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Commission des affaires européennes

Mercredi 18 février 2015

8 h 30

Compte rendu n° 189

Présidence de Mme Danielle Auroi Présidente

Audition de S.E. Mme Sanita Pavļuta-Deslandes, ambassadrice de Lettonie, sur les priorités de la présidence lettone de l’Union européenne

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mercredi 18 février 2015

Présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente de la Commission

La séance est ouverte à 8 h 30

Audition de S.E. Mme Sanita Pavļuta-Deslandes, ambassadrice de Lettonie, sur les priorités de la présidence lettone de l’Union européenne

La Présidente Danielle Auroi. Madame l’ambassadrice, nous sommes très heureux de vous accueillir ce matin. Vous connaissez parfaitement notre pays, non seulement comme diplomate, mais aussi pour y avoir suivi des études, à l’université d’ Aix-Marseille puis à Sciences-Po Paris. Vous êtes aussi très connaisseuse des sujets liés à l’ Union européenne ; vous avez notamment suivi les négociations d’adhésion de votre pays.

Il s’agit principalement pour nous de vous entendre sur les priorités de la présidence lettone.

Pouvez-vous nous indiquer quelle est l’approche de la présidence à propos des questions d’investissement et du plan Juncker ? Quels sont les objectifs de la présidence dans ce domaine ? Comment la priorité de la transition écologique s’intègre-t-elle dans cette démarche ?

Quelles sont les priorités de la présidence lettone en ce qui concerne le projet d’Union de l’énergie, que la Commission européenne présentera bientôt ? Quelles seront les étapes clés en matière de négociations climatiques d’ici à la fin juin ?

Notre Commission s’est prononcée à plusieurs reprises pour la mise en place d’une politique industrielle européenne. Pensez-vous que nous puissions avancer sur ce sujet, également présenté comme une priorité par le Président Juncker ?

En ce qui concerne le paquet ferroviaire, pensez-vous que nous puissions avancer vers un accord, notamment à propos du sujet sensible de la gouvernance ?

Le large chantier de l’harmonisation fiscale est une priorité. Peut-on espérer voir avancer la discussion relative à l’harmonisation de l’assiette de l’impôt sur les sociétés ?

Le programme de la présidence lettone souligne enfin que « l’Union européenne doit jouer un rôle global et actif sur la scène mondiale ». Pouvez-vous nous indiquer vos priorités dans ce domaine, s’agissant notamment des questions relatives à la politique commerciale – partenariat transatlantique, accord avec le Canada – , de la politique de développement, de la politique de voisinage avec les pays d’Europe de l’Est, incluant la question particulière de l’Ukraine, mais aussi avec le Sud, de la montée en puissance de la politique européenne de défense et de la poursuite de l’élargissement, en direction des Balkans et de la Turquie ?

Mme Sanita Pavļuta-Deslandes, ambassadrice de Lettonie. La Lettonie a effectivement l’honneur d’assurer, pour la première fois, la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne. Certains disent qu’un pays n’ayant pas encore occupé cette charge ne peut connaitre l’Union dans ses rouages les plus fins. Cependant, plus de dix ans après notre adhésion – deux élargissements ont eu lieu depuis – , nous n’apprécions guère que notre pays soit encore considéré comme un nouvel État membre. Nous avons en outre intégré la zone euro il y a un an, ce qui nous met en situation de participer à tous les débats. Les « petites présidences » sont souvent les plus efficaces ; nous espérons que la nôtre le sera tout autant que les dernières.

Nous arrivons avec un certain nombre d’ambitions mais aussi beaucoup de modestie. La présidence tournante intervient dans un cadre auquel nous ne pouvons échapper : nous ne traiterons donc pas uniquement des dossiers importants pour la Lettonie. Une présidence s’inscrit tout d’abord dans un trio – en l’occurrence, avec l’Italie et le Luxembourg – , portant un programme de travail commun. En dépit d’une présidence difficile, en plein changements institutionnels, l’Italie a réussi à faire adopter un certain nombre de décisions importantes. Il nous faut en outre tenir compte du programme de travail que la Commission Juncker vient de définir pour les cinq années à venir, ainsi que des orientations stratégiques adoptées par le Conseil européen de juin dernier.

