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Commission des affaires européennes

mercredi 9 octobre 2013

16 h 20

Compte rendu n° 86

Présidence de Mme Danielle Auroi Présidente Et de Mme Elisabeth Guigou Présidente de la Commission des affaires étrangères

Audition, conjointe avec la Commission des affaires étrangères, de M. Herman Van Rompuy, Président du Conseil européen

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mercredi 9 octobre 2013

Présidence de Mme Danielle Auroi,
Présidente de la Commission des affaires européennes
et de Mme Elisabeth Guigou,
Présidente de la Commission des affaires étrangères

La séance est ouverte à 16 h 35

Audition, conjointe avec la Commission des affaires étrangères, de M. Herman Van Rompuy, Président du Conseil européen

La Présidente Élisabeth Guigou. Nous accueillons cet après-midi M. Herman Van Rompuy, que je remercie vivement d’avoir répondu à notre invitation.

Nous apprécions, Monsieur le Président du Conseil européen, que vous ayez accepté l’exercice démocratique consistant à venir vous exprimer en devant nos commissions, vous qui plaidez pour que les parlements nationaux soient davantage associés au processus de décision et de contrôle de la politique européenne.

Après que M. Van Rompuy aura terminé son intervention liminaire, des questions concises permettront un échange fructueux. Je me contenterai d’engager le dialogue en évoquant deux des thèmes qui seront à l’ordre du jour du Conseil européen. Le premier est l’approfondissement de l’union économique et monétaire. Nous savons tous le rôle que vous avez joué dans la mise au point d’une feuille de route qui donne lieu, peu à peu, à des traductions concrètes. Un point d’étape sera effectué lors du prochain Conseil, et peut-être pourrez-vous nous livrer votre analyse de l’avancement des chantiers ouverts, qu’il s’agisse de l’union bancaire, des contrats de compétitivité et de croissance ou de la dimension sociale, qui nous tient particulièrement à cœur.

Le deuxième thème est celui de l’Europe de la défense, porté à l’ordre du jour du Conseil européen des 19 et 20 décembre, et pour lequel nous espérons des propositions fortes. Comment préparez-vous ce Conseil ? Quelles initiatives prendrez-vous pour permettre que l’on avance enfin dans la construction de ce volet indispensable de l’Europe politique ?

La Présidente Danielle Auroi. Je vous remercie à mon tour, Monsieur le Président, d’avoir répondu à notre invitation à ce dialogue, qui est une grande première. Quels sont selon vous les moyens les plus propices à l’approfondissement démocratique de l’Union européenne ? À la veille des élections européennes, de grandes inquiétudes se font jour car les peuples d’Europe, ne supportant plus les politiques d’austérité, sont de plus en plus méfiants et tentés par les nationalismes les plus extrêmes. La modification des modalités d’élection à la présidence de la Commission européenne suffira-t-elle à raviver la confiance ? Les gouvernements restent très présents, puisque la composition du Parlement européen, dans sa configuration actuelle, ne reflète toujours pas le principe « une personne, une voix ». Dans l’esprit du rapport rédigé au nom de la Commission des affaires européennes de notre Assemblée sur la démocratie européenne et son évolution, et comme le suggère le commissaire Michel Barnier, ne faudrait-il pas aussi relancer l’union bancaire et favoriser ainsi une économie partagée ? Pour que les citoyens soient mieux représentés, les pouvoirs du Parlement européen devraient être renforcés et les parlements nationaux davantage associés au processus de décision. Au-delà de la mise en œuvre, pour la première fois à travers la Conférence budgétaire qui va se tenir à Vilnius, de l’article 13 du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance – TSCG – ne faudrait-il pas aussi prévoir une assemblée des peuples représentant les parlements nationaux, et donc le bicamérisme ?

Enfin, une politique européenne ambitieuse ne peut s’appuyer que sur des finances spécifiques. À cet égard, l’Europe de l’énergie et du climat ne suppose-t-elle pas des propositions ambitieuses, et notamment un impôt européen sous la forme d’une taxe carbone aux frontières ? Ne pourrait-on aussi imaginer lever un impôt sur la fortune européen ?

M. Herman Van Rompuy, Président du Conseil européen. Mesdames et messieurs – chers collègues, puis-je dire après vingt années passées au Parlement belge –, c’est un plaisir de partager quelques réflexions et expériences sur l’état de l’Union européenne avec vous, à l’Assemblée nationale française. Je me réjouis de pouvoir débattre de points précis dans un instant, sur l’euro, le chômage des jeunes ou notre action dans le monde, mais je souhaite lancer cet échange par quelques observations plus générales.

Nous entrons dans une année électorale, dans un bon nombre de pays et pour l’Europe dans son ensemble avec les élections européennes de mai prochain. L’Union européenne va donc être débattue entre partis, entre pays, entre générations, entre convictions.

Ma conviction personnelle est que l’Europe, ce n’est plus « Bruxelles » : l’Europe est partout. L’Europe, c’est nous. Mais cette réalisation doit encore faire son chemin.

Ici, à Paris, en arrivant de Bruxelles, je ne me sens pas l’émissaire d’une entité politique lointaine. Je parle, en tant que responsable européen, à d’autres responsables européens : vous-mêmes. L’Europe, c’est nous. Au-delà de ce qui se passe à Bruxelles, à Luxembourg, à Strasbourg, à Francfort, notre Union, c’est cet ensemble de relations entre nos pays, entre nos citoyens, entre nos institutions et nos institutions communes. Dans cet ensemble, les parlements nationaux occupent une place centrale, en assurant le contrôle des gouvernements, en relayant les attentes des électeurs, en leur parlant. Pour avoir siégé vingt ans au sein du Sénat et de la Chambre des députés de mon propre pays, et pour avoir présidé celle-ci pendant dix-huit mois, je sais ce qu’il en est.

