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Commission des affaires européennes

mercredi 18 mai 2016

14 h 15

Compte rendu n° 283

Présidence de Mme Danielle Auroi Présidente

Réunion interparlementaire sur le détachement des travailleurs

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mercredi 18 mai 2016

Présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente de la Commission

La séance est ouverte à 14 h 15

La Présidente Danielle Auroi. Notre commission des Affaires européennes a beaucoup travaillé sur la question du détachement des travailleurs.

Notre collègue Gilles Savary, qui a été notre rapporteur conjointement avec Chantal Guittet et Michel Piron, interviendra après le représentant de la Commission européenne et Mme Karima Delli, députée européenne, pour présenter les axes principaux de notre travail sur ce sujet et les priorités qui sont à présent les nôtres.

Je voudrais, pour ma part, donner quelques éclairages sur l’approche de la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale française ce sujet important, que nous savons être sensible pour beaucoup de pays membres, ainsi que l’a récemment exprimé le « carton jaune » résultant des avis motivés émis à ce jour par onze parlements nationaux de l’Union, soit les représentants de plus d’un tiers des États.

Bien entendu, il ne s’agit pas pour nous de nier l’utilité économique, notamment en termes d’emploi, du détachement des travailleurs, qu’ils soient suédois, roumains, allemands ou espagnols, mais d’éviter qu’il ne contribue au dumping social en Europe, qui porte préjudice aux travailleurs et constitue un facteur de désunion entre pays de l’Union. Je rappelle que la directive, à l’origine, avait été conçue pour protéger les travailleurs.

C’est pourquoi nous avons souhaité un renforcement de la régulation européenne et nationale, des contrôles en particulier, et une responsabilité accrue des entreprises donneuses d’ordre. Vous constatez ainsi par vous-mêmes le rapport objectif qui existe entre notre thème de cet après-midi et le sujet que nous abordions ce matin, à savoir la responsabilité sociale des entreprises.

Ce renforcement des règles européennes en matière de détachement des salariés reste pour nous un impératif. La mobilité des salariés, dans le cadre de la libre circulation des travailleurs et de la libre prestation de services, ne pourra être bénéfique pour l’ensemble des travailleurs européens que si elle est régie par des règles claires, équitables, transparentes, contrôlables et acceptables par tous.

Comme l’a indiqué la Commission européenne, des avancées importantes ont été obtenues grâce à la directive adoptée en 2014 pour renforcer les moyens de lutte contre les fraudes, les abus et les contournements. Mais les contournements de règles en matière de détachement persistent, démontrant ainsi que le cadre réglementaire n’est plus adapté. Il s’agit notamment de lutter contre les pratiques des sociétés « boîte aux lettres » et contre les montages frauduleux, ainsi que d’améliorer la coordination entre les inspections du travail des États membres.

Je suis heureuse que nous puissions aujourd’hui débattre entre parlementaires, nationaux et européens, de cette question sensible. Les inquiétudes des uns comme des autres doivent être entendues. De ce dialogue et de ce débat sortira, j’en suis sûre, le bon compromis. Je forme le vœu que nos échanges vont permettre d’apporter une contribution utile à la recherche de solutions communes.

Le Président Jean Bizet. Je veux tout d’abord féliciter la présidente Danielle Auroi pour l’organisation de cette rencontre interparlementaire et la remercier d’y avoir associé les membres de la commission des affaires européennes du Sénat. Je salue tous nos collègues des parlements nationaux présents aujourd’hui. Je suis sûr que nous aurons tout au long de cet après-midi des échanges très fructueux.

Cette question du détachement des travailleurs est particulièrement importante. Nous avons beaucoup travaillé sur ce sujet au Sénat et formalisé des positions de façon, je dois le dire, plutôt consensuelle. Cette question souligne l’enjeu du niveau de protection des travailleurs, quel que soit le lieu où ils exercent leur activité dans l’espace du marché unique. Elle met l’accent sur le défi de la convergence entre nos économies sur ce marché unique, qui est un marqueur de ce qu’est l’Union européenne. C’est bien la convergence, certes progressive, voire un peu lente aux yeux de certains, que nous cherchons à réaliser. Des divergences trop manifestes sont difficilement acceptables dans un espace sans frontières et de libre circulation. Au-delà, c’est bien le sens et la cohérence du projet européen qui sont en cause.

On constate une progression fulgurante du nombre de travailleurs détachés au sein de l’Union européenne. Face à un tel phénomène, on a du mal à se contenter des motifs généralement avancés, tels que le manque de main-d’œuvre dans des secteurs spécifiques. On doit même s’interroger sur l’effet d’éviction de la main-d’œuvre locale induit par ce dispositif. En dépit des précautions que l’on trouve dans le texte européen de 1996, le travailleur détaché peut apparaître moins onéreux qu’un salarié national, à degré de qualification et à tâche équivalents. Certains éléments n’étant pas pris en compte dans les droits du salarié détaché, un écart de 30 à 70 % peut être observé par rapport au salaire moyen applicable dans l’État d’accueil. Une telle situation n’est pas sans créer des distorsions de concurrence et rend le détachement plus attractif que le recrutement local.

À cette différence de coût salarial s’ajoute la question des charges sociales. Le salarié détaché reste en effet affilié au régime de sécurité sociale du pays d’envoi, à la condition que la prestation ne dépasse pas 24 mois.

Une directive d’exécution de mai 2014 a précisé les modalités d’application de la directive de 1996. Ce texte a répondu en large partie aux souhaits exprimés à l’unanimité par le Sénat dans une résolution européenne de 2013. Il a été transposé rapidement en droit français et suivi de contrôles en grand nombre. Nous nous inquiétons néanmoins du contrôle des petites opérations, réduites dans le temps, qui créent des distorsions de concurrence dont sont victimes les petites entreprises locales. Je crois que chacun d’entre nous, sur son territoire respectif, en a déjà pris la dimension.

Nous sommes désormais saisis de la proposition de révision ciblée de la directive de 1996. La révision du règlement sur la coordination des régimes de sécurité sociale est quant à elle reportée dans le contexte du référendum britannique. Cette révision de la directive répond au souhait de plusieurs pays dont la France. Elle suscite, en revanche, l’opposition d’autres États membres. Nous examinerons ce texte prochainement au sein de la commission des affaires européennes du Sénat. Sous réserve de cet examen plus approfondi et des améliorations que nous pourrons proposer, je crois pouvoir dire que nous approuvons la démarche de la Commission européenne. Elle devrait apporter des clarifications utiles pour répondre aux enjeux que j’ai évoqués au début de mon intervention.

Quelles que soient les imperfections du texte de 1996, nous ne devons pas oublier que chaque époque a sa vérité et que nous devrons juger ce texte à son terme : pour le démarrage du marché unique, il était sans doute important de commencer ainsi. Mais il est évident que nous devons faire des progrès désormais en la matière.

M. Jackie Morin, chef de l’unité « Libre circulation des travailleurs » à la Direction générale « Emploi, affaires sociales et inclusion » de la Commission européenne. Je vous remercie de m’avoir fourni l’occasion d’exposer les analyses de la Commission européenne et sa position. Je commencerai par un rappel des éléments fondamentaux du problème.

Le détachement est une activité temporaire hors des frontières, effectuée en conservant le lien contractuel avec une entreprise dans le pays d'origine du travailleur. La protection des travailleurs détachés est assurée par la directive 96/71 qui fixe le principe de la libre prestation de services et identifie un certain nombre de règles, liées au pays d'activité qui doivent être appliquées au travailleur détaché.

Parmi ces règles, l'une est celle du respect des taux de salaire minimum. Cette notion a donné lieu à une jurisprudence abondante au fil des ans, notamment pour définir ce qu’est un taux de salaire minimum. Actuellement, il y a deux sources de tension au regard de cette directive : la qualité de la mise en œuvre ; l'équilibre de base fixé par la directive de 1996.

Sur la mise en œuvre, plusieurs initiatives ont été prises au cours des dernières années, et une directive d'exécution 2014/67 a été adoptée en 2014 pour contrecarrer les tentatives d’abus et de fraude. Son délai de transposition vient à échéance le 18 juin 2016.

Nous estimons que, grâce à cette directive d’exécution, les États membres disposeront d’un meilleur outillage pour définir les situations de détachement, mettre en œuvre les contrôles administratifs et bénéficier d’une coopération mutuelle renforcée. La Commission suivra avec la plus grande attention et veillera à la qualité de la mise en œuvre de cette nouvelle directive. Elle devrait permettre de lutter contre les abus et les fraudes. Bien sûr, il faudra aussi évaluer en temps voulu cette mise en œuvre et l’efficacité des dispositions prises.

La seconde source de tension concerne l'équilibre trouvé dans la directive de 1996. Cette directive fixe deux règles du jeu différentes pour les entreprises offrant des services sur le territoire européen. Les entreprises locales doivent respecter l'ensemble des dispositions obligatoires, y compris en matière de rémunération au sens large. Les entreprises qui détachent des travailleurs ne sont soumises qu'à l'obligation de respecter certaines de ces règles – notamment, en matière de rémunération, seulement les taux de salaire minimum.

Nous sommes donc dans un système de marché unique où la concurrence s’effectue sur des bases différentes selon que le prestataire est national ou non. Cela peut produire des effets non désirés, en ce que le meilleur prestataire de services peut ne pas être choisi du fait des différentes règles qui s’appliquent.

