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Commission des affaires européennes

mardi 29 mars 2016

8 h 30

Compte rendu n° 266

Présidence de Mme Danielle Auroi Présidente

Audition de M. Harlem Désir, secrétaire d’État aux affaires européennes, sur le Conseil européen des 17 et 18 mars

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mardi 29 mars 2016

Présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente de la Commission

La séance est ouverte à 8 h 35

Audition de M. Harlem Désir, secrétaire d’État aux affaires européennes, sur le Conseil européen des 17 et 18 mars

La présidente Danielle Auroi. Je suis très heureuse de vous accueillir aujourd’hui, pour que nous puissions faire le point sur le Conseil européen de la semaine dernière et les récents développements de l’actualité européenne, dans un contexte encore très marqué par les attentats de Bruxelles, qui ont directement visé l’Europe, ses valeurs communes.

Ces attentats nous ont contraints à annuler l’audition prévue mercredi dernier.

Les questions migratoires et la discussion de l’accord Union européenne /Turquie ont été au cœur du Conseil des 17 et 18 mars ; vous pourrez nous en préciser les tenants et les aboutissants, comme les difficultés d’application. Cet accord est, vous le savez, très critiqué, à la fois sur le plan des principes et valeurs qui fondent l’Union, et sur le plan juridique. De nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer un accord honteux, un marchandage terrible entre l’Union européenne et la Turquie, au moment même où les violations des droits humains en Turquie sont plus graves que jamais.

Nous connaissons la difficulté des débats européens sur ce sujet, et celle de dégager des solutions communes, dont le principe est indispensable. Et nous savons que la Turquie est un partenaire incontournable.

Mais, pour autant, comment accepter que la Turquie soit devenue un « pays sûr » pour les réfugiés ? Le Défenseur des droits, Jacques Toubon, a mardi dernier, vous le savez, devant notre commission des Lois, estimé que l’accord avec la Turquie n’était pas juridiquement correct, car la Turquie ne pouvait pas être considéré comme un « pays sûr », n’ayant pas ratifié la convention de Genève dans tous ses éléments.

L’accord intervenu à ce propos au sein du Conseil européen implique-t-il que la Turquie doit être considérée comme un pays sûr par l’ensemble des États membres ? Comment par ailleurs s’assurer que chaque situation fera l’objet d’un examen individuel avant tout renvoi en Turquie ?

Quelle est la base juridique de l’accord avec la Turquie, alors même que les décisions en matière d’asile relèvent très largement des compétences nationales ?

Comment compter sur l’organisation de l’asile en Grèce pour assurer le respect des droits des réfugiés et migrants ? l’Europe ne risque-t-elle pas de se trouver en infraction avec le droit international en organisant des retours forcés ? La mise en œuvre de l’accord paraît très difficile. MSF, comme d’autres ONG, vient de mettre un terme à ses interventions dans les « hot spots » en Grèce, constatant que ceux-ci étaient devenus des centres de rétention fermés.

Sur le plan quantitatif, le dispositif prévu semble largement en-deçà des besoins réels. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : les réinstallations de Turquie vers UE seront limitées à 72 000 personnes alors que sur les trois premiers mois de 2016 il y a eu déjà plus de 100 000 arrivées (131 000 selon MSF)… Au printemps les arrivées risquent d’augmenter…

Par ailleurs, comment les personnes réfugiées en Turquie seront – elles choisies pour bénéficier d’une procédure de réinstallation ? Il a été dit que les critères de vulnérabilité seront pris en compte mais quelle autorité prendra la décision ? Quels seront les organismes chargés de la gestion des centres d’accueil des réfugiés en Turquie ayant fait l’objet d’une décision de réadmission ? Quel sera le rôle du HCR?

Les autorités turques ont annoncé en fin de semaine dernière qu’il n’était pas question pour elles de modifier leur législation, pour revoir à la hausse les garanties apportées aux migrants renvoyés de Grèce.

Quelle a été la position de la France dans ce débat ? et quelle sera sa contribution au dispositif engagé ? L’OFPRA y contribuera-t-il ?

Il y avait d’autres points à l’ordre du jour du Conseil – notamment les suites de la COP 21 et le semestre européen – ; nous les évoquerons si nous avons le temps.

Avant de vous laisser la parole, monsieur le Secrétaire d’État, je voudrais évoquer très rapidement la lutte contre le terrorisme au niveau de l’Union.

L’indispensable coopération entre les services de renseignements des 28 semble avoir beaucoup de mal à atteindre le niveau nécessaire.

À l’occasion du dernier conseil des ministres de l’intérieur, jeudi, au surlendemain des attentats de Bruxelles, le commissaire Dimitris Avramopoulos, n’a pas caché sa frustration, en dénonçant à ce propos « l’absence de volonté politique », le manque de « coordination », et de « confiance » entre les États membres.

Ce constat est assez inquiétant. Pouvez-vous faire le point sur cette question de la lutte contre le terrorisme ?

