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N° 1616

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 9 décembre 2013.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION
EUROPÉENNE

sur la proposition de règlement du Conseil portant création
du parquet européen (COM [2013] 534 final),

(Renvoyée à la commission des affaires européennes.)

présentée par Madame et Messieurs

Jean-Jacques URVOAS, Guy GEOFFROY et Marietta KARAMANLI,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L’Assemblée nationale soutient la création d’un parquet européen depuis plus d’une dizaine d’années. Elle a notamment adopté, sur le fondement de l’article 88-4 de la Constitution, deux résolutions européennes en ce sens, en 2003 puis en 2011. Elle est également à l’origine de l’étude adoptée par l’Assemblée générale plénière du Conseil d’État le 24 février 2011, intitulée Réflexions sur l’institution d’un parquet européen.

Ce sujet revêt naturellement une grande importance pour la commission des Lois, car il porte sur une matière régalienne située au cœur de ses compétences. Sous la présente législature, ses deux rapporteurs chargés de la veille européenne, signataires de la présente proposition de résolution, y ont consacré une part substantielle de leurs travaux. Ils ont notamment reçu une délégation de la Commission européenne, le 30 novembre 2012, et participé à une réunion interparlementaire organisée à Bruxelles par le Parlement européen, le 20 juin 2013. C’est pour ces raisons que, à l’initiative de son président, la commission des Lois, à l’issue de sa réunion du 17 juillet 2013, les a chargés, après avoir procédé aux auditions nécessaires, de présenter la présente proposition de résolution européenne sur le projet de règlement sur la création d’un parquet européen (COM [2013] 534 final) déposé par la Commission européenne le même jour. C’est une démarche inédite, qui illustre l’implication croissante de la commission des Lois dans le contrôle des affaires européennes.

Cette initiative fait également suite à un courrier adressé à la vice-présidente de la Commission européenne en charge de la justice, des droits fondamentaux et de la citoyenneté européenne, Mme Viviane Reding, par les signataires de la présente proposition de résolution et par la présidente de la commission des Affaires européennes, Mme Danielle Auroi, le 6 novembre dernier, afin d’apporter leur soutien à la création d’un parquet européen, après l’adoption par quatorze chambres des parlements des États membres d’avis motivés contestant, au nom du principe de subsidiarité, la proposition de règlement de la Commission européenne.

La création d’un parquet européen est indispensable pour mettre fin au morcellement de l’espace judiciaire européen et aux insuffisances de la coopération pénale. Les disparités entre les législations pénales des États membres, malgré les efforts de rapprochement entrepris par l’Union européenne, demeurent importantes. Les frontières se sont ouvertes, grâces aux libertés de circulation, aux réseaux criminels comme aux citoyens, mais continuent de constituer des obstacles aux enquêtes, aux poursuites et à la répression des infractions. L’instauration d’un parquet européen permettrait de remédier à ces insuffisances. Elle représenterait un « saut qualitatif » majeur dans la lutte contre la criminalité, ainsi qu’une nouvelle étape importante de la construction européenne, démontrant la plus-value concrète que l’Union européenne peut apporter aux citoyens européens.

L’institution d’un parquet européen est permise, depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, par l’article 86, paragraphe 1, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Cette disposition permet au Conseil, statuant à l’unanimité après approbation du Parlement européen, d’instituer un parquet européen à partir d’Eurojust, par voie de règlements. La proposition de règlement présentée par la Commission européenne concrétise, presque quatre ans après son entrée en vigueur, la possibilité ouverte par ce nouvel article.

La présente proposition de résolution a pour premier objet de rappeler le soutien constant de l’Assemblée nationale à la création d’un parquet européen (paragraphe 1) et l’accueil favorable réservé à la présentation d’une proposition de règlement sur ce sujet (paragraphe 2).

Certaines des modalités retenues par la Commission européenne dans sa proposition devraient cependant être substantiellement revues, afin d’assurer l’efficacité et l’indépendance du futur parquet européen (paragraphe 3).

