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Commission des affaires européennes

mardi 2 février 2016

16 h 30

Compte rendu n° 256

Présidence de Mme Danielle Auroi Présidente

I. Examen du rapport d’information de MM. Christophe Caresche et Pierre Lequiller sur l’influence française au sein de l’Union européenne 

II. Examen du rapport d’information de Mme Seybah Dagoma sur le mécanisme de règlement des différends États-investisseurs dans les accords internationaux 

III. Examen de textes soumis à l’Assemblée nationale en application de l’article 88-4 de la Constitution

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mardi 2 février 2016

Présidence de Mme Danielle Auroi,

La séance est ouverte à 16 h 30

I. Examen du rapport d’information de MM. Christophe Caresche et Pierre Lequiller sur l’influence française au sein de l’Union européenne 

M. Christophe Caresche, co-rapporteur. Une première réflexion avait été esquissée par l’Assemblée nationale sur l’influence et la présence française en mai 2004, avec le rapport de notre collègue Jacques Floch intitulé « Présence et influence de la France en Europe : le vrai et le faux ». Ce rapport concluait que « contrairement à certaines idées reçues particulièrement tenaces, notre pays n’a pas à rougir de son rang et de son influence en Europe. Pour autant, certaines faiblesses structurelles pourraient nous nuire de façon irréversible si rien ne change ».

Depuis 2004, l’Europe a changé de visage, et la France a dû repenser son rôle au sein de celle-ci. Le passage d’une Europe des quinze à une Europe des vingt-huit, le « non » français au référendum de 2005, la crise économique et budgétaire qui traverse le vieux continent depuis 2008 justifient pleinement un nouveau rapport sur le sujet.

Le présent rapport englobe à la fois les questions de présence et les questions d’influence, qu’il convient cependant de bien distinguer. La présence française dans les institutions européennes est évidemment une composante fondamentale de l’influence française en Europe, mais une composante parmi d’autres, et il serait erroné d’avoir une vision purement statistique de la notion d’influence – même si c’est un indicateur important que nous traitons avec beaucoup de rigueur dans le rapport.

Toutefois, plus qu’une cause, la présence française est parfois un révélateur de la perte d’influence de notre pays en Europe.

Pour s’en rendre compte, le journal « Politico » parlait en juin 2015 du « G5 » pour désigner les hommes politiques les plus influents des institutions européennes, à la Commission européenne et au Parlement européen. Force est de constater que parmi ces cinq hommes ne figure aucun Français. Un Luxembourgeois, Jean-Claude Juncker, préside la Commission européenne, et son Premier Vice-président, Frans Timmermans, est néerlandais. Un Allemand, Martin Schultz, préside le Parlement européen. Un Allemand, Manfred Weber, qui préside le groupe PPE. Enfin, un Italien, Gianni Pitella, préside le groupe S&D. À cela s’ajoute Donald Tusk, polonais, qui préside le Conseil européen. Une Italienne, Frederica Mogherini, qui occupe le poste de Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. Un Italien, Mario Draghi, qui préside la Banque centrale européenne, en remplacement du Français Jean-Claude Trichet. Pour moi, cette une du journal « Politico » est un constat criant de l’absence de Français au plus haut niveau des décideurs européens.

Nous avons identifié quatre facteurs principaux de déclin de l’influence française en Europe.

Premièrement, les élargissements successifs à l’Est, qui ont contribué à éloigner la France du cœur de l’Europe. Deuxièmement, les difficultés de la France à moderniser son économie et à respecter ses engagements budgétaires, qui ont diminué sa crédibilité sur la scène européenne : cela a été souligné par beaucoup de nos interlocuteurs. Troisièmement, la faiblesse de la France au Parlement européen, accentuée par le résultat des dernières élections, alors que, parallèlement, les pouvoirs du Parlement européen n’ont cessé de s’accroître au fil des traités. C’est un sujet majeur, qui s’explique par plusieurs facteurs : le fait que nous ayons accepté peut-être à tort une remise à niveau du nombre de parlementaires européens, qui a été plus défavorable à la France qu’à d’autres pays et en particulier qu’à l’Allemagne, mais aussi une dispersion plus forte pour la délégation française dans les différents groupes politiques du Parlement européen. Enfin, plus récemment, la percée du Front National a contribué à affaiblir notre pays au Parlement européen.

Enfin, la faible lisibilité de la vision que porte aujourd’hui la France pour l’Europe de demain contribue à notre affaiblissement sur la scène européenne.

M. Pierre Lequiller, co-rapporteur. L’affaiblissement de l’influence française résulte en partie des vagues d’élargissement successifs à l’Est depuis 2004.

Par un effet mécanique, les élargissements ont dilué la présence française dans les institutions européennes : la France est désormais un pays parmi vingt-huit, et non plus parmi quinze !

Mais l’élargissement à l’Est a également eu un véritable effet politique, en éloignant la France des autres États membres du centre de l’Union européenne, d’un point de vue géographique, mais également culturel et idéologique.

Il a contribué à la considérable diminution de l’usage du français au sein des institutions européennes, et notamment à la Commission européenne, où la part de textes initialement rédigés en français, qui s’élevait à 16,5 % en 2005, n’atteint plus que 5 % aujourd’hui, alors que le français est une langue officielle de l’Europe. C’est une tendance catastrophique sur laquelle nous insistons.

Nous souhaitons également insister sur le fait que, s’il existe dans certains partis politiques français une tentation de présenter la France comme un pays du Sud de l’Europe et de faire de la France le porte-parole de ces pays du Sud, Christophe Caresche et moi-même considérons que la France pour être influente doit au contraire clairement s’affirmer comme étant au centre de l’Europe. Cela passe notamment par la réaffirmation du couple franco - allemand, qui reste le laboratoire d’idées de l’Europe. Les élargissements ne remettent pas en cause ce tandem mais, au contraire, imposent que la force motrice de ce couple soit plus grande encore.

La deuxième raison de la perte d’influence française, Christophe Caresche l’a dit, ce sont les mauvaises performances économiques et budgétaires de la France qui ont conduit à son affaiblissement sur la scène européenne, en nuisant à sa crédibilité.

La présence depuis 2014 de vingt-trois députés du Front national affaiblit la position de la France au Parlement européen : la position de parlementaires refusant de reconnaître la légitimité de l’institution au sein de laquelle ils siègent les marginalise évidemment, et « ampute » de facto l’efficacité de la délégation française d’un tiers de ses membres.

Aujourd’hui la délégation française au Parlement européen peine à capitaliser sur quatre facteurs : l’influence par l’expertise, l’influence par la durée, l’influence par le poids dans un groupe politique, l’influence par la coalition.

Sur l’influence par l’expertise, deux types de postes comptent particulièrement au Parlement européen : les rapporteurs fictifs et les coordinateurs. Les coordinateurs sont les chefs de file de leur groupe politique au Parlement européen. Ils négocient les amendements, répartissent les rapports, et sont chargés, lors des réunions des groupes politiques, de proposer au vote du groupe la position à adopter vis-à-vis des textes à l’ordre du jour de leur commission. Ce sont des parlementaires dont le « job » est de chercher le compromis.

Ces deux postes sont très stratégiques, mais parfois perçus comme « ingrats » par les députés européens élus en France, qui leur préfèrent souvent des postes paraissant plus prestigieux comme le poste de vice-président de commission : pourtant, ce sont ces postes qui permettent d’acquérir une véritable influence sur la législation européenne.

De la même manière, les députés français au Parlement européen ont tendance à privilégier les commissions considérées comme « prestigieuses », comme la commission des affaires étrangères, au sein de laquelle siègent onze français, plutôt que des commissions plus techniques et plus législatives, dans lesquelles leur voix pourrait pourtant avoir plus de poids.

En ce qui concerne la durée du mandat, les Allemands au Parlement européen ont fait leur la devise : « un pour apprendre, un pour agir, le troisième pour transmettre ». Les députés français au Parlement européen effectuent en moyenne 1,76 mandat au Parlement européen, contre 2,48 pour les Allemands et 2,23 pour les Britanniques. Sur le mandat 2009 -2014, le taux de députés européens français démissionnaires était de 18 %, contre 4 % pour les Allemands.

Enfin, le poids de chaque État membre au Parlement européen est directement proportionnel au poids des délégations nationales au sein des groupes politiques. Or, la France se singularise de manière structurelle par la grande dispersion de ses élus au Parlement européen et par leur forte présence dans les groupes minoritaires.

