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Commission des affaires européennes

mardi 22 octobre 2013

17 heures

Compte rendu no 89

Présidence de Mme Danielle Auroi Présidente

I. Table ronde sur « Projets européens d’infrastructures de transports : le Lyon-Turin en débat », avec la participation de Mme Anne Houtman, chef de la Représentation de la Commission européenne en France, M. Christian Descheemaeker, membre de la Cour des comptes, ancien président de la 7e chambre, M. Hubert du Mesnil, président du conseil d’administration de Lyon Turin Ferroviaire, M. François Lépine, vice-président délégué du Comité pour la Transalpine, et de M. Daniel Ibanez, de la Coordination des opposants au projet de ligne Lyon Turin

Table ronde sur « Projets européens d’infrastructures de transports : le Lyon-Turin en débat », avec la participation de Mme Anne Houtman, chef de la Représentation de la Commission européenne en France, M. Christian Descheemaeker, membre de la Cour des comptes, ancien président de la 7e chambre, M. Hubert du Mesnil, président du conseil d’administration de Lyon Turin Ferroviaire, M. François Lépine, vice-président délégué du Comité pour la Transalpine, et de M. Daniel Ibanez, de la Coordination des opposants au projet de ligne Lyon Turin

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mardi 22 octobre 2013

Présidence de Mme Danielle Auroi,
Présidente de la Commission des affaires européennes

La séance est ouverte à 17 h 15

I. Table ronde sur « Projets européens d’infrastructures de transports : le Lyon-Turin en débat », avec la participation de Mme Anne Houtman, chef de la Représentation de la Commission européenne en France, M. Christian Descheemaeker, membre de la Cour des comptes, ancien président de la 7e chambre, M. Hubert du Mesnil, président du conseil d’administration de Lyon Turin Ferroviaire, M. François Lépine, vice-président délégué du Comité pour la Transalpine, et de M. Daniel Ibanez, de la Coordination des opposants au projet de ligne Lyon Turin

La Présidente Danielle Auroi. Au moment où l'Assemblée nationale s'apprête à débattre du projet de loi de ratification de l'accord franco-italien sur le tunnel Lyon-Turin, il m'est apparu nécessaire d'organiser une table ronde, dans le cadre de notre commission des affaires européennes, pour éclairer notre assemblée sur les aspects européens de cette question, en mettant en lumière les forces et les faiblesses du projet et les interrogations qui demeurent.

La liaison Lyon-Turin figure parmi les neuf corridors transeuropéens récemment annoncés, et précisés le 17 octobre par le commissaire Siim Kallas. Il est prévu de créer 15 000 kilomètres de voies ferrées à grande vitesse destinées à relier les principaux centres économiques de l'Union européenne, et de développer 35 projets d'infrastructures transfrontalières, dont celui qui nous occupe aujourd'hui.

Les besoins globaux de financement pour la période 2014-2020 s'élèvent à quelque 250 milliards d'euros, qui intègrent un financement de 26 milliards d'euros prévu dans le budget européen ; c'est un effort important dans le cadre du prochain cadre financier pluriannuel. Notre commission a d'ailleurs défendu à ce propos, sur le rapport de notre collègue Gilles Savary le projet initial de la Commission européenne, plus ambitieux puisqu’il prévoyait 31,5 milliards d'euros au lieu des 26 milliards retenus. Le compromis trouvé au Conseil, entre États, n'a malheureusement pas permis de retenir la proposition initiale de la Commission. On saluera néanmoins le fait que le financement prévu pour la période 2014-2020 soit triplé par rapport à la programmation pluriannuelle en cours.

La seule liaison Lyon-Turin implique un budget de 8,5 milliards d'euros pour percer et aménager le tunnel, long de 57 kilomètres. L'Union européenne apportera 3,4 milliards d'euros, la France 2,2 milliards et l'Italie 2,9 milliards. Le grand chantier devrait débuter en 2015 et durer une dizaine d'années.

Mme Anne Houtman, qui dirige la représentation de la Commission européenne en France, précisera la contribution européenne en la situant dans la perspective de la politique structurante essentielle que constitue le réseau transeuropéen de transport, sur lequel notre collègue Gilles Savary nous a présenté son rapport en février dernier. Elle indiquera les priorités que les décisions prises impliquent, s'agissant notamment de la préoccupation du développement durable.

Je suis, cela va de soi, extrêmement favorable à une politique de report modal du trafic routier au profit du ferroviaire. Néanmoins, les ressources financières de l'Union européenne et des États sont particulièrement contraintes ; nous devons veiller à ce qu'elles soient employées au mieux pour développer des modes de transport qui soient le moins polluant possible et rationnels sur le plan économique. Dans ce contexte, ce projet suscite des inquiétudes et des interrogations, exprimées dans un référé adressé par la Cour des comptes au Premier ministre, le 1er août 2012. M. Christian Descheemaeker, qui a été président de la 7e chambre de la Cour des comptes, a eu à débattre de ce référé qui pose des questions essentielles à mes yeux. Je cite la Cour : « Il apparaît que d'autres solution techniques alternatives moins coûteuses ont été écartées sans avoir toutes été complètement explorées de façon approfondie. (…) Pour la Cour, le pilotage de cette opération ne répond pas aux exigences de rigueur nécessaires dans la conduite d'un projet d'infrastructures de cette ampleur et de cette complexité. (…) L’estimation du coût global du projet, y compris les accès, est passée en euros courants de 12 milliards d'euros en 2002 à (…) 26,1 milliards d'euros. (…) La valeur actualisée nette économique est négative dans tous les scénarios envisagés. » En conclusion, la Cour des Comptes recommandait « de ne pas fermer trop rapidement l'alternative consistant à améliorer la ligne existante et, si le projet doit être poursuivi, d'étudier les mesures éventuellement contraignantes de report du trafic transalpin de la route vers la voie ferrée. »

Outre Mme Anne Houtman et M. Christian Descheemaeker, interviendront M. Hubert du Mesnil, président du conseil d'administration de Lyon-Turin Ferroviaire et M. François Lépine, vice-président délégué du Comité pour la Transalpine, qui nous présenteront, j’imagine, des arguments favorables à la construction du tunnel Lyon-Turin. Je suppose que l’opinion de M. Daniel Ibanez, qui représente la Coordination des opposants au projet Lyon-Turin, sera plus circonspecte. Ensuite viendra le temps des questions et réponses.

Mme Anne Houtman, chef de la Représentation de la Commission européenne en France. Le projet Lyon-Turin fait partie du nouveau réseau central européen de transport récemment défini par la Commission européenne et qui donne une priorité au corridor Est-Ouest. Au sein des neuf corridors principaux, le corridor Lyon-Turin s'inscrit dans le corridor Méditerranée. Les objectifs visés sont, je le rappelle, la valeur ajoutée pour l’Union européenne, la lutte contre le changement climatique, la réduction des encombrements, le renforcement de l’efficacité, de la sécurité et de la rapidité des trajets.

Je confirme le plein soutien de la Commission au projet Lyon-Turin. Je confirme également que l’Union européenne pourra accorder une subvention communautaire à hauteur de 40 % – soit le co-financement maximum autorisé –, à la réalisation des sections transfrontalières du projet. Ce co-financement suppose bien sûr le respect de certaines conditions : que la France et l'Italie indiquent clairement leur plan d'investissement, qu’elles procèdent évidemment par appel d'offres et que la sélection du projet proposé se fasse par une évaluation externe et interne. Les deux États doivent aussi ratifier l'accord signé en 2012, installer le nouveau promoteur et mettre à disposition les fonds nécessaires pour que les travaux de la descenderie de Saint-Martin-La-Porte puissent être lancés au début de 2014.

La Commission invite aussi la France et l’Italie à explorer ensemble toutes les hypothèses de financement : financements croisés, nouveaux instruments financiers, recours à la Banque européenne d’investissement (BEI) dont le rôle a été renforcé ou encore partenariats avec des financiers privés.

À partir de 2014, la ligne Lyon-Turin fera partie du corridor Méditerranée et recevra le plein soutien des services de la Commission et du coordonnateur européen. Dans l’intervalle, le coordonnateur et les services de la Commission soulignent la nécessité de promouvoir pleinement l'utilisation de la ligne historique, entièrement modernisée mais qui n’est utilisée qu’à la moitié de sa capacité.

