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Commission des affaires européennes

mercredi 7 novembre 2012

8 h 30

Compte rendu n° 12

Présidence de Mme Danielle Auroi Présidente

Audition de M. Werner Hoyer, président de la Banque européenne d’investissement (BEI).

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mercredi 7 novembre 2012

Présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente de la Commission

La séance est ouverte à 8 heures 30.

Audition de M. Werner Hoyer, président de la Banque européenne d’investissement (BEI).

La Présidente Danielle Auroi. Nous accueillons aujourd'hui M. Werner Hoyer, président de la Banque européenne d’investissement (BEI), qui est accompagné du vice-président Philippe de Fontaine Vive.

Nous sommes également ravis d’accueillir Mme Françoise Grossetête, députée du Parlement européen.

Nous nous réjouissons d'autant plus de votre présence ce matin, monsieur le président, que nous savons votre emploi du temps très chargé. Vous le savez, la Commission des affaires européennes vise, au sein de l’Assemblée nationale, à informer le plus possible l’ensemble de nos collègues des enjeux de l’Union.

Le rôle joué par la Banque européenne d'investissement (BEI) a de nouveau été mis en valeur en juin dernier à l'occasion de l'adoption du Pacte pour la croissance et l'emploi. Notre Commission souhaite d’autant mieux connaître aujourd'hui l’action et les projets de la BEI, ainsi que le contexte dans lequel elle évolue, que le Conseil européen de fin novembre, et surtout celui du mois de décembre, devraient mettre encore davantage en lumière son travail.

Nos rapporteurs sur le Pacte pour la croissance et l'emploi, MM. Razzy Hamadi et Arnaud Richard, seront, bien entendu, tout particulièrement attentifs à vos propos.

Nous serons tous également très intéressés par votre analyse des questions plus générales comme l'évolution de la zone euro ou la gouvernance économique européenne.

Pour ma part, je souhaiterais que vous puissiez nous éclairer tout d'abord sur les missions de la Banque européenne d'investissement et le sens dans lequel elles pourraient évoluer. Quelles sont les relations de la BEI avec les grands fonds internationaux ? Envisagez-vous des cofinancements avec les fonds souverains ?

S’agissant des project bonds, qui intéressent beaucoup la France, pourriez-vous nous présenter avec précision et simplicité leur mode de fonctionnement et nous indiquer l'effet de levier qu’ils pourraient entraîner ? Quels projets ont été identifiés ? Quel est leur état d'avancement ? Quels montants sont mobilisés ? Dans quelle mesure les project bonds représentent-ils une alternative intéressante au budget européen ? Quelles sont les perspectives réelles de développement de cet instrument ? Permettra-t-il l’indispensable transition écologique de nos économies ?

Quelle est également votre position sur la mise en place d'un budget européen propre à la zone euro, tel qu’il a été proposé par le président Van Rompuy – le débat a été relancé en France par le député européen Alain Lamassoure –, ou encore sur les projets d'eurobonds ? La BEI considère-t-elle ces projets aussi importants que la nouvelle majorité française, qui les défend ?

Enfin, qu’en est-il de la parité au sein de la BEI ? Le plafond de verre subsiste-t-il au sein de votre institution, comme c’est le cas à la Banque centrale européenne ?

M. Werner Hoyer, président de la Banque européenne d’investissement (BEI). C’est un grand plaisir pour moi de me retrouver ce matin devant la Commission des affaires européennes. J’y avais été convié il y a quelques années en tant que ministre des affaires européennes.

Mais c’est aujourd'hui en ma qualité de président de la Banque européenne d’investissements que vous m’avez invité. Je suis venu accompagné du vice-président Philippe de Fontaine Vive, qui est notamment chargé de nos opérations en France et dans la région de la Méditerranée, ainsi que des prêts à l’innovation et aux nouvelles technologies.

Comme vous le savez, la BEI est la banque de l’Union européenne. Appartenant à ses vingt-sept États membres, elle joue un rôle fondamental dans le fonctionnement de l’économie européenne, en finançant aussi bien les infrastructures de transport ou d’énergie que les petites et moyennes entreprises ou les centres de recherche et de développement de l’Union. Un quart des efforts de la BEI vont au climat et à l’environnement.

