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Commission des affaires européennes

mardi 28 octobre 2014

18 heures

Compte rendu n° 165

Présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente et de M. Jean Bizet, Président de la Commission des affaires européenne du Sénat

Réunion, conjointe avec la commission des Affaires européennes du Sénat, avec les membres français du Parlement européen (énergie-climat ; croissance-emploi-investissement).

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mardi 28 octobre 2014

Présidence de Mme Danielle Auroi, présidente de la Commission et de M. Jean Bizet, président de la Commission des affaires européenne du Sénat

La séance est ouverte à 18 heures cinq

Réunion, conjointe avec la commission des Affaires européennes du Sénat, avec les membres français du Parlement européen (énergie-climat ; croissance-emploi-investissement).

La Présidente Danielle Auroi. Au nom des membres de notre commission, j’ai le plaisir d’accueillir les membres français du Parlement européen et ceux de la Commission des affaires européennes du Sénat. Jean Bizet, qui préside la Commission des affaires européennes du Sénat depuis le récent renouvellement partiel, va coprésider avec moi cette première réunion conjointe.

L’actualité européenne est toujours très riche : mise en place de nouvelles institutions après les auditions au Parlement européen ; crise économique et sociale persistante ; Conseil européen. Notre réunion est consacrée aux décisions du dernier Conseil européen relatives à l’énergie et au climat, d’une part, et à l’investissement, la croissance et l’emploi – les 300 milliards d’euros évoqués par le président Juncker –, d’autre part. S’il nous reste du temps, nous pourrons aborder des sujets d’intérêt commun plus transversaux et institutionnels, comme la mise en place de la conférence budgétaire et l’article 13 du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG). L’actualité budgétaire est par ailleurs très forte, qu’elle concerne l’année 2014 ou les perspectives pour 2015.

Le deuxième paquet énergie-climat couvre la période 2020-2030. Les dirigeants nationaux ont estimé qu’il constituait un signal important en vue des négociations qui se dérouleront à Lima en décembre prochain et à Paris en 2015. Les Vingt-huit se sont accordés sur trois objectifs : une réduction de 40 % des émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990 ; une augmentation à 27 % de la part des énergies renouvelables dans la consommation totale d’énergie de l’Union européenne ; une amélioration d’au moins 27 % de l’efficacité énergétique. Ces objectifs sont pris au niveau européen et si les deux premiers sont contraignants, le dernier n’est qu’indicatif. Nous savons le poids qu’ont pesé, dans cette affaire, le groupe Visegrád élargi et la Grande-Bretagne.

Par ailleurs, la mise en œuvre de ce deuxième paquet énergie-climat s’appuie sur un système communautaire d’échange de quotas d’émission (SCEQE) rénové. Sera-t-il pour autant plus efficace que le précédent ? Cela reste à démontrer.

En raison de l’opposition forte de certains États, la volonté de parvenir à une position commune paraît avoir entraîné une révision à la baisse des ambitions initiales affichées en janvier dernier. De plus, les pays les plus réticents aux objectifs contraignants ont obtenu que les conclusions du Conseil européen mentionnent la possibilité de revenir sur tous les aspects du cadre dessiné le 23 et 24 octobre, après la conférence de Paris en 2015. Même si l’unanimité est requise, cette clause de révision manifeste une fragilité du compromis, ce qui ne donne pas un bon signal. Les fortes ambitions affichées par le vice-président de la Commission chargé de l’Union de l’énergie, M. Maroš Šefčovič, vont heureusement dans le bon sens et elles pourront sans doute être utiles par la suite. De même, le Parlement européen a une position beaucoup plus volontariste que le Conseil.

Les résultats du Conseil européen sont vus comme insuffisants par nombre d’organisations non gouvernementales. Jason Anderson, le responsable du climat et de l’énergie au bureau européen du Fonds mondial pour la nature (WWF), estime ainsi que « Les résultats semblent de nature à satisfaire les intérêts de la vieille économie au détriment du bien-être des citoyens et des industries tournées vers l’avenir. » En tout état de cause, les résultats du Conseil européen paraissent en retrait par rapport aux objectifs souhaités par les membres de la Commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale. J’imagine que les parlementaires européens et nos amis sénateurs font le même constat. Il est essentiel que nous puissions poursuivre notre travail en commun au cours des prochains mois.

Mes questions s’adressent plutôt aux collègues européens, mais elles peuvent alimenter le débat général. Comment analysez-vous les résultats obtenus, au regard des objectifs plus ambitieux qui étaient les vôtres ? Comment envisagez-vous la mise en œuvre législative de ces objectifs ? Comment voyez-vous l’articulation de la mission de Maroš Šefčovič avec celle du commissaire Miguel Arias Cañete ? Enfin, sur le plan de la méthode, comment voyez-vous la poursuite de notre travail en commun, au cours des prochains mois, au service d’un résultat positif lors de la conférence de Paris ? Une réunion en visioconférence des différentes commissions concernées de l’Assemblée nationale, du Sénat et du Parlement européen nous permettrait sans doute d’améliorer la sensibilité à ces sujets.

Le Président Jean Bizet. Merci, madame la présidente, de nous accueillir à l’Assemblée nationale pour cet échange avec des parlementaires européens. Nous avons la même analyse sur le paquet énergie-climat. Malgré tout, un équilibre a été recherché entre les secteurs qui sont soumis au SCEQE et ceux qui ne le sont pas. Les très grandes disparités nationales au sein de l’Union constituent une difficulté objective. La directive efficacité énergétique de décembre 2012 n’a été correctement mise en œuvre que par la moitié des États membres. En mars 2014, plusieurs États membres de l’Europe centrale et orientale avaient demandé un partage équitable du fardeau pour atteindre les objectifs climatiques à l’horizon de 2030.

En définitive, l’accord est passé par des compromis sur les questions sensibles dans certains États membres : la Pologne a ainsi obtenu la possibilité d’allouer gratuitement des quotas au secteur énergétique à hauteur de 40 % des quotas qui lui sont alloués ; une réserve de 2 % de quotas a été créée pour répondre aux besoins d’investissements lourds des États à faible revenu ; dans le secteur non soumis au SCEQE, les objectifs des États membres dont le PIB par habitant est supérieur à la moyenne feront l’objet d’un ajustement pour tenir compte du rapport coût-efficacité de l’effort supplémentaire qui leur est imposé. Il s’agissait là de prendre en compte la situation des petits pays ayant un PIB par habitant élevé, c'est-à-dire essentiellement le Benelux, la Finlande et l’Autriche.

L’objectif, en matière d’efficacité énergétique, a finalement été fixé à 27 % et non à 30 % comme envisagé initialement. Une clause de révision a été prévue en 2020. Le compromis final invite aussi à prendre des mesures urgentes pour atteindre un objectif minimal de 10 % d’interconnexion électrique d’ici à 2020, au moins pour les États membres qui n’ont pas atteint un niveau minimum d’intégration dans le marché intérieur de l’énergie. Sont concernés essentiellement les pays baltes, le Portugal et l’Espagne.

Le Conseil européen a retenu une approche pragmatique en ce qui concerne les transports et l’agriculture. La Commission est invitée à étudier les instruments et mesures nécessaires pour promouvoir la contribution de ces secteurs à la réalisation des objectifs. Enfin, le Conseil a approuvé de nouvelles mesures relatives à la sécurité énergétique, notamment la mise en œuvre de projets d’intérêt communs cruciaux dans le secteur du gaz, tel que le corridor gazier nord-sud.

L’Union européenne se positionne ainsi comme pionnière de la lutte contre le changement climatique mais elle doit aussi veiller à ne pas se fragiliser de manière unilatérale : un principe de réciprocité doit s’appliquer. Citons quelques chiffres : l’Europe représente 10 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre ; entre 1990 et 2011, ces émissions ont augmenté de 214 % en Chine, de 130 % en Inde et 8 % aux États-Unis, alors qu’elles baissaient de 18 % dans l’Union européenne.

Les risques de désavantage compétitif pour nos industries, notre agriculture et notre secteur des transports ne peuvent être sous-estimés : des millions d’emplois directs et indirects sont en jeu. Une réponse internationale est requise d’où l’intérêt de la COP 21 à Paris en 2015. Si la désindustrialisation de l’Union européenne a des causes multiples, le prix de l’énergie y joue un rôle croissant depuis la révolution du gaz de schiste aux États-Unis. La France et l’Allemagne peuvent jouer ensemble un rôle clef et donner une impulsion décisive dans le domaine énergétique.

