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N1240

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 juillet 2013

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE chargée d’investiguer sur la situation de la sidérurgie et de la métallurgie françaises et européennes dans la crise économique et financière et sur les conditions de leur sauvegarde et de leur développement

Président

M. Jean GRELLIER

Rapporteur

M. Alain BOCQUET

Députés

——

La commission d’enquête relative chargée d’investiguer sur la situation de la sidérurgie et de la métallurgie françaises et européennes dans la crise économique et financière et sur les conditions de leur sauvegarde et de leur développement est composée de : MM. Jean Grellier, président ; Alain Bocquet, rapporteur ; Mmes Michèle Bonneton, Anne Grommerch, Edith Gueugneau, M. Michel Liebgott, vice-présidents ; MM. Philippe Baumel, Gaby Charroux, Alain Marty, Mme Clotilde Valter, secrétaires ; M. Damien Abad, Mmes Brigitte Bourguignon, Martine Carrillon-Couvreur, MM. Jean-Pierre Decool, David Douillet, Mmes Jeanine Dubié, Anne-Lise Dufour-Tonini, MM. Hervé Gaymard, Francis Hillmeyer, Christian Hutin, Denis Jacquat, Jean-Yves Le Déaut, Michel Lefait, Christophe Léonard, Rémi Pauvros, Patrice Prat, Mme Sophie Rohfritsch, MM. Éric Straumann, Gérard Terrier, Mme Marie-Jo Zimmermann.

AVANT-PROPOS DU PRÉSIDENT JEAN GRELLIER

La constitution, à l’initiative du groupe GDR, d’une commission d’enquête sur la situation des industries sidérurgiques en France et en Europe et sur leurs perspectives de développement, s’avère tout à fait opportune au regard des enjeux de compétitivité dans un univers industriel mondialisé. Rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques des crédits de l’industrie, j’avais d’ailleurs, à ce titre, plus particulièrement orienté ma réflexion sur ces activités que d’aucuns classent abusivement au sein des « vieilles industries ».

La désindustrialisation a durement frappé l’Europe, et dans certains secteurs, plus encore en France que d’autres pays qui lui sont pourtant comparables. La sidérurgie française subit, depuis plus de quarante ans, les effets de restructurations qui ne paraissent jamais achevées. Désormais, leur logique est même plus souvent financière qu’industrielle. Notre pays en a payé le prix s’agissant des destructions d’emplois et de l’affaiblissement économique de certains de ses territoires.

Les secteurs de l’aluminium et d’autres métaux comme le cuivre connaissent, eux aussi, de profondes mutations qui inquiètent leurs salariés et affaiblissent un peu plus le tissu industriel français. Or, les activités sidérurgiques et métallurgiques sont à la base d’autres activités constituant l’aval des filières. Pour ces productions, notre pays demeure un acteur important qui innove et exporte. Il en est ainsi de l’aéronautique, de l’automobile, et plus généralement des transports, du nucléaire, des câbles, mais aussi des industries de la défense sans oublier les technologies de la construction. Tous ces secteurs ont besoin d’un approvisionnement de qualité en amont.

Il serait illusoire de considérer que notre pays devrait exclusivement concentrer ses capacités de production sur des activités de « niches » à forte valeur ajoutée, alors que les transformateurs et d’autres métiers y compris s’agissant de technologies de pointe pourraient s’approvisionner en « commodités » et matériaux bruts sur les marchés étrangers.

Le désengagement puis l’abandon des activités de base hypothéqueraient gravement notre indépendance et ne manqueraient pas de subordonner plus encore la stratégie industrielle de nombreuses entreprises à l’errance des marchés. Dans un tel contexte, il est très vraisemblable que nous assisterions à un phénomène encore plus accentué de délocalisations. L’Union européenne semble pourtant avoir perçu la nécessité de rompre avec la désindustrialisation. Elle a fixé à l’horizon 2020 un objectif de « remontée » de la part de l’industrie à 20 % du PIB européen alors qu’il ne représentait plus que 15,2 % au terme de l’année 2012. Mais il n’est pas certain que toutes les politiques définies au niveau de l’Union puissent d’ores et déjà contribuer à la réalisation d’un tel objectif.

Au long de ses travaux, la commission d’enquête a malheureusement constaté le caractère souvent contreproductif des politiques européennes de la concurrence ou encore de l’énergie qui reposent sur une conception naïvement confiante dans les vertus d’un grand marché mondialisé et totalement dérégulé pour conforter voire simplement rétablir la croissance. Or, nos industries ont besoin de garanties de long terme s’agissant de leurs marges de compétitivité face à de nouveaux acteurs économiques qui les concurrencent fortement à partir de certaines régions du monde encore qualifiées d’émergentes ou de pays mieux dotés que les nôtres en matières premières et en ressources énergétiques. L’Europe vient certes d’adopter un « Plan d’action pour l’Acier ». Mais ce document ne constitue qu’une toute première étape de reconquête dont la conduite appelle de nombreuses mesures plus concrètes et délibérément volontaristes.

Renouer avec une véritable politique industrielle est bien l’objectif que s’est assigné le gouvernement français en faveur de la croissance et de l’innovation donc de la création d’emplois. La sidérurgie et la métallurgie disposent, en France, d’outils et de savoir-faire de grande qualité. En s’appuyant sur ce socle, la recherche et l’innovation peuvent soutenir la compétitivité de ces industries, notamment en développant les partenariats publics privés, avec les universités, les grands organismes de recherche ou encore au sein des pôles de compétitivité. La formation des salariés et le renouvellement des générations dans les filières constituent un autre défi de première importance. Il est urgent de repenser les formations aux métiers de la métallurgie, de l’enseignement général professionnel jusqu’aux écoles d’ingénieurs, en favorisant la voie de l’alternance à tous les niveaux de qualification.

La sécurité de l’approvisionnement énergétique, d’un point de vue quantitatif et tarifaire, est un enjeu décisif pour la pérennité de l’industrie en général mais plus particulièrement des activités « électro-intensives » que sont par nature la sidérurgie et la métallurgie. Les débats sur la transition énergétique actuellement conduits dans les principaux pays européens ne peuvent éluder une question aussi essentielle. Il convient de donner à nouveau de la visibilité aux industriels en leur permettant de conclure des contrats de fournitures à long terme. La charge de l’énergie impacte, à elle seule, plus du tiers des charges de production de certains secteurs comme celui de l’aluminium primaire, alors que les coûts salariaux directs ne représentent que 8 à 12 % des activités de cette nature !

Même s’il convient d’être de plus en plus réactif en matière d’innovation, le temps industriel est long. Toute stratégie industrielle doit viser le moyen et le long terme. Le coût et la durée de vie des investissements l’imposent. Le temps de l’industrie ne s’adapte pas aux stratégies à dominante financière de certains grands groupes multinationaux dont le contrôle sur des pans entiers de notre industrie a notablement progressé au cours de la dernière décennie.

Sans succomber à la tentation d’un nationalisme d’un autre âge mais sans se résoudre au fatalisme voire au « déclinisme », le travail de notre commission d’enquête met en exergue la nécessité d’instaurer dans le cadre d’une nouvelle économie concertée des rapports sociaux plus confiants et fondés sur le sens des responsabilités des entrepreneurs et des salariés mais au sein de laquelle les pouvoirs publics doivent avoir toute leur place. La qualité de nos grandes infrastructures et leur adaptation constituent d’ailleurs un atout de compétitivité économique dont il convient de conserver les avantages par rapport à nos concurrents.

Il me paraît indispensable de faire état de l’esprit d’ouverture et de la qualité d’attention de l’ensemble des membres de la commission d’enquête au long de ses travaux. Nos déplacements en Savoie, à Dunkerque, à Fos-sur-Mer et en Lorraine nous ont permis de rencontrer des responsables de sites importants, des représentants syndicaux et aussi des élus ainsi que des acteurs socio-économiques locaux. Leurs présentations et explications ont évidemment enrichi les réflexions conduites au sein de la commission.

Le choix des personnalités auditionnées a volontairement cherché à réunir le plus possible d’informations et d’opinions, en donnant l’opportunité de s’exprimer aux organisations professionnelles, à des experts, aux industriels et notamment à M. Lakshmi Mittal, et aussi aux fédérations syndicales représentatives au niveau des branches, mais également d’entreprises ou encore de sites que la commission n’a pu visiter faute de temps. Ainsi, une table ronde leur a été spécialement consacrée à l’Assemblée nationale. Le lendemain même de la présentation du Plan Acier européen, la commission a tenu à rencontrer, le 12 juin dernier, le commissaire Antonio Tajani, en charge de l’industrie, afin qu’il lui expose les principes d’élaboration de ce plan et les perspectives ainsi ouvertes par des orientations qu’il reste à traduire en actes le plus rapidement possible.

Au terme de son travail, la commission d’enquête formule 26 propositions qui visent toutes à conforter la recherche et la production en France dans des activités qui doivent être impérativement considérées comme appartenant à une filière stratégique, au sens donné à ce qualificatif par le comité de filière récemment installé par le gouvernement.

Il paraît également souhaitable de réfléchir à mieux coordonner les réflexions des commissions permanentes du Parlement avec les orientations et travaux conduits sous l’égide et au sein du Conseil national de l’industrie. Aujourd’hui, les instruments propices à la définition d’une nouvelle politique industrielle, plus volontariste, sont en place. Il convient de les utiliser pour traduire un renouveau de l’action publique attendu tant par les entrepreneurs que par les salariés.

AVANT-PROPOS 3

PREMIÈRE PARTIE : LES ACTIVITÉS SIDÉRURGIQUES ET MÉTALLURGIQUES AU CœUR DE L’HISTOIRE INDUSTRIELLE EUROPÉENNE 13

I. – UNE HISTOIRE COMMUNE QUI SE CONFOND AVEC LES GRANDES ÉTAPES DE LA RÉVOLUTION INDUSTRIELLE 13

II. – DE FORTES PARTICULARITÉS FRANÇAISES 14

III. – UNE SIDÉRURGIE ATTEINTE DU SYNDROME DE LA RESTRUCTURATION PERMANENTE 16

IV.– DE LA CONSTITUTION D’ARCELOR À L’AVÈNEMENT D’ARCELORMITTAL 18

V.– L’ALUMINIUM FRANÇAIS ÉGALEMENT PLACÉ SOUS CONTRÔLE D’INTÉRÊTS ÉTRANGERS 20

VI.– UNE IMPORTANTE ET INQUIÉTANTE CROISSANCE DU CONTRÔLE ÉTRANGER SUR LES STRATÉGIES DES ENTREPRISES 23

VII.– NE PAS SE RÉSOUDRE POUR AUTANT À LA TENTATION DU « DÉCLINISME » 25

DEUXIÈME PARTIE : UN SECTEUR EN DIFFICULTÉ 29

I. — UNE SITUATION ALARMANTE 29

A. – LA SIDÉRURGIE 29

1. La consommation 29

2. La production 30

3. Les conséquences pour la France 30

B. – L’ALUMINIUM 31

C. – LA MÉTALLURGIE 32

D. – LE RECYCLAGE 33

II. — DONT LES CAUSES SONT MULTIPLES 34

A.– LA CRISE DE 2008 : UN RALENTISSEMENT PRONONCÉ DE L’ACTIVITÉ 34

B. – L’ÉMERGENCE DE LA CHINE ET LA NOUVELLE DONNE MONDIALE 36

1. La sidérurgie 36

2. L’aluminium 38

3. La métallurgie 39

C. – LA FINANCIARISATION DE L’ÉCONOMIE ET LA MAINMISE DE GROUPES ÉTRANGERS. 40

D. – UNE POLITIQUE INDUSTRIELLE EUROPÉENNE INADAPTÉE ET OBSOLÈTE 44

III. — L’EUROPE EN SURCAPACITÉ ? 45

A. – DE RÉELLES SURCAPACITÉS ? 45

1. L’évaluation des surcapacités existante 45

2. La conséquence : les nouvelles empreintes mondiales 50

B. – …OU LE MYTHE DES SURCAPACITÉS ? 50

IV. — LES DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS 52

A. – ARCELORMITTAL : UNE POLITIQUE QUI SACRIFIE L’AVENIR DE L’ENTREPRISE À LA RENTABILITÉ IMMÉDIATE 52

1. La fermeture de Florange et l’accord avec le gouvernement français 52

2. Les explications de M. Mittal 53

3. Des analyses différentes 56

a) Des décisions explicables… 56

b) …mais qui ne doivent pas masquer les grandes difficultés du groupe 59

B. – LES PROBLÈMES EN FRANCE NE SE LIMITENT PAS À CEUX D’ARCELORMITTAL 64

C. – LA SIDÉRURGIE EUROPÉENNE EN PLEINE RESTRUCTURATION ; UNE CONCURRENCE AIGUE EN EUROPE 66

1. Une multiplication des crises 66

2. L’existence de deux types d’opérateurs en Europe 67

3. Une concurrence intra-européenne aigüe 68

V. —  L’AVENIR HYPOTHÉQUÉ PAR LES FERMETURES ? 69

TROISIÈME PARTIE : PERSPECTIVES D’AVENIR 73

I. — LE SECTEUR DE L’ALUMINIUM OFFRE DES PERSPECTIVES 73

II. — LES FAÇADES MARITIMES ET DEUX GRANDS PORTS INTERNATIONAUX 79

A. – PRINCIPAUX PROJETS 81

B. – TRAFICS 82

C. – LES ACIERS SPÉCIAUX ET PRODUITS DU HAUT DE GAMME : UN ATOUT FRANÇAIS 90

D. – GARANTIR LE RENOUVELLEMENT DES GÉNÉRATIONS ET ACCROÎTRE LA FORMATION 93

III. — UNE RECHERCHE SECTORIELLE CONFRONTÉE À DES ENJEUX DE DYNAMISATION ET DE RENOUVELLEMENT 96

A. – UNE DANGEREUSE DÉSAFFECTION QUI NE SAURAIT ABOUTIR À UN OUBLI COUPABLE. 96

B. – UN RISQUE D’ÉVASION VERS L’ÉTRANGER DE NOTRE SAVOIR-FAIRE 98

1. Une responsabilité toute particulière d’ArcelorMittal 100

a) Un héritage de haute valeur 100

b) Un effort qui doit être convaincant 102

2. Une épreuve de vérité pour le groupe ArcelorMittal : mener à bien le programme Lis ? 104

C. – EN DÉPIT D’UNE SITUATION GLOBALEMENT FAVORABLE, LE COÛT DE L’ÉNERGIE REQUIERT UNE VIGILANCE PARTICULIÈRE À LA HAUTEUR DE SON CARACTÈRE CRUCIAL 109

1. Le coût de l’énergie et particulièrement de l’électricité : un enjeu crucial pour l’avenir de secteurs fortement consommateurs. 109

2. Les entreprises électro-intensives doivent pouvoir disposer de la meilleure visibilité possible sur l’évolution des coûts de leur approvisionnement en électricité 113

3. L’évolution du prix du gaz soulève la délicate question de l’exploitation des gaz de schiste 115

D. – LA MAÎTRISE ET L’EFFICACITÉ ÉNERGÉTIQUES SUPPOSENT DE LEVER LES OBSTACLES AU DEVELOPPEMENT DES ACTIVITES DE RECYCLAGE. 116

IV. — UNE RÉACTION EUROPÉENNE ATTENDUE 117

A. – UNE PREMIÈRE ÉTAPE : LE PLAN ACIER EUROPÉEN 117

B. – DES POLITIQUES EUROPÉENNES À RÉVISER 119

EXAMEN DU RAPPORT 127

CONTRIBUTION DES COMMISSAIRES MEMBRES DU GROUPE UMP 135

PROPOSITIONS 145

ANNEXES 153

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES OU RENCONTRÉES 177

COMPTES RENDUS DES AUDITIONS 187

Audition, ouverte à la presse, de MM. Pascal Faure, ingénieur général des mines, directeur général de la compétitivité, de l’industrie et des services (DGCIS), Pierre Angot, sous-directeur de l’industrie de la santé, de la chimie et des nouveaux matériaux, et Marc Rohfritsch, chef du bureau « matériaux du futur et nouveaux procédés » 189

Audition, ouverte à la presse, de M. Francis Mer, vice-président du groupe Safran, ancien président d’Usinor-Sacilor et d’Arcelor 205

Audition, ouverte à la presse, de MM. Philippe Darmayan, président, et Bernard Creton, délégué général, de la Fédération française de l’acier (FFA) 220

Audition, ouverte à la presse, de Mmes Béatrice Charon, présidente de l’Association française de l’aluminium (AFA) et Caroline Colombier, déléguée générale de l’AFA, et de M. Olivier Dufour, directeur « Affaires externes » (France/EU) de Rio Tinto Alcan 236

Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Pierre Fine, secrétaire général, et Gilles Lodolo, directeur « Emploi-Formation » de l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM) 253

Audition, à huis clos, des représentants du Groupe de réflexion sur l’avenir de la métallurgie en France (GrameF) 263

Audition, ouverte à la presse, de M. Gérard Glas, président de Tata Steel France Rail SA 271

Audition, ouverte à la presse, de MM. Eric Brac de la Perrière, directeur général, Carlos de Los Llanos, directeur du département recyclage, et Johann Leconte, directeur des relations avec les élus et les associations d’Eco-Emballages 281

Audition, ouverte à la presse, de MM. Jean-Pierre Gaudin, vice-président de la Fédération des entreprises du recyclage (FEDEREC), président de la branche « métaux ferreux », Patrick Kornberg, président de la branche « métaux non ferreux » et Igor Bilimoff, directeur général 287

Audition, à huis clos, de M. Lakshmi N. Mittal, président du groupe ArcelorMittal 296

Audition, à huis clos, de M. Pascal Nerbonne, président d’Ascométal 317

Audition, ouverte à la presse, de Mme Isabelle Czernichowski-Lauriol (Bureau de recherches géologiques et minières – BRGM), présidente du réseau CO2GeoNet, MM. Didier Bonijoly, directeur-adjoint à la direction des géoressources du BRGM, et Hubert Fabriol, directeur-adjoint à la direction des risques et de la prévention du BRGM 328

Audition, ouverte à la presse, de MM. Georges Duval, président des sociétés Aubert & Duval et Erasteel, et Philippe Dubois, directeur des ressources humaines 338

Audition, ouverte à la presse, de Mme Catherine Tissot-Colle, présidente de la Fédération des minerais, minéraux industriels et métaux non ferreux (FEDEM), Mme Claire de Langeron, déléguée générale, et de M. Édouard de Lacoste Lareymondie, président de la Chambre syndicale du cuivre et de ses alliages 349

Table ronde avec les organisations syndicales : Fédération des travailleurs de la métallurgie (FTM-CGT) ; Fédération générale des mines et de la métallurgie (FGMM-CFDT) ; Syndicat National CFE-CGC Sidérurgie ; Fédération Force Ouvrière de la métallurgie (FO Métaux) ; Fédération nationale CFTC des syndicats de la métallurgie et parties similaires (FM-CFTC) 360

Audition, ouverte à la presse, de MM. Christophe Journet, rédacteur en chef de MPE-MEDIA, Marcel Genet, président de Laplace Conseil, et Alfred Rosales, président de Rosamon Group 393

Audition, ouverte à la presse, de Mme Dominique Caboret et M. Philippe Morvannou (cabinet Syndex) et de MM. Gwenaël Le Dily et Philippe Gervais (cabinet Secafi Alfa ) 410

Audition, ouverte à la presse, de M. Patrick de Schrynmakers, consultant, ancien directeur général de l’Association européenne de l’Aluminium (AEA) 419

Audition, ouverte à la presse, de M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif 434

PREMIÈRE PARTIE : LES ACTIVITÉS SIDÉRURGIQUES ET MÉTALLURGIQUES AU CœUR DE L’HISTOIRE INDUSTRIELLE EUROPÉENNE

I. – UNE HISTOIRE COMMUNE QUI SE CONFOND AVEC LES GRANDES ÉTAPES DE LA RÉVOLUTION INDUSTRIELLE

La sidérurgie et les activités métallurgiques ont dans leur forme moderne une longue histoire.

La mise en place de hauts fourneaux de grande capacité et le procédé dit Thomas d’affinage de la fonte brute a permis à la France et particulièrement à la Lorraine dont le sous-sol était riche en minerai (la « minette »), de développer une industrie sidérurgique qui, à la veille de la Grande guerre, représentait pour cette seule région plus des deux tiers de la production nationale. Avec l’annexion de terres lorraines et le système de cartellisation qui lui était particulier, l’Allemagne deviendra le « géant » de l’acier européen, en produisant, au cours des années 1917-1918, plus du double des volumes du Royaume-Uni, le pays précurseur. Au long du XXe siècle, ces trois pays resteront les principaux producteurs d’acier. Ils ont en effet dominé le monde de la sidérurgie mais aussi les activités métallurgiques que l’Allemagne érigera en fer de lance de ses exportations au moyen d’un savoir-faire déjà synonyme de qualité. À ce groupe dominant viendront s’adjoindre les pays du Benelux avec notamment le bassin houiller et industriel de Liège et la société Arbed au Luxembourg. L’Italie, particulièrement active dans la sidérurgie à partir de son miracle économique qui a succédé à la seconde guerre mondiale avec notamment l’émergence des Bresciani, des producteurs indépendants propriétaires d’aciéries électriques, puis l’Espagne, sans oublier la Suède, pour les aciers spéciaux, compléteront le monde des aciéristes.

Frappés par la crise des années trente, les États-Unis s’affirmeront néanmoins au cœur de ce que les historiens appellent l’« économie-monde » comme un autre géant de la sidérurgie suivi sur cette voie par le Japon.

La commission d’enquête n’a évidemment pas vocation à écrire une nouvelle histoire de la sidérurgie mondiale et des activités qui lui sont liées. La recherche historique et économique a produit sur ces sujets des milliers de livres et d’articles savants.

Elle considère néanmoins que la sidérurgie compte aujourd’hui encore parmi les activités stratégiques qui conditionnent l’indépendance de notre continent. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, dans une période de reconstruction qui donnera naissance aux Trente Glorieuses, les concepteurs de l’Europe politique en avaient parfaitement compris l’enjeu en créant la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) qui a rassemblé, hors le Royaume-Uni, les six pays industriels du continent. L’article 58 du Traité de la CECA prévoyait qu’en situation sectorielle de « crise manifeste » les États membres pouvaient prendre des mesures directes comme recourir à un contingentement au moyen d’une répartition temporaire de quotas de production entre les sidérurgistes. Cette méthode pragmatique dite d’intégration fonctionnelle que visait de promouvoir le traité CECA (1952/2002) a malheureusement dangereusement dérivé. Les constatations de la commission d’enquête concernant l’état actuel des politiques industrielle et énergétique de l’Union européenne suscitent toutes les inquiétudes quant à l’existence d’une affirmation collective de protection et de développement de nos industries, de nos emplois, de nos savoir-faire.

II. – DE FORTES PARTICULARITÉS FRANÇAISES

La sidérurgie française a toutefois une histoire bien particulière. Sa spécificité est peut être encore plus marquée que dans les autres grands pays producteurs. Son histoire court du triomphe des maîtres de forges au véritable désastre des années soixante-dix du siècle dernier. Le Comité des forges créé en 1864 puis la Chambre syndicale de la sidérurgie française (CSSF), succédant à un comité d’organisation du régime de Vichy, se sont exprimées au nom de la quasi-totalité d’un patronat influent et des milieux d’affaires au long de deux Républiques et encore aux premiers temps de la Ve République. Une personnalité aussi éminente que François de Wendel a pu cumuler, au cours de la IIIe République, la présidence du Comité des forges, un poste de Régent de la Banque de France alors non encore nationalisée par le Front populaire, tout en siégeant sur les bancs du Parlement ! Cette puissance contraste avec la déconfiture des deux grands groupes sidérurgiques privés et devenus insolvables dont le gouvernement de Raymond Barre s’est trouvé contraint de prendre le contrôle, à l’automne 1978, par conversion d’emprunts garantis par l’État (notamment attribués par le Fonds de développement économique et social – le FDES – ou le Crédit national, deux structures publiques aujourd’hui disparues). De fait, la majeure partie de la sidérurgie française a été nationalisée, dès cette date, car l’État détenait, au terme de l’opération, la majorité des actions de chacun des groupes Usinor et Sacilor. Le contribuable aura été mis à contribution car l’État effacera ainsi 25 milliards de francs de créances et versera 13 milliards de francs supplémentaires afin de renflouer ces deux groupes. Comment en était-on arrivé là ?

La sidérurgie et la métallurgie avaient pourtant largement bénéficié de la reconstruction de l’après-guerre lancée dès le Plan Monnet de 1946. Des apports du Plan Marshall lui avaient également permis de reconstruire mais aussi de créer de nouveaux outils comme des trains à bandes parmi les plus performants de l’époque. Fortes sur leur marché national, ces activités n’ont cependant pas su faire face à la concurrence de nouveaux producteurs disposant notamment d’aciéries électriques. Elles se sont insuffisamment positionnées sur les marchés d’exportation en croissance. Les sidérurgistes français ont tardivement réagi à l’épuisement annoncé des bassins ferrifères et houillers et à l’émergence de nouvelles ressources, certes lointaines, mais qui offraient d’autres perspectives quantitatives et qualitatives. La teneur en fer de la production brésilienne s’est révélée au moins deux fois supérieure à celle de la « minette » de Lorraine qui n’était dès lors plus compétitive, même si elle présentait l’avantage d’être extraite à proximité immédiate de hauts fourneaux comme cela était le cas à Florange qui a ainsi bénéficié de l’approvisionnement du site minier voisin de Hayange. La faible teneur des minerais lorrains exigeait cependant des consommations très élevées de coke. On rappellera que les mines de fer lorraines employaient quelque 25 000 salariés en 1955. La dernière mine lorraine des Terres rouges, à Audun-le-Tiche, qui ne comptait plus que 137 salariés, cessera son activité en 1997, à une date où la production française du minerai de fer était déjà résiduelle depuis plus d’une décennie.

Une première grande crise est intervenue dès 1961 avec un effondrement des prix et un ralentissement de la demande. À compter de cette époque, les mines feront l’objet de restructurations avec des conséquences sur leurs effectifs. La propagation de la crise accélérera la recomposition des entreprises sidérurgiques notamment à la suite de la « Convention générale État-sidérurgie » de 1966 suivie l’année suivante par un plan professionnel programmant 15 000 suppressions de postes sur cinq ans. Puis, en 1971, un plan de conversion des sites du groupe Wendel-Sidelor concernera 10 650 suppressions d’emplois.

Deux pôles avaient en effet été constitués après la guerre : La société Usinor qui absorbera en 1966 la société Lorraine-Escaut et un groupement autour des sociétés de Wendel qui dans les années soixante prendra le nom de Wendel-Sidelor puis deviendra Sacilor qui était jusqu’alors une de ses filiales et contrôlera la Sollac (Société Lorraine de laminage en continu) initialement créée pour porter la capacité de production du site de Florange à 1 million de tonnes par an de tôles minces.

Dans un cadre strictement national, le secteur s’engagera dans des fusions et rapprochements souvent mal conduits, bien que coûteux en capitaux, sans toutefois suffisamment restructurer les capacités dans le sens d’une véritable modernisation de l’outil industriel. Le Groupement de l’industrie sidérurgique (GIS) sera néanmoins au long de la période le plus important emprunteur privé, en émettant sur le marché français des « emprunts Acier » d’autant mieux accueillis par les épargnants que leur souscription était encouragée par l’État.

Une chute brutale de la demande d’acier en 1975 déclenchera un véritable cataclysme. Le développement d’activités modernes notamment au Nord du pays n’a hélas pas suffi à redresser une situation compromise par un patronat assez peu visionnaire et un accompagnement par les pouvoirs publics plus suiviste à son égard que véritablement stratégique.

La mise en route du site « sur l’eau » de Dunkerque, en 1963, traduisait cependant un effort considérable ; cette aciérie édifia même en 1971 le plus grand haut fourneau jamais construit à l’époque ! Pour sa part, l’usine sidérurgique d’Usinor à Denain fut un temps la plus importante unité européenne pour la production de produits plats. Une seconde usine en façade maritime sera également construite à Fos-sur-Mer, avec une production initialement moindre que celle que Dunkerque mais disposant d’un potentiel d’extension très important. Sa mise en service interviendra toutefois dans une période de crise de la demande d’acier qui a suivi le premier « choc pétrolier ».

Néanmoins, les sites de Dunkerque et de Fos-sur-Mer, qui appartiennent à présent à ArcelorMittal, demeurent des unités de production parmi les plus performantes en Europe. Leur haut niveau technique comme leur situation, géographique leur confèrent une valeur d’actifs extrêmement précieux pour le groupe, voire plus stratégiques encore que les deux autres sites côtiers de Gand et de Brême dont il dispose également au Nord de l’Europe. Pour sa part, le site de Florange reste essentiel au regard de la qualité de ses productions et de sa situation au plus près des grandes entreprises consommatrices d’acier au cœur industriel de l’Europe.

III. – UNE SIDÉRURGIE ATTEINTE DU SYNDROME DE LA RESTRUCTURATION PERMANENTE

En 1979, le plan gouvernemental dit de « sauvetage de la sidérurgie française » impliquait de très lourdes conséquences sociales avec 22 000 suppressions d’emplois en quelque dix-huit mois concentrées sur les bassins industriels de Longwy, de Denain et Trith-Saint-Léger. Alors que le bassin de Longwy avait produit, à lui seul, plus du tiers de la production sidérurgique française avec 26 hauts fourneaux en activité en 1930, ce plan condamnait ses sites historiques, comme l’usine de la Chiers qui comptait cinq hauts fourneaux et encore 3 600 salariés permanents en 1976, un effectif ramené à 140 emplois sur le site en 1980. Ces décisions qui ont durement frappé les vallées lorraines de l’Orne et de la Fensch, furent abusivement présentées comme la conséquence d’un effacement inéluctable de la « vieille industrie ».

La responsabilité de cette saignée incombait certes largement à la faillite d’un patronat notamment familial mais certains prédisaient aussi, dans le même temps, la disparition d’une forme traditionnelle de la culture ouvrière.

Or, les salariés de la sidérurgie ont démontré une capacité de lutte, d’ailleurs jamais démentie à ce jour, dont le point culminant fut la grande manifestation parisienne du 23 mars 1979. Leur attachement à un métier aussi spécifique et porteur de valeurs a toujours résisté aux « oukases », d’autant que par expérience, ils ont particulièrement conscience de la faible crédibilité de certains engagements patronaux et même des pouvoirs publics. Dès 1967, ils ont obtenu par la lutte un droit au reclassement après les licenciements résultant des restructurations décidées au titre de la « Convention générale État-Sidérurgie » ! Mais, les décisions du Plan de sauvetage portaient, douze ans après, sur des licenciements « secs ». Au mois de juillet 1979, de difficiles négociations déboucheront toutefois sur la conclusion d’une Convention sociale prévoyant un ensemble de mesures de compensation et d’accompagnement des suppressions d’emplois.

À partir des années 1980, l’Europe de l’acier ne se manifestera plus qu’au travers de mesures destructrices, fort éloignées de l’esprit qui avait prévalu à la création de la CECA. Ainsi, le Plan Davignon, du nom d’un ancien Vice-président de la Commission de Bruxelles, énonçait pour principe l’interdiction à terme de toute aide publique au secteur et la disparition programmée de 250 000 emplois dans la sidérurgie européenne.

Le choc aura été particulièrement violent pour la seule sidérurgie française qui a perdu plus de 110 000 emplois entre 1974 et 1995. À partir des premières restructurations des années soixante et soixante-dix, les sites dépendant d’entreprises devenues Usinor, Sacilor, Sollac, Gueugnon, Ugine etc. vont être prises dans un « jeu de pistes » sans fin au fil de restructurations complexes.

Des logiques financières et parfois contradictoires ont abouti à créer un paysage qui a légitimement troublé des salariés qui se sont perçus comme les otages d’un Monopoly industriel aux lendemains toujours incertains.

Votre commission constate que la période actuelle a malheureusement toujours nombre des traits d’une situation de cette nature. Cette constante dépasse de beaucoup les risques et aléas caractéristiques d’une activité que chacun s’accorde à classer parmi celles qui sont soumises à la succession de cycles de forte intensité puis de profonde dépression. L’irruption de nouveaux acteurs industriels, les productions massives d’usines souvent modernes dans des pays émergents ainsi que la spéculation sur les ressources minières caractérisent l’époque présente.

En 2002 et 2003, l’Union européenne a néanmoins pris quelques mesures de sauvegarde face à des relèvements des droits de douanes de 30 % sur des importations d’acier. Mais sa marge de manœuvre s’est depuis avérée contrainte pour ne pas dire dérisoire, même en situation de crise, du fait de ses renoncements au regard des règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Par exemple, les dernières restrictions d’accès au marché européen de certains produits sidérurgiques russes ne pourront subsister longtemps, dès lors que la Russie a adhéré en 2012 au traité de l’OMC.

Les salariés de la sidérurgie mais aussi ceux de nombreuses activités métallurgiques subissent depuis plus de quatre décennies un rythme sans équivalent de changements d’actionnariat de leurs entreprises qui s’accompagnent presque toujours de mouvements brutaux dans les directions des divisions spécialisées des grands groupes et, en conséquence, dans le management des usines.

Il en a résulté un sentiment de confusion et d’éloignement aujourd’hui encore très marqué au sein d’ArcelorMittal ; la prise de décision résultant souvent de considérations de court terme. Dans ce contexte, il n’est guère étonnant que les salariés rencontrés par la commission d’enquête lui aient rapporté de nombreux exemples de blocage de l’investissement ou encore de mise en concurrence entre différents sites au sein d’un même groupe.

IV.– DE LA CONSTITUTION D’ARCELOR À L’AVÈNEMENT D’ARCELORMITTAL

Nationalisés de fait à l’automne 1978 puis en droit en 1982 (cette opération s’accompagnant d’ailleurs de la part de l’Etat d’une augmentation de capital de 5 milliards de francs), les groupes Usinor et Sacilor qui comptaient encore près de 95 000 salariés, fusionneront en 1986. Ils engageront au cours des années quatre-vingt une modernisation plus en rapport avec l’évolution des marchés qui va conforter le rang de leader mondial à la nouvelle entité Usinor-Sacilor ainsi créée. La période sera consacrée à la mise en cohérence des moyens de production (absorption des sociétés Sollac et Ugine ALZ et regroupement de l’ensemble des activités d’aciers spéciaux) et à des actions de formation de personnels. Monsieur Francis Mer qui dirigeait alors le groupe a tenu à rappeler au cours de son audition, que l’effort de formation avait représenté certaines années 8 % du chiffre d’affaires, sans jamais être inférieur à 4 ou 5 %. En outre, l’internationalisation de l’activité constituera au long de la période un objectif majeur.

Enfin, il convient de garder à l’esprit qu’elles auraient été les conséquences du dépôt de bilan de Creusot-Loire, à l’été 1984, si l’Etat n’avait pas disposé de groupes publics (Usinor et CEA Industrie, à l’époque) capables de reprendre des activités aussi essentielles, sidérurgiques ou métallurgiques.

La privatisation de 1995 a concerné un ensemble « remis à flots » et sans rapport avec sa situation des années soixante-dix. Malheureusement, la méthode dite des « noyaux durs » théorisée par le gouvernement d’Édouard Balladur avec pour but de stabiliser l’actionnariat des entreprises privatisées tout en prétendant garantir un contrôle national sur une partie considérée essentielle de leur capital, ne résista pas longtemps à l’épreuve des faits.

Votre rapporteur considère que la dimension et l’internationalisation du groupe Arcelor ne rendaient pas pour autant inéluctable l’issue de 2006 avec la prise de contrôle sans partage d’un groupe étranger.

Cet « aboutissement » est d’autant plus regrettable que la stratégie conduite postérieurement à la nationalisation avait donné des résultats. À l’exception peut-être d’un désengagement sur les produits longs qui s’est révélé en fait moins judicieux qu’espéré car cette gamme a conservé des marges parfois meilleures que celles constatées sur des produits plats. Mais ces bons résultats globaux ont aussi été la conséquence d’un effort financier consenti par l’État au temps de la nationalisation. Ils ont ultérieurement attiré l’appétit de groupes d’intérêts peu préoccupés par les notions d’indépendance nationale ou même de développement européen.

La création d’Arcelor au terme de l’année 2001 avait pourtant exprimé une ambition européenne. La fusion entre les groupes français Usinor (1), espagnol Arcelaria et luxembourgeois Arbed était pour l’Europe de l’industrie créatrice de valeur dans un contexte de mondialisation des échanges. Cet ensemble qui représentait un leader mondial de plus de 100 000 salariés disposait d’une capacité de production de près de 44 millions de tonnes d’acier brut par an et d’une présence dans 60 pays.

L’année 2006 s’inscrivait dans une période de haute conjoncture pour la sidérurgie, la demande mondiale d’acier croissait alors de 5 à 6 % par an. C’est donc au début de cette année que l’entreprise Mittal Steel lança une OPA hostile sur Arcelor, un groupe plus important que lui pour un montant global de 18,6 milliards d’euros. En France, Les pouvoirs publics, les milieux d’affaires et bancaires, sans oublier les autres acteurs de l’industrie sidérurgique européenne, n’ont pas manifesté une capacité de réaction face à ce qui constituait bien une menace majeure.

Aucune ligne de défense n’a en effet été clairement définie. À l’exception d’une hypothétique alliance recherchée par la direction d’Arcelor avec le groupe russe Severstal dont la seule évocation a suscité la défiance de la presse et la réprobation des marchés ; ce groupe pourtant devenu un acteur important était alors perçu comme un conglomérat incertain résultant de privatisations conduites par le gouvernement Eltsine. Le revirement du gouvernement luxembourgeois, initialement hostile à l’OPA, s’explique principalement par ce fait.

Une savante préparation de l’opinion conjuguée à l’influence de grandes banques, y compris françaises (2), a abouti à l’acceptation de l’offre de Mittal Steel transformée en OPA « non hostile » et sensiblement relevée à hauteur de 26,9 milliards d’euros. Il est désormais avéré que la banque américaine Goldman Sachs a joué un rôle déterminant en faveur de cette prise de contrôle. M. Lakshmi Mittal siège d’ailleurs, depuis 2008, au conseil d’administration de Goldman Sachs en qualité d’administrateur « indépendant ».

Il convient cependant de mentionner que Monsieur Mittal n’était pas totalement inconnu de la sidérurgie française, depuis son rachat à Usinor, en 1999, du site d’Unimétal de Gandrange producteur de produits longs, au travers de la société Ispat qu’il contrôlait personnellement. L’option du rachat d’entreprises aura été le principal moteur de la croissance constitutive de ce qui deviendra le groupe Mittal, notamment aux États-Unis où son implantation résultera d’acquisitions d’actifs industriels disparates, parfois placés sous le régime du chapitre 11 du droit américain des faillites, et qui ont représenté des cibles de valeur inégale au regard des prix acquittés. Le groupe saura aussi se positionner dans le cadre de privatisations comme en Ukraine avec l’acquisition en 2005 du complexe de Krivoy Rog. Plus généralement, en Europe centrale (Roumanie, Pologne ou encore République tchèque), Mittal Steel s’est porté acquéreur d’ensembles industriels hétéroclites, conçus au temps du Comecom, et « en l’état » c’est-à-dire avec des outils d’assez faible qualité, des approvisionnements incertains donc coûteux et des sureffectifs évidents.

Les années 2006 et 2007 auront été sans conteste des années de rupture pour la sidérurgie européenne.

Au cours de cette période, le groupe indien Tata, un géant industriel plus que centenaire qui a une autre histoire et une philosophie assez différente de Mittal Steel, a pris le contrôle de Corus, un sidérurgiste né d’une fusion intervenue en 1999 entre British Steel et l’entreprise néerlandaise Hoogovens. Le groupe Tata a acquis Corus pour quelque 13 milliards de dollars au terme d’une véritable mise aux enchères face au groupe brésilien CSN ; l’opération ayant été rendue possible par l’absence de verrouillage du capital principalement détenu par des banques et des fonds d’investissement. Tata Steel a d’ailleurs des activités en France, principalement à Hayange-Nilvange en Lorraine où l’entreprise est spécialisée dans la fabrication de rails, une production à forte valeur ajoutée. La commission d’enquête a d’ailleurs tenu à auditionner la direction française de l’entreprise.

V.– L’ALUMINIUM FRANÇAIS ÉGALEMENT PLACÉ
SOUS CONTRÔLE D’INTÉRÊTS ÉTRANGERS

Ce bref historique qui ne peut prétendre à l’exhaustivité serait néanmoins incomplet si la situation présente des activités françaises de l’aluminium n’était pas évoquée. D’abord parce que la France est le pays de naissance de cette industrie partiellement concurrente mais à certains égards comparable à la sidérurgie. Comme elle la production d’aluminium sous-tend bien des enjeux, y compris de souveraineté. L’aéronautique, l’automobile, plus généralement les transports, sans oublier les activités nucléaires et même les emballages sont en effet de grands consommateurs d’aluminium Les producteurs d’amont sont des multinationales. Les secteurs utilisateurs et transformateurs d’aluminium étant particulièrement actifs en France, il pourrait s’avérer dangereux de les soumettre de fait à quelques fournisseurs toujours susceptibles de se cartelliser. La production mondiale d’aluminium primaire est désormais concentrée entre la Chine et quelques très grands groupes. La France produit aujourd’hui à peine 11 % de l’aluminium primaire et recyclé (aluminium de deuxième fusion) qui sort des usines européennes. Sa production représente désormais moins de 1 % de l’aluminium primaire produit dans le monde ce qui ne couvre à peine la moitié de nos besoins. Selon les experts, la Chine aura accru ses capacités de production de quelque 180 % sur la période 2005-2015 pour disposer, à elle seule, de 26,8 millions de tonnes de capacités, alors qu’en 2010 sa production globale d’aluminium primaire et recyclé dépassait déjà le cumul des continents américain et européen (hors Russie) !

Globalement, la filière française de l’aluminium a perdu 21 % de ses emplois et 23 % de sa production entre 2005 et 2010, selon les données communiquées à la commission d’enquête par l’Association française de l’aluminium (3). La filière est désormais pour une grande part placée sous le contrôle de groupes étrangers. Cette situation est d’autant moins admissible que notre pays a longtemps tenu une position prééminente dans le secteur avec une vraie multinationale : le groupe Péchiney qui a même été à une époque le premier groupe industriel privé français, après sa fusion en 1972 avec le chimiste Ugine-Kuhlmann pour devenir PUK. Cet ensemble qui avait absorbé au cours de la décennie précédente des sociétés comme Cegedur ou encore Tréfimétaux, conservait alors, en plus du secteur de l’aluminium, d’importantes activités sidérurgiques ou électrométallurgiques comme la transformation et le traitement du cuivre. Si Péchiney existait encore aujourd’hui avec les forces industrielles et commerciales comparables à celles qui étaient les siennes, son business model aurait nécessairement évolué.

Depuis 2007, la production française d’aluminium primaire est intégrée au groupe Rio Tinto Alcan, après avoir été acquise, dans un premier temps en 2003, par le seul groupe canadien Alcan qui avait lancé une OPA. Bien que l’actionnariat des salariés et l’autocontrôle aient alors représenté près de 12 % du capital, aucune résistance au rachat n’a pu être organisée à partir de ce socle. Rio Tinto est une société à vocation mondiale dont la culture originelle est plus minière qu’industrielle. En témoigne sa décision de céder l’usine de Saint-Jean-de Maurienne où s’est rendue la commission d’enquête au cours de son déplacement en Savoie. Les process de fabrication de l’aluminium primaire ont été conçus et développés en France. La recherche industrielle française restée de très haut niveau est aujourd’hui menacée, alors que les brevets « Aluminium Péchiney » sont toujours largement utilisés dans le monde pour la production par électrolyse. En 2012, Rio Tinto Alcan (RTA) n’employait plus en France que 1 600 salariés (effectifs 2012) principalement dans ses deux usines de production (Saint-Jean-de Maurienne et Dunkerque) et dans la recherche à Voreppe, après avoir cédé au fonds américain HIG Capital, au cours de cette même année, les sites de Gardanne (Bouches-du-Rhône), de La Bâthie (Savoie) et de Beyrède (Hautes-Pyrénées) qui constituaient l’ancienne activité d’alumines de spécialité de Péchiney. Il convient de rappeler que les usines de Dunkerque et de Saint-Jean-de-Maurienne étaient au meilleur niveau de la technologie lorsqu’elles ont été rachetées car Péchiney en association avec Mc Kinsey venait d’y réaliser des efforts de compétitivité avec la mise en place du programme « TOP » (Total opération performance.). En fait, la décision prise par Rio Tinto Alcan, dès mars 2012, de se séparer de son unité savoyarde pose un problème de viabilité à ce qu’il est possible de considérer comme un véritable « cluster technologique alpin » tout à fait original ; sa vocation s’est affirmée à partir d’activités industrielles spécialisées dont la présence régionale était parfois très ancienne. Se trouve notamment posée la question de l’avenir de l’entreprise Carbone Savoie (qui compte quelque 500 salariés au total) dont la principale implantation est à Notre-Dame-de Briançon dans la vallée de la Tarentaise entre Moûtiers et Albertville. Cette entreprise dont la commission a tenu à rencontrer les organisations syndicales est une des rares à disposer de la capacité de produire des cathodes en carbone et en graphite indispensables à la production d’aluminium. Elle a également deux autres implantations à Vénissieux (Rhône) et Lannemezan (Hautes-Pyrénées). Carbone Savoie a appartenu à Péchiney puis au groupe américain Union Carbide avant d’être intégré au groupe de Rio Tinto.

Force est de constater que la nationalisation puis la privatisation de Péchiney se sont traduites par des échecs, en dépit d’ambitions initiales et des mises en garde aux pouvoirs publics de M. Jean Gandois, qui a dirigé l’entreprise pendant huit ans (1987-1994), sur les risques encourus par la filière notamment en raison des coûts français de l’énergie. Bien des vicissitudes et même certaines opérations plus qu’hasardeuses ont abouti à l’explosion d’un groupe longtemps puissant que nul ne pouvait penser aussi vulnérable.

Il convient de ne pas oublier la responsabilité écrasante de la Commission européenne qui, en 2000, a refusé une fusion entre Péchiney, Alcan (Canada) et Algroup (Suisse) pour « risque d’abus de position dominante ». Cette décision fondée sur une conception maximaliste du droit de la concurrence a tout simplement fait perdre à l’Europe sa chance de disposer d’un groupe mondial, technologiquement et commercialement dynamique! Depuis cette décision mortifère, une concentration du secteur de l’aluminium s’est pourtant réalisée au niveau mondial mais au bénéfice de groupes multinationaux tous étrangers à l’Union européenne, sans parler du groupe russe Rusal qui est, en terme de production d’aluminium primaire, le N 1 du secteur ou encore du norvégien Norsk Hydro qui a pu conforter ses positions sans connaitre de pareilles entraves.

Seules certaines des activités de transformation (dans des métiers d’aval et de haute technologie) semblent sauvegardées au travers de la constitution récente de Constellium qui est cependant principalement contrôlé par un fonds d’investissement américain mais dont Rio Tinto Alcan et le Fonds stratégique d’investissement (FSI) ont conservé une partie du capital (4). Pour autant, la présence du FSI au capital est-elle suffisante pour garantir un fort ancrage français aux activités de Constellium ? La question doit retenir l’attention car Constellium qui avait neuf sites industriels en France a cédé des usines (Ham dans la Somme et Saint-Florentin dans l’Yonne) à OpenGate Capital, une société américaine de capital-investissement, et projetterait également de se séparer de son site d’Ussel en Corrèze. En l’état, Constellium est un groupe récemment constitué qui a encore des structures complexes ; si son siège social est aux Pays-Bas et sa cotation boursière principale sur la place américaine, Constellium France a néanmoins maintenu son siège opérationnel à Paris.

VI.– UNE IMPORTANTE ET INQUIÉTANTE CROISSANCE DU CONTRÔLE ÉTRANGER SUR LES STRATÉGIES DES ENTREPRISES

Au terme de ce survol historique, une première conclusion est simple : l’activité sidérurgique française et une partie des activités métallurgiques qui lui sont liées ou, à bien des égards, comparables sont passées sous le contrôle de groupes étrangers, un mouvement particulièrement marqué au cours de la décennie 2000.

Outre le groupe ArcelorMittal, il convient de citer les activités d’aciers inoxydables rassemblées au sein de l’entreprise Aperam qui compte parmi ses principaux sites français Gueugnon, Isbergues et Imphy. Cette entreprise, distincte d’ArcelorMittal, est également contrôlée par la famille Mittal bien au-delà de la minorité de blocage. Comme ArcelorMittal, Aperam fait l’objet d’une cotation boursière mais dans l’une et l’autre des deux sociétés le contrôle de la famille Mittal représente au moins 40% des droits de vote, sans compter les participations de fonds d’investissement qui lui sont plus ou moins explicitement alliés.

La société Ascométal spécialisée dans les aciers longs spéciaux et qui est fortement dépendante du secteur automobile s’est, elle aussi, trouvée contrôlée par le groupe italien Lucchini à partir de 1999, lui-même progressivement racheté par ses alliés russes, le groupe Severstal, et l’oligarque Alexeï Morchadov, jusqu’à ce que cet actionnariat décide, au cours de l’été 2011, de vendre Ascométal à une société dépendant du fonds d’investissement Apollo Global Management, coté à Wall Street, qui prenait d’ailleurs, au cours de cette même année, le contrôle de Constellium !

Les activités de transformation du cuivre, héritières de l’ancienne société Tréfimétaux, relèvent également d’un contrôle étranger : le groupe italien KME, leader mondial du négoce et des alliages dans le secteur. Il compte notamment une usine importante à Givet dans le département des Ardennes. C’est d’ailleurs toute la filière française du cuivre qui aujourd’hui vacille. Après avoir souligné leurs inquiétudes concernant la stratégie de KME, des syndicalistes auditionnés à l’Assemblée nationale dans le cadre d’une « Table ronde » ont également appelé son attention sur la situation critique du groupe Griset, une entreprise métallurgique très ancienne (elle fut même la première à laminer de l’aluminium à la fin du XIXe siècle), mais qui est exportatrice et a su acquérir une position importante dans les composants électroniques de puissance. Longtemps contrôlée par des intérêts familiaux, la société a d’abord été cédée à un industriel allemand, le groupe Diehl, puis est devenue il y a peu la propriété d’un fonds spécialisé d’outre-Rhin, Bavaria Industriekapital AG. Les activités françaises de Griset semblent à présent menacées, sa direction privilégiant une production asiatique, notamment au moyen d’une joint-venture avec le premier producteur de cuivre chinois qui propose de produire à court terme plus de 500 Tonnes de laminés et d’alliages de cuivre par mois.

Le fonds Bavaria Industriekapital s’est également impliqué un temps (2007-2010) au capital de La Fonderie du Poitou (FDPA) d’Ingrandes-sur-Vienne. Force et de constater que sa gestion n’a pas offert de réelles perspectives industrielles à ce fondeur d’aluminium fournisseur de l’industrie automobile et longtemps très dépendant du groupe Renault. Ce fonds allemand a d’ailleurs revendu FDPA. Le repreneur, Montupet SA, lui a imposé une restructuration particulièrement sévère, au terme d’un redressement judiciaire qui a abouti, l’an passé, à une nouvelle reprise par une entreprise familiale Saint Jean Industries.

D’autres exemples d’une mainmise étrangère sont effectivement nombreux. Au cours de son déplacement en Savoie, la commission d’enquête a pu constater que le site centenaire d’Ugine, créé par l’ingénieur Paul Girod, (une société dénommée à présent Ugitech spécialisée dans les produits longs inoxydables) dépend depuis sa cession par Arcelor (en avril 2006, c’est-à-dire peu de temps avant que n’aboutisse l’OPA de Mittal Steel), à l’entreprise sidérurgique et de négoce Schmolz und Bickenbach. Ce groupe dynamique, aux origines familiales, a certes consenti des investissements dans cette usine. Mais sa taille « moyenne » (environ 10 000 salariés pour 3,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires) le confronte à certaines difficultés, notamment de restructuration de son endettement et de reclassement de son actionnariat, ce que réclame la place boursière helvétique sur laquelle une partie de son capital est cotée. La présence d’intérêts étrangers concerne également de plus petites entreprises spécialisées comme MSSA Métaux Spéciaux à Plombière-Saint-Marcel en Savoie (un site créé en 1898), qui produit du sodium, des dérivés chimiques du vanadium, des métaux alcalins, du chlore, du potassium. Cette société qui a été longtemps dans l’orbite de Péchiney sera acquise par un fonds anglo-saxon en 1997 puis fera l’objet d’un rachat par certains de ses cadres avant qu’ils ne la cèdent récemment à un de leurs clients, le groupe japonais Soda.

On citera également une aciérie électrique du Sud-Ouest sur le site des anciennes Forges de l’Adour, au Boucau et à Tarnos, créées en 1883. Cette entreprise qui produit des billettes à partir de ferrailles de récupération a pris le nom d’Aciérie de l’Atlantique puis récemment celui de CELSA France. Elle appartient à un groupe catalan.

