N° 1533
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 6 novembre 2013.
PROJET DE LOI
autorisant l’approbation de la convention d’entraide judiciaire
en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Pérou,
(Renvoyé à la commission des affaires étrangères, à défaut de constitution
d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
PRÉSENTÉ
au nom de M. Jean-Marc AYRAULT,
Premier ministre,
par M. Laurent FABIUS,
ministre des affaires étrangères.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Le 15 novembre 2012, le ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé du développement, M. Pascal Canfin, et le ministre des relations extérieures du Pérou, M. Rafael Roncagliolo Orbegoso, ont signé, à Paris, une convention d’entraide judiciaire en matière pénale.
L’histoire de la coopération judiciaire entre la France et le Pérou est ancienne. En effet, dès 1874, nos deux pays choisissaient de se lier par une convention bilatérale d’extradition(1). Plus récemment, la France et le Pérou faisaient le choix commun d’adhérer à plusieurs conventions multilatérales spécialisées adoptées sous l’égide des Nations unies, comme la convention contre la criminalité transnationale organisée du 15 décembre 2000 ou la convention contre la corruption du 31 octobre 2003.
En marge de ces instruments particuliers, au regard de la nécessaire coopération dans la recherche de la preuve pénale, la France et le Pérou ne sont liés par aucun dispositif conventionnel bilatéral ou multilatéral d’entraide judiciaire. Celle-ci s’effectue donc encore, pour l’heure, au cas par cas, sur une simple base de réciprocité, dans le cadre de la courtoisie internationale.
Désireux d’établir une coopération plus efficace entre leurs autorités judiciaires respectives, la France et le Pérou ont souhaité mettre en place un cadre conventionnel spécifique et pérenne en ce domaine.
Le champ d’application de la présente convention est étendu. L’article 1er énonce en effet l’engagement de principe des Parties de s’accorder mutuellement l’entraide la plus large possible dans toute procédure pénale relevant, au moment où l’entraide est demandée, de la compétence des autorités judiciaires de la Partie requérante. L’entraide peut également être accordée dans certaines procédures particulières, en particulier celles susceptibles d’impliquer une personne morale. L’article 2 stipule ensuite que l’entraide, à la différence de ce qui prévaut dans le domaine de l’extradition et à l’exception des mesures coercitives visées à l’article 6, est accordée même en l’absence de double incrimination. Enfin, l’article 3 vient préciser que sont en revanche exclues du champ de l’entraide, l’exécution des décisions d’arrestation et d’extradition, l’exécution des condamnations pénales, sous réserve des mesures de confiscation, et les infractions exclusivement militaires.
L’article 4 traite ensuite des restrictions qui peuvent être apportées à l’entraide. De manière classique, celle-ci peut être refusée si la demande se rapporte à des infractions considérées comme politiques ou si l’exécution de la demande est de nature à porter atteinte à la souveraineté, à la sécurité, à l’ordre public ou à d’autres intérêts essentiels de la Partie requise. Le texte précise que l’entraide ne peut être rejetée au seul motif que la demande se rapporte à une infraction fiscale ou sur la seule base d’une législation ou réglementation différente en la matière. De même, de manière notable, le secret bancaire ne peut être invoqué comme motif de refus, la convention prévoyant au contraire, à son article 25, des modalités très larges d’obtention d’informations en ce domaine. Pragmatique, le texte prévoit aussi que l’entraide peut être différée si l’exécution de la demande est susceptible d’entraver une procédure en cours. Enfin, par souci de favoriser chaque fois que possible la coopération, la Partie requise, avant de refuser l’entraide, est invitée à apprécier si l’entraide peut néanmoins être accordée à certaines conditions jugées nécessaires.
L’article 5 rappelle le principe selon lequel les demandes d’entraide sont exécutées conformément au droit de la Partie requise. Est cependant réservée la possibilité pour la Partie requérante de demander l’application ponctuelle d’une procédure particulière prévue par sa propre législation.
