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Commission des affaires européennes

mercredi 30 janvier 2013

16 heures 30

Compte rendu n° 31

Présidence de Mme Danielle Auroi Présidente

Audition de Mme Geneviève Fioraso, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, sur la politique européenne de la recherche.

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mercredi 30 janvier 2013

Présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente de la Commission,

La séance est ouverte à 16 h 30

Audition de Mme Geneviève Fioraso, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, sur la politique européenne de la recherche.

La présidente Danielle Auroi. C’est avec beaucoup de plaisir que nous recevons aujourd’hui Mme Geneviève Fioraso, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Je regrette qu’un grand nombre de nos collègues soient retenus par l’examen en séance publique du projet de loi sur le mariage, mais ils pourront de toute façon se référer au compte rendu de nos échanges.

Les politiques dont vous avez la charge, madame la ministre, ont une forte composante européenne, et il est donc naturel qu’elles mobilisent activement notre commission. Nous avons ainsi nommé deux rapporteurs d’information, Audrey Linkenheld et Jacques Myard, sur les questions relatives à la politique européenne de recherche. Ils présenteront leurs conclusions à la fin du mois de mars.

La nécessité de trouver de nouvelles sources de développement et d’emploi pour les décennies à venir nous impose de consacrer des moyens importants à l’effort de recherche et d’innovation, de façon à gagner en compétitivité, le tout dans l’esprit de la stratégie « Europe 2020 ». En tant qu’élue du groupe Écologiste, je regrette au passage que l’on n’ait pas toujours pris suffisamment conscience de ce que l’écologie pouvait apporter à la recherche et à l’innovation.

Cela étant, la crise des dettes souveraines et le resserrement de la contrainte budgétaire dans les pays de l’Union européenne interdisent d’ouvrir des chantiers trop dispendieux. Le projet de 8e programme cadre de recherche et de développement (PCRD) pour les années 2014 à 2020, rebaptisé « Horizon 2020 », reflète cette double contrainte. Et notre crainte est qu’il fasse en partie les frais des négociations difficiles sur le cadre financier pluriannuel. L’enveloppe initialement proposée par la Commission, soit 80 à 90 milliards d’euros, risque d’être amputée. Début janvier, à Bruxelles, vous avez fixé à 67 ou 70 milliards d’euros le seuil minimal en deçà duquel le financement de la recherche serait insuffisant. Considérez-vous toujours qu’il s’agit d’une ligne à ne pas franchir ? En tout état de cause, vous pouvez être assurée de nous avoir à vos côtés dans ce combat.

Qu’en est-il de la recherche sur l’énergie ? Deux ans après Fukushima, vingt ans après Tchernobyl, alors que les États-Unis sont en train de fermer un certain nombre d’installations pleines de microfissures, la sûreté nucléaire reste un enjeu fort, mais sans que le financement correspondant soit nécessairement disponible, car elle a un coût très élevé. En ce domaine, les faits ont montré que des situations exceptionnelles et imprévisibles pouvaient remettre en cause les jugements les mieux établis. Il semble donc nécessaire d’entamer la transition vers un meilleur mix énergétique, davantage tourné vers les énergies renouvelables et s’appuyant sur une meilleure efficacité énergétique. Un tel choix serait courageux et ne manquerait pas d’avoir des effets sur la recherche dans le domaine de l’énergie. Les orientations des programmes cadres Horizon 2020 et Euratom prennent-elles ces impératifs suffisamment en compte ?

Le brevet européen à effet unitaire est un autre sujet d’actualité qui concerne largement votre ministère. Les deux règlements sur le fonctionnement du nouveau système et sur son régime linguistique ont été adoptés, dans le cadre de la coopération renforcée, par vingt-cinq États – soit tous les membres de l’Union à l’exception de l’Italie et de l’Espagne. Mais il reste à ratifier l’accord international relatif à la juridiction spécialisée compétente pour trancher les litiges. À quel moment l’Assemblée nationale sera-t-elle saisie du dossier ? Le français étant, avec l’anglais et l’allemand, l’une des trois langues officielles retenues, il paraît important que notre pays fasse preuve de diligence afin d’entraîner ses partenaires.

Nous suivons également très attentivement les évolutions du programme Erasmus, à propos duquel notre collègue Sandrine Doucet s’est vue confier un rapport. Non seulement cet outil rencontre un vif succès, mais il tire avec lui d’autres programmes moins connus, comme Socrates. Erasmus constitue l’une des réussites certaines de l’Europe et participe à la construction d’une identité européenne forte. Quels moyens lui seront finalement alloués après arbitrage budgétaire ? Vous vous êtes récemment déclarée en faveur d’une démocratisation de ce programme d’échanges. Pouvez-vous nous préciser en quoi elle consisterait ?

Enfin, le classement de Shanghai est devenu de plusieurs années une référence incontournable du monde académique, mais les standards sur lesquels il s’appuie et les critères utilisés – nombre d’articles publiés, visibilité des universités – semblent contestables. Le projet européen de classement alternatif, U-multirank, constitue à cet égard une excellente initiative. Quels critères seront privilégiés, et quelles en seront les conséquences pour les universités françaises, notamment en termes de publications ?

Mme Geneviève Fioraso, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Je remercie les députés présents d’avoir résisté aux sirènes d’un hémicycle passionné pour débattre de la politique européenne de la recherche !

Je suis moi-même une Européenne convaincue. Au cours de ma vie professionnelle, j’ai participé à de nombreux projets européens, notamment dans le domaine de la sûreté des installations nucléaires ou des centrales thermiques. L’Europe est selon moi indissociable de tout programme d’innovation, de recherche ou d’enseignement supérieur. En effet, nous ne survivrons dans l’économie internationale que si nous sommes davantage européens, qu’il s’agisse de l’amont, au travers de la recherche et de l’enseignement supérieur, ou de l’aval, avec la production de services et de produits. Le niveau européen est essentiel dans les secteurs totalement mondialisés de l’innovation et de la qualification. La connaissance est devenue le facteur de compétitivité le plus important : tous les efforts que nous pourrons consentir pour alléger le coût du travail resteront inutiles si nous négligeons la qualité de la formation et de la recherche et les fruits que peut en tirer l’industrie.

