N° 3782
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 25 mai 2016.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
visant à protéger le système du crédit immobilier français
dans le cadre des négociations de Bâle,
présentée par Mesdames et Messieurs
Bruno LE ROUX, Audrey LINKENHELD, Daniel GOLDBERG, François PUPPONI, Philippe BIES, Marc GOUA et les membres du groupe socialiste, écologiste et républicain (1) et apparentés (2),
députés.
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(1) Ce groupe est composé de Mesdames et Messieurs : Ibrahim Aboubacar, Patricia Adam, Sylviane Alaux, Éric Alauzet, Jean-Pierre Allossery, François André, Nathalie Appéré, Kader Arif, Christian Assaf, Pierre Aylagas, Alexis Bachelay, Guillaume Bachelay, Jean-Paul Bacquet, Dominique Baert, Guy Bailliart, Alain Ballay, Gérard Bapt, Frédéric Barbier, Serge Bardy, Claude Bartolone, Christian Bataille, Delphine Batho, Marie-Noëlle Battistel, Laurent Baumel, Philippe Baumel, Nicolas Bays, Catherine Beaubatie, Jean-Marie Beffara, Luc Belot, Karine Berger, Gisèle Biémouret, Philippe Bies, Erwann Binet, Jean-Pierre Blazy, Yves Blein, Patrick Bloche, Daniel Boisserie, Christophe Borgel, Florent Boudie, Marie-Odile Bouillé, Christophe Bouillon, Brigitte Bourguignon, Malek Boutih, Kheira Bouziane, Emeric Bréhier, Jean-Louis Bricout, Jean-Jacques Bridey, Isabelle Bruneau, Sabine Buis, Jean-Claude Buisine, Sylviane Bulteau, Vincent Burroni, Alain Calmette, Jean-Christophe Cambadélis, Colette Capdevielle, Yann Capet, Christophe Caresche, Marie-Arlette Carlotti, Fanélie Carrey-Conte, Martine Carrillon-Couvreur, Christophe Castaner, Laurent Cathala, Jean-Yves Caullet, Christophe Cavard Nathalie Chabanne, Guy Chambefort, Jean-Paul Chanteguet, Marie-Anne Chapdelaine, Guy-Michel Chauveau, Dominique Chauvel, Pascal Cherki, Jean-David Ciot, Alain Claeys, Jean-Michel Clément, Marie-Françoise Clergeau, Romain Colas, David Comet, Philip Cordery, Valérie Corre, Jean-Jacques Cottel, Catherine Coutelle, Jacques Cresta, Pascale Crozon, Frédéric Cuvillier, Seybah Dagoma, Karine Daniel, Yves Daniel, Carlos Da Silva, Pascal Deguilhem, Florence Delaunay, Michèle Delaunay, Guy Delcourt, Carole Delga, Jacques Dellerie, Pascal Demarthe, Sébastien Denaja, Françoise Descamps-Crosnier, Jean-Louis Destans, Michel Destot, Fanny Dombre-Coste, René Dosière, Philippe Doucet, Sandrine Doucet, Françoise Dubois, Jean-Pierre Dufau, Anne-Lise Dufour-Tonini, Françoise Dumas, William Dumas, Jean-Louis Dumont, Laurence Dumont, Jean-Paul Dupré, Yves Durand, Philippe Duron, Olivier Dussopt, Henri Emmanuelli, Corinne Erhel, Sophie Errante, Marie-Hélène Fabre, Alain Fauré, Martine Faure, Olivier Faure, Hervé Féron, Richard Ferrand, Aurélie Filippetti, Geneviève Fioraso, Hugues Fourage, Jean-Marc Fournel, Valérie Fourneyron, Michèle Fournier-Armand, Michel Françaix, Christian Franqueville, Jean-Claude Fruteau, Jean-Louis Gagnaire, Geneviève Gaillard, Yann Galut, Guillaume Garot, Renaud Gauquelin, Jean-Marc Germain, Jean-Patrick Gille, Jean Glavany, Daniel Goldberg, Geneviève Gosselin-Fleury, Pascale Got, Marc Goua, Linda Gourjade, Laurent Grandguillaume, Jean Grellier, Élisabeth Guigou, Chantal Guittet, David Habib, Razzy Hammadi, Benoît Hamon, Mathieu Hanotin, Joëlle Huillier, Monique Iborra, Françoise Imbert, Michel Issindou, Éric Jalton, Serge Janquin, Henri Jibrayel, Romain Joron, Régis Juanico, Laurent Kalinowski, Marietta Karamanli, Philippe Kemel, Chaynesse Khirouni, Bernadette Laclais, Conchita Lacuey, François-Michel Lambert, François Lamy, Anne-Christine Lang, Colette Langlade, Jean Launay, Pierre-Yves Le Borgn’, Jean-Yves Le Bouillonnec, Gilbert Le