Il est d’autant plus naturel de se tourner vers la BEI pour trouver des moyens de sortir l’Europe de la situation économique difficile dans laquelle elle se trouve, que la banque est prête à soutenir les projets qui contribueront de manière durable à la croissance, à l’emploi et à la cohésion régionale de l’Europe.

La BEI a été créée en 1958. Son siège a été installé à Luxembourg dix ans plus tard, en 1968. Depuis sa création en vertu du traité de Rome, la BEI a consenti plus de 500 milliards d’euros de prêts à l’Europe, dont plus de 200 milliards au cours des trois dernières années. Cette augmentation importante du volume de nos prêts est la conséquence directe de la crise financière qui a traversé l’Europe à la suite de l’effondrement de Lehman Brothers en 2008. Les banques étant affaiblies, c’est toute l’économie européenne qui s’est trouvée affectée par la diminution drastique des crédits et des investissements. La BEI est intervenue en soutenant les secteurs les plus durement touchés, comme l’industrie automobile et les PME. En France, cette action s’est traduite par une augmentation temporaire du volume de nos prêts qui ont atteint 6,3 milliards d’euros en 2009, avant de revenir à quelque 5 milliards d’euros en 2010 et 2011. Cette diminution du volume des activités est intervenue au moment où une action inverse, contra-cyclique, aurait dû être menée.

Je suis convaincu que la BEI a un rôle à jouer dans la relance de l’économie européenne. Nos actionnaires – les États membres – l’ont, semble-t-il, compris puisqu’ils nous ont demandé dans le cadre du Pacte de croissance adopté par le Conseil européen de juin dernier d’accroître le volume de nos prêts en faveur des projets créateurs d’emplois et de croissance.

À cette fin, ils ont décidé d’augmenter le capital de la BEI au travers d’une contribution financière de 10 milliards d’euros – 1,7 milliard d’euros pour la contribution de la France. Cette somme est impressionnante. En effet, si l’assise financière de la banque atteint 232 milliards d’euros, malheureusement, 11 milliards seulement sont vraiment payés. La décision du Conseil européen du mois de juin permettra donc de doubler le capital payé. C’est un pas remarquable, qui nous permettra de mener de nouveau notre mission contra-cyclique.

Grâce à cette augmentation de capital, nous pourrons accroître le volume de nos prêts sur trois ans de quelque 60 milliards d’euros, lesquels devraient engendrer sur la même période quelque 180 milliards d’euros d’investissements supplémentaires.

Notre activité en France devrait atteindre les 7 milliards par an au cours des prochaines années.

Pour pouvoir prêter de tels montants, la BEI doit être en mesure de se financer sur le marché des capitaux. L’année dernière nous avons emprunté 76 milliards d’euros auprès des investisseurs, dont près de la moitié n’étaient pas européens, ce qui fait de la BEI le plus gros émetteur non souverain au monde. Grâce à notre triple A, nous pouvons nous financer à des taux attractifs, que nous répercutons dans une large mesure sur nos emprunteurs.

Si la valeur ajoutée par la BEI est donc principalement financière – les taux d’intérêt et les maturités de nos prêts sont plus favorables que ceux des banques commerciales –, elle tient également à la qualité de l’expertise de nos équipes et aux excellentes relations que nous entretenons avec les autres institutions européennes ainsi qu’avec les institutions financières des États membres. Nous sommes en mesure de conseiller nos emprunteurs, de les aider à monter des projets rentables et de les accompagner dans leurs démarches afin d’obtenir des financements sur les fonds structurels auprès de la Commission européenne.

Les États membres nous ont également demandé de lancer en coopération avec la Commission européenne une phase pilote de financement de projets par émission d’obligations. Cette initiative, connue sous le nom project bonds initiative, a pour objectif d’attirer des investisseurs institutionnels, tels que les compagnies d’assurance ou les fonds de pension, afin qu’ils affectent une partie de leurs ressources à long terme au financement de projets d’infrastructures de grande dimension, dans le secteur des transports, de l’énergie et des réseaux à haut débit.

Je tiens à préciser qu’il ne s’agit en aucun cas d’eurobonds. Les project bonds ne sont pas des obligations communes émises par la Commission ou la BEI : ce sont des obligations émises par une société chargée de réaliser et d’exploiter un projet particulier et qui sont souscrites par des investisseurs institutionnels, du fait qu’elles bénéficient d’un rehaussement de crédit, une garantie fournie conjointement par la BEI et la Commission européenne.

