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N° 2133

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 juillet 2014.

PROPOSITION DE LOI

visant à instituer un conseil national de déontologie journalistique et un code de déontologie,

(Renvoyée à la commission des affaires culturelles et de l’éducation, à défaut de constitution
d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Jean-François MANCEL,

député.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Au cours de la dernière décennie, le traitement de l’information a considérablement évolué que ce soit avec l’apparition des chaînes d’information continues, ou encore des réseaux sociaux tels Facebook et Twitter. Si la conséquence de cette « mutation médiatique » a permis aux citoyens de disposer d’un nombre toujours plus élevé de sources d’informations, la qualité du contenu diffusé par ces nouveaux médias n’a pas suivi la même courbe ascendante, en raison des effets secondaires qu’a engendrée cette mutation : surenchère médiatique, course effrénée à l’audimat et aux tirages, vérifications parfois superficielles voire inexistantes de la véracité des informations. Si ces excès ne sont imputables qu’à une minorité de journalistes, ils ne sont pas sans conséquences sur les citoyens qu’ils soient des personnages publics ou non. En effet, l’actualité récente a mis au jour des atteintes inacceptables aux droits les plus essentiels de la personne tels que le secret de l’instruction, le secret défense, la présomption d’innocence, le droit à la dignité ou encore le droit d’avoir une vie privée.

Dès lors, une intervention législative paraît nécessaire pour réguler les excès des médias, parfois appelés « le quatrième pouvoir » après l’exécutif, le législatif et le judiciaire. L’idée est d’instituer un organisme d’autorégulation des médias adossé à un code de déontologie reconnu par toute la profession.

L’objet de cette présente loi n’est en aucun cas de stigmatiser une profession, pas plus que d’entraver la liberté d’expression ou la capacité d’investigation de ceux qui la servent. Un conseil de déontologie veillera simplement au respect d’un juste équilibre entre les libertés dont jouissent les journalistes et les droits garantis aux citoyens, animé par l’idée qu’il ne saurait y avoir de libertés sans responsabilités en contrepartie. Ainsi, selon Robert Pinker (Commission des plaintes britanniques) une telle institution « doit servir à protéger le public contre les abus de cette liberté ». Les Français ne comprennent pas qu’une corporation aussi puissante ne soit pas encadrée par un conseil indépendant. En comparaison, la police nationale a vu naître en son sein en 2009 un comité d’éthique ayant pour support une charte éthique.

D’ailleurs, force est de constater que le fossé entre les médias et les Français s’est creusé ces dernières années. Une enquête réalisée par l’IPSOS-STERIA en date de janvier 2014 rapporte que 77 % des Français ne font pas confiance aux médias. Une autre enquête de la TNS SOFRES souligne que seulement un Français sur deux juge les médias télévisés crédibles et 32 % pour internet.

Cette idée n’est pas nouvelle et beaucoup de principes sont déjà définis par des chartes nationales et internationales, à l’instar de la Charte de Munich du 24 novembre 1971. Cependant, faute d’un accord, la convention collective nationale de travail des journalistes du 1er mars 1976, qui a force de loi depuis le décret d’extension ministériel du 2 février 1988, ne contient aucun protocole annexé traitant des questions d’éthique ou de déontologie.

Suite aux états généraux de la presse écrite lancés en 2008, Bruno Frappat, journaliste et ancien président du directoire du groupe Bayard Presse, a présidé un comité de sages dont le but était la rédaction d’un projet de code de déontologie des journalistes. Ce projet n’a cependant pas réussi à rallier à lui toute la profession et son influence reste donc limitée.

Selon le Guide pratique de l’autorégulation des médias publié par l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, des conseils de presse existent dans de nombreux pays européens au premier rang desquels figurent la Grande-Bretagne, l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie ou encore les pays scandinaves. L’Association pour la Préfiguration d’un Conseil de Presse (APCP) ajoute la Suisse et même au-delà des frontières européennes, le Québec et le Bénin.

D’après l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), ces conseils de presse s’acquittent de cinq missions majeures :

– Préserver la liberté rédactionnelle ;

– Contribuer à restreindre l’ingérence de l’État ;

– Favoriser la qualité de l’information ;

– Démontrer le sens de la responsabilité des médias ;

– Aider le public à accéder aux médias.

La création d’un tel organisme en France doit répondre à trois exigences garantissant sa pérennité et son efficacité.

