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Commission des affaires européennes

Mercredi 29 juin 2016

16 h 30

Compte rendu n° 293

Présidence de Mme Danielle Auroi Présidente

Communication de MM. Philip Cordery et Arnaud Richard sur les grandes orientations du groupe de travail sur l’intégration différenciée, relatives à l’avenir de l’UEM

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mercredi 29 juin 2016

Présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente de la Commission

La séance est ouverte à 16 h 30

Communication de MM. Philip Cordery et Arnaud Richard sur les grandes orientations du groupe de travail sur l’intégration différenciée, relatives à l’avenir de l’UEM

M. Philip Cordery, co-rapporteur. Le 9 mai dernier, les parlementaires socialistes, nationaux et européens, ont appelé, dans une lettre ouverte, à refonder l’Europe. Lancé, de manière hautement symbolique, le jour de la « Fête de l’Europe » commémorant le discours de l’Horloge prononcé soixante-six ans auparavant par l’un de ses pères fondateurs, Robert Schuman, cet appel parlementaire, s’il émane de représentants politiques socialistes, dépasse, je le crois, bon nombre de clivages et prend tout son sens dans les travaux que nous nous proposons de mener au sein de notre groupe de travail sur l’intégration différenciée au sein de l’Union européenne.

Faisant, comme la plupart des observateurs, le constat de blocages de plus en plus nombreux et de plus en plus visibles en Europe, cette lettre ouverte souligne notamment l’incompréhension qui entoure l’Union européenne et nourrit, en grande partie, le rejet que l’on observe aujourd’hui. Si « l’Union européenne n’est ni omnipotente ni responsable de toutes les crises, elle est aujourd’hui incomprise ».

La montée des populismes dans toute l’Europe, tout comme le référendum britannique, sont des révélateurs de ce rejet. Incapable de répondre aux grands défis actuels du continent – emploi, stabilité de la zone euro, défi migratoire, terrorisme –, l’Union européenne, dans son état actuel, ne suscite plus l’adhésion. Non pas en ce qu’elle représente, mais parce qu’elle n’est pas outillée pour faire face à ces défis.

La politique des petits pas l’a laissée au milieu du gué avec un processus d’intégration inachevé. Dès lors, les vraies questions que nous devons nous poser sont celles qui ont trait au parachèvement de l’intégration pour rendre l’Union européenne efficace.

Dans un tel contexte, l’intégration renforcée de la zone euro constitue l’une des voies possibles pour penser l’avenir du continent. Les avancées, réelles, déjà accomplies en Europe doivent être poursuivies mais il est nécessaire que nous réfléchissions à ce que nous souhaitons encore faire ensemble. Pas plus qu’elle ne pouvait, dès l’origine, se faire d’un coup, ni dans une construction d’ensemble, l’Union européenne doit désormais trouver les moyens de poursuivre son mouvement d’intégration, en veillant à s’assurer de l’assentiment et du soutien de ses citoyens aux avancées qu’elle promeut.

Les résultats du référendum britannique renforcent incontestablement la nécessité de réfléchir ensemble à ce que nous voulons encore accomplir en Europe. À combien ? Comment ? Dans quels domaines et dans quels buts ?

C’est dans ce contexte que le groupe socialiste a demandé la création, au sein de la commission des Affaires européennes, d’un groupe de travail sur l’intégration différenciée au sein de l’Union européenne. Constitué pour mener une réflexion large, transversale et transpartisane, le groupe de travail vise à apporter une contribution parlementaire aux débats sur l’avenir de l’Union économique et monétaire, dans un contexte marqué par un besoin et une volonté de réformes, sans exclure la possibilité que cette Union économique et monétaire qui est une construction politique, puisse constituer le véhicule d’intégration différenciée dans d’autres domaines. M. Arnaud Richard et moi-même avons été désignés co-rapporteurs par nos collègues membres du groupe de travail : MM. Christophe Caresche, Jérôme Lambert et Michel Herbillon. Commencés il y a peu de temps, nos travaux devraient s’achever à l’automne 2016 et un rapport vous être présenté à cette occasion.

Nous avons souhaité aujourd’hui vous faire part des grandes orientations que nous entendons donner à nos travaux. Nous avons commencé nos auditions et il ressort déjà très clairement que les questions qui entourent l’avenir de l’Union économique et monétaire sont sensibles, délicates, les propositions esquissées pas toujours compatibles les unes avec les autres et les positions des États membres, lorsqu’elles sont connues, pas toujours convergentes.