La légitimité démocratique de l’Union est assumée par le Parlement européen bien sûr, mais aussi par les parlements nationaux. Il y a une double légitimité, et la tâche européenne d’une Assemblée telle que la vôtre est plus essentielle encore que dans le passé.

Depuis quelques années, dans chacun de nos pays, l’Europe est au cœur du débat d’opinion : à travers l’euro, à travers la convention de Schengen, les gens ont découvert que l’Union européenne est faite pour tous et qu’elle les concerne directement et profondément. Il ne faut pas sous-estimer l’ampleur de ce changement ; il affecte nos pratiques, nos fonctionnements et les attentes que les Européens placent dans l’Europe.

À l’époque de la Communauté européenne, l’Europe ne passionnait que les experts, les enthousiastes, et ses bénéficiaires directs. Il y a quelques années encore, on se plaignait que l’Europe ne soit présente ni dans les esprits ni dans les cœurs ; voyez comme elle agite maintenant tous les électeurs, bon gré mal gré, pour le meilleur et pour le pire.

En France, le référendum de 2005 a été un premier réveil. Mais c’est sans doute la crise de l’euro, depuis 2010, qui a été le réveil décisif, et rude. En voyant les tensions institutionnelles et politiques que cela a suscitées, certains craignaient une renationalisation de la politique européenne, une menace pour l’édifice. Observant d’où l’on part, j’y vois au contraire une européanisation de la politique nationale, un basculement qui a déjà renforcé notre édifice. Le mot clé, c’est « interdépendance » – l’enchevêtrement intime de nos économies, de nos sociétés, de nos politiques. Les gouvernants et les peuples savent maintenant ce que cela signifie vraiment de partager un espace commun et une monnaie. Ce partage est une expérience tantôt heureuse, tantôt douloureuse, en fonction des moments, des attentes et des sujets.

La grande leçon de la crise financière et économique, l’essentiel de ce que nous avons fait pour la surmonter, c’est de mieux gérer cette interdépendance, pour l’intérêt général de l’Europe. D’abord, grâce à une plus grande solidarité entre les États européens : le Mécanisme européen de stabilité, ce bouclier de 500 milliards d’euros, en est le symbole et la manifestation la plus concrète ; auparavant, la solidarité financière, faible, s’exerçait uniquement par le biais du budget européen, qui représente 1 % du produit intérieur brut de l’Union. Mieux gérer l’intérêt européen, c’est aussi manifester une plus grande responsabilité au sein de chaque pays membre ; la nouvelle gouvernance économique est un exemple éclatant de cette évolution.

Depuis 2010, nous avons avancé en parallèle sur les deux voies de la solidarité et de la responsabilité, et la zone euro dans son ensemble en sort renforcée sur les deux plans, tous les dirigeants en conviennent.

Tout cela a pris du temps – trop de temps, j’en conviens. Aujourd’hui, la priorité absolue est à la croissance et l’emploi. Depuis le tout début, c’est l’objectif principal. Certes, il n’a pas toujours été facile, pendant les deux années et demie où nous allions d’un sommet de vérité au suivant, de faire comprendre que si l’on entreprenait de sauver l’euro et de restaurer la stabilité financière, ce n’était ni pour les banques ni pour le plaisir mais pour retrouver à terme le chemin de la croissance et de l’emploi. Quand les fondements tremblent, il faut d’abord consolider ; ensuite, on peut construire à nouveau.

Maintenant, nous sommes dans cette deuxième phase. Depuis plus d’un an, nous travaillons intensément sur l’emploi, notamment l’emploi des jeunes. Le gouvernement français a joué un rôle d’accélérateur essentiel. Rien qu’en 2012, l’Union européenne a pu aider 800 000 jeunes à reprendre pied dans le monde du travail.

Nous travaillons également sur la croissance, par des moyens divers. Le travail a été long et douloureux mais les premiers résultats sont là, modestes mais indéniables. Ce sont les résultats qui comptent pour les citoyens, et ce sera le vrai test de confiance en l’Europe : nous serons jugés sur nos résultats. Mais la croissance doit être durable, et c’est pourquoi notre compétitivité est essentielle. Des réformes structurelles sont nécessaires. Cela ne nous rendra pas plus populaires, mais le court-termisme ne nous sauvera pas.

En ce moment, nous fortifions la dimension sociale de l’union économique et monétaire de manière plus directe, en renforçant le rôle des indicateurs sociaux dans le semestre européen, en nous efforçant de mieux combattre les divergences sociales et de mieux coordonner les politiques dans ces domaines, et en renforçant le dialogue social, tant au niveau national qu’au niveau européen. Là encore, des percées notables ont eu lieu.

Autre chantier essentiel, autre objectif partagé par tous les dirigeants de la zone euro : parvenir à une véritable union économique et monétaire, en suivant la feuille de route que j’ai proposée aux chefs d’État et de gouvernement en décembre 2012. Elle prévoit à la fois davantage de coordination et d’intégration dans la zone euro, et la surveillance budgétaire pour ce qui est des objectifs structurels.

Sur le chemin de l’union économique et monétaire, le sujet le plus important, actuellement, est l’union bancaire. Elle contribuera à assainir durablement le système bancaire et à restaurer les conditions de crédit permettant aux entreprises de créer des emplois partout en Europe. L’union bancaire est la clé de voûte de la nouvelle architecture et nos travaux à cet effet doivent avancer le plus rapidement possible. L’accord sur le mécanisme unique de supervision étant désormais conclu, l’objectif est maintenant, vous le savez, de trouver un accord sur un mécanisme de résolution bancaire d’ici décembre. Les Conseils européens d’octobre et de décembre seront à cet égard des rendez-vous clés, et il est important que la France continue à soutenir avec toute son énergie notre avancée commune sur cet aspect essentiel de la construction européenne.

