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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

     

Ministère des affaires étrangères

     
     
   

PROJET DE LOI

autorisant l’approbation de la convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Pérou

NOR : MAEJ1318594L/Bleue-1

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ÉTUDE D’IMPACT

I - Situation de référence et objectifs de la convention

En matière judiciaire, dans le domaine pénal, la France et le Pérou sont tous deux parties à plusieurs conventions multilatérales spécialisées adoptées sous l’égide des Nations unies, en l’occurrence la convention unique sur les stupéfiants du 30 mars 1961, la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984, la convention contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes du 19 décembre 1988, la convention contre la criminalité transnationale organisée du 15 décembre 2000 et la convention contre la corruption du 31 octobre 2003.

Le 15 novembre 2012, concrétisant une volonté commune exprimée dès 2003, de se doter également au niveau bilatéral d’instruments de coopération dans la lutte contre la criminalité transnationale, le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Pérou ont signé, à Paris, une convention d’entraide judiciaire en matière pénale.

Force est de constater que l’histoire de la coopération judiciaire entre la France et le Pérou est ancienne. En effet, dès 1874, nos deux pays choisissaient de se lier par une convention d’extradition. La modernisation de ce texte fait par ailleurs l’objet d’une négociation parallèle qui pourrait aboutir dès 2013.

En marge de ces instruments, la France et le Pérou ne sont liés par aucun dispositif conventionnel de coopération dans la recherche de la preuve pénale. En particulier, le Pérou n’est pas signataire de la convention d’entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959 adoptée dans le cadre du Conseil de l’Europe mais ouverte également à l’adhésion de pays tiers à cette organisation1.

A ce jour, les deux pays ne sont pas davantage liés par un quelconque instrument conventionnel en matière de transfèrement de personnes condamnées2, ni par un quelconque accord d’échange de renseignements en matière fiscale.

L’entraide judiciaire en matière pénale entre la France et le Pérou s’effectue donc encore, pour l’heure, au cas par cas, sur une simple base de réciprocité, au titre de la courtoisie internationale.

En termes de flux, depuis 2000, ce sont vingt et une demandes d’entraide qui ont été adressées par les autorités judiciaires françaises à leurs homologues péruviennes. Sur la même période, quarante-six demandes ont été adressées par le Pérou à la France. Il est à noter que parmi celles-ci, un bon nombre concernait des faits de vols présumés de biens appartenant au patrimoine culturel du Pérou. Ces enquêtes visent en général des particuliers ou des sociétés de ventes aux enchères soupçonnés d'avoir fait sortir illégalement du territoire péruvien des objets datant de l'époque préhispanique.

Désireux d’établir une coopération plus efficace et moderne en matière d’entraide judiciaire en matière pénale, les deux pays ont souhaité mettre en place un cadre conventionnel spécifique et pérenne dans ce domaine.

II - Conséquences estimées de la mise en œuvre de la convention

Aucune conséquence économique, financière ou environnementale notable n’est attendue de la mise en œuvre de la présente convention. En revanche, des conséquences sociales, juridiques et administratives méritent d’être soulignées.

1. Conséquences sociales

La convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Pérou devrait naturellement faciliter le rassemblement des preuves dans le cadre des affaires transnationales. Cet instrument devrait ainsi favoriser la conclusion des poursuites dans des délais plus satisfaisants pour l’ensemble des justiciables concernés.

2. Conséquences juridiques

L’ordonnancement juridique national n’est pas affecté par l’approbation de la présente convention. En outre, cet instrument est conforme aux obligations internationales résultant des engagements européens et internationaux de la France.

De fait, les stipulations du texte, qui comprend 40 articles, sont largement inspirées des mécanismes de coopération qui prévalent déjà au sein de l’Union européenne et dans le cadre du Conseil de l’Europe. Elles reprennent, pour l’essentiel, les dispositions classiques de la convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959 et de son protocole additionnel en date du 17 mars 1978. Les éléments les plus modernes (articles 1.3, 4.3, 5.2, 24 et 25) s’inspirent des stipulations de la convention du 29 mai 2000 relative à l’entraide judiciaire en matière pénale entre les Etats membres de l’Union européenne, de son protocole additionnel en date du 16 octobre 2001 ou encore du deuxième protocole additionnel à la convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale en date du 8 novembre 2001, l’ensemble de ces mécanismes ayant d’ores et déjà été intégré dans notre ordre juridique.

Par voie de conséquence, la présente convention n’implique aucune adaptation des dispositions législatives ou règlementaires nationales.

Le texte s’efforce d’élargir le champ de l’entraide, de fluidifier les échanges entre les deux pays et d’optimiser leur efficacité. Il promeut par ailleurs des techniques modernes de coopération et vient encadrer l’usage des informations et éléments de preuve communiqués ou obtenus en exécution de l’instrument.

- Elargir le champ de l’entraide

A l’instar de ce que prévoit déjà la convention du 29 mai 2000 relative à l’entraide judiciaire en matière pénale entre les Etats membres de l’Union européenne, l’entraide est étendue aux hypothèses de poursuites diligentées à l’encontre d’une personne morale (article 1.3). Pareille précision permettra ainsi de coopérer en présence d’hypothèses de pollutions maritimes par exemple.