Il nous appartiendra, par conséquent, de tâcher d’apporter aux questions déjà formulées et aux problématiques latentes des réponses aussi claires que possible, qui soient à la fois ambitieuses et réalistes. La tâche ne sera sans doute pas aisée mais c’est une démarche indispensable. Pour pouvoir continuer à penser l’Europe, il nous tout d’abord panser ses plaies. Par ailleurs, il nous paraît sain de s’attacher à poser un diagnostic au plus juste des dysfonctionnements actuels de l’Union économique et monétaire pour proposer, le cas échéant, des pistes adaptées à la situation.

M. Arnaud Richard, co-rapporteur. Depuis la crise économique, les dysfonctionnements identifiés en Europe apparaissent de plus en plus insupportables. Les réflexions du groupe de travail s’inscrivent dans un contexte de « polycrises » - pour reprendre les termes du Président de la Commission européenne. L’Europe doit, pour aborder sereinement son avenir, relever plusieurs défis d’envergure. Confrontée à une crise économique dont les conséquences sont encore perceptibles dans certains États membres, notamment s’agissant des dimensions sociales, l’Union européenne est aujourd’hui en proie à une crise de légitimité qui, si elle n’est pas franchement nouvelle, devient de plus en plus préoccupante.

Le déficit démocratique au sein de l’Union européenne, véritable serpent de mer de la construction européenne depuis ses origines, semble plus que jamais palpable, dans un contexte où les critiques et les ressentiments vis-à-vis de l’Europe ne cessent de croître.

Le hiatus, de plus en plus profond, et - semble-t-il – durable qui semble s’être installé entre l’Europe et ses populations se manifeste notamment par un sentiment croissant d’euroscepticisme ou d’europhobie, nourri par de multiples incompréhensions conduisant, dans les situations les plus extrêmes, à un franc rejet des solutions qui semblent imposées, par « Bruxelles ». Ce sentiment est particulièrement perceptible dans le domaine de la gouvernance économique.

La crise économique a mis en exergue certains dysfonctionnements devenus problématiques. La réponse apportée à la crise grecque pour tenter d’éteindre l’incendie qui risquait de se propager à l’ensemble de la zone euro a mis en concurrence deux autorités dont les légitimités, différemment perçues, ont été mises en cause.

À la légitimité réputée acquise des institutions européennes et des créanciers à gérer une crise de nature économique s’est opposée celle d’un gouvernement nouvellement élu, en grande partie à l’issue d’une campagne faisant du rejet des solutions « européennes » son principal fer de lance et refusant la suprématie de la « troïka ». Deux logiques se sont ainsi affrontées : d’un côté, une logique froidement « rationnelle », celles des marchés et des financiers, exigeant de la Grèce des réformes d’envergure pour éviter la contagion de la crise à d’autres États membres de l’Union économique et monétaire et restaurer, in fine, la crédibilité de l’État grec ; de l’autre, une logique plus « démocratique », incarnant les intérêts nationaux d’une population dont les conditions de vie, très fortement dégradées par les mesures d’ajustement structurel exigées, rendaient difficile l’adhésion aux solutions venues d’ailleurs.

La gestion de la crise grecque par l’Europe nous enseigne au moins deux choses : elle nous rappelle, tout d’abord, à quel point les économies européennes et, en particulier, celles de la zone euro, sont interdépendantes et interconnectées et souligne ensuite, une nouvelle fois, le déficit démocratique dont souffre la gouvernance économique européenne.

Les élargissements successifs ont – mécaniquement – rendu plus complexes les processus de décision dans une Europe où la convergence des économies, voulue et encouragée de manière constante depuis plus de trente ans, n’est, malheureusement, pas allées aussi vite ni aussi loin qu’escompté.

Aujourd’hui, le constat est sans appel et relativement unanime : le cadre de la gouvernance économique n’est pas satisfaisant. Ses insuffisances à assurer une réelle convergence des économies et ses défaillances à garantir une coordination des politiques et des situations économiques sont apparues insupportables au lendemain de la crise économique et financière.

Récemment renforcée, notamment à partir de 2010, la gouvernance économique demeure peu lisible pour les citoyens et semble, en outre, insuffisamment démocratique. La coexistence des procédures de surveillance multilatérale et des instances de décisions, formelles ou informelles, contribuent à brouiller un paysage économique institutionnel déjà opaque à certains égards. Les citoyens peuvent-ils, dans leur grande majorité, identifier aujourd’hui par qui sont prises les décisions les plus importantes et les plus déterminantes pour la zone euro ? Par les chefs d’État et de gouvernement, réunis lors des Conseils européens, les représentants des États membres réunis en session ECOFIN du Conseil ou par l’Eurogroupe ? Les citoyens européens sont, par ailleurs, en droit de se demander pourquoi le Parlement européen ne joue, en la matière, aucun rôle décisif ?