M. Harlem Désir, secrétaire d’État aux affaires européennes, Je tiens à mon tour à vous remercier d’avoir bien voulu accepter de décaler cette audition. Il est important que des échanges constructifs puissent avoir lieu entre le Gouvernement et les parlementaires sur l’actualité européenne. Les événements tragiques des attentats de Bruxelles constituent une menace pour l’idéal européen car c’était à l’évidence la construction européenne qui était visée en portant la violence au cœur même du quartier des institutions européennes. Face à cette menace, notre réponse n’est pas assez européenne comme le montrent les réticences du Parlement européen à adopter définitivement le PNR. Toutes les garanties ont été apportées en matière de protection des données suite à l’accord politique lors du trilogue du 18 décembre 2015 sur règlement général sur la protection des données, il faut donc aller de l’avant et mettre en œuvre le PNR.

À plusieurs reprises, les Conseil JAI ont réaffirmé l’urgence à utiliser pleinement les outils existants pour garantir un niveau optimal de sécurité et se prémunir contre les attaques terroristes. Les États membres doivent résolument s’engager à alimenter les différents fichiers comme celui des données SIS pour l’espace Schengen ou les bases de données d’Europol ou encore à enrichir le système ECRIS où figurent les casiers judiciaires. Nous devons faire des progrès décisifs pour parvenir à un contrôle effectif des frontières extérieures communes en instaurant par exemple des contrôles systématiques sur les ressortissants Européens à leur entrée dans le territoire européen. Une autre étape en matière de sécurité sera l’adoption d’ici juin 2016, de la directive sur l’acquisition et la détention d’armes à feu.

L’Union européenne a été prise au dépourvu par les questions de sécurité car sa vocation initiale était plutôt économique avec l’instauration d’un marché unique reposant sur le principe de libre circulation des personnes et des marchandises. Il faut désormais changer d’approche car les questions de sécurité publique deviennent cruciales.

Suite aux attentats de Paris en Janvier 2015, plusieurs initiatives ont été prises pour mobiliser l’Union européenne sur ces questions. La déclaration des membres du Conseil européen du 12 février 2015 a établi une feuille de route pour des actions concrètes et a défini trois priorités : assurer la sécurité des citoyens en utilisant mieux et en étoffant les instruments existants, prévenir la radicalisation et protéger les valeurs de l'Union, coopérer avec les partenaires de l'Union à l'échelon international. Cette approche de court terme a été complétée par l'Agenda européen pour la sécurité 2015-2020, présenté par la Commission européenne le 28 avril 2015, qui place aussi la lutte contre le terrorisme et la radicalisation au cœur de la nouvelle stratégie.

Venons-en à présent au Conseil européen des 17 et 18 mars qui a été largement consacré à la crise migratoire et à la mise au point de l’accord entre l’Union européenne et la Turquie.

Rappelons que cet accord se situe dans le prolongement du plan d’action commun qui a été acté le 29 novembre 2015. Le Gouvernement français est tout à fait conscient des fortes réticences que suscite cet accord au regard des droits fondamentaux et du respect de la Convention de Genève sur le Droit d’asile.

Je voudrais rappeler ici quelle est la logique de cet accord et dans quel environnement il intervient. La route des Balkans est aujourd’hui fermée, plusieurs pays de l’Europe orientale et centrale ayant fermé leur frontière depuis quelques semaines, le point le plus problématique étant Idomenei à la frontière avec la Macédoine où plusieurs dizaines de milliers de migrants sont bloqués. Au cours de l’année 2015, certains pays traditionnellement accueillants vis-à-vis des réfugiés ont revu leur position comme la Suède par exemple ou plus récemment l’Allemagne car l’afflux des migrants créaient des réactions de rejet au sein des populations locales. L’Union européenne était donc confrontée à une crise humanitaire sans précédent certains pays comme la Grèce devant faire face à une situation inextricable dès lors que les migrants qui arrivaient sur son sol se trouvaient contraints d’y rester puisque les autres États voisins ont progressivement fermés leurs frontières .

La première justification de cet accord est de démanteler le modèle économique des passeurs et d'offrir aux migrants une perspective autre que celle de risquer leur vie pour traverser la mer Egée. Cet accord vise à décourager les trafics d’êtres humains et met en place des corridors sécurisés pour arriver en Europe, légalement.

Tous les nouveaux migrants en situation irrégulière qui partent de la Turquie pour gagner les îles grecques à partir du 20 mars 2016 seront renvoyés en Turquie. Cela se fera en totale conformité avec le droit de l'UE et le droit international, excluant ainsi toute forme d'expulsion collective.

Les migrants arrivant dans les îles grecques seront dûment enregistrés et toute demande d'asile sera traitée individuellement par les autorités grecques conformément à la directive sur les procédures d'asile, en coopération avec le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Les migrants ne demandant pas l'asile, ou dont la demande d'asile a été jugée infondée ou irrecevable conformément à la directive précitée, seront renvoyés en Turquie. La Turquie et la Grèce, avec l'aide des institutions et agences de l'UE, prendront les mesures qui s'imposent et conviendront des arrangements bilatéraux nécessaires, pour assurer le côté opérationnel de cet accord.

Pour chaque Syrien renvoyé en Turquie au départ des îles grecques, un autre Syrien sera réinstallé de la Turquie vers l'UE en tenant compte des critères de vulnérabilité des Nations unies. Un mécanisme sera mis en place, avec le soutien de la Commission, des agences de l'UE et d'autres États membres, ainsi que du HCR, afin de s'assurer de la mise en œuvre de ce principe à partir du jour même où les retours commenceront. La priorité sera donnée aux migrants qui ne sont pas déjà entrés, ou n'ont pas tenté d'entrer, de manière irrégulière sur le territoire de l'UE. Du côté de l'UE, les réinstallations prévues par ce mécanisme seront, dans un premier temps, mises en œuvre en honorant les engagements pris par les États membres dans les conclusions des représentants des gouvernements des États membres réunis au sein du Conseil le 20 juillet 2015, 18 000 places de réinstallation étant encore disponibles dans ce contexte. Il sera répondu à tout nouveau besoin de réinstallation au moyen d'un arrangement volontaire similaire, dans la limite de 54 000 personnes supplémentaires, soit au total 72 000 personnes qui seront concernées par ce mécanisme de réinstallation.