Sans faire preuve de nationalisme mais moins encore de fatalisme, votre rapporteur sait par expérience, en sa qualité d’élu de la région Nord-Pas de Calais, que certains groupes étrangers peuvent impunément défier les pouvoirs publics, mais aussi leurs salariés et l’opinion en arrêtant des décisions aux conséquences parfois dramatiques.

En 2003, la fermeture brutale du site Metaleurop Nord de Noyelles-Godault (Pas-de-Calais), une fonderie de zinc et de plomb employant 830 salariés, illustre parfaitement cette situation. L’entreprise qui avait appartenu à l’entreprise Pennaroya liée à la branche française de la famille Rothschild puis au groupe allemand Preussag, dépendait alors d’une nébuleuse entité multinationale, Glencore, contrôlée à partir de la Suisse par le milliardaire Marc Rich. Ce groupe a procédé à la fermeture « sauvage » du site. Il a ainsi abandonné sans préavis les salariés à leur sort tout en laissant en déshérence un ensemble industriel nécessairement pollué par des dizaines d’années d’activité mais non sans avoir dépecé préalablement les activités rentables qui relevaient de l’entité Metaleurop. Le coût social et financier, encore aujourd’hui assumé, aura été extrêmement lourd pour toute une région et l’État. Pour sa part, Glencore vient cette année de fusionner avec une autre multinationale suisse Xstrata dans le but de donner naissance à un nouveau géant mondial des matières premières et prendre, de la sorte, sa part dans la domination exercée par deux groupes anglo-australiens BHP Billiton et Rio Tinto, le brésilien Vale ou encore la holding Anglo American aux origines sud-africaines !

Votre rapporteur n’entend bien évidemment pas assimiler toutes les entreprises étrangères à ce que fut Glencore et encore moins à quelques patrons voyous. Mais il convient de garder à l’esprit ce que des intérêts étrangers peuvent concevoir et mettre en œuvre concernant des sites ou des filiales considérés insuffisamment rentables au titre de stratégies mondialisées. Cette mise en garde lui paraissait devoir être faite.

VII.– NE PAS SE RÉSOUDRE POUR AUTANT
À LA TENTATION DU « DÉCLINISME »

Ce regard historique sur les secteurs intéressant la réflexion de la commission d’enquête peut néanmoins être conclu par une note moins pessimiste.

Il existe en France un savoir-faire et une aptitude à l’innovation, y compris pour des activités de pointe. À cet égard, on citera les sociétés Aubert & Duval et Erasteel qui forment le pôle « Alliages » du groupe français Eramet. Ces deux entreprises qui inscrivent leurs activités dans une continuité familiale (la société Aubert & Duval a été fondée en 1907) se sont développées sur les créneaux les plus techniques de la sidérurgie et des spécialités métallurgiques. Comptant près de 4 000 salariés à elles deux, elles ont su moderniser et conforter leurs sites français tout en internationalisant leurs activités dans des secteurs comme les aciers dits « rapides » ou fortement alliés, la métallurgie des poudres, ou encore les alliages incorporant du titane. Ces deux entreprises comptent des clients aussi exigeants que Boeing, Airbus, Safran, Areva ou encore le constructeur automobile Ferrari. La famille fondatrice contrôle toujours plus du tiers du capital d’Eramet, la maison-mère, et votre rapporteur rappelle que le Fonds stratégique d’investissement (à présent intégré à la Banque publique d’investissement, BPI France) a repris les quelque 26 % du capital que détenait Areva hors de son cœur de métier. Cette structure d’actionnariat d’ailleurs conjuguée à une louable économie dans la distribution de dividendes stabilise l’entreprise. Elle lui assure des perspectives de développement. Actionnariat privé et actionnariat public peuvent donc coexister efficacement.

Votre rapporteur a la conviction que l’État ne peut rester spectateur face aux conséquences de stratégies le plus souvent d’inspiration financière donc peu soucieuses de leurs conséquences sociales dans les territoires. Il se félicite de la mise en place au mois de mai dernier du nouveau Comité stratégique de filière dénommé : « Industries extractives et de premières transformations ». Ce Comité regroupe les industries de l’acier, de l’aluminium et des métaux, du verre, des céramiques, du ciment et du béton.

Dans le cadre du Conseil national de l’industrie, le fait d’engager une réflexion collective sur la compétitivité et les axes de développement d’entreprises que beaucoup, par méconnaissance de la réalité, ont jugées relever de secteurs du passé est un signal fort. Les secteurs concernés peuvent certes paraître assez différents. Ils ne sont pas pour autant disparates. En effet, Ils ont en commun d’être de gros consommateurs d’énergie (« électro et gazo intensifs »), d’inscrire leurs activités dans des environnements de hautes technologies et de fortes innovations et d’être soumis à la concurrence de nouveaux acteurs tout particulièrement de pays émergents. Pour être efficaces, les travaux du Comité stratégique de filière ne doivent toutefois pas être monopolisés par la parole de quelques grands groupes multinationaux ou des seules organisations patronales. Il revient aux pouvoirs publics de s’assurer que la réflexion vise d’abord à consolider, en France, une base productive d’industries stratégiques, de sécuriser leurs accès aux ressources, de promouvoir le plus possible les techniques les plus modernes du recyclage en faveur d’une nouvelle économie circulaire et de peser ainsi sur les politiques industrielle, énergétique et de la concurrence de l’Union européenne qui nécessitent en urgence de profondes révisions.

Le Royaume Uni et la France sont en réalité les deux seuls pays européens à avoir « laissé filer » leur sidérurgie. Quels que puissent être les problèmes rencontrés dans la conjoncture actuelle par des groupes comme ThyssenKrupp ou Riva, l’Allemagne et l’Italie n’ont jamais été aussi vulnérables face à la pénétration d’intérêts étrangers dans une activité qu’ils considèrent toujours comme stratégique du point de vue de l’intérêt national donc de leur souveraineté économique.

En Allemagne, le gouvernement fédéral et les Länder veillent avec constance à l’équilibre des activités sidérurgiques et métallurgiques, en intervenant si nécessaire à la demande du patronat ou des syndicats lorsqu’ils sont confrontés à un problème majeur. Un consensus existe autour de ces industries. Il repose aussi sur une solidarité puissante entre les entreprises qui, par ailleurs, ont toujours su défendre leur savoir-faire dans une réelle préoccupation de patriotisme économique. Plusieurs interlocuteurs de la commission lui ont clairement dit que l’Allemagne est le seul pays où Lakshmi Mittal n’adopte pas concernant ses intérêts industriels les mêmes attitudes que celles dont il fait généralement preuve ailleurs à l’égard des pouvoirs publics mais aussi des milieux socio-économiques !

Il semble malheureusement de plus en plus difficile de témoigner une détermination comparable à celle des entrepreneurs allemands, s’agissant notamment des industries sidérurgiques et métallurgiques, dès lors que les centres de décision d’entreprises parmi les plus importantes ne sont plus en France. Cette situation explique certainement la faiblesse des investissements désormais réalisés dans des unités de production ainsi filialisées en droit ou en fait et qui, au sein de groupes multinationaux, sont souvent principalement considérées en tant que centres de profits de court terme dont l’avenir reste subordonné à des stratégies souvent même mondialisées mais toujours à forte dominante financière.

DEUXIÈME PARTIE : UN SECTEUR EN DIFFICULTÉ

I. — UNE SITUATION ALARMANTE

A. – LA SIDÉRURGIE

1. La consommation

La consommation mondiale d’acier connaît une croissance impressionnante par rapport à celle d’autres secteurs, puisque, elle est passée de 800 millions de tonnes il y a 10 ans à 1,5 milliard de tonnes aujourd’hui et devrait approcher de 2 milliards de tonnes en 2030 (5). Elle augmente de 6% par an en moyenne (6).

Si l’on observe la consommation annuelle d’acier dans le monde par habitant, on constate que c’est en Europe qu’elle demeure la plus élevée :

• 310 kg par habitant en Europe

• 263 kg par habitant en Amérique du Nord

• 239 kg par habitant en Asie

• la moyenne mondiale est de 215 kg par habitant.

En Europe, toutefois, la situation est difficile. La demande d’acier est inférieure de 30 % à ce qu’elle était avant la crise (7) et les prix ont baissé. L’évolution de la consommation est toutefois variable :

– l’Allemagne a quasiment récupéré sa consommation d’avant la crise ;

– la France et le Benelux ont vu leur consommation chuter, mais se rétablir partiellement ;

– l’Italie et l’Espagne ont été drastiquement touchées et leur consommation reste très inférieure à celle de 2008 (8).

2. La production

Quant à la production européenne d’acier, elle est passée en quelques années de 180 millions à 145 millions de tonnes (9). Selon une autre source, la production était de 210 millions de tonnes en 2007, contre seulement 169 en 2012 (10).

La production n’a pas décliné dans tous les pays européens : en 2011, la France a produit 15 millions de tonnes d’acier, l’Allemagne 44 et l’Italie 28, alors qu’en 1980, la France produisait 23 millions de tonnes, l’Allemagne 44 et l’Italie 26 (11). La France exporte 50 % de sa production et importe 50 % de sa consommation (pour une consommation située entre 13 et 15 millions (12).

En revanche, la production a repris sa tendance de long terme en Asie et notamment en Chine.

L’influence chinoise sur la production mondiale, qu’on développera ci-après, est illustrée par un chiffre : de 1989 et 2009, la Chine est passée en termes de production du 4e au 1er rang mondial, en multipliant par neuf le tonnage qu’elle produit ; au cours de la même période, la France glissait dans le classement mondial. En 2011, la France pesait seulement 1% de la production mondiale et sa part continue de diminuer d’année en année, y compris par rapport à ses concurrents allemands et italiens (13). Derrière l’Allemagne et l’Italie, la France est le 3e producteur européen (elle fut même un temps dépassée par l’Espagne) et le 14e pays producteur mondial d’acier.

3. Les conséquences pour la France

Cette évolution est d’autant plus préoccupante que l’acier emploie en France 55 000 personnes : aux 27 000 sidérurgistes proprement dits, il faut ajouter les emplois que représentent la transformation de l’acier et la distribution des produits (14).

Les personnalités auditionnées par la commission d’enquête se sont faites l’écho de cette situation inquiétante, comme le montrent les quelques exemples suivants.

Entre le premier trimestre 2008 et le premier trimestre 2010, l’activité d’Eramet a baissé de 40%, mais avec la reprise du 2e semestre 2010, elle a remonté de 50 %. Le ralentissement dans le domaine de l’automobile affecte aussi Erasteel, qui enregistre une baisse marquée de son chiffre d’affaires et Aubert et Duval, qui pâtit du manque d’investissements dans la production d’énergie en Europe. L’aéronautique, gros client de la sidérurgie, croît mais moins rapidement. Ces résultats en termes de chiffres d’affaires méritent toutefois d’être « relativisés » car les activités concernées sont particulièrement sensibles aux cours de certains métaux dont la volatilité a une caractéristique majeure des dernières années.

Pour ArcelorMittal, le secteur « plats carbone » – qui représente environ 75 % de ses activités en France – a enregistré une perte de 2,8 milliards d’euros en 2012, dont une dépréciation de 2,5 milliards d’euros de ses actifs européens (15).

Ascométal a produit jusqu’à un million de tonnes de produits finis au milieu des années 2000 et jusqu’en 2008, année au cours de laquelle il en a vendu quelque 900 000 tonnes. Mais en 2009, la production est tombée à 458 000 tonnes avant de remonter à 800 000 tonnes en 2011 pour atteindre 600 000 tonnes en 2012, ce qui montre une activité très cyclique, avec des inflexions parfois très brutales(16).

B. – L’ALUMINIUM

Au niveau mondial, la demande croît, si l’on se réfère aux estimations de grands producteurs qui prévoient une augmentation de celle-ci de 7 % en 2013, après une progression de 6 % en 2012. On constate ces chiffres (de 5 à 7 % par an) depuis une trentaine d’années (17). Cette croissance est due aux qualités intrinsèques de ce matériau (léger, malléable ou très résistant) et indispensable dans le domaine des transports (aéronautique, TGV, automobiles), du bâtiment, de l’emballage, des câbles. La consommation d’aluminium connaît une forte progression en raison à la fois de l’augmentation de la population et de l’élévation du niveau de vie des pays émergents et de sa substitution à d’autres métaux en Europe.

La production mondiale d’aluminium primaire et secondaire s’élève à près de 60 millions de tonnes, avec une forte croissance du recyclage dans les pays les plus avancés.

La production d’aluminium primaire a été modifiée du fait du développement des capacités dans les pays à faible coût d’énergie et du capital. L’accroissement des capacités depuis 10 ans a eu lieu au Moyen-Orient et en Asie ; d’ici 2015, l’Inde et la Chine auront multiplié par trois leurs capacités par rapport à 2005.

En revanche, un million de capacités ont été fermées en 20 ans dans l’Union européenne en raison de la croissance du coût de l’énergie en Europe.

La production européenne est passée depuis 2008 de 3 à 2 millions de tonnes : plusieurs sites ont été fermés sur cette période qui a été marquée par la fin de contrats de tarifs historiques – en Italie et en Espagne, par exemple – et par une crise du secteur puisque, en 2008 le prix de l’aluminium qui se situait aux alentours de 3 300 dollars, a chuté en quelques mois à 1 300 dollars. Cette évolution affecte exclusivement l’Union européenne, alors que les autres pays producteurs, comme la Norvège et l’Islande, sont plutôt en progression grâce à leurs ressources hydro-électriques et géothermiques (18).

La France n’a pas connu un effondrement de sa production globale d’aluminium : celle des deux sites de Saint-Jean-de Maurienne et de Dunkerque est restée stable. C’est le cas, d’ailleurs, depuis 20 ans de la production d’aluminium primaire en France. Les fermetures d’usines – la dernière étant celle de Lannemezan dans les Hautes-Pyrénées en 2008 – ont été largement compensées par l’investissement de Dunkerque, « vaisseau amiral de la production d’aluminium en Europe », selon M. Olivier Dufour.

Le secteur emploie près de 11 150 personnes ; entre 2006 et 2010, la filière française a néanmoins perdu près de 23 % de ses emplois en raison de la fermeture de sites et des gains de productivité des opérateurs. L’arrivée à échéance des contrats d’approvisionnement d’électricité favorables pour Saint-Jean-de-Maurienne (2014) et Dunkerque (2017) va susciter des difficultés (19).

C. – LA MÉTALLURGIE

Sur le plan européen, le secteur des métaux non ferreux représente 437 000 emplois et un peu moins de 300 milliards de chiffres d’affaires ; ce secteur reste très capitalistique, même si sa puissance a décliné ces dernières années (20).

La fédération des minerais, minéraux industriels et métaux non ferreux (FEDEM) juge la concurrence mondiale « extrêmement sévère ». Le secteur doit affronter « un environnement concurrentiel renforcé et parfois déloyal ».

Quelque 1,4 à 1,5 million de salariés sont employés dans les 43 000 entreprises françaises de métallurgie. Environ 60 % d’entre eux le sont dans des établissements en comptant moins de 500. Comme 90 % de ces entreprises comptent moins de 50 salariés, ce tissu industriel est profondément ancré dans le territoire national. Les prévisions portent sur 1,3 million en 2020, avec une progression plutôt dans les métiers à caractère technique (21).

Les effectifs se montent à 1,5 million contre 2 millions il y a 20 ans ; mais les activités externalisées ne sont plus comptabilisées au titre de cette branche, si bien qu’on estime que la diminution réelle n’est pas aussi importante. D’ailleurs, la production en volume ne subit aucun déclin. L’industrie de la métallurgie souffre d’une difficulté sur laquelle les dirigeants de l’IUMM ont attiré l’attention de la commission d’enquête : elle peine à recruter.

Quant à l’industrie du cuivre, elle vit des heures extrêmement difficiles: alors qu’on dénombrait dans les années 1980 entre 15 et 20 acteurs de première transformation dans les métiers principaux, il n’en reste que 5 aujourd’hui ; pendant la même période, alors que l’industrie française desservait le marché local à hauteur de 60 % et importait environ 40 % de ses besoins, la proportion s’est inversée, avec des importations qui ont atteint 70 % (22).

D. – LE RECYCLAGE

Le secteur du recyclage engrange un chiffre d’affaires de 12,4 milliards d’euros, en légère diminution en 2012, largement dépendant de la revente des marchandises, à laquelle s’attache la prestation de service. La France produit 44 millions de tonnes de matières premières recyclées vendues sur le territoire national, en Europe et parfois à la grande exportation. Le secteur du recyclage emploie 33 400 salariés, occupant des postes de tous niveaux de qualification ; ce chiffre est en croissance, la diversité des emplois offerts permettant d’absorber peu à peu des secteurs industriels déclinants grâce à la proximité de leurs cultures (23).

Quant aux tonnages, les ferrailles proviennent à 25 % de véhicules hors d’usage, à 25 % de démolitions d’usines, de démolitions ferroviaires, des préparatifs d’investissement dans les usines, à 25 % de chutes neuves issues de l’industrie de transformation, le dernier quart provenant de collectes issues de déchetteries et d’achats au détail auprès de particuliers. Quelque 16 millions de tonnes de ferrailles sont récupérées par an en France ; les clients sont à 90 % des sidérurgistes équipés de fours électriques ; la sidérurgie absorbe 8 à 9 de ces 16 millions, auxquelles s’ajoute la consommation des fonderies, le reste étant exporté vers l’Union européenne. Une petite partie est exportée vers la Chine, et encore moins vers l’Inde et le Pakistan (24).

Le gisement de ferrailles est estimé en Europe à 3 milliards de tonnes ; la France est exportatrice nette à hauteur de 3,5 millions de tonnes et l’Europe, à hauteur de 20 millions de tonnes (25).

En ce qui concerne les métaux non ferreux (cuivre, aluminium, zinc, plomb, étain et nickel), contrairement à la ferraille, une partie des chutes neuves de production est récupérée par le producteur lui-même. Deux millions de tonnes de matières premières recyclées de métaux non ferreux ont été produits en France en 2012. L’essentiel des métaux non ferreux traité est constitué d’aluminium, qui a connu une forte expansion au cours des 25 dernières années ; le chiffre d’affaires issu du recyclage de ces métaux s’élève à 5,25 milliards d’euros. La consommation française totale est d’environ 1,5 million de tonnes. Depuis 15 ans, de nombreuses usines de métallurgie ont fermé, notamment en France, mais 85 % des volumes traités sont consommés en France et dans les pays européens.

Pour tous ces métaux, 80 % des ventes sont réalisées en France. La production est excédentaire par rapport à la capacité d’absorption française (26).

La question du recyclage est essentielle : M. Édouard de Lacoste Lareymondie, président de la chambre syndicale du cuivre et de ses alliages, a rappelé que pour les industriels fondeurs ou lamineurs fabricants de tubes, le recyclage des déchets est intégral et à l’infini. Leur prix de revient étant inférieur à celui de la matière première, ces approvisionnements sont prisés : « or, nous sommes là aussi confrontés à la compétition internationale sur le plan de la demande, notamment de la part de la Chine qui « pille » un peu notre marché et renchérit les prix ».

Le recyclage sera de plus en plus nécessaire. Sur le plan mondial, il ne satisfait que 30 % des besoins actuels ; en Europe, le gisement disponible permet de répondre à environ 50 % des besoins en métaux de base (27).

II. — DONT LES CAUSES SONT MULTIPLES

A.– LA CRISE DE 2008 : UN RALENTISSEMENT PRONONCÉ DE L’ACTIVITÉ

« La crise économique de 2008 a touché de plein fouet le secteur de l’acier, qui alimente de nombreuses industries de transformation, dont la construction, l’industrie automobile et l’emballage. La crise de ces industries a entraîné, suivant les zones, une chute de 30 à 50 % de la consommation d’acier. Aujourd’hui, celle-ci n’est pas revenue à son niveau antérieur : on n’a récupéré que la moitié de la baisse- il faut dire qu’on n’avait jamais produit autant d’acier dans le monde qu’en 2008 », comme l’a rappelé M. Pascal Faure, directeur général de la compétitivité, de l’industrie et des services (DGCIS).

Les industriels sont passés par une période d’attentisme ; puis « en 2011, un certain nombre d’entre eux ont pris conscience que le marché ne reviendrait pas à son niveau antérieur à horizon visible – c’est-à-dire d’ici 5ans ; ils ont donc renoncé à maintenir leurs capacité de production en l’état et ont privilégié une logique de restructuration. C’est à ce moment-là que les problèmes ont commencé. »

Il a fait également remarquer que les marchés européens étaient saturés et ils le resteront en raison de la faiblesse de la croissance démographique, des perspectives économiques et parce que précisément nos marchés sont en général bien équipés en biens consommant de l’acier ou de l’aluminium.

« L’acier irrigue l’économie réelle et est irrigué par elle », comme l’a souligné M. Philippe Darmayan, président de la Fédération française de l’acier (FFA). En effet, 34 % de l’acier est utilisé par le secteur de la construction, 18 % par l’industrie automobile, 14 % par la mécanique, 14 % par l’industrie de transformation du métal et 12 % par l’industrie des tubes, qui alimente elle-même la construction, l’automobile et la mécanique. La crise de 2008 a entraîné une diminution de la demande d’environ 40 % ; la crise de 2011 est intervenue après une légère remontée à 20 % en dessous de la production de 2007-2008.

La dégradation de l’activité chez les clients des sidérurgistes a eu un réel impact. L’audition de M. Pascal Nerbonne, président d’Ascométal, révèle que son entreprise est très liée aux constructeurs français PSA et Renault, même si elle travaille depuis 10 ans avec les constructeurs allemands : « lorsque l’automobile française va mal, nous souffrons un peu ». En effet, l’automobile représente un peu plus de 50 % des réalisations d’Ascométal.

M. Georges Duval, président des sociétés Aubert & Duval et Erasteel a mis l’accent sur l’importance des cycles : entre le premier trimestre 2008 et le premier trimestre 2010, notre activité a baissé de 40 %, puis avec la reprise intervenue au deuxième semestre 2010, elle a remonté de 50 % : « en ce moment, la conjoncture provoque de fortes baisses sur certains marchés, mais celui de l’aéronautique résiste à la crise. Pour l’industrie automobile, une baisse de 3 ou 5 % peut se révéler dramatique. Or nous sommes, pour notre part, confrontés à des fluctuations bien plus considérables ».

En ce qui concerne plus précisément Erasteel et Aubert & Duval, « le ralentissement dans le domaine de l’automobile affecte tant Erasteel- qui enregistre une baisse de 30 à 40 % de son chiffre d’affaires – qu’Aubert et Duval, qui pâtit également du manque d’investissements dans la production d’énergie en Europe. Enfin, l’aéronautique représente 50 % des débouchés d’Aubert & Duval et Erasteel, or ce secteur croit moins, et les nouveaux programmes – comme l’Airbus A350 – ont pris du retard. L’Airbus A380 souffre d’un problème ... et l’entreprise réduit ses commandes pour ce modèle, la cadence passant de 40 à 25 appareils par an ».

Pour M. Francis Mer, vice-président du groupe Safran, ancien président d’Usinor-Sacilor et d’Arcelor, « la crise en Europe résulte de la crise mondiale et elle n’est pas terminée !».

M. Lakshmi Mittal fait le même constat : «  à la fin de l’année 2008, nous avons été frappés par une crise financière complètement inattendue. La reprise a été lente, en particulier en Europe où la situation s’est encore détériorée ».

En ce qui concerne le recyclage, la conjoncture a également une incidence : comme l’a précisé M. Jean-Pierre Gaudin, vice-président de la fédération des entreprises du recyclage (FEDEREC), ce sont les clients – les sidérurgistes – qui établissent les prix en fonction de la situation sur le marché international de la ferraille, si bien que « quand leurs affaires vont mal, cela impacte directement nos entreprises ». Les sidérurgistes fixent les prix, puis les industriels du recyclage adaptent leur prix d’achat au prix auquel ils peuvent vendre : « le problème est la solvabilité de nos clients ».

B. – L’ÉMERGENCE DE LA CHINE ET LA NOUVELLE DONNE MONDIALE

1. La sidérurgie

Alors que l’Europe produit annuellement 169 millions de tonnes d’acier, la Chine en produit environ 720 millions, comme l’a indiqué M. Philippe Darmayan, président de la fédération française de l’acier (FFA) : « dans ce pays à l’économie planifiée, la production augmente chaque année de l’équivalent de celle d’ArcelorMittal. La demande continue de croître, certes, mais à un moindre rythme ». Selon M. Marcel Genet, président de Laplace Conseil, la Chine, à la fin des années 1990, produisait moins de 100 millions de tonnes d’acier brut ; aujourd’hui cette production a été multipliée par sept, et elle devrait atteindre le milliard de tonnes d’ici à quelques années.

Quant à la demande d’acier, elle vient essentiellement d’Asie et plus particulièrement encore de Chine, ce qui contraste avec le marché européen en stagnation, voire en érosion. Ainsi que le souligne M. Pascal Faure, « comme l’acier circule peu sous forme de brames, le marché mondial des demi-produits se structure essentiellement suivant les plaques continentales, avec un marché européen, un marché asiatique et un marché américain. La croissance du marché asiatique ne profite donc pas directement à l’industrie européenne ».

De surcroît, ajoute M. Pascal Faure, « la Chine a joué, indirectement, un rôle majeur dans l’accélération de la crise. Non parce qu’elle aurait alimenté l’Europe en acier, car elle produit essentiellement pour son marché intérieur – en moins de dix ans, elle a accru ses capacités de production d’un volume équivalent à la production sidérurgique européenne ! – mais parce que l’accroissement de la demande asiatique a eu des répercussions spectaculaire sur les prix des matières premières : celui du charbon à coke a quadruplé, celui du minerai de fer a été multiplié par huit. Les coûts de production s’en sont trouvés considérablement accrus, alors que dans le même temps, le prix de l’acier ne variait que dans une fourchette de 10%. D’où une situation d’une très forte tension.

L’explosion des prix des matières premières a eu pour conséquence de faire basculer la marge des sidérurgistes vers les opérateurs miniers : en 2000, 10 % de la marge générée allait à l’opérateur minier, 90 % au sidérurgiste ; dix ans plus tard, 80 % de la marge va à l’opérateur minier, 20 % au sidérurgiste. Cela contribue à expliquer la stratégie de certains acteurs, comme ArcelorMittal, qui privilégient une logique d’intégration verticale en amont, vers la mine ».

Ce qui amène M. Pascal Faure à conclure que, même si les enjeux ne sont pas les mêmes pour Rio Tinto Alcan et pour ArcelorMittal, les marges proviennent davantage de l’exploitation des mines que de la production d’acier ou d’aluminium.

M. Marcel Genet, président de Laplace Conseil, met également l’accent sur cette évolution fondamentale : « entre 1975 et 2000, la demande mondiale de minerais, de charbon et de métaux non ferreux n’avait pas connu de croissance significative…la nouvelle position de la Chine, qui représente aujourd’hui 60 % du commerce mondial des minerais transportés par la mer, dits « seaborn », a profondément changé la donne. Il a fallu ouvrir des mines en toute urgence et plus que doubler la production minière mondiale. Les groupes miniers ont fait grimper les prix d’un facteur trois à cinq, ce qui leur a permis d’engranger des rentes considérables : le minerai vaut aujourd’hui 130 dollars la tonne alors qu’il est extrait dans les mines les plus performantes pour un coût de30 à 40 dollars ».

M. Francis Mer souligne également le rôle joué par la Chine : « c’est la faute des Chinois ! Il y a quinze ans, ils n’existaient pas dans le secteur sidérurgique ; aujourd’hui, la Chine représente 50% des besoins et de la production d’acier. Depuis quinze ans, un gigantesque effort d’investissement mondial a été fourni pour profiter du déferlement de la demande chinoise, fruit des projets de construction. Au terme de dix à quinze ans de croissance, la Chine commence à changer de modèle et à penser au consommateur au détriment relatif de l’investissement. Mais sur la lancée du passé, la capacité de production continue de se développer en Chine et ailleurs, car, dans la sidérurgie, il faut plusieurs années pour créer une usine fournissant cette capacité. Que l’on ajoute la crise…et voilà que la sidérurgie vit son drame habituel : l’effondrement mondial de la production et de la consommation »

Jusqu’à présent, la demande chinoise est restée majoritairement tournée vers la consommation intérieure nécessaire aux infrastructures et à la construction, ce qui pose la question du devenir de cette production lorsque le « rattrapage » en termes d’infrastructures sera effectué, comme le fait remarquer M. Pascal Faure.

Votre rapporteur craint toutefois que les Chinois ne vendent de l’acier sur notre marché, en baissant les prix, ce qui casserait le marché.

Quant à la qualité des produits chinois, les opinions divergent : si les membres du GrameF ont estimé que beaucoup d’usines chinoises sont obsolètes et qu’elles devraient arrêter leur production avant les nôtres, M. Georges Duval a souligné que la Chine « souhaitait acquérir toutes les technologies, et au vu des moyens considérables qu’elle met dans la formation de ses ingénieurs, dans dix ans, elle y arrivera dans bien des domaines, même si elle met plus de temps à nous rattraper dans les plus hautes technologies ». De même, M. Pascal Nerbonne a souligné que les équipements chinois étaient ultra modernes, alors qu’en Europe « nous traitons l’obsolescence, mais nous ne consentons pas de nouveaux investissements capacitaires car le marché ne le permet pas, à la différence de ce qui se passe en Chine ou en Inde ».

2. L’aluminium

Comme le souligne M. Olivier Dufour, directeur des Affaires extérieures de Rio Tinto Alcan (France/UE), la production d’aluminium en Chine a explosé depuis 1990 et représente aujourd’hui plus de la moitié de la production mondiale, tandis que l’Europe a perdu plus de 30 % de sa production.

Dans le secteur de l’aluminium, qui se négocie, contrairement à l’acier, sur un marché côté, M. Christophe Journet, rédacteur en chef de MPE-MEDIA, a souligné que « l’Asie prend aujourd’hui le pouvoir en pesant sur le London Metal Exchange (LME), racheté par Hong-Kong l’année dernière Le marché de l’aluminium dépend des cotations des opérateurs sur le marché à la criée de Londres, mais les instructions sont données par téléphone depuis la place asiatique par des traders disposant d’outils informatiques. Hong-Kong ne cache pas son ambition de devenir leader sur les marchés des produits de base industriels ou agro-alimentaires… la Chine va progressivement imposer ses volontés pour atteindre ses objectifs : fournir du travail à tous les jeunes Chinois, et permettre à tout le pays de dépasser le niveau de développement des nations développées », faisant remarquer qu’elle ne fait que reprendre une place légitime et naturelle étant donné sa culture, son histoire, ses compétences et la qualité de ses productions, même si elles sont encore inégales.

Pour Mme Béatrice Charon, présidente de l’association française de l’aluminium primaire, « la Chine investit énormément dans de nouvelles électrolyses à des coûts que l’on ne comprend pas toujours. Cette surcapacité explique en partie la baisse des cours mondiaux de l’aluminium. En ce qui concerne les produits transformés, nous ressentons la concurrence chinoise dans quelques secteurs, en particulier la feuille d’aluminium, pour laquelle la Commission européenne a accepté d’installer des barrière anti-dumping à l’importation ».

La structure industrielle du secteur a évolué, comme le montre l’étude du cabinet Roland Berger. Il y a encore 15 ou 20 ans, le secteur était composé de sociétés nationales complètement intégrées verticalement, maîtrisant tout le processus de l’électrolyse au laminage et au filage et même, pour certaines, depuis l’extraction de la bauxite. Il s’agissait de sociétés nationales en situation de quasi-monopole sur leur marché respectif. Au cours des 15 dernières années, la structure industrielle s’est complètement transformée, passant à une concentration horizontale : tous les grands groupes miniers se sont progressivement regroupés et ont acheté des activités minières ou de raffinage d’alumine, tandis que de grands groupes de transformation se sont créés, qui n’ont plus d’activité amont.

3. La métallurgie

En ce qui concerne l’industrie du cuivre, M. Edouard Lacoste Lareymondie souligne également l’importance de l’évolution internationale. « Depuis 5 ans, la demande issue du marché local français a considérablement diminué en raison de la crise ; on constate un important développement des produits laminés à débouchés électroniques dont les principaux acteurs ont délocalisé en Asie dans les années 1990-2000 et ont obligé la plupart des entreprises à suivre un marché devenu difficile en fonction de la distance, et du change, puisque les transactions sont en dollars ».

« S’agissant du cuivre, nous sommes des transformateurs et des fondeurs qui recyclent les déchets. Cela constitue certes une source d’approvisionnement pour nos usines, mais seulement à hauteur de 25 ou 30 % des besoins. Nous achetons donc la matière première telle qu’elle est cotée à la Bourse de Londres ou de Shanghai. Or, les bons déchets, utilisables par les transformateurs, s’achètent la plupart du temps avec une décote de 5 à 10 %. Lorsque la tonne de cuivre vaut 7 000 dollars, cela n’est évidemment pas neutre pour notre comptabilité.

Les problèmes se posent lorsque les importateurs remettent la matière première sur le marché ou lorsque les usines produisent des excédents. Les usines, en France, en Europe ou même à l'étranger, ne disposent pas toujours des capacités suffisantes pour recycler l’essentiel de leurs rebuts techniques de production et mettent sur le marché des volumes importants de « déchets cuivre ». Dès lors, à quel prix le transformateur peut-il racheter les déchets qui lui manquent ? Je ne peux pas vraiment parler de concurrence déloyale, mais il n’en reste pas moins que des pays étrangers, notamment la Chine, ont des bureaux en France et en Europe. Ces usines peuvent mettre parfois sur le marché des lots impressionnants et les vendre aux traders les plus offrants, lesquels, souvent, sont chinois et disposent d’excellentes conditions de paiement et de trésorerie. L’accès au marché des déchets, essentiel pour l’approvisionnement des PMI que nous sommes, est malheureusement très difficile ».

Le prix élevé de la tonne de cuivre pose problème : « alors qu’une tonne d’acier vaut 500 euros et une tonne d’aluminium 2 000 euros, la tonne de cuivre en vaut 7 000. Les règles internationales nous imposent d’effectuer le coût des approvisionnements pendant environ quatre mois, ce qui entraîne des problèmes de trésorerie considérables, en particulier quand les cours de la matière première s’envolent et, en période de crise économique où les réapprovisionnements impliquent de disposer d’énormes fonds de roulement ».

C. – LA FINANCIARISATION DE L’ÉCONOMIE ET LA MAINMISE DE GROUPES ÉTRANGERS.

La financiarisation de l’économiela prééminence de la stratégie financière sur une véritable politique industriellea été soulignée par M. Pascal Faure, en juin 2013, à l’occasion de la publication du rapport d’activité annuel de la direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services (DGCIS). À contrepied de la mobilisation contre les fermetures d’unités sidérurgiques, l’existence d’une France et d’une Europe sans usines avait même été inconsidérément avancée par certains esprits : « pendant des années, l’économie a été guidée par la mondialisation, la tertiairisation et la financiarisation. L’Europe avait défini son avenir comme étant celui d’une société post-industrielle ». 

Le groupe de réflexion sur l’avenir de la métallurgie en France (GrameF) livre la même analyse : « le financier a pris le pas sur l’entrepreneur : ce sont les agences de notation qui dictent sa politique industrielle, lui imposant de réduire sa dette et de restructurer son groupe ».

La financiarisation de la sidérurgie a été largement dénoncée par les syndicats : « la sidérurgie est rongée par des exigences de rentabilité démesurées et les appétits financiers, qui condamnent les investissements, la R&D et le renouvellement des compétences », a souligné M. Philippe Verbeke, de la direction fédérale de la CGT.  Dans le secteur de l’aluminium, « le site de Saint-Jean-de-Maurienne n’aurait plus sa place au sein du groupe Rio Tinto au seul prétexte d’une exigence de rentabilité démesurée…l’usine serait sur le point d’être cédée mais sans laboratoire de recherche, véritable fleuron du savoir-faire et de l’excellence technologique française depuis plus d’un siècle … le maintien de la R&D dans la fabrication de l’aluminium en France est aujourd’hui menacé. La R&D doit absolument rester adossée aux deux derniers sites de production d’aluminium en France, Saint-Jean-de-Maurienne et Dunkerque. ».

Le problème est semblable dans la métallurgie : selon M. Xavier Le Coq, secrétaire national, fédération de la métallurgie (syndicat national CFE-CGC de la sidérurgie), « la structure de l’actionnariat est source de difficultés. Il faut en la matière s’intéresser aux petits groupes, nombreux dans la filière du cuivre. Outre KME, d’autres entreprises sont en danger : le groupe Griset a ainsi été cédé pour un euro symbolique à un fonds d’investissement allemand qui n’investit pas : l’usine vit sur le stock de cuivre évalué à 35 millions d’euros dont elle disposait au moment de la vente. Il faut prendre garde à ce que les PME et les entreprises de taille intermédiaire (ETI) ne passent pas sous le contrôle de fonds d’investissement dont la stratégie de retour sur investissement à court terme n’est pas compatible avec le temps long de l’industrie métallurgique. Ascométal, qui appartient au fonds Apollo Global Management, serait également dans une situation difficile car les exigences de rentabilité des investisseurs ne sont pas satisfaites ».

M. Éric Cruchet, secrétaire général de la fédération nationale CFTC des syndicats de la métallurgie et parties similaires (FM-CFTC) fait le même diagnostic : « l’industrie sidérurgique s’apparente au cadavre qui bouge encore. Le leadership français a disparu laissant la place à la mainmise de fonds de pension recherchant avant tout une forte rentabilité. Outre l’absence de véritables capitaines d’industrie porteurs d’une vision à long terme, on constate un désengagement flagrant dans la R&D ainsi qu’un manque de confiance et d’espoir de la part des salariés, qui entraînent une perte de compétence et de savoir-faire.

Cette financiarisation met à mal le dialogue social : selon M. Jean-Michel Boqueret, responsable syndical CGT de Constellium, « les entreprises du jeune groupe Constellium ont toujours appartenu auparavant à de grands groupes industriels. Elles sont donc marquées par une forte culture de dialogue social. Or, l’actionnaire majoritaire de Constellium est un fonds financier qui se moque éperdument de ce dialogue si bien qu’en deux ans, le traitement des organisations syndicales et des instances représentatives du personnel a radicalement changé, celles-ci ne bénéficiant plus d’aucune information ».

Le modèle « financiarisé » ne garantit pas la bonne santé des entreprises, au contraire. M. Philippe Morvannou, du cabinet Syndex (28) estime que « les groupes reposant sur un modèle financiarisé se portaient plutôt mal, alors que les groupes avec des capitaux à parties prenantes s’en sortaient mieux, comme le montrait leur EBITDA (29) de 2007 à 2011. En effet, il est clair que les groupes dont une partie du capital appartient aux pouvoirs publics et où est instaurée une gouvernance à participation syndicale maintiennent leur niveau d’investissement. Ils ne font pas de plans sociaux et réalisent des gains de part de marché. Au contraire, comme l’indiquent les chiffres connus de tous car publiés par les entreprises, on constate qu’ArcelorMittal ou Tata Steel perdent des parts de marché, licencient, ferment des usines et voient leurs résultats se dégrader. Le modèle des capitaux à parties prenantes permet de mieux prendre en compte le moyen et le long terme et est donc supérieur, d’autant qu’aucun de ces groupes ne bénéficie d’intégration linière, sauf Voestalpine, pour une petite part.

Quant à la possibilité des pouvoirs publics d’influencer les décisions, on peut comparer Constellium et Ascométal : ils appartiennent l’un et l’autre au fonds d’investissement Apollo mais Constellium peut s’appuyer sur le FSI ». Le deuxième cas laisse donc plus de latitude à la puissance publique pour agir.

Toutefois, M. Christophe Journet note une inflexion dans le secteur de l’aluminium : « une plus grande « proximité capitalistique » semble être de mise, comme le montre le débat relatif à la reprise du site de Rio Tinto Alcan de Saint-Jean-de-Maurienne, un projet, bénéficiant du soutien du Fonds stratégique d’investissement, fondé exclusivement sur des capitaux français, avait été présenté au ministère du redressement productif et rejeté sine die au vu de l’offre allemande de Trimet ».

Malgré cette constatation, et même si M. Pascal Faure estime que « la crise de 2008 a réveillé tout le monde », se félicitant que l’industrie bénéficie depuis 2012 d’un ministère de plein exercice, ce qui n’était pas arrivé depuis 1998, les membres de la commission d’enquête demeurent particulièrement inquiets de cette financiarisation : M. Michel Liebgott, député de Moselle, a déploré qu’Apollo Global Management, le fonds américain qui a racheté Ascométal, se soit endetté à hauteur de 285 millions de dollars environ, pour un apport de fonds propres relativement limité de 120 millions environ . D’ailleurs, Ascométal fait face actuellement à des difficultés financières importantes et a entamé des négociations pour restructurer sa dette.

La France a perdu sa souveraineté en matière capitalistique, ce qui fait dire à un membre de la commission, M. Christian Hutin que « l’Etat et la Nation ne sont plus maîtres chez eux ».

Cette financiarisation débouche sur un phénomène extrêmement préoccupant, la mainmise de groupes étrangers sur l’industrie française. Au-delà du cas d’ArcelorMittal, l’explosion du groupe Péchiney a été dramatique : il s’agissait d’un des fleurons de l’économie française, un leader, une véritable multinationale française, avec la technologie la plus avancée au monde et un portefeuille d’usines exceptionnelles. Avant la prise de contrôle d’Alcan, il avait commencé de faire évoluer son business model pour être plus en phase avec les évolutions du moment et avait de très beaux projets. Ensuite, Alcan a choisi d’investir en Chine, à Oman, à Québec. L’élan qui caractérisait Péchiney est en panne du fait de la négligence d’Alcan.

Les investissements souffrent particulièrement : la marge brute d’autofinancement de Rio Tinto Alcan est concentrée pour investir dans des projets qui font le plus sens : il est donc inévitable que le centre de décision soit le mieux servi. La Savoie n’étant pas au centre des préoccupations du groupe, les projets sont en panne : les investissements ont pour seul objectif la préservation de l’outil. Si le profit est mobilisé ailleurs, une filière interne est privée de ses propres moyens et n’a pas la possibilité de financer son développement.

Le site de Dunkerque, avec ArcelorMittal, souffre de la même « disette d’investissements » selon certains interlocuteurs de votre rapporteur, ceux-ci étant calculés pour maintenir la valeur de l’outil de travail, mais pas pour le développer.

Il s’agit d’ailleurs de profits dématérialisés, en raison de la dimension mondiale des marchés : la tonne d’aluminium est vendue de Saint-Jean en Suisse où l’intermédiaire ayant son siège dans le canton de Zoug prélève une commission, puis est revendue en France et le profit dégagé reste en Suisse ; ce sont les intermédiaires qui s’enrichissent (30).

Cela est d’autant plus grave que ces entreprises sous contrôle étranger sont les fournisseurs de secteurs stratégiques de notre économie, comme l’aéronautique, les transports, la construction ou l’industrie nucléaire.

Le schéma est différent en Allemagne ou en Italie, où les entreprises appartiennent moins à des conglomérats mondiaux, si bien que les investissements locaux sont moins négligés. En outre, un autre mode de gouvernance en Allemagne permet de nouer des liens avec les Länder, les syndicats. Enfin, un déploiement de mesures anti-OPA par les sociétés cibles est facilité par la réglementation allemande. Cette constatation est toutefois à nuancer, dans la mesure où la rumeur indique que ThyssenKrupp pourrait céder, partiellement ou totalement, ses activités européennes dans l’acier, lesquelles comptent 27 600 emplois, après des pertes de 5 milliards d’euros en 2012 (31).

Les États cherchent aujourd’hui à reconquérir la maîtrise des outils industriels stratégiques : c’est ainsi que le gouvernement wallon a exprimé son désir de rechercher un entrepreneur, y compris contre le consentement d’ArcelorMittal ; l’Algérie vient d’annoncer la nationalisation du complexe sidérurgique d’Annaba (El Hadjar), jusqu’alors majoritairement détenu par ArcelorMittal en association avec le groupe public algérien Sider qui ne contrôlait que 30 % du capital.

Votre rapporteur estime qu’il est urgent de réfléchir aux axes par lesquels les pouvoirs publics pourraient impulser des actions nouvelles et s’interroge sur les mesures à prendre afin que le FSI puisse influer sur les stratégies mises en œuvre.

Il est également en plein accord avec le ministre du redressement productif qui a déclaré à la commission qu’une « nationalisation, au moins temporaire, est d’autant moins à écarter lorsqu’il s’agit pour une nation de défendre ses intérêts stratégiques … et que cet outil ne serait pas contraire au droit européen. Celui-ci, en effet ne fixe pas de règles en matière de propriété du capital ».

Cette financiarisation est en outre facilitée par l’absence de vraie politique industrielle européenne.

D. – UNE POLITIQUE INDUSTRIELLE EUROPÉENNE INADAPTÉE ET OBSOLÈTE

Nombreux sont les interlocuteurs de la commission d’enquête à dénoncer les erreurs de la Commission européenne. M. Patrick de Schrynmakers, consultant et ancien secrétaire général de l’Association européenne de l’aluminium, n’a eu de cesse pendant douze années de tenter de la convaincre de se doter d’une politique industrielle, doublée d’une politique énergétique, sans lesquelles l’industrie européenne sera condamnée. Il s’est également élevé contre un des objectifs de la Direction générale de la compétitivité de supprimer les droits anti-dumping, rappelant la formule de M. Arnaud Montebourg, Ministre du redressement productif, selon laquelle nous sommes « la risée du monde ». Quant aux dossiers appelant des mesures anti-dumping, l’Europe met deux ans pour se doter des dispositifs adéquats alors que les États-Unis n’ont besoin que de six mois.

Il a également dénoncé sa « position doctrinaire, voire aveugle » en faveur du tout-environnement : « si l’on peut montrer l’exemple, il ne faut pas se suicider pour ce faire ! ».

De même, M. Arnaud Montebourg a affirmé devant la commission d’enquête : « les Européens ont organisé eux-mêmes la destruction de leur propre industrie métallurgique, notamment en interdisant à leur champions de disposer d’une taille critique leur permettant de se protéger des prises de contrôle. Je tiens à rappeler que la Commission européenne a interdit à Péchiney de prendre le contrôle d’Alcan, si bien qu’Alcan a mangé Péchiney pour être mangé à son tour par Rio Tinto, qui préfère investir aujourd’hui dans les mines et non plus dans l’industrie de transformation. La responsabilité de la Commission européenne est donc immense. En empêchant le gouvernement français d’organiser la protection des intérêts stratégiques de ce bien collectif européen qu’était Arcelor, issu d’Usinor-Sacilor, lui-même le fruit, faut-il le rappeler, des efforts de plusieurs Etats membres de l’ancienne Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), la Commission européenne a permis à M. Mittal, à la fois, de supprimer depuis 2006 – date de son OPA – 36 000 emplois dans le secteur et de réaliser un LBO (32) familial moyennant les services de Goldman Sachs : aujourd’hui surendetté, le groupe ne peut faire face aux conséquences de la baisse du marché européen, ce qui le conduit à une stratégie de démantèlement. Une telle situation aurait pu être évitée si la Commission européenne n’avait pas cette vision dogmatique, voire talmudique du droit de la concurrence, qui lui tient lieu de politique industrielle ».

Il a également dénoncé les règles obsolètes de la Commission prises il y a 50 ans afin d’harmoniser le marché intérieur européen, soulignant qu’aujourd’hui, l’objectif n’était plus d’empêcher d’éventuelles distorsions de concurrence entre pays membres, mais de « permettre aux grandes nations issues de la révolution industrielle de se battre à armes égales avec leurs partenaires dans la mondialisation » qui n’ont, eux, aucune entrave. De même, « la question des pouvoirs propres de la commission européenne en matière d’aides d’État n’a plus de sens et doit faire partie des points à revoir dans le Traité de Rome ».

Votre rapporteur partage la vigueur des critiques du ministre et estime qu’une profonde évolution est indispensable afin de tenir compte du bouleversement de l’environnement mondial, qui n’est plus celui dans lequel a commencé la construction européenne.

III. — L’EUROPE EN SURCAPACITÉ ?

Un âpre débat porte sur les éventuelles surcapacités de l’industrie sidérurgique, les chefs d’entreprises mettant en avant leur existence pour justifier restructurations et fermetures en cours, alors que les syndicalistes dénoncent cette politique qu’ils jugent de court terme et leur semblent dangereuse quand la croissance économique sera de retour. Quant aux experts que la commission a entendus, leurs positions sont plus nuancées.

A. – DE RÉELLES SURCAPACITÉS ?

1. L’évaluation des surcapacités existante

D’après Wolfgang Eder, président de l’organisation professionnelle Eurofer (33) qui dirige l’entreprise autrichienne Voestalpine, souvent présentée comme l’aciériste européen le plus performant, la sidérurgie européenne n’a pas achevé ses restructurations : « il n’y a pas eu grand-chose de fait !». Pourtant, Duferco a fermé son haut-fourneau de Charleroi, comme Mittal à Florange et l’arrêt de ceux de Liège a été annoncé. Ces trois fermetures représentent une capacité installée de 8 millions de tonnes. Mais M. Eder est de ceux qui souhaitent aller plus loin : « parce que la sidérurgie a une valeur symbolique, il y a toujours une pression des politiques et des syndicats pour ne pas fermer les hauts-fourneaux. Le résultat, c’est qu’on entretient une pression sur les prix qui pénalise les bonnes usines » (34).

Il estime même que, malgré les restructurations, les surcapacités ont augmenté en Europe, depuis un an, car la demande se réduit encore. M. Eder en conclut qu’il faudrait retirer du marché de 30 à 40 millions de tonnes d’acier brut sur une capacité installée de 210 millions pour assainir la situation. Il convient toutefois qu’il s’agit d’un défi mondial, car si l’Union européenne continue de réduire ses surcapacités sans que la Chine ne le fasse pour les siennes, la pression sur les prix se poursuivra ; mais il constate une prise de conscience à cet égard en Chine. Il justifie en outre le fait que Voestalpine n’ait pas réduit ses capacités par le fait qu’elle s’est positionnée sur des produits du haut de gamme. Quant à l’amortissement du coût social de la restructuration en Europe, il pourrait être financé par les fonds européens.

Le débat sur l’existence de surcapacités est très vif.

M. Pascal Faure estime que « les marchés européens sont saturés et ils le resteront durablement, car la croissance démographique est faible, les perspectives de croissance économique sont réduites, le marché est déjà bien équipé en biens consommant de l’acier ou de l’aluminium », ajoutant que la « restructuration industrielle est un pléonasme, une industrie qui n’évolue pas se condamne elle-même ».

Déterminer les surcapacités est une opération délicate.

M. Christophe Journet commente l’analyse d’Eurofer : selon celle-ci, « en 2013, les volumes en surcapacité en Europe se situeraient entre 40 et 50 millions de tonnes annuels en acier brut – ce qui exclut l’acier électrique issu de la ferraille, destiné aux produits longs. Ce chiffre est à comparer à la production européenne, soit 170 millions de tonnes par an –les entreprises du secteur tirant les leçons de l’évolution du marché, on s’attend à ce qu’elle passe à 130 ou 140 millions de tonnes. En tout état de cause, il ne faut pas oublier que les données relatives aux surcapacités sont issues de prévisions qui ne tiennent pas nécessairement compte des évolutions rapides et permanentes du secteur aux Etats-Unis et au Mexique, Eurofer estime que les surcapacités d’acier brut s’élèvent à environ 20 millions de tonnes. Malgré la reprise, le marché américain est donc légèrement sur capacitaire. Selon la même source, la surcapacité d’acier chinois atteint 220 à 250 millions de tonnes, sachant que la production totale du pays, premier producteur mondial, d’élève à environ 700 millions de tonnes en 2013, et qu’elle continue de croître malgré les tentatives de réajustement. En à peine trois ou quatre ans, la production mondiale annuelle d’acier brut a dépassé la barre du milliard de tonnes pour atteindre aujourd’hui 1,7 milliard » Or, l’association mondiale Word Steel estime que ces données ne couvrent que 85% de la production mondiale.

Il en conclut qu’« il est nécessaire de mieux respecter la loi de l’offre et de la demande. Il ne sert à rien de trop produire. De nombreux aciéristes préfèrent s’aligner sur leurs prévisions de commande, quitte à travailler en flux très tendus. Certaines entreprises françaises ou européennes du secteur de la distribution de l’acier- je pense à Jacquet Metal Service ou à ThyssenKrupp Materials- souffrent parce qu’elles ne parviennent pas toujours à trouver des acheteurs au prix qui leur permettrait de ne pas vendre à perte ».

M. Marcel Genet met également en garde sur l’évaluation des surcapacités européennes qui est particulièrement délicate : « Techniquement, le chiffrage est complexe car la capacité d’un outil dépend de son régime de marche. Il s’agit aussi de données qui sont aisément « manipulables » car elles peuvent varier selon les approches et les intérêts de ceux qui les fournissent. Il est de plus indispensable de prendre en compte l’intégralité d’une filière et non la seule capacité d’un outil ».

