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Commission des affaires européennes

mardi 29 janvier 2013

16 h 30

Compte rendu n° 30

Présidence de Mme Danielle Auroi Présidente

I. Communication de Mme Marietta Karamanli et M. Rudy Salles sur le financement du cinéma européen 

II. Communication de la présidente Danielle Auroi sur le lancement d’une coopération renforcée relative au projet de taxe sur les transactions financières

III. Nomination de rapporteurs

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mardi 29 janvier 2013

Présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente de la Commission

La séance est ouverte à 16 h 30

I. Communication de Mme Marietta Karamanli et M. Rudy Salles sur le financement du cinéma européen 

Mme Marietta Karamanli, co-rapporteure. La communication que nous présentons devant vous aujourd’hui s’inscrit à la fois dans une actualité immédiate, les débats récents dans les médias sur le financement du cinéma français, mais également ancienne, celle liée au financement européen du cinéma. Elle a vocation à être un rapport d’étape dans un contexte juridique incertain puisque nous attendons la diffusion du nouveau texte de la Commission pour pouvoir prendre une position définitive.

Cette communication s’inscrit également dans un contexte particulier, celui des succès importants rencontrés par un cinéma français et européen de qualité qui a les faveurs du public et des jurys. A titre d’exemple nous pouvons citer, The Artist, de Michel Hazanavicius et Amour de Michael Hanneke, qui ont été primés dans des festivals internationaux.

On peut s’interroger sur ce qu’est le cinéma européen, sur ce qu’il représente et sur ce qu’il est aujourd’hui. Nous pensons qu’il existe une histoire et une culture européennes qui transparaît dans le cinéma européen et que nous souhaitons affirmer. Pourtant la notion de cinéma européen n’existe pas en elle-même, car il n’existe pas d’industrie cinématographique européenne ni de politique européenne cinématographique.

Néanmoins l’existence du cinéma européen peut s'appréhender à travers trois éléments, outre le critère artistique, les critères d'attribution des aides européennes, les co-productions européennes, les récompenses artistiques primant les films européens.

Tout d’abord les prix. La spécificité du cinéma européen s’appréhende à travers l’attribution de certains prix. Ainsi l'Académie du Film Européen, fondée en 1988, attribue-t-elle chaque année The European Film Awards, c’est-à-dire récompense le meilleur film européen. Amour, a, été primé, en décembre dernier, à Malte.

Ensuite, on peut analyser un critère juridique couplé à un critère financier.

On pourrait s'interroger sur la notion de territorialité. Serait européen un film qui a été produit sur le territoire européen. Pertinente, cette notion n'est pas suffisante. Les studios américains financent des films tournés en Europe, ceux-ci ne sont pas pour autant considérés comme des films européens. Pour qu'un film soit considéré comme européen, il faut qu'une partie des capitaux qui le finance soit d'origine européenne, que le réalisateur ou une partie des personnels qui travaillent à sa réalisation soient également européens. Cette grille d'analyse permet d'identifier un film européen selon les critères d'attribution des financements mis en place par le Fonds Eurimages du Conseil de l'Europe, puisque l'un des critères obligatoires pour obtenir une aide sélective réside justement dans le fait d'être un film européen.

Si le financement du film participe à la définition du film européen, ce n'est que parce qu'il est couplé avec un autre critère juridique, celui de la co-production.

Au sein de l'Union européenne, les films européens sont majoritairement des films issus de co-productions. Amour est l'exemple type d'une co-production européenne, allemande, française et autrichienne.

L'identité européenne du cinéma s'appréhende donc davantage à travers la collaboration des acteurs de l'industrie cinématographique qu'à travers la circulation des films au sein de l'espace communautaire, bien qu'il faille néanmoins relativiser cette assertion.

A travers la définition d’un cinéma européen se posent de véritables enjeux politiques et économiques. En effet, une partie des négociations actuelles entre certains gouvernements des Etats membres, dont la France, et la Commission européenne, repose sur cette croyance en l'existence ou non d'un cinéma européen.

Les films européens ne circuleraient pas suffisamment entre les Etats membres et les marchés nationaux fragmentés empêcheraient, de fait, une concurrence libre et parfaite entre cinémas nationaux sur le territoire européen. Cette approche économique repose sur une conception minimaliste de la Commission qui semble réduire la dimension économique des industries de la culture et de l’imaginaire à une question de concurrence interne et non pas à une politique de valorisation et de partage de la créativité entre les Etats membres. Il faut également souligner une absence de vision en termes de politique commerciale dans le domaine des arts et de la culture, alors qu’on attendrait plutôt un soutien indéfectible à la culture et aux productions européennes.

Il n'y a, en effet, pas de concurrence entre les différents cinémas nationaux car ceux-ci coopèrent entre eux afin de défendre une identité artistique particulière qui repose sur la défense de la diversité culturelle et d'un certain modèle artistique. En revanche, il existe une concurrence certaine entre le cinéma américain et le cinéma européen.

Se tromper d'objectif dans ce domaine pourrait avoir pour seule conséquence d'ouvrir davantage nos marchés à la concurrence américaine, asiatique, et indienne sans pour autant impliquer une concurrence artificielle entre cinémas nationaux qui n'a aucune raison d'exister, car la diversité des approches territoriales et artistiques est à l'origine même de leur complémentarité.