M. Christian Descheemaeker, ancien président de la 7e chambre de la Cour des comptes. Selon la règle en usage à la Cour des comptes, le référé du 1er août 2012 dont je vous exposerai la teneur reflète une position collégiale. Dans ce référé, la Cour indique que, pour ce projet extrêmement ambitieux, les solutions techniques alternatives n’ont pas été assez explorées ou qu’elles ont été écartées, sans doute trop vite.

La première alternative est l’amélioration de la voie existante – le paradoxe étant que des travaux d’amélioration ont été conduits, et pour les accès et pour le tunnel lui-même, qui a été mis au gabarit G1 pour permettre le fonctionnement de l’autoroute ferroviaire alpine. Je n’ai pas à ce sujet de nouvelles très récentes ; les dernières que j’ai eues étaient que le tunnel rénové était techniquement prêt mais ne fonctionnait pas, les Italiens n’ayant pas donné l’autorisation d’exploiter ces infrastructures. Peut-être des faits nouveaux sont-ils intervenus entre-temps.

Une deuxième solution alternative était, dans le tunnel de base lui-même, de ne pas retenir la grande vitesse, ce qui modifiait un peu le coût. Une autre encore était de phaser les travaux ; on note une évolution sur ce point puisque, en janvier 2012, l’idée du phasage a effectivement été retenue, le percement du tunnel de l’Orsiera, du côté italien, étant reporté à une deuxième période. Un autre élément de phasage possible consistait à construire un premier tube, et un second à terme, comme le font les Suisses pour le tunnel ferroviaire du Lötschberg.

À propos du pilotage du projet, la Cour observe que l’on passe insensiblement des études préliminaires à la réalisation sans que l’on sache vraiment à quel moment on change de phase et quand les décisions sont prises. L’accord qui va être ratifié clarifiera probablement les choses.

L’augmentation des coûts prévisionnels doit être soulignée. Il faut cependant se rappeler que la partie commune – c’est-à-dire la section transfrontalière franco-italienne – dont on parle n’est plus celle d’hier, le tronçon Saint-Jean-de-Maurienne–Montmélian qui était partie française étant devenu une partie commune. On compare donc des choses qui ne sont pas comparables, puisque les définitions ont changé. Ce n’est pas grave si les choses sont claires pour tous ; ce n’est pas toujours le cas.

Pour ce qui est des prévisions de trafic, il avait été logiquement affirmé, dès l’origine du projet, que le nouvel ouvrage devrait entrer en exploitation quand la voie « historique » serait saturée. Considérant qu’il faut de dix à treize ans pour construire le nouveau tunnel, il fallait anticiper suffisamment pour permettre qu’il en aille ainsi. Mais l’ancienne voie ayant été rénovée, sa capacité est passée à 20 millions de tonnes de marchandises par an – capacité quelque peu réduite depuis lors, pour différentes raisons – ce qui a rendu plus lointaine l’époque de la saturation. Outre cela, la prévision de trafic est un exercice singulièrement difficile : il faut avoir une idée du trafic global de marchandises à travers les Alpes, savoir quelle part reviendra au train et aussi quelle part du trafic ferroviaire utilisera cet itinéraire-là et non le Brenner, le Saint-Gothard ou le Lötschberg. Il est particulièrement complexe de déterminer quel sera le comportement des transporteurs face à l’offre de tunnels ferroviaires en train de se constituer – car si le nouveau tunnel du Saint-Gothard est déjà percé, il n’entrera en exploitation qu’en 2016, et l’on ignore quelle sera sa capacité d’absorption.

La rentabilité du projet est faible, Mme la Présidente l’a souligné.

Enfin, l’accord à venir clarifiera le financement du projet. Vous avez donné les chiffres, madame la présidente ; cependant, Mme Anne Houtman a évoqué « de nouveaux instruments financiers » et « des financements complémentaires », ce qui signifie qu’à ce jour le financement n’est pas encore bouclé.

Voilà, trop vite résumées, les grandes lignes du référé de la Cour des comptes.

M. Hubert du Mesnil, président du conseil d’administration de Lyon Turin Ferroviaire. La société Lyon Turin Ferroviaire (LTF) que je préside est chargée par la Commission intergouvernementale franco-italienne pour la nouvelle liaison ferroviaire transalpine Lyon-Turin de conduire les études pour la section transfrontalière – le tunnel –, ainsi que les travaux de reconnaissance. LTF se limite à exécuter les décisions prises par les deux États ; c’est pourquoi je ne pourrai apporter de réponse à certaines questions qui relèvent exclusivement des responsables italiens et français.

LTF, qui conduit ces études depuis une dizaine d’années, a mis au point le tracé de part et d’autre de la frontière. Nous sommes parvenus au terme de cette partie de l’étude et nous avons aussi réalisé des travaux de reconnaissance du sol. À ce stade, nous sommes en mesure d’estimer le coût du projet à 8,5 milliards d’euros environ pour le tunnel proprement dit. Je précise que cette estimation n’a pas sensiblement évolué ces dernières années. Pour répondre à la question de savoir s’il y a eu dérapage ou sous-évaluation, il faut être très précis et distinguer la partie qui est sous la responsabilité de LTF, c’est-à-dire le tunnel, pour lequel le montant n’a pas évolué, et les accès, c’est-à-dire des sections côté France et côté Italie qui ont fait l’objet d’études sous la responsabilité des deux gestionnaires de réseaux, Réseau ferré de France (RFF) et Rete ferroviaria italiana (RFI). On peut s’interroger sur l’assemblage de ces sous-projets, sur une section plus ou moins longue – de Lyon à Turin, ou au-delà, des deux côtés de la frontière mais, quoi qu’il en soit, une distinction nette doit être faite entre ce qui relève du tunnel proprement dit et ce qui a trait aux accès.

Par ailleurs, les capacités de la ligne existante dans la zone transfrontalière – le tunnel du Fréjus – et jusqu’à Lyon d’un côté et Turin de l’autre doivent faire l’objet d’une évaluation globale car si, en quelque lieu, un goulet d’étranglement se forme, la capacité d’ensemble s’en trouve affectée.

Permettez-moi aussi de souligner, en parlant d’expérience, qu’il faut tenir compte de l’évolution réglementaire européenne. La capacité disponible de la ligne existante est importante, c’est vrai. Le trafic des marchandises dans ce tunnel a beaucoup baissé ces dernières années parce que le fret a diminué globalement en France et aussi parce que les travaux d’amélioration du tunnel ont provoqué des perturbations. Il n’en demeure pas moins que la capacité de l’ouvrage dépasse l’usage qui en est fait aujourd’hui. Cependant, ses caractéristiques sont incompatibles avec le développement du trafic de marchandises, pour deux raisons. La première est l’altitude du tunnel : faire monter les trains à 1 300 mètres pose des problèmes difficiles de traction et de coût. La seconde raison, c’est qu’il s’agit d’un tunnel monotube dans lequel on fait passer aujourd’hui à la fois des trains de voyageurs et des trains de marchandises. Or, à la suite de plusieurs accidents, la réglementation européenne a évolué ; maintenant, les tunnels ferroviaires doivent prendre la forme de deux tubes séparés, permettant, pour des raisons de sécurité compréhensibles, que les trains ne se croisent pas dans un même tunnel. La référence « Eurotunnel » constitue désormais la norme européenne. En résumé, le tunnel historique, construit selon d’anciennes normes, a certes des capacités inutilisées, mais il sera impossible d’augmenter le transport de marchandises en le mêlant au transport de passagers dans cet ouvrage. Cette donnée ne peut être ignorée dans la réflexion sur la capacité du tunnel existant.

Enfin, parce que nous travaillons à un tronçon du corridor européen, le règlement européen correspondant s’impose à nous. Nous devons définir comment appliquer les décisions de l’Union européenne, c’est-à-dire comment mettre aux normes européennes l’ensemble de l’itinéraire par des améliorations progressives qui concernent aussi la signalisation. Nous devons aménager ce corridor à partir de la liaison existante. Cela peut se faire par étapes, mais il reste que les normes de la section transfrontalière sont actuellement incompatibles avec la réglementation européenne. C’est dans ce cadre qu’il faut parler du tunnel.

