailleurs supprimé cette référence dans le socle. Il est donc possible de la supprimer dans le présent article, étant rappelé que l’objectif de l’action de groupe n’est pas d’indemniser le préjudice écologique, qui fait l’objet de débats dans le cadre du projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, mais bien les préjudices personnels, patrimoniaux ou extrapatrimoniaux résultant des dommages environnementaux, comme les maladies résultant d’une pollution. Avis favorable.

(L’amendement n368 est adopté.)

(L’article 45 ter, amendé, est adopté.)

Articles 45 quater et 45 quinquies

(Les articles 45 quater et 45 quinquies sont successivement adoptés.)

Après l’article 45 quinquies

M. le président. Je suis saisi de deux amendements portant article additionnel après l’article 45 quinquies.

La parole est à Mme Anne-Yvonne Le Dain, pour soutenir l’amendement n233.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Cet amendement, cosigné par Mme Michèle Delaunay, M. Touraine et Mme Huilier, vise à étendre le principe de l’action de groupe aux victimes d’un préjudice individuel. Il concerne les personnes qui consomment du tabac et ne peuvent s’en empêcher, en raison notamment du caractère psychoactif de cette substance. Le tabac est la première cause de décès évitable en France, avec 79 000 morts par an, soit 220 par jour.

L’amendement prévoit que lorsque plusieurs personnes physiques, placées dans une situation similaire, subissent des préjudices individuels imputables à la consommation de produits du tabac et ayant pour cause commune un défaut d’information ou de transparence des producteurs, une action de groupe peut être exercée devant une juridiction civile. Cette action peut tendre à la réparation des préjudices corporels résultant du dommage causé à la personne. Peuvent seules exercer cette action les associations régulièrement déclarées depuis cinq ans au moins, dont l’objet statutaire comporte des missions de santé et qui bénéficient de la reconnaissance d’utilité publique.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Michel Clément, rapporteur. Mon avis sera le même sur cet amendement, n233, et sur le suivant, n248. Comme vous, ma chère collègue, je pense que nous n’aurons jamais fini de combattre l’addiction, qu’il s’agisse de l’alcool ou du tabac. Mais nous devons nous demander si l’action de groupe est une arme juridique que nous pouvons utiliser en la matière.

Il n’est pas opportun de comparer l’action de groupe avec la class action américaine, car ces deux procédures ne sont pas de même nature : notre système juridique est différent du système anglo-américain – je n’y reviendrai pas. En droit français, l’article 1382 du code civil, qui s’applique en matière de responsabilité, est clair : pour que la responsabilité d’une personne puisse être engagée, un certain nombre de conditions doivent être réunies, au premier rang desquelles la possibilité d’identifier le responsable du préjudice. Je ne m’attarde pas sur les autres conditions, comme l’existence d’un préjudice direct : dans notre cas particulier, c’est la question du responsable qui nous préoccupe.

Dans le cadre des actions de groupe qui ont déjà été intentées, notamment en matière de consommation, on a pu identifier clairement les personnes morales visées. Il en est de même en matière de santé : nous savons qui a effectivement fabriqué et commercialisé certains produits qui ont porté gravement atteinte à la santé des patients, notamment des femmes. Or, lorsqu’on évoque le tabac ou même l’alcool – nous y reviendrons tout à l’heure –, on parle avant tout d’une calamité, si je peux me permettre cette expression, dont il sera difficile d’identifier le véritable responsable. Comment pourra-t-on mettre en jeu un régime de responsabilité, dans le cadre d’une action de groupe, si l’on ne connaît pas le responsable ? À moins d’avoir été vraiment « accro » à une marque de cigarettes ou de tabac déterminée, tous ceux qui ont goûté un jour à la cigarette ou au cigare auront du mal à intenter, demain, une action à l’encontre d’une personne qui leur aura causé un préjudice potentiel.

Je comprends bien qu’il ne s’agit pas que d’une pétition de principe : je sais l’importance des enjeux que comportent ces amendements. Cependant, très concrètement, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire à Michèle Delaunay, le fait d’engager une action de groupe dans ce domaine nous semble compliqué – en tout cas, une action de ce genre échouerait juridiquement. C’est pourquoi il vaut mieux ne pas instaurer aujourd’hui un dispositif qui ne permettrait pas d’atteindre l’objectif recherché, plutôt que de susciter des espoirs en une procédure qui serait vouée à l’échec.

Nous savons qu’il est possible d’engager une action de groupe en matière de santé : c’est peut-être cette solution qu’il conviendrait d’explorer, plutôt que de mettre en place une action de groupe ciblant spécifiquement le tabac ou l’alcool. Avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Il est également défavorable. Le Gouvernement comprend parfaitement la démarche qui sous-tend cet amendement : le présent projet de loi porte sur l’action de groupe, et nous savons que des actions de ce type ont pu être menées, dans d’autres pays, contre des fabricants de cigarettes. Pour autant, le Parlement a déjà adopté une loi de modernisation de notre système de santé, qui entrera en vigueur le 1erjuillet 2016 et qui prévoit la mise en place d’une action de groupe dans le champ spécifique des produits de santé. Comme l’a dit la ministre des affaires sociales et de la santé lors des débats sur ce texte, le Gouvernement souhaite pour le moment en rester là : il préfère observer le fonctionnement de cette avancée avant d’envisager de l’étendre à d’autres produits.

(L’amendement n233 n’est pas adopté.)

M. le président. Puis-je considérer que vous avez déjà défendu l’amendement n248, madame Le Dain ?

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Il s’agit d’un amendement de repli, mais j’ai bien compris que la commission et le Gouvernement n’en voulaient pas.

(L’amendement n248, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

Article 46

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, pour soutenir l’amendement n374.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement est soucieux d’assurer une entrée en vigueur adaptée de l’action de groupe en matière de discrimination et d’environnement, afin que cette procédure soit tournée vers l’avenir. Aussi, dans ces domaines, il est proposé que seuls les faits générateurs postérieurs à l’entrée en vigueur de la loi puissent donner lieu à une action de groupe. En effet, un tel délai permettrait aux entreprises de se préparer à la mise en œuvre de ce nouveau dispositif collectif d’indemnisation des préjudices, qui peut avoir des conséquences financières importantes pour leur trésorerie.

