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N° 2688

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 25 mars 2015.

PROPOSITION DE LOI

relative au droit de préemption des salarié-e-s,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

André CHASSAIGNE, Marie-George BUFFET, Gaby CHARROUX, François ASENSI, Bruno Nestor AZEROT, Huguette BELLO, Alain BOCQUET, Jean-Jacques CANDELIER, Patrice CARVALHO, Marc DOLEZ, Jacqueline FRAYSSE, Alfred MARIE-JEANNE, Jean-Philippe NILOR, Nicolas SANSU,

Député-e-s.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

En France, 700 000 à 900 000 entreprises pourraient changer de main entre 2000 et 2020, notamment du fait du départ en retraite de nombreux chefs d’entreprise. Pour la seule région Île-de-France, la CCI de Paris indique que ce sont près de 150 000 entreprises de moins de 50 salariés qui seront en cession entre 2010 et 2025, et que seuls 10 % des employeurs anticipent leur départ.

Les salariés concernés par ces transmissions sont très nombreux (une association estime leur nombre à près de 3 millions) ; ce sont autant d’emplois qui sont en jeu. En effet, ces cessions connaissent des issues très variables. Nombre d’entreprises ne trouvent pas acquéreur. Selon l’Insee, un tiers des entreprises ne réussissent pas leur transmission, ce qui représente 40 000 emplois perdus par an et environ 10 000 à l’échelle de l’Île-de-France. D’autres entreprises seront reprises, mais cela s’accompagnera de restructurations ou encore de démantèlements, avec leur lot de licenciements.

L’enjeu est de taille puisqu’il s’agit de sauvegarder et maintenir l’emploi dans nos territoires.

Nous devons donc trouver des solutions innovantes pour favoriser la préservation de l’emploi. Or, nous constatons que les salariés sont pratiquement toujours tenus à l’écart de la vente de leur entreprise, ils sont spectateurs de ce qui se passe, subissant les ventes et reventes de leur entreprise avec pertes et fracas, et sans jamais pouvoir intervenir sur leur propre destin.

Pourtant la reprise de leur entreprise par les salariés est une alternative crédible parce qu’ils sont les premiers à souhaiter le maintien des emplois et parce qu’ils connaissent parfaitement leur entreprise. Ils sont donc en capacité de poursuivre l’activité sans délai, à condition que la transition soit préparée.

La solution la plus souhaitable est la reprise sous forme coopérative. En effet, ce modèle économique a bien des avantages :

– La pérennité des entreprises sous statut coopératif est plus grande. Selon la confédération générale des Scop (qui s’est basée sur l’enquête SINE, produite par l’INSEE, qui porte sur la génération d’entreprises créées en 2006), les Scop et les Scic sont des entreprises plus pérennes que les autres puisque leur taux de pérennité à 3 ans est de 77 % contre 65 % pour l’ensemble des entreprises françaises, à 5 ans de 63 % pour seulement 50 % en France, ceci avec un taux de rentabilité identique, voire légèrement supérieur pour les coopératives.

– La reprise sous forme de coopérative garantit également que la production restera en France, les salariés-sociétaires étant peu enclins à délocaliser leur propre emploi. Il s’agit donc d’agir pour le développement économique et social de nos territoires.

– Enfin, c’est un formidable lieu d’éducation populaire, c’est la démocratie qui gagne la sphère économique.

Pour inciter les salariés à reprendre leur entreprise sous forme coopérative, nous proposons de créer un droit de préemption.

Ce droit nouveau, qui participe d’un bouleversement culturel, fixe un cadre normatif permettant aux salariés de prendre leur place dans le processus de vente. En effet, n’étant pas rompus à cet exercice, ils en sont très facilement tenus à l’écart si les règles ne sont pas adaptées.

Actuellement, la loi oblige le propriétaire à informer les salariés en cas de vente du fonds de commerce ou de parts représentant une participation majoritaire dans l’entreprise, ceci afin qu’ils puissent effectuer une offre d’achat. C’est incontestablement une avancée. Cependant, on imagine combien il doit être difficile aux salariés de s’organiser pour négocier et faire une offre au propriétaire. Bien souvent le temps manquera et ils rateront cette opportunité.

