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Commission des affaires européennes

mardi 26 mai 2015

17 heures

Compte rendu n° 209

Présidence de Mme Danielle Auroi Présidente, puis de M. Christophe Caresche, vice-Président

I. Audition de M. Harlem Désir, Secrétaire d’État aux Affaires européennes, sur la politique migratoire européenne et la préparation du Conseil européen des 25 et 26 juin 2015 

II. Examen de la proposition de résolution européenne (no 2716), appelant à une coordination des politiques européennes en matière de prévention et de lutte contre le tabac, présentée par M. Philip Cordery, Mmes et MM. Bruno Le Roux, Rémi Pauvros, Audrey Linkenheld, Jacques Cresta, Michèle Delaunay, Frédéric Barbier, Catherine Lemorton et les membres du groupe socialiste, républicain et citoyen et apparentés 

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mardi 26 mai 2015

Présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente de la Commission

La séance est ouverte à 17 heures

I. Audition de M. Harlem Désir, Secrétaire d’État aux Affaires européennes, sur la politique migratoire européenne et la préparation du Conseil européen des 25 et 26 juin 2015 

La Présidente Danielle Auroi. Je tiens tout d’abord à vous remercier, monsieur le secrétaire d’État, d’avoir répondu tout de suite positivement au souhait que j’ai exprimé auprès de vous la semaine dernière d’organiser cette audition sur l’actualité européenne, notamment sur les questions migratoires : je pense plus particulièrement à la décision prise par les ministres des affaires étrangères et de la défense, le lundi 18 mai, d’engager « une opération militaire de l’Union dans la partie sud de la Méditerranée centrale ».

Il me semble en effet très important pour notre commission de pouvoir être informée aussi rapidement que possible par le Gouvernement de l’évolution de l’actualité, et de pouvoir organiser un débat sur les principales décisions prises par le Conseil, au travers d’une audition, laquelle permet un vrai échange au-delà de la transmission formelle des projets d’actes. Cette transmission des textes est en effet, en matière de politique étrangère et de sécurité commune, le plus souvent contrainte par des délais extrêmement serrés qui ne permettent pas de réunir la Commission, et donc de procéder à un examen au fond.

Outre les questions migratoires, nous pourrons évoquer la préparation du Conseil européen des 25 et 26 juin, qui devrait faire l’objet d’une séance de questions européennes le mercredi 24.

S’agissant des questions migratoires, je tiens tout d’abord à faire le point sur le plan de sauvetage en Méditerranée.

Des vies semblent avoir été épargnées depuis un mois, même si des événements tragiques se produisent toujours en Méditerranée. Qu’en est-il exactement ? L’opération humanitaire d’urgence est-elle un succès ? Quels autres moyens humains et matériels sont mobilisés par le Gouvernement dans le cadre de l’opération Triton et Poséidon ? Quel est l’ensemble des missions remplies par les effectifs français ? Je rappelle que l’Italie et la Grèce doivent être soutenues par la France. J’ai reçu la semaine dernière le ministre grec chargé de l’environnement : il s’interrogeait sur ce soutien.

S’agissant de l’opération navale destinée à démanteler le trafic de personnes en Méditerranée, comment le Gouvernement compte-t-il s’assurer qu’elle ne mobilisera pas des moyens actuellement dédiés au sauvetage des vies en mer ? Un grand nombre d’organisations non gouvernementales nous ont fait part de leur inquiétude en la matière.

Par ailleurs, quelles garanties le Gouvernement peut-il apporter pour que ces opérations assurent la protection pleine et entière des civils ?

Je souhaite également évoquer plus largement la position du Gouvernement sur l’« Agenda européen en matière de migration », présenté le 13 mai par la Commission européenne pour répondre à la situation de crise en Méditerranée. La Commission a présenté ces propositions notamment à la suite du Conseil européen extraordinaire du 23 avril dernier, qui a été convoqué après plusieurs tragédies en Méditerranée. Le Conseil européen a souligné l’importance d’une plus grande solidarité européenne dans ce domaine, ce que nous approuvons pleinement, et a indiqué pour priorité immédiate « que plus personne ne meure en mer ».

L’agenda proposé par la Commission comporte à la fois, je le rappelle, les éléments d’une action immédiate – triplement des ressources disponibles pour les opérations Triton, mise en place d’un mécanisme de répartition dans l’Union des personnes ayant besoin d’une protection internationale, programme de réinstallation des réfugiés et opération de démantèlement des réseaux de passeurs – et, pour l’avenir, des orientations prioritaires pour une meilleure gestion des migrations.

Les réactions de la France à l’agenda des migrations proposé par la Commission – réactions centrées autour du mot « quotas » – ont suscité le trouble : c’est pourquoi je serais heureuse, monsieur le secrétaire d’État, que vous puissiez exposer à notre commission la position exacte de la France sur le sujet.

En effet, si la France s’est prononcée contre la proposition de la Commission européenne de mettre en place des quotas de migrants, elle est toutefois favorable à la mise en place d’un mécanisme de « répartition solidaire » des demandeurs d’asile dans l’Union européenne. Le Gouvernement peut-il indiquer les critères d’identification des personnes « en besoin manifeste de protection » qui relèveront de ce mécanisme de répartition d’urgence ?

L’évaluation se fera-t-elle par nationalité ? Si oui, quelles seront les nationalités concernées – je pense à la proposition du Président de la République d’accueillir 500 à 700 réfugiés de plus dans les prochains mois : Syriens, Érythréens, Somaliens ou Soudanais ?

Pour ce qui est du mécanisme de réinstallation envisagé par la Commission européenne et qui concerne les apatrides et les personnes déplacés ayant besoin d’une protection internationale au sens du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), le Gouvernement est-il favorable à ce mécanisme contraignant de réinstallation à l’échelle européenne, lequel devrait essentiellement concerner les Syriens ?

Outre les questions migratoires, je souhaiterais aborder la préparation du Conseil européen des 25 et 26 juin prochain, où seront bien sûr évoqués notamment les sujets de l’actualité économique et financière.

Pouvez-vous nous indiquer la position de la France sur les recommandations par pays émises par la Commission européenne et l’état des discussions en cours dans le cadre de la procédure pour déficit excessif ? Je tiens à rappeler la position récurrente du Fonds monétaire international (FMI) et celle, récente, de l’ONU, qui a condamné largement la politique de tout austérité proposée par l’Union européenne depuis des années.

L’approfondissement de l’Union économique et monétaire (UEM) est une priorité essentielle pour l’avenir de l’Union et celui de la zone euro : c’est pourquoi notre commission plaide régulièrement en ce sens. Il est notamment indispensable de progresser vers une plus grande convergence fiscale, un budget propre de la zone euro, la mise en place de ressources propres, une mutualisation progressive de la dette et un approfondissement démocratique de l’UEM. Or la taxe sur les transactions financières européennes est toujours en panne. Que peut-on attendre à cet égard du rapport que doivent présenter au Conseil européen les « quatre présidents » – du Conseil européen, de la Commission européenne, de l’Eurogroupe et de la Banque centrale européenne (BCE) ?

En marge de l’ordre du jour du Conseil européen, nous souhaitons également vous entendre sur les négociations menées avec Athènes, alors que la fin du programme en cours approche. Peut-on espérer un accord et éviter le défaut de paiement de la Grèce ?

Enfin, les sujets « défense » figureront-ils effectivement à l’ordre du jour du Conseil européen ? Où en est-on à cet égard ?

M. Harlem Désir, secrétaire d’État aux affaires européennes. Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, votre invitation fait suite à la réunion du conseil des Affaires étrangères du 18 mai, où j’ai représenté le ministre des affaires étrangères. Elle nous permettra de revenir sur les décisions qui ont été prises en relation avec la situation en Méditerranée, décisions qui ont fait également l’objet d’un échange, le lendemain, au cours de la réunion du conseil des Affaires générales. Je tiens enfin à saisir cette occasion pour évoquer devant vous l’ordre du jour de la réunion du Conseil européen du mois de juin, qui a été élaboré lors du conseil des Affaires générales.

L’ampleur de la pression migratoire en Méditerranée appelle une réponse européenne. Les drames qui s’y déroulent sont en effet sans précédent : 3 000 morts l’année dernière, près de 1 600 depuis le début de l’année – ces chiffres ne sont que des estimations. Les raisons qui poussent les migrants sur les routes d’Afrique et du Moyen Orient en direction des côtes méditerranéennes sont connues : elles sont liées aux guerres, notamment de Syrie et d’Irak, ainsi qu’à des situations de dictature, comme en Érythrée, et de façon plus générale aux problèmes de sous-développement et de pauvreté, ainsi qu’à la situation de faillite de certains États : c’est le cas de la Libye, où le contrôle du territoire n’est plus assuré par aucune autorité.

La pression migratoire qui s’exerce sur l’Europe ne cesse de croître : 170 000 arrivées irrégulières dans l’Union européenne en 2014, 76 000 entre janvier et la mi-avril 2015, augmentation de 80 % des demandes d’asile entre mars 2014 et mars 2015.