« On estime généralement que les surcapacités européennes sont de l’ordre de 40 millions de tonnes. Toutefois, à mon sens, le problème de l’Europe ne tient pas à ces surcapacités mais au fait qu’en ce qui concerne les produits plats, elles sont pour les deux tiers, le fait d’ArcelorMittal et de sa division Flat Carbon Europe. Ce groupe publie dans l’annexe de son rapport annuel sa propre mesure de ses capacités et de sa production. Ces données accessibles au public sur Internet permettent donc de déterminer la surcapacité de chaque usine. Le taux d’utilisation des capacités du groupe en Europe pour les produits plats est de l’ordre de 60 %, ce qui est très faible. En 2012, ce taux s’élève à 61 % pour les hauts-fourneaux, 67 % pour les aciéries, 62 % pour les laminoirs à chaud, et 59 % pour les laminoirs à froid. ArcelorMittal, qui représente environ un tiers de la production européenne de produits plats, concentre deux tiers des surcapacités de ces produits. Ces surcapacités se situent pour une très grande part dans les pays d’Europe centrale comme la Pologne, la République tchèque et la Roumanie. Dans ces trois pays, le taux d’utilisation moyen des hauts-fourneaux n’est plus que de 46 %, celui des aciéries de 54 %, celui les laminoirs à chaud de 48 %, et celui des laminoirs à froid de 51 %. En Europe centrale, une usine sur deux du groupe est « excédentaire » – et cela concerne non seulement les capacités mais aussi les effectifs ! En Roumanie, la capacité de l’usine construite à la fin des années 70 par le pouvoir soviétique afin d’arrimer l’économie roumaine au Comecom était de 10 millions de tonnes d’acier ; aujourd’hui, elle en produit 1,7 million ! Non seulement un site de trente à quarante kilomètres carrés tourne à 17 % de sa capacité d’origine, mais il emploie encore directement 7 000 personnes ! Même si les ouvriers roumains sont moins payés que ceux d’Europe de l’Ouest, la dépense reste lourde. De plus, le groupe ArcelorMittal ayant été contraint de fermer les cokeries, le coke, importé de Pologne, traverse l’Europe entière. Le prix de revient de l’acier roumain atteint en conséquence le double de celui produit en Russie par Novolipetsk (NLMK) alors que les marchés visés sont les mêmes – ceux d’Europe centrale et de la Mer noire.

Les surcapacités ne sont pas générales en Europe ; elles concernent spécifiquement une société, qui se trouve être, et de loin, la première du secteur. La santé des autres entreprises qui fabriquent des produits plats – ThyssenKrupp, Salzgitter, Voestalpine, Tata Steel, Riva, SSAB… – n’est pas excellente, car la conjoncture est mauvaise pour tout le monde, mais elles ne connaissent pas une situation structurellement difficile qui les conduirait à effectuer des restructurations lourdes ou à opérer des fermetures majeures ».

M. Lakshmi Mittal a souligné que « la demande d’acier en Europe est de 30% inférieure à ce qu’elle était avant la crise et nous en ressentons pleinement les effets. Par ailleurs, il est désormais clair qu’elle ne retrouvera pas rapidement son niveau de 2007 et que l’Europe est confrontée à un changement structurel…dans l’hypothèse où la demande recommencerait à progresser de 3 % par an à partir de 2014 – or, rien n’est moins sûr – elle serait encore, en 2020, 15 % en dessous de ses niveaux d’avant la crise, lesquels ne pourraient pas, de toute façon, être retrouvés avant 2022 ou 2025.

Face à une surcapacité aussi importante, il n’y a pas d’autre alternative que de s’adapter… il est apparu évident que, pour assurer un avenir à long terme à nos activités en France, nous devions reconfigurer notre empreinte industrielle pour répondre à la demande du marché de la manière la plus compétitive qui soit.

Il a également fait remarquer qu’« un rapport de l’OCDE évalue les surcapacités à 20 % dans le monde. Pourtant, la Chine, l’Inde, la Russie continuent à construire des usines. Et tant qu’elles le feront avec les financements, le soutien et des subventions des États, il s’en construira encore, aggravant les difficultés des autres. Je mesure le phénomène dans la sidérurgie mais elle n’est pas la seule concernée. Les importations se substituent à la production européenne ».

M. Philippe Darmayan, président de la Fédération française de l’acier (FFA) et président directeur général d’Aperam, partage cette analyse après avoir rappelé que la production de la Chine augmente très fortement chaque année alors que la demande croît à un rythme moindre: « lorsque les marchés s’effondrent, il faut, comme la CECA pouvait le faire, ajuster les capacités à la demande. Produire quand il n’y a pas de demande ne sert à rien, sinon à faire baisser les prix et à rendre les sociétés non rentables ». Il ajoute que « il ne sert à rien de donner les installations à un concurrent qui, n’ayant rien à amortir, s’empressera de casser les prix et de pénaliser l’ensemble du marché. Un marché de commodités n’est pas un marché de spécialité : une baisse de prix y produit un impact sur la totalité du marché »

Ses prévisions sont également pessimistes : « le sentiment est que la crise est de longue durée et que la surcapacité, au plan mondial, est de 20 à 25 %. Il faut donc prendre des mesures structurelles pour ajuster la capacité, ne pas mettre sur le marché des volumes inutiles et maintenir un certain niveau de prix…Tous les groupes ont mené cette stratégie… Dans un marché de commodités, il faut être compétitif. L’entreprise ne pouvant garder les frais fixes que le prix du marché ne lui permet pas de payer, elle doit optimiser son dispositif industriel ».

De la même façon, M. Francis Mer, ancien président d’Usinor-Sacilor puis d’Arcelor estime justifié « pour minimiser les pertes et retrouver au plus vite les gains indispensables à la survie du métier, de serrer les boulons, c’est-à-dire de réduire les capacités les moins bonnes et de concentrer sur les meilleurs outils l’essentiel de la production afin d’optimiser les coûts, donc les résultats, même en cette période de pertes. C’est ce qui s’est passé à Florange ». À une question de votre rapporteur, M. Mer a répondu que la crise de la sidérurgie ne provenait pas que de la surproduction européenne, mais plus généralement, de la crise mondiale, qui n’est pas terminée.

Il est vrai qu’on ne peut produire de l’acier que si on peut le vendre, car on ne peut pas le stocker durablement. Or, actuellement les activités automobiles et de la construction, notamment, traversent une très mauvaise passe.

Une récente analyse de la banque Morgan Stanley (juin 2013) s’inquiète du fait que la production d’acier de l’Union européenne est retombée sous la barre des 170 millions de tonnes en 2012, s’étant toutefois redressée par rapport à son « creux historique » de 2008 (140 millions de tonnes), mais demeurant ainsi inférieure de 19,5 % à la production de 2007.

Au terme de l’année 2013, la production européenne devrait avoir reculé de 7 % par rapport à l’année précédente. Cette étude montre également qu’en dépit des sévères réductions d’effectifs constatées au cours des cinq dernières années, la production par travailleur a reculé : de 497 tonnes en 2007 à 481 tonnes en 2012.

Une autre constatation de l’étude est que la production mondiale reste très fragmentée, dès lors que depuis 2000, en dépit des fusions et des rapprochements, les dix premiers aciéristes n’assurent à eux seuls que 27 % de la production mondiale, un taux quasiment inchangé au long de la période. Dans ce contexte de crise, les entreprises sidérurgiques européennes réduisent leurs investissements, multiplient appels au marché et cessions pour maitriser autant que possible leur endettement et surtout abaissent fortement leurs besoins en fonds de roulement. Le meilleur indicateur d’activité dans la situation actuelle reste celui du taux d’utilisation des capacités qui dans l’hypothèse d’un rebond de la demande, à partir de 2014, pourrait remonter à 70 % au terme de l’année suivante, un résultat toujours sensiblement inférieur à ce qu’il était en 2007 (80 %).

Morgan Stanley évalue à présent les surcapacités mondiales à 334 millions de tonnes, pour les deux tiers imputables à la Chine, et celles de l’Union européenne à 27 à quelque 40 millions de tonnes. Plusieurs des interlocuteurs de la commission d’enquête ont rappelé que, chaque année, la Chine crée de nouvelles capacités équivalentes à la production totale du groupe ArcelorMittal ! La sidérurgie chinoise est tellement productive que les volumes d’acier brut des grands acteurs varient constamment à la hausse, au point que certains experts doutent des classements publiés au sujet des entreprises sidérurgiques de ce pays. Ainsi, le premier producteur chinois ne serait plus Baosteel mais Heibei Iron and Steel qui aurait produit, à lui seul, près de 70 millions de tonnes en 2012, il s’agit d’un groupe basé à Pékin à qui les habitants reprochent d’ailleurs de polluer fortement l’atmosphère de la capitale. Un autre producteur de Mandchourie, l’entreprise Anhan Steel, aurait aussi déjà dépassé la production de Baosteel.

Dans le secteur de l’aluminium, des surcapacités sont également importantes. Le cabinet Roland Berger a mis l’accent sur les surcapacités chinoises et conclut qu’au final la surcapacité mondiale ne devrait se résorber que très lentement à la faveur de la croissance de la demande en Asie.

2. La conséquence : les nouvelles empreintes mondiales

M. Olivier Dufour a souligné que Rio Tinto Alcan avait abandonné ses usines en Australie et réduit sa production d’aluminium de 4 à 2,5 millions de tonnes. Cette nouvelle empreinte mondiale nécessite d’ajuster les effectifs, y compris de recherche. En outre, l’écart se réduisant avec les technologies de Chine et du Moyen-Orient, le marché naturel de Rio Tinto Alcan pour la construction de nouvelles usines d’aluminium diminue considérablement. Afin de se tourner vers l’innovation ouverte, l’entreprise multiplie les projets avec les universités et d’autres sociétés. Même si la France continue de représenter, environ 60 % de l’effort de recherche total du groupe dont le centre névralgique est à Voreppe, l’ajustement à cette nouvelle empreinte mondiale risque évidemment d’entraîner une réduction du budget global de recherche, avec une révision des organisations et des modes de fonctionnement.

Enfin, le marché étant mondialisé, les changements de localisation des sites de production aboutissent à la création de capacités en dehors du continent européen, comme l’a rappelé le ministre.

B. – …OU LE MYTHE DES SURCAPACITÉS ?

Les syndicats et les cabinets d’experts qui leur sont proches s’inscrivent en faux contre l’existence de surcapacités.

M. Philippe Morvannou, du cabinet Syndex s’élève contre cette analyse : « en ce qui concerne l’équilibre entre l’offre et la demande, nous ne partageons pas le discours partout entendu au sujet d’une surcapacité ; bien au contraire, depuis 2007, 40 millions de tonnes ont été fermées. Si le caractère temporaire de certaines fermetures, à la différence d’un site comme celui de Florange que nous classons « fermé » pour sa filière liquide, se confirme, il manquera encore 20 millions de tonnes. Devant ce phénomène, les pays sont inégalement touchés, certains ont gagné en productivité pendant la crise ; ces gains leur permettent de rester performants ».

M. Gwenaël Le Dily, du cabinet Secafi Alfa est plus nuancé : « on ne perçoit, du moins s’agissant de l’Europe, qu’un faible potentiel de redémarrage ». Un espoir est toutefois possible : « on relève néanmoins des signaux positifs de reprise en Amérique du nord et en considérant quelques petits signes concernant l’Europe, le point bas ou point d’inflexion n’est sans doute pas loin, d’autant que les stocks y sont désormais faibles. Le redémarrage est possible, voire proche ».

Selon M. Philippe Verbeke (CGT) « le succès du lobbying patronal auprès du commissaire européen M. Antonio Tajani a permis à ce dernier d’affirmer le 16 mai à Bruxelles, l’existence de surcapacités structurelles dans l’acier européen, encourageant ainsi de nouvelles fermetures…la CGT réaffirme, comme les experts des cabinets Secafi et Syndex et comme le rapport de M. Pascal Faure, qu’il n’y a pas de surcapacité structurelle de production d’acier en France et en Europe. Les Etats généraux de l’industrie, organisés par le gouvernement précédent, avaient évalué à 20 millions de tonnes annuelles le besoin de production d’acier en France. La production est actuellement d’environ 16 millions ! »

M. Alain Larose, secrétaire national de la Fédération générale des mines et de la métallurgie (FGMM-CFDT) lui a fait écho : « s’agissant de l’acier, les capacités de production en Europe ont été ajustées par des fermetures de sites et l’arrêt temporaire d’installations ou le ralentissement de la production. Il y a lieu aujourd’hui de s’inquiéter pour la pérennité des installations arrêtées ou dont la production a été réduite. Il n’y a pas de surcapacité. Lorsque la consommation d’acier redémarrera, l’Europe ne pourra pas faire face à la demande et deviendra importatrice.

M. Walter Broccoli (FO) a rappelé que « l’an dernier, 60 000 tonnes d’acier ont été importées de Russie en France via Fos-sur-Mer. Il s’agissait d’importations ponctuelles car nous étions dans l’impossibilité de produire pour nos clients le matériel demandé. Cela veut donc dire que si le site de Dunkerque se trouve incapable de nous fournir, Mittal importera ponctuellement de l’acier depuis l’extérieur de l’Europe. En juillet 2011, celui-ci ayant décidé d’augmenter de 18 % ses prix sur l’acier d’emballage, nous avons perdu 30 à 40 % de parts de marché en quelques semaines : les Italiens, par exemple, ont annulé leur contrat et acheté des produits chinois ».

Votre rapporteur apprécie le sérieux de cette analyse, qui tranche avec la vision à court terme de M. Mittal, sans perspectives industrielles.

En matière de surcapacités, la France a déjà fait des efforts considérables, si bien que nous sommes désormais à l’étiage : il ne reste plus que Dunkerque, Florange et Fos-sur-Mer pour l’acier et Dunkerque et Saint-Jean-de-Maurienne pour l’aluminium. Il est exclu d’aller au-delà et d’accepter de nouvelles fermetures.

IV. — LES DÉVELOPPEMENTS RÉCENTS

A. – ARCELORMITTAL : UNE POLITIQUE QUI SACRIFIE L’AVENIR DE L’ENTREPRISE À LA RENTABILITÉ IMMÉDIATE

Les inquiétudes générées par la politique d’ArcelorMittal sont d’autant plus justifiées qu’il possède en France les trois sites de production d’acier plat, ce qui crée une situation de monopole au niveau national.

1. La fermeture de Florange et l’accord avec le gouvernement français

L’annonce de la fermeture des deux hauts-fourneaux est intervenue le 1er octobre dernier, lors de la réunion du comité central d’entreprise d’ArcelorMittal.

Cette décision a été d’autant plus mal vécue que la sidérurgie a une puissance industrielle historique en Lorraine, qui a largement influencé son développement, contribuant ainsi à la création de richesse et à une forme d’appartenance culturelle. Comme l’a souligné M. Denis Jacquat, membre de la commission d’enquête, député de Moselle, « chaque Lorrain a un haut-fourneau dans la tête », citant M. Jacques Chérèque, ancien ministre mais ancien sidérurgiste qui fut également nommé préfet en charge de la réindustrialisation d’une région durement affectée depuis 1960 par des restructurations et mutations importantes, non seulement dans la sidérurgie, mais dans d’autres secteurs. Ainsi, pour la seule sidérurgie, 95 000 emplois ont été perdus entre 1975 et 1999 (35). ArcelorMittal est le plus gros employeur du bassin d’emploi.

À la demande du gouvernement français, la direction du groupe a accepté de lui accorder un délai de 60 jours pour trouver un repreneur pour ces deux installations. Aucune solution n’ayant été trouvée – alors que plus de cent sidérurgistes dans le monde ont été démarchés, comme l’a précisé M. Faure à la commission – un accord a été conclu le 30 novembre entre le gouvernement et ArcelorMittal.

L’arrêt des hauts fourneaux, prévu par cet accord, a été entériné par un comité central d’entreprise et est intervenu au mois d’avril dernier. La procédure complète de mise « sous cocon » de l’usine à chaud, fin juin, comprend l’arrêt et la consignation de toutes les installations de la phase liquide de Florange, ainsi que leur mise en sécurité au sein du site.

L’accord prévoit également qu’il n’y aura aucun licenciement sec, 206 salariés (sur 629 salariés concernés) ayant atteint l’âge de la retraite et les autres devant être reclassés. Le groupe s’est engagé à investir 180 millions d’euros en 5 ans dans la filière à froid. La situation sera réexaminée dans 6 ans et les activités d’emballage seront concentrées à Florange pour les 5 prochaines années.

Le 22 avril, le groupe a annoncé 32 millions d’euros supplémentaires d’investissements dans un programme par le biais d’un partenariat public-privé, mais les possibles applications industrielles n’en seront pas connues avant 6 ans, durée de la mise « sous cocon » des hauts fourneaux (36). Les installations de la phase liquide seront mises « sous cocon » dans leur état actuel afin de réaliser un démonstrateur industriel dérivé de technologies de type Ulcos, un projet-pilote visant à produire de l’acier peu émetteur de CO2.

Selon la presse (37), le groupe concentrera les activités de l’amont du packaging de l’entité « Atlantique et Lorraine » sur Florange, en échange, l’activité amont de l’usine de Basse-Indre sera mise en arrêt ainsi que l’activité de recuit d’Ebange, en fonction de l’optimisation des carnets.

Le gouvernement a mis en place un comité de suivi dirigé par M. François Marzorati, ancien sous-préfet de Thionville, qui suit le dossier depuis plusieurs années et a la charge de vérifier que l’accord est effectivement respecté.

2. Les explications de M. Mittal

M. Lakshmi Mittal a été auditionné le 17 avril par la commission d’enquête.

Votre rapporteur avait à cœur de lui poser de nombreuses questions sur la fusion avec Arcelor et sur ses promesses faites aux différents gouvernements depuis 2006, les possibilités de maîtriser la dette du groupe, les investissements prévus dans l’accord avec le gouvernement, l’effort de recherche-développement.

M. Mittal a affirmé que la fusion était la plus réussie intervenue dans la sidérurgie, et que si Arcelor et Mittal Steel étaient restés deux entreprises distinctes, elles auraient fait face plus difficilement à la dégradation du climat économique.

Il a fait valoir qu’avant la fusion entre Arcelor et Mittal Steel, pour créer le premier groupe sidérurgique du monde, Arcelor avait déjà conçu le « plan Apollo », qui consistait à investir en priorité dans la production des phases liquides des deux principaux sites Dunkerque et Fos, alors que les usines continentales situées plus près des clients devaient se consacrer sur la transformation de l’acier et l’amélioration de la qualité des produits et services : « dans ce cadre, la fermeture des hauts-fourneaux de Florange était programmée pour 2010. Au moment de la fusion, nous avions indiqué au gouvernement français que nous suivrions le plan d’Arcelor ». L’échéance a ensuite été repoussée au-delà de 2010 en raison de l’augmentation de la demande mondiale, jusqu’à la crise de 2008.

Il a ajouté que, du fait de cette crise et du changement structurel que subit l’Europe, le secteur « plats carbone Europe », qui représente à lui seul environ 75 % des activités du groupe en France, a enregistré une perte de 2,8 milliards d’euros en 2012, avec une dépréciation de 2,5 milliards de ses actifs européens : « bien que le groupe puisse faire face à cette situation à court terme, cela n’est pas viable à long terme, en particulier tant que l’économie des pays les plus importants reste fragile. L’acier est une industrie à forte intensité capitalistique et la rentabilité est essentielle pour pouvoir continuer à investir dans de nouveaux produits et de nouvelles technologies qui sont garants de l’avenir de nos usines. Il est apparu évident que, pour assurer un avenir à long terme à nos activités en France, nous devions reconfigurer notre empreinte industrielle pour répondre à la demande du marché de la manière la plus compétitive qui soit…

Cela ne veut pas dire que nous ne voulons pas continuer à produire de l’acier en France. Nous le voulons…

La société ArcelorMittal Atlantique et Lorraine a perdu 350 millions d’euros depuis 2008, dont 210 millions d’euros en 2012. Une telle situation n’est pas soutenable… 

... Florange est l’emplacement où nous avons le moins besoin d’un haut-fourneau et nous pouvons transférer son activité vers d’autres sites, plus compétitifs, parce que situés sur les côtes où le chargement des bateaux va directement à l’usine … Historiquement, la présence de mines de charbon et de fer justifiait l’implantation de Florange, mais aujourd’hui, nous devons importer la matière première et cela coûte cher.»

La résorption de la dette implique de continuer à améliorer la compétitivité. « Ces dernières années, nous nous sommes délestés de nos actifs non stratégiques, nous avons taillé dans nos coûts. Nous avons réduit nos programmes d’investissement et diminué les dividendes versés aux actionnaires. Nous avons également levé des capitaux en début d’année. Notre objectif à moyen terme est d’abaisser la dette de 15 milliards de dollars, et à court terme à 17 milliards, un niveau satisfaisant pour le groupe ».

Il a en outre fait valoir que le groupe continuait d’investir dans d’autres sites en France ; si 35 % de la production européenne des aciers plats du groupe sont réalisés en France, seulement 9 % environ y sont consommés, le reste est exporté : le groupe est un exportateur net d’acier.

Depuis 2006, le groupe a investi 1,1 milliard d’euros dans les deux usines de Dunkerque et de Fos, les deux plus grandes usines en France, avec des capacités de production respectives en acier brut de 7 millions de tonnes et de 4 millions de tonnes. Elles sont jugées idéalement situées pour l’approvisionnement en matières premières et pour l’exportation des aciers vers les pays voisins. De ce fait, à Dunkerque, la plupart des départs seront remplacés ; en 2013, environ 200 personnes devraient quitter l’entreprise en raison de départs naturels. Dans les sites hautement spécialisés de Châteauneuf et du Creusot, le groupe a investi 28 millions d’euros et à Saint-Chély-d’Apcher, 90 millions d’euros.

Concernant la recherche-développement, M. Mittal ne s’est pas clairement engagé, même s’il a affirmé que le groupe était un leader de la recherche-développement : « nous allons nous attacher à rendre [nos implantations] plus efficaces et à les adapter aux exigences de nos clients. Nous n’avons pas l’intention de gâcher nos efforts en R&D dans des projets sans avenir… s’agissant de la sidérurgie, nous ne prendrons pas de risque en R&D ». Les centres de recherche en France d’ArcelorMittal comptent près de 800 chercheurs sur un total de 1 300 dans le monde.

Notre collègue Gérard Terrier s’est déclaré sceptique, le groupe consacrant à la R&D 0,38% de son chiffre d’affaires en 2011, Nippon Steel entre 1 % et 1,2 % et le coréen Posco plus de 1,5 % ; en valeur absolue, il a dépensé 322 millions de dollars là où Nippon Steel, le coréen Posco et le chinois Baosteel, en ont dépensé  respectivement 593, 470, et 689 millions de dollars. Il s’est demandé si ces évolutions n’étaient pas la cause du retard pris dans la production de l’Usibor qui a valu à ArcelorMittal la perte du marché des aciers spéciaux de Volkswagen.

Par ailleurs, votre rapporteur a pu constater que le centre de recherche de Maizières-Lès-Metz souffre d’une stagnation de ses moyens, tant financiers qu’humains si bien qu’il se livre plus à des activités d’assistance technique que de recherche, évolution extrêmement préjudiciable pour l’avenir, et qui rompt avec une époque où la recherche était privilégiée. Cette évolution a d’autant plus indigné les commissaires qu’ArcelorMittal a reçu de la France quelque 140 millions d’euros de crédit impôt recherche au cours des trois dernières années, sans que l’État ait exigé la moindre contrepartie.

SOMMES PERÇUES AU TITRE DU CRÉDIT D’IMPÔT RECHERCHE

En millions d’euros

2008 (38)

2009

2010 (39)

2011

2012

16,8

24,7

28,8

35,6

35

L’abandon du projet Ulcos, au motif qu’il n’était pas techniquement viable, ne peut que susciter des interrogations et une déception de la part de la commission, même si M. Lakshmi Mittal s’est engagé à apporter 13 millions d’euros pour trouver une alternative et à publier une feuille de route pour les 5 ou 6 prochaines années pour le projet Lis. Comme l’a souligné notre collègue Michel Liebgott, député de Moselle, « ce projet ne doit pas être un enterrement de première classe et il faut éviter le pire qui serait de laisser la friche industrielle à la charge de la collectivité locale dans quelques années. ». Mme Anne Grommerch s’est demandée s’il n’y avait pas « décalage entre le discours et la réalité » rappelant que « la déception a été très grande quand ArcelorMittal a annoncé l’abandon du projet Ulcos ; il faut impérativement que les hauts-fourneaux soient maintenus sous cocon le temps de travailler sur un nouveau projet ».

Quant aux défaillances de la gouvernance à propos de laquelle des questions lui ont été posées, notamment sur le mépris ressenti par les salariés, comme l’a indiqué M. Francois Brottes, président de la commission des affaires économiques, M. Lakshmi Mittal a fait savoir que le groupe avait des standards élevés en matière de gouvernance et de transparence et que lui-même croyait à la vertu de la communication. Toutefois, votre rapporteur doute que le site Internet à destination des salariés, et que le recours à la visio-conférence tous les trois mois avec ses « meilleurs » employés auxquels il a fait allusion soient suffisants pour établir un réel dialogue, en tout cas de nature à rassurer les personnels en période de crise aigüe comme celle que nous connaissons.

3. Des analyses différentes

La position de M. Lakshmi Mittal suscite des commentaires variés.

a) Des décisions explicables…

M. Francis Mer, tout en soulignant que, lorsqu’il était président d’Arcelor, il n’aurait jamais accepté un rapprochement avec Mittal et s’en serait protégé bien avant (« nous savions ce qui se préparait puisque nous connaissions les résultats ») a souligné que « les sidérurgistes actuels doivent se positionner par rapport aux marchés de demain et non à ceux d’avant-hier … il est de notre devoir d’industriels, pour minimiser les pertes et retrouver au plus vite les gains indispensables à la survie du métier, de serrer les boulons, c’est-à-dire de réduire les capacités les moins bonnes et de concentrer sur les meilleurs outils l’essentiel de la production afin d’optimiser les coûts, donc les résultats, même en période de pertes. C’est ce qui s’est passé à Florange ».

Le risque que Mittal quitte l’Europe ne lui parait pas réel : « ... jamais Mittal ne mettra fin à ses activités françaises, parce qu’il sait que ses meilleures usines européennes sont en France ». Il estime que MMittal ne veut pas sacrifier la production d’acier ni ses sites européens, cœur de son activité sidérurgique, même s’il revend pour réduire son endettement, qui est très élevé- il cherche à vendre en Bulgarie-. Son objectif est de concentrer la même production sur un plus petit nombre de sites. Pour M. Francis Mer, « Mittal veut combler ses pertes et retrouver la meilleure rentabilité possible, non pour l’argent, mais pour continuer de grandir. Il est à mes yeux l’archétype de l’entrepreneur qui prend des risques, qui ne réussit pas à tous les coups, qui se casse la figure, qui cherche en permanence à rebondir, parce que sa raison d’être est d’entreprendre : de construire et de reconstruire. Parti de zéro, il a bâti la première entreprise sidérurgique mondiale : ce n’est pas mal, même si son groupe est fait de bric et de broc puisqu’il a beaucoup acheté à mauvais escient. Il va continuer à entreprendre ; n’imaginez donc pas qu’il cherche à quitter l’Europe, car son but est de réussir partout, peut-être jusque dans son pays d’origine, ce qui suppose des fondements solides, notamment sur notre continent ».

Toutefois, cette politique d’achats n’a pas toujours été judicieuse. Depuis 1973, le nombre des groupes miniers, qui n’était pas très élevé – a encore diminué : « quatre ou cinq mineurs au monde font la pluie et le beau temps en matière de prix – un Canadien, un Brésilien, deux Australiens, un Suisse ». Avant le choc pétrolier, tous les sidérurgistes cherchaient à s’intégrer en amont, ensuite ils ont dû vendre parce qu’ils perdaient de l’argent, et ils ont préféré vendre une mine, plutôt qu’une activité sidérurgique. «... puis, pendant six ou sept ans, les sidérurgistes, Mittal en tête, se sont de nouveau enflammés pour l’intégration en amont. Mais Mittal a mal acheté ».

M. Francis Mer a aussi noté, parmi les points faibles du groupe, outre l’importance de la dette, la mauvaise qualité des relations sociales, estimant que l’Etat pouvait faire valoir auprès de M. Mittal qu’il n’avait guère de contacts avec le personnel, que les départs étaient nombreux et que l’on risquait de ce fait de perdre de la matière grise en France comme en Belgique. Il est nécessaire que le manager de terrain et son personnel et leurs représentants soient à armes égales : « dans le cas contraire, le manager, perpétuellement aspiré par le haut, a peur du terrain, alors que c’est de ce dernier que dépend la performance d’une entreprise et non du patron ».

De nombreux interlocuteurs ont confirmé à votre rapporteur que le climat était détestable, que les jeunes quittaient le groupe faute d’avenir visible, et que le même malaise se ressent en haut de la hiérarchie. Les équipes de direction ont perdu toute autonomie, un collaborateur direct de M. Mittal se trouvant dans chacune des usines du groupe.

M. Pascal Faure s’est demandé devant la commission d’enquête si ArcelorMittal avait privilégié la logique spéculative en investissant en amont, dans la mine : « en toute honnêteté, je ne pense pas qu’on puisse l’en accuser, dans la mesure où les marges dégagées grâce à la mine ont permis de soutenir les investissements dans la sidérurgie ; dans une certaine mesure, la mine a servi la sidérurgie. La question est maintenant de savoir si M. Mittal va continuer à investir dans son outil sidérurgique ou s’il va le laisser en déshérence… c’est pourquoi l’Etat a insisté auprès de M. Mittal pour qu’il prenne des engagements en matières d’investissements sur les sites sidérurgiques…Il ne faut pas faire de procès d’intention à l’entreprise, même si la vigilance s’impose ». D’ailleurs M. Mittal a justifié l’investissement dans Baffinland par la qualité de ce minerai de fer. M. Pascal Faure formule toutefois une réserve, indiquant que « le choix de concentrer la capacité d’investissement sur le secteur minier bien au-delà de la part qu’il représente dans le chiffre d’affaires n’est pas exempt de risques à moyen terme. ArcelorMittal relève dans son rapport d’activité que le secteur des métaux et de la mine a décliné de 34% en 2022, chiffre finalement assez proche de l’acier (-39%) ».

Quant à l’application de l’accord signé avec l’Etat, selon M. Pascal Faure, « il devrait être possible d’établir un dialogue de qualité avec le management local de l’entreprise. Il faut rester vigilant, bien sûr, mais tous les éléments sont réunis pour que cela se passe bien. Il faut le dire aux 2 600 employés de Florange, qui sont très inquiets, non seulement en raison des menaces qui pèsent sur leurs emplois, mais aussi parce que cela fait des années qu’ils n’ont aucun visibilité sur l’avenir – et chacun sait à quel point cela peut être anxiogène ».

D’ailleurs, M. Arnaud Montebourg a affirmé à la commission que l’accord était respecté.

Le plan a des résultats concrets ; le lancement d’Usibor « grande largeur, acier de haute qualité » destiné à l’industrie automobile, est évidemment le résultat d’un travail de longue haleine – de plus de 20 ans -, mais aussi d’investissements récents ; d’autres seront réalisés pour remplacer les moteurs du train à chaud afin de produire cet acier avec une meilleure qualité.

M. Pascal Faure a estimé que la mise « sous cocon » était la moins mauvaise solution pour maintenir durablement à l’arrêt l’outil industriel et éviter qu’il ne soit détruit notamment par le gel : « de toute façon, les deux hauts-fourneaux de Florange arrivaient en fin de cycle d’investissement et avaient besoin d’une rénovation lourde dans un horizon de 3 ans ».

Il a également souligné que la répartition de la charge de travail et la définition d’éventuelles spécialisations pour les sites sont le vrai problème qui se pose au groupe : « j’estime que Dunkerque est actuellement le meilleur site d’ArcelorMittal en Europe …Fos vit en ce moment une période de transition, avec un changement de génération et la perte des savoir-faire initiaux. Florange dispose d’atouts incontestables, les principaux étant la proximité des clients – l’industrie automobile, pour une grande part – et son savoir-faire en matière d’accès de haute technicité. L’emballage pose plus de problèmes, car le marché est difficile, les marges sont très faibles et l’acier est concurrencé par d’autres produits, comme l’aluminium….En France, les activités d’emballage sont implantées à Basse-Indre et à Florange. La décision de transférer l’amont de la chaîne de production de Basse-Indre à Florange pour la mutualiser ne remet pas en cause l’avenir du site, bien au contraire – quoiqu’il existe une incertitude concernant l’utilisation du chrome hexavalent, qui fait partie des substances dont le règlement Reach a prévu l’interdiction : un investissement sera donc nécessaire si l’on veut maintenir intacte la capacité de production de Basse-Indre. D’autre part, il m’a été dit que les emplois touchés par ce transfert seraient des emplois non permanents : cela ne nuira pas structurellement à l’entreprise. Le dispositif français ne semble pas menacé ».

La R&D est fondamentale pour l’avenir, et il convient d’être vigilant, car en quasi-totalité les moyens de recherche, du fait des agrégations successives, se trouvent aujourd’hui au sein d’ArcelorMittal : « Je pense que le site de Florange a un sens, avec ou sans hauts-fourneaux, mais à une condition : qu’il soit exploité par un opérateur de sidérurgie capable, grâce à de la R&D ou à des brevets, d’entretenir son point fort, qui est la production d’aciers de haut de gamme ; cela suppose des investissements réguliers ».

b) …mais qui ne doivent pas masquer les grandes difficultés du groupe

M. Marc Rohfritsch, chef du bureau « matériaux du futur et nouveaux procédés » à la DGCIS a mis l’accent sur la dette « colossale » d’ArcelorMittal, qui après avoir atteint 25 milliards de dollars, s’établit encore à un peu moins de 20 milliards. Elle est notamment due aux achats d’actifs miniers en haut de cycle, ce qui lui a coûté très cher ; mais étant donné la situation d’oligopole de trois sociétés dans le commerce international de minerai de fer, il s’agissait d’une question cruciale pour le groupe. « À la fin de l’année 2012, il a levé 4 milliards de dollars par une offre combinée d’actions et d’obligations. Sa trésorerie est bonne ; bien que la note de sa dette ait été dégradée en catégorie spéculative, les analystes financiers considèrent qu’elle reste soutenable. ArcelorMittal examine même la possibilité de racheter, en partenariat avec un autre sidérurgiste, les actifs de ThyssenKrupp aux États-Unis, dont la valeur se situerait entre 1,5 et 2 milliards d’euros. L’objectif est de ramener d’ici trois à quatre ans la dette à un niveau permettant à ArcelorMittal de sortir de la catégorie spéculative et de pouvoir se financer à des taux plus intéressants ». Comme le fait remarquer M. Pascal Faure, la notation d’ArcelorMittal est comparable à celle de ThyssenKrupp et de bien d’autres sidérurgistes : ils sont nombreux à être mal notés.

M. Pascal Faure fait remarquer dans son rapport que si le niveau relatif des investissements courants n’a sensiblement diminué depuis la reprise par Mittal en 2006, le site n’a pas bénéficié de beaucoup d’investissements de transformation ou de croissance. Les priorités affichées concernent la sécurité du personnel, l’amélioration de la compétitivité coût, l’accroissement de la ressource minière, la réduction de la dette et les opportunités de croissance sur les marchés émergents. Il souligne que : « la stratégie financière de court terme mise en œuvre pour tenter de maintenir le cours de l’action, recourir le moins possible à l’endettement, conserver une notation lui permettant d’emprunter à des taux acceptables fait passer au second plan la stratégie industrielle de long terme et oriente vers une politique d’investissement axée sur les secteurs les plus immédiatement rentables ».

M. Marcel Genet, président de Laplace conseil, a fait une peinture sombre du groupe.

Ses problèmes remontent à sa constitution dans les années 1990 et au début des années 2000 : M. Lakshmi Mittal avait racheté une série de sociétés en Europe, aux États-Unis, en Afrique du Nord, en Afrique du Sud et, indirectement, en Amérique latine, dont la plupart connaissaient déjà de graves difficultés. « Les usines d’Europe centrale avaient été négligées par le système soviétique. Techniquement obsolètes, elles ne répondaient à aucune norme environnementale, et elles enregistraient des sureffectifs massifs. M. Mittal a pourtant été le seul à oser reprendre ce type d’entreprise. Aux États-Unis, Bethlehem Steel, LTV Steel ou Inland Steel étaient techniquement en faillite – l’État américain les avaient sauvées après avoir épongé leurs dettes de pension non provisionnées. La mécanique à l’œuvre n’était certes pas celle observée en Europe de l’Est, mais le résultat économique était similaire. Après avoir « nationalisé » l’essentiel de leur sidérurgie intégrée, les Américains l’ont vendu à M. Mittal et, à quelques exceptions près, les usines américaines se trouvaient dans le même état de délabrement que celles de l’ancien bloc soviétique ».

Or ces rachats ont coïncidé avec l’émergence de la Chine et la hausse considérable du prix des matières premières, qui a permis aux groupes miniers d’engranger des rentes considérables ; de ce fait, « le groupe [de M.Mittal] a pu faire des profits considérables malgré l’obsolescence technique de ses usines. À cette époque, M. Mittal a consenti de lourds investissements, mais aurait-il consacré la totalité du cash-flow du groupe à moderniser les usines acquises que ces fonds auraient été insuffisants. En tout état de cause, il ne pouvait ni moderniser en totalité ni restructurer l’ensemble des usines dont il était devenu propriétaire, d’autant qu’à l’exception d’Arcelor, qui était déjà largement restructuré, toutes les unités concernées se trouvaient en très fort sureffectif. Aujourd’hui encore, sur les 240 000 personnes employées par ArcelorMittal, on en compte entre 100 000 et 150 000 de trop pour que les entreprises fonctionnent normalement.

Actuellement, le problème est d’autant plus considérable que les conditions économiques ne sont plus celles qui prévalaient jusqu’au milieu de l’année 2008. Les prix des matières premières restent élevés par rapport aux normes historiques, mais ils ne progressent plus – ils déclinent même progressivement. On estime que le minerai descendra sous la barre de 100 dollars la tonne, et le charbon sous celle des 150 dollars. Les profits miniers seront en conséquence beaucoup plus faibles. En 2011, la marge brute de la division minière d’ArcelorMittal s’élevait à environ 2,5 milliards de dollars ; en 2012, elle est de l’ordre de 1,2 milliard. Faute de cash-flow, le groupe n’est donc plus en mesure de moderniser toutes ses usines. Malgré ses efforts pour réduire sa dette, elle reste très élevée, soit 18 milliards de dollars. Les agences de notation financière la classent au niveau spéculatif BB-. Autrement dit, la probabilité de défaillance est assez élevée – même s’il ne s’agit évidemment que d’une probabilité. ArcelorMittal n’est pas une entreprise toute puissante qui agit à sa guise sans se préoccuper du sort des travailleurs ; c’est une entreprise quasiment aux abois qui n’a plus les moyens d’entretenir convenablement toutes ses usines.

La situation ne doit pas être examinée sous le seul angle idéologique ou politique du rapport de force entre le capital et les travailleurs. Il faut la voir d’abord sous un angle économique. M. Mittal n’est pas qu’un capitaliste richissime qui tire sa richesse de la sueur des travailleurs ; il est le propriétaire d’une société techniquement en faillite : ses obligations latentes dépassent de loin ses actifs ».

Votre rapporteur demandant ce que doit faire la puissance publique,  M. Marcel Genet répond que « le problème est non de savoir ce que peut faire la France pour préserver son industrie sidérurgique mais ce qu’elle fera si ArcelorMittal est en faillite. Le groupe est mondial, tout comme sa stratégie. Or les lois qui s’appliquent dans le monde développé ne permettent pas d’infléchir la politique d’un groupe international qui respecte globalement les règles du jeu. En pratique, l’État ne pourra donc rien faire si M. Mittal décide de fermer tel site – sauf peut-être le convoquer.

On ne peut davantage agir à l’échelon européen. L’article 58 du traité de la CECA de 1952, qui ne s’applique malheureusement plus de nos jours, permettait de décréter l’ « état de crise manifeste » sur une entreprise. L’Union pourrait réactiver certaines dispositions. Cela dit, compte tenu de la situation européenne, obtenir un consensus sur un tel sujet prendra de nombreuses années.

Que se passera-t-il si le groupe ArcelorMittal se déclare, au plan local, en cessation de paiement, ce qui n’est pas impossible ? Sa dette est classée B à B–. La conjoncture mondiale va continuer de se détériorer. Il n’est donc pas impossible qu’on cesse de lui prêter. À tout prendre, les problèmes que rencontre la Lorraine ne sont pas si graves, au sens où la France a la capacité d’absorber le choc économique qu’entraîneraient une ou plusieurs fermetures. La situation serait plus compliquée en Europe centrale. La première chose à faire est donc de vous rapprocher de vos homologues roumains, polonais ou tchèques pour savoir ce qu’ils feraient, le cas échéant.

J’essaie de m’abstraire du problème social, car je pense qu’on ne peut le résoudre que si l’on a réglé au préalable la situation économique ou politique. Commençons, comme l’ont fait les États-Unis, par compter les actifs et les passifs du groupe. Si l’on prend en compte le passif social latent lié aux fermetures inévitables dans une situation de surcapacité, au licenciement de 100 000 employés surnuméraires et à la dépollution, en Roumanie, de quarante kilomètres carrés et à peine moins en Wallonie, en Lorraine, au Luxembourg, en Espagne, il est manifeste que le passif excède l’actif. C’est pourquoi les agences de notation ont dégradé la dette.

Paradoxalement, ceux qui s’opposent le plus à M. Mittal sont aussi ceux qui surévaluent sa puissance, tandis que les milieux financiers, qu’on pourrait croire en phase avec ce grand capitaliste, se montrent plus sévères. J’ai prévenu mes amis syndicalistes des cabinets Syndex ou Secafi Alfa : s’ils veulent peser sur ses décisions, ils doivent renoncer au combat social, qui, sans être illégitime, est inefficace, puisqu’il se limite à l’échelon national, alors qu’ArcelorMittal est un groupe mondial. Au reste, même au plan national, la solidarité entre Fos, Dunkerque et la Lorraine n’a pas été très forte.

Le seul moyen de peser sur la politique d’ArcelorMittal est d’utiliser les arguments de la logique capitaliste, ce qui suppose d’évaluer convenablement l’actif et le passif, que quelqu’un devra bien finir par payer. Après la crise de 1980, la France a nationalisé Usinor-Sacilor. Une partie des pays d’Europe, dont la France, a fait son travail. Les autres doivent s’y mettre. Il n’est pas impossible de créer une solidarité au niveau européen entre les deux groupes de pays. Pour l’heure, il faut dire la vérité : le roi est nu. Cette évidence peut enclencher un mouvement de défiance non seulement parmi les syndicalistes ou les hommes politiques, qui craignent une faillite, mais dans l’ensemble du monde financier. Demandez-vous de manière réaliste ce que vous ferez si – ou quand – le groupe ne pourra plus assumer ses responsabilités. Idéalement, il faudra que l’État– car il est difficile d’imaginer aujourd’hui une solution européenne – reprenne non seulement Florange mais aussi la totalité des sites d’ArcelorMittal en France. Ne vous demandez même pas s’il faudra ou non le faire ; préparez-vous à le faire ! »

Les syndicats sont tout aussi critiques à propos l’inadaptation de la politique d’ArcelorMittal. M. Philippe Verbeke (CGT) dénonce « l’incohérence de la politique industrielle et sociale de M. Lakshmi Mittal, ainsi que le processus rampant de délocalisation qui est à l’œuvre, non seulement en France, mais en Europe ». Il met l’accent sur « les incohérences dans les flux de métal au sein d’ArcelorMittal Atlantique et Lorraine et sur le bassin méditerranéen, dépendant de plusieurs fournisseurs, ce qui occasionne retards et ruptures d’approvisionnement, au détriment du client ». » La nouvelle organisation mise en place à la suite de l’accord signé avec l’Etat « est un non-sens industriel et économique…ce projet risque à terme de déstructurer l’ensemble des sites du groupe en France…Nous subissons une politique de la marge au détriment des volumes. Il faut inverser ce processus ».

M. Frédéric Souillot (secrétaire fédéral FO Métaux) juge l’accord signé avec le gouvernement « sans intérêt et voué à l’échec sur le plan industriel ou économique ». Pour M. Walter Broccoli (FO), « le plan industriel de M. Mittal détruit l’usine de Basse-Indre et menace ses 550 emplois ainsi que ce qui reste de l’usine de Florange. Les incohérences sont nombreuses et mettent en péril les usines…l’usine de Fos-sur-Mer est aussi en danger parce qu’elle est mise en concurrence avec les usines espagnoles où les coûts sont inférieurs de 10 %. La délocalisation de la production est en cours. L’usine de Fos ne peut pas être bénéficiaire si elle ne produit pas 4 millions de tonnes par an. Or, elle n’y parvient pas aujourd’hui ».

Quant à la gouvernance de l’entreprise, lors du déplacement de la commission d’enquête à Dunkerque, l’ensemble des syndicats a mis l’accent sur le fait que les organisations syndicales n’étaient pas associées aux projets et a dénoncé maints dysfonctionnements en termes d’organisation du travail.

La plupart d’entre eux soulignent la nécessité de la recherche et sont très soucieux des évolutions prises dans ce domaine. M. Alain Larose réclame la pérennité en France de la R&D, et donc du centre de Maizières-lès-Metz. M. Xavier Le Coq souligne que la stratégie d’ArcelorMittal en matière de R&D n’est pas claire, puisque la direction reconnaît sa nécessité mais diminue le budget du centre de Maizières. M. Frédéric Weber (FO, Florange) rappelle qu’il n’y a pas d’avenir sans R&D et craint, à propos de Lis, que « la France finance le projet de recherche aujourd’hui mais que ses éventuelles applications industrielles soient réalisées demain hors de nos frontières. L’accord conclu entre l’Etat et ArcelorMittal devrait contenir une clause exigeant que le développement de ces dernières se déroule sur le territoire national ».

Le cas d’Industeel France est tout à fait représentatif des inquiétudes liées à l’emploi et à la pérennité des sites, comme l’a indiqué Mme Christèle Touzelet, déléguée centrale CFDT. Appartenant au groupe ArcelorMittal, Industeel France est spécialisée dans la production d’aciers de haut de gamme à très forte valeur ajoutée – une activité qui l’a placée au rang de leader mondial jusqu’en 2009. Elle regroupe les sites du Creusot, de Châteauneuf et de Saint-Chamond et compte 1 175 salariés dont 820 au Creusot et 300 à 350 sur la Loire.

En 2007-2008, Industeel avait enregistré de très bons résultats. Mais en 2009, face à la crise, les concurrents ont privilégié l’investissement pour se placer sur ses marchés alors qu’elle a seulement investi dans l’augmentation de volume à Châteauneuf en 2010, le centre de recherche n’ayant pas suffisamment traité de la recherche et du développement de produits nouveaux.

Entre 2009 et 2012, Industeel a été la seule entreprise à verser à son actionnaire Mittal des dividendes supérieurs à ses investissements, malgré la baisse d’activité enregistrée. En même temps, le site du Creusot a subi un plan de départs volontaires mis en œuvre par ArcelorMittal concernant 115 salariés et ce, sans transfert des compétences.

Entre 2011 et 2012, l’activité semblait reprendre. Mais, précise Mme Christèle Touzelet « en septembre 2012, l’annonce subite du manque de compétitivité des aciéries, qui a conduit à la réalisation d’une étude de réduction des coûts et, parallèlement, la baisse brutale d’activité, ont fait craindre un éventuel transfert de production et la fermeture de l’une des aciéries. En janvier 2013, après la remise du rapport du cabinet d’experts missionné sur le sujet, la direction générale de l’entreprise a fait marche arrière et annoncé qu’aucune étude n’avait été faite dans la mesure où, compte tenu de la charge additionnelle pour Le Creusot et Châteauneuf, l’aciérie du Creusot ne pouvait absorber la production de Châteauneuf. Il a en revanche été clairement annoncé que si Châteauneuf descendait en dessous de 40 000 tonnes annuelles d’acier liquide, la question de la fermeture pourrait à nouveau se poser.

Depuis ces annonces, Industeel au Creusot et à Châteauneuf ne cessent de voir baisser leur activité. Or, malgré une concurrence de plus en plus agressive, la politique de notre direction consiste à conserver les mêmes marges, quitte à continuer de perdre des parts de marché. Il s’ensuit depuis septembre 2012 une baisse d’activité nous ayant conduits à subir une voire deux semaines de chômage par mois dans certains secteurs, ce qui revient en fait à maintenir son niveau de profit en recourant aux aides publiques. Nous ne disposons aujourd’hui d’aucune garantie quant à l’anticipation des départs à la retraite sur cinq ans alors que ceux-ci représentent 23 % de l’effectif global de l’entreprise. Nous sommes très inquiets qu’aucun moyen n’ait été déployé pour assurer la capitalisation et la transmission du savoir-faire. … les autorisations d’embauche se raréfient et la tendance annoncée est à la diminution des effectifs de structure. Il est en effet prévu une réduction de 4 % par an des effectifs pour compenser l’inflation et ce, quel que soit le volume de production. Cela est-il tenable compte tenu des pertes de compétences ? »

Les cabinets Secafi Alfa et Syndex dénoncent également la politique d’ArcelorMittal.

Le cabinet Secafi Alfa dénonce « une volonté de saturation des capacités de production qui amène à des schémas de production incompatibles à moyen terme avec des contraintes internes d’organisation des flux…et les attentes des clients ». Le cabinet Syndex s’élève contre une politique industrielle qui réduit sa base productive au gré des fermetures et des désinvestissements, et qui concentre la production sur quelques sites avec comme corollaire la multiplication des flux.

B. – LES PROBLÈMES EN FRANCE NE SE LIMITENT PAS À CEUX D’ARCELORMITTAL

Un autre sidérurgiste doit faire face à des difficultés : les salariés ont en majorité rejeté les mesures de flexibilité demandées par la direction, et négociées avec les syndicats depuis plusieurs mois. Pour la direction, ces mesures sont indispensables, compte tenu des difficultés financières d’Ascométal, lourdement endetté. A l’automne dernier, S&P et Moody’s l’ont dégradé en catégorie « hautement spéculative » (40).

Concernant la filière cuivre, l’avenir du groupe KME pose question, comme l’a fait remarquer M. Philippe Verbeke (CGT) : « la fermeture qui menace la fonderie du site de Givet est qualifiée de véritable contresens économique par le cabinet Syndex. Là aussi, c’est la finance qui gouverne, avec des économies à court terme pour financer un LBO de 80 millions d’euros (41), au détriment de l’emploi mais aussi des investissements et de la R&D. Comment peut-on laisser faire, alors que cette filière cuivre peut être une référence en termes d’économie circulaire, avec une « recyclabilité » parfaite ? Comment peut-on laisser faire, alors que la filière est porteuse de développements et de débouchés ? C’est ce que démontre la stratégie du groupe allemand Aurubis, dont dépendent déjà en partie les groupes Griset, Wieland et KME, en approvisionnant des demi-produits, à savoir billettes et lingots. Une fois encore, la question de la gouvernance est posée, le groupe Aurubis bénéficiant de l’influence du Land de Basse-Saxe au sein de son actionnariat ». La CFDT, par la voix de M. Alain Larose, a également alerté sur la menace de disparition de l’industrie de la fonte et de la première transformation du cuivre et du laiton, ce qui aurait pour conséquence « des difficultés d’approvisionnement en aval pour les clients – notamment le secteur du bâtiment dépendant des tubes de cuivre produit par le site de Givet du groupe KME menacé de fermeture et la mise en péril en amont du secteur du recyclage des métaux, alors que les réserves de déchets cuivreux qui existent peu en Asie sont un atout pour la France et l’Europe contre les délocalisations » : le site de Givet, dans les Ardennes, employant 320 salariés est menacé, KME représentant 950 emplois sur les 2 500 que compte la métallurgie du cuivre et de ses alliages en France. M. Xavier Le Coq (CFE-CGC) s’est également alarmé de cette évolution.

Le secteur de l’aluminium est également en difficulté, alors que, comme l’a fait remarquer Mme Véronique Roche, déléguée syndicale centrale et secrétaire du comité d’entreprise européen de Rio Tinto (CFE-CGC), la France est le berceau de l’aluminium et le groupe Péchiney y a développé tous les brevets aujourd’hui utilisés dans le monde. L’arrivée à échéance des contrats énergétiques dans les usines de Saint-Jean-de-Maurienne et de Dunkerque fait encourir un risque majeur en l’absence de solutions satisfaisantes.

La CGT, tout en saluant le lancement par le gouvernement d’une vaste réflexion sur le développement de la filière aluminium en France a fait part de son inquiétude, comme le souligne M. Philippe Verbeke : « Le site de Saint-Jean-de-Maurienne n’aurait plus sa place au sein du groupe Rio Tinto au seul prétexte d’une exigence de rentabilité démesurée. Comme Lakshmi Mittal récemment à l’Assemblée nationale, Rio Tinto exerce un chantage sur le coût de l’énergie. L’usine serait sur le point d’être cédée mais sans le laboratoire de recherche, véritable fleuron du savoir-faire et de l’excellence technologique française depuis plus d’un siècle. Rappelons que dans la dernière décennie, 80 % des nouvelles usines en Europe et sur le continent américain utilisent la technologie brevetée à Saint-Jean-de-Maurienne. Le maintien de la R&D dans la fabrication de l’aluminium en France est aujourd’hui menacé. La R&D doit absolument rester adossée aux deux derniers sites de production d’aluminium en France, Saint-Jean-de-Maurienne et Dunkerque ».

