Accueil > Union européenne > Commission des affaires européennes > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Consulter le sommaire
Voir le compte rendu au format PDF

Commission des affaires européennes

mercredi 27 mai 2015

8 h 30

Compte rendu n° 210

Présidence de Mme Danielle Auroi Présidente

Audition de M. Philippe Setton, ambassadeur, représentant permanent de la France auprès du Comité politique et de sécurité (COPS)

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mercredi 27 mai 2015

Présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente de la Commission

La séance est ouverte à 8 h 30

Audition de M. Philippe Setton, ambassadeur, représentant permanent de la France auprès du Comité politique et de sécurité (COPS)

La Présidente Danielle Auroi. Je vous remercie, monsieur l’ambassadeur, d’avoir répondu favorablement à notre invitation afin d’aborder un sujet d’une actualité, hélas ! brûlante. L’environnement sécuritaire international connaît en effet des bouleversements considérables, avec des menaces inédites, particulièrement aiguës, à nos frontières. À l’est, nous assistons à l’apparition d’un type moderne de guerre hybride, avec une dimension dématérialisée. Nous orientons-nous vers un conflit gelé ? Si oui, de quelle manière l’Europe peut-elle continuer à gérer cette crise ? Au sud, en particulier au Moyen-Orient, nous sommes confrontés à la montée en puissance du terrorisme djihadiste à visée mondiale, ainsi que l’illustre notamment la prise de Palmyre, qui s’accompagne de massacres et expose aux destructions l’un des joyaux du patrimoine culturel mondial.

L’Union européenne semble avoir le plus grand mal à assumer la fonction stratégique et à jouer le rôle opérationnel auxquels elle pourrait et devrait prétendre dans ce contexte tourmenté, sa propre sécurité étant mise en péril. La difficulté est que cette compétence ne relève pas véritablement d’elle et que les conceptions des États membres en la matière apparaissent encore trop divergentes pour qu’une véritable défense européenne, pourtant évoquée par le traité sur l’Union européenne, puisse voir le jour. Une grande confusion semble régner en ce qui concerne tant le concept que les volontés. En outre, les institutions de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) sont complexes, peu lisibles et très mal connues. Pourriez-vous nous éclairer à ce sujet ?

Lors de la réunion du Conseil européen de décembre 2013 – la première consacrée en tant que telle à la défense –, les chefs d’État et de gouvernement avaient pris position en faveur de l’efficacité de la gestion des crises, du maintien des capacités militaires et de la préservation de l’industrie de défense. Un an et demi après, les progrès paraissent très réduits : l’Europe ne dispose toujours pas d’une politique de défense visible. Les conditions politiques vous semblent-elles réunies pour que le sommet du mois prochain débouche sur des avancées concrètes ?

Certes, le président de la Commission européenne, M. Jean-Claude Juncker, a dynamisé le débat public en évoquant, en mars dernier, la constitution d’une armée européenne. Quant à la haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Mme Federica Mogherini, elle manifeste un volontarisme louable s’agissant de la PSDC, comme sur tous les dossiers dont elle a la charge.

Mais les obstacles structurels à l’épanouissement de la PSDC restent majeurs, à commencer par les divergences d’appréciation entre États membres à propos du rôle de l’OTAN. Notre premier partenaire en matière de défense, le Royaume-Uni, est aussi l’un des plus opposés à une intégration européenne plus poussée dans ce domaine, comme dans d’autres d’ailleurs.

Sur le plan opérationnel, l’outil des groupements tactiques de l’Union européenne (GTUE) a-t-il vocation à être utilisé un jour ou bien restera-t-il un leurre mettant cruellement en évidence l’impuissance européenne sur la scène internationale ?

En mars dernier, le conseil des ministres a révisé le mécanisme Athena, par le truchement duquel sont financés les coûts communs des opérations militaires menées au titre de la PSDC. Pouvez-vous nous expliciter les grandes lignes des modifications qui ont été apportées ?

Les contraintes budgétaires pesant sur les budgets des États membres ne sont guère favorables à l’augmentation des crédits de défense. Pourtant, face au regain de tension en Europe orientale, en Afrique et au Moyen-Orient, plusieurs d’entre eux revoient à la hausse leurs dépenses militaires, en particulier la Pologne et la Lituanie, qui s’inquiètent de la situation à l’est. Avec 400 millions d’euros dépensés en 2014 et 8 000 soldats déployés à l’étranger, la France reste toutefois l’un des principaux contributeurs, si ce n’est le premier d’entre eux, à l’effort collectif de l’Europe en faveur de la paix. Pour compenser le coût de l’investissement – sans même parler du prix du sang –, le ministre de la défense réclame que les dépenses consacrées aux opérations extérieures soient défalquées lors du calcul du déficit public. La France n’y gagnerait pas grand-chose – 0,05 point de PIB de déficit en moins – mais ce serait une reconnaissance de son action. Cette idée fait-elle son chemin parmi nos partenaires ? Notre commission débattra d’ailleurs de cette question la semaine prochaine à l’occasion de l’examen d’une proposition de résolution européenne présentée par Joachim Pueyo au nom du groupe socialiste, républicain et citoyen.