Certes, le Conseil constitutionnel a validé, dans ses décisions de 2014 et 2016, le fait que les dispositifs d’action de groupe prévus respectivement en matière de consommation et de santé soient applicables aux manquements antérieurs à l’entrée en vigueur de la loi. Cependant, cela ne signifie pas que serait inconstitutionnel un dispositif réservant l’action de groupe aux manquements postérieurs à l’entrée en vigueur de la loi, dès lors que le droit d’action individuelle contre les manquements antérieurs est toujours possible. Ce sera évidemment le cas en matière de discrimination : les victimes des manquements antérieurs à l’entrée en vigueur du texte conserveront la possibilité d’exercer une action individuelle. Ce sera également le cas en matière d’environnement, puisque je rappelle que l’objet du présent projet de loi n’est pas de modifier le fond du droit de la responsabilité.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Michel Clément, rapporteur. Une fois n’est pas coutume, l’avis de la commission est défavorable. Comme l’a souligné le Conseil constitutionnel dans ses décisions sur la loi relative à la consommation et sur la loi de modernisation de notre système de santé, les règles relatives à l’action de groupe, qui sont de nature procédurale, « ne modifient pas les règles de fond qui régissent les conditions de la responsabilité » du défendeur. « Par suite, l’application immédiate de ces dispositions ne leur confère pas un caractère rétroactif » : elles peuvent donc s’appliquer immédiatement aux préjudices déjà constitués. En matière d’environnement, l’amendement du Gouvernement limiterait très significativement la portée d’une action de groupe : en effet, un préjudice identifié aujourd’hui peut trouver son origine dans un événement passé et étalé dans le temps.

(L’amendement n374 n’est pas adopté.)

(L’article 46 est adopté.)

Article 46 bis

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Clément, pour soutenir l’amendement n369 rectifié.

M. Jean-Michel Clément, rapporteur. Cet amendement entend clarifier les champs respectifs de l’action de groupe devant le juge administratif et de l’action en reconnaissance de droits. Il vise à éviter toute confusion entre ces deux procédures, et donc toute insécurité juridique.

L’intérêt de l’action en reconnaissance de droits est de permettre à une association ou à un syndicat professionnel d’obtenir un jugement sur la base duquel des personnes placées dans une situation légale et réglementaire identique pourront obtenir la reconnaissance d’un droit, notamment pécuniaire. Cela correspond aux principaux contentieux sériels qu’ont à connaître les juridictions administratives. Or l’action de groupe prévue par l’article 43 ne permet pas de les couvrir, d’une part parce qu’elle est limitée aux actions fondées sur une discrimination et aux litiges relatifs à la santé publique ou à la protection des données personnelles, et d’autre part parce qu’elle ne peut tendre qu’à la cessation d’un dommage susceptible d’engager la responsabilité de l’administration. Au contraire, l’action en reconnaissance de droits vise des contentieux de pure légalité et non des contentieux de responsabilité.

Afin de clarifier l’articulation entre l’action de groupe et l’action en reconnaissance de droits, le champ d’application de cette dernière est précisé en indiquant qu’elle tend « à la reconnaissance de droits individuels résultant de l’application de la loi ou du règlement », mais « ne peut tendre à la reconnaissance d’un préjudice », qui relève de l’action de groupe.

Voilà les raisons pour lesquelles nous avons déposé cet amendement, auquel la commission a donné un avis favorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Sagesse.

(L’amendement n369 rectifié est adopté.)

(L’article 46 bis, amendé, est adopté.)

Article 47 A

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Clément, pour soutenir l’amendement n305.

M. Jean-Michel Clément, rapporteur. Nous changeons de sujet, car nous abordons des dispositions qui touchent à la justice commerciale.

L’amendement n305 tire les conséquences de l’éligibilité des artisans aux fonctions de délégués consulaires et de juges consulaires, prévue par le texte adopté par le Sénat. Cette disposition avait d’ailleurs été suggérée dans le rapport déposé par Mme Untermaier et M. Bonnot suite aux travaux de la mission d’information sur le rôle de la justice en matière commerciale, à laquelle je participais.

Les circonscriptions administratives des chambres de commerce et d’industrie et des chambres des métiers et de l’artisanat ne sont pas compatibles entre elles et ne correspondent pas toujours au ressort des tribunaux de commerce. Il suffit d’observer la carte de son propre département pour s’en rendre compte. Pour simplifier la tenue des élections consulaires et permettre l’organisation, par les chambres des métiers et de l’artisanat, de la participation des artisans à ces élections, il semble nécessaire de redéfinir la composition du collège électoral en prenant en compte le ressort du tribunal de commerce et non plus la circonscription des chambres de commerce et d’industrie. Nous pourrions envisager de ne rendre cette réforme applicable qu’à compter des élections de 2021, pour ne pas perturber l’organisation actuelle des tribunaux de commerce et laisser aux chambres des métiers et de l’artisanat le temps d’actualiser les listes électorales.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Favorable.

M. Jean-Michel Clément, rapporteur et Mme Cécile Untermaier. Merci, monsieur le garde des sceaux !

(L’amendement n305 est adopté.)

(L’article 47 A, amendé, est adopté.)

Article 47

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Clément, pour soutenir l’amendement n307.

M. Jean-Michel Clément, rapporteur. Cet amendement précise que les compétences des tribunaux de commerce sont étendues à toute contestation relative à un acte artisanal, et non plus seulement à celles pouvant apparaître entre artisans, comme le prévoit le texte adopté par le Sénat. Il s’agit d’éviter des conflits de compétences entre tribunaux, qui ne manquent pas d’encombrer notre système judiciaire, privant ainsi les personnes lésées d’une décision de justice qui leur donnerait satisfaction. Cet amendement a été accepté par la commission mais je pense, monsieur le garde des sceaux, que nous aurons besoin de votre accord sur ce sujet. (Sourires sur plusieurs bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen.)