M. François Lépine, vice-président délégué du Comité pour la Transalpine. Je suis le vice-président du Comité pour la Transalpine, que préside M. Franck Riboud, par ailleurs président de Danone. Nous représentons l’ensemble des collectivités locales et des entreprises de Rhône-Alpes et au-delà qui souhaitent voir la ligne transalpine devenir réalité car nous la considérons comme une opportunité évidente. L’année dernière, le Président de la République, en accord avec M. Mario Monti, Président du Conseil italien, a souhaité que l’Europe adopte une politique de croissance. Il a obtenu un résultat très positif puisque, comme cela a été rappelé, 26 milliards sont prévus dans le budget européen pour les projets de réseaux transeuropéens de transport et qu’un co-financement de 16 milliards est sur la table, M. Siim Kallas ayant confirmé qu’il se ferait à hauteur de 40 % du coût des infrastructures considérées.

Le projet est nécessaire. Il est nécessaire sur le plan économique, et je ne m’appesantirai pas sur l’intérêt d’une liaison ferroviaire entre les grands pôles économiques européens depuis l’Espagne jusqu’à l’Italie du Nord et au-delà. Il est nécessaire parce que les trois passages routiers et le tunnel de base actuel font obstacle à la compétitivité des entreprises françaises et italiennes : le tunnel de base en raison de ses caractéristiques, les tunnels routiers à cause du coût des péages. Il en résulte que le trafic tend à s’évaporer vers le Nord ; si cette situation persistait, elle serait très dommageable pour les économies rhônalpine et italienne. Le nouveau tunnel est aussi un facteur de croissance, et de 6 000 à 10 000 emplois sont directement concernés par la réalisation de cet ouvrage.

Enfin, le chantier est prêt, après que quelque 850 millions d’euros de travaux de reconnaissance ont été conduits, financés à 50 % par l’Union européenne. Il est prêt techniquement, puisqu’il suffit de terminer quelques études pour que la France et l’Italie soient en mesure de répondre, au début de l’année prochaine, à l’appel à projets de l’Union européenne. Il est prêt politiquement, puisque les conditions posées par le Président de la République française et par M. Mario Monti ont été remplies ; il s’agit maintenant de concrétiser la naissance du promoteur public et de désigner ceux qui réaliseront les études financières permettant de répondre aux questions posées par l’Union européenne. Il est prêt sur le plan européen, puisqu’il est en tête de liste des grands travaux annoncés, avec les montants indiqués. Enfin, il s’agit d’un sujet d’importance vitale en matière environnementale puisque 80 % du trafic entre France et Italie se fait par la route en raison de la médiocrité des caractéristiques physiques du tunnel ferroviaire. Il faut aller de l’avant, et tels sont les arguments qu’il nous semble nécessaire de formuler lors du sommet franco-italien qui aura lieu le 20 novembre à Rome.

M. Daniel Ibanez, membre de la Coordination des opposants au projet de ligne Lyon-Turin. Je vous remercie, madame la Présidente de nous avoir invités à participer à un nécessaire débat sur ce projet, débat qui, toutefois, ne remplacera pas le débat public, qui n’a pas eu lieu, sous l'égide de la Commission nationale du débat public.

La Coordination s'inscrit dans une logique de proposition fondée sur l'analyse documentaire et sur le bon sens.

M. Philippe Duron a rappelé, le 2 juillet, devant la Commission du développement durable de l’Assemblée nationale, qu'en matière d'infrastructure de transports, il n'y a que deux payeurs : l'usager et le contribuable. Cela ramène à sa juste place l’optimisme sur les financements, les techniques de financement et les subventions européennes.

S’agissant de la saturation de l'existant, il nous a été annoncé en 1993 que tous les tunnels routiers et ferroviaires des Alpes seraient saturés en 2010. Puis, en 2002, lors du débat parlementaire, M. Jean-Claude Gayssot et d’autres orateurs annonçaient la saturation de la ligne ferroviaire existante pour 2012. Elle ne s’est pas produite et, en 2013, la notion de saturation a disparu de l'accord soumis à la ratification.

S'il y a bien eu croissance du trafic de marchandises sur des axes Nord-Sud, elle correspond à des importations en provenance des ports ; à l’inverse, l'axe Est-Ouest a connu une diminution du tonnage transporté.

Effectivement, de gros travaux ont porté la capacité de la ligne existante à 20 millions de tonnes de marchandises ; il n’y a plus de discussion sur ce point.

Rail et route confondus, 34,7 millions de tonnes de marchandises circulaient dans les Alpes du Nord en 1998, 27,6 millions de tonnes en 2007 – avant la crise – et 23,6 millions de tonnes en 2011. La voie existante permet donc de reporter sur le rail, dans la plus défavorable des hypothèses, 50 % du tonnage constaté en 1998, et 60 % si l’on prend pour année de référence 2007, avant la crise.

En 1983, la ligne existante, de montagne, transportait 10 millions de tonnes de marchandises, soit 42 % du tonnage transféré, rail et route confondus, constaté en 2011. Cela se faisait sans GPS, sans aucun équipement informatique, et sans le système européen de gestion du trafic ferroviaire ERTMS, dont M. Philippe Duron nous a rappelé en juillet qu’il permet de gagner dix ans sur les infrastructures.

L'infrastructure du XIXe siècle et les pentes montagneuses interdiraient-elles un report modal massif ? Sur la ligne existante du Saint-Gothard, qui date de 1874, et qui accuse un dénivelé de 900 mètres quand celui du Mont-Cenis est de 700 mètres, les Suisses ont transporté, en 2011, 14,4 millions de tonnes de marchandises ; en 2000, ils avaient transporté 17 millions de tonnes. Nos lignes du XIXe siècle présenteraient-elles plus de contraintes que les lignes suisse de la même époque ?

L’accord qui est soumis à la ratification du Parlement propose d'allonger la section commune internationale de 33 km. La France s’engagerait donc pour 10 milliards d’euros de plus en le ratifiant. La Commission Mobilité 21 n'en avait pas été informée ; elle l’a été par les opposants au projet.

En matière d’emploi, on constate avec intérêt que l’accord mentionne la directive relative au détachement des travailleurs, qui permet de payer les charges sociales dans le pays d’origine du salarié. Le rapport d’information de M. Éric Bocquet au nom de la commission des affaires européennes du Sénat explique la pratique quotidienne à ce sujet.

L’accord prévoit également le report maritime pour détourner les marchandises qui proviennent de la péninsule ibérique et qui passent sur la côte méditerranéenne.

Enfin, au dernier paragraphe de la dernière annexe, on lit un curieux texte : « Les parties engageront par ailleurs une discussion avec les autres pays alpins et la Commission européenne, en vue d’éviter que les niveaux de tarification ferroviaire retenus dans chaque État ne génèrent une concurrence entre itinéraires collectivement néfaste à chacun des grands projets alternatifs transalpins. »

Mais qui a entendu parler du corridor D, l’ensemble des lignes existantes utilisées aujourd’hui pour transporter des marchandises ? Il n’y a pas, ou peu, de déclarations en France ou en Italie à ce sujet, un site internet en anglais, et des promoteurs extrêmement discrets sur un excellent travail qui permet de transporter des marchandises en France, en Espagne, en Italie, en Slovaquie et en Hongrie.

Le mot « euro » n'est employé qu'une seule fois dans l'étude d'impact du projet de ratification. Alors que les effets de la crise de 2008 pèsent encore, c’est pourtant un engagement de 15 à 20 milliards d’euros qui est demandé à la France.

Nous sommes partisans du Lyon-Turin sur le réseau existant. Nous sommes partisans de l'amélioration des dessertes régionales de Chambéry et Annecy et partisans aussi de l'amélioration des transports du quotidien. Nous sommes partisans des travaux sur la ligne existante, créateurs d'emploi local pour la protection des riverains et de l'environnement. Nous sommes partisans de la réduction de la pollution en vallée de la Maurienne et en vallée de l'Arve et nous avons agi pour que cesse la mise en danger des vies par la pollution. Nous sommes pour l'utilisation de la ligne existante, comme cela nous a été promis en 2002. Nous sommes pour que l'argent soit employé à moderniser le matériel roulant afin de répondre à la demande de transport européen. Nous sommes pour l'investissement dans le matériel roulant avec les technologies de guidage qui créeront des emplois pérennes.

En revanche, nous sommes contre le déficit public sans intérêt général, et contre le tarissement de 300 millions de mètres cubes d’eau, chaque année, dans les Alpes.

La Présidente Danielle Auroi. Quel serait le coût prévisible du péage ? Pour les voyageurs, le prix du billet de train sera-t-il plus compétitif que ce que proposent les compagnies aériennes à bas coût pour le même trajet ?

