N° 2680
_____
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 25 mars 2015.
PROPOSITION DE LOI
visant à rappeler les principes de laïcité et de neutralité
dans les établissements de santé,
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par Mesdames et Messieurs
Michel TERROT, Damien ABAD, Nicole AMELINE, Julien AUBERT, Philippe BRIAND, Alain CHRÉTIEN, Jean-Louis CHRIST, Philippe COCHET, Édouard COURTIAL, Marc-Philippe DAUBRESSE, Jean-Pierre DECOOL, Lucien DEGAUCHY, Jean-Pierre DOOR, Dominique DORD, Georges FENECH, Laurent FURST, Philippe GOSSELIN, Philipe GOUJON, Arlette GROSSKOST, Françoise GUÉGOT, Jean-Claude GUIBAL, Michel HEINRICH, Michel HERBILLON, Patrick HETZEL, Thierry LAZARO, Pierre LELLOUCHE, Lionnel LUCA, Patrice MARTIN-LALANDE, Thierry MARIANI, Philippe MEUNIER, Pierre MORANGE, Pierre MOREL-A-L’HUISSIER, Alain MOYNE-BRESSAND, Jacques MYARD, Dominique NACHURY, Jacques PÉLISSARD, Bernard PERRUT, Bérengère POLETTI, Josette PONS, Didier QUENTIN, Frédéric REISS, Jean-Luc REITZER, Paul SALEN, Fernand SIRÉ, Claude STURNI, Alain SUGUENOT, Guy TEISSIER, Jean-Marie TÉTART, Patrice VERCHÈRE, Jean-Sébastien VIALATTE, Éric WOERTH, Marie-Jo ZIMMERMANN,
députés.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Depuis plusieurs années, les principes de laïcité et de neutralité religieuse dans les services publics - qu’il s’agisse de l’école, de l’université, de l’hôpital ou de l’accueil de la petite enfance - sont de plus en plus contestés dans notre pays et font l’objet d’attaques incessantes de la part d’un certain nombre de groupes et courants de pensée intégristes qui n’acceptent pas nos valeurs républicaines et instrumentalisent la religion à des fins politiques pour tenter d’imposer leur idéologie intolérante et obscurantiste.
La circulaire du 2 février 2005, relative au respect de la laïcité à l’hôpital public, a partiellement répondu aux attentes de la communauté hospitalière et des usagers mais, face aux remises en cause de plus en plus fréquente des principes de neutralité et de laïcité à l’hôpital, le temps est venu d’inscrire formellement dans la loi l’obligation de respect dans les établissements publics de santé de ces principes fondamentaux de la République qui garantissent à la fois le respect des convictions de chacun et le bon fonctionnement de nos structures de soins. Il s’agit notamment de rappeler par la loi que, d’une manière générale, c’est le patient qui doit s’adapter aux contraintes et nécessités propres au milieu hospitalier et non l’hôpital qui doit se plier, dans son fonctionnement médical et sanitaire, aux exigences invoquées par le patient pour des raisons religieuses.
La laïcité à l’hôpital concerne en premier lieu l’obligation de neutralité de tout agent public dans sa tenue vestimentaire, ses actes et ses paroles. La neutralité du service interdit aux agents publics de manifester leurs croyances religieuses lorsqu’ils sont en service que ce soit par leurs actes ou par le simple port de signes religieux, comme cela ressort de l’avis du Conseil d’État du 3 mai 2000 Mademoiselle Marteaux (n° 217017). Tout agent public a un devoir de stricte neutralité. Il doit traiter également toutes les personnes et respecter leur liberté de conscience. Il est important de rappeler que, dans cette décision, le Conseil d’État a considéré que les principes de laïcité de l’État et de neutralité des services publics interdisent aux agents de manifester leurs croyances religieuses par le port de signes religieux, et ce qu’ils soient en contact direct ou non avec le public.
La circulaire du 2 février 2005 relative à la laïcité dans les établissements relevant de la fonction publique hospitalière (FPH) s’est également vue confortée par la jurisprudence sur ce point essentiel. Dans un arrêt en date du 27 novembre 2003, la cour administrative d’appel de Lyon a en effet considéré que : « Le port, par une femme contrôleuse du travail, détentrice de prérogatives de puissance publique, d’un foulard dont elle a expressément revendiqué le caractère religieux, et le refus réitéré d’obéir à l’ordre qui lui a été donné de le retirer, alors qu’elle était avertie de l’état non ambigu du droit applicable, a, dans les circonstances de l’espèce, constitué une faute grave de nature à justifier légalement la mesure de suspension dont elle a fait l’objet ».
En janvier 2009, le Tribunal administratif de Paris a pour sa part considéré comme justifié le licenciement pour faute grave d’une assistante sociale d’un service de pédopsychiatrie de l’AP-HP, qui avait« refusé d’enlever le couvre-chef par lequel elle manifestait son appartenance religieuse ». La jurisprudence administrative récente a donc confirmé l’interdiction du port d’un vêtement religieux ou de tout autre signe religieux par les agents publics (et notamment les agents hospitaliers), cette interdiction étant toujours motivée par la nécessité du bon fonctionnement du service.