Enfin, l’actualité impose toujours de corriger les priorités définies initialement. Ainsi, les événements tragiques de Paris et de Copenhague font de la sécurité et de la lutte contre le terrorisme des enjeux primordiaux pour les gouvernements et les populations. Ces enjeux, déjà identifiés par la présidence, sont devenus prioritaires et ont déjà fait l’objet de plusieurs concertations. Une première réunion a eu lieu à Paris, immédiatement après les attentats, à l’initiative de M. Bernard Cazeneuve. Elle a été suivie, le 29 janvier, à Riga, d’un conseil informel réunissant les ministres de l’intérieur et de la justice. Plus récemment, le Conseil européen informel du 12 février a également abordé ces sujets décisifs. Nous avons prévu de conduire une révision de la stratégie de sécurité intérieure pour l’Union européenne, s’appuyant sur diverses initiatives relatives à la lutte contre la radicalisation et au renforcement de la coopération judiciaire et policière entre les États comme avec les pays tiers.

Nos priorités se déclinent effectivement selon trois grands ensembles : compétitivité, numérique et politique extérieure.

S’agissant de la compétitivité, après plusieurs années de crise, qui ont affecté tous les États membres, nous avons besoin de retrouver le chemin de la croissance économique et de développer l’emploi et cela passe par un large éventail d’actions.

Le plan Juncker, dont les premières orientations ont été présentées début janvier, suscite beaucoup d’attentes. Il s’agit d’injecter 315 milliards d’euros dans l’économie européenne, notamment à travers de prêts, dans l’idée de créer un effet de levier et de relancer l’investissement public et privé en faveur de grands projets d’infrastructures. Et cette relance de l’investissement devrait stimuler l’emploi. Le rôle de la présidence lettone sera d’abord de trouver des compromis pour faire avancer le dossier. Le plan Juncker, projet de court terme prévu pour s’étaler sur seulement trois ans, doit être opérationnel au plus vite. Notre objectif est donc de parvenir à un accord sur les modalités de sa mise en œuvre – schéma des financements, sélection des projets, gouvernance des programmes – d’ici à la fin de notre présidence, c’est-à-dire en juin au plus tard.

Par ailleurs, la stratégie Europe 2020 doit classiquement faire l’objet d’une révision à mi-parcours.

Cinq ans après la mise en place du semestre européen, nous devons aussi tirer les leçons du processus et examiner les moyens d’améliorer son efficacité. Il faut faire comprendre aux États membres que cet outil ne se résume pas à une contrainte mais constitue une aide aux États membres pour qu’ils puissent atteindre leurs objectifs. À cet effet, il convient d’impliquer davantage les parlements nationaux afin qu’ils s’approprient l’exercice.

En ce qui concerne l’Union économique et monétaire, notre présidence ne sera pas révolutionnaire : elle s’efforcera de mettre en application les décisions prises en réponse à la crise de la zone euro, à travers le six-pack, le two-pack et l’union bancaire. Il s’agit désormais de faire bien fonctionner les dispositifs adoptés et, si nécessaire, de les adapter. Le deuxième rapport des quatre présidents est attendu pour le mois de juin mais des discussions auront sans doute lieu lors du conseil Écofin et entre les chefs d’État et de gouvernement.

La compétitivité comprend aussi – vous l’avez mentionné à juste titre, madame la Présidente – le volet énergie-climat.

En ce qui concerne l’énergie, nous avons des ambitions fortes. Malgré les efforts entrepris ces dernières années pour établir une politique énergétique commune, il n’existe pas d’Union de l’énergie : vingt-huit marchés énergétiques demeurent en Europe. Une politique commune en la matière est pourtant essentielle, pour des motifs ayant trait à la sécurité, à l’écologie et aussi à la compétitivité économique.

Le 6 février, à Riga, la Commission européenne a présenté la première ébauche de sa proposition d’Union de l’énergie, qui devrait être déposée très bientôt, afin de faire l’objet d’une discussion lors du conseil Transport, télécommunications et énergie puis d’une décision formelle lors du Conseil européen de mars. Les ministres chargés de l’énergie pourraient ainsi parvenir à des conclusions sur les éléments concrets de cette Union de l’énergie dès le mois de juin. Cet exercice sera baptisé « processus de Riga », conformément à l’usage voulant que chaque présidence laisse son nom. Sans entrer dans les détails, l’Union de l’énergie couvrira les questions d’approvisionnement, d’efficacité énergétique, d’interconnexions et de diplomatie énergétique. La question de l’efficacité énergétique est liée à celle de la sécurité d’approvisionnement car une consommation soutenue entraîne une demande importante et par conséquent une dépendance forte aux approvisionnements extérieurs à l’Union européenne. L’interconnexion entre les réseaux européens est en phase avec l’objectif de compétitivité qui sous-tend le plan Juncker. Quant à une diplomatie énergétique commune, elle permettrait aux États membres de négocier ensemble avec les pays fournisseurs pour obtenir des prix plus bas, dans l’intérêt des consommateurs.