Par ailleurs, l’instabilité de la zone euro est due à l’absence de politiques économiques coordonnées. L’UEM ne marche sur une seule jambe, le monétaire. La coordination des politiques économiques, fiscales et sociales est donc nécessaire.

La crise économique et financière a profondément ébranlé l’espace économique et financier européen et durement mis à l’épreuve la solidarité entre États membres. Depuis lors, les observateurs portent un regard inquiet sur l’avenir de l’Europe et, plus particulièrement, de la zone euro.

Or, depuis, le besoin et la volonté de réformes sont véritablement perceptibles, même s’il est vrai que les premières réalisations peinent, comme souvent, à se concrétiser. Le Brexit et la situation, inédite, qui s’ouvre aujourd’hui jusqu’à la sortie effective de l’Union européenne de l’un de ses membres constituent une injonction pour les autres États à se rapprocher et à (re)donner au projet européen le sens et la direction qui lui font aujourd’hui défaut.

Ainsi, dans cette perspective, le contexte post-crise et le Brexit constituent-ils une opportunité sans précédent de réviser les traités et de formuler des propositions ambitieuses.

Au plan européen, le renouvellement de la Commission européenne en 2014 et l’arrivée à sa tête d’un président volontaire et dynamique a contribué à faire de la question de la gouvernance économique en Europe une priorité de moyen-long terme nécessitant de mener une réflexion ambitieuse et pragmatique sur l’avenir de l’Union et, en son sein, sur les évolutions à apporter pour approfondir l’Union économique et monétaire.

Dans ce contexte, le rapport dit des « cinq présidents » , publié le 22 juin 2015, illustre le consensus qui se dégage, tant sur le besoin de réformes de l’Europe que sur les grandes orientations à donner pour avancer sur la voie d’une plus grande intégration. En identifiant trois phases pour aboutir, à terme, à horizon 2025, à une Union économique et monétaire « complète », le rapport préconise des réformes de plus ou moins grande ampleur à mettre en place.

Louable dans ses intentions, le rapport demeure toutefois relativement évasif sur les propositions de plus long terme nécessitant de véritables changements en Europe. La nécessité de parvenir à un processus de convergence plus contraignant est ainsi évoquée sans détailler les moyens d’y parvenir. La Commission européenne devrait toutefois présenter, au printemps 2017, un livre blanc décrivant les prochaines étapes que pourrait suivre l’Union économique et monétaire sur la voie de sa plus grande intégration. C’est la raison pour laquelle il nous semble important de tâcher d’apporter une contribution nationale parlementaire en amont des propositions qui pourront être formulées par les institutions européennes.

Quelques propositions ont déjà été esquissées pour l’avenir de l’Union économique et monétaire. Notamment évoquée dans le rapport des « cinq présidents », la thématique de la gouvernance économique européenne fait, depuis plus d’un an, l’objet de discussions plus ou moins abouties et un certain nombre de propositions ont d’ores et déjà essaimé dans l’espace public, émanant tant de personnalités politiques – y compris au plus haut niveau de l’État (cf. déclaration du Président de la République François Hollande sur un Parlement de la zone euro), que d’universitaires ou de représentants de la société civile.

M. Philip Cordery, co-rapporteur. Nous avons souhaité vous faire part, aujourd’hui, des grandes orientations que nous entendons donner à nos travaux. L’avenir de l’Union économique et monétaire pose un certain nombre de questions auxquelles il conviendra de répondre.

De manière générale, nous sommes – évidemment – favorables à un approfondissement de l’Union économique et monétaire, à une amélioration de son fonctionnement ainsi qu’au renforcement de son caractère démocratique. Il s’agit là de la principale orientation que nous souhaitons donner à nos travaux : opter pour des solutions ambitieuses synonymes d’une plus grande intégration économique au sein de la zone euro. Il convient alors de décider quel pourrait/devrait être le champ de cette zone d’intégration différenciée.

Sur le périmètre de l’intégration différenciée. Il nous faudra tâcher de déterminer quel est, quel sera, le champ privilégié d’une intégration européenne renforcée, si celle-ci peut/doit être unique ? L’ensemble des pays de la zone euro sont-ils prêts à cette plus grande intégration ? Sinon, faut-il privilégier un recentrage de la dynamique européenne sur les membres fondateurs de l’Union européenne, au risque de marginaliser certains de nos partenaires ? Faut-il envisager de créer plusieurs cercles concentriques dans lesquels les niveaux d’intégration seraient différents ? Quelles relations entretenir avec les autres pays membres qui ne feront pas partie de la/de l’une des sphère(s) d’intégration approfondie ?