Mme Marietta Karamanli. Il convient en effet de ne pas minimiser la composante « voyageurs » du projet puisqu’elle participe du modèle économique des lignes à grande vitesse, dont on sait qu’il est fondé sur la massification du trafic.

Dans un contexte de fortes contraintes budgétaires, ce projet ne risque-t-il pas de limiter les autres projets d’investissements ferroviaires sur l’ensemble du territoire ? La Cour des comptes appelle à des mesures contraignantes de report du trafic transalpin routier vers la voie ferrée ; quel est l’état de la réflexion en ce domaine ? Enfin, si la liaison Lyon-Turin pose question, c’est aussi parce que les objectifs de la politique européenne de transport ferroviaire se limitent à la libéralisation des transports et à la création d’une nécessaire cohésion territoriale. Il faudrait aussi qu’une volonté politique fortement affirmée s’exprime en faveur d’autres objectifs : le service aux usagers et le service rendu à l’économie européenne. En matière d’investissements dans le ferroviaire, l’Union doit se positionner plus clairement sur le plan politique.

M. Hervé Gaymard. Je vous remercie, madame la présidente, d’avoir organisé cette table ronde avant la réunion de la commission des affaires étrangères. Je ne poserai pas de questions mais ferai quelques remarques.

On parlait du train à grande vitesse entre Lyon et Turin à la fin des années 1980 déjà. Progressivement, à la demande des élus locaux, notamment savoyards, on est passé d’un projet « voyageurs » à un projet principalement consacré au fret, pour apporter une solution à l’engorgement des vallées alpines. Je tiens à souligner que le Conseil général de la Savoie a toujours délibéré à l’unanimité ou presque à ce sujet, et de manière positive ; les seules réserves émises n’ont pas porté sur la construction du tunnel de base mais sur les différentes configurations possibles des accès à ce tunnel. Enfin, étant donné l’état des finances publiques française et européenne, je regrette que l’on ait fait croire depuis quinze ans que l’on pouvait financer à la fois le tunnel de base et les accès au tunnel ; c’est le rapport Duron qui a, récemment, fait tomber les masques et dissipé l’illusion.

Je voterai sans états d’âme en faveur de la ratification de l’accord : je pense le percement du tunnel de base indispensable. Nous devons avoir de grands projets. Au XIXe siècle, l’État sarde a eu l’audace de percer le tunnel ferroviaire historique du Mont-Cenis ; au XXe siècle, la grande épopée du tunnel routier du Fréjus a eu lieu sous l’égide de Pierre Dumas, dont je salue la mémoire. Pour le XXIe siècle, nous devons avoir l’ambition de ce nouveau tunnel. Je ne méconnais pas les statistiques de trafic et de fret mentionnées, mais il faut raisonner à l’échelle du siècle et du développement économique européen.

M. Dominique Dord. Le projet de ligne ferroviaire entre Lyon et Turin est venu devant l’Assemblée nationale une première fois en 2002 à l’occasion de l’examen du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre la France et l’Italie. À l’époque, on nous a dit : « Il faut le faire car le trafic de marchandises dans les Alpes françaises va tripler ; le projet coûtera 12 milliards d’euros ; l’objectif est de reporter 300 000 camions de la route vers le rail ; le projet sera mené à bien lorsque la ligne existante sera saturée ».

Le dossier revient devant nous maintenant. Or, en 2013, le trafic n’a pas augmenté dans les Alpes françaises ; le coût du projet est passé de 12 à 26 milliards d’euros ; le Premier ministre a réduit l’ambition de report modal à 500 000 camions sur les quatre autoroutes ferroviaires de l’ensemble du territoire – c’est dire que l’on est assez loin de l’ambition de 300 000 camions sur le seul tronçon Lyon-Turin – et l’on a oublié de parler de la saturation des lignes existantes.

Ce projet coûtera au bas mot 15 milliards d’euros à la France, et davantage si l’on intègre le coût du contournement de Lyon. Ayant lu le rapport de la Cour des comptes, je m’interroge sur l’utilité même de cette réalisation puisque la réalité contredit les hypothèses formulées dans les années 1980. Le monde a changé, les marchandises sont importées de Chine et, à supposer qu’elles l’aient jamais fait, elles n’empruntent plus le corridor Est-Ouest. Ayant été débarquées à Gênes, pourquoi transiteraient-elles par Turin puis par Lyon ? On nous dit que le fret pourrait aussi venir de la péninsule ibérique mais, en région Provence-Alpes-Côte d’Azur, on fait la promotion des autoroutes de la mer, qui sont des outils au moins aussi écologiques que la ligne ferroviaire Lyon-Turin.

La France va s’engager à hauteur de 15 milliards d’euros ; comment trouver cet argent ? Mme Anne Houtman a évoqué de nouveaux instruments financiers ; il pourrait s’agir de projects bonds, mais il faudrait pour cela que le projet soit rentable et M. Christian Descheemaeker a rappelé que sa rentabilité n’est pas assurée. C’est donc la garantie des États qui apportera cette rentabilité – une nouvelle dépense publique, à une période où cela ne semble pas possible. Enfin, l’incertitude demeure sur le financement européen du projet, et plus précisément sur l’assiette des 40 % de subvention communautaire annoncés. Si le coût du tunnel n’est finalement pas de 8,5 milliards d’euros mais de 10 milliards, l’Union européenne financera-t-elle ce surplus à hauteur de 40 % ? D’autre part, le co-financement porte-t-il sur le seul tunnel ou sur l’ensemble de la section dite internationale ? Il me semblait que la doctrine communautaire était de s’arrêter aux nœuds transeuropéens de transport, c’est-à-dire, pour ce qui concerne la France, à Saint-Jean-de-Maurienne, ce qui exclut donc les tunnels de Belledonne et du Glandon. Qu’en est-il ?

Mme Bernadette Laclais. Je prends la parole en mon nom et en celui de ma collègue Béatrice Santais ici présente. En 2011, 2,7 millions de poids lourds transitaient entre le Léman et la Méditerranée, ce qui représentait, pour le seul trajet Lyon-Turin, 2 millions de tonnes de rejet de CO2 ; à titre de comparaison, il reste à ce jour 1,2 millions de poids lourds sur les routes suisses, et l’ouverture du nouveau tunnel du Saint-Gothard allègera encore ce trafic. Voilà qui en dit long sur la lutte contre les émissions de gaz carbonique en Suisse et en France.

Sur le plan technique, la solution consistant à moderniser la ligne existante n’est pas recevable. En dépit de très lourds investissements – 1 milliard d’euros – sur le trajet Dijon-Modane et du renfort de locomotives de traction, la difficulté d’accès demeure en raison de pentes excessives menant à un tunnel situé à 1 300 mètres d’altitude. Certains opposants évoquent d’autres choix faits par d’autres pays, mais il s’agit souvent de pays de plaine, avec lesquels aucune comparaison n’est possible ; partout, dans les Alpes, c’est le modèle du tunnel de plaine qui prévaut. À cette forte déclivité s’ajoute le fait qu’entre Saint-André-le-Gaz et Chambéry la ligne est à voie unique, et qu’entre Culoz et Aix-les-Bains, la voie ferrée est quasiment en surplomb du lac du Bourget. Qui prendra la responsabilité d’intensifier le passage de fret, y compris de marchandises dangereuses, avec le risque accru d’accident et de pollution du lac que cela implique ? Seule une infrastructure de plaine moderne permettra un report modal significatif et efficace.

Ne pas percer le nouveau tunnel, c’est rendre durablement service à la route. Opposants au projet, trouvez-vous acceptable que les populations des Alpes suisses et autrichiennes soient protégées des rejets polluants du transport routier mais que la population des Alpes françaises ne le soient pas ? Trouvez-vous acceptable que la compétitivité des échanges économiques entre la France et l’Italie continue d’être gravement pénalisée au regard des échanges entre l’Allemagne et l’Italie qui bénéficient de tous les efforts conduits par la Suisse pour les franchissements alpins ? Si le trafic baisse dans les Alpes françaises, c’est qu’il se reporte ailleurs, au détriment de la France mais aussi l’Espagne ; c’est toute la question de l’équilibre économique de l’Union européenne qui est posée.