Cette ambition est toutefois insuffisamment partagée. Une des premières choses que j’ai constatées, à mon arrivée à ce ministère, est d’ailleurs le recul de notre contribution aux projets européens en matière de recherche. Je reviendrai sur les causes de ce phénomène, mais sachez que je mène actuellement une campagne pour convaincre les organismes de recherche et les laboratoires d’y participer davantage.

Dès mes premiers contacts au niveau européen, j’ai mesuré combien était bien reçue la volonté du Président de la République d’installer la croissance sur deux pieds : la maîtrise des dépenses publiques d’une part, l’innovation et la compétitivité par la qualité de l’autre. J’ai même été étonnée d’entendre une commissaire aussi libérale que Máire Geoghegan-Quinn, chargée de la recherche et de l’innovation, qualifier François Hollande de « my hero » ! Ce n’est certainement pas le signe d’une adhésion politique, mais l’Europe est en attente d’un rebond grâce à l’innovation, à l’élévation du niveau de qualification et au développement d’une recherche de qualité, qu’elle soit fondamentale ou technologique. Ma volonté de travailler à l’échelle européenne, déjà forte, s’en est trouvée décuplée.

J’ai ainsi décidé de mettre en harmonie notre agenda stratégique de la recherche avec le programme Horizon 2020. À vrai dire, un tel agenda n’existait même pas : je mets au défi quiconque de pouvoir énumérer les cinq ou six priorités de la France en matière de recherche. Notre recherche est d’excellente qualité mais ne fait pas l’objet d’une stratégie déterminée.

Vous avez ainsi marqué, madame la Présidente, votre souhait d’orienter plus nettement notre recherche vers la transition énergétique, les énergies renouvelables ou l’efficacité énergétique. De fait, de nombreuses recherches sont menées dans ces domaines, mais il n’existe ni volonté de mutualisation, ni base de données disponible permettant d’en évaluer le niveau. Elles restent trop diffuses et se superposent en multiples couches. Comme dans d’autres secteurs, l’organisation de la recherche et de l’enseignement supérieur constitue un véritable millefeuille qui nous empêche d’adopter une vision globale et de nous projeter vers 2020.

La stratégie Horizon 2020 vise donc à se concentrer sur certaines priorités : l’efficacité énergétique et la lutte contre le réchauffement climatique, la lutte contre les pandémies, l’accompagnement du vieillissement, les énergies renouvelables, le numérique et le développement des technologies – notamment des KET, les key unabling technologies, ces « technologies génériques capacitantes » susceptibles d’accélérer les découvertes scientifiques : biotechnologies, nanotechnologies, génomique, protéomique, etc.

Les sciences humaines et sociales ne doivent pas non plus être négligées, en particulier le dialogue entre science et société. L’organisation de certains débats publics récents a montré que notre pays, en la matière, ne possédait ni la méthode ni l’état d’esprit adéquat.

L’agenda stratégique de la recherche que je prépare actuellement sera inscrit dans la loi sur l’enseignement supérieur et la recherche. Il sera mis en harmonie non seulement avec les priorités du programme cadre européen, mais aussi avec les Alliances, c’est-à-dire les regroupements dont dispose notre recherche autour de cinq grands thèmes : les sciences de la vie et de la santé, l’énergie, l’environnement, les sciences humaines et sociales, et les sciences et technologies de l’information. Il sera élaboré en lien avec l’Assemblée nationale et le Sénat, via l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques – un organisme que je connais bien pour y avoir siégé pendant cinq ans –, ainsi qu’avec un conseil stratégique de la recherche, installé auprès du Premier ministre, que je présiderai par délégation.

Les défis auxquels nous sommes confrontés – lutte contre les pandémies, accès aux ressources, efficacité énergétique, énergies renouvelables, etc. – ne connaissent pas les frontières. Si nous voulons nous améliorer sur le plan international, si nous voulons traduire notre recherche en emplois et en filières, nous sommes obligés de passer par l’Europe.

Non seulement mon ministère a fait le choix de l’Europe, mais il a souhaité rompre avec l’isolement de l’enseignement supérieur et de la recherche en les plaçant au cœur du redressement économique, social et environnemental de notre pays.

Vous avez exprimé des préoccupations à propos du volet financier de la politique de recherche. Comme vous le savez, le cadre financier pluriannuel de l’Union européenne pour la période 2014 à 2020 n’est pas encore précisément défini. Mais, dans ce domaine également, notre pays a exprimé sa volonté d’avancer sur deux jambes : d’une part la cohésion sociale et la politique agricole commune, de l’autre la compétitivité, l’innovation, la recherche et la mobilité étudiante. La France a été la première à accepter la proposition d’Herman Van Rompuy de fixer à 983 milliards d’euros le montant du budget pluriannuel de l’Union et de maintenir un soutien équilibré à toutes les politiques publiques européennes. De ce point de vue, notre pays se distingue d’autres partenaires historiques comme l’Allemagne ou le Royaume-Uni, qui penchent plutôt pour une réduction du budget.

Il n’est cependant pas question de sacrifier la connaissance à la cohésion. D’ailleurs, donner la priorité à l’enseignement supérieur, aux échanges scientifiques et à l’innovation revient à préparer les emplois de demain : c’est donc également un facteur de cohésion sociale. À cet égard, l’opposition souvent effectuée entre politique de cohésion et économie de la connaissance est artificielle : comment assurer une cohésion si nous ne pouvons pas proposer des emplois ?