Sur les domaines de l’intégration renforcée. La prédominance des questions économiques et financières sur la construction européenne, souvent décriée, devrait-elle s’accompagner d’une coopération plus étroite sur d’autres sujets ? Nous pensons qu’il est essentiel pour la stabilité de la zone monétaire de traiter les dimensions sociale et fiscale de l’intégration européenne. Faudra-t-il aller plus loin ? L’intégration différenciée de la zone euro peut-elle, doit-elle être le moteur d’une intégration différenciée dans d’autres domaines ?

Sur les méthodes de la construction européenne. Les débats sur l’avenir de l’Union économique et monétaire peuvent également être l’occasion de revenir sur les méthodes traditionnellement associées à la construction européenne. Il est de coutume d’identifier, et de les opposer, la méthode intergouvernementale et la méthode communautaire. Si l’une comme l’autre sont utilisées aujourd’hui, la crise économique a considérablement renforcé la dimension intergouvernementale de la gouvernance économique. Il est possible de s’interroger sur l’avenir de ces méthodes dans une Union économique et monétaire renforcée.

Ces réflexions ne pourront pas ignorer que, dans un cas comme dans l’autre, les parlementaires – qu’ils soient européens ou nationaux – semblent être insuffisamment présents
– voire complètement absents – des dynamiques aujourd’hui à l’œuvre. Il nous semble ainsi important que le renforcement de la dimension démocratique de l’Union économique et monétaire et de la gouvernance économique se fasse par une plus meilleure association des parlementaires aux processus de décision. Dans cette perspective, il nous faudra aussi évaluer le fonctionnement de la nouvelle conférence interparlementaire sur la stabilité, la coordination économique prévue par l’article 13 du TSCG.

Par ailleurs, le « moteur franco-allemand » peut-il/doit-il continuer à être le métronome donnant la mesure des avancées de l’intégration européenne ? Les positions aujourd’hui difficilement conciliables de nos deux pays, en particulier s’agissant d’une intégration économique renforcée en zone euro, sont-elles surmontables ?

Nos travaux s’appuieront sur les deux constats principaux et récurrents suivants, qui constitueront sans doute la base de nos réflexions : la coordination des politiques économiques en Europe présente de sérieux dysfonctionnements et le cadre de la gouvernance économique est insuffisamment démocratique.

Plusieurs pistes, à forte coloration économique et institutionnelle, souvent entremêlées, seront ainsi étudiées dans nos travaux.

Au plan économique, les insuffisances, devenues particulièrement visibles pendant et depuis la crise, des processus de coordination des politiques économiques au sein de l’Union européenne nécessitent des réformes ambitieuses. L’alternative, en la matière, semble pouvoir se résumer ainsi : faut-il plus de coordination et une meilleure coordination des politiques économiques – budgétaires en l’occurrence – nationales ou faire un pas de plus vers l’intégration économique et créer un « budget » ou une capacité budgétaire pour la zone euro ?

Les premières auditions menées sur le sujet ont d’ores et déjà conforté ce que nous pressentions : la coordination telle qu’elle fonctionne aujourd’hui n’est pas satisfaisante alors que le besoin de convergence et de coordination est indiscutable dans une zone économique intégrée.

Sur l’opportunité de créer un budget pour la zone euro. Faut-il créer un budget ou préférer un autre instrument de stabilisation macroéconomique aux effets similaires ? La création d’un budget nécessite d’importants partages de souveraineté. Cette solution est-elle réaliste et véritablement envisageable dans le contexte actuel ? Une fois la question de l’opportunité tranchée, de nombreuses questions se posent : quel montant, quelle composition, quelle vocation pour ce budget ? Comment sera-t-il financé ?

De manière générale, outre l’aspect symbolique d’une plus grande intégration et solidarité au sein de l’Union économique et monétaire, un budget fournirait à la zone euro un mécanisme de stabilisation économique. Toutefois, à défaut de parvenir à doter l’Union économique et monétaire d’une capacité budgétaire, des réflexions s’amorcent également, en parallèle, sur les mécanismes pouvant, à l’instar d’une assurance chômage européenne, produire des effets similaires en matière de stabilisation.

Encore insuffisamment précises à ce jour, les propositions visant à instaurer un Trésor de la zone euro pourront également faire l’objet de réflexions dans le cadre du groupe de travail. Cette proposition, évoquée dans le rapport des « cinq présidents », permettrait d’assurer à la fois une plus grande responsabilité et légitimité démocratiques aux décisions prises plus collectivement en matière de politique budgétaire.

Sur l’opportunité de créer un Ministre des Finances de la zone euro. L’idée d’un ministre européen des finances, autorité politique chargée de protéger les intérêts économiques et budgétaires de la zone euro dans son ensemble a été notamment évoquée par Bernard Coeuré, membre du directoire de la Banque centrale européenne et Emmanuel Macron, en août et septembre 2015.

