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Commission des affaires européennes

mercredi 17 juillet 2013

15 heures

Compte rendu n° 80

Présidence de Mme Danielle Auroi Présidente

I. Audition de M. Andreas Kortenkamp, professeur en toxicologie humaine à l’Institut pour l’environnement de la Brunel University, sur les perturbateurs endocriniens, dans le contexte de l’Union européenne

II. Communication de M. Arnaud Leroy sur l’instrument financier LIFE pour l’environnement et l’action pour le climat (COM (2011) 874 – E 6964)

I. Audition de M. Andreas Kortenkamp, professeur en toxicologie humaine à l’Institut pour l’environnement de la Brunel University, sur les perturbateurs endocriniens, dans le contexte de l’Union européenne 2

II. Communication de M. Arnaud Leroy sur l’instrument financier LIFE pour l’environnement et l’action pour le climat (COM (2011) 874 – E 6964) 10

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mercredi 17 juillet 2013 à 15 heures

Présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente,

La séance est ouverte à quinze heures

La Présidente Danielle Auroi. Monsieur le professeur, je vous remercie chaleureusement, au nom de notre commission, d’avoir répondu à notre invitation pour cette audition, qui portera sur l’un de vos thèmes de recherche de prédilection : les perturbateurs endocriniens dans le contexte de l’Union européenne.

Notre commission a en effet décidé d’engager un travail sur ce sujet important, en nommant un rapporteur d’information, notre collègue Jean-Louis Roumégas.

Les perturbateurs endocriniens peuvent être définis ainsi : des substances chimiques d’origine naturelle ou artificielle étrangères à l’organisme qui peuvent interférer avec le fonctionnement du système endocrinien et induire ainsi des effets délétères sur cet organisme ou sur ses descendants.

Les conséquences d’une exposition aux perturbateurs endocriniens sont multiples : dysfonctionnements des fonctions reproductrices, de la croissance, du développement, du comportement ainsi que de la production, de l’utilisation et du stockage de l’énergie. Ces substances sont présentes dans l’alimentation, l’eau et l’air, du fait de comportements humains comme la contamination des sols de culture par l’utilisation de pesticides, voire dans des produits industriels de consommations courante, comme les médicaments ou les cosmétiques.

Les pouvoirs publics français commencent à se mobiliser. Le Parlement français a ainsi adopté, en mars 2012, une loi prohibant l’utilisation du Bisphénol A dans les contenants alimentaires. La problématique a aussi été traitée dans le cadre de la conférence environnementale sur la transition écologique des 14 et 15 septembre derniers. Et le Gouvernement a installé un groupe de travail en vue d’élaborer une stratégie nationale comprenant des actions de recherche, d’expertise, d’information du public et de réflexion sur l’encadrement réglementaire ; réunissant membres de la société civile et parlementaires, cette instance vient de rendre ses propositions de réforme.

S’agissant de l’Union européenne, le commissaire chargé de l’environnement, Janez Potočnik, en avril dernier, a souligné devant notre commission combien il est urgent de s’emparer du sujet.

Vous avez d’ailleurs publié à l’intention de la Commission européenne, en février 2012, un rapport majeur relatif à l’état de la science concernant les perturbateurs endocriniens. Vous y avancez des critères scientifiques sur lesquels se fonder pour identifier les perturbateurs endocriniens, ce qui constitue une étape indispensable vers un contrôle réglementaire efficace des risques sanitaires et environnementaux inhérents à ces derniers.

Ces travaux pourraient déboucher sur un réexamen de la stratégie communautaire ad hoc mise en place en 1999, avec une législation à la clé.

À quelles difficultés méthodologiques les scientifiques se heurtent-ils pour mesurer l’exposition aux perturbateurs endocriniens et évaluer son effet sur la santé humaine ?

Quelles sont les preuves statistiques démontrant l’effet néfaste des perturbateurs endocriniens ?

