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Commission des affaires européennes

mardi 9 septembre 2014

15 heures

Compte rendu n° 150

Présidence de Mme Danielle Auroi Présidente

I. Table ronde sur les négociations relatives au projet de partenariat transatlantique : le point de vue des représentants des entreprises. Avec la participation de Mme Luisa Santos, directrice des affaires internationales de Business Europe ; M. Jean –Claude Karpolés , délégué du président, chargé du développement international et des affaires européennes, et Mme Corinne Vadcar, responsable « économie et commerce international » à la direction générale des études, de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris ; M. Sandy Boyle, co-rapporteur du rapport « les relations commerciales transatlantiques et le point du vue du CESE sur l’amélioration de la coopération et un éventuel accord de libre-échange entre l’Union européenne et les Etats-Unis », du Comité économique et social européen ; M. Jean Lemierre, président du comité « négociations commerciales multilatérales » et Mme Catherine Minard, directrice des affaires internationales, du MEDEF ; M. Pascal Perrochon, responsable des affaires internationales, de l’Union des industries chimiques ; Mme Emmanuelle Butaud-Staubs, déléguée générale adjointe de l’Union des industries textiles ; M. Philippe de Brauer, président de la Commission internationale de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mardi 8 septembre 2014

Présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente de la Commission

La séance est ouverte à 15 heures

I. Table ronde sur les négociations relatives au projet de partenariat transatlantique : le point de vue des représentants des entreprises. Avec la participation de Mme Luisa Santos, directrice des affaires internationales de Business Europe ; M. Jean –Claude Karpolés , délégué du président, chargé du développement international et des affaires européennes, et Mme Corinne Vadcar, responsable « économie et commerce international » à la direction générale des études, de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris ; M. Sandy Boyle, co-rapporteur du rapport « les relations commerciales transatlantiques et le point du vue du CESE sur l’amélioration de la coopération et un éventuel accord de libre-échange entre l’Union européenne et les Etats-Unis », du Comité économique et social européen ; M. Jean Lemierre, président du comité « négociations commerciales multilatérales » et Mme Catherine Minard, directrice des affaires internationales, du MEDEF ; M. Pascal Perrochon, responsable des affaires internationales, de l’Union des industries chimiques ; Mme Emmanuelle Butaud-Staubs, déléguée générale adjointe de l’Union des industries textiles ; M. Philippe de Brauer, président de la Commission internationale de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises

La Présidente Danielle Auroi. Cette troisième table ronde relative à la politique commerciale européenne et aux différents projets d’accord de libre-échange en cours de négociation entre l’Union européenne et différents États – dont le traité de libre-échange transatlantique – soulève les thèmes abordés par le groupe de travail constitué au sein de la commission des affaires européennes auquel participent Seybah Dagoma, Estelle Grelier, Marie-Louise Fort, Joaquim Pueyo, Hervé Gaymard, Michel Piron et moi-même.

En matière commerciale, le repli sur soi nous mènerait à une impasse ; mais les enjeux du changement climatique, de la lutte contre la pauvreté, de la protection de la biodiversité et de la promotion des droits humains donnent à ces négociations une dimension qui dépasse le seul cadre commercial. Pour en avoir la vision la plus complète possible, nous avons déjà entendu les organisations non gouvernementales et agricoles, et accueillons aujourd’hui les représentants des milieux économiques.

Quelle appréciation générale portez-vous sur les six premiers cycles de négociation ? Quels sont à votre sens les points clés autour desquels les discussions se cristallisent aujourd’hui et peut-on en entrevoir les évolutions possibles ?

Dans ces négociations, la Commission européenne a d’abord été accusée de manquer de transparence, qui représente pourtant une exigence démocratique. Les parlementaires ont également cru constater qu’elle privilégiait le contact avec les décideurs économiques au détriment d’organismes tels que les associations de consommateurs. Ces critiques vous paraissent-elles fondées ? Que peut-on dire de la transparence de ces négociations ? Quelle forme doit-elle prendre ?

La Commission européenne a lancé les négociations sur ces accords en arguant du bénéfice escompté en termes de croissance et de création d’emplois. Que pensez-vous des études de la Commission et de celles qui viennent tempérer, voire contredire, ses prévisions ? À quelles conditions l’Europe profiterait-elle économiquement de tels accords ? Nous avons déjà entendu les points de vue des organisations non gouvernementales et des milieux agricoles sur cette question ; les vôtres les compléteront utilement.

Le mécanisme d’arbitrage privé des différends entre États et investisseurs fait particulièrement débat. Les négociations ont été suspendues sur ce point et la Commission européenne a décidé de procéder à une consultation. En matière d’arbitrage, existe-t-il une différence de pratiques et d’appréciation entre les grandes entreprises et les PME ?

Enfin, quelles conséquences sociales et environnementales cet accord, selon vous, pourrait-il avoir ?

Mme Luisa Santos, directrice des affaires internationales de Business Europe. Association représentant les entreprises européennes, Business Europe est implanté dans trente-cinq pays européens : les vingt-huit pays membres de l’Union européenne, mais également des pays tels que la Suisse ou la Norvège. Elle réunit ainsi quelque 22 millions de petites, moyennes et grandes entreprises.

En matière de politique commerciale, Business Europe a une position offensive. En effet, la situation économique en Europe exige de trouver de nouveaux débouchés pour nos produits. Nous devons améliorer notre accès aux marchés des pays développés comme les États-Unis et le Japon, mais surtout à ceux des pays émergents tels que la Chine, l’Inde, la Russie et le Brésil. Dans l’idéal, notre préférence va à l’approche multilatérale de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) dont le cadre favorise l’harmonisation des échanges commerciaux au niveau mondial. Cependant, l’impasse dans laquelle l’OMC se trouve actuellement nous amène à être pragmatiques et à soutenir l’agenda bilatéral.

Dans ce cadre, il nous faut avant tout cibler nos partenaires les plus importants ; c’est pourquoi nous saluons les négociations avec le Japon et les États-Unis, ces derniers étant d’ores et déjà le premier partenaire commercial de l’Europe, tant en termes d’échanges commerciaux qu’en termes d’investissement. Nous croyons qu’un accord transatlantique serait bénéfique à l’Europe. En effet, même si les économies européenne et américaine sont déjà largement intégrées, leur relation mérite d’être encore développée.