Pouvez-vous nous faire un point rapide à propos des opérations européennes en cours sur les théâtres extérieurs, notamment sur les missions de conseil et de formation conduites au Mali et en République centrafricaine ? Je souhaiterais également que vous nous apportiez des précisions sur les objectifs, les modalités et les échéances de la future opération navale en Méditerranée, EUNAVFOR Med. Pour ma part, je la juge à la fois insuffisante et inadaptée pour résoudre ce drame avant tout humanitaire qui se joue quotidiennement à quelques encablures des côtes européennes.

Enfin, le ministre de la défense vient de signer avec ses homologues allemand et italien une lettre d’intention en vue de lancer les études techniques préalables à l’élaboration d’un drone européen de reconnaissance de moyenne altitude et de longe endurance (MALE), qui serait mis en service à l’horizon 2025. Cette décision met un terme à des années de valse-hésitation concernant cette niche capacitaire essentielle. Quelles seront les retombées de ce projet pour le tissu industriel français, d’une part, et pour la capacité de gestion des crises par l’Union européenne, d’autre part ?

M. Philippe Setton, ambassadeur, représentant permanent de la France auprès du Comité politique et de sécurité de l’Union européenne. Je vous remercie de votre invitation, madame la présidente. Je suis très honoré de m’exprimer devant votre commission, que je connais bien pour y avoir accompagné plusieurs fois des ministres, dans le cadre de fonctions antérieures. Je sais donc tout l’intérêt et toute l’importance des travaux que vous conduisez.

Comme vous l’avez indiqué, le Conseil européen reviendra sur le sujet de la PSDC lors de sa session des 25 et 26 juin prochain, conformément à la clause de rendez-vous adoptée en décembre 2013. Il s’agit d’une échéance importante. Les chefs d’État et de gouvernement feront notamment le point sur la mise en œuvre des orientations et des engagements pris par le conseil des ministres en novembre 2013 et par le Conseil européen lui-même, le mois suivant. À ces occasions, plus d’une soixante de mandats avaient été fixés et confiés à la haute représentante, à la Commission européenne, à l’Agence européenne de défense (AED) et aux États membres. Ces mandats, assortis de calendriers de mise en œuvre, visaient trois objectifs principaux : intervenir de façon plus efficace et plus visible dans la gestion des crises, répondre aux lacunes capacitaires constatées dans le cadre des opérations et développer l’industrie de défense.

La préparation du Conseil européen des 25 et 26 juin est relativement bien engagée. Au début du mois de mai, Mme Mogherini, en sa qualité de haute représentante et de chef de l’AED, et Mme Bieńkowska, commissaire au marché intérieur et à l’industrie, ont adressé au président du Conseil européen leurs rapports sur la mise en œuvre des orientations fixées en décembre 2013. Le 18 mai, le conseil des affaires étrangères a adopté des conclusions très longues et substantielles, qui serviront probablement de base à celles des chefs d’État et de gouvernement.

Le bilan des travaux conduits depuis décembre 2013 est inégal.

Un certain nombre d’éléments positifs peuvent être relevés.

D’abord, nous avons continué de lancer des opérations et des missions : quatre depuis décembre 2013.

Ensuite, plusieurs textes ont été adoptés : la stratégie de sûreté maritime, complétée par un plan d’action en décembre 2014, dans le cadre de laquelle la France, l’Espagne, le Portugal et le Danemark ont présenté une initiative visant à coordonner leurs opérations de surveillance dans le golfe de Guinée ; un document-cadre sur la cyberdéfense ; un plan d’action révisé déclinant la stratégie pour la sécurité et le développement au Sahel, document important compte tenu de notre engagement dans la zone.

Mentionnons aussi les progrès inégaux mais réels dans la mise en œuvre des quatre projets capacitaires prioritaires identifiés en décembre 2013 : le ravitaillement en vol, les drones, la communication gouvernementale et la cyberdéfense.

Citons en outre les travaux réalisés sur les conditions d’application de l’article 44 du traité sur l’Union européenne, en vertu duquel le conseil des ministres peut autoriser un nombre limité d’États membres à conduire une opération au nom de l’Union européenne. Les principes fondamentaux et les modalités ont été à peu près agréés. Il convient désormais de lancer une expérience pilote.

