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Commission des affaires européennes

Mercredi 5 octobre 2016

9 h 45

Compte rendu no 307

Présidence de Mme Danielle Auroi Présidente et de M. Gilles Carrez, Président de la commission des Finances

I. Audition de M. Pierre Moscovici, commissaire européen en charge des affaires économiques et financières, conjointes avec la commission des Finances

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mercredi 5 octobre 2016

Présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente de la Commission
et de M. Gilles Carrez, Président de la commission des Finances

La séance est ouverte à 9 h 50.

I. Audition de M. Pierre Moscovici, commissaire européen en charge des affaires économiques et financières, conjointes avec la commission des Finances

Le président Gilles Carrez. Monsieur le commissaire, nous vous avons déjà reçu en mai 2015, en novembre 2015 et, tout récemment encore, le 8 juin dernier.

La fréquence de nos rendez-vous est tout à fait justifiée. Ainsi, nous vous recevons aujourd’hui alors que nous venons à peine de commencer l’examen du projet de loi de finances (PLF) pour 2017. Or, les perspectives économiques tracées par le Gouvernement et les mesures contenues dans ce PLF suscitent le scepticisme : ce n’est pas moi qui le dis, mais le Haut Conseil des finances publiques.

Nous attendons donc, monsieur le commissaire, que vous nous donniez votre sentiment sur les hypothèses économiques associées au projet de loi de finances et sur la conformité de la trajectoire de nos finances publiques à nos engagements européens : pensez-vous que le déficit de nos finances publiques pourra être inférieur à 3 % du PIB en 2017 ? Le Haut Conseil des finances publiques, dont nous recevions le président la semaine dernière, jugeait incertaine la réalisation de cet objectif.

La présidente Danielle Auroi. L’année 2016 aura été une année particulière en Europe à plusieurs égards.

Je pense en premier lieu à la perspective du Brexit, qui anime depuis juin les débats politiques nationaux et européens, faisant peser une incertitude sur ses conséquences économiques. Plus que jamais, nous devons réaffirmer notre volonté d’avancer vers une union plus solidaire, bâtisseuse de paix, plus proche du citoyen. Le sommet de Bratislava est-il une illustration de cette volonté commune, comme du chemin qu’il nous reste à parcourir, ou bien seulement le train-train habituel ?

Je pense également – et nous avons déjà eu l’occasion de l’évoquer avec vous, monsieur le commissaire – aux défis supplémentaires et d’actualité, – et à leurs conséquences budgétaires –, que représentent pour l’Union européenne la menace terroriste d’une part et la gestion de la crise des réfugiés d’autre part. Car les engagements pris par les chefs d’État et de gouvernement pour répondre à ces deux défis impliquent, au plan budgétaire, des dépenses supplémentaires dans un contexte de finances publiques dégradé, non seulement en France, mais aussi en Espagne et au Portugal, sans parler de la Grèce.

Ce contexte étant rappelé, je souhaiterais vous entendre, monsieur le commissaire, sur les perspectives de réforme des règles du pacte de stabilité et de croissance. La plupart des critiques qui sont formulées à son encontre ne sont pas nouvelles, mais il me semble que la récente décision de la Commission européenne concernant les sanctions vis-à-vis de l’Espagne et du Portugal nous invite à réexaminer les règles en vigueur ou la façon dont elles sont appliquées.

Comme chaque année à l’automne, les regards se tournent vers la Commission européenne dont l’avis sur les projets de budget nationaux doit être rendu et l’examen annuel de croissance publié. À l’approche du lancement du semestre européen 2017, pouvez-vous nous indiquer, monsieur le commissaire, quelles pourraient être les priorités de politique économique de la Commission européenne pour l’année à venir ?

Par ailleurs, l’année 2016 a été riche en initiatives de la Commission européenne en matière fiscale. Nos deux co-rapporteurs Isabelle Bruneau et Marc Laffineur suivent ces sujets.Les avancées réalisées dans un domaine où l’unanimité est de mise constituent des raisons de se montrer optimiste. Je pense en particulier au paquet anti-évasion fiscale et aux améliorations récentes apportées par touches successives au cadre de la coopération entre administrations fiscales et à la lutte anti-blanchiment.

Je voudrais vous entendre, monsieur le commissaire, sur le prochain paquet fiscal annoncé sur la fiscalité des entreprises. Les travaux sur une assiette commune consolidée pour l’impôt des sociétés (ACCIS), qui n’ont pas abouti à ce jour, ont-ils une chance de produire des résultats rapides ?

Enfin, comme je le fais désormais à chacune de vos auditions, je voudrais savoir, monsieur le commissaire, où en sont les travaux sur l’instauration d’une taxe sur les transactions financières (TTF) ? À la veille de la COP22, les engagements pris à la COP21 sous-entendent en effet une solidarité avec les pays du Sud via le financement de la coopération décentralisée.

M. Pierre Moscovici, commissaire européen aux affaires économiques et financières, à la fiscalité et aux douanes. Il est logique qu’il y ait une certaine régularité dans nos échanges, qui correspondent aux différentes étapes du semestre européen. Il est en effet tout à fait nécessaire que le commissaire européen en charge des questions financières puisse venir s’expliquer deux fois par an devant les commissions, au moment où nous devons traiter de ces questions et où les projets et avant-projets de budgets nous parviennent.

Le moment est propice non seulement à cause du semestre européen, mais aussi parce que nous sortons d’une séquence jalonnée par le discours sur l’état de l’Union tenu par le président Jean-Claude Juncker devant le Parlement européen, par le sommet des vingt-sept à Bratislava et par un panorama des finances publiques en France qui se précise, tandis que de nombreuses initiatives européennes sont en préparation, notamment dans le domaine de la fiscalité.

Le discours du président Juncker et la réunion de Bratislava interviennent dans un contexte très compliqué pour l’Union européenne. Premièrement, bien que la crise économique soit derrière nous, nous ne saurions nous satisfaire d’une croissance languissante, substantiellement inférieure à 2 %, tandis que le chômage se réduit à une vitesse beaucoup trop lente, à partir de niveaux beaucoup trop élevés. Deuxièmement, la crise des réfugiés a révélé la porosité de notre frontière externe ; cela alimente en retour la défiance à l’endroit de la mobilité à l’intérieur de l’Union européenne. Ainsi affleurent des problématiques demandant des réponses qui sont assez compliquées à définir. Troisièmement, la menace terroriste, qui pèse sur notre sécurité intérieure et extérieure, pose aussi des questions sur la manière dont nous travaillons ensemble.