La tempête est derrière nous, mais les gens nous demandent, comme à vous, un éclairage, une orientation : où allons-nous ensemble, et jusqu’où ? Est-ce cette Europe-là que nous voulions créer ? Les réponses diffèrent : l’Union exaspère les uns par son ambition mais déçoit les autres par sa timidité ; les uns veulent plus de liberté d’action, d’autres un meilleur respect des règles… Il ne faut pas s’en étonner : c’est dans la logique même du chemin que nous avons tracé ensemble.

Votre pays, avec – oserais-je le dire ? – une « force tranquille » que j’admire, demande depuis des décennies une Europe plus politique, capable de peser dans le monde et de prendre des initiatives au-delà des cadres tout tracés. Eh bien, l’Europe est bel et bien devenue plus politique. Notre ensemble agit et réagit, dans le temps long comme dans le temps de l’urgence, et il cherche son public.

Vous, qui êtes des femmes et des hommes politiques expérimentés, savez parfaitement que politiser, proposer des choix, organiser des responsabilités communes, cela signifie aussi conclure des accords et des compromis, instaurer des équilibres et, parfois, trancher. Vous savez également que « politiser l’Europe vers l’extérieur » ne va pas sans la politiser à l’intérieur. Autrement dit, une Europe forte dans le monde commence par une Europe forte chez soi, par une Union économiquement stable et performante, qui ait la confiance de ses citoyens, dans tous nos pays.

Cela m’amène à dire quelques mots au sujet de la défense. J’ai proposé de mettre ce sujet à l’ordre du jour du Conseil européen de décembre. Ce sera la première fois que la question sera débattue au niveau des chefs d’État et de gouvernement depuis que la crise financière a éclaté, en 2008 ; c’est un autre signe que nous sommes prêts à affronter de nouveaux défis.

Pendant ce Conseil européen, l’enjeu, pour moi, est clair : nous devons manifester de manière concrète notre volonté politique d’assumer, ensemble, nos responsabilités de sécurité et de défense. Dans ce domaine, la France a montré, en Libye et au Mali, que l’Union européenne, sur les terrains de crise dans le monde, ce sont certes des médecins, des urgentistes, des agronomes et des ingénieurs, mais pas seulement : ce sont aussi des policiers et des militaires prêts à stabiliser des pays, rétablir l’État de droit et la justice, donner confiance en l’avenir. L’Union est aussi le premier partenaire mondial en termes d’aide au développement dont elle assure la moitié à elle seule, et le plus grand donateur en matière humanitaire, notamment en Syrie.

Toute l’Europe suit de près ce qui se passe en France, et moi plus que quiconque. La France fait ses choix et prend ses décisions dans le cadre européen. Vous êtes bien entendu, mesdames et messieurs les députés, responsables devant vos électeurs. Mais la France n’est pas n’importe quel pays en Europe. Votre pays, main dans la main avec l’Allemagne, a donné depuis les premiers jours, et continue de donner, les grandes impulsions à l’aventure européenne. Vos partenaires et toute l’Europe ont besoin d’une France déterminée à jouer ce rôle européen, d’une France qui réponde non seulement à l’attente des Français et mais aussi à celle des autres peuples.

Voilà pourquoi je vous ai dit être venu de Bruxelles à Paris, parler en tant que responsable européen à des responsables européens : vous.

M. Christophe Caresche. La feuille de route conduisant à l’union économique et monétaire doit absolument se concrétiser, mais plusieurs hypothèses ont été formulées pour y parvenir : nommer un ministre des finances européen qui prendrait aussi la tête de l’Eurogroupe ; doter l’Eurogroupe d’une présidence autonome ; le faire présider par le président du Conseil. Quels sont pour vous les avantages et les inconvénients de ces diverses solutions ? Dans un autre domaine, la première conférence interparlementaire établie par l’article 13 du TSCG se réunira prochainement à Vilnius ; quel est votre sentiment sur cette initiative que nous avons beaucoup soutenue ?

M. Yves Fromion. Les conclusions du rapport d’information sur la relance de l’Europe de la défense, que mon collègue Joachim Pueyo et moi-même nous avons établi au nom de la Commission des affaires européennes, ont donné lieu à une proposition de résolution européenne de l’Assemblée nationale. Nous avons mis en exergue les importantes possibilités de coopération structurelle en matière de défense offertes par le traité de Lisbonne. Certaines orientations à ce sujet sont-elles déjà arrêtées ? Avez-vous l’espoir qu’une avancée politique aura lieu à ce sujet lors du Conseil européen de décembre ?

M. Philip Cordery. La croissance est à nouveau à l’ordre du jour des institutions européennes. Cela est dû, après quelques années d’austérité pure et dure, au changement de majorité politique intervenu dans certains grands pays de l’Union. Mais qu’en est-il de la lutte contre le dumping social et fiscal ? Pensez-vous prendre des initiatives fortes à ce sujet ? Les failles de la directive relative au détachement des travailleurs sont patentes, et une concurrence déloyale flagrante s’exerce dans certaines filières telles que le BTP, l’agro-alimentaire ou le transport. Que comptez-vous faire à ce propos ?

M. Jean-Pierre Dufau. Le drame qui s’est produit à Lampedusa a suscité l’émotion de tous. La question des flux migratoires exige une politique concertée et une responsabilité partagée : on ne peut laisser les États les plus exposés par la géographie à l’immigration clandestine seuls face à un problème qui concerne l’Union dans son ensemble. La France a prévu de demander que la question soit portée à l’ordre du jour du Conseil européen des 24 et 25 octobre prochains. Qu’en sera-t-il ?