Dans l’étude d’impact que nous avons réalisée, nous avons pu observer des effets d'éviction et de substitution d'emploi dans quelques États membres, notamment pour des activités à fort contenu d'emploi peu qualifié.

La Commission a donc proposé, le 8 mars, une révision ciblée de la directive pour corriger deux aspects : la règle en matière de rémunération pour les travailleurs détachés et la mise en cohérence de la directive au regard de législations plus récentes.

La proposition introduit la notion de rémunération à la place de celle de taux de salaire. Ainsi, les entreprises locales et celles détachant des travailleurs seront soumises aux mêmes règles générales et obligatoires en matière de rémunération, y compris lorsque ces règles sont établies sur base de conventions collectives.

La proposition introduit par ailleurs un certain nombre d'adaptations visant à mieux articuler la directive avec des textes plus récents. La directive d'exécution reconnaît le lien entre le donneur d'ordre principal et les sous-traitants. Il est proposé de donner aux États membres la possibilité d'étendre cette reconnaissance aux autres aspects des conditions de travail dans la chaine de sous-traitance.

En matière de sécurité sociale, le détachement de longue durée est reconnu et se traduit par une affiliation dans le pays d'activité. Il est suggéré de suivre le même raisonnement pour ce qui concerne les conditions de travail.

S’agissant des situations d'intérim, l'option laissée aux États membres concernant l'égalité de traitement sera transformée en obligation, en cohérence avec la directive 2008/104 qui impose l’égalité de traitement dans le cadre d’un intérim au plan national.

Par sa proposition, la Commission marque son soutien au développement du marché intérieur, en l’occurrence celui des services, en luttant contre les discriminations. Il n’y a en effet aucun élément discriminatoire dans la directive révisée. Elle n’interfère pas non plus avec les compétences nationales, s’agissant notamment des règles de fixation des salaires.

Nous avons estimé que la révision de la directive n’aurait qu’un impact modéré, puisque la moitié des situations de détachement naissent d’un lien contractuel noué dans des pays où les conditions de rémunération sont supérieures à la moyenne européenne. Les situations où l’effet salaire compte beaucoup sont relativement limitées.

La proposition est en cours de discussion au sein du Conseil. Elle a fait l'objet d’avis motivés au titre du protocole n°2 sur l'application des principes de subsidiarité et de proportionnalité. La Commission procède à un examen de ces avis et devra en conséquence réexaminer son projet d'acte législatif. Elle peut décider soit de maintenir sa proposition, soit de la modifier, soit de la retirer. Elle devra fournir un avis motivé sur sa décision.

Vous comprendrez que, le collège des commissaires n’ayant pas encore pris de décision, je ne puisse être aujourd’hui plus explicite.

La Présidente Danielle Auroi. Je pense que le principe d’un toilettage de la directive de 1996 fait en effet l’unanimité. Sans doute l’intervention de notre collègue Karima Delli, députée européenne, pourra-t-elle nous éclairer davantage sur ce point.

Mme Karima Delli, membre de la commission de l’emploi et des affaires sociales du Parlement européen. Nous sommes au cœur d’un débat difficile, mais qui permettra aussi de faire avancer le projet européen. Tout d’abord, la réalité des travailleurs détachés en France et en Europe n'est pas celle que certains voudraient dépeindre.

Avant tout, il s'agit bien d'une directive qui protège les travailleurs, en leur assurant la continuité de leurs droits sociaux. Les Français qui partent pour une mission d'un mois dans un pays d’Europe centrale, par exemple, restent ainsi payés et couverts comme s’ils travaillaient en France, donc sans changer de système de sécurité sociale. Quant au travailleur polonais, allemand ou grec détaché en France, c’est grâce à la directive qu’il a le droit au SMIC, au même régime de durée du travail, aux mêmes conditions que tous les autres salariés français.

Pour autant, il ne faut pas nier que la directive de 1996 est trop souvent détournée. On estime à 300 000 le nombre de faux détachés en France. Ces travailleurs, non déclarés, sont exploités par des employeurs qui ne respectent pas les règles et se dissimulent derrière des sociétés de sous-traitance ou des sociétés « boîtes aux lettres », pour tailler dans les salaires ou la couverture sociale des salariés. Il faut bel et bien lutter contre ces employeurs véreux qui abusent du système pour pratiquer l'esclavage moderne, comme on l'a vu dans ma circonscription sur le chantier de l'EPR de Flamanville, conduit par Bouygues avec des centaines de travailleurs qui n’étaient pas payés de manière régulière.

Je voudrais également tordre le cou à l’idée que les travailleurs détachés prennent la place de travailleurs au chômage. Il faut le répéter sans cesse : c’est une idée fausse, relayée par certains discours eurosceptiques.

En France, les travailleurs détachés comblent une demande non pourvue de travail dans des secteurs qui ont du mal à recruter. En 2014, 37 % des travailleurs détachés en France travaillaient dans le secteur des bâtiments et travaux publics (BTP), 26 % pour des entreprises d'intérim, et 18 % dans l'industrie. Or environ 40 % des entrepreneurs du BTP disaient avoir du mal à recruter jusqu'en 2015 ! Depuis cette date, avec la diminution du nombre de chantiers, et donc la baisse du recrutement, le problème s’amoindrit.

Le discours de ceux qui voudraient supprimer la directive relative aux travailleurs détachés est un non-sens, qui aurait, s’il était appliqué, des conséquences dramatiques pour les salariés européens.

La réforme d'avril 2014 a permis d'accentuer les contrôles pour lutter contre les abus. Dorénavant, les grosses entreprises du BTP ne peuvent plus se cacher derrière leurs sous-traitants. Dans le secteur de la construction, les donneurs d'ordre et leurs sous-traitants sont tenus co-responsables si une fraude est constatée. Mais nous aurions voulu que cette co-responsabilité soit appliquée dans tous les secteurs, notamment l'agro-alimentaire et le transport.

Cette réforme n'a pas encore pu porter tous ses fruits, puisque les États membres ont jusqu'à juin 2016 pour la traduire dans leur droit national. Certains d’entre eux – surtout ceux d'où proviennent la majorité des travailleurs détachés en Europe – avaient demandé que la Commission attende au moins que tous les États aient transposé la réforme de décembre 2013 avant d'en proposer une autre. C’était du chantage.

Nous nous réjouissons, au Parlement européen, que la Commission ait publié une proposition de réforme en mars 2016. Mais cette proposition, qui a fait beaucoup de bruit, va-t-elle vraiment régler le problème ?

Vu de France, où le gouvernement Valls a pris ces deux dernières années des mesures allant bien au-delà des règles européennes en matière de lutte contre les abus en matière de détachement des travailleurs, la proposition de la commissaire Marianne Thyssen n'apporte pas grand-chose. Par exemple, le détachement est limité à deux ans, mais, dans les faits, il se limite déjà en moyenne à 45 jours en France, et à moins de quatre mois en Europe…

En outre, on essaye d'aller vers le principe « à travail égal, salaire égal sur un même lieu de travail », mais la démarche reste très floue, le texte n’évoquant que la « rémunération nécessaire à la protection des salariés ». La Commission tente ainsi d'imposer le fait que les travailleurs détachés se voient garantir les mêmes conditions salariales que les travailleurs locaux, par exemple le treizième mois, mais sa position manque de clarté. Qu’est-ce qu’une « rémunération adéquate » ? S’agit-il réellement d’une rémunération garantissant une vie décente dans le pays de résidence ?

La proposition de révision prévoit aussi d’imposer le respect des conventions collectives dans tous les secteurs, et non plus dans certains secteurs seulement. En outre, les agences d'intérim devront respecter les mêmes règles que les autres en cas de détachement. Nous soutiendrons donc cette proposition qui va dans le bon sens, mais le vrai problème est celui des contrôles.

C’est pourquoi nous appelons à la création d'un corps européen d'inspecteurs du travail. Le contrôle doit être élargi à tout ce qui permet de déterminer le caractère digne d'un travail effectué sur le sol européen.

Sur le terrain, j’ai rencontré nombre de routiers qui dorment dans leur cabine. Pouvons-nous accepter en 2016 de telles conditions de travail, alors même que le critère de logement digne n’est pas respecté ?

On observe que la sous-traitance est également utilisée pour contourner les règles de santé et sécurité au travail. C’est un scandale, alors que vingt-quatre directives européennes sur la santé et la sécurité au travail sont en vigueur !

La directive sur le travail détaché mérite d’être refondée sur trois piliers : salaire minimum européen, assurance chômage et couverture universelle européenne, contrôles accrus. Ne réduisons pas le débat aux clichés sur le plombier polonais !

M. Gilles Savary, membre de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire et de la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale. Je me réjouis de la tenue de cette réunion avec des collègues d’autres parlements nationaux. Nous avons travaillé sur le détachement des travailleurs, qui débouche souvent aujourd’hui sur un détournement de l’esprit initial, permettant le développement d’un marché du travail parallèle et à bas prix. C’est la souveraineté sociale des États qui se trouve ainsi remise en cause.

Dans ces conditions, la concurrence s’exerce non par la qualité de service, ou par une optimisation de la production, mais en jouant sur les droits sociaux : on va seulement chercher le travailleur le plus faible, le plus nécessiteux… Quand il prend de grandes dimensions, le phénomène peut s’avérer délétère, car il nourrit des réflexes xénophobes : il n’est pas agréable pour une famille française de perdre un emploi.