Comment distinguer les perturbateurs endocriniens des autres substances cancérigènes ou toxiques ?

Une controverse est née à propos de la définition européenne des perturbateurs endocriniens. Des ONG accusent l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) de calibrer les définitions juridiques afin de permettre aux industries agro-alimentaires de continuer à employer des pesticides dangereux. Le commissaire européen chargé de la santé et de la politique des consommateurs, Tonio Borg, vient d’apporter son soutien à l’EFSA.

Pouvez-vous nous éclairer sur le problème de sémantique entre « perturbateurs endocriniens » à proprement parler et « substances actives sur le système endocrinien » ?

À la lumière de vos recherches, quels produits mettez-vous en cause ? Recommandez-vous de les interdire ou d’en contrôler plus strictement l’usage ?

Importe-t-il de prendre des mesures spécifiques pour les publics risquant d’être particulièrement affectés par les perturbateurs endocriniens, à savoir les femmes enceintes et les enfants ?

La théorie selon laquelle « la dose fait le poison » est aujourd’hui battue en brèche par les scientifiques. C’est ce qu’on appelle l’« effet cocktail » : une exposition à une combinaison de plusieurs perturbateurs endocriniens, à faible dose mais durable, démultiplie les effets sur la santé, avec des risques accrus, notamment, de cancers du sein, de l’utérus et de la prostate.

Quelles mesures préconisez-vous pour prendre en compte cette nouvelle donnée ? Formulez-vous des recommandations ?

M. Andreas Kortenkamp. Relativement aux perturbateurs endocriniens, la France a présenté un certain nombre de suggestions productives.

J’ai en main des cartes qui décrivent l’évolution de l’incidence des cancers du testicule, en Scandinavie, depuis 1970 : à mesure que le temps passe, le nombre de cancers du testicule y est de plus en plus élevé – notamment en Norvège et en Finlande –, au point de connaître une multiplication par dix en trente ans.

Cela ne s’explique ni par l’amélioration des diagnostics, ni par des facteurs génétiques, mais uniquement par des facteurs environnementaux. Une étude menée sur des migrants le démontre : en une ou deux générations, le taux de cancer du testicule sur les populations suivies se rapproche de celui constaté globalement dans le pays hôte. Les facteurs d’explication sont donc locaux et environnementaux, mais nous ne le connaissons pas de manière certaine.

Parallèlement, en Europe de l’Est, apparaissent des épidémies d’autres cancers d’origine hormonale, comme le cancer du sein. Les cas de malformation du pénis, chez le jeune garçon, sont en recrudescence. De même, dans certaines régions du monde, la fécondité des hommes comme des femmes chute. L’obésité se répand également. La charge de morbidité liée aux systèmes endocriniens se développe un peu partout mais l’on en ignore la cause.

Des études sont menées sur des animaux de laboratoire afin de mettre en évidence le rôle de telle ou telle substance chimique sur les hormones, qui jouent un rôle important, puisqu’elles régulent l’organisme et programment le développement.

J’en viens à la différence entre les « perturbateurs endocriniens » et les « substances actives sur le système endocrinien ». Le développement des organes sexuels du jeune garçon intervient pendant la grossesse. Si, durant les trois premiers mois d’une grossesse, certaines hormones mâles viennent à manquer, le garçon aura des signes de féminisation – la trajectoire par défaut étant celle qui conduit l’embryon à évoluer en fille – et subira des malformations à l’âge adulte. Or certaines substances chimiques influent sur les hormones sexuelles mâles au cours de la grossesse. Ainsi, les « perturbateurs endocriniens » troublent la progression des hormones mâles pendant la grossesse tandis que les « substances actives sur le système endocrinien » sont de nature plus classique. La confusion entre ces deux termes a été introduite par certains cercles, afin de semer le doute.

