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Commission des affaires européennes

mercredi 12 février 2014

16°h°15

Compte rendu n° 118

Présidence de Mme Danielle Auroi Présidente

I. Communication de Mme Marietta Karamanli sur la situation de la Grèce, en début de présidence de l’Union européenne

II. Communication de Mme Estelle Grelier sur la consultation ouverte par la Commission européenne sur les aides de minimis dans le secteur de la pêche et de l’aquaculture

III. Communication relative à la décision que doit prendre la Commission européenne s’agissant de l’autorisation d’une variété de maïs OGM.

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mercredi 12 février

Présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente de la Commission

La séance est ouverte à 16 h 15

I. Communication de Mme Marietta Karamanli sur la situation de la Grèce, en début de présidence de l’Union européenne

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Il est paru opportun de faire aujourd’hui un point sur la situation de la Grèce, au moment où débute sa présidence de l’Union et à la veille d’échéances européennes décisives. Je dois dès à présent dire combien il est difficile d’évaluer une situation qui demeure extrêmement préoccupante sur le terrain. Quelques très timides indices de reprise peuvent inviter il est vrai à un léger optimisme.

Après six années d’effondrement, le produit intérieur devrait renouer avec une modeste croissance de 0,6°% en 2014, avec notamment une production industrielle dont l’hémorragie est en voie d’interruption.

Surtout, les énormes efforts budgétaires consentis depuis le début de la crise semblent porter leurs premiers fruits, avec un déficit public ramené, dans un contexte économique extrêmement critique, de 15,7°% à 4°% en 2013. L’État grec est en conséquence parvenu à dégager un léger excédent primaire, avant paiement des intérêts de la dette, qui s’affermirait à 2,6°% en 2014.Ces performances limitées sont toutefois peu de chose face à la violence du choc subi par la société grecque et la puissance des menaces devant elle.

Il y a d’abord, bien sûr, l’hypothèque de la dette publique, et les défis qu’implique ce qu’il faut bien appeler la refondation d’un État sur des bases nouvelles. Il est vrai, d’une part, que cette dette a été fortement allégée grâce à la décote « volontaire » de 50°% agréée par les créanciers privés à la suite du Conseil européen du 27 octobre 2011, qui représente environ 43°% du PIB. D’autre part, il faut signaler que sa détention à près de 70°% par ses partenaires, qu’il s’agisse des mécanismes européens de stabilité, du FMI ou de la BCE, place la Grèce à l’abri des mouvements erratiques et spéculatifs des marchés qui avaient tant fait pour déclencher l’effet boule de neige.

Il n’en reste pas moins que pour faire face à une dette qui atteint 175°% du PIB, la Grèce devra être capable de dégager, chaque année, un excédent budgétaire primaire supérieur à 4,5°% du PIB. Une telle performance suppose une profonde rupture avec les pratiques du passé. Les symptômes de la « mal-administration » grecque sont en effet bien connus. On peut citer notamment le doublement en trente ans des dépenses de fonctionnement de l’État grec, qui atteignaient avant la crise 6,8°% du PIB contre 3,5°% en moyenne dans l’Union, ou les effectifs imposants de la fonction publique, qui employait près du quart de la population active. Des titularisations répétées et sans réels concours d’agents publics ont ainsi dessiné une fonction publique aux compétences disparates, aux rémunérations parfois aléatoires en l’absence de toute grille unifiée des salaires, et aux qualifications souvent inexploitées.

Ces défaillances trahissent aussi des difficultés qualitatives.

Je pense notamment à sa structure complexe, laissant trop de place au clientélisme qui prospère dans l’imprécision et l’instabilité des missions publiques. Je pense aussi à sa propension au formalisme. Mais je pense surtout au vrai talon d’Achille de l’administration grecque, sa difficulté à collecter l’impôt. Liée aussi à l’importance de l’économie souterraine, d’ailleurs constatée dans d’autres pays comme l’Italie, cette faiblesse obère la capacité de la Grèce à faire face aux dépenses d’un État moderne et fragile, par des inégalités sociales inacceptables, le contrat social. Faire face à de tels défis suppose de réunir deux conditions. La première, c’est d’enraciner les réformes dans la durée. La seconde, c’est de mobiliser les principaux concernés, pour qu’ils s’approprient les réformes et consentent ainsi à de vrais changements de comportement.

Or, dans l’urgence, les programmes d’austérité ont d’abord retenu une approche trop brutale, trop comptable et trop ouvertement défiante à l’égard des employés publics. Ils se sont concentrés sur des objectifs exclusivement quantitatifs, avec par exemple la baisse de 20 % des effectifs de la fonction publique et des rémunérations avec l’adoption d’une grille indiciaire. Ils ont d’abord sollicité les bases fiscales les plus aisément mobilisables - malheureusement aussi les plus injustes, comme la TVA, augmentée dès 2010 de 19 à 23°%.