S’agissant de la compétence matérielle du parquet européen, tout d’abord, le paragraphe 4 de la proposition de résolution réitère l’attachement de l’Assemblée nationale à ce que le parquet européen soit compétent en matière de lutte contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontière, et ne se limite pas à la seule protection des intérêts financiers de l’Union européenne. Certes, dans le traité, la compétence du parquet européen est en principe limitée à la recherche, à la poursuite et au renvoi en jugement des auteurs et complices d’infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union (art. 86, paragraphe 2, TFUE). Toutefois, cette compétence peut être étendue, simultanément ou ultérieurement, à la lutte contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontière par le Conseil européen statuant à l’unanimité, après approbation du Parlement européen. La proposition invite le Conseil européen à faire usage de cette possibilité et à procéder à une telle extension. La plus-value apportée par le parquet européen permettrait de répondre de façon plus efficace à des préoccupations importantes exprimées par les citoyens européens.

Le paragraphe 5 de la proposition de résolution souligne que la compétence du parquet européen ne devrait pas être exclusive, mais partagée avec celle des autorités judiciaires des États membres. Un principe d’exclusivité poserait en effet des difficultés pratiques pour le traitement des infractions connexes. Pour garantir l’efficacité du parquet européen, cette compétence partagée devrait être assortie, d’une part, d’une obligation d’information du parquet européen par les autorités judiciaires nationales de toute infraction susceptible d’entrer dans son champ de compétence et, d’autre part, d’un droit général d’évocation lui permettant de se saisir de l’affaire en cause.

Le paragraphe 6 de la proposition rappelle que le parquet européen devrait être créé, en application de la lettre même du traité, « à partir d’Eurojust ». Cela signifie notamment que sa structure devrait être collégiale, comme l’est celle de l’unité Eurojust, et qu’il devrait entretenir des liens étroits avec cette dernière. Pour que de réelles synergies se développent entre ces deux organes, une proximité géographique, s’agissant du siège du parquet européen, apparaît également indispensable.

Les paragraphes 7 à 9 sont consacrés à la structure du parquet européen. Le parquet européen devrait être institué sous une forme collégiale, composée de membres nationaux ancrés dans leurs systèmes judiciaires respectifs et élisant en leur sein un président, et non sous celle, proposée par la Commission européenne, d’un procureur européen unique, assisté par de simples adjoints et par des délégués auxquels il adresserait ses instructions. Cette structure collégiale confèrerait une plus grande légitimité au parquet européen, faciliterait son acceptation et la prise en compte de la diversité des traditions juridiques des États membres et renforcerait ainsi son efficacité. Cette collégialité est parfaitement compatible avec la réactivité nécessaire à la conduite des enquêtes, puisque ce collège pourrait être divisé en formations restreintes ou en chambres, regroupant les membres nationaux des États membres concernés par le dossier, et chargées de prendre les décisions opérationnelles courantes.

Le paragraphe 10 a trait aux procédures de nomination et de révocation ainsi qu’au statut des membres du parquet européen. Ces procédures et ce statut devraient s’inspirer de ceux prévus pour les membres de la Cour de justice de l’Union européenne par les articles 253 à 255 TFUE et par le Statut de la Cour de justice de l’Union européenne, afin de garantir leur indépendance. Les personnalités désignées devront notamment réunir toutes les conditions requises pour l’exercice de hautes fonctions juridictionnelles et posséder une expérience pertinente en qualité de procureur.

Les garanties procédurales prévues par la proposition de règlement sont celles assurées par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, par les directives européennes déjà adoptées ou en cours d’adoption harmonisant certains droits en matière de procédure pénale (droits à l’interprétation et à la traduction, droit à l’information, droit à un avocat, etc.) et par le droit interne des États membres. Cette approche, consistant à renvoyer à d’autres textes, est satisfaisante, car l’élaboration d’un corpus de règles procédurales spécifique serait à la fois injustifiée et conduirait à reporter considérablement la création du parquet européen.