Le commissaire européen Pierre Moscovici s’est également prononcé en faveur d’un Ministre des Finances de la zone euro, lequel pourrait être également membre de la Commission européenne. Il conviendra donc d’apprécier quels pourraient être le rôle et les compétences d’une telle institution.

Sur l’opportunité de créer un Parlement de la zone euro. Notamment formulée par le Président de la République français en juillet 2015, cette proposition reste encore très largement à préciser. Quel seraient son rôle, sa composition, ses rapports avec les autres institutions européennes et, en particulier, avec le Parlement européen ?

La Présidente Danielle Auroi. Je remercie les deux rapporteurs ainsi que le groupe de travail dans son ensemble. J’ai l’impression d’entendre à nouveau, en grande partie, les problématiques soulevées dans le rapport que j’avais réalisé concernant l’approfondissement démocratique de l’Union européenne en 2013 ; ce qui souligne que nous n’avançons pas vite sur ces questions.

Je pense également qu’avec la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne votre groupe de travail prendra en compte ce sujet. Même si nous avons décidé hier, que la question serait suivie de près par un autre groupe, il devra forcément y avoir une cohérence et une complémentarité entre les travaux menés.

La question que vous avez déjà posée mais que je repose différemment est que, dans le rapport auquel je faisais allusion, nous évoquions non seulement l’idée d’un ministre de la zone euro, mais également celle d’un « Sénat européen » qui permettrait d’articuler les parlements nationaux. Cette idée, que vous reprenez en partie sous d’autres formes, serait sans doute à creuser et à revoir, à la lumière des évolutions de la Conférence budgétaire mise en place par l’article 13 du TSCG a évolué depuis 2013.

Au-delà de cela, il y a cette logique, que vous avez rappelée, selon laquelle la zone euro est un premier cercle de référence. Il faudra aussi trouver comment préciser les dimensions sociales de l’Union économique et monétaire. Vous avez évoqué ce point et il a également récemment été mis en avant par Jacques Delors qui vient de faire une très belle introduction d’un travail collectif. Cette problématique se posera avec d’autant plus d’acuité que le Brexit nous éclaire sur un certain nombre de dysfonctionnements au sein de l’Union européenne. Je voulais donc vous remercier et vous encourager à continuer ce travail et à l’approfondir, car il me semble très prometteur.

M. Pierre Lequiller. J’ai pris connaissance du sujet à travers les documents qui m’ont été fournis et je suis certain que les propositions de nos collègues sont excellentes. Ce qui m’interpelle - et je reviens à ce que j’ai dit lors de la réunion d’hier -, c’est que cela fait des années que nous évoquons l’approfondissement de la zone euro, que nous disons que nous ne pouvons pas avoir une Banque centrale européenne sans avoir une organisation de la zone euro.

Vous avez cité Jacques Delors, je mentionnerai également Valéry Giscard d’Estaing, qui, au moment de la Convention sur l’avenir de l’Europe et dans son livre, publié il y a un an, « Europa », fait également des propositions en la matière.

Je constate que les lignes sont de nouveau en train de bouger du fait du Brexit mais je crains que cet élan ne retombe, une fois résolues les questions ouvertes par le Brexit. Ce qui me navre, c’est que la France n’a rien proposé concernant l’approfondissement de la zone euro dont nous discutons pourtant depuis si longtemps.

Un changement comme celui-ci demande une préparation, des contacts permanents et une véritable diplomatie organisée. Je n’ai pas l’impression que nous ayons développé ces aspects pendant les quatre ans qui ont précédé et je crains malheureusement que l’approfondissement de la zone euro ne soit pas réalisé dans un proche avenir. En effet, je constate les différences de points de vue entre les Allemands et les Français et il faut avoir à l’esprit que faire des propositions est un bon début mais il est nécessaire ensuite de les négocier, de les discuter et il faut aujourd’hui prendre en compte le fait que les pays de l’Europe de l’est souhaitent s’occuper de l’avenir de l’Europe.

M. Bruno Gollnisch, membre du Parlement européen. J’ai écouté avec beaucoup d’intérêt votre présentation, et je m’empresse de souligner que, bien que nous soyons de formations politiques aux avis divergents voire opposés, je suis prêt à être entendu, si vous l’estimez utile, par votre Commission afin de vous éclairer sur ce qu’on désigne, d’un terme méprisant, le populisme et sur les véritables raisons du rejet de l’Europe qui s’est manifesté notamment en Grande-Bretagne. Ce qui m’interpelle, concernant les propositions que vous faites – et je le dis sans esprit critique systématique -, c’est qu’elles vont toujours dans le sens d’un renforcement institutionnel. Or, il y a déjà énormément d’institutions européennes : il y a le Conseil de l’Union européenne, la Commission européenne, le Parlement européen, élu au suffrage universel, la Cour de Justice de l’Union européenne, le Comité des régions, la Cour de comptes, le Médiateur européen, la Banque centrale européenne, et je crains que la solution ne soit pas dans celles qu’à mon avis vous avez esquissées, c’est-à-dire l’approfondissement ou l’harmonisation. En effet, l’approfondissement et l’harmonisation débouchent, en réalité, sur l’unification.