Ce n’est que récemment, sous l’impulsion notamment de la « task-force » européenne mise en place à l’automne 2011, que des réformes plus qualitatives ont été mises en œuvre, sous l’impulsion d’un Secrétaire général responsable directement auprès du Premier ministre.

Sur le front des impôts, une lutte résolue, fortement aidée par le recours intensif aux nouvelles technologies, a été initiée contre la fraude fiscale. Et un premier débroussaillage courageux a été fait dans le maquis des exemptions fiscales injustifiées sans aller toutefois jusqu’à s’attaquer aux intérêts les plus solides, qu’ils s’agissent des armateurs ou de l’Église orthodoxe.

Cet ajustement budgétaire, qui représente un effort structurel atteignant le montant historique de 20°% du PIB, a dû être mené en même temps qu’était relevé le défi de la compétitivité. Car la crise grecque de 2010 est à la fois une crise des finances publiques et une crise de compétitivité. Profitant de la baisse des taux d’intérêt et de l’allègement des contraintes extérieures liées à l’euro, la Grèce a en effet laissé ses termes de l’échange se dégrader de 20 à 30°%, accentuant la vulnérabilité d’une économie déjà très insulaire par rapport au centre de gravité de la zone euro.

Je veux toutefois, à ce stade, rompre avec de trop nombreux préjugés en vous invitant à ne pas surestimer le retard grec. Ainsi, pour ne citer ce seul chiffre, l’augmentation du PIB de 12°% entre 2000 et 2008 a avant tout reposé sur une forte hausse de la productivité horaire (+ 11°%) alors même que le temps de travail demeurait beaucoup plus élevé qu’ailleurs (2 119 heures par travailleur et par an en 2007 contre 1 554 en France ou 1 390 en Allemagne). La Grèce n’a ainsi pas connu, contrairement à beaucoup d’autres, d’emballement de l’endettement privé.

Ces réserves posées, force est de constater que sur ce front, comme sur le front budgétaire, les politiques suivies pour faire face à la crise furent essentiellement quantitatives et brutales, reposant sur une compression des importations et l’imposition des traditionnelles « thérapie de choc libérales », avec par exemple une baisse de 22°% du coût du travail.

Et là encore, les résultats demeurent fragiles, sans doute parce que ces politiques ont jusqu’ici échoué à s’attaquer aux causes réelles des difficultés de l’économie grecque, qu’il s’agisse de son faible potentiel d’innovation (les dépenses de recherche de dépassaient pas 0,6°% du PIB contre 2 % dans l’Union) ou de ses fragilités bancaires, exacerbées par l’appauvrissement des ménages. Seule la relance des fonds structurels grâce au Pacte pour la croissance de juin 2012 a dessiné un point de lumière dans ce sombre tableau, représentant une relance de 3°% de PIB en 2013 et en 2014.

Derrière ces chiffres et ces réformes, se cache toutefois un coût humain extrêmement élevé. Pour prendre la mesure des difficultés, il faut se figurer que la richesse nationale a baissé en cinq années de 23°% et le revenu disponible pour les ménages de 27°%. Il faut noter que le chômage a explosé de 9 à 24,3°%, avec 61°% pour les 15-24, ou que la pauvreté réelle a plus que doublé de 12 à 26°%.

Cette considérable dégradation des conditions de vie de nos concitoyens européens pèse de manière disproportionnée sur les plus fragiles. Ainsi, relevons que l’écart de revenu après impôt entre les 10°% les plus riches et les 10°% les plus pauvres est passé de 10 à 17 en trois ans.

À cet égard, je pense utile de noter que le choc fut d’autant plus violent qu’il a touché une population qui souffrait déjà au préalable d’inégalités inacceptables. Et, contrairement là encore aux préjugés traditionnels, il faut remarquer que les réformes mises en œuvre depuis 2010 ont été, prises une à une, plutôt redistributives. C’est leur nombre et leur ampleur, en soumettant le pays à une austérité sans précédent, qui ont précipité l’effondrement de l’économie et l’explosion corrélative des inégalités.

Les conséquences politiques de ces difficultés sociales critiques sont bien connues, allant de l’effondrement des deux grands partis à l’irruption de pratiques politiques sur fond de racisme, d’antisémitisme, de violences organisées, avec notamment l’apparition au Parlement du parti néonazi d’Aube dorée.