La Commission a affecté à cette phase pilote une enveloppe de 230 millions d’euros, qui nous permettra d’émettre des garanties en faveur de projets prioritaires à hauteur de 4 milliards d’euros.

La France bénéficiera largement de cette initiative : plusieurs projets susceptibles d’être financés par les project bonds y ont déjà été identifiés.

La BEI est prête à jouer son rôle d’institution financière de l’Union européenne et à financer les secteurs de l’économie qui lui paraissent les plus susceptibles de créer les emplois de demain et de générer une croissance durable.

Elle ne saurait toutefois représenter la solution à tous les problèmes. Des réformes structurelles sont nécessaires pour améliorer la compétitivité de nos économies. Le sujet est d’actualité en France.

La discipline budgétaire et la maîtrise des dépenses publiques sont également indispensables pour remettre l’économie européenne sur les rails. Nous avons toutes les cartes en main : la BEI est un atout méconnu, qui ne demande qu’à être utilisé de manière astucieuse par nos dirigeants.

Mme Marie-Louise Fort. Quel est votre sentiment sur le juste échange et la réciprocité entre les États au regard du maintien des PME en Europe ?

Mme Chantal Guittet. Sur quels critères reposent vos choix d’investissement, notamment en direction de la France ? La BEI étant indépendante, de quel contrôle parlementaire ces choix peuvent-ils faire l’objet ? Les États, qui financent votre augmentation de capital, sont-ils tentés d’en exercer un ?

M. Jean Leonetti. Les project bonds privilégieront-ils les projets transfrontaliers par rapport aux projets strictement nationaux ? Je pense notamment aux transports transeuropéens et au saut numérique indispensable au plan européen pour assurer la croissance et l’emploi.

Quels sont plus particulièrement les projets à destination de la France ?

M. Pierre Lequiller. Quel montant pensez-vous pouvoir mobiliser pour les project bonds au plan européen et plus particulièrement à destination de la France ?

Quelles précisions pouvez-vous nous apporter sur l’accroissement de la capacité d’intervention de la BEI ?

M. Arnaud Richard. M. Werner Hoyer a terminé son propos en évoquant l’utilisation astucieuse de la BEI : j’en ai été témoin en tant que collaborateur de M. Borloo, qui a été un grand utilisateur de la BEI, tant comme élu local à Valenciennes que comme ministre, en faveur notamment de la rénovation urbaine, de la transition énergétique ou du financement de la voiture verte.

L’augmentation de capital a-t-elle pour origine la pression des agences de notation ou la volonté de revenir au niveau de financement de 2009 ?

Comment construisez-vous l’effet de levier des project bonds, vous permettant de passer de 230 millions d’euros à 4 milliards ?

M. Christophe Caresche. Les agences de notation menacent-elles la BEI, compte tenu de la situation européenne ?

M. Werner Hoyer. Avant d’entrer dans le détail de vos questions, je tiens à faire des remarques d’ordre général.

C’est au mois de décembre 2011, alors que je défendais au Bundestag le projet de budget du ministère des affaires étrangères, que j’ai appris ma nomination à la présidence de la BEI. Les députés m’ont alors félicité pour ma nomination à Londres, confondant la BEI avec la Banque européenne pour la reconstruction et le développement – BERD. C’est dire combien la BEI, qui a son siège à Luxembourg, est insuffisamment connue de la plupart des députés.

La BEI a été fondée en 1958, l’année de l’entrée en vigueur du traité de Rome, à l’initiative des ministères français et allemand des finances, en vue de développer un plan Marshall pour l’Italie. Son objet est d’assurer les financements à longs termes de projets importants mais difficiles à financer sur les marchés internationaux. Elle accompagne les objectifs de la construction européenne inscrits dans les différents traités européens, de celui de Rome à celui de Lisbonne. La banque a pour mission essentielle de permettre la convergence des économies européennes. La solidarité, qui est notre objectif premier, passe par la promotion des régions les plus faibles sur le plan économique.