Pour ce qui concerne le climat, le rôle de la présidence tournante est relativement limité par rapport à celui que jouera la France – pays hôte de la Conférence Paris Climat 2015 – et la Commission européenne. Notre tâche consistera à faire en sorte de parvenir à un consensus entre États membres sur la position de l’Union européenne, en amont de cette conférence. Des réunions préparatoires sont organisées à cet effet : une première s’est tenue à Genève la semaine dernière et la prochaine est prévue à Bonn. La Présidence lettone mettra bien entendu tout en œuvre pour parvenir à présenter une position commune mais ce ne sera évident. En effet, les Vingt-huit ont d’ores et déjà adopté des objectifs communs sous la présidence italienne, mais sans pour autant se mettre d’accord sur la répartition de la charge, point qui suscite le plus de difficultés. Mais je ne m’avancerai pas davantage à ce sujet car nous attendons la proposition de la Commission européenne.

La politique industrielle européenne comporte de nombreux volets. Elle est d’abord liée à l’accomplissement du marché unique, qui ne fonctionne pas parfaitement. Des barrières existent en effet toujours au sein du marché européen, au détriment des PME, qui éprouvent des difficultés de financement dommageables à leurs activités transfrontalières, mais aussi des secteurs services et du numérique. Sur ces questions, la présidence porte les actes législatifs qui sont d’ores et déjà en débat en débat.

Soyez assurés que nous ferons avancer au mieux tous les aspects constitutifs de cette première grande priorité, sans chercher à défendre notre intérêt mais bien pour parvenir à des compromis, même sur les dossiers qui nous déplaisent.

Notre deuxième grande priorité, très étroitement liée à la première, est le numérique, que nous jugeons – ce n’est d’ailleurs pas original – essentiel pour l’avenir de l’économie européenne. Il n’existe pas de marché unique du numérique en Europe.

Nous voulons porter ce sujet, qui va bien au-delà d’Internet, en commençant par le paquet télécoms. Ce dossier compliqué est en discussion depuis longtemps et il faut maintenant qu’il avance – le paquet contient d’ailleurs des éléments qui ne nous conviennent pas mais nous les traiterons tout de même. Les intérêts divergent, non seulement entre États membres mais aussi entre opérateurs et consommateurs. L’enjeu est de faire émerger des opérateurs forts, suffisamment grands pour investir et nous assurer des services de très haute qualité. Cela nécessite des financements et la possibilité d’accéder à une taille critique, donc une règlementation qui ne fasse pas obstacle à la réalisation de cet objectif. D’un autre côté, le prix à acquitter par le consommateur doit être raisonnable. Ces deux enjeux ne sont pas simples à combiner et, ces derniers mois, les négociations se sont enlisées. La Lettonie a mis sur la table une nouvelle tentative de compromis et espère que des progrès auront lieu avant la fin de sa présidence, tout en sachant qu’il sera impossible de faire aboutir les négociations d’ici là.

De nombreux autres chantiers doivent être poursuivis.

La question du contenu est soulevée : certains contenus peuvent être achetés légalement en France mais ne pas être accessibles de l’autre côté de la frontière.

Une proposition de directive sur la sécurité des réseaux est en cours d’examen. Cet aspect est très important aussi au regard de la lutte contre le terrorisme et de notre sécurité intérieure. Une attaque contre nos réseaux numériques, essentiels pour le fonctionnement de nos pays, aurait des conséquences très graves.

Dans le champ du numérique, je pense aussi à la question de la confiance et donc de la protection des données. Pour que le numérique puisse fonctionner et porter nos économies, il faut que les utilisateurs aient confiance dans ces services et donc qu’ils aient l’assurance que leurs données personnelles ou bancaires sont protégées. Il en va de même pour les entreprises, qui ne développeront leurs services en ligne que si elles ont confiance.