Nous plaidons en particulier en faveur d’un soutien au programme Horizon 2020 et à ses priorités scientifiques, mais aussi de programmes tels que ITER (International Thermonuclear Experimental Reactor), Euratom, GMES (Global Monitoring for Environment and Security), Galileo et Erasmus pour tous. À Bruxelles, où je me rends très souvent, la France réclame le maintien d’ITER et de GMES dans le budget de l’Union européenne, de façon à donner à ces programmes de moyen et long terme une certaine constance et une certaine visibilité. S’agissant du financement d’ITER, le commissaire chargé de l’énergie, Günther Oettinger, que j’ai rencontré à Cadarache il y a quinze jours, se montre raisonnablement optimiste quant à la perspective de maintenir le budget à 2 milliards d’euros. En revanche, concernant GMES, il est proposé un budget de 3,85 milliards d’euros, alors que nous demandions 4,5 milliards. Le budget d’Erasmus, quant à lui, serait fixé à 15 milliards d’euros, dont une partie serait toutefois proposée sous forme de prêts. Pour autant, cela représente une augmentation significative par rapport à la période 2007-2013, ouvrant la voie à une amplification du programme et à un ciblage vers les milieux les plus modestes. Je précise que cette somme prend en compte les 2 milliards d’euros consacrés à la politique de voisinage.

Cela étant, rien n’est stabilisé, et il faut s’attendre à de nouveaux ajustements. Ainsi, alors que M. Van Rompuy avait proposé un budget de 80,5 milliards d’euros pour Horizon 2020, la négociation porte aujourd’hui sur un montant d’environ 70 milliards d’euros, ce qui représenterait encore une augmentation de 20 % par rapport à la période précédente. Même si elle ne permettrait pas de répondre complètement à nos ambitions, une telle somme resterait acceptable.

Par ailleurs, il est question d’étendre le bénéfice du financement à la recherche technologique et à l’innovation. Jusqu’à présent, la Commission européenne veillait à ce que la politique communautaire de la recherche se concentre sur les travaux scientifiques effectués en amont, au détriment du développement et des applications industrielles. Elle a fini par prendre conscience que l’effet de l’innovation sur la compétitivité de notre industrie jouait surtout à l’extérieur de l’Union européenne. De même, c’est assez récemment qu’elle a pris conscience que l’on ne pouvait s’attendre à aucune croissance en perdant notre industrie. Il y a encore cinq ans, j’entendais dire, dans les milieux européens, qu’il était archaïque de vouloir maintenir la production industrielle sur nos territoires. Nous n’en sommes plus là, et la priorité donnée aux KET ou la création de l’EIT (European Institute of Innovation and Technology, ou Institut européen d’innovation et de technologie sont le signe d’une intégration dans les programmes européens de la recherche technologique, celle qui irrigue directement l’industrie, assure le maintien des emplois et la création de nouvelles filières.

Je l’ai dit, la participation de la France aux programmes de recherche européens a diminué : alors qu’elle est le deuxième contributeur européen, avec 16,5 % du financement, derrière l’Allemagne, avec 19,7 %, elle n’est que le troisième bénéficiaire du 7e programme cadre de recherche et de développement technologique (PCRDT) et ne reçoit que 11,4 % des aides. Le recul enregistré peut s’expliquer par la frénésie d’appels d’offres nationaux que nous avons connue lors du dernier quinquennat, avec l’Agence nationale de la recherche (ANR), le programme d’investissements d’avenir ou les clusters. Nos chercheurs se sont ainsi détournés des financements européens, qui leur paraissaient plus compliqués à obtenir. La nécessité de parler le « bruxellois », les discussions sur la simplification des programmes de recherche ou le conflit – finalement résolu – entre le Centre national de la recherche scientifique et la Commission ont sans doute eu également un effet dissuasif. Rappelons que, pour chaque euro investi dans le 7e PCRDT, la Suisse, qui n’est pourtant pas membre de l’Union européenne, obtient trois euros pour ses projets.

Ce phénomène est d’autant plus regrettable que nous avons l’un de meilleurs taux de réussite : 25 % de nos demandes de financement sont acceptées, soit plus qu’en Allemagne ou au Royaume-Uni. Non seulement ce recul de la participation a des incidences sur la nécessaire diversification des sources de financement, non seulement il limite notre capacité à travailler avec nos partenaires européens, mais il réduit le rayonnement européen de notre culture – marquée par l’universalité et la défense de l’intérêt général. J’ai donc organisé plusieurs réunions de sensibilisation avec les organismes de recherches, ainsi qu’une rencontre avec Mme Geoghegan-Quinn. J’ai également participé à plusieurs réunions de la Conférence des universités en présence de Mme Anfroulla Vassiliou, commissaire européenne chargée de l’éducation, de la culture, du multilinguisme et de la jeunesse, et invité cette dernière au ministère afin de travailler sur l’EIT. J’essaie de faire le lien, de faciliter les partenariats entre les universités, les organismes de recherche et l’Europe. De même, nous avons tenu une réunion d’information sur les KET, ainsi que plusieurs réunions de travail avec mes homologues européens. J’ai enfin beaucoup travaillé avec les Allemands pour parvenir à une position convergente sur l’espace, ce qui a donné lieu au lancement, après de nombreuses difficultés, du programme Ariane 6.

Je me suis par ailleurs battue en faveur de la simplification des programmes de recherche, de façon à faciliter l’accès aux financements européens des PMI-PME et des organismes de recherche publics. Notre succès dans ce domaine doit toutefois être ratifié par le Parlement européen. Or un de ses membres, le député allemand Christian Ehler, vient de lancer, sous la forme d’un rapport, une contre-offensive anti-simplification, alors même que la ministre allemande de la recherche, Mme Annette Shavan, est tout aussi convaincue que moi de l’intérêt de cette démarche. Il est vrai qu’au niveau européen, tout prend du temps et rien n’est jamais gagné. Nous avons l’accord des ministres mais il nous reste à convaincre le Parlement européen.

