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N° 2931

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 1er juillet 2015.

PROPOSITION DE LOI

portant réforme de la prescription en matière pénale,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par MM. Alain TOURRET et Georges FENECH,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Les règles légales et jurisprudentielles qui régissent la prescription de l’action publique et la prescription des peines sont peu à peu devenues inadaptées aux attentes de la société et aux besoins des juges en matière de répression des infractions. Elles souffrent aujourd’hui d’une incohérence et d’une instabilité préjudiciables à l’impératif de sécurité juridique.

Tel est le constat formulé par de nombreux acteurs du monde universitaire, du monde judiciaire ainsi que par deux missions d’information parlementaires au cours des dix dernières années. La première fut mise en place en 2007 par la commission des lois du Sénat : ses rapporteurs, MM. Jean-Jacques Hyest, Hugues Portelli et Richard Yung, formulèrent dix-sept recommandations visant à créer « un droit de la prescription moderne et cohérent » tant en matière civile qu’en matière pénale. Ses conclusions inspirèrent largement la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile. Hélas, en matière pénale, ses recommandations sont restées « lettres mortes ». La seconde, créée par la commission des lois de l’Assemblée nationale à la fin de l’année 2014, a conduit ses rapporteurs, MM. Alain Tourret et Georges Fenech, à formuler quatorze propositions tendant à réformer le régime de la prescription en matière pénale.

Les règles relatives à la prescription de l’action publique et à la prescription des peines, fixées, pour l’essentiel, aux articles 7 à 9 du code de procédure pénale pour la première et aux articles 133-2 à 133-4 du code pénal pour la seconde, étaient pourtant simples à l’origine. La durée des délais respectait la répartition tripartite des infractions : un an, trois ans et dix ans pour la prescription de l’action publique des contraventions, des délits et des crimes ; trois ans, cinq ans et vingt ans pour la prescription des peines contraventionnelles, délictuelles et criminelles. De même, le point de départ du délai de prescription devait être fixé au jour de la commission de l’infraction pour l’action publique et à la date de la décision de condamnation définitive pour les peines. Toutefois, les interventions quelque peu erratiques du législateur et l’interprétation prétorienne extensive des textes ont progressivement brouillé la clarté de ces règles.

D’une part, le législateur a multiplié les délais de prescription dérogatoires au droit commun, en soumettant certaines infractions à des délais allongés (infractions commises sur les mineurs, actes de nature terroriste, infractions à la législation sur les stupéfiants…) ou abrégés (infractions de presse, infractions prévues par le code électoral…).

D’autre part, on a assisté à une profonde diversification des règles de computation du délai de prescription de l’action publique.

Les interventions du législateur et du juge ont ainsi fait éclater la règle selon laquelle le point de départ du délai de prescription de l’action publique est fixé au jour de la commission de l’infraction. Ainsi, pour les infractions présentant un caractère occulte par nature ou dissimulées par leurs auteurs, le juge a pu décider de reporter ce point de départ au jour où les faits sont apparus et ont pu être constatés dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique. Même si elle a permis de répondre aux besoins de la répression de certaines infractions astucieuses, tout particulièrement en matière de grande délinquance économique et financière, cette jurisprudence contra legem est à la source d’une réelle insécurité juridique. Le législateur a également décidé de reporter le point de départ de la prescription de l’action publique pour certaines infractions ou catégories d’infractions, soit en raison de l’âge (report à la majorité de la victime pour les infractions sexuelles sur un mineur) ou de la situation de la victime au moment des faits (report au jour où les faits apparaissent à la victime pour certaines infractions commises sur une personne vulnérable), soit pour tenir compte de la spécificité de l’infraction (banqueroute, insoumission ou désertion…).

