N° 1776
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 février 2014.
PROPOSITION DE LOI
relative à la nationalisation des sociétés concessionnaires d’autoroutes et à l’affectation des dividendes à l’agence
de financement des infrastructures de transports,
(Renvoyée à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire,
à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par
M. Jean-Jacques CANDELIER,
député.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Aujourd’hui, en France, le réseau autoroutier est largement concédé. En effet, si sa propriété reste du domaine de l’État au regard de son utilité publique, son exploitation est largement confiée à des sociétés concessionnaires dont le capital a progressivement été ouvert au privé, puis totalement privatisé.
Ainsi, le 18 juillet 2005, Thierry BRETON, ministre de l’économie, et Dominique PERBEN, ministre de l’équipement, ont annoncé la cession de l’ensemble des participations publiques détenues par l’État et l’établissement public Autoroutes de France (ADF) dans les sociétés concessionnaires de service autoroutier : Société des Autoroutes du Nord et de l’Est de la France (SANEF/SAPN), Autoroutes du Sud de la France (ASF/ESCOTA), Autoroutes Paris Rhin Rhône (APRR/AREA).
Ce désengagement de l’État a particulièrement été décrié, et ce, pour plusieurs raisons, dont l’absence de cohérence de l’action gouvernementale.
En effet, cette décision est intervenue seulement quelques mois après la création de l’Agence de Financement des Infrastructures de Transports Française (AFITF), fin 2004, dont l’une des ressources principales devait justement être les dividendes des sociétés concessionnaires. La décision gouvernementale de privatisation comportait donc l’inconvénient majeur de priver cette agence de financements pérennes.
Pourtant, au regard de la mission confiée à l’AFITF, cette décision induit des conséquences particulièrement néfastes. En effet, celle-ci est chargée d’apporter la part de l’État dans le financement « des projets d’intérêt national ou international relatifs à la réalisation ou à l’aménagement d’infrastructures routières, ferroviaires, fluviales ou portuaires ainsi qu’à la création ou au développement de liaisons maritimes régulières de transport de fret ». Mais depuis, l’agence s’est vue confier d’autres missions supplémentaires, au premier rang desquelles le développement de liaisons ferroviaires de fret et celle des transports collectifs de personnes, ceci sans compter le financement des contrats de plan État-Région.
Remettre en cause les financements de l’AFITF conduisait donc le plus sûrement à hypothéquer la réalisation de l’ensemble des projets définis par le CIADT.
De plus, la vente des parts de l’État n’a que peu servi au financement de cette agence puisque l’essentiel du produit de la vente a été utilisé en vue du désendettement de l’État et non du financement des infrastructures de transports. En effet, seuls 4 milliards sur les 14,8 milliards de recette ont été affectés à l’AFITF. Élément aggravant de cette décision, selon diverses projections, dont celle retenue par l’État, d’ici à 2032, les sociétés d’autoroutes auraient rapporté environ 37 milliards d’euros de dividendes à l’État. La sous-évaluation de la valeur de ces sociétés concessionnaires a d’ailleurs interpellé beaucoup de spécialistes.
Certes, la perte de cette ressource a été partiellement compensée par l’affection de nouvelles ressources, cependant la capacité d’action de l’AFITF a été de fait largement entamée, notamment si l’on se réfère à la double ambition en termes de développement des transports définie d’une part dans le vote de la loi dite Grenelle de l’environnement et d’autre part, dans le schéma national des infrastructures de transports.
En outre, cette perte de ressources devait également être compensée par la création d’une taxe poids lourds en 2011, taxe qui n’a toujours pas vu le jour et dont l’existence est de plus en plus repoussée voire compromise.
Au bas mot, la privatisation des concessions d’autoroute ampute donc l’AFITF de 1 à 2 milliards par an sans aucune compensation équivalente, et encore moins à la hauteur des besoins de financement. Privée de financements suffisants, il devient alors difficile pour l’AFITF d’être réellement un outil de report modal.
À ce titre, il faut noter la conclusion sans appel de la mission d’information constituée au Sénat intitulée « Infrastructures de transport : remettre la France sur la bonne voie » datant du 6 février 2008. Les rapporteurs ont estimé « qu’il aurait été vivement préférable de maintenir l’actionnariat de l’État dans ces entreprises extrêmement rentables, afin de continuer d’alimenter les programmes d’infrastructures de transport à partir des dividendes desdites sociétés. Vos rapporteurs souhaitent que tous les enseignements de la privatisation en 2005 soient tirés à l’avenir, notamment lorsque les concessions prendront fin et que l’État retrouvera toutes les marges de manœuvre pour organiser le service au mieux de ses intérêts financiers et patrimoniaux. »
Si on est d’accord avec ces préconisations, l’actualité et la hausse vertigineuse des tarifs pratiqués par les sociétés concessionnaires d’autoroutes doivent nous conduire à repenser les choses dans des échéances plus resserrées.
Comme une confirmation, la Cour des comptes indique dans son rapport annuel de 2009, les difficultés qui sont aujourd’hui celles de l’AFITF en parlant d’une « agence de financement aux ambitions limitées, privée de moyens et désormais inutile ». Il est donc urgent de retrouver des marges de manœuvre pour cette agence.