Et force est de constater que la perspective des élections européennes, traditionnellement difficiles pour les partis de gouvernement, puis celle de l’élection du président de la république en février 2015, qui exige la réunion des deux tiers des suffrages au Parlement lorsque le Gouvernement ne dispose aujourd’hui au Parlement que d’une majorité d’une voix, contribuent à assombrir un peu plus cet horizon orageux.

Cet aperçu rapide de la situation grecque peut enfin nous encourager à formuler des réflexions plus générales sur la responsabilité de l’Union européenne dans la gestion des crises des dettes souveraines. Je crois qu’il faut d’abord relever que c’est moins le principe et l’ampleur de l’intervention de la zone euro qui est en cause que son rythme et ses atermoiements.

Le paradoxe est que les réponses des chefs d’État et de gouvernement européens aux soubresauts de la crise financière ont été au départ trop lentes et trop imprécises, entretenant un climat dangereux d’incertitudes et de contagion aux pires moments, alors que les politiques concrètes suggérées par les institutions prêteuses, notamment via la troïka, ont été systématiquement dictées par des considérations mêlant une vision unilatérale de l’économie et l’absence de perspectives politiques constructives.

En conséquence, pendant que les sempiternels « sommets de la dernière chance » entretenaient l’idée folle d’une sortie de la Grèce de l’euro, les programmes d’ajustement, précisément privé de la perspective rassurante d’un accord européen stable, se sont révélés beaucoup trop brutaux et ont très fortement sous-estimé leur impact récessif sur l’économie. Il suffit pour s’en rendre compte de rappeler que le programme initial détaillé en mai 2010 prévoyait une chute de l’activité à l’horizon de 2013 limitée à 3,5°% du PIB (elle a dépassé 23°%,), une contraction de la demande intérieure de 10°% (elle a atteint 21°%) ou une stabilité du chômage (qui a été multiplié par presque trois)…

Des erreurs de prévision d’une telle ampleur doivent beaucoup, il est vrai, à la crise européenne et aux faiblesses de l’État grec. Mais elles découlent manifestement avant tout du refus d’observer qu’il existe une contradiction majeure entre la poursuite d’un assainissement budgétaire violent et celle d’un redressement accéléré de la compétitivité. Les experts internationaux ont ainsi systématiquement et spectaculairement sous-estimé l’impact récessif de l’austérité, c’est-à-dire la valeur des multiplicateurs budgétaires, en l’absence d’une demande privée apte à compenser les effets des contractions budgétaires.

En dernier lieu, je pense que l’expérience des pays soumis à un programme d’ajustement structurel a profondément bousculé les attentes et les équilibres démocratiques au sein de l’Union européenne.

La méthode retenue, dans laquelle les engagements des États bénéficiaires de l’assistance européenne sont négociés et évalués par des représentants non élus issus d’organismes aux légitimités contestées a échoué à encourager l’appropriation nationale des programmes et à garantir un contrôle démocratique satisfaisant.

Cette défaillance démocratique majeure résulte d’ailleurs, à de nombreux égards, d’un véritable jeu de dupes. Il semble indéniable que l’existence d’une troïka technocratique a bien souvent fourni aux gouvernements des États bénéficiaire de l’aide européenne comme à leurs partenaires de l’Eurogroupe et du FMI, l’occasion de se défausser de choix difficiles.

Cette situation est dangereuse pour l’Europe toute entière, bouc émissaire paradoxale des populations soumises aux ajustements perçus comme dictés de l’extérieur comme de celles qui estiment payer le prix d’une solidarité que les traités ne prévoyaient pas. Elle exige une clarification démocratique rapide avec notamment une pleine responsabilité de l’ensemble des acteurs européens de la troïka devant le Parlement européen, notamment dans le cadre du rapport d’enquête sur la troïka mené par Othmar Karas et Liem Hoang Ngoc et débattu en plénière en mars prochain. Elle doit aussi nous encourager à avancer rapidement dans l’édification d’un espace de débats et d’échanges réguliers entre les parlements nationaux, souverains budgétaires et donc responsables ultimes devant les citoyens de la conduite des politiques économiques et financières, par exemple dans le cadre de la Conférence budgétaire à laquelle notre Commission est si profondément attachée.

M. Jacques Myard. Je veux vous remercier pour la remarquable objectivité du tableau que vous nous avez dressé, même si je regrette que vous n’alliez pas au bout des choses en en tirant les conclusions logiques. En particulier, quels sont les montants exacts des engagements assumés par la France dans le soutien à ce pays ?

Car ces soutiens risquent fort de tomber dans le tonneau des danaïdes. Dès les négociations d’entrée de la Grèce dans la CEE, un ambassadeur de France à Athènes n’avait pas hésité à mettre en garde le président de la République Valéry Giscard d’Estaing en rappelant que la Grèce était – et demeure – incapable de faire face aux défis qu’impliquait l’adhésion. Le Président aurait répondu que l’on ne fait pas jouer Socrate en deuxième division.