On parle beaucoup du coût de ce projet ; or, sans doute n’a-t-il jamais été aussi bien financé qu’il l’est aujourd’hui, avec les avancées intervenues au niveau communautaire. De plus, est-il correct d’imputer au projet Lyon-Turin le coût de projets qui seront réalisés de toute façon, tel le contournement ferroviaire de Lyon ? Enfin, la Cour des comptes intègre dans ses calculs les coûts italiens, qui n’ont pas être comptabilisés en France.

M. Noël Mamère. Je vous remercie, madame la présidente, d’avoir organisé cette réunion à la veille de celle au cours de laquelle la commission des affaires étrangères examinera le projet de loi. Une fois n’est pas coutume, je me retrouve assez exactement dans les arguments de notre collègue Dominique Dord. Je pense que nous sommes face à un grand projet inutile, qui rappelle furieusement celui de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes.

Puisque les opposants au projet viennent d’être interpellés, j’interrogerai à mon tour. Trouvez-vous normal que la SNCF soit, par le biais de sa filiale Geodis, le premier transporteur routier de France ? Trouvez-vous normal que la vitesse moyenne d’un train de marchandises soit de 18 km/heure ? Alors que, le récent rapport de l’OMS en fait foi, on devrait considérer prioritaire la lutte contre la pollution de l’air, trouvez-vous normal que l’on continue de donner la priorité au transport par camions, qui véhiculent aujourd’hui 85 % des marchandises ? Trouvez-vous normal qu’aucun gouvernement, de droite ou de gauche, n’ait jamais internalisé le coût externe du transport des marchandises par camions ?

Il faut impérativement poser les camions sur des trains. Vous avez évoqué un dénivelé. Or, celui du Saint-Gothard « historique » est de 900 mètres, et celui de la nouvelle ligne ferroviaire suisse de 700 mètres. Vous ne pouvez donc faire du dénivelé un argument, et vous le pouvez d’autant moins que, vous le savez, le système de motorisation répartie permet de les franchir maintenant d’une toute autre manière qu’au XIXe siècle.

Autant dire que pour nous, écologistes, il est aberrant de demander à la France de dépenser ainsi 15 milliards d’euros, alors que nous sommes en situation de crise et que, tout à l’heure, dans l’hémicycle, le ministre délégué chargé des transports, répondant à l’un de nos collègues, a indiqué que la priorité était donnée « à la modernisation du réseau existant ».

Je vous donnerai un exemple de ce que nous devons gober parce qu’il faut complaire à certains barons. La ligne TGV Bordeaux-Toulouse est-elle une ligne normale ? La ligne normale qui rejoint Paris et Toulouse, c’est la ligne POLT – Paris-Orléans-Limoges-Toulouse, que la SNCF s’est empressée d’abandonner. À présent, on va essayer de nous faire avaler une ligne à grande vitesse qui va coûter très cher, dont le coût social sera très élevé et qui ne servira pas à grand monde.

Dans le cas qui nous occupe, plutôt que de gaspiller cet argent dans un projet qui nous semble inutile puisque, comme le relève le référé de la Cour des comptes, toutes les projections ont été démenties par les faits, mieux vaut l’investir dans l’accélération de la mise à niveau de certaines voies ferrées qui pourraient alors accueillir des camions et permettre ainsi d’éviter la pollution due au transport de marchandises par la route.

Voilà pourquoi je voterai contre le projet de loi que présentera notre collègue Michel Destot.

M. Jacques Myard. Nous nous trouvons face à plusieurs problèmes en un : il y a le tunnel, qui coûte sans doute 8 milliards d’euros et peut-être un peu plus, mais aussi tout le reste, car les voies ferrées menant en Savoie depuis Lyon, que l’on passe par Culoz ou par Aiguebelette, gagneraient singulièrement à être améliorées. Par ailleurs, si la réglementation européenne interdit de transporter dans un même tunnel voyageurs et trains de marchandises, la messe est dite : il faudra bien réaliser le deuxième tube. Je pense comme M. Noël Mamère que le désir irrépressible de lignes TGV ne se justifie pas toujours et que bien des lignes de chemin de fer existantes peuvent être améliorées. Mais, pour la ligne Lyon-Turin, un nouveau tunnel sera très certainement nécessaire pour transporter correctement voyageurs et marchandises.

M. Philip Cordery. Je me félicite de la tenue de ce débat. Je salue la décision prise par la France de s’engager résolument dans ce projet, et du soutien de l’Union européenne. On ne peut parler des coûts sans parler des bénéfices, multiples, qui en résulteront. En premier lieu, bénéfice pour l’économie européenne puisque l’amélioration des réseaux de transport transeuropéens est l’une des clés du redressement de notre compétitivité – et j’espère que le canal Seine-Nord, qui permettra également de créer des emplois et de dynamiser les liaisons économiques, verra aussi le jour. Bénéfice, aussi, pour l’environnement, puisque le transport du fret par le rail, alternative à la route, permettra de réduire le taux de pollution ; bénéfice encore pour les échanges transfrontaliers et l’intégration du marché de l’emploi, Lyon n’étant plus qu’à deux heures de Turin.

Deux questions demeurent. L’expérience de Thalys et de l’Eurostar montre que la privatisation totale peut avoir un impact négatif sur le prix du transport ; quelle structure gérera le transport des passagers ? Par ailleurs, étant donné d’une part la directive relative au détachement des travailleurs, d’autre part l’absence de salaire minimum en Italie, quelle garantie avons-nous, madame Houtman, que les emplois qui seront créés seront des emplois de qualité et non des emplois au rabais comme cela se produit dans d’autres filières ?

M. Didier Quentin. Ayant entendu les arguments échangés, diverses précisions me paraissent nécessaires. Quelles sont les options possibles pour financer un tel investissement et les inévitables surcoûts ? Un partenariat public-privé est-il envisageable ? Quelles sont les alternatives au percement d’un nouveau tunnel ? Les prévisions de fret ont-elles été revues pour tenir compte des conséquences de la crise ? Qu’adviendra-t-il des accès existants du côté français ?

M. Paul Molac. Je m’interroge sur certains grands projets dont on nous vante les mérites sans que l’on en perçoive les bienfaits économiques. Il existe donc en France une ligne similaire à celle du Saint-Gothard mais qui n’est utilisée qu’à 15 ou 20 pour cent de sa capacité ; pourquoi cela ? En général, quand on décide d’investir, c’est que l’ouvrage existant est saturé ; outre que c’est très loin d’être le cas pour le tunnel en question, le nombre de camions qui l’empruntent a diminué ces dernières années. Les voies ferrées dont l’utilisation va croissant en Europe sont plutôt orientées Nord-Sud, et les voies de communication entre la France et l’Italie ne sont pas plus utilisées aujourd’hui qu’elles ne l’étaient dans les années 1970. On s’apprête pourtant à un investissement de 26 milliards d’euros qui sera garanti par l’État ; puis, comme cela a été le cas pour le tunnel sous la Manche, la société chargée d’exploiter la ligne sera très probablement incapable de rembourser les emprunts, et l’on apurera la dette par le budget de l’État. Autant dire que cet investissement considérable et dont la justification n’est pas flagrante va grever un peu plus les finances publiques. Enfin, puis-je avoir confirmation que le temps du trajet entre Paris et Milan sera réduit à 4 heures au lieu des 7 heures actuelles ?

Mme Catherine Quéré. Rapporteure pour avis sur le projet de loi de ratification de l’accord au nom de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, je suis surprise que l’on additionne le coût du projet pour la France et son coût pour l’Italie, et très étonnée d’entendre si peu parler de développement durable. Les opposants au projet ont-ils mesuré la pollution, les nuisances sonores et le risque d’accidents induits par le transport routier dans les Alpes ? Monsieur Ibanez, est-il techniquement possible de porter la ligne existante à un grand gabarit pour un coût inférieur à celui du percement du nouveau tunnel ? Et si l’on procède de la sorte, il faudra fermer la voie à tout trafic, ce qui reportera l’actuel transport de fret ferroviaire sur la route, avec, en conséquence, davantage de pollution, de nuisances sonores et de risque d’accidents ; y avez-vous songé ? Enfin, les échanges économiques seraient beaucoup plus importants si les lignes étaient améliorées.

M. Noël Mamère. J’ai omis d’évoquer une question d’importance – la mafia. Sait-on assez qu’au nombre de ses sous-traitants, LTF fait travailler des entreprises qui ont été condamnées par les tribunaux italiens pour leurs accointances mafieuses ?

