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Commission des affaires européennes

mardi 2 avril 2013

8 h 30

Compte rendu n° 50

Présidence de Mme Danielle Auroi Présidente

Audition de MM. Nicolas Hulot, président de la fondation Nicolas Hulot, et Marc Dufumier, membre du conseil scientifique de la fondation Nicolas Hulot, sur la réforme de la politique agricole commune

Audition de MM. Nicolas Hulot, président de la fondation Nicolas Hulot, et Marc Dufumier, membre du conseil scientifique de la fondation Nicolas Hulot, sur la réforme de la politique agricole commune

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mardi 2 avril 2013 à 8 h 30

Présidence de Mme Danielle Auroi

La séance est ouverte à 8 h 45

Audition de MM. Nicolas Hulot, président de la fondation Nicolas Hulot, et Marc Dufumier, membre du conseil scientifique de la fondation Nicolas Hulot, sur la réforme de la politique agricole commune

La Présidente Danielle Auroi. Nous avons le plaisir d’accueillir Nicolas Hulot, président de la fondation pour la Nature et pour l’Homme, et Marc Dufumier, membre du conseil scientifique de cette fondation, que nous remercions d’avoir répondu à notre invitation.

Un groupe de travail associant des membres de la commission des affaires européennes et des membres de la commission des affaires économiques – dont je suis heureuse que le président soit parmi nous ce matin – doit rendre prochainement son rapport sur la politique agricole commune (PAC). Nous avons déjà eu l’occasion d’entendre Marc Dufumier nous exposer, lors de la première table ronde organisée par ce groupe de travail le 14 novembre dernier, les grandes orientations qui devraient inspirer la future PAC.

La réforme de la PAC devrait aboutir en juin, telle est en tout cas la volonté de la présidence irlandaise. Nous sommes donc à la veille du trilogue entre la Commission, le Conseil et le Parlement puisque, pour la première fois, la politique agricole commune fait l’objet d’une codécision entre le Parlement et le Conseil.

Nous sommes inquiets que le Parlement européen ait rogné les ailes de la réforme, notamment en matière de verdissement, par rapport aux propositions de la Commission. Il est d’autant plus important de faire valoir le point de vue des Parlements nationaux que le budget de la PAC, comme le budget général de l’Union, a été réduit. Si la part allouée à la France n’est pas la plus touchée, d’autres États vont plus durement faire les frais de la diminution. L’emporte actuellement une dynamique de tout-austérité, que nous n’approuvons pas. Les instances européennes n’ont pas suffisamment intégré les enjeux du changement climatique, de la préservation des ressources en eau ou bien encore de la fertilité des sols. La réforme de la PAC est le moment pour ouvrir ces débats et formuler des propositions concrètes. Elle donne aussi l’occasion de faire progresser la solidarité dans le monde agricole car aujourd’hui, chacun le sait, 80 % des aides européennes profitent à 20 % des agriculteurs. Pour lutter contre cette concentration des aides, le ministre de l’agriculture, Stéphane Le Foll, propose une « surprime » aux premiers hectares et cette proposition sera sans doute reprise par notre groupe de travail.

Nous parlerons ce matin bien sûr de la politique agricole commune, notamment de sa dimension environnementale, mais aussi, plus largement, des enjeux du développement durable. Sans plus attendre, je donne la parole à Nicolas Hulot.

M. Nicolas Hulot, président de la fondation Nicolas Hulot pour la nature et l’homme. Tout d’abord, merci de votre invitation. Nous ne pouvons que nous réjouir de l’intérêt de la représentation nationale pour la réforme de la politique agricole commune. Il est important qu’elle ne s’opère pas en catimini et que les élus et la société civile y soient associés.

Avant d’en venir aux orientations que beaucoup de nos concitoyens souhaiteraient pour cette nouvelle PAC, permettez-moi de brosser un rapide tableau des grands défis planétaires aujourd’hui. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, nous sommes confrontés à des enjeux universels et de long terme, qu’il est d’autant plus difficile d’appréhender aujourd’hui que la crise économique pousse à faire prévaloir les enjeux de court terme. Pour beaucoup de nos concitoyens mais aussi d’observateurs, la crise écologique demeure abstraite, dans la mesure où elle n’occasionne pas de souffrances immédiates. En période de difficultés économiques, la tendance naturelle est de se concentrer sur ces souffrances-là, auxquelles on peut sans doute plus rapidement remédier. Pour autant, notre responsabilité individuelle et collective est immense car notre degré de liberté se réduit chaque jour. Plus on tarde à prendre conscience des phénomènes à combattre, plus les solutions à mettre en œuvre deviennent complexes. Les grands déséquilibres atteignent aujourd’hui un paroxysme sans que l’on voie, hélas, jouer de forces de rappel dignes de ce nom.