L’Union européenne doit être jeu gagnant-gagnant. La concurrence est saine lorsqu’elle amène une efficacité accrue, ou davantage de services aux consommateurs, non lorsqu’elle repose sur un emploi des travailleurs qui va au-delà du raisonnable. Or, quand un travailleur part de chez lui pour cinq semaines, il s’efforce de travailler le plus possible durant cette période, dépassant largement la mesure.

Au demeurant, il arrive que des agences internationales de prestations de services récupèrent une partie de son salaire. Elles font tout bonnement commerce de main-d’œuvre à bas prix. Les détachements en chaîne s’appuient alors souvent sur des montages complexes.

Sous cette forme, le détachement constitue un véritable poison. Nous devons dire non au moins-disant social, comme au paiement des charges de sécurité sociale ailleurs que là où le travailleur est actif. Nous devons dire non à cette concurrence par l’asservissement, qui est d’ailleurs politiquement très dangereuse pour les peuples.

Les peuples nous demandent justement d’agir en révisant les directives ou en créant une agence du travail qui soit mobile et qui puisse effectuer des contrôles de manière itinérante à travers l’Europe. Une action de l’Union européenne est nécessaire pour cela, car les bureaux de liaison bilatéraux, dont la lourdeur redouble celle des codes du travail, ont montré qu’ils n’étaient pas efficaces. Aussi avons-nous proposé une carte du travailleur européen qui permette de distinguer entre vrais et faux travailleurs détachés. La commissaire Marianne Thyssen a exprimé la volonté d’agir en ce sens.

À mon initiative, le Parlement français a adopté une loi qui anticipait la directive européenne en étendant la responsabilité du donneur d’ordres à toute la chaîne de sous-traitance, dans tous les secteurs et non plus seulement dans le BTP. De son côté, la loi dite Rebsamen a renforcé les corps de contrôle en permettant de prendre contre les entreprises fautives des sanctions administratives, sans préjudice des autres sanctions, notamment judiciaires, auxquelles elles s’exposent, mais plus rapides à prononcer que ces dernières.

Demeure le problème du détachement d’intérim ou prestation internationale. Il consiste à recruter des chômeurs à bas prix pour les proposer sur d’autres marchés que sur leur marché d’origine. La prestation internationale peut se justifier pour des chefs d’orchestre, des scientifiques, ou des commerciaux chargés d’assurer un service après-vente, mais seulement si leur détachement est en rapport avec l’activité de leur maison-mère. Dans les autres cas, ce détachement-placement n’est qu’un détachement dévoyé et déséquilibré, dont la prolifération est responsable de ce que les États européens ne se souffrent plus.

Oui, une entreprise bulgare d’intérim peut s’installer en France. Je n’y vois aucun inconvénient. Je suis également partisan de l’accueil de travailleurs européens étrangers, s’ils cotisent à la sécurité sociale. Mais l’inégalité des conditions de concurrence d’un pays à l’autre, comme l’absence de salaire minimum en Allemagne, font qu’il est difficile d’aller plus loin. Ce n’étaient pas là que tendaient les exigences humanistes des fondateurs de l’Europe.

Je salue le travail courageux de la commissaire Marianne Thyssen qui s’est attachée à la révision de la directive. D’un autre côté, comme membre du groupe d’amitié parlementaire France-Pologne, je peux comprendre certaines réactions, telles que celles qui ont conduit au carton jaune. Mais j’attire votre attention sur le fait que le motif invoqué, à savoir le non-respect du principe de subsidiarité, risque de se retourner contre ceux qui l’ont avancé car, en s’appuyant sur ce principe, on pourrait interdire le détachement d’intérim dans chaque pays. La pratique du détachement en prendrait un coup en Europe.

Mieux vaut donc que l’Union européenne se saisisse elle-même de la question, dans le contexte de législations nationales différentes, où l’exercice de la subsidiarité ne peut qu’aller de pair avec la prise en charge de la responsabilité correspondante. Si l’Europe a un sens, c’est là qu’elle doit le prouver.

Mme Maria Spilabotte, vice-présidente de la commission du travail et de la prévoyance sociale du Sénat italien (interprétation de l’italien). Nous avons largement débattu ce matin du thème de la responsabilité sociétale des entreprises, mais le détachement, second thème que nous abordons cet après-midi, est étroitement lié au premier, puisqu’il a trait aux droits des entreprises européennes qui ont recours au détachement des travailleurs. Rappelons que la libre circulation des travailleurs leur permet de s’installer dans chaque État membre et les y autorise à une prestation de services. Elle est inscrite dans le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et en constitue un pilier.

La commission du travail et de la prévoyance sociale du Sénat italien, dont je suis vice-présidente, a récemment traité la question sensible de la révision de la directive de 1996 sur le détachement des travailleurs. Elle a entendu toutes les parties prenantes, notamment les entreprises et les syndicats. Sur la base des critiques émises, elle a établi sa propre évaluation. La proposition de révision introduit le principe de rémunération à parité, l’étend à tous les secteurs sans se cantonner à celui de la construction, et fixe à 24 mois maximum la durée du détachement.

Cette proposition a fait l’objet d’avis motivés de onze pays différents, activant la procédure de « carton jaune » qui oblige la Commission européenne à réexaminer sa proposition. Pour certains pays, le principe « salaire égal pour un travail égal dans un même lieu » ne doit pas être sujet à révision. Dans d’autres pays, on craint au contraire que ce même principe ne soit incompatible avec le marché unique, les différences de rémunération pouvant légitimement constituer un avantage comparatif.

Notre commission a adopté, le 13 mai, un avis favorable à la proposition de révision. Nous avons constaté le besoin absolu d’un renforcement des règles européennes, qui doivent être transparentes, vérifiables et claires. S’agissant de la durée maximale de 24 mois, toutes les parties que nous avons entendues l’estiment plutôt longue. En Italie, un détachement dure en moyenne six mois. C’est pourquoi nous suggérons, dans la directive européenne, une durée maximale de douze mois. Quant à la rétribution, nous suggérons de faire référence à la convention collective.

Enfin, nous sommes partisans d’un enregistrement en amont des travailleurs détachés, avec transmission aux autorités nationales des données les concernant. Dans le secteur du transport routier, une réglementation adéquate est nécessaire.

L’application de la directive sera difficile, mais elle constituera un défi, car une vision unitaire de la question améliorera le bien-être de l’ensemble des citoyens européens.

M. Ştefan-Radu Oprea, président de la commission du développement et de la stratégie économique du Sénat de Roumanie (interprétation de l’anglais). C’est un grand plaisir pour moi de représenter ici le Sénat de mon pays, et je tiens à remercier nos aimables hôtes d’avoir organisé cette réunion qui vise à traiter des questions de haut intérêt. Ces questions ont fait naître de longues discussions dans mon parlement.

Nous considérons que les problèmes posés par le détachement des travailleurs devraient être traités avec un maximum d’attention tant au niveau européen qu’au sein des systèmes juridiques nationaux. Nous devrions avoir pour principale préoccupation, au niveau des institutions européennes comme dans les parlements nationaux, de veiller à une meilleure mise en œuvre des droits sociaux des travailleurs détachés employés ailleurs que dans leur pays d’origine.

Nous savons gré à la Commission européenne des efforts qu’elle déploie pour promouvoir le principe « à travail égal, salaire égal », mais nous pensons que nous devons rester vigilants, de façon à éviter qu’une éventuelle révision de la législation en ce domaine ne se matérialise par un recul en termes de concurrence entre salaires légaux, en affectant les règles de concurrence équitable et le fonctionnement du marché unique européen. Ce n’est donc pas une question de principe, mais de mise en application.

Comme vous le savez certainement, le Sénat de Roumanie a soumis à la Commission européenne un avis motivé relatif à sa proposition sur le détachement des travailleurs.

En élaborant cet avis motivé, nous avions en tête qu’une consultation préalable des États membres est obligatoire lorsque la Commission émet une proposition qui produit de vastes effets économiques et sociaux sur le marché du travail. En outre, l’étude d’impact annexée à cette proposition ne contient aucune analyse rigoureuse de ses implications financières sur le marché intérieur européen. Malgré l’objectif affiché d’éliminer les restrictions à la libre prestation de services, cette proposition produit l’effet contraire en introduisant des dispositions restrictives.

Nous notons avec satisfaction que le processus de révision devrait être reporté à une date ultérieure en attendant la transposition de la directive d’exécution de la directive 96/71/CE, et ne serait lancé qu’après une évaluation précise de ses effets. En un sens, nous devons nous demander si le principe « à travail égal, salaire égal » ne risque pas de devenir incompatible avec le marché unique, si l’on tient compte de ce que l’écart salarial est un élément légitime de l’avantage comparatif dont peuvent disposer des prestataires de service.

Permettez-moi une dernière remarque, en tant qu’élu social-démocrate, à propos de l’importance des conventions collectives. À cet égard, l’article 3.8 de la proposition devrait prévoir plus de flexibilité et permettre à des conventions collectives de devenir contraignantes immédiatement à l’issue des négociations entre les partenaires sociaux.