Nous devons toutefois être prudents vis-à-vis de nos actionnaires. Nous ne sommes ni la banque de la zone euro ni celle des cinq pays qui définissent les programmes. Nous sommes la banque des vingt-sept pays membres de l’Union européenne. Pourquoi augmenter le capital de la BEI, m’a-t-on demandé à Stockholm ou à Londres, si c’est uniquement pour financer des projets à destination de la Grèce ou de l’Espagne ? Il faut trouver un équilibre. L’objectif de la convergence est d’aider les régions défavorisées en s’y montrant particulièrement actif, sans perdre de vue l’équilibre général, lequel est difficile à trouver. C’est pourquoi la réciprocité est une question délicate.

Il est indispensable, pour une banque qui est obligée de se refinancer sur les marchés des capitaux, de monter des projets dans chacun des pays européens, même si elle doit se pencher plus particulièrement sur les pays qui connaissent des faiblesses structurelles. Nous ne saurions donc nous laisser imposer des critères de quotas. Trop souvent, dans l’histoire de l’Union européenne, on a parlé de juste retour et de quotas. De tels critères nous interdiraient de répondre à notre objectif premier qui est la solidarité.

Si la BEI a pu augmenter son capital, c’est que les pays membres ont compris que la banque avait consenti des efforts considérables après l’effondrement de Lehman Brothers, grâce aux économies qu’elle avait thésaurisées.

Il faut savoir que la banque, sur décision imposée par le Conseil des gouverneurs, a dû diminuer au cours des deux dernières années le volume des crédits accordés, alors même qu’il eût été préférable de mener une action contra-cyclique en soutenant un plus grand nombre de projets après la faillite de Lehman Brothers et la crise des dettes souveraines. Malheureusement, à l’époque, la situation politique européenne ne le permettait pas. Sur les 232 milliards de capital de la banque, seulement 11 milliards étaient versés, auxquels s’ajoutaient les bénéfices des quinze dernières années d’activité, la BEI, qui ne distribue pas de dividendes, ayant accumulé des profits. Toutefois, cette base ne nous permettait pas d’élargir notre portefeuille. J’ajoute que 10 % de nos activités sont réalisées à l’extérieur de l’Union européenne, en vertu de notre politique de développement que le Parlement européen nous demande de ne pas négliger.

La question des agences de notation n’est pas fondamentale. Si je ne suis pas ravi du pouvoir qu’elles exercent en Europe et dans le monde, je suis toutefois frappé par la compétence et le sérieux de leurs responsables.

Plus importante est la question du regard jeté par nos investisseurs sur nos projets. L’augmentation du capital de la BEI lui permettra de réaliser dans les années à venir 20 milliards d’investissements supplémentaires sur la base de ses ressources propres, ce qui l’autorisera à prêter au cours des trois prochaines années 180 milliards supplémentaires, dont le refinancement sur le marché des capitaux dépendra de la confiance des investisseurs dans la BEI. Nous devons nous montrer très prudents, notamment dans les critères qui président au choix des projets.

Le Conseil européen de juin dernier ayant contraint les pays membres et les banques à se soucier de la croissance et de l’emploi, il nous appartient de développer des actions en ce sens. Nous devons également contribuer à la réalisation des engagements de l’Union européenne dans le cadre des objectifs du millénaire en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Ces objectifs, qui sont prioritaires, représentent quelque 25 % de nos programmes.

S’agissant de l’emploi et de la croissance, il est important de préserver un équilibre entre le court et le long termes. Si une réaction rapide du marché de l’emploi est nécessaire, elle doit également être durable. La capacité des pays de l’Union européenne en matière d’innovation est de ce point de vue essentielle : elle doit être accrue pour augmenter notre crédibilité sur les marchés économiques dans les années à venir. Il convient donc de soutenir la recherche et le développement et d’accompagner les entreprises dans les domaines innovants.

Les PME représentent un quart de l’activité de la BEI, laquelle en a soutenu, l’an dernier, quelque 120 000 dans toute l’Europe, ce qui est à la fois peu et beaucoup. La BEI travaille avec les banques nationales privées ou publiques pour aider, par exemple, les Pme du sud-est de l’Europe à exporter leurs produits sur le marché international. Notre tâche n’est pas de choisir entre les banques privées ou publiques et nous n’intervenons que lorsque le financement local est insuffisant. C’est le cas notamment des projets d’infrastructures à long terme, comme les grands réseaux de transports transfrontaliers, les réseaux de transport énergétique ou les réseaux à large bande, d’autant que les banques doivent désormais respecter les critères de Bâle III, ce qui est très difficile pour elles. Aussi la BEI est-elle particulièrement adaptée pour soutenir de tels projets.