Je précise qu’il est faux de parler de controverse dans le monde scientifique. Les chercheurs ont en effet dégagé un consensus, comme en témoignent le rapport de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) de début 2013, le rapport de l’Agence européenne pour l’environnement (AEE), le rapport de la Société d’endocrinologie des États-Unis, ainsi que le bilan de l’Institut pour l’environnement de la Brunel University. Tous parviennent aux mêmes conclusions mais il est vrai que certains cercles souhaitent semer le doute et alimentent la controverse.

À titre d’exemple, la mise en garde contre le « recours de précaution abusif », est proprement scandaleuse. Elle vise à induire en erreur et n’a aucune justification scientifique.

La définition des perturbateurs endocriniens a été établie par l’OMS et n’est sujette à aucune controverse. La dose crée-t-elle le poison ? Cela fait débat. L’effet est indéniable si une exposition aux perturbateurs a lieu durant la phase critique de la grossesse. Il existe un consensus sur cette « fenêtre de vulnérabilité », c’est-à-dire la période durant laquelle les effets de l’exposition seront nocifs.

L’« effet cocktail » existe et n’est pas sujet à débat. C’est la toxicité des produits chimiques qui permet d’en déduire les effets combinés.

Je souhaiterais également dénoncer plusieurs mythes et contrevérités qui ont circulé à propos des perturbateurs endocriniens.

Tout d’abord, certains cercles intéressés font valoir le fait qu’une action concertée de la Commission européenne dans ce domaine serait synonyme d’interdiction de tout type de substance d’origine chimique. C’est totalement inexact : l’interdiction des substances chimiques ne concerne que celles impliquées dans la perturbation endocrinienne.

Second mythe, la mise en place d’une étude de risques. Il faudrait autoriser l’introduction des substances chimiques dans l’eau, l’environnement, la nourriture puis procéder à une évaluation. Le règlement de l’Union européenne relatif aux produits phytosanitaire, par exemple, interdit clairement la mise sur le marché des substances mutagènes, toxicologiques pour le système reproductif et cancérigènes, ainsi que celles susceptibles d’induire des perturbations endocriniennes. L’interdiction des substances cancérigènes n’est pas sujette à controverse : il n’est pas procédé à une étude de risques ; une fois établi le profil toxicologique d’une substance donnée et son caractère cancérigène avéré, elle n’obtient pas l’autorisation de mise sur le marché. Il en va de même de la législation relative aux perturbateurs endocriniens.

Certains cercles intéressés, mécontents, font valoir le fait que tous les pesticides seraient bientôt interdits aussi devrait-on procéder à une analyse des risques en fonction des effets induits. Cette analyse porterait clairement préjudice à la volonté politique du législateur européen d’interdire l’utilisation de certains pesticides, eu égard à leur rôle de perturbateurs endocriniens.

Enfin, le règlement européen serait trop prudent, car il ne se fonderait pas sur l’ensemble des éléments scientifiques en provenance des agences compétentes au sein de l’Union européenne dans ce domaine.

Un rapport récent de l’Institut supérieur pour la protection et la recherche environnementales italien (ISPRA) souligne le consensus entre les différentes autorités compétentes d’Europe à ce sujet. L’analyse erronée que j’évoquais n’est donc portée que par ceux qui ne connaissent pas véritablement le fond du sujet.

M. Jean-Louis Roumégas. Je salue la présence de Sophie Errante, qui copréside avec moi le groupe d’études santé et environnementale. Il nous paraît essentiel d’essayer d’harmoniser les stratégies nationales et européennes dans ce domaine.

Je salue également la présence de Gérard Bapt, coordinateur du groupe de travail relatif à la stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens, qui présidait d’ailleurs le groupe d’études santé environnementale sous la législature précédente.

Votre audition, en qualité d’expert reconnu par la Commission européenne sur ce sujet, est pour nous essentielle. Même si les décisions qu’il préconise n’ont pas encore été prises, votre rapport met clairement en évidence les problématiques inhérentes à ces questions.

Les controverses que vous avez évoquées méritent quelques approfondissements.