C’est encore davantage le cas sous la dernière législature : le score du Front National a eu pour conséquence directe d’affaiblir la présence française dans les autres groupes, alors que le poids de la délégation d’un État au sein d’un groupe politique du Parlement est l’élément principal de distinction dans le jeu de l’attribution des postes. La France n’est plus que la troisième délégation du PPE, la seconde chez les libéraux et les verts et la sixième au groupe S&D. A la conférence des présidents de groupe, Mme Le Pen est actuellement la seule Française.

À l’inverse, sous l’actuelle législature, l’Allemagne est le pays le plus représenté au Parlement européen avec ses quatre-vingt-seize élus, et la délégation allemande est à la fois la première délégation du groupe PPE et la deuxième délégation du groupe socialiste. Elle dispose d’une quasi omniprésence au Parlement européen, détenant à la fois la présidence du Parlement européen avec Martin Schulz. Il faudra d’ailleurs que nous portions une attention particulière à la succession de Martin Schulz car il semblerait qu’il envisage de se succéder à lui-même une troisième fois, ce qui serait contraire à la tradition parlementaire européenne. Enfin, le secrétaire général du Parlement européen est un proche de la chancelière Angela Merkel.

Les élus français n’ont pas l’habitude de travailler de manière transpartisane. Il y a un dialogue entre les différents groupes qui n’est pas efficace, alors que chez les Allemands et les Britanniques, les délégations travaillent mieux ensemble lorsqu’il s’agit de défendre des intérêts nationaux.

Les postes à responsabilité au Parlement européen seront remis en jeu à mi-mandat. Cela doit donner l’occasion de tirer des leçons du constat dressé par ce rapport, en adoptant une attitude plus stratégique dans les postes demandés au sein du Parlement européen.

Enfin, dans l’administration européenne, la présence des Français dans les institutions européennes est pour le moment satisfaisante, mais elle est menacée. Entre 400 et 500 Français présents à la Commission européenne devraient partir à la retraite d’ici 2020, et il faut s’assurer que le « vivier » de français soit présent à tous les échelons dans les institutions européennes. Or, aujourd’hui, les résultats des concours européens sont très décevants pour la France, qui s’explique parce que le système de concours a changé et surtout par un manque de candidats.

Des mesures concrètes doivent être mises en place pour inverser cette tendance : meilleure information des candidats, système de bourses spécifiques, meilleur suivi et accompagnement des nouveaux lauréats, notamment.

Sur les hauts postes de l’administration à la limite du politique, la France doit réagir car elle ne dispose plus que de deux chefs de cabinet dont un binational et l’autre qui est le chef de cabinet du commissaire français. Le Royaume-Uni compte deux chefs de cabinet et l’Allemagne presque autant de membres de cabinet que la France mais cinq chefs de cabinet et cinq chefs de cabinet adjoint.

Ces postes sont pourtant des postes clés, en plus d’être des accélérateurs de carrière pour obtenir par la suite un poste de direction au sein de la Commission européenne.

Cette faiblesse est directement liée à la faiblesse politique de notre pays dans l’Union : les commissaires européens cherchent souvent un chef de cabinet qui pourra leur servir de facilitateur auprès des autres institutions, et notamment auprès du Parlement européen ce qui les incite à recruter un chef de cabinet ou un chef adjoint de cabinet allemand plutôt qu’un Français.

Plus globalement, il faut adopter la bonne stratégie pour obtenir les hauts postes de l’administration. Deux exemples de stratégies françaises sont mis en lumière dans le rapport.

Je terminerai par Strasbourg, siège du Parlement européen, toujours défendu avec une grande vigueur par notre collègue André Schneider. Le siège est toujours protégé par les traités et par la jurisprudence de la Cour de justice, mais le soutien à Strasbourg s’effrite progressivement. Ainsi, un rapport parlementaire en faveur d’un siège unique a recueilli 483 voix sur 658 en 2013. En 2014, un amendement anti Strasbourg a recueilli 511 voix. Il faut donc être vigilant sur cette question.

M. Christophe Caresche, co-rapporteur. Nous avons souhaité présenter un rapport qui fasse des propositions. Je résumerai ces propositions de façon simple : il faut passer d’une stratégie de puissance à une stratégie d’influence.

En effet, la France a aujourd’hui une stratégie de puissance efficace. Notre représentation permanente à Bruxelles est considérée comme l’une des meilleures en Europe, et permet à la France de définir de manière efficace ses positions de négociations. Elle est en revanche moins à l’aise pour développer une stratégie d’influence qui demande d’anticiper, de discuter, d’avoir des stratégies plus collectives.

Plus on s’éloigne de l’Europe moins on pèse en Europe. Le discours parfois extrêmement critique – voire de dénigrement - qui est porté en France par un certain nombre de formations politiques est un discours qui n’aide pas à peser sur les choix européens. Sur ce plan, l’exemple britannique est frappant. Nous avons constaté que les Britanniques ont beaucoup perdu en influence ces dernières années alors qu’ils ont une stratégie en termes d’organisation tout à fait élaborée.

La France doit adopter des « réflexes européens » : anticiper, c’est-à-dire participer aux consultations publiques et intervenir le plus en amont possible ; partager l’information ; faire des coalitions, notamment avec les petits pays ; éviter une forme d’arrogance qui nous est souvent reprochée ; parler l’anglais lorsqu’il le faut sans pour autant cesser de défendre le français.

L’administration française, notamment par rapport au rapport de Jacques Floch, a bien pris ce virage.

Nous insistons sur le rapport sur l’importance des experts nationaux détachés : ces fonctionnaires détachés constituent un vecteur d’influence essentiel. Dans un contexte budgétaire contraint, il faut préserver ces postes. Par ailleurs, il faut veiller à ce que le retour en France de ces experts nationaux détachés en France soit satisfaisant en terme de carrière et pertinent au vu de l’expérience acquise lors de leur mobilité dans les institutions européennes.

Nous suggérons un certain nombre d’orientations dont une qui serait de créer une réserve interministérielle d’emplois pour garantir la mise à disposition de ces experts nationaux détachés.

Notre rapport montre aussi que les collectivités territoriales et les entreprises françaises savent de mieux en mieux défendre leurs intérêts à Bruxelles, notamment grâce aux bureaux de représentation qui s’y sont installés. Nous avons d’ailleurs rencontré les uns et les autres. Un travail très important a été fait.

Nous reprenons la proposition formulée initialement par le Conseil d’État en 2007 de mettre en place un Conseil stratégique auprès du président de la République, qui permettrait de mener une réflexion à plus long terme sur les enjeux européens.

La question du positionnement du Secrétaire général des affaires européennes doit également être posée.

Deux options sont possibles. Le Secrétaire général des affaires européennes peut être le conseiller du Premier ministre. Il peut également être rattaché au président de la République. Aujourd’hui, Philippe Léglise-Costa est le « sherpa » du Président de République pour les Conseils européens, mais sa situation reste floue, puisqu’il a officiellement quitté le cabinet du président de la République. Il y a peut-être là une clarification à opérer.

La position du ministre des Affaires européennes doit également être clarifiée. Nous considérons qu’il devrait être placé auprès du Premier ministre, où il pourrait être au cœur de la mécanique interministérielle, et où il pourrait également présider pour le compte du Premier ministre le Comité interministériel sur l’Europe, malheureusement tombé en désuétude. Cela lui donnerait plus de force et plus de crédibilité.

Il pourrait également être le porte-parole du président de la République et du Gouvernement pour les affaires européennes.

Toutes ces questions renvoient évidemment à la dyarchie de notre exécutif, particulièrement prégnante en matière d’affaires européennes, d’autant plus que le Conseil européen a pris une importance croissante au cours des dernières années.

Enfin, nous proposons que la question de l’influence soit traitée comme une véritable politique publique. Cela veut dire une politique avec des objectifs identifiés et assumés, des moyens précis et une évaluation.

Un travail est déjà fait en ce sens mais il faut le systématiser, l’organiser.

Notre commission des affaires européennes devra jouer tout son rôle dans l’évaluation de cette politique publique.

Mme Marie-Louise Fort. Je vous remercie, messieurs les rapporteurs, pour cette présentation très intéressante. Vous avez brossé un tableau sans complaisance et sans concession. Je ne vais pas répéter tout ce que vous avez eu le courage de dire, mais je voudrais souligner deux choses : je pense qu’il est absolument nécessaire de réaffirmer, c’est vrai, l’importance du couple franco-allemand ; c’est aussi bien historique qu’actuel. Je pense également qu’une partie de nos problèmes vient du fait que trop souvent nous mettons sur le dos de l’Europe un certain nombre de choses désagréables que la politique française ne veut pas assumer. Je voudrais enfin – c’est un ressenti mais aussi une question – vous interroger sur la désignation de nos représentants au Parlement européen. Trop souvent dans nos formations politiques, des « retoqués » du suffrage universel se retrouvent en bonne place sur des listes pour aller siéger au Parlement européen et si mes souvenirs sont bons, il me semble que l’assiduité des députés français au Parlement européen n’est pas toujours exemplaire. Je pense que cela fragilise notre pays.

