Accueil > Union européenne > Commission des affaires européennes > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Consulter le sommaire
Voir le compte rendu au format PDF

Commission des affaires européennes

mardi 30 juin 2015

18 h 15

Compte rendu n° 220

Présidence de Mme Danielle Auroi Présidente

Examen du rapport d’information de Mme Marietta Karamanli, pour observations sur le projet de loi relatif au droit des étrangers en France (no 2183)

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mardi 30 juin 2015

Présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente de la Commission

La séance est ouverte à 18 h 25

Examen du rapport d’information de Mme Marietta Karamanli, pour observations sur le projet de loi relatif au droit des étrangers en France (no 2183)

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Madame la Présidente, mes chers collègues, l’objet du présent rapport pour observation est de vous présenter les dispositions du projet de loi relatif au droit des étrangers présentant un lien direct avec le droit européen.

La politique commune de l’immigration est régie par la procédure législative ordinaire depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne. Néanmoins, la capacité à fixer les volumes d’entrées de ressortissants de pays tiers à des fins professionnelles sur leur territoire demeure une prérogative des Etats-membres (cf. article 79 paragraphe 5). Par ailleurs, le traité de Lisbonne prévoit que le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, peuvent établir des mesures pour encourager et appuyer l’action des Etats-membres en vue de favoriser l’intégration des ressortissants de pays tiers en séjour régulier sur leur territoire à l’exclusion de toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des Etats-membres, comme l’indique l’article 79 paragraphe 4 du Traité.

Nonobstant la compétence des États membres en la matière, l’Union européenne est en charge des conditions d’entrée et de séjour de certaines catégories de personnes comme les étudiants, les travailleurs qualifiés, les personnes venant pour regroupement familial.

Le cadre juridique existant en matière d’accueil et d’intégration des étrangers en France est le résultat de dispositions législatives diverses, nationales ou européennes.

Il n’en demeure pas moins que ce cadre reste à améliorer, comme le démontre le rapport demandé par le Ministre de l’Intérieur en février 2013. En effet, le rapport sur l’évaluation de la politique d’accueil des étrangers primo-arrivants, rédigé conjointement par l’Inspection Générale de l’Administration (IGA) et par l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS), auquel est venu s’ajouter le rapport de M. Fekl du 14 mai 2013 sur ce sujet, met en avant un certain nombre de dysfonctionnements.

Les priorités du présent projet de loi s’articulent autour de deux grandes notions primordiales pour l’efficacité d’une politique migratoire, la cohérence du cadre juridique et l’intégration des étrangers en situation irrégulière. En effet, un droit trop complexe précarise la situation des étrangers, susceptibles de rencontrer des difficultés dans la compréhension, dans le respect de ce droit et donc dans la régularité de leur situation.

La réforme du droit des étrangers vise donc à renforcer la cohérence du cadre législatif existant dans le domaine de l’immigration légale (première partie), en favorisant les conditions d’accueil et d’intégration des étrangers en situation régulière. Conscient de l’opportunité que représente l’immigration légale pour notre pays, la réforme vise à renforcer l’attractivité de la France notamment par la création d’une carte de séjour propre aux talents internationaux. Le présent projet de loi propose également, par la création et le renforcement de mesures, une amélioration du cadre législatif en matière d’immigration irrégulière (seconde partie).

Il convient de noter que certains Etats de l’Union Européenne avec l’aide de collectivités territoriales et d’organismes dédiés ont pu mettre en place un accompagnement actif pendant plusieurs mois des familles primo arrivantes en vue de les aider dans leurs démarches, s’assurer de leur intégration par l’apprentissage de la langue et la connaissance du pays, l’acquisition de qualifications professionnelles et l’existence de relais et soutiens dans les communautés de proximité.

A ce titre le parcours d’intégration des étrangers tel qu’encadré par le droit ne peut être dissocié de la définition d’une stratégie nationale d’intégration des étrangers accueillis de façon plus ou moins longue sur son territoire qui en l’état n’existe que de façon embryonnaire.

J’en viens aux dispositions du projet de loi relatives à l’immigration légale.

Le projet de loi porte deux ambitions majeures qui, il me semble doivent être soulignées et soutenues. En effet, conscient de l’importance de l’immigration régulière il vise à favoriser l’accueil et l’intégration des étrangers, et l’attractivité du territoire français.