Dans un récent rapport sur la coopération énergétique franco-allemande, j’avais fait valoir que l’Union européenne devait financer la transition énergétique tout en soutenant sa réindustrialisation. Les faibles prix de revient caractérisant la filière électronucléaire apportent la seule ressource disponible à même de financer cette évolution. D’ailleurs, dans ses conclusions, le Conseil européen fait expressément référence au recours à « des sources d’énergie autochtones et à des technologies sûres et durables à faibles émissions de CO2. » Chacun y trouvera la définition qu’il voudra mais, apparemment, ce serait celle du nucléaire.

La Présidente Danielle Auroi. L’uranium n’est pas un produit autochtone.

Le Président Jean Bizet. Comme je l’ai dit, apparemment c’est le nucléaire, ce qui n’a pas réjoui tous les États membres. Au-delà, nous ne pouvons ignorer que la progression des énergies renouvelables sera inévitablement ralentie dans un avenir proche : les investissements indispensables n’ont pas été réalisés pour pallier l’intermittence caractérisant la plupart d’entre elles, notamment l’éolien et le solaire. Voilà pour les commentaires que je me permettais de faire. Le débat est ouvert et les questions restent posées.

La Présidente Danielle Auroi. J’ai envie de m’adresser d’abord à nos collègues européens. L’Union reste-t-elle vraiment pionnière après les décisions prises par le Conseil ? Aussi joliment présentées soient-elles, ces décisions restent très largement en deçà des objectifs adoptées par le Parlement européen et des propositions de la Commission.

Mme Virginie Rozière, députée européenne. Députée européenne depuis le 1er juillet dernier, je suis membre du parti radical de gauche, élue du grand sud-ouest, et je siège au sein du groupe socialiste et démocrate. Au Parlement européen, je siège dans la commission du marché intérieur et de la protection des consommateurs et dans la commission des affaires juridiques. Néanmoins, les questions environnementales sont cruciales pour l’Union européenne dans son ensemble et elles nous concernent tous.

Nous déplorons que les objectifs définis par le Conseil soient moins ambitieux que ceux qui étaient défendus par le Parlement, notamment en matière d’énergies renouvelables et d’efficacité énergétique. Nous plaidions pour une hausse à 30 % de la part des énergies renouvelables et pour une amélioration de 40 % de l’efficacité énergétique, et nous souhaitions que ces deux objectifs soient contraignants. Le fait que ces objectifs aient été discutés uniquement dans un cadre intergouvernemental pose certaines questions au regard de la démocratie européenne ; nous sommes aux limites du fonctionnement institutionnel tel qu’il devrait avoir lieu. Nous souhaitons que le Parlement remette son grain de sel dans tout cela, ne serait-ce que dans la déclinaison législative de ces mesures. Il était important d’aboutir à un accord dans la perspective de la conférence sur le climat. C’est à nous, parlementaires européens, de continuer à mettre la pression sur le Conseil pour essayer de tirer le maximum de ce compromis, qui est une base sur laquelle nous pouvons construire, même si nous partageons certains regrets sur son caractère un peu frileux.

Mme Françoise Grossetête, députée européenne. En effet, en février 2014, le Parlement européen avait adopté des objectifs beaucoup plus ambitieux que ceux qui figurent dans l’accord élaboré par le Conseil. Moi qui suis une ancienne élue au Parlement européen, je ne suis pas surprise : le Conseil est toujours un frein, ce qui est logique même si on ne peut que le déplorer, car il se place dans une démarche intergouvernementale et non communautaire. C’est encore plus net en période de crise, quand les États membres gèrent le quotidien dans l’urgence et manquent de volonté stratégique pour ce genre de plan énergie-climat.

Le Parlement va pousser de nouveau pour que nous allions le plus loin possible. Que proposera la nouvelle Commission européenne ? Le président Juncker fait de l’Union de l’énergie une priorité, afin de lutter contre le changement climatique. Le Conseil sera poussé à aller de l’avant, dans la perspective de la conférence de Paris en 2015 : les institutions européennes doivent arriver à ce rendez-vous avec des propositions crédibles.

Quant aux entreprises qui veulent investir, elles nous demandent une stabilité juridique et fiscale : un prix du carbone, même nettement plus élevé que celui qui existe, et des règles qui ne changent plus. Au cours des dernières années, elles ont souffert d’une instabilité juridique.

Comment va s’articuler la mission du vice-président chargé de l’Union énergétique avec celle du commissaire à l’énergie et au climat ? demandez-vous, madame la présidente. La semaine dernière à Strasbourg, le président Juncker nous a expliqué que c’était la Commission de la dernière chance : ils n’ont d’autre choix que de réussir et le Parlement doit les accompagner. Vingt-huit commissaires européens, c’est une aberration, nous a aussi expliqué le président. Pour lui, un tel système ne peut pas fonctionner : le partage des portefeuilles conduit au blocage car chacun marche sur les pieds de son voisin. Il a donc choisi quelques commissaires vice-présidents chargés d’assurer une cohérence entre les différents commissaires qui travaillent sur le même sujet.

Notre collègue Virginie Rozière, qui siège dans la commission du marché intérieur et de la protection des consommateurs et dans la commission des affaires juridiques, se disait néanmoins très concernée par les questions environnementales. C’est logique : l’énergie et le climat ont forcément des conséquences sur le marché intérieur, l’industrie, l’agriculture. Plusieurs commissaires étant concernés par ces questions, il faut veiller à la cohérence d’ensemble. Les vice-présidents ont été nommés pour ce faire et nous ne pouvons qu’espérer leur succès.

La Présidente Danielle Auroi. Monsieur Durand, peut-on concilier une stabilité fiscale et juridique avec l’idée de faire un pari ambitieux pour la conférence de Paris ?

M. Pascal Durand, député européen. Pour vous répondre par un clin d’œil, je vous dirais que l’industrie nucléaire a bien réussi le pari d’assurer sa stabilité financière et d’investissements puisque l’EPR qui va être construit en Angleterre a déjà défini le rachat du coût de l’électricité sur trente-six ans. En tant qu’avocat je me réjouis des propos que je viens d’entendre : pendant des années, nous nous sommes battus pour que les industriels puissent avoir une visibilité d’au moins cinq à dix ans, c'est-à-dire le minimum pour réaliser des investissements. Or les gouvernements, de gauche ou de droite, n’ont cessé de changer les critères, ce qui a conduit à un terrible échec humain puisque plus 14 000 emplois ont été perdus dans les énergies renouvelables l’an dernier en France, pendant que ce secteur créait entre 340 000 et 350 000 emplois nets en Allemagne.

Nouveau député européen, je suis un élu écologiste – cela n’étonnera personne après mon introduction sur le nucléaire – d’Île-de-France. Je suis très attaché à ce que les objectifs à tenir en terme d’énergie et de climat ne soient pas un frein au développement économique et social de l’Europe. Vous avez raison d’insister sur ce point, mais je ne suis pas sûr d’en tirer les mêmes conclusions que vous. Je pense que l’Europe est en train de passer à côté des opportunités qui s’offrent à elle dans le domaine du développement économique et social : nous sommes en train de rater la construction d’une Union européenne de l’énergie, sur le modèle de ce que nos pères ont réussi en créant la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA), il y a une soixantaine d’années.

Nous sommes en train de renationaliser les politiques et, plus que les objectifs chiffrés, c’est le principal échec de la dernière réunion du Conseil. Tout le monde adore se battre sur les pourcentages, notamment les ONG qui ont tendance à faire de la surenchère, mais, pour ma part, je me contenterais très bien de 35 % plutôt que de 40 %, à condition que l’objectif soit réellement atteint et qu’il le soit de la bonne manière.

Une réduction de 40 % des émissions va-t-elle faire baisser la température de deux degrés, de trois degrés ? Oublions cela. En revanche, je suis très inquiet en ce qui concerne les objectifs en matière de sobriété et d’efficacité énergétiques car ils n’ont plus de caractère contraignant et qu’ils ont été renationalisés. Au moment où nous nous trouvons en concurrence avec la Chine, le Brésil, les États-Unis, cela n’a aucun sens de laisser chacun des États essayer de résoudre cette problématique dans son coin.

Or la sobriété énergétique est la meilleure des réponses à la question sociale et industrielle : il s’agit d’emplois non délocalisables impliquant un savoir-faire qu’il est possible de développer dans les petites et moyennes entreprises et chez les artisans. Ces entreprises ont aussi besoin de normes pour former des apprentis qui, pour l’heure, sont surtout formés à l’enrobé et au béton plutôt qu’à ces métiers où il n’y a pas nécessairement beaucoup de débouchés. En ne fixant pas des objectifs contraignants en matière de sobriété et d’efficacité énergétiques, l’Europe ne rend pas service aux industries et ne contribue pas à créer des emplois et des débouchés pour la jeunesse, ce qui est pourtant la priorité du président Juncker.