Bris, Anne-Yvonne Le Dain, Jean-Yves Le Déaut, Viviane Le Dissez, Annie Le Houerou, Annick Le Loch, Jean-Pierre Le Roch, Bruno Le Roux, Mme Marie-Thérèse Le Roy, Marie Le Vern, Marylise Lebranchu, Michel Lefait, Dominique Lefebvre, Patrick Lemasle, Catherine Lemorton, Christophe Léonard, Annick Lepetit, Arnaud Leroy, Michel Lesage, Bernard Lesterlin, Michel Liebgott, Martine Lignières-Cassou, Audrey Linkenheld, François Loncle, Lucette Lousteau, Victorin Lurel, Jacqueline Maquet, Marie-Lou Marcel, Jean-René Marsac, Philippe Martin, Martine Martinel, Frédérique Massat, Véronique Massonneau, Sandrine Mazetier, Michel Ménard, Patrick Mennucci, Kléber Mesquida, Pierre-Alain Muet, Philippe Naillet, Philippe Nauche, Nathalie Nieson, Robert Olive, Maud Olivier, Monique Orphé, Michel Pajon, Luce Pane, Christian Paul, Rémi Pauvros, Germinal Peiro, Jean-Claude Perez, Sébastien Pietrasanta, Christine Pires Beaune, Philippe Plisson, Elisabeth Pochon, Pascal Popelin, Dominique Potier, Michel Pouzol, Régine Povéda, Patrice Prat, Christophe Premat, Joaquim Pueyo, François Pupponi, Catherine Quéré, Valérie Rabault, Monique Rabin, Dominique Raimbourg, Marie Récalde, Marie-Line Reynaud, Pierre Ribeaud, Eduardo Rihan Cypel, Denys Robiliard, Alain Rodet, Marcel Rogemont, Frédéric Roig, Barbara Romagnan, Bernard Roman, Gwendal Rouillard, René Rouquet, Alain Rousset, François de Rugy, Béatrice Santais, Odile Saugues, Gilbert Sauvan, Gilles Savary, Gérard Sebaoun, Christophe Sirugue, Julie Sommaruga, Suzanne Tallard, Pascal Terrasse, Sylvie Tolmont, Jean-Louis Touraine, Stéphane Travert, Catherine Troallic, Cécile Untermaier, Daniel Vaillant, Jacques Valax, Michel Vauzelle, Fabrice Verdier, Michel Vergnier, Patrick Vignal, Jean-Michel Villaumé, Jean-Jacques Vlody et Paola Zanetti.
(2) Marie-Françoise Bechtel, Chantal Berthelot, Jean-Luc Bleunven, Yves Goasdoué, Edith Gueugneau, Christian Hutin, Jean-Luc Laurent, Serge Letchimy, Gabrielle Louis-Carabin, Paul Molac, Hervé Pellois, Napole Polutélé et Boinali Said.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Près de 8 ans après l’éclatement de la crise dite des subprimes, les signes d’une accélération de la reprise économique se multiplient dans notre pays, le taux de croissance du PIB ayant atteint 1,2 % en 2015. Si la crise financière de 2008 trouvait son origine aux États-Unis, notamment dans les prêts immobiliers accordés aux ménages américains au début des années 2000, ses conséquences furent internationales. D’une crise bancaire, elle s’était ensuite muée en une crise des dettes souveraines, frappant l’Europe de plein fouet en 2011.
La France a depuis été à l’avant-garde des initiatives entreprises pour la stabilisation puis le renforcement de la zone euro, qui participent du combat contre une fragilisation de l’Union européenne. Une union bancaire a été instaurée en 2012, reposant sur plusieurs piliers, au premier rang desquels le mécanisme de résolution unique (MRU), qui doit permettre d’éviter que les contribuables européens n’aient à nouveau à payer pour les défaillances du secteur bancaire.
L’institution du Comité de Bâle sur le contrôle bancaire a également pour rôle de veiller à un renforcement de la solidité du système financier mondial. Cela s’est notamment traduit, en réponse à la crise financière de 2008, par un nouveau corpus de mesures prudentielles applicables aux banques, comprises dans l’accord dit de « Bâle III ».
Ces mesures ont constitué, en renforçant notamment le niveau des garanties demandées aux banques en termes de capitaux propres, une réponse indispensable pour que ne se reproduisent pas les dérives ayant conduit à cette crise d’une ampleur inédite.