Les demandes d’asile se feront désormais à partir de pays tiers, ici en l’occurrence de la Turquie, mais il existe d’autres centres au Liban ou en Jordanie où des mécanismes de réinstallations ont déjà eu lieu grâce à l’intervention du HCR qui est chargé de recueillir les demandes. Désormais, il faut que le message soit clair : avoir recours à un passeur ne permettra plus d’obtenir le droit d’asile. Toutes les demandes seront instruites depuis un pays tiers.

Ce mécanisme de réinstallation devra s’organiser avec le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et d’autres organismes humanitaires notamment pour définir des priorités d’accueil en tenant compte par exemple des personnes les plus vulnérables .

Cet accord suppose pour être pleinement opérationnel un certain nombre d’aménagements juridiques tant du côté grec que turc, la Grèce devant reconnaître à titre bilatéral que la Turquie est un pays tiers sûr et la Turquie devant modifier ses réserves d’adhésion à la Convention de Genève puisqu’actuellement elle n’accorde de protection qu’aux ressortissants des pays membres du Conseil de l’Europe.

La Grèce devra aussi veiller à adapter ses moyens juridictionnels pour que les déboutés en première instance du droit d’asile puissent faire valoir leur droit de recours dans des délais raisonnables. Les États membres se sont engagés à fournir à la Grèce, à bref délai, les moyens nécessaires, notamment des garde‑frontière, des experts en matière d'asile et des interprètes. Le président de la Commission, Jean-Claude Juncker a estimé à 4 000 le nombre d'experts qui devront être déployés en Grèce.

Très récemment l’Union Européenne a décidé de modifier son programme d’aide humanitaire dit ECHO, qui pourra désormais être utilisé pour soutenir certains États membres confrontés à des graves difficultés comme l’est actuellement la Grèce. Ce sont 700 millions de fonds qui vont être débloqués, 300 millions en 2016 puis le même montant en 2017 et le solde de 200 millions en 2018. A très court terme le centre de réfugiés d’Idomenei va recevoir des contributions en vivres et couvertures pour faire face à des conditions de vie très précaires des réfugiés.

Je comprends les interrogations sur cet accord et je m’inscris en faux contre l’idée que ce serait une sorte de chèque en blanc à la Turquie, l’Union européenne se délestant sur la Turquie de la charge des flux migratoires. Je souligne que les conclusions adoptées à l’issue du Conseil rappellent que l’UE attend de la Turquie qu'elle respecte les normes les plus élevées qui soient en ce qui concerne la démocratie, l'État de droit et le respect des libertés fondamentales, dont la liberté d'expression. Cet accord ne sacrifie en rien les principes fondamentaux de l’Union européenne.

Je tiens par ailleurs à souligner que l’Union européenne poursuit son soutien aux pays limitrophes comme la Jordanie et le Liban qui recevront des moyens financiers et logistiques renforcés pour l’accueil des réfugiés. Mme Federica Mogherini, Haute représentante de l'Union européenne pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, et vice-présidente de la Commission européenne, lors d’un récent déplacement en Jordanie et au Liban, a témoigné avoir rencontré des réfugiés syriens qui voulaient rester à proximité de leur pays d’origine pour y retourner plus facilement lorsque la situation serait meilleure. Les mauvaises conditions de vie des camps dans les pays du voisinage de la Syrie expliquent en partie l’afflux des réfugiés en Europe ; il est donc primordial de soutenir ces pays de premier accueil pour éviter des déplacements de population.

Enfin, le Conseil européen s’est dit très vigilant quant à d'éventuelles nouvelles routes de migration irrégulière et s’est dit prêt à prendre les mesures qui pourraient se révéler nécessaires à cet égard. Dans ce contexte, il demeure essentiel de lutter contre les passeurs, partout et par tous les moyens appropriés. L'UE se tient prête à soutenir le gouvernement d'entente nationale, en tant que seul gouvernement légitime de la Libye, y compris, à sa demande, pour rétablir la stabilité, lutter contre le terrorisme et gérer les migrations en Méditerranée centrale.

En contrepartie de cet accord, il est prévu que la concrétisation de la feuille de route sur la libéralisation du régime des visas sera accélérée à l'égard de l'ensemble des États membres participants, afin que les obligations en matière de visa pour les citoyens turcs soient levées au plus tard à la fin du mois de juin 2016. Mais il est clairement indiqué aussi que tous les critères de référence doivent être respectés. Or, la liste comprend 72 critères, dont 35 sont actuellement remplis, ce qui place la Turquie devant un défi important.