La Présidente Danielle Auroi. À ma connaissance, la BEI n’a pas été saisie, à ce jour, de demandes de financement, qui pourraient porter sur les abords du tunnel ; qu’en est-il ? Par ailleurs, la rentabilité de la voie ne tient-elle pas aussi au trafic de voyageurs ? Enfin, la Suisse a réussi dans son entreprise parce qu’elle contraint les poids lourds à emprunter la voie ferrée. La réglementation européenne permet-elle semblable disposition ?

Mme Anne Houtman. Étant plus généraliste que spécialiste de ce secteur, je vous ferai parvenir des réponses écrites aux questions qui vous paraîtraient devoir être complétées.

Dans le cadre budgétaire actuel, 395,2 millions d’euros sont réservés au financement des projets de transport ; ces fonds peuvent être utilisés jusqu’à 2015. Le principe retenu pour le cadre financier 2014-2020 est de concentrer les fonds disponibles sur les projets prioritaires, dont la ligne Lyon-Turin fait partie. La réalisation de la voie se poursuivra vraisemblablement au-delà de 2020 et notre analyse est que les besoins financiers pourront être satisfaits. Les financements européens seront calculés en pourcentage des coûts démontrés ; ils portent sur le tunnel de base.

La directive relative au détachement des travailleurs prévoit que les conditions d’emplois, salaire minimum compris, doivent respecter les règles du pays dans lesquels les travailleurs sont employés. Nous savons que de graves problèmes d’application de cette directive se posent et c’est pourquoi nous avons fait une proposition visant à améliorer l’application du texte. Nous nous battons, avec l’aide de la France, pour que l’accord se fasse à ce sujet, mais nous ne disposons pas pour l’instant du soutien qui serait nécessaire pour éviter que certaines entreprises ne contournent la directive.

Le trafic a baissé sur la ligne existante en raison de la crise mais, pour les projets de ce type, nos calculs sont faits à très long terme.

En effet, la BEI n’a pas été saisie. La création du mécanisme pour l’interconnexion en Europe permettra une collaboration plus étroite et un partage des risques, le risque, pour l’Union européenne, étant plafonné à sa capacité budgétaire.

M. Hubert du Mesnil. L’alternative au percement du nouveau tunnel, c’est l’utilisation du tunnel existant. Mais comme il a déjà été rénové au mieux, en termes de sécurité des personnes et en termes de gabarit, on ne peut faire davantage que ce qui a été fait. C’est précisément parce que ce tunnel présente des caractéristiques difficiles du point de vue de la sécurité que les procédures d’approbation ont été compliquées : les autorités, françaises et surtout italiennes, ont mis beaucoup de temps à définir dans quelles conditions on pouvait réutiliser le tunnel existant. Il est vrai qu’une capacité est disponible ; que l’on puisse utiliser le tunnel, c’est autre chose.

Pour ce qui est de l’aménagement de l’accès, plusieurs variantes sont possibles avec le réseau existant ; mais ce qui a été étudié et déclaré d’utilité publique, c’est l’aménagement de la ligne entre Lyon et Modane pour permettre la compatibilité avec le nouveau tunnel. Les caractéristiques du projet de tunnel et des accès sont homogènes, et cette cohérence globale est nécessaire.

Il est incorrect de continuer à parler d’un investissement de 26 milliards d’euros. Le projet coûte 8,5 milliards, et il n’a jamais été question d’augmenter son coût de 50 %. Qu’on additionne à ce montant le coût d’autres projets, soit, mais le coût du tunnel de base lui-même n’a pas varié.

Il s’agit d’un projet à maîtrise d’ouvrage directe, non d’une privatisation. La France et l’Italie apporteront leur garantie au financement du projet, et les 8,5 milliards seront de la responsabilité d’une société d’exploitation qui aura les deux États pour actionnaires. Moyennant les subventions déjà versées, la société qui gérera le tunnel sera responsable de la fixation des péages, qu’elle déterminera de manière compatible avec la réglementation européenne. On ne peut dire maintenant quel sera le montant des péages, mais l’intérêt de la société, sous le contrôle des deux États, sera évidemment de définir une tarification attrayante. De même, il est trop tôt pour parler du prix du passage pour les voyageurs. Je pense que la ligne sera mixte ; le trafic des voyageurs relèvera des règles internationales, les entreprises concurrentes pouvant utiliser librement le tunnel.

La construction d’un tunnel à grand gabarit est une condition nécessaire, mais est-elle suffisante ? Non. Le projet ne sera un succès que si la France et l’Italie mènent une politique de tarification et de régulation du trafic pour la route comme pour le rail, dans le cadre européen déjà fixé : l’Union européenne autorise un sur-péage routier dans les zones sensibles pour financer les investissements ferroviaires. Le projet ne réussira que si l’on met en œuvre des orientations acceptées par l’Union et que la Suisse a adoptées : non pas obliger les camions à monter sur les trains mais permettre, en les mettant au bon gabarit, que les trains puissent accueillir les camions, et définir une tarification attractive pour le rail par rapport aux péages routiers. Une politique de régulation multimodale doit être mise en œuvre, faute de quoi, en effet, le nouveau tunnel ne servira pas à grand-chose.

M. François Lépine. Il est inscrit dans la Constitution fédérale helvétique que « le trafic de marchandises à travers la Suisse sur les axes alpins s’effectue par rail ». Je ne pense pas que nous soyons prêts à pareille option politique, mais tous les maires savent que pour inciter à l’usage d’un parking on peut pratiquer une politique modulée d’interdiction du stationnement. L’annexe 3 de l’accord décrit les mesures de report modal de ce type, qui vont de pair avec l’ambitieuse réalisation de l’ouvrage.

La construction du tunnel ferroviaire associe trois partenaires : l’Union européenne, la France et l’Italie. La réalisation des accès rassemblera de multiples partenaires locaux et bien des discussions sont encore à venir pour en définir les enjeux techniques et financiers. Mais, sans même que les itinéraires d’accès soient terminés, le tunnel de base présente en soi une rentabilité évidente tant pour le transport de fret, puisqu’il « efface » les hauteurs, que pour le transport des passagers, en raccourcissant de beaucoup le temps des trajets Paris-Milan, Lyon-Turin et Lyon-Milan. Ainsi le seul axe ferroviaire Est-Ouest entre l’Espagne et la Slovénie permettra-t-il déjà de donner un regain de vitalité aux pays du Sud de l’Europe et de compétitivité aux entreprises. Cela justifie l’investissement – dont je répète que, sous réserve de certification, il est limité aux 8,5 milliards d’euros annoncés. Il est donc nécessaire que les deux États répondent positivement à l’appel à projets que l’Union européenne lancera début 2014.

M. Daniel Ibanez. S’agissant du financement, il convient de rappeler qu’il ne s’agit pas seulement de la construction d’un tunnel transfrontalier mais d’un projet global, puisque l’accord qui va être soumis à ratification concerne une « section internationale » qui va de Saint-Didier-de-la-Tour à Turin. Il a été dit que, pour arguer de l’augmentation de coût, nous ajouterions des éléments au projet initial. Non. Le coût du projet annoncé à la représentation nationale en 2002 par M. Jean-Claude Gayssot était de 12 milliards d’euros, et il est passé à 26 milliards sur le même périmètre : Lyon-Turin. En réalité, le projet global a été saucissonné pour permettre de dire que l’on ne va réaliser que ce tronçon de 8,5 milliards d’euros. Or des arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne condamnent le saucissonnage des projets et des enquêtes publiques ; nous étudierons cette question.

À propos du financement par les passagers, quelques chiffres. En 1993, on nous a annoncé entre 9,9 et 10,8 millions de voyageurs sur la liaison ferroviaire ; on est à présent à 4 millions. Or il était dit dans les documents soumis à concertation en 1993 que ces 10 millions de voyageurs permettraient de réaliser la première partie du projet – jusqu’à Montmélian – et d’amener le trafic qui permettrait de financer la section transfrontalière. Non seulement le nombre de voyageurs estimé est passé de 10 à 4 millions mais les recettes escomptées ne sont pas là – et, de surcroît, on commence par la partie déficitaire !

Les lignes existantes posent un problème réel. Chambéry est desservie par une ligne à voie unique, tout comme Annecy ; incidemment, le projet initial, en 1993, prévoyait le doublement de la voie vers Annecy. On peut imaginer qu’il est nécessaire de doubler la voie existante jusqu’à Chambéry, où plus de 60 000 voitures convergent au motif que les transports du quotidien se font sur une voie unique où l’on ne peut faire passer des TER.