De même, M. Jean-Michel Boqueret (CGT) souligne que la vente de l’usine de Saint-Jean-de-Maurienne par Rio Tinto Alcan risquait d’entraîner la séparation du laboratoire et de l’usine,  et donc d’isoler ce centre de recherche. Le problème lié à la recherche et à la valorisation des technologies menées sur le site de Voreppe demeure lui aussi sans réponse, « d’autant plus qu’il est fort probable, dans un avenir proche, que Rio Tinto se désengage complètement du secteur de l’aluminium primaire en France. Or il ne nous paraît pas possible de poursuivre la R&D dans un pays où un groupe n’a plus aucune assise industrielle. Il convient donc, selon nous, d’adosser la R&D restant en France aux deux sites industriels français de Dunkerque et Saint-Jean-de-Maurienne. Car, si depuis 2005 et le rachat de Péchiney par le Canadien Alcan, une bonne partie de cette recherche a traversé l’Atlantique, nous continuons à disposer de compétences de recherche développées et qui ont fait leurs preuves. Péchiney demeure en effet le principal producteur d’aluminium dans de nombreuses parties du monde et 80 % des usines d’aluminium de la planète ont été conçues à partir de la technologie française créée et brevetée à Saint-Jean-de-Maurienne ».

Pour Constellium, nouveau groupe de transformation de l’aluminium en France issu de l’éclatement de Péchiney, M. Philippe Verbeke (CGT) estime que la récente augmentation de la part de l’Etat dans le capital (12,5 %) via le Fonds stratégique d’investissement (FSI) devrait permettre l’arrêt des restructurations et ventes d’usines comme celles en cours de Ham et Saint-Florentin ou celles à venir de Sabart et Ussel, mais que le « dépecage » du système productif français entraîne là aussi un affaiblissement du support de la R&D mondialement reconnue du centre de Voreppe.

Quant à l’inox, Aperam est candidat au rachat de l’usine italienne de Terni que doit céder le groupe finlandais Outokumpu. Deux scénarios sont possibles : si Aperam n’achète pas, cela pèsera sur son avenir ; si Aperam achète, cela ne sera pas sans conséquence sur les sites belges et français du groupe puisque l’organisation et la synergie entre les différents sites devront être repensées.

C. – LA SIDÉRURGIE EUROPÉENNE EN PLEINE RESTRUCTURATION ; UNE CONCURRENCE AIGUE EN EUROPE

1. Une multiplication des crises

Si l’industrie sidérurgique européenne doit aujourd’hui faire face à une situation de crise, elle conserve néanmoins de nombreux d’atouts, en particulier un personnel qualifié et un fort potentiel de recherche. Elle dispose en aval d’une industrie consommatrice d’acier et sait fabriquer des aciers spéciaux qui se vendent à un prix permettant de rentabiliser les unités de production, alors que sur les marchés de commodités, l’acier est vendu à bas prix.

Toutefois, comme l’a fait remarquer M. Arnaud Montebourg, nous assistons à la multiplication des crises dans le secteur : crise de l’acier en Italie, avec la défaillance du groupe Riva, crise de l’acier en Allemagne, consécutive aux difficultés de ThyssenKrupp et fermetures dans trois pays de sites d’ArcelorMittal.

Selon d’autres interlocuteurs, la France et la Grande-Bretagne ont « laissé filer » leur sidérurgie, avec une vraie débandade pour la seconde. L’Allemagne s’en tire bien, en particulier grâce aux nombreux échelons de prise de décision : entreprises, associations diverses, Länder – qui ont des prises de participation – et évidemment l’Etat. La prise de décision y est souvent complexe, avec des discussions longues, mais qui conduisent à un consensus pouvant durer 10 ou 20 ans.

2. L’existence de deux types d’opérateurs en Europe

Quant aux types d’opérateurs en Europe, ils sont au nombre deux, selon M. Pascal Faure : « D’abord, ceux qui, comme Voestalpine, Salzgitter ou Dillinger, ne produisent en Europe que 3 à 5 millions de tonnes d’acier par an – contre 15 millions pour ArcelorMittal et 16 millions pour ThyssenKrupp –, mais qui sont positionnés sur des marchés très spécialisés. Par exemple, Dillinger a fabriqué les tôles fortes épaisses utilisées pour le viaduc de Millau – il n’a que deux ou trois concurrents en Europe – et Voestalpine produit toujours localement une partie de son minerai et s’intéresse essentiellement à des marchés à haute valeur ajoutée.

Ensuite, les gros opérateurs intégrés. On peut comparer de ce point de vue la façon dont ArcelorMittal et ThyssenKrupp se sont structurés. ArcelorMittal s’est construit par agrégations successives, le groupe s’efforçant de réunir sous la même bannière des sites très dispersés – il est aujourd’hui le plus éclaté à travers l’Europe ; ThyssenKrupp, en revanche, produit toute sa fonte à Duisbourg, en Allemagne, et l’acier pour emballage à Rasselstein, ce qui lui permet de réaliser d’importantes économies d’échelle. Toutes choses égales par ailleurs, un dispositif industriel intégré est en général plus rentable économiquement – même s’il faut tenir compte de la proximité du client. Cependant, ArcelorMittal n’a peut-être pas mené sa logique de rationalisation à son terme.

Pour remédier à la surcapacité de production actuelle, il faudra probablement que ces grands groupes abandonnent les sites européens les plus anciens et les moins rentables – notamment en Europe de l’est –, qu’ils définissent un certain  nombre de sites stratégiques et qu’ils investissent massivement dans ceux-ci ».

Les liens qui unissent les deux acteurs dominant le marché européen sont relatifs : « par précaution, les clients, notamment dans l’automobile, préfèrent disposer d’une double source d’approvisionnement, afin de pouvoir faire face à tout type de problème. En conséquence, ArcelorMittal a cédé à ThyssenKrupp l’exploitation sous licence de certains brevets, notamment celui de l’Usibor. Au plan mondial, le principal partenaire d’ArcelorMittal reste toutefois Nippon Steel ; ils viennent d’ailleurs de faire une offre conjointe pour l’acquisition d’une usine sidérurgique appartenant à ThyssenKrupp aux États-Unis.

Pour des raisons de concurrence, les liens s’établissent plutôt entre opérateurs situés sur des continents différents. Il n’était pas de l’intérêt de M. Mittal que le site de Florange soit repris par un tiers ; c’est pourquoi il n’a rien fait pour promouvoir une éventuelle cession. Le ministre a décidé de lancer le processus de reprise pour ne pas perdre une chance de réussir ; nous avons démarché plus de cent sidérurgistes dans le monde, mais sans succès. »

Par ailleurs, M. Pascal Faure a appelé à la vigilance : la concentration devant se renforcer en Europe, il faudra veiller à ce qu’un acteur ne puisse pas privilégier une politique de prix élevés sur une politique de volume, c’est – à dire de gérer la pénurie du marché pour maintenir des prix élevés : « à moyen terme, c’est très risqué, car si un nouvel arrivant casse les prix, tout s’effondre ! »

3. Une concurrence intra-européenne aigüe

Si les productions françaises et européennes sont touchées de plein fouet par la concurrence de la Chine et d’autres pays émergents, la concurrence intra-européenne est également aigüe.

Pour M. Pascal Nerbonne, président d’Ascométal, entièrement localisé en France (42), spécialisé dans la production d’aciers longs spéciaux, le marché est fragmenté, comportant beaucoup d’acteurs, de toutes catégories, dont certains sont performants du point de vue de la technique, d’autres de la compétitivité. Il a quatre ou cinq concurrents sérieux en Allemagne, deux en Italie, un en Espagne, un autre en Angleterre (avec Tata Steel) et un suédo-finlandais. D’ailleurs, pour cette entreprise, les véritables enjeux stratégiques se concentrent sur le marché européen, où elle écoule 90 % de sa production.

En Europe, selon son directeur, M. Gérard Glas, Tata Steel France Rail SA, a des concurrents importants. ArcelorMittal est implanté dans les Asturies ; le marché national espagnol est atone en raison de la crise, cela pousse ce concurrent important à l’international. Il possède également une usine à Katowice en Pologne qui fournit principalement les marchés d’Europe de l’Est et est très présente en Allemagne. S’y ajoute Lucchini en Italie, dans une situation financière difficile, dont la dette atteindrait 700 millions d’euros. Moravia Steel, une société tchèque, également grande exportatrice, est peu présente en Europe de l’Ouest, essentiellement pour des raisons de coûts logistiques. Enfin, son plus sérieux concurrent reste aujourd'hui, Voestalpine, qui possède une unité de production à Donawitz en Autriche, fabriquant environ 500 000 tonnes de rails par an, en se positionnant sur les mêmes segments de qualité, de produits et de marchés que Tata Steel France Rail. Le chiffre d’affaires de Voestalpine correspondant à l’activité ferroviaire est beaucoup plus important que celui de Tata Steel en raison d’activités complémentaires comme la production d’appareils de voie et de nombreuses filiales à l’étranger. Enfin Voestalpine possède une autre usine à Duisbourg (Allemagne) rachetée il y a quelques années à Thyssen et qui doit fermer à la fin de l’année par manque de compétitivité. D’éventuels rachats sont toujours possibles.

Cette concurrence est aggravée par des règles parfois inéquitables au sein de l’Union européenne, comme l’ont relevé plusieurs personnalités auditionnées. Ainsi, M. Gérard Glas déplore qu’il soit très difficile de pénétrer les marchés italien et espagnol, qui sont les chasses gardées de producteurs locaux : « Les cas de l’Espagne et de l’Italie sont à la fois intéressants et particuliers. Pour des raisons de restrictions budgétaires qui touchent les chemins de fer pour l’entretien de leur réseau ferré, il n’est pas rare de voir les producteurs domestiques de rails de ces pays bénéficier d’un soutien sans faille de la part de leur client national. Il nous est donc extrêmement difficile de gagner des affaires dans ces pays. Nous avons été déclarés moins-disant sur certains appels d’offres. La préférence nationale pour soutenir la production du producteur local est apparue clairement puisque l’affaire a finalement été placée à Lucchini ». D’autres cas peuvent être cités : « il est très difficile de vendre des rails de tramway sur le marché allemand, et c’est vrai pour l’ensemble des sociétés qui font partie du groupement « infrastructure ».

Votre rapporteur déplore vivement cette situation, qui n’est d’ailleurs pas limitée à la seule sidérurgie, comme on a pu le constater, mais à l’ensemble de l’industrie française.

V. — L’AVENIR HYPOTHÉQUÉ PAR LES FERMETURES ?

Les syndicats craignent que les fermetures de hauts-fourneaux auxquelles on procède actuellement hypothèquent gravement l’avenir.

En effet, il s’agit d’investissements coûteux et complexes : comme l’a précisé M. Pascal Faure (43), il s’agit de plusieurs centaines de millions d’euros pour un haut-fourneau neuf, entre 50 et 100 millions d’euros pour la réfection d’un haut-fourneau. En outre, ils ne sont pas conçus pour être arrêtés aisément : « leur arrêt entraîne en effet des dégradations très importantes et leur redémarrage est particulièrement long et délicat. En outre, au-delà de leur arrêt, leur flexibilité est relativement limitée et un haut-fourneau est conçu pour fonctionner proche du plein régime. Ainsi, en période de baisse de la demande, la production peut être légèrement ajustée à la baisse. Cependant, toute baisse significative et prolongée de la demande doit conduire les sidérurgistes à s’interroger sur la décision de mise à l’arrêt des hauts-fourneaux, qui permet d’économiser des coûts variables importants (énergie, matières premières) mais rendra le redémarrage plus incertain en cas de reprise de la demande ». M. Pascal Faure ajoute dans son rapport : « il est très improbable qu’une nouvelle implantation d’une filière liquide soit envisageable même dans le cas d’une reprise forte de la demande compte tenu de l’importance des ressources humaines et financières à mobiliser. L’échec de ThyssenKrupp Steel dans la création d’une entité sidérurgique au Brésil en est une démonstration ».

Lors du déplacement à Dunkerque, l’inquiétude des syndicats – qui font preuve d’une véritable unité – est revenue comme un leitmotiv : si l’on ferme des hauts-fourneaux, comment fera-t-on pour satisfaire la demande  lorsque la reprise reviendra et pour garder une crédibilité suffisante ?

À propos de la baisse d’activité et des effectifs d’Industeel, Mme Christèle Touzelet (CFDT) alerte : « Il s’agit là d’une véritable mise en danger de l’entreprise car si l’activité reprenait, nous pourrions nous retrouver dans la situation d’avoir du travail mais sans les compétences nécessaires pour l’effectuer ».

Selon le cabinet Secafi Alfa, la politique suivie semble d’autant moins adaptée que « même dans le contexte actuel d’une demande déprimée, les tensions en approvisionnement sont rapidement atteintes en période de pointe…a fortiori, lors des prochaines phases de reprise, le groupe ne pourra faire face à la demande ». Il en découle que la balance commerciale française sera déficitaire.

De même, le cabinet Syndex estime qu’avec une capacité estimée à 176 millions de tonnes, les sidérurgistes européens ne seront plus en mesure de faire face à la reprise de la demande d’aciers de demain. Le redémarrage de 14 millions de tonnes de capacités arrêtées temporairement sera très difficile, ce qui conduira à des pertes supplémentaires de parts de marchés pour les producteurs européens.

Votre rapporteur approuve ce diagnostic sérieux des syndicats qui témoigne d’une réflexion à beaucoup plus long terme que celle de M. Mittal et s’inscrit dans la pérennisation de l’industrie sidérurgique. Toutefois, outre cette question du redémarrage, en apparaît une autre, tout aussi inquiétante : dans quel délai la reprise sera-t-elle effective ?

M. Pascal Faure lui-même, qui affirme dans son rapport que « tout doit être fait pour sauvegarder en France les compétences et le savoir-faire dans le domaine sidérurgique », qu’il s’agit « d’un enjeu stratégique national » et que « la maîtrise des savoir-faire dans la sidérurgie doit être garantie à tous les niveaux », doute d’une reprise rapide, estimant que les marchés européens sont saturés et le resteront durablement, en raison de la faiblesse de la démographie, des perspectives réduites de croissance et d’un équipement déjà élevé du marché en acier ou en aluminium .

M. Marcel Genet reste également très réservé sur la tendance à la reprise: « en Europe, les optimistes estiment que la situation continuera à se dégrader mollement avant de se rétablir éventuellement …parce que la production d’acier est quasi exclusivement dirigée vers l’investissement…et vers les biens durables…elle est liée à la confiance en l’avenir ».

D’ailleurs, de tels doutes permettent à M. Mittal de justifier sa politique : « une chose nous échappe, comme à beaucoup, c’est l’avenir de l’économie européenne. Si vous ne pouvez pas me garantir en Europe un taux de croissance annuel de 3 % pour les 5 prochaines années, comment pourrais-je m’engager sur l’avenir de la sidérurgie du Vieux continent ? Ce sont les conditions économiques qui guident notre conduite. Nos engagements reposent sur nos prévisions ». Sa vision est en effet réellement pessimiste : « aujourd’hui la demande d’acier en Europe est de 30 % inférieure à ce qu’elle était avant la crise et nous en ressentons pleinement les effets. Par ailleurs, il est désormais clair qu’elle ne retrouvera pas rapidement son niveau de 2007 et que l’Europe est confrontée à un changement structurel. Même si la demande d’acier venait à augmenter cette année – mais elle devrait diminuer de 0,5 % - rien qu’en 2012, elle aura reculé de 8 %. Dans l’hypothèse où la demande recommencerait à progresser de 3 % par an à partir de 2014 – or rien n’est moins sûr –elle serait encore, en 2020, 15 % en dessous de ses niveaux d’avant la crise, lesquels ne pourraient pas, de toute façon, être retrouvés avant 2022 ou 2025 ».

Ce pessimisme quant à l’avenir de l’activité européenne – qui explique l’absence de projets en Europe – renforce celui des syndicats et de la commission d’enquête. Or la sidérurgie et la métallurgie sont des enjeux majeurs pour notre pays, qui a considérablement réduit ses capacités de production. Il relève de la responsabilité de l’Etat de rompre avec cette logique dangereuse.

La prochaine crise serait fatale, elle serait une catastrophe nationale.

Il en va également de l’équilibre de nos territoires, qui ne peuvent pas être en permanence le SAMU des activités sidérurgiques pillées. Une autre politique est possible d’autant que la France dispose de nombreux atouts.

Une gouvernance « made in Mittal »

Nombre d’interlocuteurs de la commission ont exprimé devant elle des propos tranchés, le plus souvent très durs, sur la gouvernance du groupe ArcelorMittal. La manière de diriger l’entreprise a ainsi été qualifiée de « despotique ». Ces affirmations, qui d’ailleurs n’émanent pas toutes de responsables syndicaux, visent l’action personnelle de M. Lakshmi Mittal et du seul autre décisionnaire, son fils M. Aditya Mittal, toujours présenté comme un stratège financier et seul dirigeant du groupe à avoir une réelle influence sur son père aux côtés duquel il travaille depuis longtemps en dépit de ses 37 ans. Les autres cadres, quel que soit leur niveau hiérarchique à la tête des divisions ou des usines, ne semblent disposer d’aucun pouvoir significatif : ils sont des intermédiaires le plus souvent compétents mais interchangeables et manifestement interdits d’expression personnelle.

Tout procède et remonte à MM. Mittal père et fils. Ce mode de gouvernance suppose de leur part de réelles capacités de travail et d’analyse. Il relève toutefois d’une multinationale « à l’ancienne ». Il peut trouver des limites dans l’efficacité de la prise de décision, tout simplement s’agissant de l’appréciation des contextes. MM. Mittal raisonnent d’une façon qui se veut « mondiale », la valeur de chaque marché, de chaque produit, de chaque usine n’est appréciée qu’en fonction du moment. Le management est donc par nature « court termiste ». Il convient ainsi en permanence de rassurer les marchés, de comprimer toutes les charges et de restructurer un endettement plutôt lourd que M. Mittal a pour objectif déclaré de réduire rapidement (17 milliards de dollars au 1er juillet 2013). La prise de décision en matière d’investissement est spécialement complexe et la proposition la mieux argumentée d’un directeur d’usine restera toujours subordonnée au bon vouloir. De même, la décision de faire de son groupe un acteur important du secteur minier n’a relevé que de la seule volonté de M. Mittal qui a parfois acquitté le prix fort pour le hisser rapidement au 5ème rang mondial des producteurs de minerais de fer, certes loin derrière les deux premiers acteurs Vale et Rio Tinto. Les acquisitions de mines ou de participations minières lui servent à présent d’amortisseur financier au moyen de reventes partielles dans un contexte de valorisation assez flou qui ne permet pas de percevoir la réelle stratégie d’un groupe qui donne effectivement le sentiment de croître mais dans une sorte de fuite en avant.

Un tel mode de fonctionnement crée un climat évidemment particulier. Il suscite la défiance quasi systématique des salariés qui, la commission l’a souvent constatée, s’attendent toujours à subir un « mauvais coup » venu d’en haut ! Ce climat a pour grave conséquence de n’établir « en interne » aucune lisibilité quant à la stratégie du groupe, hormis son avidité financière et des revirements brutaux toujours possibles. La parole des cadres supérieurs notamment au sein des comités d’entreprise leur apparaît peu crédible car incertaine dans la pratique de terrain. En 2007, soit une année seulement après l’acquisition d’Arcelor, un comité européen de groupe qui siège à Luxembourg a pourtant été créé. Or, M. Lakshmi Mittal ne préside aucune de ses réunions, même pas une seule fois par année, ce que les élus syndicaux déplorent. Si M. Mittal est l’homme qu’on ne voit pas, son omniprésence inquiète d’autant plus. L’explication généralement donnée par l’encadrement pour justifier cette politique de la chaise vide est que M. Mittal ne dispose pas du temps nécessaire et, dans un groupe d’une telle dimension, il pourrait même être mal perçu qu’il rencontre les représentants des entités européennes alors qu’il ne le fera pas pour ses salariés des autres continents. Présentée de la sorte la mesure poursuivrait donc une préoccupation d’équité par l’absence ! M. Mittal, qui dirige tout depuis le siège londonien du groupe, se déplace pourtant beaucoup sur tous les continents. Luxembourg est à peine à plus d’une heure de jet privé de Londres.

M. Lakshmi Mittal ne semble craindre personne. Il est vrai que sa réussite personnelle ne peut être méconnue. Son OPA sur Arcelor ne visait-elle pas un groupe réalisant un chiffre d’affaires près de deux fois supérieur à celui de Mittal Steel ? Face aux plus grandes institutions et aux pouvoirs publics, sauf peut-être en Allemagne, M. Lakshmi Mittal a une capacité de résistance peu commune. Il peut, comme il l’a fait en février 2013, ne pas répondre à une invitation de la Commission européenne pour s’expliquer sur la stratégie de son groupe ! Pour sa part, la commission d’enquête ne serait pas restée sans réaction si M. Mittal n’avait pas déféré à la convocation qu’elle lui avait adressée. En revanche, le groupe ArcelorMittal ne s’interdit pas pour autant d’avoir des exigences vis-à-vis de l’Europe à laquelle il réclame, sans être le seul, plus de croissance donc moins d’austérité ou comme il l’a exprimé au cours de son audition une meilleure protection vis-à-vis des importations de pays émergents. Le gouvernement français a pu néanmoins obtenir de Lakshmi Mittal des engagements écrits, chiffrés et programmés au titre de l’accord conclu le 30 novembre 2012. Quels qu’aient été les commentaires à l’époque, ce fait souligne une détermination qui jusqu’alors n’avait été nulle part mise en œuvre à l’égard du groupe. À l’expérience, il n’en demeure pas point que la plus extrême vigilance s’impose pour que les engagements du groupe Mittal soient effectivement tenus.

Pour le seul site de Florange, M. Lakshmi Mittal s’est notamment engagé à réaliser « de manière inconditionnelle » au moins 180 millions d’investissements en cinq ans à compter du 1er décembre 2012, et plus généralement de poursuivre ses activités sidérurgiques au sein du « cluster lorrain ». Il a également accepté de soumettre l’application de l’accord à un comité de suivi dont l’Etat a désigné le président. Plus généralement, il convient de souligner que la méthode du rapport de force reste indispensable face à de grands groupes multinationaux avec lesquels une relation de confiance peut s’établir mais en n’excluant pas, si nécessaire, l’usage de toutes les armes dont dispose la puissance publique, y compris fiscales.

TROISIÈME PARTIE : PERSPECTIVES D’AVENIR

I.  LE SECTEUR DE L’ALUMINIUM OFFRE DES PERSPECTIVES

Depuis vingt ans, la France a vu disparaître vingt sites de production d’aluminium, qui représentaient une capacité totale de 1 million de tonnes, au point qu’elle se voit obligée d’en importer 307 000 tonnes par an, alors que c’est elle qui a l’inventé les techniques de production de ce métal et qui est à l’origine de des révolutions métallurgiques qui en ont découlées.

Lors de leur audition par la commission, Mme Béatrice Charon, présidente de l’Association française de l’aluminium (AFA) accompagnée par M. Olivier Dufour, directeur des Affaires externes de Rio Tinto Alcan (France/UE) ont dépeint le contexte actuel de la production et du commerce de l’aluminium.

Après avoir connu un taux de croissance de 6 % au niveau mondial en 2012, le secteur attend une augmentation à 7 % pour 2013. Depuis une trentaine d’années, la consommation mondiale de l’aluminium croît entre 5 et 7 % par an et cette tendance devrait se poursuivre au moins dans la prochaine décennie. La France n’a pas connu de baisse massive de sa production d’aluminium. Malgré certaines réductions de capacité liées à la crise, les productions des deux sites de Saint-Jean-de-Maurienne et de Dunkerque sont restées relativement stables. Depuis vingt ans, d’ailleurs, la production d’aluminium primaire en France est caractérisée par une relative stabilité. Les fermetures de sites, dont la dernière concernait l’usine de Lannemezan dans les Hautes-Pyrénées en 2008, ont été plutôt compensées par des investissements, notamment à Dunkerque, un site de production inauguré en 1991 et qui a représenté pour la France, au long des années quatre-vingt, un programme de développement industriel majeur.

Le secteur emploie directement près de 11 115 personnes dans 5 domaines différents : l’alumine (technique), l’aluminium primaire, la transformation, le recyclage et les activités connexes à l’aluminium primaire pour un chiffre d’affaire en 2010 de plus de 4,5 milliards d’euros.

En France, l’amont et la transformation présentent des profils compétitifs différents. Les deux sites français d’aluminium primaire jouissent, jusqu’à présent, de contrats d’approvisionnement d’électricité plutôt favorables à Dunkerque et à Saint-Jean-de-Maurienne où la situation est néanmoins devenue problématique. Les sites principaux de transformation en France opérés par Constellium, Norsk Hydro, Sapa, et Aubert & Duval, pour l’essentiel, ont des atouts en matière de savoir-faire et de proximité de leurs marchés. Il est cependant regrettable que la France dépende si fortement du marché extérieur et importe 307 000 tonnes d’aluminium par an (dont environ 250 000 tonnes d’aluminium primaire) afin de satisfaire sa demande intérieure. La filière importe essentiellement des lingots pour ses besoins de deuxième fusion.

Dépendance de l’Europe et de la France
sur la partie « amont » du cycle de l’aluminium

Source : Association française de l’aluminium.

Aujourd’hui, l’aluminium investit le domaine de la carrosserie automobile et des structures, même s’il peut être parfois concurrencé par certains produits composites qui ne concernent en réalité que des véhicules de très haut de gamme. Sa densité est beaucoup plus faible que celle de l’acier, mais il faut en utiliser un peu plus pour avoir la même résistance. En général, on dit qu’un kilo d’aluminium remplace deux kilos d’acier dans les automobiles. Cet allègement permet une réduction de consommation de carburant et, par-là même, une réduction d’émission de CO2. Les constructeurs allemands intégrent de plus en plus d’aluminium dans leurs véhicules, notamment du haut de gamme, suivis par les constructeurs français et d’autres plus spécialisés sur le moyen de gamme. L’aluminium prend donc des parts de marché sur l’acier. Même en Europe, la consommation de l’aluminium augmente par substitution à d’autres matériaux.

Une des vertus de l’aluminium réside dans ses capacités indéfinies de recyclage. Aujourd’hui, à peu près un tiers de l’aluminium provient de produits recyclés, autrement dit, sur les 60 millions de tonnes d’aluminium utilisés dans le monde, 20 millions de tonnes sont issues du recyclage. 60 % de la consommation française provient du recyclage contre 30 % dans l’ensemble du monde. Mais des marges restent à gagner en France par l’amélioration du tri.


La fabrication et dans une moindre mesure le traitement de l’aluminium consomment beaucoup d’électricité, les coûts sont donc tributaires du prix de l’énergie. Mme Béatrice Charon a très bien exposé le problème : « En France, le coût de l’électricité pourrait être bas grâce à notre parc nucléaire important. Les contrats des deux sites d’électrolyse arriveront bientôt à échéance, en 2014 et 2017. Nous souhaitons qu’ils soient renouvelés à un niveau moyen de ce dont bénéficient nos concurrents dans le monde, pas forcément plus bas, éventuellement avec des aménagements qui permettent de rendre ce prix vraiment compétitif. Ainsi, les producteurs d’aluminium pourraient, de temps en temps, arrêter un court instant leur production en période de pics important de consommation d’électricité pour préserver le réseau. L’application de la directive ETS sur les quotas de CO2 crée des coûts indirects et certains pays, comme l’Allemagne, ont décidé d’attribuer des compensations à leurs industriels. La France ne l’a pas fait. Même au sein de l’Europe, nous sommes pénalisés par rapport à nos concurrents. Il faut aussi prévoir une durée suffisante pour ces contrats de renouvellement. Pour des investissements aussi lourds, il ne peut s’agir que de contrats sur vingt ou trente ans ».

L’installation, à partir de la fin du XIXe siècle, d’industries électro métallurgiques dont celle de l’aluminium dans les Alpes françaises s’explique par l’abondance des ressources hydrauliques, à l’époque, largement suffisantes à la satisfaction de leurs besoins. De même, un siècle plus tard, le développement d’une grande usine d’aluminium à Dunkerque a pu se conjuguer avec la participation financière de son exploitant, le groupe Péchiney, à la construction d’une tranche de la centrale nucléaire voisine de Gravelines. Mais, il y a trente ans, tant Péchiney, nationalisé, qu’EDF relevaient pleinement de la sphère publique ; la décision s’inscrivait alors au titre des grands arbitrages industriels de l’Etat qu’il lui était encore possible d’arrêter en toute souveraineté car le cadre réglementaire européen ne l’en empêchait pas.

Si la France veut à présent toujours conserver ses usines et rompre avec la pente de la désindustrialisation, il faut garantir sur le long terme un bon niveau de compétitivité et d’abord proposer aux exploitants des conditions d’accès à l’énergie « acceptables » sinon « comparables » à celles qui existent dans certaines zones géographiques, notamment celles qui bénéficient de ce qu’on appelle une « rente barragière » hydro électrique (Canada, Norvège etc.,) ou de la géothermie (Islande) voire de gigantesques ressources gazières (Proche Orient).

En outre, les politiques de transition énergétique actuellement conduites en ordre dispersé par les grands pays industriels de l’Union européenne aboutissent à des distorsions tarifaires de concurrence qui paraissent à votre rapporteur contradictoires voire incompatibles avec l’existence du grand marché unique européen tel que conçu par les traités !

Les sites de Dunkerque et de Saint-Jean-de-Maurienne demeurent des fleurons de l’industrie de l’aluminium mais à la condition que leurs exploitants puissent obtenir des contrats d’approvisionnement énergétique à long terme. Or, l’Union européenne poursuit des politiques de la concurrence et de l’énergie totalement irréalistes, absolument déconnectées du paysage économique et énergétique mondial. Ainsi, il est désormais interdit à un exploitant de conclure avec un fournisseur d’énergie des contrats d’une durée supérieure à cinq ans ! Les contrats d’approvisionnement des usines Rio Tinto de Saint-Jean-de-Maurienne et de Dunkerque arrivant respectivement à échéance en 2014 et 2017, la période présente est donc lourdement tributaire d’incertitudes s’agissant de la tarification à venir de la ressource énergétique qui pèse déjà pour plus de 33 % des coûts de production d’un smelter européen c'est-à-dire un producteur d’aluminium primaire. Les coûts salariaux ne représentent que 10 % au maximum des charges directes alors que la ressource « matière » (alumine) dont la production est de plus en plus cartellisée s’élève également à plus du tiers des charges directes de production. Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que les investissements, y compris de maintenance, soient actuellement réduits, parfois même en deçà du strict nécessaire, ce que les organisations syndicales du site de Saint-Jean-de Maurienne n’ont pas manqué de souligner devant la commission d’enquête car la stratégie de Rio Tinto Alcan semble bien être celle du désengagement. Pourtant le problème est de longue date clairement posé. Dès 2004, l’Inspection générale des finances et le Conseil général des mines insistaient dans un rapport conjoint sur la nécessité de garantir aux industries « électro-intensives délocalisables » des contrats d’approvisionnement de longue durée « au minimum de dix ans » qui, dans la situation française, feraient néanmoins équitablement partager entre les signataires (l’industriel et le fournisseur) « ... les risques réglementaires pesant sur les coûts de la production nucléaire : durée de vie des centrales, non-compensation des charges de service public, surcharge importante du coût des retraites, taxe sur l’énergie nucléaire ». Ce travail judicieusement prospectif envisageait également les possibilités d’une compensation donnée aux industriels capables de placer leurs activités en position temporaire d’effacement au cours des périodes de pointe de la consommation d’électricité. Le rapport précisait aussi que tout industriel dans n’importe quel pays de l’Union européenne pourrait prétendre à ce type de contrats « moyennant l’existence des capacités d’interconnexion nécessaires et la répercussion du coût d’acquisition de celle-ci ». À ces conditions, le dispositif ainsi exposé s’avérait compatible avec la réglementation européenne et traduisait logiquement l’émergence d’un marché unique. Malheureusement, des blocages tant nationaux qu’européens ont retardé la mise en place des cadres réglementaires et techniques propices à cette voie. Pis, l’Union européenne a pris des chemins contraires en alourdissant de façon inconsidérée certaines charges Quelle que puisse être la justesse de ses objectifs, elle s’est toutefois peu préoccupée de vérifier s’ils étaient pareillement partagés au sein des autres grandes zones économiques du monde. Par exemple, le système européen de lutte contre les rejets de CO2 et gaz à effets de serre représente, à lui seul, près de 12 % des charges de production des smelters.

La commission d’enquête a eu maintes fois l’occasion de percevoir, au cours de ses travaux, toute l’importance de la question énergétique. Ainsi, lors d’une rencontre avec M. Jean Paul Aussel, un ancien cadre supérieur de Péchiney qui a dirigé la construction ou encore l’exploitation d’usines en France et à l’étranger, il lui a été indiqué que l’industrie ne retrouverait plus jamais les prix de l’électricité des années quatre-vingt-dix (notamment en raison des travaux à réaliser sur les infrastructures des réseaux), à l’exception peut-être de quelques situations tout à fait particulières où l’exploitant possède son propre système de génération de la ressource et à la condition d’avoir amorti intégralement un tel investissement !

II.  LES FAÇADES MARITIMES ET DEUX GRANDS PORTS INTERNATIONAUX

La France métropolitaine dispose de 4 000 kilomètres de côtes ce qui a toujours constitué un atout majeur. Les deux ports de Marseille et Dunkerque demeurent deux éléments importants du trafic international.

Le Grand port maritime de Dunkerque, 3e port de commerce français en tonnage global et 1er port français d’importation de minerais et de charbon, occupe 17 kilomètres de façade, en front de mer et sans estuaire, son domaine s’étend sur un espace de 7 000 hectares. Situé à proximité de la métropole lilloise et au centre du triangle Bruxelles/Londres/Paris, Dunkerque est la plate-forme idéale pour la massification et l’éclatement des marchandises en Europe.

Les entreprises de la zone portuaire comptent quelque 24 000 emplois directs et 17 000 emplois indirects. Le grand port maritime de Dunkerque compte 400 salariés et 500 dockers.

Port polyvalent, Dunkerque propose de nombreux quais et terminaux spécialisés :

– Port Ouest : le terminal à pondéreux Ouest, le terminal à conteneurs, le terminal roulier, la zone logistique ;

– Port Central : le secteur pétrochimique, le terminal aux aciers, les terminaux céréaliers, le terminal « ArcelorMittal », les terminaux « multivracs » ;

– Port Est : les terminaux de marchandises diverses, les installations de vracs liquides, la réparation navale, les services portuaire.

Situé sur la Mer du Nord, à seulement 90 minutes de navigation de la route maritime la plus fréquentée du monde (600 navires par jour), le Port de Dunkerque dispose d’une excellente accessibilité et d’une capacité foncière disponible de 3 000 hectares. Dunkerque-Port comprend deux sites portuaires sur 17 km de rivage, en front de mer et sans estuaire. Le Port Est, derrière les écluses, est accessible aux navires avec une cargaison de 130 000 tonnes, soit 14,20 mètres de tirant d’eau. Le Port Ouest, port à marée créé dans les années 1970, est accessible aux pétroliers de 300 000 tonnes de port en lourd à pleine charge, soit 20,50 mètres de tirant d’eau, et aux porte-conteneurs de dernière génération. Il est ouvert sans contrainte d’heure, d’écluse ou de marée, permettant des escales très courtes. Le Port de Dunkerque est, par ailleurs, plutôt mieux connecté aux réseaux fluviaux, ferroviaires et maritimes que les autres ports français, une donnée bien connue concernant leur handicap de compétitivité face à leurs principaux concurrents européens.

Le trafic roulier transmanche confirme la bonne tendance de l’année 2011, avec une hausse de 10,6 % pour un tonnage de 13,08 millions de tonnes. Le nombre de camions et remorques a augmenté de 12,4 % avec plus de 560 000 unités de fret.

En 2012, le total du fret a été porté à 47,63 millions de tonnes, celui du charbon a cru de 7,5 % avec 8,15 millions de tonnes et celui des minerais de 5,8 % avec 12,13 millions de tonnes. Le chiffre d’affaires du Port a progressé de 3,2 % en 2012 pour s’établir à 77 34 millions d’euros contre 75 038 millions d’euros en 2011.

Pour s’adapter - la fermeture des hauts fourneaux de Florange a entraîné une diminution de près de 4 millions de tonnes en entrées et 4 millions de tonnes en sorties – et continuer à se développer, le grand port de Dunkerque étudie d’importants projets, en deux étapes, d’autant plus indispensables qu’ ArcelorMittal vient d’acheter des mines en Alaska, ce qui va entraîner une augmentation des importations et que la concurrence avec Rotterdam est toujours plus âpre : celui-ci a commencé en 2008 la construction d’une extension « Maasvlakte 2 » dont certains terminaux ont commencé d’être opérationnels. Il faut que Dunkerque puisse accueillir les « valemax » (44), les plus gros navires.

Le projet « Cap port ouest », estimé à 96 millions d’euros, prévoit, à l’est, l’allongement du quai de Flandres (soit 600 m de plus) et un poste à quai supplémentaire pour les plus gros navires de vrac et les porte-conteneurs. À l’ouest, deux postes peuvent actuellement accueillir des navires capesize (de 300 m), mais un appontement supplémentaire pour le rechargement est nécessaire. Il est également prévu l’élargissement de la zone d’évitage (de 450 à 650 m).

D’ores et déjà, depuis le début de l’année 2013, le quai aux pondéreux ouest (QPO) est accessible aux navires ayant un tirant d’eau de 18,50 m, un atout non négligeable dans la compétition avec Rotterdam.

Les installations d’ArcelorMittal sont situées près du bassin à flots, auquel on accède par une écluse : on allège les bateaux au QPO afin d’arriver à un tirant d’eau de 14,20 m l’agrandissement de cette écluse est également à l’étude : elle peut faire passer des navires de 45 m de large et 292 m de long ; il faudrait parvenir à respectivement 46 ou 47 m et 300 m environ.

L’autre volet, le «Cap 2020 », prévoit le prolongement du Bassin Atlantique ou le creusement d’un bassin et des quais Baltique-Pacifique, afin de créer, dans une première phase, un nouveau linéaire de quai de 1 000 m pour accueillir les navires de dernière génération de plus de 400 m de long et d’un tirant d’eau de 23 m.

Actuellement, ces projets ne sont plus inscrits au schéma national des infrastructures de transport, ce qui ne laisse pas d’inquiéter votre rapporteur.

Le Port de Marseille-Fos est le 1er port français et le 2e port de Méditerranée.

Le port de Marseille Fos se positionne comme un port généraliste traitant tous types de marchandises : hydrocarbures et vracs liquides (pétrole, gaz et produits chimiques), marchandises diverses (conteneurs et autres conditionnements), vracs solides (minerais et céréales).

Le port accueille également des trafics de passagers (ferry vers la Corse, l’Algérie et la Tunisie ; croisières). Il offre aussi des services de réparation navale, industrielle pour les navires de commerce, et de grande plaisance pour les yachts.

400 ports dans le monde sont desservis depuis Marseille Fos. En 2011, le port a traité plus de 7 400 escales de navires (20 escales/jour en moyenne).

Sa position géographique en Méditerranée et la quadrimodalité dont il bénéficie (fleuve, fer, route, pipeline) le place comme la porte d’accès naturelle aux marchés européens.

Le port est constitué de deux bassins, les « Bassins Est » localisés dans la ville de Marseille sur 400 hectares et les « Bassins Ouest » situés à Fos (70 km de Marseille) sur un domaine de 10 000 hectares.

L’activité portuaire génère 43 000 emplois dont les 1 000 agents du Grand port maritime de Marseille.

A. – PRINCIPAUX PROJETS

Terminaux à conteneurs : après le démarrage des 2 terminaux « Fos 2XL » en 2012, un 3e, « Fos 4XL », est en projet pour 2018 avec Hutchison, n° 1 mondial de l’exploitation portuaire.

Terminal méthanier : la société Fos Faster (Vopak et Shell) prépare pour 2017 un projet de terminal méthanier, le 3e au port de Marseille-Fos, qui assurera un trafic annuel de 6 millions de tonnes de GNL/ an.

Croisières : à Marseille, la passe nord de la digue du Large sera élargie pour faciliter l’accès au port des plus grands paquebots de croisière avec un investissement de 35 millions d’euros.

Réparation navale industrielle : la Forme 10, la plus grande de Méditerranée, sera remise en service pour servir en priorité, les paquebots. Un groupement composé de Chantier Naval Marseille/STX France/San Giorgio Del Porto/Mariotti a été choisi pour l’exploiter.

Les responsables du site d’ArcelorMittal de Fos ont souligné devant la commission leur intérêt concernant une extension du quai de déchargement des minéraliers (une impressionnante installation attenante dont les outils de débarquement très performants y sont d’ailleurs intégrés). Des gains de productivité pourraient ainsi être réalisés en réduisant le nombre des rotations mais en utilisant des navires plus importants donc capables de transporter des tonnages supérieurs de minerais. Cette perspective est séduisante. Elle conforterait utilement la position du site de Fos. Toutefois, l’investissement semble dépasser de beaucoup les capacités du Grand port maritime, selon les affirmations de responsables de l’établissement public que la commission a rencontrés au cours de son déplacement. Un tel projet qui ne relève donc pas des priorités actuelles du port de Marseille-Fos mérite néanmoins d’être plus sérieusement évalué, d’un point de vue technique et financier, car il peut s’inscrire au titre des atouts de Fos dans la compétition entre les grands ports de la Méditerranée. Le site industriel d’ArcelorMittal s’étend à Fos-sur-Mer sur 1800 hectares dont la moitié seulement est occupée par des constructions et équipements. Les possibilités d’extension y restent sans équivalents.

B. – TRAFICS

Le trafic total du port en 2012 est proche de 86 millions de tonnes (85,79 millions de tonnes) en retrait de 3 % par rapport à 2011 sous le seul effet de la baisse des hydrocarbures.

Autres atouts : une fiabilité sociale, la mise en service des 2 terminaux à conteneurs privés Fos 2XL et des implantations logistiques ont permis une croissance de 16 % de l’activité conteneurs de Fos. Le seuil du million de conteneurs est dépassé.

• Voyageurs : Marseille-Fos améliore son activité de 4 % et dépasse pour la 1ère fois le million de passagers à destination de la Corse.

• Marchandises diverses : 17.2 millions de tonnes (+11 % par rapport à 2011), dont roulier : 4.2 millions de tonnes (-1 %), dont Conteneurs : 1 062 400 EVP (+13 % ; +16 % à Fos).

• Vracs liquides : 56.3 MT (-10%)

• Vracs solides : 12.2 MT (+25%)

• Passagers : 2,43 millions de passagers (+4 %) dont 890 100 croisiéristes (+10 %) et 1,02 million de passagers vers la Corse.

LOCALISATION DES HAUTS FOURNEAUX FRANCAIS

Source : « La filière acier en France et l’avenir du site de Florange », rapport au Ministre du redressement productif, par M. Pascal Faure,

Les nouvelles usines se sont implantées sur des façades maritimes :

- Dunkerque en 1962

- Gand (Sidmar) en 1962

- Fos sur Mer en 1975

Inversement, les usines continentales les plus anciennes font l’objet de réduction ou de fermetures, afin de concentrer la production sur les usines maritimes, censées être plus compétitives. Ainsi, le « plan Apollo » conçu par le groupe Arcelor en 2003 reposait sur l’abandon des hauts-fourneaux continentaux probablement à l’horizon 2010, donc sur le développement des usines maritimes. Force est de constater que cette orientation avait effectivement été formulée trois années avant l’acquisition d’Arcelor par Mittal Steel et qu’elle constituait effectivement, dès cette époque, une menace pour certaines des activités du site de Florange.

Cependant, il convient également de remarquer que dans l’opposition qui est souvent faite entre sites maritimes et sites continentaux dont l’utilité industrielle est indéniable, la taille des installations est également déterminante. En effet, les sites maritimes sont les plus récents et ont été conçus dans une phase d’expansion importante de la demande.

Le site de Dunkerque comprend :

• Installations :

– 1 four à coke ;

– 2 usines de frittage ;

– 3 convertisseurs ;

– 4 fours à cloche ;

– 4 sites de coulée continue ;

– 3 hauts fourneaux ;

– 1 laminoir à chaud.

• Produits :

– Dalles: 6,7 millions de tonnes ;

– Coils roulés à chaud: 4,7 millions de tonnes.

Le site de Fos comprend :

• Installations :

– 1 quai de déchargement / 1 quai de chargement ;

– 1 usine de frittage ;

– 1 four à coke ;

– 2 hauts fourneaux dont les dates de rénovation (2007 puis 2011) ont été soulignées devant la commission par la direction du site ;

– 2 convertisseurs d’oxygène ;

– 2 sites de coulée continue ;

– 1 installation de métallurgie en poche (dégazage sous vide, décarburation CAS-OB) ;

– 1 laminoir à bandes à chaud ;

– lignes terminales (1 chaîne de décapage, 1 laminoir de trempe 2 lignes de cisaillage, 2 chaînes de découpage).

• Produits :

– Coils d’acier laminé ;

– Coils et tôles décapées et huilées ;

– Tôles coupées à longueur ;

– Coils refendus.

Lors de son audition par la commission, M. Lakshmi Mittal a indiqué : « Avec leurs capacités de production respectives en acier brut de 7 millions de tonnes et 4 millions de tonnes, Dunkerque et Fos sont nos plus grandes usines en France. Elles sont d’ailleurs idéalement situées pour l’approvisionnement en matières premières nécessaires à la production, et pour l’exportation des aciers vers les pays voisins. Nous avons, depuis 2006, investi 1,1 milliard d’euros dans ces deux usines, pour en faire nos principaux sites de production d’acier liquide. Et nous continuerons de le faire. Nous allons d’ailleurs embaucher du personnel. À Dunkerque par exemple, nous contrecarrerons l’attrition naturelle en remplaçant la plupart des départs. En 2013, environ 200 personnes devraient quitter par départs naturels ».

On rappellera qu’une plus petite unité française appartient, au sein d’ArcelorMittal, à la même division que le site de Fos. Il s’agit de l’usine de Saint-Chély-d’Apcher en Lozère, qui vient de bénéficier d’un nouvel investissement principalement destiné à fabriquer des aciers légers pour l’équipement et la motorisation des nouveaux véhicules hybrides ou électriques, deux marchés d’avenir qui « décollent » toutefois lentement. Cette usine dispose depuis ses origines de ressources hydroélectriques qui lui permettent toujours de satisfaire la quasi-totalité de ses besoins.

ArcelorMittal se soucie particulièrement de conforter ses positions de premier groupe sidérurgique pour l’approvisionnement en acier du secteur automobile où il détient 17 % du marché mondial dont 40 % du marché européen.

Les sites de Dunkerque et de Fos-sur-Mer ouverts sur le monde constituent bien un des atouts de la sidérurgie française puisque leurs équipements comptent parmi les plus modernes et les plus performants. Enfin le maintien de toute la filière permettra de ne pas avoir besoin d’acheter de l’acier à l’extérieur de nos frontières. C’est d’ailleurs ce qu’a exprimé devant la commission M. Georges Duval, président des sociétés Aubert & Duval et Erasteel : « Même si les besoins en acier d’un pays développé sont moindres que ceux d’un pays en développement comme la Chine, il nous faut garder une filière sidérurgique complète et variée, avec une sidérurgie lourde, une sidérurgie d’aciers spéciaux, etc. ». Cette remarque relativise sensiblement certaines options, hâtivement formulées, selon lesquelles l’avenir consisterait à concentrer en totalité nos productions sidérurgiques et métallurgiques sur des « niches » supposées les plus lucratives. Il convient de ne pas confondre la recherche de spécialisations correspondant aux demandes des marchés et un retrait massif et au final coûteux des productions de base précisément indispensables à ces activités.

Pour sa part, le site de Florange, en Moselle, peut et doit poursuivre son développement. Il emploiera 2 000 salariés après l’abandon de sa filière liquide. Les activités de Florange s’exercent au cœur du bassin industriel européen. Sur cette base géographique, ce vaste ensemble industriel a développé une proximité relationnelle avec ses principaux clients, notamment dans l’industrie automobile, (PSA, Renault, BMW, Volkswagen, etc.). La qualité de sa main d’œuvre et le potentiel de R&D au sein même du site et au centre de recherche voisin de Maizières-lès-Metz l’ont notamment conduit à se positionner sur le créneau des tôles à haute performance.

Localisation de la Lorraine par rapport au bassin industriel européen

Source : ArcelorMittal

Florange dispose d’atouts majeurs en termes d’offre de produits (leadership en fines épaisseurs, en « DWI » et fer blanc) et développe des projets innovants avec le centre de recherche de Maizières-lès-Metz pour le développement de qualités spécifiques et formables. Florange bénéficie aussi d’une palette d’outils industriels unique avec deux recuits continus, des recuits base, deux lignes d’étamage, une ligne de vernissage, une refendeuse, permettant de produire une gamme de produits variée.

Le 25 juin dernier, M. Greg Lukosky, vice-président de la R&D du groupe ArcelorMittal a annoncé à la presse que : « Florange est un site incontournable dans la stratégie d'ArcelorMittal pour accompagner le marché de l’Usibor, en plein essor » (45). Il s’agit d’un acier à haute performance destiné à l’automobile pour lequel la société prévoit une croissance de 130 % d’ici 2017 et pour lequel 7,2 millions d’euros auront été investis à Florange. L’usine a été la première au monde, dès décembre 2012, à sortir des feuilles d’acier dans une largeur de 1 850 millimètres, une spécificité hautement prisée pour certaines applications.

Aujourd’hui, l’automobile représente 52 % de l’activité de Florange et une part plus importante encore de sa valeur ajoutée. Une partie de l'acier galvanisé à Florange est découpée dans l'usine d'Uckange, située dans la continuité du même site industriel, selon les spécifications fournies par les constructeurs automobiles.

Plusieurs qualités et épaisseurs d'acier peuvent être soudées entre elles pour répondre aux exigences de résistance ou de déformation requises pour chaque partie d’une pièce.

Par ailleurs, le tissu industriel de la métallurgie est ancré dans le territoire national.

L’évolution de l’approvisionnement en matières premières (minerai de fer) a contribué à une déconcentration territoriale. Cette évolution a fini par avoir des effets négatifs pour les territoires «historiques » telle que la Lorraine qui a néanmoins su adapter en conséquence son appareil industriel car se trouvant placée à proximité de nombreux grands clients, elle n’en a pas moins permis une implantation plus équilibrée sur le territoire et d’être encore plus à proximité des autres marchés situés dans l’aval des filières. 

Plus généralement, la région Nord-Pas-de-Calais emploie plus de 11 000 salariés directs dans la sidérurgie, alors que la Lorraine est certainement passée sous la barre des 6 000 sidérurgistes et que les régions Bourgogne et Rhône Alpes ont des effectifs sectoriels comparables avec chacune 4 500 salariés. Entre 1996 et 2010, la Lorraine a très précisément perdu 49,47 % de ses emplois sidérurgiques et le Nord-Pas-de Calais 28,22 %. À ces données doivent être rapportés les emplois indirects qui sont généralement évalués sur la base de 0,7 pour un emploi direct.

La carte ci-dessous, fournie par ArcelorMittal, est exemplaire d’un atout français : ArcelorMittal Atlantique et Lorraine combine huit sites complémentaires formant un vaste ensemble industriel. Le site de Fos-sur-Mer s’est vu conférer par le groupe une vocation spécifique d’ouverture sur le grand marché méditerranéen. La production destinée à des activités françaises ne représente que 10 % au plus de ses fabrications. Sans méconnaitre les perspectives offertes par une telle orientation dans un espace où ArcelorMittal est toutefois confronté à une rude concurrence par les prix, votre rapporteur s’interroge sur les conséquences de la coupure ainsi établie entre le site de Fos et son marché national de même que, plus largement, avec une des parties les plus industrielles du continent européen.


L’ancrage territorial d’ArcelorMittal en France est particulièrement fort.
Il résulte de l’histoire de notre industrie sidérurgique. À cet égard, la répartition géographique des usines de la Business division nord du groupe est révélatrice. Il convient de veiller tout particulièrement à respecter la complémentarité des productions de chaque site mais aussi à la relations de proximité entretenue avec leurs clients donc à la qualité du service qui leur est rendu et non de mettre les usines en situation de concurrence dans le cadre d’une stratégie de division.