Je dirai quelques mots en préalable sur la crise climatique. Elle combine toutes les vulnérabilités auxquelles nous sommes exposés et conditionne toutes nos préoccupations de solidarité. Le diagnostic scientifique est depuis longtemps posé. Il s’agit maintenant d’élaborer des propositions politiques, chacun devant, à sa place, prendre sa part de responsabilité. Aux éventuels sceptiques, je rappelle seulement que la Banque mondiale, peu coutumière du genre, a alerté à l’été dernier sur les dangers de rester sur une trajectoire de réchauffement de 3 à 4 °C, en premier lieu pour les pays du Sud, menacés par la montée des eaux et la multiplication des catastrophes liées à des événements climatiques extrêmes, affectant gravement leur potentiel agricole. L’une des difficultés tient à ce que sous nos latitudes, cette mère de toutes les menaces n’est pas immédiatement perceptible – il en va différemment au Sud, notamment dans la bande sahélienne. L’Europe doit endosser une responsabilité particulière sur ce sujet central, dans la perspective de la prochaine conférence internationale sur le climat de 2015, où elle devra faire entendre sa voix face au bloc des pays émergents et aux deux géants que sont la Chine et les États-Unis.

Pour tenir l’objectif de division par quatre de nos émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050, il faut réviser, de façon tranquille mais radicale, certains fondamentaux de notre modèle économique. Compte tenu de l’augmentation prévisible du PIB, national et européen, cet objectif peut en effet équivaloir à une division par sept à dix, voire douze. Cela ne se fera donc pas dans l’épaisseur du trait et quelques ajustements à la marge n’y suffiront pas.

Un autre élément, duquel on n’a pas encore tenu compte, est que l’on est passé très vite, sans s’en apercevoir, d’une ère d’abondance des ressources naturelles et des matières premières – ou du moins d’illusion d’abondance – à une ère de rareté. Lorsque les ressources se raréfient, sans même que se profile de pénurie, les tensions entre États ne peuvent que s’aviver. Il suffit de voir l’attitude de l’Europe et des États-Unis face aux restrictions d’exportations de terres rares pratiquées par la Chine. La compétition sera rude et gérer la rareté exige d’adapter notre modèle économique.

En matière de préservation de la biodiversité, l’Europe a sa propre responsabilité. Aujourd’hui, à peine 16 % des écosystèmes se trouvent dans un bon état écologique. C’est dire les marges de progrès possibles !

Nous nous trouvons à un carrefour de civilisation. Il nous faut redéfinir collectivement une vision et un projet. Ce peut être une opportunité, à un moment où l’Europe est en panne de projet et en quête de sens. La contrainte écologique, entendue au sens large, nous contraint à restaurer une ambition européenne. Il est temps, sans dogmatisme, de « revisiter » certaines certitudes, notamment les objectifs du traité de Maastricht qui nous ont peut-être conduits là où nous en sommes : grand marché unique, monnaie unique, concurrence libre et non faussée, libre-échange, indépendance de la Banque centrale européenne… En toute objectivité, il faut reconnaître que le bilan de ces dernières années n’est pas glorieux, marqué par la désindustrialisation de l’espace européen et l’appauvrissement de nos technologies.

L’Europe est au pied du mur. D’autres blocs géopolitiques ont anticipé, à leur manière, les contraintes du XXIe siècle, qui ne sont plus celles du siècle passé. Tout le paradoxe de notre époque est qu’il nous faut assumer les dettes démographique, économique et écologique, consécutives aux « succès » des XIXe et XXe siècles. Il y a là un chantier considérable et passionnant pour l’Europe. Encore faut-il s’accorder sur les priorités.

Deux rendez-vous importants se profilent, qui seront l’occasion de tester la volonté sur tous ces sujets et seront déterminants sur le plan économique et social. Il ne faut pas séparer la crise écologique et la crise sociale. La crise écologique, que ce soit dans son volet alimentaire ou dans son volet énergétique, a déjà de lourdes conséquences sociales dans nos pays. Tout est lié, ce qui exige une approche holistique.

L’une des étapes importantes dans notre pays sera le débat en cours sur la transition énergétique, qui doit se conclure par la présentation d’un projet de loi d’orientation. Le sujet est important, l’énergie étant le premier facteur de production. J’espère sincèrement que l’on parviendra, de façon apaisée, à faire le moins mauvais choix, c’est-à-dire celui nous conduisant au plus petit risque. Chaque modèle énergétique comporte ses propres risques –ruptures d’approvisionnement, accidents industriels, accentuation des dérèglements climatiques. Le préalable est de définir collectivement nos besoins en ayant à l’esprit que nous disposons de marges de manœuvre considérables en matière d’efficacité énergétique. Outre que le secteur des économies d’énergie est fortement créateur d’emplois, viser à l’efficacité énergétique est le meilleur moyen de protéger nos concitoyens contre la hausse inévitable du prix de l’énergie, quel que soit le modèle énergétique retenu.

La deuxième étape importante est la réforme de la politique agricole commune. Les citoyens n’ont pas nécessairement conscience qu’ils ont leur mot à dire sur ce sujet, jusqu’alors plutôt réservé aux initiés. Beaucoup ignorent que le budget de la PAC, même revu à la baisse, constitue, avec quelque 50 milliards d’euros, le premier budget européen – cela représente une dépense d’environ 100 euros par an et par citoyen européen.

Le bilan des dernières décennies comporte bien sûr des points positifs. L’agriculture européenne a répondu à l’objectif de sécurité alimentaire qui lui avait été assigné mais le modèle encouragé a eu de lourds impacts sur l’environnement. Et, en dépit des prises de conscience, on n’est pas parvenu à inverser la tendance. Ainsi n’en est-on qu’à la moitié du chemin pour les objectifs fixés à l’horizon 2015 concernant la ressource en eau. On en est loin également pour la préservation de la biodiversité. Et en matière d’emplois, il faut savoir qu’en France, 200 exploitations disparaissent chaque semaine – dans l’Europe tout entière, c’est une toutes les deux minutes. Cent mille hectares de terres agricoles sont artificialisées chaque année – en France, environ l’équivalent d’un département le serait tous les six ans. Sur cette pente, si l’on n’y prend pas garde, les terres arables seront vite les nouvelles terres rares.