La transparence des négociations pourrait clairement être renforcée. La création, par la Commission européenne, d’un groupe consultatif – auquel Business Europe participe aux côtés de syndicats, d’associations de consommateurs et de certaines ONG – constitue une première initiative importante, tout comme la publication sur le site internet de la Commission européenne d’un certain nombre de textes.

Les Etats-Unis sont le premier partenaire de l’Union européenne pour les échanges commerciaux et pour l’investissement. Or ce dernier doit bénéficier d’un cadre rigoureux et intégré ; pour l’heure, si les systèmes américain et européen sont tous deux juridiquement précis, certaines différences existent, les États-Unis ignorant par exemple le principe de non-discrimination. L’absence d’un mécanisme commun pénalise les entreprises européennes par rapport aux entreprises américaines.

Les implications de cet accord en termes de droit social et environnemental soulèvent beaucoup de questions. Business Europe considère que l’accord ne doit pas diminuer le niveau de protection des consommateurs et des travailleurs, ni en fragiliser les droits. Au contraire, ce partenariat doit devenir un modèle en matière d’accords de libre échange qui comprennent encore rarement un chapitre dédié aux aspects environnemental et social.

Les études sur les possibles retombées économiques de l’accord avancent des chiffres différents ; mais étant donné la situation économique de l’UE, si cet accord permet de créer en dix ans plus d’un million d’emplois et d’augmenter le PIB de 0,5 %, ce sera déjà positif.

M. Jean-Claude Karpelès, membre élu de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris. La transparence constitue une exigence importante mais elle ne doit pas amener à faire preuve de naïveté. C’est un danger dans ces négociations où l’Europe tend à être bien plus transparente que ses partenaires.

Autre source de déséquilibre : une fois conclu, l’accord serait directement applicable dans tous les États membres de l’Union européenne alors que le problème ne se pose pas dans les mêmes termes pour les différents États fédérés américains.

La réciprocité représente un autre volet important ; cette notion très française n’est guère portée par nos partenaires européens. Mieux vaut donc éviter ce terme car le marché européen est très ouvert si on le compare à ceux des pays avec lesquels nous négocions. Dans ces conditions, il faut opter pour le réalisme.

S’agissant des consommateurs, n’oublions pas qu’ils sont également producteurs, et c’est aussi à ce titre qu’il convient de les protéger. Or – point trop peu évoqué – contrairement à nous, les pays avec lesquels nous négocions excellent en matière de protections para-tarifaires et d’entraves techniques spécifiques. Ainsi, entre les États-Unis et l’Union européenne, la reconnaissance mutuelle des normes fait fréquemment défaut, ce qui oblige les exportateurs français à se conformer aux normes américaines. Parfois, comme dans le secteur électrique et électronique, s’y ajoute un problème de reconnaissance des assurances puisque pour être assuré aux États-Unis, il faut adopter les normes locales. Si l’on y déroge, on ne peut donc pas vendre dans ce pays. C’est pourquoi la question des protections para-tarifaires et des entraves techniques aux échanges doit impérativement être abordée dans la négociation.

Si l’arbitrage constitue une notion importante, la Chambre de commerce et d’industrie a également travaillé sur celle de médiation qui serait beaucoup plus efficace et moins coûteuse pour résoudre de petits conflits. Certes, l’arbitrage reste nécessaire au niveau international, mais il faut faire attention au coût des contentieux.

M. Sandy Boyle, représentant du Comité économique et social européen (CESE), co-rapporteur du rapport « Les relations commerciales transatlantiques et le point de vue du CESE sur l’amélioration de la coopération et un éventuel accord de libre-échange entre l’Union européenne et les États-Unis ». (Interprétation de l’anglais.) Au fil du temps – et particulièrement depuis dix-huit mois – le CESE s’est de plus en plus intéressé à la politique commerciale de l’Union européenne. Dans le cadre de l’agenda post-Lisbonne, nous accordons davantage d’importance à la notion de développement durable et au contrôle des accords commerciaux par la société civile. La politique commerciale de l’Union européenne et les négociations majeures font partie intégrante de la stratégie « Europe 2020 ». Le commerce peut stimuler la croissance et aider à sortir de la crise économique. Cependant, la complexité des négociations bilatérales ne devrait pas amener l’Union européenne à assouplir ses exigences environnementales et sociales qui doivent faire l’objet de la même attention que le volet économique des négociations. Il nous faut protéger et mettre en avant notre modèle social basé sur la solidarité.

Les négociations avec les États-Unis sur le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement ou Transatlantic Trade and Investment Partnership (TTIP) ont exposé la politique commerciale européenne au débat public. Des négociations tout aussi capitales et susceptibles d’avoir un impact important ont été ou sont actuellement menées avec le Canada ou le Japon sans bénéficier d’une couverture médiatique comparable. Ainsi, alors que la clause du TTIP relative au règlement des différends entre investisseurs et États (RDIE) fait actuellement objet d’une consultation publique, l’accord presque finalisé avec le Canada prévoit une clause très similaire.

Les membres du CESE se sont récemment exprimés à une large majorité en faveur d’un TTIP équilibré dans lequel le pilier économique n’oblitérerait pas les volets social et environnemental, et dont les avantages seraient équitablement partagés entre les entreprises, les travailleurs, les consommateurs et l’ensemble de la société civile. L’accord doit promouvoir le développement durable et pleinement respecter les principes de l’Organisation internationale du travail (OIT) et des principaux accords multilatéraux sur l’environnement. Il doit également réserver un rôle important aux mécanismes de contrôle de la société civile.

Malgré quelques progrès, la transparence des négociations constitue un sujet de préoccupation ; si la société civile a été consultée sur quelques enjeux centraux, nous ne sommes toujours pas sûrs de disposer de l’ensemble du tableau. Les parlements nationaux eux-mêmes ne semblent pas pleinement renseignés sur les détails de l’accord. Au mois de mai, le commissaire sortant Karel de Gucht a affirmé que le TTIP serait un accord mixte qui devrait être ratifié par les parlements des États membres ; mais cette procédure ne s’appliquera apparemment pas à l’accord avec le Canada, ce qui aurait des implications très importantes pour le TTIP.