Évoquons également le développement des partenariats avec les grandes organisations internationales – Organisation des Nations unies (ONU), Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et Union africaine –, ainsi qu’avec une quinzaine d’États tiers, qui peuvent participer aux opérations de la PSDC en vertu d’accords conclus avec l’Union européenne. C’est sur cette base que la Géorgie a contribué à l’opération EUFOR RCA ou que la Serbie prend part actuellement à l’opération Atalante.

Enfin, l’ »  approche globale » permet une articulation et une coordination croissante entre les opérations et missions de la PSDC et les autres instruments de l’action extérieure de l’Union européenne, en particulier ceux qui relèvent de l’assistance communautaire ; il s’agit d’une évolution sans doute moins visible mais importante.

Un certain nombre d’aspects négatifs peuvent néanmoins être relevés ; j’en citerai trois.

D’abord, l’absence de progrès dans la mobilisation des moyens de réaction rapide, que vous avez mentionnée, madame la présidente, est regrettable. Jusqu’à présent, le manque de volonté politique des États membres a empêché le recours aux GTUE, « dont nous parlons toujours mais que nous n’utilisons jamais », pour reprendre la formule du ministre de la défense. Dans ce contexte, la France et l’Allemagne ont formulé plusieurs propositions pratiques, aux termes desquelles le recours aux GTUE serait considéré comme l’option prioritaire pour « entrer en premier » en cas de réponse à une situation de crise.

Ensuite, vous l’avez également relevé, les travaux sur le financement de la PSDC ont peu progressé. La révision du mécanisme Athena décidée au printemps dernier n’a amélioré les conditions de financement commun des opérations militaires que de façon très marginale. La France souhaitait que la prise en charge du transport des GTUE soit acquise de droit, mais cette proposition n’a pas été retenue. Ce point continue donc à faire l’objet d’une déclaration annexée valable pour une durée limitée à deux ans. Dans ces conditions, les coûts communs représentent en moyenne 10 à 15 % seulement des coûts entraînés par les opérations militaires. De même, la capacité à financer des opérations civiles reste limitée, essentiellement en raison de la faiblesse relative des crédits de paiement au sein du budget de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), sur lequel elles sont imputées. En 2015, ces crédits s’élevaient à 267 millions d’euros sur un budget de 320 millions.

Enfin, nous avons observé des difficultés récurrentes dans le processus de génération de force, qui ont notamment retardé le lancement des deux opérations en République centrafricaine – EUFOR RCA, puis EUMAM RCA –, ainsi que la détermination de leur capacité opérationnelle initiale. Et nous avons constaté des difficultés analogues pour le lancement de plusieurs missions civiles.

Je reviens à la préparation du Conseil européen des 25 et 26 juin. Comme vous l’avez relevé, madame la présidente, ce sommet interviendra dans un contexte très différent de celui de décembre 2013 : la situation sécuritaire s’est dégradée à l’est, avec la crise russo-ukrainienne, et au sud, avec la multiplication des foyers de tension – en Syrie, en Irak, en Libye – et le développement de Daesh. Ce contexte influe sur l’état d’esprit dans lequel les États membres et leurs délégations à Bruxelles abordent l’échéance. La crise russo-ukrainienne, en particulier, a conduit un certain nombre d’entre eux à s’intéresser davantage aux travaux menés au sein de l’OTAN, en particulier aux mesures d’assurance ou de réassurance, ainsi qu’à la mise en œuvre du « plan d’action réactivité » adopté lors du sommet du Pays de Galles. Elle a aussi suscité l’introduction de nouvelles thématiques, que plusieurs partenaires considèrent désormais comme prioritaires : la réponse aux menaces hybrides ou encore les défis de la communication stratégique afin de répondre à la propagande développée par certains États tiers.

En outre, l’évolution de l’environnement sécuritaire a amené plusieurs États membres à donner la priorité à la révision de la stratégie européenne de sécurité de 2003. En décembre 2013, le Conseil européen avait demandé à la haute représentante – alors Mme Ashton – d’établir un rapport sur l’évolution de l’environnement stratégique. Mme Mogherini le présentera probablement au début du mois de juin. C’est sur la base de cette contribution que le Conseil européen devrait lui confier le mandat d’élaborer une nouvelle stratégie européenne de politique étrangère et de sécurité. À l’instar d’autres États membres, la France y est favorable, mais nous devons veiller à ce que cet exercice n’épuise pas les travaux de la réunion des 25 et 26 juin sur la PSDC.