À la suite de l’accord du 30 novembre 2012 entre le gouvernement et ArcelorMittal, certains arbitrages de spécialisation ont pu soulever des interrogations voire des incompréhensions, tant pour des activités belges du groupe que pour des activités françaises. Le site de Basse Indre dans l’agglomération nantaise s’est ainsi vu retirer une partie de son activité « amont » de décapage et de laminage pour être dorénavant livré en produits dits « brut de tandem » depuis l’usine de Florange dont le plan de charge va être conforté de ce fait. Il va en résulter une modification de l’organisation du site de Basse Indre qui ne peut être approvisionné en coils depuis Dunkerque ou encore par bateau depuis l’usine espagnole d’Aviles. Cette modification de la production, parfois présentée en interne par des cadres comme « provisoire », a suscité l’inquiétude des salariés concernés. Or, l’accord spécifie que les effectifs de Basse Indre (650 emplois directs) bénéficient d’une garantie donnée par ArcelorMittal et que la capacité des lignes spécialisées de production de l’usine sera portée de 300 000 tonnes à 400 000 tonnes.

Il n’est évidemment pas possible à la commission d’exprimer, dès à présent, un avis sur le bien-fondé d’une décision industrielle qui va prendre nécessairement un certain temps pour sa mise en place. Sa seule préoccupation concerne la réelle volonté du groupe de mobiliser ses salariés sur la réalisation de ce nouvel objectif et d’en démontrer la crédibilité. Il convient également de faire état de l’importance du service de fret ferroviaire pour offrir par sa qualité et par sa régularité les meilleures conditions possibles d’approvisionnement à Basse Indre. Sur ce point, M. Orsoni, le directeur général d’ArcelorMittal Atlantique et Lorraine a précisé à la commission que les relations avec Fret SNCF étaient tout à fait positives. Au cours de son audition, M. Philippe Darmayan, en sa qualité de président de la Fédération française de l’acier (FFA) a pourtant émis une appréciation beaucoup moins enthousiaste sur le service rendu, en général, par Fret SNCF. Quoi qu’il en soit, ce point reste très important car l’usine de Basse Indre qui compte parmi ses clients de grandes entreprises du packaging a acquis une réputation de réactivité dans ses capacités à faire face aux demandes de ses clients. Son principal client est d’ailleurs le leader mondial des emballages métalliques, l’entreprise américaine Crown Cork (né d’une fusion en 1996 avec le groupe franco-britannique Carnaud-Metalbox) qui a une usine à proximité du site de Basse Indre et à laquelle est destinée le quart de la production. Crown Cork est généralement « dépanné » par Basse Indre pour des livraisons urgentes en quelques jours. Cet exemple qui démontre d’ailleurs l’imbrication des activités sidérurgiques et métallurgiques, porte en lui un défi de compétitivité, car les investissements jusqu’alors réalisés dans son usine de la région nantaise par Crown Cork ont été justifiés par la qualité des fabrications de l’usine de Basse Indre et il est impératif que l’une et l’autre de ses unités continuent à se développer sur une telle base.

C. – LES ACIERS SPÉCIAUX ET PRODUITS DU HAUT DE GAMME : UN ATOUT FRANÇAIS

Les aciers spéciaux peuvent être regroupés en trois grandes familles :

- les aciers de construction ;

- les aciers inoxydables ;

- les aciers d’outillage.

En fonction de leurs caractéristiques, ils sont mis en œuvre dans des marchés très divers :

- l’aéronautique : structures, trains, moteurs, mécanique de précision et de sécurité, roulements

- l’énergie : turbines, pétrole, nucléaire ;

- l’automobile : injection, soupapes, moules pour blocs moteurs ou phares de voiture, vilebrequins et engrenages pour la compétition ;

- les « spécialités » : défense, médical, mécanique de précision, horlogerie.

Il s’agit de produits à forte valeur ajoutée et dans le domaine desquels de nouveaux marchés peuvent être gagnés grâce à l’innovation, produit de la R&D.

La France est bien placée dans ce domaine comme le montrent les chiffres de la production. Toutefois, certaines spécialités souffrent. C’est le cas d’un des sites d’Aperam Précision à Unieux dans la Loire spécialisé dans les inox fins et ultra fins qui est menacé de fermeture du fait du recul du photovoltaïque qui représentait une part importante de ses ventes. Aperam qui est contrôlé par la famille Mittal doit impérativement trouver une autre solution permettant la continuité de l’activité de cette filiale de spécialité.

Le graphique ci-dessous montre, qu’après la chute de 2008-2009, la production française reprend à un rythme comparable à ces principaux concurrents.

graphique production

Lors de son audition par la commissions, M. Philippe Darmayan, président de la Fédération française de l’acier (FFA), a indiqué que pour ce qui est des aciers spéciaux, la société qu’il dirige, Aperam, produit 500 000 à 600 000 tonnes d’inox et 40 000 tonnes d’alliage nickel, Ascométal, notamment présent à Dunkerque et à Fos-sur-Mer, dispose d’une capacité de production supérieure à 800 000 tonnes d’acier allié ou non allié (en 2013, sa production ne devrait toutefois pas dépasser 500 000 tonnes) ; Aubert & Duval, peut produire 90 000 tonnes et Ugitech, en Savoie, 200 000 tonnes.

La rentabilité de ces sites est variable et dépend des marchés, c'est-à-dire des cycles et des spécialités. Ainsi Ascométal connait aujourd’hui des difficultés en raison de sa forte dépendance au secteur de l’automobile et à une production orientée à 87 % sur le seul marché européen actuellement le plus déprimé. Cette entreprise souffre aussi des conséquences des modalités de son rachat récent : elles font peser sur ses comptes un endettement résultant des montages complexes réalisés par les banques américaines Morgan Stanley et Bank of America. De plus, il est demandé aux salariés d’Ascométal de très lourds efforts de flexibilité alors que les actionnaires et les banquiers montrent une avidité peu en rapport avec la situation de l’entreprise.

Les activités liées à l’aéronautique, au pétrole et au gaz sont aujourd’hui très rentables et permettent des investissements. Une batterie de fours a été installée par la société Aperam sur son site d’Imphy et des développements sont encore prévus sur ce site l’année prochaine. Ugitech est également profitable. Pour sa part, Aubert & Duval a réalisé des investissements importants dans sa capacité de production d’alliages de haute qualité que cette entreprise est parfois la seule à produire.

De telles activités relèvent peu de produits qu’il est convenu d’appeler « commodités », elles sont donc a priori moins dépendantes de la crise économique générale. Mais restent néanmoins sensibles à la situation des deux grands marchés précités.

Les aciers spéciaux français sont présents sur tous les continents, comme le montre le graphique ci-dessous :

Comme le montre le tableau ci-après, ils constituent un élément important de l’équilibre de la balance extérieure des paiements.

M. Christophe Journet, rédacteur en chef de MPE-MEDIA a exposé devant la commission que, ce que la France ne peut gagner en volume de production face aux plus grandes puissances, elle peut le reprendre sur la base de ses atouts comparatifs : « Les constructeurs d’automobiles allemands ont par exemple besoin d’aciers spéciaux et d’aluminium de qualité élevée que notre pays est l’un des seuls à savoir produire. Je pense aux alliages de la série 6 000 et à Saint-Jean Industries dont le siège social se trouve à Saint-Jean d’Ardières dans le Rhône. Si ce type d’industrie n’est pas abandonné à son sort et soumise à des charges trop lourdes ; si nous ne les condamnons pas à ne pas tirer les marrons d’un feu qu’elles cherchent à entretenir, nous pouvons rester optimistes ».

D’après M. Philippe Darmayan, en ce qui concerne certains marchés « de niches », s’il subsiste des installations de finition à Florange, dans le Massif central ou à Nantes, c’est que ces sites sont de taille plus réduite. Il est possible de les spécialiser en amortissant les frais fixes sur des volumes moindres. On parvient à rendre compétitifs par exemple Imphy, qui emploie environ 700 personnes grâce aux compétences présentes. La phase à froid de Florange a une vocation toute particulière dans le domaine de l’automobile notamment. Les capacités des lignes de laminage à froid sont moindres que celles des hauts-fourneaux, qui doivent produire 4 à 5 millions de tonnes pour être compétitives contre 700 000 à 1 million de tonnes pour un four électrique. Une installation de laminage à froid « tournera » également autour de 700 000 ou 1 million de tonnes.

Enfin concernant la métallurgie de l’aluminium, un représentant du Groupe de réflexion sur l’avenir de la métallurgie en France (GrameF) a déclaré à la commission : « Concernant la question des progrès possibles, je voudrais citer un exemple de succès qui montre le potentiel d’un métal tel que l’aluminium. Hier, à l’usine Constellium d’Issoire – qui regroupe les éléments restant de la transformation de Péchiney –, j’ai assisté à l’inauguration d’une fonderie produisant les nouveaux alliages aluminium-lithium « Airware » : unique au monde, cette unité contribue à placer Constellium au premier rang mondial pour les alliages destinés à l’aéronautique. Cette innovation résulte de près de vingt ans de recherches menées dans les laboratoires de Péchiney-Alcan, avec le soutien des laboratoires publics. L’avenir de l’aluminium est précisément dans le renouvellement permanent des alliages et dans la découverte de nouvelles applications, qui peuvent concerner demain d’autres secteurs que l’aéronautique ».

D. – GARANTIR LE RENOUVELLEMENT DES GÉNÉRATIONS ET ACCROÎTRE LA FORMATION

Un membre du GrameF a déclaré devant la commission : « Le problème du recrutement de jeunes est aussi qualitatif : la métallurgie pâtit d’une mauvaise image dans l’ensemble des établissements de formation, y compris les grandes écoles. Encore récemment, celles-ci proposaient des options en métallurgie d’excellent niveau qui ont toutes disparu aujourd’hui. Le même constat peut être dressé pour les formations bac+2, puisque les employeurs éprouvent les plus grandes difficultés à trouver des techniciens supérieurs pour travailler dans notre secteur. Cette situation est évidemment très préoccupante et nous allons essayer d’élaborer des propositions pour y remédier avec l’appui des ministères compétents. Il faut rétablir une image positive de la métallurgie, notamment en faisant connaître ses succès, suffisamment nombreux. Mais, pour réussir, il faudrait que l’ensemble des pouvoirs publics aient confiance dans l’avenir de cette industrie, ce qui n’est malheureusement pas vraiment le cas ».

M. Philippe Dubois, directeur des ressources humaines d’Aubert & Duval et d’Erasteel a considéré que : « pour être présent sur des niches à technologie compliquée, il faut disposer de personnels porteurs de savoir-faire, et donc d’un flux de formation important. Or, parmi les diplômés des écoles d’ingénieurs, peu se dirigent aujourd’hui vers nos domaines ; sans filière sidérurgique conséquente, ce flux se réduira davantage encore, et nous manquerons de compétences.

Dans la formation, c’est l’image de l’industrie qui est en jeu. Nous exerçons un métier passionnant qui s’ancre dans le concret et non dans le virtuel, j’en veux pour preuve ma formation d’ingénieur et non de financier. Malheureusement, les médias n’insistent que sur les problèmes de l’industrie, que la concentration des effectifs rend certainement plus visibles que ceux des petites sociétés de service où les licenciements passent inaperçus. À l’inverse, ils ne montrent rien des choses extraordinaires que l’on y fait, cette absence de valorisation expliquant le manque de motivation des jeunes. Le corps enseignant devrait également se mobiliser et venir constater dans nos usines que l’industrie n’en est plus à l’époque de Zola !

Bien des filières d’enseignement indispensables à nos métiers – la forge, la fonderie, l’aciérie et l’élaboration – n’existent plus. D’autres – comme le contrôle non destructif – n’ont jamais existé. L’entreprise s’est donc structurée pour former dans ses murs. En partenariat avec l’Education nationale, nous travaillons avec l’Association de formation professionnelle de l’industrie (AFPI) et l’Union des industries et des métiers de la métallurgie (UIMM) pour mettre au point des formations adéquates. Nous montons actuellement un centre d’hébergement et de formation en alternance sur le site des Ancizes.

Mais la plus grande difficulté à laquelle nous sommes confrontés consiste à attirer les gens chez nous. Le taux de renouvellement du personnel hors retraites ne représente que 1 % chez Aubert & Duval ; le problème n’est donc pas de garder les salariés – une fois embauchés, ils restent dans l’entreprise –, mais de les faire venir. De concert avec l’UIMM, nous travaillons à améliorer l’image de notre industrie. Nous invitons les enseignants à visiter nos sites et intervenons dans les collèges, voire plus tôt, car c’est à ce stade que les jeunes choisissent leur avenir et qu’il faut leur faire découvrir des métiers. Ainsi, participer à une animation où ils doivent concourir pour construire une voiture de course leur montre – de façon plus concrète qu’un cours – ce qu’est la technologie. Nous avons besoin de ce type d’actions, mais également de systèmes de formation aux règles plus simples ».

La commission a entendu MM. Jean-Pierre Fine, secrétaire général, et Gilles Lodolo, directeur « Emploi-Formation » de l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM). Ceux-ci ont établi le constat suivant : la branche connaît un taux de maintien au travail important des salariés âgés de 55 à 59 ans, d’un autre côté, les jeunes sont moins nombreux que dans les autres secteurs d’activité. Par ailleurs, dans les années à venir, l’emploi est plutôt appelé à progresser dans les métiers à caractère technique. D’ici à 2020, c’est le recrutement d’ingénieurs et de cadres techniques qui connaîtra une accélération de son rythme. Ceci s’explique particulièrement par un déplacement des besoins vers les fonctions de conception et de gestion de la production, et vers les activités de flux, aux dépens des activités de production proprement dite.

M. Jean-Pierre Fine a indiqué que : « Les besoins de recrutement dans l’ensemble des secteurs que nous représentons s’élèvent à environ 100 000 par an, à rapporter à l’effectif de 1,4 million de salariés ». Mais, au sein du secteur, on constate un déséquilibre de la pyramide des âges au profit des plus de 50 ans, cette situation « fait peser sur la métallurgie un risque d’ « évaporation » des compétences industrielles, au moment même où il s’impose d’élever le niveau de qualification dans tous les emplois ». Aussi, dans ce contexte peut-être plus que dans d’autres, on connaît la situation paradoxale d’une période de chômage élevée et d’emplois non pourvus fautes de candidats formés et qualifiés.

Face à cette situation, l’UIMM a créé un fonds doté de 70 millions d’euros afin de guider les jeunes vers les emplois industriels ; entre 10 000 et 12 000 d’entre eux reçoivent, selon les interlocuteurs de la commission d’enquête, une formation.

Cependant, votre rapporteur considère que la difficulté à résoudre est plus vaste et qu’il revient à la puissance publique de reconsidérer toutes les étapes du processus de la formation. Cela commence par un retour, dès l’école à une culture industrielle et un discours plus positif donc renouvelé sur les métiers dans toute leur noblesse. Ensuite un reprofilage de toute la chaîne de formation doit aboutir à un renouvellement de certains cycles de la formation parfois même tombés en quasi-déshérence au cours des dernières années.

Une étude prospective sur l’évolution des emplois et des métiers de la métallurgie a été commandée par l’Observatoire de la métallurgie, ce document est disponible à l’adresse suivante : http://www.observatoire-metallurgie.fr/etudes/Lists/DocumentsEtudes/Etudes%20longues/Etude%20prospective%202012-2020.pdf. L’Observatoire prospectif et analytique des métiers et qualifications de la métallurgie, se présente comme une instance paritaire dans le cadre de la Commission paritaire nationale de l’emploi (CPNE) de la métallurgie. Il a pour mission d’éclairer les partenaires sociaux et les entreprises concernées sur l’évolution des métiers et des qualifications de l’industrie métallurgique, les pratiques et tendances constatées en matière de recrutement et de mobilité, les évolutions de l’emploi et les besoins en compétences.

Dans ses conclusions, l’étude propose deux méthodes prioritaires dans le domaine des ressources humaines : Aider les entreprises à résoudre leurs difficultés de recrutement et à attirer les potentiels de demain ; soutenir l’offre de formation et améliorer l’insertion dans les entreprises de la métallurgie.

Pour la première action, il s’agit principalement pour les entreprises d’élargir le champ des publics ciblés, particulièrement en assurant leur présence permanente dans tous les lieux de la zone d’emploi de l’entreprise et en intensifiant les efforts dans l’aide à l’orientation. Les entreprises sont conviées à élargir leurs viviers de recherche, d’infléchir leurs critères au stade du recrutement et d’accepter de renoncer au profil idéal alliant diplôme et expérience, cela dans un contexte de pénurie. Enfin, il est recommandé de construire de véritables parcours d’acquisition des compétences et d’intégration en bâtissant des suivis individualisés par le biais du tutorat, de la formation, du transfert de savoir-faire, etc.

La seconde action tend à améliorer la cohérence entre le système des formations diplômantes et les besoins des entreprises, donc à augmenter le taux d’insertion des jeunes diplômés dans les entreprises de la branche et à améliorer l’intégration des nouveaux entrants.

III. — UNE RECHERCHE SECTORIELLE CONFRONTÉE
À DES ENJEUX DE DYNAMISATION ET DE RENOUVELLEMENT

A. – UNE DANGEREUSE DÉSAFFECTION QUI NE SAURAIT ABOUTIR À UN OUBLI COUPABLE.

Au début de l’année 2011, l’Académie des sciences et l’Académie des technologies ont publié un rapport commun « La Métallurgie, science et ingénierie » sous la direction des Professeurs André Pineau et Yves Quéré. Ce travail insiste tout particulièrement sur les risques encourus par la recherche sidérurgique, et plus généralement métallurgique, en constatant un délitement du lien entre la recherche fondamentale et les entreprises et un vieillissement de la communauté des chercheurs. Les auteurs font également état du fait que les centres de décision concernant les filières de l’acier et de l’aluminium ont quitté la France, ils sont même souvent hors d’Europe, avec les incertitudes que cela fait peser sur le devenir d’unités de recherche importantes et le transfert des savoir-faire vers l’étranger. Votre rapporteur partage ce constat. Comme les académiciens, il constate que les activités sidérurgiques et métallurgiques souffrent d’une mauvaise image dans l’opinion notamment chez les étudiants et doctorants qui s’en détournent au motif qu’elles n’ouvriraient que peu d’opportunités ou qu’elles seraient tout simplement « dépassées ». Or, ces activités constituent une composante majeure de la vie industrielle. Elles irriguent de nombreux autres domaines de haute technologie. Ce déficit d’image n’est pas anodin. Le rapport des deux Académies montre l’insuffisance de représentation de la métallurgie au sein même des organismes publics : « Le nombre des chercheurs en métallurgie dans les grands organismes de recherche (notamment CEA et ONERA) a été divisé par trois dans les quinze dernières années. La fragmentation des commissions du CNRS et le manque de lisibilité de la métallurgie comme discipline singulière ont fait le reste. Une des forces de la discipline sa liaison étroite avec le monde industriel est devenue une faiblesse : trop fondamentale pour la recherche appliquée, la métallurgie fondamentale est apparue comme trop appliquée aux yeux des responsables de la recherche fondamentale. Dans le même temps des pays comme la Chine ou l’Inde montent en puissance de façon impressionnante ».

S’agissant de la formation aux techniques et métiers de la métallurgie, ce rapport dresse un constat alarmant : « À la désaffection des étudiants pour les disciplines scientifiques et techniques, tendance lourde encouragée par une désindustrialisation progressive au profit d’une conception financière de la société industrielle, se surimpose une « image de discipline ancienne » qui masque la réalité. Cette réalité est celle d’une discipline au cœur de nombreux développements industriels modernes ... Et pourtant les grandes Écoles les plus prestigieuses ont pratiquement renoncé à toute formation métallurgique tandis que les universités ont sacrifié cette compétence de base. » (Conférence de presse de présentation du rapport du 20 janvier 2011)

Cette situation relève bien d’un syndrome français. D’ailleurs, votre rapporteur regrette qu’une organisation patronale comme l’Union des industries et des métiers de la métallurgie, l’UIMM, que l’on dit riche et puissante, n’ait pas donné à la commission le sentiment d’avoir pris la pleine mesure de cette réalité au cours de l’audition de ses responsables. Même si une organisation de cette nature ne peut tout faire à elle seule, et notamment se substituer à ses mandants, sa politique de communication et ses engagements dans l’incitation à la recherche et dans la formation doivent pouvoir faire l’objet de révisions avec pour objectifs des résultats plus probants. Les plans exposés à la commission par l’UIMM doivent s’accorder mieux encore à la réalité constatée, en fonction de la vocation fédératrice de l’organisation. Il est très important que l’initiative prise, il y quelques mois, par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche de créer un comité d’orientation national sur la recherche et les formations métallurgiques aboutisse à susciter une réaction forte de la part des professions concernées.

La recherche métallurgique est à la base du développement de nouveaux matériaux. Elle a également pour vocation d’améliorer les process de production. Ces facteurs sont déterminants pour la compétitivité de notre industrie, tout spécialement dans les combinaisons « énergie »-« matières ». Certaines délocalisations trouvent évidemment leur origine dans les défaillances de nos positions comparatives en ces domaines-clés. Une génération de chercheurs et aussi de cadres de la fabrication va quitter le secteur dans les toutes prochaines années. Leur remplacement est d’autant moins assuré que ces départs s’accompagneront encore trop souvent de suppressions de postes dans les entreprises. En tout état de cause, l’enjeu reste décisif concernant la pérennité de certaines filières métallurgiques en France. L’enseignement professionnel et l’alternance doivent y répondre rapidement ; les métiers de la métallurgie sont extrêmement divers, ils vont de la production dans des unités importantes comme le sont les aciéries à la métallurgie des métaux précieux dans de petits ateliers spécialisés. D’ailleurs, tant dans la fabrication que dans les activités de R&D, on ne forme pas un sidérurgiste ou un métallurgiste en quelques semaines !

B. – UN RISQUE D’ÉVASION VERS L’ÉTRANGER DE NOTRE SAVOIR-FAIRE

Le contrôle désormais exercé en France par des entreprises étrangères sur des pans entiers de l’activité métallurgique affecte effectivement le secteur de la recherche, tout spécialement lorsque des entreprises multinationales définissent des stratégies mondiales. L’exemple de Rio Tinto Alcan (RTA) est à cet égard révélateur. La commission d’enquête s’est inquiétée du devenir d’un pôle de recherche développé de longue date sur la production d’aluminium au sein du groupe Péchiney et sur lequel pèsent de fortes incertitudes depuis que RTA dispose d’une pleine et entière propriété sur ces activités. Au cours d’un déplacement, elle a rencontré des responsables syndicaux du pôle de recherche Aluval qui, à Voreppe (Isère), dépend de Rio Tinto. Elle a fait de même concernant un autre centre de recherche spécialisé dans des techniques plus applicatives de l’aluminium, également situé dans cette commune, mais qui appartient désormais à Constellium (ex-Alcan EP), une entreprise qui, elle aussi, résulte de l’éclatement du groupe Péchiney, dont l’actionnaire principal est le fonds d’investissement américain Apollo Global Management (46). Ces deux pôles de recherche (auxquels s’ajoutent sur place les activités d’une troisième entreprise du secteur, Novelis) bénéficient d’un cadre de proximité ; ils y ont acquis une réputation mondiale. Ils font à présent l’objet de réduction de personnels qui mettent en péril leurs travaux sur la fonderie, le laminage ou encore le filage. Bien que Rio Tinto Alcan ait conservé une participation au capital de Constellium, la séparation des deux entités a eu des conséquences dommageables sur les activités des pôles de recherche.

Plus inquiétante encore est la situation créée par la décision prise par RTA, en mars 2012, de vendre son usine de Saint-Jean-de-Maurienne (Savoie) et une plus petite unité située à Castelsarrasin (Tarn et Garonne) mais liée à cette usine, tout en conservant le Laboratoire de recherche et de fabrication, le LRF, situé sur le site même de Saint-Jean-de-Maurienne. La poursuite des recherches du LRF sur les procédés d’électrolyse encourt un risque majeur, dès lors qu’une coupure sera établie entre la production et le LFR, y compris pour ses approvisionnements. Le LFR compte près de 125 salariés qui disposent notamment pour leurs travaux des trois cuves prototypes de la génération AP50 développée sur ce site. Il est clair que désormais peu intéressé par la production d’aluminium du moins en Europe, Rio Tinto Alcan entend par un tel « découplage » conserver au travers du LRF la marque « Aluminium Péchiney » qui reste une référence majeure du secteur pour l’exploitation de brevets. La stratégie actuelle du groupe ne privilégie d’ailleurs plus d’investir de façon significative dans la production d’aluminium.

Selon les syndicalistes, la recherche est plus un coût qu’un investissement pour Rio Tinto. Le groupe a ainsi fermé un centre de recherche en Australie et réduit les budgets de ses propres centres au Québec. Il semble privilégier un type de recherche qui correspond plus à de l’innovation « ouverte », notamment en intensifiant ses relations avec des universités étrangères, ce que pratique déjà le groupe au Canada. Les syndicats constatent d’ailleurs que Rio Tinto organise à partir de la France des transferts des savoir-faire et des méthodes vers ce pays. Il a été précisé à la commission que l’on assistait actuellement à un véritable « pompage de la technologie ». En réalité, une recherche industrielle « en interne » n’est nullement incompatible avec des partenariats universitaires, la France met d’ailleurs l’accent sur cette approche et le rapprochement des pôles de compétitivité. Ainsi, le pôle de recherche sur l’aluminium de Voreppe a noué des liens avec le pôle de compétitivité « ViaMéca » de même qu’avec « Axelera » dans des activités chimiques. Toutefois, l’intensification du transfert de la recherche de Rio Tinto vers l’étranger est inquiétante. À cet égard, la commission d’enquête n’a pas été véritablement rassurée par les explications qui lui ont été données au cours de son déplacement à Saint-Jean-de-Maurienne par le vice-président « Recherche monde » de Rio Tinto Alcan, M. Claude Vanvoren, en dépit de déclarations relatives à l’attachement à une recherche qualifiée par lui d’« incrémentale » qui viserait à améliorer en permanence les techniques de production existantes

Toutefois La nouvelle technologie de production AP60 (pour 600 000 ampères) financée et conçue en France est actuellement déployée par Rio Tinto dans ses implantations du Québec.

Plus généralement, le secteur de l’aluminium représente un cadre de recherche à portée stratégique. Notre pays se doit d’y conserver une position forte. Jusqu’alors dominante pour les process liés à l’électrolyse qui connaîtront d’ailleurs longtemps des développements d’avenir, il importe néanmoins de donner à la recherche française des orientations encore plus prospectives concernant, par exemple, la technologie des anodes inertes sur laquelle la Russie semble très engagée ou encore la « carbo-réduction » qui devrait permettre de produire de l’aluminium dans des unités de moins grande taille et surtout plus faiblement consommatrices d’énergie. Ces pistes de recherche supposent que l’on ne démantèle ni n’affaiblisse l’appareil de recherche français dans le secteur. Les technologies « Péchiney » sont encore largement dominantes pour la production d’aluminium mais d’autres technologies concurrentes sont en cours de développement notamment par le norvégien Norsk Hydro ou encore dans de nouvelles installations du Proche Orient comme à Dubaï.

Les structures mises en place et les moyens dégagés par les pouvoirs publics, à l’initiative de la précédente majorité et de l’actuel gouvernement, révèlent une préoccupation de rompre avec une certaine perte de substance. Les États généraux de l’industrie, le programme des Investissements d’avenir, les pôles de compétitivité, les instituts de recherche en technologie (IRT), la labellisation Carnot conférée à certains projets d’excellence, la reconnaissance par le Conseil de l’industrie de filières stratégiques traduisent une ambition dont les activités métallurgiques et sidérurgiques ne peuvent s’extraire. Les pouvoirs publics ont ainsi tracé plus que de simples perspectives ; il revient donc aux industriels d’y répondre par des actions qui les engagent dans la durée. Votre rapporteur ne se résoudra pas facilement au pessimisme. Ayant présidé, en 2011, une précédente commission d’enquête sur les industries ferroviaires que son groupe politique avait pris l’initiative de créer, il a vu se réaliser assez rapidement deux de ses propositions largement soutenues par les industriels concernés, à savoir les mises en place d’une filière stratégique particulière aux industries ferroviaires et d’un fonds de modernisation sectoriel sous l’égide du FSI. Ces exemples concernent des activités que beaucoup croyaient appartenir à la « vieille industrie », alors que dans le domaine ferroviaire la France est un acteur majeur de l’innovation industrielle qui a toujours été présent à l’exportation. Un parallèle peut être fait avec la sidérurgie et d’autres segments de la métallurgie dont relèvent d’ailleurs toujours à titre principal les industries ferroviaires.

1. Une responsabilité toute particulière d’ArcelorMittal

a) Un héritage de haute valeur

Par son histoire et notamment les modalités de sa constitution faites de rachats épars sur plusieurs continents, le groupe Mittal Steel ne s’inscrivait pas dans une tradition d’activités de recherche en tout cas précédemment à sa prise de contrôle d’Arcelor. En devenant ArcelorMittal, le groupe a « hérité » de structures et aussi d’un potentiel humain spécialement dédiés à la recherche qui, en France, constituaient un des points fort des grandes entreprises de l’acier et de la métallurgie.

Les domaines de la recherche et de l’innovation devaient donc compter parmi les préoccupations essentielles du travail de la commission d’enquête. Au cours de son déplacement en Lorraine, elle a ainsi tenu à visiter le centre de Maizières-lès-Metz qui rassemble sur un même site une grande partie de la recherche industrielle française du secteur sidérurgique. Aujourd’hui, ce centre dépend totalement du groupe ArcelorMittal qui dispose au total de 11 sites de recherche dont 9 en Europe et 2 en Amérique du nord.

La recherche du groupe reste d’un point de vue quantitatif plus présente en France que dans les autres pays d’implantation. M. Lakshmi Mittal a d’ailleurs tenu à souligner ce point au cours de son audition. En plus du centre de Maizières-lès-Metz, ArcelorMittal compte trois autres centres, certes moins importants, à Montataire, à Gandrange et au sein de sa filiale Industeel au Creusot.

Selon, les données de la direction du groupe, les effectifs « R&D » mondiaux d’ArcelorMittal étaient de 1 214 personnes au mois d’avril 2012 dont 59,5 % étaient employés en France. À cette date ; 537 personnes étaient affectées au seul centre de Maizières (qui accueille en outre environ 120 stagiaires par an), les trois autres pôles français de recherche comptaient 186 salariés. Au total, les effectifs de chercheurs du groupe relèvent donc bien majoritairement de ses centres français et 40% des personnels de Maizières-lès-Metz ont moins de 35 ans.

La prééminence du centre de Maizières s’explique assez facilement car il s’inscrit dans la continuité d’activités qui y avaient été développées, ainsi qu’à Montataire et à Unieux, dans le cadre de l’ex-IRSID (Institut de recherche de la sidérurgie), une structure originale et particulière à la profession sidérurgique. L’IRSID a un temps fonctionné dans un cadre de mutualisation des différentes entreprises qui composaient alors le secteur ; son financement reposant sur leurs cotisations au prorata des chiffres d’affaires. En 2005, Arcelor avait d’ailleurs lancé un ambitieux projet dénommé « Innovation 2005 ». Il existe une nostalgie de l’époque de l’IRSID chez les plus anciens chercheurs qui y disposaient de moyens et surtout de perspectives sans doute plus assurés qu’à présent. De même, un certain attrait pour la recherche qui caractérisait cette époque est d’autant plus fréquemment rappelé par eux, qu’il se traduisait par une ambition fédératrice des efforts d’innovation technique en encourageant le plus souvent des partenariats avec les autres sidérurgistes européens. Quoi qu’il en fût, la réduction du nombre des entreprises sidérurgiques françaises qui a abouti à la prééminence du groupe ArcelorMittal condamnait une structure fonctionnant sur des bases coopératives comme l’IRSID. Toutefois, d’autres structures du même type continuent à exister en Europe dans le secteur de l’acier : le BFI, en Allemagne, le CRM en Belgique ou encore le CSM en Italie. Une fois encore, la spécificité sectorielle française nous sépare d’une réalité plus pragmatique.

La visite du centre de Maizières-lès-Metz a donc particulièrement retenu l’attention de la délégation de la commission. Ce centre qui s’étend sur 24 hectares avec 45 000 m² construits est demeuré moderne et dispose d’équipements de haut niveau, notamment des outils de simulation numérique et de modélisation. La délégation a été spécialement intéressée par les présentations auxquelles elle a assisté et notamment par les explications de Mme Danièle Quantin, DRH « Monde » du secteur de la recherche au sein d’ArcelorMittal. Le centre de Maizières concentre son activité au sein de trois pôles principaux « Automotive Poducts » « Packaging » et « Process » auquel a été ajouté en 2009 une plus petite unité spécialisée concernant les « Mines et les traitements de minerais », ce qui est dans la logique de l’orientation minière du groupe aujourd’hui très marquée. Le centre travaille également ponctuellement pour Aperam qui dispose toutefois de sa propre structure de recherche à Imphy, le centre Pierre Chevenard, du nom d’un des pères fondateurs de la métallurgie de précision.

Les données communiquées par le groupe évaluent les dépenses totales de « R&D » à 190 millions d’euros pour l’année 2012 dont 40 % ont été consacrés à la recherche sur les procédés (« process ») et environ 25 % au secteur automobile (produits et applications). L’investissement destiné à la part européenne de la recherche du groupe serait voisin de 120 millions d’euros sur ce total.

Ce bilan global doit cependant être tempéré en considérant les documents remis à la commission par les syndicats de Maizières (CFDT, CGT et CFE-CGC) qui, réunis en une intersyndicale, lui ont tenu des propos assez pessimistes à l’occasion d’une rencontre en dehors de la direction. Un de ces documents volontairement synthétique est d’ailleurs reproduit en annexe au rapport (page 169). Il en ressort que les montants du crédit d’impôt recherche (CIR) dégagés par le groupe corroborent ceux communiqués par M. Mittal dans sa lettre de réponse à une demande écrite de la commission (page 164), mais des données comparatives avec d’autres groupes sidérurgiques montrent que certains ratios ne plaident guère en faveur d’ArcelorMittal au regard du chiffre d’affaires ou encore par tonne d’acier produite ! Votre rapporteur a parfaitement conscience qu’il convient de relativiser certaines comparaisons entre des entreprises de dimensions et de spécialités différentes au sein d’un même secteur. Il reste néanmoins dubitatif en face d’un groupe, N° 1 mondial de son secteur, qui ne consacrerait plus en 2013 que 180 millions d’euros à la « R&D », environ 0,3 % de son chiffres d’affaires consolidé alors qu’en 1991 l’effort consenti en cette direction par Usinor-Sacilor était de 1,3 milliard de francs représentatifs de 198 millions d’euros, soit 1,3 % des chiffres d’affaires réalisés à cette époque !

Plus généralement, il peut paraître même légitime de s’interroger sur un éventuel partage avec la puissance publique des droits de la propriété industrielle transcrite dans certains brevets dès qu’ils trouveraient leur origine dans un effort largement financé par l’avantage accordé au titre du crédit d’impôt recherche.

b) Un effort qui doit être convaincant

On constate donc un déclin sensible de l’effort d’ArcelorMittal souligné avec amertume par les chercheurs rencontrés. Ce point recoupe d’autres informations de la commission qui ne souhaite pas voir ArcelorMittal économiser quelques dizaines de millions sur sa recherche alors que d’autres groupes comme le coréen Posco investissent massivement et sans relâche dans ce domaine. À titre d’exemple, Posco est à la pointe des recherches sur des produits « fer-manganèse » aux qualités mécaniques très spécifiques qui avaient pourtant représenté un pôle d’intérêt particulier du temps d’Arcelor mais ont été purement et simplement abandonnés par ArcelorMittal, selon ce que nous ont affirmé les syndicats. Le nombre de dépôts de brevets semble même en diminution tant pour ArcelorMittal qu’Aperam, il s’établirait désormais à moins de trente dépôts par an et dans le monde (dont un seul l’an passé au nom d’Aperam), un total qui inquiète.

Cette pente est d’autant moins justifiée que le groupe Mittal a pleinement bénéficié des efforts de recherche du passé en faisant l’acquisition d’Arcelor. Il en est ainsi de son produit-phare des aciers « Usibor » qui enregistre une croissance soutenue de la demande des grands constructeurs automobile notamment allemands et pour lequel les marges sont à présent tout à fait satisfaisantes. D’ailleurs, lors de la visite du site de Florange où ces aciers sont produits, M. Henri-Pierre Orsoni, le directeur général d’ArcelorMittal Atlantique et Lorraine, a tout spécialement présenté cette ligne de production à la délégation de la commission, en insistant sur ses fortes perspectives commerciales. Or, comme l’a rappelé devant la commission M. Gwenaël Le Dily du cabinet Secafi Alfa, les premiers développements concernant les aciers « Usibor » remontent au début de la décennie quatre-vingt-dix et ils ont sans doute fait l’objet de premiers brevets avant même la création d’ArcelorMittal qui en a certes amélioré les process d’industrialisation d’abord dans son usine de Mouzon (Ardennes) puis à Florange. M. Lakshmi Mittal ne saurait perdre de vue que dans la sidérurgie les succès commerciaux reposent sur de longues durées de conception puis de mises au point.

Il existe un risque. Celui de voir la recherche au sein du groupe ArcelorMittal ramenée à des conceptions purement pratiques et, en conséquence, de voir son principal centre de Maizières-lès-Metz se transformer en une juxtaposition de laboratoires d’essais et de validations techniques, hors de toute perspective de rupture technologique. D’ores et déjà, certaines voix estiment en interne qu’une moitié des chercheurs de Maizières-lès-Metz ne poursuit plus véritablement des travaux de recherche mais est affectée à des tâches d’assistance technique qui d’ailleurs consisteraient pour partie à transférer des savoir-faire de l’usine de Florange vers d’autres sites du groupe ! Une telle démarche ne peut être que préjudiciable à terme à ArcelorMittal et aussi à la Lorraine qui dans la recherche sidérurgique et sur les matériaux poursuit une tradition et entend réaffirmer sa dimension d’excellence. Au sein de l’Université de Lorraine, à Nancy et à Metz, l’Institut Jean Lamour (47) (CNRS/ UMR) a ainsi été constitué il y a deux ans. Cet institut entend promouvoir une recherche de haut niveau sur les matériaux et les alliages. De même, l’IRT M2P (« Matériaux, Métallurgie, Procédés ») a vocation à constituer un pôle de recherche majeur sur les métiers de la production et de la transformation des matériaux, en associant recherche publique et privée dans le cadre du programme des Investissements d’avenir. Cet IRT, lancé en 2009 et qui a Metz Technopole pour siège principal, doit aussi répondre au défi du développement durable et du recyclage. Il étend ses activités au sein du « Grand Est » à Besançon, Belfort, Montbéliard et Troyes.

Il convient également de ne pas oublier le Créas (Centre de recherche et d’études des aciers spéciaux) à Hagondange qui appartient au groupe Ascométal.

Au cours de son audition, M. Philippe Morvannou, consultant du cabinet Syndex, a parfaitement exposé le risque encouru par la recherche des grands groupes : « Pour l’aluminium, quand on aura séparé à Saint-Jean-de-Maurienne la recherche-développement de l’usine dont la production-phare est le fil, l’unité deviendra déficitaire en innovation. Il en est de même pour le centre d’ArcelorMittal à Maizières où il ne sera plus possible de conserver la R&D dans la filière « amont », alors que Florange n’y existe plus. »

Les responsables politiques et les milieux socio-économiques définissent pourtant des perspectives novatrices en dégageant des moyens afin de développer un cadre favorable à la R&D. Ainsi, la région Lorraine ambitionne de conforter une « Materials Valley » (ou plus exactement une « Vallée européenne des matériaux et de l’énergie ») qui réaffirme la spécificité d’une région qui ne saurait être vouée à subir le dépérissement de la « vieille industrie » à laquelle d’ailleurs les activités sidérurgiques ne doivent surtout pas être abusivement assimilées. Dans sa lettre de mission au préfet de région, en date du 19 avril 2013, le Premier ministre soutient tout particulièrement cette orientation qui sera prise en compte dans le contrat particulier « État-région Lorraine 2016 ». De nouvelles recherches de haut niveau sur les matériaux, qu’elles soient fondamentales ou applicatives, conforteront la position de la France dans la production des aciers, des matériaux non ferreux et de construction et accompagneront les entreprises sur les marchés en Europe et au-delà. Un groupe comme ArcelorMittal ne peut évidemment se couper d’un tel environnement qui lui sera par nature profitable en lui permettant de nouer les partenariats de recherche dont il semble insuffisamment préoccupé. Il doit donc être un acteur majeur du dispositif qui se met progressivement en place en participant pleinement à l’effort « public-privé » de recherche.

L’accord du 30 novembre 2012 conclu avec le gouvernement insiste notamment sur la nécessité de faire émerger en Lorraine, à partir d’activités déployées à Maizières-lès-Metz, un centre d’excellence sur les aciers automobile et sur les développements en cours de le recherche dans ce secteur afin qu’ils puissent être prioritairement destinés à une industrialisation sur le site de Florange.

2. Une épreuve de vérité pour le groupe ArcelorMittal : mener à bien le programme Lis ?

C’est le 5 décembre 2012, que le grand public entendait parler pour la première fois d’un projet Ulcos. La presse commentait alors largement le retrait d’ArcelorMittal de ce projet dont le groupe était devenu le chef de file, sans doute d’ailleurs plus contraint que volontaire. À cette date, l’opinion était déjà très au fait de « l’affaire de Florange » et cet abandon brutalement annoncé par ArcelorMittal a semblé contredire les premiers engagements du groupe auprès du gouvernement français et en partie connus quelques jours auparavant. Le monde des experts relevant de la communauté scientifique fit part de sa déception et de son amertume. Pour les salariés et leurs organisations syndicales, la décision fut accueillie par la colère. Elle a été immédiatement perçue comme un reniement qui traduisait une duplicité imputée à M. Lakshmi Mittal en personne.

Avec le recul, les faits paraissent cependant complexes. L’avenir du site industriel de Florange dans son ensemble ne pouvait être principalement lié au projet Ulcos, du moins dans sa version initiale, bien que représentant une opportunité d’avenir pour le site. Il reste néanmoins nombre de questions en suspens et tout particulièrement concernant la mise en œuvre d’un programme de substitution, certes nettement moins ambitieux.

Il convient toutefois de rappeler que les premiers groupes de travail réunissant notamment des chercheurs de Maizières-lès-Metz sur des problématiques exploratoires aux technologies aptes à fabriquer de l’acier selon des process plus économes en énergie donc moins polluants remontent à 1991, c'est à dire plus d’une décennie avant le premier lancement officiel du projet Ulcos par l’Union européenne en 2004.

D’abord, quel était exactement le projet Ulcos ? Une des premières incompréhensions résulte de son appellation telle qu’en usage dans la presse. Ulcos a généralement été présenté comme « un projet de stockage de CO2 » de grande ampleur mais sans plus de précisions. Ulcos est un acronyme dont le développement est, à lui seul, plus révélateur de la nature du projet : « Ultra-low carbon dioxide (CO2) Steelmaking » officiellement traduit par « Processus sidérurgique à très basse émission de CO2 ». Ainsi, il est déjà plus clair qu’Ulcos ambitionnait de mettre au point un nouveau procédé de fabrication de l’acier et qu’il relevait d’abord d’un projet d’ordre industriel et non pas de la seule poursuite d’objectifs environnementaux. Pour autant, le cahier des charges du projet visait des résultats extrêmement ambitieux concernant les rejets atmosphériques puisqu’il assignait à cette nouvelle méthode de production une réduction d’au moins 50 % les émissions de CO2 « par rapport aux solutions actuelles de production les plus performantes ». Le lien entre Ulcos et le site de Florange s’avérait néanmoins évident puisque les procédés Ulcos reposaient sur la réutilisation dans le cycle de fabrication au moyen du recyclage des gaz de tête des hauts fourneaux selon les techniques de la filière liquide. Il s’agissait bien d’une véritable révolution de process car Ulcos poursuivait aussi un objectif de compétitivité en offrant la perspective d’une réduction importante de la consommation d’énergie nécessaire à la fabrication, une donnée difficilement quantifiable a priori mais que des experts évaluaient à -30 voire à -40 %. La pérennité de fonctionnement des hauts fourneaux P3 et P6 de Florange dépendait ainsi de la mise en œuvre sur le site d’un nouveau procédé de fabrication, d’abord à titre expérimental puis en phase d’exploitation à des horizons demeurant toutefois lointains donc incertains.

La justification donnée par le groupe ArcelorMittal concernant son abandon du projet se fondait sur l’existence de difficultés techniques très importantes. L’argument alors immédiatement perçu comme un prétexte ne peut toutefois être a priori totalement rejeté. Les syndicalistes des activités de recherche du groupe rencontrés à Maizières-lès-Metz ont confirmé à la commission l’existence de difficultés d’ordre technique soulevées par un tel projet, en faisant notamment état de la problématique particulière aux réfractaires des coupleurs des hauts fourneaux dans la mise en œuvre des « solutions » Ulcos. Ces difficultés techniques étaient-elles insurmontables comme le donnait à penser ArcelorMittal ? La question demeure sans réponse certaine.

En revanche, le coût global du projet Ulcos, en incluant son prolongement industriel, a constitué un problème majeur car il était estimé, en premier lieu, à quelques centaines de millions d’euros puis à environ 650 millions. Il comportait trop de risques financiers pour que Lakshmi Mittal en accepte le lancement, bien qu’ArcelorMittal n’ait pas eu à supporter, loin s’en faut, l’intégralité des charges voire des dérapages du projet. Car Ulcos a été défini dans le cadre d’un appel à projets européen (ENR 300) auquel l’Union européenne devait consacrer une participation financière conséquente (à hauteur d’environ 40 % du total). En dépit de ce soutien, nombre de candidats qui étaient pourtant de grands groupes se sont successivement révélés défaillants devant l’ampleur des problèmes. ArcelorMittal, qui n’était pas à l’origine le plus intéressé et était d’ailleurs classé en huitième et dernière position par la Commission européenne, s’est ainsi trouvé en première ligne. Les pouvoirs publics français s’étaient également engagés à hauteur de quelque 150 millions d’euros, au travers des Investissements d’avenir (ex-Grand emprunt) et aussi de l’ADEME, sans compter des aides régionales. Au moment de l’abandon par ArcelorMittal, le total des fonds européens « déblocables » s’élevait à 256 millions d’euros mais leurs versements en mode progressif restaient subordonnés à des investissements constatés et évalués quant à leurs résultats. Il revenait donc à ArcelorMittal d’investir en premier lieu, ce que le groupe a refusé au regard des enjeux mais de ses capacités financières dans un contexte d’effondrement du cours de la tonne de CO2 et d’absence de régulation, à défaut d’une réforme du système européen des quotas relatifs à ce rejet, des facteurs ne conférant pas de certitudes sur un business model d’arrivée. De plus, une condition supplémentaire, à l’initiative du Parlement européen, exigeait le fonctionnement d’un démonstrateur en production pendant au moins 10 ans, une durée trop longue pour recueillir l’engagement d’un industriel. ArcelorMittal a probablement aussi repoussé l’idée qu’il puisse être considéré comme l’opérateur principal d’Ulcos. Il aurait pu ainsi s’exposer à des risques juridiques au titre du transport et surtout du stockage sous-terrain du CO2, même effectué à titre expérimental par de faibles volumes d’injection dans une zone sédimentaire qu’il restait d’ailleurs à trouver.

Le pilotage d’Ulcos pouvait lui-même paraître hasardeux. Car il s’agissait de constituer aux cotés de chefs de file un consortium qui ne comptait pas moins de 48 membres (entreprises, institutions de recherche et universités) appartenant à 15 pays européens différents ! Pour autant, Corus devenu Tata Steel, un autre grand groupe sidérurgique européen, s’est, lui, engagé à mener à bien, aux Pays-Bas, une partie du programme Ulcos concernant un procédé de fusion-réduction dénommé Hisarna, ce que n’ont pas manqué de rappeler à la commission les syndicalistes de Maizières-lès-Metz.

Dans le prolongement de l’Accord dit de Florange, conclu le 30 novembre 2012 entre le gouvernement et M. Mittal, le principe du lancement d’un projet se substituant à Ulcos a été arrêté, en tant qu’option de rattrapage.

Ce projet, dénommé Lis pour « Low impact steel », a vu sa feuille de route examinée à la fin du mois d’avril 2013 par le comité de suivi de l’accord, un groupe de travail présidé par M. François Marzorati, ancien sous-préfet de Thionville, désigné par le Premier ministre au titre d’une lettre de mission en date du 7 décembre 2012. Ce document chargeait, en outre, ce fonctionnaire d’animer un comité de pilotage relatif à la réalisation par ArcelorMittal d’un démonstrateur simplement inspiré voire dérivé de la technologie envisagée par Ulcos. La définition du nouveau programme Lis a ainsi donné lieu à des négociations entre le groupe et les pouvoirs publics au long du premier trimestre 2013. À leur terme, Lis est désormais conçu comme un projet lorrain, du moins dans la poursuite des travaux nécessaires à sa conception en vue de créer un modèle économique de valorisation industrielle du CO2 à l’horizon 2018.

Lis est un programme beaucoup plus modeste que ne l’était Ulcos donc susceptible de suivre un calendrier d’exécution précisément défini, car il dissocie largement la problématique du transport et du stockage du CO2 de la réalisation d’un démonstrateur.

Les techniques du captage et du stockage de CO2 (regroupées sous l’acronyme CSC) ont néanmoins déjà été testées en France, à partir de 2009 et durant quatre années, par la société Total sur son site de Lacq (Pyrénées Atlantiques) mais à une petite échelle dans un but expérimental. La commission a auditionné des représentants du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) sur les perspectives du captage et du stockage du CO2. L’exposé très intéressant des scientifiques de cet organisme et particulièrement de Mme Isabelle Czernichowski-Lauriol, présidente du réseau européen CO2GeoNet, n’a toutefois pas emporté la conviction de votre rapporteur. Leur optimisme se fonde certes sur différentes expérimentations réalisées ou en cours dans plusieurs pays, mais il relève plus encore d’une louable démarche de recherche que d’une ambition véritablement industrielle. En effet cette démarche s’inscrit dans un contexte différent ; elle est financée au titre des 6e puis 7e PCRD (Programme cadre de recherche et développement) de l’Union européenne avec pour objectif de valider des options éligibles aux technologies « propres » du protocole de Kyoto. Elle ignore trop la question essentielle de l’acceptation des populations qui seraient confrontées dans leur voisinage au transport et au stockage du CO2, même si votre rapporteur se plait à faire état de la position paradoxale de ceux qui manifestent d’ores et déjà une hostilité de principe alors qu’ils sont souvent les premiers à dénoncer les conséquences des gaz à effets de serre !

Les pistes à explorer au titre de Lis sont toujours celles d’une réutilisation industrielle des gaz de haut fourneau donc d’une valorisation de rejets qu’il serait également concevable d’injecter dans les minerais ou bien en utilisant des micro-organismes pour en extraire des substances chimiques voire de concevoir des transformations du CO2 en nouvelles ressources énergétiques comme, par exemple, sa méthanisation.

La clé de financement du projet Lis est, à ce jour, « franco-française ». Le montant retenu semble toutefois très modeste au regard des chiffres qui étaient avancés concernant Ulcos. Sur les quelque 32 millions d’euros annoncés, ArcelorMittal s’est engagé à hauteur de 13 millions, le solde étant à la charge de l’Etat pour au moins une dizaine de millions et de partenaires industriels qui d’ailleurs pourraient bénéficier de soutiens de l’ADEME. Ces partenariats privés restent à conclure ; certaines sources syndicales font état de l’entreprise Air Liquide mais sans plus de certitudes. L’effort financier demandé à ArcelorMittal sur la période 2013-2018 n’est pas insurmontable, surtout si on le compare à ce que lui offre le crédit d’impôt-recherche (CIR), à savoir 35,6 millions d’euros en 2011 et 35 millions en 2012 (dernier exercice connu). Dans une lettre qu’il a cosignée avec le président de la commission d’enquête, votre rapporteur a cependant tenu à interroger le Commissaire Tajani, en charge de l’industrie et de l’entreprenariat, sur les éventuels soutiens financiers européens auxquels pourrait prétendre le projet Lis, qui semble effectivement relever des piliers « énergie » et « innovation » du Plan Acier présenté le 11 juin dernier par la Commission de Bruxelles.

La commission d’enquête s’interroge sur les conditions de lancement du projet Lis qui doit effectivement ancrer les recherches en Lorraine, d’abord à partir du centre de Maizières-lès-Metz et de l’université. Lors de son déplacement à Maizières, le 6 juin 2013, les syndicalistes rencontrés lui ont fait part de leur ignorance quant à la constitution d’équipes dédiées au sein même du centre et des moyens dont elles disposeraient. Pourtant, Mme Danièle Quantin, responsable de la recherche d’ArcelorMittal, a tenu à souligner devant la commission, au cours de cette même journée, que Lis n’est plus à présent au stade du « projet » mais relève bien d’un « programme » ! En considérant la durée désormais établie pour conduire cette recherche, la commission estime qu’un strict respect de l’agenda de travail est indispensable de la part d’un groupe qui s’est vu attribuer une mission de chef de file dont la bonne exécution conditionne la mise en place de l’ensemble des partenariats.

