N° 3585
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale 17 mars 2016.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
invitant le Gouvernement à ne pas renouveler les mesures restrictives
et les sanctions économiques imposées par l’Union Européenne
à la Fédération de Russie.
présentée par Mesdames et Messieurs
Thierry MARIANI, Damien ABAD, Bernard ACCOYER, Yves ALBARELLO, Julien AUBERT, Véronique BESSE, Marcel BONNOT, Jean-Claude BOUCHET, Valérie BOYER, Guillaume CHEVROLLIER, Alain CHRÉTIEN, Jean-Louis CHRIST, Philippe COCHET, Jean-Louis COSTES, Édouard COURTIAL, Jean-Michel COUVE, Marie-Christine DALLOZ, Olivier DASSAULT, Jean-Pierre DECOOL, Claude de GANAY, Nicolas DHUICQ, Jean-Pierre DOOR, Dominique DORD, Nicolas DUPONT-AIGNAN, Jean-Paul DUPRÉ, Philippe FOLLIOT, Marc FRANCINA, Laurent FURST, Sauveur GANDOLFI-SCHEIT, Annie GENEVARD, Guy GEOFFROY, Claude GOASGUEN, Philippe GOSSELIN, Jean-Claude GUIBAL, Jean-Jacques GUILLET, Patrick HETZEL, Denis JACQUAT, Jacques KOSSOWSKI, Marc LAFFINEUR, Jérôme LAMBERT, Thierry LAZARO, Isabelle LE CALLENNEC, Philippe LE RAY, Maurice LEROY, Lionnel LUCA, Alain MARLEIX, Olivier MARLEIX, Franck MARLIN, Alain MARSAUD, Patrice MARTIN-LALANDE, Alain MARTY, Gérard MENUEL, Damien MESLOT, Philippe MEUNIER, Jean-Claude MIGNON, Yannick MOREAU, Pierre MOREL-A-L’HUISSIER, Alain MOYNE-BRESSAND, Jacques MYARD, Yves NICOLIN, Jean-Frédéric POISSON, Axel PONIATOWSKI, Didier QUENTIN, Frédéric REISS, Jean-Luc REITZER, Boinali SAID, Rudy SALLES, François SCELLIER, Jean-Marie SERMIER, Fernand SIRÉ, Thierry SOLÈRE, Éric STRAUMANN, Alain SUGUENOT, Jean-Charles TAUGOURDEAU, Guy TEISSIER, Michel TERROT, Dominique TIAN, Patrice VERCHÈRE, Jean-Sébastien VIALATTE, Philippe VIGIER, François-Xavier VILLAIN, Philippe VITEL, Michel VOISIN et Marie-Jo ZIMMERMANN,
Députés.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Alors qu’elles devaient expirer fin juillet 2015, les sanctions économiques contre la Russie ont été prolongées une première fois le 22 juin 2015. Une seconde reconduction des sanctions est survenue en décembre 2015, les portant ainsi jusqu’en juillet 2016.
Indépendamment des événements dramatiques survenus en Ukraine, ces sanctions - contraires aux intérêts fondamentaux des relations franco-russes - décidées par l’Union européenne, et fortement encouragées par les États-Unis, n’ont d’effet que de détériorer les relations économiques qui lient la France et la Russie.
Force est de constater que ces sanctions sont aujourd’hui totalement inefficaces pour résoudre la crise internationale, et dangereuses pour les intérêts de la France.
1. Des sanctions dangereuses sur le plan économique
La dégradation des relations économiques
Les relations économiques sont très fortes entre la France et la Russie et elles se sont même considérablement approfondies ces dernières années. La France est ainsi devenue le troisième investisseur étranger en Russie. Il faut savoir qu’environ 1 200 entreprises françaises sont présentes sur le territoire russe, et 6 000 à 7 000 entreprises françaises exportent vers la Russie (1), représentant des milliers d’emplois. Les investissements français en Russie sont de 12 milliards d’euros (2) par an dans des secteurs variés allant de l’automobile à la haute technologie, en passant par l’agroalimentaire, le secteur bancaire, les travaux publics ou encore la distribution. En 2011, les échanges de la France avec la Russie ont atteint 21 milliards d’euros (3).
Hélas, les sanctions économiques européennes prises à l’encontre de la Russie nuisent à ces relations. En effet, d’après un article du service de recherches du parlement européen, publié en octobre 2015, en 2014, les exportations de marchandises de l’UE vers la Russie affichent une baisse de 12,1 %, quant aux importations venues de Russie, elles ont chuté de 13,5% (4).
Aussi, le partenariat bilatéral entre la France et la Russie, qui s’était considérablement développé au cours des dernières années souffre des sanctions européennes et des contre-mesures logiques de la Russie. Les échanges bilatéraux ont en effet baissé. Selon Arnaud Dubien, directeur de l’Observatoire franco-russe, depuis le début de l’année 2015, les relations franco-russes ont diminué de 40 %, baisse marqué par la non-livraison des Mistral (5).