La BEI a développé avec le Conseil, la Commission et le Parlement européens de nouveaux instruments pour assurer un meilleur écoulement des fonds structurels. Elle a également mis au point des instruments supplémentaires pour financer les grands projets d’infrastructures européens, comme les project bonds, qui reposent sur une volonté politique forte au service de l’Union européenne. Ils devront évidemment faire leurs preuves sur les marchés financiers : ils devront être acceptés par les investisseurs. Ces obligations sont émises par les acteurs de projets et la garantie est apportée par la Commission européenne et la BEI. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour que les project bonds fonctionnent, ce qui n’ira pas de soi car cet instrument subira la concurrence d’autres moyens de financement, comme les obligations classiques. Nous devrons donc persuader les investisseurs tant européens que non européens qu’il s’agit d’un instrument complémentaire de qualité. La BEI ira lever 80 milliards d’euros l’an prochain sur les marchés de capitaux. Comme il nous faut toucher un nouveau groupe d’investisseurs, la qualité de nos projets doit être exceptionnelle. Nous ne pouvons nous permettre aucun échec.

Je regrette que l’argument de la sécurité ait été à ce point mis en avant au cours de la première phase. Lorsque j’ai expliqué à différents chefs de gouvernements les projets de la Commission européenne en matière de project bonds, ils ont été déçus, notamment Mme Merkel ou M. Monti, qui souhaitaient que les project bonds aillent financer des projets transfrontaliers et les pays les plus en difficulté. Cela ne sera possible au cours de phase pilote que de façon limitée parce que la Commission européenne veut d’abord s’assurer du bon fonctionnement de ce nouvel instrument avant de le développer.

Je ne ferai aucun pronostic sur le nouveau cadre financier dont l’Union européenne a besoin pour monter de grands investissements. La situation est en effet si difficile qu’il ne faut s’attendre à aucune conclusion en la matière au Conseil européen de novembre. Nous allons rester quelque temps dans l’incertitude. Toutefois, il faut le savoir, faute d’accord, il sera impossible de s’attaquer à de grands projets, car, lors de l’adoption du budget, la question du financement de la croissance et de l’innovation se posera chaque année de la même façon. Vos collègues du Parlement européen vous le confirmeront, la situation est bloquée. La concurrence est très vive entre les réseaux de transports, les réseaux énergétiques et les réseaux à large bande et aucune décision n’a encore été prise. N’ayant aucune réponse à vous apporter, je me vois réduit à hisser le drapeau blanc.

M. Razzy Hammadi. Monsieur le président, ma première question porte sur les activités de sourcing de la BEI, qui intervient toujours en parité : compte tenu de la situation actuelle, a-t-elle un nombre suffisant de projets à financer ?

Par ailleurs, est-il vrai que le Conseil des gouverneurs a fait des préconisations à la BEI visant à l’empêcher de consacrer une part de son augmentation de capital à des projets hors Union européenne ? Si oui, le Conseil des gouverneurs du 20 novembre pourra-t-il revenir sur cette décision ? Il serait en effet peut-être utile à l’Europe, dans le contexte politique et économique méditerranéen actuel, d’investir dans le cadre de politiques de voisinage, comme la BEI le fait déjà à hauteur de 10 % de ses activités.

M. Werner Hoyer. Je répondrai à votre première question, laissant M. Philippe de Fontaine Vive répondre à la seconde.

Nous sommes à même d’augmenter nos financements de 43 % l’an prochain : nous ne pourrons évidemment pas le faire dans cette proportion au Royaume-Uni, en France ou en Allemagne, mais je me fais également du souci pour des pays où les défis sont plus importants. C’est ainsi que je suis obligé de rappeler à M. Mario Monti, président du Conseil italien, qui souhaite voir accélérer les projets en direction de l’Italie, que 85 % d’entre eux concernent le nord du pays, alors que le Mezzogiorno, pour lequel la banque a été créée, ne fait l’objet d’aucun projet ! La BEI doit aider de manière dynamique ses clients à monter des projets dépourvus de risques importants, car nous agissons sous le contrôle du contribuable, de la Cour des comptes européenne et du Parlement européen, ainsi que sous le regard des investisseurs. La BEI doit donc se montrer plus créative dans le développement de nouveaux projets tout en sachant en évaluer les risques. Ses ingénieurs ont une admirable capacité d’expertise sur les plans technique et financier, complétant ainsi efficacement le travail de la Commission européenne. Les pays de la périphérie de l’Union européenne ont besoin de manière urgente d’une vraie capacité d’évaluation.