Je souhaite par ailleurs pousser les feux de la recherche technologique, qui représente un peu plus de 5 % de la recherche en France, contre près de 20 % aux États-Unis et en Allemagne. La recherche technologique, outre-Rhin, est transférée par les Fraunhofer, chargés de faciliter les relations entre la recherche fondamentale et les entreprises. Un tel lien n’a rien de naturel : le représentant d’une entreprise, quand il visite un laboratoire de recherches, voit des gens élaborer des algorithmes ou des courbes compliqués sur des ordinateurs et entend d’obscures explications qui ne lui permettront pas d’établir un rapport avec sa propre activité. Des médiateurs sont nécessaires ; il appartient à la recherche technologique de tenir ce rôle. Les PMI et PME doivent trouver des interlocuteurs, des entrées d’usage orientées vers le marché et donc susceptibles de créer des emplois. Ces entrées d’usage correspondent aux thèmes du futur agenda stratégique de la recherche : santé, mobilité, ville durable, culture, etc. La direction de la recherche technologique du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) a déjà installé de tels espaces de démonstration à Grenoble et à Saclay. Depuis, nous avons créé, avec le Premier ministre et le ministre du redressement productif, trois nouvelles plateformes régionales de transfert technologique, installées à Toulouse, à Bordeaux et à Nantes, et une quatrième sera implantée en Lorraine.

Au niveau européen, les KET ont le même objectif : trouver des usages à l’innovation. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le directeur technique de la recherche technologique du CEA, Jean Therme, a été chargé par M. José Barroso de présider le groupe de haut niveau sur les KET. C’est aussi un moyen de contourner la Commission européenne, chargée de veiller à la libre concurrence, dont l’erreur est de se concentrer sur la compétition interne à l’Union plutôt que sur celle qui sévit à l’extérieur de l’Europe. Nous serons donc très attentifs à l’effet sur les KET des arbitrages budgétaires à venir.

J’en viens aux grands programmes structurants, notamment à ITER. À la limite, il importe peu que l’on soit ou non favorable à la technologie nucléaire : l’intérêt d’un tel projet est de réunir sur le long terme des scientifiques du monde entier. Les découvertes qui en résulteront dépasseront largement le domaine du nucléaire. Certes, personne ne peut affirmer avec certitude que nous disposerons, dans cinquante ans, d’un réacteur à fusion susceptible de produire très peu de déchets.

La présidente Danielle Auroi. Sur ce point, nous sommes d’accord !

Mme Geneviève Fioraso. Cela reste toutefois l’objectif à atteindre. Quoi qu’il en soit, l’intérêt d’un tel programme structurant est de faire travailler ensemble des scientifiques du monde entier, qu’ils viennent de la recherche fondamentale ou de la recherche appliquée. Or il existe très peu de projets de cette envergure aujourd’hui. Bien sûr, il faut en maîtriser les coûts, mais l’aéronautique ou le nucléaire sont les seuls secteurs qui permettent de réaliser cette synergie de l’intelligence. Leurs applications couvrent en effet tous les domaines, de la santé aux matériaux en passant par les textiles intelligents. Ils permettent de diffuser l’innovation dans l’ensemble du tissu industriel, et rendent également possible le développement de procédés plus propres, plus vertueux et prenant en compte leurs propres déchets, selon le principe de l’économie circulaire.

Je conçois que vous ne partagiez pas entièrement mon enthousiasme sur ces projets, madame la Présidente, mais leur intérêt scientifique et les bénéfices que l’on peut en retirer en termes de diffusion de la connaissance sont objectivement très importants. Je respecte vos convictions, mais ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain.

Un autre intérêt de la stratégie Horizon 2020 est de permettre la correction d’un travers de l’ANR, le recours excessif aux appels d’offres annuels. Il est en effet idiot d’imposer à un chercheur – en particulier en recherche fondamentale – de partir chaque année à la chasse aux crédits, car aucun chercheur ne peut préjuger de l’application de ses recherches. Il suffit d’interroger nos nombreux chercheurs ayant obtenu des distinctions telles que le prix Nobel. Lorsqu’il a entrepris ses carottages dans les glaces de l’Antarctique, Claude Lorius pouvait-il savoir que trente ans plus tard, ils serviraient d’indicateurs pour l’étude du réchauffement climatique ? Ce glaciologue réputé est un de nos chercheurs les plus primés à l’étranger. De même, si Serge Arroche suppose que ses recherches en optique quantique sont susceptibles de permettre la construction d’ordinateurs plus puissants et moins consommateurs d’énergie, il est incapable de prédire exactement sous quelle forme elles trouveront une application.

Malgré cela, pour attribuer des financements, l’ANR réclamait ce qu’elle appelle des « livrables », traduction littérale de l’anglais deliverables. Or les chercheurs, s’ils sont passionnés, sont aussi extrêmement intègres : inventer des résultats impossibles à prévoir reviendrait pour eux à trahir la déontologie. L’usage d’un tel critère était donc totalement inadapté. Voilà pourquoi j’ai demandé à l’ANR de consacrer davantage de moyens à long terme en faveur de la recherche fondamentale, et incité les chercheurs concernés à prendre part aux projets structurants. Le moyen et le long terme doivent être en effet privilégiés, le rythme de la recherche fondamentale n’étant pas compatible avec celui, annuel, de la politique budgétaire.

C’est pourtant cette forme de recherche qui génère toutes les innovations de rupture, tandis que la recherche technologique est à l’origine des innovations incrémentales, c’est-à-dire de celles qui font sauter, étape après étape, les verrous technologiques. Or le retour sur investissement de l’une est sept fois plus important que celui de l’autre. C’est pourquoi nous avons intérêt à soutenir une recherche fondamentale de qualité, afin de pouvoir en cueillir le fruit plus tard. Même la recherche en sciences humaines et sociales finit par générer des innovations économiquement intéressantes.