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Pour vous être agréable, monsieur le rapporteur, je tiens à vous dire qu’au regard des textes actuels, le Gouvernement ne trouve pas de définition exacte de la notion « d’acte artisanal ». Vous nous proposez en fait d’établir un parallèle, pour les artisans, avec les dispositions du 3° de l’article L. 721-3 du code de commerce, aux termes duquel les tribunaux de commerce connaissent des contestations « relatives aux actes de commerce entre toutes personnes ». Or cet alinéa fait référence aux actes de commerce par la forme, qui sont réputés commerciaux quels que soient leur objet ou la qualité de leur auteur. Les actes de commerce par la forme sont, comme chacun le sait ici, la lettre en change et les sociétés commerciales. Il s’agit d’une notion très précise, qui n’a pas d’équivalent dans le secteur de l’artisanat. Du point de vue du Gouvernement, elle ne peut donc être transposée en ayant recours à la notion « d’acte artisanal », laquelle n’est aucunement définie et ne correspond à celle d’acte de commerce par la forme avec laquelle vous souhaitez faire un parallèle.

Le Gouvernement, toujours prudent, souhaite donc que vous retiriez cet amendement, monsieur le rapporteur.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Michel Clément, rapporteur. Nous avons, monsieur le garde des sceaux, fait un pas dans le même sens. Compte tenu de vos observations, je vais retirer l’amendement, car vos propos éclaireront ceux qui douteraient de la compétence des uns et des autres.

(L’amendement n307 est retiré.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 242 rectifié et 311 rectifié.

La parole est à Mme Cécile Untermaier, pour soutenir l’amendement n242 rectifié.

Mme Cécile Untermaier. Mon amendement est identique à celui déposé par les deux rapporteurs. Il vise à instaurer un collège de déontologie des juges de tribunaux de commerce. Ce collège a été instauré par décret, mais nous avons jugé utile de nous inspirer des collèges créés pour les membres des juridictions administratives et financières par la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires et de celui prévu pour les magistrats de l’ordre judiciaire dont nous avons débattu hier.

Il nous paraît important d’attraire les juges consulaires et la juridiction commerciale dans le dispositif de droit commun des tribunaux de grande instance et de bénéficier d’un outil similaire dans sa composition.

Ce collège est un outil de déontologie. Loin d’être un acte de défiance, il est au contraire un outil de pédagogie au service des juges, visant à prévenir les éventuels conflits d’intérêts auxquels ils pourraient être exposés. Nous avons veillé au bon équilibre de ce collège quant à sa composition. Cela permettra un travail partagé sur les questions de déontologie avec les magistrats du corps judiciaire.

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Clément, rapporteur, pour soutenir l’amendement identique n311 rectifié.

M. Jean-Michel Clément, rapporteur. Après en avoir longuement débattu, nous avons souhaité préciser la composition du collège de déontologie. Animés par la volonté de constituer un corps de règles identiques, quels que soient les magistrats visés, nous avons, afin de garantir une certaine impartialité, souhaité y intégrer un universitaire. Le lien avec l’université se pratique déjà pour ce qui concerne les tribunaux de commerce, c’est le cas dans mon tribunal. Relier les deux est une bonne chose.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur les deux amendements identiques ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement est heureux d’indiquer au rapporteur et à Mme Untermaier que ce collège existe déjà. Il a fait l’objet d’un décret daté du 26 avril dernier. La seule différence entre l’existant et vos propositions, c’est l’absence d’un universitaire dans la composition du collège de déontologie. Je vous suggère que nous prenions un décret rectificatif pour faire droit à votre demande. Aussi, je vous suggère de retirer vos amendements.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Michel Clément, rapporteur. Je vous remercie de cette précision. Nous allons donc retirer notre amendement.

M. le président. La parole est à Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier. L’existence de ce collège ne nous avait pas échappé. Il nous paraît important d’avoir le même dispositif pour un juge consulaire que pour un magistrat du corps judiciaire. S’il est ajouté par un décret rectificatif que le collège de déontologie comprend un universitaire et que l’on ajoute également que ce qui vaut pour le magistrat du corps judiciaire vaut pour la justice commerciale, cette proposition nous convient. Je pense, monsieur le garde des sceaux, que vous n’y verrez pas d’inconvénient. Sous cette réserve, je retire mon amendement.

(Les amendements identiques nos 242 rectifié et 311 rectifié sont retirés.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Clément, rapporteur, pour soutenir l’amendement n309.

M. Jean-Michel Clément, rapporteur. L’amendement est rédactionnel.

(L’amendement n309, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Clément, rapporteur, pour soutenir l’amendement n310.

M. Jean-Michel Clément, rapporteur. Amendement de coordination.

(L’amendement n310, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Clément, rapporteur, pour soutenir l’amendement n4.

M. Jean-Michel Clément, rapporteur. Je souhaite reprendre l’amendement de notre collègue Louwagie et d’un certain nombre de nos collègues de l’opposition dont je déplore l’absence.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Nous aussi.

M. Jean-Michel Clément, rapporteur. Cet amendement tend à s’ajuster à l’économie que nous voyons évoluer. La justice économique doit donc suivre cette évolution. Le juge est un commerçant, un chef d’entreprise, un cadre d’entreprise. La vie économique les oblige à se déplacer, à changer de lieu. Chaque année, plus d’une cinquantaine d’entre eux change d’affectation professionnelle, ce qui entraîne la perte de leur statut de magistrat consulaire. Cela est dommage, car c’est à la fois une perte de compétences et une perte tout court pour le corps de magistrats car les tribunaux ont souvent des difficultés à maintenir leur corps de magistrats.