Nous proposons de permettre aux salariés de prendre part aux nouvelles ventes. Si l’employeur trouve un nouvel acquéreur, il informe les salariés des conditions de cette vente, cela constitue une offre de vente. De ce fait, si les salariés sont intéressés, ils pourront se substituer au nouvel acquéreur, ils auront la priorité sur lui.

La prochaine étape sera la généralisation de ce principe à l’ensemble de situations dans lesquelles les salariés peuvent racheter leur outil de production, leur entreprise.

Ce droit nouveau, tel que nous le concevons, ne s’oppose pas au droit constitutionnel de propriété. Il est d’ailleurs très proche des droits de préemption existants, à l’image de celui du locataire lorsque le propriétaire vend son appartement, du locataire titulaire d’un bail à usage commercial ou artisanal, de l’exploitant d’un fonds de terre ou d’un bien rural, d’une commune sur les fonds artisanaux, les fonds de commerce, les baux commerciaux et les terrains faisant l’objet de projets d’aménagement commercial.

Concernant les salariés, ce droit se justifie d’autant plus que l’intérêt général est en cause puisqu’il s’agit d’assurer la pérennité et l’implantation locale d’une entreprise et de ses emplois.

Pour conclure, il nous semble qu’un droit doit toujours être pensé et jugé en fonction de son efficience. C’est pour cela que cette proposition ne se contente pas de décréter un droit de préemption des salariés sur leur entreprise lorsque celle-ci est en vente, elle met les salariés en situation d’y parvenir. Pour cela, nous proposons différents dispositifs permettant aux salariés de travailler sur le projet de reprise en amont, car le défaut d’anticipation est l’un des grands obstacles à la reprise. Cette possibilité pour les salariés d’évoquer et de travailler à un projet de reprise s’inscrit pleinement dans le droit constitutionnel de chaque travailleur de participer, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective de la gestion des entreprises.

L’article 1er propose de créer un droit de préemption des salariés lorsque le propriétaire de plus de 50 % des parts sociales d’une SARL ou d’actions ou valeurs mobilières donnant accès à la majorité du capital d’une SA, ou encore d’un fonds de commerce, veut vendre. Ce droit est applicable dans les entreprises employant jusqu’à 249 salariés.

Concrètement, si les salariés n’ont pas acheté le fonds de commerce ou les parts de l’entreprise au moment où ils ont été informés de la vente, ils restent prioritaires. Ce droit de préemption se manifeste de la façon suivante : lorsqu’un employeur trouve un acquéreur, il doit le notifier aux salariés. L’employeur doit les informer du prix et des conditions de la vente, et leur donner un accès aux documents comptables. Pendant deux mois, les salariés pourront se substituer au nouvel acquéreur et devenir propriétaires de l’entreprise.

L’article 2 prévoit d’améliorer le droit d’information des salariés. La reprise d’une entreprise ne peut pas être décidée du jour au lendemain, il faut permettre aux salariés d’y réfléchir et d’y travailler en amont. Cet article propose la création d’une heure mensuelle d’information syndicale, à l’image des droits existant dans la fonction publique. Aujourd’hui encore, les syndicats rencontrent les plus grandes difficultés à réunir les salariés.

Du reste, dans les entreprises où il existe un comité d’entreprise, ses élus pourront demander à un expert d’étudier la faisabilité du projet, ce qui représente une garantie supplémentaire de réussite.

Enfin, en cas de vente, les salariés auront accès à la base de données économiques et sociales, et pourront ainsi se faire une idée précise de l’état de l’entreprise.

Ces droits nouveaux permettront de préparer et de favoriser la reprise de l’entreprise par les salariés sous forme de coopérative.

Tel est l’objet de cette proposition de loi.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Le code de commerce est ainsi modifié :

1° « Le chapitre Ier du titre IV du livre Ier est complété par une section V ainsi rédigée :


« Section 5


« Droit de préemption des salariés

« Art. L. 141-33– Lorsque le propriétaire trouve un acquéreur de son fonds de commerce, il doit le notifier aux salariés.

« Cette notification doit mentionner, les conditions de la vente, son prix et la faculté ouverte aux salariés de consulter l’ensemble des documents comptables leur permettant de prendre connaissance de la situation économique de l’entreprise.