De même, reprenant la logique du protocole additionnel en date du 16 octobre 2001, le secret bancaire ne saurait s’ériger en obstacle à une demande d’entraide (article 4.3). Dans le domaine spécifique de la communication d’informations en matière bancaire, l’entraide est prévue pour être accordée très largement (article 25).

- Fluidifier les échanges et optimiser leur efficacité

Afin d’optimiser les chances de succès des demandes formulées en application de la présente convention, le texte permet (article 4.4 et 5) à la Partie requise d’ajourner l’entraide plutôt que de la refuser, lorsqu’une réaction immédiate à la demande pourrait porter préjudice à une enquête ou à une procédure menée sur le territoire de la Partie requise. Ainsi, lorsque la Partie requérante sollicite une preuve ou une déposition de témoin et que le même élément est nécessaire pour le procès qui est sur le point de commencer sur le territoire de la Partie requise, celle-ci pourra à bon droit surseoir à l’octroi de l’entraide en application du texte.

Dans un même souci d’efficacité, la présente convention prévoit que si la Partie requise doit refuser l’entraide ou y surseoir, elle doit en communiquer les motifs à la Partie requérante. La Partie requise peut par ailleurs octroyer l’entraide en l’assortissant de conditions.

Afin de faciliter l’intégration au dossier pénal de la Partie requérante des preuves qui seront obtenues en application du texte, est prévue la possibilité pour la Partie requise de réaliser les actes d’entraide sollicités selon les modalités prévues par le droit de la Partie requérante, sous réserve que les principes fondamentaux du droit de la Partie requise ne s’y opposent pas (article 5.2).

De fait, l’expérience permet de constater que des actes équivalents accomplis par les autorités de la Partie requise en lieu et place des actes expressément demandés par les autorités de la Partie requérante ne bénéficient pas toujours de la même force probatoire dans le cadre de la procédure conduite par celles-ci. En droit interne français, cette modalité spécifique d’exécution des demandes d’entraide se trouve d’ores et déjà intégrée à l’article 694-3 du code de procédure pénale depuis la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.

Par souci de renforcer encore l’efficacité de la coopération, la convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre la France et le Pérou pose par ailleurs une exigence de célérité dans l’exécution des demandes (article 28.1 à 3). La pratique montre en effet que la lenteur mise à accorder l’entraide judiciaire aboutit souvent à vider cette dernière de sa substance. Pareil défaut de diligence apparaît en outre susceptible d’amener la France à contrevenir au paragraphe 1er de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

- Promouvoir des techniques modernes de coopération

Afin notamment de renforcer les capacités communes des deux pays à lutter contre les opérations de blanchiment d’argent, la présente convention instaure (article 25) des possibilités très larges d’obtention d’informations en matière bancaire, qu’il s’agisse de l’identification de comptes ouverts au nom d’une personne physique ou morale, de la communication de transactions réalisées pendant une période déterminée ou encore du suivi instantané de transactions jugées suspectes.

Prenant en compte les progrès technologiques réalisés, la présente convention permettra par ailleurs aux Parties de réaliser des auditions de témoins ou d’experts par vidéoconférence, dans l’hypothèse où leur comparution personnelle sur le territoire de la Partie requérante s’avérerait inopportune ou impossible (article 24). Les deux Parties pourront également, si leur droit interne le permet, appliquer cette procédure aux auditions par vidéoconférence auxquelles participe une personne poursuivie pénalement. En France, la possibilité d’auditionner des personnes par vidéoconférence est prévue par l’article 706-71 du code de procédure pénale. Les effets de cet article ont été étendus à l’entraide pénale internationale par l’article 694-5 du code de procédure pénale issu de la loi du 9 mars 2004. Nos dispositions nationales n’autorisent cependant pas l’audition des personnes poursuivies pénalement lorsqu’elles comparaissent devant la juridiction de jugement. Par voie de conséquence, pareille audition ne saurait, en l’état, être exigée de la Partie française dans la mise en œuvre de cet instrument.

- Encadrer l’usage des informations et éléments de preuve communiqués ou obtenus en exécution de la convention

Le Pérou, qui n’est pas membre de l’Union européenne, ni lié par la Convention du Conseil de l’Europe pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel adoptée le 28 janvier 1981, ne pourra se voir transférer de telles données, que si il assure un niveau de protection adéquat ou suffisant de la vie privée et des libertés et droits fondamentaux des personnes à l’égard du traitement dont ces données font l’objet ou peuvent faire l’objet, comme le prévoit la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés3. Pour l’heure, la C.N.I.L.4 estime que le Pérou ne dispose pas d’une législation adéquate en matière de protection des données à caractère personnel5. Par ailleurs, à ce jour, le Pérou n’a pas fait l’objet d’une reconnaissance de protection adéquate de la part de la Commission européenne6.