Enfin, le CESE rendra bientôt un avis – dont je suis rapporteur – sur le règlement des différends entre investissements et Etats (RDIE), qui reflétera les opinions des principaux représentants de la société civile. Alors que les employeurs sont plutôt en faveur de l’inclusion d’un tel mécanisme dans le TTIP et les syndicats, les consommateurs et les associations environnementales se prononcent contre, le débat – que nous veillerons à porter à votre connaissance – promet d’être passionnant.

M. Philippe de Brauer, président de la commission internationale de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME). La CGPME souhaite attirer l’attention de votre commission sur plusieurs points du projet d’accord avec les Etats-Unis.

Il faudrait avant tout abroger les clauses Buy American, qui constituent un très gros obstacle pour nos entreprises, et ouvrir les marchés publics américains à nos PME. Rappelons que pour l’heure, treize États américains leur interdisent formellement l’accès à leur territoire.

Il est également capital de protéger les indications géographiques de nos produits.

Les États-Unis devraient consentir à aménager leurs mesures anti-dumping dans le secteur très exposé des services, et il faudrait formuler des propositions en ce sens.

Pourquoi ne pas créer un système analogue au réseau européen SOLVIT pour résoudre les difficultés que l’on ne manquera pas de rencontrer dans nos relations commerciales ?

Pour aller dans le sens de M. Boyle – que je côtoie au sein du CESE –, essayons au moins d’obtenir de la part des États-Unis les mêmes clauses favorables que celles dont bénéficient les Canadiens.

M. Jean Lemierre, président du comité « Négociations commerciales multilatérales » du MEDEF. Dans le cadre des négociations avec les États-Unis, le MEDEF souhaite un accord ambitieux et équilibré. Étant donné le blocage dont souffre actuellement l’OMC, la multiplication des négociations bilatérales semble inévitable. Celle que nous menons avec les États-Unis est particulièrement importante du fait du volume de nos échanges commerciaux. Que peut-on chercher dans le futur accord, et que peut-on en craindre ?

La question tarifaire est à la fois peu importante et très sensible dans certains secteurs tels que le textile. Mais ce sont les normes et les standards d’aujourd’hui et de demain qui représentent le véritable enjeu, particulièrement pour les PME, qui peuvent plus difficilement s’accommoder de la variation des normes que les grandes entreprises, l’adaptation étant coûteuse et techniquement difficile. Il faut donc chercher à harmoniser le cadre réglementaire au maximum. L’accès aux marchés publics des différents États américains représente un autre enjeu majeur pour les PME françaises qui, à la différence des grandes entreprises, ne peuvent pour le moment pas y opérer. Les PME françaises et européennes apparaissent donc comme les grands bénéficiaires potentiels de cet accord en termes d’exportations et de créations d’emplois.

Des deux côtés de l’Atlantique, nous n’avons ni la même vision, ni les mêmes intérêts, mais la négociation devrait permettre de dégager un équilibre raisonnable et satisfaisant pour tout le monde. Dans certains domaines – tels que la santé, le sanitaire, l’environnement, voire la sécurité – les concessions sont difficilement envisageables. Nos modes de vie et nos choix respectifs doivent être préservés dans la négociation. Ainsi, si la reconnaissance mutuelle des normes et des standards actuels fait l’objet d’un débat difficile, nous devrions surtout chercher à élaborer en commun les normes et les standards futurs qui respecteront nos différences ; cela constituerait une victoire pour les deux parties.

Chacun s’accorde à reconnaître que la transparence est souhaitable, même s’il faut en effet se garder de toute naïveté étant donné le déséquilibre, en cette matière, entre les systèmes institutionnels américain et européen. Il paraît capital de s’assurer dès le départ que l’accord à venir sera appliqué dans tous les États américains, comme ce sera le cas dans tous les États membres de l’Union européenne.

Les négociateurs ont eu raison de faire une pause dans les discussions sur le mécanisme de règlement des différends – question extrêmement importante et sensible – afin de mener une consultation publique. Le système actuellement en débat désavantagerait les PME européennes qui auraient du mal à défendre leur cause devant des tribunaux américains dont elles ne maîtrisent pas le fonctionnement. Il faut par conséquent faire preuve d’imagination et de bonne volonté des deux côtés de l’Atlantique pour trouver un dispositif différent, par exemple basé sur le principe de médiation mentionné par M. Karpelès.

M. Pascal Perrochon, responsable des affaires internationales de l’Union des industries chimiques. L’industrie chimique représente en France environ 3 400 entreprises – dont plus de 90 % sont des PME ou des entreprises de taille intermédiaire (ETI) –, soit plus de 158 000 emplois directs et deux fois ce chiffre en emplois indirects. La France est le sixième producteur mondial et le deuxième européen après l’Allemagne, avec un chiffre d’affaires à l’exportation qui représente 65 % de son chiffre d’affaires global. Il s’agit donc d’une industrie fortement exportatrice, en particulier vers les États-Unis, son premier marché hors Union européenne.

Notre industrie dépend fortement des échanges internationaux. D’une part, utilisant des matières premières comme le pétrole et le gaz, elle est directement confrontée au problème des coûts et des approvisionnements extérieurs. D’autre part, en tant que grand exportateur, elle doit faire face à une forte concurrence, parfois déloyale, et doit fréquemment recourir aux instruments de défense commerciale de l’Union européenne ; notre secteur représente ainsi un tiers des plaintes anti-dumping au niveau européen.

L’industrie chimique française et européenne a donc une position très offensive en faveur du TTIP. Spécialisée dans le business to business, elle exporte vers les industriels américains et importe également leurs produits ; dans ce contexte, elle pâtit des contraintes tarifaires avec les États-Unis. Un accord sectoriel mondial qui couvre 85 % des échanges mondiaux de produits chimiques plafonne les droits de douane à 6,5 %, mais ces derniers s’élèvent encore en moyenne à 3 % entre les États-Unis et l’Union européenne. Effacer ces droits de douane, qui nous créent des contraintes financières et administratives alors qu’ils représentent peu de choses en termes de rentrées fiscales, constituerait une avancée considérable. Nous sommes donc favorables à un démantèlement tarifaire dès l’entrée en vigueur de l’accord, à l’exception des produits directement concurrencés par leurs analogues américains à bas coût fabriqués à partir de gaz de schiste, qui menacent toute la filière pétrochimique européenne. Pour ces produits, nous demandons que le démantèlement soit échelonné sur sept ans, ce délai devant permettre à l’Union européenne et à la France de trouver des solutions pour les approvisionnements en matières premières.