Si l’on prend, par exemple, la fiscalité. Nous avons essayé d’harmoniser la fiscalité indirecte, c’est-à-dire la TVA et les droits d’accises. Il est clair qu’il n’est pas possible d’harmoniser seulement la fiscalité indirecte si la fiscalité directe ne l’est pas. Il n’est pas possible de ne pas harmoniser également les charges sociales. Par conséquent, nous serons, mécaniquement conduits à empiéter de plus en plus sur les compétences des États membres. L’harmonisation est ainsi, tout d’abord, une opération extrêmement difficile, qui échoue dans un certain nombre de cas et c’est, ensuite un exercice qui suscite souvent un rejet populaire dans la mesure où les citoyens ont l’impression que leur autonomie et leurs libertés publiques leur échappent.

Je pense que la solution au problème que vous posez serait davantage dans la multiplication des coopérations ponctuelles, car c’est ce qui fonctionne en Europe. Que nous cite-t-on en exemple pour illustrer les succès européens ? Airbus, qui est un consortium industriel, Ariane Espace ou encore le Centre d’étude et de recherche nucléaire qui fait des expériences sur l’origine de la matière : autant d’exemples qui évoluent dans un cadre institutionnel différent de celui de l’Union européenne. Dans le cas de l’Union européenne, il y a parfois de bonnes réalisations. Je pense, par exemple, aux échanges Erasmus, au projet Galileo, système de positionnement par satellite indépendant des États-Unis d’Amérique.

Pour conclure, je pense donc qu’il faudrait multiplier les projets concrets qui ont une visibilité pour les citoyens et sur lesquels il est possible de réaliser un bilan, en se demandant ce que cela coûte et quels sont les bénéfices que nous en retirons. Je crois que si la visibilité de l’Union européenne était améliorée, on contribuerait peut-être à la rendre plus acceptable par les opinions publiques.

M. Gilles Savary. Je voudrais remercier nos collègues de ce travail qui sera un travail de longue haleine, qui s’inscrit dans des réflexions anciennes et qui se heurte malheureusement à la terrible réalité des choses. En effet, nous évoquons l’idée d’une intégration nouvelle mais nous n’avons pas de majorité très claire pour mettre en œuvre les réformes nécessaires, et ce dans aucun domaine.

Ce que je constate, c’est que la zone euro est légitime pour être, s’il existe un jour, le champ d’une intégration supplémentaire et plus approfondie. La monnaie est, de ce point de vue-là, un lien indissoluble et elle suppose des régulations qui n’ont pas été mises en place. L’ensemble des économistes expliquent en effet une partie des crises de divergence et des crises budgétaires en zone euro par le fait qu’il n’y a pas, dans une zone monétaire unique, de régulation budgétaire unique. Nous avons mis en place un placebo, nommé Traité sur la stabilité la Coordination et la Gouvernance, qui est intergouvernemental, renforcé le contrôle budgétaire avec le Six pack, le Two pack : en somme, des procédures lourdes pour faire régner une discipline budgétaire qui peine d’ailleurs à s’imposer.

Je pense que si nous voulons sauver l’euro, indépendamment de toute approche philosophique de la construction européenne, nous devrons resserrer la régulation. Ainsi, il semble que l’Euro invite à un pas d’intégration supplémentaire. Je suis également de ceux qui pensent que la génération d’après Mitterrand et Kohl ne l’a pas fait et les conséquences se retrouvent aujourd’hui. Nous avons laissé dériver les choses, nous avons laissé pédaler le vélo intergouvernemental et laisser tomber le vélo intégrateur ou communautaire, ce qui nous arrive était donc prévisible. Un lien avait été fixé par Mitterrand et Kohl et il manquait le lien supplémentaire pour que l’édifice tienne.

Je pense que cette réflexion est très franchement télescopée par ce qui s’est passé en Grande-Bretagne, ce qui nous amène d’abord à une réflexion sur l’avenir de l’Union. Je pense également qu’il n’est pas possible de faire l’impasse sur la tonalité de l’Assemblée nationale qui s’est exprimée hier, tonalité quasi unanimement à tout le moins intergouvernementale, voire nationale régressive. Que l’on adhère ou pas aux propositions qui ont ou être formulées, il va nous falloir les prendre en compte et je crois que nous dans une phase de dynamique intergouvernementale.