Pour cela deux solutions s’ouvrent, soit augmenter les taxes sur les sociétés concessionnaires comme cela avait été envisagé lors de la loi de finances de 2009 avant d’être abandonné plus tard, soit de renationaliser ces sociétés.
La deuxième option nous semble plus juste.
Une telle option permettrait également d’en finir avec les pratiques de ces sociétés aujourd’hui entièrement privées qui loin de répondre au principe posé par l’article 4 de la loi du 18 avril 1955 devenu article L. 122-4 du code de la voirie routière, ont mis en place une politique tarifaire des plus rémunératrices.
En effet, l’article L. 122-4 du code de la voirie routière dispose que « l’usage des autoroutes est en principe gratuit. Toutefois, il peut être institué par décret en Conseil d’État, un péage pour l’usage d’une autoroute en vue d’assurer la couverture totale ou partielle des dépenses de toute nature liées à la construction, à l’exploitation, à l’entretien, à l’aménagement ou à l’extension de l’infrastructure. En cas de délégation des missions du service public autoroutier, le péage couvre également la rémunération et l’amortissement des capitaux investis par le délégataire ».
Rappelons qu’il existe une différence notable entre la rémunération normale, et la véritable rente qu’organisent aujourd’hui Vinci et les autres sociétés concessionnaires au détriment des usagers.
Ainsi, il serait par exemple normal qu’une fois le coût de l’investissement amorti, les tarifs des péages diminuent. Pourtant, les sociétés ont trouvé un autre principe consistant à augmenter les tarifs sur les axes les plus saturés afin de s’assurer un maximum de rentabilité en dehors de toute autre considération et sans commune mesure avec les charges d’entretien des axes concernés.
Dès 2008, la Cour des comptes a estimé que le système était devenu trop favorable aux concessionnaires. Malgré cela, années après années, le gouvernement a continué d’homologuer des tarifs plus que critiquables alors même que ces sociétés, pour augmenter la rentabilité, outre une augmentation des tarifs, pressurent les salaires et l’emploi.
Pour preuve, selon la presse, depuis la privatisation, l’effectif total du secteur a fondu de 10 %, pour se situer légèrement au-dessus des 16 000 salariés. Moins de personnel, donc moins de coûts, conjugués à des tarifs en hausse.
Ainsi, selon l’association « 40 millions d’automobilistes » entre 2005 et 2010 les tarifs des péages ont augmenté de 7,79 % (Cofiroute) à 11,07 % (Autoroutes du Sud de la France).
Les six sociétés d’autoroutes françaises – APRR, ASF, Cofiroute, Escota, Sanef, SAPN – se portent plutôt bien avec un chiffre d’affaires en 2010 dépassant les 8 milliards d’euros. La part des recettes de péages dans ce chiffre d’affaires est conséquente. Si l’on se réfère au rapport financier 2009 de la société APRR, les recettes des péages représentent ainsi 82 % du chiffre d’affaires.
En 2032, date de fin de la concession des autoroutes, on estime ainsi que ces sociétés auront engrangé le chiffre pharaonique de 40 milliards d’euros de bénéfices !
Il y a donc besoin d’affirmer un double principe :
Premièrement, les usagers des autoroutes ne doivent pas être considérés comme une rente captive, dont la contribution est uniquement guidée par le besoin de rentabilité des actionnaires.
Deuxièmement, les dividendes issus des péages doivent servir le principe posé par le Grenelle de réorientation de la route vers le ferroviaire, réorientation dont l’AFITF est un rouage important.
Pour cette raison, nous souhaitons garantir la nationalisation des sociétés concessionnaires tout en affirmant le principe que les dividendes doivent être affectés à l’AFIFT.
C’est cette solution que tend à mettre en œuvre la présente proposition de loi.
L’article 1er prévoit ainsi la nationalisation des sociétés concessionnaires d’autoroutes.
L’article 2 prévoit que l’article 1er entre en vigueur à l’expiration d’un délai d’un an à compter de la promulgation de la loi.
Enfin, l’article 3 correspond au gage financier.
PROPOSITION DE LOI
Les sociétés suivantes sont nationalisées :
– A’Liénor ;
– ADELAC ;
– ARCOUR ;
– Autoroute de liaison Calvados-ORNE ;
– Autoroute de liaison Seine-Sarthe ;
– Autoroutes du Sud de la France ;
– Autoroutes Paris-Rhin-Rhône ;
– Compagnie Eiffage du viaduc de Millau ;
– Compagnie industrielle et financière des autoroutes ;
– Société des autoroutes du Nord et de l’Est de la France ;
– Société des autoroutes Estérel Côte d’Azur Provence Alpes ;
– Société marseillaise du tunnel Prado-Carénage.
L’article 1er entre en vigueur à l’expiration d’un délai d’un an à compter de la promulgation de la présente loi.
Les charges pour l’État sont compensées à due concurrence par le relèvement du taux de l’impôt sur les sociétés.