Une réponse européenne était donc indispensable. C’est pourquoi, à la demande la France et de l’Italie, un Conseil européen extraordinaire s’est tenu le 23 avril : il a permis de définir quatre axes concrets d’actions urgentes, sur la base desquels le travail s’est depuis lors engagé avec, en particulier, la publication par la Commission européenne le 13 mai d’un Agenda européen pour les migrations. Celui-ci, qui était déjà planifié, a tenu compte de la situation d’urgence.

L’Agenda vise tout d’abord à renforcer la présence de l’Union européenne en mer pour répondre à l’urgence humanitaire et mieux surveiller les frontières.

C’est tout l’enjeu du triplement des capacités opérationnelles – nombre d’experts, de bateaux ou d’avions – et des moyens financiers disponibles en 2015 et 2016, pour les opérations Triton et Poséidon conduites dans le cadre de Frontex. La Commission a donc proposé un budget rectificatif permettant de porter à 89 millions d’euros le financement de ces opérations.

La France y prend toute sa part. Nous avons doublé le nombre de nos experts et mis à disposition un navire patrouilleur, un navire remorqueur de haute mer et deux avions de surveillance.

Il convient toutefois d’aller encore plus loin en créant un véritable système européen de gardes-frontières. Aujourd’hui, les moyens sont mutualisés entre notamment les marines italienne, maltaise, britannique, allemande et française. La surveillance des frontières extérieures communes à l’Union européenne se posera de manière durable. Nous avions fait cette demande dès le mois de juin 2014 dans le cadre de la feuille de route que le Conseil européen avait fixée à la Commission : celle-ci a indiqué qu’elle ferait des propositions dans ce domaine.

Il convient ensuite de lutter contre les filières criminelles de passeurs.

L’objectif est d’autoriser des actions dans les eaux non seulement internationales mais également libyennes pour intercepter et neutraliser des embarcations après, voire avant leur utilisation par les trafiquants. Tel est le sens de l’opération EunavforMed menée dans le cadre de a politique de sécurité et de défense commune (PSDC) et pour laquelle un concept de gestion de crise a été adopté le 18 mai par le conseil des Affaires étrangères, en vue de définir le dispositif opérationnel de mise en œuvre de cette opération militaire navale d’identification, d’interception et de mise hors d’état de nuire des bateaux.

Cette opération, pour être réalisée dans le cadre du droit international, nécessite une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies sous le chapitre VII de la charte, intitulé « Action en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d’acte d’agression ». Les négociations ont actuellement lieu à New York où Mme Mogherini, haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, s’est rendue en personne pour exposer les motifs de l’Union européenne devant les membres du Conseil de sécurité. La France et le Royaume-Uni, membres permanents du Conseil, ainsi que d’autres États européens, membres actuels du Conseil, entreprennent les démarches pour obtenir un mandat des Nations unies. Des démarches sont également entreprises auprès des autorités libyennes : si elles n’assurent pas à l’heure actuelle leur autorité sur l’ensemble du territoire de la Libye, ce pays n’en a pas moins un gouvernement reconnu par la communauté internationale. Un représentant spécial du secrétaire général des Nations unies, M. Bernardino Leon, est chargé, en tant que chef de la Mission d’appui des Nations unies en Libye, d’aider les Libyens à recouvrer leur unité, à l’heure où deux gouvernements et deux parlements revendiquent actuellement l’autorité politique.

Il convient également de prévenir les flux irréguliers par le renforcement de la coopération avec les pays tiers d’origine et de transit.

Le Conseil européen a décidé de déployer des officiers de liaison immigration dans les pays tiers clés, de renforcer les capacités des partenaires en matière de recherche et de sauvetage et de lancer des programmes régionaux de développement et de protection en Afrique du Nord et dans la Corne de l’Afrique, avec un financement de 30 millions d’euros pour la période 2015-2016.

Nous voulons par ailleurs mettre en place au Niger, qui est d’accord – M. Cazeneuve, ministre de l’intérieur, s’y est rendu récemment – un centre de prévention des flux et d’aide au retour des migrants irréguliers, en lien avec l’Organisation internationale des migrations et avec le soutien de l’Union européenne. L’objectif est de combiner des actions d’information des migrants, d’identification de ceux qui ont besoin d’une protection internationale, de réinstallation de ceux qui ont effectivement droit à cette protection et de retour pour les autres.

Il faut enfin que l’Europe prenne un double engagement de responsabilité et de solidarité. La responsabilité consiste pour les pays de première arrivée à faire face à leurs obligations en identifiant, parmi les migrants, ceux qui ont vocation à être accueillis au titre de la Convention de Genève et ceux qui doivent être renvoyés, comme migrants illégaux, dans leur pays d’origine ou de transit, au terme d’un accord de réadmission ou suivant les procédures légales de chacun des États membres de l’Union européenne. Les demandes des personnes qui ont vocation à obtenir l’asile doivent être, conformément au règlement de Dublin, instruites sur place, y compris par l’enregistrement de ces personnes. Nous entendons développer une approche commune de la gestion de zone d’attentes situées aux frontières terrestres ou maritimes des États membres de l’Union européenne de première ligne afin de favoriser l’enregistrement et l’identification rapides des migrants et l’examen aussi rapide que possible des demandes d’asile. Nous avons demandé l’aide du Bureau européen d’appui en matière d’asile, qui a la compétence et vise à harmoniser les procédures d’asile dans les différents États membres, pour aider à distinguer ceux qui doivent être accueillis au titre de l’asile de ceux qui n’en relèvent pas. La Commission européenne devrait mobiliser 60 millions d’euros de fonds d’urgence à cet effet.

Le pendant de la responsabilité est la solidarité. On ne saurait laisser les pays de la façade méditerranéenne – Italie, Grèce, Malte – répondre seuls à l’urgence. La solidarité consiste donc à mettre en place un mécanisme de répartition solidaire de l’accueil des réfugiés. L’Europe doit avoir une politique d’asile ; la France, quant à elle, a entrepris de réformer la sienne, comme le font de nombreux autres États membres, pour la rendre plus efficace, notamment en raccourcissant les délais de traitement des demandes. Je rappelle que l’asile est un droit attribué à une personne selon des critères internationaux, contenus dans la Convention de Genève, appliqués par tous les États membres de l’Union européenne à raison des risques que cette personne encourt dans le pays qu’elle a fui. C’est la raison pour laquelle le nombre de ses bénéficiaires ne saurait faire l’objet de quotas. Pour la France, la répartition des réfugiés entre les États membres doit se faire de façon plus équitable et solidaire. Cinq États membres – la France, l’Italie, l’Allemagne, le Royaume-Uni et la Suède – accueillant à eux seuls aujourd’hui 75 % des réfugiés en Europe, il est nécessaire que les autres consentent de nouveaux efforts. Tous les États membres, en effet, doivent assumer leur part de l’accueil des réfugiés. Toutefois, je tiens à le répéter, cette dimension, qui a été beaucoup commentée dans la presse, n’a de sens que dans une politique d’ensemble associant à la lutte contre les filières, la coopération avec les États d’origine et les États de transit et la responsabilité des pays de première arrivée dans l’enregistrement des migrants.

La Commission proposera donc demain, sur la base de l’article 78, paragraphe 3 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), un mécanisme temporaire de répartition dans l’Union des personnes en besoin de protection, avant l’examen complet de leur demande d’asile, sur la base d’une clé de répartition incluant des critères de produit intérieur brut (PIB), de taille de la population, de taux de chômage et du nombre de demandeurs d’asile et réfugiés déjà installés dans le pays. Or ces deux derniers critères sont, aux yeux de la France, sous-pondérés dans la proposition que la Commission a présentée le 13 mai, puisqu’ils ne comptent chacun que pour 10 %. C’est pourquoi la France, qui accueille déjà, avec quatre autres États, l’essentiel des réfugiés, entend discuter avec précision les modalités de mise en œuvre de ce mécanisme.

Je tiens à rappeler qu’on ne saurait trouver dans le règlement de Dublin une base juridique à la répartition des demandeurs d’asile. Ils doivent être accueillis après examen de leur situation dans le pays où ils présentent leur première demande. C’est pourquoi, face à l’afflux exceptionnel que connaît l’Europe, la Commission propose d’utiliser l’article 78-3, que j’ai déjà évoqué, permettant la mise en œuvre d’un mécanisme d’urgence pour faire face à une situation d’urgence. Ce mécanisme de répartition, à nos yeux exceptionnel et temporaire, ne peut donner lieu qu’à des mesures limitées et dérogatoires au règlement de Dublin, auquel nous sommes attachés, car il engage la responsabilité de l’État qui examine les dossiers de demande d’asile. Si, à titre exceptionnel, le transfert de demandeurs d’asile en besoin manifeste de protection peut être envisagé, il ne devrait toutefois concerner que des personnes identifiées comme ayant un besoin manifeste de protection, c’est-à-dire ayant vocation, selon toute probabilité, à obtenir protection à l’issue de l’examen au fond de leur dossier dans l’État de destination.