Quelques trente ans plus tard, la situation a été encore aggravée par la zone euro, qui corsette dans un cadre absurde des économies si profondément divergentes que l’économie allemande et les pays en décrochage de compétitivité comme la Grèce, auquel s’ajoutera d’ailleurs bientôt, si l’on n’y prend garde, des États aussi solides que la France. La seule solution qui nous reste pour atténuer ensuite ces écarts croissants, c’est les politiques déflationnistes expérimentées dans les années 30, dont la rapporteure nous montre l’inanité en Grèce comme ailleurs. Cette inquiétude de fonds sur l’avenir de la zone euro me conduit incidemment à dénoncer l’interprétation médiatique proprement manipulatrice dont s’est rendue coupable la presse française au sujet de la récente décision de la Cour constitutionnelle allemande sur la faculté d’achat illimité de titres souverains sur le marché secondaire que la Banque centrale européenne s’est arrogée au travers des OMT. Je relève en effet, contrairement à ce qui est écrit, que la Cour non seulement met en doute la conformité de ce programme au regard des traités européens, en renvoyant cette question, via un recours préjudiciel, à la CJUE, mais elle affirme clairement que, en outrepassant manifestement ses attributions, la BCE contrevient à la Loi fondamentale elle-même. Mon analyse est qu’elle porte ici un coup fatal à la zone euro.

Mme Estelle Grelier. Il me semble, en élément de réponse à mon collègue, que l’avenir de la zone euro est mieux assuré qu’il ne le prétend. Je participais ce matin à une réunion avec des investisseurs étrangers, qui relevaient que trois éléments décisifs ont garanti, à leurs yeux, l’attractivité européenne : l’union bancaire et la supervision par la BCE ; l’OMT de la Banque centrale européenne, dont ils remarquaient d’ailleurs qu’il était « sanctuarisé », par la décision de la Cour de Karlsruhe, au moins pendant la durée du recours préjudiciel devant la Cour de Luxembourg, soit au moins 18 mois ; et enfin le maintien de la Grèce dans la zone.

Il n’en demeure pas moins que se pose la question de la soutenabilité des programmes d’ajustement. L’excédent primaire que la Grèce est parvenue à dégager est l’un des plus élevé de l’Union, il faut le rappeler. Mais c’est vrai qu’il nourrit désormais une question essentielle : faut-il le consacrer à la limitation, puis bientôt, je l’espère, à l’allégement de la dette publique ou importe-t-il d’en reverser une partie à ceux qui ont tant soufferts, ce qui pose aussi la question de l’équité des plans d’ajustement ? J’imagine que ces discussions seront vives à Athènes dans les mois qui viennent.

La Présidente Danielle Auroi. La situation grecque mérite d’autant plus notre attention que sa présidence de l’Union revêt un caractère très symbolique. J’en profite d’ailleurs pour souligner combien ce pays, qui assume des efforts extraordinairement courageux, mérite la considération de tous ces partenaires.

Comme la rapporteure l’a bien indiqué, le défi est de refonder un État grec dans lequel l’Histoire a laissé tant de zones d’ombres et de vulnérabilités. Et refonder un État, cela réclame du temps. Ce temps que lui refusent les redoutables médecins de Molière que sont les acteurs de la troïka, qui risquent fort de tuer leur malade « guéri ». À cet égard, il serait en effet très utile que nous auditionnons à brève échéance les deux rapporteurs du Parlement Européen que vous citiez, MM. Othmar Karas et Liem Hoang Ngoc.

Les acteurs grecs doivent aussi bien sûr prendre leur part des efforts, je pense notamment au geste bien inopportun des parlementaires grecs qui avaient choisi un bien mauvais moment pour discuter récemment d’une augmentation de leur rémunération.

Je souhaiterais conclure sur une note d’optimisme, en relayant de nombreux témoignages recueillis sur un nouveau « frémissement » de l’activité économique en Grèce au terme de six années de cauchemar. Ces notes d’espoir sont indispensables, et notre rôle est de leur donner tout leur écho.

M. Bernard Deflesselles. Deux aspects m’ont profondément frappé dans la remarquable présentation de la rapporteure.

D’abord, l’ampleur du choc subi par la société grecque est effarant, et l’on en prend parfois mal la mesure ici. Les chiffres et les réalités décrits par la rapporteur sont à cet égard éloquents, et jette une lumière crue sur les aberrations des « potions » à la fois trop amères et surtout beaucoup trop rapides administrées par la troïka.