Alors que certaines préfectures ont des lectures différentes quant au maintien ou à la radiation de ces magistrats consulaires, il paraît souhaitable d’uniformiser la règle applicable à tous afin qu’il n’y ait pas de radiation pour cause de mutation professionnelle, de changement de métier ou tout simplement de mobilité.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Faciliter l’élection des juges dans un autre ressort que le leur est de nature à élargir le vivier. L’avis du Gouvernement est donc favorable.

(L’amendement n4 est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Clément, rapporteur, pour soutenir l’amendement n313.

M. Jean-Michel Clément, rapporteur. Lors des auditions auxquelles nous avons procédé, nous avons été surpris d’apprendre que personne, ni le ministère de la justice, ni la conférence générale des tribunaux de commerce, ne disposait d’une liste complète des juges des tribunaux de commerce.

Notre objectif est d’introduire de la discipline et de la déontologie. Aussi, cet amendement prévoit que les commissions qui proclament les résultats des élections des juges consulaires en informent le ministère de manière à ce que ce dernier soit en mesure de produire une liste exploitable en tant que de besoin. Nous avons été surpris par cette indigence fonctionnelle.

(L’amendement n313, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Clément, rapporteur, pour soutenir l’amendement n356 rectifié.

M. Jean-Michel Clément, rapporteur. Comme nous l’avons évoqué en commission, cet amendement vise à préciser les modalités de saisine de la Commission nationale de discipline par un justiciable qui constaterait que le comportement d’un juge à son égard peut faire l’objet d’une mesure disciplinaire.

Sa demande serait préalablement soumise à l’examen d’une commission d’admission des requêtes sur le modèle de ce que prévoit l’ordonnance de 1958 relative au statut des magistrats. Notre souci est la création d’un corps de règles qui soit le même pour toutes les fonctions de magistrat.

(L’amendement n356 rectifié, accepté par le Gouvernement, est adopté et l’amendement n243 deuxième rectification tombe.)

(L’article 47, amendé, est adopté.)

Après l’article 47 bis

M. le président. La parole est à Mme Cécile Untermaier, pour soutenir l’amendement n240 portant article additionnel après l’article 47 bis.

Mme Cécile Untermaier. Je me félicite de la mise en place d’une commission d’enquête et du sens de notre démarche qui vise à rapprocher les dispositifs qui prévalent pour le corps judiciaire et de les appliquer aux juges consulaires.

Le présent amendement a pour objet d’introduire une obligation de déclaration de patrimoine pour les présidents et les vice-présidents des conseils de prud’hommes semblable à celle prévue pour les juges de tribunaux de commerce.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Michel Clément, rapporteur. La commission a émis un avis favorable à cet amendement. Nous nous inscrivons toujours dans la même logique de transparence. Chemin faisant, nous avons souhaité l’étendre à la juridiction prud’homale.

(L’amendement n240, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Untermaier, pour soutenir l’amendement n241.

Mme Cécile Untermaier. Cet amendement a pour objet de préciser les obligations déontologiques des conseillers prud’hommes en s’inspirant des dispositions prévues par l’article 47 du présent texte pour les juges consulaires.

Le collège pourra être consulté sur des déclarations d’intérêts transmises par les présidents de conseil de prud’hommes.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Michel Clément, rapporteur. Dans la logique qui nous a conduits à élargir l’ensemble des dispositifs à l’ensemble des corps de la magistrature, l’amendement a été accepté par la commission. Cependant une question a été soulevée eu égard au nombre très élevé de conseillers prud’homaux. Nous nous interrogeons donc sur la faisabilité de cette réforme.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Pour les mêmes raisons, le Gouvernement est plutôt enclin à demander le retrait de l’amendement. À défaut, il émettra un avis défavorable. On estime en effet à plus de 14 000 le nombre de conseillers prud’homaux, dont la formation sera assurée à l’ENM. Il y a là un effet de masse qui rend la disposition difficilement applicable.

M. le président. La parole est à Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier. Je comprends la difficulté en raison de l’effet de masse. Je comprends aussi la singularité de cette juridiction avec un dispositif paritaire qui complexifie les choses. Par cet amendement, nous avons souhaité montrer que toute personne en situation de juger doit satisfaire à l’obligation de déclaration d’intérêts. Nous avons défendu cette approche dans le cadre de ces deux projets de loi dont nous débattons depuis mardi.

Je suis d’accord pour retirer l’amendement, mais on ne peut enterrer le sujet. Nous devons réfléchir à un dispositif qui permette d’apporter des garanties qui sont tout aussi utiles lorsque l’on est conseiller prud’homal que lorsque l’on est juge consulaire ou magistrat.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Michel Clément, rapporteur. Le rapporteur s’associe à cette décision de retrait. Compte tenu du fonctionnement des conseils de prud’hommes, de la rotation assez importante en leur sein et du grand nombre de conseillers – 14 000 à 20 000 personnes –, je vois mal comment on pourrait rendre obligatoires de telles déclarations. Il faudrait prévoir une application progressive dans le temps. À ce stade, il est plus prudent de retirer l’amendement.

M. le président. La parole est à Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier. À tout le moins, on pourrait prévoir une formation dans le domaine de la déontologie à l’adresse de l’ensemble des conseillers prud’homaux.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Pourquoi pas.

(L’amendement n241 est retiré.)

Article 47 ter

(L’article 47 ter est adopté.)

Article 48

M. le président. La parole est à Mme Colette Capdevielle, pour soutenir l’amendement n268.

Mme Colette Capdevielle. L’amendement est défendu.

(L’amendement n268, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Colette Capdevielle, pour soutenir l’amendement n270.

Mme Colette Capdevielle. Défendu.

(L’amendement n270, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Colette Capdevielle, pour soutenir l’amendement n271.

Mme Colette Capdevielle. Défendu.

(L’amendement n271, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

(L’article 48 est adopté.)

Article 49

(L’article 49 est adopté.)

Article 50

M. le président. La parole est à Mme Colette Capdevielle, pour soutenir l’amendement n273.

Mme Colette Capdevielle. Il est défendu.

