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N° 3601

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 24 mars 2016.

PROPOSITION DE LOI

réformant le système de répression des abus de marché,

(Renvoyée à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, à défaut
de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

MM. Dominique BAERT et Dominique LEFEBVRE,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Par ses décisions n° 2014-453/454 QPC et 2015-462 QPC du 18 mars 2015, le Conseil constitutionnel a jugé contraire à la Constitution l’article L. 465-1 du code monétaire et financier relatif au délit d’initié réprimé par le juge pénal et l’article L. 621-15 du même code relatif au manquement d’initié réprimé par la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers. Il a par voie de conséquence également jugé contraire à la Constitution les articles L. 466-1, L. 621-15-1, L. 621-16 et L. 621-16-1 de ce code qui en étaient inséparables.

D’une part, dans ces décisions, le Conseil constitutionnel a rappelé sa jurisprudence constante selon laquelle le principe de nécessité des délits et des peines énoncé à l’article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits commis par une même personne puissent faire l’objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature différente en application de corps de règles distincts devant leur propre ordre de juridiction.

Mais, d’autre part, le Conseil a contrôlé les articles L. 465-1 et L. 621-15 du code monétaire et financier au regard de ce principe avec un quadruple examen :

– en premier lieu, il a jugé que ces articles tendent à réprimer les mêmes faits ; ils définissent et qualifient de la même manière le manquement d’initié et le délit d’initié. Soit les délits d’initié et manquements d’initié ne peuvent être commis qu’à l’occasion de l’exercice de certaines fonctions, soit ils ne peuvent être commis, pour le délit d’initié, que par une personne possédant une information privilégiée « en connaissance de cause » et, pour le manquement d’initié, par une personne « qui sait ou qui aurait dû savoir » que l’information qu’elle détenait constituait une information privilégiée ;

– en deuxième lieu, le Conseil a estimé que la répression du manquement d’initié et celle du délit d’initié poursuivent une seule et même finalité de protection du bon fonctionnement et de l’intégrité des marchés financiers. Ces répressions d’atteintes portées à l’ordre public économique s’exercent dans les deux cas non seulement à l’égard des professionnels, mais également à l’égard de toute personne ayant utilisé illégalement une information privilégiée ;

– en troisième lieu, le Conseil a jugé que les faits réprimés par les articles L. 465-1 et L. 621-15 du code monétaire et financier doivent être regardés comme susceptibles de faire l’objet de sanctions qui ne sont pas de nature différente. L’auteur d’un délit d’initié peut être puni d’une peine de deux ans d’emprisonnement et d’une amende de 1 500 000 euros. L’auteur d’un manquement d’initié encourt une sanction pécuniaire de 10 millions d’euros. Ainsi le Conseil a relevé que, si seul le juge pénal peut condamner l’auteur d’un délit d’initié à une peine d’emprisonnement lorsqu’il s’agit d’une personne physique et à une dissolution lorsqu’il s’agit d’une personne morale, les sanctions pécuniaires prononcées par la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers peuvent être d’une très grande sévérité et atteindre jusqu’à plus de six fois celles encourues devant la juridiction pénale en cas de délit d’initié. Par ailleurs, en vertu du paragraphe III de l’article L. 621-15 du code monétaire et financier, la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers doit, comme cela est imposé au juge pénal par l’article 132-26 du code pénal, fixer le montant des sanctions qu’elle prononce en fonction de la gravité des manquements commis ;

– en quatrième lieu, le Conseil a relevé que, dès lors que l’auteur d’un manquement d’initié n’est pas une personne ou entité mentionnée au paragraphe II de l’article L. 621-9 du code monétaire et financier, la sanction qu’il encourt et celle qu’encourt l’auteur d’un délit d’initié relèvent toutes deux des juridictions de l’ordre judiciaire.

De tout cela, le Conseil constitutionnel a déduit que les sanctions du délit d’initié et du manquement d’initié ne peuvent être regardées comme de nature différente en application de corps de règles distincts devant leur propre ordre de juridiction. Dès lors, il a jugé que les articles L. 465-1 et L. 621-15 du code monétaire et financier méconnaissent, en ce qu’ils peuvent être appliqués à une personne ou entité autre que celles mentionnées au paragraphe II de l’article L. 621-9 du même code, le principe de nécessité des délits et des peines. Après avoir jugé ces dispositions contraires à la Constitution, le Conseil constitutionnel a reporté au 1er septembre 2016 la date d’abrogation de ces dispositions.

C’est aux conséquences de cette censure que la présente proposition de loi s’efforce de remédier. Il s’agit de réformer le système français de répression des abus de marché en continuant à conjuguer une voie répressive administrative, confiée à l’Autorité des marchés financiers et à sa commission des sanctions, et une voie répressive pénale, confiée à l’autorité judiciaire. Ceci doit permettre de bénéficier des avantages des deux systèmes, avec, d’une part, des sanctions administratives rapides et importantes, assurant la discipline des marchés et des professionnels, et d’autre part, des sanctions pénales particulièrement adaptées aux cas les plus graves.

La décision du Conseil constitutionnel impose de créer un mécanisme d’aiguillage entre ces deux systèmes répressifs pour l’ensemble des abus de marché. Ce mécanisme doit tenir compte de la nature différente des deux systèmes de répression. La répression pénale trouve son fondement dans la Constitution et a une vocation générale de protection des intérêts de la société qui peut conduire jusqu’à des peines privatives de liberté. La répression par l’Autorité des marchés financiers trouve son fondement dans la loi et a pour finalité la répression particulière de manquements à des règles régissant un secteur d’activités donné.