Notre modèle agricole est largement tributaire d’importations, notamment de soja pour l’alimentation du bétail, sachant que ce soja provient principalement de terres gagnées sur la forêt amazonienne. Il serait donc bon, à plusieurs égards, que nous retrouvions de l’autonomie en ce domaine. La FAO a clairement dit qu’il était possible, avec l’agro-écologie – qui englobe plusieurs types d’agriculture – de nourrir sept, voire neuf milliards de Terriens, à condition de réviser nos habitudes de consommation, notamment de réduire la consommation de viande dans les pays occidentaux et d’équilibrer protéines animales et protéines végétales dans notre alimentation.

Aujourd’hui, nous payons souvent trois fois notre nourriture, chez le commerçant bien sûr, mais aussi par le biais de nos impôts qui financent le budget de la PAC, et par le prix des externalités négatives environnementales. Le seul traitement des algues vertes coûte 500 000 euros par an en France, ce qui signifie que depuis le début de ce phénomène d’eutrophisation, nous avons déboursé pas loin d’un milliard. Le coût de l’ensemble des externalités négatives dépasse un milliard d’euros par an. Une rationalisation est donc possible.

Le réseau d’ONG françaises et européennes qu’anime notre fondation, soutenu par plusieurs milliers de citoyens, souhaite que la réforme de la PAC soit l’occasion d’impulser quatre nouvelles orientations.

L’agriculture de l’avenir doit être plus fortement créatrice d’emplois. Selon le modèle agricole, on peut gagner 30 % d’emplois supplémentaires. Dans le contexte actuel, il est important de soutenir en priorité les exploitations les plus petites : alors que le ministre de l’agriculture, Stéphane Le Foll, propose de « surprimer » les cinquante premiers hectares, nous préférerions, nous, que cette « surprime » s’applique aux trente premiers. Aujourd’hui, moins de 8 % des agriculteurs ont moins de 35 ans. Mieux vaudrait donc faciliter la transmission des exploitations que leur agrandissement constant.

En deuxième lieu, l’agriculture doit être plus écologique. Il faudrait conditionner les aides du premier et du deuxième pilier au verdissement, avec plus d’ambition. Trente pour cent des aides directes devraient rémunérer les agriculteurs européens appliquant trois mesures, qui devraient toutes être obligatoires. La première d’entre elles serait la pratique d’une rotation des cultures, avec quatre cultures différentes, dont une plante légumineuse. Les légumineuses permettent en effet de fixer l’azote dans le sol et donc de limiter l’apport d’intrants pour les cultures suivantes. La deuxième mesure serait de maintenir des prairies et pâturages permanents. La dernière serait de tendre vers 10 % d’infrastructures agro-écologiques – haies, talus, bois… –, ne serait-ce que pour préserver l’habitat d’insectes capables de neutraliser les prédateurs des récoltes.

Ensuite, la PAC devrait être plus équitable. Nous serions favorables à ce que les aides soient plafonnées à 200 000 euros, et non 300 000. Il faut aussi revoir leur répartition entre pays et selon les types d’agriculture. Dans notre pays par exemple, il y a peu à voir entre la situation d’un céréalier et celle d’un maraîcher ! Il est profondément regrettable que comme sur les marchés financiers, l’augmentation du produit global ne profite qu’à quelques-uns.

Enfin, la PAC devrait être plus solidaire, ce qui suppose que soient définitivement supprimées les subventions aux exportations qui déstructurent l’agriculture des pays du Sud. Contrairement à ce que beaucoup pensent, ces subventions existent encore pour le poulet et la poudre de lait.

Nous soutenons plutôt la position du ministre de l’agriculture dans les négociations futures. Cela n’a pas toujours été le cas, mais elle nous paraît aujourd’hui aller dans le bon sens. Rien n’est joué ni à Bruxelles ni à Strasbourg. Puis, une fois le budget voté, les États et les régions auront un rôle déterminant dans l’affectation des sommes allouées au titre du deuxième pilier.

Notre fondation préconise depuis longtemps de privilégier la qualité, la saisonnalité et la proximité, de façon que les paysans soient rémunérés à la qualité de leur travail. Au moment de l’élaboration de notre Pacte écologique, nous avions proposé d’exiger de la restauration collective, qui représente quelque trois milliards de repas par an, qu’elle s’approvisionne auprès de circuits courts respectant cette triple exigence. Cela permettrait de structurer la filière des agricultures de qualité, biologiques ou agro-écologiques, mais surtout de « changer de braquet » dans la conversion des exploitations. L’État et les collectivités territoriales ont une responsabilité pour faire jouer ce levier.

Nous appelons à partager notre ambition collective. Alors qu’en cette période, la tentation est d’imposer l’austérité – ce que nous tenons pour une erreur –, nous pensons, nous, qu’il faudrait investir massivement dans la transition énergétique et écologique. L’investissement nécessaire a été évalué à 200 milliards d’euros à l’échelle européenne. Comment le financer en ces temps de difficultés budgétaires, demandera-t-on ? Les banques centrales, à travers des banques publiques d’investissement, devraient investir prioritairement et massivement dans cette transition.