Il convient de favoriser l’accueil, l’accompagnement et le parcours d’intégration des étrangers en France. La réforme du contrat d’accueil et d’intégration doit permettre un accueil adapté et une intégration effective des primo-arrivants avec le contrat d’accueil personnalisé.

Dans un rapport dont j’étais l’auteure et une résolution adoptés en 2014, l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) considère « l’intégration des immigrés réguliers comme un processus à double sens d’inclusion dans les institutions et relations au sein de la société d’accueil, impliquant des droits et des responsabilités des deux côtés. Le marché du travail et les services sociaux, ainsi que l’éducation et la participation à la vie politique constituent des principaux domaines d’intégration ».

Le rapport de l’Inspection générale de l’administration (IGA) et de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), présenté en octobre 2013 dresse un constat plutôt négatif du contrat d’accueil et d’intégration (CAI), supposé préparer en douze mois, l’intégration républicaine dans la société française des étrangers de plus de seize ans.

En effet, il s’avère que ce dispositif unique d’intégration est trop standardisé, incohérent, et n’offre pas des prestations adaptées aux étrangers primo-arrivants.

Le projet de loi remplace le contrat d’accueil et d’intégration par un contrat d’accueil personnalisé, plus adapté aux situations personnelles des primo-arrivants. Il s’accompagne en effet, d’un ensemble de prestations étatiques, qui, selon nous, sont plus propices à favoriser l’intégration. Elles seront analysées dans le rapport.

Le parcours individualisé impose une forme d’investissement de la part de l’État, qui accompagne individuellement chaque ressortissant d’États tiers dans des conditions qui semblent optimales. Il suppose également un engagement accru de la part de l’étranger. Ainsi le niveau de langue demandé est plus exigeant (niveau A2 du cadre européen de référence pour les langues).

Si l’exigence du niveau de langue est un véritable instrument d’intégration, il faut toutefois veiller à ce qu’elle ne se transforme pas en véritable obstacle pour les parents étrangers venant retrouver leurs enfants français. Il faudrait peut-être réfléchir à des aménagements pour de telles situations.

Par ailleurs la valorisation de la langue d’origine des personnes accueillies sur le territoire national pourrait constituer un point d’entrée pour leur bonne intégration dans le cadre de mesures de formation et d’insertion professionnelle et sociale, la reconnaissance de celle-ci étant de nature à favoriser la confiance dans des apprentissages nouveaux.

Le projet de loi vise à faciliter et sécuriser l’immigration légale avec la carte pluriannuelle et l’aménagement de la durée de certaines cartes de séjour temporaires.

Je me félicite ici de l’ambition du projet de loi, qui consacre une promesse électorale de l’actuel Président de la République en mettant en place la carte de séjour pluriannuelle. Elle participe, au même titre que l’aménagement de la durée de certains cartes de séjour temporaires, à inverser le principe général de l’annualité des titres de séjour, pour un parcours d’immigration et intégration cohérent moins contraignant.

L’attribution de la carte pluriannuelle, subordonnée à l’obligation de séjourner sous couvert d’un visa de long séjour valant titre de séjour ou d’une carte de séjour temporaire (Article 4 du projet de loi), permet de sécuriser le processus d’intégration de l’étranger pour une période maximale de quatre ans (article 6 du projet de loi).

La pluri annualité de l’acte suppose ainsi une réduction des démarches annuelles de renouvellement de son titre de séjour, et une émancipation vis-à-vis des contrôles contraignants inhérents à cette démarche.

La carte de séjour pluriannuelle offre donc une stabilité de quatre ans à l’étranger en situation régulière en France.

De plus, nous constatons que la délivrance de la carte de séjour pluriannuelle encourage la progressivité et la cohérence du parcours d’intégration entrepris par l’étranger.

Ainsi l’étranger devra justifier de « son assiduité et du sérieux de sa participation aux formations prescrites par l’État dans le cadre du contrat personnalisé », et devra continuer à remplir les conditions de délivrance de sa carte de séjour temporaire.

Si cette réforme représente une avancée majeure, nous pouvons cependant déplorer les incohérences qui viennent affaiblir le système et que nous souhaitons corriger, en tant que parlementaires, dès demain en Commission des Lois puis en séance publique.