Tout d’abord, il doit demeurer indépendant du pouvoir politique et permettre à la profession d’organiser son autorégulation. Cette autorégulation, permettant aux membres de la profession d’être jugés par leurs pairs, contribuera à renforcer la crédibilité des médias auprès du public et les aidera à répondre plus facilement aux plaintes. Des procédures judiciaires existent déjà afin de faire valoir les droits des personnes mises en cause indûment par les médias. Ce n’est pas le sujet de la présente proposition de loi.

Ensuite, cet organisme ne doit pas s’apparenter à une nouvelle juridiction. Son rôle doit être de corriger plus que de punir et les sanctions qu’il délivre doivent être de nature morale. D’ailleurs, une telle sanction touchant à l’image ou à la réputation d’un média ou d’un journaliste a une incidence bien plus grande qu’une simple sanction financière.

Enfin, cet organisme doit compter des membres de la société civile en son sein. Il ne faut pas perdre de vue que cette autorégulation des médias vise avant tout à mieux servir le public à travers une plus grande fiabilité de l’information.

Pour mener à bien son rôle, cet organisme aura besoin de s’appuyer sur un code de déontologie. Il sera rédigé par la profession mais aussi par des membres issus de la société civile pour éviter que la profession n’ait le monopole sur la rédaction d’un code qu’elle devra elle-même respecter. Celui-ci doit contenir les principaux droits et devoirs des journalistes et des éditeurs de presse ainsi que les principes éthiques essentiels au milieu journalistique. Ce code constitue une garantie supplémentaire de l’autonomie de régulation.

Aussi, la présente proposition de loi vise à instituer un conseil national de déontologie journalistique, ainsi qu’un code de déontologie journalistique, afin de favoriser une autorégulation indépendante de la profession.

En premier lieu, dans son titre I, elle propose de créer le conseil national de déontologie journalistique.

Dans son article 1er, elle institue le conseil national de déontologie journalistique auquel adhèrent obligatoirement tous les journalistes professionnels et assimilés ainsi que les éditeurs de presse et fixe ses différentes missions.

Dans son article 2, elle établit un comité exécutif tripartite (journalistes, éditeurs, société civile) chargé de l’administration du conseil national de déontologie journalistique.

Dans son article 3, elle confère au comité exécutif la mission d’établir le règlement intérieur du conseil national de déontologie journalistique.

Dans son article 4, elle établit un bureau exécutif en charge de la gestion et de la représentation extérieure du conseil national de déontologie journalistique.

Dans son article 5, elle définit le mode de financement du conseil national de déontologie journalistique auquel les éditeurs de presse et les journalistes professionnels et assimilés contribuent.

Dans son article 6, elle précise les modalités de création ainsi que la composition des commissions qui assistent le comité exécutif dans la réalisation de ses missions.

En second lieu, dans son titre II, elle propose de créer un code de déontologie journalistique.

Dans son article 7, elle charge un comité dont la composition sera fixée par décret de rédiger un code de déontologie journalistique dont le comité exécutif sera garant.

Dans son article 8, elle précise l’édiction du code de déontologie journalistique sous la forme d’un décret en Conseil d’État.

Cette proposition de loi poursuit donc une logique de responsabilisation, permettant aux professionnels du journalisme de se réguler en toute indépendance et aux citoyens de bénéficier d’une information de meilleure qualité.

PROPOSITION DE LOI

TITRE IER

CRÉATION D’UN CONSEIL NATIONAL

DE DÉONTOLOGIE JOURNALISTIQUE

Article 1er

Le conseil national de déontologie journalistique réunit obligatoirement tous les journalistes et assimilés au sens des articles L. 7111-3 à L. 7111-5 du code du travail ainsi que les éditeurs de presse.

Organe indépendant de réflexion et de débat sur les pratiques journalistiques, il veille à l’amélioration de la qualité de l’information ainsi qu’au renforcement de la crédibilité des différents médias. Le conseil national de déontologie journalistique est garant de l’éthique ainsi que du code de déontologie journalistique prévu par l’article 7 de la présente loi et assure l’autorégulation de la profession.

Il transmet annuellement un rapport au Parlement faisant état de son action et des mesures qu’il préconise.