La Présidente Danielle Auroi. Votre vision est ici largement partagée, notamment par le président de la commission des affaires économiques. Sa proposition de loi visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre, adoptée tout récemment, va dans le sens que vous préconisez.

À votre avis, la renationalisation rampante de la PAC à laquelle on assiste est-elle positive ou négative ? Elle donne certes de la souplesse au niveau national mais cela signifie aussi une moindre solidarité au niveau européen.

M. Marc Dufumier, membre du conseil scientifique de la fondation Nicolas Hulot. Quels pourraient être les objectifs de la nouvelle politique agricole commune ? Le premier pourrait être de pourvoir à une alimentation saine – pas de dioxine dans le poulet, pas de pesticides sur les fruits et légumes, pas d’hormones ni d’antibiotiques dans la viande et le lait. Un autre pourrait être de préserver un cadre de vie agréable – pas d’algues vertes sur le littoral breton, maintien de la variété des paysages… – et de sauvegarder, pour les générations futures, la qualité de l’eau, qui ne devrait plus contenir ni nitrates ni résidus de pesticides, la fertilité des sols et la biodiversité. S’agissant des abeilles, il n’en va pas seulement de la production de miel qui, dans notre pays, a diminué de moitié depuis quinze ans, mais de la fécondation des arbres fruitiers, et donc à terme, de l’efficacité économique de l’arboriculture.

Il faut tenir compte des externalités négatives : le lait « pas cher » nous coûte en réalité très cher ! Nos impôts servent à subventionner une production excédentaire, qu’il faut ensuite résorber. La disparition d’emplois du fait de l’hyper-productivisme a un coût social élevé. Les résidus d’antibiotiques présents dans les produits sont nocifs pour notre santé – on peut craindre que dans les années à venir, l’espérance de vie en bonne santé ne diminue dans notre pays, même si cette évolution statistique n’est pas pour l’heure totalement avérée.

Les aides du premier pilier étaient initialement destinées à compenser la baisse de revenu consécutive à l’alignement des prix européens sur ceux des marchés internationaux. Aujourd’hui, les droits à paiement unique dépendent de références historiques. Nous proposons qu’il soit mis un terme à ces références historiques afin de parvenir, à l’horizon 2020, à une convergence des aides au niveau européen avec une prime unique à l’hectare, indépendante des productions, fût-elle calculée à parité de pouvoir d’achat. Il y va de la solidarité européenne. Nous souhaiterions que les aides soient accordées à l’actif, pour servir l’emploi. On en est loin dans la négociation actuelle mais tout ce qui ira dans le sens d’une « surprime » aux premiers hectares, une dégressivité et un plafonnement des aides – que, pour ma part, je souhaiterais fixé à 100 000 euros –, est bienvenu. Opérer une redistribution au profit des petites exploitations, c’est encourager des fermes intensives en main-d’œuvre qui sont le plus souvent celles aussi qui diversifient leurs cultures, pratiquent la rotation et associent agriculture et élevage, ce qui contribue à la préservation des écosystèmes.

Notre fondation n’est pas hostile à un recouplage des aides du premier pilier. J’en profite pour dire que mieux vaudrait ne plus parler « d’aides », mais de rémunération des agriculteurs pour les services environnementaux qu’ils rendent. C’est l’esprit des aides du deuxième pilier, mais celles du premier pilier devraient également y contribuer.

Nous sommes extrêmement favorables à ce que notre pays puisse invoquer le principe de subsidiarité pour recoupler les aides. Il faudrait y prendre en compte en priorité les légumineuses. L’un des intérêts de ces plantes comme la luzerne, le trèfle, le sainfoin, le lotier, le pois fourrager, le lupin, le pois chiche, la fève… – plantes dont la plupart gagneraient d’ailleurs à figurer dans notre alimentation parce qu’extrêmement bénéfiques pour notre santé – serait de réduire notre dépendance aux importations de soja, transgénique de surcroît, en provenance du Nouveau monde. Elles fournissent des protéines végétales de qualité pour l’alimentation du bétail, comme pour l’alimentation humaine et leurs résidus azotés évitent d’avoir à utiliser des engrais de synthèse, et donc à importer du gaz naturel russe et norvégien pour leur fabrication. Tout comme il faut préférer l’urine des animaux à l’urée de synthèse, substituons des légumineuses à certaines cultures à l’origine aujourd’hui d’excédents. Quand dans une rotation figure une légumineuse, le coût de fertilisation azotée des cultures de blé, colza ou betterave qui suivent, est nettement moindre. Par ailleurs, lorsqu’on épand moins d’engrais azotés de synthèse, on émet moins de protoxyde d’azote, ce qui va dans le sens des exigences du protocole de Kyoto.

Nous souhaiterions également, Nicolas Hulot vient d’en parler, promouvoir l’alimentation bio dans la restauration collective. Si sur les neuf milliards d’euros de la PAC que recevra notre pays, un milliard était affecté à cet objectif, en 2020, quasiment tous les repas des établissements scolaires, de la maternelle au lycée, mais aussi des cantines d’entreprise, fréquentées par les couches les plus modestes, proviendraient d’une agriculture de qualité et de proximité, pour un surcoût de 0,4 euro par repas seulement. La tâche des collectivités qui essaient d’encourager la fourniture bio des cantines scolaires en serait facilitée. Les reconversions vers l’agriculture biologique seraient bien plus nombreuses.