Dans ce contexte politique, les forces populistes eurosceptiques montent, phénomène durable tant à l’est, en Hongrie et en Pologne par exemple, qu’à l’ouest de l’Europe. À cela s’ajoute la perte à venir de l’État important qu’est le Royaume-Uni. Or les opérateurs économiques n’aiment pas l’incertitude. Le ministre des finances britannique, M. Philip Hammond, a lui-même déclaré que l’on peut s’attendre à une évolution en yo-yo ou en montagnes russes, phénomène qui peut se prolonger pendant les négociations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne.

Les conséquences de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne ne sont pas données. La Commission européenne fera part de ses prévisions économiques en novembre. Elle devrait annoncer une baisse de la croissance européenne comprise entre 0,1 % et 0,5 %, et une baisse comprise entre 1 % et 2,5 % pour le Royaume-Uni, en 2017. La fourchette est large, dépendant à la fois de la date et de la manière dont cette sortie a lieu. Du moins la date de déclenchement de l’article 50 – d’ici mars prochain – est-elle connue depuis le congrès du parti conservateur le week-end dernier.

Si le flottement perdure et que les négociations avec le Royaume-Uni sont conflictuelles – la Commission européenne veut plutôt, quant à elle, des négociations principielles, reposant sur la reconnaissance des quatre grandes libertés consacrées par les traités –, il y a un risque que les opérateurs économiques deviennent nerveux.

L’autre risque, de nature politique, est que des ressources énormes vont être investies dans la défaisance d’une telle relation, négociation d’une ampleur jamais connue. Le Conseil a désigné le Belge Didier Seeuws comme négociateur et le Parlement européen le Belge Guy Verhofstadt ; la Commission, possédant le savoir-faire et les équipes, jouera naturellement un rôle premier, et a nommé – je m’en réjouis – notre compatriote Michel Barnier, qui a pris ses fonctions lundi et que j'ai rencontré.

Il est très important que l’Europe ne se mette pas sur le mode « pause ». L’on ne peut être bloqué pendant deux ans, ou un peu plus, parce qu’il y a la perspective du Brexit. C’est pourquoi il fallait que le président Juncker s’exprime. Il était nécessaire aussi que la réunion de Bratislava ait lieu, pour envoyer le signal que l’Europe va continuer et qu’elle ira de l’avant, en faisant de propositions. Il fallait également donner une impulsion aux grands chantiers du marché intérieur, par exemple l’Union des marchés de capitaux ou le marché numérique unique, sujets communs à la zone euro et aux vingt-sept, et même aux vingt-huit, à l’Est et à l’Ouest, au Nord et au Sud.

Il fallait aussi renouer avec les préoccupations immédiates et quotidiennes de nos concitoyens. Le président Juncker a par exemple proposé d’équiper chaque village d’un accès internet sans fil gratuit autour des principaux centres de la vie publique. Il faut aussi aller à la rencontre des citoyens et de leurs représentants. C’est l’une des motivations de ma présence ici : tous les commissaires sont présents au cours de ces semaines devant le parlement de leur pays d’origine.

Je voudrais, à cet égard, mettre en avant cinq grandes bonnes nouvelles pour la France.

Premièrement, l’Europe de la défense commence enfin à prendre chair, grâce à un fonds européen de la défense, à la mise en commun des capacités de défense des États membres prêts à le faire et grâce à la création d’un quartier général unique. Tout cela dessine la possibilité d’une véritable politique de défense pour l’Union européenne et, pour la France, la perspective d’une charge mieux répartie en matière de défense. Car cette demande est légitime, même si elle ne doit pas se traduire par un quelconque assouplissement des règles budgétaires. Le partage de charges est quant à lui un problème qui existe.

Deuxièmement, le plan Juncker apporte un soutien ferme à l’investissement. Doublé dans sa durée pour aller jusqu’en 2022, il sera étendu quant à son montant, pour atteindre au moins 500 milliards d’ici 2020. Ce plan fonctionne, plus de 120 milliards d’euros ont déjà été engagés. La France en est le premier bénéficiaire à ce jour, pour un montant supérieur à quinze milliards d’euros, avec 16 des 64 grands projets retenus et soutenus, qui devraient créer plus de 32 000 emplois. Forts de 6,3 milliards d’euros, les accords de financement devraient bénéficier à plus de 38 000 petites et moyennes entreprises (PME). C’est une bonne nouvelle pour l’économie de l’Hexagone, ainsi dynamisée, et cela est dû au fait que les priorités du plan correspondent assez bien à notre appareil productif, que ce soit dans le domaine du numérique, des économies d’énergie ou des nouvelles formes de mobilité, tandis que BPI France et la Caisse des dépôts et consignations se révèlent de bons relais publics et parapublics.

Troisièmement, la Commission européenne n’entend pas oublier la dimension sociale. Aussi a-t-elle maintenu le projet de révision de la directive sur le détachement des travailleurs. Les abus qui en sont faits alimentent l’idée que l’Europe est responsable de l’alignement par le bas des normes et conditions de travail, ce que nous ne voulons pas.

Quatrièmement, dans le domaine de la sécurité intérieure, le corps européen de garde-côtes et gardes-frontières permettra de renforcement la surveillance des frontières. L’Union européenne devrait aussi instituer un registre d’identification comparable à celui de l’electronic system for travel authorization (ESTA) américain pour les entrées et sorties de l’Union européenne.

Cinquièmement, l’agenda de lutte contre l’évasion fiscale progresse de manière très substantielle.

Ainsi, ce discours et ce sommet ont dessiné une Europe plus modeste et plus concrète, qui répond mieux, aussi, au besoin de protection qu’expriment nos concitoyens.

À mon sens, il faut cependant faire plus dans le domaine économique. Même si la réunion de Bratislava a eu lieu à vingt-sept, et non à dix-neuf, entre membres de l’Union économique et monétaire, je regrette que les sujets économiques aient été le parent pauvre des questions en discussion. Car ce serait une faute politique de ne pas approfondir la zone euro ; l’on ne saurait en faire l’impasse.

S’agissant du semestre européen, l’avant-projet de budget français doit nous être adressé officiellement pour le 15 octobre, mais nous avons déjà commencé les discussions avec les autorités françaises. Elles se sont engagées à ramener le déficit public à 2,7 % en 2017, ce qui correspond au programme de stabilité et à la recommandation pour la France, qui est d’arriver à 2,8 % pour 2017. C’est donc un bon signal.