La convergence réglementaire nous apparaît capitale. Contrairement à ce qu’affirment les rumeurs – et à ce que proposent certaines ONG –, les industriels de la chimie ne sont pas favorables à une négociation portant sur le règlement Registration, Evaluation, Authorisation and Restriction of Chemicals (REACH). Si les réglementations américaine et européenne diffèrent dans ce domaine, seuls certains points à la marge du règlement – comme la classification et l’étiquetage communs des produits chimiques – peuvent faire l’objet d’un débat avec les Américains. En effet, les entreprises ont dépensé beaucoup de temps et d’argent pour se conformer à la réglementation REACH et ne sauraient permettre aux Américains d’en engranger les bénéfices sans en subir les contraintes.

Dans nos discussions avec nos homologues américains, nous essayons de trouver des convergences, notamment en matière de règles d’origine. La question de l’énergie doit également être abordée ; à défaut de pouvoir utiliser le gaz de schiste européen, nous espérons pouvoir bénéficier d’importations de gaz de schiste américain.

Mme Emmanuelle Butaud-Stubbs, déléguée générale adjointe de l’Union des industries textiles. Le textile et l’habillement représentent encore en France 100 000 emplois et un chiffre d’affaires de 25 milliards d’euros, dont 14 milliards réalisés à l’exportation. Au niveau européen, le textile représente 175 milliards d’euros et 1,3 million d’emplois. Pour ce secteur, confronté à un marché intérieur caractérisé par la baisse de la consommation et par un taux de pénétration très important des importations à bas prix asiatiques, notamment chinoises, cette négociation avec les États-Unis apparaît décisive.

Dans le secteur du textile habillement, le solde des échanges bilatéraux entre la France et les États-Unis est d’ores et déjà excédentaire, s’élevant à quelque 400 millions d’euros. Au niveau européen, l’excédent se situe à 3 milliards d’euros environ. L’industrie européenne a donc tout à gagner d’un accord réussi, ambitieux et équilibré avec les États-Unis.

Notre position est offensive pour des raisons économiques évidentes. Nous nous heurtons aujourd’hui à des pics tarifaires extrêmement élevés puisque pour 100 à 120 produits – tissus haut de gamme ou prêt-à-porter féminin, sur lesquels la France et l’Italie tiennent des positions éminentes – les droits de douane dépassent 15 % et atteignent parfois jusqu’à 25 %. Nous attendons beaucoup de l’élimination de ces pics douaniers, que nous espérons immédiate alors que nos homologues américains plaident plutôt pour un échelonnage sur plusieurs années. Nous ne demandons d’ailleurs aucune exception, nos propres droits culminant aujourd’hui à 12 %.

Peu concerné par les problématiques régaliennes d’autorisations et de concessions, notre secteur est moins exposé aux protections non tarifaires. Nous devons travailler sur des sujets très concrets : étiquetage d’entretien, dénomination de fibres textiles, tests d’inflammabilité, reconnaissance de standards techniques pour des revêtements de sols ou des équipements de protection individuels. Nous menons un dialogue fructueux à l’échelle des professions et sommes également heureux de voir notre secteur faire l’objet d’un groupe de travail relativement efficace dans le cadre des négociations en cours.

Trois sujets restent pourtant d’actualité, et il faut attendre le prochain round des négociations qui se tiendra en octobre à Washington pour savoir sur quelles bases on entame ce dialogue : le rythme d’élimination des droits douaniers, qui représentent une recette non négligeable pour les États-Unis ; la question des règles d’origine, qui couvrent trois stades aux Etats-Unis et seulement deux en Europe ; l’accès aux marchés publics américains, très limité. En effet, les dispositions du Buy American Act et de l’amendement Berry empêchent par exemple des tisseurs cotonniers européens de fournir les confectionneurs américains qui réalisent des uniformes de douaniers ou de garde-côtes, pourtant dénués de toute valeur stratégique.

Les industries européenne et américaine du textile habillement apparaissent aujourd’hui fortement complémentaires : hautement créative, l’industrie européenne compte dans ses rangs des groupes de luxe de premier plan et traite toutes les matières premières – par exemple la soie ou le lin –, alors que les États-Unis utilisent des textiles plus sommaires tels que le coton et les fibres chimiques. L’investissement se porte bien des deux côtés de l’Atlantique, en particulier grâce aux possibilités de croissance dans les textiles à usage technique. La France bénéficie d’investissements significatifs de groupes textiles américains, notamment dans le domaine des composites, comme par exemple dans l’Isère où se trouve le premier tissage mondial de fibres de carbone destinées à l’aéronautique. Portés par cette bonne dynamique, nous restons mobilisés pour exprimer nos intérêts et chercher à dépasser les trois difficultés mentionnées.

La Présidente Danielle Auroi. Je vous remercie et donne maintenant la parole à celles et ceux de nos collègues qui souhaitent vous poser des questions.

M. Michel Piron. Certains d’entre vous ont à juste titre évoqué la question du champ normatif qui conditionne l’amont même des discussions sur les règles du jeu, tant dans le secteur agroalimentaire que dans les domaines financier, industriel ou culturel. Qui, à vos yeux, doit élaborer, valider et contrôler ces normes ?

M. Jean-Louis Beffa a récemment indiqué que dans le débat sur l’intérêt du consommateur et du producteur, l’Allemagne de Volkswagen choisissait le producteur, et la France de Michel-Édouard Leclerc, le consommateur. Partagez-vous ce point de vue ?

M. Jacques Myard. Pour être appliqué par les États fédérés, le traité devra être ratifié par le Congrès. Sans cette condition initiale, les négociations sont inutiles.

En dehors du contexte de crise, quel est le rythme de croissance du commerce transatlantique ? En effet, le commerce mondial croît tendanciellement de 4 à 5 points par an en moyenne ; faut-il se lier les mains avec des normes qui risquent, à terme, de se retourner contre nous ? Quelle est l’utilité réelle de ce traité ?