M. Finn Sørensen, membre de la commission de l’emploi du Parlement danois (interprétation de l’anglais). À titre préliminaire, je tiens à dire que, dans le parti politique auquel j’appartiens, nous sommes très opposés à la législation européenne sur le détachement des travailleurs, qui, selon nous, conduit tout droit, telle que la Cour de justice de l’Union européenne l’a interprétée, au dumping social.

Je suis cependant venu vous parler ici au nom de la majorité parlementaire du Folketing. Je me contenterai donc de vous expliquer quelles raisons nous ont poussés à adopter un avis motivé qui, additionné à d’autres, a débouché sur une activation de la procédure du « carton jaune ».

Tout d’abord, nous félicitions la Commission de l’esprit de son initiative. Que des gens soient payés la même chose au même endroit pour le même travail nous paraît une bonne chose, même si ce n’est pas énoncé aussi clairement dans la proposition de directive.

Nous y avons cependant relevé deux points négatifs. Alors qu’une précédente version prévoyait que le droit de définir un salaire minimum relève de la législation nationale, cette phrase a été enlevée du nouveau texte. Pouvons-nous savoir pourquoi ? Par ailleurs, le point 3.19 prévoit que chaque État membre peut décider que les conditions de travail et de rémunération sont les mêmes pour tous les travailleurs, détachés ou non. Monsieur Morin, pouvez-vous nous confirmer cela ?

Nous pensons que ces dispositions vont à l’encontre du principe de subsidiarité, car la souveraineté nationale s’en trouve amoindrie, alors que ces compétences sont pleinement de son domaine. Or nous ne voulons pas négocier sur de fausses bases. Qu’il s’agisse ensuite de législation nationale ou de convention de branche n’est qu’un point secondaire.

Enfin, le Parlement danois pense de manière unanime que la Cour de justice de l’Union européenne a trop de pouvoir pour définir et interpréter ces dispositions.

M. Michel Piron, membre de la commission des affaires culturelles et de l’éducation et de la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale française. Le détachement devrait être une chance, non un problème. Il pose des questions difficiles qui sont loin d’être résolues dans un contexte politique fragile, marqué par le repli sur soi.

Le détachement a indubitablement donné lieu à de très grandes dérives. Le problème interroge la capacité politique à mettre en accord les déclarations et les actes. Mettons donc en œuvre les directives.

Quatre points ont retenu mon attention. Premièrement, le chaînage des responsabilités pose problème. Au nom de l’enchaînement complexe des sous-traitants, faire porter l’entière responsabilité sur le premier donneur d’ordres, comme le fait la récente loi française, ne me semble pas satisfaisant. C’est, à mon sens, demander trop au premier, et pas assez aux autres. Toute la question est donc de savoir jusqu’où peut remonter, ou peut descendre, la responsabilité.

Deuxièmement, s’agissant de la rémunération, la Commission a certainement fait un pas en avant. Mais qu’en est-il des charges sociales ? Des divergences considérables subsistent entre les différents pays de l’Union européenne. Quelles sont réellement les capacités de contrôle du paiement dans le pays d’origine ? Il ne me semble pas qu’un fonctionnariat européen pourrait vérifier tout cela. Il faut retravailler la question et réhabiliter l’idée de faire cotiser sur place à la Sécurité sociale.

Troisièmement, je n’ai pas d’opposition au détachement, pour peu qu’il soit plus sécurisé. La proposition de la Commission constitue certes un mieux. Mais elle n’apporte pas de réponse aux exigences qui s’expriment en matière de charges sociales.

Mon dernier point sera une question : comment est-il possible de surmonter les divergences européennes qui s’étalent ? La question s’adresse à la Commission européenne.

Mme Ana Birchall, présidente de la commission des affaires européennes de la Chambre des députés de Roumanie (interprétation de l’anglais). Je vous remercie d’avoir organisé cette réunion, en fournissant une plateforme de discussions rationnelles, justes et transparentes sur des sujets de haute importance pour l’Union européenne, telles que la responsabilité sociale des entreprises et le détachement des travailleurs. Vous avez su mettre en place ces échanges, si différentes nos opinions soient-elles. Cela promet une discussion constructive, au terme de laquelle nous surmonterons certainement les points difficiles car, même si notre opinion est peut-être différente de la vôtre, elle mérite elle aussi d’être écoutée, entendue et prise en considération.

Je tiens à souligner que la Roumanie soutient toute initiative visant à protéger les travailleurs détachés contre toute forme d’abus ou d’exploitation, en restreignant les possibilités pour les entreprises de faire des bénéfices par des moyens illégaux, tout spécialement par le travail au noir, activité indépendante forcée ou sous-traitance. Dans le même temps, la Roumanie soutient aussi la proposition en ce qu’elle prévoit la publication d’une liste des entreprises qui ont commis de graves atteintes à la législation européenne sur le travail et d’établir un protocole social pour protéger les droits fondamentaux, car ces derniers doivent prévaloir sur la liberté économique.

Toutefois, nous considérons le fait que des entreprises aient eu recours au détachement pour tirer profit des écarts salariaux entre États membres ne saurait être considéré comme un comportement inapproprié. L’économie de marché a pour résultat typique le développement de stratégies de marché, telles que des stratégies d’investissement qui reposent sur l’exploitation des différences entre les divers marchés. En outre, nous pensons que la tendance baissière des salaires dans les États qui ont des économies fortes tient davantage au besoin de maintenir la compétitivité des entreprises européennes dans le contexte de la mondialisation qu’au détachement des travailleurs.

Le détachement est une importante manifestation de la liberté de prestation de services à travers l’Union européenne et constitue un facteur stimulant de son économie. En tant que tel, il est lié à l’existence du marché unique et ne saurait, à notre sens, être restreint. L’Union européenne a développé de vastes politiques pour encourager l’investissement. Il serait incohérent de créer des avantages pour les investisseurs tout en limitant leur accès à une main-d’œuvre meilleur marché.

Comme vous le savez, la Chambre des députés de Roumanie a adopté un avis motivé préparé par la commission à laquelle j’appartiens, appelant à l’activation de la procédure de « carton jaune ». Nous nous attendons à ce qu’elle soit sérieusement prise en compte. Nous regrettons la décision de certains États membres qui défendent avec insistance la révision de la directive 96/71 avant même la mise en application de la directive d’exécution de 2014. Il conviendrait au contraire de procéder d’abord à une évaluation approfondie de la législation en vigueur.

Il nous semble que cette insistance peut apparaître comme le reflet de pressions des opinions publiques intérieures. Nous pouvons bien sûr l’accepter dans une certaine mesure, mais nous ne pouvons évidemment accepter le transfert de cette pression au niveau européen et, de là, vers des États membres dont les économies sont moins développées.

Comme je l’ai dit, la Roumanie salue la décision des dix autres États membres qui ont fait connaître leur opposition à la révision de la directive sur le détachement des travailleurs. Nous avons confiance dans la réussite de notre démarche, avec le soutien de nos partenaires des parlements nationaux qui nous ont rejoints. Il s’agit d’un acte de justice envers un pays comme la Roumanie, en plein accord avec les valeurs et principes européens. Il illustre le fait que chaque citoyen européen doit se reconnaître dans l’Union européenne et y trouver un bénéfice réel.

Si la révision est adoptée en l’état au niveau européen, cela représentera une atteinte grave à la mobilité des travailleurs, affectant de manière sérieuse les principes qui font la cohérence de l’Union européenne comme le fonctionnement du marché européen. Les effets sociaux induits créeraient de nouveaux déséquilibres au moment même où le populisme monte. J’espère que nous arriverons plutôt, grâce à nos discussions, à une proposition juste et équilibrée.

M. Patrik Björck, membre de la commission de la protection sociale du Parlement suédois (interprétation de l’anglais). Je suis membre du parti social-démocrate, actuellement à la tête du gouvernement suédois. En premier lieu, je souscris pleinement aux propos tenus en ouverture de nos échanges. L’objectif initial de la directive était de protéger les travailleurs, non de promouvoir le dumping social. Or elle a eu l’effet contraire.

La question est liée à celle de la responsabilité sociale des entreprises, dont nous avons parlé ce matin. Si des travailleurs du Bangladesh ont été exploités par des entreprises étrangères, nous pensons tous, bien entendu, que c’est inacceptable, mais il est tout aussi inacceptable que des travailleurs ressortissants de l’Union européenne soient exploités de la même manière en Suède. J’espère que tous les États membres peuvent s’accorder sur le principe « à travail égal, salaire égal ».

J’espère que cette procédure du « carton jaune » ne compromettra pas l’esprit d’une directive dont le gouvernement suédois estime par ailleurs qu’il est essentiel de la réviser. À défaut de révision, c’est la liberté de circulation des travailleurs qui serait menacée. Comprenons-le bien : il faut réviser la directive pour ne pas compromettre la liberté de circulation de la main-d’œuvre. Je conçois fort bien que les différents États membres, aux traditions et aux histoires différentes, envisagent différemment la directive, mais nous devons tous nous accorder sur le principe « à travail égal, salaire égal ». Ce principe doit être le socle de ce débat.

Par ailleurs, j’ai du mal à comprendre les critiques que suscite la subsidiarité. Je suis donc d’accord avec M. Gilles Savary.