Les dispositions relatives au contrôle juridictionnel des actes du parquet européen apparaissent en revanche insuffisantes (paragraphe 12). Elles confient les recours en responsabilité, extracontractuelle et contractuelle, ainsi que le contrôle de la légalité des décisions du parquet européen sur les demandes d’accès aux documents à la Cour de justice de l’Union européenne. Le contrôle de la légalité de l’ensemble des actes d’enquête et de poursuite du parquet européen relèverait en revanche exclusivement des juridictions internes. La proposition de règlement prévoit également que les juridictions nationales ne devraient pas avoir la possibilité d’interroger la Cour de justice, en lui adressant une question préjudicielle, sur la validité des actes du parquet européen. Il y a lieu de s’interroger sur la conformité de ces dispositions au droit à un recours juridictionnel effectif, s’agissant en particulier du contrôle de la décision prise par le parquet européen de renvoyer l’affaire en jugement et de celle relative au choix de la juridiction de jugement, qui auront toutes deux des conséquences importantes pour la personne mise en cause (paragraphe 13).

Les dispositions relatives à l’admissibilité des preuves et aux règles de prescription devraient par ailleurs être complétées, une harmonisation minimale dans ces domaines apparaissant indispensable pour assurer un fonctionnement efficace du parquet européen et éviter le risque de « course aux tribunaux » (« forum shopping ») (paragraphe 14).

Le paragraphe 15 évoque la question du déclenchement d’une coopération renforcée sur le parquet européen. Rappelons qu’à défaut d’unanimité, le second alinéa de l’article 86, paragraphe 1, TFUE, autorise un groupe composé d’au moins neuf États membres à instaurer une coopération renforcée sur la base du projet de règlement concerné, après saisine du Conseil européen. Cette coopération renforcée est plus facile à mettre en œuvre que la coopération renforcée « de droit commun », prévue à l’article 329 TFUE, l’autorisation du Conseil, sur proposition de la Commission et après approbation du Parlement européen, n’étant pas requise. Plusieurs États membres (le Royaume-Uni et le Danemark) étant opposés à la création d’un parquet européen, il apparaît déjà acquis que celui-ci ne pourra voir le jour que dans le cadre d’une telle coopération renforcée. La proposition de résolution invite par conséquent la Commission européenne à modifier sa proposition dans un sens susceptible de recueillir la participation du plus grand nombre d’États membres, tout en maintenant un degré élevé d’ambition et d’intégration.

Enfin, le paragraphe 16 aborde la question de la conformité à la Constitution de la proposition de règlement et de la nécessité éventuelle d’une révision constitutionnelle. Le Conseil d’État, dans son étude sur le sujet, précitée, a en effet estimé que la révision constitutionnelle du 4 février 2008, intervenue à la suite de la décision n° 2007-560 DC du Conseil constitutionnel du 20 décembre 2007, n’exemptait pas les règlements adoptés sur le fondement de l’article 86, paragraphe 1, TFUE, de respecter l’ensemble de nos principes constitutionnels.

Dans ces conditions, il apparaît opportun que le Gouvernement saisisse le Conseil d’État d’une demande d’avis sur la proposition de règlement avant son adoption, lorsque son contenu apparaîtra stabilisé, afin qu’il indique si ce texte lui paraît comporter des dispositions contraires à des principes ou des règles de valeur constitutionnelle. Cette saisine préalable permettrait d’éviter de placer le pouvoir constituant dans une situation de compétence liée, comme cela fut le cas pour la décision-cadre relative au mandat d’arrêt européen. Les éventuelles difficultés constitutionnelles ayant été identifiées avant l’adoption du texte, c’est averties et conscientes de la nécessité, le cas échéant, d’une révision constitutionnelle que les autorités françaises consentiraient à la création d’un parquet européen.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu les articles 85 et 86 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE),

Vu la proposition de règlement du Conseil portant création du parquet européen (COM [2013] 534 final) ;