« Cette notification vaut offre de vente au profit des salariés. Elle est valable pendant la durée de deux mois à compter de sa réception.

« Si au moins deux salariés regroupés acceptent l’offre, directement ou par l’intermédiaire de leur mandataire, ils se substituent à l’acquéreur dans toutes les conditions de la vente.

« Les termes des quatre alinéas précédents sont reproduits dans chaque notification.

« Toute cession intervenue en méconnaissance du présent article peut être annulée à la demande de tout salarié. L’action en nullité se prescrit par deux mois à compter de la date de publication de l’avis de cession du fonds.

« Art. L. 141-34. – Un salarié peut agir devant le président du tribunal de grande instance sous la forme des référés, à tout moment, dès lors qu’il a connaissance de l’imminence de la vente du fonds de commerce qui l’emploie en méconnaissance de l’article L. 141-23, de l’article L. 141-28 ou de l’article L. 141-33.

« Le président du tribunal de grande instance peut prendre toute mesure visant à garantir l’application de ces textes. Il rend sa décision dans un délai de 8 jours. »

2° Le Chapitre X du titre III du livre II est complété par une session 3 ainsi rédigée :


« Section 3


« Droits de préemption des salariés

« Art. L. 23-10-13. – Lorsque le ou les propriétaires d’une participation représentant plus de 50 % des parts sociales d’une société à responsabilité limitée ou d’actions ou valeurs mobilières donnant accès à la majorité du capital d’une société par actions trouve un acquéreur pour ses parts, il doit le notifier aux salariés.

« Cette notification doit mentionner, les conditions de la vente, son prix et la faculté ouverte aux salariés de consulter l’ensemble des documents comptables leur permettant de prendre connaissance de la situation économique de l’entreprise.

« Cette notification vaut offre de vente au profit des salariés. Elle est valable pendant la durée de deux mois à compter de sa réception.

« Si au moins deux salariés regroupés acceptent l’offre, directement ou par l’intermédiaire de leur mandataire, ils se substituent à l’acquéreur dans toutes les conditions de la vente.

« Les termes des quatre alinéas précédents sont reproduits dans chaque notification.

« Toute cession intervenue en méconnaissance du présent article peut être annulée à la demande de tout salarié. L’action en nullité se prescrit par deux mois à compter de la date de publication de l’avis de cession du fonds.

« Art. L. 23-10-14. – Un salarié peut agir devant le président du tribunal de grande instance sous la forme des référés, à tout moment, dès lors qu’il a connaissance de l’imminence d’une vente ou d’une cession de parts sociales en méconnaissance de l’article L. 23-10-1, de l’article L. 23-10-7 ou de l’article L. 23-10-13.

« Le président du tribunal de grande instance peut prendre toute mesure visant à garantir l’application de ces textes. Il rend sa décision dans un délai de 8 jours. »

Article 2

Le code du travail est ainsi modifié :

1° Le I de l’article L. 2325-35 est complété par un 7° ainsi rédigé :

« 7° En vue de l’étude d’un projet de reprise de l’entreprise par les salariés. » ;

2° Le deuxième alinéa de l’article L. 2323-7-2 est complété par une phrase ainsi rédigée :

« En cas d’offre de vente faite aux salariés conformément aux articles L. 23-10-13 et L. 141-33 du code de commerce, ces derniers ont accès à la base de données économiques et sociales. » ;

3° Le chapitre II du titre IV du livre Ier de la deuxième partie est complétée par une section 7 ainsi rédigée :


« Section 7


« L’heure d’information syndicale

« Art. L. 2142-12. – Les sections syndicales sont autorisées à tenir, pendant les heures de travail, des réunions mensuelles d’information. Ces réunions se tiendront dans les locaux syndicaux mis à la disposition des sections syndicales en application de l’article L. 2142-8, ou, avec l’accord du chef d’entreprise, dans d’autres locaux mis à leur disposition.

« Chacun des membres du personnel a le droit de participer à l’une de ces réunions, dans la limite d’une heure par mois. Ce temps peut être dépassé en cas de circonstances exceptionnelles. »


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