Tout d’abord, l’obtention d’une carte de séjour pluriannuelle ne protège pas l’étranger de contrôles pendant la période de validité du titre. En effet il doit pouvoir justifier à tout moment qu’il continue de satisfaire aux conditions fixées lors de la délivrance de sa carte. Dans le cas contraire la carte de séjour pourra lui être retirée ou son renouvellement refusé (Article 8 du projet de loi).

De plus, la pluri annualité du titre ne garantit pas le passage automatique à une carte de résident. Nous pouvons ainsi déplorer que contrairement à la communication du ministre de l’intérieur et à ce que proposait le rapport Fekl, les conditions de délivrance de la carte de résident ne soient pas modifiées.

Enfin, le projet de loi ne prévoit pas un régime unique de carte de séjour pluriannuelle. En effet, au-delà du régime général, nous pouvons regretter l’existence de régimes dérogatoires selon les situations.

La transposition des dispositions européennes porte sur l’allongement de la durée des cartes de séjour temporaires pour favoriser l’immigration professionnelle.

Dans les cas où les cartes de séjour temporaires persistent, le projet de loi apporte une certaine souplesse pour favoriser le séjour en France de ressortissants étrangers. Il s’inscrit pour cela dans la reprise de nombreuses dispositions européennes.

Nous pouvons nous féliciter, tout d’abord, de la simplification des dispositions actuelles du CESEDA relatives au séjour temporaire pour l’exercice d’une activité professionnelle (Article L. 313-10). Ainsi, ce projet avalise les cartes de séjour portant la mention « salarié », pour les contrats à durée déterminée, et les cartes de séjours portant la mention « travailleur temporaire », il facilite l’obtention de la carte mention « salarié » pour l’étudiant de niveau master qui présente un contrat de travail à l’expiration de sa carte mention « étudiant », il consacre la carte portant mention « entrepreneur-profession libérale », etc. Il y a donc de réelles avancées.

Le projet de loi intègre également les dispositions contenues dans la directive relative aux « travailleurs saisonniers » du 26 février 2014 et la directive « transferts temporaires intragroupe » du 15 mai 2014. Elles visent à faciliter l’exercice professionnel au sein des États membres de l’Union des travailleurs concernés (travailleurs peu qualifiés pour la directive « travailleurs saisonniers » et travailleurs très qualifiés pour les travailleurs concernés par les « transferts temporaires intragroupe »).

Très active lors des négociations relatives à ces directives, la France se dote donc désormais d’un cadre législatif favorable et attractif pour ces travailleurs étrangers.

Il convient également de renforcer l’attractivité de la France et attirer les talents étrangers en intégrant les règles européennes.

Avec la création du « passeport talent », ce projet de loi rénove l’accueil des talents étrangers et répond à la difficulté actuelle d’un manque de cohérence entre les titres de séjour existants et les publics visés. Cette nouvelle carte de séjour pluriannuelle est destinée aux étrangers qui apportent une contribution au développement et au rayonnement de la France.

Nous pouvons donc nous féliciter que cet ensemble hétérogène soit remplacé par une carte unique qui concerne neuf catégories (jeune diplômé qualifié, travailleur hautement qualifié (carte bleue européenne), salarié en mission, chercheur, créateur d’entreprise, investisseur, mandataire social, artiste, étranger ayant une renommée internationale dans un domaine scientifique, littéraire intellectuel, éducatif et sportif).

Toujours dans une logique d’attractivité, le projet de loi prévoit également la création du « passeport talent – famille » pour les membres de la famille (conjoint et enfants mineurs) du bénéficiaire de la carte « passeport talent ».

Une catégorie spécifique de la carte « passeport talent » porte la mention « carte bleue européenne » et est dédiée au dispositif mis en place à l’échelle de l’UE par la Directive du 25 mai 2009. Ses résultats sont un peu mitigés.

L’article 11 du projet de loi prévoit que cette carte peut être délivrée à « l’étranger qui occupe un emploi hautement qualifié, pour une durée égale ou supérieure à un an, et justifie d’un diplôme sanctionnant au moins trois années d’études supérieures ou d’une expérience professionnelle d’au moins cinq ans d’un niveau comparable ».

Cette carte spécifique se distingue de la carte « passeport talent » classique puisqu’elle a une durée de validité égale à celle figurant sur le contrat de travail.