Comme l’a très bien dit notre collègue Michel Liebgott devant M. Lakshmi Mittal, il est impératif que Lis ne connaisse pas un sort qui s’apparenterait à un « enterrement de première classe ! ». Pour la commission Lis est une alternative qui prépare en Lorraine la sidérurgie de demain. M. Mittal a convenu que ce programme sur lequel il a engagé son groupe représente un « défi ». ArcelorMittal en sa qualité de leader du secteur sidérurgique se doit de relever le défi. Il en va de la crédibilité personnelle de M. Mittal, tout spécialement vis-à-vis de ses équipes et plus généralement dans son métier de sidérurgiste qu’il exerce depuis toujours et dont nous le savons fier. À ce jour, la commission d’enquête ne veut exprimer aucune défiance concernant sa détermination à mener à bien ce projet. Ses membres resteront néanmoins vigilants.

Il reste à savoir dans quelles conditions pratiques se dérouleront les différentes phases du programme. Lis ambitionne de réaliser un démonstrateur. S’agit-il d’un prototype de laboratoire ? Dans ce cas, d’autres équipes de recherche, en Europe ou ailleurs, en ont d’ores et déjà construit de différentes formes et conceptions, avec plus ou moins de succès. Lis suppose donc de dépasser cette première phase, sans doute nécessaire, pour aboutir à un dispositif intégré à un site de production qui, après différentes étapes de montée en charge, sera d’une capacité significative. Le projet peut-il être réalisé, dès 2018, au moyen d’un haut fourneau de grande dimension ? La réponse à cette autre question demeure pour le moment prématurée, d’autant que le lieu d’exploitation d’un « système Lis » reste incertain. Il a été mis fin à l’activité des deux hauts fourneaux de Florange qui, en vertu de l’accord passé avec le gouvernement, demeureront néanmoins placés « sous cocon » pendant six ans. Certes, il existe quasiment une coïncidence de termes entre cette disposition d’attente et l’échéancier du programme Lis. Mais rares sont les sidérurgistes à concevoir une possibilité de redémarrage de la filière liquide, du moins avec des capacités comparables à celles qui existaient, même si des « réparations », au demeurant lourdes donc reconstructives, étaient effectuées avant une reprise de l’activité. Pour autant, la construction d’un nouveau système sur le site de Florange ne doit pas être a priori exclue.

C. – EN DÉPIT D’UNE SITUATION GLOBALEMENT FAVORABLE, LE COÛT DE L’ÉNERGIE REQUIERT UNE VIGILANCE PARTICULIÈRE À LA HAUTEUR DE SON CARACTÈRE CRUCIAL

1. Le coût de l’énergie et particulièrement de l’électricité : un enjeu crucial pour l’avenir de secteurs fortement consommateurs.

La sidérurgie et la métallurgie, et plus spécialement s’agissant des activités de production d’aluminium, ont pour caractéristique commune d’être grosses consommatrices d’énergie et au premier chef d’électricité.

Comme le relève une étude de la direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services (DGCIS) concernant des données relatives à l’année 2010, la consommation moyenne d’électricité des entreprises du secteur de la sidérurgie s’élève à 4,5 kWh par euro de valeur ajoutée alors qu’elle est de 0,6 kWh par euro de valeur ajoutée pour l’ensemble de l’industrie manufacturière et que sont légalement considérées comme électro-intensives les entreprises pour lesquelles ce seuil est de 2,5 kWh.

18 entreprises sidérurgiques, soit 61 % de leur nombre total, dépassent ce seuil, aucun secteur industriel ne comptant un pourcentage aussi élevé d’entreprises électro-intensives, et leur consommation moyenne est de 5 kWh par euro de valeur ajoutée, deux fois supérieure à celle correspondant audit seuil. Ces entreprises regroupent environ 18 200 salariés, soit près du cinquième de la totalité des effectifs employés dans les entreprises électro-intensives

Le secteur des tubes et des profilés creux en acier présente toutefois un caractère moins électro-intensif puisque la consommation moyenne d’électricité n’y est que de 1,2 kWh par euro de valeur ajoutée, et les deux entreprises électro-intensives concernées ne représentent que 5 % du nombre total des entreprises de ce secteur.

La métallurgie de l’aluminium constitue, en revanche, un secteur très électro-intensif puisque sa consommation d’électricité est en moyenne de 8,5 kWh par euro de valeur ajoutée, ce qui la place au deuxième rang des secteurs qui revêtent ce caractère. Sept entreprises poursuivant de telles activités, soit 23 % de leur nombre total, sont électro-intensives et ont une consommation moyenne d’électricité de loin supérieure aux entreprises les plus électro-intensives des autres secteurs (20,0 kWh contre 5,9 kWh par euro de valeur ajoutée). La part des consommations d’électricité dans le chiffre d’affaires total des entreprises électro-intensives n’est pas éloignée de celle des charges salariales (6,4 % contre 8,3 %).

Compte tenu des données qui viennent d’être rappelées, il n’est guère surprenant que l’ensemble des personnes appelées à s’exprimer devant notre commission d’enquête aient été unanimes à souligner le caractère crucial de l’évolution des prix de l’énergie et notamment de l’électricité pour l’avenir des industries sidérurgiques et plus généralement métallurgiques.

Ce point de vue est confirmé par une étude « Energie et compétitivité » réalisée en mai 2013 par le Conseil d’analyse économique  qui concerne l’ensemble des secteurs d’activités, y compris, par conséquent, des secteurs moins dépendants de l’énergie.

Le diagnostic susceptible d’être formulé à la lumière des analyses globalement convergentes de ces intervenants peut être ainsi résumé :

– la libéralisation du marché de l’électricité intervenue au début de la précédente décennie pour les entreprises manufacturières a entraîné un accroissement significatif du prix du MWh d’électricité qui est passé de 39,6 euros en 2001 à 57,6 euros en 2010 ; entre 2008 et 2011, les entreprises françaises ont connu une augmentation moyenne de +16%, la septième plus forte hausse parmi les pays de l’OCDE ;

– toutefois, au cours de la même période, les investissements réalisés par un grand nombre des entreprises concernées dans le but réduire leur consommation ont permis une baisse de 15 % de l’intensité électrique de leur production ; dans de nombreux secteurs électro-intensifs, à l’exemple de l’aluminium, cette baisse a également résulté de regroupements pour constituer des entreprises de taille supérieure dotées de nouveaux outils de production plus économes en énergie. Indépendamment de ces évolutions en valeur absolue, l’élément déterminant d’appréciation de la situation est bien entendu la comparaison des coûts de l’énergie dans notre pays avec ceux constatés aux niveaux européen et extra-européen.

Votre rapporteur ne partage pas entièrement l’optimisme qui prévaut de manière générale en ce domaine. L’une des plus récentes manifestations de cet optimisme est le jugement porté par M. Louis Gallois dans son rapport du 5 novembre 2012 sur la compétitivité de l’industrie française. Dans la plupart des domaines, et parfois de manière exagérément alarmiste, notamment en ce qui concerne les coûts salariaux, ce document se caractérise par sa tonalité négative. Or, ce n’est pas le cas pour le prix de l’énergie électrique à propos duquel le rapport souligne qu’il est « relativement bas » pour l’industrie et « représente un avantage qu’il est primordial de conserver ».

Certes, l’étude du Conseil d’analyse économique précitée confirme globalement un tel constat pour l’essentiel validé, à l’échelon européen, mais sans impliquer encore suffisamment les différenciations sectorielles. Il ressort en particulier de ces données que la France restait en 2011, malgré les fortes hausses récentes, l’un des pays européens de l’OCDE où le prix moyen de l’électricité industrielle serait le moins élevé puisque celui-ci n’est inférieur que dans quatre d’entre eux. La comparaison se révèle bien entendu nettement moins satisfaisante lorsque l’on examine la situation des pays non européens de l’OCDE qui, à l’exception notable du Japon, peuvent bénéficier, à l’instar des États-Unis, d’un prix de l’électricité industrielle inférieur au nôtre de près de 40 % .

En tout état de cause, le caractère globalement favorable de la situation doit être fortement nuancé, y compris au niveau européen, en ce qui concerne les entreprises appartenant aux secteurs électro-intensifs.

En effet, comme le souligne le travail de la direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services mentionnée ci-dessus,  il est difficile d’effectuer des comparaisons internationales sur le prix de l’électricité pour les entreprises de ces secteurs car un nombre non négligeable de pays ne fournissent pas les données chiffrées qui permettraient de les établir. Néanmoins, les auteurs de l’étude sont en mesure d’affirmer que, « compte tenu de leur importance stratégique pour l’économie, les États ont mis en place des aménagements tarifaires leur accordant de fortes réductions. Ainsi, en Allemagne, les entreprises les plus grosses consommatrices bénéficient de forts allègements relatifs aux tarifs d’accès au réseau et à diverses taxes sur l’électricité. »

Ces pratiques ont au demeurant été évoquées par de nombreuses personnes auditionnées par notre commission d’enquête, par exemple, par M. Bernard Creton, délégué général de la Fédération française de l’acier, ou encore par Mme Béatrice Charon, présidente de l’Association française de l’aluminium qui a indiqué que l’Allemagne assure aux secteurs électro-intensifs des prix nettement compétitifs « par une très large rémunération des effacements, par la compensation des effets indirects de la réglementation sur le CO2 et aux exonérations de taxes et de coûts de transport ». Se référant à une récente déclaration du Dr Hans-Joachim Ziesing, un économiste allemand réputé sur les problèmes énergétiques, Mme Charon a fait état d’une compensation totale de 10 milliards d’euros au bénéfice des industriels.

Mme Charon a mis en relation de telles pratiques avec le souci de l’Allemagne d’assurer à ses « électro-intensifs » un prix compétitif en relevant que sa décision d’arrêter le nucléaire a certes eu un effet inflationniste sur les prix de l’électricité mais qu’elle a effectué «  le choix sociétal de faire porter le delta du coût sur les particuliers plutôt que sur les industriels. ». Il n’en demeure pas moins, aux yeux de votre rapporteur, que les options privilégiées par l’Allemagne au titre de sa transition énergétique comportent bien des contradictions qui pourraient même faire que l’abandon du nucléaire, du moins tel que ce pays en a décidé, ne puisse être « tenable » à terme. L’an dernier, l’Allemagne s’est trouvée contrainte d’augmenter de 6 % sa production électrique à partir de la houille et de la lignite (déjà très massive) en déclenchant ainsi une hausse de 2 % de ses émissions de CO2, à l’encontre de tous ses objectifs déclarés !

Il est malaisé de mesurer avec précision les incidences du dispositif ainsi mis en place en Allemagne sur le niveau du prix de l’électricité dont bénéficient ses secteurs électro-intensifs et celui du prix supporté par les secteurs comparables dans notre pays. L’étude de la direction générale, de la compétitivité, de l’industrie et des services considère que, du fait de ce dispositif, « le prix de l’électricité payé par les entreprises électro-intensives allemandes serait comparable à celui des entreprises électro-intensives françaises alors que, pour les autres entreprises, le prix de l’électricité est nettement inférieur en France. ».

Or, dans le récent rapport présenté par notre collègue Daniel Goldberg au nom de la mission d’information de la Conférence des présidents sur les coûts de production en France, il est fait état de données plus défavorables à notre pays. Se référant à une étude de l’Union des industries utilisatrices d’électricité, dont les résultats ont été confirmés par Mme Charon devant notre commission d’enquête, les industries électro-intensives allemandes paieraient l’électricité jusqu’à 25 % moins cher qu’en France. En fait, ce sont la fiscalité et les charges indirectes qui semblent peser moins lourdement en Allemagne, du moins pour les gros consommateurs industriels car ils supportent des frais d’accès au réseau plus faibles donc non équivalents au tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (Turpe) et sont largement exonérés d’une charge aussi croissante que l’est en France la contribution au service public de l’électricité (CSPE).

En revanche, l’étude du conseil d’analyse économique citée précédemment considère que, tous les éléments de rabais ayant été pris en compte en France comme en Allemagne, « le différentiel du coût de l’électricité hors TVA entre les utilisateurs industriels français et allemands électro-intensifs peut être évalué à environ 12 % en faveur de la France ».

Les différences d’évaluation et sans doute de méthode relatives aux prix supportés par les entreprises électro-intensives opérant dans un pays voisin du nôtre permettent de mesurer le degré d’opacité qui prévaut sur un sujet aussi décisif pour l’avenir des industries sidérurgiques et métallurgiques. On ne peut néanmoins exclure que la situation se clarifie quelque peu concernant les secteurs électro-intensifs allemands. La légalité des aides qui leur sont de fait ou en droit octroyées, en particulier les exonérations de la taxe sur les réseaux, est en effet mise en cause par des recours introduits par des associations de consommateurs allemands ainsi que par la Commission européenne qui vient d’ouvrir une enquête.

Tout en prenant acte du souci de transparence qui guide ces initiatives, indiscutable sur le plan des principes, votre rapporteur considère que l’arbre ne saurait cacher la forêt et que l’Allemagne et la France ne sont pas les seuls pays où il existe des tarifs d’électricité avantageux pour les secteurs électro-intensifs. L’étude susmentionnée de la direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services souligne que « la Norvège, le Canada et les États-Unis proposent le MWh aux industriels entre 30 et 35 % moins cher qu’en France si l’on se réfère à une étude récente de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) ». La même étude précise que « certains pays comme les États Arabes Unis, la Chine ou la Russie attirent également des industries électro-intensives en leur proposant un tarif de l’électricité très faible », sans apporter toutefois de précision sur l’ampleur des rabais ainsi consentis ; l’opacité mise en évidence à propos de l’Allemagne ne pouvant a fortiori que prévaloir plus nettement encore pour des pays éloignés du nôtre à de nombreux égards et d’ailleurs géographiquement très différents.

En conclusion, votre rapporteur considère qu’il n’existe aucun argument pertinent justifiant que la tarification du prix de l’électricité dont bénéficient les entreprises électro-intensives présente un caractère moins avantageux que ce n’est actuellement le cas. Ce statu quo doit également prévaloir pour les instruments garantissant aux entreprises concernées la meilleure « visibilité » possible sur l’évolution à long terme du coût de leur approvisionnement en électricité.

2. Les entreprises électro-intensives doivent pouvoir disposer de la meilleure visibilité possible sur l’évolution des coûts de leur approvisionnement en électricité

Évoquant ce sujet, de nombreuses personnes auditionnées par notre commission d’enquête ont été unanimes pour souligner qu’il revêtait une importance presque aussi décisive que celle du coût stricto sensu de l’électricité pour les entreprises électro-intensives.

Dans sa communication du 11 juin dernier relative à son Plan d’action pour une industrie sidérurgique compétitive et durable en Europe, la Commission européenne explique brièvement, mais clairement, pourquoi il en est ainsi : « Les industries à forte consommation d’énergie présentent également une forte intensité de capital et la durée moyenne de leur cycle d’investissement est de vingt à trente ans. Elles requièrent par conséquent une prévisibilité des coûts énergétiques afin de limiter les risques d’investissement. » La Commission ajoute que « des contrats d’électricité à long terme entre fournisseurs et clients (…) apportent cette certitude en matière de planification ».

Lors de son audition par notre commission d’enquête, M. Patrick de Schrynmakers, ancien secrétaire général de l’Association européenne de l’aluminium, a confirmé la validité de cette analyse en citant l’exemple des contrats à long terme conclus avec EDF par les usines de Saint-Jean-de-Maurienne et de Dunkerque dont l’arrivée à échéance est prochaine (2014 pour la première et 2017 pour la seconde). Mais cet intervenant a simultanément mis en cause le comportement de la Commission, et notamment sa Direction générale de la concurrence où il perçoit l’une des raisons majeures pour lesquelles ces contrats « ne sont plus à l’ordre du jour. » Selon M. Patrick de Schrynmakers, cette direction « s’y oppose, principalement pour des motifs nébuleux et par mauvaise compréhension des mécanismes sous-tendus ». Or, l’avenir des usines concernées est largement conditionné par les conditions de renouvellement des contrats arrivant à échéance comme l’a souligné Mme Charon au cours de son audition : « Ce que nous craignons, c’est l’arrivée à terme de nos contrats historiques (…) signés avant la nouvelle donne du marché de l’énergie au niveau européen (…). Depuis bientôt dix ans que nous cherchons des solutions, nos échéances se rapprochent et le mur devant nous est haut ».

Il est exact que la Commission européenne a traditionnellement manifesté les plus vives réticences à l’encontre de ce type de contrat jugeant que sa prédominance dans les secteurs électro-intensifs obère toute possibilité d’extension du marché libre et de la concurrence. Ces réticences ont été nettes, à l’exemple de la création du consortium français Exeltium décidée en 2005 et qui n’a été effective que cinq plus tard partiellement en raison d’obstacles opposés par la Commission.

Auditionné il y a quelques mois au nom de l’Association française des entreprises privées (AFEP) par la mission d’information de la Conférence des présidents sur les coûts de production en France, M. Thierry Le Hénaff, président du groupe chimique Arkema, avait tout particulièrement insisté sur les difficultés rencontrées par Exceltium, de même que sur la nouvelle compétitivité énergétique dont bénéficient les industriels nord-américains.

S’agissant des difficultés de renouvellement des contrats de Saint-Jean-de- Maurienne puis probablement de celui de Dunkerque, M. de Schrynmakers considère qu’elles ne sont pas seulement imputables à des réticences directes de la Commission mais qu’elles s’expliquent aussi par un tel climat d’incertitude législatif européen que les producteurs d’électricité privés ne veulent plus investir massivement ; pour eux, les contrats à long terme se justifient principalement dans le but d’aider à financer des projets de développement ambitieux que ce contexte les empêche de mettre en œuvre.

Il n’en reste pas moins qu’un changement d’attitude de la Commission s’impose de manière urgente en ce domaine.

Les plus récentes communications de la Commission permettent peut-être d’entrevoir une évolution. Elles mentionnent, en effet, que des contrats d’électricité à long terme entre fournisseurs et clients sont possibles en vertu des règles de concurrence de l’Union. Mais cette affirmation de principe s’accompagne de nuances qui conduisent à s’interroger fortement sur sa portée réelle : « c’est seulement dans certaines conditions spécifiques que de tels contrats peuvent entraîner une exclusion de la concurrence en violation du traité. En général, l’exclusion concernera uniquement des fournisseurs dominants ou sera le résultat d’un comportement similaire de la part de fournisseurs multiples. Si les décisions passées de la Commission permettent des durées de contrats individuels et des dates d’échéance différentes, elles requièrent que des volumes importants soient remis sur le marché chaque année et rendus disponibles pour faire l’objet d’un contrat avec n’importe quel fournisseur ».

Compte tenu du caractère pour le moins ambigu de ces analyses, il ne fait aucun doute que cette question des contrats à long terme sera l’une de celles pour lesquelles le Gouvernement français devra le plus fortement faire entendre sa voix.

3. L’évolution du prix du gaz soulève la délicate question de l’exploitation des gaz de schiste

Le prix du gaz en France se situe dans la moyenne des pays européens. La question la plus importante qui se pose aujourd’hui est celle des effets sur la compétitivité et les choix de localisation de certains secteurs industriels résultant d’une exploitation désormais massive de ces gaz aux États-Unis, Cette exploitation a pour conséquence que le gaz y est environ trois fois moins coûteux qu’en Europe. Le groupe ArcelorMittal a bien compris l’enjeu de cette quête gazière dans la compétitivité internationale en obtenant des pouvoirs publics français, au début de l’année 2013, un agrément de fournisseur au bénéfice d’une filiale ArcelorMittal Energy SCA enregistrée au Luxembourg et recherchant ainsi à échapper, au moins partiellement, aux contrats de GDF Suez ou Total pour d’abord approvisionner ses propres sites.

Indépendamment du caractère éminemment sensible des problèmes environnementaux que soulèveraient l’exploration et l’éventuelle exploitation des gaz de schiste et autres ressources non conventionnelles dans notre pays, il convient d’observer que celles-ci n’auraient pas un impact sur les prix aussi important que ce fut le cas aux États-Unis où ils ont baissé de 67 % en cinq ans. Dans son étude précitée « Énergie et compétitivité », le Conseil d’analyse économique, se faisant l’écho d’une analyse de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) souligne que « du fait de coûts de production qui resteront plus élevés en Europe qu’aux États-Unis, le coût du gaz de schiste en Europe serait comparable au coût estimé du gaz importé liquéfié en provenance des États-Unis qui resterait donc compétitif ».

D. – LA MAÎTRISE ET L’EFFICACITÉ ÉNERGÉTIQUES SUPPOSENT DE LEVER LES OBSTACLES AU DEVELOPPEMENT DES ACTIVITES DE RECYCLAGE.

L’une des principales caractéristiques de l’acier et des métaux non ferreux tels que l’aluminium ou le cuivre est qu’il s’agit de matériaux hautement recyclables.

C’est ainsi que l’acier peut être recyclé de nombreuses fois sans perdre ses qualités essentielles telles que la robustesse ou la ductilité. On évalue à plus de 1 200 kg de fer, 7 kg de charbon et 51 kg de calcaire la quantité de ces matériaux ou combustibles susceptible d’être remplacée par le recyclage d’une tonne de ferraille d’acier non contaminée. La production d’acier à partir de ferraille au lieu de minerai vierge permet de réduire d’environ 75 % l’apport énergétique nécessaire, ce pourcentage étant de l’ordre de 90 % pour l’apport en matières premières.

Des exigences de caractère environnemental plaident également en faveur de la production à partir de la ferraille puisque celle-ci permet de réduire l’utilisation et la pollution de l’eau (respectivement à hauteur de 40 % et de 86 %) ainsi que la quasi-totalité (97 %) des déchets miniers.

L’aluminium revêt également de très grandes qualités du point de vue du recyclage. Il est quasiment recyclable à l’infini sans perdre ses qualités sous réserve que ne soient pas fondus dans un même bain des alliages de composition différente. Le recyclage est sensiblement moins onéreux que l’extraction à partir du minerai de bauxite. Il nécessite une quantité d’énergie très inférieure (-95 %). Une tonne d’aluminium recyclé permet d’économiser quatre tonnes de bauxite. L’étape de l’électrolyse, qui requiert une grande quantité d’énergie, n’existe pas, ce qui évite les rejets polluants qui lui sont associés.

Le cuivre présente également la caractéristique d’être recyclable à l’infini sans perdre ses qualités comme l’a souligné M. Édouard de Lacoste Lareymondie, président de la Chambre syndicale du cuivre et de ses alliages, lors de son audition par notre commission d’enquête.

L’ensemble de ces considérations plaide en faveur d’un développement plus soutenu et mieux planifié des activités de recyclage. À l’heure actuelle, un certain nombre d’obstacles souvent liés au caractère encore trop diffus entrave la constitution d’une véritable filière.

IV. — UNE RÉACTION EUROPÉENNE ATTENDUE

A. – UNE PREMIÈRE ÉTAPE : LE PLAN ACIER EUROPÉEN

Malgré l’importance revêtue par l’industrie dans l’histoire de l’Union européenne, depuis la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), comme il a été rappelé dans la première partie de ce rapport, ses activités ont pu paraître secondaires dans les phases récentes de la construction européenne. Plus de trente ans se sont en effet écoulés entre le plan de restructuration du secteur sidérurgique européen notamment mis en place dans le cadre du « plan Davignon » et le « Plan d’action pour une industrie sidérurgique compétitive et durable en Europe » que M. Antonio Tajani, Vice-président de la Commission européenne et commissaire européen à l’industrie et à l’entreprenariat, a présenté le 11 juin 2013 – et un peu plus de dix ans entre ce nouveau plan et l’expiration du traité instaurant la CECA (1952/2002).

La commission d’enquête a tenu à rencontrer M. Tajani, dès le 12 juin c’est-à-dire le lendemain même de cette présentation qui a pris la forme d’une « Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions » (document COM 2013/407).

L’une des motivations du plan d’action présenté par M. Tajani est que la Commission européenne prévoit, en s’appuyant notamment sur des travaux de l’OCDE, une augmentation de la demande d’acier dans le monde durant les dix prochaines années, notamment dans les pays émergents, après plusieurs années durant lesquelles le secteur a subi les effets de la crise générale de l’économie. Les grandes orientations du plan, qui visent donc à profiter de cette reprise, sont les suivantes :

– mettre en place « un cadre réglementaire approprié », après une évaluation, attendue d’ici fin 2013, de la charge réglementaire globale que différentes politiques font peser sur l’industrie sidérurgique et de son impact sur la compétitivité ; parallèlement, le renforcement de la part de marché des produits de construction en acier durable européen devrait être favorisé par l’élaboration d’un marquage pour ce type de produits (dit « SustSteel »), auquel collaborent les entreprises sidérurgiques et dont l’instauration devrait être soutenue par les États membres selon la Commission ; la Commission demande également aux États membres leur soutien pour résoudre le problème du marché clandestin des produits de l’acier (fraude à la TVA en particulier) ;

– stimuler la demande d’acier, notamment dans deux secteurs d’aval : l’automobile (initiative « CARS 2020 », par exemple pour les véhicules à carburant de substitution) et de la construction durable ;

– garantir des conditions équitables d’accès aux marchés internationaux, afin de rétablir l’équilibre dans l’ouverture par chaque puissance économique de son marché intérieur (l’Union européenne constituant de loin le marché le plus ouvert), de permettre de lutter contre les pratiques déloyales et d’assurer l’approvisionnement en matières premières essentielles ; la libéralisation des échanges mondiaux (par réduction sensible des barrières aussi bien tarifaires que non tarifaires), dont la poursuite est encouragée par la Commission, ne devant donc pas se faire aux dépens du juste échange, l’impact des accords de libre-échange (ALE) déjà conclus et des futurs ALE en cours de négociation devant faire l’objet d’un examen extrêmement attentif ;

– garantir des coûts énergétiques abordables, grâce à l’achèvement du marché intérieur de l’énergie, à la diversification de l’approvisionnement et à l’amélioration de l’efficacité énergétique ;

– stimuler l’innovation, par le soutien des projets de Recherche et Développement (R&D) dans le secteur, notamment pour le développement de nouveaux types d’acier, les financements pour la période 2014-2020 provenant du programme Horizon 2020, du Partenariat d’innovation européen concernant les matières premières et d’une aide du Fonds de recherche du charbon et de l’acier ;

– faciliter la restructuration et la compétitivité du secteur en répondant aux besoins de qualifications (une sorte d’"Erasmus pour tous" étant en particulier conçue, une formation de quelques mois à l’étranger devant favoriser l’augmentation des compétences pour chaque travailleur), mais aussi de recherche d’emploi en cas de fermeture de sites de production, le Fonds social européen (FSE) et le Fonds européen d’ajustement à la mondialisation devant continuer à être mis à contribution et devant continuer de suivre le « principe de spécialisation régionale intelligente » ;

– orienter la mise en œuvre de la politique climatique 2030 de l’UE dans le sens d’une amélioration de la compétitivité de l’industrie, la fabrication de certains produits ferreux forgés étant par exemple ajoutée à la liste relative aux fuites de carbone.

Parallèlement, il est réaffirmé que l’Union européenne ne s’oppose pas aux aides d’État, pour autant que celles-ci ne soutiennent pas directement la production, mais visent à améliorer la productivité en étant notamment affectées à la R&D, à la formation et à l’emploi, ainsi qu’à la protection de l’environnement.

La philosophie générale du « Plan Tajani » a été assez largement approuvée dans ses grandes lignes – de M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif, jusqu’à Lakshmi Mittal, qui d’ailleurs avait souligné devant notre commission que ses équipes travaillaient en confiance avec le Commissaire Tajani dont il soutenait personnellement l’action, en passant par l’association professionnelle Eurofer et la fédération intersyndicale IndustriAll Europe, créée il y a un peu plus d’une année, qui ont aussi salué ce plan dans des communiqués datés du 11 juin 2013. Un certain consensus semble ainsi s’établir pour considérer qu’il y a là le témoignage d’une prise de conscience salutaire : l’avenir de l’UE dépend d’un renforcement de l’économie réelle, ce que traduit en l’occurrence l’objectif désormais exprimé à Bruxelles d’une remontée à 20 % de la part de l’industrie dans le PIB européen en 2020. La financiarisation croissante de l’économie n’a pas donné les résultats que d’aucuns espéraient avec l’entrée dans une époque improprement qualifiée de post industrielle ! Pour autant, il ne s’agit que du « début d’un processus », comme l’a déclaré M. Tajani, et d’une première étape visant à préparer le premier Sommet européen consacré à la compétitivité de l’industrie, qu’il est prévu de tenir au cours du mois de février 2014. Aussi votre rapporteur a-t-il formulé le souhait, dans un courrier cosigné avec le président de la commission d’enquête et adressé à M. Tajani le 19 juin 2013 (48), « que l’Assemblée nationale puisse être le plus possible associée au groupe de haut niveau dont [M. Tajani a] pris l’initiative de la création et qui doit suivre l’application de ce plan au long de l’année à venir. »

Car, au-delà de rappels assez généraux parfois même convenus, les mesures concrètes sont pour l’instant peu nombreuses et certaines manquent de précision, IndustriAll Europe redoutant par exemple que ce plan demeure au mieux « un tigre de papier », au pire un « prétexte à d’autres restructurations » dont les sidérurgistes auraient à payer le prix, notamment en termes d’emploi. L’une des difficultés rencontrées pour l’élaboration d’actions au niveau européen, surtout dans le contexte du libre-échange international, est qu’elles ne peuvent s’apparenter à une sorte de « planification », que ce soit comme outil de gestion visant à endiguer collectivement les surcapacités de production, comme le faisait d’une certaine façon la CECA – les dites « surcapacités » étant au demeurant fortement contestées (par exemple, devant notre commission par M. Philippe Verbeke, membre de la direction fédérale CGT, qui s’appuie sur les études des cabinets Secafi et Syndex et sur le rapport de M. Pascal Faure) –, ou comme moyen de se défendre des règles d’un marché mondial libéralisé, au sein duquel la métallurgie européenne se trouve livrée à une forte concurrence, l’industrie française étant elle-même totalement intégrée à l’Union européenne.

B. – DES POLITIQUES EUROPÉENNES À RÉVISER

En l’état, le Plan Acier de la Commission européenne tient encore du document d’orientation. Par exemple, un point essentiel devra absolument être purgé de toute équivoque. Il en est du droit des sidérurgistes et des autres industries « électro énergie » de conclure des contrats d’approvisionnement de longue durée. Il est certes rappelé dans le plan que les règles de l’Union ne les interdisent pas totalement et M. Tajani, lors de sa rencontre avec la commission, d’enquête a garanti qu’il y accorde une grande importance. Une certaine ambiguïté persiste cependant, du moins sur le recours à cette possibilité au-delà de la durée maximale de cinq ans, arbitrairement posée sous prétexte de mise en concurrence des fournisseurs d’électricité ou de gaz, donc sur l’aptitude à renouer avec une pratique bénéfique car « sécurisante ». L’exclusion, au demeurant inquiétante, de tels contrats à long terme des fournisseurs expressément qualifiés de « dominants » dans le texte même de la Commission ne doit pas servir de prétexte à la Direction générale de la Concurrence pour restreindre plus qu’il n’est nécessaire l’utilisation de cet outil.

Votre rapporteur insiste pour que soit clairement posé le principe de contrats d’une durée très supérieure à cinq années, couvrant au moins une période de dix ans, et évidemment assortis de clauses de révision suffisamment encadrées. Rien ne permet, à ce jour, de considérer qu’il est possible de conclure de tels contrats. Pourtant, seule l’« adaptation » du prix à l’activité et la régularité de l’approvisionnement dans un cadre contractuel durable permettraient en effet de recouvrer une indispensable visibilité en favorisant une maîtrise des coûts donc la compétitivité des filières. Aussi la commission d’enquête tient-elle à ce que ce droit soit beaucoup plus nettement affirmé ; elle appuie donc le combat mené par le gouvernement français, que M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif a d’ailleurs rappelé, pour l’application de clauses de réciprocité, dans ce domaine comme dans d’autres. Conférer, à nouveau, aux industries électro-intensives (notamment de l’aluminium) le droit de conclure des contrats d’approvisionnement de longue durée ouvrira des perspectives favorables à leurs investissements de modernisation et à l’amortissement de leurs équipements. À défaut, il existera des risques majeurs de délocalisations vers des zones extra européennes.

Cela nécessite toutefois une inflexion sensible des politiques de l’énergie et de la concurrence telles que les conçoivent les Commissaires en charge de ces questions afin que ces politiques ne contrecarrent toute volonté de redéploiement voire de reconquête industrielle. Une réelle conjonction des politiques de l’Industrie, de l’Énergie, du Commerce et de la Concurrence est à rebâtir de manière urgente au sein de l’Union européenne.

M. Tajani a insisté, lors de sa rencontre avec la commission, sur le fait qu’il disposait, en vertu du traité de Lisbonne, d’une bien moindre marge de manœuvre et d’un pouvoir de décision réduit par rapport à l’arsenal dont étaient dotés ses prédécesseurs il y a trente ans, dans la mesure aussi où, au sein de la Commission, M. Étienne Davignon était non seulement chargé des affaires industrielles, mais également des questions énergétiques et de nombreux volets de la politique de la recherche. En sa qualité de commissaire en charge de l’industrie, M. Tajani n’est pas en position de force vis-à-vis d’autres politiques plus générales mise en œuvre par l’Union européenne. Il doit composer avec ses collègues en charge de la concurrence, de l’énergie et du climat peu enclins à réviser des orientations qu’ils considèrent être désormais des fondements de l’Union. Il ne reçoit au mieux que des soutiens très modérés. À cet égard, M. Frédéric Souillot, secrétaire fédéral FO Métaux, a tenu, lors de la Table ronde syndicale organisée par notre commission, des propos éclairants sur la position inconfortable de M. Tajani vis-à-vis de son collègue commissaire européen au commerce : « S’agissant de la coordination européenne, nous sommes au moins trois personnes ici à siéger au Conseil du dialogue social du Comité Acier tenu par Antonio Tajani. Nous sommes d’accord pour réintroduire un certain protectionnisme dans le secteur industriel. Nos collègues allemands d’IG Metall se font quelque peu tirer les oreilles mais y vont bon an mal an. Le Commissaire européen au commerce lui s’y oppose. La dernière fois que nous avons rencontré Antonio Tajani, il fut plutôt question avec le Plan Acier de soutenir l’aval – par exemple l’automobile – pour faire survivre l’amont : or, plusieurs d’entre nous ne sont pas d’accord avec ce point de vue. La mesure adéquate consisterait à fixer à 20 ou 25 % la part de l’industrie dans le PIB européen. Nous sommes donc tous à peu près d’accord sur l’idée du protectionnisme, à l’exception des Allemands. ».

Votre rapporteur fait sien ce diagnostic, mais dans une certaine mesure, car les bonnes intentions affichées par le « Plan Tajani » devront absolument être suivies d’effets, tant l’espoir d’un redressement de l’industrie européenne deviendrait complètement illusoire si tel n’était pas le cas. Il affirme aussi que ce n’est pas céder à on-ne-sait quelle pulsion protectionniste ou à un quelconque prurit europhobe que de construire une véritable politique économique et d’en défendre sa portée sociale dont l’urgence est plus que jamais ressentie. Cette politique doit s’appuyer notamment sur une harmonisation fiscale entre États membres, des échanges internationaux mieux équilibrés car respectueux des mêmes normes et une nouvelle priorité donnée à l’acte de production.

Or, plusieurs des personnes auditionnées ont souligné une certaine naïveté de l’Europe dans sa perception des échanges commerciaux internationaux. Ainsi, M. Darmayan, président de la Fédération française de l’acier, l’a exprimé de façon aussi claire qu’abrupte : « De façon un peu masochiste, l’Europe est le champion du libre-échange face à une multitude de systèmes protectionnistes où aides d’État, avantages fiscaux et pratiques commerciales inéquitables se cumulent. Dans les discussions qui se tiennent au sein de l’Organisation mondiale du commerce, notamment, nous devons apprendre à nous défendre. Les États-Unis y parviennent mieux que nous et le ministre Montebourg a raison d’y insister : non seulement l’Europe doit défendre les consommateurs, mais elle doit aussi savoir définir et défendre ses champions industriels. » Car la situation actuelle, où la politique de l’Union vise à favoriser prioritairement la concurrence intra-européenne, officiellement au profit du consommateur mais assurément au détriment de l’outil de production et de nos intérêts, provoque un affaiblissement de l’impact industriel de l’Europe sur son territoire et au-delà dans la compétition mondiale. Cela alimente une exaspération grandissante, bien perceptible dans les propos de M. Walter Broccoli, secrétaire du syndicat FO à Florange, lors de la Table ronde organisée par notre commission : « La seule solution pour sauvegarder un semblant d’industrie française consiste à fermer les frontières européennes. Chacun en convient. Quelle que soit la stratégie retenue, sans protection douanière permettant de freiner les importations – chinoises, russes et coréennes –, l’industrie est condamnée. Pour la première fois l’année dernière, grâce à M. Mittal, la France a importé de l’acier de Russie. Personne ne s’en émeut mais ce n’est qu’un début ! »

Il convient donc de s’armer, par une toute autre structuration interne, contre la concurrence externe, tout en instituant une nouvelle politique industrielle propre à l’Europe. Et, pour que la fermeture de certaines frontières n’apparaisse pas comme une solution, certes regrettable mais inévitable, une meilleure régulation des échanges s’impose. Car, en l’état actuel, la position des personnes auditionnées oscille entre la guerre commerciale à certains pays, par exemple, M. Philippe Darmayan, président de la Fédération française de l’acier, à propos du principal pays producteur d’acier au monde : « La France et l’Europe doivent combattre l’entrée de la Chine dans le libre-échange tant que ce pays n’aura pas adopté les pratiques de l’économie libérale. Sinon, nous n’arriverons jamais à résister à l’attaque chinoise » (49) et un contrôle peut être plus affiné des effets de la libéralisation des échanges, comme dans les propos de M. Philippe Morvannou du cabinet Syndex : « Nous proposons ce que nous appelons un ajustement aux frontières européennes depuis 2007, et non pas une taxation, un terme que nous n’employons pas volontairement. Il s’agit d’un dispositif conforme aux règles fondamentales de l’OMC : on exige des importateurs l’application des mêmes règles que celles imposées aux producteurs nationaux pour tout ce qui concerne l’environnement. Ce système devrait être appliqué à toutes les importations de commodités. Aujourd’hui, une norme est fixée par la Commission européenne : par exemple, si le producteur produit 10 % de plus de CO2 que la norme, il dispose de 10 % de permis d’émission ; soit il va les acheter sur le marché, soit on les lui alloue gratuitement. S’il les achète sur le marché, le producteur russe ou chinois devrait en faire autant : il s’agit de l’équité de traitement prônée par l’OMC, dont tiendrait compte aussi bien le producteur européen que le producteur chinois et ce serait validé par l’OMC » (audition du 16 juin 2013).

Le recours à l’arbitrage de l’OMC pour régler les contentieux, notamment avec la Chine (un exemple récent est l’affaire des panneaux solaires), est invoqué par la Commission comme le moyen d’établir des relations commerciales plus équilibrées. Outre le problème d’une éventuelle évolution des règles de l’OMC, dont l’un de nos intervenants nous a dit qu’elle pouvait se révéler à double tranchant (50), une procédure de ce type reste incertaine.

En outre, la Commission européenne semble toujours réticente à adopter une stratégie permettant d’arriver en position de force pour engager une négociation en vue de régler un contentieux : elle doit impérativement être plus exigeante, dès le départ, afin d’obtenir un résultat satisfaisant.

Ainsi, votre rapporteur préconise-t-il en la matière, sinon de suivre à la lettre, du moins de s’inspirer de l’exemple américain, que notre collègue Christian Hutin, membre de notre commission, a décrit lors de la Table ronde du 29 mai 2013 : « un ancien Secrétaire d’État américain au commerce extérieur expliquait un jour à M. Montebourg que lorsque les États-Unis souhaitent adopter des mesures protectionnistes à l’encontre des Chinois, ils appliquent un taux de 250 % à leurs importations de panneaux photovoltaïques. Et lorsque, au bout de dix jours, apparaissent les premières mesures de rétorsion, l’application de ce taux de 250 % leur permet de négocier. Les Européens, eux, n’appliquent qu’un taux de 5 % – dans l’indifférence totale des Chinois. Cette semaine encore, M. François Hollande a demandé à la Commission européenne de surtaxer leurs panneaux photovoltaïque – ce qu’a refusé l’Allemagne, qui souhaite conserver de bonnes relations avec la Chine. »

De même la Commission est-elle souvent accusée de ne pas défendre correctement l’Europe contre le dumping de nos concurrents, alors que ceux-ci nous attaquent sur ce plan, comme l’a rappelé M. Georges Duval, président des sociétés Aubert & Duval et Erasteel, lors de son audition du 22 mai 2013 : « En matière de droits de douane, il y a quelques années, nous avons été lourdement pénalisés aux États-Unis parce que des concurrents s’étaient plaints de dumping ; non seulement cela nous a coûté très cher, mais la pénalité versée au concurrent l’a renforcé. Il est évident que la Commission européenne n’en fait pas assez pour nous protéger du dumping de nos concurrents asiatiques. Les Chinois pratiquent le protectionnisme, alors que nous, sous prétexte de défendre le consommateur, scions la branche sur laquelle il est assis. En cas de dumping manifeste, il est normal de fixer des droits de douane ; quant au risque de rétorsion, aux hommes politiques de trouver le moyen de l’éviter. » La Chine n’est d’ailleurs pas le seul acteur de cette stratégie de dumping même si son impact est le plus puissant, car un pays comme l’Inde déstabilise désormais certains marchés des aciers inox en empruntant des voies comparables.

D’après M. Tajani, les onze actions anti-dumping engagées par le commissaire au commerce, M. Karel de Gucht, auprès de l’OMC en 2012 concernant des produits de l’acier et du fer, par application des « instruments de défense commerciale » (IDC) et à la suite de plaintes déposées par des entreprises sidérurgiques, démontreraient la détermination de la Commission à lutter contre les pratiques déloyales. Mais, d’un autre côté, la Direction Générale de la Concurrence est favorable à la suppression de toute législation anti-dumping ! M. Patrick de Schrynmakers, ancien directeur général de l’Association européenne de l’Aluminium (AEA), n’a pas hésité, lors de son audition du 19 juin 2013, à parler à ce propos de « scandale » ; il faudrait selon lui « au contraire augmenter les droits existants », sous peine d’être « la risée du monde ». En fait, il existe un réel risque d’enlisement dans les procédures longues et complexes de l’OMC. Votre rapporteur considère qu’il faut enjoindre à la Commission européenne d’utiliser l’arme du relèvement des droits de douanes face à des situations constatées et répétées de dumping sur un type de produit émanant d’un pays tiers clairement identifié.

Comme déjà indiqué, cette modalité légitime de protection est largement mise en pratique par de grands pays producteurs, notamment d’Amérique du nord ; son utilisation leur permet d’établir un rapport de force favorable dans le cadre des négociations qui généralement s’engagent rapidement avec le ou les pays d’origine des produits visés.

Une ligne de fracture profonde subsiste toujours au sein de la Commission européenne entre des libéraux forcenés prônant la concurrence et notamment un « grand » marché de l’énergie totalement dérégulé et les commissaires en charge de l’industrie et désormais du commerce plus conscients des faiblesses et conséquences de politiques « jusqu’au boutistes ». Cette présentation n’est nullement caricaturale, elle décrit une impasse conceptuelle qu’il est urgent de débloquer.

Par ailleurs, plusieurs des personnes auditionnées comme M. Francis Mer, ont plaidé pour une harmonisation des normes, aussi bien techniques que sociales et environnementales, au sein même de l’Europe, avant même de s’inquiéter des distorsions de concurrence dues aux normes entre les différentes sphères géographiques et entre les principaux acteurs du commerce mondial. Ainsi, dans son audition du 20 mars 2013, Mme Béatrice Charon, au nom de l’Association française de l’aluminium (AFA), a-t-elle affirmé qu’il était « certain que la France souffr[ait] d’un différentiel de coût d’exploitation lié à l’application plus stricte ou effective de la réglementation dans les domaines environnementaux (qualité de l’air notamment), ce que ne font parfois même pas certains pays européens ». Cependant, certains des penchants de la Commission européenne, relevés par M. Patrick de Schrynmakers, s’avèrent extrêmement préjudiciables si un contrôle de la conformité des produits entrants n’est pas plus strictement opéré. Cela rejoint l’opinion de M. Philippe Darmayan, président de la Fédération française de l’acier : « […] l’Union européenne dispose de peu de matières premières. Nous resterons dépendants des importations et cette vulnérabilité doit nous amener à soutenir les sites de bord de mer et à maintenir une stratégie d’approvisionnement pour les métaux nécessaires à la production des aciers de spécialité, tels le magnésium, le manganèse, le cobalt, etc. À titre d’exemple, les taxes à l’exportation que la Chine applique sur le chrome permettent à ses industriels de l’inox de bénéficier de prix moins élevés que les nôtres. »

Votre rapporteur prône par conséquent un renforcement des contrôles des administrations douanières sur les produits sidérurgiques et métallurgiques accédant au marché européen, y compris par des analyses techniques approfondies en laboratoire, afin de mieux déceler la compatibilité des différents traitements qu’ils ont subis en cours de fabrication avec les normes européennes. Cette action coordonnée à l’échelon européen doit en priorité porter sur certaines activités du négoce d’importation : il s’avère en effet que des produits en provenance de pays tiers incorporent des substances définitivement proscrites par la réglementation européenne (réglementation REACH notamment, interdisant entre autres l’utilisation du chrome hexavalent).

En marge du Plan Acier européen, une initiative doit être favorablement soulignée. Elle concerne le travail en cours de réalisation dit du « fitness check » relatif aux charges mais aussi aux incohérences et lacunes supportées par les secteurs de l’acier et de l’aluminium au titre de règles ou de mesures européennes en fait contre-productives. Cette indispensable introspection a pour but de mettre à jour certains effets « cumulatifs » de différentes politiques conduites par l’Union qui entravent les capacités à l’innovation donc la compétitivité des entreprises. La démarche de la Commission actuellement en cours avec le soutien de cabinets privés d’expertise doit impérativement être conduite à son terme afin que le plus rapidement possible des corrections soient apportées à des handicaps dénoncés par les industriels mais, à ce jour, rarement prises en considération.

Mais l’Europe doit également veiller à ne pas laisser faire en son propre sein tout ce qui qui peut fausser la concurrence intra-européenne. À cet égard, la commission d’enquête tient à relayer l’inquiétude exprimée devant elle par des industriels sur la situation du complexe sidérurgique italien de Tarente, le plus important d’Europe, qui appelle en urgence une mise aux normes de ses rejets atmosphériques. Les défaillances voire les turpitudes de son propriétaire, le groupe Riva, ne sauraient être corrigées par un apport de crédits européens alors que ses concurrents ont largement financé sur fonds propres les mises aux normes de leurs sites.

Enfin, la question du niveau de l’euro sur la compétitivité de l’économie européenne est évidemment revenue plusieurs fois dans nos débats. M. Philippe Darmayan a pointé l’ « effet négatif du taux de change euro-dollar » sur les coûts de production, ce qui l’amène à considérer que « les actions visant à contrecarrer un euro trop fort [servant donc] l’industrie de la mécanique, donc la sidérurgie ». Quant à M. Georges Duval, il a judicieusement rappelé que « la monnaie d’échange sur le marché de l’aéronautique restant le dollar, un euro surévalué mine notre compétitivité face aux Américains, nos principaux concurrents dans ce domaine. » Les principaux débouchés des filières de l’aluminium et de l’acier étant évidemment concernés, votre rapporteur appelle une fois de plus l’attention sur ce problème.

EXAMEN DU RAPPORT

La commission d’enquête a examiné le présent rapport au cours de sa séance du 10 juillet 2013.

M. le président Jean Grellier. Cette dernière réunion de notre commission d’enquête est consacrée à l’adoption du rapport, dont le projet vous a été communiqué. Il sera remis officiellement au président de l’Assemblée nationale et présenté à la presse mardi prochain.

Le rapporteur, Alain Bocquet, va vous rappeler les orientations majeures de ce document et les propositions sur lesquelles il conclut. Puis ceux d’entre vous qui le souhaitent pourront intervenir, après quoi nous passerons au vote.

M. Alain Bocquet, rapporteur. Je ne reviendrai pas longuement sur ce rapport dont chacun a pu prendre connaissance et sur lequel nous avons déjà discuté la semaine dernière. Je me félicite du travail que nous avons collectivement accompli. Les rencontres, à l’Assemblée nationale ou sur le terrain, avec environ 150 personnes, dont de nombreux experts, et la visite de plusieurs sites industriels nous ont permis de réunir des éléments de réflexion fort riches. Le résultat est un bon point d’étape sur la sidérurgie et la métallurgie, incluant un rappel historique, un diagnostic sur leur situation et des réflexions sur leur avenir.

Nous affirmons clairement la nécessité de maintenir et de développer cette filière déterminante pour notre souveraineté industrielle et économique. Les vingt-six propositions présentées en annexe reprennent peu ou prou l’ensemble des idées avancées par les membres de la commission d’enquête, dans des termes qui devraient faire l’unanimité.

Ce rapport n’a pas la prétention de tout dire et de tout régler, mais il constitue un outil dont les pouvoirs publics, les professionnels de l’industrie et le mouvement syndical pourront se saisir afin de défendre, tous ensemble, un élément important de la réindustrialisation de notre pays. Je vous invite à exprimer vos propres réflexions et à proposer, le cas échéant, des ajustements.

Le rapport final s’intitulera : « La sidérurgie et la métallurgie : un combat pour la souveraineté économique ». Il comprendra un avant-propos de notre président, Jean Grellier, les comptes rendus intégraux des auditions et, parmi les annexes, la contribution des commissaires appartenant au groupe de l’UMP, ainsi que la liste de toutes les personnes rencontrées. Il nous reste à décider si nous devons l’adopter.

M. Michel Liebgott. Cette commission d’enquête nous a effectivement donné l’occasion de rencontrer quasiment toutes les personnes connaissant bien le sujet : nous pouvons donc presque prétendre à l’exhaustivité.

Je retiendrai en particulier ces propos d’Arnaud Montebourg, qui résument assez bien la situation actuelle : « Les Européens ont organisé eux-mêmes la destruction de leur propre industrie métallurgique, interdisant à leurs champions d’atteindre la taille critique qui les protégerait des prises de contrôle ».

L’évolution de la sidérurgie entre 1974 et 1995, marquée par la perte de 110 000 emplois, résultait d’une rationalisation en partie inévitable. La crise de 2008 s’y est ajoutée, entraînant à nouveau des surcapacités de production, notamment dans les pays de l’Est européen. Mais il est clair que nous avons atteint un plancher : il n’est pas question de réduire encore le nombre d’emplois, sauf à détruire définitivement notre industrie sidérurgique et métallurgique.

Il est donc nécessaire d’adopter une stratégie nationale, mais aussi européenne – d’où l’intérêt d’avoir rencontré M. Antonio Tajani, le Commissaire européen en charge de l’industrie. Je ne reviens pas sur les mesures concrètes proposées dans le rapport, qu’il s’agisse de l’évolution du cadre réglementaire en matière de stimulation de la demande d’acier, des conditions équitables d’accès aux marchés internationaux, ou des dispositions relatives à l’énergie, l’innovation ou la qualification. Elles concernent tant l’Union européenne que le gouvernement français.

À la différence de ce qui se passe en Allemagne ou en Italie, un problème de gouvernance se pose en France. Les syndicats n’y pèsent pas autant, l’État, pourtant centralisé, ne pèse pas autant que l’État fédéral allemand, ni les régions par rapport aux Länder. Incontestablement, le modèle économique actuel ne nous permet pas de maîtriser la situation. Il faudra donc inventer de nouvelles formes d’interventionnisme public pour éviter la disparition pure et simple de cette industrie.

Nous devons également être vigilants quant à l’application des mesures proposées. En particulier, il convient de suivre attentivement, et au quotidien, la mise en œuvre de l’accord entre le Gouvernement et le groupe ArcelorMittal, dont on sait qu’il n’a pas pour habitude de respecter ses engagements. Dans l’hypothèse où l’accord ne serait pas respecté, nous ne devons rien nous interdire.

Personne ne nie que les sites de Dunkerque et de Fos-sur-Mer soient des piliers de la sidérurgie française. Ils représentent l’amont de la filière, si bien que l’on ne peut concevoir cette industrie sans eux. À cet égard, la Lorraine, comme la Bourgogne ou Rhône-Alpes, fait partie d’un ensemble. En tout état de cause, nous sommes à l’étiage : une des conclusions de nos travaux, c’est que notre modèle n’a pas bien résisté, en comparaison avec d’autres pays, qui produisent autant qu’autrefois.

Les préconisations du rapport devraient nous permettre d’acquérir une certaine distance par rapport à des événements qui, trop souvent, nous empêchent de nous projeter à long terme. Rien n’est gagné. L’Europe doit se montrer offensive : ainsi, en matière de protection de nos produits, par exemple, l’Union européenne n’a pas été très efficace, contrairement aux États-Unis. N’oublions pas, par ailleurs, que la Chine va nécessairement frapper à nos portes.

Les atouts, nous les avons : ce sont les hommes, les process, les centres de recherches, les clients. Il n’y a donc pas de raison que nous ne trouvions pas les solutions. Une partie d’entre elles sont d’ailleurs dans le rapport.