J’en viens aux objectifs de la France. Comme en 2013, nous sommes fortement mobilisés pour que le rendez-vous de juin soit l’occasion non seulement de dresser un état des lieux, mais aussi de fixer des orientations nouvelles. Tel est le sens de la lettre conjointe que les ministres des affaires étrangères et de la défense des pays du triangle de Weimar – France, Allemagne et Pologne – ont adressé à Mme Mogherini à la fin du mois de mars.

Quelles sont nos principales attentes ?

D’abord, nous souhaitons que l’engagement collectif en faveur de l’Europe de la défense soit réaffirmé. À cette fin, le Conseil européen devrait appeler à engager ou à poursuivre le redressement des moyens de défense européens, que nous considérons indispensable pour consolider l’autonomie stratégique de l’Europe, mais aussi pour faire en sorte que la charge ne repose pas uniquement sur quelques États membres. C’est cependant une question difficile pour certains de nos partenaires, dans le contexte de consolidation des finances publiques. Il n’est donc pas évident que nous parvenions à réitérer, au sein de l’Union européenne, l’engagement pris par les membres de l’OTAN de consacrer 2 % de leur PIB aux dépenses militaires.

Ensuite, l’élaboration de la stratégie européenne de politique étrangère et de sécurité doit permettre d’identifier non seulement les intérêts et les priorités de l’Union européenne, mais aussi les moyens nécessaires à cet égard, un rôle central devant être donné aux instruments de la PSDC.

D’autre part, l’Union européenne doit contribuer au renforcement des capacités des États tiers, en particulier en Afrique, afin qu’ils puissent assurer leur propre sécurité. La haute représentante et la Commission européenne ont présenté, fin avril, une communication conjointe sur l’initiative « former et équiper » – train and equip –, rebaptisée autrement depuis lors. Compte tenu du lien entre sécurité et développement, il est notamment envisagé de financer par des moyens européens les équipements non létaux des partenaires concernés. Il s’agirait d’une innovation importante, un tel financement étant impossible dans le cadre des instruments de coopération existants. Nous souhaitons que les principes énoncés dans la communication conjointe soient rapidement mis en œuvre à travers des projets pilotes, au Mali, dans la Corne de l’Afrique ou en soutien à l’architecture africaine de sécurité.

Il est également important de renforcer les capacités militaires des Européens eux-mêmes. En décembre 2013, le Conseil européen avait invité l’AED et la Commission européenne à concevoir des mécanismes d’incitation à la coopération dans le domaine capacitaire. Il faut cependant reconnaître que les travaux ont peu avancé en la matière. Actuellement, l’AED bénéficie d’une exonération de TVA de la part des seules autorités belges pour les projets de coopération menés en commun. Encore cette exonération doit-elle être pérennisée à la faveur de la révision de la décision du conseil des ministres établissant l’AED. Ce travail est en cours. Au-delà, nous continuons à plaider en faveur de l’adoption de mesures incitatives dans le cadre de la réglementation existante, notamment de la directive TVA, afin de rendre plus attractifs les projets capacitaires menés entre Européens.

Enfin, la base industrielle et technologique de défense, y compris l’accès des PME aux marchés de défense et l’utilisation des financements européens pour la recherche et développement, doit être renforcée. Conformément à une suggestion de la Commission européenne de 2013, des travaux ont été engagés au printemps, sous l’égide de Mme Bieńkowska, en liaison avec l’AED, concernant une action préparatoire sur la recherche liée à la PSDC. Il s’agit d’une initiative très importante, qui pourrait aboutir à la création d’un instrument pérenne de soutien à la recherche dans le domaine de la défense – et non plus seulement dans celui des technologies à double usage, comme aujourd’hui –, dans le cadre des prochaines perspectives financières, c’est-à-dire après 2020. Nous souhaitons que le Conseil européen confirme l’engagement des États membre en faveur de cette initiative et, si possible, fixe les principaux paramètres de l’action préparatoire.

Je ne sais pas si les structures de la PSDC sont complexes, madame la présidente ; en tout cas, elles sont nombreuses. Le service européen d’action extérieure (SEAE), placé sous l’autorité de la haute représentante, comprend une direction chargée de la planification des opérations militaires, une direction chargée de conduire les missions civiles et un état-major. On trouve en outre un comité militaire composé de représentants des chefs d’état-major des États membres. Quant au Comité politique et de sécurité (COPS), il assure, par délégation du conseil des ministres, le contrôle politique et la direction stratégique des opérations.

Mme Mogherini s’est engagée dans un travail de réexamen des structures du SEAE, en particulier de celles compétentes en matière de gestion de crise. Nous devrions connaître ses orientations au début du mois de juin. À cet égard, notre principale préoccupation est de préserver la capacité de l’Union européenne à s’engager militairement.