A titre d'exemple, sur le marché français, la part des films français est estimée à 40,6 % sur les onze premiers mois de 2012, celle des films américains à 49 %, soit une progression de 3,6 % par rapport à l'année 2011.

Aussi étonnant que cela puisse paraître l'identité du cinéma européen réside ainsi dans la coexistence d'industries cinématographiques nationales fortes.

Le projet de révision de la communication de la Commission sur les aides en faveur des œuvres cinématographiques et autres oeuvres audiovisuelles, communément appelé « Communication cinéma », présenté par la Commission européenne en 2012, conduirait, s'il était maintenu en l'état, à faire peser un risque majeur sur la pérennité des industries cinématographiques nationales.

L'inquiétude manifestée par un certain nombre d'Etats membres, dont la France, sur les conséquences que le projet pourrait avoir sur le maintien des savoir-faire techniques sur les territoires respectifs des Etats membres, a conduit le commissaire en charge de la concurrence, vice-président de la Commission, M. Joaquim Almunia, à demander à ses services de travailler à l'élaboration d'une révision du projet publié en mars 2012 et soumis à consultation publique.

La communication cinéma de 2001 règlemente la compatibilité des aides d'Etat avec les règles de la concurrence en vigueur dans le traité. Elle dispose que l'aide doit être destinée à un produit culturel. Elle offre également la possibilité pour un producteur de dépenser 80 % des aides à la production sur le territoire d'un Etat membre, et elle précise que l'intensité de l'aide doit être limitée à 50 % du budget de production. Néanmoins, l'intensité de l'aide peut être supérieure pour les films dits « difficiles » et à petit budget.

Le projet de révision présenté en 2012 propose de maintenir l'intensité de l'aide voire de l'augmenter pour les productions transfrontalières. En revanche, il limite la possibilité pour un producteur de dépenser l'aide sur un territoire donné à 100 % de l'aide accordée. Ce qui revient de fait à limiter la territorialisation des aides à 50 % du budget de production.

Ces nouvelles règles inquiètent les professionnels du secteur, à juste titre, pour deux raisons. En premier lieu, le cinéma est un secteur aidé, dans lequel les Etats membres sont impliqués par différents types de financement. Réduire la possibilité pour un Etat de dépenser sur son territoire une partie des aides reviendrait à la fois à réduire l'intérêt d'investir sur un territoire et par là-même de défendre des emplois, mais également aurait pour conséquence irréversible la destruction d'un tissu économique, celui des savoir-faire inhérents à une économie particulière. Un certain nombre de métiers ont une spécificité propre qu'une diminution de la possibilité pour un Etat de dépenser des aides sur son territoire amènerait à faire disparaître irrémédiablement.

M. Rudy Salles, co-rapporteur. Les sommes consacrées au financement européen du cinéma européen sont relativement limitées. Le financement européen proprement dit repose sur deux sources de financement : le Fonds Eurimages du Conseil de l’Europe, destiné au soutien de films d’auteur, et le programme Media, intitulé aujourd’hui Europe Creative, qui dépend de la Commission européenne.

Le financement européen du cinéma repose donc essentiellement sur les financements nationaux des industries cinématographiques par les Etats membres. Or, outre le projet de révision de la communication cinéma, des incertitudes importantes pèsent sur la pérennité du système de financement français du cinéma.

L'industrie cinématographique française dispose de différentes sources de financement. Outre le Centre national de la cinématographie et de l’image animée (CNC) qui historiquement apparaît comme le premier opérateur du financement européen, les aides à la filière cinématographique se sont enrichies de différents opérateurs, les télévisions à partir des années 1980, les SOFICA (sociétés pour le financement de l'industrie cinématographique et audiovisuelle) à partir de 1985, les crédits d'impôts depuis 2000, et les aides des collectivités territoriales, essentiellement les aides régionales.

En dehors des sociétés de production, les diffuseurs, c'est-à-dire les chaînes de télévision, sont le principal contributeur financier au secteur. Leurs obligations légales en matière de financement du cinéma reposent sur le pré-achat de droits de diffusion des films ou la participation par le biais de leurs filiales à des sociétés de co-productions.

Le CNC participe à la création cinématographique par le biais d’aides automatiques et sélectives. En 2011 la totalité des aides, tout secteur confondus, production et distribution, s’élevait à plus de 281 millions d’euros. Le principe de ces aides a par ailleurs été validé par la Commission jusqu’en 2017.

Les ressources du CNC reposent sur un principe simple : la distribution finance la production. Or des incertitudes juridiques pèsent sur la pérennité de ces ressources du fait de la réglementation européenne : une possible révision de la « chronologie des médias » ainsi que de l’absence de validation de la taxe sur les fournisseurs d’accès à Internet, principale ressource de l’établissement public.

La taxe la plus ancienne, créée en 1948, la Taxe Spéciale Additionnelle (TSA), la taxe affectée sur la billetterie des salles de cinéma est menacée, du fait de la révolution numérique en cours. Cette taxe repose en effet sur le respect de la « chronologie des médias ». Par « chronologie des médias » on entend le fait que la diffusion des œuvres audiovisuelles correspond à une règlementation stricte, en France, qui se comprend parfaitement à l'aune du principe du financement européen du cinéma. Selon cette chronologie, un film est diffusé, en premier lieu, en salles. Les salles de cinéma disposent de la distribution exclusive des œuvres cinématographiques. Ce principe d'exclusivité contribue à la notoriété des œuvres. Au bout de quatre mois, le film peut être diffusé à la télévision et sous d’autres formes de support.