Vous m’avez par ailleurs interrogée sur le brevet européen à effet unitaire, enfin adopté après trente-cinq ans de discussions – par vingt-cinq pays européens, soit la totalité des membres de l’Union à l’exception, malheureusement, de l’Italie et de l’Espagne. L’accord international mettant sur pied la juridiction unifiée en matière de brevet doit, quant à lui, être ratifié par au mois treize pays signataires. Le processus n’est donc pas achevé.

Le brevet unitaire présentera l’avantage de réduire considérablement les coûts de protection des inventions, qui passeront d’environ 36 000 euros actuellement à moins de 6 000 euros. C’est une grande avancée, en particulier pour les organismes de recherche publics, les petites et moyennes entreprises ou les entreprises de taille intermédiaire. Certes, au niveau européen, l’instruction d’un brevet, et en particulier la recherche d’antériorité, est déjà centralisée par l’Office européen des brevets (OEB). Mais le demandeur, en cas d’avis favorable de l’OEB, est par la suite contraint de faire valider la protection par l’administration spécialisée de chaque pays de l’Union. Il en résulte des frais de traduction très élevés, une grande insécurité juridique – les différences linguistiques étant susceptibles de générer un important contentieux –, une veille technologique très dispersée et donc peu efficace, et une fragmentation territoriale de la protection, qui peut prendre différentes formes selon les pays. Au contraire, lorsque le nouveau système sera entré en vigueur, le demandeur pourra réclamer à l’OEB une protection automatique et uniforme du brevet unitaire dans les vingt-cinq États membres participants.

Selon l’accord, les demandes devront être introduites en anglais, en allemand ou en français. Cependant, un résumé sera disponible dans toutes les autres langues.

J’en viens aux programmes Erasmus, qui revêtent une grande importance à nos yeux. La France est le deuxième pays d’Europe à y recourir, juste derrière l’Espagne : 31 000 étudiants français partent chaque année dans d’autres pays, tandis que nous accueillons 26 000 étudiants étrangers.

Cependant, une enquête sociologique a montré qu’Erasmus concernait davantage les filles que les garçons, et plutôt les élèves des écoles d’ingénieurs ou de commerce que les jeunes fréquentant l’université. Mais surtout, il bénéficie moins aux étudiants issus des classes sociales les plus modestes : 60 % des boursiers ont au moins un parent ayant suivi des études supérieures. C’est ce qui m’a amenée à juger Erasmus trop « bobo ».

L’obstacle peut être financier mais aussi culturel : même lorsqu’ils sont susceptibles de réunir des ressources suffisantes, notamment grâce au complément de bourse versé par les régions, les étudiants les plus modestes, qui souvent n’ont jamais voyagé, ont une plus grande appréhension à franchir le pas.

J’ai donc souhaité que les filières professionnelles et technologiques soient davantage ciblées par les programmes Erasmus. En effet, dans les secteurs concernés – comme le tourisme ou la restauration –, une expérience internationale figurant sur le CV donne l’opportunité de mener une carrière plus intéressante et de progresser plus rapidement. Pourtant, les étudiants de ces filières sont aujourd’hui moins nombreux à bénéficier des programmes d’échange.

Je suis donc allé plaider leur cause auprès de plusieurs commissaires européens et présidents de commission parlementaire, et j’ai eu l’impression d’être écoutée. Bien sûr, le résultat de cette démarche dépendra des moyens budgétaires finalement alloués à Erasmus, mais le budget envisagé, à hauteur de 15 milliards d’euros – en tenant compte des 2 milliards attribués à la politique de voisinage –, serait à cet égard suffisant.

Certes, un programme européen existe déjà pour les apprentis, mais il reste peu utilisé par un certain nombre de pays, dont la France. Il est donc nécessaire de démocratiser les échanges, sachant que 51 % des bacheliers français sont titulaires d’un bac professionnel ou technologique.

Il est par ailleurs souhaitable d’élargir la zone géographique concernée : c’est le but des programmes relevant de la politique européenne de voisinage, mais aussi de l’« Erasmus méditerranéen » annoncé par le Président de la République lors de sa visite en Algérie. Pour amplifier une politique de partenariat, il me paraît en effet opportun de miser sur les jeunes.

Nous nous battons non seulement en faveur d’« Erasmus pour tous », mais aussi pour le maintien même du nom « Erasmus », que la très volontaire et redoutée présidente de la commission du Parlement européen de la culture et de l’éducation, Mme Doris Pack souhaite réserver à l’enseignement supérieur, tandis les programmes concernant l’éducation, la formation et le sport seraient regroupés sous le nom : « YES Europe » – YES étant l’acronyme de Youth, Education and Sport. Erasmus a pourtant une connotation culturelle et ce nom, devenu un véritable label, est presque un symbole de l’Europe – pas seulement pour les fans de L’auberge espagnole de Cédric Klapisch. Le choix d’un nom aussi trivial que « YES Europe » risquerait au contraire de fragiliser les programmes concernés, et c’est pourquoi j’ai convaincu plusieurs de mes homologues européens – y compris David Willetts, le ministre anglais de la recherche – de s’y opposer. J’espère que vous me soutiendrez dans cette lutte, symbolique, certes, mais qui n’en est pas moins importante.