M. Nicolas Dupont-Aignan. « L’Europe, c’est nous », avez-vous dit, Monsieur Van Rompuy. Or, ce n’est plus vrai pour les Français depuis que le résultat du référendum de 2005 a été bafoué, ce que nous payons très cher tous les jours, avec l’immigration clandestine, le drame des Roms et les leçons de morale de Mme Viviane Reding, 300 000 salariés low cost dus à la directive Bolkestein, une industrie laminée, un euro trop cher, des services publics détruits, l’augmentation sans fin du prix de l’électricité… Je ne doute pas de votre sincérité, mais les institutions européennes marchent sur la tête et ne se rendent pas compte de la colère des peuples, qui va se manifester très fortement dans notre pays. S’il n’y a pas une réorganisation radicale de l’Union européenne, le retour à la liberté des nations et à des projets concrets pour faire aimer l’Europe, vous risquez d’être très déçu par le vote de notre pays – mais ce sera une grande chance pour la France.

M. Joaquim Pueyo. Je reviens à l’Europe de la défense. On voit qu’en Syrie les États européens ne peuvent agir isolément mais aussi que l’Union européenne a tardé à s’exprimer. Quelle impulsion le Conseil européen peut-il donner à la politique de sécurité et de défense commune, élément capital de notre vision de l’Europe et de son rôle sur la scène internationale ? Je suis convaincu que plus on progressera vers l’Europe de la défense, plus les opinions publiques seront favorables au renforcement de la construction européenne. Dans la conjoncture actuelle, il est essentiel de rappeler que développer l’Europe de la défense, c’est aussi renforcer l’Europe de la paix et la défense des droits de l’homme.

M. Michel Herbillon. Alors que se profile une année électorale, on sent partout monter l’euroscepticisme sinon l’euro-hostilité. Quelles sont les raisons de ce phénomène et comment le combattre ? Est-ce parce que les institutions européennes sont illisibles ? Est-ce parce que l’Union est en panne de projets ? Est-ce parce qu’elle ne s’occupe pas suffisamment de la vie quotidienne des Européens, qu’elle ne résout pas les problèmes que suscitent le chômage, l’atonie de la croissance, les mouvements migratoires ? Est-ce parce que l’Union est le défouloir des frustrations, des insatisfactions et des peurs ? Le paradoxe serait qu’au terme des élections européennes, le premier parti soit celui de tous ceux qui sont contre l’Europe !

M. Pierre-Yves Le Borgn’. Monsieur le Président, je souhaite appeler votre attention sur les conséquences de la paralysie croissante du processus décisionnel de l’Union. Depuis des mois, une bataille oppose la Commission, le Conseil et le Parlement sur les actes délégués et les actes d’exécution. Il en résulte un très fort risque que les instruments de la coopération extérieure pour la période 2014-2020 ne soient pas adoptés à temps. Ils couvrent pourtant la politique de voisinage – les relations entre l’Union européenne et les pays de l’ancienne Union soviétique et du pourtour méditerranéen – et la conséquence de ce blocage, sera que, faute de base juridique, l’Union ne pourra engager de nouveaux fonds pour des projets avec et dans ces pays. Que vous inspire cette situation ? Que pensez-vous de l’effacement progressif de la méthode communautaire et de son remplacement par une guérilla des trois institutions, dès la phase législative, qui conduit à des textes vides de sens et au renvoi de l’essentiel à la législation secondaire et donc à la Commission européenne, sans contrôle du Parlement ni du Conseil ?

M. Charles de La Verpillière. Comme mon collègue Michel Herbillon, je constate, pour m’en désoler, le désamour des citoyens européens, et particulièrement des Français, à l’égard de l’Europe. Il faut agir, d’une part en démontrant que l’Europe n’est pas la cause de la crise mais son remède et qu’il est indispensable d’approfondir l’union économique et monétaire, d’autre part en luttant contre le déficit démocratique. À ce sujet, que pensez-vous de l’association des parlements nationaux à l’élaboration des décisions ? Ne faudrait-il pas aussi amplifier le rôle alloué au Parlement européen, ce qui implique de modifier le mode d’élection de ceux qui y siègent ?

Mme Estelle Grelier. Je souhaitais initialement vous interroger sur certaines politiques communautaires, mais votre intervention m’a troublée. J’ai été députée européenne, je suis passionnée par les enjeux européens, et le discours que vous nous avez tenu, Monsieur le Président, est de ceux qui me désespèrent, de ceux que les citoyens européens ne peuvent plus entendre, car il ne s’adresse pas à des Européens mais à des experts de la chose européenne. Et puis, on ne sent pas la politisation que par ailleurs vous appelez de vos vœux : on sait que le fonctionnement des parlements nationaux, à commencer par le nôtre, n’est absolument pas européanisé. Enfin, quels débats avez-vous suscité, ès qualité, au sein du Conseil européen, qui ont aiguisé l’intérêt des citoyens européens ? Je suis ravie de vous avoir rencontré, mais au terme de votre mandat, quel est votre bilan ?

Mme Marion Maréchal-Le Pen. Vous avez dit, Monsieur, que la France a depuis toujours voulu une union politique ; c’est faux. Ses gouvernements successifs et ses élites déconnectées peut-être, mais en 2005, par voie de référendum, le peuple français a rejeté la Constitution européenne ; ensuite, on la lui a imposée par le traité de Lisbonne – et, pour être sûr que cela ne se reproduise pas, on a systématiquement recours au Congrès car on a peur du peuple en France, ou alors on supprime de la Constitution la possibilité du recours au référendum pour tout nouvel élargissement de l’Union européenne.

Vous avez dit que l’union bancaire permettrait d’assainir le système bancaire. Peut-on alors espérer une véritable séparation des banques d’affaires et des banques de dépôts ? La réforme d’affichage menée en France n’a malheureusement été qu’un feu de paille. Peut-être l’Union européenne pourra-t-elle nous surprendre de ce point de vue.