M. Hervé Gaymard. En mon nom personnel comme en celui des députés du groupe UMP, je me félicite de l’état d’esprit qui a présidé à nos travaux. C’est en effet dans une excellente ambiance que nous nous sommes donné l’ambition de défendre une politique industrielle active. Qu’il s’agisse des auditions comme des déplacements sur le terrain, nous aurons, globalement, travaillé dans le bon sens.

Le dossier de la sidérurgie et des activités métallurgiques comprend deux grandes entrées sectorielles – l’acier et l’aluminium – et deux entrées géographiques – la Lorraine, avec Florange, et la Savoie, s’agissant notamment de l’avenir des usines Rio Tinto Alcan de Saint-Jean-de-Maurienne et Carbone Savoie à Notre-Dame-de-Briançon. Mais nous avons su prendre le problème dans sa globalité en soulignant la nécessité d’une politique industrielle – mais aussi énergétique, les deux vont évidemment de pair – ambitieuse. J’espère que les constats et recommandations formulées dans le rapport permettront de satisfaire cette ambition, tant au niveau européen que national.

Le groupe UMP fera par ailleurs parvenir sa propre contribution, afin qu’elle puisse figurer dans le rapport définitif.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Je remercie le président et le rapporteur pour le professionnalisme dont ils ont fait preuve en conduisant ces travaux, car la question abordée n’est pas facile. Nous sommes tous conscients de la situation de la sidérurgie et de la métallurgie en France, et en particulier en Lorraine, une région sinistrée d’abord par la fin de l’exploitation de ses bassins houillers, et qui n’a pas bénéficié de la persistance d’une sidérurgie forte. Elle avait pourtant construit tout un patrimoine autour de ces secteurs, et accompli un travail d’accompagnement incluant des actions de formation. Mais la Lorraine, qui a fait vivre la France pendant des décennies, ne peut malheureusement plus compter que sur elle-même pour être sauvée.

Nous avons eu Gandrange, puis Florange : ces deux événements sont le produit d’une géographie, mais ils s’expliquent aussi parce que nous n’avons pas su nous tourner assez tôt vers les régions voisines du Luxembourg et de la Sarre pour travailler en symbiose. La situation actuelle réclame, de la part des industriels, mais aussi des pouvoirs publics, de l’attention, un accompagnement et une volonté de diversification. Mais surtout, nous devons, pour nous en sortir, travailler avec nos voisins immédiats.

En tout état de cause, les membres de cette commission d’enquête ont fait preuve d’une objectivité qui est l’apanage des vrais politiques.

Mme Michèle Bonneton. Je suis très satisfaite du travail effectué. Le rapport n’est absolument pas rédigé en langue de bois : il dit les choses de façon précise, si bien que j’ai encore appris en le lisant. Il va même plus loin que ce qui résultait de nos auditions. J’espère donc qu’il recueillera l’audience qu’il mérite.

Ma seule question est désormais de savoir comment le rendre plus utile, comment lui donner un impact sur les décisions qui seront prises en très haut lieu ?

Mme Martine Carrillon-Couvreur. Je m’associe aux réflexions qui ont été exprimées sur la qualité des travaux de cette commission d’enquête.

La Bourgogne, où je suis élue, comprend des sites industriels, certes moins médiatisés que ceux qui viennent d’être évoqués. Pour autant, cette région est tout aussi concernée par l’avenir de l’industrie sidérurgique, avec toutefois des spécificités qu’il convient d’ailleurs de savoir préserver. Au cours de nos travaux, j’ai personnellement beaucoup appris sur ce que représente cette industrie, au plan national comme à l’échelle européenne.

Ce rapport contient un certain nombre de propositions que nous partageons. Ma préoccupation, désormais, est de savoir comment elles seront appliquées, et il convient, à cet égard, de faire preuve de vigilance. Est-il possible d’envisager un suivi des conclusions de la commission d’enquête, par exemple en se donnant rendez-vous dans un an pour examiner la façon dont elles ont été prises en considération ? Le travail accompli justifierait que l’on agisse ainsi.

De même, cette industrie mérite que l’on fasse d’autant plus preuve d’ambition à son sujet, qu’elle dispose d’atouts et de savoir-faire considérables. Après des décennies marquées par une évolution parfois dramatique, nous devons nous assurer qu’elle connaîtra un nouvel avenir.

M. Éric Straumann. Le Gouvernement a décidé de fermer la centrale nucléaire de Fessenheim, ce qui va entraîner la perte de plus de mille emplois après 2017. Or cette décision brutale risque de déstabiliser l’approvisionnement en électricité de la Haute-Alsace, déjà très tendu, puisque la centrale fournit également la région de Bâle. Elle pourrait aussi conduire Constellium à remettre en cause l’implantation de son usine à Kunheim – à seulement 15 kilomètres de Fessenheim –, qui se justifiait par la possibilité d’accéder à une électricité bon marché. Dans cette hypothèse, 1 300 nouveaux emplois pourraient disparaître.

ERDF réfléchit déjà à l’implantation de nouvelles lignes à haute tension pour approvisionner la Haute-Alsace. Ainsi qu’une décision prise un peu rapidement dans le contexte d’une campagne électorale aurait un impact fort sur toute une région, très industrialisée et qui connaît déjà les durs effets de la crise économique.

M. Jean-Pierre Decool. Je salue également le caractère toujours courtois et constructif de nos échanges. Cela, notamment en raison du champ très large par les de nos auditions. Elles nous ont permis de mettre en évidence les forces et les faiblesses de nos territoires mais aussi les capacités de développement de la filière. Nous pouvons d’ores et déjà nous féliciter de disposer d’infrastructures à très haut potentiel – je pense notamment au port de Dunkerque.

Nous considérons par ailleurs ce rapport comme une forme de contrat passé avec certains des « partenaires » auditionnés, comme avec M. Mittal, dont les promesses doivent nous inciter à faire preuve de vigilance.

M. Christian Hutin. Je remercie le groupe GDR et Alain Bocquet d’avoir pris l’initiative de demander la création de cette commission d’enquête, laquelle était nécessaire. Je remercie également Jean Grellier pour la courtoisie et la compétence dont il a fait preuve. Il aurait été dommage, sur un sujet aussi important, de ne pas recueillir l’unanimité, en dépit de la diversité de nos territoires. De ce point de vue, Dunkerque paraît en effet moins menacé en raison de la qualité de ses infrastructures. Mais ceux qui ont essayé d’opposer la Lorraine à Dunkerque, en dehors de notre commission, n’y sont pas parvenus.

À voir la liste des personnes auditionnées – du Commissaire européen à l’industrie jusqu’à Lakshmi Mittal, en passant par le ministre du redressement productif –, je crois que nous n’avons pas raté grand-chose ! En outre, les nombreux spécialistes que nous avons rencontrés se sont exprimés sans langue de bois.

Je suis par ailleurs heureux que la commission ait accepté d’aborder la question des installations portuaires qui, bien que ne contribuant pas directement à la production sidérurgique, y sont intimement liées.

Enfin, je suis d’accord avec l’idée d’assurer un suivi de nos travaux. Il est regrettable, par exemple, que les projets de développement du port de Dunkerque ne soient pas inscrits au Schéma national des infrastructures de transport – SNIT. Nous devons y remédier, sans quoi le groupe Mittal ne pourra pas décharger en France le minerai en provenance d’Alaska, et se tournera alors vers un port du Benelux ou vers la Pologne. Le SNIT, les investissements, l’industrie : tout cela est lié.

M. le président Jean Grellier. Je vais maintenant mettre aux voix le rapport de M. Alain Bocquet.

La commission d’enquête a adopté le rapport à l’unanimité.

M. le président Jean Grellier. L’ensemble des comptes rendus de nos auditions, y compris celles tenues à huis clos, sera également publié au titre des annexes.

Par ailleurs, le rapporteur et moi-même proposons qu’un débat soit organisé dans six mois pour examiner les suites données à nos propositions. Dès le mois de septembre, nous envisageons de rencontrer les ministres concernés – non seulement le ministre du redressement productif, mais aussi ceux chargés de l’emploi, des affaires sociales et de l’éducation nationale. Peut-être sera-t-il également nécessaire de recevoir à nouveau les commissaires européens concernés.

Après cette approbation unanime, je remercie les membres de la commission d’enquête pour l’état d’esprit très positif dont ils ont fait preuve – me facilitant ainsi la tâche en tant que président – et les services de l’Assemblée pour le travail accompli, notamment dans l’organisation des auditions. La présidente de Rio Tinto est la seule personne avec laquelle nous n’avons pas organisé une rencontre. De même, nous n’avons pu trouver aucun interlocuteur au sein du fonds d’investissement américain Apollo Global Management.

Nous devons maintenant réfléchir à la façon dont nos propositions pourront être reprises par d’autres instances du Parlement, comme la commission des affaires économiques. Le Conseil national de l’industrie, où je représente le Parlement en compagnie d’un sénateur, mais où nous ne sommes réunis qu’une fois par an, tout le travail étant accompli au niveau des filières stratégiques. Nous devrons donc veiller à mettre en œuvre une coopération plus forte entre le Parlement et ces filières. En tant que rapporteur pour avis du budget de l’industrie, je serai sans doute amené à faire des propositions en ce domaine.

Je remercie enfin les collègues qui nous ont aidés dans la préparation de nos visites sur le terrain en Savoie, à Dunkerque, à Fos-sur-Mer et en Lorraine. Ils nous ont permis de rencontrer des acteurs essentiels du secteur.

J’espère que ce rapport ne restera pas dans un tiroir, mais qu’au contraire nous parviendrons à le faire vivre.

CONTRIBUTION DES COMMISSAIRES
MEMBRES DU GROUPE UMP

En France et en Europe,

POUR UNE POLITIQUE INDUSTRIELLE ET ÉNERGÉTIQUE VOLONTARISTE

Contribution des Commissaires UMP (51)

Pour l’essentiel, nous partageons le constat et les propositions du rapport établi dans le cadre de la commission d’enquête, dont les travaux se sont déroulés dans un climat constructif. Nous voudrions particulièrement insister sur un certain nombre de lignes de force, concernant les deux dossiers emblématiques de Florange et de Saint-Jean de Maurienne, ainsi que la conduite d’une politique industrielle et énergétique ambitieuse.

Concernant Florange :

1. Arcelor Mittal, des emplois et un symbole à protéger

La commission d’enquête sur « la situation de la sidérurgie Française et Européenne dans la crise économique et financière, et sur les conditions de sa sauvegarde et de son développement » a été instaurée suite à l’arrêt des hauts fourneaux sur le site de Florange que ni les syndicats, ni le Gouvernement n’ont pu empêcher.

Dès son entrée en fonction, Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif, avait commandé un rapport à Pascal Faure sur la filière acier en France et l’avenir du site de Florange. Remis au ministre le 27 juillet 2012, ce rapport mettait en avant le fait que le site était « viable, rentable et fiable ». Un investissement de 400 à 500 millions d’euros était nécessaire.

Le 30 novembre 2012, le Gouvernement a publiquement annoncé avoir trouvé un accord avec ArcelorMittal sur l’avenir du site de Florange. Ce dernier prévoit que le groupe investira 180 millions d’euros sur le site de Florange au cours des cinq prochaines années afin de consolider et de renforcer la position de l’aval de Florange en tant que fournisseur d’acier à haute valeur ajoutée.

2. Du projet Ulcos au projet Lis

Le projet Ulcos (Ultra-Low Carbon Dioxide Steelmaking) était l’un des engagements de l’accord signé le 30 novembre 2012 entre l’État et ArcelorMittal. Ulcos était un programme de recherche européen lancé en 2004 permettant de fabriquer de l'acier propre. Ulcos était un consortium de 48 entreprises, universités et instituts de recherche européens dont Arcelor était le principal acteur, pour un coût plus de 600 millions d'euros. Plusieurs acteurs contribuaient dont l’État, à hauteur de 150 millions d'euros, via le grand emprunt, les collectivités territoriales pour 30 millions et l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) pour 10 millions. Néanmoins, un complément de financement européen était indispensable pour boucler le budget. Le projet Ulcos a été retenu par la commission européenne dans le cadre de l’appel à projet NER 300 pour une subvention de 240 millions d’euros.

Malheureusement Ulcos ne verra jamais le jour. Le 6 décembre 2012, ArcelorMittal annonce qu’il préfère abandonner le projet pour des raisons techniques et économiques. Le groupe lance donc un nouveau programme de recherche, baptisé Lis (Low Impact Steel) qui change complètement la donne. Ulcos prévoyait le captage du CO2 et son transport via un gazoduc à plus de 1 500 m sous terre et Lis abandonne cette option. Lis mobilisera 32 millions d’euros, essentiellement en Lorraine. En revanche, rien ne garantit que les applications industrielles s’effectueront à Florange. En outre, le calendrier que donne Arcelor est trop flou. En effet, le groupe se place dans un échéancier à moyen et long terme alors qu’il est vital pour le site de Florange que ce projet se fasse dès maintenant, à court terme. Il est impératif en effet pour le site de Florange que les tests liés au projet se réalisent sur le site de Florange et utilisent le haut fourneau mis sous cocon.

3. Préserver la recherche et le développement ainsi que la formation.

Si le projet Ulcos a pu voir le jour, c’est grâce au centre de Recherches et Développement de Maizières les Metz. A l’heure où nous devons compter avec les pays émergents en termes de compétitivité, l’innovation doit plus que jamais se développer pour adapter les entreprises et les technologies aux changements du paysage industriel.

Le site de Maizières-les-Metz est le plus grand centre de recherche du groupe Arcelor au monde, et les résultats des travaux qui y sont menés s’adressent à toutes les usines et à tous les clients du géant. Les nombreux chercheurs du site lorrain œuvrent pour la réduction de l’empreinte énergétique et environnementale des produits et procédés, pour l’optimisation des coûts et de l’usage des matières premières ainsi que pour l’amélioration de la qualité de l’acier, ce qui est essentiel.

Mobiliser les intelligences est une ressource essentielle pour répondre aux problématiques contemporaines, pour faire face à la concurrence, tout en tenant compte des impératifs énergétiques, écologiques, économiques et sociaux auxquels sont confrontés toutes les entreprises industrielles.

De même, le CFAI Moselle-CEFASIM (Centre de Formation d’Apprentis aux Métiers de l’Industrie et de la Métallurgie), basé à Yutz accueille des jeunes de 16 à 25 ans en contrat d’apprentissage afin de les former aux différents aspects techniques qu’ils peuvent rencontrer dans l’entreprise ainsi que de les préparer aux diplômes souhaités (CAP, BAC Pro, BTS, Licence Pro et Ingénieur). Depuis sa création en 1980, le CFAI Moselle-CEFASIM a formé plus de 6 000 apprentis. Le taux de réussite moyen aux examens est de 85 %. Le taux d’insertion favorable des apprentis est d’environ 91 %. Cette école est extrêmement importante car la formation est l’une des clés de la réussite. Toutefois, l’accent doit être mis sur le recrutement des jeunes dans l’industrie, qui malheureusement n’attire pas suffisamment.

4. Packaging : un projet d’avenir hautement important pour le site de Florange.

Dans le cadre des engagements entre l’État français et Arcelor Mittal, Arcelor Mittal s’engage à consolider les flux d’activité de la filière froide et en particulier la filière Emballage. Dans ce cadre, les activités de l’amont du packaging de l’entité ArcelorMittal Atlantique et Lorraine devaient se concentrer sur Florange. Ce projet a pris du retard. Il est absolument primordial de voir cette réorganisation se réaliser au plus vite et les investissements promis se réaliser, afin de sauver la filière packaging de Florange.

Concernant l’usine Rio Tinto Alcan de Saint-Jean de Maurienne :

Après des années d’incertitude, RTA a finalement déclaré au début de l’année 2012 son intention de vendre. Un certain nombre de repreneurs crédibles se sont manifestés. La solution d’une reprise par l’entreprise allemande Trimet, en partenariat avec EDF et le FSI, paraît bien engagée. Cette solution permettrait de sauvegarder 2000 emplois dans la vallée de la Maurienne, ainsi qu’à Castelsarrasin, et doit être soutenue. Le modèle économique de Trimet est basé sur trois fondements : recycler au moins autant que produire du métal primaire, pour diminuer la facture énergétique ; privilégier la vente de spécialités à forte valeur ajoutée plutôt que vendre des lingots standardisés, et c’est pourquoi l’activité de tréfilerie de Saint-Jean de Maurienne est un atout pour élargir l’offre dans le catalogue de l’entreprise ; faire financer la recherche en partie par l’université, spécificité allemande, et par les clients dans la satisfaction de leurs besoins spécifiques. Mais il faut rester dans une grande vigilance, compte tenu des difficultés que commence à connaître la filière du recyclage, et anticiper sur l’avenir de l’usine de Dunkerque, qui reste pour l’instant, ainsi que le laboratoire de recherche de Saint-Jean de Maurienne, dans le giron de RTA. Les inquiétudes restent grandes concernant l’usine RTA Carbone Savoie de Notre-Dame de Briançon, dans la vallée voisine de la Tarentaise, qui fabrique les cathodes nécessaires à l’électrolyse. Sur ce dernier dossier, les pouvoirs publics doivent être d’une grande vigilance, et anticiper le retrait probable de RTA.

Concernant la politique industrielle :

1. Il faut valoriser et faire aimer les métiers de l’industrie

Trop longtemps, une hiérarchie implicite condamnait au déclin les secteurs de production, qu’il s’agisse du secteur primaire (l’agriculture) ou du secteur secondaire (l’industrie), au profit des activités de services (le secteur tertiaire). Même si la frontière entre « industrie » et « services » est de moins en moins étanche, il faut réaffirmer avec force que le site France doit demeurer un site de production. Industrie et services s’enrichissent en effet mutuellement et permettent d’assurer par leur développement parallèle, un essor économique durable. Cette volonté politique doit d’abord s’affirmer dans les politiques de formation initiale et permanente, qui n’orientent pas suffisamment les jeunes vers les métiers industriels. De nombreuses études, et les retours d’expérience, illustrent que la qualité traditionnelle de la main d’œuvre industrielle française est un avantage comparatif majeur. L’économie française peut notamment s’appuyer sur une culture scientifique et des formations d’ingénieurs de premier rang. Il ne faudrait pas que le basculement des générations et l’affaiblissement de notre tissu industriel nous privent de ces atouts. L’impératif de la valorisation, de l’incitation et de l’orientation vers ces formations (qu’elles soient dans des écoles ou réalisées en internes dans les entreprises industrielles) n’en est que plus prioritaire.

2. Pas de politique industrielle sans politique énergétique

Les débats en cours sur la transition énergétique n’accordent pas suffisamment d’importance à la question industrielle. Pourtant, toute l’histoire économique montre que l’énergie est à la base de l’industrie, d’abord avec le charbon. Puis avec l’hydroélectricité, et le nucléaire, qui donnent à la France un avantage compétitif évident, à moins qu’on ne le ruine par des décisions inconséquentes. Diversifier le « bouquet énergétique » par le développement de l’énergie solaire et éolienne, est une bonne chose, à la condition que l’on conforte le nucléaire, et que l’on utilise toutes les ressources disponibles pour développer l’hydroélectricité. L’objectif est de maintenir une tarification compétitive pour les industries électro-intensives. Cela passe par : la clarification rapide du renouvellement des concessions hydrauliques ; une tarification adaptée pour l’industrie ; le développement des formules d’effacement, ou d’interruptibilité dans les clauses des contrats ; la réévaluation des formules de co-investissement entre les industriels et les producteurs d’énergie, dans la lignée d’Exeltium.

Dans ce contexte, l’annonce par le gouvernement de la fermeture anticipée de la centrale nucléaire de Fessenheim pour 2017 est une erreur, alors que l'ASN vient de renouveler l'autorisation d'exploitation pour 10 ans. Cette fermeture brutale va déséquilibrer l'approvisionnement électrique dans le Rhin supérieur et affecter les industries métallurgiques électro intensives. Plus largement, l'électricité nucléaire offre une « tarification stable et lisible », conformément aux propositions du rapport. La fermeture de Fessenheim va nécessiter le recours accru au marché libre de l'électricité qui n'offre aucune visibilité aux industriels.

Enfin, il n’est pas possible d’ignorer l’enjeu décisif de la recherche sur l’exploitation des gaz de schistes. Certains pays développés, au premier rang les Etats-Unis, se sont dotés ces dernières années, d’un avantage compétitif massif en exploitant cette source d’énergie. Il en résulte un déséquilibre des conditions de concurrence à notre détriment, qui met à mal des pans entiers de l’industrie française, notamment dans la chimie.

La question de l’énergie n’est pas seulement celle des entreprises électro-intensives. C’est aussi, avec l’introduction du big data et des réseaux intelligent, un formidable vecteur de croissance et d’emplois. C’est un nouvel écosystème à créer, grâce auquel on substituerait au tuyau d’arrosage classique, un goutte à goutte intelligent et pertinent, vecteur de très importantes économies d’énergies.

3. L’impératif de la recherche

Avec la qualité de la main d’œuvre, et une énergie compétitive, la recherche est le troisième déterminant principal d’une industrie d’avenir. Le Crédit d’Impôt Recherche mis en œuvre par le gouvernement de François Fillon, inutilement complexifié par le gouvernement Ayrault, est un puissant facteur de développement de la recherche en France. Il faut maintenir cet effort qui a été salué par l’OCDE, la France ayant été qualifiée en 2009, de pays favorisant le plus l’effort de recherche des entreprises. Nous devons notamment faire preuve d’une grande vigilance sur l’avenir du centre de recherche de Voreppe, ainsi que du Laboratoire de Recherche Fondamentale à Saint-Jean de Maurienne, que Rio Tinto Alcan n’a pas décidé de vendre. Mais il est à craindre que ces fleurons qui ont écrit depuis un siècle l’excellence de la filière française de l’aluminium, ne soient déjà dévitalisés et pillés.

4. Développer une politique de filière

Depuis trop longtemps, l’approche par filières de production a été abandonnée, faute de pilotage stratégique. Il ne s’agit évidemment pas de revenir à la planification des années cinquante ou soixante. Mais il faut que l’État, et les représentants des filières amont et aval, définissent une stratégie nationale pour chaque produit (acier, aluminium, autres métaux non ferreux, titane, zirconium, silicium, chimie) et chaque métier (automobile, ferroviaire, avionique, solaire, machines-outils, composants, électronique). Deux dossiers emblématiques illustrent, on l’a vu, cet impératif : l’acier avec Florange ; et l’aluminium avec l’usine de Rio Tinto Alcan à Saint-Jean de Maurienne.

Nous n’ignorons pas que la mondialisation de la production, couplée à la guerre des monnaies, ainsi que la recombination permanente de la chaîne de production qu’elles impliquent, rendent illusoires des politiques dirigistes. Mais cela n’interdit pas de retenir une stratégie qui tienne compte de nos forces et de nos faiblesses, et qui surtout détermine clairement ce qui est réellement important pour le maintien et le développement de notre industrie.

5. La question de la localisation des centres de décision

Les tristes aventures du naufrage du groupe Pechiney, et d’Arcelor, passé le moment bien légitime de colère et de tristesse, doivent nous conduire à une évaluation sereine de la question de la propriété du capital de nos entreprises industrielles. En effet, beaucoup d’affirmations contradictoires sont également soutenables, ce qui illustre la complexité de la question :

– Pechiney et Arcelor étaient des entreprises dans lesquelles les capitaux français étaient significatifs, avec des centres de décision en France, ce qui n’a pas évité leur déréliction, faute d’un pilotage stratégique adapté, et d’une motivation nationale et européenne suffisantes ;

– certaines filiales de Pechiney ont été sans doute sauvées, car elles ont été cédées à temps à des industriels ou des investisseurs étrangers (américains, espagnols, britanniques ou japonais) et continuent à produire en France ;

– il est évident que l’achat de Péchiney par Alcan, repris par Rio Tinto peu après, de même que la reprise d’Arcelor par Mittal, ne sont pas favorables au site de production France, quand les décisions stratégiques sont prises à l’extérieur de nos frontières ;

– il est tout aussi évident, qu’un centre de décision situé en France sera davantage enclin à relocaliser en France (comme Rossignol).

Il est donc crucial que les autorités publiques créent un environnement favorable à la localisation en France des investissements et des centres de décision. Les conditions premières d’un environnement attractif sont à l’évidence la fiscalité (en niveau et en stabilité des règles) et le droit du travail, qui doit concilier la manœuvrabilité des entreprises avec la protection des salariés.

Sans donc considérer que ce soit une condition suffisante, il faut par ailleurs davantage diriger l’épargne vers l’industrie. Les initiatives récentes (BPI, FSI) vont dans le bon sens, mais le handicap français tient aux mentalités. La comparaison avec l’Allemagne est éclairante. Outre-Rhin, depuis toujours, les banques régionales investissent dans les entreprises familiales industrielles, ce qui a fait le succès du Mittelstand, ces PMI deux fois plus grosses en moyenne qu’en France, et qui font durablement le succès de l’industrie allemande.

6. L’Europe doit aimer l’industrie

Les déclarations, ainsi que l’action de M. Tajani, Commissaire à l’industrie, ainsi que certaines initiatives de M. de Gucht, Commissaire chargé de la politique commerciale extérieure, rompent heureusement avec l’inaction traditionnellement coupable de la commission européenne au détriment de l’industrie.

Trois politiques de la commission doivent faire l’objet d’un aggiornamento :

– la politique de la concurrence : traditionnellement la Commission européenne a lutté contre la constitution de « champions nationaux, sans que des champions européens puissent réellement émerger, hormis certains secteurs spécifiques comme la défense et l’aéronautique, contrairement à ce qu’à déclaré récemment le commissaire Almunia, en réponse au rapport de Jean-Louis Beffa et Gerhard Cromme. Le périmètre pertinent pour apprécier les effets d’une concentration est le plus souvent le marché mondial et non le seul marché européen. C’est cette dernière approche qui a sans doute été fatale à Pechiney, suite à la décision de M. Monti, alors commissaire à la concurrence.

– la politique énergétique : l’Europe n’a pas de politique énergétique, alors qu’elle avait été pionnière en 1951 avec la CECA, et avec Euratom en 1957. Pire, elle n’a envisagé l’énergie que sous l’angle de la concurrence, du triple point de vue de l’ouverture à la concurrence des marchés nationaux, de la tarification de l’électricité, et de la géométrie des métiers des opérateurs nationaux. On sait aujourd’hui ce que cette approche a de réducteur, donc de dangereux. Il faut donc développer une politique globale de l’énergie : réseaux, tarification favorable à l’industrie, sécurisation des approvisionnements, développement des énergies propres sur tout le continent.

– la politique commerciale extérieure : trop longtemps, l’Europe a été angélique. Nous sommes dans une guerre commerciale et industrielle. L’Europe ne doit pas être agressive, mais elle doit défendre ses intérêts. Si elle le veut, elle peut se faire entendre, compte tenu de son poids dans le commerce mondial. Nous devons accepter le principe de l’ouverture des marchés, mais l’ouverture équitable est celle dans laquelle il existe des règles et des disciplines pour éviter les pratiques de concurrence déloyale.

7. Anticiper les nouvelles frontières

Ce volontarisme sur les segments classiques des stratégies industrielles, doit également se manifester dans de nouvelles approches, car nous sommes en train de basculer dans un monde différent. Il faut développer les écosystèmes, et faire vivre ensemble l’excellence de la recherche et de l’entreprise, quelles que soit les tailles et les nationalités – d’ailleurs souvent difficiles à déterminer – des entreprises. Il faut créer de véritables parcs d’attraction industrielle et technologique : de ce point de vue le succès de l’aéronautique est particulièrement exemplaire.

De même, il faut prendre garde à ne pas retenir une approche exclusivement sectorielle de l’industrie. Une politique de filière, indispensable comme on l’a vu, doit s’accompagner d’une politique qui bouscule les filières. En effet, nous ne devons pas rater la nouvelle révolution industrielle, qui met non seulement de la technologie, mais de l’intelligence dans les machines. La frontière entre l’industrie et les services devient parfois floue, et leur opposition surannée avec l’apparition de l’économie digitale, l’économie collaborative, et l’Internet des objets. Il faut donc également des stratégies industrielles, qui parient sur des technologies qui décloisonnement les secteurs traditionnels, et bouleversent les anciens business model. C’est l’enjeu de l’Internet des objets, des réseaux intelligents et des big data ; des nanotechnologies ; des nouveaux matériaux composites et à mémoire ; de la robotique. C’est une chance et un risque, car on ne vendra plus seulement les produits, mais leurs usages. Il ne faut pas manquer cette nouvelle révolution industrielle qui risque de s’écrire sans nous sous nos yeux.

PROPOSITIONS

1. Maintenir et moderniser une filière liquide de fabrication sidérurgique complète en France, en développant les technologies les plus modernes de consommation de la ressource (minerais) et d’efficacité énergétique.

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2. Garantir la pérennité des deux sites français de production d’aluminium primaire (Dunkerque et Saint-Jean-de-Maurienne), tout en améliorant sensiblement la production d’aluminium par les canaux d’un recyclage plus performant, y compris par la collecte d’objets épars et de petite taille (emballage notamment) encore insuffisamment développée.

*

3. Assurer par l’existence de filières de la sidérurgie, de l’aluminium et du cuivre « complètes » la sécurité d’approvisionnement des activités de transformation « en aval » dans lesquelles notre pays doit conserver ses positions, s’agissant notamment des secteurs de l’aéronautique, de l’automobile, plus généralement des transports, du nucléaire, des câbles et de la construction. Cet ensemble d’activités doit continuer à s’appuyer sur ce socle industriel pour proposer des produits innovants à fort potentiel exportateur.

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4. Créer en Lorraine une nouvelle aciérie électrique au meilleur niveau de la technique assurant une production destinée à des marchés de spécialités.

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5. Réformer le système européen d’attribution et d’échanges (ETS) de certificats représentatifs des quotas d’émission de CO2. Exclure notamment toute attribution de certificats concernant un système de production ayant cessé toute activité depuis plus d’une année et concevoir des mécanismes de restitution de certificats par une entreprise ayant définitivement fermé un site de production.

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6. Promouvoir l’économie circulaire et des canaux de recyclage plus clairement identifiables car mieux organisés dans le but de sécuriser l’accès des secteurs sidérurgiques et de l’aluminium à leurs ressources.

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7. Fixer des objectifs de recyclage par type de matériau, plus particulièrement les emballages. Le Grenelle de l’environnement ayant établi un objectif global de 75 % pour le recyclage des emballages, il convient d’accentuer les efforts de collecte puis de traitement des produits pour lesquels les résultats constatés restent insuffisamment probants comme les emballages en aluminium dont le taux de recyclage (environ 35 %) demeure en retrait d’autres matériaux. Les cahiers des charges des Eco-organismes devraient être modifiés en ce sens.

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8. Favoriser le recours à l’utilisation dans la production de produits recyclés en luttant contre les exportations illicites et en modifiant même les spécificités techniques de certains produits pour y incorporer des quantités minimales de ressources issues du recyclage. Conforter ainsi le potentiel de développement aux filières françaises de déconstruction (trains, navires, avions etc.)

*

9. Harmoniser par des accords bilatéraux entre pays voisins le montant au-delà duquel une transaction sur des métaux destinés au recyclage ne peut être payée en espèces ; les disparités des réglementations actuellement en vigueur en Europe détournent l’utilisation d’une partie non négligeable de la ressource disponible ainsi acquise par des négociants frontaliers.

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10. Lutter contre l’opacité de certaines pratiques et optimiser le fonctionnement de la filière du recyclage la mise en place d’une plate-forme informatique d’échanges (phase préalable à la mise en place d’un marché français réglementé qui pourrait être appelé à réunir plusieurs pays européens).

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11. Conforter la compétitivité de la filière « Industries extractives et de premières transformation » qui regroupe les acteurs de l’acier, de l’aluminium, de la métallurgie, du verre, des céramiques et du béton, dans le cadre du comité stratégique spécialisé qui est désormais installé (mai 2013) conformément aux orientations définies par le Conseil national de l’industrie.

*

12. Orienter une partie de l’épargne constituée au titre de l’assurance-vie sur des investissements visant à soutenir les filières stratégiques comme la sidérurgie et la métallurgie, à l’image des contrats « Euro croissance » dont la création a été proposée dans le récent rapport Berger-Lefebvre sur l’épargne financière des ménages pour l’investissement et la croissance. Modifier en conséquence l’encadrement réglementaire qui s’impose actuellement aux assureurs de même que les dispositions fiscales à l’égard des souscripteurs qui s’appliquent principalement en fonction de la durée de détention et non pas en fonction de l’orientation de l’investissement.

*

13. Définir une doctrine spécifique d’investissement de la Banque publique d’investissement (BPI) en rapport aux besoins des filières et qui puisse se traduire par des prises de participations significatives au capital et rompre ainsi avec le mouvement de mainmise de groupes étrangers sur les entreprises sidérurgiques et métallurgiques, un phénomène qui s’est accéléré en France au cours de la dernière décennie.

*

14. Veiller tout spécialement au maintien et au développement des centres de R&D français des grands groupes multinationaux qui y ont acquis des activités industrielles. Sans mettre en cause les principes généraux d’éligibilité au crédit d’impôt recherche, il revient néanmoins aux pouvoirs publics de conditionner cet avantage à la poursuite dans la durée d’un effort réalisé en France et notamment d’exiger des bénéficiaires qu’ils investissent intégralement dans la recherche les montants représentatifs de ce crédit d’impôt. À défaut, le fisc disposera d’un droit de reprise sur les montants ayant eu un autre objet.

*

15. Fixer pour toutes les entreprises sidérurgiques et métallurgiques de plus de 1 000 salariés un objectif 2018 au moins égal à 2 % du chiffre d’affaires consacré à la R&D, tout en intensifiant les partenariats « publics-privés ».

*

16. Favoriser la création de filiales de fournitures énergétiques au capital desquelles EDF, GDF Suez voire d’autres énergéticiens européens pourraient durablement être associés afin de sécuriser les tarifs et les modalités d’approvisionnement des activités électro ou gazo intensives sur la base de contrats de long terme assortis d’un encadrement de leurs clauses de révision.

*

17. Saisir l’opportunité du débat sur la transition énergétique pour réaffirmer la nécessité d’établir une tarification lisible et de long terme aux industries énergie intensives et qui incorpore notamment des clauses relatives à leurs capacités d’effacement et à l’interruptibilité de consommation. Il convient en effet de mieux prendre en compte de telles possibilités au titre des modulations ou rabais tarifaires, à l’instar de ce qui est pratiqué pour des activités comparables dans d’autres pays et particulièrement en Allemagne.

*

18. Engager un débat à l’échelon européen sur les incidences envers la compétitivité des entreprises des options privilégiées par chaque État-membre au titre de la transition énergétique afin de ne pas créer en matière tarifaire des disparités de compétitivité incompatibles avec l’existence même d’un marché unique européen. La situation actuellement constatée d’une transition énergétique « en ordre dispersée » entre les principaux pays de l’Union pose d’ores et déjà la question essentielle de l’équité de traitement entre activités de même nature au sein de l’espace communautaire.

*

19. Exiger une inflexion sensible des politiques de l’énergie et de la concurrence telles que mises en œuvre par la Commission européenne afin de conférer, à nouveau, aux industries énergie intensives le droit de conclure des contrats d’approvisionnement de longue durée, en tout état de cause d’une durée supérieure à la limite des cinq ans arbitrairement posée. Il convient ainsi d’ouvrir à ces entreprises des perspectives favorables à leurs investissements de modernisation. À défaut, il existera des risques majeurs de délocalisations vers des zones extra européennes (non exclusivement vers des pays émergents) où les pouvoirs publics conduisent d’ores et déjà des politiques plus favorables à ces industries (Amérique du nord, Norvège, Islande, Proche-Orient).

*

20. Réviser les modalités de la formation aux métiers de la métallurgie, de l’enseignement professionnel général aux écoles d’ingénieurs où on assiste à un effacement progressif des enseignements de base de ces activités qui y étaient traditionnellement dispensées. Cette situation notamment dénoncée par les Académies des sciences et des technologies appelle des rectifications urgentes et notamment un recours plus massif à l’alternance à tous les niveaux de qualification. Le renouvellement des générations dans les usines comme dans la R&D constitue un enjeu décisif pour la pérennité des industries sidérurgiques et métallurgiques et le maintien des savoir-faire en France, car près de 20 % des salariés de la sidérurgie partiront en retraite d’ici 2015.

*

21. Rapprocher l’éducation nationale et les organisations professionnelles pour conduire une politique d’information rénovée, en particulier à destination des familles, sur les métiers et filières d’avenir de la sidérurgie et de la métallurgie. Multiplier dans les collèges les interventions programmées de salariés expérimentés des entreprises de ces secteurs afin de présenter leurs métiers et les débouchés accessibles.

*

22. Faire évoluer la fiscalité applicable aux entreprises et les dispositifs d’aide leur bénéficiant, en renforçant davantage leurs liens avec les efforts consentis pour développer l’emploi, la formation et la R&D.

*

23. Repenser dans le cadre d’une rénovation du dialogue social la hiérarchisation des grilles salariales afin de donner un « coup de pouce » notamment aux salaires d’embauche et susciter ainsi plus d’intérêt de la part des jeunes pour ces métiers.

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24. Renforcer les moyens de contrôle des administrations douanières sur les produits sidérurgiques et métallurgiques accédant au marché européen, y compris par des analyses techniques approfondies en laboratoire, afin de mieux déceler la compatibilité des différents traitements qu’ils ont subis en cours de fabrication avec les normes européennes. Cette action coordonnée à l’échelon européen doit en priorité porter sur certaines activités du négoce d’importation : des produits en provenance de pays tiers incorporent en effet des substances définitivement proscrites par la réglementation européenne (règlement REACH notamment).

*

25. Utiliser l’arme du relèvement des droits de douanes face à des situations constatées et répétées de dumping sur un type de produit émanant d’un pays tiers. Cette modalité légitime de protection est largement mise en pratique par de grands pays producteurs, notamment d’Amérique du nord ; son utilisation leur permet d’établir un rapport de force favorable dans le cadre des négociations qui généralement s’engagent rapidement avec le ou les pays d’origine des produits visés.

*

26. Constituer un groupe permanent de réflexion sur l’adaptation des infrastructures portuaires, routières, ferroviaires et fluviales aux besoins de l’industrie. Cette instance nationale réunissant les représentants des industriels, des organisations syndicales, des collectivités territoriales et des experts indépendants aura pour mission d’éclairer les décisions d’investissements publics mais aussi les stratégies de développement des entreprises, en inscrivant également ses orientations dans une optique d’efficacité énergétique et de nouvelles méthodes de construction.

ANNEXES

LISTE DES ANNEXES

— Production de l’acier plat par la filière fonte pour de grands usages industriels.

— Tableau des dix plus importants producteurs d’acier, 2001/2006/2011.

— Emploi total dans la sidérurgie, 2000-2010 (USA, Japon, Brésil, Chine, UE).

— Évolution du spread entre le prix du coil à chaud et des matières premières, 2000-2012.

— Lettre du 26 avril 2013 de M. Philippe Tarillon, maire de Florange et président de la Communauté d’Agglomération du Val de Fensch.

— Lettre du 30 avril 2013 de M. Lakshmi N. Mittal en réponse aux questions complémentaires de la commission d’enquête, à la suite de son audition du 17 avril 2013. 

— Communiqué de presse de la Fédération des Travailleurs de la Métallurgie CGT à propos de ses propositions à la commission d’enquête, 4 juin 2013.

— Contribution de l’intersyndicale du centre de recherche de Maizières-les-Metz, remise aux membres de la commission d’enquête lors de leur visite du 6 juin 2013.

— Lettre du 19 juin 2013 de MM. les président et rapporteur à M. Antonio Tajani, vice-président de la commission européenne chargé de l’industrie et de l’entrepreneuriat.

— Contribution de l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM) de Savoie et du Syndicat professionnel des industries électrométallurgiques électrotechniques du Grand Sud (SPIEEGS), remise aux membres de la commission d’enquête le 27 juin 2013.

Production de l’acier plat par la filière fonte pour de grands usages industriels

Source : Extrait de La Filière Acier en France et l’avenir du site de Florange, rapport remis à M. Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif, par M. Pascal Faure, vice-président du Conseil général de l’économie, de l’industrie, de l’énergie et des technologies, 27 juillet 2012

La transformation du minerai en acier

Les traitements de la phase à froid permettent d’obtenir les produits finis

Tableau des dix plus importants producteurs d’acier, 2001/2006/2011

(par production annuelle, en Mt.)

Source : Worldsteel.

Emploi total dans la sidérurgie, 2000-2010 (USA, Japon, Brésil, Chine, UE)

(en milliers de salariés)

6e colonne : UE constitué de 15 pays avant 2005, UE constitué de 27 pays après 2005.

Source : OCDE

Évolution du spread entre le prix du coil à chaud et des matières premières
2000-2012

(en €/t)

Source : SBB, Marsoft, EIA, Steelonthenet, traitement Laplace Conseil






On vide les placards, …

 

1991

Aujourd’hui

Budget

1,3 Mrd de Francs (198 M€)

1,3% du CA

180 M€

0,3% du CA

Effectifs R&D

1700 en France

Environ 1200 dans le monde

(dont 720 en France)

Brevets

60 brevets pour le seul établissement de MZ

29 brevets en 2011 pour AM dans son ensemble

INTENSITE de R&D : ARCELORMITTAL est devancé par ses principaux concurrents

Budget R&D par tonne d’acier produite

En 2006, Arcelor était leader mondial pour ses produits novateurs et la qualité de leurs fabrications soutenue par sa maîtrise du process. Aujourd’hui nos dirigeants admettent que nous avons perdu notre leadership et sommes suiveurs sur beaucoup de marchés. La R&D et l’innovation ne sont plus les valeurs premières du Groupe malgré les discours officiels.

L’OPA de 2006 a permis à Mr Mittal de mettre la main sur les brevets, la technologie d’Arcelor. Actuellement nous vivons sur nos acquis sans nous donner les moyens d’en créer suffisamment de nouveaux.

Aujourd’hui, l’investissement R&D d’ArcelorMittal sur le long terme est de l’ordre de 10%. Nos concurrents européens comme TKS ou Voest-Alpine ont un niveau de projets à long terme de l’ordre de 30 % !

La politique de recherche d’ArcelorMittal se concentre sur les produits pour l’automobile à haute valeur ajoutée, délaissant la recherche process dont la perspective des gains est plus lointaine.

Le nouveau groupe japonais NSSC, à sa création, a créé 2 nouvelles équipes de recherche : une dédiée aux nouveaux produits, l’autre au process capable de les produire !

Cette dernière attitude nous parait essentielle à la survie d’une industrie sidérurgique dans les pays occidentaux où la technicité des produits l’emporte sur le coût de main d’œuvre.



CREDIT IMPOT RECHERCHE


Le CIR est équivalent au quart du budget de MZ. Cette manne financière ne sert aujourd’hui qu’à augmenter nos fonds propres alors que nous pensons que le CIR devrait servir à développer les capacités d’innovations au travers de l’investissement et de l’emploi en France

PROJET LIS : suite à l’abandon par le groupe du projet ULCOS TGR, un nouveau projet porté par un consortium français est mis en place : il se nomme LIS (Low Impact Steel). Ce projet devrait avoir un budget de 32 M€ dont 15 M€ de la part de l’Etat.

Le peu d’informations, dont nous disposons, nous interroge sur la volonté du groupe de réaliser ce projet uniquement en France. Il ne faudrait pas que Mr Mittal profite encore de cette opportunité pour financer d’autres projets dont certains à l’étranger.

IRT : pour le centre de recherche de Maizères les Metz, l’IRT serait une belle opportunité qui permettrait une synergie avec des équipes universitaires et des PME locales en partageant du matériel de haut niveau. La direction du Groupe montre peu d’intérêt sur le sujet.

GPEC : cet accord devait permettre une gestion des compétences pour pérenniser une entreprise. Malheureusement, les directions se sont toujours refusées à faire partager la stratégie de l’entreprise avec les représentants des salariés. Dans la recherche, ces pertes de compétences sont graves car il faut un temps très long pour former et retrouver ces compétences. Dans le monde concurrentiel d’aujourd’hui, cela peut nous être fatal !

GOUVERNANCE : les décisions sont prises à Londres et relayées ici sans marge de manœuvre. La sidérurgie française est passée de l’époque de Wendel à l’époque Mittal avec une différence énorme : notre PDG joue sur la carte mondiale et la France n’est qu’une pièce du puzzle avec une stratégie financière qui prime sur les objectifs industriels et les valeurs sociales

En Conclusion : Il faut être conscient que pour les aciers plats, notre cœur de métier, les centres de décisions se déplacent vers le Sud Est asiatique car guidés par les marchés. Les nouveaux véhicules y seront conçus pour être plus proches des besoins des consommateurs. Notre survie dépend de notre capacité à être novateur en terme de produits et meilleurs en terme de qualité par l’amélioration des process usines. La bataille sera dure mais sans moyen pour la R&D elle est perdue d’avance.

… les placards sont presque vides.






LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
OU RENCONTRÉES

Ÿ Ministère de l’économie et des finances :

– MM. Pascal Faure, ingénieur général des mines, directeur général de la compétitivité, de l’industrie et des services (DGCIS), Pierre Angot, sous-directeur de l’industrie de la santé, de la chimie et des nouveaux matériaux et Marc Rohfritsch, chef du bureau « matériaux du futur et nouveaux procédés ».

Ÿ M. Francis Mer, ancien ministre, vice-président du groupe Safran (ancien président d’Usinor-Sacilor et d’Arcelor).

Ÿ MM. Philippe Darmayan, président, et Bernard Creton, délégué général, de la Fédération française de l’acier (FFA).

Ÿ Mmes Béatrice Charon, présidente de l’Association française de l’aluminium (AFA), et Caroline Colombier, déléguée générale de l’AFA, et M. Olivier Dufour, directeur « affaires externes » (France/EU) de Rio Tinto Alcan.

Ÿ M. Jean-Pierre Fine, secrétaire général, et Gilles Lodolo, directeur « Emploi-Formation » de l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM).

Ÿ Représentants du Groupe de réflexion sur l’avenir de la métallurgie en France (GrameF).

Ÿ M. Gérard Glas, président de Tata Steel France Rail SA.

Ÿ MM. Eric Brac de la Perrière, directeur général, Carlos de Los Llanos, directeur du département recyclage et Johann Leconte, directeur des relations avec les élus et les associations d’Eco-Emballages.

Ÿ MM. Jean-Pierre Gaudin, vice-président de la Fédération des entreprises du recyclage (FEDEREC), président de la branche « métaux ferreux », Patrick Kornberg, président de la branche « métaux non ferreux » et Igor Bilimoff, directeur général.

Ÿ M. Lakshmi N. Mittal, président du groupe ArcelorMittal.

Ÿ M. Pascal Nerbonne, président d’Ascométal.

Ÿ Mme Isabelle Czernichowski-Lauriol (Bureau de recherches géologiques et minières – BRGM), présidente du réseau CO2GeoNet, MM. Didier Bonijoly, directeur-adjoint à la direction des géoressources du BRGM, et Hubert Fabriol, directeur-adjoint à la direction des risques et de la prévention du BRGM.

Ÿ MM. Georges Duval, président des sociétés Aubert & Duval et Erasteel, et Philippe Dubois, directeur des ressources humaines.

Ÿ Mme Catherine Tissot-Colle, présidente de la Fédération des minerais, minéraux industriels et métaux non ferreux (Fedem), Mme Claire de Langeron, déléguée générale, et de M. Édouard de Lacoste Lareymondie, président de la Chambre syndicale du cuivre et de ses alliages.

Ÿ Organisations syndicales :

– Fédération des travailleurs de la métallurgie (FTM-CGT) : M. Philippe Verbeke, membre direction fédérale (filière transformation métaux, ArcelorMittal), M. Jean-Michel Boqueret, responsable syndical Constellium (filière Aluminium), M. Bertrand Gregor, responsable syndical KME (filière Cuivre), M. Philippe Bonnot, responsable syndical Aperam (filière Inox), et Mme Marie-Claire Cailletau, responsable des questions énergie à la FNME ;

– Fédération générale des mines et de la métallurgie (FGMM-CFDT) : M. Alain Larose, secrétaire national, Mme Christiane Graillot, déléguée centrale Aperam, M. Jean-Luc Cure, délégué central ArcelorMittal (R&D à Maizières-lès-Metz), M. Bernard Debièvre, délégué central ArcelorMittal (Fos-sur-Mer), M. Patrick Auzanneau, délégué central ArcelorMittal, Mme Christèle Touzelet, déléguée centrale (Industeel France), M. Djamel Damine, délégué syndical (Industeel Le Creusot), M. Marc Lagarde, représentant syndical Aperam (Gueugnon) et M. Laurent Dubuis, représentant titulaire au comité de groupe européen d’Aperam (Imphy) ;

– Syndicat National CFE-CGC Sidérurgie : M. Xavier Le Coq, secrétaire national en charge de l’Industrie, Fédération de la Métallurgie, Mme Véronique Roche, déléguée syndicale centrale et secrétaire du comité d’entreprise européen de Rio Tinto, M. Pascal Deshayes, secrétaire du CCE ArcelorMittal Atlantique et Lorraine), M. Jean-François Verdier (Constellium) et M. Sylvain Rameau, délégué syndical Aperam (Gueugnon) ;

– Fédération Force Ouvrière de la métallurgie (FO-Métaux) : M. Frédéric Souillot, secrétaire fédéral FO-Métaux, M. François Zarbo, représentant national ArcelorMittal, M. Walter Broccoli, secrétaire FO Florange, M. Norbert Cima, CCE ArcelorMittal Atlantique et Lorraine, et M. Frédéric Weber, élu FO (Florange) ;

– Fédération nationale CFTC des syndicats de la métallurgie et parties similaires (FM-CFTC) : M. Éric Cruchet, secrétaire général, et Mme Véronique Laffon-Rémond.

Ÿ Experts :

– MM. Christophe Journet, rédacteur en chef de MPE-MEDIA, Marcel Genet, président de Laplace Conseil et Alfred Rosales, ancien cadre supérieur d’Eramet

Ÿ Mme Dominique Caboret et M. Philippe Morvannou (cabinet Syndex) ; MM. Gwenaël Le Dily et Philippe Gervais (cabinet Secafi Alfa)

Ÿ M. Antonio Tajani, vice-président de la Commission européenne, commissaire européen à l’industrie et à l’entreprenariat

Ÿ M. Patrick de Schrynmakers, consultant, ancien directeur général de l’Association européenne de l’Aluminium (AEA)

Ÿ M. Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif

Ÿ M. Jean-Paul Aussel, partner « Initiatives et projets industriels » (IPI)

Déplacement en Savoie (18 avril 2013)

Ÿ Au centre départemental de gestion à Francin :

– M. Serge Risser CFE/ CGC centre de recherche de Voreppe Rio Tinto Alcan (RTA) ;

– M. Didier Maurin, délégué CFDT, recherche de Voreppe Constellium ;

– M. Jean-Michel Boqueret, CGT, recherche de Voreppe Constelium.

Ÿ À la mairie de Saint-Jean-de-Maurienne (Entreprise Rio Tinto Alcan) :

– M. Olivier Colse, délégué du personnel CFE-CGC ;

– M. Nicolas Perrin, membre élu CHSCT pour la CFE-CGC ;

– M Claude Billet, secrétaire de l’Union locale FO ;

– M. Gilles Bois, représentant du personnel CGT ;

– M. Dominique Héron, délégué du personnel CGT ;

– M. Yves Largeron, délégué syndical CFDT.

Ÿ À la mairie d’Ugine (Bassin d’Ugine-Albertville-Moûtiers) :

– Mme Christine Cornic, déléguée syndicale CGT Métaux Spéciaux

– M. Franck Joly, délégué syndical CFDT, (MSSA) ;

– M. Gilles Matheret, délégué syndical CFE-CGC, Carbone Savoie ; 

– M. Jérôme Ract, élu CFDT (Carbone Savoie) ;

– M. Jean-Luc Pozzalo, délégué syndical CFDT (Carbone Savoie) ;

– M. Abdel Bouaffou, délégué syndical central CGT (Carbone Savoie).

Ÿ Autres personnalités rencontrées :

– M. Jean-Pierre Vial, sénateur ; premier vice-président du conseil général ;

– Mme Béatrice Santais, députée, maire de Montmélian ;

– M. Eric Jalon, préfet ;

_ M. Vincent Rolland, vice-président du conseil général ;

– M. Franck Lombard, vice-président du conseil général, maire d’Ugine ;

– M. Pierre-Marie Charvoz, vice-président du conseil général, maire de Saint-Jean-de Maurienne ;

– M. Jean-Pierre Mirande, maire de Saint-Marcel ;

– M. Denis Muraz, maire de La Bâthie ;

– M. André Pointet, maire d’Aigueblanche, président de la communauté de communes des Vallées d’Aigueblanche ;

– M. Jean-François Rochaix, maire de La Léchère ;

– M. François Cantamessa, maire de Venthon ;

– M. Olivier Baud, président d’Energy Pool ;

– M. Loïc Maenner, directeur de l’usine Rio Tinto Alcan de Saint-Jean-de Maurienne ;

– M. Claude Vanvoren, vice-président « Recherche monde » de Rio Tinto Alcan ;

– M. Philippe Garzon, directeur de l’Agence économique de la Savoie ;

– M. Fabrice Pannekoucke, responsable du cabinet du président du conseil général ;

– M. Bruno Gastinne, président de Métaux Spéciaux SA ;

– M. Jean-François Faure, président directeur général de Carbone Savoie ;

– M. Patrick Lamarque d’Arrouzat, directeur général d’Ugitech ;

– M. Olivier Bletton, directeur industriel d’Ugitech.