Un assouplissement des règles en la matière, notamment en termes d'expérimentation a été proposé par la Commission, ce qui a alerté les professionnels du secteur. Lors des auditions que nous avons menées, les services de la DG « Connect » nous ont donné l'assurance que la Commission n'avait pas l'intention de légiférer en la matière, et que chaque Etat membre était libre de respecter la règlementation qu'il entendait appliquer en la matière. Néanmoins, certaines expérimentations pourraient être menées afin de concilier accessibilité et diffusion des films, sans que pour autant la chronologie des médias soit véritablement menacée.

En termes d’expérimentation, on nous a fait part d’un film grec dont la diffusion sur Internet avait précédé la diffusion en salles. Il semblerait néanmoins que son succès soit resté confidentiel !

Si la chronologie des médias n'est pas menacée par une législation européenne qui lui serait contraire, il paraît relativement certain que les possibilités offertes par la diffusion numérique demeurent une menace à plus ou moins brève échéance.

Autre ressource importante du CNC, la taxe sur les éditeurs de télévision (TST) et celle sur les distributeurs (TSTD).

La seconde taxe parafiscale affectée au CNC est la taxe sur les éditeurs de télévision, créée en 1986. Comme le précise la Cour des comptes dans son rapport cette taxe a « depuis le 1er janvier 2008, été étendue à l'ensemble des distributeurs qui acheminent un contenu audiovisuel vers le téléspectateur, chaînes auto-distribuées, services de diffusion par câble, par satellite, télévision numérique terrestre, fournisseurs d'accès à Internet (FAI) et opérateurs de téléphonie mobile ». Le taux applicable est compris entre 0,5 % et 4,5 % de l'assiette taxable.

La taxe, la plus importante, en volume et en progression, est la taxe sur les distributeurs, qui a été étendue aux fournisseurs d'accès à Internet. Votée par le Parlement, l'autorisation de la prélever n'a pas encore été accordée par la Commission du fait d'une assiette trop large.

Actuellement les discussions sont en cours auprès des services de la Commission pour autoriser cette taxe. Lors des entretiens que nous avons menés auprès de ces services nous n'avons pas reçu une réponse hostile au principe de cette taxe. Les discussions actuelles conduites par le gouvernement ne portent donc pas sur le principe de la taxe, mais sur son assiette. L'assiette initiale trop large, assise sur le chiffre d'affaires des fournisseurs d'accès, serait revenue, du point de vue de la Commission, à taxer les fournisseurs d'accès à internet dans leur globalité et non pas au prorata de leur participation correspondant à la diffusion des oeuvres audiovisuelles. Un nouveau projet de taxe sera prochainement proposé par le Gouvernement à la Commission sur cette question.

Or, malgré ces incertitudes, il faut souligner que le cinéma français est indéniablement un acteur important du rayonnement culturel européen ; les succès récents, en nombre d'entrées de nombreux films en témoignent, outre les récompenses internationales ou nationales.

Tout d'abord quelques chiffres : la France est le premier producteur de films en Europe. Selon la Cour des Comptes, « en 2009, les films d'initiative française représentent 20 % des 893 longs métrages européens. La production française devance la production espagnole (151 films par an) et la production anglaise (139 films par an). Dans le cas de la production anglaise, les données doivent être évaluées avec prudence, car sont comptabilisés comme films britanniques des films intégralement produits par des sociétés américaines au Royaume-Uni. »

La France est également le premier coproducteur européen. Selon les chiffres fournis par le CNC, 88 % des films coproduits en 2011 (106 sur 120) l’ont été avec des partenaires européens. Les cinq premiers partenaires de la France dans les coproductions sont tous européens. Il s’agit de la Belgique, l’Allemagne, l’Italie, le Luxembourg, et l’Espagne. Sur ces 120 coproductions, 60 sont des films d’initiative européenne venant chercher en France plus de 20 % de leurs financements totaux. Ces coproductions ont représenté 53 millions d’euros sur un investissement total de 260 millions d’euros en 2011.

Le cinéma français rencontre également un succès indéniable à l'exportation. Selon les chiffres fournis par Unifrance, l'année 2012 présente un record de fréquentation pour le cinéma français à l’international avec un total de 140 millions d'entrées. Ce record « s’explique par les succès singuliers de trois films, The Artist (13 millions d’entrées), Intouchables (31 millions d’entrées) et Taken 2 (46 millions d’entrées).

Ces trois films, au financement français, concentrent à eux seuls 65 % de la fréquentation globale recensée par UniFrance films dans les salles étrangères en 2012. Intouchables s’imposerait actuellement comme le plus grand succès en langue française.

Les films minoritaires en langue française totalisent deux millions d’entrées, soit la seconde meilleure performance de ces dix dernières années, grâce à des titres d’auteurs tels que le Havre, Elles, Le Gamin au vélo, Café de Flore ou encore l’Enfant d’en haut. »

Le cinéma européen est à un tournant. Porté par le cinéma français, il représente une réussite indéniable et en même temps sa fragilité n'a jamais été aussi prégnante. Les négociations relatives à la « Communication cinéma » s'avèrent essentielles pour conserver la pérennité du système, notamment du fait de l'émergence d'un environnement numérique qui conduira nécessairement à une adaptation de nos modèles économiques en termes de diffusion.

