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N° 1580

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 26 novembre 2013.

PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

visant à équilibrer le principe de précaution avec le
principe
d’innovation,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Madame et Messieurs

Damien ABAD, Julien AUBERT, Guillaume CHEVROLLIER, Alain CHRÉTIEN, Gérald DARMANIN, Virginie DUBY-MULLER et Laurent MARCANGELI,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le principe de précaution inscrit dans le bloc de constitutionnalité depuis la loi constitutionnelle du 1er mars 2005 relative à la Charte de l’environnement est en réalité un principe d’action permettant de restaurer la confiance dans le progrès tout en anticipant les risques.

Le principe de précaution ne doit pas être considéré comme une méfiance à l’égard de l’innovation et du progrès technologique, mais plutôt être son corollaire.

Le principe de précaution ne doit pas non plus être perçu comme un frein aux activités de recherche et de développement économique. Pour cela il doit être adossé à l’innovation.

Il faut bien évidemment avoir à l’esprit certaines affaires, qui ont été parfois des tragédies, comme le sang contaminé, l’amiante, l’hormone de croissance, l’encéphalopathie spongiforme bovine (dit épidémie de la vache folle). Le principe de précaution est donc essentiel.

Mais il devient parfois source de blocages, alors qu’il ne devrait pas entraver la marche du progrès. On remarque qu’en se fondant sur ce principe, un grand nombre de réglementations, parfois lourdes, voire contestables, a été prise dans différents secteurs, comme par exemple le secteur agricole ou industriel.

Le principe de précaution est nécessaire, à condition qu’il soit un principe d’action et d’expertise pour réduire l’incertitude. Il doit être un principe de vigilance et de responsabilité et non d’interdiction et d’immobilisme. La prudence doit être de rigueur mais non au détriment du progrès.

Interprété comme tel, ce principe laisse donc toute sa place au principe d’innovation, avec lequel il va de pair. L’union de ces deux principes permet un équilibre, celui de « la prudence responsable ».

Selon Claude BIRRAUX, dans un rapport du Sénat, « L’innovation, c’est l’art d’intégrer le meilleur état des connaissances à un moment donné dans un produit ou un service, et ce afin de répondre à un besoin exprimé par les citoyens ou la société. (…) l’innovation n’est pas seulement un moteur de la croissance, elle constitue également un atout qualitatif par l’amélioration du mode et du niveau de vie qu’elle apporte, par l’invention de produits et de services plus confortables et plus économiques. » 1

L’innovation est au cœur de la croissance économique. L’innovation passe par la recherche et sa valorisation. Elle a besoin de trouver un écosystème favorable politique et juridique.

L’innovation, au XXIe siècle, est la clé de grands défis, pour conserver la croissance économique, pour réaliser des gains de productivité.

Faire la course en tête dans l’innovation est aujourd’hui la seule façon de se procurer un avantage compétitif par rapport aux pays émergents. De nombreuses études révèlent d’ailleurs une corrélation entre innovation et création d’emplois.

Depuis la fin des années 1980 et le début des années 1990, de nouvelles théories économiques mettent en exergue le rôle de l’innovation dans le processus de croissance. Ces théories de la « croissance endogène » font de l’innovation le moteur du développement économique : elles rejoignent des théories plus anciennes soulignant le rôle du progrès technique.

Nous devons prendre des risques technologiques, avec soin et prudence mais nous ne devons pas bannir des recherches parce qu’elles comporteraient des risques : toute recherche en comporte, de l’électricité au XIXe siècle aux nanotechnologies, en passant par les biotechnologies, les organismes génétiquement modifiés et l’énergie nucléaire, etc.

L’innovation est centrale dans l’économie de la connaissance et dans la sortie de cette grande crise de la mondialisation. Pour arriver à développer l’économie, à redresser la France et à faire prospérer la croissance, il est nécessaire d’équilibrer principe de précaution et principe d’innovation.

Ainsi, nous proposons d’inscrire clairement cet équilibre dans la Constitution, norme suprême de notre État de droit, pacte fondateur de la Vème République. Nous souhaitons également y inscrire la notion de progrès, valeur fondamentale de la société.

En effet, l’équilibre entre précaution et innovation est l’une des expressions du progrès, se traduisant par une transformation profonde des structures sociales et politiques accomplie pour une plus grande justice sociale et pour l’amélioration des conditions de vie du plus grand nombre à travers le développement des sciences et des techniques.

L’article 1 de cette proposition de loi constitutionnelle vise à modifier la charte de l’environnement de 2004, en trois points :

- Il insère un alinéa supplémentaire sur la nécessité de reconnaître le principe d’innovation, comme un gage d’épanouissement de la société.

- Ensuite, il complète également l’article 5, en donnant une interprétation plus précise des mesures provisoires et proportionnées des pouvoirs publics, devant être prises en fonction du principe de précaution mais également en fonction du principe d’innovation.

- Enfin, il modifie l’article 9, en inscrivant cette idée d’équilibre, au lieu de faire primer le principe de précaution sur celui de la recherche et de l’innovation, comme pourrait le faire supposer la rédaction actuelle de la Charte.

L’article 2 vise à inscrire dans la constitution formelle de 1958, à son article 34, l’idée de progrès. Puisque « la loi détermine les principes fondamentaux », elle doit déterminer les principes fondamentaux relatifs « au progrès ». Car le progrès est la mise en œuvre de l’équilibre entre principe de précaution et principe d’innovation, et il est également le moteur de notre société républicaine.

PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

Article 1er

La Charte de l’environnement de 2004 mentionnée au premier alinéa du Préambule de la Constitution est modifiée comme suit :

1° Après l’alinéa 6, insérer la phrase suivante :

« Que la société s’épanouit en fonction du progrès et de l’innovation. » ;

2° Compléter l’article 5 par un alinéa ainsi rédigé :

« Ces mesures provisoires et proportionnées sont également étudiées en fonction du principe d’innovation, du développement de la connaissance et du progrès technologique. » ;

3° Substituer l’article 9 par l’article suivant :

« Art. 9. – La mise en œuvre du principe de précaution doit prendre en considération la promotion de l’innovation, de la recherche et du progrès. »

Article 2

Dans l’article 34 de la constitution du 4 octobre 1958, insérer après le 18ème alinéa, l’alinéa suivant :

« – du progrès. »

1  Rapport n° 286 (2011-2012) de MM. Claude BIRRAUX, député, et Jean-Yves LE DEAUT, député, fait au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, déposé le 24 janvier 2012, p. 15.


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