M. Philippe de Fontaine Vive, vice-président de la BEI. Les enveloppes financières dédiées à la Méditerranée ou aux partenaires orientaux de l’Union européenne constituent une source de financement bien distincte de l’augmentation de capital, qui est prévue pour soutenir la croissance et à l’emploi en Europe. Nous essaierons assurément de maintenir à hauteur de 10 % notre soutien aux politiques de voisinage dans le cadre de l’augmentation de capital, mais il n’est pas certain que nous y parvenions : si nos activités au sein de l’Union européenne sont très dynamiques, cette proportion baissera mathématiquement. Toutefois, notre mobilisation reste constante. C’est ainsi que M. Hoyer sera au Caire la semaine prochaine pour la première réunion du groupe de travail Union européenne-Egypte consacrée au métro de la capitale égyptienne. Pour ma part, je me rendrai en Tunisie et au Maroc, où nous accompagnons la démocratisation en cours.

S’agissant de la France, je tiens à mentionner quatre grandes orientations, qui sont susceptibles d’être renforcées dans le cadre de l’augmentation de capital.

La première concerne le soutien aux petites et moyennes entreprises. La BEI a simplifié ses produits. De plus, directement ou à travers sa filiale, le Fonds européen d’investissement, qui apporte des garanties au capital investissement, elle est prête, comme elle l’a proposé à M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances,  et à M. Jean-Pierre Jouyet, futur président de la Banque publique d’investissement, à cofinancer toutes sortes de projets dès le début de l’année 2013.

La deuxième orientation vise les infrastructures qui exigent des financements longs. Le grand transport public français, comme les lignes à grande vitesse ou les lignes de tramway, a été partiellement financé par la BEI. Les collectivités locales ont un besoin de marchés très important, comme j’ai pu le constater lors du congrès de l’Association des régions de France des 18 et 19 octobre 2012. La BEI, aux côtés de la Caisse des dépôts et consignations – CDC – ou de ses équivalents européens, notamment la KfW – Kreditanstalt für Wiederaufbau – allemande ou la CDP – Cassa Depositi e Prestiti – italienne, est la dernière banque à pouvoir proposer des financements sur vingt, trente ou quarante ans permettant d’accompagner le virage écologique et économique de demain, qui exige de prévoir de grandes infrastructures de transport efficaces, y compris transfrontalières.

Quant à Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, elle réfléchit également avec la BEI à un plan de financement 2012-2020 des hôpitaux, en vue d’étaler la charge du remboursement des investissements nécessaires.

La troisième orientation concerne les nouvelles énergies. Nous avons lancé des lignes de crédits, en partenariat avec les régions ou les banques commerciales, visant à développer les énergies renouvelables. C’est un des objectifs européens majeurs en termes de créations d’emploi au plan local et de modernisation. Région après région, nous développons le recours à l’éolien, au solaire, voire à la biomasse sous certaines conditions.

La quatrième et dernière orientation vise la recherche et l’innovation, au travers du financement de différents programmes : développement des voitures électriques avec plusieurs constructeurs, modernisation des flottes aériennes, en vue de promouvoir des moteurs moins gourmands en kérosène, nouveaux produits pharmaceutiques avec les laboratoires Pierre Fabre. Nous nous efforçons de nous adresser à tous les interlocuteurs possibles, même si c’est souvent plus difficile avec les entreprises de taille intermédiaire qu’avec les grandes entreprises, compte tenu des montants en jeu. C’est pourquoi nous avons lancé, au plan européen, une étude de marché en direction tant des acteurs que nous avons déjà financés que de ceux que nous n’avons pas encore réussi à atteindre – y compris les universités et les centres de recherche –, afin de déterminer la nature de leur attente. Nous espérons tenir fin février 2013 à Paris une conférence à Bercy sur le sujet, afin d’accroître notre effort en direction de l’innovation.