Venons-en aux énergies renouvelables. Monsieur le président Bizet, contrairement à vous, je pense que le nucléaire est déjà plus coûteux que les énergies renouvelables et qu’il va l’être de plus en plus, ne serait-ce que pour des raisons de normes de sécurité, comme nous pouvons le constater avec la construction d’EPR. Personne ne doute que Bouygues sache faire du béton mais la construction des centrales est de plus en plus longue et elle coûte de plus en plus cher parce que les normes de sécurité se durcissent. Il ne faut pas se tromper d’enjeux et faire croire que l’électricité nucléaire est moins chère. Tenons pour acquis l’objectif de mix énergétique donné par le Président de la République et faisons en sorte que la France réussisse ce changement.

M. Arnaud Leroy. Député du groupe majoritaire, je suis les questions climatiques et les investissements de long terme à l’Assemblée nationale. Comme Pascal Durand, je pense que l’important n’est pas tant de fixer des pourcentages que de savoir comment les atteindre afin d’en tirer aussi des bénéfices en termes de compétitivité économique. Alors que les industriels demandent une stabilité du prix du carbone, tout le paquet énergie-climat négocié la semaine dernière s’articule autour du système communautaire d’échange de quotas qui vacille depuis plusieurs années : le prix de la tonne de CO2, qui est tombé à 4,50 euros, fait référence dans notre politique climatique. Des réflexions sont menées pour faire évoluer le système et, pour ma part, je plaide pour la détermination d’un prix plancher qui donnerait de la visibilité aux industriels et des moyens budgétaires pour mener des projets de transition énergétique. Le SCEQE est donc remis au centre du jeu pour une longue période.

Vous allez me dire que c’est une marotte, madame la présidente, mais je voudrais revenir sur les 20 % du budget européen qui sont dédiés au financement des politiques de lutte contre le changement climatique. Je serais ravi de travailler de concert avec les collègues du Sénat et du Parlement européen pour avoir des précisions sur cette manne intéressante qui était l’une des rares bonnes nouvelles du dernier budget européen. D’où vont venir ces fonds ? À quoi seront-ils utilisés ? Font-ils partie du plan d’investissements de 300 milliards d’euros annoncé par Jean-Claude Juncker ou représentent-ils un complément à ce programme ?

Nous devons nous battre pour que ces 300 milliards d’euros servent notamment à financer des projets d’interconnexions, des mises aux normes de certaines centrales nucléaires européennes qui créent des conflits territoriaux, des recherches. Où en est le fantasme de l’hydrogène qui agitait Bruxelles dans les années 2000 ?

Malheureusement, nous sommes rattrapés par la logique comptable, y compris dans ce domaine : nous avons besoin de fonds. Si la COP 21 de Paris échoue, ce sera sur les sommes que nous sommes capables de mettre au pot commun pour financer la lutte contre les changements climatiques et non pas sur des questions de pourcentages ou de degrés.

Rappelons que s’est déroulé un événement mondial majeur, le mois dernier : le sommet sur le climat organisé par le Secrétaire général de l’Organisation des Nations unies, Ban Ki-moon. À cette occasion, les promesses de financement du fameux Fonds vert de l’ONU se sont révélées assez réduites. Quelle est la position de l’Union européenne, en tant qu’institution, à ce sujet ? La Commission dispose d’un mandat unique de négociation. La Commission abonde-t-elle directement au Fonds vert ? La participation de l’Union européenne se fera-t-elle uniquement par des contributions nationales ? À un moment donné, il faudra aussi aborder ces questions de gouvernance.

La Présidente Danielle Auroi. M. Jean-Yves Leconte, en plus de la gouvernance et du budget, avez-vous d’autres questions à poser à nos collègues du Parlement européens ?

M. Jean-Yves Leconte, sénateur. Les politiques européennes ne doivent pas être saucissonnées car elles forment un tout. La situation économique de l’Allemagne suscite beaucoup de commentaires, mais si les perspectives de ce pays sont moins stables que par le passé, c’est notamment en raison de sa politique énergétique. L’Allemagne doit gérer sa sortie du nucléaire mais anticiper aussi la fin de ses achats de gaz russe à bas prix, ce qui en fait un terrain peu propice à des investissements industriels. Quand nous définissons une politique, nous devons avoir conscience de ses effets sur l’emploi et la croissance.

L’Union européenne et les États-Unis conduisent, dans le domaine de l’énergie et du climat, des politiques différentes qui se traduisent par des fermetures dans un cas et par des ouvertures et des investissements dans l’autre. Dans le seul secteur de la pétrochimie, des centaines de milliers d’emplois sont détruits d’un côté et créés de l’autre. Si chacune des politiques possède sa légitimité, elles ne peuvent pas être mises à égalité dans le traité de partenariat transatlantique.

Il y a quelques jours, j’ai été frappé pas les chiffres concernant les aides d’État aux différentes énergies en Europe, en particulier les subventions aux énergies carbones dans certains pays. En constatant que le gaz de l’est peut être vendu entre 300 et 530 dollars par mille mètres cubes, selon que l’acheteur est Britannique ou Polonais, je suis parvenu à la réflexion suivante : pour mettre tous les pays à égalité, il faudrait créer une centrale d’achat commune que tout le monde respecte.

La Présidente Danielle Auroi. M. Michel Piron, cette idée de centrale d’achat commune vous inspire-t-elle ?

M. Michel Piron. Je ne suis pas forcément un obsédé de la concentration des centrales d’achat en France quand je vois dans quel état elle laisse les producteurs, mais je ne suis pas opposé à votre proposition européenne.

Quant au dernier Conseil européen, il m’inspire surtout des interrogations. La renationalisation des politiques n’est pas souhaitable et, plutôt qu’une centrale d’achat, une politique commune de sécurisation des approvisionnements me paraîtrait indiquée. Mais peut-on imaginer une politique commune a posteriori sans avoir traité l’a priori : le fait que nous partons de situations extraordinairement hétérogènes ? Quand j’entends évoquer les objectifs – une baisse de 35 %, 38 % ou 40 % des émissions –, je rappelle que les pays ne partent pas à égalité en matière de production de CO2 par habitant, à commencer par l’Allemagne et la France pour ne prendre que deux pays dont l’importance n’est pas tout à fait négligeable en Europe.

Si nous acceptons de regarder les choses telles qu’elles sont et non pas seulement telles qu’elles pourraient être, se pose alors la question des convergences. Est-il possible de dégager des convergences ? Lesquelles ? Cela pose la question des filières, y compris de recherche. Il a été fait allusion au gaz de schiste, si j’ai bien compris, mais on peut parler du solaire et de divers types d’énergies plus ou moins renouvelables. Quelle politique industrielle commune ? Quels sont les rapprochements et les stratégies envisageables en la matière ?

Nous avons bien senti toute votre expérience, madame Grossetête, lorsque vous avez évoqué la nouvelle gouvernance que M. Juncker cherche à mettre en place pour que ces sujets soient abordés de manière transversale, tant il est aberrant de traiter l’environnement et l’énergie à part, en dehors des questions de développement. M. Juncker fait le pari d’avoir une équipe resserrée chargée de la synthèse, afin d’assurer une cohérence. Son initiative pourrait valoir pour notre doux pays où l’esprit de synthèse ne l’emporte pas toujours sur la tentation de l’analyse, c’est le moins que l’on puisse dire.

C’est un enjeu politique majeur et, au niveau du Parlement, vous avez à jouer un rôle d’incitateur sinon de moteur. Quel est l’état d’esprit du Parlement européen concernant ces questions de gouvernance, de cohérence et de synthèse ? Est-ce un souhait qui traverse l’institution ?

Mme Marie-Louise Fort. Mes préoccupations sont terre à terre. Nous voulons tous léguer une planète correcte à nos enfants et petits-enfants mais a-t-on vraiment pesé le pour et le contre des différentes sources d’énergie dont l’impact est très important sur les coûts de l’électricité en France ? Nous avons l’énergie éolienne, photovoltaïque, nucléaire. Nous ne voulons même pas parler du gaz de schiste qui permet aux États-Unis de baisser de manière extraordinaire le coût de l’électricité. En Europe, mesure-t-on le rapport qualité-prix de ces énergies, ce qui nous permettrait d’aboutir à des prix corrects ? Ces initiatives visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre ne doivent pas nous empêcher de survivre au niveau social. Les deux aspects du problème sont trop dissociés et certaines énergies sont quasiment diabolisées, au point que mon collègue Michel Piron n’osait même pas prononcer les mots « gaz de schiste ».