Mme Maria Das Merces Borges, membre de la commission du travail et de la sécurité sociale de l’Assemblée de la République du Portugal (interprétation de l’anglais). Au nom de la délégation portugaise, je vous remercie de votre invitation. C’est un plaisir de participer à cette importante réunion. Je suis sûre que nous serons en mesure d’éclaircir certaines questions, notamment pour promouvoir le principe « à travail égal, salaire égal ». Nous jugeons crucial de lutter contre les abus auxquels le détachement des travailleurs donne lieu dans certains pays et contre l’économie informelle.

Selon notre Parlement, la proposition de la Commission européenne est conforme au principe de subsidiarité, mais elle doit engager un dialogue avec les partenaires sociaux, syndicats et patronat. L’implication de toutes les parties prenantes permettra d’améliorer la directive de 1996 et, ainsi, la protection des travailleurs détachés, de même que la transparence du marché européen.

Lord Whitty, membre de la sous-commission du marché intérieur de l’Union européenne de la Chambre des Lords du Royaume-Uni (interprétation de l’anglais). Cet échange de vues entre délégués des différents Parlements nationaux sur une question éminemment complexe, qui peut évidemment diviser, est très intéressant, mais, en tant que président de la commission compétente de la Chambre des Lords, je ne peux pas moi-même vous exprimer un point de vue tranché, le gouvernement britannique n’ayant pas encore soumis d’avis motivé. C’est très perturbant…

Si je me fonde sur les discussions préliminaires, il me semble cependant peu probable que notre commission ait recours à la procédure du « carton jaune ». La proposition de révision respecte bien le principe de subsidiarité, la question relève bien de la compétence de l’Union européenne. Nous n’allons pas nous opposer à cette révision, nous n’allons pas nous rallier à ceux qui ont brandi le « carton jaune ». La question des relations entre la Commission européenne et les parlements nationaux n’en est pas moins tout à fait intéressante. Lorsque les parlements nationaux utilisent ce « carton jaune », que peut faire la Commission ?

Le gouvernement britannique actuel ou, du moins, le parti conservateur s’oppose au principe même de la directive sur le détachement des travailleurs, mais, à quelques semaines du référendum sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union européenne, la question des travailleurs détachés, de l’exploitation des travailleurs, d’une part, et de ces fraudes organisées, d’autre part, est éminemment épineuse, sans parler du nivellement vers le bas des conditions de travail au Royaume-Uni. Il est donc peu probable que le gouvernement britannique s’oppose, au cours des prochaines semaines, à un renforcement des règles en vigueur.

Ma commission n’a pas encore tranché la question. Personnellement, j’ai été plus longtemps syndicaliste qu’homme politique, et je suis en faveur de ce renforcement depuis bien longtemps. Certaines questions, qui ont trait aux cotisations sociales, méritent un débat plus approfondi, mais nous devons améliorer la protection des travailleurs et promouvoir le principe « à travail égal, salaire égal ». Peut-être la Commission européenne sera-t-elle d’un avis quelque peu différent, mais ce qui importe c’est que nos propres positions puissent converger. Il serait dommage qu’une opposition entre la droite et la gauche, ou entre pays de l’Est et pays de l’Ouest, nous empêche de protéger les travailleurs détachés.

Le débat de cet après-midi nous aura permis de comprendre les perspectives des uns et des autres. Il faut encore travailler énormément pour parvenir à une directive qui réponde à toutes nos attentes et qui protège réellement les travailleurs, quel que soit leur pays d’origine.

Mme Antonella Incerti, membre de la commission de l’emploi public et privé de la Chambre des députés italienne (interprétation de l’italien). Merci, madame la présidente, pour avoir organisé ces rencontres, qui répondent à notre fort besoin de dialogue.

La commission de l’emploi public et privé de la Chambre des députés italienne, dont je suis membre, a étudié la question du détachement des travailleurs avec le plus grand soin. Ouvrant effectivement quantité de possibilités, la directive a donné lieu à un certain nombre de dérives extrêmement problématiques, notamment une inégalité des rémunérations et le risque que les entreprises qui détachent du personnel soient avantagées par rapport à des concurrentes soumises à des règles plus sévères. Il nous faut mettre un terme aux abus et lutter à tout prix contre le dumping social ; c’est d’ailleurs le point de vue exprimé par le gouvernement italien dans sa déclaration de politique générale. Dans l’ensemble, et sous réserve d’un examen plus détaillé, la proposition de modification nous paraît bienvenue. Il s’agit en effet de veiller à ce que la protection des travailleurs détachés ne soit pas réduite, ce qui donnerait des avantages concurrentiels indus à certaines entreprises.

Affirmer ce principe de base selon lequel les rémunérations pour un travail donné en un lieu donné doivent être identiques me paraît très important. En revanche, réserver l’application des conditions prévues par la législation du travail du pays d’accueil, lorsqu’elles sont favorables au travailleur détaché, aux détachements d’une durée supérieure à vingt-quatre mois me paraît un peu restrictif. Peut-être pourrions-nous opter pour un délai plus court, par exemple douze mois, comme l’a proposé notre collègue sénatrice.

La question des contrôles et des cotisations sociales versées me paraît très importante, de même que la définition du concept de rémunération, qui, pour l’heure, n’est pas sans ambiguïté. Il conviendrait par ailleurs d’appliquer ces mesures au-delà du seul secteur du bâtiment et des travaux publics, notamment aux transports européens. Une saine concurrence, nous en sommes tous relativement convaincus, est bonne pour les économies de nos pays, mais bannissons la concurrence déloyale et veillons à ce que nulle disposition ne finisse par entraver une libre concurrence ou compromettre une bonne protection des travailleurs.

M. Christian Holm Barenfeld, membre de la commission du marché de l’emploi du Parlement suédois (interprétation de l’anglais). Nous sommes contre la modification de la directive. Nous pensons qu’il est essentiel de sécuriser les règles applicables aux travailleurs détachés et de protéger la libre prestation de services. Une directive relative à l’exécution de la directive de 1996 a déjà été adoptée en 2014, que les États membres ont jusqu’au 18 juin 2016 pour transposer. N’introduisons pas de nouveaux changements ; sinon, nous affaiblirons la liberté de circulation et la concurrence.

Les situations sont très différentes parmi les différents pays de l’Union européenne mais le plus grand problème n’est pas le détachement des travailleurs ; c’est la mise en œuvre de cette directive. Nous pouvons tous en faire davantage dans nos pays. Il n’y a, par exemple, pas de salaire minimum en Suède, où les règles salariales relèvent de conventions collectives non soumises à l’agrément des autorités. Malheureusement, comme elles ne sont pas l’objet d’une communication obligatoire, il est difficile pour les travailleurs étrangers de les connaître. Nous avons plusieurs propositions pour améliorer la situation, et nous espérons que notre Parlement nous soutiendra, mais les positions sont divergentes.

Quoi qu’il en soit, il ne nous paraît pas nécessaire de modifier ces directives.

Mme Dilek Kolat, membre de la commission du travail, de l’intégration et de la politique sociale du Bundesrat (interprétation de l’allemand). Je remercie à mon tour la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale française pour cette invitation à discuter d’un sujet très important, de la plus grande actualité.

La ville de Berlin et d’autres Länder sont à l’origine d’une résolution adoptée le 22 avril dernier par le Bundesrat. Le Bundesrat s’est félicité de la proposition de la Commission européenne, tout en estimant qu’elle n’allait pas suffisamment loin. Forts d’un recul de vingt ans, sur la directive et sur la loi allemande, nous estimons nécessaire de réviser les textes pour que progresse la protection des travailleurs locaux et étrangers et que soit prévenue la concurrence déloyale.

L’Allemagne comptant parmi les cinq pays où se font 80 % des détachements, l’enjeu n’est pas mince pour mon pays. En tant que ministre du travail du Land de Berlin, je connais bien les cas de fraude, de contournement ou de violation des règles par des employeurs. Certains cas d’exploitation sont graves et certaines chaînes de sous-contractants très peu transparentes.

Le Bundesrat s’est félicité des propositions faites. Au bout de vingt-quatre mois, donc, le droit du travail du pays d’accueil devrait s’appliquer, de même que les règles de protection sociale.

Pour le calcul de la durée totale du détachement, la Commission européenne propose qu’ »  en cas de remplacement de travailleurs détachés effectuant la même tâche au même endroit, la durée cumulée des périodes de détachement des travailleurs concernés [soit] prise en considération, en ce qui concerne les travailleurs détachés pour une durée effective d’au moins six mois ». Nous pensons que c’est une durée effective trop longue : dans la réalité, ces détachements sont en moyenne de quatre mois. Retenons donc cette durée de quatre mois si nous voulons que la mesure envisagée soit effective.

Par ailleurs, ne visons pas que les conventions collectives régissant le secteur du bâtiment. Nous avons déjà pris des mesures en ce sens, en Allemagne, en 2014, avec la loi sur le renforcement de l’autonomie collective, et nous avons intégré l’ensemble des différentes branches et secteurs d’activité.

Il faudrait également clarifier la question du taux de rémunération minimum. En 2008 et en 2009, certaines lois de Länder ont été annulées. Il faudrait que les entreprises candidates à des marchés publics s’engagent à respecter certains standards, à respecter les conventions collectives. Il y va de la sauvegarde du marché intérieur. Il faut également harmoniser les normes de travail.