Enfin, le projet de loi « relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires », présenté le 17 juillet 2013 en Conseil des ministres et en attente d’examen par le Parlement, stipule, art. 1 bis, que « le fonctionnaire exerce ses fonctions dans le respect du principe de laïcité », précisant que « le fait pour un fonctionnaire de manifester ses convictions religieuses dans l’exercice de ses fonctions constitue un manquement à ses obligations ». Ce texte devrait donc enfin intégrer dans la loi de manière explicite l’obligation du respect des principes de neutralité et de laïcité par les fonctionnaires, obligation déjà largement consacrée par la jurisprudence qui a clairement établi que l’agent de la fonction publique a le droit d’avoir ses convictions religieuses mais pas le droit de les manifester dans le cadre de ses fonctions.
Mais il est important de souligner que le respect des principes de laïcité et de neutralité religieuse s’applique non seulement aux agents et personnels des établissements publics de santé mais concerne également les patients et personnes hospitalisées dans ces établissements.
À cet égard, outre cette circulaire du 2 février 2005, plusieurs textes affirment les droits et les devoirs des patients hospitalisés : la circulaire du 6 mai 1995 et sa charte du patient hospitalisé, l’article L. 1110-8 du code de santé publique (libre choix par le patient de son établissement et de son praticien) et l’article R. 1112-46 (droit à l’exercice de son culte à l’hôpital), la loi du 4 mars 2002 (libre consentement aux soins).
Bien entendu, le patient doit pouvoir, dans toute la mesure du possible, suivre les préceptes de sa religion : recueillement, présence d’un ministre du culte, nourriture, liberté d’action et d’expression, garantie de pouvoir procéder aux rites funéraires. Mais ce droit ne saurait être sans limites. Concrètement, cela signifie qu’il ne doit pas nuire à la qualité des soins et aux règles d’hygiène, à la tranquillité des autres patients et, d’une manière générale, au fonctionnement régulier du service.
La loi nº 2002-73 du 17 janvier 2002 art. 11, l’ordonnance nº 2005-406 du 2 mai 2005 art. 14 et la charte du patient hospitalisé rappelle le droit à la liberté du culte (Article 8) : « La personne hospitalisée est traitée avec égards. Ses croyances sont respectées. Son intimité est préservée ainsi que sa tranquillité. »
Il reste que le personnel est de plus en plus souvent confronté à des situations difficiles à gérer résultant de revendications et d’exigences de nature religieuses : refus d’être examiné par un médecin de sexe masculin, refus d’appeler le personnel du service avec la sonnette électrique le samedi pour des raisons religieuses ; refus de se vêtir des vêtements de l’établissement non pour des raisons esthétiques mais pour des raisons religieuses au motif que la tenue ne couvre pas suffisamment l’ensemble du corps de la personne.
Pour essayer de mieux répondre à ces situations conflictuelles, le ministère de la santé a publié la circulaire du 2 avril 2005 relative à la laïcité dans les établissements de santé et en a rappelé les grands principes d’application.
Laïcité et respect des convictions religieuses
Il est rappelé le principe du respect des convictions religieuses des patients notamment dans les cas suivants :
– Le patient doit être informé du droit de participer à l’exercice de son culte.
– Lors de leur admission, il doit être demandé aux patients, s’il a un régime alimentaire particulier notamment eu égard à sa religion.
– Les familles du patient en fin de vie ou défunts se voient garantir le respect des rites religieux et cérémonies de leur choix.
Le principe est donc bien le respect des convictions religieuses du patient. Mais ce principe connaît, cependant, des exceptions et des limites à son application. Les principes de liberté d’exercice du culte et de libre choix de son praticien ne permettent pas au patient de refuser une personne de l’équipe de soins pour des raisons tenant à la religion.
En premier lieu, le patient doit accepter l’organisation du service, des soins et des consultations et ne peut invoquer ses convictions religieuses ou philosophiques pour remettre en cause ou refuser les soins et traitements qui lui sont proposés. À défaut, il peut être mis fin à sa prise en charge. Par ailleurs, le respect des croyances ne doit pas non plus nuire à la tranquillité des autres patients, à l’hygiène du patient.
La circulaire du 2 avril 2005 précise sur ce point : « Il convient de veiller à ce que l’expression des convictions religieuses ne porte pas atteinte :
– À la qualité des soins et aux règles d’hygiène (le malade doit accepter la tenue vestimentaire imposée compte tenu des soins qui lui sont donnés) ;
– À la tranquillité des autres personnes hospitalisées de leurs proches ;
– Au fonctionnement régulier du service. »
Pour autant, ces limites sont renvoyés au seul pouvoir général de police dont disposent les directeurs d’établissement de santé (art. L. 6143-7 du code de la santé publique). Ils doivent veiller à ce que l’expression des convictions religieuses ne porte pas atteinte : à la qualité des soins et aux règles d’hygiène (le malade doit accepter la tenue vestimentaire imposée compte tenu des soins qui lui sont donnés) ; à la tranquillité des autres personnes hospitalisées et de leurs proches ; au fonctionnement régulier du service.
La présente proposition de loi, s’appuyant sur le cadre législatif et réglementaire en vigueur et sur la jurisprudence vise donc à clarifier et à préciser les limites de l’exercice de la liberté religieuse à l’hôpital en les inscrivant formellement dans la loi.
Le chapitre Ier du titre II de la loi 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé est complété par un article 10 bis ainsi rédigé :
« Art. 10 bis - Les hospitalisés ne peuvent invoquer, ni leurs convictions religieuses ou philosophiques, ni l’exercice de leur culte pour refuser ou remettre en cause :
– La qualité des soins et les règles d’hygiène ;
– Le droit à la tranquillité des autres personnes hospitalisées et de leurs proches ;
– L’organisation et le fonctionnement régulier du service qui les accueille.