Vu les résolutions européennes de l’Assemblée nationale sur le parquet européen n° 139 du 22 mai 2003 et n° 726 du 14 août 2011,

1. Rappelle le soutien constant qu’elle a apporté à la création d’un parquet européen, indispensable pour renforcer la lutte contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontière et la délinquance financière au détriment de l’Union européenne ;

2. Accueille favorablement la présentation par la Commission européenne d’une proposition de règlement visant à créer un parquet européen ;

3. Estime cependant que certaines des modalités retenues par la Commission européenne dans sa proposition devraient être revues, afin d’assurer l’efficacité et l’indépendance du parquet européen ;

4. Souhaite que la compétence du parquet européen soit étendue à la lutte contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontière, comme le permet l’article 86, paragraphe 4, TFUE ;

5. Juge que le parquet européen devrait disposer non pas d’une compétence exclusive, mais d’une compétence partagée avec les autorités judiciaires des États membres, assortie d’une obligation d’information du parquet européen par ces dernières de toute infraction susceptible d’entrer dans son champ de compétence et d’un droit général d’évocation lui permettant de se saisir de l’affaire en cause ;

6. Rappelle que le parquet européen devrait être créé, conformément à l’article 86, paragraphe 1, TFUE, à partir de l’unité Eurojust et donc entretenir des liens étroits avec cette dernière, ce qui exige notamment une proximité géographique s’agissant de son siège ;

7. Souhaite que le parquet européen soit institué sous une forme collégiale, composée de membres nationaux ancrés dans leur systèmes judiciaires respectifs et élisant en leur sein un président, et non sous celle d’un procureur européen unique, assisté par des adjoints et des délégués auxquels il adresserait ses instructions ;

8. Estime que cette structure collégiale conférerait une plus grande légitimité au parquet européen, faciliterait son acceptation et la prise en compte de la diversité des traditions juridiques des États membres et renforcerait ainsi son efficacité ;

9. Considère que ce collège pourrait être divisé en formations restreintes ou chambres, regroupant les membres nationaux des États membres concernés par le dossier, et chargées de prendre les décisions opérationnelles courantes, seules les décisions les plus importantes étant renvoyées au collège, afin d’assurer la réactivité nécessaire à la conduite des enquêtes ;

10. Recommande que les procédures de nomination et de révocation ainsi que le statut des membres du parquet européen s’inspirent de ceux prévus pour les membres de la Cour de justice de l’Union européenne par les articles 253 à 255 TFUE et par le Statut de la Cour de justice de l’Union européenne, afin de garantir leur indépendance ;

11. Approuve les garanties procédurales prévues par la proposition de règlement, conformes à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ;

12. Regrette l’insuffisance des dispositions relatives au contrôle juridictionnel des actes d’enquête et de poursuite du parquet européen, qui confient le contrôle de la légalité de l’ensemble de ces actes aux juridictions internes et restreignent l’obligation des juridictions nationales d’adresser à la Cour de justice de l’Union européenne une question préjudicielle en appréciation de validité ;

13. S’interroge, en particulier, sur les modalités de contrôle de la décision prise par le parquet européen de renvoyer l’affaire devant une juridiction de jugement et celle relative au choix de cette juridiction, qui auront des conséquences importantes pour la personne mise en cause, au regard du droit à un recours juridictionnel effectif ;

14. Suggère que les dispositions relatives à l’admissibilité des preuves et aux règles de prescription soient complétées, une harmonisation minimale apparaissant nécessaire pour assurer le bon fonctionnement du parquet européen ;

15. Invite la Commission européenne à modifier sa proposition dans un sens susceptible de recueillir la participation du plus grand nombre d’États membres dans le cadre d’une éventuelle coopération renforcée, tout en maintenant un degré élevé d’ambition et d’intégration ;

16. Suggère au Gouvernement français de saisir le Conseil d’État d’une demande d’avis sur la proposition de règlement avant son adoption, afin qu’il indique si ce texte lui paraît comporter des dispositions contraires à des principes ou des règles de valeur constitutionnelle.


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