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N° 2376

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 novembre 2014.

PROPOSITION DE LOI

visant à instaurer une peine complémentaire d’inéligibilité pouvant être perpétuelle pour tout élu condamné pour des faits de fraude fiscale ou de corruption,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Dino CINIERI, Pierre MOREL-A-L’HUISSIER, Bernard ACCOYER, Véronique BESSE, Xavier BRETON, Laurent DEGALLAIX, Jean-Pierre DOOR, David DOUILLET, Virginie DUBY-MULLER, Laurent FURST, Arlette GROSSKOST, Jean-Claude GUIBAL, Guy GEOFFROY, Michel HEINRICH, Patrick HETZEL, Jacques LAMBLIN, Laure de LA RAUDIÈRE, Philippe LE RAY, Lionnel LUCA, Damien MESLOT, Yannick MOREAU, Alain MOYNE-BRESSAND, Valérie PÉCRESSE, Paul SALEN, François SCELLIER, Fernand SIRÉ, Lionel TARDY, Laurent WAUQUIEZ et Michel ZUMKELLER,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La presse se fait trop souvent l’écho d’élus mis en cause dans des affaires de détournement de fonds publics à visée clientéliste, de corruption ou de fraude fiscale ce qui amène bon nombre de nos concitoyens à se poser légitimement la question de l’inéligibilité de ces élus condamnés.

Le message délivré par le Président de la République en avril 2013, en réaction aux aveux de Jérôme Cahuzac, était ferme. Parmi les mesures annoncées, le chef de l’État avait promis que « les élus condamnés pénalement pour fraude fiscale ou pour corruption (seraient) interdits de tout mandat public ». Une inéligibilité à vie laissait donc entendre François Hollande. Le même jour, devant l’Assemblée nationale, le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault confirmait : « Comme l’a indiqué le président de la République, toute personne qui sera condamnée (pour fraude fiscale et corruption) ne pourra plus exercer de mandat public. »

Actuellement, la peine d’inéligibilité est définie par l’article 131-26 du code pénal, qui porte sur l’interdiction des droits civiques, civils et de famille. Il est prévu que celle-ci « ne peut excéder une durée de dix ans en cas de condamnation pour crime et une durée de cinq ans en cas de condamnation pour délit ». Un élu peut être aussi frappé d’une inéligibilité de trois ans, prévue par le code électoral, en cas notamment de fraudes ou manquement aux règles de financement des campagnes électorales.

Dans l’état actuel de la loi, l’inéligibilité n’est pas automatique mais complémentaire: le juge la prononce en plus d’une peine à nature pénale, ce qui suppose qu’il peut être libre de la prononcer ou non. L’automaticité de la peine serait en effet contraire à la Constitution.

Le Conseil constitutionnel l’a d’ailleurs rappelé, dans une décision du 11 juin 2010, portant sur l’article L. 7 du code électoral. Cet article prévoyait une inéligibilité automatique pour les élus condamnés pour certaines infractions, notamment les délits financiers (détournement de fonds publics, corruption passive et trafic d’influence, par exemple). Les Sages l’ont censuré au motif qu’il instituait une automaticité et était contraire à l’individualisation des peines, grand principe de la justice française : c’est au juge pénal de décider des sanctions par rapport à l’individu et aux faits qui lui sont reprochés, et de le protéger ainsi de l’arbitraire.

Le droit français consacre aussi le principe de proportionnalité des peines via l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires. ». Ce principe a régulièrement été rappelé par la jurisprudence et dans la Convention européenne des droits de l’homme.

Permettre l’inéligibilité à vie pourrait donc se révéler impossible constitutionnellement car il n’est pas prévu par la loi en France de payer toute sa vie pour des actes commis : le principe de la sanction pénale est qu’au bout d’un laps de temps donné, la personne condamnée « paye sa dette à la société ».

Aussi, l’inéligibilité étant la peine la plus dissuasive pour les élus, en 2013, le législateur a relevé le plafond de cette peine de 5 à 10 ans, les magistrats devant par ailleurs être encouragés à y recourir davantage.

Aujourd’hui, il convient d’aller plus loin.

En effet, dix ans d’inéligibilité devrait être un minimum et non pas un maximum. Les juges devraient, au cas par cas, avoir la possibilité d’aller plus loin, jusqu’à prononcer une inéligibilité à vie pour les malversations les plus graves.

L’inéligibilité à vie est envisageable si elle n’est pas appliquée de manière automatique. Comme le note l’ONG Transparency international : « Seule l’automaticité de cette peine serait contraire aux droits fondamentaux, au nom du principe fondamental de l’individualisation des peines. [...] Toute peine prononcée à vie doit toutefois pouvoir faire l’objet d’une procédure de réhabilitation ou de modification. »

Il convient donc de modifier l’article 131-26-1 du code pénal en ce sens.

Aussi, nous vous demandons, Madame, Monsieur, de bien vouloir adopter la proposition de loi suivante.

PROPOSITION DE LOI

Article unique

À l’article 131-26-1 du code pénal, les mots : « de dix ans au moins » sont remplacés par les mots : « pouvant être perpétuelle » et l’article est complété par les mots : « sous réserve du droit à révision, réexamen et réhabilitation. »


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