La Commission attend que le solde de 2017 se situe effectivement sous les 3 %, comme la France s’y est engagée, et que cela soit effectif. Comme ministre des finances, puis comme commissaire européen, j’ai vu comment la France a obtenu deux fois un report de deux ans de ses objectifs. Il n’y aura ni nouveau délai, ni exception.

Certes, j’ai pris connaissance de l’avis du Haut Conseil des finances publiques, qui m’avait d’ailleurs entendu en audition récemment. Mais la Commission européenne fera son propre travail, sur le fondement des éléments présentés et selon sa propre méthodologie. Dans les documents français, certaines décisions sont par exemple réputées prises, mais sont-elles effectivement tenues ?

Quant à la réalisation de l’objectif de déficit, je ne dirais pas qu’elle est « improbable », mais qu’elle est « jouable », si l’on tient compte de certaines remarques et de certains paramètres : le niveau de la croissance, l’effort de réduction du déficit structurel et les reports de charges.

Avec l’appui de la direction générale ECFIN de la Commission européenne, je pense que nous pouvons dire que le déficit public français peut passer sous la barre des 3 % en 2017. Car il faut tenir ce cap. Certes, il y a des échéances électorales. Mais seule une réduction durable du déficit peut faire sortir la France de la procédure de déficit excessif où elle se trouve. Non seulement le projet de loi de finances pour 2017, mais son exécution, ainsi que le projet de loi de finances pour 2018 seront pris en compte.

Je voudrais élargir le débat. La France doit tenir ses objectifs non pour faire plaisir à la Commission européenne, mais pour elle-même, pour sa stature politique en Europe, pour sa performance économique. Les déficits n’ont pas de vertu magique. En Allemagne, il n’y a pas de déficit et le pays connaît quasiment le plein emploi. En Espagne, le déficit s’élève à 5 % et le chômage atteint 20 %. Il n’y a donc pas de lien direct entre l’augmentation du déficit et l’emploi. Pour ma part, je ne verrais pas d’intérêt à ce que la France soit, avec l’Espagne, l’un des deux seuls pays qui soient en procédure de déficit excessif en 2017 et ensuite.

Ma conviction profonde est que l’influence de la France au sein de l’Union européenne dépendra de sa capacité à respecter sa parole et à maîtriser ses dépenses publiques dans la durée. L’on parle beaucoup du compromis politique franco-allemand. Je crois aussi qu’il sera fondamental après les élections en France et en Allemagne en 2017. Il peut faire l’objet d’ajustements sur certaines politiques structurelles, mais cela ne sera possible que si la France respecte sa parole.

Madame la présidente Auroi, cela ne fait pas des règles européennes un totem, ni dans les textes, ni dans les pratiques. D’abord, le pacte de stabilité et de croissance a progressivement intégré de la flexibilité dans son appréciation des cycles économiques, de la croissance, de l’inflation et des investissements. Il m’a été parfois reproché d’avoir encouragé des décisions qui ont été jugées comme approximatives à l’endroit de l’Espagne et du Portugal. Mais je les revendique et je les assume ! La vertu du pacte n’est pas de sanctionner ou de punir. Elle est de convaincre, d’inciter, de pousser à faire des réformes. Le pacte n’est donc plus le carcan rigide et procyclique de ses débuts.

J’ajoute que la Commission est ouverte à une nouvelle évolution des règles du pacte, non certes pour remettre en cause l’objectif des 3 % – ce débat n’existe qu’en France, je vous l’assure –, mais pour simplifier les règles. Quand elles sont difficiles à expliquer, voire à comprendre, quelle légitimité peuvent-elles avoir ? Il en va aussi de la cohérence économique. Des subtilités telles que le calcul de la croissance potentielle, ou output gap, créent des difficultés conceptuelles, alors que les décisions doivent être assises sur des concepts intangibles et incontestables. Mais ne mettons pas en cause les traités ; il n’y a nulle part en Europe de candidat pour revenir sur la règle des 3 %. Laquelle n’est d’ailleurs pas dans le pacte de croissance, mais remonte au traité de Maastricht, ratifié en France par référendum il y a vingt-quatre ans.

S’agissant de la fiscalité, autre volet de mon portefeuille, des changements profonds sont à l’œuvre depuis deux ans. Nous avons mis fin au secret bancaire, qui protégeait les évadés fiscaux. Le temps est révolu des échanges à la demande entre pays, pour savoir si untel avait un compte en Suisse et obtenir ensuite des réponses rapides ou lentes, complètes ou non, sur une banque mais non sur une autre, voire aucune réponse... Nous avons désormais des accords d’échange automatique d’informations sur les comptes des non-résidents avec la Suisse, le Liechtenstein, Saint Marin, Monaco et Andorre. Il n’y a donc plus de secret bancaire, non seulement dans l’Union européenne, où il n’y en avait pas, mais en Europe plus largement.

Nous avons aussi introduit de la transparence entre les administrations fiscales nationales afin qu’elles cessent de se cacher des informations sensibles, grâce à des échanges d’information sur les rescrits fiscaux. C’est la conséquence des fameux LuxLeaks : la directive a été adoptée en seulement sept mois. En janvier, j’avais proposé un bouclier anti-fraude fiscale qui comprend des règles contraignantes pour mettre fin, un par un, aux mécanismes les plus couramment utilisés par les entreprises pour contourner l’impôt. Les entreprises multinationales doivent payer des impôts là où elles génèrent des profits : tel est notre slogan.

Dans ce cadre, la décision relative à Apple marque un moment fondateur, même s’il ne faut y voir rien d’autre qu’une application des règles européennes, non une décision anti-américaine. L’approche vaut pour toutes les entreprises, quelle que soit leur nationalité, à partir du moment où elles agissent dans l’Union européenne.

La directive contre l’évasion fiscale a été adoptée encore plus vite, en cinq mois. De nouvelles règles de coopération se sont mises en place entre les fiscs nationaux, qui vont échanger des informations sur les activités des multinationales, pays par pays : montant du chiffre d’affaires, bénéfice avant impôt, impôt acquitté et dû, nombre d’employés. C’est ce qu’on appelle le country-by-country reporting. La Commission européenne souhaite qu’il soit public. Je ne vois pas de contradiction entre la transparence et la compétitivité. Quand l’Assemblée nationale avait adopté le texte que je lui présentais sur les banques, cela ne les a pas pénalisées. L’Allemagne est réticente, mais le Royaume-Uni était jusqu’à présent très proactif sur la question, alors que son économie est très ouverte. Sans se désarmer, il faut avancer dans ce domaine.

