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N° 2285

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 14 octobre 2014.

PROPOSITION DE LOI

visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques,

(Renvoyée à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, à défaut
de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Eva SAS, Barbara POMPILI, François de RUGY, Laurence ABEILLE, Brigitte ALLAIN, Éric ALAUZET, Isabelle ATTARD, Danielle AUROI, Denis BAUPIN, Michèle BONNETON, Christophe CAVARD, Sergio CORONADO, Cécile DUFLOT, François-Michel LAMBERT, Noël MAMÈRE, Véronique MASSONNEAU, Paul MOLAC et Jean-Louis ROUMEGAS,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La Loi de finances est aujourd’hui construite sur une hypothèse de croissance du Produit Intérieur Brut (PIB). Cet indicateur joue aujourd’hui un rôle quasi exclusif dans l’évaluation synthétique des politiques publiques. Or les limites de cet indicateur ont été maintes fois soulignées, notamment dans les travaux de Jean Gadrey, Florence Jany-Catrice et Dominique Méda (1) ou de la Commission dite « Stiglitz ».

Le PIB n’est en effet qu’un indicateur global, qui ne prend pas en compte la répartition des nouvelles richesses créées, et donc les inégalités. Ce défaut est à l’origine d’une incompréhension, voire, dans certains pays, d’une défiance des citoyens face aux statistiques officielles. En effet, comme le relève le rapport de la Commission sur la Mesure de la Performance Économique et du Progrès Social dite Stiglitz-Sen-Fitoussi, « il semble souvent exister un écart prononcé entre, d’une part, les mesures habituelles des grandes variables socio-économiques comme la croissance, l’inflation, le chômage, etc., et, d’autre part, les perceptions largement répandues de ces réalités ». Cet écart est dû au fait qu’en cas d’accroissement des inégalités, le PIB et/ou le revenu moyen peuvent augmenter, alors que, dans le même temps, une grande partie, voire une majorité de personnes, voient leur situation se dégrader. C’est le cas actuellement puisque, selon l’enquête « Revenus fiscaux et sociaux » de l’INSEE publiée en septembre 2013, la hausse des inégalités se poursuit en France. Alors que le niveau de vie médian est resté stable en 2011, à 19 550 euros annuels – soit 1 630 euros mensuels –, la pauvreté a progressé, touchant 14,3 % de la population, contre 14 % en 2010. Ce sont donc, désormais, 8,7 millions de Français qui vivent sous le seuil de pauvreté, soit avec moins de 977 euros par mois. Constat marquant, en 2011, les niveaux de vie ont augmenté pour la moitié la plus aisée de la population, alors qu’ils ont reculé pour la troisième année consécutive pour la moitié la plus modeste. Le PIB et les agrégats calculés par habitant ne rendent pas compte de ces évolutions et ne fournissent donc pas nécessairement « une évaluation appropriée de la situation dans laquelle la plupart des gens se trouvent » (2).

Deuxièmement, c’est un indicateur de valeur ajoutée, de flux. Un accident, une catastrophe naturelle vont créer de la richesse lors de la réparation, ils sont donc évalués positivement dans le PIB, alors que les aspects négatifs – le capital détruit – ne seront pas pris en compte.

C’est par ailleurs un indicateur quantitatif, il ne prend donc pas en compte la qualité ou le contenu de la richesse produite. Il n’évalue pas la nature des biens, services ou activités développés, et ne permet donc pas de savoir si ces biens, services ou activités sont ceux qui contribuent à l’amélioration de la qualité de vie du plus grand nombre et/ou des générations futures, et que la société souhaite voir se développer. En ce sens, le rapport de la Commission sur la Mesure de la Performance Économique et du Progrès Social rendu le 14 septembre 2009 note qu’ « il se peut que les statistiques habituellement utilisées ne rendent pas compte de certains phénomènes qui ont une incidence de plus en plus grande sur le bien-être des citoyens. Si, par exemple, les embarras de la circulation peuvent faire croître le PIB du fait de l’augmentation de la consommation d’essence, il est évident qu’ils n’ont pas le même effet sur la qualité de la vie ».