L’annulation des ventes des Mistral à la Russie a illustré l’abandon de notre indépendance nationale. Outre l’erreur politique qu’elle représente, la non-livraison des Mistral a un coût considérable pour le contribuable français. L’accord franco-russe trouvé prévoit le remboursement par le Gouvernement français au Gouvernement russe de la somme de 950 millions d’euros. À cette somme, il faut ajouter la perte de millions d’euros liée notamment au coût de « dérussification » des navires, c’est-à-dire le retrait des équipements aux normes russes. En réalité, la perte liée à l’annulation de la vente des Mistral à la Russie s’élève à près d’1,2 milliard d’euros.
La situation de nos entreprises en Russie
Par ailleurs, les petites et moyennes entreprises françaises cherchant à se développer en Russie ont du mal à trouver un soutien financier.
En effet, de nombreux projets sont stoppés ou ralentis sous l’effet « BNP-Paribas ». Les entreprises européennes, par crainte de rétorsions américaines, sont extrêmement prudentes, consultent et vérifient que leurs activités rentrent, ou non, dans le cadre des sanctions et ne veulent plus prendre de risques. Elles sont donc doublement pénalisées : par les sanctions et par un excès de prudence pour éviter des amendes que les États-Unis leurs appliqueraient.
Du reste, ces sanctions qui pénalisent nos entreprises profitent aux entreprises américaines qui n’appliquent pas le même « principe de précaution ». En témoigne, la signature du contrat pour l’assemblage d’hélicoptères sur le sol russe entre la société américaine Bell et une société russe basée à Ekaterinbourg liée financièrement au conglomérat d’industries de la défense Rostec, conglomérat sous le coup des sanctions européennes.
Ces sanctions économiques contre la Russie pourraient entraîner la disparition d’emplois dans les entreprises françaises en Russie par la remise en cause de contrats importants, qui en ces temps de crise économique, sont vitaux pour de nombreuses entreprises françaises.
L’impact des sanctions sur notre territoire
– Les impacts dans le domaine agricole
Dans le domaine agricole et agroalimentaire, les effets des sanctions ont été lourdement ressentis.
L’embargo est double : « sanitaire » (PPA : peste porcine africaine) depuis janvier 2014 et « politique » depuis août 2014.
En effet, en réponse aux sanctions européennes, la Russie a décrété en 2014 pour des raisons sanitaires, un embargo sur les produits alimentaires (qui comporte également une dimension diplomatique liée à la crise ukrainienne). Cet embargo a eu d’importantes répercussions notamment auprès des éleveurs de porc français.
Les volumes français exportés en 2013 étaient d’environ 70 000 tonnes pour un chiffre d’affaires de 100 millions d’euros par an. La fermeture de ce marché a entraîné un excédent d’offre disponible sur le marché européen. Le prix d’équilibre du porc vivant s’est abaissé de 20 centimes par kg entrainant une perte sèche de 40 millions d’euros par an pour la filière. La chute de l’abattoir GAD en a été précipitée.
Les producteurs russes (Cherzikovo, Rusagro, Miratorg, Agrocomplex, etc.) s’organisent activement depuis et développent actuellement une production nationale importante. Il y a urgence à ré-ouvrir ce marché si nous voulons le retrouver un jour.
Alors que la filière porcine subit une crise sans précédent, l’embargo russe n’a fait qu’amplifier la crise du porc en France. Pour Maitre Christophe Charles, avocat au barreau de Versailles, spécialiste des marchés agricoles, « l’embargo russe a amplifié puissance 10 » la crise structurelle (6). Les porcs allemands qui ne partent plus en Russie ont en effet provoqué la baisse des cours en France.
– Les impacts dans le domaine industriel
Ces sanctions contre la Russie ont interrompu, dans de multiples domaines, des coopérations entre nos entreprises et des entreprises russes ou ont compromis la présence française dans de grands projets d’infrastructures russes, notamment en matière de transport (projet de ligne TGV Moscou-Khazan).
Les conséquences de ces sanctions sont également présentes sur notre territoire comme en témoigne, par exemple, l’entreprise Sambre et Meuse. Rachetée en 2010 par le conglomérat russe Uralvagonzavod, après plusieurs années de déclin, l’usine de Feignies dans l’Est de la France a été durement touchée par les sanctions prises à l’encontre de la Russie. Après avoir investi plus de 60 millions d’euros pour remettre sur pied l’usine, Uralvagonzavod s’est retrouvé en juillet 2014 sur la liste des entreprises russes visées par les sanctions occidentales. Asphyxié par les sanctions financières, le groupe a ainsi subi des répercussions sur ses projets avec Sambre et Meuse menaçant des centaines d’emploi.