Ensuite, le choc démocratique est tout aussi inquiétant, dont témoigne le véritable effondrement des deux piliers de la démocratie parlementaire grecque que sont le PASOK et la Nouvelle Démocratie. Il se joue là-bas une terrible partie avec les Extrêmes qui nous interpellent tous.

Cela me conduit à deux questions plus spécifiques. D’abord, quelle appréciation portez-vous sur l’évolution prévisible du climat politique. Ensuite, de quelle manière pouvons aider nos partenaires grecs, sur le plan économique comme sur le plan politique ?

M. Jérôme Lambert. Il n’y a pas de « problème » ou de « choc » démocratique grec, car les choix du peuple ne doivent jamais être remis en cause. La difficulté, ce n’est pas que les partis contestataires, parfaitement légitimes car élus légitimement, prospèrent. La difficulté réside dans ce qui conduit les citoyens à se détourner des partis traditionnels et à aller vers les solutions que l’on réprouve. Notre rapporteure nous a parfaitement décrit ce qui nous a mené là, et je pense que l’on peut et l’on doit, collectivement, trouver des réponses qui nous gardent de reproduire ailleurs ces erreurs.

Mme Marietta Karamanli. La principale erreur a en effet résidé dans nos délais de réponse. On a pris trop de temps pour forger les indispensables réponses européennes à une crise qui exigeait à l’inverse, sous la pression quotidienne des marchés, une réactivité de chaque instant. En réagissant trop tard, en entretenant un climat d’incertitude dans les pires moments, un jour sur le maintien de la Grèce, un autre sur le montant réel de la décote sur sa dette… les dirigeants européens ont souvent aggravé la situation. Et ils ont parfois peiné aussi à tirer les leçons de leurs échecs et de leurs difficultés, obérant la rapidité des indispensables changements de cap. L’exemple le plus récent est le refus obstiné de la Commission européenne de reconnaître l’absence de ses erreurs de prévision sur l’impact de l’austérité, à la différence des autres institutions internationales.

Convenons toutefois aussi que des réponses communes, et profondément novatrices par rapport aux traités, ont été trouvées, je pense aux achats de la BCE ou aux instruments européens de solidarité financière. À cet égard, je rappelle que les 240 milliards d’euros d’assistance européenne à la Grèce sont des prêts, qui sont remboursés. C’est d’ailleurs précisément pour les honorer que ce pays dégage aujourd’hui un excédent primaire que bien peu d’autres pays connaissent dans la zone euro. Et je remarque en outre que, contrairement aux trop fréquentes supputations, le Gouvernement grec maintient sa volonté inébranlable d’honorer ses dettes et a clairement affirmé qu’il n’aurait pas besoin d’un nouveau plan d’aide.

Ce qui manque aujourd’hui, c’est avant tout la stabilité qu’apporterait une vision claire, précise et légitime pour l’avenir de l’Union. Ce que nous pouvons apporter de plus précieux aux Grecs, c’est de nous entendre sur une direction commune pour la construction européenne, de manifester clairement notre volonté de renforcer l’intégration et la solidarité. Les efforts qu’ils ont consentis prendraient ainsi un sens différent, et plus ambitieux, puisqu’ils serviraient avant tout à cette communauté de destin en laquelle nous croyons profondément.

II. Communication de Mme Estelle Grelier sur la consultation ouverte par la Commission européenne sur les aides de minimis dans le secteur de la pêche et de l’aquaculture

Mme Estelle Grelier, rapporteure. Cette communication est très importante puisqu’il s’agit de répondre par ces conclusions à la consultation de la Commission européenne sur les aides de minimis dans le secteur de la pêche et de l’aquaculture, et vous connaissez mon attachement au secteur de la pêche. Ce sujet a des implications économiques majeures pour ce secteur, et c’est pourquoi que j’ai souhaité que nous répondions officiellement à cette consultation.

Comme vous le savez, le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne prévoit une interdiction de principe des aides d’État. Si des aides peuvent exceptionnellement être autorisées, elles sont soumises à une procédure de notification et d’autorisation très contraignante, régie par l’article 108, paragraphe 3 de ce traité.

Toutefois, certaines aides sont considérées comme n’affectant pas la concurrence et les échanges au sein du marché intérieur, et ne sont par conséquent pas soumises à l’obligation de notification prévue par le TFUE : c’est ce que nous appelons les aides de minimis, qui sont des aides de faibles montants. Ce principe permet d’optimiser le travail de la Commission, qui n’a pas à lancer de procédure d’autorisation.

Le règlement de minimis dit « général » a été refondu en décembre dernier. Il prévoit un plafond de 200 000 euros qu’une entreprise unique peut recevoir sur une période de trois ans.