Vous êtes l’un des auteurs et des 120 signataires de la déclaration de Berlaymont. Pouvez-vous nous préciser les motifs de cet appel ainsi que son contenu et sa portée ?

La France a joué un rôle pionnier dans l’interdiction du bisphénol A dans les contenants alimentaires, à l’initiative du rapporteur de la loi concernée, Gérard Bapt. Le débat, à l’époque, a notamment mis en lumière la question de l’existence d’une frontière entre principe de précaution et principe de prévention. Le premier implique l’adoption de mesures provisoires et proportionnées. Le second implique, en présence de risques avérés, l’adoption d’une réponse graduée, davantage apparentée à la gestion du risque qu’à son éradication. En l’état actuel de vos connaissances, estimez-vous que l’action à entreprendre pour lutter contre les perturbateurs endocriniens relève davantage du principe de précaution ou de celui de prévention ?

Vous venez de nous préciser que la définition des perturbateurs endocriniens faisait consensus. Or, dans son rapport paru en mars dernier, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA, pour European Food Safety Authority) distingue les substances endocriniennes actives des perturbateurs endocriniens. Vous semblez considérer que cette distinction n’est pas pertinente. Pouvez-vous préciser ce qu’il en est effectivement ?

Convient-il, selon vous, d’établir des critères horizontaux, c'est-à-dire commun à l’ensemble des produits, ou des critères spécifiques selon les domaines concernés, comme les pesticides ou les contenants alimentaires ? Cette distinction a de l’importance pour la décision politique car plusieurs propositions de directives portant sur ce sujet sont en cours d’examen, notamment celles relatives aux pesticides et aux perturbateurs endocriniens, et traitées selon des processus parallèle, sans cohérence d’ensemble.

La déclaration de Berlaymont souligne les insuffisances de la proposition de directive sur les pesticides, conçue selon un modèle moins-disant en matière de protection. Qu’en pensez-vous précisément ?

Vous faites souvent allusion à la question de la pertinence des tests. Ceux de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) apparaissent inadéquats car ils ne détectent pas l’ensemble des effets nocifs. Existe-t-il aujourd’hui des tests permettant d’élargir la prise en compte des effets des perturbateurs endocriniens ? Sont-ils fiables ? Une définition de ces tests fait-elle consensus ?

Mme Marietta Karamanli. Il est paradoxal que des résultats scientifiques marginaux aient un impact fort dans l’opinion publique alors que des mesures sur une large échelle humaine mobilisent peu les autorités scientifiques et publiques. Il en est ainsi des travaux relatifs aux protéines animales dans le développement de certains cancers. Quel est votre point de vue, en tant que chercheur et expert, sur ce paradoxe ?

Lors des débats qui se sont tenus, à l’Assemblée nationale, sur l’interdiction du bisphénol A dans les contenants alimentaires, j’avais mis en avant une étude américaine de 2010 selon laquelle les industries s’adaptent plus rapidement que les régulateurs. Comment anticiper les évolutions éventuelles dans la législation ?

M. Gérard Bapt. Je signale la parution d’un décret qui prévoit un étiquetage déconseillant l’utilisation des contenants alimentaires incluant du bisphénol A ; l’interdiction ne prendra en effet force de loi qu’au 1er janvier 2015.

C’est grâce à l’action menée par les scientifiques depuis plusieurs années que la France a pu être motrice dans l’interdiction du bisphénol A dans les contenants alimentaires, notamment grâce à des médiateurs comme le Réseau environnement santé. Je tenais également à souligner votre rôle dans cet appel lancé avec d’autres scientifiques, à Bruxelles.