Je tiens en effet à préciser que ce mécanisme aura pour conséquence d’accueillir dans les autres États de l’Union européenne, avant que l’examen de leur demande d’asile n’ait pu être achevé, des réfugiés arrivés tout d’abord dans les États du sud de l’Europe. Toutefois, un premier examen doit permettre d’identifier si ces personnes sont ou non manifestement en besoin de protection : il s’agit de s’assurer qu’elles proviennent bien du pays qu’elles ont déclaré et qu’elles y encourent effectivement un risque qui justifie le statut de réfugié politique. L’asile ne saurait en effet concerner tous les migrants, notamment ceux qui ne viennent pas de pays dont la situation – guerre ou dictature – représente une menace pour leur sécurité. De plus, les États membres qui accueillent ces demandeurs d’asiles devront garder la maîtrise de la décision finale. Comme je l’ai déjà indiqué, c’est dans ce cadre que nous demanderons au Bureau européen d’appui en matière d’asile de procéder à un pré-examen conjoint des demandes dans les pays de première arrivée. Notre souci, je le répète, est de refuser toute mise en cause du principe de responsabilité, même s’il est nécessaire de faire preuve de solidarité, notamment avec l’Italie.

Parallèlement, la Commission devrait présenter une recommandation pour réinstaller des personnes réfugiées en quête de protection, qui se trouvent actuellement hors d’Europe, sous protection du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, notamment en Jordanie et au Liban.

Toutes ces propositions devront être étudiées très précisément, dans la perspective du conseil Justice et Affaires intérieures du 16 juin et du Conseil européen des 25 et 26 juin.

Il est clair qu’il n’y aura pas de règlement durable de la question sans, en amont, une action préventive des flux migratoires illégaux en lien avec les pays d’origine et de transit : il convient de mettre l’accent notamment sur la lutte contre les réseaux, et, à plus long terme, d’assurer le développement de sources de revenus alternatives aux trafics. Nous devons en particulier concentrer nos efforts sur le Niger, pays par lequel transite un très grand nombre de migrants. Selon les témoignages recueillis, au risque de la traversée sur les bateaux de la mort il faut ajouter, en amont, les risques de la traversée de la zone sahélo-saharienne. La Tunisie doit également faire l’objet d’une très grande attention car elle est menacée par la situation libyenne. La réunion cet automne à Malte d’un sommet UE-Afrique sera à cet égard particulièrement importante : il convient en effet de renforcer non seulement la cohésion entre les États membres de l’Union européenne mais également la coopération internationale, qu’il faut élargir aux pays d’Afrique.

Vous avez mentionné, madame la présidente, les autres sujets de l’agenda du Conseil européen de juin.

Il sera tout d’abord amené, à la suite du Conseil européen de décembre 2013, à adopter des conclusions opérationnelles, avec des mandats et des échéances précis, sur les trois volets de la PSDC, qu’il s’agisse du financement des opérations conjointes, des capacités ou des industries de défense.

Les chefs d’État ou de gouvernement feront également un premier bilan de l’action commune engagée le 12 février dernier en matière de lutte contre le terrorisme après les attentats de Paris et de Copenhague. Il importe à cet égard d’intensifier nos efforts, en particulier pour tenir notre objectif d’adopter rapidement la directive sur les données des dossiers passagers (ou PNR pour Passenger Name Record).

Il convient enfin de ne pas oublier trois enjeux essentiels en matière économique. Le premier est le débat sur l’approfondissement de l’Union économique et monétaire, avec le rapport des quatre présidents. Nous soutenons, aux côtés de nos partenaires allemands, des réformes de court terme qui puissent être mises en œuvre à traités constants, tout en participant à des objectifs de moyen terme. C’est le sens de la contribution commune que le Président de la République et la Chancelière ont envoyée aux quatre présidents et qui vise un renforcement de la coordination des politiques économiques, une convergence économique, fiscale et sociale, un soutien à la stabilité financière et aux investissements et une gouvernance plus légitime et efficace.

Le deuxième enjeu est la stratégie pour le marché unique du numérique : la France portera toute son attention notamment sur la défense du droit d’auteur et la fiscalité du livre numérique.

Le troisième est l’agenda fiscal sur lequel le Conseil européen devra donner des orientations claires, notamment en matière de lutte contre l’optimisation fiscale au sein de l’Union européenne.

Enfin, le Conseil européen devra évaluer la mise en œuvre des accords de Minsk et prendre une décision sur le renouvellement, total ou partiel, ou la modification éventuelle des sanctions sectorielles.

Le Conseil européen pourrait également évoquer la situation de la Grèce. De même, nous avons tous à l’esprit le fait qu’il s’agira du premier Conseil européen auquel participera le Premier ministre britannique depuis sa réélection.

Voilà, madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, l’agenda très chargé du prochain Conseil européen.

Je souhaite que, derrière ce foisonnement, un message fort émerge : celui d’une Europe qui, prenant les problèmes à bras-le-corps – ils sont nombreux – se donne les moyens d’y faire face d’une manière collective, solidaire et responsable.

Mme Marietta Karamanli. M. de La Verpillière et moi-même avons rendu un rapport sur l’immigration irrégulière. La proposition de résolution européenne que nous avons présentée en février dernier, appelant à un renforcement des politiques européennes en matière de lutte contre l’immigration irrégulière, particulièrement en Méditerranée, et qui a été adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale, insiste sur la nécessité de renforcer l’action et de mieux coordonner les politiques des États de l’Union européenne en matière d’immigration irrégulière.

L’Union européenne est entourée de pays en guerre et les problèmes posés aux États diffèrent en fonction de leur situation géographique et économique. Les pays voisins des conflits estiment ne pas avoir les moyens d’accueillir les réfugiés ; d’autres États font valoir des arguments de sécurité nationale pour limiter l’entrée des personnes en danger ; des États plus lointains estiment ne devoir accepter qu’une immigration choisie et renvoient la résolution du problème des réfugiés aux organisations internationales. La solidarité ne joue donc que de façon limitée. Dans ce contexte, pensez-vous qu’il serait utile, monsieur le ministre, d’organiser une grande conférence internationale sur l’immigration en Méditerranée, pour aborder, notamment, la question des conflits et plus généralement la situation qui en découle ?

L’Union européenne propose de détruire les bateaux des trafiquants. Or les États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique sont opposés à une telle mesure : qu’en pensez-vous ?

La France a joué un rôle très important dans la mise en place du Parquet européen : jugez-vous utile d’étendre sa compétence de la défense des intérêts financiers des États membres de l’Union à la lutte contre les trafics humains en Méditerranée, c’est-à-dire contre une forme de criminalité ayant une dimension transfrontalière ? Le Conseil européen, statuant à l’unanimité, après approbation du Parlement européen, pourrait adopter une telle extension, conformément aux dispositions de l’article 86 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Une telle mesure demanderait, il est vrai, l’implication de chaque État : il est nécessaire de leur poser la question.

M. Pierre Lequiller. Je me réjouis que le Conseil européen ait enfin pris des décisions en matière d’immigration. Je tiens tout de même à rappeler que la Commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale et moi-même en particulier avons appelé l’attention dès octobre 2013 de l’Europe sur ce problème. Or il a fallu attendre la mort de près de 4 000 personnes pour que celle-ci sorte de son inertie. Comme l’a déclaré le secrétaire général des Nations unies, M. Ban Ki-Moon, l’Europe doit amplifier son aide en la matière. Nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre l’arrivée de nouveaux drames. Les 100 millions d’euros de Frontex ne sont rien ! Il aurait fallu augmenter de manière bien plus significative le budget de Frontex. L’Europe apporte une aide équivalente – 9 millions par mois – à celle que l’Italie fournissait seule dans le cadre de Mare Nostrum. C’est insuffisant.

S’agissant du mandat du Conseil de sécurité de l’ONU, quelles sont les positions de la Russie et de la Chine ?

J’avoue ne pas comprendre la différence entre les « quotas » et la « répartition solidaire ». M. Cazeneuve avait, me semble-t-il, donné son aval à la proposition de la Commission prévoyant d’instaurer des quotas, avant que le Président de la République et le Premier ministre n’effectuent presque aussitôt un virage et n’évoquent une répartition solidaire de l’Union européenne. Comment les réfugiés seront-ils concrètement répartis ? Pourriez-vous nous donner des exemples précis ?

Où en est la directive sur le PNR ?