J’en viens à l’agenda fiscal des prochains mois, tout aussi ambitieux. S’agissant de l’impôt sur les sociétés, nous allons relancer le projet ACCIS, relatif à l’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés. En fournissant un seul ensemble de règles obligatoires pour les entreprises, il réduira leurs charges administratives et comptables et limitera les possibilités d’arbitrage fiscal. C’est bon pour la lutte contre l’évasion fiscale, bon pour les entreprises, bon pour les citoyens.

Une réforme ambitieuse de la TVA est prévue. Je proposerai en 2017 un régime qui permettra enfin d’endiguer la fraude transfrontalière à la TVA, qui s’élève à 160 milliards d’euros. Fin novembre, je proposerai aussi une réforme des règles de TVA sur le commerce électronique, où les fraudes sont massives. Par ailleurs, nous allons offrir aux États membres la possibilité d’appliquer aux publications électroniques, livres numériques et presse en ligne, le même taux de TVA qu’aux imprimés. Cela mettra d’ailleurs fin à un contentieux entre l’Union européenne et la France sur cette question. Même si l’on peut, comme moi, préférer l’imprimé, le choix du support doit être neutre sur le plan fiscal.

S’agissant de la taxe sur les transactions financières, nous avons quelques mois pour parvenir à une solution. Les États qui se déclarent prêts à participer à cette coopération renforcée semblent sur le point de s’entendre sur le cadre de définition essentiel de cet impôt. Je me réjouis du soutien de la France. Les prochaines semaines seront à cet égard décisives.

Enfin, nous allons intensifier la promotion de la bonne gouvernance fiscale à l’échelon international. Dans le cadre du G20 et de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), l’Union européenne est à la pointe sur ce sujet. La Commission européenne va mettre en place un instrument puissant, à savoir une liste commune de pays et territoires non coopératifs, assortie de sanctions communes. Il y a quinze jours, nous avons publié une batterie de critères, sur laquelle un dialogue s’est amorcé – la liste n’ayant d’autre fin que d’inciter les États à en sortir.

La liste unifiée devrait voir le jour dans le courant de l’année 2017, avec des sanctions possibles. Il y a dans ce domaine une anomalie européenne. Pour l’heure, seules des listes nationales existent. Alors que le Portugal recense 85 paradis fiscaux, d’autres pays de l’Union européenne, comme l’Allemagne, n’en connaissent aucun. Ainsi, le Panama n’est un paradis fiscal que pour huit États membres, et maintenant neuf puisque la France le reconnaît aussi comme tel désormais. Comme mener une action cohérente sur une base aussi éparse et disparate ?

Nous tenons là une preuve de l’utilité et de l’efficacité de l’Europe. Car ce sont des sujets fiscaux où il n’est pas possible d’agir de manière efficace au niveau national, mais seulement au niveau européen, voire au niveau mondial. À travers sa législation et son action, l’Europe montre toute son efficacité sur ces sujets.

Mme Valérie Rabault, rapporteure générale. Avec quarante autres parlementaires, je vous avais écrit à propos de l’output gap, pour mettre en avant la complexité non de son calcul, mais du choix des hypothèses sous-jacentes. Vous nous aviez répondu qu’il serait possible de les modifier en septembre. Nous sommes en octobre : qu’avez-vous fait ou que n’avez-vous pas fait, qu’est-ce qui est en cours ? Quel est l’horizon temps sur lequel nous pouvons nous projeter ? Je rappelle que le Haut Conseil des finances publiques fonde une partie de son avis sur ce concept d’écart avec la croissance potentielle.

Le traité de Maastricht prévoit une souplesse quand un État encourt des dépenses exceptionnelles. Pourriez-vous nous donner la liste des pays qui vous ont sollicité à ce titre pour les dépenses supplémentaires encourues du fait de la lutte contre le terrorisme, qui a conduit à un renforcement de leurs mesures de sécurité ? Que leur avez-vous répondu ?

M. Dominique Lefebvre. Monsieur le commissaire, j’ai compris que, s’agissant de la trajectoire de redressement des finances publiques, la Commission, avec ses propres critères, ne s’aventurerait pas à juger probable ou improbable la réalisation des objectifs, mais rappellera plutôt les voies pour y parvenir. Je me félicite de cette approche.

Une campagne est orchestrée en France pour préparer les esprits à un retour en arrière. Un débat s’était engagé avec la Commission européenne sur le déficit structurel et le déficit nominal. Avec la rapporteure générale, nous avions mis en avant qu’il n’était pas possible de procéder à un ajustement trop rapide des dépenses de défense et de sécurité, vu la menace terroriste. Mais la trajectoire était tenue. L’on nous dit maintenant que la France accroîtra demain ses déficits, en prétextant que le présent projet de loi de finances serait insincère. C’est pourquoi je trouve intéressant que vous rappeliez les conditions nécessaires à la réalisation de cet objectif.

Au-delà de 2017 et 2018, la France pourrait-elle, moyennant une baisse rapide de ses prélèvements obligatoires, présentée comme liée à des réformes structurelles, et une baisse moins rapide des dépenses publiques, convaincre la Commission européenne d’accepter un déficit à 4 % ou à 4,5 %, avec report à 2022 de l’objectif des 3 % ? Cela serait-il accepté par nos partenaires ? Vous me confirmerez sans doute que ce n’est pas la position de la Commission.

La semaine dernière, nous avons adopté en nouvelle lecture le projet de loi dit « Sapin II », dont l’un des articles fait référence à un projet de directive européenne sur le reporting public. Cette disposition devrait s’appliquer à partir de 2018. Avant même de savoir ce qu’en dira le Conseil constitutionnel, pouvez-vous nous dire dans quel délai la directive européenne pourrait être adoptée et nous préciser si elle va bien dans le même sens ?

M. Hervé Mariton. Monsieur le commissaire, vous nous avez déclaré que la Commission européenne est ouverte à la simplification des règles. Certaines réflexions portent aussi sur la possibilité de faire sortir certaines dépenses, notamment des dépenses de défense, du calcul du déficit. Je suis preneur de votre point de vue sur ce sujet.

