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N° 1727

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 23 janvier 2014.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

appelant à la reconnaissance des droits légitimes de la France sur le plateau continental de Saint-Pierre-et-Miquelon,

présentée par Mesdames et Messieurs

Jean-Claude FRUTEAU, Paul GIACOBBI, Annick GIRARDIN, Roger-Gérard SCHWARTZENBERG, Joël GIRAUD, Stéphane SAINT-ANDRÉ, Olivier FALORNI, Jean-Noël CARPENTIER, Jeanine DUBIÉ, Thierry ROBERT, Ary CHALUS, Alain TOURRET, Thierry BRAILLARD, Jacques MOIGNARD, Jacques KRABAL, Dominique ORLIAC, Gérard CHARASSE, Philippe GOSSELIN, Lionnel LUCA, René DOSIÈRE, Philippe FOLLIOT, Patrick LEBRETON, Jean-Jacques VLODY, Serge LETCHIMY, Boinali SAID, Ibrahim ABOUBACAR, Hélène VAINQUEUR-CHRISTOPHE, Gilbert LE BRIS, Éric JALTON, Ericka BAREIGTS, Huguette BELLO, Bruno Nestor AZEROT, Napole POLUTÉLÉ, Geneviève GOSSELIN-FLEURY, Didier QUENTIN, Gérard TERRIER, Chantal BERTHELOT, Jonas TAHUAITU, Gabrielle LOUIS-CARABIN et Philippe GOMES,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Conformément à ses intérêts et dans le cadre du droit international public des espaces maritimes, la France s’est engagée dans un projet ambitieux visant à la reconnaissance de l’extension de son plateau continental en saisissant la commission des Nations unies compétente en la matière. Ces revendications se confrontent à celles d’autres États côtiers qui entendent également faire valoir leurs droits.

Parmi ces revendications, celle qui concerne le plateau continental de Saint-Pierre-et-Miquelon, au large de Terre-Neuve, va conduire à une négociation très sérieuse avec le Canada, pays ami et – on l’oublie – voisin de la France, grâce à cet archipel.

L’objet de la présente proposition de résolution, déposée en application de l’article 34-1 de la Constitution et qui a recueilli le soutien de la quasi-totalité des groupes politiques de l’Assemblée nationale – ce qui est suffisamment rare pour être souligné –, est d’affirmer la volonté de la représentation nationale de soutenir publiquement et fortement l’action engagée par notre pays afin de faire valoir nos droits légitimes concernant l’extension du plateau continental de Saint-Pierre-et-Miquelon.

Alors que des engagements clairs ont été pris par le président de la République et le Gouvernement en la matière, que le Conseil économique, social et environnemental a également apporté sa contribution récemment à ce dossier, il importe que le Parlement puisse aussi exprimer son soutien sans faille à cette démarche aussi essentielle à la survie de l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon que, plus largement encore, stratégique pour notre pays.

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En effet, grâce à ses outre-mer, la France dispose de la deuxième plus grande superficie maritime mondiale après celle des États-Unis. Notre pays est ainsi présent dans chaque océan que compte la planète et cette présence est l’un de ses plus précieux atouts stratégiques. Car nul ne doute que ces océans constituent l’un des enjeux de la compétition que se livrent les grands pays aujourd’hui déjà et demain plus encore. Que ce soit pour exploiter les formidables ressources présentes dans les mers, les sols et les sous-sols maritimes, pour tracer de nouvelles routes de navigation afin de transporter des marchandises à moindre coût et plus rapidement, que ce soit pour assurer sa sécurité, chaque État qui pourra s’appuyer sur un espace maritime important disposera d’atouts déterminants et fera partie des puissances qui compteront.

La compétition en vue de s’assurer la maîtrise des espaces maritimes ne pourra que s’aiguiser dans les prochaines décennies en raison des enjeux en cause. La France ne peut rester à l’écart de ce mouvement. En raison même des 11 millions de km2 de zone économique exclusive sur lesquels elle exerce sa souveraineté – c’est-à-dire plus que la superficie du continent européen – elle ne doit pas fuir ses responsabilités et ne peut se contenter d’un rôle mineur, d’une posture attentiste. Elle est un acteur de cette compétition et doit faire respecter ses droits.

La délimitation des frontières maritimes est bien l’un des enjeux du XXIe siècle et la communauté internationale ne s’y est pas trompée lorsqu’il s’est agi de construire un nouveau droit de la mer lors de la signature de la convention de Montego Bay en 1982. La convention de l’Organisation des Nations unies sur le droit de la mer a eu pour ambition d’établir ainsi le régime juridique de tous les espaces maritimes en trouvant un équilibre entre le principe de liberté de navigation, les revendications territoriales des États côtiers, le développement économique fondé sur l’exploitation des océans et la protection de cet environnement absolument essentiel à notre planète.