The Artist était un hommage à la mort d'une industrie, celle du cinéma muet. Espérons qu'il ne soit pas le chant du cygne de notre industrie cinématographique. Gageons que le système actuel deviendra davantage vertueux et se terminera également en « happy ending »! En tout cas vous pouvez compter sur notre détermination pour y veiller.

Mme Marietta Karamanli, co-rapporteure. Vous aurez bien compris le sens de notre démarche : présenter le contexte juridique et les incertitudes qui sont liées à la pérennité du système de financement. Il existe un véritable enjeu pour la France, l’Europe et la culture européenne dans son ensemble. Le modèle européen est une alternative au modèle américain.

Nous avons été choqués, il ne faut pas craindre de le dire, lors de notre entretien avec la commissaire Almunia par les propos qui ont été tenus : comparer l’industrie cinématographique européenne à des achats de caméra, de matériel de films, à la fabrication de costumes, ce n’est pas véritablement comprendre la réalité de l’industrie cinématographique.

Les dix-sept points que nous vous proposons sous forme de conclusions expriment notre position. Nous considérons que nous demeurons saisis de la question tant que la Commission n’a pas diffusé son nouveau projet de communication ni précisé l’agenda concernant son adoption.

M. Rudy Salles, co-rapporteur. Nous tenons à réaffirmer notre attachement à un principe fort, celui sur lequel repose le financement du cinéma français : la diffusion finance la création. C’est très important car c’est la diffusion de films américains qui finance la création des films français. Ce qui importe c’est le nombre d’entrées en salles, pas la nationalité des films visionnés. C’est ce principe qui a sauvé le cinéma français, et qui a également permis que le cinéma français soutienne le cinéma européen. Le cinéma italien, espagnol, se sont effondrés. En Espagne, la hausse de la TVA a, notamment, eu des conséquences désastreuses sur la fréquentation des salles. Ce principe explique que la France est aujourd’hui l’un des moteurs du cinéma européen. C’est cette vision que nous avons souhaité faire partager à Bruxelles lors de notre entrevue avec le commissaire en charge de la concurrence. Il ne s’agissait pas pour nous de défendre un modèle français pour défendre un modèle français, mais simplement à mettre l’accent sur la défense du cinéma européen. Or, il a pourtant été très difficile de convaincre le commissaire européen sur ce point, celui-ci privilégiant uniquement une approche en termes de concurrence, portefeuille dont il a la charge, au détriment de la diversité culturelle, qui nécessite une forme de dérogation au principe de la libre concurrence que par ailleurs nous soutenons. Il faut maintenir une pression terrible. Le vent ne souffle pas de notre côté. Nous avons clairement eu l’impression que du point de vue de la Commission la disparition du cinéma européen ne serait pas drame.

M. Jérôme Lambert. Votre communication est riche en informations utiles pour bien appréhender les enjeux relatifs à la situation de l’industrie cinématographique européenne .

Je souhaiterais apporter un simple commentaire, certes un peu distinct du sujet principal de votre rapport. Eu égard à l’importance des sommes consacrées en France à l’industrie cinématographique française il eût pu été utile d’avoir une connaissance précise de l’utilisation de ces fonds. Je fais directement allusion aux rémunérations des acteurs, évoquées lors des débats ouverts à l’occasion des polémiques provoquées par le comédien Gérard Depardieu. A cette occasion on a pu apprendre que certains acteurs français percevraient des cachets proportionnellement plus importants que ceux des acteurs américains. L’argent public est un indispensable soutien à la création, et je m’associe pleinement à vos conclusions. Néanmoins, dans un contexte de pénurie, il mérite d’être mieux évalué. Les rémunérations faramineuses de quelques acteurs, alors que le plus grand nombre d’entre eux a du mal à vivre de leur art, amènent à s’interroger sur l’évaluation des sommes allouées à l’industrie cinématographique.

La Présidente Danielle Auroi. Cela ne va probablement pas vous rassurer : lorsque j’étais eurodéputée, l’idée fixe du commissaire en charge de la culture était Nokia. Cela en dit long sur la logique européenne de la culture ! A la même époque, L’homme sans passé, film finlandais, avait pourtant reçu un excellent accueil du public. Le réalisateur a, à nouveau, était salué, à travers la réalisation du Havre, excellent film, mais cette fois-ci sous label français.

Le cinéma français résiste alors que les cinémas italien et allemand, qui ont été de grands cinémas, sont en grande difficulté. Qu’est-ce qui explique, d’après vous, la moindre résistance de ces industries cinématographiques à la concurrence américaine ? En quoi les soutiens de ces Etats à leurs industries cinématographiques seraient-ils défaillant ?

A Clermont-Ferrand, ma ville d’origine, se tient un festival du court métrage qui attire davantage de spectateurs qu’au festival de Cannes. Le court-métrage est un secteur vivace en Europe qui survit avec peu de moyens, de plus en plus restreints. Les comédiens qui y participent sont généralement bénévoles. Vous n’évoquez pas dans votre communication les politiques attenantes à cette forme particulière de cinéma.