Monsieur Perrochon, des droits de douane à 3 % représentent-ils réellement un pic tarifaire inacceptable ? L’euro fort vous gêne certainement davantage !

S’agissant du mécanisme de règlement des différends, depuis la création du Centre international de règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) par la Convention de Washington de 1965, la France a signé et fait ratifier nombre d’accords de promotion et de garantie des investissements qui incluent la clause CIRDI ; pourquoi s’en éloigner ?

Les normes représentent à l’évidence un enjeu majeur, mais leur développement continu semble sans fin. Au lieu de les définir chacune, ne vaut-il pas mieux essayer de créer un organisme ou une méthode pour en organiser l’adaptation ?

M. Pierre Lequiller. Vous n’avez pas vraiment répondu à la question de Mme la présidente sur la transparence, même si M. Karpelès a eu raison de souligner que cette dernière apparaît plus compliquée pour les négociateurs européens que pour leurs homologues américains qui n’ont pas de comptes à rendre.

Vous devriez également préciser davantage vos préférences en matière de méthodes d’arbitrage.

Monsieur Boyle, quelle est la position des syndicats européens sur le TTIP ?

M. de Brauer a indiqué que treize États fédérés s’opposaient à l’arrivée des produits européens sur leur territoire, alors que M. Lemierre a dit qu’il fallait être sûrs que cet accord s’appliquerait à tous les États ; ces deux affirmations ne sont-elles pas contradictoires ?

M. Christophe Premat. L’objectif du traité est certes d’harmoniser les normes des deux côtés de l’Atlantique, mais traiter chaque branche économique d’un point de vue normatif représente un enjeu phénoménal, d’où la nécessité de négocier branche par branche.

Monsieur Perrochon, madame Butaud-Stubbs, quel est, dans vos industries respectives, le rapport de forces entre l’offre américaine et européenne ? Sommes-nous en position de négocier un cadre normatif à notre avantage ? Lesquelles, des normes américaines et européennes, sont les plus exigeantes en matière sociale, économique et environnementale ?

Mme Seybah Dagoma. Au-delà des question de fond et alors que le TTIP a déjà fait l’objet de plusieurs rounds de négociations, êtes-vous amenés à discuter avec la Commission européenne ? Comment s’établissent vos relations ? Avez-vous également des liens avec les négociateurs américains ?

Mme Nathalie Chabanne. Monsieur Boyle, vous avez mentionné votre intention, après la signature de l’accord, de créer un mécanisme conjoint de suivi avec la société civile ; pouvez-vous nous en dire plus ? Où en êtes-vous de cette initiative et de quelle manière comptez-vous la mettre en pratique ?

La Présidente Danielle Auroi. Je m’interroge également sur la logique du suivi non seulement des normes et des standards, mais également des brevets. Avez-vous des propositions à ce sujet ?

L’OMC se trouve actuellement en difficulté ; mais si l’on pouvait relancer les négociations multilatérales, y seriez-vous favorables ? En effet, comme le montre l’état des négociations avec le Canada, les discussions bilatérales produisent des effets pervers.

M. Jean Lemierre. Nous sommes favorables à la reprise des négociations multilatérales. En effet, la segmentation en négociations bilatérales se révèle complexe et posera d’autant plus de problèmes que les accords proliféreront. Il faudrait toutefois arriver à adapter le cadre institutionnel de l’OMC afin de dépasser certains blocages.

Je ne crois pas que mes propos et ceux de M. de Brauer soient contradictoires ; nous avons simplement illustré le même phénomène à partir de points de vue différents. N’en ayant pas l’expérience, nous ignorons jusqu’à quel degré un accord conclu entre l’Union européenne et les États-Unis d’Amérique sera respecté au niveau local, mais nous avons des raisons de penser que dans certains cas, nous risquons de nous heurter à des difficultés importantes, notamment dans les secteurs sensibles exposés à la concurrence des entreprises françaises.

M. Philippe de Brauer. En particulier dans les treize États que j’ai mentionnés !

M. Jean Lemierre. C’est pourquoi cette question nous semble fondamentale, notamment pour les PME qui ne sauraient assumer le risque de ce genre d’aventures et doivent être assurées d’un du cadre institutionnel.

Madame Dagoma, la question de l’interaction des parties prenantes avec les négociateurs est complexe : certes, nous sommes écoutés – tant du commissaire que de la partie américaine, très ouverte – mais pas forcément entendus. En effet, nous avons peu de retours ; si cela semble normal pour la partie américaine – après tout, nous ne sommes pas des négociateurs –, cela l’est moins pour nos interlocuteurs européens. Il nous serait utile de comprendre le contexte et l’équilibre général pour nous y situer le plus objectivement possible ; or pour l’instant, nous ne disposons pas d’informations qui nous permettraient de le faire.

Mme Luisa Santos. De l’avis général, la partie réglementaire constitue le volet le plus important de ces négociations, tant il est difficile pour les entreprises – et en particulier pour les PME – de se conformer à deux systèmes. En effet, cela implique parfois de réaliser deux produits distincts : dans le textile par exemple, parce qu’un symbole d’entretien est différent en Europe et aux États-Unis, l’on doit soit changer les étiquettes, soit prévoir des étiquettes de très grande taille. Autre exemple : lorsque les tests pour vérifier les mêmes critères sont différents, l’entreprise doit en effectuer deux séries.

Il ne s’agit pas de tout harmoniser ; pour importante qu’elle soit, la convergence est impossible dans les domaines où les niveaux de protection aux États-Unis et en Europe sont en décalage. Mais nous devons travailler là où existe une potentialité de convergence, à la fois au présent – secteur par secteur, chaque industrie étant la mieux à même de proposer des compromis – et pour l’avenir. Dans cette perspective, les législateurs des deux côtés de l’Atlantique doivent se parler dès la phase de préparation d’une loi ; c’est pourquoi nous proposons de créer un conseil réglementaire où ces débats pourraient avoir lieu.

Pour les Américains, renforcer la transparence du système décisionnel suffirait à faire converger nos normes ; cependant, les États-Unis n’acceptent de leur côté la transparence que pour les agences de régulation, la refusant pour le Congrès, alors qu’ils exigent que l’Union européenne l’introduise jusqu’au niveau de la Commission européenne. Dans ce domaine très technique, les divergences d’approche sont source de difficultés ; c’est pourtant là que l’on a le plus à gagner de l’accord à venir, surtout pour les PME.