M. Michel Piron. Je le fais avec douceur.

Mme Marie-Louise Fort. Pour ma part, je suis un peu moins douce, non que je sois une tenante du gaz de schiste. Ne pourrait-on pas limiter la diversification tous azimuts ? On trouve parfois beaucoup d’éoliennes dans des endroits peu ventés. Est-ce bien cela qu’il nous faut ? Quant aux véhicules électriques, ils sont achetés par les collectivités plus que par les particuliers. Dans mon département, nous installons cinquante bornes pour des véhicules électriques qui n’existent pas encore. Certes, il faut bien commencer par un bout.

Ces chiffres et ces objectifs ne répondent-ils pas d’abord à un souci de communication. A-t-on travaillé en amont sur l’impact de ces mesures non seulement sur le climat mais aussi sur la vie des Européens, notamment celle des Français.

M. Pierre Lequiller. Pour ceux qui ne me connaissent pas, je précise que je suis un député UMP des Yvelines.

Tout d’abord, je voudrais dire que je me réjouis des propositions de M. Juncker en matière d’organisation. À l’époque où je faisais partie de la convention sur l’avenir de l’Europe, nous avions fixé un nombre maximum de commissaires européens, partant du principe qu’un commissaire devait en quelque sorte perdre sa nationalité et adopter une position européenne. Avoir un commissaire européen par pays semblait peu souhaitable sinon néfaste. Pour autant, le problème n’a pas été réglé et chaque pays s’est vu accorder un commissaire. M. Juncker a bien fait de nommer sept vice-présidents pour assurer une cohérence du travail des commissaires. Ceux-ci seront moins tentés de laisser leur trace sous forme de directives, ce qui réduira les excès de législation.

S’agissant du dernier Conseil, nous constatons non seulement une renationalisation des politiques mais aussi des divergences profondes qui tendent à s’accroître. L’Allemagne a changé brutalement de politique et cette expérience est intéressante à analyser car elle n’offre pas que des avantages : le prix de l’énergie augmente fortement tandis que les lourds investissements de l’État fédéral pèsent sur le contribuable. Les pays de l’est continuent à recourir au charbon et ils construisent des centrales nucléaires. La France adopte une position mi-figue mi-raisin et cherche à abaisser la part du nucléaire au profit des énergies renouvelables. La Grande-Bretagne mise très fort sur le nucléaire. Nous devons réfléchir à ces divergences, en commençant par faire une étude comparative complète des politiques choisies, comme le préconise ma collègue Marie-Louise Fort.

La création d’une centrale d’achat me paraît absolument indispensable et nous devons en faire un objectif prioritaire. Chacun va faire son marché de son côté, ce qui conduit à des distorsions dans les négociations et à une faiblesse de l’Europe face à la Russie.

M. André Schneider. Les propos de Marie-Louise Fort incitent le terrien alsacien que je suis à apporter sa petite contribution au débat.

La Commission des affaires européennes, dont je suis membre depuis douze ans, a bien voulu me confier la rédaction de divers rapports sur l’énergie : le livre vert, la séparation patrimoniale, le troisième paquet, la situation énergétique en Europe. Pour la Commission des affaires étrangères, je travaille avec mon collègue Christian Bataille sur la géopolitique de l’énergie au niveau mondial.

La question est très complexe. À un moment donné, tout semblait réglé, au moins sur le papier, et nous pensions que tout le monde allait travailler en harmonie. Une fois sur le terrain avec nos collègues députés européens, les problèmes ont commencé. Vous touchez à notre indépendance nationale, disaient les uns. Nous voulons des réserves de trois mois, demandaient les autres. Quant aux troisièmes, ils estimaient que deux mois de réserves suffisaient amplement.

Le premier affrontement entre la Russie et l’Ukraine, via Gazprom, a mis en évidence les divergences de point de vue entre les Autrichiens, les Allemands, les Polonais et nous. Les stratégies divergent aussi sur le nucléaire. La main sur le cœur, mes voisins d’outre-Rhin disent qu’ils n’en veulent pas, mais quand ils manquent d’énergie, ils pompent l’électricité de Fessenheim dont ils sont d’ailleurs co-actionnaires. C’est à n’y rien comprendre.

Que faisaient nos pétroliers ? Ils fabriquaient du super. Que faisaient les constructeurs automobiles pendant ce temps ? Ils fabriquaient des moteurs diesel. Résultat des courses : nous avons bradé notre essence ; nous avons perdu nos raffineries ; nous avons importé du gasoil. Nous pourrions déjà nous mettre d’accord sur ce genre de choses, avoir un vrai régulateur européen, quel que soit son nom, et une vraie politique commune d’approvisionnement. Mais nous ne sommes pas d’accord entre nous ! Pour l’approvisionnement en gaz, certains sont plus proches des pays du nord, mais nous restons très tributaires du gaz russe et nous avons construit des ports méthaniers, etc.

Il faudrait que nous ayons un peu de cohérence et que nous dépassions les clivages politiques car l’énergie est la puissance de demain. De nos choix dépend le bonheur de nos enfants et de nos petits-enfants. Merci, madame la présidente de nous réunir sur ce sujet extrêmement important. Si nous pouvions avancer vers une vision commune acceptable par tous, ce serait déjà bien, il n’y aurait plus qu’à convaincre vingt-six autres pays. Plutôt que de réciter chacun sa petite litanie, nous devrions rechercher le plus grand dénominateur commun, comme nous disions à l’école primaire. Si vous pouviez le mettre au point, vos noms resteraient dans l’histoire.

Le Président Jean Bizet. Pour ma part, je serais quand même assez positif sur l’accord qui a été conclu : en additionnant la baisse de 40 % à celle de 18 % qui a été enregistrée au cours de la décennie précédente, on obtient une diminution de près de 60 % des émissions de gaz à effet de serre en l’espace de quarante ans. Ce n’est pas mal.

Cela étant, Pascal Durand a raison : une amélioration de 27 % de l’efficacité énergétique est insuffisante. Au regard de la protection de l’environnement, l’année 2013 a été la plus alarmante. Les responsables du groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) considèrent que si nous dépassons une concentration de CO2 de 350 parties par million (ppm), il n’est plus possible de maîtriser les évolutions de température. Or, si nous faisons une projection à partir de la très mauvaise année 2013, la concentration de CO2 atteindra 900 ppm à la fin du siècle et l’augmentation de température sera de six degrés. Écologistes ou non, nous devons tous avoir conscience que les choses vont prendre un tour dramatique si nous ne réagissons pas.

Sans entrer dans le détail du modèle énergétique allemand, je ferais quelques remarques. Pour la consommation et le transport, les énergies intermittentes – essentiellement l’éolien – sont prioritaires. À certains moments, cette surproduction entraîne des perturbations sur le réseau électrique allemand mais aussi sur celui des pays voisins, lesquels mettent des espèces de disjoncteurs pour protéger leur propre réseau. Au lieu d’avoir une Europe de l’énergie, nous avons des pays qui se protègent. Les Allemands sont en train de corriger ce problème, mais nous devons l’avoir en mémoire.

En revanche, je ne comprends pas l’une des analyses de Pascal Durand, qui ne correspond pas à celle de notre ambassadeur auprès de la représentation permanente. Dans cet accord, j’ai cru lire que les objectifs étaient contraignants pour l’Union européenne, mais beaucoup moins pour les États membres. Il m’a semblé que vous nous disiez l’inverse.

M. Pascal Durand, député européen. Non, je fais la même analyse.

Le Président Jean Bizet. D’accord, alors c’est moi qui avais mal compris. Je ne sais pas quelle en sera la traduction juridique mais le fait que les objectifs soient plus contraignants pour l’Union européenne que pour les États membres suppose une certaine mutualisation. Mais nous sommes loin de l’Europe de l’énergie à laquelle il nous faudra bien parvenir un jour.

L’Assemblée nationale et le Sénat pourraient peut-être initier une coopération renforcée en matière énergétique. L’Allemagne a pris une orientation, la France une autre, la Pologne et la Grande-Bretagne sont en train de partir dans une troisième direction. Nous avons fait quelques coopérations renforcées, qui ont pris du temps, sur le brevet communautaire. L’énergie est la richesse de demain, dit notre ami André Schneider, mais c’est déjà celle d’aujourd’hui. Certaines délocalisations sont actuellement envisagées vers les États-Unis, sur la base du prix de l’énergie. Il est donc temps de réagir en créant une Europe de l’énergie.

La présidente Danielle Auroi. La meilleure énergie est celle qui n’est pas produite. Or l’efficacité énergétique est le seul objectif qui n’est vraiment pas contraignant.