Il est prévu que 30 % des aides directes soient liées au verdissement. Nous nous en félicitons car il avait été un temps question de 20 % seulement. Une partie des aides du premier pilier doit servir à promouvoir des systèmes de production plus respectueux de l’environnement et des générations futures. Nous avons sur ce point trois propositions. Il faudrait que les aides soient conditionnées à la présence de quatre cultures en rotation, dont une légumineuse. Il n’est actuellement question au niveau européen que de trois cultures dans l’assolement d’ailleurs, et non dans la rotation – ce qui signifierait qu’une monoculture pourrait continuer d’être pratiquée sur 80 % des surfaces et que deux autres suffiraient sur les 20 % restants. Or, seule la rotation garantit la diversification des cultures, de printemps et d’été, de nature à rompre le cycle des prédateurs et des adventices, autant de principes agronomiques de base qui, s’ils sont appliqués, permettent de limiter le recours aux intrants chimiques. L’une des raisons pour lesquelles notre agriculture est aujourd’hui si polluante, tout en fournissant parfois des produits de mauvaise qualité, est le développement de la monoculture et une spécialisation exagérée de nos régions et de nos terroirs.

Notre deuxième proposition est que soient maintenues 7 % de surfaces d’intérêt écologique – haies, mares, bandes enherbées… Il faut favoriser la présence de coccinelles pour neutraliser les pucerons, celle de carabes pour éloigner les limaces, celle d’abeilles pour féconder pommiers et poiriers. Cette biodiversité évite d’avoir à recourir de manière abusive aux pesticides. Lorsque nous parlons de préserver des « surfaces d’intérêt écologique », c’est bien les haies, les talus, les mares.. que nous visons et non de faire en sorte, comme le propose, hélas, le Conseil, des équivalences à travers les mesures agri-environnementales du deuxième pilier qui réduiraient le verdissement à trois fois rien. Si on en restait à sa proposition, certains agriculteurs pourraient être rémunérés au titre du premier pilier pour des mesures agri-environnementales qui leur ouvriraient droit à une « surprime » au titre du verdissement. Ce n’est pas acceptable.

Notre troisième proposition est de maintenir des prairies et pâturages permanents.

Soulignons au passage que l’agriculture bio remplit déjà ces trois conditions.

S’agissant du deuxième pilier, nous insistons pour le maintien de mesures agro-environnementales systémiques. Nous souhaiterions que les subventions transitent par les régions et fassent l’objet d’une contractualisation. Aujourd’hui, les mesures agri-environnementales sont destinées à compenser les moindres rendements ou les surcoûts résultant de systèmes de production plus respectueux de l’environnement. Il faudrait que les agriculteurs soient vraiment rémunérés pour le service qu’ils rendent. Nous insistons également pour que soient intégrées dans le deuxième pilier des aides aux jeunes agriculteurs et aux petites fermes. Nous sommes résolument hostiles à ce que les aides du deuxième pilier puissent servir aux agriculteurs à s’assurer. Il n’existe pas de meilleure assurance, tous le savent, face aux aléas climatiques ou de prix, que de « ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier », c’est-à-dire de diversifier et d’alterner ses cultures, et d’associer cultures et élevage. Aider les agriculteurs à s’assurer face aux dangers de la monoculture ne peut que les encourager dans sa pratique. Cela doit donc être proscrit.

Un dernier mot sur les organisations communes de marché. M. Le Foll a laissé entendre que l’on pourrait rediscuter du sort des quotas laitiers. Il y a urgence en effet à empêcher leur disparition programmée en 2015. Il faut de même militer pour le maintien des quotas sucriers et l’encadrement des droits de plantation dans la vigne, afin d’éviter la surproduction. D’autant que beaucoup d’excédents – c’est le cas notamment de la poudre de lait – sont ensuite subventionnés à l’exportation, ce qui constitue du dumping à l’égard des pays du Sud. On s’était engagé à supprimer les restitutions en 2013. Il est grave que cet objectif soit remis en cause. Car l’exportation à vil prix de notre poudre de lait ou de nos poulets bas de gamme empêche les paysans du Sud, qui travaillent encore à la main, d’être compétitifs, les pousse à quitter les campagnes pour les villes où ils s’entassent dans des bidonvilles, et même parfois à émigrer.

M. François Brottes, Président de la Commission des affaires économiques. La PAC ne fait pas à elle seule toute la politique agricole en Europe. Dans un cadre politique où la concurrence et la liberté d’entreprendre sont tenus pour des impératifs supérieurs à toute autre considération, y compris dans l’agriculture, il est très difficile de réguler et de trouver des moyens innovants de le faire. Ainsi dans le cas du lait, la régulation est impossible aujourd’hui, tant le rapport de force est déséquilibré entre les producteurs-transformateurs et la grande distribution. Aucune discussion d’égal à égal n’est possible.