M. Sandy Boyle. (Interprétation de l’anglais.) Le CESE est pleinement engagé en faveur de l’approche multilatérale. L’accord de Bali a permis quelques avancées, mais les grands accords bilatéraux risquent, à long terme, de créer des difficultés pour les pays les moins développés.

Les syndicats européens se sont dès l’origine prononcés prudemment en faveur de l’accord, tout en restant attachés à deux points clés : l’importance absolue du respect des conventions de l’OIT – que les États-Unis n’ont pas toutes ratifiées et qui sont différemment interprétées dans chaque État fédéré – et la reconsidération du RDIE dont ils refusent le principe.

Tous les accords bilatéraux de nouvelle génération mentionnent le rôle de la société civile. L’accord entre l’Union européenne et la Corée du Sud apparaît particulièrement exemplaire dans la mesure où il prévoit non seulement des groupes consultatifs de chaque côté – européen et coréen –, mais également la nécessité pour ces groupes de se rencontrer et de produire des déclarations et des résolutions conjointes à transmettre à leurs commissions du commerce et du développement durable respectifs. Pour jouer un vrai rôle, ces groupes doivent être mieux armés et disposer d’un accès direct aux décideurs. En effet, il ne s’agit pas de promettre de consulter la société civile uniquement pour l’oublier une fois l’accord signé : c’est l’application de l’accord qui compte et il faut que la société civile puisse la contrôler.

Dans cet accord avec la Corée – qu’ont salué à la fois les employeurs, les syndicats et les associations de consommateurs et de défense de l’environnement – nous avons réussi à soulever des questions essentielles telles que les normes du marché du travail ou l’économie verte.

La Présidente Danielle Auroi. Les représentants de la société civile que nous avons entendus ont exprimé les mêmes préoccupations.

M. Pascal Perrochon. Plutôt que de se focaliser sur les contraintes liées à la question des normes et des standards, mieux vaudrait parler de convergence réglementaire pour insister sur les possibilités de mise en commun. Ainsi, tous les règlements qui disposent déjà d’un cadre international mais qui font l’objet de divergences d’interprétation entre l’Union européenne et les États-Unis – tels que la classification et l’étiquetage des produits chimiques – pourraient-ils être partagés dès l’entrée en vigueur de l’accord. La question possède également un versant plus positif : par exemple, on peut mettre en commun des laboratoires européens et américains pour faciliter les recherches dans le domaine de la nouvelle chimie – la chimie du végétal ou du recyclage – et il faut travailler sur cet aspect dans le cadre de l’accord à venir.

S’agissant de nos liens avec les négociateurs européens et américains, notre organisation nationale est membre du Conseil européen de l’industrie chimique qui dialogue directement avec la Commission européenne. Nous discutons également avec les représentants de cette dernière lorsqu’ils se font inviter par des organisations telles que le MEDEF. Par ailleurs, nous entretenons des échanges directs avec nos homologues de la chimie américaine et essayons de faire passer des messages communs par ce biais. Sur certaines questions, nous arrivons à trouver des accords et à élaborer des documents reflétant une position commune. Sur d’autres – comme celle des règles d’origine – nous avons plus de mal à nous entendre. Enfin, les négociateurs américains ont aussi demandé à nous rencontrer dans le cadre de leur tournée européenne. Les instances de dialogue sont donc multiples, mais les premiers interlocuteurs de l’Union des industries chimiques en France restent la Direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services (DGCIS), la Direction générale du trésor et le cabinet du ministre, devant lesquels nous venons défendre nos positions. Les réunions organisées par Mme Bricq, puis par Mme Pellerin, réunissant ONG et fédérations professionnelles nous semblent très positives car elles permettent à chacun de donner son point de vue, et j’espère que l’on continuera dans cette voie au niveau national. Au total, le dialogue est permanent entre les industriels et les instances officielles françaises et européennes.

Monsieur Myard, les 3 % que j’ai mentionnés représentent non un pic tarifaire, mais le niveau moyen des droits de douane, certes très bas mais lourd de contraintes bureaucratiques pour les industriels de part et d’autre de l’Atlantique. Cet accord devrait éliminer ce type de contraintes.

M. Jacques Myard. Et le budget européen, y pensez-vous dans la mesure àù les droits d douane sont une recette importante ?

M. Pascal Perrochon. Si l’on fait le calcul de ce que ces droits coûtent à l’administration, le gain pour les États est négligeable. Sur ces échanges, les droits de douane doivent tendre vers zéro, à l’exception – déjà mentionnée – des produits exposés à la concurrence du gaz de schiste pour lesquels il faut disposer de temps afin de trouver une solution européenne.

M. Jean-Claude Karpelès. La Chambre de commerce et d’industrie, qui accompagne des entreprises à l’international, constate l’importance de la demande d’exportation vers les États-Unis de la part des PME. Leur méconnaissance de la réglementation américaine en matière d’importation constitue pour elles une véritable entrave, qui peut leur poser des problèmes administratifs et fiscaux.

Dans toute une série de secteurs, il existe des organismes internationaux de normalisation auxquels les Américains participent activement. Ils semblent cependant considérer que les normes américaines ont elles aussi une vocation internationale ; aussi un producteur qui souhaite exporter vers les États-Unis se voit-il contraint par une série de pratiques – comme celles des assurances – de mettre ses produits à la norme américaine sous peine de ne pas pouvoir vendre sur le marché états-unien. Comme il ne s’agit pas de règles tarifaires ou para-tarifaires officielles mais d’usage, la négociation sur ce point s’avère compliquée. Ces obstacles invisibles représentent pourtant un point de blocage essentiel dans beaucoup de secteurs et pour beaucoup d’entreprises.

S’agissant de l’arbitrage entre producteur et consommateur, la production est clairement privilégiée en Allemagne, alors que nous favorisons le consommateur. Cette situation aboutit à un problème de fond : nos consommateurs achètent des prix et non des produits, dont la qualité se trouve reléguée à l’arrière-plan. Les États-Unis sont relativement épargnés par ce phénomène car l’industrie y est davantage protégée qu’en Europe.