La signature de cette convention a ouvert la voie à une multitude de revendications territoriales entre États côtiers tant pour déterminer les frontières entre les zones maritimes comme la zone économique exclusive (ZEE) qui peut s’étendre jusqu’à 200 milles nautiques au-delà des côtes que pour définir les limites du plateau continental que les pays peuvent revendiquer.

En effet, par son article 76, la convention de Montego Bay a ouvert la possibilité pour les États côtiers d’étendre leur juridiction sur les ressources se trouvant sur son plateau continental, c’est-à-dire sur les fonds marins et leur sous-sol, et ce, au-delà des 200 milles marins constitués par la zone économique exclusive de base. Or on sait quelles sont les richesses, en particulier en hydrocarbures, qui peuvent se trouver dans ces sous-sols. On imagine aussi toutes celles qui pourront un jour être exploitées lorsque la technologie le permettra. Les perspectives sont d’ores et déjà considérables avec la possibilité de disposer de nodules polymétalliques, par exemple, composées de matières premières essentielles pour les industries. La convention de 1982 a pris de soin de créer une Commission des limites du plateau continental (CLPC) chargée d’examiner les demandes d’extension, au-delà des 200 milles marins, des limites du plateau continental. Cette commission a commencé ses travaux réellement à compter des années 2000, après que la Convention de Montego Bay fut entrée en vigueur en 1994. Elle est aujourd’hui saisie de nombreuses revendications dont celles émanant de notre pays, en particulier autour de Saint-Pierre-et-Miquelon.

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Saint-Pierre-et-Miquelon est la seule collectivité d’outre-mer française située en Amérique du Nord, à 25 kilomètres de Terre-Neuve au Canada. Peuplé de 6 311 habitants, Saint-Pierre-et-Miquelon a toujours vécu, depuis le XVIe siècle, de la pêche jusqu’à ce que la diminution des ressources halieutiques et un arbitrage désastreux intervenu en 1992 entre le Canada et notre pays, arbitrage donc les conséquences nous furent particulièrement défavorables – il fut vécu comme une injustice dans l’archipel –, aient condamné ce petit territoire à ne plus pouvoir exploiter les richesses de la mer, compromettant gravement sa survie économique et, à terme, la pérennité même de la présence de nos compatriotes sur ces îles.

Aujourd’hui une nouvelle chance est offerte à Saint-Pierre-et-Miquelon et, plus largement, à notre pays. En mai 2009, la France a déposé auprès de la CLPC, une lettre d’intention, procédure préalable au dépôt d’un dossier de revendication. Il a fallu d’ailleurs qu’une mission d’information soit créée par l’Assemblée nationale avec pour rapporteurs Louis Guédon, alors député de Vendée, et Annick Girardin, députée de Saint-Pierre-et-Miquelon, pour que le Gouvernement de notre pays dépose, par une décision du Premier ministre, M. François Fillon, une lettre d’intention, prémisse nécessaire au dépôt ultérieur du dossier de revendication de notre plateau continental autour de Saint-Pierre-et-Miquelon.

Depuis lors les éléments constitutifs de notre revendication se sont renforcés. En juillet 2011, une campagne scientifique a été menée au large de l’archipel par le navire le Suroit dans le cadre du grand programme Extraplac, conduit par l’Ifremer, afin de préparer les dossiers de revendication devant la CLPC. Les résultats scientifiques de cette campagne sont probants et montrent que le plateau continental de Saint-Pierre-et-Miquelon répond bien géologiquement aux critères juridiquement exigés par le droit international pour permettre l’extension d’un plateau continental au-delà de la limite des 200 milles marins.

Le Premier ministre, M. Jean-Marc Ayrault, par une lettre du 12 novembre 2013 adressé à M. Paul Giacobbi, président du groupe d’études de l’Assemblée nationale sur les îles d’Amérique du Nord et Clipperton, a donc confirmé que la France déposerait bien un dossier de revendication devant la CLPC pour concrétiser la lettre d’intention déposée en 2009 par le Gouvernement de M. François Fillon.

Le président de la République, M. François Hollande, a lui-même déclaré, ce qui constitue un engagement extrêmement fort qui a été apprécié à sa juste mesure par les habitants de Saint-Pierre-et-Miquelon, que « la France défendrait les intérêts de l’archipel concernant l’extension du plateau continental au large de Saint-Pierre-et-Miquelon », le 24 juillet dernier.

Le cap est donc clairement fixé. Reste à déposer concrètement ce dossier de revendication auprès de la CLPC ce qui incombe au Gouvernement.