Le PIB est également un indicateur de court terme, qui ne prend pas en compte la dégradation du capital naturel et l’évolution des ressources, et donc la soutenabilité de notre développement. De manière générale, il ne tient pas compte de l’environnement, ni du bien-être des populations. Les dimensions économiques, sociales et environnementales – dans le sens de l’ensemble des éléments objectifs (qualité des transports du quotidien, temps libre, bruit, qualité de l’air, etc.) et subjectifs (lieu de vie beau ou anxiogène, etc.) constituant le cadre de vie d’un individu – ne sont pas mesurées. Au surplus, la dégradation, le maintien ou l’amélioration de cette situation est complétement nié. La soutenabilité du développement n’est donc pas mesurée et de fait, n’est pas prise en compte dans la détermination des politiques publiques.

Ainsi, le rapport précité fait la distinction, reprise à leur compte par les auteurs de cette proposition, entre le bien-être présent – mesuré par les ressources économiques et la qualité de vie – et la soutenabilité du bien-être – c’est-à-dire la possibilité de transmettre ces stocks.

Enfin, le PIB ne prend pas en compte l’économie informelle, le bénévolat ou les services domestiques (éducation par les parents, tâches ménagères,…) qui, non seulement participent à la richesse d’un pays, préparent le long terme, mais ont aussi une influence déterminante sur le bien-être présent et à venir.

L’ensemble de ces critiques dessine en creux les indicateurs qui doivent être évalués et pris en considération dans la détermination des politiques publiques. Pour les auteurs de la présente proposition, la mise en œuvre d’objectifs basés sur des indicateurs de soutenabilité est nécessaire. Et elle l’est d’autant plus au regard de la crise à multiples
dimensions – économique, financière, sociale, environnementale, etc. – que nous traversons depuis plusieurs années. Cette crise multiple ne peut, en effet, être résumée à une crise unique et conjoncturelle. L’une des causes profondes de l’absence d’anticipation de cette crise tient au fait que les responsables publics n’avaient pas en mains les bons indicateurs statistiques, ou en tout cas qu’ils ne se sont intéressés qu’à des indicateurs limités, reposant sur une vision court-termiste centrée sur l’économie.

Notre objectif, au travers de cette proposition de loi, est donc de « déplacer le centre de gravité de notre appareil statistique d’un système de mesure privilégiant la production à un système orienté sur la mesure du bien-être des générations actuelles et à venir, aux fins d’aboutir à des mesures plus pertinentes du progrès social. » (3)

Il ne s’agit pas de désavouer les mesures de production telles que le PIB, indispensables à certaines analyses proprement économiques, mais d’utiliser des mesures plurielles et de leur donner un poids dans la décision publique au moins aussi important que celui des mesures usuelles de la production.

Il ne s’agit pas non plus de se contenter du niveau moyen de bien-être et de son évolution dans le temps, mais d’appréhender la diversité des expériences personnelles et des rapports entre les différentes dimensions de la vie des personnes.

Si les auteurs de la présente proposition notent que depuis la publication du rapport Stiglitz la nouvelle majorité a mis en place les bases d’une contribution climat énergie (CCE) tenant compte des émissions carbone, s’il est vrai aussi que l’Insee a produit des travaux qui en tiennent compte, force est de constater qu’à ce jour, rien n’a été fait pour prendre plus largement en compte les nouveaux indicateurs de richesse dans le pilotage des politiques publiques.

Ainsi, alors que la France était un pays pionnier en 2009 avec la commission Stiglitz dont le rapport fait encore référence dans les autres pays, elle a pris du retard sur les autres pays comme le montre une récente étude de l’IDDRI (l’institut du développement durable et des relations internationales). Celle-ci a examiné 6 expériences étrangères dont nous reprenons ici certains exemples.

En Allemagne, une commission d’enquête trans-partisane « sur la croissance, la prospérité et la qualité de vie » a été mise en place par le Bundestag en décembre 2010. Elle a débouché sur la mise en place d’un suivit du PIB et de 9 autres indicateurs qui couvrent 3 dimensions : l’économie, l’écologie et la santé sociale. S’ajoute à ces 10 indicateurs, 9 indicateurs d’alerte qui indiquent si des limites critiques ont été dépassées dans certains domaines.