De même, la spéculation sur les céréales pousse les agriculteurs à privilégier ces productions. Bien que la rotation des cultures soit le seul moyen de se débarrasser de la chrysomèle du maïs, on n’arrive pas à les convaincre de la pratiquer. Ils préfèrent planter du maïs, tant celui-ci rapporte en comparaison d’autres cultures.

Les schémas de cohérence territoriale (SCOT) et d’autres dispositions contraignantes sur l’usage du foncier, ont sinon enrayé, du moins freiné, la disparition des surfaces agricoles et permis une certaine régulation. La gestion du foncier est le domaine sur lequel on a le plus de moyens coercitifs d’agir, dans le respect des principes constitutionnels. Il est dommage que le contrôle des structures, qui permettait de privilégier par exemple le maintien de trois exploitations plutôt que le rachat de deux par une seule, ait été abandonné.

L’alimentation est sans doute le sujet par lequel on peut aujourd’hui infléchir le plus les comportements parce que les consommateurs ont une réelle exigence de traçabilité et que les filières doivent donc être sécurisées.

Heureusement, madame la présidente, que la PAC peut être quelque peu « renationalisée » ! Il n’est pas mauvais qu’une certaine marge de manœuvre soit laissée aux États, par exemple pour la « surprime » aux premiers hectares. Il n’aurait pas de sens que la mesure doive être appliquée partout de la même manière en Europe ou ne le soit nulle part.

Dans notre système social et économique qui respecte la liberté d’entreprendre et la libre concurrence, nous n’avons que peu de moyens à disposition pour faire évoluer les comportements. En définitive, on ne peut être coercitif qu’aux deux extrémités de la chaîne, sur le foncier d’un côté, sur la traçabilité des aliments de l’autre ; entre les deux, on ne peut qu’essayer de convaincre. Cela étant, les agriculteurs en ont assez d’être toujours montrés du doigt et stigmatisés : ils vivent mal tout ce que l’on exige d’eux quand ils en voient tant d’autres avoir si peu de scrupules ! Il n’est pas facile de faire œuvre de pédagogie auprès d’eux à un moment où beaucoup ont du mal à joindre les deux bouts. Ils ne peuvent porter seuls le fardeau. Reste à trouver le moyen de le partager… Les jeunes agriculteurs, y compris du CNJA, pensent que les aides devraient être plafonnées et modulées sans plus attendre, alors que leurs aînés de la FNSEA, souhaitent, eux, qu’on prenne davantage de temps.

M. Dominique Riquet, député européen. La PAC décline des règles générales qui s’appliquent dans des contextes extrêmement différents. En effet, le monde agricole est extrêmement hétérogène en Europe. Il n’y a pas si longtemps encore qu’en Pologne ou en Roumanie, 50 % des actifs travaillaient dans l’agriculture. On imagine la difficulté d’élaborer des règles qui puissent convenir à la fois pour l’agriculture française et l’agriculture roumaine !

Le texte voté par la commission de l’agriculture et du développement rural du Parlement européen porte la marque des lobbies agricoles. Même si nous n’avons pas obtenu tout ce que nous aurions souhaité, nous avons essayé d’infléchir les propositions vers plus de verdissement, plus de découplage, plus de plafonnement des aides. Le plafonnement pose des difficultés, car il n’a pas partout la même incidence. La France s’est bien défendue et s’en tire bien, qui a obtenu que soit préservée sa part du budget de la PAC, alors qu’une diminution de plus de 10% était prévue. Elle a aussi obtenu, comme elle le souhaitait, que le principe de subsidiarité prévale dans divers domaines, ce qui lui permettra d’adapter sa politique agricole à la réalité, très diverse, de son agriculture avec par exemple d’un côté des éleveurs de moyenne montagne, de l’autre des céréaliculteurs, dont la situation n’a rien à voir avec celle des premiers. Je pense que l’on ira vers un plafonnement des aides, certes moindre qu’on l’aurait souhaité, et une « surprime » aux premiers hectares.

Vous n’avez que peu parlé, messieurs, de l’organisation des marchés, qui a pourtant été l’un de nos sujets de préoccupation au Parlement européen. Elle n’est pas sans incidence sur la production, les comportements et les revenus.

Vous jugez les subventions aux exportations pernicieuses pour les pays du Sud. En réalité, il faut voir que des pays hier encore émergents sont devenus des géants agricoles. Ces subventions ont certes les effets pervers que vous avez décrits mais elles ne peuvent être appréhendées seulement comme un flux venu du Nord entravant l’agriculture du Sud. Elles servent aussi, dans un mouvement horizontal, à contrer la concurrence de nouveaux géants agricoles dans les pays du Sud.

Vos préoccupations rejoignent celles du Gouvernement, telles qu’exprimées par Stéphane Le Foll, et de nombreux parlementaires européens. Il faut aller vers plus de responsabilité écologique pour toutes les raisons indiquées. Notre recommandation concernant les protéagineux a été assez bien prise en compte dans la réforme. On ne se plaindra pas de la souplesse donnée par la subsidiarité, par exemple pour le verdissement entre le premier et le deuxième pilier : c’est même une opportunité pour la France. Une différenciation des aides, avec une « surprime » aux premiers hectares, et leur plafonnement figurent pour la première fois dans la PAC, il faut s’en féliciter.