(L’amendement n273, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, pour soutenir l’amendement n375.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement souhaite supprimer le privilège créé par la commission des lois au profit des producteurs agricoles pour les produits qu’ils ont livrés dans les trois derniers mois précédant l’ouverture d’une procédure collective à l’encontre de l’acheteur. Le Gouvernement est évidemment sensible aux difficultés que traverse le secteur agricole. Cependant, un tel privilège, qui s’analyse comme une priorité de paiement conférée par la loi, doit être justifié par des conditions objectives, à défaut de quoi les autres créanciers pourraient contester cette faveur au nom du principe d’égalité.

Je rappelle que l’égalité de traitement des créances est un principe directeur du droit des entreprises en difficulté et que le Conseil constitutionnel en est particulièrement soucieux. Le Gouvernement estime donc que la création de ce nouveau privilège présente un risque non négligeable d’inconstitutionnalité.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Michel Clément, rapporteur. Monsieur le ministre, vous connaissez ma détermination sur ce sujet. Sur le principe d’égalité, l’expérience récente nous a appris, à la suite notamment de dépôts de bilan intervenus dans votre région – je pense en particulier aux affaires Doux et Amice Soquet –, que dans les contentieux, ceux qui étaient restés sur le bord du chemin étaient les agriculteurs producteurs qui avaient livré et fait fonctionner pendant des années ces groupes agroalimentaires.

Ce qui m’a conduit à formuler cette proposition est précisément le fait que, comme nous l’a enseigné la pratique, les victimes étaient toujours les mêmes et que, dans la chaîne de valeur, des privilèges étaient déjà consentis aux bailleurs ou aux vendeurs de semences, notamment dans le cadre d’une chaîne de production agricole, et que le producteur en était toujours tenu à l’écart.

Il est certes possible d’introduire une garantie contractuelle, mais on sait bien que de telles garanties ne sont pas spontanément négociées dans le cadre des relations qui s’installent dans la durée entre les agriculteurs et leurs clients et que, lorsque survient un événement tel qu’un dépôt de bilan, les producteurs se trouvent systématiquement dans la cohorte des chirographaires, avec des conséquences en chaîne – je l’ai vécu dans certains domaines, où l’on savait que, dès qu’un nombre important d’entreprises agricoles étaient victimes d’un dépôt de bilan en aval, il faudrait traiter les cas de dix, vingt, trente, quarante ou cinquante producteurs identiques.

Le privilège qui serait créé pour le producteur serait limité dans le temps – à savoir pour les livraisons des trois derniers mois, ce qui doit tout de même être apprécié à sa juste mesure. Quant au risque d’inconstitutionnalité que vous évoquez au nom de la rupture du principe d’égalité, je ne le vois pas, pour les raisons que j’évoquais précédemment. Autour d’un produit agricole qui a vocation à être objet de convoitise, l’unique acteur qui ne soit pas protégé est l’agriculteur producteur.

La disposition suggérée est très largement souhaitée par la profession agricole tout entière. Dans la période de crise que connaissent aujourd’hui certains secteurs de l’activité agricole, je vous invite, mes chers collègues, à ne pas voter cet amendement.

Je rappelle en outre qu’en commission,la disposition que j’ai fait introduire a reçu un accord unanime de l’ensemble de mes collègues. C’est la raison pour laquelle je la défends avec conviction.

(L’amendement n375 n’est pas adopté.)

(L’article 50 est adopté.)

Après l’article 50

M. le président. La parole est à Mme Cécile Untermaier, pour soutenir l’amendement n245.

Mme Cécile Untermaier. Cet amendement précise que le juge-commissaire qui ordonne une vente par adjudication amiable ne le fait qu’après s’être assuré que cette vente peut être réalisée dans des conditions plus favorables que celles qui auraient résulté d’une vente aux enchères publiques. Si la vente amiable est possible et présente des conditions intéressantes, pourquoi pas ? Nous avons cependant souhaité introduire une condition indispensable de pertinence économique pour le choix du mode de vente – aux enchères publiques ou amiable. Il s’agit en effet de mettre un terme à certaines difficultés liées à la pratique consistant à céder des biens à l’amiable pour des montants parfois inférieurs à leur valeur réelle et à ne procéder à des ventes aux enchères que pour des biens présentant un moindre intérêt financier.

Nous souhaitons donc promouvoir la vente aux enchères, au moyen des sites Internet qui permettent aujourd’hui de toucher un maximum de personnes intéressées, plutôt que la vente amiable, qui présente une certaine opacité.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Michel Clément, rapporteur. Sur ce point, les avis peuvent être partagés. En effet, la pratique montre que la vente amiable est parfois rejetée par un tribunal de commerce et que la vente aux enchères se conclut à un prix très largement inférieur. Il m’est arrivé de pratiquer cela – ce qui n’est pas à mon honneur, mais c’était dans l’intérêt de mon client.

Vous suggérez, madame Untermaier, qu’à l’inverse, dans certains cas, compte tenu de l’évolution des techniques d’information et de vente, la vente amiable pourrait permettre des ventes plus efficaces, car ces voies dématérialisées permettraient d’attirer plus d’acheteurs que des ventes aux enchères qui sont par définition confidentielles et en général, selon les entreprises, parfaitement suivies par ceux qui y trouvent matière à un commerce qui, s’il n’est pas illicite – puisqu’il s’agit d’enchères publiques – est moralement sujet à discussion.

Votre amendement permet donc de préciser et de clarifier ces questions, ou du moins, car il ne s’agit pas de modifier le droit en vigueur, d’envoyer un signal fort au magistrat qui devra prendre cette décision et, surtout, à l’administrateur judiciaire – en l’espèce, au liquidateur – afin qu’il recoure, dans chaque cas particulier, au mode de vente le plus pertinent.