Enfin, quid de la situation du Royaume-Uni, où se sont récemment déroulées des élections législatives ? Nous souhaitons tous que ce pays demeure au sein de l’Union européenne. Si certaines des réformes demandées par Londres paraissent acceptables, comme le renforcement des pouvoirs des parlements nationaux, que nous demandons nous aussi depuis longtemps – l’abandon de l’objectif contenu dans les traités d’une « union toujours plus étroite » me paraît, quant à elle, une simple question de posture –, en revanche il me paraîtrait inacceptable que les décisions concernant la zone euro relèvent d’une double majorité, car cela permettrait aux Britanniques de décider de questions relevant d’une zone à laquelle ils n’appartiennent pas. Compte tenu de son succès, le Premier ministre britannique risque d’anticiper la date du référendum sur le maintien du Royaume-Uni au sein de l’Union européenne car il souhaite le gagner. Si nous devons nous montrer conciliants, nous ne devons pas pour autant accepter toutes les exigences de M. Cameron, qui sera reçu par le Président de la République dans quelques jours.

M. Joaquim Pueyo. Monsieur le ministre, comment sera organisée la coordination entre les différentes opérations menées par l’Europe, notamment Triton et EunavforMed ? Les pays directement concernés – je pense notamment à la Tunisie et à l’Égypte – y seront-ils associés ?

Je tiens par ailleurs à souligner que les problèmes migratoires sont liés à la situation géographique du Proche et du Moyen Orient. La chute de Palmyre provoque une crise à la fois humanitaire et culturelle. Chaque jour nous apprenons que Daech y organise une véritable purge qui cible prioritairement les agents de l’État syrien ainsi que des femmes et des enfants. Quant à la mosquée-université d’Al-Azhar du Caire, elle a souligné que sauver la cité antique de Palmyre est une « bataille pour l’humanité ». Quelle est la position de l’Union européenne sur le sujet ? Alors que le Président François Hollande est intervenu sur Palmyre, je n’ai pas entendu la voix de la haute représentante Federica Mogherini et, à travers elle, celle de l’Union européenne. Qu’en pensez-vous ?

Ne conviendrait-il pas enfin de tenir compte dans le calcul de leur déficit public des efforts consentis par certains des États membres de l’Union européenne, qui, comme la France, mènent des opérations extérieures ? Ce point sera-t-il discuté ?

M. Charles de La Verpillière. Il me semble, monsieur le ministre, que le Gouvernement français n’a pas contribué à clarifier la question des quotas et de la répartition et que votre déclaration liminaire n’a apporté aucune précision.

La seule catégorie juridique qui soit certaine dans cette affaire est celle de « demandeur d’asile » : d’après le règlement de Dublin, toute demande d’asile est examinée par l’État membre de première entrée dans lequel elle a été déposée. Il appartient dès lors à cet État de reconnaître à la personne qui le demande le statut de réfugié ; s’il le rejette, le demandeur se retrouve dans la situation d’un migrant en situation irrégulière.

Or la communication de la Commission européenne du 13 mai dernier a introduit de la confusion en proposant un mécanisme temporaire de répartition dans l’Union européenne des personnes qui ont manifestement besoin d’une protection internationale. Il s’agit apparemment d’une sous-catégorie des demandeurs d’asile – chacun peut deviner leur profil.

Quant à la communication présentée le mercredi 20 mai en conseil des ministres, elle souligne l’accord du gouvernement français « sur la proposition de mettre en place un mécanisme temporaire de répartition dans l’Union européenne des demandeurs d’asile ayant un besoin manifeste de protection ». « En revanche, poursuit la communication, la France est et restera opposée à toute idée de quotas en matière de demande d’asile […]. Il ne peut non plus y avoir de quotas en matière d’immigration irrégulière ». On n’y comprend plus rien, puisque ces deux notions ne figurent pas dans la proposition de la Commission européenne. Il s’en est suivi un débat franco-français, voire au sein même du Gouvernement : nous avons eu l’impression que le Premier ministre était en désaccord avec le ministre de l’intérieur, de plus sur une question qui n’a pas été évoquée par la Commission européenne.

Monsieur le ministre, pourriez-vous une fois pour toutes nous préciser la position du gouvernement français sur le sujet ?

M. Christophe Caresche. La confusion a pour origine l’absence de distinction entre « demandeur d’asile » et « migrant », une distinction pourtant fondamentale. Monsieur le ministre, la France est accusée d’accepter moins de demandeurs d’asile que l’Allemagne, par exemple : or, il me semble que la France ne fait qu’appliquer le droit en la matière. Du reste, s’agissant des demandeurs d’asile, il suffit d’appliquer la loi. À partir du moment où la France, à travers l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), reconnaît que la demande est justifiée, le demandeur est accueilli dans notre pays – il peut du reste contester la décision si elle est négative. Fixer des quotas en matière d’asile n’a donc aucun sens. Pouvez-vous nous confirmer ce point, monsieur le ministre ? En revanche, c’est vrai que la France, comme d’autres pays, a connu des tentatives de création de politiques de quotas de migrants, politiques qui n’ont pas abouti.

Dans une situation exceptionnelle de crise, il doit être possible – et c’est souhaitable – d’engager une répartition des demandeurs d’asile que je qualifierai de légitimes et qui vise ceux qui ont vocation à bénéficier de l’asile. Ils sont facilement identifiables, notamment en termes de provenance géographique. Il appartient aux États membres de l’Union européenne de s’entendre sur les critères devant présider à une telle répartition. Il n’est pas normal qu’au titre du règlement de Dublin seuls deux ou trois pays de l’Union européenne soient chargés d’assumer l’ensemble du problème.

Quant à l’architecture de la zone euro, je tiens à rappeler que le Parlement européen est totalement opposé à un accroissement du rôle des parlements nationaux : nous ne sommes même pas capables de mettre en place le règlement intérieur de la Conférence interparlementaire sur la gouvernance économique et financière de l’Union européenne. Quelle est la position de la France sur la question ?

Mme Nathalie Chabanne. Monsieur le ministre, le sommet exceptionnel du 23 avril a permis de définir quatre axes.

Tripler les moyens de l’opération de surveillance Triton est une réponse à court terme : le Gouvernement porte-t-il un projet de politique migratoire au plan européen de long terme, qui viserait notamment à favoriser le développement et à mettre en place des structures d’accueil ?

Pensez-vous que la destruction des embarcations sera efficace ? Empêchera-t-elle des familles qui ont connu la guerre, la famine, la misère, voire les persécutions, de tout tenter pour émigrer sur le continent européen ?

Quelles sont les conséquences diplomatiques et géopolitiques envisageables d’une intervention militaire en Libye contre les réseaux des passeurs ?

Enfin, quand on sait qu’au Liban, une personne sur quatre est un réfugié syrien et que les réfugiés syriens sont quelque 3 millions de par le monde, pensez-vous que la répartition de 5 000 réfugiés sur le territoire européen soit à la hauteur de notre responsabilité ?

La Présidente Danielle Auroi. M. Cazeneuve n’a pas vraiment répondu à la question que j’ai posée, la semaine dernière, dans le cadre des questions au Gouvernement. Établir une ligne Maginot autour de l’Europe, est-ce la solution ? Laisser tout le poids de l’accueil à l’Italie, à la Grèce, qui est un pays en difficulté, et à Malte, qui est une petite île, est-ce faire preuve de solidarité européenne ? Je rappelle que si la France fait partie des cinq pays d’accueil, elle est celui qui accueille le moins de migrants : elle en a même accueilli moins en 2014 qu’en 2013. Comment, par ailleurs, faire le tri entre les migrants et les demandeurs d’asile à la descente des bateaux ? Et comment renvoyer en Érythrée ou ailleurs les femmes et les enfants ?

L’Union européenne n’a pas répondu à toutes ces questions, qui dépassent le cadre du règlement de Dublin dans une situation de crise. Ceux qui accueillent le plus grand nombre de réfugiés sont actuellement les pays voisins : le Liban ou la Jordanie. Il convient également de craindre un effet déstabilisateur de la situation libyenne sur la Tunisie. Le sommet entre l’Afrique et l’Union européenne ne devrait-il pas concourir à trouver des solutions à ce grave problème ?

La France a accueilli 506 Syriens, sur les 5 000 que doit recevoir l’Europe, et s’apprête à en accueillir de nouveau 500 d’ici à 2016. Notre politique visant à préférer la « répartition solidaire » aux « quotas » est-elle à la hauteur des enjeux ? La France, qui fait partie des grands pays des droits de l’homme, devrait pousser les autres États membres de l’Union à adopter, au sein du Conseil européen, des positions parallèles sur la question syrienne.

M. le secrétaire d’État. Mme Karamanli l’a souligné : nous devons relever des défis sans précédent. Le continent européen est entouré de zones de conflits : à l’est en Ukraine, au sud en Syrie et en Irak, plus au sud encore en Libye. Or c’est cette instabilité qui provoque la majeure partie des mouvements de population vers l’Europe, qui est un territoire de sécurité, de paix et de protection de la dignité humaine. Cette instabilité ne fait, de plus, qu’aggraver des problèmes antérieurs, tels que le sous-développement, la pauvreté ou l’exode rural, surtout en Afrique, vers les grandes métropoles, lesquelles ne répondent pas toujours, notamment en termes d’emploi ou de logement, aux espérances des populations qui ont quitté des zones arriérées au plan économique.