M. Pouria Amirshahi. Le grand doute qui traverse les peuples européens s’explique par la contradiction entre un projet qui visait à les faire coopérer et la réalité : ils se trouvent pris dans une concurrence sociale et fiscale violente qui les oppose. Cela a pour conséquence politique que l’imaginaire européen recule, et les critiques formulées par ma collègue Estelle Grelier sont parfaitement fondées. Pour dépasser ces contradictions, il convient notamment de se resserrer sur la zone euro – car comment se faire dicter une politique économique par des pays qui ne partagent pas la monnaie unique ? Le manque de lisibilité de l’action européenne est patent. Par ailleurs, si l’on pense que l’Europe doit protéger son industrie, comment accepter d’ouvrir la perspective d’un libre échange qui nous affaiblira, alors que c’est le juste échange, équilibré, qui doit prévaloir dans nos relations avec les États-Unis et avec la Chine ? À cette contradiction aussi il faudra répondre.

M. Pierre Lequiller. Pour ma part, j’ai beaucoup d’admiration pour ce que vous avez fait, Monsieur Van Rompuy, Il est heureux que, pendant la crise, vous ayez été là pour négocier la solidarité européenne en matière financière.

Comment construire une Europe de la défense au moment où les pays réduisent leur effort national à ce sujet ? Dans un autre domaine, l’horreur de ce qui s’est passé au large de Lampedusa ne doit-il pas inciter à une révision complète de l’accord de Schengen visant à lui donner une tournure beaucoup plus politique en dotant cet espace d’un président chargé à la fois d’instaurer des aides aux pays d’émigration et de sanctionner les passeurs ? Ne faut-il pas aussi revoir les dispositions prévoyant qu’il revient au premier pays de l’Union où pénètre un migrant d’examiner sa demande d’asile et de pourvoir à ses besoins ?

Mme Axelle Lemaire. Je vous remercie, Monsieur Van Rompuy, pour votre présence. Pour la première fois, les 24 et 25 octobre prochains, un Conseil européen traitera de l’économie numérique, dans la perspective de la réorientation des projets européens vers la croissance et la création d’emplois. La Commission des affaires européennes de notre Assemblée a adopté hier une proposition de résolution dans laquelle elle se félicite de l’importance politique désormais accordée à ce thème structurant et fédérateur. L’économie numérique représente actuellement 500 000 emplois au sein de l’Union européenne, avec un potentiel d’augmentation du PIB de 4 à 15 % d’ici à 2020 ; c’est donc un moyen efficace de lutter contre le chômage. Or l’Europe, qui est pourtant une terre de savoirs, est en phase de déclin économique face aux géants de l’Internet américains qui accaparent les parts de marché et qui définissent les normes en ce domaine, alors même que l’Union européenne est le levier d’intervention adéquat. Pensez-vous qu’une Europe du numérique soit possible ? Qu’attendez-vous à ce sujet du prochain Conseil européen ?

M. Avi Assouly. Vous avez signalé les avancées de l’intégration européenne en matière financière, budgétaire et économique mais l’intégration politique reste désespérément en suspens, sans que l’on sache si la question sera jamais tranchée. À quand la construction fédérale, selon vous ?

M. Herman Van Rompuy. Je remercie les orateurs pour leurs questions et leurs observations. Je ne prétends pas que mes réponses les satisferont tous, mais je leur répondrai de la manière la plus sincère possible. Pour commencer, un mot personnel à ceux qui jugent le Président du Conseil européen ou les dirigeants des instances européennes « déconnectés » politiquement et socialement. J’ai été élu toute ma vie, je suis entouré (aussi dans ma famille) d’élus locaux, régionaux, nationaux. J’accepte de recevoir des leçons, mais que ceux qui me les donnent sachent néanmoins qui je suis.

Lorsque, en 2010, je suis arrivé au Conseil européen, j’ai découvert que nous avions une monnaie commune mais aucun moyen de la défendre. L’euro, lancé par le président François Mitterrand et par le chancelier Helmut Kohl juste après la chute du Mur de Berlin, était un grand projet politique visant à intégrer une Allemagne réunifiée dans une Union européenne elle-même plus unifiée. Mais il aurait fallu aller au bout de la démarche et créer une monnaie commune assortie de plus de politique commune. Lorsque, en 2010, la crise économique, induite par la crise financière dont la source était aux États-Unis, éclate en Europe, il apparaît que si elle touche un pays de l’Union, elle se propage à tous ; autrement dit, nous avons à cette occasion découvert la signification concrète de l’interdépendance. Nous avons sauvé les pays qui n’avaient plus accès aux marchés financiers. N’y serions-nous pas parvenus qu’ils auraient fait faillite et que, par un effet domino, les pays à l’économie vulnérable auraient, de proche en proche, été contraints de quitter la zone euro, laquelle aurait été réduite à presque rien. En bref, on aurait assisté au rétablissement de l’ancienne zone d’influence du deutschemark.

Voilà pourquoi nous nous sommes battus pendant presque trois ans : pour sauver notre monnaie commune. Ne l’eussions-nous pas fait que notre économie ne serait pas en récession mais en dépression. C’était une question de survie. Il y a un an encore, on ne discutait pas de l’éventualité de l’échec de la monnaie unique mais du moment où il adviendrait. Maintenant, on n’en parle plus : depuis un an, le monde est convaincu que la zone euro n’est plus soumise à une pression existentielle, et ce n’est pas la moindre des réalisations. Il ne s’est pas agi d’une lutte cruciale pour la stabilité financière en soi mais en tant que condition nécessaire – mais pas suffisante – pour retrouver la croissance économique et davantage d’emplois.