J’ai été interrogé sur les questions environnementales et sur la capacité à convoyer du fret. J’observe à ce sujet qu’il existe une autoroute ferroviaire entre Perpignan et Bettembourg, longue de 1 045 kilomètres, sans rupture de charge. Le trajet s’accomplit en 18 à 20 heures par la route et en 14 h 30 par le rail, qui est donc concurrentiel. La société Lorry-Rail a rappelé que tous les poids lourds qui empruntent une autoroute ferroviaire, où qu’elle soit, sont subventionnés et que, pour ce qui concerne l’autoroute alpine, la subvention par camion transporté est passée de 263 euros à 192 euros en 2012. On s’est hautement félicité d’avoir transporté 50 000 poids lourds l’année dernière sur l’autoroute ferroviaire Perpignan-Bettembourg ; or, cela signifie qu’en un an on a transporté par le rail l’équivalent de 2 jours de trafic routier de poids lourds dans la vallée du Rhône. On veut donc investir de 10 à 20 milliards d’euros dans un projet d’autoroute ferroviaire alpine alors même que, ailleurs, dans des conditions concurrentielles avérées et sur un trajet sans montagne, on ne parvient pas à l’objectif visé ici ?

Le fait est que le développement du fret ferroviaire en France connaît un problème, analysé dans le rapport d’information du sénateur Francis Grignon. Les difficultés tiennent à l’organisation mais aussi au matériel roulant, qui est à attelage manuel, une tige filetée reliant les crochets de chaque wagon. Je vous engage donc à considérer que mieux vaut rediriger les fonds pour investir dans des matériels roulants à attelage automatique et dans le téléguidage.

Pour ce qui est de la pollution, madame Laclais, vous savez que certains députés et certaines associations ont porté plainte pour mise en danger de la vie d’autrui en raison de la non-utilisation de la ligne existante. Nous sommes favorables au report modal et pour cela à l’amélioration d’outils effectivement capables de transporter les marchandises sur le rail. Malheureusement, notre matériel roulant actuel ne le permet pas, où que l’on soit : ni dans les Alpes, ni en plaine. Un tunnel qui « gomme » les Alpes, comme disent ses promoteurs, permettra, nous dit-on, un transport de fret ferroviaire florissant. Mais qu’en est-il sur les 70 % du réseau ferré français qui n’est pas en montagne ? Loin d’être florissant, le fret ferroviaire perd, malheureusement, des parts de marché chaque année !

Nous avons donc demandé que tous les poids lourds qui circulent à vide dans les Alpes soient obligés d’emprunter la voie ferrée et que toutes les marchandises qui peuvent l’être soient transportées par le rail. Nous l’exigeons. Vous êtes les législateurs ; vous pouvez interdire la circulation des camions à vide sur les routes alpines.

M. François-Michel Lambert. On mentionne un coût de 8,5 milliards d’euros, mais je n’ai pas le sentiment que l’on s’en tiendra là puisque les voies ferrées devront être adaptées au nouveau gabarit. Pour quel coût réel le tunnel sera-t-il performant ?

Élu de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, je ne comprends pas comment le nouvel ouvrage détournerait les flux de camions qui passent dans la région. Quelles sont les offres et les alternatives ? La traversée alpine Est-Ouest devrait être envisagée du Jura à la Méditerranée, et le tunnel dans ce cadre global. Alors que les Italiens ont pratiquement terminé la mise à niveau de la liaison Gênes-Vintimille, ils ne trouvent aucune offre ferroviaire pour le fret au-delà de la frontière italo-française ; que d’incohérence !

Par ailleurs, le projet tient-il compte des améliorations en termes d’organisation et d’optimisation des chargements permises par les nouvelles techniques ? Prend-il en considération l’évolution technologique en général, qu’il s’agisse des wagons automatisés – qui permettent d’accéder à des rampes jusqu’alors inaccessibles –, de l’Internet physique qui sera prêt bien avant que le percement du tunnel soit terminé et qui révolutionnera probablement une grande partie des flux de marchandises et de la logistique ? Ces progrès techniques ont-ils été intégrés dans la réflexion sur un tunnel qui semblent plutôt une solution du XXe, sinon du XIXe siècle ? Et encore : on dit vouloir un corridor allant de la péninsule ibérique aux pays de l’Est, mais comment a-t-on pris en compte le très difficile passage des Pyrénées qui, de fait, limitera les mouvements ?

Il a été beaucoup question de la Suisse. Rappelons donc que, dans ce pays, les décisions ont été prises à la suite de deux votations par lesquelles les citoyens ont confirmé leur volonté de limiter le passage des camions sur le réseau routier. Ensuite, on a planifié le projet comme un ensemble cohérent, et non de manière éparse : on a décidé à la fois de creuser des tunnels, d’instaurer la redevance sur le trafic des poids lourds liée aux prestations, de renforcer l’organisation et le chargement des camions, et l’on a tout mis en œuvre de manière coordonnée. Il s’agit bien d’une vision globale, qui n’a rien de commun avec la seule offre d’une infrastructure découplée de toute politique générale.

Mme Catherine Quéré. Vous avez répondu à de nombreuses questions, monsieur Ibanez, mais oublié de me dire si vous avez tenu compte de ce que, pour aménager la ligne existante, il faudra la fermer pendant un certain temps, ce qui reportera le trafic sur la route, augmentant la pollution, les nuisances sonores et le risque d’accidents. Par ailleurs, la ligne, même améliorée, permettra-t-elle le ferroutage actuellement impossible pour des raisons de gabarit ?

M. Dominique Dord. La baisse du trafic de marchandises a été expliquée soit par la crise – un argument démenti par les faits, puisque le trafic a triplé dans les Alpes autrichiennes et suisses mais pas en France – et par la piètre qualité des infrastructures. Or, étant donné les changements intervenus dans la géographie des pôles de production, ce ne sont pas les infrastructures qui dictent les circuits de fret à travers l’Europe mais le cheminement le plus rapide. Dans ce contexte, je ne parviens toujours pas à comprendre pourquoi des marchandises débarquées à Gênes circuleraient sur la ligne Lyon-Turin.

Par ailleurs, Mme Houtman a indiqué que l’Union européenne cofinancerait le tunnel de base. Or, on nous dit, en France, que l’accord a été étendu pour une part à des accès français, qui seraient désormais inclus dans la section internationale, notamment les tunnels de Belledonne et du Glandon. Qu’en est-il précisément ?

Mme Bernadette Laclais. Une expérimentation de transfert de la route vers le rail a lieu entre Aiton et Orbassano, et cela fonctionne, monsieur Ibanez, mais l’on ne peut malheureusement faire passer plus de camions en ce moment à cause du gabarit du tunnel et pour les raisons de sécurité déjà dites. Quand le trafic routier par le tunnel du Fréjus baisse, il ne baisse pas sur l’autoroute ferroviaire ; cela atteste du besoin pour ce mode de transport qui a fait la preuve de son utilité, notamment pour les matières dangereuses.

On ne peut que constater l’obsolescence de la ligne existante qui, à l’évidence, bien qu’ayant fait l’objet de travaux, ne répond pas aux besoins, si bien que le trafic se déporte au bénéfice des tunnels suisses. Cela doit nous faire réfléchir à ce que l'on souhaite pour les pays du Sud de l’Europe et particulièrement pour le Sud-Est français.

Pour ce qui est du coût, on parle, dans l’accord, de 8,5 milliards d’euros, dont 25 % à la charge de la France, 40 % financés par l’Union européenne et le reste par l’Italie. La difficulté tient à ce que certains intègrent dans le coût du projet des opérations que nous aurions dû faire dans tous les cas : le contournement ferroviaire de Lyon, ou encore les accès côté français, pour des raisons autres que le percement du tunnel et déjà rappelées. Restons-en au débat sur la ratification de l’accord !

La Présidente Danielle Auroi. Certaines questions demeurent en suspens et le ministre des transports, empêché, n’a pu nous rejoindre. Néanmoins de nombreuses réponses nous ont néanmoins été apportées. Pourriez-vous nous dire, monsieur Descheemaeker, ce qui a permis à la Cour des comptes de considérer que toutes les solutions n’ont pas été suffisamment creusées ?