Nous sommes également défavorables à l’idée d’attribuer 4,6 % des 15 milliards d’euros consacrés à Erasmus sous la forme de garanties de prêt – une proposition émise par Mme Vassiliou en guise de compromis pour sauver les programmes d’échanges. Il ne nous paraît pas opportun, en effet, d’inciter les étudiants à s’endetter. Cela nous rapprocherait du système américain, où les frais d’inscription, très élevés, rendent nécessaire le recours à l’emprunt. Barack Obama lui-même n’a fini de rembourser son prêt étudiant que quatre ans avant son élection à la présidence des États-Unis ! Il l’a rappelé récemment, en suggérant de mettre un terme à l’inflation des droits d’inscription dans les universités américaines.

Les étudiants s’étant déjà endettés pour financer leurs études – surtout ceux issus des familles les plus modestes – risquent de renoncer à la mobilité si celle-ci doit se traduire par un surcroît de dette. C’est pourquoi les ministres français, anglais, allemand et espagnol ont demandé au président de la Commission européenne que les prêts ne représentent que 2 % du budget d’Erasmus, qu’ils soient octroyés à titre expérimental et fassent l’objet d’une évaluation au bout de deux ans.

L’autre aspect de la mobilité étudiante concerne notre capacité à attirer des étudiants étrangers de talent. À cet égard, il était indispensable d’abroger la circulaire Guéant, qui non seulement nuisait à l’image universaliste de la France, mais aussi à nos intérêts économiques – à tel point que le MEDEF lui-même m’a félicité d’y avoir mis un terme. En effet, 41 % des doctorats obtenus dans notre pays le sont par des étrangers. Sachant que le nombre de docteurs est insuffisant en France, il paraît indispensable de continuer à accueillir des étudiants en provenance d’autres pays.

En ce qui concerne la politique spatiale, la France et l’Allemagne ont décidé d’investir 5 milliards d’euros dans les années à venir. Cette politique ne se limite pas aux lanceurs envoyés dans l’espace, mais concerne toute une filière dont l’organisation a été citée en modèle par le médiateur national des relations inter-entreprises, Jean-Claude Volot : les sous-traitants n’y sont en effet pas méprisés, mais plutôt considérés comme des « co-traitants », et les PMI sont incitées à développer l’innovation.

Vous avez évoqué le programme Euratom. Même si nous sommes favorables à la transition énergétique, nous devons tenir compte du fait que 30 % de l’énergie européenne est produite par fission nucléaire. C’est par ailleurs une filière qui embauche 100 000 personnes par an.

La présidente Danielle Auroi. Et combien d’emplois sont créés dans les domaines de l’énergie renouvelable ou de l’économie circulaire ?

Mme Geneviève Fioraso. Pas assez, sans doute, même si ces secteurs montent en puissance. Ils doivent cependant trouver le bon modèle économique, et surtout éviter de connaître le mouvement de yo-yo observé lors du précédent quinquennat dans le solaire photovoltaïque. D’abord trop élevés, les prix de rachat avaient favorisé la spéculation, si bien qu’il a fallu décider un moratoire dont les effets se sont avérés mortels pour les 15 000 entreprises de la filière : la moitié seulement a survécu. Il faut également pouvoir résister au dumping insoutenable pratiqué par la Chine afin de casser le marché et de s’octroyer un monopole. À cet égard, l’Union européenne, pour une fois, a bien réagi. C’est même la première fois qu’elle s’inquiète de la concurrence déloyale au-delà de ses frontières ; jusqu’à présent, elle s’était montrée plus soucieuse d’agir à l’échelle infra-européenne. Ce n’est pourtant pas là que se joue la véritable concurrence.

S’agissant d’Euratom, les négociations au sein du Conseil sur la prochaine phase ont commencé avec beaucoup de retard et sont toujours en cours. Un des enjeux concerne le budget, qui s’élève pour l’instant à 1,7 milliard d’euros et favorise le Centre commun de recherche au détriment des projets de recherche et développement sur la fission et la radioprotection. Nous souhaitons rétablir l’équilibre.

Parmi les grands projets de recherche, on peut également citer l’E-ELT, le télescope géant dont l’ESO (European South Observatory, ou Observatoire européen austral) vient d’approuver la construction. Venant après le lancement d’ALMA (Atacama Large Millimeter Array), ce projet permettra de préserver l’excellence européenne en matière d’astronomie.

Avec l’Europe et les pays voisins, nous partageons l’objectif d’amener 50 % d’une classe d’âge diplômée au niveau de l’enseignement supérieur. Aujourd’hui, ce taux est en France de 43 % si l’on prend en compte les diplômes de niveau bac + 2, brevets de technicien supérieur (BTS) et diplômes universitaires de technologie (DUT). Mais, si l’on fait référence au standard européen, c’est-à-dire si l’on ne prend en compte que les diplômes de niveau bac + 3 et plus, le taux tombe à 32 %, en dessous de la moyenne européenne – à titre d’exemple, le Danemark est à 44 %. Nous voulons donc augmenter le nombre de jeunes ayant accès aux études et démocratiser celles-ci en améliorant l’orientation. Il s’agit notamment d’orienter davantage les titulaires de bac technologique vers les DUT et les titulaires de bac professionnel vers les BTS. Aujourd’hui, ils se dirigent trop souvent vers l’université, par défaut, sans être préparés à ce type d’études. Par rapport aux titulaires d’un bac général, ils encourent un risque six à sept fois supérieur de connaître l’échec, ce qui est inacceptable, non seulement du point de vue de la justice sociale, mais aussi de celui des finances publiques : à quoi bon financer un système qui, de fait, ne permet pas la réussite ?

Pour ma part, je n’ai jamais été traumatisée par la place de nos établissements dans le classement de Shanghai. Ce dernier, créé à l’origine par des personnes ayant fait du marketing, et fondé sur des critères calqués sur le système anglo-saxon, n’est absolument pas adapté aux systèmes universitaires européens, à l’exception de celui du Royaume-Uni. Le prisme qu’il emploie tend à exclure les sciences humaines et sociales. Il ne tient pas compte des effectifs, et privilégie donc les filières sélectives. Il ne fait aucun cas des liens entre universités et territoires ou de la valorisation des recherches. Il est purement académique et sectoriel. Or, paradoxalement, ce sont les Européens qui parlent le plus de ce classement, si peu fait pour valoriser l’Europe, alors que les universités américaines, comme Princeton, s’en soucient fort peu.