Si nous devons faire face à cette situation en y apportant des réponses de fond – il ne saurait y avoir vingt-huit politiques séparées de stabilité ou de lutte contre le sous-développement –, il convient en même temps de répondre à l’urgence : je pense notamment à celle qui est née de la situation qui prévaut désormais en Libye, où des réseaux criminels gagnent de l’argent sur la misère des migrants en les poussant à mourir en mer sur des embarcations de fortune. Notre action doit porter sur l’ensemble des facteurs : il y va à la fois de vies à sauver et de la crédibilité de l’Union européenne en termes de valeurs, de protection de ses frontières et de lutte contre les réseaux criminels. Oui, il faut une conférence internationale associant les pays du sud de l’Europe : tel sera l’objet de la rencontre à Malte entre Union européenne et l’Afrique. Peut-être conviendrait-il d’y associer d’autres partenaires pour développer la mobilisation internationale : le mandat que nous demandons aux Nations unies pour organiser l’opération EunavforMed indique que nous avons besoin du soutien de la communauté internationale.

La destruction des bateaux n’est pas une fin en soi : il faut d’ailleurs un mandat international pour intercepter et confisquer un bateau qui arbore un pavillon, et ce en vue de casser le système mis en place par les passeurs et de traduire devant la justice ceux qui auront été arrêtés. À cette fin, nous devons agir non seulement en haute mer mais dès le départ des bateaux, au plus près des côtes libyennes. Nous avons engagé un dialogue avec les autorités libyennes afin d’obtenir leur coopération. J’ignore si l’extension des compétences du Parquet européen permettrait de mieux lutter contre les passeurs. Sa vocation est aujourd’hui de protéger les intérêts financiers de l’Union européenne : c’est sur cette base qu’il est actuellement en voie d’adoption au Parlement européen, dont il faudrait l’accord, ainsi que celui du Conseil européen, pour élargir les compétences du Parquet.

Frontex disposera désormais de moyens plus importants, au moins équivalents à ceux de Mare Nostrum. Le défi n’est plus tant d’augmenter le budget de Frontex que de passer à une intégration opérationnelle permanente grâce à la création de gardes-frontières européens. L’Union doit disposer non seulement d’une agence coordonnant la surveillance maritime et organisant les secours ainsi que d’un bureau européen pour l’asile, mais également de moyens permanents permettant de contrôler les frontières, de pratiquer le sauvetage en mer et de procéder à des opérations de retour.

La politique de migration commune doit permettre, non seulement, comme le souhaite le président Juncker à travers la carte bleue, d’organiser une part de la migration légale – migration de travail, accueil des étudiants étrangers –, mais également de procéder à des opérations de retour. Si la politique commune doit conduire à gérer des zones d’attente pour les réfugiés ayant un besoin manifeste de protection, elle doit également être capable d’assurer le retour de ceux qui ne proviennent pas de pays justifiant une demande d’asile politique et qui sont des migrants illégaux. Il appartient à Frontex de prendre ces retours en charge.

Comme tous les membres, notamment permanents, du Conseil de sécurité des Nations unies, la Russie et le Chine demandent à l’Union européenne des précisions sur le mandat qu’elle souhaite obtenir : ces deux pays, qui attendent un accord des autorités libyennes, n’ont pas encore exprimé de position définitive. Obtenir un tel accord est également une priorité à laquelle nous travaillons avec Mme Mogherini et les autres membres européens du Conseil de sécurité.

Je n’ai perçu aucune contradiction entre les propos du Président de la République et du Premier ministre et ceux des autres membres du Gouvernement. Nous ne sommes pas favorables à un système de quotas, c’est-à-dire à un système automatique de répartition de demandeurs d’asile. Le statut de réfugié politique est un droit pour une personne effectivement menacée dans son pays. C’est donc en fonction de ses engagements internationaux – je pense notamment à la Convention de Genève – que la France accorde l’asile à des personnes dont la sécurité, voire la vie, serait menacée si elles étaient renvoyées chez elles. Quel sens y aurait-il par ailleurs à établir des quotas d’immigrés illégaux ? Je rappelle que la Commission européenne n’a pas utilisé les mots « quotas de migrants » dans sa communication écrite – M. de La Verpillière a eu raison de le rappeler. Ces mots ont été utilisés par ses porte-parole dans la communication orale, ce qui a entraîné une double confusion : une confusion, que Christophe Caresche a soulignée, entre les demandeurs d’asile et les migrants, dont la venue préexistait aux crises que connaissent actuellement la Syrie ou l’Irak ; une seconde entre la notion de « solidarité » – mieux assumer collectivement la répartition de l’accueil et de l’effort – et celle de « quota », dont, sinon le mot, du moins l’idée était contenue dans la communication de la Commission européenne. Cette idée consisterait à attribuer un nombre de personnes en besoin de protection aux différents pays de l’Union européenne, où ils se verraient automatiquement décerner le statut de réfugiés, dans le cadre d’un mécanisme mathématique dont les critères nous semblent fort discutables. Il convient à nos yeux de revenir sur ces critères et de prendre en considération le fait que la France a déjà accueilli 20 000 personnes, qui se sont vu accorder l’asile l’an dernier. Il est vrai que la Suède accueille le plus grand nombre de réfugiés politiques à raison de sa population et que l’Allemagne en accueille également plus que nous. Il n’en est pas moins vrai que la France accueille un grand nombre de réfugiés et est, de manière générale, un pays d’immigration. C’est pourquoi il appartient aux vingt-huit États membres de faire l’effort d’accueillir des personnes en besoin manifeste de protection. C’est vrai, cette notion ne figure pas dans le règlement de Dublin : elle vise non pas une sous-catégorie, mais les réfugiés dont les demandes n’ont pas encore été instruites : la Commission propose que leur instruction soit répartie entre les différents États membres et non laissée à la seule charge de l’Italie, où les opérations de secours de l’agence Frontex amènent les migrants.

Le PNR, monsieur Lequiller, est en examen au Parlement européen sur la base du rapport de Timothy Kirkhope, qui a intégré des demandes des membres de la commission des libertés. Nous espérons que la directive pourra être adoptée le plus rapidement possible et qu’elle aura conservé les principes d’harmonisation de la transmission des dossiers des passagers qui permettent de garantir l’efficacité de la lutte contre le terrorisme et de la surveillance du transport aérien à l’entrée de l’Europe et au sein de l’Union européenne.

Le Premier ministre David Cameron sera en France jeudi : il y effectuera sa première rencontre avec un chef d’État ou de gouvernement depuis les élections britanniques. Nous prendrons connaissance à cette occasion des demandes du Royaume-Uni relatives à sa place au sein de l’Union européenne, où nous souhaitons qu’il demeure : c’est son intérêt tout autant que celui de l’Union européenne. L’Europe est à un moment de son histoire où elle a besoin non pas d’un amoindrissement mais d’un renforcement de sa cohésion. Les réponses à apporter aux attentes des Britanniques ne doivent pas avoir pour conséquence de modifier les traités : il n’est pas question en effet de remettre en cause les valeurs fondamentales de l’Union, en particulier ce principe qu’est la liberté de circulation des citoyens européens. S’il est possible, voire souhaitable, de répondre aux demandes d’amélioration du fonctionnement de l’Union européenne et de ses politiques communes, il est, en revanche, hors de question, je le répète, de remettre en cause les principes fondateurs de l’Union européenne à la demande d’un État membre. De plus, toute modification des traités impliquerait de s’engager dans un processus de négociation très long et incertain, puisqu’une telle modification requerrait l’accord des vingt-huit gouvernements sur les points à modifier. Aboutir à un consensus serait très difficile, d’autant que d’autres demandes risqueraient de surgir. Le processus de ratification ne serait pas moins long et incertain, puisqu’il impliquerait, à son tour, l’accord des vingt-huit parlements nationaux, voire la tenue de référendums, sans compter l’accord du Parlement européen. L’heure est à une amélioration rapide du fonctionnement de l’Union européenne, pour permettre à l’Europe d’être plus efficace notamment en matière de création d’emplois et de croissance et de mieux répondre aux grands enjeux internationaux – sécurité, immigration, mondialisation : une procédure longue ne saurait donc répondre à l’attente des citoyens. Je rappelle que la précédente modification des traités a demandé huit ans entre l’engagement de la procédure et l’entrée en vigueur des nouveaux textes.

Monsieur Pueyo, Triton et EunavforMed sont deux opérations distinctes. Il n’y aurait eu aucun sens à forger un concept de gestion de crise pour l’opération navale de type militaire qu’est EunavforMed, si celle-ci était identique à l’opération Triton menée dans le cadre de Frontex et qui vise à surveiller les frontières et à secourir les bateaux en perdition pour sauver la vie des migrants. L’opération EunavforMed a, quant à elle, pour objectif de mettre un coup d’arrêt à l’utilisation de bateaux dans l’organisation de trafics d’être humains. C’est pourquoi elle doit pouvoir intervenir non seulement en haute mer mais également au plus près des côtes libyennes et saisir les bateaux.