J’assistais, ce matin, à une réunion sur l’augmentation des dépenses de santé publique, notamment à cause de la prévalence du diabète. Or des études, en Europe comme aux Etats-Unis, ont souligné que le risque de développer un diabète est clairement corrélé à une exposition au bisphénol A, notamment chez des personnes ne présentant pas un risque particulier de développer la maladie. Voilà pourquoi l’instance de pilotage à laquelle j’appartiens – qui a pour objet de mettre en œuvre un plan national de recherche sur les perturbateurs endocriniens et à nourrir le plan européen attendu pour les mois à venir – a obtenu que ce risque soit considéré comme avéré.

Compte tenu du principe de libre circulation des marchandises dans l’Union européenne, l’entrée en application de l’interdiction du bisphénol A dans les contenants alimentaires sera difficile, voire illusoire, si, à l’instar de la suppression de la présence de bisphénol A dans les biberons, la mesure n’est pas étendue à l’ensemble des pays européens. Aussi est-il inquiétant que les discussions sur la définition de la notion de perturbateur endocrinien puissent retarder les décisions politiques européennes.

Une chercheuse du Museum national d’histoire naturelle a observé, par fluorescence, que des perturbateurs endocriniens impactaient le développement de certains têtards. Que pensez-vous des biomarqueurs pour développer de telles recherches ? Les industriels font valoir que, faute de références fiables et faciles d’accès, ils constituent plutôt des obstacles. Estimez-vous, pour votre part, qu’il serait possible de s’appuyer dessus ? Je rappelle que le système découlant du règlement REACH (pour Registration, Evaluation, Authorisation and restriction of Chemicals), qui conditionne les autorisations de mise sur le marché, ne retient que le caractère mutagène d’un produit et oublie le caractère de perturbateur endocrinien.

Mme Sophie Errante. En qualité de membre de la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, je souhaite vous interroger à propos de la possibilité de transmettre des gènes perturbés sur plusieurs générations. Certains pesticides utilisés dans le monde agricole sont des perturbateurs génétiques, du fait de leur effet sur les spermatozoïdes. Quelle est la durée de la présence de ces gènes perturbés dans nos organismes ? La France étant le plus grand utilisateur européen de pesticides, la question est importante.

M. Andreas Kortenkamp. Vous voulez sans doute parler des effets dits « épigénétiques » des pesticides. Des articles sont parus dans des revues scientifiques à ce sujet, un débat est en cours et il faut continuer les recherches. D’un point de vue plus pratique, des expériences impliquant des pesticides menées en laboratoire sur des animaux, notamment des rats, ont montré qu’une exposition pendant la grossesse entraîne des effets irrémédiables de démasculinisation mais l’on ignore encore si ces effets sont transmis sur plusieurs générations.

Nous de possédons pas de preuves scientifiques concernant les effets sur les êtres humains et, compte tenu de la réglementation européenne, fondée sur l’épidémiologie, il est impossible de les vérifier. Pour prouver des effets délétères sur l’être humain, il faut que ceux-ci soient déjà très forts et donc que le danger soit par conséquent très grand. Or c’est précisément ce que nous voulons éviter. Il n’est pas admissible d’attendre de voir les impacts sur la population humaine car ce serait alors déjà trop tard.

Oui, il existe bien un lien entre bisphénol A et diabète, des éléments tendent à le prouver. La France a donc pris une excellente décision en interdisant l’utilisation du Bisphénol dans les emballages et conditionnements. Mais la France n’est pas une île : pour que le décret soit pleinement efficace, cette mesure doit également être adoptée par les autres États de l’Union européenne.

Des pseudo-mesures sont motivées par la volonté de faire croire que l’on agit et calmer le grand public, comme l’interdiction des phtalates dans les jouets, afin d’éviter que de de jeunes enfants « machouillent » des substances nocives. Mais il ressort des recherches sur les perturbateurs endocriniens que l’intervalle de temps le plus problématique est la période où l’enfant est dans le ventre de sa mère. Cette réglementation est donc insuffisante : ce sont les femmes enceintes qu’il faudrait prioritairement protéger d’une exposition.