Dans ce cadre, il nous fait réfléchir et débattre d’un certain nombre de questions. N’y aurait-il pas des choses qu’il faut remettre aux nations ? N’y en aurait-il pas quelques-unes, très rares, qu’il faudrait remonter à Bruxelles ? Je connais l’ambiguïté et le double discours ambiant. Tout le monde pense qu’il faut faire l’Europe de la défense, sous-entendez, à condition que nous gardions notre souveraineté militaire. Donc, il n’y a pas d’Europe de la défense. D’un autre côté, on entend qu’il faut faire l’Europe sociale, à condition qu’il y ait un salaire minimum français, la retraite par répartition française, les allocations familiales françaises et tout en gardant le même niveau d’indemnisation qu’en France. Nous évoquons également une Europe des frontières. Peut-être qu’elle sera plus facilement réalisable sous la contrainte des événements qui ne font que commencer et qui seront permanents. Il sera nécessaire, à terme, de définir une politique d’asile, une politique migratoire communes. Cela interpelle aussi des souverainetés et des questions sensibles comme celle de la nationalité.

Bruno Gollnisch nous disait tout à l’heure qu’il faut réaliser des choses concrètes. Je connais son tropisme par rapport à l’Europe mais je suis de ceux qui pensent qu’elle met en œuvre presque trop de choses concrètes. En réalité, nos citoyens ne supportent plus les normes, les petits détails, les fromages qu’il faut réfrigérer, l’oiseau qu’il faut protéger… Ce qui est fait par l’Europe aujourd’hui est vraiment concret. Je ne dis pas qu’il faut tout démanteler mais il faudrait peut-être un peu plus de subsidiarité dans certains domaines car on s’aperçoit que ce mode de fonctionnement ne marche pas si bien que cela et qu’il heurte les peuples.

Je pense, effectivement, qu’il faut que nous accélérions sur l’approfondissement de la zone euro et que nous posions des questions sur la sécurité, la défense et les frontières, probablement simultanément si ce n’est plus vite. Je trouve que la discussion sur la zone euro apparaît un peu académique quand elle est télescopée par le Brexit et je pense qu’il faudra peut-être la replacer dans quelque chose de plus vaste. En tout état de cause, il ne faut pas l’abandonner.

Je souhaiterais terminer sur la démocratisation. C’est un sujet très important mais je me permets de suggérer qu’il ne faut pas penser démocratisation en pensant Parlement. On a tendance à dire, lorsqu’il faut démocratiser les choses, qu’il faut un Parlement. Je pense que nous sommes, hélas, au-delà du miroir : c’est-à-dire que les parlementaires eux-mêmes ne sont pas reconnus comme des éléments de démocratisation. Il faudra réfléchir à quelque chose d’autre.

M. Pierre Lequiller. Je voulais simplement dire que j’étais totalement d’accord avec l’analyse que vient de faire Gilles Savary sauf que l’Europe a souvent bougé au moment de crises. Nous l’avons d’ailleurs constaté, elle est issue d’une guerre. Nous pouvons également penser que le Brexit sera l’occasion de faire en sorte que la zone euro soit beaucoup plus solide et beaucoup plus approfondie. Je ne suis donc pas aussi sceptique que Gilles Savary.

M. Bruno Gollnisch. Je suis également d’accord avec ce qu’exprime Gilles Savary. J’espère ne pas le compromettre. Je voulais seulement préciser que les normes ne rentrent pas de ce que j’appelle les réalisations concrètes car elles ne sont pas des réalisations, ce sont des contraintes et le problème est que l’Europe empile les règles, les normes, les contraintes et qu’elle ouvre le marché à des pays qui n’ont pas les mêmes normes, règles et contraintes. Il y a là un paradoxe qui est parfois assez dévastateur.

La Présidente Danielle Auroi. J’aimerais insister sur deux choses qui me paraissent importantes. Tout d’abord, nous sommes au début du travail, nos collègues l’ont précisé, et les réflexions à venir devront prendre en compte le Brexit. Par ailleurs, concernant la volonté politique, je voudrais préciser que la zone euro n’est pas simplement synonyme d’une monnaie commune et je rejoins tout à fait ce qu’ont dit Gilles Savary et Pierre Lequiller, chacun à leur manière.

Enfin, que va-t-il se passer si le cinq juillet, c’est-à-dire dans un avenir très proche, la Commission européenne rappelle à l’ordre l’Espagne et le Portugal parce qu’ils n’ont pas respecté leurs engagements budgétaires ? Quel sens cela donnera-t-il à l’Union économique et monétaire ? J’aimerais rappeler que ce qui s’est joué dans le débat sur le Brexit, c’est également une rupture entre les classes sociales qui s’appauvrissent et les classes sociales minoritaires qui s’enrichissent.