J’ai écouté avec beaucoup d’intérêt ce que vous voulez faire en matière de réorganisation interne. Je crois que cela implique aussi la pérennisation et peut être la montée en puissance de notre commission des affaires européennes, et puis peut être également un rapprochement – on l’a évoqué il n’y a pas très longtemps – avec le Conseil de l’Europe au sein duquel la France doit prendre toute sa place.

Pour conclure, il est vraiment urgent de faire passer, à l’école et dans la population, des messages pro-européens beaucoup plus clairs et beaucoup plus enthousiasmants que ceux que l’on entend jusqu’à présent.

M. Philip Cordery. Merci aux deux rapporteurs. Ce rapport vient compléter celui que nous avions présenté avec Pierre Lequiller sur le traitement des questions européennes à l’Assemblée. Les deux rapports proposent un certain nombre de pistes tout à fait intéressantes pour mieux parler d’Europe et pour que la France soit mieux représentée au niveau européen.

Je partage un certain nombre de constats avec vous. Ce que vous avez dit sur l’élargissement est tout à fait vrai, mais je pense que nous avons raté le coche dès le début des années quatre-vingt-dix. La France a sans doute manqué de présence dans les nouveaux pays au moment de la chute du mur de Berlin.

Ce que vous avez dit sur le Parlement européen, sur la dispersion dans les différents groupes politiques, complété par ce que Marie-Louise Fort vient de dire sur le choix des candidats aux élections européennes, est tout à fait réel.

Comme vous, et je l’ai déjà mentionné dans d’autres instances, je pense que le SGAE devrait avoir pour patron politique le ministre des affaires européennes, tout comme la représentation permanente. Cela permettrait une plus grande cohérence dans nos positions européennes.

Enfin, je partage ce que vous avez dit en termes d’attitude. Je crois qu’il faut qu’à tous les niveaux, la France arrête d’intervenir en bout de course dans les discussions, alors que le travail se fait bien en amont.

En revanche, je vous trouve un petit peu dur sur les idées françaises. Je pense que la France a des idées : le « plan Juncker », la « garantie jeunesse », ce sont des idées françaises ! Le problème, c’est que l’on attribue ces idées à d’autres ! Peut-être que pour porter ces idées, il ne faut pas se focaliser exclusivement sur le franco-allemand et parfois trouver d’autres alliés.

Enfin, l’influence c’est aussi ceux qui travaillent au quotidien pour l’Europe, notamment à Bruxelles, à Strasbourg et dans les différentes institutions. J’en profite pour saluer tous les agents de la fonction publique communautaire, les bureaux régionaux, les représentants des entreprises auprès des institutions européennes qui font un énorme travail.

Je voudrais soulever quatre pistes, que vous n’avez peut-être pas mentionnées mais qui viennent compléter vos propositions.

La première porte sur la francophonie. Je pense que nous avons trop souvent une attitude défensive par rapport à la francophonie, visant uniquement à préserver le français dans des réunions, alors que nous devrions avoir une attitude plus offensive en prônant la diversité linguistique. Si une réunion se fait en anglais ou en allemand, ce n’est pas grave, à condition qu’il y ait une deuxième langue, parce que dans une autre réunion, le français sera utilisé et nous pourrons nous faire des alliés, avec les Allemands, les Italiens, les Espagnols !

Une deuxième piste, et je pense que là il y a un défaut de la France, porte sur la stratégie de placement des fonctionnaires européens. La France se concentre un peu trop sur les directions générales et sur les directions plutôt que sur les chefs d’unités, qui sont ceux qui élaborent en premier lieu les idées et qui déterminent la langue de travail. Pourtant, ces postes sont déterminants pour l’influence française.

Troisièmement, je pense qu’il faut arrêter le « Bruxelles bashing » : l’administration européenne fonctionne bien, elle est plus petite numériquement que celle de la ville de Paris, donc ce n’est pas ce grand monstre technocratique dont on entend parfois parler ! Il faudrait valoriser leur travail plutôt que les critiquer systématiquement.

Pour conclure, et pour faire le lien avec notre précédent rapport sur le traitement des affaires européennes à l’Assemblée nationale, il faudrait renforcer la présence parlementaire à Bruxelles et être plus présents à Strasbourg. Le Bundestag a une présence beaucoup plus importante à Bruxelles, nous devrions nous en inspirer.

M. Hervé Gaymard. J’ai une remarque et une question. La remarque, qui est purement intuitive, c’est que j’ai le sentiment, mais peut-être à tort, que les Français qui travaillent à la Commission se sentent moins reliés à leur pays d’origine que des fonctionnaires d’autres nationalités. Ce que je dis est purement intuitif, ce n’est pas du tout un procès d’intention mais j’ai des souvenirs extrêmement précis dans lesquels souvent, les fonctionnaires français – ce n’est pas seulement vrai dans les Communautés européennes – se font un point d’honneur à ne pas être suspecter de l’être ! Alors que beaucoup de fonctionnaires d’autres nationalités n’ont pas cette pudeur de chaisière, pour dire les choses concrètement. C’est une remarque en passant, peut-être est-elle un peu abusive mais en tout cas j’ai des expériences très précises en tête.

Ma question : pensez-vous, suite aux investigations que vous avez menées auprès des parlementaires européens de toutes tendances politiques, qu’il serait possible – souhaitable, sûrement, mais possible –, qu’à l’instar des Allemands et des Britanniques, les parlementaires de toutes tendances politiques se réunissent et décident de positions communes ? Sur les sujets dont j’ai eu à traiter à Bruxelles quand j’étais au gouvernement, j’étais très frappé de voir que les parlementaires allemands et britanniques notamment avaient des positions nationales harmonisées entre les différents groupes politiques, alors que ce n’était pas du tout le cas pour les français. Je pense que je ne suis pas le premier à le dire, et que beaucoup de parlementaires ont dû déjà s’essayer à construire quelque chose, et j’imagine bien que compte-tenu de notre vieille propension gauloise aux divisions et aux querelles, comme disait le Général De Gaulle, cela n’a pas pu être mis en œuvre. En tout cas, ce n’est pas une raison pour abandonner cet objectif.

Mme Chantal Guittet. Pour renforcer l’influence de la France en Europe, il faudrait peut-être renforcer le poids de la commission des Affaires européennes à l’Assemblée nationale ! Nous ne discutons pas assez de l’Europe dans l’hémicycle.

Par ailleurs, quelle est l’influence des régions françaises en Europe ? Le fait que les régions françaises soient représentées à Bruxelles, est-ce que cela a une influence ? Il me semble que c’est une bonne chose, et que c’est sans doute un point à renforcer et à mieux faire connaître.

La présidente Danielle Auroi. Vous avez rappelé qu’il faut bien connaître le fonctionnement du Parlement européen, et à quel point le rôle des rapporteurs et surtout le rôle des coordinateurs est important. Je vais vous donner un exemple que j’ai vécu lorsque j’étais eurodéputée. Nous étions trois Français à la commission de l’agriculture : Joseph Daul, qui était le président de la commission, Georges Garot et moi-même. Nous avons mis en place des stratégies françaises pour obtenir des rapports et pour défendre des points de vue alors que nous ne représentions pas les mêmes sensibilités politiques. Donc il est possible de travailler de manière transpartisane, à condition qu’il y ait une volonté politique suffisante. Si les parlementaires nationaux étaient plus systématiquement proches des parlementaires européens, cela aiderait sans doute à des stratégies de ce type.

La deuxième chose c’est qu’il y a quand même une contradiction qui fait que lorsque les Français sont nommés à Bruxelles, comme le commissaire Moscovici, ils se font un devoir de n’être plus qu’européens, alors que beaucoup de leurs collègues ne prennent pas tant de précautions et restent très germano-germaniques, hollando-hollandais, etc. Je crois que le Vice-président Timmermans est une bonne illustration de cela.

Je suis ravie que vous proposiez que le ministre des affaires européennes ait une position renforcée et soit directement rattaché au Premier ministre, puisque c’est une proposition que j’avais formulée il y a deux ans dans mon rapport sur l’avenir de l’Union européenne.