En ce qui concerne la relance du processus d’adhésion, demande expresse du gouvernement turc en contrepartie de cet accord, la déclaration indique que la prochaine étape sera d’ouvrir le chapitre 33, relatif aux dispositions financières et budgétaires d’ici la fin du mois de juin 2016. La Commission présentera une proposition à cet effet en avril. "Les travaux préparatoires relatifs à l'ouverture d'autres chapitres se poursuivront à un rythme accéléré sans préjudice des positions des États membres conformément aux règles en vigueur", est-il indiqué ensuite dans la déclaration officielle relative à cet accord, une formulation qui a permis d’obtenir un accord unanime du côté de l’UE et a levé par conséquent les réticences exprimées par Chypre en amont du Conseil, car Chypre était opposée à l’ouverture d’autres chapitres. L’objectif de l’Union européenne était en effet d’arriver à un accord avec la Turquie sans risquer de compromettre les négociations interchypriotes.

Je tiens à préciser clairement que deux chapitres pour les négociations préparatoires à l’adhésion ont été ouverts depuis 2012 alors qu’il y en avait eu 13 entre 2007 et 2012. On ne peut donc pas affirmer qu’il y ait une accélération des pourparlers sur l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne mais une simple reprise des discussions. Il s’agit d’une démarche de long terme où les enjeux de sécurité sont très importants.

Autre contrepartie de l’accord, le versement de trois milliards d’euros alloué au titre de la facilité en faveur des réfugiés en Turquie sera accéléré, et il est prévu que cette somme serve à financer des projets en faveur de personnes bénéficiant d'une protection temporaire. La Turquie doit identifier avant la fin mars une première liste de projets concrets en faveur des réfugiés, notamment en ce qui concerne la santé, l'éducation, les infrastructures, l'alimentation et autres frais de subsistance, qui peuvent être rapidement financés à l'aide de la facilité.

Ce n’est qu’une fois que ces ressources seront sur le point d'être intégralement utilisées, et pour autant que les engagements précités soient remplis, que l'UE mobilisera un financement additionnel pour la facilité, à hauteur de trois milliards d'euros supplémentaires jusqu'à la fin de 2018.

En conclusion sur ce point, je dirai qu’il est vital que les engagements des États membres soient respectés pour les programmes de relocalisation et de réinstallation. En contrepartie, la Turquie doit se mobiliser pour mettre un terme aux trafics d’êtres humains et à toute l’économie clandestine qui s’est organisée autour des passeurs. Il faut mettre fin à ce système meurtrier.

J’en arrive maintenant aux questions économiques qui ont été abordées au cours de ce Conseil.

Le Conseil européen a débattu de la situation économique. Dans le cadre du Semestre européen 2016, les dirigeants européens ont approuvé les priorités stratégiques recensées dans l'examen annuel de la croissance à savoir relancer l'investissement, mettre en œuvre des réformes structurelles pour moderniser nos économies, mener des politiques budgétaires responsables. Mario Draghi, président de la Banque Centrale Européenne a présenté son analyse de la conjoncture économique qui révèle une reprise économique fragile et a fait le point sur sa politique monétaire très vigoureuse.

La France tenait à ce que le Conseil débatte de la question de la sidérurgie européenne, qui est confrontée à une crise de surcapacité et qui doit aussi faire face à la concurrence déloyale de certains concurrents internationaux.

Le Conseil a aussi fait le point sur la crise agricole notamment dans le secteur laitier et de l’élevage porcin.

Il était important que l’Union européenne montre son engagement à mettre en œuvre les engagements de la Conférence sur le climat. Les dirigeants européens se sont ainsi félicités de la perspective de la signature de l'accord de Paris, le 22 avril à New York, et se sont engagés à accélérer sa ratification pour qu’il puisse rapidement entrer en vigueur.

Le Conseil européen s'est aussi félicité de la présentation par la Commission du paquet sur la sécurité énergétique, qui traduit l’engagement de l'UE à réduire les émissions de gaz à effet de serre sur son territoire, à accroître la part des énergies renouvelables et à améliorer l'efficacité énergétique, l'adaptation de la législation communautaire aux fins de la mise en œuvre de ce cadre constituant une priorité.

M. Joaquim Peyo. Je vous remercie, Monsieur le Ministre : la synthèse que vous avez réalisée concernant la situation des migrations et les négociations avec la Turquie était très intéressante. J’adhère à vos propos, l’accord avec la Turquie était incontournable mais il faut, selon moi, que l’Union européenne se donne désormais les moyens de contrôler cet accord.

Vous avez indiqué que l’Union européenne n’est pas encore prête pour constituer une véritable défense commune et je pense que l’opinion publique européenne attend que la réponse vienne de l’Union. Imaginons une communauté sans Europe où régnerait le « chacun pour soi », avec des frontières qui seraient ouvertes ou fermées, et l’on aurait, je pense, une grande catastrophe humanitaire. C’est pourquoi j’estime que le rôle de l’Union européenne est fondamental et indispensable.

Je voudrais vous poser deux questions concernant la mission Sophia, qui a été mise en œuvre en juin 2015 dans le cadre de la politique de sécurité et de défense commune. Nous sommes allés, avec Yves Fromion, vérifier la manière dont celle-ci était mise en œuvre en nous rendant en Sicile. Nous estimons que l’opération se déroule dans de bonnes conditions, celle-ci a déjà permis de sauver près de 10 000 personnes qui embarquent dans des bateaux. Nous sommes maintenant à mi-parcours et il convient de s’interroger sur l’éventuelle prolongation de la mission. Je rappelle que l’objectif initial était de lutter contre les trafiquants, notamment ceux qui mettent des bateaux à disposition de réfugiés dont une partie est des migrants économiques. Or, nous avons pu constater que nous ne savons pas toujours ce qu’il advient de ces réfugiés économiques à leur arrivée en Sicile. Avez-vous plus d’informations à ce sujet ?