Le principe de précaution, défini et ancré dans les traités de l’Union européenne, découlant aussi de la Conférence de Rio de 1992, n’a rien à voir avec l’esprit du règlement sur les produits phytosanitaires, qui pose des limites fondées sur le risque inhérent aux produits cancérigènes, mutagènes, etc., ayant un impact sur le système reproductif. Mais le principe de précaution n’est pas en cause car il y a de bonnes raisons pour refuser, sur les marchés, la présence de produits chimiques comportant ces caractéristiques. Telle est l’analyse de la Commission européenne, qui essaye donc de mettre en œuvre une législation appropriée, mais il existe un risque de confusion. Des sociétés et des experts en toxicologie aiment les études de risques et cherchent surtout à établir la dangerosité d’un produit chimique présent dans la nature et ayant un impact sur l’organisme. Mais la législation prévoit, pour certains pesticides, de ne pas attendre qu’ils passent dans la nature et la chaîne alimentaire, afin d’assurer une protection en amont. Les scientifiques n’ont pas à en discuter car cela relève de la volonté du peuple européen, c’est un règlement européen, avec des mesures d’application à mettre en œuvre.

Le règlement sur les pesticides n’est pas inspiré par le principe de précaution mais par le principe de prévention, selon lequel, en cas de danger, il ne faut pas attendre des éléments scientifiques solides pour agir. C’est dans cet esprit que le prince Charles, furieux de se voir opposer des doutes sur le changement climatique, avait répondu par l’analogie de l’enfant malade : le médecin n’attend pas pour soigner l’enfant malade ; il n’attend pas de connaître les mécanismes sous-tendant la maladie dont l’enfant est victime.

Si le règlement sur les pesticides n’applique pas le principe de précaution, il n’en est pas moins utile : les perturbateurs endocriniens existent, ils sont dangereux ; il convient donc de ne pas attendre, de ne pas prendre prétexte de quelques doutes pour repousser le moment de légiférer.

Dans la déclaration de Berlaymont, nous avons suivi les avis de conseillers scientifiques du président Barroso : nous avons été convaincus et avons déclaré qu’il nous appartient de faire des recherches. Nous sommes financés par les deniers publics européens, c’est à nous de procéder aux recherches scientifiques.

Le consensus scientifique va au-delà des définitions, il porte sur de nombreux éléments scientifiques, sur des incertitudes aussi.

Pour définir les perturbateurs endocriniens, c’est la définition de l’OMS qui prévaut et elle est limpide. Mais il existe aussi des perturbateurs endocriniens potentiels. L’activité sur le système endocrinien n’est, pour sa part, pas définie. Si certains laboratoires emploient l’expression « substance active », c’est pour démontrer l’impact de certains facteurs chimiques sur des systèmes hormonaux. Pour démontrer l’effet délétère des perturbateurs endocriniens, il reste néanmoins nécessaire de procéder à des expérimentations sur l’animal.

Le besoin de définir des critères horizontaux, plutôt que des critères différents pour les pesticides, les produits industriels, les cosmétiques, etc., est manifeste. Toxicologie et toxicité ne suivent en effet pas nécessairement les arcanes juridico-politico-administratives ! C’est précisément à cet exercice de définition que la Commission européenne se livre.

La question des pesticides est bien abordée dans le règlement sur les produits phytosanitaires et nous n’avons jamais dénoncé les tests de l’OCDE, qui effectue un très bon travail. Ceux-ci permettent de détecter les perturbateurs endocriniens mais aussi de procéder à des validations : par exemple, si des tests effectués au Japon peuvent être validés aux États-Unis sans y être reproduits, c’est très bien. La législation européenne ne tire cependant pas toujours les leçons d’un test « validé OCDE » ; cela prendra du temps.

Mme Chantal Guittet. Le degré de toxicité des particules rejetées par les centrales à gaz n’est pas prouvé au départ mais l’on risque d’en prendre conscience dans cinquante ans, comme pour l’amiante. Les industriels affirment souvent qu’il n’y a pas de risques alors que les médecins sont convaincus du contraire. Existe-t-il des tentatives de prévision ou d’analyse pour détecter en amont de tels risques de catastrophes sanitaires ? Que fait l’Union européenne en la matière ?