Je partage au reste votre inquiétude quant à la persistance d’une culture des déficits dans notre pays. Si, par malheur, la trajectoire de réduction du déficit public n’était pas tenue, que pourriez-vous faire ? J’ai parfois l’impression que la Commission européenne n’est, dans cette hypothèse, armée que d’un sabre de bois.

M. Romain Colas. Il est tout de même paradoxal que ceux qui nous reprochent, depuis cinq ans, de ne pas aller assez vite dans la réduction du déficit annoncent aussi qu’ils sont prêts à envoyer cette trajectoire dans le décor. Quelle serait la réaction de la Commission européenne et quelles seraient les conséquences pour la place de la France dans le concert des nations européennes ?

S’agissant du reporting public et du projet de loi « Sapin II », pouvez-vous nous dire si vous conservez l’ambition de faire adopter avant la fin de l’année la directive européenne à laquelle il fait référence ?

M. Éric Woerth. S’agissant de l’échange automatique d’informations, je vois en ce domaine une belle continuité, car ce combat avait été lancé en 2008 avec l’Union européenne et l’OCDE. C’est pourquoi je me félicite de ses progrès. Nous sommes pour le reste dans un contexte morose, du fait du Brexit et de la faiblesse de la croissance. Le flottement dont vous parlez pourrait, si l’on n’y fait attention, entraîner... la noyade.

Malgré cela, le projet de loi de finances pour 2017, artificiel, fait courir beaucoup de risques. Les dépenses y sont sous-estimées et les recettes surestimées. L’achat de TGV est imputé sur les années 2018 et 2019. Déjà assez faible, la trajectoire de réduction du déficit ne sera pas respectée. La barre des 3 % ne sera pas atteinte. Telle est notre opinion.

Il appartiendra au nouveau gouvernement issu des urnes, en 2017, de s’accommoder d’un point de départ supérieur à 3 %. Il lui faudra changer de braquet et faire les réformes qui n’ont pas été faites, en vue de respecter les normes de dépenses publiques.

Car notre pays ne peut se développer que sur une base de finances publiques saine, loin de tout respect de chiffres abscons. Sous cette législature, la réduction du déficit sera passée plutôt par une hausse des prélèvements obligatoires, même si ceux qui concernent les entreprises ont ensuite baissé pour retrouver en 2017 à peu près leur niveau de 2012. Il convient d’assainir structurellement et non conjoncturellement le budget.

La directive ACCIS semblait avoir été mise sous cellophane. Le projet est maintenant relancé. Tant mieux. Pouvez-vous nous citer d’autres éléments lancés par le couple franco-allemand qui soient aussi importants et connaissent le même sort ?

Mme Karine Berger. Depuis plus de vingt ans, les règles européennes s’appliquent. Dans les différents pays d’Europe, la dette publique s’établit aujourd’hui en moyenne à 90 % du PIB. Après plus de vingt ans, nous n’avons pas, collectivement, réussi à stopper l’endettement public. Certes, monsieur le commissaire, vous avez cité en sens inverse l’exemple allemand. Mais un collègue portugais n’hésitait pas quant à lui à qualifier devant moi cette question de l’endettement dont personne ne parle de véritable éléphant dans la pièce. Plutôt que de définir des règles très fines relatives au déficit public, ne devrait-on pas plutôt s’intéresser de plus près à l’endettement ?

S’agissant de la procédure de déficit excessif, si la France respecte les 3 %, quoi que le président de notre commission ait conseillé dans une interview à la presse qu’elle ne le fasse pas...

Le président Gilles Carrez. Non pas conseillé, mais déploré !

Mme Karine Berger. ... quels seraient les moyens politiques de la Commission européenne de mettre la France en demeure de faire quelque chose ? Le Portugal était menacé de sanctions pécuniaires, à savoir la suspension des aides structurelles. La France peut-elle connaître une suspension des versements de la politique agricole commune (PAC) si elle ne respecte pas le niveau convenu de déficit dans les années qui viennent ?

Vous avez évoqué aussi l’utilisation des règles de la concurrence pour lutter contre l’optimisation fiscale agressive des multinationales. La démarche de votre collègue Margrethe Vestager, qui s’appuie sur la prohibition des aides d’État, est intéressante. Que pensez-vous de la réaction de l’Irlande, qui n’est pas d’accord avec ce qui n’est rien d’autre que l’application des traités de Rome ?

Mme Arlette Grosskost. Je suis d’accord avec notre collège sur l’endettement des pays européens. Pour le plan Juncker, qu’en est-il de son application en France ? Par ailleurs, monsieur le commissaire, que pensez-vous de la politique de liquidités importantes de la Banque centrale européenne (BCE) ? Selon moi, l’investissement est plutôt bloqué à cause des critères prudentiels qui sont imposés aux banques.

Quant à l’harmonisation fiscale, à quelle échéance se produira-t-elle et se fera-t-elle par le haut ou par le bas ?

M. Charles de Courson. Dans le projet de loi de finances pour 2017, le Gouvernement propose de faire passer de 6 % à 7 % le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), pour un coût de 3 milliards d’euros. Grâce au mécanisme du préfinancement, les entreprises en profiteront dès 2017, même si l’incidence budgétaire est enregistrée sur l’année 2018. La Commission européenne réimputera-t-elle cette dépense supplémentaire sur 2017 ou attendra-t-elle 2018 ?

La dotation en capital de 5 milliards d’euros bientôt consentie à Areva, pour sauver cette entreprise n’est pas budgétée dans le projet de loi de finances pour 2017. La requalifierez-vous en dépense budgétaire, aggravant d’autant le déficit public ?

Dans l’hypothèse, non improbable, d’un non respect des 3 % en 2017 –après tout, cela ne serait que la troisième fois que notre pays ne respecte pas ses engagements –, de quelles armes disposez-vous et quelles sont celles auxquelles vous recourrez ? Y aura-t-il par exemple des annulations de fonds structurels ?

M. Éric Alauzet. Certains projets européens avancent : la relance du projet ACCIS d’assiette commune consolidée ; la lutte contre les rescrits fiscaux, ces arrangements entre les États et les entreprises ; les programmes de lutte contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (base erosion and profit shifting, BEPS) ; la lutte contre la fraude à la TVA... Ces sujets sont devenus très importants pour l’Union européenne.

Quand il s’agit de maîtriser les budgets et la dette ou de relancer l’activité économique, notamment dans le sens des investissements en faveur de la transition écologique, comment l’état d’esprit, la philosophie, la doctrine européenne ont-ils évolué dans les quatre ou cinq ans passés ? Entre la monomanie de la baisse de la dépense publique et l’optimisation de la recette fiscale, le curseur a-t-il bougé dans l’Union européenne ? La pondération respective de ces deux facteurs a-t-elle évolué ?