Ces événements ont été aussi l’occasion de découvrir que certains pays européens étaient très mal gouvernés. À son début, la monnaie unique a été un grand succès. Les taux d’intérêt ont baissé dans toute la zone euro, avec un différentiel de taux presque nul non seulement entre l’Allemagne, la Belgique et la France mais dans presque toute la zone, ce qui ne reflétait aucunement la force économique ou le potentiel de certains pays. Avec la crise financière, toutes les faiblesses structurelles ont fait surface et les États qui s’étaient lourdement endettés parce que les taux d’intérêt appliqués à leurs emprunts étaient extrêmement bas se sont trouvés en difficulté. Des corrections ont dû être apportées, de manière douloureuse dans certains pays.

L’Union n’impose pas, sauf par une décision commune, les moyens de réduire le déficit et le poids de la dette dans une économie nationale. Ces choix relèvent des gouvernements et des parlements nationaux. Certains ont privilégié l’impôt, d’autres la dépense, d’autres encore ont associé les deux – et même en matière d’imposition, les possibilités d’intervention sont nombreuses. Tout dépend de la majorité dans chaque pays.

Ce que nous demandons, c’est la convergence dans l’évolution des finances publiques et d’autres paramètres économiques. On ne peut maintenir une monnaie unique si le déficit public est de 15 % en Grèce alors que l’on est presque à l’équilibre dans d’autres pays : c’est intenable. Il a donc fallu agir et sur le plan collectif et dans chaque État membre pour renforcer la convergence, pour qu’il y ait non seulement une monnaie commune mais davantage de politique commune. L’opération a été douloureuse, mais l’on a su apaiser la situation et l’on est maintenant dans des eaux plus tranquilles, ce qui permet de se pencher à nouveau sur les conditions du retour à la croissance et à l’emploi, à court et à long termes. Le défi démographique majeur auquel sont confrontés la plupart des pays de l’Union – la France moins que d’autres – nous oblige à préparer nos économies à cette nouvelle situation, ce qui demande des efforts structurels. Je sais que ce discours ne sera pas entendu au cours de la campagne électorale à venir, mais cela n’empêche pas les responsables que nous sommes de devoir agir, et au moins d’en parler entre nous.

Cette lutte de survie est un passage obligé pour garantir une croissance structurelle beaucoup plus élevée qu’elle ne l’est maintenant. Elle implique des réformes à différents niveaux et sur différents plans. Je ne les détaillerai pas, mais vous savez très bien les mesures qui doivent être prises au sein des États membres. Les institutions européennes peuvent y inciter, y encourager, d’une certaine manière les imposer en concluant des contrats pour qu’elles soient menées à bien. Mais permettez-moi de souligner que les institutions européennes, à proprement parler, n’existent pas : aucune décision n’est prise sinon à la majorité qualifiée des États membres, ou à l’unanimité. Le Conseil européen lui-même ne prend jamais de décision qui ne soit unanime : il suffit d’une seule voix « contre » pour que l’on soit en panne. « Bruxelles », ce sont les États membres.

Pour ce qui est du « déficit démocratique », il faut certes réfléchir à d’autres méthodes mais si, pour résoudre la crise de la zone euro, on a beaucoup eu recours à l’intergouvernemental, c’est que l’on n’avait pas un budget communautaire suffisant pour faire autrement. Si l’on a pu aider la Grèce, le Portugal, l’Espagne, l’Irlande pour que l’euro survive, c’est que l’on a fait appel aux États membres et aux contribuables nationaux – j’observe toutefois qu’il s’est agi de prêts, non de dons. Cela supposait que les parlements nationaux contrôlent davantage leurs dirigeants, et c’est ce qui s’est produit. Le débat européen a été beaucoup plus intense que par le passé, car chacun savait que son avenir en dépendait. L’engagement des parlements nationaux est, par la force des choses, devenu beaucoup plus fort qu’il ne l’était précédemment – c’est la réalité.

Savoir s’il faut traduire cette nouvelle réalité – la double légitimité – en créant de nouvelles instances est une autre question. Il faudrait pour cela modifier les traités européens et, dans le climat actuel, nous avons d’autres défis à affronter. Le débat, lancé à Bruxelles en 2001, a suscité le projet de traité constitutionnel, dont vous savez le sort qu’il a connu en 2005. L’ouvrage remis sur le métier a conduit à l’adoption du traité de Lisbonne. Il y aura fallu près de huit ans. Alors que nous devons combattre le chômage, relancer une croissance économique trop faible et veiller à ce que la crise ne se reproduise pas, le moment n’est pas bien choisi, me semble-t-il, pour rouvrir le débat institutionnel. Je suis tout-à-fait conscient qu’il existe un problème de légitimité démocratique, mais entretemps les parlements nationaux jouent leur rôle et continueront de le faire.

Nous vivons une phase que nous espérons être transitoire. Pour permettre le retour de la croissance, nous nous sommes employés à sauver l’euro, et ce faisant nous avons commis des fautes en y consacrant trop de temps, car cela a été beaucoup plus long que nous ne le pensions. Nous savons que nous serons jugés sur nos résultats en termes d’emplois et de niveau de vie, mais il est un peu facile de rendre l’Europe responsable de tout cela. Quand je vois dans quelle situation économique sont un grand nombre d’États membres, je dis : on connaissait les problèmes, on savait ce qu’il fallait faire mais on ne l’a pas fait – cela vaut pour mon propre pays. Les problèmes qui se posent aujourd’hui ne sont pas dus à la politique européenne mais à l’absence de politiques nationales pendant tout un temps, et à ce que certains pays ont été mal gouvernés. Les peuples n’y peuvent rien, mais les responsabilités doivent être assumées par ceux à qui elles reviennent, et il est un peu facile de faire porter à « Bruxelles » une responsabilité qui incombe aux capitales nationales. À présent, les institutions européennes, c’est-à-dire les États membres, doivent donner des messages déplaisants et donc impopulaires, en expliquant qu’il faut une base solide à la monnaie commune pour parvenir à une croissance durable.