M. Andreas Kortenkamp. Le risque lié à l’amiante est reconnu, il n’y a pas de polémique. Il existe une réglementation pour l’amiante, de même que pour les particules émises par les centrales, les véhicules, etc. Les risques présentés par ces particules sont connus et il me semble que les mesures pour régler le problème sont en place.

M. Jean-Louis Roumégas. Depuis la publication de votre rapport, comment évolue le débat en Europe ? Êtes-vous optimiste quant aux décisions qui devraient être prises, en principe, avant décembre ?

M. Andreas Kortenkamp. Je ne peux vous répondre précisément. Nous avons répondu à la demande de la Commission européenne, répondant, en quelque sorte, à un contrat. Des blocages ou des retards mineurs se produiront sûrement mais les directeurs généraux chargés de l’environnement, de la santé et des entreprises en débattent entre eux. Il ne m’appartient pas de vous livrer des commentaires sur l’action de la Commission européenne mais, autant que je sache, elle peut être traversée par des tendances visant à introduire d’autres critères, en provenance d’autres cercles. Pour obtenir une réponse plus précise, il faudrait que vous interrogiez directement ses responsables.

La Présidente Danielle Auroi. Nous vous remercions vivement, professeur.

Jean-Louis Roumégas va continuer à travailler sur ce thème et entendra divers représentants d’organisations, dont certains sont d’ailleurs présents aujourd’hui. Nous aurons l’occasion d’en débattre de nouveau ici, lorsqu’il rendra son rapport d’information. Tous nos travaux doivent contribuer à faire avancer la réflexion.

M. Arnaud Leroy, rapporteur. Le cadre financier pluriannuel 2014-2020 prévoit que les actions pour l’environnement et pour le climat seront prises en compte dans l’ensemble des instruments financiers, en vertu d’une logique dite d’« intégration ». La Commission européenne propose néanmoins de prolonger, en parallèle, le programme spécifique d’instrument financier pour l’environnement, dit « LIFE », en vigueur depuis 1992.

Cette combinaison entre la logique d’intégration et un vecteur de financement spécifique est nécessaire car les instruments généraux de l’Union européenne ne peuvent couvrir tous les besoins en matière d’environnement et de climat.

L’instrument LIFE 2014-2020 est censé dégager des moyens nouveaux pour mettre en œuvre plus uniformément et plus complètement la législation communautaire, permettre de mieux définir les priorités et de veiller à ce que les ressources prévues soient bien affectées à leur destination environnementale ou climatique, donner à la Commission européenne la possibilité d’intervenir plus efficacement que les États membres, offrir une plateforme pour les échanges d’expérience et la mise au point des meilleures pratiques et augmenter la visibilité de l’action dans les domaines de l’environnement et du climat.

La Commission européenne propose de décomposer LIFE en deux sous-programmes, consacrés respectivement à l’environnement et à l’action pour le climat.

Le sous-programme environnement sera organisé selon trois priorités : environnement et efficacité des ressources ; nature et biodiversité, incluant Natura 2000 ; gouvernance et information environnementales.

Le sous-programme action pour le climat sera également divisé en trois priorités : atténuation du changement climatique ; adaptation au changement climatique ; gouvernance et information en matière de changement climatique.

Chacun des deux sous-programmes bénéficiera de sa propre ligne de crédit : les quelque 3 milliards d’euros de l’enveloppe globale seront affectés à hauteur des trois quarts à l’environnement et à hauteur d’un quart à l’action pour le climat.

Plusieurs évolutions seront mises en œuvre, dans l’optique d’améliorer l’efficacité de LIFE.

Premièrement, les projets éligibles seront sélectionnés selon une approche dite « descendante flexible », afin d’orienter la demande en fonction des besoins de la politique environnementale et climatique.