La Commission européenne peut-elle nous en dire un peu plus sur le calendrier envisagé ? Quand la phase de dialogue commencera-t-elle ?

Mme Brigitte Van der Burg, présidente de la commission des affaires sociales et de l’emploi de la Seconde Chambre des États généraux des Pays-Bas (interprétation de l’anglais). Merci d’avoir organisé cette réunion pour que nous puissions dialoguer sur ce sujet important. Je m’exprime en tant que présidente de la commission des affaires sociales et de l’emploi de la Chambre des députés des Pays-Bas. Le Parlement néerlandais considère le sujet du détachement comme prioritaire, nous avons passé un accord avec le gouvernement néerlandais pour qu’il nous tienne informé, notamment, de certains travaux de la Commission européenne.

La majorité des parlementaires sont favorables à cette proposition, mais certains points méritent clarification. La question du contournement des règles par certains employeurs nous préoccupe particulièrement. Aux Pays-Bas, ces contournements, qui ont toujours comme objectif d’éviter les charges sociales, sont interdits, mais comment éviter que les entreprises ne recourent aux travailleurs détachés pour des périodes de moins de six mois afin d’éviter d’échapper aux règles proposées par la Commission ? Quant à l’application du droit du pays d’accueil au-delà d’un certain délai, ne pourrait-on imaginer que, pendant plus de vingt-quatre mois, un emploi soit successivement occupé par plusieurs employés dont les contrats seraient, eux, d’une durée réduite ? Aux Pays-Bas, de multiples organisations ont exprimé l’inquiétude que leur inspire, à cet égard, la proposition de la Commission. Nous sommes donc très curieux du point de vue des autres parlements et de la Commission européenne.

Enfin, nous pensons que cette proposition de révision de la directive de 1996 devrait s’appliquer au secteur du transport. Il ne s’agit pas seulement d’édicter des règles, il s’agit aussi de les appliquer. C’est très important.

Mme Katalin Csöbör, membre de la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale de Hongrie. Merci, tout d’abord, d’avoir inscrit ce sujet important à l’ordre du jour.

La libre prestation de service dans tous les États membres de l’Union européenne constitue l’une des pierres angulaires du marché unique. La réglementation des conditions de travail des travailleurs détachés est donc indispensable au bon fonctionnement du marché unique. L’Assemblée nationale hongroise, que je représente, a adopté la semaine dernière un avis motivé sur la proposition de révision de la directive relative au détachement des travailleurs.

Quelles sont nos principales préoccupations ?

Les règles actuelles stipulent que les entreprises détachant des travailleurs doivent respecter un noyau dur de droits en vigueur dans le pays d’accueil, dont les taux de salaire minimal. Il est important de noter que la directive n’interdit pas aux entreprises détachant des travailleurs de les payer plus que le taux du salaire minimal. Par ailleurs, les écarts salariaux entre les États membres sont principalement dus à leur développement économique différent.

La nouveauté majeure proposée par la Commission est la référence faite non plus au taux de salaire minimum, mais aux rémunérations. La jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne a démontré à maintes reprises que la notion de taux de salaire minimum est source de confusion, mais la rémunération est une notion ambiguë, dont le sens juridique n’est pas clair. Or, l’introduction d’une notion dont le sens exact ne peut être établi sans ambiguïté est contraire aux principes de subsidiarité et de clarté juridique. Quant à imposer le principe d’une rémunération identique pour un même travail dans le but de réduire les écarts salariaux entre les États membres… Il n’est pas possible de réduire par un moyen juridique ce qui ne pourrait l’être que par le développement économique. C'est contraire aux principes établis par le traité de Lisbonne dans le domaine de la politique sociale.

Ce fut dit lors des exposés liminaires : le détachement concerne 1,9 million de travailleurs européens en 2014, ou 0,7 % du nombre total d’emplois dans l’Union. La proposition de révision est donc contraire aux principes de nécessité et proportionnalité. Nous espérons donc que la Commission européenne tiendra compte des avis motivés déjà rendus par quatorze chambres nationales.

La Présidente Danielle Auroi. Merci à vous, chère collègue, de vous être exprimée en français. J’aimerais bien être capable de m’exprimer aussi bien en hongrois ! Cet effort doit être salué.

M. Alain Vasselle, membre de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale du Sénat français. Merci, madame la présidente, pour cette belle initiative de rencontre, sur un sujet qui suscite de vives polémiques, en France comme ailleurs.

Le travail détaché pose inévitablement la question de la compétitivité de nos entreprises, car les conditions de rémunération et de protection sociale ne sont pas les mêmes dans nos différents pays. Cette situation ne peut se prolonger indéfiniment, et la Commission européenne a raison de se pencher une nouvelle fois sur cette directive.

Cela m’amène à deux interrogations. Le véritable problème de fond n’est pas tant la rémunération – la référence pourrait être le SMIC – que le niveau de protection sociale. Comment offrir le même dans tous les pays ? À l’instant même, notre collègue hongroise faisait valoir que ce sont les conditions de développement économique du pays qui décident du niveau de protection sociale possible. Les pays dont l’économie est la plus forte peuvent offrir une protection sociale d’un niveau élevé à leurs salariés, pas ceux dont le développement économique est moins avancé. Comment imposer aux pays, aux entreprises qui ne le peuvent pas d’offrir un niveau de protection sociale tel que celui qui prévaut dans notre pays ?

Ma deuxième question porte sur l’application du principe de subsidiarité. À vous entendre, chers collègues, j’ai le sentiment que cette notion est définie différemment d’un pays à l’autre. Il serait bon que la Commission européenne le définisse très clairement une fois pour toutes et nous indiquât comment il doit s’appliquer dans tous les pays de l’Union européenne. À défaut, nous rencontrerons toujours des difficultés dans l’application du droit européen ou la transposition des directives dans nos ordres juridiques internes.

M. Kalle Palling, président de la commission des affaires européennes du Parlement d’Estonie (interprétation de l’anglais). Je répète des propos déjà tenus, mais pourquoi réviser une directive dont le délai de transposition n’est pas expiré et dont nous ne connaissons pas les effets ? Ce n’est pas là une bonne manière de légiférer. N’imposons pas de nouvelles obligations avant que la directive ne soit entrée en vigueur et que son application n’ait été étudiée. Il y va en outre de la libre prestation de services et de la liberté de circulation des personnes. Nous ne pouvons donc pas soutenir cette révision.

La question n’est pas tant celle des salaires – dans la plupart des cas, les salaires sont égaux ou presque – que celle des autres droits des travailleurs. Et si on veut parler de concurrence loyale, il faut parler de compétition loyale entre les services, entre les entreprises, et non pas entre les syndicats, dont la voix compte davantage dans certains pays.

Je suis d’accord avec notre collègue suédois, selon qui il s’agit surtout de mettre en œuvre les directives actuelles plutôt que de trouver de nouvelles règles bureaucratiques qui pourraient entraver la libre prestation de services et la libre circulation des personnes en Europe. Nous pourrions en faire davantage dans nos pays plutôt que de changer des choses au niveau européen.

M. Christophe Premat, membre de la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale française. À mon tour, je me félicite de cette volonté de réviser une directive effectivement problématique, qui, faisant porter la concurrence sur les salaires, nuit à une compétition économique équitable.

La question des rémunérations a déjà été largement abordée, mais, lorsque nous l’aurons réglée, se posera le problème de la mise en concurrence des systèmes de protection sociale. Voilà qui rejoint la question de la responsabilité des entreprises, abordée ce matin. Certaines utilisent des travailleurs détachés, créent des filiales et coupent le lien avec lesdites filiales, qui se transforment en entreprises locales. Des salariés se retrouvent ainsi dans des situations très délicates. J’ai moi-même tenté de résoudre plusieurs cas. En tant que député des Français de l’étranger, je mesure concrètement l’impact d’une telle directive sur des individus qui ont migré pour des raisons économiques et se retrouvent ensuite dans une situation compliquée, sans savoir vers où se tourner.

Il faut avancer sur la question de l’équité. À l’automne, l’agenda de Stockholm faisait de la question de la mobilité équitable une priorité. Avec la révision de cette directive, il nous est donné de poursuivre sur cette voie. De telles questions concrètes font, d’une certaine façon, avancer l’Europe parce qu’elles nous contraignent à une harmonisation, étape par étape. C’est bien l’esprit des institutions européennes, qui doit nous permettre de sortir par le haut des crises que nous traversons.

La Présidente Danielle Auroi. Cette question des travailleurs détachés, c’est la quadrature du cercle. Si nous sommes tous d’accord sur des principes – comme « à travail égal, salaire égal » –, c’est la réalité qui pose problème, comme lorsqu’il s’agit de l’égalité salariale entre hommes et femmes. Compétences de l’Union européenne, subsidiarité… Où est la ligne rouge ? qu’entend-on par là ? Les choses sont très compliquées, d’autant que nous comprenons tous la question des travailleurs détachés de manière différente. Un suivi, un contrôle, assurés par un service, offriraient-ils une lisibilité de nature à rassurer les uns et les autres ? C’est le contournement des règles et les abus qui ont donné une très mauvaise presse au détachement des travailleurs alors que la directive visait précisément à les protéger.

Par ailleurs, si nous avons évoqué le secteur du BTP et celui des transports, qu’en est-il de l’agroalimentaire ? Nous n’en avons pas du tout parlé.