En revanche, les secteurs de l’agriculture et de la pêche sont soumis à des règles spécifiques.

En 2004, un règlement de minimis relatif à l’agriculture et à la pêche a ainsi établi un plafond spécifique de 3 000 euros par bénéficiaire par période de trois ans. Cependant, dès 2007, la Commission a adopté un règlement uniquement pour le secteur de la pêche, après avoir constaté que dans ce domaine le risque de distorsion de concurrence était moins élevé que ce qui avait été envisagé. Un nouveau règlement spécifique prévoit un nouveau plafond de 30 000 euros par bénéficiaire sur une période de trois à condition que les aides ne dépassent pas 2,5°% de la production.

Par comparaison, le nouveau règlement de minimis agricole, applicable depuis le 1er janvier 2014, a porté ce montant par bénéficiaire à 15 000 euros sur une période de trois exercices fiscaux, et le plafond par État à 1°% de la valeur de la production agricole. Les règles de minimis dans le secteur de la pêche, même si elles sont particulièrement contraignantes comparées à celles applicables aux autres entreprises, restent donc largement moins contraignantes que celles relatives à l’agriculture.

Le mécanisme de minimis permet une plus grande souplesse et une plus grande réactivité dans l’attribution d’aide par l’État. Cette réactivité est d’autant plus importante dans le cas de la pêche, où les aides de minimis sont souvent accordées dans des situations d’urgence, notamment suite à des catastrophes naturelles. Les aides de minimis varient d’ailleurs considérablement d’une année sur l’autre, de 317 000 euros en 2010 à 28,9 millions d’euros euros en 2008 par exemple.

Quelques exemples très concrets montrent l’utilité de ces aides de minimis : l’aide à la reconstitution du cheptel ostréicole en région Pays de la Loire, le dispositif de soutien à la filière ostréicole en Bretagne, le plan de reconversion de la pêche à la langouste en Corse ou le soutien aux conchyliculteurs et pêcheurs à pied professionnels suite à la pollution engendrée par le TK Bremen.

Cette consultation s’inscrit dans une procédure européenne un peu particulière, puisque le traité prévoit que la Commission peut adopter des règlements concernant les catégories d’aides d’État que le Conseil a considéré comme pouvant être dispensées de la procédure de codécision classique. C’est le cas pour les aides de minimis.

Le Parlement européen et le Conseil ne sont donc pas impliqués dans ce processus décisionnel. En revanche, deux procédures de consultation sont mises en place. Un comité consultatif en matière d’aides d’État, composé de représentants des États membres, doit être consulté par la Commission avant de publier un projet de règlement puis avant d'arrêter ce règlement. Surtout, lorsque la Commission se propose d'arrêter une nouvelle réglementation relative aux exemptions de notification, elle doit en publier un projet afin de permettre à toutes les personnes et organisations intéressées de lui faire connaitre leurs observations, c’est dans ce cadre-là que nous nous fixons. Nous avons d’ailleurs pris connaissance d’un avis formulé précédemment par le Comité national des pêches en réponse à une consultation sur le sujet.

Ce projet de règlement apporte des modifications très marginales au règlement précédent. Il a surtout pour objectif de prendre en compte les évolutions récentes de la politique européenne de la pêche. Ainsi, sont exclus des aides de minimis les aides à la construction et à l’achat de bateaux de pêche du champ d’application de ce projet. Dans une logique de cohérence, ce règlement exclut de son champ d’application les mêmes opérations que celles exclues du Fond Européen pour les affaires maritimes et la pêche, notamment les opérations visant à renforcer les capacités de pêche des navires. Qu’on déplore ou non cette disposition de la nouvelle politique commune de la pêche, et je le déplore personnellement, il me semble nécessaire de faire œuvre de cohérence.

Le projet de règlement renforce également la sécurité juridique applicable à ces aides, en apportant des clarifications sur la notion d’entreprises en difficulté qui ne peuvent pas bénéficier de ces aides de minimis car elles sont concernées par d’autres dispositifs, sur les modalités de cumul de différentes aides de minimis, et sur la notion d’aide « transparente ».

Ce qui doit retenir notre attention, ce sont les seuils qui sont proposés. Le seuil de 30 000 euros par bénéficiaire sur une période de trois ans est préservé par le projet proposé par la Commission européenne. Toutefois, et avec la Commission européenne le diable se cache souvent dans les détails, le projet de la Commission ouvre la porte à une baisse possible du plafond total des aides de minimis attribuées par l’État dans le secteur de la pêche. En effet, le considérant 6 du texte proposé par la Commission européenne prévoit que le montant total des aides de minimis accordé à l’ensemble des entreprises dans le secteur de la pêche et de l’aquaculture sur une période de trois ans est inférieur à un plafond situé entre « 0,5 - 2,5°%, de la production annuelle du secteur de la pêche et de l’aquaculture ». Ce plafond n’est pas encore, à ce stade, déterminé par la Commission. Ce considérant pourrait donc remettre en cause le plafond de 2,5°% retenu par le précédent règlement.