2. Des sanctions aux effets durable dans le temps
À plus long terme, nous pouvons craindre de perdre définitivement des débouchés en Russie, au profit d’autres pays en bons termes avec Moscou.
Ces sanctions ne feront donc que pousser la Russie à réorienter ses échanges et seront durablement néfastes pour les relations économiques entre la France et la Russie. Si les sanctions devaient durer, les entreprises françaises souffriraient plus que la Russie. En effet, une fois les sanctions levées, le France ne pourra que déplorer la perte de ses parts de marché.
En définitive, l’Union Européenne et les pays la composant risquent de se retrouver eux-mêmes victimes des sanctions adoptées à l’encontre de la Russie. Aussi, il conviendrait d’évaluer avec le plus grand réalisme le coût, tant au niveau de l’UE que pour la France, avant de la poursuivre. Ceci est d’autant plus nécessaire qu’à aucun moment, la représentation nationale, l’Assemblée nationale comme le Sénat, n’a pas eu à connaître ni à débattre du bien-fondé et de l’opportunité des sanctions prises à l’encontre de la Russie.
3. Les sanctions personnelles
Il faut également souligner que la politique de sanctions menée à l’encontre de la Russie vise plusieurs membres du Parlement de la Fédération de Russie, citons notamment Sergueï Narychkine, Président de la Douma, et Leonid Sloutsky, Président du groupe d’amitié Russie-France, tous deux fortement impliqués dans la coopération avec la France ce qui leur a valu d’être décorés de la Légion d’honneur. Les personnes visées par ces sanctions ne sont plus autorisées à entrer sur le territoire des pays de l’Union européenne, ni à transiter dans ces pays.
Ces personnes qui n’ont pas directement participé à des opérations sont visées par les sanctions uniquement en raison de leur vote à la Douma.
Le fait d’infliger de telles sanctions soulève une série de questionnements, notamment relative à la légalité de ces mesures. En effet, qui peut s’arroger le droit d’établir une liste de citoyens visés par des sanctions personnelles sans même qu’ils puissent être interrogés ou qu’ils aient la possibilité de se défendre et même d’avoir un avocat. Mais surtout, ces sanctions gênent considérablement toute coopération parlementaire entre la France et la Russie.
4. Un objectif commun : la lutte contre le terrorisme
Compte tenu du contexte géopolitique, et de l’impérieuse nécessité de lutter contre l’État islamique aux côtés de la Russie, un maintien des rétorsions économiques à l’égard de la Fédération de Russie est dénué de sens. Les sanctions ont fait preuve de leur totale inefficacité à régler la crise ukrainienne et dans la mesure où la France et la Russie ont décidé de coordonner leurs frappes aériennes en Syrie contre les djihadistes de Daesh, il est nécessaire de se poser clairement la question des sanctions. En effet, on ne peut demander à la Russie d’être partenaire dans le combat contre Daesh et en même temps réclamer des sanctions à leur encontre.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
L’Assemblée nationale,
Vu l’article 34-1 de la Constitution,
Vu l’article 136 du Règlement,
Vu l’Article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme,
Considérant que les sanctions prises par l’Union européenne à l’encontre de la Russie ont montré leur inutilité pour régler la crise ukrainienne,
Considérant que les sanctions prises par l’Union européenne à l’encontre de la Russie nuisent aux intérêts économiques français et russes,
Considérant que les sanctions sont contraires au rapprochement de la France et de la Russie dans la lutte contre le terrorisme,
Souhaite voir la France s’opposer au renouvellement des sanctions prises dans le cadre de l’Union européenne à l’égard de la Russie ;
Invite le Gouvernement français à entamer une négociation visant à lever le plus rapidement possible la politique de sanction à l’égard de la Russie ;
Invite le Gouvernement à lever les mesures restrictives et les sanctions économiques imposées par l’Union Européenne à la Fédération de Russie ;
Invite le Gouvernement français à ouvrir une négociation bilatérale France-Russie pour lever l’embargo sanitaire ;
Invite le Gouvernement français à lever les sanctions contre les parlementaires russes.
1 () Emmanuel Quidet, Président de la Chambre de commerce et d’industrie franco-russe (CCIFR), Colloque France-Russie organisé par l’Observatoire Franco-Russe et l’IRIS, 24 avril 2014.
2 () Rapport d’information déposé par la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale sur la politique française et européenne vis-à-vis de la Russie, présenté par Mme Chantal Guittet et M. Thierry Mariani, 12 février 2014.
3 () Arnaud Dubien, directeur de l’Observatoire Franco-Russe, Le Courrier de la Russie, 14 novembre 2012.
4 () http ://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/BRIE/2015/569020/EPRS_BRI%282015%29569020_EN.pdf.
5 () Le courrier de la Russie, 18 Septembre 2015.
6 () Le Figaro, 20 juillet 2015.