La stratégie d’attractivité de la France, mise en œuvre dans ce projet de loi, s’inscrit dans une volonté plus globale, à l’échelle de l’Union européenne, d’attirer une main-d’œuvre hautement qualifiée.

En matière de migration légale, il convient de rappeler que l’Europe rivalise avec d’autres économies pour attirer les travailleurs possédant les compétences dont elle a besoin.

La directive « carte bleue » prévoit déjà un tel régime mais celui-ci est sous-utilisé. C’est pour cette raison que la Commission européenne a lancé une consultation publique, ouverte jusqu’au 21 août 2015, qui a pour objectif de réviser cette directive et d’améliorer la politique d’immigration légale de l’UE.

Depuis sa mise en place en 2009, on constate un engouement contrasté pour la carte bleue européenne selon les États membres. Ainsi, en 2013, l’Allemagne a octroyé environ 93 % du total des cartes bleues délivrées dans l’Union, avec 11 580 cartes. Cette même année, la France en a délivré seulement 371.

En plus des données objectives comme l’attractivité des territoires ou la situation économique, de tels écarts dans l’utilisation de la carte bleue européenne peuvent être dus aux choix politiques opérés par les États. Par exemple, pour la France, le peu de cartes bleues distribuées est probablement dû au cumul de ce dispositif avec les dispositifs nationaux en faveur des migrants hautement qualifiés, comme la carte de séjour « compétences et talents » ou la carte de séjour temporaire « salarié et travailleur temporaire ».

Même si l’attractivité est à encourager, il convient, ici, de rappeler que notre commission a, à plusieurs reprises, et j’en remercie la Présidente, rappelé  que « dans un contexte de crise économique qui a durement frappé l’Europe, et alors que les tensions liées à la xénophobie sont plus manifestes, une vigilance toute particulière doit être portée à réguler activement l’immigration économique, les mesures utiles sortant du seul champ de la mobilité des personnes et touchant des sujets aussi divers que la concurrence des salaires au sein des pays de l’Union ou les politiques de coopération de celle-ci avec les pays tiers d’où vient principalement la main d’œuvre. »

Le projet de loi vise également à simplifier le parcours des étudiants étrangers souhaitant étudier en France. Dans sa démarche pour faire de la France un pays plus attractif pour les étrangers susceptibles de contribuer au développement et au rayonnement du pays, ce projet de loi cherche également à attirer les étudiants, notamment les plus qualifiés d’entre eux.

La possibilité est désormais offerte aux étudiants de bénéficier d’une carte de séjour pluriannuelle. Cette initiative leur donne une certaine stabilité dans leur séjour et leur évite de se heurter à des obstacles administratifs lourds et complexes.

Cependant, comme le soulignent certaines associations, il est regrettable que, pour les étudiants, la durée de validité de la carte de séjour ne soit pas de quatre ans mais corresponde à la durée « du cycle d’études dans lequel il est inscrit ».

La Commission européenne affiche, depuis plusieurs années déjà, sa volonté d’attirer des étudiants et chercheurs talentueux originaires de pays tiers, capables de contribuer, par leurs connaissances et compétences, à la croissance et à la compétitivité de l’UE.

Elle a proposé, le 25 mars 2013, une directive relative aux « étudiants, chercheurs et autres » qui vise à fusionner et refondre deux textes antérieurs : la directive « étudiants » et la directive « chercheurs ». Elle fait encore aujourd’hui l’objet de négociations à Bruxelles par le biais de trilogues.

La directive définit les conditions d’entrée et de séjour sur le territoire des États membres, pour une durée supérieure à trois mois, des chercheurs, étudiants, élèves et stagiaires (rémunérés ou non), volontaires et personnes au pair, qui sont ressortissants de pays tiers et met en place un système de mobilité intra-européenne qu’elle veut plus efficient, en particulier pour les besoins d’études ou de recherches.

J’en viens à la deuxième partie du rapport relative aux dispositions du projet de loi relatives à l’immigration irrégulière. Les travaux de la commission des affaires européennes en matière de lutte contre l’immigration irrégulière ont été denses ces derniers mois. Je pense au rapport rendu avec mon collègue Charles de La Verpillière ainsi qu’à la proposition de résolution européenne que nous avons déposée. Il convient également de rappeler la communication sur le programme européen en matière de migration présentée le 3 juin 2015. Depuis, l’opération navale « EUNAVFOR MED », visant à lutter contre les passeurs et les trafiquants d’êtres humains, a été lancée par le Conseil Affaires étrangères le 22 juin 2015.