Or, il est nécessaire de maintenir un plafond élevé, afin de garantir une marge de manœuvre aux États, grâce au caractère souple et réactif des aides de minimis, particulièrement nécessaire dans le secteur de la pêche comme je l’ai souligné précédemment. Il n’est donc absolument pas souhaitable d’abaisser ce seuil de 2,5°% de la production annuelle du secteur pêche, déjà relativement contraignant.

Enfin, il me semble pertinent de souligner que les secteurs de la transformation et de la commercialisation des produits de la pêche devraient relever du minimis général et non pas du minimis pêche, avec un plafond s’élevant donc jusqu’à 200 000 euros. C’est le cas aujourd’hui en matière agricole : seule l’activité de production primaire rentre dans le champ du règlement de minimis agricole.

Nous proposons dans ces conclusions de rappeler notre attachement aux aides de minimis dans le secteur, d’affirmer notre refus d’une diminution du plafond des aides et d’inclure les secteurs de la transformation et de la commercialisation des produits de la pêche dans le champ du minimis général et non pas du minimis pêche, par réciprocité avec ce qui se passe dans le domaine agricole.

Je rappelle que nous sommes ici contraints par des délais, la réponse devant parvenir à la Commission avant le 21 février.

M. Jean Pierre Roumegas. Est-il toujours possible de séparer les activités de transformation et la production ? Que faire, par exemple, des bateaux-usines ?

Mme Estelle Grelier, rapporteure. Les aides de minimis visent principalement à aider des entreprises dans des situations particulières, comme l’ont montré les exemples que j’ai cité. Mais il faut séparer l’activité véritablement de pêche et l’agroalimentaire autour de la pêche. J’ai ce cas dans ma circonscription, une entreprise agroalimentaire de transformation des produits de la pêche ne sera pas éligible au minimis général mais au de minimis pêche, plus contraignant. Nous demandons que seules les activités de pêche en elles-mêmes, du fait de de leur caractère spécifique, soient concernées par ce règlement.

Par ailleurs, il faut savoir que le seuil de ces aides est un véritable sujet chez les pêcheurs, qui considèrent qu’il faut relever ce seuil. En l’occurrence, il s’agit déjà de les maintenir !

III. Communication relative à la décision que doit prendre la Commission européenne s’agissant de l’autorisation d’une variété de maïs OGM.

La Présidente Danielle Auroi. Je voudrais faire un point d’actualité brûlante. Notre commission avait en décembre dernier adopté une résolution regrettant que la Commission européenne soit amenée à céder devant l’opiniâtreté de la société Pioneer. Sous prétexte de se mettre en conformité avec un jugement de la Cour de justice de l’Union européenne, la Commission européenne avait annoncé son intention d’autoriser la mise en culture d’un deuxième organisme génétiquement modifié en Europe, le maïs Pioneer TC 1507. La seule semence transgénique actuellement cultivée en Europe est le maïs MON°810 du semencier américain Monsanto, approuvée en 1998.

Depuis notre résolution, le Parlement européen a voté, à une très large majorité, le 16 janvier une résolution demandant le rejet d’une telle autorisation. Hier, le Conseil Affaires générales n’est pas parvenu à une majorité qualifiée contre l’autorisation. La France a en vain tenté de rassembler autour d’une cause justifiée une majorité qualifiée nécessaire pour repousser la demande d’autorisation de mise en culture de ce maïs qui, dans toutes les parties de cette plante, produit des matières toxiques insuffisamment évaluées. 19 États membres ont voté contre, quatre ont voté pour et cinq se sont abstenus dont l’Allemagne en raison des divergences au sein du gouvernement.

En l’absence de majorité contre ou pour au Conseil, la Commission est maintenant en position de trancher. Elle va devoir décider vite et c’est pourquoi, notre commission doit réagir vite. En prenant sa décision, il faut que la Commission européenne prenne en compte, encore plus que celui du Conseil Affaires générales, l’avis du Parlement européen qui s’est clairement et très majoritairement mobilisé contre cet OGM. La Commission ne peut pas non plus ignorer l’opposition des consommateurs aux OGM. En France, ils sont 80 % à les refuser et les chiffres sont semblables en Allemagne. La Commission ne peut passer outre cette voix unie défendant la santé des consommateurs, l’environnement ainsi qu’une alimentation et une agriculture durable et locale. Je suis toujours frappée par le fait que le pays d’origine du maïs est celui dans lequel on n’en trouve plus, et encore moins à dans son état natif.