Je crois que très honnêtement, nous devons également arrêter de « complexer ». Des idées, nous en avons mais il faut vraiment que nous montrions que la France est présente sur les orientations stratégiques, alors que trop souvent elle réagit de manière ponctuelle. Dans ce cadre, je pense qu’il faut plus valoriser les travaux que nous réalisons au sein de cette commission.

Enfin, il faut rappeler à nos collègues que ce n’est pas une punition d’être député européen !

M. Pierre Lequiller, co-rapporteur. Pour répondre à Marie-Louise Fort : oui, nous regrettons dans notre rapport que le mandat de certains députés français qui étaient particulièrement très influents au Parlement européen n’ait pas été reconduit. Nous citons notamment les cas de Gilles Savary, Catherine Trautmann et Jean-Paul Gauzès.

Pour répondre à Philip Cordery : sur la francophonie, je suis à la fois d’accord et pas d’accord. Il y a quand même des moments où il faut taper du poing sur la table ! Nous citons dans le rapport l’exemple de la lettre du commissaire français au ministre des finances français, rédigée en anglais ! On se rappelle également que le président de la République Jacques Chirac, en 2006, avait quitté la salle du Conseil européen, parce que le Français Ernest-Antoine Seillière, président de l’Union des confédérations des industries et des employeurs d'Europe, avait choisi de s’exprimer en anglais devant les vingt-cinq chefs d’État et de gouvernement ! Il faut absolument défendre le français, mais nous sommes tout à fait d’accord, Christophe Caresche et moi-même, pour dire qu’il faut aussi que les Français maîtrisent mieux l’anglais et l’allemand, entre autres, et les langues étrangères, de manière plus générale.

Je suis entièrement d’accord avec Hervé Gaymard. Nous avons rencontré le Commissaire européen mais aussi des directeurs généraux de la Commission européenne, et j’ai constaté la même chose que vous, une volonté forte de ne pas donner l’impression de jouer le jeu de l’influence française.

Il faut que ce soit le Secrétaire d’État aux affaires européennes qui soit responsable de cette nouvelle politique d’influence et, si la présidente en est d’accord, nous mettrons en place au sein de cette commission une veille sur ces questions.

M. Christophe Caresche, co-rapporteur. Pour répondre à la question de Philip Cordery sur la vision stratégique que porte la France pour l’Europe. Oui, la France a des idées, mais on a parfois le sentiment qu’il y a parfois un manque de suivi, de constance et de mise en perspective. Je vais vous donner un exemple très précis. Le président de la République a parlé en juillet dernier d’une réforme de la zone euro, d’un budget de la zone euro, d’un parlement de la zone euro. C’est une déclaration intéressante et forte, mais je n’ai pas vu depuis de prise de position de la France qui étaye cette orientation. Donc oui, la France a des idées, heureusement d’ailleurs, mais elle manque sans doute de persévérance, de stratégie dans la mise en œuvre de ces orientations. D’où l’idée de ce Conseil stratégique qui pourrait travailler sur ces questions, notamment en lien avec les think-tank qui sont des foyers de réflexion précieux. Je pense qu’il y a parfois un problème de lisibilité des positions françaises : il faut que nos partenaires sachent ce que l’on veut. Dans ce jeu d’influence, si nous perdons en lisibilité, nous perdons ensuite en capacité de s’imposer. Sur les positions nationales, ce qu’a dit Hervé Gaymard est parfaitement juste, il y a des positions nationales notamment de la part de l’Allemagne, je pense notamment à un exemple très précis, celui de l’industrie automobile. La France, pour plusieurs raisons, sans doute historiques, politiques, culturelles, ne fait pas cela. La seule chose que l’on peut quand même souligner, c’est qu’avec l’arrivée du Front National, il y a quand même des efforts faits par les français des autres groupes pour essayer de mieux travailler ensemble.

Sur la représentation des régions, notre rapport dit beaucoup de choses. Nous insistons notamment sur la nécessité de favoriser le détachement de fonctionnaires territoriaux à Bruxelles. Mais évidemment, nous ne sommes pas dans un État fédéral, et la représentation de nos régions à Bruxelles reste sans commune mesure avec le « château » de la Bavière à Bruxelles !

La présidente Danielle Auroi. Je vous remercie pour cette présentation.

II. Examen du rapport d’information de Mme Seybah Dagoma sur le mécanisme de règlement des différends États-investisseurs dans les accords internationaux 

Mme Seybah Dagoma, rapporteure. Le 14 juin 2013, le Conseil a adopté le mandat autorisant la Commission Européenne à négocier un Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement, le « PTCI », également connu sous l’acronyme TAFTA ou TIPP, avec les États-Unis. Encore en cours, les négociations de ce PTCI ont, plus qu’aucun autre accord de libre-échange, suscité intérêt, inquiétudes et réactions.

Comme vous le savez, quelques jours avant cette date, notre commission a adopté une proposition de résolution que j’ai eu l’honneur de rapporter. Celle-ci fixait quatre « lignes rouges » parmi lesquelles l’exclusion du mécanisme de règlement des différends entre les investisseurs et les États – le RDIE – du mandat de négociation du PTCI. Cependant, le gouvernement français, s’il a négocié avec ses partenaires pour exclure certains sujets du mandat, à commencer par l’exception culturelle, n’a pas repris à son compte, pas plus d’ailleurs qu’aucun autre État-membre, la « ligne rouge » relative au RDIE. Par conséquent, ce dernier s’est retrouvé inclus en tant que tel dans le mandat de négociation du PTCI.

Avec le recul, il est frappant de constater qu’à ce moment-là, le RDIE n’était pas considéré comme un enjeu majeur, en particulier au niveau européen. Les choses, cependant, ont depuis radicalement changé. La société civile s’est en effet fortement mobilisée, dès 2014, et la consultation lancée en mars de cette année-là par la Commission européenne a révélé « l’existence d’un énorme scepticisme » et « une large opposition » à ce mécanisme de RDIE. La réforme de ce dernier est donc devenue une question centrale des négociations du PTCI. En mai 2015, la France a ainsi présenté des propositions pour réformer du RDIE, propositions que la Commission européenne a reprises en partie. J’y reviendrai.

Aujourd’hui, après onze cycles de négociation entre l’Union européenne et les États-Unis, le PTCI continue de soulever d’importantes inquiétudes. Dans l’Union européenne, vous le savez tous, le libre-échange inquiète et les opinions publiques sont de plus en plus dubitatives quant à ses bénéfices réels pour le bien-être environnemental, économique et social. L’opacité qui entoure les négociations, y compris pour les parlementaires nationaux, les potentiels pertes pour certains secteurs industriels et les mécanismes de mise en œuvre qui l’accompagnent – dont le RDIE mais aussi l’organe de coopération règlementaire – sont autant d’éléments en débat.

Ce contexte rappelé, j’en viens au RDIE lui-même et à la première question à laquelle répond le rapport : qu’est-ce que le RDIE ?

Le RDIE est un mécanisme qui ouvre à des acteurs économiques privés la possibilité d’attraire devant une juridiction non nationale, en pratique un tribunal arbitral, des États en cas de manquements par ceux-ci à leurs obligations découlant des traités. Dans les faits, l’État choisi un arbitre, l’investisseur choisi l’autre et tous les deux s’accordent sur le nom du Président du tribunal. La procédure s’achève par une sentence, sans appel, qui soit rejette la plainte de l’investisseur, soit lui accorde une compensation si le tribunal estime la violation du traité avérée. En revanche, un tribunal arbitral ne peut jamais ordonner à un État de retirer la mesure attaquée.

Ce mécanisme existe depuis longtemps et se retrouve aujourd’hui dans la quasi-totalité des quelques 3200 traités bilatéraux d’investissement (TBI) mais également dans certains traités plurilatéraux comme l’ASEAN, le MERCOSUR, l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) ou encore le Traité sur la Charte de l’énergie.

Un point important à souligner est que ces différents traités ne créent pas d’instance de règlement des différends mais renvoient l’État et l’investisseur concernés à un cadre juridique extérieur. En effet, si toutes les tentatives de multilatéraliser le droit international de l’investissement ont échoué, notamment l’Accord multilatéral sur l’investissement (AMI), les Etats ont néanmoins réussi à s’accorder pour créer, par la convention de Washington (1965), un Centre international pour la résolution des différends relatifs aux investissements (CIRDI), institutionnalisant dès lors cette justice privée que sont les tribunaux arbitraux. Cependant, il faut encore préciser que le CIRDI, pas plus d’ailleurs que les autres instances d’arbitrage (par exemple la Chambre de commerce international), ne règle lui-même les différends. Il fournit un cadre juridique et une assistance matérielle mais le différend est réglé par un tribunal arbitral ad hoc.