L’amélioration constante de ces règlementations internationales ne doit toutefois pas signifier la standardisation des systèmes bancaires nationaux, dont les particularismes doivent pouvoir être pris en compte quand ils correspondent à des réalités économiques nationales. Le modèle du financement de l’habitat en vigueur en France dispose à ce titre d’atouts spécifiques ne se retrouvant pas partout en Europe, et encore moins aux États-Unis.
Les auteurs de la présente résolution s’inquiètent des travaux actuellement menés au sein du Comité de Bâle, qui visent à modifier les dispositions de « Bâle III ». En l’état, ils risqueraient de menacer le modèle français du crédit immobilier. Ce dernier a pourtant fait ses preuves : particulièrement protecteur pour l’emprunteur, il permet une distribution responsable du crédit immobilier et s’avère sûr financièrement, le taux de défaut étant extrêmement réduit.
D’abord, les crédits à l’habitat, qui représentent plus de 80 % des crédits accordés aux particuliers en France, fonctionnent bien, comme en témoigne leur progression dynamique en 2015, de +4,1 %. Les particuliers bénéficient en outre à plein des taux bas du marché : le taux moyen était de 2,15 % en 2015, les banques jouant le jeu en la matière.
Enfin, le taux de défaut extrêmement bas de ces prêts immobiliers démontre la grande sécurité du système français.
Celui-ci repose sur trois piliers :
– Ces prêts sont généralement à taux fixe. La conséquence immédiate est de sécuriser et protéger les ménages s’engageant dans l’accession à la propriété des variations de taux pouvant intervenir sur les marchés. Ce sont les banques qui supportent ces risques.
– Les crédits immobiliers sont basés sur une appréciation par la banque de la solvabilité des emprunteurs, afin de permettre aux clients de s’engager sereinement dans l’achat de leur logement. Ce modèle auquel nous tenons diffère par exemple de la pratique en vigueur aux États-Unis et qui avait été l’un des déclencheurs de la crise des subprimes, où la capacité du client à rembourser est jaugée au regard de la valeur du bien acquis. En France, la situation financière du futur emprunteur fait l’objet d’une analyse, afin de lui proposer un financement adapté à ses revenus et à ses charges.
– Enfin, le modèle français repose sur un mode de garantie sûr et peu coûteux pour le particulier, le cautionnement. Cela signifie qu’en cas de défaillance de l’emprunteur, le remboursement sera d’abord assuré par l’organisme de cautionnement.
Le modèle français du crédit immobilier est au cœur du financement de l’habitat des ménages, qui le plébiscitent largement. Il ne doit pas être remis en cause sur l’autel d’une standardisation des systèmes bancaires. Le haut niveau de sécurité pour l’emprunteur, et de stabilité pour le système financier, doivent inciter à le préserver dans le cadre des travaux en cours au Comité de Bâle.
Or, ces derniers risqueraient, en l’état, d’entraîner une profonde modification de l’écosystème français, en promouvant des exigences nouvelles déconnectées des pratiques en vigueur dans notre modèle.
Un risque pèse en premier lieu sur l’existence du crédit à taux fixe. Le Comité de Bâle, considérant le taux fixe de prêt immobilier sur long terme comme risqué pour les banques (et envisageant d’accroître les exigences en fonds propres pour ces prêts), pourrait a minima contribuer à un renchérissement des taux proposés par les banques aux particuliers. Plus grave, il pourrait in fine inciter celles-ci à uniquement proposer à leurs clients des crédits à taux variables. Cela correspondrait à un transfert du risque de taux sur le client, à l’opposé du modèle historiquement développé en France. On en perçoit immédiatement le danger en cas de remontée des taux, voire de futures crises financières.
Ensuite, cette nouvelle réglementation pourrait remettre en cause une partie de l’accession à la propriété. En effet, l’analyse des dossiers de prêt se ferait alors sur la base du ratio entre le montant du prêt principal et la valeur d’achat du logement.
Enfin, le modèle de cautionnement pourrait être abandonné au profit de l’hypothèque : si telle était l’issue des travaux actuellement menés au sein du Comité de Bâle, celui-ci imposerait alors un système - l’hypothèque - très utilisé dans les pays anglo-saxons, et dont les limites étaient apparues au grand jour lors de la crise des subprimes.
Ces projets, s’ils venaient à être traduits en réglementations, menaceraient les intérêts de la France, pourtant exemplaire sur ces questions.