Par ailleurs, en février dernier, une mission de l’OTAN a été décidée afin de contrôler les passagers en mer Egée. La France a annoncé, par la voix du Président de la République, qu’elle enverrait un navire pour participer à cette opération. Les relations entre la Grèce et la Turquie étant compliquées, pourriez-vous nous donner davantage d’informations à ce sujet-là ?

Concernant les hotspots – les centres d’enregistrement en Italie et en Grèce –, le Conseil européen a décidé de les renforcer. J’aimerais vous demander où nous en sommes exactement, sachant que nous en parlons depuis plus d’un an. Ces centres sont-ils réellement opérationnels et réellement efficaces pour maîtriser ces flux migratoires ?

Enfin, j’aurais aimé vous poser une question sur le mémorandum du ministre de l’agriculture concernant la crise agricole, mais je crois que l’essentiel a été dit aujourd’hui, même si je ne néglige pas le volet économique de la crise que subissent certains producteurs laitiers ou éleveurs porcins.

M. Yves Fromion. Je vais également revenir à la mission que nous avons, en effet, réalisée avec Joachim Pueyo sur Sophia. Je ne partage que très partiellement les propos de Joachim Pueyo sur le fonctionnement du dispositif Sophia, car affirmer que celui-ci a sauvé 10 000 personnes de la noyade, c’est oublier que c’est un mécanisme qui « aspire » les migrants clandestins. Nous savons aujourd’hui que le système fonctionne de telle façon que les marines européennes stationnent en limite des eaux territoriales et que les trafiquants, ayant compris le système, chargent les bateaux, vont jusqu’à la limite des eaux territoriales et y déclenchent, là, le dispositif d’alerte sauvetage. Le résultat est que ce sont les marines européennes qui prennent en charge les migrants à la limite des eaux territoriales. Alors dire que nous les sauvons, je pense que c’est tout de même très abusif. J’estime même que nous alimentons de cette façon le dispositif de flux migratoire illégal.

Cela me conduit à un second point. J’ai posé, il y a quelques jours, une question d’actualité sur le sujet pour savoir quand les puissances occidentales – l’ONU ou d’autres – vont enfin se décider à faire évoluer les choses en Libye. Nous attendons désespérément depuis plusieurs mois que les Libyens veuillent bien faire preuve de bonne volonté et essayent de s’entendre mais la réalité, c’est que nous ne voyons aucune progression. Or, comme vous le savez, Daesh étend ses positions sur la rive libyenne de la Méditerranée, et nous savons que c’est de là que partent les trafiquants. Cela veut dire que Daesh est sur le point – si ce n’est déjà fait –, de contrôler ce trafic, et ainsi de s’enrichir. Je souhaite que les autorités gouvernementales – françaises - appellent l’attention des autorités européennes, voire de l’ONU, avec plus de vigueur, afin que nous prenions une décision au niveau supranational, tout en restant dans le droit. En l’état actuel, la situation en Libye est un échec et il nous faut prendre des décisions afin de contrôler les flux migratoires et, surtout, ne pas permettre à Daesh d’en faire un moyen de financement.

J’insiste aussi sur un autre point : sur la rive contrôlée par Daesh en Libye, il existe un site préhistorique romain extraordinaire qui s’appelle Leptis Magna – qui vaut Palmyre – et qui est aujourd’hui sous le contrôle de Daesh. Quand on voit ce que Daesh a fait de Palmyre, on peut s’inquiéter sur ce qui risque de se passer à Leptis Magna. J’appelle l’attention sur ce point et je voudrais savoir s’il a été pris en compte afin d’éviter un massacre sans retour.

M. Yves Daniel. Je vous remercie également, Monsieur le ministre, pour cette présentation précise qui nous permet de mieux comprendre les enjeux, dans ce contexte mondial très perturbé. Lorsque nous rencontrons nos concitoyens, il apparaît qu’ils s’interrogent beaucoup et que le monde politique n’est pas le seul à se poser ces questions. Nos concitoyens s’interrogent, en particulier, au regard des informations qu’ils peuvent avoir au travers des médias.

J’ai l’impression que nous traitons beaucoup plus les conséquences de ce contexte que les causes. Nos concitoyens nous le font remarquer, et c’est rassurant car cela indique qu’ils sont actifs et qu’ils font preuve d’une participation citoyenne. Les actions entreprises pour traiter les conséquences, vous en avez parlé : ce sont les différents accords et mesures pris récemment mais nous ne traitons pas suffisamment les causes, et je m’interroge sur l’existence d’une volonté européenne de s’attaquer plus sérieusement aux causes de ce mal. Tous les conflits que nous connaissons sont finalement les lieux de fabrication de ces difficultés. Il est difficile de ne pas faire le lien entre la lutte contre le terrorisme et tout ce travail mis en place dans le contexte européen. Là aussi, il y a un lien entre tout ce que nous avons réalisé et la crainte qu’ont nos concitoyens de voir les personnes radicalisées profiter de ce contexte et ainsi annihiler les effets de la lutte contre le terrorisme. J’aimerais ainsi savoir quelle analyse a été faite sur ce point précis.