Comme toujours pragmatiques et efficaces, les Allemands ont élaboré leur propre système, U-multirank, moins destiné à classer les pôles universitaires qu’à les qualifier. Nous avons entrepris d’en élargir le champ d’application grâce à des financements européens, et je souhaite que les établissements français s’inscrivent volontairement dans cette démarche.

On pouvait de toute façon s’étonner que des universités aussi prestigieuses et reconnues que Bologne ou Heidelberg soient si mal placées dans le classement de Shanghai. Et il est pour le moins étonnant que ce classement ait méconnu le prix Nobel attribué à Jules Hoffmann, la médaille Fields de Cédric Villani ou le prix Turing de Joseph Sifakis. Lorsqu’elles sont attribuées à des scientifiques anglo-saxons, ces distinctions sont pourtant systématiquement prises en compte.

Vous l’aurez compris, je soutiens le classement U-multirank, qui devrait prendre bientôt une nouvelle ampleur.

En résumé, nous devons faire le choix de l’Europe, être efficaces au niveau communautaire et rester groupés. L’Europe doit nous aider à simplifier le « millefeuille », mais surtout à multiplier les alliances en faveur de projets d’intérêt général.

M. Philippe Armand Martin. La stratégie de Lisbonne visait à faire de la recherche et de l’innovation le centre du développement de l’économie et de la compétition internationale. Un des objectifs était de porter, à l’horizon 2010, à 3 % du PIB l’effort de recherche et développement dans les pays de l’Union européenne. Cet objectif a-t-il été atteint ?

Un volet du programme cadre pour la compétitivité et l’innovation est destiné plus spécifiquement aux PME, depuis les « gazelles » spécialisées dans les hautes technologies jusqu’aux micro-entreprises et entreprises familiales, qui constituent la grande majorité des entreprises européennes. Ce sous-programme doit faciliter l’accès des PME au financement de leurs investissements pendant leur phase de démarrage et de croissance. Il leur offre des informations et des conseils sur le fonctionnement du marché intérieur et ses possibilités, ainsi que sur la législation communautaire applicable, mais aussi – afin que les entreprises puissent s’y adapter au moindre coût – sur celle qui pourrait être adoptée dans l’avenir. Combien d’entreprises sont concernées par ce dispositif et quels sont les moyens mis en œuvre par votre ministère pour le promouvoir ?

M. Jérôme Lambert. J’ai écouté votre intervention avec beaucoup d’intérêt et, sans être spécialiste des questions de recherche, je remarque que vous maîtrisez admirablement vos dossiers. Je salue la passion qui vous anime et la qualité de vos réponses.

Il est vrai que le secteur de l’enseignement supérieur et de la recherche est essentiel pour notre avenir, et nous y attachons d’ailleurs beaucoup d’importance dans cette commission. La politique européenne en la matière doit être améliorée, de même que la politique industrielle, qui la touche de près.

La présidente Danielle Auroi. Mes propos pourront apparaître plus nuancés, même si, comme mon collègue, j’ai trouvé votre intervention à la fois passionnante et très précise. Alors que la recherche en développement durable est un des thèmes du 7e PCRDT, vous avez surtout parlé d’ITER. La logique de recherche associée à ITER ne pose aucun problème par elle-même, mais c’est l’énergie nucléaire qui pose problème. Qu’en est-il des énergies alternatives, de l’écologie, de la biodiversité ? C’est aussi de cela dont j’aimerais entendre parler.

Je suis d’accord avec vous, il ne faut pas hésiter à discuter avec la Commission européenne et à se montrer plus réactifs.

S’agissant d’Erasmus, il ne fait pas de doute que la garantie de prêt serait une porte ouverte au système américain et à toutes ses dérives. Il me paraît au contraire essentiel d’aller dans le sens d’une démocratisation. J’ai justement fait allusion à d’autres programmes qui n’ont pas aussi bien marché en France, comme Socrates, qui, précisément, s’adresse plutôt aux élèves de l’enseignement technique. S’il n’a bénéficié d’aucune publicité dans notre pays, c’est sans doute parce que nous baignons encore dans une culture de grande école, dont vous venez pourtant de souligner les effets pervers en matière de classement des universités.

Sur tous ces sujets, il est nécessaire de continuer à travailler avec l’Union européenne. Plus nous trouverons d’alliés, et mieux cela vaudra. Dans d’autres domaines, déjà, nous essayons de sortir du dialogue étroit entre l’Assemblée nationale et le Bundestag – même s’il s’agit d’une démarche nécessaire – et de trouver d’autres soutiens, en particulier du côté des pays méditerranéens. Vos propos tendent à conforter cette logique.

Mme Geneviève Fioraso. Il me semble avoir entendu dans votre propos plus de points de convergence que de désaccord, madame la présidente.

L’objectif de Lisbonne visait à ce que l’effort de recherche et développement atteigne 3 % du PIB en 2010. Aujourd’hui, l’Allemagne parvient à 2,89 %, mais la France plafonne depuis dix ans à environ 2,24 %. L’effort public est pourtant le même dans les deux pays, soit environ 1,7 %, mais le financement privé est beaucoup moins élevé chez nous. Pour autant, on ne peut en conclure que les entreprises françaises investissent insuffisamment dans la recherche et le développement. En réalité, l’Allemagne ayant conservé un appareil productif plus important, ses investissements privés dans l’industrie sont restés élevés. Rapporté à la taille de l’appareil productif, l’effort du secteur privé est en réalité à peu près équivalent dans les deux pays, mais nous souffrons justement de la perte de capacité de notre appareil productif.