M. Rudy Salles, co-rapporteur. A ce stade de nos travaux, nous sommes restés à un niveau d’analyse global. Le court-métrage, en tant que forme de création spécifique, sera bien entendu intégré au rapport final. Pour ce qui est du financement, nous devons dire que le système français, qui repose sur une taxe assise sur la billetterie, est particulièrement transparent, ce qui n’est pas le cas dans les autres États membres. La France pourrait, peut-être, les inciter à adopter un tel système. Il n’est pas question de faire du prosélytisme, de chercher à exporter notre modèle, mais il n’en demeure pas moins que la France est le fer de lance du cinéma européen et le seul cinéma en Europe qui résiste vraiment au cinéma américain. Sans les coproductions initiées par la France, il n’y aurait plus aujourd’hui de cinéma européen. N’oublions pas que, même en France, plus de la moitié du marché des films est aujourd’hui détenu par le cinéma américain. Il est encore trop tôt pour conclure mais la création d’un CNC à l’échelle européenne, comme moyen d’harmonisation des systèmes de gestion nationaux de l’industrie cinématographique européenne, pourrait être une piste de réflexion envisageable.

Mme Marietta Karamanli, co-rapporteure. Dans le rapport final, la répartition par postes de dépenses sera précisément mentionnée. Nous disposons des chiffres, le cadre de notre présente communication était de privilégier la présentation des enjeux.

Il faut bien garder présent à l’esprit que l’enjeu est politique. C’est l’histoire, la culture et l’identité européennes qui sont au cœur de ce sujet. Le plus choquant lors des entretiens que nous avons eus à Bruxelles avec la Commission c’était la totale abstraction qui a été faite de cette culture européenne. Quel est dès lors l’intérêt de construire l’Europe !

Veut-on aujourd’hui se satisfaire du seul modèle américain ? C’est une question de société, une question politique. La France refuse cette approche, les acteurs de l’industrie cinématographique également, ainsi que quelques autres États membres. Nous avons besoin de l’accompagnement financier des États membres, mais aussi de l’Europe, pour lutter contre l’hégémonie du modèle américain.

Aux États-Unis, commence à émerger également un nouveau cinéma, plus indépendant, qui aborde des sujets de société, à la manière du cinéma européen.

Nous continuerons donc le travail d’audition et d’argumentation pour faire évoluer la position de la Commission sur ce sujet. De même nous allons initier les autres parlements nationaux européens en mobilisant les différents acteurs du secteur-comédiens, producteurs mais également les politiques. C’est une action collective. Cela fait partie de notre bataille et nous ne devons pas oublier qu’il y a aussi des enjeux d’emploi dans ce domaine.

M. Rudy Salles, co-rapporteur. Concernant le cachet des comédiens auquel vous faisiez allusion, il ne représente pas plus de 8 % du budget de la production d’un film, en moyenne. Le cachet des comédiens est évidemment proportionnel à leur notoriété ; ils représentent une marque.

M. Jérôme Lambert. Selon les informations dont j’ai eu connaissance, les salaires des acteurs américains seraient inférieurs aux salaires des acteurs français.

La Présidente Danielle Auroi. Il y a effectivement des acteurs très bien payés en France, mais méfions-nous de l’arbre qui cache la forêt. La majorité des comédiens vivent dans des situations difficiles. On ne peut comparer les comédiens français et américains que si l’on considère l’entièreté du panel et non pas seulement les têtes d’affiche. Pour quelques-uns qui vivent bien, nombreux sont ceux qui font difficilement face sur le plan matériel.

M. Jean Luc Bleunven. Avec la disparition du cinéma nous encourons le danger de voir disparaître l’exception française et la francophonie. Concernant le cachet des acteurs, je ne pense pas que le libéralisme dans ce secteur soit la bonne solution. Nous avons besoin de garantir un certain bénéfice à l’industrie française du cinéma. Qu’en est-il de la mise en place d’une taxation sur les supports vierges ?

Mme Marietta Karamanli, co-rapporteure. Cela concerne plus particulièrement le secteur de l’audiovisuel ; pour le moment nous sommes axés sur la question du financement du cinéma. Toutefois cette question de l’audiovisuel – les séries télévisées notamment – et de son financement font partie des domaines à étudier. Les deux questions sont liées.

La Présidente Danielle Auroi. Merci. Nous encourageons nos rapporteurs dans l’établissement de leur rapport final sur cette question.

La Commission a ensuite adopté les conclusions suivantes :

« La Commission des affaires européennes,

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu l’article 3 du Traité sur l’Union européenne,

Vu l’article 107§d du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

Vu la Convention de l’Organisation des Nations-Unies sur l’éducation, la science et la culture, sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles signée à Paris le 20 janvier 2005,

Vu la proposition de Règlement du 23 novembre 2011 relative au programme « Europe creative »,

Vu la communication de la Commission au Conseil, au Parlement européen, au Comité économique et social et au Comité des régions concernant certains aspects juridiques liés aux œuvres cinématographiques et autres œuvres audiovisuelles (COM (2001) 534 final),

Vu le projet de communication de la Commission sur les aides d’Etat en faveur des aides cinématographiques et autres œuvres audiovisuelles publié le 14 mars 2012,

Vu l’accord partiel du Fonds européen de soutien à la coproduction et à la diffusion des œuvres de coopération cinématographiques et audiovisuelles Eurimages du Conseil de l’Europe du 26 octobre 1988,

1. Rappelle que l’Union européenne respecte le principe de la diversité culturelle, et qu’elle est partie à la Convention de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles ;