En Belgique, une loi sur les « indicateurs complémentaires » a été votée le 23 janvier 2014 à l’initiative du Sénat.

Au Royaume-Uni, un tableau de bord a été créé dans le cadre d’un programme nommé Measuring National Well-Being Program (MNWP) et lancé en novembre 2010 à l’initiative du Premier ministre, David Cameron. C’est un tableau de bord disponible en ligne sur le site du gouvernement. Il regroupe plus de 30 indicateurs rassemblés en 10 dimensions. Il comporte, à la fois, des indicateurs objectifs et des indicateurs subjectifs.

Toujours selon l’IDDRI, la région Wallonne a adoptée, en mai 2013, 5 indicateurs synthétiques phares : l’indice de situation sociale (ISS), l’indice de bien-être (IBE), l’empreinte écologique et la biocapacité (EE), l’indice de situation environnementale (ISE) et un indicateur sur le capital économique.

En France, l’Association des régions de France (ARF) a élaboré de nouveaux indicateurs de richesse pour donner la possibilité aux régions de se doter de nouveaux repères, destinés à éclairer les politiques publiques régionales et à mieux connaître l’environnement dans lequel ces politiques sont menées. En ce sens, un rapport de la commission développement durable de l’ARF fait la promotion de trois indicateurs choisis par les régions : l’empreinte écologique, l’indicateur de développement humain (IDH-2) et l’indicateur de santé sociale (ISS). Il a défini un tableau de bord de 22 indicateurs de contexte de développement durable des régions françaises sur la base des travaux pionniers menés par la région Nord-Pas-de-Calais. Enfin, ce rapport a établi une liste d’indicateurs de suivi de l’action régionale en matière de développement durable.

S’inspirant de ces diverses expériences, les auteurs de la présente proposition de loi souhaitent que la France prenne en compte des indicateurs de qualité de vie et de développement durable dans les politiques publiques menées par l’État. Ils ont notamment pour objectif que soient prises en considération les conséquences des politiques menées sur les ressources naturelles et sur le bien-être humain. Le budget étant le moment législatif annuel le plus en visibilité, cette proposition de loi vise à permettre la prise en compte d’indicateurs de développement complémentaires au moment de la loi de finances.

L’article unique crée l’obligation pour le gouvernement de présenter au parlement un rapport présentant l’évolution, à moyen terme, d’indicateurs de qualité de vie et de développement durable, ainsi qu’une évaluation qualitative ou quantitative de l’impact des principales réformes engagées l’année précédente et envisagée pour l’année suivante, notamment dans le cadre des lois de finances, au regard de ces indicateurs et de l’évolution du produit intérieur brut. Il prévoit, en outre, que ce rapport peut faire l’objet d’un débat devant la représentation nationale.

La prise en compte du long terme et du bien-être humain dans le pilotage des politiques publiques à travers plusieurs indicateurs de richesse, tel est l’objet de la présente proposition de loi que nous vous demandons, Mesdames, Messieurs, d’adopter.

PROPOSITION DE LOI

Article unique

Le premier mardi d’octobre de chaque année, le Gouvernement remet au Parlement, un rapport présentant l’évolution, à moyen terme, d’indicateurs de qualité de vie et de développement durable, ainsi qu’une évaluation qualitative ou quantitative de l’impact des principales réformes engagées l’année précédente et envisagées pour l’année suivante, notamment dans le cadre des lois de finances, au regard de ces indicateurs et de l’évolution du produit intérieur brut. Ce rapport peut faire l’objet d’un débat devant le Parlement.

1 () Jean Gadrey et Florence Jany Catrice, Les nouveaux indicateurs de richesse, Paris, Éd. La Découverte, 2005, 2007, 2012. Dominique Méda, Qu’est-ce que la richesse ?, Aubier, 1999.

2 () Rapport de la Commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social, 2009, p. 8.

3 () Rapport de la Commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social, 2009, p. 11.


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