Au total, insensiblement, la PAC s’oriente dans la bonne direction. Lors de sa mise en place il y a quarante ans, lui avait été assigné le double objectif d’assurer l’autosuffisance alimentaire et de garantir aux paysans d’Europe un revenu annuel moyen égal au revenu annuel moyen des citoyens européens. Elle est en train d’être infléchie, mais, tel un paquebot, elle ne peut virer que lentement et difficilement, en raison des enjeux, des différences entre pays, en particulier entre nouveaux entrants et anciens pays membres. Elle n’en va pas moins dans le sens que nous désirons, comme vous, d’une PAC plus écologique, plus responsable et plus solidaire. L’inflexion n’est ni aussi nette ni aussi rapide qu’on le voudrait, mais tous les pays européens ne sont pas la France ! Il faut tenir compte de la diversité des situations comme de l’exigence de solidarité.

M. François Brottes. Pour imposer de façon volontariste les produits bio dans la restauration collective, il faut tenir compte de la réglementation des marchés publics qui entrave les collectivités dans leurs choix. Alors que c’est un marché d’appel susceptible d’infléchir l’offre de manière significative, il est difficile d’aller au-delà des vœux pieux. Dans les cantines des écoles de ma commune, on atteint plus de 80 % d’approvisionnement local et bio, mais au prix d’entorses aux dispositions du code des marchés publics.

La Présidente Danielle Auroi. Au lieu de toujours présenter les mesures de verdissement comme contraignantes, ne pourrait-on faire valoir aussi leurs avantages pour les agriculteurs eux-mêmes ? L’agro-foresterie ou ce qu’on appelle les aménités forestières peuvent-elles en faire partie ? Des linéaires de haies n’aident pas seulement à préserver la biodiversité, ils rendent aussi le paysage plus agréable et peuvent servir de réserve de bois de chauffe.

S’agissant de la renationalisation de la PAC, j’entends bien les propos de François Brottes, mais il est regrettable qu’elle porte sur le deuxième pilier. On laisse aux États la responsabilité environnementale. C’est d’ailleurs pour cela qu’il est important que les mesures de verdissement ressortent du premier pilier. On explique souvent aux agriculteurs que le deuxième pilier n’est pas aussi important que le premier. J’aimerais, messieurs, avoir votre sentiment sur ce sujet.

Ma dernière question ne concerne pas la PAC mais l’environnement de manière plus large. Alors que la France doit adhérer au protocole de Nagoya relatif à l’accès aux ressources génétiques et le partage des avantages issus de leur utilisation, la commission des affaires européennes a adopté à l’unanimité un projet de résolution relatif à la lutte contre la biopiraterie. Notre pays, qui présente la particularité d’être à la fois un pays producteur d’espèces rares, présentes notamment dans ses territoires ultra-marins, et un pays consommateur de ces espèces pour la pharmacopée ou la cosmétique, ne pourrait-il pas en profiter pour être pilote en ce domaine ? Il faut trouver des solutions profitables à tous, aux populations locales concernées, à la biodiversité, et aux consommateurs.

M. Nicolas Hulot. Cette réforme de la PAC nous donne une ultime occasion de réconcilier le consommateur et le monde paysan. L’heure n’est pas à désigner des coupables, et, pour notre part, nous n’avons jamais vu les choses ainsi. Nous considérons que le monde agricole dans sa très grande majorité a suivi les voies qu’on lui avait demandé d’emprunter et que les agriculteurs en sont eux-mêmes les premières victimes, économiques assurément, et même parfois sanitaires, lorsqu’ils meurent ou tombent malades du fait des pesticides.

Les jeunes agriculteurs souhaitent de nouvelles relations avec le reste de la population. Ils aspirent à retrouver de la considération, à être rémunérés au juste prix de leur travail, à sa qualité. Ils éprouvent aujourd’hui du désarroi. Il nous faut les soutenir dans leur démarche. Il est difficile de convertir une exploitation au bio. Notre fondation met en avant des agriculteurs qui se sont engagés dans cette voie, sans même attendre d’aides, et y ont réussi. C’est la preuve que sur le terrain, le changement est en marche. En ce domaine, comme pour tout ce qui touche à l’écologie, valorisons l’expérience et appuyons nous sur ce qui marche dans les territoires.

Reste à passer du constat à une vision. En effet, on ne mobilise pas sur un constat, mais sur des idéaux et des propositions concrètes. Vous évoquiez, madame la présidente, l’agro-foresterie. J’ai connaissance en ce domaine d’expériences intéressantes où des agriculteurs ont pu diversifier leur activité et consolider leurs revenus. Loin d’être archaïque, l’agro-foresterie allie le bon sens paysan et les enseignements d’une recherche des plus sophistiquées.

En 2008, les spéculateurs ont migré des marchés financiers vers les marchés des matières premières, agricoles en particulier, avec les conséquences graves qui peuvent en résulter. Nous souhaiterions bien sûr qu’à terme, les biens communs que constituent les produits agricoles soient soustraits à la spéculation.

Vous avez souligné qu’il n’était pas facile d’introduire davantage de produits bio dans les cantines scolaires, dans le respect des dispositions du code des marchés publics. Comme nous avons pu le constater à Lons-le-Saunier, où notre fondation a travaillé avec la commune à la passation d’un contrat d’approvisionnement en produits locaux auprès d’agriculteurs qui ont modifié leurs pratiques culturales, de façon à en limiter l’impact sur la ressource en eau, il est d’ores et déjà possible d’instaurer un cercle vertueux. Mais il est vrai que si le code des marchés publics comportait une clause de mieux-disant écologique, les marges de manœuvre seraient plus grandes.