Depuis l’origine de la PSDC, l’Union européenne a lancé et conduit une trentaine d’opérations et de missions. Dix-sept sont en cours, principalement dans les Balkans et sur le continent africain. Elles mobilisent environ 7 000 personnes. Onze sont des missions civiles, essentiellement de formation et de conseil. Six sont des opérations de nature militaire : l’opération Althéa, en Bosnie-Herzégovine ; la mission de formation des forces armées maliennes EUTM Mali ; la mission de formation des forces armées somaliennes EUTM Somalie ; la mission navale Atalante, destinée à lutter contre la piraterie au large de la Corne de l’Afrique ; la mission de conseil aux forces armées centrafricaines EUMAM RCA, qui a pris la suite d’EUFOR RCA le 15 mars dernier et dont la capacité opérationnelle initiale a été déclarée à la fin du mois d’avril ; la mission de formation des forces de sécurité en République démocratique du Congo EUSEC RDC, dont nous avons réduit le format et qui devrait être reprise d’ici un an sous la forme d’une coopération financée par un instrument communautaire.

Plusieurs de ces missions et opérations ont été lancées au cours de la période récente : EUTM Mali en 2013, EUCAP Sahel Mali et EUMAM Ukraine en 2014, EUMAM RCA en 2015. Comme vous l’avez indiqué, madame la présidente, des travaux ont été engagés en vue de lancer une opération navale en Méditerranée pour lutter contre les trafiquants de migrants. Le conseil des ministres a approuvé le concept de gestion de crise, la décision d’établissement et les principes de l’opération le 18 mai dernier. La planification opérationnelle est en cours, l’objectif des institutions européennes étant que le lancement soit décidé lors du prochain conseil des affaires étrangères, le 22 juin. Il s’agit d’une opération complexe, qui devrait comprendre quatre séquences : une coordination du renseignement afin d’obtenir une meilleure connaissance du trafic et des réseaux ; des opérations en mer, y compris dans les eaux territoriales libyennes, voire à proximité des côtes, à condition que le Conseil de sécurité des Nations unies adopte une résolution sur la base du chapitre VII ; une neutralisation des embarcations avant qu’elles ne soient utilisées ou réutilisées ; à terme, un retrait. De nombreux éléments doivent encore être clarifiés : le cadre juridique, les règles d’engagement, le traitement des migrants éventuellement sauvés en mer, le traitement des trafiquants éventuellement arrêtés sur les embarcations. Ces sujets sont examinés actuellement par les instances compétentes du Conseil.

M. Joaquim Pueyo. J’ai été corapporteur, avec Yves Fromion, d’une mission d’information sur l’Europe de la défense ; dans notre rapport, nous présentions toutes les instances compétentes dans le champ de la PSDC et formulions quelques propositions.

Entre la réunion du Conseil européen de décembre 2013 et aujourd’hui, la situation géopolitique a considérablement évolué, notamment avec les événements à l’est de l’Ukraine, la progression de l’État islamique – qui vient de prendre Palmyre – et la dégradation de la situation en Libye. Ces évolutions inquiétantes concernent aussi l’Europe de la défense.

Notre commission a émis à plusieurs reprises le souhait d’une révision et d’un renforcement du mécanisme Athena. Vous avez indiqué, monsieur l’ambassadeur, que nous n’avions pas atteint nos objectifs en la matière. Pour régler cette question, ne pourrait-on pas tenir compte, dans le calcul du déficit public, des efforts consentis par certains États membres, en particulier par la France, au titre d’opérations extérieures qui entrent dans le cadre de l’Europe de la défense et s’appuient sur un mandat du Conseil de sécurité ? Notre commission abordera cette question essentielle la semaine prochaine.

La progression de Daesh a provoqué une crise humanitaire et met en péril le patrimoine. L’Union européenne ne pourrait-elle pas faire entendre une voix plus forte sur ces sujets ?

M. Yves Fromion. Monsieur l’ambassadeur, vous avez rendu compte avec beaucoup d’objectivité tant des évolutions positives de l’Europe de la défense que du surplace constaté sur certains de ses aspects, d’ailleurs difficilement tolérable au regard de la situation générale que vient de rappeler Joachim Pueyo.

Pouvez-vous nous donner des précisions concernant EUMAM RCA ? Quelle est la nature de cette opération, qui, à ce stade, n’est guère lisible ?