Pour répondre à Marie-Louise Fort, j’indique que ce sont les offices HLM, c'est-à-dire les structures qui logent les plus pauvres, qui ont donné l’exemple en France : l’amélioration de l’efficacité énergétique se fait dans leurs immeubles. Ces expériences ont en plus le mérite de créer des emplois locaux de grande qualité. Dans ma ville de Clermont-Ferrand, qui compte le plus grand nombre de HLM par habitant, les chantiers d’amélioration de l’efficacité énergétique produisent des effets formidables sur l’emploi.

Par ailleurs, le commissaire Maroš Šefčovič a utilisé l’expression « centrale d’achat commune », me semble-t-il. Nous pourrions peut-être nous appuyer sur lui et partir de ce que propose la Commission.

À ce stade, nous ne devons pas nous renvoyer nos griefs, d’un pays à l’autre, d’autant que les échanges ne sont pas à sens unique : il nous arrive aussi d’acheter de l’électricité à l’Allemagne quand nous sommes en rupture. Luttons plutôt ensemble contre la renationalisation. Il y a quelque temps, le président Hollande parlait de construire un Airbus de l’énergie à partir de la France et de l’Allemagne. Je souscris tout à fait à l’idée de relancer une politique européenne de l’énergie et du climat et nos collègues européens seront sûrement d’accord pour nous auditionner à ce moment-là. Si nous ne manifestons pas notre volonté de créer une politique européenne de l’énergie et du climat partagée, nous arriverons en mauvaise posture à la conférence de Paris : l’Inde et les pays d’Amérique du Sud pourront refuser de prendre des engagements en nous renvoyant à nos propres divisions.

Nous allons faire un groupe de travail, réunissant des députés et des sénateurs de toutes tendances. Ce serait encore mieux si le Parlement européen s’y mettait aussi.

Mme Françoise Grossetête, députée européenne. Une question a été posée sur la gouvernance au Parlement européen. Rappelons que la composition actuelle du Parlement est assez inhabituelle par rapport à celle que j’ai pu connaître. Si nous voulons avancer, il est fondamental que tous les groupes politiques pro-européens travaillent ensemble et trouvent des terrains d’entente, quelles que soient leurs divergences sur tel ou tel sujet. Faute de quoi, nous n’aurons jamais de majorité au sein de ce Parlement. C’est une autre manière de travailler par rapport à une époque où le plus grand groupe politique disposait d’une majorité relative, même s’il nous fallait déjà négocier des compromis, ce que vous nous reprochiez parfois. Dorénavant, la négociation est encore plus nécessaire et les groupes pro-européens ont l’obligation de travailler ensemble.

La Présidente Danielle Auroi. Nous passons maintenant au débat sur le paquet « croissance, emploi et investissement ».

Le Président Jean Bizet. Comme chacun le sait, le paquet « croissance, emploi et investissement » est d’importance. L’Europe subit une diminution durable du niveau d’investissement, se chiffrant à 500 milliards d’euros depuis 2007. Le nouveau président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a annoncé dès le 15 juillet 2014 la mise en œuvre d’un plan d’investissement de 300 milliards d’euros sur trois ans, à savoir sur la période 2015-2017, destinée à relancer l’emploi, la croissance et la compétitivité en Europe. Le détail de ce paquet, annoncé dans un premier temps pour janvier 2015, devrait être présenté avant la fin de l’année.

Les besoins sont considérables dans plusieurs secteurs. En matière de réseaux numériques de haut débit, l’Union européenne s’est fixée pour objectif de couvrir 100 % de son territoire à l’horizon 2020 – je rappelle qu’elle n’en est qu’à 62 % à l’heure actuelle. Pour ce qui est des transports, dans le cadre du nouveau mécanisme pour l’interconnexion en Europe, le cadre financier pluriannuel avait fixé un montant de 26 milliards d’euros pour la période 2014-2020, contre 8 milliards d’euros engagés pour les années 2007-2013. Enfin, en matière d’emploi des jeunes, compte tenu des taux de chômage très élevés pour cette catégorie de population, l’Union européenne avait mis en place en 2012 une initiative pour l’emploi des jeunes comprenant un mécanisme de garantie jeunesse, doté de 6 milliards d’euros, porté ensuite à 8 milliards d’euros, devant être décaissé pour l’essentiel en 2014 et 2015. Or, les présidents Barroso et Van Rompuy ont récemment déploré l’absence de résultat dans ce domaine, en raison de la montée en charge très lente du dispositif.

Plusieurs des secteurs visés sur le plan de l’investissement du plan Juncker font partie des mesures financées par le cadre financier pluriannuel sur la période 2014-2020. M. Jyrki Katainen, futur vice-président « en charge de l’emploi, de la croissance, de l’investissement et de la compétitivité », a indiqué que ce dispositif s’appuierait sur la Banque européenne d’investissement (BEI) et les banques nationales d’investissement. Il a précisé que le plan ne serait pas financé par un recyclage des crédits déjà programmés, les fonds publics devant servir de catalyseur pour mobiliser l’investissement privé.

Cependant, des interrogations demeurent : premièrement, quel sera le montant de ce plan d’investissement ; et les 300 milliards d’euros envisagés seront-ils suffisants ? Il est permis de poser cette question dans la mesure où, à lui seul, le coût de la couverture haut débit est estimé par la Commission à 130 milliards d’euros d’ici à 2020.

Deuxièmement, quelles seront ses modalités de financement ? Le Parlement européen demande des fonds additionnels, et non un recyclage des crédits existants, notamment ceux de la politique de cohésion. Or, les dotations allouées à la croissance au titre du cadre financier pluriannuel 2014-2020 ne peuvent à elles seules assurer le financement du plan d’investissement.

J’ai déjà alerté à deux reprises – notamment mardi dernier, dans le cadre du débat préalable au Conseil européen, Harlem Désir, secrétaire d’État aux affaires européennes – sur le risque de voir s’opérer un détournement des fonds structurels européens au profit du plan d’investissement : ce serait dramatique pour les élus des villes et des campagnes, compte tenu de la baisse annoncée des crédits d’État. Malheureusement, je n’ai pas obtenu de réponse sur ce point, et je crains fort qu’il n’y en ait pas.

Lors du conseil ECOFIN du 14 octobre dernier, les ministres ont soutenu la possibilité d’exploiter pleinement la capacité de la Banque européenne d’investissement à supporter des risques et à étendre davantage la portée de ses outils de financement. Le vice-président Katainen a également évoqué la possibilité d’y injecter de l’argent frais. Je relèverai toutefois que le capital de cette dernière avait déjà été relevé de 10 milliards d’euros en 2012, et qu’elle doit aussi éviter de prendre des risques excessifs. Pour sa part, le président Juncker a évoqué des instruments financiers plus efficaces, sous forme de prêts ou de garanties, avec une capacité plus élevée par rapport aux risques. À ce titre, sont aussi évoqués les project bonds, il s’agit d’obligations de projet financées à partir de crédits du budget communautaire non utilisés, permettant de créer un effet de levier auprès d’investisseurs institutionnels – notamment des fonds de pensions et des compagnies d’assurance. De même, le recours au mécanisme européen de stabilité a été envisagé, mais l’Allemagne s’y oppose fermement. Selon le vice-président Katainen, le montant global de 300 milliards d’euros pourrait ne pas être disponible dès le lancement du plan, et les crédits pourraient être affectés au projet de façon graduelle. Les doutes planant sur la disponibilité des fonds sont assez inquiétants, surtout si l’on considère que c’est un peu la proposition de la dernière chance.

Troisièmement, quels projets pourront être financés ? Lors du conseil ECOFIN du 14 octobre, le vice-président Katainen et le président de la BEI ont évoqué la mise en place d’une task force dirigée par la Commission et la BEI, chargée d’identifier les goulets d’étranglement et les barrières limitant l’investissement public et privé. Il s’agirait d’établir une sorte de réserve, et non une simple liste de projets stratégiques à forte valeur ajoutée. Néanmoins, le manque de projets à fort impact peut constituer la véritable difficulté.