Le présent projet de loi, qui n’est pas principalement un projet de loi de transposition, vise essentiellement, s’agissant des instruments européens de lutte contre l’immigration irrégulière, à mieux transposer la directive dite directive retour en assurant le respect des principes directeurs de la directive, tels que la priorité donnée au retour volontaire, à l’assignation à résidence par rapport à la rétention, et à la nécessité d’assurer le caractère effectif des mesures d’éloignement prononcées. J’ai souhaité concentrer mes observations sur les articles du projet de loi présentant un lien direct avec le droit européen.

Vous trouverez dans le rapport un rappel des grands principes de la directive retour.

Les mesures proposées visent dans le cadre d’une transposition plus complète de la directive retour, à renforcer le caractère prioritaire de l’assignation à résidence et à assurer l’effectivité des décisions d’éloignement.

En l’état actuel de notre droit, l’article 551-1 du CESEDA relatif au placement en rétention prévoit l’application de la mesure de rétention à moins que l’étranger ne soit assigné à résidence (AAR).

La réécriture proposée vise à inverser la logique prévalant à l’heure actuelle  afin de prévoir que l’étranger qui ne présente pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque qu’il ne se soustraie à son OQTF, peut être placé en rétention (article 19).

Le projet renforce les outils à la disposition de l’administration pour assurer l’exécution effective des mesures d’éloignement. Les mesures proposées ne constituent pas directement des mesures de transposition. Elles donneront certainement lieu à débat. Elles visent, en contrepartie du développement de l’assignation à résidence, à permettre d’assurer l’exécution des décisions d’éloignement dans ce cadre. Comme je le soulignais dans le rapport présenté avec M. Charles de La Verpillière, l’exécution des mesures d’éloignement demeure très problématique. L’étude d’impact du projet de loi rappelle que le taux d’exécution des OQTF en 2013 était de 17,1 %.

Une personne peut faire obstacle à son éloignement par un refus de coopération pour établir les documents de circulation ou utiliser le caractère inviolable du domicile pour s’opposer à la procédure administrative.

Il est proposé :

- d’une part, par l’article 18, de permettre à l’autorité administrative, lorsque l’étranger assigné à résidence n’a pas déféré à une précédente demande de celle-ci, de le faire escorter par les services de police ou les unités de gendarmerie devant les autorités consulaires pour la préparation de son départ. La loi subordonne explicitement cette contrainte à une exigence de stricte proportionnalité ;

- d’autre part, de permettre, par l’article 22, à l’autorité administrative de solliciter auprès du juge des libertés et de la détention une autorisation d’accès au domicile pour les services de police pour procéder à l’exécution d’office de la mesure d’éloignement d’un étranger assigné à résidence. Il convient ici de souligner que la Cour européenne des droits de l’Homme a, dans son arrêt du 15 octobre 2013 fixé les conditions dans lesquelles les agents de la force publique peuvent pénétrer dans un domicile privé pour procéder à l’interpellation d’une personne (le cas d’espèce ne relevait pas du droit de l’éloignement des étrangers en situation irrégulière), notamment en présence de sa famille. Un juge doit exercer un contrôle préalable sur la nécessité et la régularité de l’opération.

Les associations que j’ai pu auditionner dénoncent la « présentation vertueuse » de ces dispositions et estiment que l’objectif du projet est celui d’une amélioration de la « productivité » des procédures d’éloignement, en donnant aux préfectures la possibilité d’user, dans le cadre de l’AAR, d’un « niveau de contrainte similaire » à celui de la rétention.

Le régime de l’OQTF serait modifié. Il apparait nécessaire de préciser la portée européenne de l’OQTF. La Commission européenne a souligné que l’OQTF doit impliquer, non seulement l’obligation de quitter le territoire français, mais aussi celui des Etats membres de l’Union, conformément à la notion de retour définie au paragraphe 3 de l’article 3 de la directive retour.

Toutefois, dans le cas d’une OQTF sans interdiction de retour, il n’est pas précisé clairement que l’étranger en situation irrégulière doit, non seulement quitter le territoire français, mais également rejoindre un pays tiers. Le projet de loi vise donc, en son article 14, à clarifier le droit français applicable.