Enfin, je ne peux pas ne pas vous interroger sur la situation de l’agriculture car nous savons que la solution à la crise agricole est européenne. Je souhaiterais savoir s’il existe une réelle implication de l’Union européenne pour trouver des solutions.

La Présidente Danielle Auroi. Je rejoins tout à fait Yves Daniel sur l’amont et, en particulier, sur l’amont du terrorisme. Effectivement, nous observons facilement sur les réseaux terroristes que plus il y a une articulation entre les États membres de l’Union européenne, plus cela fonctionne. On remarque aussi que la plupart des terroristes ont un lien fort avec les passages en prison, la délinquance, et qu’ils sont tous réellement européens, c’est-à-dire que ce ne sont pas des réfugiés syriens. Il me semble qu’il y a une communication que l’Europe ne fait pas, et qui créé un amalgame assez nauséabond entre les réfugiés et les terroristes. J’estime qu’il faut le dénoncer, pour éviter les relents racistes. La question des réfugiés est liée aux guerres, dans lesquelles les occidentaux ne sont pas toujours pour rien dans le déclenchement. Je souhaite savoir si des choses sont prévues à ce niveau-là car ce que nous entendons aujourd’hui de la part de la Commission favorise plutôt ces amalgames.

Ma deuxième question concerne Idomeni ainsi que la route fermée. Dans votre réponse, Monsieur le Ministre, vous ne mentionnez rien sur le contrôle que pourrait faire l’Union européenne de manière indépendante des fonds attribués à la Turquie. Pour l’instant, rien n’est-il réellement prévu ? Cela me semble extrêmement grave, compte tenu des actions du régime actuellement en place en Turquie. Par ailleurs, nous savons qu’il y aura de nouvelles routes, que les trafiquants sont en train de modifier leurs prix et comme il n’existe toujours pas de couloirs sécurisés prévus entre les zones de hotspots grecs et les zones d’accueil présentées par l'Union européenne, comment allons-nous gérer les trafics ? En particulier, comment l’Albanie et le Monténégro, tous deux très inquiets, vont-ils s’en sortir ? Ils sentent bien arriver sur eux la menace d’une nouvelle catastrophe et qu’ils sont incapables de gérer un tel flux de réfugiés. Est-ce un point que l’Union européenne anticipe ?

M. Harlem Désir. Tout d’abord, la question de Sophia nous renvoie à celle de la route migratoire en Méditerranée centrale et donc à la situation de la Libye. Je remercie d’ailleurs Joaquim Pueyo et Yves Fromion pour leurs témoignages sur la mission qu’ils ont effectuée.

L’opération Sophia, qui est une opération EUNAVFOR Med, est aujourd’hui dans sa phase « 2 a ». L’Union européenne peut donc procéder à des interceptions en haute mer, à la fois pour secourir les personnes, parties de Lybie, qui sont à bord de ces bateaux, et détruire les embarcations et, lorsque cela est possible, arrêter les passeurs et les amener devant la justice. En général, les passeurs ne sont plus sur le bateau : ils ont laissé l’embarcation dériver et déclenché, ou fait déclencher par les migrants qui sont sur le bateau, le signal de détresse au moment où le bateau se trouve en haute mer. C’est la raison pour laquelle il y a beaucoup de naufrages, parce que de telles traversées présentent, à ce stade, de très importants risques. Ensuite, les passagers sont amenés dans des hotspots en Italie.

Pour répondre à la question de Joaquim Pueyo, je crois qu’il y a cinq hotspots qui fonctionnent en Grèce. En Italie, il y a le hotspot de Lampedusa et la plupart de ceux prévus en Sicile fonctionnent également. Ces centres ont vocation à enregistrer les personnes qui sont arrivées – parmi elles, beaucoup ont été sauvées par l’opération Sophia – et faire la distinction entre celles qui auront l’opportunité de bénéficier de la protection internationale associée au droit d’asile en Europe et celles qui ne relèvent pas du droit d’asile, qui sont des migrants irréguliers et économiques et qui devront faire l’objet de procédures de reconduite dans leurs pays d’origine.

Dans une certaine mesure - Yves Fromion a raison -, nous sommes confrontés à des difficultés similaires à celles que nous avons connues en mer Egée. Cette opération, qui a pris le relais de l’opération Mare Nostrum, fait face aux mêmes problématiques : s’il n’y a pas d’accord de réadmission avec un autre pays – en l’occurrence, il ne peut y en avoir avec la Libye aujourd’hui – nous pouvons considérer que, tout en sauvant des vies du risque de naufrage et de la mort, l’opération contribue, en même temps, à ce que les gens puissent arriver jusqu’en Europe.

C’est la raison pour laquelle notre priorité est de parvenir à une coopération avec la Libye, afin de pouvoir passer aux phases suivantes de l’opération Sophia, qui prévoient notamment la possibilité d’intervenir en eaux territoriales libyennes pour y ramener les bateaux et détruire les embarcations s’il le faut, ainsi que la lutte contre le départ même des bateaux qui constitue la phase trois de l’opération. Pour faire cela, il faut qu’il y ait un gouvernement d’Union nationale en Libye qui soit une autorité légitime avec laquelle un tel accord de coopération puisse être convenu, ou qu’il y ait un accord et un mandat donné par la communauté internationale, en l’occurrence le Conseil de sécurité des Nations unies.