Je crois, en tout état de cause, que vous avez beaucoup de travail en perspective et que vous avez bien ouvert les débats.

M. Philip Cordery, co-rapporteur. Je vous remercie de ces premiers échanges qui enrichiront tous nos travaux. Concernant la question de Madame la Présidente sur un « Sénat européen », je pense que c’est l’ensemble de la logique parlementaire que nous traiterons et il est évident que cette question fera partie de nos réflexions. Par ailleurs, comme nous l’avons mentionné, les dimensions sociales et fiscales seront bien évidemment traitées.

Je suis d’accord avec Pierre Lequiller s’agissant des propositions : cela fait des années que nous le disons mais nous ne le faisons pas. Je crois toutefois que l’urgence aujourd’hui est réelle car nous sommes complètement au « milieu du gué ». En effet, nous avons réalisé un certain nombre de choses, Gilles Savary l’a très bien exprimé. Nous avons des cadres politiques : nous avons la monnaie unique, nous avons fait des progrès dans la coordination budgétaire, mais il nous reste tout un chemin à parcourir. Aujourd’hui, deux options se présentent : celle de tout arrêter et de sortir de l’Union européenne et celle que nous voulons soutenir, qui est de construire et de consolider la zone euro pour en faire un espace qui soit solide et qui fonctionne.

Je suis un peu moins pessimiste que Gilles Savary, et je crois qu’aujourd’hui, comme le disait Pierre Lequiller, le Brexit peut sonner comme une alerte et une injonction à agir pour éviter le délitement de l’Union européenne. La zone euro peut être le véhicule de cette intégration renforcée que je ne limite pas, pour ce qui me concerne, aux questions économiques et monétaires. J’ai l’impression qu’un certain nombre d’autres États sont dans la même logique que le Royaume-Uni, notamment ceux qui ne sont pas dans la zone euro, comme la Suède ou au Danemark. Je pense que certains États seront très satisfaits d’avoir une Union européenne plus lâche, plus diluée mais, dans ce cas-là, il sera nécessaire que l’actuelle zone euro fasse l’objet d’une construction politique, comme l’a dit la Présidente et devienne le moteur du renforcement de l’intégration, que ce soit en matière sécuritaire ou sur des sujets autres qu’économiques et monétaires. Nous aurons le temps d’y revenir dans les semaines qui viennent.

M. Arnaud Richard, co-rapporteur. Je partage cette analyse et je trouve satisfaisant que nous en puissions en discuter au-delà du débat qui s’est tenu hier dans l’hémicycle. Concernant les propos de Gilles Savary en particulier, il est vrai que les États membres ont préféré se battre pour garder leur souveraineté sur beaucoup d’aspects, il faut le dire. Frontex en est un exemple criant. Nous pouvons critiquer cette agence mais elle n’est que ce que nous avons voulu en faire, c’est-à-dire, somme toute, pas grand-chose. Ainsi, nous nous posons la question de la résolution d’un problème pour lequel nous n’avons pas voulu avoir les outils pour le résoudre.

À propos des parlements, Gilles Savary parlait d’États et de normes, c’est un sujet intéressant. Je suis un Européen convaincu mais je ne vois pas comment nous allons arrêter ce monstre administratif, je n’ai pas de réponses à apporter.

Enfin, un dernier point concernant la France. Nous sommes très « schizophrènes » puisque, sauf erreur de ma part, c’est effectivement le président de la République qui siège au Conseil européen. Pour ce qui nous concerne, nous auditionnons le ministre en charge des affaires européennes avant et après le Conseil, mais ce n’est pas suffisant. En Allemagne, la chancelière est sous la contrainte de sa majorité et cela change beaucoup de choses. Cela veut dire que plutôt que de ne parler d’Europe qu’à la veille des élections européennes, nous devrions en parler beaucoup plus souvent. En Allemagne, c’est un sujet quotidien de la chancelière et dont notre Gouvernement devrait également s’en emparer quotidiennement.

La Présidente Danielle Auroi. Il faut changer la Vème République !

M. Arnaud Richard, co-rapporteur. Changeons la Vème République s’il le faut, envoyons le Premier ministre au Conseil européen !

La séance est levée à 17 h 30

Membres présents ou excusés

Commission des affaires européennes

Présents. - Mme Danielle Auroi, M. Christophe Caresche, M. Philip Cordery, M. Pierre Lequiller, M. Arnaud Richard, M. Gilles Savary

Excusés. - M. Kader Arif, M. Bernard Deflesselles, M. Lionnel Luca

Assistait également à la réunion : M. Bruno Gollnisch, membre du Parlement européen