Le RDIE s’est en outre développé dans un environnement particulier. En effet, après la deuxième guerre mondiale, dans un contexte marqué par la décolonisation et les antagonismes idéologiques, les investisseurs des pays développés ont dû faire face, dans les pays en voie de développement, à de multiples expropriations et nationalisations sans pouvoir bénéficier de recours judiciaires efficaces, les juridictions de ces pays n’étant souvent pas indépendantes. Face à cette situation et afin de protéger leurs investisseurs, les pays développés ont commencé à signer des TBI avec les pays en voie de développement par lesquels ces derniers s’engageaient à accorder aux investisseurs des pays développés quatre protections que sont :

– la protection contre la discrimination ;

– la protection contre l’expropriation sans juste compensation ;

– la protection contre un traitement injuste et inéquitable ;

– la protection de la possibilité de transférer des capitaux à l’étranger.

Les TBI comprennent également un mécanisme de RDIE permettant la mise en œuvre effective de ces protections via la saisine d’un tribunal arbitral.

Vous l’avez compris, l’objet de ces TBI était de protéger les investissements des entreprises des pays développés dans des pays en développement qui n’offraient pas de garanties suffisantes, notamment en matière d’indépendance et d’efficacité de la justice. Dans ce contexte, le recours à des tribunaux d’arbitrage indépendants des États, garants d’équité, d’efficacité et sécurité juridique pour les investisseurs, est apparu comme une solution adéquate, qui s’est d’ailleurs rapidement imposée dans les relations économiques internationales. En revanche, les investisseurs nationaux n’avaient pas accès à ce mécanisme ni à ces protection, réservés par principe aux investisseurs étrangers.

Malgré ce succès du RDIE, plusieurs plaintes récentes d’investisseurs contre les États ont choqué l’opinion publique. En effet, ces plaintes visaient directement des règlementations touchant à l’environnement, à la santé et à la sécurité publique, donnant ainsi le sentiment d’une remise en cause du droit à réguler des États, désormais sous la menace constante des tribunaux arbitraux. Le risque que constitue le RDIE pour les États a ainsi pu conduire certains d’entre eux, comme l’Afrique du Sud, le Venezuela, l’Equateur ou encore la Bolivie à changer leur politique en matière de protection des investissements. Certains ont dénoncé leur TBI et d’autres la convention de Washington. Sans aller jusque-là, des pays développés ont pu infléchir leur pratique des TBI : l’Australie préconise ainsi une politique du cas par cas s’agissant de l’inclusion ou non d’un RDIE dans ses TBI.

Aujourd’hui, c’est peu dire que le RDIE traverse une crise de légitimité et se voit contesté, en particulier en Europe. Les critiques qui lui sont adressées peuvent être rassemblées en trois catégories.

En premier lieu, le RDIE serait inutile dans le cas de TBI entre pays développés compte tenu du fait que, dans ces pays, les droits des investisseurs sont généralement protégés, en particulier contre l’expropriation, et que les juridictions sont à la fois efficaces et indépendantes.

En deuxième lieu, RDIE ferait peser un risque majeur sur le droit à réguler des États. En effet, certaines réglementations, en particulier dans les domaines environnemental, social et sanitaire, ont été considérées par des investisseurs comme portant atteinte à leurs droits. C’est notamment le cas de Vattenfall en Allemagne et de Philip Morris en Australie. Dans ces conditions, les États pourraient hésiter à adopter de telles règlementations afin de ne pas s’exposer à devoir verser, sur fonds publics, de lourdes compensations aux investisseurs. Le RDIE aurait donc, selon ses contempteurs, un effet de « gel réglementaire ».

Enfin, en dernier lieu, c’est le fonctionnement même du RDIE qui est critiqué. En effet, les tribunaux arbitraux, chargés de régler des différends portant sur des choix de politique publique, sont constitués non pas de juges mais d’arbitres privés, choisis et payés par les parties, parfois simultanément avocats. Ils sont donc particulièrement exposés aux conflits d’intérêts. En outre, le défaut de transparence, le coût exorbitant, en moyenne 8 millions de dollars, et la longueur de la procédure arbitrale sont souvent dénoncés. Enfin, les sentences étant sans appel et les tribunaux arbitraux non permanents, elles exposent tant les Etats que les investisseurs au risque de contradiction de jurisprudence.

Ces critiques sont largement connues et nourrissent le débat actuel sur le RDIE et, en particulier, l’opposition à sa présence dans le cadre du PTCI et de l’accord économique et commercial global (AECG) entre le Canada et l’Union européenne, dont les négociations sont achevées. Que faut-il en penser ?

La première catégorie de critiques pose la question de la pertinence du RDIE dans les accords entre pays développés. En effet, le RDIE, ainsi qu’on l’a vu, a été institué dans le contexte d’un flux d’investissement des pays développés vers des pays en voie de développement qui, d’une manière générale, ne présentaient pas toutes les garanties d’une justice efficace et indépendante. Par conséquent, il serait parfaitement inutile dans les accords entre pays développés qui, eux, présentent de telles garanties.

Apparemment simple, cette question oblige cependant à adopter, en plus d’un point de vue européen, le point de vue des Américains et des Canadiens. En effet, lorsque j’ai rencontré ces derniers, à Paris mais également aux États-Unis et au Canada, ils m’ont tous répondu la même chose : si l’accord était conclu entre la France et le Canada ou entre la France et les États-Unis, un RDIE ne serait pas nécessaire. Or, c’est parce que ce n’est pas le cas qu’un RDIE est pertinent.

En effet, l’Union européenne n’est pas une entité homogène. Certains États-membres comme la France présentent toutes les garanties d’une justice indépendante et efficace mais ce n’est pas le cas de tous. Voilà par exemple ce que pense le département d’État américain du fonctionnement de la justice en Bulgarie, pour ne prendre qu’un seul exemple : « la corruption au sein du système judiciaire constitue un sérieux problème. Les institutions judiciaires sont aujourd’hui les moins fiables du pays, faisant face à de larges accusations de népotisme et d’opacité dans les procédures de nomination et de promotion ainsi que d’influence des milieux politiques et économiques ». Malgré les réformes décidées par le gouvernement, « leur mise en œuvre a été contrecarrée par de fortes pressions des milieux d’affaires en faveur du statu quo, les résistances internes au changement comme le manque de volonté politique pour mettre effectivement en œuvre l’indépendance de la justice. Par conséquent, la jurisprudence est incohérente et des années de procédure sont la norme. Les juridictions de Sofia sont encombrées, disposent de ressources limitées et souffrent de procédures inefficaces qui empêchent une administration rapide et efficace de la justice ».

Ces dysfonctionnements de la justice en Bulgarie, comme dans plusieurs autres États-membres, expliquent d’ailleurs largement pourquoi 83 % des différends impliquant un État-membre de l’Union européenne ont été déclenchés par un investisseur lui-même européen. En effet, bien que la Commission européenne ait entrepris d’y mettre un terme en introduisant des recours contre cinq États-membres en juin dernier, il existe toujours des TBI intra-européens contenant des RDIE. La France a ainsi onze traités en vigueur, principalement avec des pays d’Europe de l’Est alors que les États-Unis et le Canada n’en ont respectivement que neuf et huit. En d’autres termes, sommes-nous fondés à soutenir qu’un RDIE n’est pas pertinent dans le PTCI et de l’AECG pour protéger les investisseurs américains et canadiens alors que nous-mêmes protégeons les nôtres par des TBI incluant un RDIE ?

Si l’on adopte maintenant le point de vue européen, plusieurs arguments peuvent être avancés pour justifier l’inclusion d’un RDIE dans le PTCI.

Le premier, c’est que le PTCI ne serait pas nécessairement invocable par un investisseur européen devant un tribunal américain. En effet, comme je l’explique longuement dans mon rapport, si les juges américains conditionnent l’effet direct des traités à plusieurs conditions, c’est en pratique le Sénat qui détermine, au moment de la ratification, si un traité peut être invoquée ou non par un plaignant devant une cour américaine. En l’absence de prise de position du Sénat, le juge s’appuie sur la seule intention du pouvoir exécutif américain.