Mme Emmanuelle Butaud-Stubbs. Dans le secteur textile, l’industrie européenne est plutôt en position de force par rapport à son homologue américaine. En matière d’emplois, le rapport est de un à quatre ; en matière d’exportations, de un à deux. L’industrie américaine nous devance dans le domaine de la filature mais nous dominons dans celui des tissus, de la confection et des marques, en particulier de luxe. Le rapport économique est donc en notre faveur.

En revanche, le poids du textile dans les équipes de négociation américaine et européenne semble inverse : les États-Unis ont ainsi une négociatrice textile redoutable, Gail Strickler. En effet, les Américains négocient toujours un chapitre séparé dédié au textile, qui traite des conditions de contrôle et de mise en œuvre de l’accord dans ce secteur. L’ayant fait avec tous leurs partenaires, ils ne font pas d’exception pour l’Union européenne. Pour pallier l’asymétrie qui en résulte, nous essayons de nous faire encore plus présents auprès des négociateurs de la Commission européenne.

Les industriels suivent les négociations par le biais de la fédération nationale, du MEDEF et des contacts avec l’administration française. En effet, les représentants des États membres bénéficient de débriefings réguliers sur le suivi des négociations à travers le Comité de politique commerciale (CPC), héritier du « Comité 133 ». La fédération européenne joue également un rôle clé, et plus la fédération nationale a de poids en son sein, plus elle jouit d’un accès direct aux négociateurs européens pour suivre le déroulement des rounds. Entre l’information que la Commission européenne met désormais en ligne et les réunions avec l’ensemble des parties prenantes après chaque round, le reproche d’un manque de transparence me semble infondé : une personne désireuse de connaître l’état d’avancement des négociations trouve à sa disposition beaucoup d’informations publiques. En revanche, je suis hostile à la publication des documents de négociation, qui affaiblirait considérablement la position de la Commission européenne dans cette discussion difficile.

M. Philippe de Brauer. Les Américains apportent régulièrement à la législation des modifications porteuses d’effets extraterritoriaux en changeant unilatéralement le classement d’un produit. Il suffit qu’un département du commerce classe un composant lambda d’un article parmi les biens sensibles pour que celui-ci, hier encore agréé à l’exportation, se trouve qualifié de bien à double usage. Ces législations unilatérales paralysent le peu d’exportations que les PME arrivent à placer sur le marché américain et devraient être prohibées.

M. Robert Rochefort, député européen. Je voudrais éclairer le débat par un regard depuis Bruxelles et Strasbourg.

La question du TTIP a pris une importance croissante au fil de la dernière campagne européenne pour devenir l’un des enjeux centraux de l’élection. Pratiquement tous les partis français ont fini par adopter une position de refus du traité, au moins en l’état actuel des négociations ; ce thème fut également important dans plusieurs autres pays européens. S’il n’est pas largement débattu et expliqué, cet accord sera rejeté par les peuples. L’opposition se cristallise notamment sur les questions de sécurité alimentaire, de culture et plus généralement de projet de société. Dans ce contexte, les négociations sur le TTIP représentent un véritable combat – qui peut d’ailleurs se révéler plus long que ne le souhaitent les hautes autorités de l’État.

L’enjeu de cet accord m’apparaît beaucoup plus général qu’une relance économique ou des emplois que les PME pourraient gagner à court terme. Sans minimiser ces bénéfices, le traité – s’il est signé – définira le cadre et les normes du commerce mondial pour les cinquante ans à venir. Sa portée dépasse donc les États-Unis et l’Europe puisqu’il déterminera également notre rapport avec la Chine, l’Inde et d’autres pays.

La question des normes me semble à ce titre capitale. La négociation serait plus facile si tous les Européens défendaient les mêmes positions. Or nos désaccords sont multiples. Ainsi, les Français et les Italiens essaieront, en débattant la question de l’étiquetage, de réintroduire celle de la traçabilité et de l’origine des produits. Mais si nous luttons en ce sens, plusieurs pays d’Europe du Nord ne veulent pas en entendre parler ; le combat doit donc également être mené à l’intérieur de l’Union européenne. Loin de se réduire au seul aspect technique, la question des normes est ainsi profondément politique.

Gardons-nous de nous focaliser excessivement sur des points particuliers, qui sont autant d’arbres cachant la forêt. Ainsi, lors du débat sur le mandat de négociation, nous Français nous sommes totalement concentrés sur la question de l’exception culturelle ; avoir gagné sur ce point constitue une belle victoire, mais cette obsession nous a fait oublier tout le reste.

Si la marche des négociations semble aujourd’hui s’effectuer sans pilote politique, c’est que nous ne disposons pas encore d’une Commission. Or si Karel de Gucht a pu donner l’impression d’avoir voulu tout diriger lui-même, la façon dont Jean-Claude Juncker aborde les discussions me rend relativement optimiste. L’Union européenne joue gros dans ces négociations ; il faut donc espérer que la nouvelle Commission arrivera à bien hiérarchiser les priorités.

Ce n’est pas la transparence qui représente le principal problème des négociations, mais plutôt la difficulté à y associer les différents partenaires, en particulier politiques – tels que les parlements nationaux et le Parlement européen –, et à les faire travailler ensemble. Il nous faut inventer de nouvelles méthodes pour assurer cette coopération.

Enfin, si nous sommes plutôt favorables à l’élimination des barrières douanières, nous espérons que cette perte de l’une des rares recettes propres de l’Union européenne sera compensée d’une autre façon. En effet, vu la faiblesse du budget européen, notre position sur ce point peut apparaître suicidaire.

M. Jacques Myard. Monsieur Karpelès, puisque les Européens ne peuvent pas vendre aux États-Unis s’ils ne respectent pas les normes américaines, il faudrait appliquer le principe de réciprocité en interdisant l’accès à notre marché aux Américains qui ne respectent pas les nôtres ! Comme tous les États, les États-Unis ne comprennent que la fermeté ; nous devrions donc nous battre. Or comment le faire alors que l’Europe représente une coalition hétérogène, les différents États membres ayant des intérêts divergents ? Dans ces conditions, nous risquons de nous voir imposer des compromis peu satisfaisants. C’est pourquoi je m’interroge sur la pertinence de ces négociations. Le commerce entre l’Union européenne et les États-Unis pouvant très bien se développer sans accord global, ne serait-il pas plus sage d’y renoncer ?