Je donne d’abord la parole au représentant de la Commission européenne, pour qu’il puisse répondre aux interrogations relatives à la nouvelle proposition de directive.

M. Jackie Morin. Je ferai rapport à Mme Thyssen de l’ensemble des éléments apportés aujourd’hui au débat par les différents intervenants.

Cette proposition de révision promeut-elle le marché intérieur ou lui porte-t-elle atteinte ? La Commission s’inscrit dans une dynamique de promotion du marché intérieur et de la libre prestation des services. Cela suppose d’une part l’absence de discrimination à l’encontre des prestataires non nationaux de services – ils doivent avoir accès au marché européen – mais aussi des règles équitables pour les prestataires nationaux. Nous estimons que cette proposition est conforme à l’esprit de l’article 57 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui prévoit la libre prestation de services, mais dans les mêmes conditions que celles imposées aux ressortissants nationaux. Il s’agit non pas d’instituer des systèmes de règles différents pour les prestataires nationaux et les autres, mais d’avoir une approche non discriminatoire.

Le concept de rémunération a été introduit par la Commission avec l’idée qu’il ne fallait pas que l’on puisse imposer à des prestataires extérieurs des conditions plus contraignantes que celles qui s’imposent de façon générale au plan national. C’est pourquoi il est fait référence aux éléments obligatoires généraux de rémunération, fixés par la loi ou par des conventions collectives. Aujourd’hui, on ne se réfère qu’à des minima – souvent vus, d’ailleurs, comme des maxima par ceux qui recourent au travail détaché. Devront désormais être respectés, outre ces minima, un certain nombre d’éléments obligatoires, telles, par exemple, les éventuelles majorations de rémunération auxquels le travail du dimanche ou du week-end, ou des activités à risque, peuvent donner lieu, telles des règles d’avancement ou de versement d’un treizième mois. Ce sont autant d’éléments qui sont intégrés dans cette notion de rémunération.

La Commission européenne a cependant veillé avec le plus grand soin à ne pas intervenir dans la définition de ce qu’est la rémunération, qui est du ressort des États membres. Ce point figure non plus dans un article mais au douzième considérant de la proposition de directive modifiant la directive du 16 décembre 1996. Il y est précisé très explicitement qu’ »  il relève de la compétence des États membres de fixer les règles relatives à la rémunération conformément à leur législation et à leurs pratiques ».

Une question m’a été posée par le représentant du Danemark à propos de l’égalité de traitement, qui concerne les travailleurs temporaires. À notre sens, la directive n’empêche pas un État membre d’aller au-delà des domaines énumérés par la directive de 2008. Si l’on se réfère à la directive de 2008, cela ne signifie pas que l’ensemble des éléments des conditions de travail ne peut pas, par la mise en œuvre de cette proposition de directive révisée de détachement, être pris en compte. Je comprends cependant qu’une clarification soit nécessaire.

Pourquoi cette durée de deux ans ? La logique suivie a été de dire qu’il n’y a pas de définition de durée du détachement aussi longue que la durée de l’activité. Par contre, une question se pose : quelle législation s’applique au travailleur détaché au-delà d’une certaine durée ? En matière de sécurité sociale, il y a une limite de deux ans : lorsque le détachement est prévu pour une durée de plus de deux ans, c’est la législation du pays d’activité qui s’applique. La même logique a été suivie ici : en matière de conditions de travail, lorsqu’il est prévu que le détachement dure plus de deux ans, c’est la législation du pays d’activité qui s’appliquera au travailleur détaché. On se réfère ici à des durées d’activité qui devront être notifiées à l’avance, conformément à la nouvelle directive 2014/67. Il sera donc très facile de savoir si une activité est prévue pour une durée supérieure à deux ans ou non, et donc de déterminer quelles règles s’appliqueront aux travailleurs concernés.

Il est prévu que, dans certaines circonstances, un même emploi puisse être occupé par plusieurs travailleurs successivement détachés. La Commission a donc voulu introduire une clause qui empêche de contourner la règle des deux ans, en indiquant que, dans l’hypothèse où une même activité serait assurée par plusieurs détachements successifs de travailleurs pour une durée totale de plus de vingt-quatre mois, chaque travailleur étant lui-même détaché pour plus de six mois, les règles en vigueur dans le pays d’activité s’appliqueraient. Évidemment, cette durée de six mois peut être débattue au niveau politique.

J’ai bien entendu les remarques faites à propos de la subsidiarité. La Commission européenne devra, de ce point de vue, étayer la décision qu’elle prendra, quelle que soit celle-ci, au terme du réexamen qu’elle devra mener à la suite de l’avis motivé des parlements. Et une communication devra être faite par la Commission sur les suites données à ces avis motivés.

Mme Karima Delli. Le débat est complexe, il nous faudrait passer une semaine ensemble pour en venir à bout, mais un consensus semble se former sur certains points.

Ainsi, beaucoup s’interrogent : pourquoi ne pas réduire cette durée de deux ans ? Nous pourrions proposer de retenir plutôt une durée de douze mois.

De même, il faut renforcer les contrôles, tout le monde est d’accord, mais comment ? Là-dessus, personne n’est d’accord ! Ce n’est pas de la compétence de la Commission européenne, mais chaque État membre jouerait-il le jeu des contrôles alors que c’est aussi son économie nationale qui est en jeu ? J’avais avancé l’idée d’un corps européen d’inspecteurs. Le débat mériterait d’être rouvert. Et pourquoi ne pas confier la tâche aux douaniers, puisque les transports sont particulièrement concernés ?

Tout le monde est d’accord pour dire qu’il faut renforcer la sécurité des travailleurs, mais alors, chers collègues, allons vraiment de l’avant ! C’est cela, le projet européen.

Les pays qui brandissent ce fameux « carton jaune » songent tous au problème du salaire minimum. Je veux y revenir. Nous sommes tous conscients de la diversité des situations économiques, et l’instauration d’un salaire minimum unique dans l’Union européenne n’est pas pour demain. Il n’y a d’ailleurs pas de salaire minimum unique dans tous les pays. Quant au risque que la Commission européenne impose un salaire minimum européen… Mes chers collègues, la Commission européenne n’a nullement ce pouvoir, arrêtez donc de croire que certaines instances européennes ont des pouvoirs que les traités ne leur confèrent pas !

Cela étant, si nous sommes tous attachés, dans cette salle, au projet européen, nous devons réfléchir à une harmonisation au sein de l’Union européenne. Cela implique de plaider pour des minima sociaux. C’est à cela qu’il faut travailler. Nous voulons tous une convergence vers les plus hauts standards sociaux pour mettre fin au dumping social et garantir au travailleur une vie décente. Mais qu’appelle-t-on une vie décente au travail ? Regardez les routiers, quelle que soit leur nationalité. Ils vivent dans leur camion, ils y dorment, ils y mangent, qu’il fasse chaud ou froid. Est-ce cela, une vie décente au travail ? Et ne parlons pas de leurs conditions de logement… Nous devons définir des critères qui protègent la santé mais aussi la sécurité de ces travailleurs. Sinon, qui sera responsable en cas de problème ?

M. Juncker l’a dit : c’est la Commission de la dernière chance. Je fais partie de cette génération qui ne laissera pas tomber le projet européen. Le dumping social, c’est le poison de l’Europe. Si nous ne sommes pas capables de tenir, tous ensemble, d’affirmer franchement que plus rien ne se fera sans l’Europe, seul échelon pertinent pour régler les crises, quelles qu’elles soient, si nous ne sommes pas capables de défendre une harmonisation sociale, une Europe sociale, alors même que c’est ce que les citoyens veulent, alors, dans quelques années, ce sera la fin du projet européen. Pour ma génération, ce sera vraiment destructeur.

Nous ne pouvons pas nous permettre de ne pas avoir une Europe forte, une Europe sociale. En même temps, nous faisons l’Europe politique. Sans compromis, nous entendrons crier toujours plus fort les eurosceptiques et l’extrême-droite, et ce sera la mort du projet européen. Moi, je ne laisserai pas faire.

M. Gilles Savary. Merci, chers collègues, pour ce débat extrêmement intéressant. Je crois que c’était une très bonne initiative.

Bien souvent, dans les débats internationaux, on emploie les mêmes mots, sans mettre les mêmes choses derrière les mots. Je voudrais donc revenir sur ce qui, en fait, ne nous rassemble pas.

En raison de la subsidiarité totale du droit social, il n’y a pas de marché intérieur du travail. Il y a bien un marché des biens et services, mais, en l’absence d’un même droit du travail, le marché intérieur du travail est une idée fallacieuse. Il n’y a pas de salaire minimum européen, de congés payés européens, de Sécurité sociale européenne, et les charges sociales, les modes de fonctionnement varient d’un pays à l’autre. Ce qu’on peut dire, en revanche, c’est qu’hommes et femmes circulent librement sur un marché intérieur de biens et de services et peuvent s’y employer librement. Et cela vaut aussi pour les entreprises ; le droit d’établissement est très clair. Il n’est ainsi interdit à nulle société de prestation de services de venir s’installer en France pour y proposer des travailleurs d’autres pays d’Europe. Cela se fait alors aux conditions françaises, sans distorsion de concurrence.