Le second argument découle du caractère politisé de la justice de certains Etats fédérés américains. 90 % des juges sont en effet élus dans 38 États, dont les campagnes sont financées notamment par les entreprises. Quant aux jurys, ils peuvent être influencés par des arguments hostiles à l’investisseur étranger. Deux affaires sont particulièrement frappantes. La première implique une entreprise canadienne, Loewen, poussée à la faillite en raison de dommages-intérêts punitifs, 500 millions de dollars, prononcés par le jury d’un tribunal du Mississipi. La Cour suprême de cet État lui a en outre refusé la possibilité d’interjeter appel. Un autre cas célèbre a vu une entreprise, Massey Coal Co, un des plus gros producteurs de charbon des États-Unis, dépenser 3 millions de dollars pour faire élire un juge à la Cour suprême de Virginie. Cette Cour a, par la suite, annulé l’amende de 50 millions de dollars à laquelle cette entreprise avait été condamnée. Le juge avait refusé de se déporter.

Ces éléments, peu connus, complexifient incontestablement la réponse à la question de la pertinence du RDIE dans l’AECG et le PTCI. Pour autant, ce n’est pas tout d’affirmer que le RDIE puisse être pertinent. Encore faut-il que les risques – réels – qu’il comporte puissent être conjurés. Or, sur ce point, il m’apparaît important de rappeler certains faits incontestables :

– bien que plus de 3200 TBI (dont 1400 pour les seuls États-membres de l’Union européenne) soient aujourd’hui en vigueur, on ne recense que 608 différends entre un État et un investisseur. Il est en outre intéressant de relever que les investisseurs des Pays-Bas, du Royaume-Uni, de France, d’Italie, d’Allemagne et d’Espagne sont à l’origine, à eux seuls, de 72% des différents impliquant un investisseur européen et de 39 % de tous les différends Investisseur-État.

– ces différends État-investisseurs concernent le plus souvent des mesures individuelles, des contrats, permis, autorisations administratives, prises par le pouvoir exécutif, et non des mesures d’ordre général comme des lois et des règlements. Ainsi, les tribunaux arbitraux ont essentiellement sanctionné des inexécutions contractuelles de la part de l’État. Les cas de saisines sur le fondement d’une législation représentent 9 % seulement de l’ensemble des sentences connues ;

– les sentences arbitrales sont, s’agissant des différends impliquant un État-membre de l’Union européenne dans le cadre du CIRDI, très largement favorables aux États, puisque 69 % d’entre elles leur donne raison contre les investisseurs ;

– enfin, s’agissant des compensations, les plus lourdes ont été versés par les pays en voie de développement, notamment l’Argentine et l’Équateur ainsi que par la Russie et, s’agissant des Etats-membres de l’UE, par des pays d’Europe centrale et orientale pour des faits antérieurs à leur adhésion à celle-ci ; en revanche, depuis 1994, le Canada a été poursuivi 35 fois dans le cadre de l’ALENA et a payé environ 150 millions de dollars aux investisseurs.

En effet, les différents Etats et, en particulier, les Etats de l’Union Européenne, ne sont pas tous logés à la même enseigne. Notre pays, pour ne prendre que cet exemple, n’a été poursuivi qu’une fois sur le fondement d’un TBI et jamais condamné alors même que la France a signé 107 TBI, dont 96 sont en vigueur. Ce point est important. Dans un pays comme le nôtre, dont l’indépendance et l’efficacité de ses juridictions sont reconnues, pourquoi un investisseur irait-il se lancer dans une procédure arbitrale coûteuse, longue, imprévisible et susceptible de nuire à ses relations avec l’État français alors qu’il dispose, avec le Conseil d’État, d’une juridiction accessible, indépendante et efficace appliquant une jurisprudence très protectrice des droits des investisseurs ? Je rappelle d’ailleurs que la France, sans RDIE, a versé 840 millions d’euros à Ecomouv, soit sept fois plus que ce que le Canada a versé en vingt ans dans le cadre de l’ALENA. En d’autres termes, selon qu’on apprécie le risque au niveau européen ou au niveau français, la conclusion n’est pas identique.

Reste un dernier point à analyser qui est sans nul doute le plus sensible : celui de la légitimité du RDIE. Aujourd’hui, en pratique, le RDIE a la forme d’un tribunal arbitral qui, je l’ai dit, connaît de nombreux dysfonctionnements et dérives dont certaines sont à mes yeux tout à fait inacceptables et choquantes. Une réforme du RDIE est donc nécessaire. L’AECG et le PTCI présentent ainsi deux voies de réforme possibles mais pour moi, seule une juridiction multilatérale est susceptible de permettre un règlement efficace et légitime des différends.

À titre liminaire, il convient de rappeler que leurs auteurs n’ayant que très exceptionnellement été, jusqu’à une période récente, défenseurs dans une procédure d’arbitrage lié à un investissement étranger, les TBI signés par les pays d’Europe de l’ouest contiennent des clauses sommaires et vagues. L’imprécision des définitions de l’investisseur et de l’investissement, du traitement juste et équitable, l’absence de dispositions relatives à l’éthique des arbitres, à la transparence ou encore à la préservation du pouvoir de réguler des États ne peut nous laisser indifférent. J’ai eu en main le futur accord de protection des investissements signé par la France avec Irak, qui va bientôt être soumis pour approbation à l’Assemblée nationale. Il compte quatre pages alors que l’équivalent dans l’AECG fait vingt - huit pages.

Ce que je veux mettre en évidence avec cet exemple, ce sont les améliorations apportés au RDIE par l’AECG, avec cette précision qu’elles sont toutes à l’initiative des Canadiens qui, on l’a vu, ont une longue expérience du RDIE dans le cadre de l’ALENA. C’est ainsi que, dans cet accord :

– le droit à réguler des Etats est affirmé dès le préambule et rappelé dans les chapitres du traité concernant la régulation dans les domaines environnemental et social ;

– les protections dont bénéficient les investisseurs font l’objet d’une définition précise ;

– des secteurs sensibles ne pourront faire l’objet de plaintes d’investissement ou celles-ci seront filtrées par les Etats les arbitres seront soumis à un code de conduite ;

– la transparence de la procédure sera totale ;

– des clauses anti-abus ont été introduites afin de prévenir toute dérive de l’arbitrage : parmi celles-ci, l’interdiction du cumul d’un recours national avec le RDIE, la prohibition de l’abus de droit, le rejet accéléré des plaintes infondées et la jonction des procédures.

De plus, l’Union européenne et le Canada gardent la possibilité d’interpréter le traité et d’imposer leur interprétation aux tribunaux arbitraux et de faire évoluer le traité lui -même, notamment par la création d’une instance d’appel.

Cependant, en dépit des améliorations réelles apportées par l’AECG au RDIE par rapport à ce qui existe dans les TBI européens, il n’en reste pas moins qu’il conserve la forme d’un tribunal arbitral. Or, quelle que soit les précautions prises et les qualités personnelles des arbitres, l’opinion publique n’accepte plus les tribunaux arbitraux qui souffrent d’un défaut intrinsèque qu’aucune réforme ne pourra supprimer : une présomption de partialité. Or, en matière de justice, comme le rappelle régulièrement la Cour européenne des droits de l’homme, l’apparence d’impartialité est aussi importante que l’impartialité objective.

De l’avis général, l’AECG est un accord favorable aux intérêts de l’Union européenne, en raison notamment de ses dispositions relatives à la protection des indications géographiques (dont 42 françaises) et à l’ouverture des publics canadiens, y compris au niveau subfédéral. À supposer que la Commission européenne et le nouveau gouvernement canadien de M. Trudeau ne s’entendent pas sur une évolution du RDIE que contient l’AECG, la question qui se posera au Parlement européen et, le cas échéant, aux Parlements nationaux (si la mixité du traité est reconnue) sera la suivante : faut-il, dans ces conditions, ne pas ratifier l’AECG au seul motif qu’il inclut un RDIE sous forme arbitrale ?

Si l’AECG représente la première voie de réforme du RDIE, prenant la forme d’une amélioration de la procédure arbitrale, une deuxième voie a été proposée par la Commission européenne, inspirée en partie des propositions françaises, dans le cadre du PTCI. Cette voie, c’est la suppression pure et simple des tribunaux arbitraux, remplacés par un International Court System (ICS), c’est-à-dire une juridiction permanente internationale, qui prendrait la forme d’un tribunal de première instance et d’une cour d’appel, composés tous les deux de juges professionnels, nommés par les États, dont la fonction sera incompatible avec celle d’avocat.

Cette proposition tire les conséquences, au fond, de la présomption de partialité intrinsèque aux tribunaux arbitraux en leur substituant une véritable juridiction bilatérale. Pour autant, elle soulèvent nombre d’interrogations.