Quatrièmement, enfin, on ne peut ignorer le contexte politique. Les débats, ayant lieu notamment entre la France et l’Allemagne, portent aussi sur les liens entre le soutien à l’investissement et la mise en œuvre de réformes structurelles au sein des états membres. Le 20 octobre dernier, les ministres de l’économie et des finances des deux pays se sont rencontrés à Berlin afin de rapprocher leurs positions et se sont engagés à élaborer, d’ici au 1er décembre, une proposition commune sur les possibilités d’investissement dans les deux pays, à travers laquelle ils exposeraient une vision commune de l’Europe. Deux personnalités qualifiées ont été approchées, à savoir le Français Jean Pisani-Ferry et l’Allemand Henrik Enderlein, l’un et l’autre étant chargés de définir, chacun pour son pays, les domaines prioritaires d’investissement, de réforme structurelle et d’action commune, par un rapport remis à la mi-novembre qui sera, je n’en doute pas, extrêmement intéressant. Si l’Allemagne a reconnu un déficit d’investissement de 50 milliards d’euros de sa part, elle a aussitôt précisé que le financement serait essentiellement assuré par le secteur privé, et allégué la pyramide des âges de sa société pour ne pas s’engager tout de suite dans de tels investissements.

Pour conclure, je soulignerai que des questions importantes demeurent pour l’instant sans réponse claire : quel ratio entre investissements publics et privés, et entre investissements européens et nationaux ? Quels secteurs privilégier ? Enfin, comment concilier un plan ambitieux avec les contraintes budgétaires que nous connaissons ? Ce sont là des questions importantes sur un sujet fondamental pour la relance de la croissance en Europe.

La Présidente Danielle Auroi. Le président Bizet a dressé un vaste panorama des questions qui se posent, auxquelles j’en ajouterai encore quelques-unes.

Je commencerai par me féliciter de voir l’action économique enfin prise en compte dans une volonté de progresser concrètement au niveau européen. Le principe même du grand plan d’investissement de 300 milliards d’euros va plutôt dans le bon sens, en exprimant la solidarité européenne d’une façon positive – alors que ces dernières années, on a plutôt assisté à une renationalisation, au fil des politiques successives, que ce soit celle de l’énergie ou de la politique agricole commune.

La task force de la Commission européenne et de la BEI doit identifier les possibilités d’investissement dans les domaines stratégiques tel que le numérique ou la recherche européenne – cette dernière étant un peu en panne à l’heure actuelle. En ce qui concerne le financement, les perspectives ne sont pas des plus encourageantes, ce qui a de quoi nous inquiéter. Peut-être faudrait-il pousser davantage la logique des « project bonds », en élargissant leur champ d’action et en faisant en sorte qu’ils puissent être mis en œuvre dans le cadre de stratégies moins compliquées qu’actuellement. De même les financements de la BEI, certes classiques, peuvent encore constituer un levier très intéressant dans certains domaines.

À côté des investissements privés évoqués par l’Allemagne, la question du grand emprunt européen devrait être posée. Un tel moyen permettrait de mobiliser de l’épargne, notamment en France, où l’on sait qu’elle est relativement abondante. De même, il faut absolument avancer sur la question des ressources propres au budget de l’Union. Il y a peu de temps, nous avons auditionné Pierre Moscovici, qui a abondé en notre sens sur ce point. En tout état de cause, tant que la Commission ne sera pas dotée un peu plus généreusement, elle ne pourra pas faire grand-chose de façon autonome et volontaire.

Se pose aussi, en filigrane, la question de la taxe sur les transactions financières, soutenue par onze États de l’Union européenne, mais dont la mise en œuvre se fait attendre en dépit du fait qu’on nous la présente comme imminente depuis un bon moment. Une autre piste est celle d’une taxe carbone, soit aux frontières de l’Union européenne, soit interne à l’Union – voire les deux en même temps –, qui prend tout son sens si l’on se réfère au sujet précédent, à savoir la problématique de l’énergie et du climat. Au-delà de la seule question du financement, le grand plan d’investissement pose sans doute également celle des domaines prioritaires ; à cet égard, il me semble que l’emploi, en particulier celui des jeunes, s’impose.

M. Yves Pozzo di Borgo, sénateur. Ayant été absent de la commission des affaires européennes durant trois ans, je viens de la réintégrer, et je découvre certains dossiers, ce qui m’inspire certaines questions. Ainsi, je me demande si l’on a identifié les causes de la baisse de 500 milliards d’euros du niveau d’investissement : à défaut, il me semble qu’il ne sert à rien de plaider en faveur d’un grand emprunt. Certes, on peut penser que la situation économique y est pour quelque chose, mais la situation de l’euro, ou encore les pesanteurs qui paralysent les PME, peuvent aussi entrer en jeu. Enfin, en tant qu’inspecteur général de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche, je me demande si la recherche n’est pas également en cause.

M. Gilles Savary. En dépit de la volonté de la Commission Juncker de mettre en œuvre une politique keynésienne de relance, force est de constater que cette relance ne démarre pas. Dans plusieurs pays, on ne peut guère faire plus en termes de déficit public – en France, notamment, on est aux taquets avec un déficit de 4,4 % – et une telle approche montre donc ses limites. Les taux d’intérêts prêteur sont historiquement bas, les prix de l’énergie sont extrêmement bas également, le tout dans un contexte de relance monétaire quantitative : comme on le voit, les problèmes sont donc plutôt à rechercher ailleurs.

J’estime qu’il faut prendre comme de bon augure les 300 milliards d’euros de M. Juncker, sans y voir la panacée. Au demeurant, chacun sait qu’à partir du moment où l’on dispose de perspectives budgétaires septennales et où le budget européen est abordé dans un esprit plutôt malthusien, cette somme correspondra davantage à des redéploiements qu’à des ressources supplémentaires : on va rechercher les crédits sous-consommés pouvant faire faire l’objet d’un redéploiement – via le Fonds de cohésion plutôt qu’au moyen du Fonds européen de développement économique régional (FEDER).

Nous sommes un vieux continent où s’offrent des opportunités sous la forme de nombreux marchés de renouvellement. Si nous voulons relancer les investissements, nous devons nous situer à la charnière de l’innovation, de la recherche, et de la production qui peut être faite sur la base des avancées obtenues. À l’heure actuelle, s’il y a beaucoup d’innovation dans les laboratoires de France et d’Europe, les productions se font généralement ailleurs, faute de savoir convertir les avancées au moyen d’un entreprenariat adapté : c’est ainsi que nos brevets partent pour l’étranger, le plus souvent aux États-Unis. C’est là un problème ne se limitant pas à la relance de l’investissement public, mais d’ordre structurel.

À mon sens, il est important que nous apprenions à investir aussi dans l’immatériel, en identifiant les créneaux d’avenir qui nous permettraient de créer des marchés d’équipement dans des domaines nouveaux. Je regrette que la politique énergétique européenne se limite, comme dans bien des domaines industriels, à considérer que le marché intérieur fait la politique industrielle. Or, si quelques mesures de gouvernance du marché – consistant à supprimer les frontières, séparer les patrimoines, les réseaux et les exploitants – peuvent aboutir à la création d’un marché, elles ne suffisent pas à engendrer les plus-values qui feront la croissance. Il serait donc intéressant de ne pas se limiter à faire de la distribution de crédits européens à des projets nationaux, mais de mettre sur pied de grands programmes intégrés dans des domaines d’avenir.

L’un de ces programmes pourrait consister en l’accélération de la filière hydrogène, qui est l’une des façons permettant de stocker les énergies alternatives, mais aussi de faire rouler les voitures, qui sont en train de supplanter le train. À ce sujet, nous allons prochainement libéraliser le marché du transport par car ; les responsables de la Deutsche Bahn, avec lesquels je me suis entretenu ce matin, m’ont expliqué que, mise en œuvre en Allemagne, cette mesure avait eu pour conséquence la fermeture de lignes ferroviaires, ce qui n’a rien d’étonnant quand on sait que le prix d’un siège de car ne représente qu’un quart du prix d’un siège de train, et étant précisé que nos voisins ont fait le choix de trains moins rapides – ils rouleront tous à moins de 250 kilomètres à l’heure dans les dix ans qui viennent, mais plus confortables et moins chers. Favoriser ces grands programmes intégrés ne correspondait pas à l’orientation suivie par M. Barroso et, sans en être convaincu, j’espère que M. Juncker saura prendre dans ce domaine les décisions qui s’imposent.

Il existe à l’heure actuelle un programme européen physique intégré, celui des réseaux de transport RTE-T, qui représente un énorme travail d’interconnexion à partir d’investissements quasi directs de l’Union européenne. Ce programme comporte de grands projets, tels que la liaison Lyon-Turin et le tunnel de base du Brenner, mais aussi d’autres beaucoup plus modestes – je pense notamment au travail de trois ans que j’ai effectué en vue de coordonner une ligne ferroviaire traversant sept États membres de l’Union européenne à 140 kilomètres heure. J’estime que, sur le même modèle, nous devrions entreprendre de tels travaux, longs mais très utiles, dans d’autres domaines stratégiques, en particulier celui de l’énergie. J’y vois une forme d’intégration et de dénationalisation des stratégies de relance.