Aujourd’hui, il y a, de fait, quasiment trois gouvernements en Libye : un qui était issu d’un précédent Parlement, basé à Tripoli - le Congrès Général National - ; un autre du Parlement élu qui s’appelle la Chambre des Représentants et le troisième, qui est celui que la communauté internationale considère comme le gouvernement légitime, parce qu’il est issu de la négociation que l’envoyé spécial des Nations unies a menée pour réunifier l’ensemble des factions libyennes, et faire en sorte qu’une unité politique puisse être reconstituée dans ce pays afin, notamment de lutter contre la progression de Daesh dans la région de Syrthe, qui menace des sites historiques, et qui menace aussi, tout simplement, la sécurité de ce pays et de son environnement. Je pense aussi aux attaques menées par les djihadistes en Tunisie il y a encore quelques semaines.

La priorité, c’est donc que ce gouvernement puisse, avec le soutien qu’il a d’ores et déjà du représentant spécial des Nations unies, s’installer sur le territoire libyen, à Tripoli, car la capitale est le lieu où doit être installé le gouvernement, et qu’il puisse y assumer toutes ses fonctions. À partir de là, nous pourrons envisager un accord de coopération sur la lutte contre ces passeurs. Je rappelle qu’il existe tout un ensemble de dispositions qui sont prévues pour appuyer ce gouvernement, afin de l’aider à reconstituer une administration, des forces de sécurité, mais aussi lutter contre des milices qui ne reconnaîtraient pas son autorité et lutter contre les terroristes.

C’est aujourd’hui absolument nécessaire et indispensable, car cette route de la Méditerranée centrale concernait encore l’an dernier plus de 140 000 personnes et nous arrivons à une période où les conditions météorologiques vont devenir plus favorables à la traversée. Je crois que, ne serait-ce que ce week-end, il y a eu près de 1 500 personnes qui ont été secourues par les bateaux de l’opération Sophia au large des côtes italiennes et en provenance de Libye. Cela donne une idée du flux qui est en train de se reconstituer et prouve aussi que les réseaux de passeurs n’ont pas renoncé. Vous le disiez, Madame la Présidente, à partir du moment où une route est fermée, d’autres routes s’ouvriront. La route des Balkans et fermée, celle de la mer Egée le sera si l’accord entre l’Union européenne et la Turquie fait l’objet de tout l’engagement nécessaire de la part de la Turquie. Il y aura très certainement de nouvelles routes, par exemple, pour rejoindre la Grèce par l’Albanie. Dans une telle situation, nous devrons œuvrer à empêcher qu’une telle route se forme car elle produirait la même déstabilisation dans les Balkans que celle qui a conduit ces pays à fermer la frontière avec la Macédoine. Il y aura probablement aussi la tentation d’utiliser la route de la Méditerranée centrale.

Aujourd’hui, parmi les personnes qui sont secourues par l’opération EUNAVFOR Med et qui se trouvent ensuite dans les hotspots d’Italie, il y a beaucoup de réfugiés ou de migrants qui viennent de pays d’Afrique : il y a des Érythréens, des Éthiopiens, des Soudanais… Parmi les ressortissants de ces pays, il y a des gens qui fuient les guerres, la misère, qui traversent le Sahel dans des conditions très périlleuses ; certains de ces migrants relèvent de l’asile tandis que d’autres n’en relèvent pas mais, en tout état de cause, les passeurs étendent leurs réseaux toujours plus loin, tant qu’ils estiment qu’il existe une possibilité de faire passer des gens en Europe, en passant par la Méditerranée. C’est donc une lutte qui doit aussi se mener aujourd’hui sur cette voie-là.

Évidemment nous faisons en sorte aujourd’hui de traiter les structures de trafic d’êtres humains, qui ont provoqué des drames et conduit à une situation insoutenable en Europe, y compris pour le droit d’asile. Tout cela nous renvoie en permanence aux causes des migrations, qui sont multiples et parmi lesquelles les guerres sont souvent évoquées. C’est la raison pour laquelle il faut une transition politique en Syrie et une stabilisation de la situation dans ce pays. C’est également le cas des États faillis comme la Libye qui a connu une guerre civile et une intervention internationale dont les suites, semble-t-il, n’ont pas été gérées comme il convenait puisqu’il n’y a jamais eu, par la suite, de reconstitution d’un État unitaire ainsi qu’une capacité d’un gouvernement à assurer sa souveraineté sur l’ensemble du territoire.

Le sous-développement dans toute une partie de l’Afrique et, en particulier, dans le Sahel est également une cause des migrations et c’est la raison pour laquelle un sommet entre l’Union européenne et l’Afrique a été organisé à la Valette pour traiter ces questions et développer des programmes de coopération, de développement économique, de scolarisation, d’information…

M. Yves Fromion. Il faut également évoquer la question de la démographie. La moyenne du nombre d’enfants par famille au Niger est de sept, dans un pays qui n’a aucun avenir, aucune perspective. C’est un pays qui a aussi, je me permets de le souligner, un devoir en matière de démographie, pour contrôler la natalité et tous ses débordements. Il faut aussi que nous parvenions à faire dire à l’Union européenne, que nous sommes prêts à aider les pays confrontés à de telles difficultés, mais que nous leur demandons fermement aussi de faire quelque chose, pour éviter de créer des déséquilibres démographiques qui entraîneraient toujours les mêmes problèmes. Or, je ne vois pas l’Union européenne en parler, bien que ce soit un phénomène majeur.