Les premières sont d’ordre juridique. En effet, cette proposition renvoie, pour les règles de procédure, à la convention de Washington. Or, aux termes de celle-ci, les sentences sont exécutoires sans appel, les seuls recours possibles étant ceux prévus par la convention. La question est donc celle de la compatibilité de celle-ci avec la possibilité de faire appel des décisions du tribunal de première instance prévue par l’ICS. Pour les professeurs de droit que j’ai interrogés, il est très difficile de ne pas voir une contradiction entre les deux. Une autre potentielle incertitude juridique que soulève la création de cette cour, comme d’ailleurs le RDIE lui-même, est sa compatibilité avec le droit européen. Une étude de l’ONG ClientEarth considère d’ailleurs que ce n’est pas le cas.

Les secondes sont politiques. Cette proposition devra être acceptée par les Américains. Or, ceux-ci sont pleinement satisfaits du RDIE tel qu’il existe aujourd’hui puisqu’ils n’ont jamais été condamnés par un tribunal arbitral, y compris dans le cadre de l’ALENA. En outre, il convient de noter que le Partenariat transpacifique, dont les négociations viennent de s’achever, contient un RDIE sous forme arbitrale et que, comme vous le savez, les Américains sont historiquement méfiants vis-à-vis des cours internationales. Enfin, à supposer même qu’ils soient convaincus de la pertinence de cet ICS, ils ne l’accepteront qu’en échange de concessions des Européens. Au regard du peu de transparence des négociations, c’est seulement à la fin – si celles-ci s’achèvent un jour – que nous apprécierons « le prix » de l’ICS pour les Européens.

Enfin, la création de cette cour se heurtera à des obstacles pratiques. Américains et Européens devront en effet s’accorder sur le partage des coûts, les modalités de nominations de ses juges ou encore sur le lieu de son siège ;

Par ailleurs, la Commission souhaite introduire un tel ICS dans tous les traités de libre-échange ou d’investissement. Compte tenu du nombre de négociations en cours et à venir, et à supposer qu’elle parvienne à convaincre les pays concernés, les cours bilatérales se multiplieront, ce qui n’ira pas sans poser des problèmes pratiques, à commencer par le recrutement des juges dans un vivier relativement limité et avec de fortes contraintes en termes d’incompatibilité et de rémunération.

Pour ma part, même si les deux voies de réforme du RDIE que constituent l’AECG et la proposition européenne pour le PTCI apportent des améliorations réelles, je considère que seule une juridiction multilatérale est susceptible de permettre un règlement efficace et légitime des différends. En effet, j’approuve sans nuance les propos de Catherine Lalumière dans son rapport sur l’AMI : « Renoncer à tout accord international sur l’investissement n’est pas souhaitable. Dans le désordre actuel de la mondialisation, il y a intérêt de tous les pays à l’établissement de règles stables et équitables. Un accord peut offrir l’occasion de franchir une étape dans la voie d’une meilleur régulation de l’économie mondiale en établissant des régimes d’investissement et en réalisant des progrès sur les normes environnementales et sociales ». Cependant, il ne faut pas être naïf. Au regard de l’enlisement actuel des négociations multilatérales, ce ne peut être qu’un objectif de long terme.

En conclusion, j’espère que ce rapport contribuera à clarifier les termes du débat sur le RDIE. Je regrette seulement que ce débat n’ait pas eu lieu plus tôt au sein de l’Union Européenne. Dans le rapport que j’avais rédigé en 2013 sur le mandat de négociation du PTCI comme dans la résolution qui l’accompagnait, j’appelais le gouvernement à ne pas inclure le RDIE dans ledit mandat de négociation. À l’époque, nous n’avions pas de position européenne commune en la matière ni même commencé à réfléchir à celle-ci. Notre Assemblée n’a pas été suivie sur ce point et l’avenir dira quel sera le sort réservé à la proposition de la commission européenne.

Mon dernier mot sera pour souligner les insuffisances de la procédure actuelle de négociation des accords de libre-échange du point de vue démocratique. L’Union européenne pourrait en effet utilement s’inspirer du Canada qui, dans le cadre de la négociation de l’AECG, a associé les provinces tout au long des négociations, permettant ainsi de parvenir, très en amont, à un consensus sur les dispositions de ce traité. Or, combien la situation est différente en Europe. À supposer que la mixité de l’AECG soit finalement reconnue, les parlements nationaux devront se positionner sans avoir eu accès aux informations pertinentes lors des négociations, faisant courir le risque d’un rejet. D’une manière générale, maintenant que ces accords de libre-échange dit de « nouvelle génération » touchent profondément à la vie de nos concitoyens, l’accès des Parlements nationaux à l’information est fondamentale afin de leur permettre de travailler en conscience, de se forger une conviction et d’exprimer leur position au long des négociations sans attendre que vienne l’ultime étape de la ratification.

La Présidente Danielle Auroi. Je tiens à remercier Seybah Dagoma pour son travail très précis sur ce sujet complexe. Ce midi, j’ai rencontré avec mes collègues sénateurs l’Ambassadeur des États-Unis à l’OMC, M. Michael Punke qui, très transparent, nous a dit que de son point de vue, les négociations du PTCI étaient suspendues au résultat de la prochaine élection présidentielle. En outre, les États-Unis, après avoir été mobilisés par les négociations du TPP, le sont aujourd’hui par la ratification de ce traité et, au-delà, par leurs rapports avec la Chine. Nous avons donc un peu de temps pour réfléchir aux modalités de réforme du RDIE.

Je voudrais maintenant attirer l’attention sur l’AECG dont les négociations, je le rappelle, sont aujourd’hui achevées. Comme le soutiennent les ONG, je pense qu’il serait pertinent que la Cour de justice se prononce sur la compatibilité du RDIE avec le droit européen préalablement à la ratification de ce traité.

Par ailleurs, si l’expérience canadienne de la négociation de l’AECG est intéressante, elle découle du fait que le Canada est un Etat fédéral, contrairement à l’Union européenne. Il peut donc être difficile de trouver une méthode qui satisfasse l’ensemble des États-membres qui, par ailleurs, sont divisés.

Mme Nathalie Chabanne. Je voudrais féliciter la rapporteure pour la qualité de son rapport. Le RDIE est un sujet important et j’aimerais revenir sur plusieurs points. La Commission européenne a proposé, dans le cadre du PTCI, de créer une cour bilatérale et permanente d’investissement pour régler les différends entre les États et les investisseurs, incluant un mécanisme d’appel. Or, il semble qu’elle ait renoncé à intégrer une telle Cour dans les autres traités, à commercer par l’AECG qui, comme on l’a dit, contient un RDIE classique sous forme de tribunal arbitral. Or, nombreuses sont les entreprises américaines présentes au Canada qui, de ce fait, pourrait en profiter pour attaquer les États-membres devant les tribunaux arbitraux et non devant la Cour bilatérale. Le risque est réel. Il suffit de voir le comportement d’entreprises américaines comme Philip Morris qui, après avoir racheté sa filiale hongkongaise, s’est appuyé sur le TBI entre Hong Kong et l’Australie pour attaquer la décision de cette dernière d’imposer le paquet de cigarettes « neutre ».

En outre, la proposition européenne ne me semble pas régler le problème de l’impartialité des juges de cette cour. Leur rémunération continuera à dépendre du nombre de plaintes d’investisseurs. Elle ne plafonne pas non plus le montant des compensations pouvant leur être versées, lesquelles peuvent être très supérieures à l’investissement réel puisque sont également prises en compte leurs « attentes légitimes ». Je rappelle que l’énergéticien suédois Vattenfall réclame pas moins de 4,7 milliards d’euros à l’Allemagne pour avoir programmé la fin du nucléaire avec cette précision que ses concurrents allemands, eux, n’ont accès qu’aux seuls tribunaux allemands.

Enfin, il est regrettable que la proposition européenne n’ait pas retenu la proposition française d’imposer des amendes aux investisseurs en cas de plainte abusive.

Mme Seybah Dagoma, rapporteure. La question de la saisine de la Cour de justice pour s’assurer de la compatibilité de l’AECG et des autres accords avec le droit européen ne relève pas des Parlements nationaux. Aux termes de l’article 218 du TFUE, seuls le Parlement européen, le Conseil, la Commission et les Etats-membres peuvent introduire une telle requête.

Je rappelle que la Commission européenne a bien l’intention d’introduire l’ICS dans l’ensemble de ses accords d’investissement à venir. La question est plus délicate, en effet, pour l’AECG, dont les négociations sont achevées.