Les moyens existants en matière de PSDC sont insuffisamment utilisés, c’est un euphémisme ! Je pense notamment à l’Eurocorps. L’une des conditions indispensables pour engager un GTUE est l’existence d’un état-major chargé de la préparation et de la planification. On nous dit qu’il reviendrait à une nation-cadre de remplir cette mission – la France dispose d’ailleurs, à cette fin, d’un état-major dormant au Mont-Valérien. Certes, on peut comprendre que les États souhaitent garder la main sur le commandement de leurs unités et sur la conduite des opérations. Mais pourquoi ne pas réfléchir à une évolution de l’Eurocorps, dont l’état-major est très fourni et a été très peu utilisé ? Ses responsables plaident eux-mêmes pour qu’il soit davantage mobilisé. Pourquoi ne pas l’activer, en lui donnant une permanence et en le rendant plus opérationnel, en liaison avec le centre satellitaire de Torrejón ? Cela ne devrait guère soulever de difficulté, l’Eurocorps étant l’initiative d’un groupe d’États volontaires, sans le Royaume-Uni.

M. Philip Cordery. Monsieur l’ambassadeur, vous avez relevé à la fois les avancées et le surplace dans certains domaines de l’Europe de la défense. En tout cas, on sent que la nouvelle équipe de la Commission européenne a envie d’aller plus loin, sous l’impulsion de M. Juncker et de Mme Mogherini.

La France a une stratégie d’intégration au niveau européen mais elle assume aussi ses responsabilités lorsqu’il le faut. Elle a cherché à le faire en Syrie et s’est malheureusement retrouvée un peu seule. Elle l’a fait au Mali. L’Italie prend, elle aussi, ses responsabilités en venant au secours des migrants en Méditerranée. Ces opérations extérieures sont, dans une certaine mesure, conduites au nom de l’Union européenne. Leur coût ne pourrait-il pas être déduit du déficit des États membres concernés ?

D’une manière générale, dans les années à venir, est-il souhaitable que les États membres mènent ainsi des opérations au nom de l’Union européenne ou bien faut-il plutôt aller vers une mutualisation ? Quelles sont, selon vous, les intentions des grands États et de la Commission européenne à cet égard ? Il faut que les Européens deviennent beaucoup plus réactifs.

M. Jérôme Lambert. Je vous ai écouté avec beaucoup d’attention, monsieur l’ambassadeur. Il existe un très grand décalage entre l’action que vous menez à Bruxelles et le niveau d’information de nos concitoyens sur le terrain. Lorsque j’évoque l’Europe de la défense, dans ma circonscription ou en dehors, je constate que la politique de défense européenne n’existe pas aux yeux des Français non spécialistes de ces questions : ils savent que des opérations ont été ou sont menées en ex-Yougoslavie et en Méditerranée, mais elles leur apparaissent comme des opérations non pas européennes, mais françaises ou italiennes. Pour notre part, nous souhaitons que l’Europe soit davantage au cœur des préoccupations de nos compatriotes et qu’il y ait une réalité européenne dans tous les domaines, y compris dans celui de la défense. Nous ne pouvons donc que déplorer cette communication insuffisante ou défectueuse – qui n’est, bien sûr, pas de votre fait. Quels sont vos commentaires à ce sujet ?

Quant à la question du financement, elle revient de manière récurrente dans les conversations : à tort ou à raison, les Français ont le sentiment d’être les seuls contributeurs lorsque leurs troupes sont engagées et ils se demandent pourquoi ils paient ainsi pour les autres, alors même qu’il leur est demandé d’accomplir tant d’efforts dans d’autres domaines. Il est important d’en prendre conscience : si aucune réponse n’est apportée au niveau européen, les Français risquent, à un moment donné, de ne plus accepter cette situation.

La Présidente Danielle Auroi. Je souscris aux remarques de mes collègues, en particulier à celles de Jérôme Lambert. Les citoyens italiens et grecs ont d’ailleurs le même sentiment à propos de l’action de leur pays en Méditerranée que les citoyens français au sujet de l’opération au Mali.

Si l’on en croit la presse et le témoignage de ceux qui connaissent le terrain, les circuits qui alimentent Daesh se sont déplacés : ils passent désormais moins par la Grèce et la Turquie que par la Bulgarie. Il ne suffit donc pas de traiter la situation en Méditerranée. Travaillez-vous sur cette question ou bien relève-t-elle d’autres instances ?

Et que fait l’Union européenne pour aider les États voisins, notamment le Liban, la Jordanie et la Tunisie, qui subissent de plein fouet les drames liés à l’expansion de Daesh ou au désordre régnant en Libye ?