M. Harlem Désir. La dimension démographique est importante en effet, mais il y a aussi des régions d’Afrique où la démographie ralentit, par exemple en Afrique du Nord, et cela n’empêche pas qu’il y ait aussi des problèmes d’immigration, s’il n’y a pas de travail.

M. Yves Fromion. Le problème, c’est que les autorités africaines sont incapables de gérer leur équilibre démographique. Il faut aussi que nous essayions de dire que chacun doit se prendre en main. Nous faisons des efforts, nous en faisons insuffisamment, c’est certain, mais les pays africains doivent également participer à la résolution des problèmes.

M. Harlem Désir. Ce que l’on peut rappeler, c’est que l’Afrique est un continent qui connaîtra la croissance démographique la plus importante au cours des prochaines années, et qui va ainsi probablement passer d’un milliard à deux milliards d’habitants. Il est évident qu’il faut qu’il y ait un avenir pour les jeunes générations qui arrivent en Afrique. Cela ne veut pas dire que nous voulons totalement nous fermer, mais il est évident que l’Europe ne pourra pas accueillir un milliard de personnes parce que l’Afrique manque d’emplois.

L’Afrique est aussi un continent qui connaît une importante croissance, qui a beaucoup de capacités et de ressources mais au sein du continent, certains pays ont des problèmes, accumulent des retards en matière d’infrastructures, d’investissement, d’équipement. Il faut que notre relation avec l’Afrique soit déterminée par cette vision stratégique, vous avez raison de le dire. La question est de savoir que faire avec ce « Sud » : soit nous saisissons l’opportunité de contribuer à son développement, à l’innovation pour que ce soit un continent émergent, qui sera une ressource et un relais de croissance pour l’Europe et qui permettra de donner de l’emploi et un avenir à ses habitants ; soit nous serons dans une situation de crises permanentes, avec d’ailleurs probablement des instabilités et des guerres à l’intérieur du continent ainsi que des tensions très fortes entre l’Europe et l’Afrique. Il faut donc une vision très stratégique, très globale et que nous mobilisons l’ensemble des États membres. Cela nous ramène aussi aux questions de défense et de sécurité. Peut-être qu’un certain nombre de pays considèrent que l’Afrique est loin, car ils n’ont pas de passé africain colonial, parce qu’ils n’ont pas de façade méditerranéenne et, il est vrai que le monde vu d’une certaine partie du nord de l’Europe ne met pas l’Afrique en son cœur mais aujourd’hui, dans cette crise et celle du terrorisme qui nous vient du Moyen-Orient, personne ne peut considérer en Europe qu’il peut y avoir une réponse sans avoir une vraie politique extérieure, ni sans avoir une vraie politique de sécurité et de défense qui tienne compte du continent africain.

Notre avenir avec le Sud réside ainsi dans une politique de coopération. C’est aussi important que lorsque les États-Unis ont pensé, au XIXsiècle, leur relation avec le sud du continent américain. Cela a marqué le commencement de leur politique étrangère, car, rappelons-le, au début ils ne se souciaient pas de ce qu’il se passait en dehors de leur pays. Il leur a ensuite même été reproché de faire une « politique de jardin », de « pré carré », en Amérique du Sud. Nous ne pouvons pas considérer qu’il n’y a plus de relations stratégiques entre l’Europe et l’Afrique parce que l’ère de la colonisation a pris fin. C’est absolument majeur pour notre avenir, et cela représente aussi un des défis dont il nous faudra débattre en Europe pendant les semaines et les mois qui viennent.

Concernant l’agriculture, les mesures qui ont été prises le 14 mars doivent désormais être mises en œuvre. Il a été fait, pour la première fois, utilisation de l’article 222 du règlement OCM unique qui permet de déroger aux règles de marché, sur une base volontaire afin de pouvoir, avec les producteurs, modérer et réduire la production. Il faut également que tous les instruments d’intervention sur les marchés du lait et du porc puissent être utilisés. Nous voulons poursuivre aussi tous les efforts d’ouverture des nouveaux débouchés commerciaux. Il y a ainsi la négociation avec la Russie sur la levée de l’embargo sanitaire. Il faut évidemment mettre en œuvre cet accord rapidement. Or, je crois que ce que nous avons obtenu lors du conseil agriculture, au-delà de la reconnaissance par l’Union européenne et la majorité des États membres de l’existence d’une crise européenne - ce n’est pas simplement la France qui est concernée par cette crise de surproduction -, c’est qu’il faut essayer de revenir à des mesures de régulation, de gestion de la production, qui permettent de faire baisser les prix. Il faut donc maintenant utiliser à plein régime les dispositions de ce conseil agriculture.

La Présidente Danielle Auroi. Merci, Monsieur le Ministre, pour la liberté de discussion que nous avons eue. Nous sommes allés au-delà du Conseil, mais je crois que nous avons eu un débat qui nous a tous beaucoup enrichis.

La séance est levée à 9 h 40

Membres présents ou excusés

Commission des affaires européennes

Réunion du mardi 29 mars 2016 à 8 h 30

Présents. - Mme Danielle Auroi, M. Yves Daniel, M. Yves Fromion, M. Joaquim Pueyo