D’une grande technicité, et conduits au sein d’une instance ne disposant d’aucun espace d’échange et de dialogue avec les parlements nationaux, les propositions qui seront formulées dans les prochains mois par le Comité de Bâle emporteront des conséquences importantes pour notre pays, notamment en termes d’activité économique, et pourraient constituer un frein à la reprise économique, tout comme à la construction de logements.
Ce sont les populations, notamment les plus modestes, qui ont été les plus durement frappées par la crise financière de 2008. Ce sont elles qu’il s’agit de protéger, et il ne serait pas acceptable pour notre pays qu’un modèle de financement de l’habitat ayant fait ses preuves puisse être sacrifié afin de satisfaire à une volonté d’uniformisation des standards bancaires nationaux.
Nous demandons donc que la France, par la voix de ses représentants au Comité de Bâle, puisse faire état de ces préoccupations, et que le Gouvernement fasse preuve de la plus grande vigilance quant à la poursuite de ces travaux, qui feront ensuite l’objet d’une déclinaison au niveau européen.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
L’Assemblée nationale,
Vu l’article 34-1 de la Constitution,
Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale ;
Constatant que le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire réalise actuellement des travaux relatifs à la pondération des expositions des banques en fonction des risques, dont l’achèvement est prévu à la fin de l’année 2016 ;
Constatant que ces travaux visent à clarifier les modalités de calcul du ratio de solvabilité bancaire ;
Observant que ces travaux portent en particulier sur le risque de crédit et concernent tant l’approche dite « standard » que l’approche dite « avancée » ;
Relevant que le Comité de Bâle mène également une réflexion sur l’encadrement du risque de taux d’intérêt ;
Notant que les propositions récemment soumises à consultation traitent notamment de la pondération applicable aux crédits immobiliers ;
Rappelant que le système français de financement de l’habitat repose très majoritairement sur des prêts à taux fixe à long terme qui, d’une part, sont octroyés après une analyse de la solvabilité et de la situation financière des emprunteurs et, d’autre part, sont garantis par une caution ;
Soulignant que ce système est sain, comme l’atteste le faible taux d’encours en défaut, et qu’il a fait la preuve de sa solidité lors des crises financières récentes, contrairement au système fondé sur des prêts à taux variable, attribués en fonction de la valeur du bien financé et garantis par une inscription hypothécaire ;
Craignant que les travaux du Comité de Bâle ne contraignent les établissements bancaires français à modifier radicalement leur politique d’octroi des crédits immobiliers ;
Considérant qu’une telle remise en cause du système français de financement de l’habitat aurait pour principal effet d’exclure les ménages les plus fragiles de l’accès au crédit ;
Considérant que l’attribution de prêts à taux variables se traduirait par le transfert du risque de taux sur les emprunteurs ;
Considérant que les établissements bancaires sont mieux armés que les emprunteurs pour gérer le risque de taux ;
Considérant que le calcul du montant de l’emprunt en fonction de la valeur du bien financé serait particulièrement préjudiciable aux primo-accédants ;
Rappelant que les crédits immobiliers garantis par une inscription hypothécaire sont à l’origine de la crise américaine dite « des subprimes », qui a elle-même entraîné une crise financière mondiale ;
Partageant l’objectif principal poursuivi par le Comité de Bâle, à savoir le renforcement de la résilience du secteur bancaire ;
Souhaite que l’instance de gouvernance du Comité de Bâle - le groupe des gouverneurs de banque centrale et des responsables du contrôle bancaire - prenne en considération les spécificités du système français de financement de l’habitat ;
Souhaite que ces spécificités soient préservées ;
Souhaite ainsi que la gestion du risque de taux continue d’incomber aux établissements bancaires français ;
Souhaite également que les établissements bancaires français conservent la possibilité d’attribuer des prêts immobiliers sur la base d’une analyse préalable de la solvabilité et de la situation financière des emprunteurs ;
Souhaite enfin que le cautionnement soit reconnu par le Comité de Bâle comme un mécanisme de garantie équivalent à l’hypothèque ;
Estime que la publication de la version définitive du nouveau mode de calcul des risques pris par les établissements bancaires devra nécessairement être précédée d’une étude d’impact quantitative prenant en considération les caractéristiques de chacun des marchés ;
Estime que les calibrages des propositions de révision devront obligatoirement être ajustés au regard des résultats de l’étude d’impact quantitative ;
Souhaite que le Comité de Bâle réexamine le calibrage global après que l’ensemble des travaux seront achevés ;
Souhaite que la Banque de France et l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, qui siègent au Comité de Bâle, défendent et fassent valoir ces orientations ;
Invite le Gouvernement à faire preuve de la plus grande vigilance au moment de la déclinaison européenne des travaux du Comité de Bâle.