Les conditions d’interruption et de suspension de la prescription ont également sensiblement évolué au fil du temps. L’imprécision des dispositions relatives aux conditions d’interruption de la prescription de l’action publique a obligé le juge à développer une conception extensive de l’acte interruptif, défini par le code de procédure pénale comme tout « acte d’instruction et de poursuite ». Par ailleurs, l’assemblée plénière de la Cour de cassation a rendu, le 7 novembre 2014, un arrêt de principe relatif à la prescription d’une série d’infanticides en dégageant, une nouvelle fois en dehors de tout fondement légal, un nouveau motif de suspension du délai de prescription de l’action publique en matière criminelle dès lors qu’un obstacle insurmontable rend les poursuites impossibles (Cass. ass. plén., 7 novembre 2014).

Sur le plan formel, l’ordonnancement des dispositions relatives à la prescription a perdu de sa logique, les règles encadrant chacune des deux prescriptions figurant désormais à la fois dans le code de procédure pénale et dans le code pénal et, au sein de ces codes, dans plusieurs titres ou livres.

Ces évolutions témoignent de la transformation des fondements de la prescription, qui semble de moins en moins admise par la société et par les magistrats. Certains de ses fondements historiques, le « pardon légal » et le dépérissement des preuves, sont de plus en plus contestés, sans être toutefois totalement invalidés, tant il est vrai que la prescription continue d’apparaître comme un rempart contre les témoignages humains anciens et fragiles. En réalité, la prescription a aujourd’hui changé de sens et constitue principalement la sanction de l’exercice tardif du droit de punir en même temps qu’elle est l’un des régulateurs de l’action de la justice pénale.

Suivant les conclusions de la mission d’information sur la prescription en matière pénale de l’Assemblée nationale, la présente proposition de loi entend donc moderniser et clarifier l’ensemble des règles relatives à la prescription de l’action publique et des peines afin d’assurer un meilleur équilibre entre l’exigence de répression des infractions et l’impératif de sécurité juridique.

L’article 1er modifie les règles applicables à la prescription de l’action publique :

– il regroupe au sein des articles 7 et 8 du code de procédure pénale les délais de prescription de droit commun et les délais dérogatoires (aujourd’hui disséminés dans le code de procédure pénale et dans le code pénal) ;

– en matière criminelle, il porte de dix à vingt ans le délai de prescription de droit commun, rend les crimes de guerre imprescriptibles au même titre que les crimes contre l’humanité et maintient en l’état les délais dérogatoires actuellement en vigueur (infractions en matière de terrorisme, de trafic de stupéfiants, etc.) ;

– en matière délictuelle, il porte de trois à six ans le délai de prescription de droit commun et conserve en l’état les délais dérogatoires en vigueur (infractions en matière de terrorisme et de trafic de stupéfiants, infractions sexuelles, etc.) ;

– il maintient à un an le délai de prescription des contraventions ;

– il détermine pour chaque infraction ou catégorie d’infractions le point de départ du délai de prescription : il réaffirme la règle selon laquelle le point de départ est le jour de la commission de l’infraction ; il donne un fondement légal au report du point de départ du délai de prescription des infractions occultes ou dissimulées (dont il donne une définition) ; il maintient en l’état les dispositions législatives relatives au report du point de départ dans certains cas (infractions commises sur les mineurs, crime de clonage reproductif) ; il supprime la disposition aujourd’hui applicable à certaines infractions commises contre des personnes vulnérables ;

– il définit avec plus de précision les conditions d’interruption de la prescription : il ajoute les actes d’enquête à la liste des actes interruptifs, précise que ces actes doivent avoir pour finalités la constatation des infractions ou la recherche, la poursuite ou le jugement de leurs auteurs, donne un fondement légal à la règle jurisprudentielle selon laquelle ces actes, lorsqu’ils émanent de la personne exerçant l’action civile, sont également interruptifs, et confère aux plaintes adressées au procureur de la République ou à un service de police judiciaire un caractère interruptif ;

– afin de ne pas rendre de facto imprescriptibles certains faits, il prévoit, en matière délictuelle et criminelle, que tout acte interruptif fait courir un nouveau délai de prescription d’une durée égale à la moitié du délai initial fixé par les articles 7 et 8 du code de procédure pénale soit, pour le droit commun, trois ans pour les délits et dix ans pour les crimes ;

– il consacre au plan législatif la règle jurisprudentielle relative à la suspension du délai de prescription en présence d’un obstacle de droit ou d’un obstacle de fait insurmontable, rendant impossible l’exercice des poursuites.