En vertu de l’article 7, les autorités compétentes de la Partie requise peuvent, sous certaines conditions, prendre des mesures provisoires pour maintenir une situation existante, protéger des intérêts juridiques menacés ou préserver des éléments de preuve. Ces mesures sont notamment détaillées aux articles 21 et 22.
L’article 8 règle les questions de confidentialité et de spécialité. La Partie requise doit en effet s’efforcer de préserver le caractère confidentiel de la demande, en conformité avec son ordre juridique. En cas d’impossibilité de le faire, la Partie requise doit en informer la Partie requérante qui décide alors s’il faut néanmoins donner suite à l’exécution, en précisant les éventuelles atteintes qui peuvent être tolérées. En sens inverse, la Partie requise peut demander que les éléments fournis restent confidentiels ou ne soit divulgués ou utilisés que selon les conditions qu’elle aura spécifiées. En tout état de cause, les informations ou éléments de preuve obtenus ne peuvent être utilisés à des fins autres que celles qui auront été stipulées dans la demande, sans l’accord préalable de la Partie requise.
Conformément à l’article 9, la Partie requise, sur demande de la Partie requérante, l’informe de la date et du lieu d’exécution de son mandat. Les autorités de la Partie requérante peuvent assister à cette exécution si la Partie requise y consent et se voir remettre directement une copie certifiée conforme des pièces d’exécution.
L’article 10 régit le recueil de témoignages dans la Partie requise, lequel s’effectue conformément à sa législation. En tout état de cause, les témoins se voient reconnaître le droit de ne pas déposer qui serait inscrit dans la loi, soit de la Partie requise, soit de la Partie requérante.
L’article 11 traite de la remise de documents, dossiers ou éléments de preuve. Est ainsi prévue la possibilité pour la Partie requise de ne transmettre que des copies des pièces sollicitées. En cas de demande expresse de communication d’originaux, la Partie requise est invitée à y donner suite, dans la mesure du possible. L’article 12 prévoit en outre la mise à disposition, par la Partie requise, dans certaines conditions, de ses dossiers de procédure ou d’enquête.
L’article 13 régit la communication d’extraits de casier judiciaire qui doit s’effectuer dans le respect de la législation de la Partie requise.
L’article 14 traite de la procédure de dénonciation aux fins de poursuites, chacune des Parties pouvant dénoncer à l’autre des faits susceptibles de constituer une infraction pénale relevant de sa compétence afin que des poursuites puissent être diligentées.
L’article 15 est consacré aux notifications d’actes de procédure et de décisions judiciaires. La preuve de la notification s’effectue au moyen d’un récépissé daté et signé par le destinataire ou d’une déclaration de la Partie requise constatant le fait, la forme et la date de la notification. Dans tous les cas, l’un ou l’autre de ces documents est aussitôt transmis à la Partie requérante. Si la notification n’a pu se faire, la Partie requise en fait connaître immédiatement le motif à la Partie requérante. Le texte réserve par ailleurs la faculté pour les Parties de faire remettre directement par leurs représentants ou leurs délégués les actes destinés à leurs propres ressortissants.
L’article 16 prévoit que si la comparution personnelle d’un témoin ou d’un expert devant ses propres autorités judiciaires est jugée particulièrement nécessaire par la Partie requérante, celle-ci en fait mention dans sa demande de notification de la citation. La Partie requise en avise alors le témoin ou l’expert et fait connaître sa réponse à la Partie requérante.
L’article 17 énonce la règle traditionnelle selon laquelle le témoin ou l’expert qui n’a pas comparu dans la Partie requérante à la suite d’une citation émanant de cette Partie et dont la notification a été demandée, ne peut être soumis, alors même que cette citation contiendrait des injonctions, à aucune sanction ou mesure coercitive, à moins qu’il ne se rende par la suite délibérément sur le territoire de la Partie requérante et qu’il n’y soit régulièrement cité à nouveau.