Il va de soi que les exemples de Vattenfall et de Philip Morris sont scandaleux et je reviens longuement, dans mon rapport, sur ces affaires et sur les critiques qu’elles ont suscitées contre le RDIE. Toutefois, j’attire votre attention sur le fait qu’en décembre dernier, le tribunal arbitral a rejeté, pour incompétence, la plainte de Philipp Morris contre l’Australie.

S’agissant de la possibilité, pour les filiales canadiennes des entreprises américaines, de profiter de l’AECG pour poursuivre des États-membres devant un tribunal arbitral, encore faut-il que ces filiales soient à l’origine de l’investissement dans l’Union européenne et qu’elles y aient donc une activité réelle. L’AECG contient en outre des dispositions « anti-abus » afin d’éviter ce genre de pratique.

Les compensations ne sont effectivement pas plafonnées. Toutefois, même si les demandes des investisseurs peuvent apparaître colossales, on constate que dans les faits, ce qu’ils obtiennent des tribunaux arbitraux est très inférieur.

Enfin, comme vous, je regrette que la proposition française concernant les amendes pour plaintes abusives n’ait pas été retenue par la Commission.

Mme Nathalie Chabanne. L’un des avantages fréquemment avancés concernant l’arbitrage est la confidentialité qu’il offre aux investisseurs, notamment s’agissant des sommes qu’ils réclament. Une telle confidentialité nourrit évidemment les critiques contre le RDIE.

Mme Seybah Dagoma, rapporteure. Je suis très favorable à la transparence et, d’ailleurs, l’AECG prévoit une transparence totale de la procédure arbitrale, sous la seule réserve de la protection du secret des affaires.

III. Examen de textes soumis à l’Assemblée nationale en application de l’article 88-4 de la Constitution

Sur le rapport de la Présidente Danielle Auroi, la Commission a examiné des textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution.

Textes « actés »

Aucune observation n’ayant été formulée, la Commission a pris acte des textes suivants :

Ø COMMERCE EXTERIEUR

- Recommandation de Décision du Conseil autorisant la Commission européenne et la haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité à ouvrir des négociations et à négocier avec le Mexique en vue de la conclusion d'un accord global modernisé (COM(2015) 658 final RESTREINT UE – E 10822).

Ø COMMERCE INTERIEUR et SERVICES

- Proposition de Règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (UE) nº 575/2013 en ce qui concerne les dérogations applicables aux négociants en matières premières (Texte présentant de l'intérêt pour l'EEE) (COM(2015) 648 final – E 10818).

Ø CULTURE - AUDIOVISUEL

- Décision du Conseil du 7 mai 2007 relative aux modalités pratiques et de procédure en vue de la désignation, par le Conseil, de deux membres du jury de sélection et du jury de suivi et de conseil dans le cadre de l'action communautaire en faveur de la manifestation "Capitale européenne de la culture" (décision 2007/324/UE) - Désignation par le Conseil de deux membres des jurys pour la période 2016-2018 (13615/15 – E 10703).

- Proposition de Décision du Conseil relative à la position à adopter au nom de l'Union européenne au sein du comité mixte de l'EEE en ce qui concerne une modification de l'annexe XI (Communications électroniques, services audiovisuels et société de l'information) de l'accord EEE (bande ultralarge) (COM(2015) 659 final – E 10823).

Ø ENVIRONNEMENT

- Directive (UE) de la Commission modifiant l'annexe II de la directive 2000/53/CE du Parlement européen et du Conseil relative aux véhicules hors d’usage (D040865/02 – E 10837).

Ø MARCHE INTERIEUR

- Proposition de Directive du Parlement européen et du Conseil relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en ce qui concerne les exigences en matière d’accessibilité applicables aux produits et services (COM(2015) 615 final – E 10786).

Ø SECURITE SANITAIRE

- Règlement de la Commission modifiant l'annexe IV du règlement (CE) nº 396/2005 du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne Cydia pomonella Granulovirus (CpGV), le carbure de calcium, l'iodure de potassium, l'hydrogénocarbonate de sodium, la rescalure et les souches ATCC 74040 et GHA de Beauveria bassiana (D042746/16 – E 10849).

- Règlement de la Commission modifiant les annexes II et III du règlement (CE) nº 396/2005 du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les limites maximales applicables aux résidus de chlorantraniliprole, de cyflumétofène, de cyprodinil, de diméthomorphe, de dithiocarbamates, de fénamidone, de fluopyram, de flutolanil, d'imazamox, de métrafénone, de myclobutanil, de propiconazole, de sédaxane et de spirodiclofène présents dans ou sur certains produits (Texte présentant de l'intérêt pour l'EEE) (D042721/16 – E 10863).

Textes « actés » de manière tacite

Accords tacites de la Commission

En application de la procédure adoptée par la Commission les 23 septembre 2008 (textes antidumping), 29 octobre 2008 (virements de crédits), 28 janvier 2009 (certains projets de décisions de nominations et actes relevant de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) concernant la prolongation, sans changement, de missions de gestion de crise, ou de sanctions diverses, et certaines autres nominations), et 16 octobre 2012 (certaines décisions de mobilisation du fonds européen d’ajustement à la mondialisation), celle-ci a pris acte tacitement des documents suivants :

Ø BUDGET COMMUNAUTAIRE

- Proposition de virement de crédits no DEC 01/2016 à l'intérieur de la section III - Commission - du budget général pour l'exercice 2016 (DEC 01/2016 – E 10879).

Ø FISCALITE

- Proposition de décision d'exécution du Conseil autorisant la France à appliquer des niveaux réduits de taxation à l'essence et au gazole utilisés comme carburants, en vertu de l'article 19 de la directive 2003/96/CE (COM(2016) 20 final – E 10883).

Ø INSTITUTIONS COMMUNAUTAIRES

- Comité consultatif pour la libre circulation des travailleurs - Nomination de Mme Isla SCOTT, membre suppléant pour le Royaume-Uni, en remplacement de Mme Deborah MORRISON, démissionnaire (5397/16 – E 10867).

- Comité consultatif pour la libre circulation des travailleurs - Nomination de M. Adam ROGALEWSKI, membre titulaire polonais, en remplacement de M. Jakub KUS, démissionnaire (5396/16 – E 10868).

- Décision du Conseil portant nomination d'un membre suppléant, pour l'Espagne, du conseil de direction de l'Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail (5137/16 – E 10880).

- Décision du Conseil portant nomination d'un membre titulaire et d'un membre suppléant du comité consultatif pour la coordination des systèmes de sécurité sociale pour la Roumanie (5226/16 – E 10881).

Ø POLITIQUE ECONOMIQUE, BUDGETAIRE ET MONETAIRE

- Proposition de décision du Parlement européen et du Conseil relative à la mobilisation du Fonds européen d'ajustement à la mondialisation (demande de la Belgique – EGF/2015/007 BE/ Hainaut-Namur Glass) (COM(2016) 1 final – E 10871).

Accords tacites de la Commission liés au calendrier d’adoption par le Conseil

La Commission a également pris acte de la levée tacite de la réserve parlementaire, du fait du calendrier des travaux du Conseil, pour les textes suivants :

Ø POLITIQUE ETRANGERE ET DE SECURITE COMMUNE (PESC)

- Décision d'exécution du Conseil mettant en œuvre la décision 2010/413/PESC concernant des mesures restrictives à l'encontre de l'Iran (5401/16 – E 10886).

- Règlement d'exécution du Conseil mettant en œuvre le règlement (UE) no 267/2012 concernant l'adoption de mesures restrictives à l'encontre de l'Iran (5402/16 – E 10887).

- Décision du Conseil modifiant la décision 2011/72/PESC concernant des mesures restrictives à l'encontre de certaines personnes et entités au regard de la situation en Tunisie (15460/15 – E 10888).

- Règlement d'exécution du Conseil mettant en œuvre le règlement (UE) no 101/2011 concernant des mesures restrictives à l'encontre de certaines personnes, entités et organismes au regard de la situation en Tunisie (15461/15 – E 10889).

La séance est levée à 18 h 35

Membres présents ou excusés

Commission des affaires européennes

Réunion du mardi 2 février 2016 à 16 h 30

Présents. - Mme Danielle Auroi, M. Christophe Caresche, Mme Nathalie Chabanne, M. Philip Cordery, Mme Seybah Dagoma, M. Bernard Deflesselles, Mme Marie-Louise Fort, M. Hervé Gaymard, Mme Chantal Guittet, Mme Marietta Karamanli, M. Jérôme Lambert, M. Charles de La Verpillière, M. Pierre Lequiller

Excusés. - M. Arnaud Leroy, M. Jean-Claude Mignon, M. Arnaud Richard