M. Philippe Setton. Lors du Conseil européen de décembre 2013, le Président de la République avait demandé que les conditions de financement des opérations militaires soient revues. Nous avions en effet constaté des dysfonctionnements, en particulier le caractère dissuasif des règles de financement et de définition des coûts communs. En d’autres termes, rien, dans le mécanisme Athena, n’encourageait les États membres à contribuer à une opération militaire.

La France a soumis des propositions visant à étendre le champ des coûts communs, notamment au transport stratégique et aux frais d’implantation sur les théâtres d’opérations. Nous avons été rejoints par certains partenaires mais avons été confrontés à une opposition très forte de la part de quelques autres ; les décisions relatives au mécanisme Athena étant adoptées à l’unanimité, nous avons dû nous résoudre à un texte insatisfaisant sur le fond au regard de nos objectifs initiaux.

Cela a conduit le ministre de la défense à rappeler, lors du conseil des affaires étrangères du 18 mai dernier, que le financement des opérations militaires restait un sujet ouvert et que nous souhaitions un réexamen du mécanisme Athena à brève échéance. Cependant, nous continuerons à nous heurter aux réticences d’un certain nombre d’États membres. Rappelons qu’Athena est un mécanisme de financement intergouvernemental auquel participent vingt-sept États membres – le Danemark étant resté en dehors – et que les contributions sont calculées sur la base d’une clé PNB.

M. Jérôme Lambert. Quels sont les États qui bloquent ?

M. Philippe Setton. Les plus réticents ont été le Royaume-Uni, l’Irlande et l’Autriche.

M. Yves Fromion. Pas les Pays-Bas ?

M. Philippe Setton. Non, beaucoup moins. S’agissant de l’Autriche et de l’Irlande, leur opposition tient aussi à leur neutralité et à leur statut particulier dans le cadre de la PSDC.

La question de la prise en compte des efforts consentis en matière de défense dans le calcul du déficit public au sens des critères de Maastricht a été mentionnée à Bruxelles par un petit nombre d’États membres, notamment l’Italie. Elle ne fait néanmoins pas l’objet d’un débat à vingt-huit. À titre personnel, j’ajoute qu’il s’agit d’un sujet délicat, qui soulève un certain nombre d’interrogations. En particulier, quelles dépenses s’agirait-il de prendre en compte ? Vous avez évoqué le coût des opérations extérieures, mais on peut aussi songer aux dépenses d’investissement et de recherche dans le domaine de la défense. Il y a donc un travail à faire sur le champ d’une éventuelle proposition.

J’en viens à l’implication de l’Union européenne dans son voisinage sud. L’Union européenne n’est pas, en tant que telle, membre de la coalition contre Daesh, mais plusieurs États membres y participent. Nous avons obtenu que le conseil des ministres exprime son soutien politique aux efforts de la coalition dans des conclusions récentes, ce qui n’était pas totalement acquis au départ.

En ce qui concerne les pays voisins, l’Union européenne contribue à la prise en charge des personnes déplacées, notamment au Liban, en Jordanie et en Tunisie, et apporte une coopération technique en matière de la lutte contre le terrorisme, sous l’égide de la Commission et du coordinnateur pour la lutte contre le terrorisme, M. Gilles de Kerchove.

Le conseil des ministres a adopté, l’année dernière, une stratégie de lutte contre Daesh, qui énumère une panoplie d’instruments : dialogue politique, démarches diplomatiques, coopération technique, assistance, etc. Cette action relève à la fois de la PESC et de la politique en matière de justice et d’affaires intérieures (JAI). Les questions relevant de la lutte contre le terrorisme ou contre le phénomène des combattants étrangers, notamment celle des circuits et des flux migratoires qui alimentant Daesh, sont traitées par d’autres instances que le COPS, compétentes en matière de JAI. Néanmoins, Mme Mogherini a souhaité qu’il y ait un accompagnement par la politique étrangère, afin que l’action de l’Union soit aussi cohérente que possible.

S’agissant de la République centrafricaine, la France avait plaidé en faveur d’une opération militaire permettant d’assurer la transition jusqu’au déploiement de la Mission intégrée multidimensionnelle de stabilisation des Nations unies en République centrafricaine (MINUSCA), au printemps 2015. Il s’est agi de l’opération EUFOR RCA, qui a été lancée pour six mois, puis prolongée pour trois mois supplémentaires.

Ensuite, le ministre de la défense s’est beaucoup investi pour obtenir qu’EUFOR RCA soit suivie par une mission de conseil en matière de réforme du secteur de la sécurité, en particulier des forces armées centrafricaines (FACA). Cela a conduit au lancement d’EUMAM RCA, dont la capacité opérationnelle initiale a été déclarée en avril dernier. Cette opération est en phase de montée en charge et a commencé son travail sur place. À ce stade, elle comprend une soixantaine de personnes installées à Bangui, qui fournissent des conseils de nature stratégique aux autorités de transition, notamment au ministère de la défense et à l’état-major des armées centrafricaines, afin de réformer les FACA et de constituer une armée républicaine.