Demain, il convient que, dans une affaire donnée, le parquet national financier et l’Autorité des marchés financiers ne puissent engager des poursuites qu’après une concertation mutuelle. L’accord de chacun assurera l’unicité des poursuites et donc des condamnations. La proposition de loi met en place ce mécanisme de concertation entre le parquet national financier et l’Autorité des marchés financiers. Ce mécanisme suffira dans l’immense majorité des cas à organiser, dans le respect des règles constitutionnelles, les poursuites. Pour autant, il est nécessaire de prévoir un mécanisme particulier dans l’hypothèse – rare - où chacun pourrait souhaiter engager des poursuites. Chacun pourra alors saisir le procureur général près la cour d’appel de Paris. En l’absence d’accord, celui-ci autorisera le parquet financier à mettre en mouvement l’action publique ou donnera son accord au collège de l’Autorité des marchés financiers pour procéder à la notification des griefs.

Ce dispositif serait incomplet s’il ne prévoyait des dispositions relatives à la mise en mouvement de l’action publique. Il convient en effet d’assurer l’efficacité de ce nouveau mécanisme d’aiguillage qui ne doit pas pouvoir être tenu en échec si la victime se constitue partie civile. Une telle constitution doit être réservée aux cas où l’affaire serait orientée vers la voie pénale. Seul le ministère public peut délivrer une citation devant le tribunal correctionnel. Dans l’autre branche de l’alternative, avec la répression administrative, la victime obtiendra réparation de son préjudice en se tournant vers le juge civil.

La présente proposition de loi est d’une particulière actualité. Il convient en effet que le Parlement réforme très rapidement le système français de répression des abus de marchés pour que le nouveau régime, y compris les textes réglementaires d’application, soit en vigueur au 1er septembre 2016, date où le système censuré par le Conseil constitutionnel ne s’appliquera plus.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

La section 1 du chapitre V du titre VI du livre IV du code monétaire et financier est complétée par un article L. 465-3-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 465-3-1. – I. – Sans préjudice des dispositions de l’article 6 du code de procédure pénale, l’action publique pour l’application des peines prévues à la présente section s’éteint par la notification des griefs pour les mêmes faits et à l’égard de la même personne effectuée en application de l’article L. 621-15.

« II. – L’action publique pour l’application des peines prévues à la présente section ne peut être mise en mouvement par le procureur de la République financier qu’après concertation avec le collège de l’Autorité des marchés financiers, et accord de celui-ci.

« III. – En l’absence d’accord, le procureur général près la cour d’appel de Paris autorise le procureur de la République financier à mettre en mouvement l’action publique, ou donne son accord au collège de l’Autorité des marchés financiers pour procéder à la notification des griefs. Cette décision est rendue dans un délai de deux mois à compter de la saisine du procureur général près la cour d’appel de Paris par le procureur de la République financier ou par l’Autorité des marchés financiers. Elle est définitive et n’est pas susceptible de recours. Elle est versée au dossier de la procédure.

« IV. – Par dérogation aux dispositions de l’article 85 du code de procédure pénale, une plainte avec constitution de partie civile n’est recevable qu’à condition que le procureur de la République financier ait été autorisé à exercer les poursuites à l’issue de la procédure prévue aux II et III, et que la personne justifie qu’un délai de trois mois s’est écoulé depuis qu’elle a déposé plainte devant ce magistrat contre récépissé ou par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou depuis qu’elle a adressé, selon les mêmes modalités, copie à ce magistrat de sa plainte déposée devant un service de police judiciaire. La prescription de l’action publique est suspendue, au profit de la victime, du dépôt de la plainte jusqu’à la réponse du procureur de la République financier.

« V. – Par dérogation au premier alinéa de l’article 551 du code de procédure pénale, la citation visant les délits prévus et réprimés par les articles L. 465-1 à L. 465-2-1 du présent code ne peut être délivrée qu’à la requête du ministère public.

« VI. – Un décret en Conseil d’État précise les conditions et modalités d’application du présent article. »

Article 2

L’article L. 621-15-1 du même code est ainsi rédigé :

« Art. L. 621-15-1. – I. – Le collège de l’Autorité des marchés financiers ne peut notifier de griefs aux personnes à l’encontre desquelles, à raison des mêmes faits, l’action publique pour l’application des peines prévues à la section 1 du chapitre V du titre VI du livre IV a été mise en mouvement par le procureur de la République financier.

« II. – Les griefs relatifs à des faits susceptibles de constituer un des délits mentionnés aux articles L. 465-1 à L. 465-2-1 ne peuvent être notifiés qu’après concertation avec le procureur de la République financier et accord de celui-ci.

« III. – En l’absence d’accord, les dispositions prévues au III de l’article L. 465-3-1 sont applicables.

« IV. – Un décret en Conseil d’État précise les conditions et modalités d’application du présent article. »

Article 3

À L’article L. 621-16, les mots : « les mêmes faits ou » sont supprimés.

Article 4

La seconde phrase de l’article L. 621-16-1 est supprimée.

Article 5

I. – Les dispositions de la présente loi sont applicables sur l’ensemble du territoire de la République.

II. – Les I des articles L. 744-12, L. 754-12 et L. 764-12 du code monétaire et financier sont ainsi modifiés :

1° La référence : « et L. 465-2 » est remplacée par les références : « , L. 465-2 et L. 465-3-1 » ;

2° Ils sont complétés par un alinéa ainsi rédigé :

« L’article L. 465-3-1 est applicable dans sa rédaction résultant de la loi n°         du         réformant le système de répression des abus de marché. »


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