Considérant l’amendement sous cet angle, la commission a émis un avis favorable. Nous savons en effet trop bien comment, chaque année, la France perd une matière première importante – l’OCDE a, me semble-t-il, chiffré à 6 milliards d’euros la perte annuelle d’actifs nets liée au dépérissement des biens après procédure de liquidation. Si nous voulons pouvoir combler ce déficit, il faut aller dans ce sens.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement souhaite plutôt le retrait de cet amendement, car l’article L. 642-18 du code de commerce répond déjà largement aux attentes des auteurs de l’amendement. En effet, le premier alinéa de cet article du code de commerce pose, dans le cadre des liquidations judiciaires, le principe d’une vente des biens immeubles par adjudication judiciaire, et donc d’une vente aux enchères publiques. Ce n’est que dans l’hypothèse où la consistance des biens, leur emplacement ou les offres reçues seraient de nature à permettre une cession amiable dans de meilleures conditions que le juge-commissaire peut, en application du troisième alinéa de cet article, écarter le recours à la vente par adjudication judiciaire pour ordonner la vente par adjudication amiable ou autoriser une vente de gré à gré.

L’article répond donc, je le répète, aux attentes de l’auteur de l’amendement. Le Gouvernement demande donc le retrait de celui-ci, à défaut de quoi il émettra un avis défavorable.

(L’amendement n245 est adopté.)

Articles 50 bis, 51 et 51 bis

(Les articles 50 bis, 51 et 51 bis sont successivement adoptés.)

Après l’article 51 bis

M. le président. La parole est à Mme Colette Capdevielle, pour soutenir l’amendement n216.

Mme Colette Capdevielle. Cet amendement tend à permettre au juge de désigner un avocat lorsqu’aucun membre de la famille ou aucun proche ne peut assumer la curatelle ou la tutelle, au même titre qu’un mandataire judiciaire à la protection des majeurs inscrit sur la liste.

Par un arrêt du 18 octobre 2011, la Cour européenne des droits de l’homme reconnaît que la compétence, la responsabilité et la déontologie sont le fondement des missions confiées aux avocats. Il n’existe donc pas de raison interdisant que le juge des tutelles en désigne un.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Michel Clément, rapporteur. La question de l’éthique des avocats en la matière ne fait évidemment pas débat. Nous convenons tous que, comme le rappelait tout à l’heure M. Le Bouillonnec – et il faut en effet le rappeler à l’intention qui en ignorent le contenu –, le serment des avocats recèle une grande force et qu’il est respecté par tous ceux qui l’ont prononcé.

Sur cet amendement comme sur d’autres qui permettraient de confier d’autres missions aux avocats, il faut également examiner les compétences de chacun en matière de protection des majeurs. Les mandataires de justice à la protection des majeurs sont des professionnels formés et spécialisés, inscrits sur des listes de l’Agence régionale de santé – ARS – et déjà chargés d’assumer la tutelle ou la curatelle lorsqu’aucun proche de la personne concernée n’a été désigné. J’ai tendance à faire confiance à ces structures, à ces mandataires à la protection des majeurs reconnus et validés par l’ARS, et il n’y a pas lieu d’ajouter les avocats à la liste de ces personnes, même si nous reconnaissons par ailleurs leurs capacités et leurs compétences. La commission avait donc repoussé cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement formule également un avis défavorable. Le statut de mandataire judiciaire à la protection des majeurs, créé en 2007, avait unifié une catégorie de population disparate et hétérogène, avec un risque majeur d’abus tutélaires. Vous avez récemment voté, le 28 décembre 2015, une loi qui adapte encore davantage les agréments en fonction des objectifs et des besoins régionaux. Remettre en cause ce statut, comme le propose l’amendement, serait donc une importante régression et un signal très défavorable au regard de la volonté du Gouvernement de lutter contre les abus.

Je souscris évidemment aux propos de M. Clément. Cela ne signifie pas que les avocats sont exclus du dispositif de protection juridique des majeurs – bien au contraire. D’une part, en effet, les majeurs protégés ou à protéger peuvent être assistés d’un avocat. D’autre part, dans la mesure où ils répondent aux conditions exigées, rien n’empêche les avocats de faire acte de candidature pour obtenir l’agrément de mandataire judiciaire à la protection des majeurs. Il n’y a donc pas de discrimination à ce titre.

Pour éviter d’avoir à revenir sur des dispositifs qui viennent d’être améliorés, le Gouvernement émet donc un avis défavorable.

M. le président. La parole est à Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier. Je retire l’amendement.

(L’amendement n216 est retiré.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Clément, rapporteur, pour soutenir l’amendement n318 rectifié.

M. Jean-Michel Clément, rapporteur. Cet amendement veut prendre en compte la réalité que connaissent aujourd’hui les tribunaux paritaires des baux ruraux, dont un premier rapport du sénateur Yves Détraigne et de notre collègue Alain Claeys avait déjà invité à revisiter la composition.

La réforme de la carte judiciaire de 2008 a sérieusement réduit le nombre des tribunaux paritaires des baux ruraux – on a assisté à une diminution à due concurrence des tribunaux paritaires, qui ont tous étés ramenés aux tribunaux d’instance qui restaient. Dans mon département, par exemple, ces tribunaux étaient au nombre de quatre et il n’en reste plus qu’un. Parallèlement, le monde agricole voit ses effectifs diminuer chaque année : on compte aujourd’hui moins de 500 000 agriculteurs et le nombre de litiges diminue donc chaque année.

Autre élément qui ne vous surprendra pas, la désaffection des élections à ces juridictions est elle aussi un fait connu. Nous avons par ailleurs appris, au cours des auditions auxquelles nous avons procédé, que les listes qui devaient être établies par les mairies ne sont plus tenues à jour, de telle sorte que nous rencontrons un problème à la fois avec le fichier des électeurs et avec les élections mêmes, auxquelles les gens ne participent plus.

Dans le cadre de la discussion de la loi d’avenir pour l’agriculture, le ministre de l’agriculture, M. Stéphane Le Foll, avait évoqué sa volonté de supprimer ces élections, mais peut-être la méthode était-elle un peu brutale. Nous proposons ici, en accord avec la profession et, me semble-t-il, avec le ministère de l’agriculture – je ne comprendrais pas qu’il ne soit pas d’accord – d’aligner le mode d’élection des assesseurs des tribunaux paritaires des baux ruraux, très utiles notamment dans la phase de conciliation – laquelle est aussi un élément majeur de ce texte – sur celui des assesseurs des tribunaux des affaires de sécurité sociale.