Je ne dis pas qu’il ne faut pas s’attaquer à certains problèmes, dont le dumping social. Mais, sur la proposition de directive relative au détachement de travailleurs, l’accord ne se fait pas – c’est le moins que l’on puisse dire. Je me suis engagé à ce qu’une solution soit trouvée à ce problème épineux, qui tracasse les gens et qui pourrait être un thème important de la campagne électorale en défaveur de l’Europe. Il y a de très grands avantages à la libre circulation des personnes sur le territoire de l’Union et il faut aussi garder à l’esprit le coût de la « non Europe ». Oui, l’Union a des défauts, mais on oublie toujours de mentionner les avantages que constituent les acquis des soixante dernières années ; une étude éclairante montre pourtant quels seraient les effets de la « non Europe » et du repli sur soi. Mais il faut corriger les défaillances du système et faire cesser les abus : le détachement de travailleurs dans certains secteurs et dans certains métiers pose problème, et il faut essayer d’y remédier le plus vite possible même si les États membres et les partenaires sociaux ne tombent pas facilement d’accord sur ce type de démarche.

Plusieurs orateurs ont évoqué la défense européenne. Le Conseil européen de décembre se saisira de la question, sous l’angle spécifique de la politique industrielle militaire. Étant donné les contraintes budgétaires, tous les budgets nationaux de défense sont sous pression. Dans le même temps, force est de constater que la dépense militaire des Vingt-Huit est équivalente à celle des États-Unis, mais avec une performance bien moindre. Pour augmenter l’efficacité et l’efficience de notre dépense, nous devons donc travailler ensemble à la réalisation d’un plus grand nombre de projets militaires communs. Nous sommes en train de cibler les secteurs dans lesquels nous pourrions faire des progrès gigantesques en mutualisant nos ressources. Je pense par exemple aux drones mais aussi au ravitaillement en vol, domaines dans lesquels nous ne pouvons actuellement nous passer de l’aide des Américains pour mener certaines opérations. Nous pouvons à la fois augmenter nos capacités industrielles et mieux rentabiliser les deniers publics consacrés aux budgets de défense.

Nous devons aussi renforcer la qualité de la douzaine de missions civiles et militaires conduites par l’Union dans des pays tiers et vitales pour eux, je le sais pour me l’être entendu dire par mes interlocuteurs : « Sans vous », m’ont dit le Président du Mali et celui de la Somalie, « nous serions sous le joug des terroristes ». « Sans l’Union européenne », me disent les Haïtiens, « où en serions-nous ? ». L’Union est le plus grand donateur mondial d’aide au développement et d’aide humanitaire. C’est le cas, singulièrement, en Syrie, où les réfugiés et les personnes déplacées sont déjà 2 millions – et, si rien ne change, elles seront 3,5 millions à la fin de l’année, selon l’Organisation des Nations Unies. Ces peuples nous remercient. Autant dire que la « non Europe » serait aussi un défi pour les non Européens.

J’espère donc que ce premier Conseil européen consacré à la défense sera suivi d’autres. Certes, la diversité des situations rend le sujet délicat. Certains membres de l’Union sont membres de l’OTAN, d’autres ne le sont pas ; certains dépensent beaucoup en matière de défense, d’autres très peu ; certains ont une tradition neutraliste, d’autres sont pacifistes, d’autres encore prennent leurs responsabilités de temps à autre… Il n’empêche : nous devons engager le débat et, pour cela, j’ai choisi l’angle qui permet de progresser vers une intégration renforcée.

L’économie numérique est effectivement à l’ordre du jour du Conseil européen d’octobre. Voilà un exemple éclatant du potentiel économique que recèle l’Union. L’Europe, qui était leader en ce domaine il y a vingt ans, est maintenant à la traîne. La raison n’en est pas que l’Union manque de scientifiques ou de créativité mais notre incapacité à traduire la recherche en succès commerciaux à cause de l’excessive fragmentation du marché numérique comme de celui des télécommunications. Quand certains pays forts d’un milliard d’habitants ont, en tout et pour tout, trois ou quatre opérateurs de télécommunications, l’Europe s’offre le luxe d’en avoir des dizaines. Il nous faut permettre à nos entreprises de se consolider pour tirer avantage d’un marché unique qui n’existe pas dans le secteur numérique et insuffisamment pour les télécommunications.

De même, nous devons généraliser l’interconnexion du marché de l’énergie. Si nous ne parvenons pas à transcender les politiques nationales, nous risquons de nous trouver sous peu confrontés à un triple échec : sur le plan climatique car nous utiliserons plus de charbon ; en matière de sécurité d’approvisionnement en raison du manque d’investissement dans le secteur ; en matière de compétitivité enfin, les États-Unis disposant, grâce au gaz et au pétrole de schiste, de ressources énergétiques d’un coût bien moindre que les nôtres. J’ai porté la question énergétique à l’ordre du jour du Conseil européen de mai dernier, mais il faut faire plus, et laisser les esprits mûrir. C’est déjà le cas : les États membres sont déjà plus favorables à un saut qualitatif. Nous y reviendrons lors du Conseil de février 2014.

J’essaye d’inscrire aux sessions du Conseil davantage de points concernant notre avenir. Ainsi avons-nous aussi traité, en mai dernier, de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale, et adopté le principe de l’échange automatique des données pour combattre la fraude à grande échelle. Nous y travaillons, afin que le dispositif entre en vigueur en 2014-2015. Je vous l’ai dit, le Conseil traitera de l’économie numérique et de l’innovation ce mois-ci, de l’industrie de défense en décembre, de compétitivité industrielle et d’énergie en février. En juin prochain, le Conseil se penchera sur la politique d’asile et d’immigration.