L’impasse juridique dans laquelle se trouvent les institutions européennes et qui aboutit à ce que la Commission puisse prendre seule une décision politique ayant de telles conséquences montre l’urgence d’une réforme du cadre communautaire d’évaluation des risques, d’autorisation et de contrôle des OGM. Cette urgence est d’autant plus grande dans le contexte de négociations de différents accords de libre-échange, notamment celui avec les États-Unis qui ont pour objectif affirmé de faire sauter ce qu’ils considèrent des « barrières au commerce », les limites à la culture des OGM en constituant une. Or on a bien entendu la volonté du Président de la République d’aller vite dans ces négociations. A la lumière de ce qui s’est passé dans le cadre de l’accord avec le Canada qui suscite des réactions , notamment en matière agricole, il ne faudrait pas ouvrir la boîte de Pandore en matière d’OGM, mais aussi d’autres sujets comme la propriété intellectuelle. Nous devons montrer notre volonté de ne pas céder sur ces points. C’est pourquoi je vous propose d’adopter les conclusions suivantes qui réaffirment fermement la position prise en décembre dernier par notre commission.

Mme Estelle Grelier. Il est tout à fait regrettable que les règles de comitologie aboutissent à ce que les avis du Parlement européen et du Conseil Affaires générales ne soient pas pris en compte par la Commission européenne.

En conséquence, la Commission a adopté les conclusions suivantes :

« La Commission des affaires européennes,

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu les articles 114, 169, 191, 192 et 193 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

Vu la directive 2001/18/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 mars 2001 relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement,

Vu le règlement (CE) no 1829/2003 du Parlement européen et du Conseil du 22 septembre 2003 concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés,

Vu les conclusions du Conseil européen « Environnement » du 4 décembre 2008,

Vu la résolution du Parlement européen du 16 janvier 2014 s’opposant à la mise sur le marché du maïs génétiquement modifié Pioneer TC°1507 et demandant à la Commission de ne pas proposer l’autorisation de nouvelles variétés d’organismes génétiquement modifiés,

Vu le vote intervenu lors du Conseil Affaires générales du 11 février 2014 au sein duquel dix-neuf États membres se sont opposés à l’autorisation de mise en culture du maïs génétiquement modifié Pioneer TC°1509,

1. Considère, compte tenu des risques potentiels que présentent les organismes génétiquement modifiés, que l’Union européenne et ses États membres doivent assurer un niveau élevé de protection de la santé publique, de l’environnement et des intérêts des consommateurs, dans le respect du principe de précaution,

2. Regrette les récentes autorisations de commercialisation d’organismes génétiquement modifiés et de leurs sous-combinaisons données par la Commission européenne,

3. Souligne, concernant la mise en culture du maïs TC 1507, que si l’arrêt de la Cour de justice des communautés européennes du 26 septembre 2013 demande à la Commission européenne d’agir sur ce dossier, il ne lui impose en aucune façon de donner l’autorisation de mise en culture,

4. Demande à la Commission européenne de prendre en considération les avis clairement exprimés par le Parlement européen dans sa résolution du 16 janvier 2014 et par le Conseil Affaires générales du 11 février 2014 et en conséquence, de ne pas donner l’autorisation de mise en culture de ce maïs génétiquement modifié,

5. Apporte son plein soutien à un moratoire que déciderait le Gouvernement français sur les mises en culture d’organismes génétiquement modifiés,

6. Réaffirme, compte tenu des risques sanitaires et environnementaux des organismes génétiquement modifiés, sa demande de renforcement du cadre juridique communautaire d’évaluation des risques directs et indirects, à court et long terme, d’autorisation et de contrôle des organismes génétiquement modifiés,

7. Demande instamment à la Commission européenne qu’elle défende fermement les préférences collectives des citoyens européens en matière d’organismes génétiquement modifiés lors des négociations des accords de libre-échange, notamment celui entre l’Union européenne et les États-Unis. »

La séance est levée à 17 h 45

Commission des affaires européennes

Réunion du mercredi 12 février 2014

Présents. - Mme Danielle Auroi, M. Yves Daniel, M. Bernard Deflesselles, Mme Estelle Grelier, Mme Marietta Karamanli, M. Jérôme Lambert, M. Jacques Myard, M. Jean-Louis Roumegas

Excusés. - M. Laurent Kalinowski, M. Lionnel Luca, M. Jean-Claude Mignon