Les organisations professionnelles établiraient des listes qu’elles transmettraient au préfet. Le préfet choisirait ensuite, sur ces listes, un certain nombre de personnes dont les noms seraient transmis au premier président de la Cour de cassation, lequel définirait enfin le groupe des assesseurs, tant pour les bailleurs que pour les preneurs.

Cela serait gage de simplification et d’efficacité car les candidats se porteraient volontaires, sans passer par le crible de l’élection.

(L’amendement n318 rectifié, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

M. le président. La parole est à Mme Colette Capdevielle, pour soutenir l’amendement n217.

Mme Colette Capdevielle. Défendu.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Michel Clément, rapporteur. Défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Défavorable.

M. le président. Retirez-vous votre amendement, madame Capdevielle ?

Mme Colette Capdevielle. Oui, je le retire.

(L’amendement n217 est retiré.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, pour soutenir l’amendement n383.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Il s’agit d’une demande de prolongation de l’habilitation des clercs de notaire jusqu’au 31 décembre 2020.

(L’amendement n383, accepté par la commission, est adopté.)

Articles 51 ter et 51 quater

(Les articles 51 ter et 51 quater sont successivement adoptés.)

Article 51 quinquies

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Clément, pour soutenir l’amendement n386.

M. Jean-Michel Clément, rapporteur. Amendement de coordination.

(L’amendement n386, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

(L’article 51 quinquies, amendé, est adopté.)

Article 51 sexies

(L’article 51 sexies est adopté.)

Article 52

M. le président. La parole est à Mme Colette Capdevielle, pour soutenir l’amendement n218.

Mme Colette Capdevielle. Défendu.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Michel Clément, rapporteur. Défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Défavorable.

M. le président. Madame Capdevielle, retirez-vous votre amendement ?

Mme Colette Capdevielle. Je le retire.

(L’amendement n218 est retiré.)

M. le président. La parole est à Mme Colette Capdevielle, pour soutenir l’amendement n219.

Mme Colette Capdevielle. Défendu.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Michel Clément, rapporteur. Défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Même avis.

M. le président. Madame Capdevielle, retirez-vous également cet amendement ?

Mme Colette Capdevielle. Oui.

(L’amendement n219 est retiré.)

(L’article 52 est adopté.)

Article 52 bis

(L’article 52 bis est adopté.)

Après l’article 52 bis

M. le président. La parole est à Mme Marie-Anne Chapdelaine, pour soutenir l’amendement n194 portant article additionnel après l’article 52 bis.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Respecter les familles, c’est avant tout mettre le droit à leur service, à portée de main de tous les membres de la cellule familiale, pour faciliter leurs droits et obligations, mais également pour régler leurs projets heureux ou douloureux.

Nous poursuivons cette entreprise avec la ratification de l’ordonnance du 15 octobre 2015. Je salue d’ailleurs Colette Capdevielle, qui était la rapporteure du projet de loi d’habilitation, ainsi que Cécile Untermaier, qui s’était fortement mobilisée en faveur de ce texte.

Dans trois domaines concernant le quotidien de millions de citoyens, d’importantes mesures de simplification sont engagées : le divorce, l’administration des biens des mineurs et le droit de la protection des majeurs. Notre objectif est simple : ne pas compliquer ni rendre plus douloureux ce qui l’est déjà.

S’agissant de la gestion des biens des mineurs et de la protection des majeurs, l’intervention du juge sera désormais réservée aux seules situations à risques. L’ordonnance met ainsi fin à un système stigmatisant, humiliant pour les familles monoparentales placées systématiquement sous le contrôle d’un juge.

Il en va de même pour le mécanisme de mandat judiciaire, dénommé « habilitation familiale ». Il permet aux proches d’une personne hors d’état de manifester sa volonté de la représenter sans avoir à se soumettre à l’ensemble du formalisme des mesures de protection judiciaire. Familles et praticiens attendaient ces avancées, sans parler des conjoints qui bénéficieront désormais de ce dispositif.

L’intervention de la règle de droit dans la cellule familiale doit servir et faciliter la cause émancipatrice et éducatrice. Telle est notre ambition, une fois de plus, dans cet amendement que je vous propose afin de ratifier l’ordonnance de 2015. Je remercie M. le garde des sceaux de m’avoir permis de proposer cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Michel Clément, rapporteur. Il est difficile à la commission de s’opposer à tant de conviction ! Nous avons émis un avis favorable même si, pour ce qui me concerne, je réserve ma réponse.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement est incapable de résister à la volonté de Mme Chapdelaine ! (Sourires.)

Mme Chapdelaine a entrepris le Gouvernement, il y a déjà plusieurs mois, pour que cette ordonnance soit ratifiée en bonne et due forme. Nous avons essayé de retarder l’échéance, mais Mme Chapdelaine a imposé que cela soit inscrit dans ce projet de loi !

Le Gouvernement, soucieux de respecter la souveraineté parlementaire, est heureux de pouvoir donner un avis favorable à la détermination de Mme Chapdelaine et, par ailleurs, à la ratification de l’ordonnance. Madame, si nous le faisons, vous en avez seule le mérite !

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Très bien !

(L’amendement n194 est adopté.)

Article 53

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, pour soutenir l’amendement n377 rectifié.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Il s’agit d’un amendement de légistique portant sur l’outre-mer.

(L’amendement n377 rectifié, accepté par la commission, est adopté.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, pour soutenir l’amendement n384.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Amendement de coordination concernant le code du travail à Mayotte.

(L’amendement n384, accepté par la commission, est adopté.)

(L’article 53, amendé, est adopté.)

Article 53 bis

(L’article 53 bis est adopté.)