La vraie question, puisque nous ne sommes pas capables de faire demain matin l’Europe sociale – les mêmes normes pour tous – et qu’en réalité aucun État membre n’en veut, tous demandant l’application du principe de subsidiarité aux systèmes sociaux. La vraie question, c’est le détachement de travailleurs, quand il est conçu comme un second marché du travail, sur lequel des travailleurs d’un pays sont proposés à un autre aux conditions différentes. C’est indiscutablement un facteur de déséquilibre du marché intérieur et de déséquilibre de la concurrence. Sans doute pourrait-on en saisir la Direction générale « Concurrence » et ne plus traiter cette affaire comme une question purement sociale : on ne peut pas résister à une concurrence low cost, car nous ne sommes pas soumis aux mêmes règles du jeu. Et si, demain, des travailleurs d’Ouzbékistan, du Kazakhstan venaient en Bulgarie ou en Pologne ? Les entreprises bulgares ou polonaises non plus ne pourraient résister à cette concurrence.

Les règles du marché intérieur et de la concurrence sont faites pour parvenir à plus d’efficacité, à des services de meilleure qualité, mais la concurrence ne saurait passer par une course au moins-disant social – en fait de concurrence, ce serait une distorsion de concurrence. Oui au marché intérieur, oui à la concurrence, non aux distorsions de concurrence, qui passent par le recours à des moyens inéquitables et des règles du jeu différentes. Un jeu concurrentiel, c’est cela : même règles, mêmes charges, et que le meilleur gagne ! Ce n’est pas : règles différentes, charges différentes, et que le moins cher gagne !

C’est le détachement de placement qui est en cause : on prend une main-d’œuvre qui n’a pas de travail constant et régulier dans son pays, on la recrute pour l’envoyer dans un autre pays, parce qu’elle est moins chère, pour exercer un métier qui n’est même pas celui de l’entreprise d’origine, puisque c’est une entreprise d’intérim. Le lien avec le métier de l’entreprise d’envoi est essentiel, car c’est cela qui fonde le détachement, depuis le fond des âges. C’est avec l’abandon de ce lien – les maçons étant envoyés par des entreprises d’intérim et non plus des entreprises de maçonnerie – que le détachement s’est mué en recrutement de travailleurs low cost, envoyés ensuite sur d’autres marchés pour y faire une concurrence par le coût du travail, c’est avec l’abandon de ce lien que le détachement est sorti de son lit. Cette dérive nous vaut aujourd’hui des problèmes, notamment avec l’opinion publique, car elle dégrade l’image de tous les types de détachement. C’est très dangereux.

J’en viens à la subsidiarité, car j’ai noté un certain flou entre nous. Un certain nombre de collègues pensent que la subsidiarité, c’est la souveraineté nationale, mais ce n’est pas le cas. La subsidiarité est le principe en vertu duquel un problème donné est traité au niveau où il est le plus efficace de le traiter. Dans beaucoup de domaines, nous considérons que c’est le niveau national et que la Commission européenne empiète inutilement sur les prérogatives des nations. Nous demandons donc, au nom du principe de subsidiarité, qu’elle ne s’en mêle pas ; c’est très fréquent. Il est terrible, en revanche, que nous n’arrivions pas à traiter des sujets comme l’immigration ou les réfugiés au niveau européen. La subsidiarité devrait permettre une régulation européenne. Or ces questions sont en train de faire exploser l’Europe ! Quand on traite ces problèmes internationaux au plan national, chaque État tend à devenir concurrent de l’autre, parce que chacun essaie de voir ses intérêts. Or, dans ces domaines, la subsidiarité voudrait que l’on dise à l’Europe : « C’est à vous de faire le travail ! »

Il me semble, de même, que le principe de subsidiarité voudrait que les questions du travail illégal, des travailleurs hypermobiles soient traitées au niveau de l’Union européenne. La France est traversée par des camions de toute l’Europe, conduits par des travailleurs payés 191 euros par mois, qui dorment la nuit sur les aires d’autoroute parce qu’il y a une douche à la station-service. En réalité, ils font du travail déguisé, car ils gardent le camion le week-end, et on ne leur donne pas de congé hebdomadaire – parce qu’ils sont loin et qu’on s’arrange ainsi. Nous ne savons pas gérer cette affaire au seul niveau national. Certes, si nous protestons, des pays nous rétorqueront qu’ils sont libres de faire conduire leurs camions par les chauffeurs qu’ils veulent, au tarif qu’ils veulent, pour aller de Belgique en Espagne ou d’Espagne en Allemagne, mais il faut une régulation européenne. Essayons de nous mettre d’accord sur le niveau pertinent pour traiter du problème, comme le veut le principe de subsidiarité, mais, pour moi, c’est le niveau européen.

J’en viens à une question très peu traitée. En France, nos retraites, nos soins de santé, nos frais d’hospitalisation sont financés par des charges payées sur les revenus du travail. Plus nombreux sont les travailleurs qui ne paient pas ces charges en France, moins le financement de notre système de protection sociale est assuré. À la limite, tous les travailleurs pourraient être des travailleurs étrangers, pour des raisons de coût, et il n’y aurait plus de sécurité sociale. Nous ne pouvons pas évacuer cette question. Le travail détaché massif assèche les comptes sociaux.

Je terminerai sur les transports. La France a unilatéralement pris des mesures législatives, et il n’est plus possible d’imposer que le congé hebdomadaire soit pris sur le lieu de travail. En d’autres termes, il est interdit d’obliger des chauffeurs de poids lourds à rester dans leur cabine et à y vivre, parfois par 45 degrés à l’ombre. C’est une réalité que je connais pour avoir suivi de nombreux contrôles. Les chauffeurs ne peuvent pas rentrer chez eux, parce que cela coûterait trop cher, et ils ne peuvent pas vivre ailleurs, parce qu’on ne leur paie pas l’hôtel ; en réalité, on ne leur donne pas leur congé.

Nous avons beaucoup de difficultés à contrôler le respect de cette législation – que ceux qui tiennent à ces pratiques soient rassurés ! – mais nous avons vraiment besoin d’une législation européenne. Ces travailleurs franchissent les frontières plusieurs fois par semaine et rendent le détachement très compliqué à établir. Il faut des idées un peu nouvelles, comme celles développées pour la marine marchande par l’Organisation maritime internationale et par l’Organisation internationale du travail. Trouvons un modus vivendi et définissons un socle minimum de droits sociaux pour ces travailleurs hypermobiles qui franchissent les frontières à longueur d’année. Cela concerne les routiers mais aussi les travailleurs aériens.

J’espère que nous pourrons continuer ce dialogue.

La Présidente Danielle Auroi. Nos échanges ont été extrêmement riches. Si nous voulions détailler tous les points abordés par les uns et les autres, comme l’a dit Karima Delli, nous y passerions effectivement toute la semaine, et notre objectif n’est tout de même pas de tenir conclave. Nous n’en avons pas moins dialogué en toute sincérité sur la manière dont nous envisageons, les uns et les autres, cette question des travailleurs détachés. Nous avons notamment souligné un hiatus entre la réalité de la directive et les incroyables contournements des règles applicables. La nouvelle proposition de la Commission européenne vise à y mettre fin, même si elle ne traite pas totalement le sujet – nul ne fait de miracles.

Je vous remercie tous pour la qualité de vos interventions. Même si nous n’avons pas tout réglé, nous avons fait progresser les choses. Nous avons bien démontré aussi qu’il y avait un rapport entre les deux sujets à l’ordre du jour de nos échanges d’aujourd’hui, car ces contournements tout à fait irréguliers sont très souvent le fait de sous-traitants d’entreprises par ailleurs tout à fait légales.

Je remercie nos intervenants de cet après-midi. Pertinents, pointus, ils nous ont donné des propositions, des pistes qui nous permettront de poursuivre notre réflexion. Nombre d’entre nous se retrouveront d’ailleurs les 13 et 14 juin prochains à La Haye pour la grande COSAC, qui réunit tous les Parlements nationaux et le Parlement européen. Nos réflexions, sur les deux thèmes de cette journée, auront mûri et nos positions se seront peut-être rapprochées. C’est en tout cas mon souhait.

Je souhaite à tous un bon retour.

Nous avons recueilli tout à l’heure l’ensemble des propositions de ce matin. La plupart d’entre vous ont déjà signé le texte qui leur était proposé ce matin. Je veux les en remercier.

Je remercie aussi, en notre nom à tous, les services de la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale, qui ont fait un travail formidable, nos administrateurs, mais aussi nos stagiaires, extrêmement efficaces, notamment Charles-Édouard Roehrich, à qui nous souhaitons un très bon anniversaire (Applaudissements).

La séance est levée à 16 h 35

Membres présents ou excusés

Commission des affaires européennes

Réunion du mercredi 18 mai 2016 à 14 h 15

Présents. - Mme Danielle Auroi, M. Jean-Luc Bleunven, M. William Dumas, Mme Chantal Guittet, M. Michel Piron, M. Gilles Savary

Excusés. - M. Kader Arif, Mme Seybah Dagoma, M. Yves Fromion, Mme Marietta Karamanli, Mme Audrey Linkenheld, M. Jean-Claude Mignon

Assistaient également à la réunion. - M. Serge Bardy, M. Jean Bizet, Mme Michèle Bonneton, M. Jacques Cresta, Mme Pascale Gruny, Mme Sophie Joissains, M. Christophe Premat, M. Alain Vasselle