Le numérique dit « par défaut » – à savoir les services rendus par les gouvernements ou les services publics – pose des questions de comptabilité et d’accès par les populations. Le niveau de développement diffère entre États membres. Il y a donc de nombreux chantiers.

Nous attendons une proposition de la Commission européenne tendant à créer un cadre afin de mettre en œuvre l’Union numérique – ce qui porte donc à deux le nombre d’unions que nous voulons mettre en place durant notre présidence.

Enfin, nous organiserons, en juin, la deuxième édition de l’Assemblée digitale européenne – la première s’était tenue il y a deux ans, sous la présidence irlandaise. Ce grand forum réunit non seulement les États membres et les décideurs mais également le secteur privé – opérateurs, ONG et autres parties prenantes du secteur – pour débattre de l’avenir numérique de l’Europe.

Un sommet du Partenariat oriental sera organisé. Nous sommes très heureux qu’il se déroule sous notre présidence, même si nous y sommes pour rien, car son organisation a été décidée de longue date.

Je tiens à souligner que nous ne préoccupons pas uniquement des voisins de l’Est : les pays du Sud ne sont pas oubliés, la Politique européenne de voisinage les concerne tous au même titre, même si certains États membres ont plus d’affinité avec les uns ou les autres.

La situation dans le monde a changé, surtout en Europe orientale. Le sommet de Riga sera l’occasion de faire le point sur ce qui a été réalisé en deux ans, depuis le sommet précédent. Trois accords d’association ont été signés et sont en cours de ratification – la France n’aura d’ailleurs vraisemblablement pas le temps d’achever le processus d’ici au mois de mai – , et des mesures intérimaires positives sont déjà en application.

Le Partenariat oriental est de nature à répondre aux attentes diverses des six pays concernés. C’est une politique importante, elle doit continuer et proposer des offres adaptées aux besoins de chacun : certains veulent une coopération politique plus poussée tandis que d’autres ne le souhaitent pas, ce qui ne signifie pas que nous ne pouvons pas travailler ensemble.

La question de la mobilité est également importante. Un processus de facilitation des visas est enclenché, de manière plus ou moins avancée selon les partenaires. Cela permettra de développer les contacts entre les sociétés civiles, essentiels pour pousser les réformes. La démocratie ne s’impose pas de l’extérieur ; c’est à chaque pays de l’importer par ses propres moyens, avec notre soutien.

Les médias sont également un thème important. Une conférence a déjà été organisée à ce sujet avec les pays du Partenariat oriental.

Le Partenariat oriental ne doit pas être une politique de division – cela n’a du reste jamais été le cas, même si certains l’ont présenté ainsi. J’ajoute que la présidence lettonne n’est pas une présidence antirusse – je le souligne à chacune de mes présentations au nom de la Lettonie. En effet, affirmer que les pays baltes et la Pologne sont contre les Russes est totalement faux. Nous avons besoin que la Russie soit démocratique, prospère et stable, car nous sommes les premiers à en profiter et nous sommes les premiers inquiétés dans le cas contraire.

Nous avons mis un autre sujet en avant, en phase avec le calendrier de l’Union européenne : la révision de la politique européenne vis-à-vis de l’Asie centrale, région stratégique du point de vue de la sécurité comme des échanges commerciaux, compte tenu de sa proximité avec l’Afghanistan et avec la Chine. Les États membres sont d’accord sur trois thèmes de travail : la sécurité, le développement durable – surtout les domaines des transports et de l’environnement – et l’éducation.

Au sujet du Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (TTIP), c’est la Commission européenne qui négocie et ce sont les États membres qui donnent le mandat ; notre rôle consiste donc à faire en sorte que les Vingt-huit puissent s’accorder sur un mandat. Nous ferons notre possible pour que les négociations avancent mais toutes les inquiétudes doivent être prises en compte. La Commission européenne a produit une publication sur la manière dont il faut communiquer sur le sujet.

Plus généralement, l’ensemble des questions de commerce extérieur relèvent de la compétence de la Commission européenne, mais la présidence lettone l’assiste et pousse son action.