L’article 18 traite de la question des immunités des témoins, experts et personnes poursuivies. Ainsi, aucun témoin ou expert qui, à la suite d’une citation, comparaît devant les autorités judiciaires de la Partie requérante, ne peut être ni poursuivi, ni détenu, ni soumis à aucune restriction de sa liberté individuelle sur le territoire de cette Partie pour des faits ou condamnations antérieurs à son départ du territoire de la Partie requise. De même, aucune personne citée par les autorités de la Partie requérante pour y répondre de faits pour lesquels elle fait l’objet de poursuites ne peut être inquiétée sur le territoire de cette Partie pour des faits ou condamnations antérieurs à son départ du territoire de la Partie requise et non visés dans la citation. Cette immunité cesse lorsque les intéressés, ayant eu la possibilité de quitter le territoire de la Partie requérante pendant quinze jours consécutifs après que leur présence n’était plus requise par les autorités judiciaires, sont néanmoins demeurés sur ce territoire ou y sont retournés librement après l’avoir quitté.
L’article 19 spécifie la portée du témoignage reçu dans la Partie requérante. À ce titre, la personne qui comparaît, suite à une citation, ne peut être contrainte à déclarer ou à présenter des éléments de preuve, dès lors que le droit de l’une des deux Parties lui permet de refuser.
L’article 20 pose les règles applicables au transfèrement temporaire d’une personne détenue sur le territoire de la Partie requérante pour y être entendue. Réalisé sous condition du renvoi de l’intéressé dans le délai indiqué par la Partie requise, pareil transfèrement peut être refusé si la personne détenue n’y consent pas, si sa présence est nécessaire dans une procédure en cours, si ce transfèrement apparaît susceptible de prolonger sa détention ou si d’autres considérations impérieuses s’opposent à une telle opération. La personne transférée doit rester en détention sur le territoire de la Partie requérante sauf pour la Partie requise à demander sa mise en liberté.
L’article 21 traite des mesures de perquisition, d’immobilisation de biens et de saisie de pièces à conviction. La Partie requise exécute de telles demandes, dans la mesure où sa législation le lui permet, et informe la Partie requérante du résultat de leur exécution. La Partie requise peut également remettre à la Partie requérante de tels éléments si celle-ci accepte les termes et conditions proposés par la Partie requise pour cette remise.
L’article 22 règle le sort des produits ou instruments des infractions. La Partie requise s’efforce, sur demande, d’établir si de tels éléments se trouvent sur son territoire et informe la Partie requérante du résultat de ses recherches. La demande doit préciser les motifs sur lesquels repose la conviction que de tels produits ou instruments peuvent se trouver sur le territoire de la Partie requise. En cas de découverte, la Partie requise, à la demande de la Partie requérante, prend, conformément à sa législation, les mesures nécessaires pour geler, saisir ou confisquer ces produits ou instruments. Dans le respect des droits des tiers de bonne foi, la Partie requise doit, dans la mesure permise par sa législation et sur demande de la Partie requérante, mettre tout en œuvre pour restituer à titre prioritaire à celle-ci les produits ou instruments des infractions, notamment en vue de l’indemnisation des victimes ou de la restitution au propriétaire légitime.
L’article 23 traite des restitutions, la Partie requise pouvant, sur demande de la Partie requérante et sans préjudice des droits des tiers de bonne foi, mettre des objets obtenus par des moyens illicites à la disposition de la Partie requérante en vue de leur restitution à leur propriétaire légitime.
L’article 24 fixe le régime des auditions par vidéoconférence. Si une personne qui se trouve sur le territoire de l’une des Parties doit être entendue comme témoin ou expert par les autorités judiciaires de l’autre Partie, cette dernière peut demander, s’il est inopportun ou impossible pour la personne à entendre de comparaître physiquement sur son territoire, que l’audition ait lieu par vidéoconférence. La Partie requise consent à celle-ci pour autant que le recours à cette méthode ne soit pas contraire aux principes fondamentaux de son droit et à condition qu’elle dispose des moyens techniques nécessaires. Les deux Parties peuvent, si elles le souhaitent, utiliser également ce dispositif pour les auditions par vidéoconférence auxquelles participe une personne poursuivie pénalement, à condition toutefois que celle-ci y consente.