On en revient toujours là : l’industrie, pourtant si décriée, est au cœur de l’innovation – d’où l’importance de la relance industrielle et du pacte de croissance. Les emplois de production ne représentent d’ailleurs que la moitié des emplois industriels, le reste étant des emplois de services. Or si notre industrie a davantage souffert de la crise, des délocalisations et de la mise en place durable de nouveaux équilibres, c’est parce que nos produits et nos services se situent dans le bas du moyen de gamme, alors que l’Allemagne privilégie le haut de gamme et le haut du moyen de gamme. L’automobile en est un bon exemple.

Il est vrai que notre voisin a une culture industrielle plus forte que la nôtre : on n’y considère pas, contrairement à ce qui se passe en France, que l’académique et l’abstraction doivent dominer la technologie. En outre, l’Allemagne bénéficie de la présence de 90 Fraunhofer-Instituts, ces plateformes qui permettent de transférer les technologies de la recherche vers les entreprises. Cela explique aussi que ces fameuses entreprises de taille intermédiaire (ETI), qui forment le Mittelstand industriel allemand, y soient trois fois plus nombreuses qu’en France.

Nous ne progresserons donc que si nous arrivons à maintenir et relancer nos emplois industriels, et surtout à créer de nouvelles filières. Pour cela, nous disposons de domaines d’expertise. Ainsi, l’expertise nucléaire peut s’appliquer aux énergies renouvelables. La direction de la recherche technologique du CEA gère d’ailleurs, à Grenoble, un laboratoire entièrement consacré aux énergies nouvelles, le Laboratoire d’innovation pour les technologies des énergies nouvelles et les nanomatériaux (LITEN). On y travaille sur les batteries, le stockage de l’énergie, l’efficacité énergétique, les réseaux intelligents, etc.

Nous devons apprendre à décloisonner, à être plus souples, et nous battre pour défendre notre industrie. C’est seulement ainsi que nous atteindrons l’objectif de 3 % du PIB consacré à la recherche et au développement. La Corée du Sud, pour sa part, atteint 5 % et voudrait porter ce taux à 6,5 %. Nous n’avons pas intérêt à nous endormir, car la concurrence mondiale est rude !

Nous avons de l’avance dans certains domaines, mais nous ne pouvons pas exceller partout : c’est pour cela que j’ai voulu établir un agenda stratégique. Lors du dernier séminaire consacré à la compétitivité, le Président de la République nous a appelé à définir des priorités et à arrêter de saupoudrer les subventions.

Les « gazelles », ces entreprises à fort potentiel de croissance repérées par Oséo, font sûrement l’objet d’un programme européen, mais je ne l’ai pas identifié. Je vous répondrai donc par écrit sur ce point. Toutefois, s’agissant de la France, le conseil d’administration de l’ANR a accepté, à ma demande, d’intégrer cent programmes partenariaux spécifiquement destinés à ces PME, afin de leur permettre d’améliorer leurs compétences et d’innover.

Peut-être ai-je évoqué trop rapidement la recherche sur le développement durable, madame la Présidente, mais je rappelle que les thématiques qui vous intéressent – efficacité énergétique, énergies nouvelles, ville et mobilité durable – font partie des axes de la stratégie Horizon 2020, elle-même dotée d’un budget de 70 milliards d’euros. L’orientation de la recherche européenne sur ces sujets est donc extrêmement forte.

La présidente Danielle Auroi. Si j’insiste sur ce point, c’est parce que l’on a toujours tendance à bien doter budgétairement les domaines que l’on connaît bien, comme le nucléaire ou l’espace, et moins les secteurs émergents. Or les Chinois avancent très vite en matière d’énergies nouvelles. Vous avez cité l’énergie solaire photovoltaïque, mais ils font également de gros progrès en matière de biomasse. Sur de tels sujets, ils sont capables de travailler avec nous, voire de financer leurs recherches par l’aide au développement, avant de nous revendre le fruit de leurs découvertes. Plus nous serons forts dans ces domaines, plus nous pourrons rééquilibrer les relations de concurrence qui, et j’en suis d’accord avec vous, posent bien plus de difficultés au niveau international qu’à l’intérieur de l’Union.

Mme Geneviève Fioraso. La différence, toutefois, entre les pays occidentaux et la Chine, c’est que cette dernière dispose d’importantes liquidités, et peut, par exemple, mener pendant trois ans une politique de dumping dans le secteur des capteurs solaires.

Par ailleurs, si les programmes relatifs au nucléaire ou à l’espace sont mieux ciblés, c’est aussi parce qu’ils ont été lancés il y a une trentaine ou une quarantaine d’années. Leur modèle économique est bien connu, et ils bénéficient d’une certaine continuité. En matière d’énergies nouvelles ou d’efficacité énergétique, nous en sommes encore au début, même si nous ne partons pas de zéro. En tout état de cause, le financement existe, j’insiste sur ce point.

Je terminerai en évoquant le satellite Merlin, qui doit identifier très précisément depuis l’espace les émissions de gaz à effet de serre et de méthane. Cela montre que même la recherche spatiale contribue à la lutte contre le réchauffement climatique.

La présidente Danielle Auroi. Madame la ministre, je vous remercie. Nous serons amenés à nous revoir à mesure que nos travaux auront avancé.

La séance est levée à 17 h 55

Membres présents ou excusés

Commission des affaires européennes

Réunion du mercredi 30 janvier 2013 à 16 h 30

Présents. - M. Ibrahim Aboubacar, Mme Danielle Auroi, Mme Sandrine Doucet, M. Jérôme Lambert, M. Philippe Armand Martin, M. Joaquim Pueyo

Excusés. – Mme Estelle Grelier, Mme Chantal Guittet, M. Pierre Lequiller, M. Jean-Claude Mignon