Deuxièmement, le taux de cofinancement de l’Union européenne sera accru.

Troisièmement, outre les projets pilotes classiques, LIFE 2014-2020 financera des projets dits « intégrés », développés sur une large échelle territoriale et impliquant d’autres fonds communautaires, nationaux ou privés.

Quatrièmement, LIFE couvrira tous les types de financement nécessaires pour atteindre ses objectifs et son champ d’application territorial sera élargi aux pays tiers.

Sous le programme LIFE+, qui court jusqu’au 31 décembre 2013 et était doté de 2,17 milliards d’euros, la Commission européenne opérait la sélection finale des projets en tenant compte d’un mécanisme d’« allocations indicatives nationales » par État membre, afin d’éviter de trop grands déséquilibres dans la répartition géographique des aides.

En 2012, la France est arrivée en cinquième position pour le nombre de projets présentés, avec quarante-trois dossiers, progressant d’une place par rapport à 2011, et en troisième position pour le nombre de projets retenus, avec quatorze dossiers, reculant d’une place par rapport à 2011.

Ce système des allocations indicatives nationales sera progressivement abandonné sous LIFE 2014-2020 : la sélection s’opérera dorénavant sur le seul fondement de l’évaluation de la qualité des propositions. Il est dès lors difficile, à ce stade, de prévoir les bénéfices que la France pourra retirer du programme. Observons au demeurant que les retombées financières dépendent essentiellement de la capacité des opérateurs à améliorer la quantité et la qualité des projets qu’ils déposent, puisque le taux de consommation de l’allocation indicative française a été très variable sur la période d’exécution de LIFE+ : de 53 à 83 % selon les exercices.

Un accord sur la proposition de règlement est intervenu en trilogue, le 26 juin 2013, à la grande satisfaction des ONG environnementales ; il doit encore être confirmé formellement par le Conseil et le Parlement européen.

Compte tenu du resserrement du cadre financier pluriannuel, l’enveloppe globale allouée à LIFE a dû être revue à la baisse par rapport à la proposition de la Commission européenne. Elle devrait néanmoins être maintenue à 3 milliards d’euros courants, soit tout de même près de 40 % d’augmentation par rapport à la période septennale de programmation précédente.

L’accord prévoit des taux de cofinancement en progression par rapport à LIFE+, différenciés selon les types de projet : 75 % pour les projets habitats et espèces prioritaires ; 60 % pour les projets intégrés et les projets nature et biodiversité ; 55 % pour les autres projets.

L’approbation définitive de la proposition de règlement dépend, en dernier ressort, de l’adoption du cadre financier pluriannuel, attendue dans le courant de l’automne 2013.

La France se félicite particulièrement de deux orientations majeures actées dans l’accord en trilogue. D’abord, une importance singulière est accordée aux projets consacrés à la conservation de la nature et de la biodiversité, en vue, notamment, de développer le réseau Natura 2000. Ensuite, les pays et territoires d’outre-mer seront dorénavant éligibles aux aides du programme LIFE.

La Présidente Danielle Auroi. Ce dernier point recoupe le thème de la biopiraterie et du protocole de Nagoya, à propos duquel je vous ai présenté un rapport d’information en novembre dernier.

Sur la proposition du rapporteur, la Commission a adopté, à l’unanimité, la proposition de règlement.

La séance est levée à seize heures vingt-cinq

Membres présents ou excusés

Commission des affaires européennes

Réunion du mercredi 17 juillet 2013 à 15 heures

Présents. – Mme Danielle Auroi, Mme Chantal Guittet, Mme Marietta Karamanli, M. Arnaud Leroy, M. Jean-Louis Roumégas

Excusés. - M. Philip Cordery, Mme Annick Girardin, M. Jean-Claude Mignon

Assistaient également à la réunion. - M. Gérard Bapt, Mme Sophie Errante