L’article 25 détaille les possibilités très larges d’obtention d’informations en matière bancaire. Sont ainsi prévus la fourniture de renseignements concernant les comptes de toute nature ouverts dans des banques situées sur le territoire de la Partie requise, la communication d’opérations réalisées pendant une période déterminée ou encore le suivi instantané de transactions jugées suspectes.
L’article 26 met en place un protocole de communications directes entre autorités centrales chargées de transmettre et recevoir les demandes formulées sur la base de la présente convention, à savoir, pour la République française, le ministère de la justice et pour la République du Pérou, le ministère public.
L’article 27 traite du contenu et de la forme des demandes d’entraide.
L’article 28 définit les modalités d’exécution des demandes d’entraide.
L’article 29 énonce la règle traditionnelle selon laquelle tout refus d’entraide doit être dûment motivé.
L’article 30 institue une dispense de légalisation ou d’authentification des documents, dossiers ou éléments de preuve, transmis en application de la présente convention.
Classiquement, l’article 31 impose que les demandes d’entraide et les documents versés à l’appui soient traduits dans la langue de la Partie requise.
L’article 32 règle la question des frais qui ne donnent en principe lieu à aucun remboursement à la Partie requise, à l’exception de certaines sommes liées à la comparution de témoins ou experts sur le territoire de la Partie requérante. S’il apparaît que des frais de nature extraordinaire sont requis pour satisfaire à la demande, les Parties doivent se consulter pour fixer les termes et conditions selon lesquels l’exécution peut être réalisée.
L’article 33 énonce expressément que les dispositions de la présente convention ne sauraient faire obstacle à une entraide encore plus large qui serait par ailleurs convenue entre les Parties.
L’article 34 offre la possibilité aux deux Autorités centrales d’échanger des avis sur l’application ou l’exécution de la présente convention et l’article 35 énonce que tout différend relatif à l’interprétation ou l’application du texte doit faire l’objet de consultations diplomatiques.
Enfin, les articles 36 à 40, de facture classique, règlent les conditions d’application dans le temps, d’amendement, de durée, d’entrée en vigueur et de dénonciation de l’instrument.
Telles sont les principales observations qu’appelle la convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Pérou, signée à Paris, le 15 novembre 2012 qui, comportant des dispositions de nature législative, est soumise au Parlement en vertu de l’article 53 de la Constitution.
PROJET DE LOI
Le Premier ministre,
Sur le rapport du ministre des affaires étrangères,
Vu l’article 39 de la Constitution,
Décrète :
Le présent projet de loi autorisant l’approbation de la convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Pérou, délibéré en conseil des ministres après avis du Conseil d’État, sera présenté à l’Assemblée nationale par le ministre des affaires étrangères, qui sera chargé d’en exposer les motifs et d’en soutenir la discussion.
Est autorisée l’approbation de la convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Pérou, signée à Paris, le 15 novembre 2012, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Fait à Paris, le 6 novembre 2013.
Signé : Jean-Marc AYRAULT
Par le Premier ministre : |
1 () La modernisation de ce texte fait l’objet d’une négociation parallèle qui pourrait aboutir dès 2013. La négociation d’une convention bilatérale de transfèrement des personnes condamnées, tout comme l’éventualité d’une adhésion du Pérou à la convention européenne de transfèrement du 21 mars 1983, ont pu également faire l’objet d’échanges entre nos deux pays. Ces derniers ont été cependant rendus délicats par le refus de principe des autorités péruviennes d’accorder également l’exercice du droit de grâce à l’État d’exécution de la sentence.