2. Rappelle que l’Union européenne a en matière de culture une compétence d’appui, et que les aides publiques de soutien aux secteurs culturels et patrimoniaux peuvent être exemptées des règles de la concurrence qui s’appliquent au sein du marché commun si elles ne sont pas contraire à l’intérêt commun ;

3. Précise que l’Union européenne participe au financement du cinéma européen, à travers le programme « Europe créative », qui remplace en partie le programme « Media », dont le but est de promouvoir la production et la diffusion du cinéma européen ;

4. Précise également que le Conseil de l’Europe participe aussi par le biais du Fonds Eurimages, au financement de la production et de la diffusion du cinéma européen ;

5. Souligne le fait que les Etats membres participent au financement européen du cinéma à travers le financement des co-productions et des productions cinématographiques nationales ;

6. Rappelle l’attachement au principe sur lequel repose le financement français du cinéma, à savoir, que la diffusion finance la création ;

7. Rappelle également que la Commission a autorisé la prorogation de l’autorisation des régimes d’aides cinématographiques et audiovisuels accordés par le Centre national de la cinématographie et de l’image animée, jusqu’en 2017 ;

8. Demeure attentive aux négociations actuelles entre les services de la Commission et le Gouvernement relatives à l’assiette de la taxe sur les fournisseurs d’accès à internet ;

9. Souligne le fait que la Commission ne souhaite pas adopter une nouvelle législation en matière de régulation de la diffusion des œuvres en fonction des différents supports techniques du fait de la révolution numérique, et considère que la régulation de la chronologie des médias demeure une compétence des États membres ;

10. Souligne néanmoins que l’assouplissement de la législation en matière de chronologie des médias dans certains Etats membres pourrait conduire au développement de plate-forme européennes mettant à la disposition des consommateurs une offre sous la forme de vidéo à la demande ;

11. Précise que le principe d’un assouplissement des règles relatives en matière de chronologie des médias ne serait acceptable pour faciliter l’accès aux œuvres cinématographiques qu’à condition que le prix proposé pour la diffusion de l’oeuvre sur support numérique ne mette pas en péril les autres formes de diffusion, en premier lieu desquelles se trouve la diffusion en salles ;

12. Demande la prorogation de la communication de la Commission sur les aides d’Etat en faveur des œuvres cinématographiques et autres œuvres audiovisuelles de 2001 ;

13. Demande également, que dans l’hypothèse où la Commission souhaiterait toujours réviser la communication de 2001, celle-ci :

- fournisse les études d’impact justifiant le changement des règles juridiques s’appliquant au secteur afin de respecter le principe de sécurité juridique ;

- maintienne la possibilité de dépense de 80 % d’un budget de production sur le territoire d’un État membre ;

14. Considère qu’elle demeure saisie de la question tant que le nouveau projet de communication de la Commission ni l’agenda inhérent à son adoption n’ont pas été publiés ;

15. Regrette que le nom du nouveau programme « Europe creative » ne permette plus d’identifier le programme « Media » dont la réussite était avérée ;

16. Soutient le principe de la création d’un mécanisme de prêt que propose le programme « Europe creative » pour financer les jeunes entreprises innovantes en matière de création artistique ;

17. Se félicite de l’augmentation de l’enveloppe budgétaire consacrée à « Europe creative » et notamment à la partie audiovisuelle du programme, et demande à ce que l’enveloppe budgétaire proposée par la Commission européenne pour le programme « Europe créative » sur la période 2014-2020 soit adoptée au niveau proposé. »

II. Communication de la présidente Danielle Auroi sur le lancement d’une coopération renforcée relative au projet de taxe sur les transactions financières

La présidente Danielle Auroi. Le 28 septembre 2011, la Commission européenne a adopté une proposition de directive du Conseil établissant un système commun de taxe sur les transactions financières (TTF). Cette proposition de directive avait pour objectif, dans un contexte où nombre d’Etats membres prenaient des mesures fiscales non coordonnées pour lutter contre la crise financière, de faire en sorte que les établissements financiers participent de manière équitable au coût d’une crise qu’ils avaient largement contribué à faire naître, ainsi que de garantir une égalité de traitement fiscal par rapport aux autres secteurs. Beaucoup ont oublié la responsabilité de départ du secteur financier dans la crise où nous débattons encore aujourd’hui.

Soutenue par le Parlement européen, qui a émis à son sujet un avis favorable le 23 mai 2012, ainsi que par le Comité économique et social européen et le Comité des régions, cette proposition n’a malheureusement pu voir le jour faute d’accord au Conseil européen.

Dans ces circonstances, onze Etats membres – France, mais aussi Belgique, Allemagne, Estonie, Grèce, Espagne, Italie, Autriche, Portugal, Slovénie, Slovaquie – ont adressé à la Commission européenne une demande officielle visant à la mise en place d’une coopération renforcée aux fins de l’établissement d’un système commun de taxe sur les transactions financières, et invitant la Commission à soumettre au Conseil une proposition en ce sens. L’Irlande, qui ne fait pas partie de la coopération renforcée, se montre toutefois bienveillante.

Nous ne pouvons que nous en réjouir, car cette taxe est attendue depuis longtemps par une partie des forces politiques, mais aussi de l’opinion européenne.

Juste un rappel concernant la procédure même de coopération renforcée avant d’en venir au fond même du sujet. C’est un instrument de justice fiscale qui va être mis en place.