M. Alain Richard, sénateur. Il y a quelques années, l’Union européenne s’est donné pour objectif de se doter de l’économie de la connaissance la plus compétitive du monde – qui, aujourd’hui, est finalement celle des États-Unis. Notre premier problème, commun aux Européen, est d’ordre structurel, et réside dans notre lenteur à transformer l’innovation en investissements et en richesses – et ce n’est pas un programme de 300 milliards d’euros d’investissements qui y changera quelque chose. Il ne sert à rien de psalmodier, comme s’il s’agissait d’une formule incantatoire, que cette somme ne doit pas être constituée de crédits recyclés : en réalité, il serait bien étonnant qu’elle comprenne moins de 50 % de recyclage. En effet, l’Union européenne s’est engagée dans un programme d’assainissement financier, et dans ce contexte il ne serait pas très cohérent qu’elle crée un nouvel espace de dettes. Il y aura des « project bonds », qui sont un début d’emprunt européen et représentent donc un petit progrès à ce titre, étant précisé qu’ils ne représenteront sans doute pas plus de 10 % ou 15 % de la somme totale.

En ce qui concerne les programmes ambitieux auxquels fait référence Gilles Savary, la vraie question est celle des technologies d’ores et déjà au point et pouvant faire l’objet d’applications immédiates. Cette question ne s’est pas posée lors du lancement des deux grands programmes de relance structurelle qu’ont été le celui de Roosevelt dans les années 1930, et du plan Marshall au sortir de la Seconde Guerre mondiale : il n’a alors été fait appel qu’à des technologies maîtrisées depuis des années. Si l’on veut que le programme de relance produise quelque effet – ne serait-ce qu’un début de redémarrage de la machine économique –, il doit être constitué de projets prêts à être immédiatement mis en œuvre, sans qu’il soit nécessaire de passer par des années de recherche et de développement – sans parler de la procédure, qui représente un problème particulier pour l’Europe. Il serait fastidieux de rechercher à qui en incombe la responsabilité, mais force est de constater que de nombreux États membres ont élevé – à la base pour de louables raisons, évidemment – de sérieux barrages procéduraux qui allongent considérablement les délais entre la décision de lancer un projet et sa réalisation effective.

Nous devrons donc rester modestes dans notre ambition technologique si nous voulons que les fonds du programme de relance soient dépensés dans les trois ou quatre ans qui viennent – et si nous voulons qu’ils soient dépensés intégralement, ce qui n’est pas évident, car il n’est pas rare que les obstacles auxquels je viens de faire référence se traduisent par une sous-consommation des crédits. En tout état de cause, si l’utilisation des 300 milliards d’euros doit s’étaler sur dix ans, il ne faut pas compter sur un effet de relance.

Mme Virginie Rozière, députée européenne. La question des sources de financement de la somme de 300 milliards d’euros sur trois ans est loin d’être résolue : en dépit des demandes formulées à ce sujet auprès de M. Juncker et des commissaires européens durant toute la durée des auditions, nous n’avons jamais obtenu de réponse claire. Plusieurs pistes sont évoquées et, sur ce point, la conviction du groupe de l’Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates est que, pour sortir de la spirale déflationniste, nous avons besoin d’investissements supplémentaires, puisque la politique de la Banque centrale européenne, de plus en plus permissive au niveau monétaire, ne suffit manifestement pas. Aujourd’hui, il n’y a pas d’intérêt à investir dans la mesure où nous sommes confrontés à un gros problème en termes de carnet de commandes : l’activité économique est fortement ralentie, et il y a peu de demande. Nous avons donc besoin de 300 milliards d’euros supplémentaires comportant une forte proportion d’investissements publics, mobilisables très rapidement, si l’on veut créer un effet de relance.

Un redéploiement des fonds structurels aurait un effet quasi nul, et nous plaidons plutôt pour la mobilisation de fonds du Mécanisme européen de stabilité (MES) afin de recapitaliser substantiellement la Banque européenne d’investissement – sur la base d’un ratio d’un à dix, il faudrait injecter 30 milliards d’euros à la BEI.

Une autre piste consiste à mobiliser les investisseurs publics nationaux de manière coordonnée, éventuellement sur des projets communs – je pense à la Caisse des dépôts et consignations pour la France, et à ses équivalents dans les autres pays européens. Pour obtenir un véritable effet de relance, nous allons devoir être efficaces en sortant de la logique du juste retour – ce qui ne sera pas facile – et en écartant toute idée de macro-conditionnalité pouvant conduire à la suspension des fonds structurels en cas de déficit excessif de l’État : de ce point de vue, les politiques appliquées aux pays du sud de l’Europe ont largement fait la preuve de leurs effets récessifs, dont le FMI et la BCE sont désormais convaincus.

Si le besoin d’investissement ne fait plus débat, il reste à déterminer vers quel secteur les fonds – qu’il est impératif de mobiliser très rapidement – doivent être dirigés. La politique en matière d’énergie et de climat sera évidemment cruciale, mais l’appel à une politique d’approvisionnement énergétique commune au niveau européen pose un problème, à savoir que si une compétence est spécifiquement exclue des compétences communautaires dans les traités, c’est bien celle relative à l’énergie. Dès lors, le seul levier en ce domaine réside dans la politique d’énergie-climat, qui peut permettre de déterminer des objectifs et de mettre en œuvre des déclinaisons au niveau communautaire. Les récentes tensions géopolitiques se sont traduites par un réflexe de nationalisation des politiques où chaque État a réagi différemment à la crise russo-ukrainienne, et tout l’enjeu consistera bien à coordonner ces politiques nationales.

La filière hydrogène constitue l’un des moyens de nature à permettre de gérer l’intermittence des sources d’énergie renouvelable. La France présente actuellement un certain retard dans un domaine où d’autres pays en sont au stade des applications concrètes. Ainsi le Danemark, afin de ne plus être obligé de vendre son électricité à perte durant les périodes de surproduction, a mis en place une infrastructure hydrogène permettant de stocker l’énergie pour la mettre sur le marché ultérieurement, lors d’une période plus favorable. En la matière, la France aura un choix stratégique à faire, mais elle est tributaire de certains grands acteurs économiques français. On sait que le développement de la voiture électrique s’est trouvé freiné par un déploiement trop lent du réseau de bornes de recharges : de la même manière, alors que la technologie de la filière hydrogène est maîtrisée en termes de recherche et développement, elle risque de ne pas pouvoir se développer aussi rapidement qu’elle le devrait si l’industrialisation ne suit pas – il faudra pour cela une volonté des industriels, ainsi qu’une approche coordonnée du côté énergéticien comme du côté des développeurs d’applications et de services, dans le domaine de l’automobile, du stockage ou des sources d’approvisionnement local.

M. Pascal Durand, député européen. L’Europe doit actuellement faire face à une situation difficile, pour ne pas dire dramatique, car elle fait face à une double contrainte. D’une part, dans un souci d’assainir la situation – partagé notamment par Jean Arthuis, président de la commission des budgets du Parlement européen, elle s’efforce de réduire les déficits publics afin de ne pas se trouver dans une situation de relance keynésienne classique ; d’autre part, elle doit relancer l’économie au moyen d’un grand plan d’investissement. Peut-être la question de l’investissement a-t-elle fait l’objet jusqu’à présent d’une approche trop simpliste. La somme de 300 milliards d’euros, pour considérable qu’elle soit, peut se révéler insuffisante dans le sens où elle ne résoudra pas à elle seule toutes les questions de moyen terme au sujet de la recherche et du développement.

Pour sa part, le groupe des Verts va proposer un « green New Deal » dans le cadre duquel l’argent public va être utilisé comme une garantie et un levier jouant sur les investissements privés, ce que l’on fait encore trop peu en France par rapport à d’autres pays. Nous réfléchissons actuellement à un plan de 750 milliards d’euros à l’horizon 2030, dont 250 milliards d’euros de fonds publics ou parapublics, le reste étant constitué d’investissements privés. Un tel dispositif a fonctionné dans un certain nombre de pays dans le domaine de l’énergie. Je me méfie de l’état d’esprit prédominant actuellement en France, selon lequel la transition énergétique va coûter une fortune, ce qui a pour effet de paralyser tout le monde. Plutôt que de focaliser sur le problème de financement – au demeurant tout à fait réel –, il serait sans doute plus intelligent et mobilisateur de souligner qu’une grande part de l’investissement réalisé va revêtir un caractère productif : en d’autres termes, il va créer de l’emploi et permettre à des entreprises de gagner de l’argent, dont l’État et les collectivités pourront récupérer une partie. Bref, gardons-nous des réflexes jacobins qui peuvent se révéler dépassés dans le contexte actuel.