Dans certains cas, les Américains exigent que les succursales européennes – en particulier françaises – d’entreprises américaines soient obligatoirement dirigées par un Américain ; avez-vous abordé cette question ?

Enfin, la question de l’application extraterritoriale du droit américain représente un véritable scandale. Si l’affaire de la Banque nationale de Paris avait été soumise à l’arbitrage international, les Américains auraient eu de fortes chances de perdre. Notre inaction vient, là encore, de notre incapacité à mettre en place une norme autonome. Il faudra un jour mettre le FAMAS sur la table et commencer à défendre nos intérêts !

Mme Seybah Dagoma. Monsieur Rochefort, nous ne nous sommes pas exclusivement focalisés sur l’exception culturelle. Rapporteure d’un rapport consacré au partenariat transatlantique, j’avais défini quatre lignes rouges : l’exception culturelle, les préférences collectives, les marchés de défense et le mécanisme de règlement des différends. Voté à l’unanimité à la commission des affaires européennes et à l’unanimité moins une voix à la commission des affaires étrangères, ce rapport exprime la position du Parlement français.

En même temps que le TTIP, les Américains négocient le partenariat transpacifique, ce dernier apparaissant même comme la priorité du moment. Discutez-vous avec vos homologues d’Asie-Pacifique et tentez-vous d’établir des alliances sur la question des normes pour influer, le cas échéant, sur les Américains ? Nul doute, en effet, que ces derniers le font de leur côté dans le cadre de cette négociation, cherchant à instaurer un rapport de force. Qu’en pensez-vous ?

Mme Luisa Santos. Pour le moment, la priorité de l’administration américaine va clairement au partenariat transpacifique, mais c’est uniquement parce que les négociations sur cet accord ont commencé il y a déjà cinq ans et ont donc plus de chances d’aboutir. La discussion se trouve d’ailleurs actuellement à un stade critique. En l’absence d’un compromis avant la fin de l’année, le processus sera suspendu et les États-Unis se concentreront sur le TTIP. L’administration américaine est attachée aux deux accords. Si elle semble davantage promouvoir le transpacifique, c’est peut-être parce que celui-ci cristallise bien plus d’oppositions que le transatlantique auquel la plupart des partis américains se montrent favorables. Les États-Unis sont parfaitement conscients que l’Europe représente pour eux un partenaire stratégique et politique incontournable – surtout depuis la crise ukrainienne et les tensions avec la Russie. L’apparente hiérarchie entre les deux accords renvoie donc surtout aux contingences du calendrier.

M. Jean Lemierre. Monsieur Myard, vous avez raison de rappeler que l’acte commercial possède une composante souveraine. Cependant, c’est cette dimension même qui rend l’accord souhaitable. En effet, l’entreprise – en particulier la PME – est faible, et le commerce international représente pour elle une aventure chère et d’autant plus complexe que les règles sont fluctuantes. Pour y faire face, l’entreprise a besoin de cadres et nous devrions apprendre à les poser honnêtement. Des exceptions aux règles devront évidemment être aménagées dans certains secteurs sensibles tels que la défense nationale ou la sécurité, mais le grand intérêt de cette négociation serait de fournir un cadre souverain aux échanges transatlantiques. Si l’on arrive à signer un accord équilibré, on aura ainsi répondu à une partie de vos critiques. Les économies européenne et américaine ont toutes deux besoin de se développer ; nous sommes l’un pour l’autre des partenaires extrêmement importants et la technologie et le talent européens devraient profiter de ce nouveau cadre.

M. Jean-Claude Karpelès. À côté des normes internationales – auxquelles les Américains contribuent largement – il existe également des normes américaines nationales, et la pratique du marché veut que certains grands clients exigent de leurs fournisseurs ces normes locales au lieu des normes internationales. Ainsi, à la différence de l’Europe, les normes aux États-Unis sont indirectement contrôlées par le marché, les acheteurs exigeant notamment une assurance qu’il n’est possible d’obtenir qu’à la condition que le produit respecte les normes américaines. En Europe, le consommateur n’ayant pas les mêmes exigences que son homologue américain, le contrôle des normes par le marché n’existe pas. Les normes doivent en principe être contrôlées par chaque État membre ; cependant, comme un produit qui entre dans l’un des pays de l’Union européenne peut ensuite y circuler librement, le contrôle réel fait défaut.

M. Pascal Perrochon. Penser qu’une fois conclu le TTIP deviendra une référence internationale qui définira le cadre des échanges internationaux m’apparaît comme une fausse piste. Rien ne garantit en effet que tous les pays du monde voudront suivre ce modèle. Pour relancer les négociations multilatérales, mieux vaut se concentrer sur la réforme de l’OMC. Comme en témoigne le rejet par l’Inde de l’accord sur la facilitation des échanges cet été, l’institution est très malade. Son fonctionnement doit être revu, le vote à l’unanimité à 160 pays n’étant manifestement pas efficace. L’OMC reste un outil très important pour la régulation du commerce international, ne serait-ce que par le biais de son organe de règlement des différends, et elle doit continuer à exister.

Mme Emmanuelle Butaud-Stubbs. En matière de réciprocité, n’oublions pas le cas du « traitement spécial et différencié » prévu par les accords multilatéraux de l’OMC, qui permet toujours aux pays les moins avancés – mais aussi aux pays en développement – de bénéficier de conditions plus favorables que les autres.

La Présidente Danielle Auroi. Quoi qu’il arrive, une fois les négociations sur le TTIP terminées, ce sera au Parlement européen et aux parlements nationaux de trancher. C’est pourquoi il est fondamental qu’ils soient informés des débats. Nous vous remercions tous d’avoir participé à cette table ronde.

La séance est levée à 16 h 50

Membres présents ou excusés

Commission des affaires européennes

Réunion du mardi 9 septembre 2014 à 15 heures

Présents. – Mme Danielle Auroi, Mme Nathalie Chabanne, M. Jacques Cresta, Mme Seybah Dagoma, M. Marc Laffineur, M. Pierre Lequiller, M. Jacques Myard, M. Michel Piron

Excusé. - M. Jean-Luc Bleunven

Assistait également à la réunion. - M. Christophe Premat, M. Robert Rochefort (membre français du PE)