D’autres modifications sont apportées à la liste des motifs d’OQTF. Par ailleurs, le projet de loi modifie le I de l’article L. 511-1 sur l’OQTF pour clarifier la situation des personnes déboutées du droit d’asile dans les cas dans lesquels l’OQTF n’accompagne pas une décision de refus d’admission au séjour.

Il convient également de préciser qu’un 7° et un 8° seraient introduits dans le I de l’article L. 511-1 pour reprendre les motifs de prononcé d’un arrêté de reconduite à la frontière, dispositif qui est devenu marginal (366 APRF prononcés au second semestre 2013) et qui serait totalement absorbé dans l’OQTF. Il s’agissait d’une recommandation du rapport de Matthias Fekl.

L’article 17 du projet de loi vise à préciser que, pour la réadmission d’étrangers en situation irrégulière entre Etats membres, ne sont applicables que les accords et arrangements bilatéraux en vigueur avant l’entrée en vigueur de la directive retour, soit le 13 janvier 2009.

Le délai de départ volontaire est fixé à l’article L. 511-1 à 30 jours. L’administration peut fixer un délai supérieur « eu égard à la situation personnelle » de la personne. Or, il conviendrait également, selon la Commission européenne, de pouvoir prolonger le délai de départ si nécessaire et pour une durée appropriée. Tel est l’objet du 3° du I de l’article 14.

La définition des risques de fuite au 3° de l’article L 511-1 du CESEDA, selon laquelle le risque est établi dans les cas définis à l’article, n’est pas conforme à la directive retour selon la Commission européenne, en ce qu’elle restreint la possibilité d’appréciation au cas par cas. Le 4° du I de l’article 14 vise à modifier le II de l’article L. 511-1 en conséquence.

Les délais de recours contentieux seraient modifiés. En l’état actuel du droit, le délai de recours contentieux est de 30 jours pour les OQTF avec délai de départ volontaire (avec un délai de jugement de trois mois), mais de 48 heures en cas de refus de délai et, en cas d’AAR ou de placement en rétention, la procédure accélérée devant un juge statuant seul est applicable.

Le gouvernement souligne dans son étude d’impact que les délais de droit commun n’ont pas lieu d’être applicables dans le cas d’une OQTF lorsqu’une demande d’asile a été définitivement rejetée. C’est pourquoi, en lien avec le projet de loi sur l’asile tendant à réduire les délais de procédure, il est proposé de prévoir alors un délai de recours de sept jours, avec un magistrat statuant seul dans un délai d’un mois. Le projet de loi étend cette même logique aux cas dans lesquels l’OQTF se fonde sur l’entrée irrégulière si l’étranger s’est maintenu sur le territoire sans demander une admission au séjour. Les associations entendues dénoncent la réduction des délais de recours, jugée disproportionnée.

Il convient également, s’agissant du caractère suspensif du recours contre une OQTF, de relever que l’article 16 traite des conditions d’éloignement des personnes dans les collectivités d’outre-mer en cas de référé liberté, suite à la condamnation de la France par la CEDH (arrêt De Souza Ribeiro du 13 décembre 2012).

L’article 11§1 de la directive retour impose qu’une OQTF soit assortie d’une interdiction de retour si aucun délai n’a été accordé pour le retour volontaire ou si l’obligation de retour n’a pas été respectée. Dans les autres cas, les décisions de retour peuvent être assorties d’une interdiction d’entrée.

En 2011, il a été décidé de maintenir un pouvoir d’appréciation pour chacun des cas d’interdiction de retour, afin de tenir compte de l’existence d’un débat non tranché à l’époque sur le caractère de sanction ou de mesure de police de l’interdiction de retour. Depuis, le Conseil constitutionnel a jugé, dans sa décision du 9 juin 2011, que cette interdiction est une mesure de police et non une sanction.

Le III de l’article L. 511-1 serait modifié afin de clarifier les cas d’interdiction de retour et de différencier les situations, conformément au texte de la directive.

Enfin, et il s’agit du dernier aspect, j’en viens à l’exercice du droit à la libre circulation pour les ressortissants européens et les membres de leur famille.