Vous avez rappelé la condamnation ferme et sans ambiguïté par la France de la prise de Palmyre. Les témoignages qui nous arrivent font état à la fois d’un risque réel pour ce patrimoine de l’humanité qu’est la cité antique et de massacres de populations civiles : plusieurs centaines de personnes auraient déjà été exécutées. Mme Mogherini s’est jointe à ces condamnations, qui ne font que renforcer notre détermination à soutenir la lutte très ferme de la communauté internationale à la fois contre Daech et contre le régime qui, de toute évidence, est à l’origine de la guerre civile et du massacre d’une grande partie de sa population tout en se montrant incapable de garantir la sécurité du pays.

Le Conseil européen aura à son ordre du jour des questions de défense, notamment le financement des efforts de défense – sujet que plusieurs ministres de la défense ont évoqué lors de la réunion du conseil des Affaires étrangères, conjointe en partie à la réunion des ministres de la défense, le 18 mai, à Bruxelles. Si l’Europe veut assumer ses responsabilités en matière de sécurité et si chaque État membre doit contribuer à l’effort de défense, alors les règles budgétaires ne doivent pas décourager ces mêmes États à investir dans le maintien d’un outil de défense suffisant et dans sa modernisation. Plusieurs pays ont décidé de porter leur effort en la matière à 2 % du PIB – un niveau comparable à celui de la France : c’est du reste l’objectif que se sont fixé les États membres de l’OTAN. Il ne faut pas non plus oublier les problèmes de financement des opérations extérieures. La question se trouve donc posée de savoir si le pacte de stabilité et de croissance doit prendre en compte les efforts des États en matière de défense. Il ne faudrait pas en effet que certains y renoncent par peur de la sanction des mécanismes de surveillance budgétaire de l’Union. Le cercle des ministres européens de la défense réfléchit à la question, qui devra, un jour, être soulevée au sein de l’Eurogroupe. Il ne faudrait pas, toutefois, en faire un prétexte pour ne pas respecter les règles budgétaires auxquelles nous sommes collectivement astreints pour assurer la stabilité de la zone euro.

Le Parlement européen doit accepter la constitution en son sein d’une commission ou sous-commission spécifiquement dédiée à la zone euro. Il doit également comprendre le souhait des parlementaires nationaux d’être étroitement associés à une gestion plus intégrée de la zone euro, qui doit concerner non seulement la surveillance budgétaire, mais également les stratégies d’investissement et d’harmonisation fiscale et les politiques économiques. Tel est l’esprit dans lequel nous travaillons.

Madame Chabanne, notre politique en matière d’immigration n’a de sens que si l’Europe peut mener une action très ferme contre les réseaux de passeurs. Or cette action implique notamment d’aider les pays de transit à lutter eux-mêmes contre ces réseaux, à les démanteler et à dissuader les migrants, en les informant qu’ils ne pourront pas obtenir de droit de séjour dans l’Union européenne. On ne saurait laisser des milliers de migrants prendre le risque de traverser le désert puis la Méditerranée et de s’exposer aux drames, alors que nous voulons précisément l’éviter. Tel est le sens des décisions du Conseil européen du 23 avril. Madame la présidente, il ne s’agit pas de construire une nouvelle ligne Maginot. La France ne refuse pas d’assumer ses responsabilités en matière d’accueil des réfugiés : elle en reçoit beaucoup, y compris d’Irak et de Syrie, ainsi que d’Érythrée ou de nombreuses autres régions du monde. Toutefois, notre action doit être coordonnée et déterminée. Si l’Europe veut continuer d’accueillir des réfugiés politiques ainsi que des migrants légaux, au titre du travail, du regroupement familial ou des études, elle doit également se montrer capable d’assurer le contrôle de ses frontières et le respect de sa législation en matière d’immigration. Il y a encore quelques années, chaque État membre pensait qu’il pouvait gérer au seul plan national les conditions de l’accueil des réfugiés et des migrants. Tel n’est plus le cas aujourd’hui : une action collective est nécessaire pour répondre à la situation à laquelle nous sommes aujourd’hui confrontés en Méditerranée. Nous devons dès lors faire preuve de responsabilité et de solidarité en nous entendant sur les règles présidant au traitement des demandes d’asile. C’est une politique d’immigration commune que nous mettons actuellement en place, laquelle implique une politique commune à la fois de contrôle des frontières et de coopération avec les pays d’origine et de transit.

La Présidente Danielle Auroi. Je tiens de nouveau à vous remercier de votre disponibilité, monsieur le ministre.

Nous aurons l’occasion, après le Conseil européen, de discuter de nouveau de toutes ces questions qui sont, malheureusement, appelées à rester dans l’actualité.

II. Examen de la proposition de résolution européenne (no 2716), appelant à une coordination des politiques européennes en matière de prévention et de lutte contre le tabac, présentée par M. Philip Cordery, Mmes et MM. Bruno Le Roux, Rémi Pauvros, Audrey Linkenheld, Jacques Cresta, Michèle Delaunay, Frédéric Barbier, Catherine Lemorton et les membres du groupe socialiste, républicain et citoyen et apparentés 

M. Philip Cordery, rapporteur. La proposition de résolution européenne appelant à une coordination des politiques européennes en matière de prévention et de lutte contre le tabac devrait, nous semble-t-il, réaliser le plus large des consensus, car la nocivité du tabac relève d’une évidence reconnue au niveau mondial.

Je tiens au préalable à saluer le travail effectué en commission des Affaires sociales par Michèle Delaunay qui, ainsi que Jean Louis Touraine et Rémy Pauvros, avec qui nous avons rédigé cette proposition de résolution qui est présentée parmi nous.

La Convention-cadre de l’Organisation Mondiale de la Santé pour la lutte antitabac, entrée en vigueur le 27 février 2005, ratifiée par 172 pays, prévoit la présence de mises en garde sanitaires sur le conditionnement des produits du tabac, l’interdiction de publicité, de la promotion du tabac et les activités de parrainage, la lutte contre la contrebande, etc.

Combattre sa consommation est une ardente obligation pour tous les échelons d’administration, que ce soient les collectivités locales où les États, responsables en premier ressort de la santé publique, ou l’Union européenne à travers la réglementation relative aux ventes de tabac, la fiscalité ou la communication.

En effet, la consommation de tabac constitue la première cause de décès prématurés, concernant près de 650 000 Européens, soit plus que la population de Malte ou du Luxembourg. Elle représente également le principal risque sanitaire évitable au sein de l’Union européenne : près de la moitié des fumeurs décèdent prématurément, en moyenne 14 ans plus tôt que les non-fumeurs, car, si de nombreux types de cancers sont liés au tabac, il en est de même pour les maladies cardiovasculaires et respiratoires.

Au final le tabac génère plus de problèmes sanitaires en Europe que l’alcool, la drogue, l’hypertension, le surpoids ou le cholestérol. En outre, les fumeurs mettent en danger les personnes exposées aux méfaits du tabagisme passif, au domicile comme au lieu de travail, il coûte chaque année la vie à 19 000 Européens.

En France, les mesures de prévention, associées à une hausse du prix du tabac et à l’interdiction de fumer dans les lieux publics, ont contribué à une stabilisation du tabagisme, mais non à la baisse que nous aurions souhaitée.

En effet, malgré des progrès considérables, et une action publique importante de l’Union européenne, comme des États membres, ces dernières années, le nombre de fumeurs reste élevé dans l’UE où ils représentent 28 % de la population totale, et 29 % des 15-24 ans.

De ce fait le, le tabac a engendré des pertes économiques de plus de 100 milliards d’euros.

Malgré ce bilan il existe des signes encourageants qui laissent entrevoir une amélioration : le tabagisme est de moins en moins accepté socialement, de plus en plus de pays européens adoptent des législations anti-tabac afin de protéger leurs citoyens de la fumée dans les lieux publics, dans les transports en commun et sur le lieu de travail.

Plusieurs éléments inquiétants font toutefois leur apparition. Les jeunes commencent à fumer de plus en plus tôt et la commercialisation en ligne de produits du tabac est en hausse. Des nouvelles tendances apparaissent également, telles que l’utilisation de pipes à eau et de produits du tabac non combustibles (« cigarettes électroniques »), dont beaucoup de consommateurs ignorent les effets nocifs ou les prennent trop à la légère.

C’est pourquoi nous vous proposerons, au terme de l’analyse qui suit, d’adopter la proposition de résolution européenne (n° 2716), appelant à une coordination des politiques européennes en matière de prévention et de lutte contre le tabac.

L’Union européenne ne dispose que de prérogatives limitées dans le domaine de la lutte contre le tabac dans la mesure où la politique de santé publique relève d’abord de l’échelon national et local, en particulier pour les actions de prévention destinées aux jeunes en milieu scolaire, de même elle ne dispose pas de la compétence fiscale pour fixer le taux des taxes additionnelles sur le prix des tabacs.