Mme Marie-Christine Dalloz. Globalement, les budgets européens sont en déficit, tout comme l’est le budget français. À cause d’un écart entre le niveau de l’inflation et le coût de l’argent, les banques empruntent à des taux négatifs. Cela peut faire naître des difficultés pour l’ensemble du système bancaire, du fait de de la surliquidité. Monsieur le commissaire, quel regard portez-vous, dans ce contexte, sur les banques allemandes ?

S’agissant du budget français, les engagements devront être tenus en 2017, nous dites-vous. Accepterez-vous que des reports de charge et des baisses de recettes conduisent à certaines imputations sur l’année 2018 ? J’aimerais que soit imputé sur 2017 tout ce qui doit effectivement l’être, car cela a des conséquences non neutres.

Mme Marietta Karamanli. En ce qui concerne les projets de suspension d’une partie des fonds versés à un État membre si les objectifs de déficit ne sont pas atteints, le Parlement européen s’est prononcé il y a deux jours contre ce gel s’agissant de l’Espagne et du Portugal. Quand elles touchent des économies à fort taux de chômage dans le sud de l’Europe, comme en Espagne où le Gouvernement doit réduire de 3,1 % le déficit l’an prochain, de telles mesures ne sont-elles pas contreproductives ?

La Banque centrale européenne a formulé la demande que les pays européens prennent le relais de sa politique monétaire accommodante, soit par une relance budgétaire, soit par des baisses d’impôts, soit par des investissements publics. Mais la situation actuelle n’est-elle pas due avant tout à l’atonie de l’économie mondiale ?

M. Philip Cordery. Monsieur le commissaire, vous nous avez annoncé cinq bonnes nouvelles. Il y manquait néanmoins l’approfondissement de l’Union économique et monétaire. Même si le rapport des cinq présidents d’institutions européennes est toujours sur la table, le projet semble être un peu sorti des radars.

Les déséquilibres sont pourtant toujours là. La Commission européenne peut-elle simplifier la procédure budgétaire et favoriser la convergence fiscale et salariale au sein de l’Union européenne ? Dans un rapport récemment présenté devant notre commission des affaires européennes, j’ai proposé que le semestre européen serve aussi de cadre pour faire converger par le haut les salaires minima européens.

Qu’en est-il également de la création d’une capacité budgétaire de la zone euro ? Cet approfondissement serait également nécessaire.

M. Lionel Tardy. S’agissant de la trajectoire budgétaire, vous avez exprimé votre inquiétude quant au report des dépenses à 2016 – je pense notamment aux 400 millions d’acompte de l’impôt sur les sociétés, dont la perception va être anticipée.

Au-delà des objectifs de court terme, considérez-vous que la réduction de déficit est solide et durable ? Pour ma part, vu l’absence de réduction des dépenses et de réformes structurelles, je ne le pense pas. Dans les autres pays de l’Union européenne, constatez-vous de telles variations dans les projections budgétaires, en fonction des échéances électorales ?

S’agissant du groupe Alstom, le drôle de plan de sauvetage concocté par le Gouvernement risque-t-il d’être requalifié en aide d’État par la Commission européenne ?

M. Alain Fauré. Quelle est la position de la Commission européenne sur le Brexit ? Quelle incidence la décision aura-t-elle sur l’évolution du PIB ? Comment se dessinent les grandes lignes du futur accord avec ce grand pays ?

M. Patrick Hetzel. À Bratislava, le président de l’Eurogroupe n’a pas hésité à tenir des propos clairs sur la Grèce, en affirmant qu’il était temps de « ranger le matériel de camping », car l’été était terminé, et qu’il fallait passer aux choses sérieuses. Les institutions européennes ne disposent-elles pas vis-à-vis de ce pays que d’un sabre de bois, s’il ne respecte pas ses obligations ? Quels sont les moyens pour que la Grèce y satisfasse ?

M. Jean-Christophe Fromantin. Le Fonds monétaire international (FMI) a récemment publié ses perspectives pour la croissance mondiale. Alors que les pays émergents progressent, nos économies continuent de perdre des parts de marché. Cette dissymétrie de la croissance est-elle anticipée au niveau européen ? N’y a-t-il pas de risque d’une deuxième vague de crise dans l’Union européenne ?

Mme Aurélie Filippetti. La presse a récemment rapporté quelques cas de pantouflage. De manière différente, M. Barroso et Mme Kroes ont porté atteinte à la crédibilité des institutions européennes. La Commission européenne va-t-elle prendre des mesures ? Quels sont les autres conflits d’intérêt potentiels ?

M. Michel Vergnier. Je me félicite de ce que les demandes réitérées sur la prise en compte de certaines dépenses dans le calcul des critères de Maastricht, telles les dépenses liées à la défense et à la lutte contre le terrorisme, fassent peu à peu leur chemin. À défaut d’une déduction pure et simple, il semble que la Commission européenne les prenne en compte dans les appréciations qu’elle porte.

Lorsque j’entends parler d’une Allemagne du plein emploi, je tiens à souligner que la précarité et la pauvreté sont tout de même préoccupantes dans ce pays. Que cela soit passé sous silence, voilà qui me chiffonne.

M. Pierre Moscovici, commissaire européen aux affaires économiques et financières, à la fiscalité et aux douanes. Je répondrai par bloc aux différentes questions.

Je commencerai par la question des 3 % et du « sabre de bois » dont disposerait la Commission pour sanctionner son non-respect. Le Haut Conseil des finances publiques a rendu son avis et je le respecte. J’avais au reste été entendu par lui. Je ne pourrai cependant pas répondre aux questions de détail relatives à la qualification de telle ou telle charge. Des échanges sont en cours avec l’administration du Trésor ; d’autres ont eu lieu avec les responsables politiques, où j’ai souligné que la Commission européenne attend le respect des objectifs du pacte de stabilité et le respect des engagements français. Officiellement, l’avant-projet de budget français ne nous a cependant pas encore été transmis.