Compte tenu d’un constat partagé de certains abus du droit à la libre circulation, tel qu’il est établi par la directive 2004/38/CE pour les ressortissants européens et des membres de leur famille, dans le cadre de réseaux organisés, la Commission européenne a rappelé dans sa communication (COM(2013)837) du 25 novembre 2013 qu’il appartient aux Etats membres de prendre les mesures de lutte contre les abus telles qu’elles sont prévues par la directive relative à la libre circulation. La CJUE a également rappelé la possibilité de prendre ces mesures dans un arrêt Métock du 25 juillet 2008. Le droit français actuel ne prévoit pas l’interdiction de circulation autorisée par la directive 2004/38/CE. La directive précise les conditions d’application et les garanties procédurales en cas de menace à l’ordre ou la sécurité public (articles 15, 27 et suivants). En outre, les situations d’abus de droit ou de fraude sont régies par l’article 35 de la directive.

Il est proposé, à l’article 15, de créer la possibilité d’une OQTF assortie d’une interdiction temporaire de circulation sur le territoire français, d’une durée maximale de trois ans, lorsque le comportement d’une personne concernée par la directive 2004/38/CE constitue une menace à la sécurité ou l’ordre public ou un abus de droit. Les associations que j’ai pu auditionner dénoncent fermement cette atteinte « maximale » portée à l’exercice d’une liberté fondamentale. Il apparait cependant que de telles mesures sont prévues par la directive. Il conviendra au cours des débats d’examiner avec précision ce que recouvre une interdiction de circulation qui n’est pas suffisamment claire.

En outre, le projet de loi supprimerait (article 15) la condition actuelle tenant à ce que le comportement de menace à l’ordre public soit constaté dans les trois premiers mois après l’entrée en France, le gouvernement soulignant que le texte en vigueur est trop réducteur sans raison objective, notamment sans fondement particulier au regard de la directive de 2004.

En conclusion, il convient de relever que plusieurs articles proposés présentent un lien certain avec le droit européen, qu’il s’agisse de mettre en œuvre une meilleure transposition, ou de prendre en compte la jurisprudence de la CJUE et de la CEDH. Notons cependant que le droit français actuel ne faisait pas l’objet de procédures de la part de la Commission européenne.

Les dispositifs proposés en matière de lutte contre l’immigration irrégulière donneront lieu à des débats et les associations que j’ai pu consulter ont souligné à la fois leur déception devant certains dispositifs et devant l’absence de réformes qui avaient notamment été demandées par M. Matthias Fekl dans son rapport. Elles sont également souligné les avancées du texte.

La Présidente Danielle Auroi. Je vous remercie vivement pour cet excellent rapport. Nous voyons bien qu’il existe encore des points durs relatifs à certaines mesures proposées. Je souhaiterais poser quelques questions spécifiques. Qu’en est-il des passerelles prévues, pour les étudiants notamment, qui se retrouvent souvent dans une zone de non droit lorsqu’ils passent d’un statut à l’autre ? De même pour les étrangers malades, qui risquent de se retrouver condamnés à vivre en séjour irrégulier pendant les longs mois de la procédure de reconnaissance de leur taux d’incapacité ? Qu’en est-il de l’article 25 du projet de loi, qui met en place un suivi extrêmement étroit des personnes étrangères en France ? Ce point notamment est-il bien fidèle à la philosophie européenne en matière de protection des données personnelles ? Enfin, n’y a–t-il pas un risque de voir se multiplier les reconductions à la frontière sans saisine du juge habilité à valider cette procédure ? La France a déjà été condamnée une fois par la Cour européenne des droits de l’Homme pour éloignement avant tout accès au juge du fait de l’absence de possibilité concrète de recours effectif, comme cela peut être le cas à Mayotte notamment.

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Ce sont effectivement des questions importantes et j’ai pu en discuter avec le rapporteur de la Commission des Lois, notre collègue Erwann Binet. Elles méritent d’être portées devant le ministre de l’Intérieur, M. Bernard Cazeneuve, qui sera auditionné demain. Je vous remercie pour votre appréciation car nous avons effectivement été amenés à travailler dans des conditions de délais très difficiles. Je me suis logiquement concentrée sur les questions présentant un lien direct avec le droit européen.

La séance est levée à 19 h 15

Membres présents ou excusés

Commission des affaires européennes

Réunion du mardi 30 juin 2015 à 18 h 15

Présents. - Mme Danielle Auroi, Mme Marietta Karamanli.

Excusés. - M. Jean-Luc Bleunven, M. Lionnel Luca, M. Michel Piron, M. Arnaud Richard