Article 2

I. – Le conseil défini dans l’article 1er de la présente loi est administré par un comité exécutif qui comprend vingt et un membres, à savoir :

1° Sept membres élus au sein des journalistes professionnels et assimilés ;

2° Sept membres élus au sein des éditeurs de presse ;

3° Sept membres représentant la société civile, extérieurs aux métiers du journalisme et de l’édition, ayant répondu à un appel à candidature et sélectionnés par un comité composé de membres issus d’associations ayant démontrées un intérêt particulier sur les questions de déontologie professionnelle. Ladite composition du comité sera définitivement établie par décret et après avis consultatif des commissions parlementaires. Ce comité ne peut sélectionner plus de trois membres issus du monde associatif.

Chacun de ces vingt et un membres titulaires est assisté d’un suppléant.

II. – Un décret en Conseil d’État fixe les modalités d’élection du comité exécutif du conseil national de déontologie journalistique et la durée du mandat de ses membres.

III. – Est adjoint au comité exécutif du conseil national de déontologie journalistique avec voix consultative un représentant du ministère de la culture et de la communication.

Article 3

Le comité exécutif établit le règlement intérieur du conseil national de déontologie journalistique.

Le conseil national de déontologie journalistique adopte son règlement intérieur à la majorité de ses membres.

Article 4

Le comité exécutif élit en son sein, pour un mandat de trois ans renouvelable une fois, un bureau exécutif composé d’un président, d’un secrétaire général et d’un trésorier.

Le bureau exécutif est chargé de la gestion du conseil national de déontologie journalistique et de sa représentation extérieure.

Le président du bureau exécutif préside les réunions du comité exécutif.

Article 5

I. – Le conseil national de déontologie journalistique est financé :

1° Par contribution des éditeurs de presse, sous la forme d’une cotisation annuelle calculée sur la base de leur chiffre d’affaires selon des modalités définies par le comité exécutif du conseil national de déontologie journalistique ;

2° Par contribution des journalistes et assimilés, sous la forme d’une cotisation annuelle fixe et obligatoire, déterminée par le comité exécutif du conseil national de déontologie journalistique.

II. – Un commissaire aux comptes certifie annuellement les comptes du conseil national de déontologie journalistique.

Article 6

I. – Au sein du conseil national de déontologie journalistique, une commission permanente est chargée d’examiner les plaintes adressées au conseil national sous réserve que celles-ci aient été jugées recevables par le comité exécutif.

La saisine du conseil national de déontologie journalistique est rejetée ou annulée si une juridiction de l’ordre judiciaire est saisie du problème évoqué dans la plainte.

Les conditions et modalités de saisine du conseil national de déontologie journalistique seront fixées par décret.

La commission d’examen des plaintes étudie les différents aspects des problèmes qui lui sont transmis, accomplit un travail de médiation entre les parties concernées et remet au comité exécutif les conclusions de son action.

Si aucun arrangement amiable n’a été trouvé, le comité exécutif, à la majorité de ses membres, peut décider d’adopter des sanctions morales. Cette décision n’est pas susceptible d’appel auprès de ce même comité.

La décision du comité est communiquée aux parties avant d’être rendue publique. Elle est obligatoirement diffusée par le média mis en cause.

II. – Le comité exécutif du conseil national de déontologie journalistique peut décider à la majorité de ses membres, s’il est saisi d’une demande ou s’il s’autosaisit, de créer une commission thématique sur un sujet précis.

Les travaux de la commission thématique donnent lieu à un rapport remis au comité exécutif qui vote son adoption et le rend public.

III. – Les commissions définies aux I et II sont placées sous la conduite de trois membres du comité exécutif nommés par lui, représentant respectivement les journalistes professionnels et assimilés, les éditeurs de presse et la société civile.

Les commissions thématiques peuvent comprendre des personnes extérieures au conseil national de déontologie journalistique, toutes nommées par le comité exécutif.

TITRE II

CRÉATION D’UN CODE DE DÉONTOLOGIE JOURNALISTIQUE

Article 7

Dans les trois mois suivant la mise en place du conseil national de déontologie journalistique, un comité représentatif de l’ensemble des professionnels du journalisme ainsi que des différents médias et dont la composition sera fixée par décret est créé dans le but de rédiger un code de déontologie journalistique. À ce comité représentatif sera adjoint des membres issus de la société civile nommés par le comité exécutif du conseil de déontologie. Ils participeront aux débats lors de la rédaction du code mais leur voix sera consultative.

Le conseil national de déontologie journalistique, sous la direction du comité exécutif, veille à la bonne application du code et procède aux révisions nécessaires.

Article 8

Le code de déontologie journalistique est édicté sous la forme d’un décret en Conseil d’État après avoir été approuvé par le comité représentatif à la majorité de ses membres.


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