Comme vous le savez, la coopération renforcée est une procédure relativement nouvelle, qui n’a été utilisée que deux fois depuis son introduction par le traité d’Amsterdam en 1997 : une première fois, en juillet 2010, pour la détermination de la juridiction compétente en matière matrimoniale pour les couples binationaux, et, une deuxième fois, très récemment, pour le brevet unitaire.

« Intégration différenciée », la coopération renforcée permet de faire avancer la construction européenne en cas d’opposition de la part d’un certain nombre d’Etats membres dans le champ des compétences exigeant l’unanimité, en offrant aux Etats membres désireux d’aller plus loin et plus vite la possibilité de le faire sans avoir à recourir à des accords intergouvernementaux extra-communautaires.

Cette procédure est encadrée par un certain nombre de conditions juridiques, imposées aux articles 20 du traité sur l’Union européenne (TUE) et 326 à 329 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), que la présente proposition de décision du Conseil remplit.

En effet, et notamment, la coopération renforcée contribuera bien « à favoriser les objectifs de l’Union, à préserver ses intérêts et à renforcer son processus d’intégration » en matière d’harmonisation fiscale. Elle ne contreviendra en rien aux « traités et [au] droit de l’Union » ni aux « compétences, droits et obligations des États membres qui n’y [participeront] pas, et elle a bien été choisie « en dernier ressort », une fois établi « que les objectifs recherchés […] ne peuvent être atteints dans un délai raisonnable par l’Union dans son ensemble ». Enfin, les États membres désireux de s’engager dans cette coopération renforcée sont au nombre de onze, soit deux de plus que le nombre minimal exigé. Il y a fort à parier qu’une fois mise en place, d’autres Etats la rejoindront.

Qu’en est-il sur le fond ?

La mise en place d’une taxe sur les transactions financières, héritière de la taxe Tobin que j’avais à titre personnel défendue avec Harlem Désir lorsque j’étais députée européenne, présente en effet, même à l’échelle de onze pays et non de l’Union entière, une avancée considérable en ce qu’elle constitue une juste manière de taxer les principaux « fauteurs de crise », à savoir le secteur financier au sens large. Point besoin d’épiloguer sur la crise et ses effets ; je rappellerai simplement que, de son fait, la dette publique des États membres a bondi de 60 à 80 % du PIB et que les États ont consacré plus de 4 600 milliards d’euros à la sauvegarde du système financier, et ce alors même que la spéculation financière bénéficie d’une quasi « franchise fiscale », qui explique sans doute en partie la progression exponentielle des volumes d’échange sur les marchés financiers au cours du dernier quart de siècle. Certes, les banques ont vite remboursé les Etats : cette rapidité même doit nous interroger sur la réalité de leurs difficultés.

La taxe sur les transactions financière repose sur un mécanisme simple : celui du prélèvement d’une taxe sur toutes les opérations sur instruments financiers – actions, obligations, devises étrangères, produits dérivés – effectuées entre institutions financières
– banques, bourses, sociétés d’investissement, compagnies d’assurance, hedge funds –, aussi bien sur les marchés organisés que dans le cas de transaction de gré à gré, soit environ 85 % des transactions financières. En ce sens, elle constitue une véritable « TVA financière ». En renchérissant le coût de chaque échange, elle cible spécifiquement la spéculation de court terme, qui repose sur un très grand nombre d’opérations dégageant chacune une marge infime. Une taxe, même à très faible taux – et ce sera le cas – pénalise fortement ces pratiques d’une finance automatisée, informatisée et déconnectée de l’économie réelle, et donc vécue comme très injuste par nos concitoyens.

La TTF revêt une double dimension : elle est à la fois un instrument de lutte contre la spéculation et un moyen de dégager des ressources nouvelles, qui peuvent préfigurer un budget autonome.

De fait, les arguments politiques en faveur de la TTF, dont le taux demeurerait minime – la précédente proposition de directive envisageait des taux maximum allant de 0,01 à 0,1 % – sont forts. La TTF permet en effet de lutter contre la spéculation qui déstabilise l’économie réelle et crée une économie « casino », où l’argent devient le principal objet d’échange, et où le risque de développement de bulles spéculatives est trop fort. Elle permet en outre de réduire le pouvoir social de la finance et des détenteurs de capitaux, qui peuvent en un instant déplacer des millions d’euros d’une place financière à une autre et déstabiliser les économies des Etats qu’ils mettent en concurrence les uns avec les autres. Elle est enfin un moyen de créer une ressource nouvelle à l’échelle des pays qui vont mettre en place la coopération renforcée, dans un contexte budgétaire tendu. À 27 pays, elle permettrait de lever 57 milliards d’euros par an, ce qui est évidemment considérable. La recette à onze pays est, quant à elle, évaluée par la Commission à 34 milliards d’euros, ce qui demeure conséquent.

Le texte que nous examinons aujourd’hui vise à autoriser la mise en œuvre d’une coopération renforcée et ne contient pas d’éléments techniques sur les modalités de mise en œuvre de la taxe – assiette, taux, affectation du produit. Il ne contient d’ailleurs qu’un article unique.

On peut toutefois penser que la proposition de directive qui sera présentée par la Commission suite à l’autorisation de la coopération renforcée s’inspirera largement de la proposition de septembre 2011, et qu’elle visera à établir une taxe ayant vocation à avoir le champ le plus large.