L’article 2 modifie les règles applicables à la prescription de la peine :

– il regroupe au sein des articles 133-2 et 133-3 du code pénal les délais de prescription de droit commun et les délais dérogatoires (aujourd’hui disséminés dans le code de procédure pénale et dans le code pénal) ;

– il rend imprescriptibles les peines réprimant les crimes de guerre au même titre que celles réprimant les crimes contre l’humanité ;

– il maintient en l’état le délai de prescription des peines criminelles (droit commun et délais dérogatoires) ;

– il porte de cinq à six ans le délai de prescription des peines délictuelles et laisse inchangés les délais dérogatoires applicables à certaines peines délictuelles (terrorisme, trafic de stupéfiants, etc.) ;

– il conserve en l’état le délai de prescription des peines contraventionnelles fixé à trois ans.

L’article 3 procède à diverses coordinations dans le code pénal, le code de procédure pénale et le code de justice militaire.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Le sous-titre Ier du titre préliminaire du code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° Les articles 7 à 9 du code de procédure pénale sont ainsi rédigés :

« Art. 7. – Sauf dans les cas où la loi en dispose autrement, l’action publique des crimes se prescrit par vingt années révolues à compter du jour où l’infraction a été commise.

« L’action publique des crimes mentionnés aux articles 706-47 du présent code et 222-10 du code pénal commis sur des mineurs se prescrit par vingt années révolues à compter de la majorité de ces derniers.

« L’action publique des crimes mentionnés aux articles 706-16, 706-26 et 706-167 du présent code et 214-1 à 214-4 et 221-12 du code pénal se prescrit par trente années révolues à compter du jour où l’infraction a été commise. Toutefois, le délai de prescription de l’action publique du crime prévu à l’article 214-2, lorsqu’il a conduit à la naissance d’un enfant, court à compter de la majorité de ce dernier.

« L’action publique des crimes mentionnés aux articles 211-1 à 212-3 et au livre IV bis du code pénal est imprescriptible.

« Art. 8. – Sauf dans les cas où la loi en dispose autrement, l’action publique des délits se prescrit par six années révolues à compter du jour où l’infraction a été commise.

« L’action publique du délit mentionné à l’article 434-25 du code pénal se prescrit par trois mois révolus à compter du jour où l’infraction a été commise.

« L’action publique des délits mentionnés à l’article 421-2-5 du même code se prescrit par trois années révolues à compter du jour où l’infraction a été commise.

« L’action publique des délits mentionnés à l’article 706-47 du présent code commis sur des mineurs se prescrit par dix années révolues à compter de la majorité de ces derniers.

« L’action publique des délits mentionnés aux articles 222-12, 222-29-1 et 227-26 du code pénal commis sur des mineurs se prescrit par vingt années révolues à compter de la majorité de ces derniers.

« L’action publique des délits mentionnés aux articles 706-16 et 706-26 du présent code, à l’article 706-167 du même code lorsqu’ils sont punis de dix ans d’emprisonnement ainsi que de ceux réprimés par le livre IV bis du code pénal se prescrit par vingt années révolues à compter du jour où l’infraction a été commise.

« L’action publique du délit mentionné à l’article 314-7 du code pénal se prescrit dans les conditions prévues au dernier alinéa de l’article 314-8 du même code.

« Art. 9. – Sauf dans les cas où la loi en dispose autrement, l’action publique des contraventions se prescrit par une année révolue à compter du jour où l’infraction a été commise. » ;

2° Après l’article 9, sont insérés trois articles 9-1 à 9-3 ainsi rédigés :

« Art. 9-1. – La prescription est interrompue par tout acte d’enquête, d’instruction ou de poursuite tendant effectivement à la constatation des infractions ou à la recherche, à la poursuite ou au jugement de leurs auteurs. Interrompent également la prescription les actes qui émanent de la personne exerçant l’action civile, lorsqu’ils ont les mêmes finalités, et les plaintes adressées au procureur de la République ou à un service de police judiciaire.