Je pense qu’il est possible de tenir en 2017 l’objectif d’une réduction du déficit public à 3 % du PIB. Même si l’ensemble des sujets est loin d’être épuisé, ni pour cette année, ni pour les années à venir, c’est notre sentiment aujourd’hui. Observant le climat en France, je dirais que la culture nationale du déficit apparaît absurde et contreproductive sur le plan économique et politique. Les deux derniers reports des objectifs n’ont été ni des faveurs, ni des cadeaux. La France respectait dans un cas ses engagements structurels, ce qui pouvait être pris en compte dans la mesure où le déficit nominal n’était pas supérieur à 3 % ; dans l’autre cas, l’engagement de déficit nominal était tenu, mais non structurel. La recommandation qui s’applique aujourd’hui prévoit que la France passe en dessous des 3 % en 2017. Pour qu’elle sorte ensuite de la procédure excessive, la trajectoire des finances publiques françaises devra être durable et crédible, je le rappelle.

Honnêtement, il ne s’agit pas d’envisager la situation comme un quelconque duel entre la Commission européenne et le gouvernement français. Ce serait tomber dans un piège. La Commission n’est pas là pour censurer le verdict des urnes en France. Elle n’est d’ailleurs pas la seule des institutions européennes impliquées dans la procédure budgétaire. Comme gardienne des traités, elle applique les règles avec la flexibilité nécessaire, puis elle transmet ses avis au Conseil, qui prend une décision. Deux institutions sont donc impliquées : la Commission et le Conseil.

La Commission n’a pas de sabre, elle n’aborde pas les questions sous un angle punitif, elle n’est pas habitée par un esprit de sanction. Elle a les épaules larges, mais enfin, elle n’est pas seule. Quelle image donnerait plutôt la France, sur le plan économique et politique, si elle passait sous les 3 % en 2017 pour remonter ensuite au-dessus de cette limite ? La culture du déficit n’est pas favorable à l’image de la France, à son rayonnement et à sa force. Qui peut contester, monsieur Vergnier, que l’Allemagne présente une meilleure performance macro-économique ? Cela n’empêche certes pas les excédents courants, qui témoignent d’un excès d’épargne et d’un défaut d’investissement dans ce pays.

La réalisation des objectifs est jouable. Nous ferons toutes les observations qu’il convient. La culture du déficit n’est pas positive. Mais n’envisageons pas les choses sous la forme d’une confrontation singulière entre la Commission européenne et un exécutif français, quel qu’il soit. Il ne suffirait pas d’ »  aller à Bruxelles » pour dire que c’est ainsi et pas autrement. Ce serait beaucoup plus compliqué. Il faudrait éviter de se mettre dans ce schéma intellectuel et politique. Il n’est pas inévitable.

S’agissant, madame la rapporteure générale, des règles sous-jacentes au calcul du déficit, je vous promettais une réponse non pour septembre, mais pour l’automne. Un groupe de travail sur l’output gap rendra prochainement ses conclusions, qui seront transmises à l’Eurogroupe. Sous la présidence néerlandaise, une vraie disponibilité des collègues s’est fait jour pour obtenir plus de simplicité, plus de lisibilité et plus de cohérence macro-économique des règles applicables. Le vrai problème, comme vous l’avez dit, madame Berger, est bien la dette publique. Retenons des bornes simples, comme le niveau de déficit et le niveau de la dette, ainsi que la corrélation entre les deux. Sur ces deux critères, la France est au-dessus de la moyenne et sur une tendance dynamique. La trajectoire n’est donc pas bonne. L’endettement, public et privé, doit être aussi un facteur central de la réflexion à laquelle vous appelez, monsieur Cordery, sur l’Union économique et monétaire et sur une capacité budgétaire de la zone euro.

L’on m’a interrogé sur la prise en compte de demandes de flexibilité formulées à ce jour. Les pays qui en ont exprimé au titre de la sécurité ont été l’Italie et la Belgique, la France n’y ayant pas eu recours ; sur l’accueil des réfugiés, il y a eu l’Italie, la Belgique, l’Autriche, la Slovénie et la Finlande. Quant aux types de flexibilité prévus par notre communication sur le sujet, seule l’Italie y a eu recours à ce jour.

Pour ce qui est de la défense, j’estime que ce qui relève d’une défense européenne doit être pris en compte de manière spécifique à l’échelle européenne. Tant que nous n’avons pas de vraie défense européenne, et donc pas de répartition des charges, il est extrêmement compliqué et artificiel d’évoquer une règle particulière. Il y a une prise en compte globale, mais il ne saurait y avoir de prise en compte singulière, monsieur Mariton.

Il est fondamental d’agir pour approfondir l’Union économique et monétaire, ses instruments et sa gouvernance. La Commission européenne publiera un livre blanc sur le sujet. Des avancées sont improbables avant les élections françaises et allemandes, mais il faut préparer ces avancées futures.

Sur la fiscalité, je concéderai à monsieur Woerth la continuité, mais je relèverai tout de même, monsieur Alauzet, une accélération majeure. Depuis 2012, depuis l’adoption du Foreign Account Tax Compliance Act (FATCA) et de la procédure BEPS, la communauté internationale exprime une volonté d’arriver à des standards communs. Une révolution de la transparence fiscale est en marche. Cela ne doit cependant pas être mis en balance avec la réduction des dépenses publiques. C’est la première fois qu’à la Commission européenne, un membre du collège est à la fois chargé des dépenses et des recettes. Cela me paraît sain. Quant à moi, je plaide en faveur d’un ministère des finances de la zone euro.

S’agissant de l’optimisation fiscale agressive et de la décision rendue contre Apple, l’Irlande ira en effet devant la Cour de justice de l’Union européenne. Nous sommes cependant confiants sur l’application et l’interprétation de la réglementation telle qu’elle a été faite par notre collègue Margrethe Vestager et par l’ensemble du collège des commissaires.

Quant à ACCIS, le projet va être repris. À vous de me dire si vous voyez une convergence fiscale franco-allemande. Il y a en tout cas déjà une convergence sur la lutte contre l’évasion fiscale. Je serais heureux que les projets relatifs à la TTF, à la TVA et à la liste noire commune des paradis fiscaux, ainsi que l’ACCIS, soient portés par les uns et par les autres. Ce serait déjà un très beau résultat.

En ce qui concerne la politique de la BCE, nous ne pouvons pas nous prononcer, car l’institution est indépendante. Ce que fait Mario Draghi, son expression et la manière dont il conduit la politique monétaire donnent cependant aux acteurs économiques des signaux utiles. Mais la politique monétaire ne peut pas tout ; il faut aussi des réformes structurelles. Pour ce qui est de la stimulation de la croissance, également nécessaire, le plan Juncker de soutien à l’investissement bénéficie à la France et à ses régions, grâce à la conjonction favorable d’entreprises, grandes et petites, capables de porter des projets et d’un secteur public qui a su se mobiliser, sous l’impulsion de banques en charge de promouvoir l’investissement, telle la BPI.