M. Alain Richard, sénateur. C’est la France qui inventé le régime de la concession il y a près de deux cents ans !

M. Pascal Durand, député européen. Elle a eu raison de le faire, car cela a donné de bons résultats dans de multiples domaines. Mais aujourd’hui, force est de constater que nous devons faire évoluer nos pratiques et nous efforcer de trouver de nouvelles formes de financement, notamment par la mise en place d’investissements à la fois publics et privés. Je ne suis pas très optimiste sur les « eurobonds », puisque Pierre Moscovici, interrogé à ce sujet alors qu’il n’était pas encore commissaire européen, a eu l’honnêteté de répondre très clairement que s’il y avait été favorable en tant que ministre – socialiste – de l’économie française, il y serait défavorable dans le cadre de ses nouvelles fonctions, une telle pratique ne correspondant pas à la logique actuellement portée par l’Europe.

Mme Françoise Grossetête, députée européenne. Nous nous interrogeons tous sur le financement des 300 milliards d’euros sur trois ans, et rien n’a filtré sur ce point jusqu’à présent : lors des auditions auxquelles nous avons procédé, il est apparu très clairement que les commissaires européens interrogés sur ce point avaient tous reçu la même consigne, consistant à ne rien dire. La semaine dernière, Jean-Claude Juncker a confié au commissaire Katainen la responsabilité de préparer son projet, qui doit être présenté avant la fin de l’année, il ne nous reste qu’à espérer qu’il contient de bonnes idées. Il a également souligné le caractère essentiel de l’investissement privé, un sujet sur lequel je crois que nous aurons un gros problème à surmonter, à savoir le fait que les investisseurs ne viennent plus en Europe, ce qui inclut évidemment la France. Toute la question est donc de savoir comment s’y prendre pour faire revenir ces investisseurs dont nous avons besoin, ce qui, à mon sens, se fera en créant un climat de nature à restaurer leur confiance.

M. Juncker a affirmé que l’investissement ne devait pas être fondé sur la dette publique, ce qui est logique, compte tenu de la nécessité de réduire la dette. La relance doit donc s’obtenir au moyen d’un triptyque composé de réformes structurelles, du maintien de la crédibilité budgétaire, et des investissements dont nous parlons.

Vous avez évoqué, madame la présidente, la taxe sur les transactions financières et la taxe carbone aux frontières. Le sujet a déjà été abondamment évoqué au cours du précédent mandat, et nous savons que les Allemands sont très opposés à tout projet de nouvelle taxe.

La Présidente Danielle Auroi. Ils ont un peu évolué au sujet de la taxe sur les transactions financières.

Mme Françoise Grossetête, députée européenne. Oui, mais il sera plus difficile de les faire changer d’avis au sujet de la taxe carbone aux frontières, car une telle taxe nécessite que l’on pèse sur la Chine, ce qui risque d’impacter les exportations allemandes.

En tout état de cause, je pense qu’il serait bon que nous nous revoyions en début d’année prochaine, une fois que nous aurons pris connaissance des propositions de M. Juncker et M. Katainen relatives au plan de relance de 300 milliards d’euros.

La Présidente Danielle Auroi. Je vais maintenant confier au président Bizet la lourde tâche de conclure ce débat.

Le Président Jean Bizet. J’estime que nous devons également attendre de prendre connaissance du rapport confié à Jean Pisani-Ferry et à Henrik Enderlein, qui contiendra certainement des propositions très intéressantes. Tout le monde s’inquiète de l’origine des 300 milliards d’euros, une somme d’autant plus considérable qu’elle est censée s’ajouter aux fonds structurels d’un montant sensiblement équivalent. Pour ma part, je crains tout de même, comme Alain Richard, que l’on n’échappe pas à un recyclage. L’idée selon laquelle l’argent public doit servir de levier pour dégager des investissements privés se répand de plus en plus largement, et je me félicite de voir cette idée innovante commencer à s’imposer. Même s’il est généralement un peu plus cher au début, le partenariat public-privé permet de faire avancer les choses un peu plus vite.

Je suis tout à fait d’accord avec Alain Richard et Gilles Savary sur la nécessité de s’orienter le plus vite possible vers des technologies déjà au point. Partir du début, c’est-à-dire de la R&D fondamentale, pour ensuite définir des projets servant de débouchés aux avancées technologiques obtenues, constitue un processus demandant trop de temps : nous devons privilégier des programmes intégrés dans des domaines d’avenir. Je me félicite également de cette avancée considérable – acquise notamment grâce à l’opiniâtreté du commissaire Barnier – que constitue le brevet communautaire, dont nous disposons enfin après trente ans d’efforts.

Si l’on s’inspire de ce qui se passe aux États-Unis, on peut noter trois choses. Premièrement, le prix de l’énergie reste une donnée fondamentale, et force est de constater que l’exploitation du gaz de schiste a permis de le faire baisser outre-Atlantique. J’ai relevé, dans mon rapport relatif à la coopération énergétique franco-allemande que j’appelle de mes vœux, que sur les 12 milliards d’euros investis au cours des deux dernières années par l’industrie chimique allemande, 10 milliards d’euros ont été mobilisés à l’étranger – pour une bonne part aux États-Unis.

Deuxièmement, en ce qui concerne le financement des investissements, on constate une dichotomie totale entre le financement des entreprises aux États-Unis et celui qui se fait en Europe. Si aux États-Unis, c’est au moyen du marché boursier que les choses se font, en France, c’est en passant par les banques. Or, depuis la crise de 2008 et la faillite de Lehman Brothers, de nouvelles règles prudentielles sont apparues, notamment sous la forme d’une obligation de 20 % de sécurisatio qui conduisent les banques à ne plus prêter – ce qui explique en grande partie la chute de 500 milliards d’euros du niveau d’investissement –, ainsi que par une pénalisation par la Banque centrale européenne des fonds prêtés par les banques nationales. En résumé, les règles de sécurisation qui s’appliquent en matière bancaire ont pour effet de freiner les investissements réalisés en passant par les banques : on notera d’ailleurs que les États-Unis se sont bien gardés de s’appliquer à eux-mêmes les normes Bâle II et Bâle III, qu’ils ont imposées à l’Europe. Ne soyons donc pas naïfs sur ce point, et prenons conscience du fait que nous sommes parfois desservis, sur le plan économique, par des règles nous imposant un comportement vertueux auquel nous sommes seuls à nous astreindre. De ce point de vue, ce qui est vrai en matière de financement l’est aussi en ce qui concerne la politique agricole commune, où les Européens s’efforcent d’ajuster leur production à la demande dans le cadre d’une politique de quotas, tandis que les Américains, eux, s’en tiennent à une logique de production et de revenus garantis.

Troisièmement, enfin, il est permis de se demander si l’application du principe de précaution – dont j’ai été, je le reconnais, le rapporteur – ne va pas un peu trop loin. Comme je l’avais confusément senti dès le départ, ce principe s’est révélé avoir pour effet de nous maintenir dans une posture d’inaction. Si le principe de précaution, inscrit dans la Constitution, n’a pas à être remis en cause, j’ai lancé, avec quelques-uns de mes collègues, un principe d’innovation ayant pour but de contrebalancer l’aspect négatif de ses effets dans l’esprit de nos concitoyens.

La Présidente Danielle Auroi. Je remercie chacun d’entre vous pour la qualité de vos interventions et les échanges extrêmement riches que nous avons pu avoir. Nous allons travailler dès maintenant à l’élaboration de propositions portant sur la première partie de notre débat, à savoir le paquet énergie-climat, et nous nous reverrons prochainement pour évoquer des sujets complémentaires.

La séance est levée à 19 h 50

Membres présents ou excusés

Commission des affaires européennes

Réunion du mardi 28 octobre 2014 à 18 heures

Présents. - Mme Danielle Auroi, M. Jean-Jacques Bridey, M. Yves Daniel, M. William Dumas, Mme Marie-Louise Fort, M. Pierre Lequiller, M. Arnaud Leroy, M. Michel Piron, M. Gilles Savary, M. André Schneider

Excusés. - M. Bernard Deflesselles, M. Laurent Kalinowski, M. Lionnel Luca, M. Rémi Pauvros, Mme Sophie Rohfritsch

Assistaient également à la réunion. - M. Jean Bizet, M. Philippe Bonnecarrère, M. René Danesi, M. Pascal Durand, Mme Françoise Grossetête, M. Didier Marie, M. Yves Pozzo di Borgo, M. André Reichardt, M. Alain Richard, Mme Virginie Rozière, M. Richard Yung