M. Marc Dufumier. S’il y a un secteur au niveau mondial où ne prévalent ni les règles de la libre concurrence ni celles du libre-échange, c’est bien celui de l’agriculture. Cinquante milliards d’euros d’aides, c’est une distorsion totale de concurrence ! Si à l’OMC, le cycle de Doha a échoué – si tant est que l’on puisse parler d’échec, puisque le mandat étant erroné, que le cycle n’ait pas abouti représente plutôt un succès –, c’est à cause de l’agriculture. Celle-ci est au niveau mondial le secteur le plus subventionné par les États. C’est le cas dans l’Union européenne avec la PAC, mais ne soyons pas naïfs. Les États-Unis ont mis en place un programme alimentaire fédéral, le SNAP (Supplemental Nutrition Assistance Program), qui a remplacé l’ancien Food Stamp Program, auquel a été ajoutée une dimension nutritionnelle. Ce programme est destiné à soutenir le marché agricole intérieur par les prix, l’Etat achetant des produits locaux destinés à l’alimentation des populations les plus pauvres. Quant au Brésil, il a un programme visant à relancer l’agriculture familiale en fournissant la restauration collective. Alors que nos principaux concurrents agricoles à l’OMC dénoncent la distorsion de concurrence que constituent les subventions de la PAC, ils adoptent eux-mêmes des pratiques que nous nous interdisons toujours ! Pourquoi ? Le cycle de Doha, c’est terminé ! Nous avons le droit de conduire des politiques autres.

Il faut absolument éviter toute forme d’administration de l’agriculture. Sa planification centralisée a toujours été un échec. Au moment où l’Union soviétique échouait, il n’y avait pas agriculture plus planifiée que l’agriculture européenne dans le cadre d’une économie de marché ! Il faudrait aujourd’hui déterminer des « bonus » et des « malus » faisant que les agriculteurs, tout en travaillant dans leur intérêt particulier, s’orientent vers les systèmes de production les plus conformes à l’intérêt général, ce qui leur éviterait d’être stigmatisés. La lutte contre les externalités négatives nous coûte très cher, alors qu’il suffirait par exemple pour éradiquer la chrysomèle du maïs de diversifier les assolements et de faire tourner les cultures. Les « malus » peuvent être constitués par des impôts, par exemple sur les engrais azotés de synthèse, et les « bonus », des subventions européennes – de façon que les agriculteurs aient intérêt à cesser la monoculture de maïs et à inclure plutôt de la luzerne dans leurs cultures, rendant ainsi un service environnemental à la société dont ils puissent être fiers. C’est en subventionnant les légumineuses qu’on en finira avec les monocultures et qu’on luttera efficacement contre certains insectes !

Nous n’avons en effet pas assez parlé en effet de l’organisation commune des marchés. Il faut empêcher la disparition programmée des quotas laitiers, maintenir les quotas sucriers et les droits à plantation pour la vigne. Il ne faut pas s’interdire non plus des stocks régulateurs de céréales, poudre de lait, etc, pour éviter la spéculation sur les marchés mondiaux. L’Europe doit faire entendre sa voix sur ce sujet à l’OMC.

Je ne reviens pas sur les trois conditions que nous souhaiterions voir imposées pour l’attribution des aides du premier pilier. Ces exigences doivent être les mêmes partout en Europe. C’est possible, mais il faudra se battre pour qu’il en soit ainsi. Les mesures agri-environnementales sont très intéressantes, notamment lorsque les crédits transitent par les régions. Par voie contractuelle, on peut envisager des interventions systémiques, tenant compte des particularités des terroirs et des territoires. L’agro-foresterie devra y avoir sa place.

L’agriculture biologique que nous souhaitons promouvoir, qui diversifie les cultures, tire parti de la polyculture-élevage, connaît les vertus des champignons mycorhiziens, cherche à favoriser la stabilité structurale des sols, lutte contre les insectes ravageurs autrement que par des pesticides, voire par des lâchers de trychogrammes, ne marque pas un retour à l’âge de pierre. Elle est extrêmement savante et moderne. Mais c’est une agriculture plus artisanale, plus exigeante en travail, qui mérite d’être mieux rémunérée. Avec les neuf milliards d’euros de la PAC qui nous reviennent, faisons que nos agriculteurs soient bien rémunérés et que, droits dans leurs bottes, ils puissent être de nouveau fiers d’un travail qui serve l’intérêt général.

La Présidente Danielle Auroi. Merci, messieurs, d’avoir pris le temps de cet échange avec nous. Nous avons bien entendu votre message et le ferons passer dans notre rapport sur la réforme de la PAC. Cela devrait aider le ministre dans la négociation d’ici à juin, la présidence irlandaise étant bien déterminée à ce que la réforme aboutisse avant la fin de son mandat.

La séance est levée à 10 heures

Membres présents ou excusés

Commission des affaires européennes

Réunion du mardi 2 avril 2013 à 8 h 45

Présent. – Mme Danielle Auroi

Excusés. – Mme Marietta Karamanli, M. Jean-Claude Mignon

Assistait également à la réunion. - M. François Brottes, M. Dominique Riquet (député européen)