Il existe une ambiguïté, pour ne pas dire une contradiction, dans les traités européens vis-à-vis du tabac, il s’agit d’une marchandise licite, bénéficiant à ce titre de la libre circulation et en même temps d’un fléau de santé publique combattu par l’Union européenne.

Pour remédier à cette situation, l’Union européenne est venue en appui des États membres, responsables in fine de la santé publique, en prenant une série de mesures aidant à la lutte antitabac, sous la forme d’actes législatifs, de recommandations et de campagnes d’information, qui visent à protéger les citoyens des effets nocifs du tabagisme, notamment passif, et d’autres formes de consommation du tabac. Avant tout, elles sont destinées à prévenir la consommation de tabac et à aider les fumeurs à arrêter, en particulier chez les jeunes ; car le tabac est un produit addictif, et 94 % des fumeurs commencent avant l’âge de 25 ans.

Depuis les années 80, plusieurs initiatives législatives ont été́ développées au sein de l’Union européenne afin de réduire le tabagisme pour règlementer les produits du tabac, afin de garantir des normes harmonisées et une information appropriée des consommateurs et, d’autre part, d’imposer certaines restrictions à la commercialisation des produits du tabac pour des raisons de santé publique.

Aujourd’hui, la législation antitabac repose pour l’essentiel sur deux actes législatifs : la directive sur les produits du tabac et la directive sur la publicité́ en faveur des produits du tabac.

Ce dispositif comprend :

- la réglementation des produits du tabac sur le marché de l’Union européenne (emballage, étiquetage, ingrédients, etc.);

- la création d’espaces non-fumeurs,

- des mesures fiscales et des actions contre le commerce illicite,

- des campagnes antitabac.

Une réglementation au niveau de l’Union est nécessaire car le commerce des produits du tabac est largement transfrontalier et les législations nationales sont divergentes. Les règles européennes garantissent aux consommateurs la même protection dans toute l’Union européenne. La nouvelle directive sur les produits du tabac, qui régit la fabrication, la présentation et la vente du tabac et des produits du tabac, a été approuvée par le Parlement européen le 3 avril 2014. Elle couvre notamment les cigarettes, le tabac à rouler, le tabac pour pipe, les cigares, les cigarillos, les produits du tabac sans combustion, les cigarettes électroniques et les produits à fumer à base de plantes.

Ses principales dispositions sont les suivantes :

- elle interdit les cigarettes et le tabac à rouler contenant des arômes caractérisants ;

- elle impose aux entreprises de déclarer précisément aux États membres les ingrédients utilisés dans les produits du tabac, et plus particulièrement dans les cigarettes et le tabac à rouler ;

- elle exige l’apposition d’avertissements relatifs à la santé sur l’emballage des produits du tabac, qui doivent couvrir au total (image et texte) 65 % de la face avant et arrière des paquets de cigarettes et de tabac à rouler ;

- elle fixe des dimensions minimales pour la taille des avertissements et élimine les petits conditionnements pour certains produits ;

- elle interdit tout élément publicitaire ou trompeur sur les produits du tabac ;

- elle introduit un système d’identification et de suivi dans toute l’UE pour combattre le commerce illégal de produits du tabac ;

- elle autorise les États membres à interdire la vente en ligne de produits du tabac ;

- elle établit des exigences de sécurité et de qualité pour les cigarettes électroniques ;

- elle oblige les fabricants à déclarer tout nouveau type de produit du tabac avant sa mise sur le marché européen.

La Commission européenne élabore actuellement des règles plus détaillées dans certains domaines afin d’aider les États membres à mettre en œuvre la directive 2014/40/UE, en particulier pour ce qui concerne la restriction des ventes en ligne. 

De nombreux citoyens européens continuent à être régulièrement exposés au tabagisme passif, que ce soit à la maison ou sur leur lieu de travail. Il est prouvé́ que l’exposition à la fumée du tabac provoque des décès, des pathologies et des infirmités et qu’elle est particulièrement nocive pour les nourrissons et les enfants. Près d’un tiers des pays européens ont adopté́ une législation globale en faveur d’environnements sans tabac et les effets immédiats sur la santé sont impressionnants. Par exemple, l’incidence des crises cardiaques était en recul dans les proportions allant de 11 à 19 %. Le 30 juin 2009, la Commission a présenté́ une proposition de recommandation du Conseil invitant les États membres à prendre des mesures afin de protéger leurs citoyens contre l’exposition à la fumée du tabac d’ici 2012.

La politique en matière de santé n’est pas la seule à intégrer des mesures destinées à freiner le tabagisme; le tabac est une problématique transversale qui concerne de nombreux domaines d’action. Il est prouvé́ que des taxes élevées sur les cigarettes et les autres produits du tabac comptent parmi les instruments les plus efficaces pour réduire la consommation de tabac, en particulier chez les jeunes. C’est pourquoi la législation communautaire relative à la taxation du tabac est de plus en plus perçue comme un instrument non seulement fiscal, mais aussi de santé publique. La Commission a proposé́ de relever le niveau minimal des taxes sur le tabac. Cette proposition est en cours de discussion, il convient d’encourager cette voie car, comme l’illustre la carte qui suit il existe en Europe de très grandes divergences dans les prix du tabac.

Nous pouvons néanmoins reprocher à la Commission européenne de soutenir, avec l’appui de la Cour de justice de l’Union européenne, une conception du marché unique qui n’a pas intégré la spécificité de la lutte contre les addictions. Nous prendrons comme exemple l’arrêt de la CJUE du 14 mars 2013.

La Cour était appelée à se prononcer sur une plainte, à notre sens inopportune, de la Commission européenne, qui reprochait à la France de limiter à cinq cartouches (soit un kilo de tabac), voire dix dans certains cas restreints, les achats de tabac à l’étranger.

« La France a manqué à ses obligations […] en utilisant un critère purement quantitatif pour apprécier le caractère commercial de la détention par des particuliers de tabac manufacturé en provenance d’un autre État membre, en appliquant ce critère par véhicule individuel [et non par personne] et en l’appliquant de manière globale pour l’ensemble des produits du tabac », a affirmé la Cour dans son arrêt.

La limitation en cause avait été adoptée en 2006, au moment où avaient explosé les achats de tabac à l’étranger, notamment en Belgique ou en Espagne, où le paquet de cigarettes, moins taxé, est moins cher. Les achats légaux à l’étranger et les achats illégaux par Internet ou sous le manteau représentent 20 % de la consommation de tabac en France, selon les douanes. Ce mode d’achat représente un manque à gagner fiscal d’environ 2,5 milliards d’euros par an.

Prenant acte du jugement européen, le gouvernement français a donné instruction à ses services douaniers de contrôler les importations de tabac supérieures à dix cartouches en provenance d’un autre État membre européen, avec menace de saisie ou d’amende si elles ne sont pas destinées à un usage personnel. La mesure figure dans une instruction aux services douaniers.

Cet arrêt a obligé la France à « alléger » les limitations physiques mises à l’importation de tabac et va à l’encontre de la lutte contre la contrebande en Europe qui constitue un fléau.

En effet, les produits du tabac sont fortement taxés. Ils se prêtent en outre facilement au trafic illicite, qui génère des profits élevés. Les disparités considérables en termes de prix payés par le consommateur, tant au sein de l’UE, que par comparaison avec des pays tiers constituent une incitation au commerce illicite. Par ailleurs, les peines encourues par les trafiquants sont relativement faibles par rapport à celles du trafic de drogue, par exemple. Elles varient considérablement d’un État membre à l’autre. Enfin, d’autres facteurs parmi lesquels la situation géographique, l’efficacité́ des autorités de répression et la corruption dans les instances de contrôle jouent également un rôle important dans l’ampleur du commerce illicite.

Au-delà de ces actions réelles et importantes il me semble que la lutte contre la contrebande serait facilitée si le tabac était exclu du champ d’application des législations interdisant les restrictions aux échanges communautaires car il ne constitue pas une marchandise comme les autres, à l’instar de ce qui a été fait pour les aides au tabac qui représentaient un aspect important, de la politique agricole mais, qui dans l’intérêt de la santé publique, ont fait l’objet d’une suppression progressive.

Les avertissements relatifs à la santé sont considérés comme un élément important et efficace d’une politique globale de lutte antitabac. En 2005, la Commission a conçu toute une série d’avertissements illustres qui montrent l’effet néfaste du tabac au moyen d’images fortes. Pour l’instant, les avertissements illustrés ne sont pas obligatoires au sein de l’Union européenne, mais la Commission encourage leur utilisation.

La lutte contre la consommation excessive de tabac, en particulier chez les jeunes a suscité toute l’attention de l’Assemblée nationale lors de l’examen du projet de loi « santé ». En participant à nos débats, j’ai eu le sentiment que l’action forte que nous pouvions conduire au niveau national ne serait efficace que si elle était également relayée au niveau de l’Union européenne qui doit « oublier » les règles du marché unique, lorsque nous sommes en présence de produits nuisibles à la santé comme le tabac.

Les propositions que nous vous proposons d’adopter au texte initial sont mineures et souvent formelles.