S’agissant du Brexit, la Commission s’en tient à une position de principe. Nous en regrettons la perspective, mais nous respectons la décision du peuple britannique. À nos yeux, les quatre grandes libertés consacrées par les traités ne peuvent être scindées. Telle est pour nous la base, principielle et non punitive, des négociations. Mais nous devons d’abord attendre que les choses soient plus nettes du côté britannique.

Quant aux fonds structurels, madame Karamanli, il est normal qu’un pays qui déroge aux règles doive payer des amendes et s’exposer à des suspensions de versement. L’Espagne et le Portugal ne se sont cependant pas vus imposer de mesures fiscales ; ce sont eux qui les ont proposées pour échapper à des amendes. En tout état de cause, les suspensions de fonds structurels sont systématiquement levées dès que les engagements pris sont de nouveau respectés. Une discussion est en cours avec le Portugal, tandis que l’Espagne n’a pour l’instant qu’un gouvernement en charge des affaires courantes. Sur ce sujet, mes collègues Jyrki Katainen et Corina Creţu ont défendu hier, devant le Parlement européen, l’idée qu’ils ne recherchent pas une suspension superflue des versements dans le cadre des fonds structurels, mais bien plutôt la garantie de contreparties permettant d’éviter cette suspension.

En ce qui concerne la Grèce, je souhaite vraiment que s’instaure un cercle vertueux, que les engagements pris soient tenus et les réformes décidées. Une réunion de l’Eurogroupe se tiendra dès lundi et mardi, tandis qu’une ouverture de discussions sur la dette s’engagera d’ici fin 2016. La Commission veut une réussite du programme grec, le retour de la croissance et de la confiance. Et cette réussite est liée à la capacité des créanciers à traiter de manière intelligente la question de la dette.

Monsieur Fromantin, s’agissant des prévisions de croissance du FMI, vous avez raison de souligner l’écart entre les pays émergents, même s’ils ont beaucoup ralenti eux aussi, et les nôtres. Pour le FMI, le ralentissement le plus important s’observe cependant aux États-Unis, tant cette année que l’an prochain. Pour l’Europe, les prévisions sont un peu meilleures pour 2016, un peu moins bonnes pour 2017. La question est de savoir comment élever notre potentiel effectif de croissance, en usant de manière équilibrée de la politique monétaire, de la politique budgétaire, des investissements et des réformes structurelles. La croissance revient, mais elle est encore beaucoup trop molle. C’est pourquoi des politiques structurelles intelligentes, notamment sur le capital humain, sont indispensables.

Madame Filippetti, j’ai participé hier au Parlement européen à un débat sur les conflits d’intérêt. La question de l’exemplarité et de la transparence est posée. Aussi je regrette, comme le président Juncker, le comportement inapproprié de certains commissaires du précédent collège. José Manuel Barroso a fait le choix de travailler pour une banque qui a joué un rôle particulier dans l’affaire grecque ; certes, il a, ce faisant, respecté les règles applicables, mais il n’en a pas respecté l’esprit. Quant à Neelie Kroes, elle a négligé de déclarer qu’elle a été dirigeante d’une entreprise dont le siège était aux Bahamas. Le président Juncker a demandé des clarifications à l’un comme à l’autre.

Les règles dont nous disposons ne sont pas négligeables : l’article 245 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, la mise en place d’un code de bonne conduite, celle d’un comité d’éthique. Ce comité a rendu, sur les quarante demandes qui lui ont été soumises, cinq avis négatifs, qui ont tous été suivis.

Après une longue carrière politique nationale, je ne peux cependant qu’appeler à ne pas « tirer sur le pianiste » bruxellois. Les règles et contrôles au niveau européen sont beaucoup plus puissants que dans n’importe quelle institution nationale. Un commissaire n’a le droit de mener aucune autre activité pendant l’exercice de son mandat. Son agenda est examiné et scruté. Quand j’étais ministre des finances, ce n’était pas le cas – non que j’aie eu des rencontres suspectes, mais les règles de transparentes étaient moins contraignantes.

Respectons les institutions. Respectons aussi le droit des individus à faire valoir leurs droits, sans discréditer la Commission européenne. Un commissaire européen est très à l’aise pour parler, puisqu’il ne peut exercer en même temps de fonction d’enseignement, être avocat ou encore travailler pour des entreprises. Mais il ne faudrait pas lui interdire ces activités plus tard, faute de ne plus trouver alors personne pour accomplir ces mandats.

La séance est levée à 11 h 20.

Membres présents ou excusés

Commission des affaires européennes

Réunion du mercredi 5 octobre 2016 à 9 h 45

Présents. - Mme Danielle Auroi, M. Jean-Claude Buisine, M. Christophe Caresche, M. Philip Cordery, M. Razzy Hammadi, Mme Marietta Karamanli, M. Marc Laffineur, M. Jérôme Lambert, M. Arnaud Richard

Excusé. - M. Pierre Lequiller

Assistaient également à la réunion. - M. Éric Alauzet, M. François André, M. Alexis Bachelay, M. Dominique Baert, M. Jean-Marie Beffara, Mme Karine Berger, M. Olivier Carré, M. Gilles Carrez, M. Gaby Charroux, M. Alain Chrétien, M. Romain Colas, M. François Cornut-Gentille, Mme Marie-Christine Dalloz, M. Olivier Dassault, M. Olivier Faure, M. Alain Fauré, Mme Aurélie Filippetti, M. Jean-Christophe Fromantin, M. Jean-Louis Gagnaire, M. Joël Giraud, M. Claude Goasguen, M. Jean-Pierre Gorges, M. Laurent Grandguillaume, Mme Arlette Grosskost, M. David Habib, M. Patrick Hetzel, M. Régis Juanico, M. Jean Lassalle, M. Frédéric Lefebvre, Mme Véronique Louwagie, M. Jean-François Mancel, M. Hervé Mariton, M. Pierre-Alain Muet, M. Michel Pajon, M. Jacques Pélissard, Mme Valérie Rabault, Mme Monique Rabin, M. Alain Rodet, M. Nicolas Sansu, Mme Eva Sas, M. Lionel Tardy, M. Michel Vergnier, M. Laurent Wauquiez, M. Éric Woerth