Il s’agit là d’une première étape. Dans un monde idéal, nous pourrions envisager qu’EUMAM RCA soit suivie par une mission de formation de type EUTM, à l’image de celle qui est en cours au Mali. Tel est le souhait non seulement de la France, mais aussi des autorités centrafricaines : la Présidente de transition a plaidé dans ce sens auprès des institutions européennes hier à Bruxelles, notamment devant le COPS. Il faudra revenir sur cette perspective dans les prochains mois, en l’envisageant dans le contexte plus large du processus de transition politique, notamment des élections qui doivent se tenir avant la fin de l’année.

Je conçois bien volontiers que les travaux conduits au sein des organes bruxellois échappent en grande partie à nos concitoyens ! Néanmoins, cette situation est assez paradoxale, car les enquêtes d’opinion montrent régulièrement que les citoyens européens sont attachés à l’idée d’une défense européenne. En tout cas, nous œuvrons pour que des progrès soient réalisés en matière de PSDC et nous menons une discussion difficile à vingt-sept ou à vingt-huit à ce sujet. Pour tout dire, c’est un long combat, car il n’y aura pas de « grand soir » en matière de PSDC – on lit parfois cette erreur d’appréciation dans les travaux académiques.

Pour cette raison notamment, nos autorités politiques ont jugé qu’il fallait sortir des débats de doctrine et que les réunions du Conseil européen de décembre 2013 et de juin 2015 devaient permettre des avancées concrètes. Pendant longtemps, de telles avancées ont été dans une grande mesure empêchées par les discussions théologiques, y compris à Bruxelles, à propos de ce que devait être une politique de défense européenne, de ce qu’il était possible et souhaitable de faire en la matière. Depuis lors, le choix a été fait de s’engager dans une voie pragmatique ; c’est une méthode des petits pas, assez peu visible, mais qui donne des résultats pratiques. Aussi contrasté son bilan soit-il, la PSDC est une réalité : 7 000 personnes sont actuellement déployées sur le terrain, et les opérations – EUFOR RCA, EUTM Mali, Atalante, etc. – apportent une contribution tangible. Ainsi, depuis plusieurs mois, nous n’avons constaté aucune attaque de pirates contre les bâtiments de marine marchande qui naviguent dans la zone couverte par l’opération Atalante.

Concernant les états-majors, nous avons eu, il y a quelques années, des discussions difficiles à propos de la création d’une structure de planification pérenne à Bruxelles – elles ont d’ailleurs pris le tour d’un débat de doctrine, notamment avec nos partenaires britanniques. Il est clairement apparu que nous ne pourrions pas avancer sur cette question. Il fallait donc chercher, là aussi, une voie aussi pragmatique que possible. En définitive, six états-majors ont été certifiés dans les États membres. Je ne partage d’ailleurs pas l’appréciation que vous portez sur eux, monsieur Fromion. Pour l’opération EUFOR RCA, nous avions décidé d’activer l’état-major situé à Larissa, en Grèce. Il a été armé par des éléments venus de Grèce, de France et d’autres États membres, et a bien fonctionné.

M. Yves Fromion. Nous n’avons jamais su que l’opération EUFOR RCA avait été pilotée par un état-major européen situé à Larissa ! Nous avons toujours eu le sentiment qu’il s’agissait d’une opération franco-française dirigée depuis Paris, avec l’état-major du général Bernard Barrera sur le terrain ! Je découvre cette information aujourd’hui, bien que je me sois rendu plusieurs fois en République centrafricaine. Quoi qu’il en soit, c’est plutôt une bonne chose.

La Présidente Danielle Auroi. Je vous remercie, monsieur l’ambassadeur, d’avoir répondu à nos questions de manière très précise, en rétablissant parfois des vérités qui ne sont pas assez connues en France, ainsi que vient de le montrer la remarque d’Yves Fromion. Lorsque quelque chose nous flatte, c’est français, mais quand cela ne va pas, c’est européen ! Cette tendance se retrouve même dans le domaine de la défense.

La séance est levée à 10 heures

Membres présents ou excusés

Commission des affaires européennes

Réunion du mercredi 27 mai 2015 à 8 h 45

Présents. – Mme Danielle Auroi, M. Philip Cordery, M. Yves Fromion, M. Jérôme Lambert, M. Joaquim Pueyo

Excusé. - M. Pierre Lequiller