« Tout acte mentionné au premier alinéa du présent article fait courir un nouveau délai de prescription d’une durée égale à la moitié de celle prévue aux articles 7 et 8.

« Ces règles s’appliquent également aux personnes qui ne seraient pas visées par l’un des actes mentionnés aux alinéas précédents.

« Art. 9-2. – Par dérogation aux articles 7 à 9, en cas d’infraction occulte ou dissimulée, la prescription court à compter du jour où l’infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant l’exercice des poursuites.

« Est occulte l’infraction qui, en raison de ses éléments constitutifs, ne peut être connue ni de la victime, ni de l’autorité judiciaire.

« Est dissimulée l’infraction dont l’auteur accomplit délibérément toute manœuvre caractérisée tendant à en empêcher la découverte.

« Art. 9-3. – La prescription est suspendue en présence soit d’un obstacle de droit, soit d’un obstacle de fait insurmontable, rendant impossible l’exercice des poursuites. »

Article 2

Le code pénal est ainsi modifié :

1° L’article 133-2 est ainsi modifié :

a) Le début est ainsi rédigé : « Sauf dans les cas où la loi en dispose autrement, les peines (le reste sans changement) » ;

b) Sont ajoutés deux alinéas ainsi rédigés :

« Les peines prononcées pour les crimes mentionnés aux articles 214-1 à 214-4 et 221-12 du présent code et 706-16, 706-26 et 706-167 du code de procédure pénale se prescrivent par trente années révolues à compter de la date à laquelle la décision de condamnation est devenue définitive.

« Les peines prononcées pour les crimes mentionnés aux articles 211-1 à 212-3 et au livre IV bis du présent code sont imprescriptibles. » ;

2° L’article 133-3 est ainsi modifié :

a) Le début est ainsi rédigé : « Sauf dans les cas où la loi en dispose autrement, les peines prononcées pour un délit se prescrivent par six années … (le reste sans changement) » ;

b) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« Les peines prononcées pour les délits mentionnés par le livre IV bis du présent code, les articles 706-16 et 706-26 du code de procédure pénale et, lorsqu’ils sont punis de dix ans d’emprisonnement, pour ceux prévus à l’article 706-167 du même code se prescrivent par vingt années révolues à compter de la date à laquelle la décision de condamnation est devenue définitive. » ;

3° Au début de l’article 133-4, sont ajoutés les mots : « Sauf dans les cas où la loi en dispose autrement, les peines… (le reste sans changement) ».

Article 3

I. – Le code pénal est ainsi modifié :

1° Les articles 213-5, 215-4, 221-18 et 462-10 sont abrogés ;

2° Le dernier alinéa de l’article 434-25 est supprimé.

II. – Le livre IV du code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° Les articles 706-25-1 et 706-175 sont abrogés ;

2° Les deux premiers alinéas de l’article 706-31 sont supprimés.

III. – Le titre Ier du livre II du code de justice militaire est ainsi modifié :

1° À l’article L. 211-12, la référence : « 9 » est remplacée par la référence : « 9-3 » ;

2° Les deux premiers alinéas de l’article L. 212-37 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé :

« L’action publique des crimes se prescrit selon les règles prévues aux premier et dernier alinéas de l’article 7 et aux articles 9-1 à 9-3 du code de procédure pénale. » ;

3° Les articles L. 212-38 et L. 212-39 sont ainsi rédigés :

« Art. L. 212-38. – L’action publique des délits se prescrit selon les règles prévues au premier alinéa de l’article 8 et aux articles 9-1 à 9-3 du code de procédure pénale.

« Art. L. 212-39. – L’action publique des contraventions se prescrit selon les règles prévues à l’article 9, aux premier et dernier alinéas de l’article 9-1 et aux articles 9-2 et 9-3 du code de procédure pénale. »


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