J’ai comme vous tous été terriblement choqué par le drame de Lampedusa, mais poser le diagnostic de ce qui s’est passé demande de l’honnêteté. Tant au niveau des États membres qu’au niveau collectif, des occasions ont été manquées et des erreurs commises. Nous devons donner davantage de moyens à Frontex, l’Agence européenne de surveillance des frontières, et renforcer le système Eurosur pour que des tragédies de ce type ne se reproduisent plus. Cela suppose des investissements supplémentaires, et financiers et en hommes, et donc davantage de ressources communes. Au-delà, un sujet beaucoup plus délicat reste en suspens, sur lequel l’accord ne s’est pas fait à ce jour : la répartition de ce que certains qualifient de « fardeau », en d’autres termes la solidarité entre les États membres face à l’immigration illégale. Sur ce point, il est très difficile de parvenir à une convergence suffisante au Conseil des ministres de l’intérieur et de la justice. Des pays prennent leur part volontairement – dont certains ordinairement considérés comme peu solidaires, et que je ne nommerai pas pour ne pas désobliger les autres… Il va sans dire que le sujet sera abordé lors du Conseil européen d’octobre – des gens se sont noyés par centaines devant nos côtes, et nous n’en parlerions pas ? Les ministres de l’intérieur et de la justice ont évoqué la question hier et défini quelques orientations. Nous verrons si cette impulsion politique peut être encore renforcée lors du Conseil européen.

Quelques mots à propos de l’union bancaire. Nous avons mis sur pied un mécanisme de supervision unique, rendu indispensable par l’échec de la supervision nationale des institutions financières, dans certains pays plus que dans d’autres. La décision a été prise en juin et, six mois plus tard, ce nouvel instrument, quasiment révolutionnaire, est créé. Avant qu’il n’entre en vigueur, il faut évaluer les actifs des banques pour avoir une vision correcte de leur situation respective et, si nécessaire, leur demander de procéder à une augmentation de capital. Ainsi le secteur financier européen sera suffisamment solide avant que la supervision unique ne s’engage. Cet exercice, qui se fera au cours des mois qui viennent, est capital : il en va de la confiance des marchés, et avec elle de la croissance et de l’emploi.

La Commission européenne a aussi fait une proposition de mécanisme unique de résolution bancaire sur la base du traité existant, sur laquelle nous devons nous mettre d’accord avant la fin de l’année. Vous avez également évoqué la scission entre banques d’affaires et banques de dépôt. Un rapport a été rédigé à ce sujet à la demande de la Commission européenne, mais les États membres peuvent anticiper les propositions de la Commission en ce domaine et prendre eux-mêmes des initiatives ; certaines sont ainsi déjà en discussion en Belgique.

L’union bancaire est capitale pour ancrer la confiance en notre système financier. Je serai donc heureux de pouvoir constater qu’au terme de mon mandat, l’intégration européenne est beaucoup mieux établie, solidement installée et performante. De constater aussi que l’intégration budgétaire est réalisée – à l’aide d’outils qui, certes, ne font pas plaisir. En décembre, le Conseil européen prendra des décisions relatives aux contrats de croissance et de compétitivité, qui respecteront bien sûr les compétences nationales mais qui comprendront des engagements plus fermes des États membres au lancement des réformes structurelles sans lesquelles notre monnaie sera à nouveau en difficulté dans quelques années. On ne peut plus se satisfaire de recommandations appliquées avec plus ou moins de sérieux. Les contrats renforcent le poids de ces recommandations, et ainsi les orientations choisies. Mais cela se fait bien sûr en négociant avec les États membres, non pour le plaisir de réformer mais parce que la réforme est essentielle. En matière d’union bancaire, fiscale et économique, nous aurons donc fait des progrès considérables.

L’amour ne se décrète pas et nul n’est tenu d’aimer l’Europe, mais nous avons fait le choix d’une monnaie commune et nous devons en tirer la conclusion, qui est l’intégration économique, financière et budgétaire. Elle nous apporte de très nombreux avantages, si nombreux que même en Grèce, en dépit de tous les sacrifices consentis par la population, il ne s’est pas trouvé de majorité pour quitter la zone euro.

Tel est mon plaidoyer pour notre Europe. Je sais ne pas vous avoir tous convaincus, mais je vous ai fait part de ma conviction.

La Présidente Élisabeth Guigou. Je vous remercie beaucoup, Monsieur le Président.

La séance est levée à 17 h 45

Commission des affaires européennes

Réunion du mercredi 9 octobre 2013 à 16 h 20

Présents. - Mme Danielle Auroi, M. Christophe Caresche, M. Philip Cordery, Mme Seybah Dagoma, Mme Sandrine Doucet, M. Yves Fromion, Mme Estelle Grelier, M. Michel Herbillon, M. Charles de La Verpillière, Mme Axelle Lemaire, M. Pierre Lequiller, M. Jacques Myard, M. Joaquim Pueyo, M. André Schneider

Excusés. - Mme Marietta Karamanli, M. Jean-Claude Mignon

Assistaient également à la réunion. - M. Pouria Amirshahi, M. Avi Assouly, M. Christian Bataille, M. Philippe Baumel, Mme Isabelle Bruneau, M. Jean-Claude Buisine, M. Gérard Charasse, M. Édouard Courtial, M. Michel Destot, M. Jean-Pierre Dufau, M. Nicolas Dupont-Aignan, M. Jean-Patrick Gille, Mme Élisabeth Guigou, Mme Thérèse Guilbert, M. Pierre-Yves Le Borgn’, Mme Marion Maréchal-Le Pen, M. Jean-René Marsac, M. Jacques Myard, M. Axel Poniatowski, M. Boinali Said, M. André Schneider, M. Michel Terrot