Cette volonté forte de la France n’a pas manqué de susciter des réactions de la part du Canada. En octobre dernier, le ministre des Affaires étrangères de ce pays et son ambassadeur en France avaient publié un communiqué commun soulignant que le dossier du plateau continental canadien était une « question d’intérêt national ». Lors du dépôt de son propre dossier de revendication d’extension de son plateau continental devant la commission des Nations unies, en décembre dernier, le Canada a d’ailleurs estimé, par la voie de sa diplomatie, d’une manière qu’on peut juger inutilement brutale que « la France [n’était] éligible à aucune zone maritime ».

Notre pays doit donc faire valoir ses droits et ses intérêts. C’est une question également de principe pour ce qui concerne une question qui touche à notre territoire maritime et donc à notre souveraineté. On ne peut traiter un tel sujet qu’avec une certaine gravité et en ayant à l’esprit les enjeux de long terme qui s’y attachent. Rien ne serait pire de sacrifier pour des considérations de circonstances ce qui relève d’intérêts fondamentaux de notre pays.

Pour autant, l’affirmation solide et claire de ces droits ne doit pas apparaître comme un repli mais bien comme la volonté de s’inscrire dans un processus de dialogue avec ce partenaire important qu’est le Canada. L’histoire commune de nos deux pays doit conduire à une intense coopération et ce qui est vrai à l’échelon national l’est plus encore au plan régional. L’avenir de Saint-Pierre-et-Miquelon se joue dans son environnement proche, dans le cadre d’une intégration régionale forte qui ne saurait être fondée autrement que sur un respect mutuel, dont la condition est la défense normale et apaisée des intérêts réciproques. Pour cela il faut nouer des partenariats, où l’archipel tient sa place, compte tenu de sa taille et de sa population, toute sa place mais pas moins qu’elle.

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L’objet de cette proposition de résolution est donc bien d’affirmer une position de soutien à la démarche engagée par notre pays, en vue de faire respecter nos droits légitimes et de montrer que la représentation nationale appuie avec une grande conviction cette revendication.

Elle est aussi un signe de solidarité à l’égard de nos compatriotes de Saint-Pierre-et-Miquelon afin qu’ils sachent qu’ils ne sont pas isolés dans leur combat pour assurer l’avenir de l’archipel et la présence de la France en Amérique du Nord. À cet égard, on ne peut oublier qu’une longue histoire unit la France à ce territoire, qui a su depuis Jacques Cartier faire valoir nos valeurs dans cette partie du monde. Il n’est qu’à se rappeler que Saint-Pierre-et-Miquelon fut l’un des premiers territoires à rejoindre la France libre pendant la Seconde guerre mondiale pour en être convaincu.

Par cette affirmation forte de l’Assemblée nationale, notre diplomatie n’en sera que renforcée dans son action pour faire aboutir l’extension des plateaux continentaux de tous les outre-mer français. C’est là un enjeu considérable pour l’avenir.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34-1 de la Constitution,

Vu la convention des Nations unies sur le droit de la mer signée à Montego Bay le 10 décembre 1982 et ratifiée par la France le 11 avril 1996, notamment sa partie VI « Le plateau continental »,

Vu la décision arbitrale du 10 juin 1992 sur la délimitation des espaces maritimes entre le Canada et la République française,

Vu l’article 136 du règlement de l’Assemblée nationale,

Considère que la délimitation du plateau continental de notre pays est une question d’intérêt national,

Estime que la France ne saurait renoncer à ses droits légitimes concernant l’extension de son plateau continental, au large de Saint-Pierre-et-Miquelon, comme ailleurs,

Constate que, par sa décision du 10 juin 1992, le tribunal d’arbitrage chargé d’établir la délimitation des espaces maritimes entre la France et le Canada n’a pas statué sur la question de l’extension du plateau continental au large de Saint-Pierre-et-Miquelon, après s’être reconnu incompétent pour en connaître et avoir exclu que sa décision puisse avoir la moindre conséquence sur cette question ;

Exprime son plus ferme soutien à la démarche engagée par notre pays aux fins de faire reconnaître l’extension de son plateau continental au large de Saint-Pierre-et-Miquelon ;

Souhaite que le dossier de demande de reconnaissance du plateau continental de Saint-Pierre-et-Miquelon auprès de la Commission des limites du plateau continental des Nations unies instituée par l’article 76-8 et l’annexe II de la convention sur le droit de la mer puisse être déposé dans des délais et des conditions tels qu’ils permettent de défendre pleinement les intérêts de la France et de Saint-Pierre-et-Miquelon ;

Appelle à ce que, une fois ce dossier déposé et la demande française examinée par la Commission des Nations unies, des négociations fondées sur le respect mutuel et la reconnaissance des droits légitimes de notre pays puissent être engagées avec le Canada, conformément aux relations d’amitié qui prévalent entre notre deux pays, afin de trouver une solution pérenne et permettre d’envisager l’avenir de Saint-Pierre-et-Miquelon avec confiance.


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