Il convient de promouvoir le développement du paquet neutre en Europe sur la base d’éléments objectifs. C’est pourquoi il est demandé à la Commission européenne d’évaluer les effets, au niveau de l’Union européenne, de l’adoption du paquet neutre par plusieurs États membres et que nous appelons le gouvernement à promouvoir auprès de ses partenaires européens l’introduction du paquet neutre à l’instar de la France, l’Irlande et le Royaume Uni, sur le fondement de l’article 24 paragraphe 2 de la directive 2014/40/UE ;

Pour lutter contre la contrebande et la tabagisme des jeunes nous appelons les États membres à une harmonisation fiscale par le haut du prix du tabac afin de renforcer les effets positifs de la hausse du prix du tabac sur la consommation et afin que les zones frontalières ne soient plus soumises à des disparités de prix neutralisant les effets d’une politique fiscale ambitieuse de lutte contre le tabac.

Cette politique doit être complétée par un renforcement de la lutte contre les achats transfrontaliers illicites de tabac, par une application rapide de l’article 18 de la directive 2014/40/UE « relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de fabrication, de présentation et de vente des produits du tabac et des produits connexes, et abrogeant la directive 2001/37/CE, », et demande dans cette perspective à la Commission européenne de préciser les modalités pratiques de mise en œuvre par les États de « l’interdiction de la vente à distance transfrontalière de produits du tabac ».

Enfin, malgré les contraintes budgétaires, il nous semble que la Commission européenne devrait accroître sa participation financière aux campagnes nationales de lutte contre le tabac.

En conclusion, l’approche adoptée par l’Union européenne à l’égard de la lutte antitabac – législation, campagnes et accords internationaux – est parvenue à limiter le tabagisme en Europe. Depuis quelques années, les fumeurs sont moins nombreux et les citoyens en savent davantage sur les effets néfastes du tabac.

Il nous faut néanmoins aller plus loin, d’où notre proposition d’adoption de la proposition de résolution européenne (n° 2716), appelant à une coordination des politiques européennes en matière de prévention et de lutte contre le tabac.

M. Christophe Caresche. Je passe la parole à Michèle Delaunay.

Mme Michèle Delaunay. Nous savons qu’en matière de santé, les compétences de l’Europe sont réduites, sauf s’il s’agit d’une épidémie de nature transfrontalière. Or, aujourd’hui, les maladies liées aux addictions tuent plus que les maladies épidémiques. Aussi, me semble-t-il, l’Europe doit s’emparer de la question des substances addictives et des maladies comportementales.

L’Europe peut, second point, s’emparer de l’outil fiscal, en permettant l’harmonisation des taxes vers le haut car toutes les études scientifiques démontrent que l’augmentation du prix est l’arme la plus utile. Dans cette résolution, quatre des éléments principaux de la lutte contre le tabac sont présents. Je les compléterai tout à l’heure par un amendement. Nous devons savoir que les cigarettiers ne se sont pas trompés et utilisent les différences de prix entre les États pour faire pression sur les parlementaires, en démontrant qu’une action nationale ne conduit, au final, qu’à une augmentation des ventes transfrontalières, qu’elles soient licites ou non, et donc à une contraction des recettes fiscales nationales. Cette arme est maniée très habilement et surtout le tabac de contrebande est fabriqué par les cigarettiers. Devant leur force, il faut que nous ayons l’appui d’une politique européenne. Introduire cet enjeu rendra l’Europe plus lisible pour nos concitoyens qui ne pourront plus dire que l’Europe ne s’occupe pas d’eux ; nous sommes dans le réel, dans la santé publique, dans la santé des Européens et également dans la santé des jeunes. L’arme utilisée est l’addiction qui se déclenche dès la centième cigarette.

M. Christophe Caresche, président. Je suis saisi d’une série d’amendements. Les nos 1 à 10 sont rédactionnels.

Ils sont adoptés à l’unanimité.

Mme Michèle Delaunay.

L’amendement n° 11 propose le cinquième pilier d’une politique efficace contre le tabac avec la mise en place d’une action de groupe au profit des 78 000 morts du tabac et de leurs familles. Pouvons-nous laisser ces familles ou ces jeunes que l’on a conduit à l’addiction sans le secours de procédures civiles ?

Il nous faut interférer sur les stratégies des multinationales. De telles procédures ont permis aux Etats-Unis de condamner Reynolds à plusieurs milliards de dommages et intérêts. Cela dynamiserait grandement la lutte contre le tabac.

M. Philip Cordery. Avis favorable à cet amendement.

En conséquence, la proposition de résolution ainsi amendée est adoptée.

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu les articles 168 et 169 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

Vu la directive 2014/40/UE du parlement européen et du Conseil, du 3 avril 2014, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de fabrication, de présentation et de vente des produits du tabac et des produits connexes, et abrogeant la directive 2001/37/CE,

Vu la directive 2003/33/CE du parlement européen et du Conseil, du 26 mai 2003, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de publicité et de parrainage en faveur des produits du tabac,

Vu la directive 2007/65/CE du parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2007 modifiant la directive 89/552/CEE du Conseil, visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à l’exercice d’activités de radiodiffusion télévisuelle,

Vu la directive 2011/64/UE du Conseil du 1er janvier 2011concernant la structure et les taux des accises applicables aux tabacs manufacturés,

Vu la recommandation 2003/54/CE du Conseil, du 2 décembre 2002, relative à la prévention du tabagisme et à des initiatives visant à renforcer la lutte antitabac,

Vu la recommandation du Conseil du 30 novembre 2009, relative aux environnements sans tabac,

Considérant que le tabac est la première cause de décès prématuré dans l’Union européenne, et que le nombre de fumeurs reste élevé dans l’Union européenne, en particulier chez les jeunes, les fumeurs représentant 28 % de la population totale et 29 % des 15-24 ans,

Considérant la nécessité d’éviter la consommation de tabac par les jeunes,

Considérant les résultats positifs de l’expérience australienne en matière de paquet neutre pour limiter la consommation de tabac,

Considérant que les États membres peuvent adopter le paquet neutre sur le fondement de l’article 24, paragraphe 2 de la directive 2014/40/UE,

Considérant que l’Irlande et le Royaume-Uni ont adopté le paquet neutre qui figure au nombre des mesures de lutte contre le tabac adoptées par l’Assemblée nationale lors de l’examen en première lecture du projet de loi relatif à la modernisation de notre système de santé,

Considérant que la fiscalité est l’arme la plus efficace pour prévenir le tabagisme ou inciter à l’arrêt du tabac,

Considérant qu’il est essentiel pour l’efficacité des politiques de lutte contre le tabac que soient renforcées l’harmonisation et la coordination des règles en matière de publicité,

Considérant que la disparité des prix du tabac dans les zones frontalières fragilise les efforts nationaux en matière de lutte contre le tabagisme,

1. Demande à la Commission européenne d’évaluer les effets, au niveau de l’Union européenne, de l’adoption du paquet neutre par plusieurs États membres ;

2. Appelle le Gouvernement à promouvoir auprès de ses partenaires européens l’introduction des paquets neutres à l’instar de la France, l’Irlande et le Royaume Uni, sur le fondement de l’article 24, paragraphe 2, de la directive 2014/40/UE du Parlement européen et du Conseil susvisée ;

3. Appelle les États membres à une harmonisation fiscale par le haut du prix du tabac afin de renforcer les effets positifs de la hausse du prix du tabac sur la consommation et afin que les zones frontalières ne soient plus soumises à des disparités de prix neutralisant les effets d’une politique fiscale ambitieuse de lutte contre le tabac ;

4. Appelle la Commission européenne à accroître sa participation financière aux campagnes nationales de lutte contre le tabac ;

5. Appelle les États membres à un renforcement de la lutte contre les achats transfrontaliers illicites de tabac, par une application rapide de l’article 18 de la directive 2014/40/UE relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de fabrication, de présentation et de vente des produits du tabac et des produits connexes, et abrogeant la directive 2001/37/CE, et demande dans cette perspective à la Commission européenne de préciser les modalités pratiques de mise en œuvre par les États de l’interdiction de la vente à distance transfrontalière de produits du tabac ;

6. Appelle la Commission européenne à élaborer des recommandations destinées à harmoniser les procédures civiles en matière de recours des victimes du tabac et à promouvoir les actions de groupe.

La séance est levée à 18 h 55

Membres présents ou excusés

Commission des affaires européennes

Réunion du mardi 26 mai 2015 à 17 heures

Présents. - Mme Danielle Auroi, M. Jean-Jacques Bridey, Mme Isabelle Bruneau, M. Christophe Caresche, Mme Nathalie Chabanne, M. Philip Cordery, Mme Sandrine Doucet, M. William Dumas, Mme Estelle Grelier, Mme Marietta Karamanli, M. Charles de La Verpillière, M. Pierre Lequiller, M. Joaquim Pueyo

Excusé. - M. Arnaud Richard

Assistait également à la réunion. - Mme Michèle Delaunay