Article 54

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, pour soutenir l’amendement n378.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Amendement rédactionnel.

(L’amendement n378, accepté par la commission, est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Clément, pour soutenir l’amendement n308.

M. Jean-Michel Clément, rapporteur. Cet amendement a pour objet de préciser que les nouvelles incompatibilités entre les mandats de juge de tribunal de commerce et d’autres mandats électifs ne s’appliquent qu’à compter de l’échéance du premier de ces mandats.

Les magistrats consulaires souhaitent, tout comme nous, une distinction entre les mandats électifs et les mandats consulaires. Mais si cette disposition devait être appliquée brutalement, dès son entrée en vigueur, cela perturberait les élus consulaires qui devraient choisir entre leur mandat consulaire et leur mandat électif, par exemple de conseiller municipal.

Pour une bonne organisation tant des communes que des tribunaux de commerce, nous avons donc souhaité que les choses rentrent dans l’ordre au prochain renouvellement soit de l’un, soit de l’autre de ces mandats.

Mme Cécile Untermaier. C’est raisonnable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. L’explication est d’une telle luminosité que le Gouvernement donne un avis favorable.

(L’amendement n308 est adopté.)

(L’article 54, amendé, est adopté.)

Après l’article 54

M. le président. Je suis saisi de plusieurs amendements portant article additionnel après l’article 54.

La parole est à Mme Colette Capdevielle, pour soutenir l’amendement n236.

Mme Colette Capdevielle. Le présent amendement a pour objet des mesures d’harmonisation et de simplification du droit et de prévention des contentieux par la mise en conformité des dispositions actuelles avec les règles du droit civil régissant la prescription acquisitive trentenaire pour les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Michel Clément, rapporteur. Avis favorable : tout ce qui participe d’une simplification du droit doit être encouragé.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Cet amendement harmonise le droit applicable en matière de prescription acquisitive en Alsace-Moselle. Le Gouvernement considère que cet amendement est utile : avis favorable.

(L’amendement n236 est adopté.)

M. le président. La parole est à M. Pascal Demarthe, pour soutenir l’amendement n193.

M. Pascal Demarthe. Défendu.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Michel Clément, rapporteur. Avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement a un épiderme extrêmement sensible s’agissant des rapports demandés par l’Assemblée nationale. Ce rapport n’est absolument pas justifié par les hypothèses, par nature dramatiques, dans lesquelles des femmes battues peuvent, en réaction à des violences subies, commettre elles-mêmes des violences contre leur compagnon, voire le tuer ou l’assassiner.

Cela ne relève pas, dans la plupart des cas comme dans l’affaire Sauvage, de la notion de légitime défense. Il est donc sans intérêt de rechercher des cas d’application jurisprudentielle de la légitime défense pour savoir s’il est ou non nécessaire de faire évoluer le droit en la matière, ce qui n’interdit nullement au Gouvernement ou au Parlement de continuer la réflexion sur les violences au sein du couple. Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.

(L’amendement n193 n’est pas adopté.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Je demande une toute petite suspension de séance. Je suis navré de faire durer les débats mais nous avons un problème sur la deuxième délibération portant sur un article adopté hier, et que je voudrais régler.

M. le président. La suspension est de droit.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures vingt-cinq, est reprise à vingt heures trente-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Seconde délibération

M. le président. En application de l’article 101 du règlement, le Gouvernement demande qu’il soit procédé à une seconde délibération de l’article 8 du projet de loi.

La parole est à M. le garde des sceaux, pour soutenir l’amendement n1.

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Je ne vais pas refaire le débat. Si le Gouvernement a demandé une seconde délibération, ce n’est pas parce qu’il a eu le sentiment que le vote était incertain, mais parce qu’il n’a pas été compris dans sa philosophie.

Le but est bien de permettre que des cours d’appel se spécialisent, singulièrement celle d’Amiens compte tenu des modifications qui ont été votées au sujet de la suppression de la Cour nationale de l’incapacité et de la tarification de l’assurance des accidents du travail – la CNITAAT – à laquelle les rapporteurs étaient attachés. Le Gouvernement avait eu l’occasion de dire que le service rendu était perfectible, ce que chacun entendait.

Compte tenu de la spécificité, de l’expertise et de la technicité acquises par cette cour d’appel, il y a lieu de penser qu’en la spécialisant dans le domaine traité par l’actuelle CNITAAT, nous trouverions un bon compromis.

Le Gouvernement soumet donc de nouveau cet amendement à l’Assemblée nationale.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Michel Clément, rapporteur. La commission émet un avis favorable, comme nous l’avions fait hier. La mésaventure de ce vote malheureux s’explique par le fait que le débat est allé sur un terrain qui n’était pas le bon.

Il faut le dire à ceux qui nous écoutent : il n’a jamais été dans les intentions ni du Gouvernement, ni de la commission, de supprimer la CNITAAT. Nous avons suffisamment compris la pertinence de son activité dans des contentieux très spécifiques de tarification. J’ai parlé hier de « place forte » : nous la confortons aujourd’hui dans cette dimension.

Le débat qui s’est engagé hier sur la spécialisation des cours d’appel a manifestement jeté le trouble dans les esprits, au point de nous faire aboutir à un vote malheureux. Je remercie donc le Gouvernement d’avoir bien voulu remettre ce dispositif en discussion. L’avis est favorable, pour que la CNITAAT puisse poursuivre sa mission, étant entendu que l’application de la loi se fera progressivement : il y aura tout le temps de ménager l’avenir des personnels.

(L’amendement n1, modifiant l’article 8, est adopté.)

M. le président. Nous avons achevé l’examen des articles du projet de loi.

Je rappelle que la Conférence des présidents a décidé que les explications de vote et le vote par scrutin public sur l’ensemble du projet de loi auront lieu le mardi 24 mai après les questions au Gouvernement.

3

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, mardi 24 mai, à neuf heures trente :

Questions orales sans débat.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures quarante.)

La Directrice du service du compte rendu de la séance

de l’Assemblée nationale

Catherine Joly