En tout état de cause, les stipulations de la présente convention (article 8) permettent de soumettre l’utilisation des données à caractère personnel transmises aux autorités péruviennes à des restrictions, en adéquation avec la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, à l’instar, par exemple, de ce qu’autorisent déjà les stipulations de l’article VI, paragraphe 2, de l’accord d’entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République Populaire de Chine7. Par voie de conséquence, la mise en œuvre de la présente convention ne saurait conduire la France à renoncer à ses standards de protection en ce domaine.

3. Conséquences administratives

La présente convention institue, en son article 26, un protocole de transmission des demandes d’entraide appelées à transiter directement entre autorités centrales, c’est-à-dire entre le ministère de la Justice de la République française et le ministère public de la République du Pérou.

Pour la France, c’est le bureau de l’entraide pénale internationale de la direction des affaires criminelles et des grâces qui traitera l’ensemble des demandes échangées par les deux pays. Ce bureau étant d’ores et déjà en charge de la transmission à la sous-direction des conventions et de l’entraide judiciaire du ministère des affaires étrangères des demandes émises ou exécutées par les autorités judiciaires françaises, il n’en résultera aucune charge administrative supplémentaire pour celui-ci.

En revanche, les demandes d’entraide entre la France et le Pérou ne devraient en principe plus transiter par les services centraux et déconcentrés du ministère des affaires étrangères. L’appui de ceux-ci pourra néanmoins toujours être sollicité, en tant que besoin, par les autorités judiciaires françaises, si elles l’estiment nécessaire.

III - Historique des négociations

En 2003, dans le contexte de l’affaire « Fujimori »8, les autorités péruviennes proposaient à la France de moderniser la convention d’extradition de 1874 et de compléter le tissu conventionnel applicable entre les deux pays en suggérant également la négociation de deux autres conventions, l’une relative à l’entraide judiciaire en matière pénale et l’autre au transfèrement de personnes condamnées.

Accueillie favorablement par la partie française, cette initiative a rapidement débouché sur la tenue d’une première réunion de négociation à Lima au mois de juin 2004. Si les discussions en matière d’entraide judiciaire ont d’emblée permis de dégager d’importantes lignes de consensus, la négociation des deux autres instruments s’est avérée plus délicate, les exigences péruviennes se heurtant en particulier à plusieurs principes généraux de notre droit, dont certains de valeur constitutionnelle.

Un second tour de négociation, appelé à se tenir à Paris en 2005 puis 2006, a été annulé à plusieurs reprises par la partie péruvienne, du fait des contraintes budgétaires pesant sur celle-ci. En dépit de cette circonstance, les parties ont continué à échanger des projets de textes et un ensemble d’observations destinées à expliciter leurs positions respectives.

Afin de concrétiser la volonté commune des deux pays de mettre en place des instruments modernes de coopération, une nouvelle session de négociations s’est tenue à Lima au mois d’octobre 2012. A l’issue de celle-ci, les parties sont parvenues à un texte de consensus qui a été paraphé le 11 octobre 2012.

IV - Etat des signatures et ratifications

La convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Pérou a été signée à Paris, le 15 novembre 2012, par le ministre délégué auprès du ministre des Affaires étrangères, chargé du Développement, M. Pascal Canfin, et le ministre des Relations extérieures du Pérou, M. Rafael Roncagliolo Orbegoso.

L’entrée en vigueur de la convention suppose l’accomplissement des procédures constitutionnelles requises dans chacun des deux Etats, à savoir pour la France la mise en œuvre de la procédure parlementaire d’autorisation d’approbation prévue par l’article 53 de la Constitution. Cette entrée en vigueur sera effective le premier jour du deuxième mois suivant la date de la dernière des notifications par lesquelles les Parties s’informeront mutuellement de l’accomplissement de leurs formalités de ratification.

A ce jour, le Pérou n’a pas notifié à la France l’achèvement des procédures exigées par son ordre juridique interne.

1 Israël a ratifié ce texte en 1967 et le Chili en 2011.

2 La négociation d’une convention bilatérale de transfèrement des personnes condamnées, tout comme l’éventualité d’une adhésion du Pérou à la convention européenne de transfèrement du 21 mars 1983, ont pu également déjà faire l’objet d’échanges entre nos deux pays. Ces derniers ont été cependant rendus délicats par le refus de principe des autorités péruviennes d’accorder également l’exercice du droit de grâce à l’Etat d’exécution de la sentence.

3 Dans sa rédaction issue de la loi n° 2004-801 du 6 août 2004.

4 Commission nationale de l’informatique et des libertés.

5 Voir le site de la C.N.I.L. : http://www.cnil.fr/pied-de-page/liens/les-autorites-de-controle-dans-le-monde/

6 Le Conseil de l’Union européenne et le Parlement européen ont donné le pouvoir à la Commission de décider sur la base de l'article 25, paragraphe 6, de la directive 95/46/CE qu’un pays tiers offre un niveau de protection adéquat en raison de sa législation interne ou des engagements pris au niveau international.

7 Accord signé à Paris le 18 avril 2005, entré en vigueur le 20 septembre 2007.

8 Alberto Fujimori fut Président du Pérou de 1990 à 2000. Accusé de meurtres et de violations des droits de l'homme, il s'est exilé pendant six ans avant d'être extradé vers le Pérou et condamné, en 2009, à une peine de 25 ans de prison.


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