Les project bonds sont, quant à eux, une belle ambition pour des temps difficiles. Le marché, en effet, ne finance plus spontanément de grands projets qui sont très mal notés en raison de la disparition des sociétés de rehaussement de crédits qui les appuyaient. Les project bonds ont dès lors pour objectif, en mobilisant à la fois les moyens budgétaires de la Commission européenne et l’expertise financière de la BEI, de doter d’un rehaussement de crédit certains projets, ce qui permettra d’améliorer leur notation et donc de les rendre acceptables aux yeux des investisseurs professionnels. L’effet de levier ainsi créé sera démultiplié : une augmentation du capital de 10 milliards permettra à la BEI de prêter 60 milliards sur trois ans et, grâce à un effet de levier, de débloquer jusqu'à 180 milliards d'euros pour des projets d'investissements. Les project bonds permettront donc, si les tests de marché auxquels nous procéderons le confirment, de faire passer l’effet multiplicateur, qui est habituellement d’un à trois, à un effet moyen d’un à dix-huit. Encore faut-il réussir les premiers projets. Or, comme l’Europe arrive au terme des perspectives financières, la Commission n’a réussi à dégager que 230 millions d’euros pour l’ensemble de l’Union : 200 millions ont été pris sur le budget des transports transeuropéens, 10 millions sur les réseaux transeuropéens d’énergie et 20 millions sur le déploiement des réseaux à haut débit. En accord avec la Commission européenne, nous devons nous limiter dans la phase pilote, qui s’arrêtera à la fin de 2014, à des projets modestes, qui ne devraient pas dépasser 200 millions d’euros chacun, ce qui nous permettra d’en soutenir une dizaine en tout pour l’ensemble de l’Union européenne. Compte tenu de l’origine des crédits, ils relèveront, par ordre décroissant, des secteurs suivants : les transports, l’énergie et le haut débit.

S’agissant de la France, deux projets autoroutiers sont en cours d’instruction – il en de même de l’Allemagne, de la Belgique, des Pays-Bas et du Royaume-Uni. La France est également concernée par deux initiatives régionales de déploiement de réseaux à haut débit, dans le Limousin et en Auvergne. Je tiens à préciser que ce n’est pas la BEI qui prendra la décision à la place des porteurs de projets : ce mode de financement obligera en effet leurs avocats et leurs conseillers fiscaux à se lancer dans une documentation nouvelle, ce qui est d’une grande complexité. Nous espérons que ces projets pourront être finalisés en 2013 puisque l’année 2014 sonnera pour les project bonds l’heure de vérité : il s’agira alors de leur donner, ou non, une dimension financière supérieure, permettant de couvrir des projets transeuropéens bien plus importants.

M. Jean Leonetti. Combien faudrait-il par an pour assurer un financement satisfaisant des infrastructures européennes ?

M. Werner Hoyer. Je n’ai pas la réponse à votre question, monsieur Leonetti.

Nos objectifs primordiaux visent à développer les innovations et l’emploi et à lutter contre le réchauffement climatique tout en améliorant la croissance : nous devons donc, à cette fin, chercher les meilleurs instruments de financement possibles. En ce sens, la réussite des project bonds est de l’intérêt de la BEI. Si ce nouvel instrument échoue, elle devra évidemment recourir à d’autres instruments.

Il ne faut pas oublier la grande incertitude qui pèse sur le prochain cadre financier pluriannuel et que le vote de la Chambre des communes, la semaine dernière, a encore aggravée.

La Présidente Mme Danielle Auroi. Je vous remercie, monsieur le président pour cette audition particulièrement intéressante.

La séance est levée à 9 heures 35.

Membres présents ou excusés

Commission des affaires européennes

Réunion du mercredi 7 novembre 2012 à 8 h 30

Présents. – Mme Danielle Auroi, M. Jean-Luc Bleunven, M. Jean-Jacques Bridey, M. Christophe Caresche, M. Jacques Cresta, M. Yves Daniel, Mme Marie-Louise Fort, Mme Chantal Guittet, M. Razzy Hammadi, M. Christophe Léonard, M. Jean Leonetti, M. Pierre Lequiller, M. Arnaud Richard, Mme Paola Zanetti

Excusés. - M. Yves Fromion, Mme Estelle Grelier, M. Jérôme Lambert, M. Philippe Armand Martin, M. Jean-Claude Mignon, M. Michel Piron

Député européen présent - Mme Françoise Grossetête