De fait, les onze États à l’origine de la coopération renforcée ont clairement fait part à la Commission de leur souhait que son champ d’application et ses objectifs soient fondés sur sa proposition de septembre 2011, et fait mention de la nécessité d’éviter les possibilités de contournement de la taxe, les distorsions de concurrence, et les transferts vers d’autres juridictions.

Vous goûterez l’esprit d’à propos de la Commission européenne qui, dans son document de présentation de la proposition de directive, précise que la proposition initiale répondait à un triple A : « All markets– tous les marchés ! All instruments – tous les produits ! All actors – tous les acteurs du marché ! ».

Mais à onze pays, tous les marchés ne seront pas concernés, et certaines questions demeurent pour lesquelles nous ne devrons le moment venu faire preuve de vigilance.

Quels seront le taux et l’assiette de la taxe ? A priori, la proposition de la Commission ne devrait pas fondamentalement différer de la proposition initiale sur ces deux points, mais il conviendra d’y être attentif. Nous ne devons pas « lâcher » sur ce sujet.

Quelles seront les règles de territorialité ? Le principe dit « de résidence » (au moins une des deux parties doit résider dans un des Etats partie à la coopération renforcée) ne doit pas être exclusif mais bien accompagné du principe dit « d’émission », afin de bloquer tout risque de contournement. Il faut en effet se méfier: pour être efficace, la taxe sur les transactions financières ne doit pas pouvoir être contournée, et les produits émis dans un pays soumis à la taxe doivent être taxés quel que soit le lieu où ils sont échangés.

Comment les recettes seront-elles affectées ? La « manne » relative que représentent les 34 milliards d’euros évalués par la Commission européenne devra, bien sûr et en premier lieu, permettre d’alléger la pression sur les finances publiques des Etats, en allégeant leurs contributions nationales au budget européen. C’est évidemment dans la logique européenne. Les débats risquent d’ailleurs d’être nourris entre les partisans de la création d’une ressource propre de l’Union et ceux, comme l’Allemagne, qui souhaitent pouvoir garder le contrôle national de l’affectation du produit de la taxe.

N’oublions pas toutefois que la taxe Tobin a aussi été pensée à l’origine comme un moyen permettant de lever des ressources au profit de l’aide au développement des pays du Sud, que ce soit en terme d’aide à l’adaptation au changement climatique, d’alphabétisation ou de promotion de la place des femmes, qui sont des engagements européens. Le contexte budgétaire actuel, qui invite à affecter le produit de la taxe à la résorption des déficits, ne doit pas nous faire oublier l’historique de cette taxe et sa légitimité. Au vu de ce qui se passe actuellement en Afrique, nous avons intérêt à avoir des moyens à consacrer à l’aide au développement, pour bien rappeler notre solidarité avec les pays du Sud.

En conclusion, je rappellerai que les onze pays déterminés à appliquer une TTF commune devront encore s’entendre à l’unanimité sur le détail de leur projet. Espérons qu’ils y parviendront et que cette coopération renforcée, heureux premier pas, ouvrira la voie à une coopération à l’ensemble des pays de l’Union, puis à une TTF à l’échelle mondiale.

Je vous propose de donner un avis favorable au nom de notre commission sur cette proposition de décision du Conseil.

M. Jérôme Lambert. Vous avez, Madame la Présidente, le soutien de toute la Commission. Je souscris totalement à ce que vous avez dit. J’abonde dans votre sens lorsque vous relevez que l’évolution des mécanismes de financement de l’économie est préoccupante. Autrefois, l’actionnariat investissait dans l’entreprise, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Nous constatons ainsi que la durée de détention des actions, auparavant de plusieurs mois, est aujourd’hui de l’ordre de la seconde. Ce mouvement est fou, ce n’est pas le signe d’une croyance dans l’entreprise. Cette situation justifie une taxation car cette finance n’est pas au service de l’économie et fait preuve d’une extraordinaire volatilité.

M. Jean-Luc Bleunven. Quelle est la position des seize pays qui ne sont pas partie à la coopération renforcée ?

La présidente Danielle Auroi. Je sais que l’Irlande ne s’oppose pas à la mise en œuvre de ce texte, même si ils n’ont pas l’intention d’y participer. Il faudrait également y intégrer les pays entrés le plus récemment dans l’Union européenne, en particulier les Polonais. Je suis convaincue que d’autres pays viendront, même s’ils ont aujourd’hui une position attentiste. La Commission européenne fera des propositions plus affinées pour la mise en œuvre de ce texte.

III. Nomination de rapporteurs

Sur proposition de la Présidente Danielle Auroi, la Commission a nommé rapporteurs d’information :

– M. Arnaud Leroy, sur le 7e programme d’action pour l’environnement ;

– MM. Christophe Caresche, Bernard Deflesselles, Michel Herbillon et Jérôme Lambert, sur l’Union européenne et le G20.

La séance est levée à 17 h 45

Membres présents ou excusés

Commission des affaires européennes

Réunion du mardi 29 janvier 2013 à 16 h 30

Présents. – Mme Danielle Auroi, M. Jean-Luc Bleunven, Mme Marietta Karamanli, M. Jérôme Lambert, M. Rudy Salles

Excusés. – Mme Chantal Guittet, M. Pierre Lequiller, M. Jean-Claude Mignon