Par ailleurs, il revient actuellement moins cher à ceux qui voyagent entre la France et l’Italie de se déplacer par la route ou en achetant des billets à des compagnies aériennes à bas coût qu’en prenant le train. Cela a-t-il été pris en compte ?

M. Daniel Ibanez. Je vous renvoie, madame Quéré, au document relatif au corridor D qui figure dans le dossier de séance. Vous y lirez que la ligne existante, déjà rénovée et mise au gabarit, est un segment de la ligne transeuropéenne qui va d’Algésiras à la frontière entre la Hongrie et l’Ukraine en passant par la Slovaquie. Tous les travaux d’harmonisation sont faits : on n’a donc pas à fermer cette ligne ! Le plan d’investissement actuel vise à passer au système européen de gestion du trafic ferroviaire ERTMS, en France, entre 2015 et 2017. C’est à des améliorations technologiques, et non plus structurelles, qu’il faut procéder. La ligne ne sera pas fermée puisqu’elle est au gabarit, et sécurisée. La réponse faite en juillet 2013 par le ministre délégué chargé des transports à la question du sénateur Jean-Pierre Vial en atteste : il a déclaré le tunnel en sécurité. J’ai toutes raisons de croire le ministre, et l’on ne peut ensuite venir nous dire le contraire de ce qu’un membre du Gouvernement a affirmé devant le Sénat.

L’estimation de la capacité de la ligne existante – 20 millions de tonnes – n’est plus contestée par personne. On prend en compte à la fois le trafic voyageurs et le gabarit des camions. Permettez-moi de rappeler que si l’on ne peut faire circuler des voyageurs en même temps qu’un train de marchandises, rien n’empêche de les faire circuler dans le même tunnel, séparément. D’ailleurs, 5 trains de voyageurs circulent quotidiennement, dans chaque sens, entre la France et l’Italie en ce moment.

C’est exact, le ferroutage fonctionne entre Aiton et Orbassano, ce qui a permis de transporter 27 000 camions dans l’année. Mais, le 13 février 2002, M. Jean-Claude Gayssot annonçait le passage au rail de 300 000 camions, et de 50 000 avant les travaux. Soit la déclaration du ministre était réfléchie et le report de 50 000 poids lourds était possible, soit ce report n’était pas possible et il ne fallait pas le dire. Nous ne mentionnons pas d’autres chiffres que ceux qui ont été avancés par les ministres successifs.

On explique ensuite que l’obsolescence de la ligne française existante entraîne un déport au bénéfice de la Suisse. Mais, je le redis, la Suisse transporte sur une ligne ferroviaire de montagne mise en service en 1874, dite ligne du Saint-Gothard – sur laquelle, a rappelé M. Christian Descheemaeker, le nouveau tunnel percé ne sera ouvert qu’en 2017 –, 17 millions de tonnes, pendant que sur une ligne équivalente, nous faisons circuler 3,4 millions de tonnes en raison de travaux, et 10 millions de tonnes au maximum. Faisons donc aussi bien que les Suisses ! 17 millions de tonnes sur 22, ce serait déjà beaucoup !

J’en viens pour finir aux questions financières. Le coût du tunnel est évalué à 8,5 milliards d’euros. Pourtant, dans le tableau fourni lors de l’enquête publique du 1er trimestre 2012, dont vous avez copie, le coût du tunnel figure pour 10,48 milliards d’euros. Ces chiffres sont ceux de RFF, que M. Hubert du Mesnil, à l’époque, présidait ; ils sont donc, d’une certaine manière, validés ici. Donc, oui, le coût du tunnel a changé. Ce qu’il faut savoir maintenant, c’est si les 40 % – ou, selon les versions, « jusqu’à 40 % » – que pourrait financer l’Union européenne s’appliquent au budget de 8,5 milliards d’euros ou au coût effectif du tunnel.

M. Hubert du Mesnil. Lorsqu’on présente le montant d’un projet, on donne la date de l’évaluation – la valeur des euros de 2002 n’est pas la même que celle des euros de 2013. Quand RFF présente des projets en consultation, le montant est généralement donné en euros courants : si les travaux sont prévus pour durer dix ans, on additionne le coût annuel du projet et l’on actualise les prix chaque année.

M. Daniel Ibanez. L’évaluation datait de 2009.

M. Hubert du Mesnil. Je rappelle que l’objectif visé est la réalisation d’une autoroute ferroviaire allant de Lyon à Turin, pour laquelle notre référence est l’autoroute ferroviaire d’Eurotunnel, et non la ligne Perpignan-Bettembourg, sur laquelle on se heurte à pire que la traversée des Alpes – la traversée de Lyon. Aussi longtemps que le contournement ferroviaire de Lyon n’aura pas été fait, il n’y aura pas de développement important du transport de marchandises par le rail sur cet axe puisque, comme il paraît normal, les capacités autour de Lyon sont totalement absorbées par le transport des voyageurs.

Si l’on veut une autoroute ferroviaire, la mise au gabarit de la ligne existante demande d’immenses travaux car il faut refaire pratiquement tous les ponts. J’aimerais que l’on me démontre que cet aménagement est faisable. Avec l’expérience qui est la mienne, je pense qu’il est inenvisageable de faire accepter à la population des années de perturbations dues à la réfection de tous les ouvrages pour les mettre au gabarit maximal, celui des camions qui passeront sur les trains. D’autres aménagements sur place sont possibles, et si l’on renonce à l’autoroute ferroviaire on peut en effet améliorer les itinéraires existants beaucoup plus facilement, et notamment la liaison vers Chambéry ; personne ne le conteste.

M. Christian Descheemaeker. La Cour des comptes s’est livrée à une description historique : on constate que, année après année, les voies alternatives ont été peu étudiées mais qu’elles auraient pu l’être. Cela nous ramène de dix à quinze ans en arrière. C’est tout ce que nous rappelons dans le référé.

Mme Anne Houtman. Comme je vous l’ai indiqué, je m’emploierai à vous faire parvenir par mes collègues spécialisés des réponses écrites aux questions dont vous m’aurez signalé qu’elles appellent des précisions. Je suis venue parler d’un segment du grand corridor Méditerranée qui relie Séville à la frontière de la Hongrie et de l’Ukraine. Sur ce corridor, d’autres tronçons ont été financés ou le seront : ainsi, en France, un financement européen de 104 millions d’euros vient d’être décaissé pour le contournement de Nîmes-Montpellier. Gênes est l’aboutissement d’un autre corridor européen, le corridor Rhin-Alpes, qui relie ce port italien aux Pays-Bas.

Des partenariats public-privé sont évidemment possibles, j’en ai fait état dans mon propos introductif. Les règles de sécurité communautaires s’appliquent, bien entendu. Un État membre a bien sûr le droit de contraindre les poids lourds à emprunter le rail, à condition que l’obligation soit universelle, c’est-à-dire non-discriminatoire.

Le pourcentage du cofinancement de l’Union européenne porte bien sûr sur les coûts effectifs. Pour le tronçon dont nous parlons, le tunnel de base, j’ai constaté, en lisant le dossier, un glissement de calendrier, mais pas de grand glissement de coût.

M. Dominique Dord. Le cofinancement européen concerne-t-il le seul tunnel de base ?

Mme Anne Houtman. Oui.

La Présidente Danielle Auroi. Notre collègue François-Michel Lambert semble considérer ne pas avoir eu les réponses qu’il attendait. Nous verrons si nous pouvons les réitérer sous forme écrite. Je remercie l’ensemble des participants à cette table ronde qui a permis des échanges nourris et je vous propose que l’expression des différents points de vue trouve sa place dans un futur rapport d’information de notre commission.

La séance est levée à 19 heures

Membres présents ou excusés

Commission des affaires européennes

Réunion du mardi 22 octobre 2013 à 17 h 15

Présents. - Mme Danielle Auroi, M. Philip Cordery, M. William Dumas, M. Hervé Gaymard, Mme Marietta Karamanli, M. Jérôme Lambert, M. Jacques Myard, M. Didier Quentin

Excusés. - M. Bernard Deflesselles, Mme Marie-Louise Fort, Mme Annick Girardin, M. Jean-Claude Mignon, M. Rudy Salles

Assistaient également à la réunion. - M. Dominique Dord, Mme Bernadette Laclais, M. François-Michel Lambert, M. Noël Mamère, M. Paul Molac, Mme Catherine Quéré, Mme Béatrice Santais