La présidence lettonne ne prendra pas d’initiative révolutionnaire à propos de l’immigration car un certain nombre de décisions viennent d’être prise, sous la présidence italienne, et il nous semble préférable de les mettre en œuvre plutôt que d’en prendre de nouvelles. Les moyens sont là, il faut désormais agir.

Mme Isabelle Bruneau. Des chantiers sont ouverts, au niveau international, sur les questions d’harmonisation fiscale, notamment à propos de l’érosion des bases et du transfert des bénéfices (BEPS), en vue d’apporter des solutions aux pratiques d’optimisation fiscale des entreprises multinationales. Les principaux objectifs sont l’amélioration de la transparence, la rénovation des règles de répartition des bénéfices et la lutte contre les situations abusives et les effets dommageables des régimes fiscaux préférentiels. Par lettre conjointe du 28 novembre 2014, l’Allemagne, l’Italie et la France ont adressé à la Commission européenne une demande pour relayer ces mesures au niveau européen.

Pensez-vous que la constitution d’une assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS) puisse être mise en place à l’échelle de l’Union européenne ou bien s’achemine-t-on plutôt vers une coopération renforcée ?

M. Michel Herbillon. Parmi les nombreuses priorités que vous avez exposées, certaines sont peut-être plus prioritaires, comme la sécurité et la lutte contre le terrorisme. À l’issue du semestre, quelles réalisations vous permettraient de dire que votre présidence aura été réussie ? Au-delà de ce semestre particulier, après une décennie d’appartenance de la Lettonie à l’Union européenne, quels vous paraissent être les key factors for success pour qu’une présidence soit réussie ?

La zone euro est mise en cause – la question s’invite régulièrement dans l’actualité, notamment en ce moment, avec la crise grecque. Votre pays a adopté l’euro il y a un an. En tant que pays membre et en tant que pays président, quelle est votre vision du fonctionnement de l’Eurogroupe ? Quelles réformes vous paraissent nécessaires pour l’améliorer ?

M. William Dumas. La première priorité est effectivement la sécurité et la lutte contre le terrorisme. Vous avez aussi évoqué le numérique, la protection des données, l’accès de la population au numérique, chantier énorme et potentiellement créateur d’emplois.

Nous parlons aussi beaucoup d’une Europe engagée, qui pourrait jouer un rôle sur la scène mondiale ; c’est le serpent de mer de l’Europe de la défense. Des conflits se développent aux portes de l’Europe, notamment en Ukraine. Nous savons aussi ce que coûte à la France son engagement dans la lutte contre le terrorisme, en Mali ou en Centrafrique. Or l’Europe est absente et c’est notre pays qui investit le plus. Compte tenu des difficultés économiques, il faudrait que l’Union se penche sur l’Europe de la défense.

La Présidente Danielle Auroi. J’ajoute pour votre information, madame l’ambassadrice, que l’Assemblée nationale a créé un groupe de travail relatif à la proximité orientale, commun à la Commission des affaires européennes, à la Commission des affaires étrangères et à la Commission de la défense nationale et des forces armées, de façon à être le plus réactive possible sur toutes ces questions.

Mme Sanita Pavļuta-Deslandes. Madame Bruneau, votre question montre que vous connaissez presque mieux que moi les actes législatifs en négociation entre les États membres et le Parlement européen en matière d’harmonisation fiscale ! Le projet BEPS, porté par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), constitue un enjeu majeur pour tous les États membres de l’Union européenne. Je ne me fais donc pas trop de soucis sur sa capacité à avancer mais ce ne sera pas terminé à la fin de notre présidence.

Nous espérons que le groupe de travail ad hoc sur l’ACCIS avancera suffisamment pour que nous puissions organiser une discussion à ce propos entre les ministres lors du conseil Écofin de mai.

Monsieur Herbillon, toutes les présidences ont réussi – certaines plus que d’autres, tout est question de communication. Il est difficile de juger et de comparer, d’autant qu’elles interviennent à des stades différents des législatures. Je vous donnerai deux exemples opposés : nos voisins lituaniens ont présidé à la fin d’une législature et ont donc pu donner le coup de tampon final à une énorme liste d’actes législatifs, adoptés sous leur présidence grâce au travail effectué auparavant ; les Italiens, au contraire, ont présidé en début de législature. Nous pourrons dire que notre présidence est réussie à condition d’avoir été en mesure d’apporter des réponses et de faire adopter des décisions communes sur des sujets d’importance évidente, que j’ai évoqués.

La sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme n’appellent pas un travail de court terme. Nous partageons des valeurs, par exemple sur la liberté d’expression, comme l’ont exprimé dans une déclaration, le jour même de la manifestation à Paris, les ministres de la culture des Vingt-huit. Après le travail effectué depuis janvier, dans les différentes formations du Conseil comme au Conseil européen, les choses sont claires, nous savons ce que nous devons faire : chacun a conscience de l’urgence et nous pourrons certainement débloquer des dossiers, comme celui du PNR, même si les cartes sont entre les mains du Parlement européen plutôt qu’entre celles de la présidence – mais nous sommes évidemment en contact avec lui.

Si nous arrivons à nous mettre d’accord sur ces grands thèmes, à lancer l’Union de l’énergie et à avancer sur le numérique, beaucoup de choses auront été faites.

Une présidence réussie est aussi une présidence exempte de couacs, durant laquelle le travail des Européens s’effectue tranquillement, efficacement et sans retard. À cet égard, nous sommes bien partis – et nous avons la réputation d’être généralement plutôt en avance qu’en retard – mais nous restons dépendants de la Commission européenne et des autres États membres, qui peuvent ne pas être prêts à bouger.

En ce qui concerne la zone euro, nous partageons le diagnostic français : nous disposons d’une monnaie commune mais il n’existe pas de politique économique commune et nous avons besoin de plus de coordination. Quand nous nous mettons d’accord sur quelque chose, il est important que nous respections la décision prise. Malgré l’austérité que nous avons appliquée dans notre pays, nous ne sommes pas donneurs de leçon, mais nous sommes attachés au respect des décisions prises.

Monsieur Dumas, le Conseil européen de décembre 2013 avait donné lieu à un débat approfondi à propos de la politique de défense commune. Un certain nombre de tâches à accomplir avaient été fixées et réparties entre les États membres et les institutions européennes, et il était prévu de faire le point en juin 2015, c’est-à-dire sous notre présidence. Énormément de dossiers urgents se bousculent mais l’agenda est fixé par le président du Conseil européen, M. Tusk ; il est possible que cela se passe finalement sous la présidence luxembourgeoise.

S’agissant du contenu de la politique de défense, il est vrai que la France fait beaucoup mais n’oublions pas non plus ce que font les autres pays européens. Votre pays est effectivement le premier à intervenir sur les points chauds de la planète, notamment en Afrique, mais dès qu’il demande du soutien, ce sont les États membres les moins attendus qui répondent présents. La Lettonie, comme ses voisins, est toujours présente au Mali, aux côtés des Français, sur leur demande, car nous sommes conscients que l’Europe toute entière est concernée. Nous sommes aussi présents en République centrafricaine, comme d’autres pays de notre voisinage, pas nécessairement les partenaires classiques de la France.

La France, malgré la crise, investit beaucoup dans la défense, vous avez raison. Mais les autres pays sont tout autant confrontés à la crise et en font de même : les États membres de notre région accroissent leurs budgets de la défense. Les enjeux sont de taille mais la réponse qui leur est apportée est partagée, même s’il est vrai que la France a heureusement l’avantage de disposer de moyens militaires complets ; cela lui coûte très cher, mais elle n’est pas la seule.

La Présidente Danielle Auroi. Pour faire avancer l’Europe de la défense, il serait peut-être intéressant de dresser un état comparatif des dépenses engagées par chaque État membre, notamment par la France, largement impliquée dans la protection des frontières de l’Union européenne. Mais je vous rejoins en ce qui concerne la participation des pays baltes, aux côtés de la France ; certains États membres se montrent moins allants !

Mme Sanita Pavļuta-Deslandes. Il existe une certaine pression par les pairs, qui fait progresser la prise de conscience de ce qui se passe dans le monde.

La Présidente Danielle Auroi. Je vous remercie d’avoir été claire, rapide et efficace, en vous exprimant de surcroît dans un français plus que parfait. J’espère que nous aurons d’autres occasions de travailler ensemble ; peut-être ferons-nous appel à votre expertise sur l’un des nombreux sujets travaux ouverts pendant la présidence lettone.

La séance est levée à 9 h 20

Membres présents ou excusés

Commission des affaires européennes

Réunion du mercredi 18 février 2015 à 8 h 30