Déplacement à Dunkerque (22 avril 2013)

Ÿ CGT : M. Philippe Collet, M. Philippe Verbeke, M. Dany Wallyn, Mme Christelle Veignie

Ÿ CFDT : M. Laurent Hayez, M. Jean-Claude Huygebaert, M. Patrick Auzanau, M. Fernand Donnet

Ÿ FO : M. Jean-Marie Calleboudt, M. Christian Ducoudu, M. Francis Przybyla, M. Patrick Carton

Ÿ CFTC : M. Philippe Hibon, M. Philippe Malahieude

Ÿ CFE/CGC : M. Jean Caillau

Ÿ Autres personnalités rencontrées :

– M. Michel Delebarre, ministre d’Etat, sénateur, président de la communauté urbaine de Dunkerque, maire de Dunkerque ;

– M. Pierre de Saintignon, premier vice-président du conseil régional Nord-Pas de-Calais ;

– M. Alain Vanwaefelghem, premier vice-président de la communauté urbaine de Dunkerque ;

– M. Romé Ragazzo, maire de Fort-Mardyck, conseiller général du Nord ;

– M. Dominique Naels, vice-président de la chambre de commerce et d’industrie (CCI) Côte d’Opale Dunkerque;

– M. Francis Leroux, président de la commission « industrie » de la CCI Côte d’Opale Dunkerque et directeur d’Europipe ;

– M. Antoine Assice, directeur du CNPE (centrale nucléaire) de Gravelines ;

– Mme Béatrice Prud’homme, directrice-adjointe du CNPE ;

– M. Didier Cheval, directeur du site ArcelorMittal de Dunkerque ;

– M. Colin Mac Gibbon, directeur du site Rio Tinto Dunkerque ;

– M. Christian Minet, directeur de l’exploitation du Grand port maritime ;

– M. Franck Gonsse, secrétaire général de la CSOPMI (syndicat des métiers portuaires) ;

– Mme Joëlle Burgraeve, déléguée générale de l’UIMM Flandre Maritime ;

– M. Philippe Nawracala, directeur général délégué de GTS Industries.

Déplacement à Fos-sur-Mer (23 mai 2013)

Ÿ ArcelorMittal :

– CFDT : M. Didier Musato, secrétaires des CHSCT ; M. Bernard Debieure, délégué syndical central ; M. Richard Gasquez, secrétaire du Comité d’entreprise, secrétaire du syndicat ; M. Joseph Adornato, secrétaire de section

– CFE / CGC : M. Marc Millo, délégué syndical ; M. Marcel Palma, délégué syndical ; M. Patrice Invernon, délégué syndical.

– CGT : M. Alain Audier, secrétaire général du syndicat ; M. Olivier Dolot, secrétaire à l’organisation ; M. Jean-Luc Caillé, secrétaire de la section CGT (entreprises sous-traitantes).

Ÿ Ascométal :

– CGT : M. Christian Pantoustier, délégué syndical central ; M. Guy Coste, secrétaire du CHSCT

– CFE /CGC : M. Alain Aimar, délégué syndical ; M. Ugur Yagiz, élu syndical

– CFDT : M. Philippe Finck, élu syndical

Ÿ Autres personnalités rencontrées :

– M. Bernard Morel, vice-président du conseil régional de Provence Alpes Côte-d’Azur, en charge de l’emploi, du développement économique, de la recherche, de l’enseignement supérieur et de l’innovation ;

– M. Jean-Marc Charrier, maire de Port Saint Louis du Rhône ;

– Mme Patricia Fernandez-Pedinielli, maire de Port-de-Bouc ;

– Mme Béatrice Aliphat, maire de Sainte Mitre les Remparts ;

– Mme Georgette Taffignon, première adjointe au maire de Port Saint Louis, présidente du SAN Ouest Provence ;

– M. Jean-Luc Maurange, président d’ArcelorMittal Méditerranée ;

– M. Joao Félix Da Siva, directeur d’ArcelorMittal Méditerranée ;

– M. Arnaud Ranjard, directeur du développement du Grand port maritime de Marseille Fos ;

– M. Xavier Villetard, directeur opérationnel AirPACA (Ouest des Bouches-du-Rhône)

– M. Cédric Orban, directeur de la Business unit industry d’Ascométal ;

– M. Jean-Pierre Desaix, directeur du site de Fos-sur-Mer d’Ascométal.

Déplacement en Lorraine (6 juin 2013)

Ÿ Au Centre de recherche d’ArcelorMittal à Maizières-lès-Metz :

– M. Jean-Luc Curé, délégué syndical CFDT ;

– M. Lionel Chapuis, élu CFDT ;

– M. Fabien Ruby, secrétaire CFDT du CHSCT ;

– Mme Nathalie Labbe, déléguée du personnel CFE/CGC, élue au CE et au CEE ;

– M. Christophe Klam, CFE / CGC, élu au CE ;

– M. Philippe Piquemal, CFE / CGC, délégué du personnel, élu au CE ;

– M. Stéphane Rossi, CGT, délégué syndical ;

– M. Jean-Léon Paulin, CGT, secrétaire du CE ;

– M. Pascal Marlier, CGT, élu au CE.

Ÿ Site de Florange-Hayange :

– M. Lionel Buriello, secrétaire général, CGT ArcelorMittal

– M. Jean-Luc Graetz, secrétaire-adjoint, CGT, ArcelorMittal (Florange)

– M. Jacky Mascelli, délégué syndical, CGT ArcelorMittal (Gandrange)

– M. Christophe Jacquemin, délégué syndical, CGT ArcelorMittal (Gandrange)

– M. Daniel Trouillot, CFE / CGC ArcelorMittal (Florange)

– M. Robert Gorza, CFE / CGC ArcelorMittal (Florange)

– M. Pierre Claude Sutter, CFE / CGC, ArcelorMittal (Gandrange)

– M. François Pagano, CFE / CGC ArcelorMittal (Florange)

– M Gérald Guidi, CFE / CGC, Entreprise Tata Steel d’Hayange

– M. Jean Mangin, FO, délégué syndical ArcelorMittal (Florange)

– M. Frédéric Weber, FO, délégué syndical ArcelorMittal (Florange)

Ÿ Autres personnalités rencontrées :

– M. Jean-Pierre Masseret, président du conseil régional de Lorraine ;

– Mme Gisèle Printz, sénatrice ;

– M. Philippe Tarrillon, maire de Florange président de la communauté d’agglomération du Val de Fensch, conseiller général ;

– M. Lionel Fournier, maire de Rombas ; président de la communauté de communes du Pays Orne Moselle, conseiller général ;

– Mme Michèle Wax, maire de Serémange-Erzange,

– M. Philippe David, maire d’Hayange, conseiller général ;

– M. Denis Fund, premier-adjoint au maire d’Amnéville ;

– M. François Marzorati, chargé auprès du premier ministre de la présidence du comité de suivi de l’accord dit de Florange ;

– M. Etienne Stock, sous-préfet de Thionville ;

– M. Henri-Pierre Orsoni, président d’ArcelorMittal Atlantique et Lorraine ;

– Mme Danièle Quantin, DRH « recherche-monde » ArcelorMittal ;

– M. Frédéric Grein, CEO du Campus de recherche de Maizières-lès-Metz.

COMPTES RENDUS DES AUDITIONS

Audition, ouverte à la presse, de MM. Pascal Faure, ingénieur général
des mines, directeur général de la compétitivité, de l’industrie et des services (DGCIS), Pierre Angot, sous-directeur de l’industrie de la santé,
de la chimie et des nouveaux matériaux, et Marc Rohfritsch,
chef du bureau « matériaux du futur et nouveaux procédés »

(Séance du mercredi 20 février 2013)

M. le président Jean Grellier. Chers collègues, je vous souhaite la bienvenue pour cette première réunion de la Commission d’enquête sur la situation de la sidérurgie et de la métallurgie. Nos réunions auront lieu de préférence le mercredi matin ; nous avons fixé pour terme de nos travaux la première semaine de juillet, avec un point d’étape courant mai. Outre les auditions, nous avons prévu des déplacements sur le terrain.

Pour débuter le cycle des auditions, nous recevons ce matin M. Pascal Faure, ingénieur général des mines et, depuis décembre 2012, directeur général de la compétitivité, de l’industrie et des services.

Quelques mois avant cette nomination, M. Pascal Faure avait été chargé par le ministre du redressement productif d’une mission sur la filière de l’acier en France et sur l’avenir du site de Florange. Son rapport, rendu public à la fin du mois de juillet 2012, vous a été distribué ; il constituera une base de réflexion très utile pour nos travaux.

Ce rapport, qui a été écrit en moins de deux mois, dresse un état du marché de l’acier en Europe. Il montre en particulier le poids du groupe ArcelorMittal, premier producteur mondial, dont il décrit avec précision les stratégies industrielle et minière. Je vous signale à ce sujet que nous avons convoqué officiellement M. Mittal pour une audition à la fin du mois de mars.

Le champ d’investigation de notre commission est vaste. Il porte non seulement sur la stratégie du groupe ArcelorMittal en France et ses conséquences, mais aussi sur la situation et les perspectives de développement des activités sidérurgiques et métallurgiques en Europe, notamment dans les secteurs de l’aluminium et du cuivre. Les nouveaux procédés industriels et l’évolution des produits de ces filières, qui se trouvent actuellement confrontées à la concurrence de la Chine et d’autres grands pays, sont au cœur de notre réflexion. C’est pourquoi nous avons tenu à rencontrer M. Pascal Faure dès le début de nos travaux.

Monsieur le directeur général, vous êtes accompagné de MM. Pierre Angot et Marc Rohfritsch, qui sont des spécialistes de ces questions ; ils ne manqueront pas d’aiguiller notre réflexion sur les pistes de la modernisation d’activités qui ne sont pas seulement, comme on le croit trop souvent, de « vieilles industries » héritières des deux premières révolutions industrielles.

Je vais vous donner la parole pour un bref exposé liminaire, puis notre rapporteur, M. Alain Bocquet, et les autres membres de la Commission d’enquête vous poseront des questions. Mais au préalable, puisque vous êtes auditionné par une commission d’enquête parlementaire, je vous demande, conformément à l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, de prêter le serment de dire la vérité, rien que la vérité et toute la vérité.

MM. Faure, Angot et Rohfritsch prêtent successivement serment.

M. Pascal Faure, directeur général de la compétitivité, de l’industrie et des services (DGCIS). Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je suis honoré d’être la première personne auditionnée sur ce sujet important. Je vais essayer de synthétiser ce que j’ai appris en préparant mon rapport et, avec l’aide de mes collaborateurs, de répondre à vos questions.

En conduisant ces travaux, j’ai réalisé à quel point la sidérurgie était ancrée dans l’histoire industrielle de notre pays. Il s’agit non seulement d’une question économique, industrielle et technique d’importance, mais aussi d’une tradition très vivace en Moselle. À Florange se trouvent les deux derniers hauts fourneaux (sans compter ceux de Saint-Gobain à Pont-à-Mousson) d’une région dont l’histoire a été marquée, pendant plus d’un siècle, par la mine et la sidérurgie. Il convient d’avoir cette dimension à l’esprit quand on traite de ce sujet.

La demande d’acier au plan mondial est en croissance continue, de 6 % par an en moyenne – mais cela recouvre deux phénomènes très différents.

D’abord, la demande provient essentiellement d’Asie, surtout de Chine, tandis que le marché européen est en stagnation, voire en érosion. Or, comme l’acier circule peu sous forme de brames, le marché mondial des demi-produits se structure essentiellement suivant les plaques continentales, avec un marché européen, un marché asiatique et un marché américain. La croissance du marché asiatique ne profite donc pas directement à l’industrie européenne.

Ensuite, la crise économique de 2008 a touché de plein fouet le secteur de l’acier, qui alimente de nombreuses industries de transformation, dont la construction, l’industrie automobile et l’emballage. La crise de ces industries a entraîné, suivant les zones, une chute de 30 à 50 % de la consommation d’acier. Aujourd’hui, celle-ci n’est pas revenue à son niveau antérieur : on n’a récupéré que la moitié de la baisse – il faut dire qu’on n’avait jamais produit autant d’acier dans le monde qu’en 2008. Reste que l’Europe se trouve aujourd’hui en surcapacité de production.

Après la crise, on est passé par une période d’attentisme, les opérateurs industriels voulant voir comment les choses allaient évoluer avant de décider s’ils allaient ou non faire redémarrer les installations. En 2011, un certain nombre d’entre eux ont pris conscience que le marché ne reviendrait pas à son niveau antérieur à horizon visible – c’est-à-dire d’ici à cinq ans ; ils ont donc renoncé à maintenir leurs capacités de production en l’état et ont privilégié une logique de restructuration. C’est à ce moment-là que les problèmes ont commencé.

La Chine a joué, indirectement, un rôle majeur dans l’accélération de la crise. Non parce qu’elle aurait alimenté l’Europe en acier, car elle produit essentiellement pour son marché intérieur – en moins de dix ans, elle a accru ses capacités de production d’un volume équivalent à la production sidérurgique européenne ! –, mais parce que l’accroissement de la demande asiatique a eu des répercussions spectaculaires sur les prix des matières premières : celui du charbon à coke a quadruplé, celui du minerai de fer a été multiplié par huit. Les coûts de production s’en sont trouvés considérablement accrus, alors que, dans le même temps, le prix de l’acier ne variait que dans une fourchette de 10 %. D’où une situation de très forte tension.

L’explosion des prix des matières premières a eu pour conséquence de faire basculer la marge des sidérurgistes vers les opérateurs miniers : en 2000, 10 % de la marge générée allait à l’opérateur minier, 90 % au sidérurgiste ; dix ans plus tard, 80 % de la marge va à l’opérateur minier, 20 % au sidérurgiste. Cela contribue à expliquer la stratégie de certains acteurs, comme ArcelorMittal, qui privilégient une logique d’intégration verticale en amont, vers la mine.

Si l’industrie sidérurgique européenne doit aujourd’hui faire face à une situation de surcapacité, elle conserve néanmoins de nombreux d’atouts.

En premier lieu, si, à l’exception de sa frange orientale, elle produit peu de minerai de fer, elle a la chance d’avoir de grandes façades maritimes ; les usines situées près des ports – ce qui est le cas des deux plus grands sites sidérurgiques français que sont Dunkerque et Fos – sont bien placées pour transformer le minerai et produire de la fonte.

Elle dispose ensuite d’un personnel qualifié et d’un fort potentiel de recherche. La sidérurgie ne s’improvise pas. La France non seulement sait faire de la fonte, mais possède des centres de recherche lui permettant de se positionner sur le marché des aciers à haute valeur ajoutée. La chance de la sidérurgie européenne, c’est, d’une part, de disposer en aval d’une industrie consommatrice d’acier, d’autre part, de savoir fabriquer des aciers spéciaux qui se vendent à un prix permettant de rentabiliser les unités de production – alors que sur les marchés de commodités, on vend de l’acier à bas prix.

Plusieurs opérateurs européens sont actuellement en cours de restructuration : ArcelorMittal à Florange et à Liège, ThyssenKrupp en Allemagne. Dans ce contexte, le commissaire européen chargé de l’industrie et de l’entreprenariat, Antonio Tajani, a convoqué une table ronde réunissant les principaux acteurs de la filière et les représentants des États membres afin de dégager des pistes de travail en vue de défendre et de renforcer l’industrie sidérurgique européenne. L’Union européenne s’est emparée du sujet, ce qui est une très bonne chose : dans le cadre d’un marché de plaque continentale, il était important qu’elle se mobilise pour donner le maximum d’atouts à son industrie et pour la protéger contre les aciers produits dans des systèmes économiques inéquitables.

En France, à la suite d’intenses discussions avec l’État, ArcelorMittal s’est engagé à investir dans la sidérurgie française, à conserver sur le long terme les capacités de production des sites de Dunkerque et de Fos et à mettre en œuvre un plan d’investissement visant à préserver l’outil sidérurgique de Florange. L’État se mobilise pour s’occuper de cette filière, qui se trouve dans une situation complexe.

M. Alain Bocquet, rapporteur. A-t-on une première idée des orientations du futur plan européen pour l’acier, dont l’annonce vient d’être faite par le commissaire européen Tajani ? S’apparenteront-elles aux mesures prises par la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA) à l’époque où l’on considérait que la sidérurgie était en situation de crise manifeste ? Quelles sont les priorités de la France en la matière ? Doit-on s’inquiéter de ce que le groupe ArcelorMittal joue la politique de la « chaise vide » dans les travaux préparatoires au plan ? Cela ne révèle-t-il pas le peu de cas que ce groupe fait d’éventuelles perspectives de développement en Europe ?

Les deux groupes ayant une vocation mondiale et s’impliquant fortement dans le secteur minier, pour des raisons qui semblent plus spéculatives qu’industrielles, peut-on établir un parallèle entre les stratégies européennes d’ArcelorMittal pour la sidérurgie et de Rio Tinto Alcan pour l’aluminium ?

A l’échelle européenne, des restructurations sont-elles envisageables dans le cadre du futur plan acier européen entre sidérurgistes de grande et de moyenne taille ? La santé financière du groupe allemand ThyssenKrupp pose-t-elle au gouvernement allemand un problème aussi grave que la situation d’ArcelorMittal à son homologue français ? Les gouvernements allemand et français évoquent-ils ces questions entre eux ?

M. Pascal Faure. Le groupe de haut niveau sur l’acier réuni à l’initiative de M. Antonio Tajani a démarré d’abord avec les industriels et les partenaires sociaux, puis les États membres ont été invités ; il s’agit d’une dynamique en cours, dont l’objectif est d’aboutir à un plan d’action d’ici au mois de juin. Une réunion du groupe a eu lieu le 12 février, à laquelle le ministre du redressement productif a personnellement participé, de même, notamment, que ses homologues luxembourgeois et belge et que le secrétaire d’État allemand. Le sujet, très politique, intéresse au plus haut point les États européens qui possèdent encore une industrie sidérurgique, comme la France, l’Allemagne, la Belgique, le Luxembourg, l’Italie et l’Angleterre, car la sidérurgie constitue l’amont de toute une chaîne industrielle et représente de nombreux emplois : 54 000 en France, dont la moitié chez ArcelorMittal. Les discussions portent sur plusieurs axes – Marc Rohfritsch vous en parlera plus en détail. Toutefois, au stade où nous en sommes, il n’existe pas encore de plan, mais plutôt des pistes de travail, des recommandations.

ArcelorMittal joue-t-il vraiment, comme vous le dites, la politique de la « chaise vide » ? L’industriel est représenté dans le groupe par M. Robrecht Himpe, responsable Europe des aciers plats au carbone : il s’agit d’un des principaux responsables opérationnels d’ArcelorMittal en Europe et du mandataire de M. Mittal. Cependant, il est vrai que, dans le groupe ArcelorMittal, les décisions sont prises au plus haut niveau et que si l’on veut connaître la position du groupe, il vaut mieux rencontrer MM. Mittal père et fils !

M. Marc Rohfritsch, chef du bureau des matériaux du futur et des nouveaux procédés. Un document contenant l’ensemble des recommandations du groupe de haut niveau a été remis à l’issue de la table ronde du 12 février ; il balaye la palette des outils dont dispose la Commission européenne afin de répondre aux problèmes de l’industrie sidérurgique en matière de défense commerciale, de coût de l’énergie, de contraintes législatives et réglementaires, etc. Ce document brosse également un état du secteur : on y voit clairement qu’il existe un énorme différentiel de compétitivité entre les industriels européens et les autres ; pour le réduire, il faudrait jouer sur une série de politiques : politique du climat, avec la contrainte carbone ; politique de la recherche et développement – notamment pour élaborer les nouveaux procédés d’élaboration des aciers à faible teneur en carbone ; politique de l’emploi, avec le fonds européen d’ajustement à la mondialisation et les fonds d’aide aux sites en reconversion. Dans ce document, on examine point par point ce qui pourrait être proposé afin d’améliorer la situation des industriels européens.

M. Pascal Faure. Les enjeux ne sont pas exactement les mêmes pour Rio Tinto Alcan et pour ArcelorMittal ; cependant, il est certain que les marges proviennent aujourd’hui davantage de l’exploitation des mines que de la production d’acier. Les marchés européens sont saturés – et ils le resteront durablement, car la croissance démographique est faible, les perspectives de croissance économique sont réduites, le marché est déjà équipé en biens consommant de l’acier ou de l’aluminium, ces matériaux se trouvant en compétition l’un avec l’autre sur certaines applications, ou avec d’autres matériaux comme les matériaux composites ou le plastique. Aujourd’hui, les constructeurs automobiles achètent de l’acier en faible quantité, mais ils exigent qu’il soit plus résistant et plus léger.

Pour améliorer leurs marges, les sidérurgistes doivent donc soit investir en amont, dans la mine – et l’on peut se demander à bon droit si cela procède d’une logique d’intégration industrielle ou d’une logique purement spéculative –, soit se positionner, à l’aval, sur des produits à haute valeur ajoutée.

ArcelorMittal a-t-il privilégié la logique spéculative ? Nous nous sommes posé la question. En toute honnêteté, je ne pense pas qu’on puisse l’en accuser, dans la mesure où les marges dégagées grâce à la mine ont permis de soutenir les investissements dans la sidérurgie ; dans une certaine mesure, la mine a servi la sidérurgie. La question est maintenant de savoir si M. Mittal va continuer à investir dans son outil sidérurgique ou s’il va le laisser en déshérence, jusqu’au jour où il sera forcé de constater qu’il n’a pas d’autre choix que de l’arrêter. Les cycles d’investissement étant particulièrement longs dans la sidérurgie – ils durent environ vingt ans –, on peut s’abstenir d’investir durant quelques années en faisant croire que tout va bien, et se retrouver ensuite avec un outil vieillissant. C’est pourquoi l’État a insisté auprès de M. Mittal pour qu’il prenne des engagements en matière d’investissements sur les sites sidérurgiques. Il était logique qu’il décide de maintenir Dunkerque et Fos, car il s’agit de sites stratégiquement importants : Dunkerque est probablement le meilleur site européen ; quant à Fos, il fournit tous les marchés du sud de l’Europe – aujourd’hui sinistrés, mais cela ne durera pas. En revanche, il fallait impérativement obtenir des assurances concernant les sites secondaires, comme Florange, où M. Mittal s’est engagé à investir 180 millions d’euros. Il ne faut pas faire de procès d’intention à l’entreprise – même si la vigilance s’impose.

L’aluminium a connu une évolution à peu près comparable. L’Asie, notamment la Chine et le Moyen-Orient, a fortement augmenté ses capacités de production ; la France ne produit plus que 1 % de l’aluminium mondial. Le facteur structurant, c’est le coût de l’énergie : c’est en grande partie en fonction de lui que l’on pourra ou non préserver les capacités de production en Europe.

« Restructuration industrielle » est un pléonasme ! Une industrie qui n’évolue pas se condamne elle-même. L’histoire de la sidérurgie européenne est d’ailleurs faite de restructurations : Arcelor, puis ArcelorMittal résultent d’une série d’agrégations et de consolidations. En revanche, il convient de procéder aux restructurations à bon escient, en respectant les cycles d’investissement et en intervenant sur des marchés en croissance ; le jour où l’on n’est plus en phase avec les marchés, les outils industriels sont condamnés.

Je pense pour ma part qu’il y a de la place pour deux types d’opérateurs sidérurgiques en Europe.

D’abord, ceux qui, comme Voestalpine, Salzgitter ou Dillinger, ne produisent en Europe que 3 à 5 millions de tonnes d’acier par an – contre 15 millions pour ArcelorMittal et 16 millions pour ThyssenKrupp –, mais qui sont positionnés sur des marchés très spécialisés. Par exemple, Dillinger a fabriqué les tôles fortes épaisses utilisées pour le viaduc de Millau – il n’a que deux ou trois concurrents en Europe – et Voestalpine produit toujours localement une partie de son minerai et s’intéresse essentiellement à des marchés à haute valeur ajoutée.

Ensuite, les gros opérateurs intégrés. On peut comparer de ce point de vue la façon dont ArcelorMittal et ThyssenKrupp se sont structurés. ArcelorMittal s’est construit par agrégations successives, le groupe s’efforçant de réunir sous la même bannière des sites très dispersés – il est aujourd’hui le plus éclaté à travers l’Europe ; ThyssenKrupp, en revanche, produit toute sa fonte à Duisbourg, en Allemagne, et l’acier pour emballage à Rasselstein, ce qui lui permet de réaliser d’importantes économies d’échelle. Toutes choses égales par ailleurs, un dispositif industriel intégré est en général plus rentable économiquement – même s’il faut tenir compte de la proximité du client. Cependant, ArcelorMittal n’a peut-être pas mené sa logique de rationalisation à son terme.

Pour remédier à la surcapacité de production actuelle, il faudra probablement que ces grands groupes abandonnent les sites européens les plus anciens et les moins rentables – notamment en Europe de l’est –, qu’ils définissent un certain nombre de sites stratégiques et qu’ils investissent massivement dans ceux-ci.

M. le rapporteur. Le coût de l’électricité représente 40 % du prix de l’aluminium. Alors que Tinto Rio Alcan peut se faire payer un barrage au Canada, les règles européennes en vigueur interdisent aux États membres d’aider directement leur industrie ! La réglementation européenne est-elle vraiment adaptée ? Le consortium Exeltium, mis en place et financé par de grands groupes industriels « électro-intensifs », n’est-il pas dans l’impasse ?

Pourriez-vous nous donner des précisions sur l’application de l’accord entre l’État et ArcelorMittal relatif au site de Florange ? De quels moyens les pouvoirs publics disposent-ils pour en contrôler la mise en œuvre ? L’action du comité de suivi est-elle efficace ?

Que pensez-vous des transferts de charges entre sites, notamment entre Liège et Dunkerque et entre Basse-Indre et Florange ?

Pourriez-vous approfondir la question de la spécialisation dans des « niches » de produits à haute valeur ajoutée ? L’ancien bassin de Sheffield, au Royaume Uni, serait un bon exemple de cette démarche.

Est-il exact, comme nous l’ont dit des syndicalistes, que des brames ont été pour la première fois importées de Chine ?

M. Marc Rohfritsch. L’Europe a décidé de libéraliser le marché de l’énergie. La conséquence, dans la plupart des pays, a été une augmentation du prix de l’électricité pour le consommateur. L’explication de la Commission européenne est que, comme le marché n’est pas totalement libéralisé, il existe des freins à l’établissement d’un prix de marché uniforme qui expliqueraient les distorsions actuelles ; il faut donc attendre encore quelques années pour voir les effets de la libéralisation.

Exeltium comprend deux étapes. Le premier consortium, mis en place en 2008, a permis à un groupe d’industriels « électro-intensifs » de souscrire à des tranches d’énergie à un prix qui, certes, n’a cessé d’augmenter – de 35 à plus de 40 euros le mégawattheure –, mais qui a l’avantage de la prévisibilité, ce qui est un atout important sur un marché fluctuant. Exeltium 2 semble effectivement être dans l’impasse. Toutefois, mon équipe n’étant pas chargée de suivre ces sujets – du ressort de la direction générale de l’énergie et du climat –, je ne peux pas vous en dire beaucoup plus.

Ce ne sont pas seulement les règles européennes qui sont en cause, mais aussi l’arbitrage réalisé entre le prix de vente au consommateur individuel (vous et moi) et le prix de vente au consommateur professionnel (par exemple l’industriel). En France, on a plutôt fait le choix d’un prix de l’électricité assez bon marché pour les particuliers. D’autres pays ont fait différemment : le Canada, par exemple, a mis en place un tarif spécifique pour les « électro-intensifs », lié à la production hydroélectrique. On peut effectivement se demander si la « rente » de l’hydroélectricité française doit profiter à l’ensemble des consommateurs ou s’il ne serait pas préférable de la concentrer sur quelques cibles stratégiques.

M. Pascal Faure. Une chose est sûre : il ne reste plus que deux sites producteurs d’aluminium en France. Leurs contrats de fourniture d’énergie arrivent prochainement à expiration et les conditions de leur renouvellement sont un enjeu majeur pour la survie des sites. Sur la trentaine de sites producteurs d’aluminium que comptait il n’y a pas si longtemps l’Europe, dix ont disparu, dix sont menacés et ceux qui restent risquent de se trouver concentrés dans un très petit nombre de pays, comme l’Islande.

L’application de l’accord entre l’État et ArcelorMittal fait actuellement l’objet de discussions entre la direction et les salariés au sein du comité central d’entreprise – qui est l’instance légitime pour prendre certaines décisions. Il reste que l’État a obtenu de M. Mittal un certain nombre d’engagements écrits et qu’il convient de veiller à ce qu’ils soient respectés à travers le dialogue social ; certains ont trait aux investissements, d’autres à la gestion des salariés – sachant qu’à Florange, la pyramide des âges est plutôt favorable, dans la mesure où 20 % des employés doivent partir à la retraite dans les deux ou trois prochaines années. Il a donc été mis en place un comité de suivi local, sous l’égide de l’ancien sous-préfet de Thionville, M. François Marzorati, qui suit le dossier depuis plusieurs années.

Il est de l’intérêt de tous que le comité de suivi joue correctement son rôle ; si l’on décèle des divergences entre ce qui était prévu et ce qui est fait, il faudra l’évoquer au plus haut niveau. J’ai longuement discuté avec les cadres d’ArcelorMittal chargés du dossier et je pense que l’on a la chance d’avoir au sein de la division ArcelorMittal Atlantique et Lorraine (qui comprend notamment les sites de Dunkerque et de Florange) des responsables compétents et fiables. Il devrait être possible d’établir un dialogue de qualité avec le management local de l’entreprise. Il faut rester vigilant, bien sûr, mais tous les éléments sont réunis pour que cela se passe bien. Il faut le dire aux 2 600 employés de Florange, qui sont très inquiets, non seulement en raison des menaces qui pèsent sur leurs emplois, mais aussi parce que cela fait des années qu’ils n’ont plus aucune visibilité sur l’avenir – et chacun sait à quel point cela peut être anxiogène.

Le problème pour ArcelorMittal, étant donné l’état du marché, est de répartir la charge de travail et de définir d’éventuelles spécialisations pour les sites. Si ceux-ci sont soumis aux mêmes enjeux, ne nions pas qu’il existe aussi une certaine concurrence entre eux : Liège et de Florange fabriquent en partie les mêmes produits. Sans jouer les uns contre les autres, il ne faut pas être naïf : tout le monde n’arrivera pas à sauver l’essentiel.

J’estime que Dunkerque est actuellement le meilleur site d’ArcelorMittal en Europe. Après l’avoir été pendant des années, Fos vit en ce moment une période de transition, avec un changement de génération et la perte des savoir-faire initiaux. Florange dispose d’atouts incontestables, les deux principaux étant la proximité des clients – l’industrie automobile, pour une grande part – et son savoir-faire en matière d’aciers de haute technicité. L’emballage pose plus de problèmes, car le marché est difficile, les marges sont très faibles, et l’acier est concurrencé par d’autres produits, comme l’aluminium. Si vous utilisez une canette ou une boîte de conserve, vérifiez avec un petit aimant : vous verrez qu’il y a moins d’acier qu’on ne le pense ! En France, les activités d’emballage sont implantées à Basse-Indre et à Florange. La décision de transférer l’amont de la chaîne de production de Basse-Indre à Florange pour la mutualiser ne remet pas en cause l’avenir du site, bien au contraire – quoiqu’il existe une incertitude concernant l’utilisation du chrome hexavalent, qui fait partie des substances dont le règlement REACH a prévu l’interdiction : un investissement sera donc nécessaire si l’on veut maintenir intacte la capacité de production de Basse-Indre. D’autre part, il m’a été dit que les emplois touchés par ce transfert seraient des emplois non permanents : cela ne nuira pas structurellement à l’entreprise. Le dispositif français ne semble pas menacé.

Ce qui permettra à l’Europe de s’en sortir, malgré l’absence de mines et avec des coûts de production qui ne seront jamais aussi compétitifs que ceux de l’Asie ou de l’Amérique du Sud, c’est la recherche et développement (R & D) et sa capacité d’innovation. Il serait illusoire de penser que, pour vendre de l’acier, il suffit de produire de la fonte : cet acier-là se vend au prix le plus bas du marché et, dans ce domaine, l’Europe sera toujours mal placée. Elle devrait plutôt se positionner sur les marchés de niche, comme ceux des tôles fortes, des câbles particuliers ou des aciers à haute technicité. L’évolution de la société fait que l’on aura de plus en plus besoin de tels produits. Or tout le monde ne sait pas les fabriquer ; la force de la France et de l’Europe est de disposer d’une longue tradition en la matière. Il importe de la conserver et d’investir dans ce secteur – donc de ne pas sacrifier la recherche. Il convient d’être vigilant, car tous les centres de recherche, du fait des agrégations successives, se trouvent aujourd’hui au sein d’ArcelorMittal.

S’agissant des brames, j’ignore s’il y a eu des importations en provenance de Chine.

M. Marc Rohfritsch. De Chine, nous d’avons pas d’informations en ce sens, mais en provenance de Russie, oui : Severstal en a fourni des quantités limitées, équivalant à peu près à une semaine de production de Florange, à des prix extrêmement bas, afin de faire face à une situation particulière.

M. Pascal Faure. Le marché est limité – 30 millions de tonnes dans le monde –, parce que la brame circule peu. En revanche, l’entrée de la Russie dans l’OMC va amener ce pays, qui a des coûts de production relativement faibles, à alimenter l’Europe en produits en aluminium et en acier à bas prix. Le coût du transport n’étant pas très élevé, il s’agit d’une réelle menace sur le marché des commodités.

Quant à la Chine, c’est à plus long terme qu’il faudra être vigilant, car quand le marché intérieur aura atteint son seuil d’équipement, elle deviendra surcapacitaire et cherchera à écouler son acier, sous la forme non de brames, mais de bobines ou d’aciers transformés à plus forte valeur ajouté.

M. Michel Liebgott. Monsieur Faure, je souhaite vous remercier pour votre contribution dans l’affaire Florange.

J’abonderai dans votre sens : on produit à Florange, à Hayange et dans toute la vallée de la Fensch de l’acier de très haute qualité. Ce n’est pas un désert industriel ! L’acier Usibor a été imaginé pour toutes les voitures actuellement en phase de conception ; si l’investissement est fait à Florange, on peut penser que les débouchés seront assurés, en raison de la proximité des constructeurs automobiles. De même, à Gandrange, il existe encore un laminoir à couronnes et barres (LCB) – certes approvisionné par les fourneaux de Duisbourg. Dans cette vallée, on produit également des rails pour les lignes à grande vitesse (LGV), que l’on exporte jusqu’en Inde et qui sont parmi les plus performants au monde.

J’ignore si l’accord passé avec M. Mittal garantit la pérennité de tous ces outils. ArcelorMittal dispose en France d’un tel monopole qu’il peut faire pratiquement ce qu’il veut. Cela étant, ce qui se passe en Belgique montre qu’il faut faire des choix et, de ce point de vue, l’accord est plutôt positif pour la filière à froid lorraine. Il reste maintenant à le faire respecter.

Ce sont les derniers hauts fourneaux de Lorraine qui vont fermer. Cela entraînera, directement ou indirectement, la suppression de 1 500 emplois ; ces personnes ne se retrouveront pas toutes au chômage, mais les emplois ne seront pas remplacés du jour au lendemain. ArcelorMittal fait l’économie d’un plan social, mais aussi de l’obligation de remplacer les emplois supprimés, comme l’impose la loi de modernisation sociale. Quant aux intérimaires et aux sous-traitants, ils ont disparu depuis longtemps…

La production européenne d’acier est passée en quelques années de 180 millions à 145 millions de tonnes. Si elle revenait au niveau antérieur, ces hauts fourneaux ne manqueraient-ils pas ? Dans la vallée de la Fensch, la fonte vient de Duisbourg pour le LCB, de Dunkerque pour Usibor et d’Angleterre pour Tata Steel. Ne risque-t-on pas d’hypothéquer l’avenir en cas de reprise ?

L’accord prévoit la mise sous cocon des hauts fourneaux dans l’attente d’une éventuelle mise en œuvre d’Ulcos, ce projet innovant qui permettra de réduire de moitié les émissions de CO2 et d’améliorer la productivité énergétique. Comment va-t-on procéder ? Doit-on conserver les cowpers en chauffe ou faudra-t-il de toute façon les remplacer ? Les avis sur la question divergent.

Aujourd’hui, le prix de la tonne de CO2 est tellement bas qu’Ulcos ne semble plus intéresser grand monde. Qu’en est-il ? Est-il réaliste de laisser les hauts fourneaux en friche pendant des années dans l’attente d’une hypothétique réutilisation dans le cadre d’Ulcos – qui prévoit de toute façon la reconstruction de l’un d’eux ?

L’hypothèse d’une éventuelle reprise du site a fait l’objet d’un intense débat, tant politique que technique. Le repreneur potentiel, Duferco, était un opérateur industriel, et non un financier. Si ce scénario avait été retenu, on peut se demander si cela aurait permis de préserver ArcelorMittal Research et de récupérer les brevets, et si d’autres emplois en Lorraine et en France n’auraient pas été menacés – ce sur quoi ArcelorMittal a probablement joué.

D’autre part, le repreneur potentiel m’a confirmé qu’il pensait pouvoir produire de l’acier à des prix inférieurs à ceux du marché – qui sont fixés par ArcelorMittal, grâce à sa situation de quasi-monopole. Cela ne gênait-il pas tout le monde, y compris les petits producteurs qui tirent avantage de la situation actuelle ?

Rappelons enfin que le siège d’ArcelorMittal se trouve au Luxembourg. L’intérêt de ce dernier est qu’ArcelorMittal reste puissant ; c’est également celui de l’Allemagne, parce qu’ArcelorMittal n’y est pas en situation de monopole et que le système de la cogestion l’empêche de fermer des sites. La France ne se trouve pas dans la même situation : notre talon d’Achille, c’est qu’ArcelorMittal détient chez nous un monopole. Notre choix était donc restreint – mais il fallait tenter de sauver l’essentiel.

Mme Michèle Bonneton. La question de l’aluminium concerne directement ma circonscription. S’il ne reste plus que deux sites de production en France, les activités de recherche et développement y sont toujours très importantes, notamment en termes d’emploi et de dynamisme économique. A Voreppe, dans l’Isère, est implanté un centre de recherche et développement et le siège social de la branche aluminium de Rio Tinto Alcan, dont les fonctions support concernent aussi bien l’Europe que l’Afrique et qu’une partie du continent américain. Or il semble que Rio Tinto cherche à réduire ses activités de R & D, puisqu’il est question de licencier 30 % du personnel sur le site de Voreppe. D’après le cabinet Secafi, M. Mittal souhaite lui aussi réduire de 15 % ses activités de R & D en France. Voilà qui augure mal de l’avenir de la sidérurgie et de la filière aluminium en France ! Qu’en pensez-vous ?

D’autres similitudes apparaissent, qui concernent les méthodes de travail. Une table ronde sur l’avenir de la filière aluminium en France a été réunie la semaine dernière et des groupes de travail ont été créés ; ils doivent remettre leurs propositions pour juin. Ne sera-t-il pas trop tard ? Le groupe Rio Tinto Alcan a annoncé qu’il préciserait à l’automne le volume des licenciements concernant la R & D et les fonctions support. Quel sera le rôle des groupes de travail ? S’agit-il d’un simple écran de fumée ou auront-ils une réelle influence sur l’avenir de la filière ?

Peut-on compter sur les engagements d’ArcelorMittal, vu ce qui s’est passé avec le projet Ulcos ?

Pour la production d’aluminium, le coût de l’énergie est déterminant. Or, bien que l’aluminium se recycle sans problème, la filière du recyclage n’est pas très développée en France. Ne conviendrait-il pas de s’engager dans cette voie ?

M. Gaby Charroux. L’inconnue, c’est l’attitude de M. Mittal et sa capacité à respecter ses engagements. Le 31 juillet dernier, lors des questions au Gouvernement, j’avais interrogé M. Montebourg sur une éventuelle entrée de l’État au capital des sociétés sidérurgiques. Dans sa réponse, le ministre avait fait référence au rapport de M. Faure et annoncé qu’un dialogue serait engagé au plus haut niveau afin d’infléchir les décisions prises en défaveur de l’Europe. Il semblerait que la création du comité de suivi réponde à cette volonté ; mais a-t-on abandonné l’hypothèse d’un engagement fort de l’État et d’un contrôle financier sur les activités du groupe ?

M. Pascal Faure. Le plan d’investissement qui a été négocié à Florange et dont l’application est surveillée par le comité de suivi a des résultats concrets, dont la presse s’est faite l’écho. Le lancement il y a quelques jours d’Usibor « grande largeur », acier de haute qualité destiné à l’industrie automobile, est ainsi le résultat d’investissements récents ; d’autres seront réalisés par exemple pour remplacer les moteurs du train à chaud en vue de produire cet acier avec une meilleure productivité. C’est une bonne nouvelle, car il s’agissait d’un point délicat dans les négociations avec ArcelorMittal : comme cela concernait la partie amont du processus de fabrication, M. Mittal ne voulait pas se lier les mains.

Il convient toutefois de rester vigilant : le passé l’a montré, les promesses n’engagent pas tout le monde de la même manière. Cependant, il existe une feuille de route et tout doit être fait pour qu’elle soit mise en œuvre. Si cela ne marche pas, je pense que l’État prendra ses responsabilités.

ArcelorMittal détient presque la moitié des parts du marché de l’acier pour l’automobile : cela a des effets structurants ! La concentration étant appelée à se renforcer en Europe, il faudra veiller à ce qu’un acteur n’ait pas la capacité de privilégier une politique de prix élevés sur une politique de volume, c’est-à-dire de gérer la pénurie du marché pour maintenir des prix élevés. A moyen terme, c’est très risqué, car si un nouvel arrivant casse les prix, tout s’effondre !

Néanmoins, l’hypothèse que le marché de l’acier revienne à son niveau de 2008 ne paraît guère crédible. Le challenge, qui concerne l’aluminium comme l’acier, porte sur la filière de recyclage. La France exporte de la ferraille, notamment vers ses voisins européens, et ne recycle qu’un tiers de l’acier qu’elle produit, contre les deux tiers pour les États-Unis ! Il faudrait développer la filière du traitement des véhicules hors d’usage. Il y a là un gisement mal exploité ; idem pour l’aluminium, qui se recycle quasi-indéfiniment à qualité presque constante.

Il est vrai que si l’on refroidit les hauts fourneaux, on les fragilisera, mais la mise sous cocon est la moins mauvaise solution pour maintenir durablement à l’arrêt l’outil industriel et éviter qu’il ne soit détruit par le gel. De toute façon, les deux hauts fourneaux de Florange arrivaient en fin de cycle d’investissement et avaient besoin d’une rénovation lourde dans un horizon de trois ans.

L’effondrement du cours du CO2 a été dramatique pour Ulcos : alors que le projet avait été établi sur la base d’une tonne à 30 ou 40 euros, elle se négocie aujourd’hui à 3 ou 4 euros, soit dix fois moins ! Aucun modèle économique ne peut résister à cela. Il existe en outre des incertitudes techniques : avant de vouloir l’appliquer à Florange, le procédé devait être testé sur un haut fourneau de taille intermédiaire. On ne l’a expérimenté que sur un haut fourneau de laboratoire, il reste des obstacles à lever avant de passer à l’échelle industrielle. Un groupe de recherche travaille d’ailleurs sur le sujet. D’autres incertitudes portent sur le coût, sur le financement, ainsi que sur la capacité du système à stocker le CO2 – ce qui remettrait en cause le financement européen. Bref, il faut retravailler le projet, et se donner du temps ; dans cette perspective, la mise sous cocon semble une phase nécessaire.

Le ministre a ouvert la semaine dernière un chantier sur l’avenir de l’aluminium en France, qui réunit tous les acteurs de la filière : industriels, fédérations, représentants du personnel. L’objectif est de définir d’ici à juin un plan d’action de filière, établi à partir des travaux menés dans les cinq groupes de travail installés à l’issue de la table ronde ; ils portent respectivement sur la stratégie pour la filière – notamment à l’export –, les emplois et compétences, l’efficience énergétique, la recherche et l’innovation, le recyclage.

La R & D est stratégique. Si l’on constate une érosion des centres de recherche, il convient de réagir. Il peut se produire des regroupements et des évolutions, mais le potentiel de recherche ne doit pas être affaibli.

Quant à une éventuelle reprise du site de Florange, on verra si elle s’impose. Pour l’heure, commençons par mettre en œuvre la feuille de route !

Mme Jeanine Dubié. Vous estimez que le site de Florange dispose d’atouts importants en raison de la proximité des clients et de son savoir-faire. Dans votre rapport de juillet dernier, vous affirmiez que le site était rentable ; à la mi-décembre, une note interne signée par la direction du groupe et transmise par la CFDT jugeait qu’il était même l’un des plus rentables du groupe sidérurgique. Qu’en est-il aujourd’hui ? Avez-vous des éléments nouveaux à nous apporter ?

À la page 59 de votre rapport, vous indiquez que le centre de recherche ArcelorMittal de Maizières-lès-Metz est le plus important du groupe et qu’il était probablement l’une des principales raisons de l’intérêt de Mittal pour la reprise d’Arcelor. Lors d’une précédente audition, des représentants des syndicats ont évoqué un abandon du financement de la R & D chez ArcelorMittal. Comment l’expliquez-vous ?

M. Christian Hutin. Quelles relations entretiennent ArcelorMittal et ThyssenKrupp ?

Quels sont les échanges entre les pays européens ? Qui fournit l’industrie automobile allemande ? Est-ce ArcelorMittal ? Comment fonctionnent les autres pays européens ?

Existe-t-il encore des mines à exploiter en Europe ? Le fait que M. Mittal en ait acheté à prix fort en Russie n’obère-t-il pas ses finances ? Son mauvais bilan n’est-il pas dû à ses investissements dans les mines et à son endettement plutôt qu’à l’activité sidérurgique elle-même ?

Mme Anne Grommerch. Dans votre rapport, vous jugez que l’effort d’investissement d’ArcelorMittal à Florange était jusqu’ici insuffisant et qu’il serait nécessaire d’investir 80 millions d’euros par an. ArcelorMittal s’engage aujourd’hui à investir 180 millions d’euros sur cinq ans : on est loin du compte !

C’est à une fausse mise sous cocon que l’on procède ! Hier, plusieurs « cowpers » se sont éteints parce que, pour une question de coût, les hauts fourneaux sont alimentés par du gaz de cokerie et non par du gaz naturel. Le gaz de cokerie provoquant des détériorations, les cowpers vont s’éteindre petit à petit et la mise sous cocon devra être stoppée. Que peut-on faire ? La déception a déjà été très grande quand ArcelorMittal a annoncé l’abandon du projet Ulcos ; il faut impérativement que les hauts fourneaux soient maintenus sous cocon le temps de travailler sur un nouveau projet. N’y a-t-il pas décalage entre le discours et la réalité ?

M. Pascal Faure. La réalisation d’Ulcos implique de toute façon la réfection complète d’un haut fourneau ; qu’il soit sous cocon, arrêté ou dégradé ne changera techniquement pas grand-chose. L’avantage du projet, dans sa phase précédente, était que l’on procédait immédiatement et simultanément à la rénovation du haut fourneau, à la mise en place du nouveau procédé et à l’exploitation.

Vous avez raison, Madame Grommerch : il existe un très fort écart entre les 180 millions d’euros d’investissements annoncés et ce qui était indiqué dans mon rapport. Toutefois, l’assiette n’est pas la même : le rapport évoquait les investissements globaux nécessaires, alors que les 180 millions portent uniquement sur le train à chaud et sur la filière froide, et non sur ce qu’on appelle la phase liquide, qui est également très onéreuse. Je considère donc que cette somme est raisonnable.

Je n’ai pas donné de chiffres précis sur la rentabilité du site, car ils auraient été une source de polémique, qui auraient nuit à l’exploitation du rapport. Néanmoins, le handicap de Florange, qui est l’éloignement de la mer, est compensé par sa très forte intégration : toutes les installations sont sur place ; voilà pourquoi j’ai écrit que le site était viable. Quant à la note interne, je n’en avais pas eu connaissance à l’époque de la rédaction du rapport. Je pense que le site de Florange a un sens, avec ou sans hauts fourneaux, mais à une condition : qu’il soit exploité par un opérateur de sidérurgie capable, grâce à de la R & D ou à des brevets, d’entretenir son point fort, qui est la production d’aciers de haut de gamme ; cela suppose des investissements réguliers.

Le marché européen est dominé par deux acteurs. Or, par précaution, les clients, notamment dans l’automobile, préfèrent disposer d’une double source d’approvisionnement, afin de pouvoir faire face à tout type de problème. En conséquence, ArcelorMittal a cédé à ThyssenKrupp l’exploitation sous licence de certains brevets, notamment celui de l’Usibor. Au plan mondial, le principal partenaire d’ArcelorMittal reste toutefois Nippon Steel ; ils viennent d’ailleurs de faire une offre conjointe pour l’acquisition d’une usine sidérurgique appartenant à ThyssenKrupp aux États-Unis.

Pour des raisons de concurrence, les liens s’établissent plutôt entre opérateurs situés sur des continents différents. Il n’était pas de l’intérêt de M. Mittal que le site de Florange soit repris par un tiers ; c’est pourquoi il n’a rien fait pour promouvoir une éventuelle cession. Le ministre a décidé de lancer le processus de reprise pour ne pas perdre une chance de réussir ; nous avons démarché plus de cent sidérurgistes dans le monde, mais sans succès.

Monsieur Hutin, je ne vois pas quelles mines pourraient être exploitées de manière rentable en Europe – hormis en Russie ou en Ukraine.

ArcelorMittal est très fortement endetté. Cet endettement se conjuguant avec de récentes pertes, le groupe a commencé à céder ses actifs – notamment une participation dans l’une de ses plus belles mines au Canada. Si la reprise ne vient pas, il sera probablement conduit à poursuivre avec de nouvelles cessions.

M. Marc Rohfritsch. La dette d’ArcelorMittal, colossale, pèse en effet très lourd ; après s’être élevée jusqu’à près de 25 milliards de dollars, elle s’établit aujourd’hui autour de 20 milliards. Elle est notamment due à l’achat d’actifs miniers en haut de cycle ; cela a coûté très cher à ArcelorMittal, mais étant donné la situation d’oligopole de trois sociétés dans le commerce international de minerai de fer, il s’agissait d’une question cruciale pour le groupe.

À la fin de l’année 2012, ArcelorMittal a levé 4 milliards de dollars par une offre combinée d’actions et d’obligations. Sa trésorerie est bonne. Bien que la note de sa dette ait été dégradée en catégorie spéculative, les analystes financiers considèrent qu’elle reste soutenable. ArcelorMittal examine même la possibilité de racheter, en partenariat avec un autre sidérurgiste, les actifs de ThyssenKrupp aux États-Unis, dont la valeur se situerait entre 1,5 et 2 milliards d’euros. L’objectif est de ramener d’ici trois à quatre ans la dette à un niveau permettant à ArcelorMittal de sortir de la catégorie spéculative et de pouvoir se financer à des taux plus intéressants.

M. Pascal Faure. La note d’ArcelorMittal est comparable à celle de ThyssenKrupp et des autres sidérurgistes : ils sont nombreux à être mal notés.

M. le président Jean Grellier. Messieurs, je vous remercie.

Audition, ouverte à la presse, de M. Francis Mer, vice-président du groupe Safran, ancien président d’Usinor-Sacilor et d’Arcelor

(Séance du mercredi 27 février 2013)

M. le président Jean Grellier. Mes chers collègues, nous recevons ce matin M. Francis Mer, vice-président du groupe industriel Safran. Je vous remercie, Monsieur, d’avoir répondu à notre invitation.

Avant d’être ministre de l’économie, des finances et de l’industrie entre 2002 et 2004, vous avez longtemps dirigé le groupe sidérurgique Usinor-Sacilor, puis Arcelor, que vous avez contribué à créer en 2001 par le rapprochement entre Usinor, le groupe luxembourgeois Arbed et le sidérurgiste espagnol Aceralia. Votre vie professionnelle a donc eu pour cadre l’industrie, et notamment les activités de production : avant d’exercer vos responsabilités dans la sidérurgie, vous étiez à la tête de Pont-à-Mousson S.A., importante entreprise métallurgique qui appartient au groupe Saint-Gobain. Cette expérience peut beaucoup apporter à nos travaux. Vous avez également siégé au conseil d’administration de l’exploitant de nickel Inco, très présent en Nouvelle-Calédonie, et contrôlé par le géant minier brésilien, le groupe Vale, qui est aussi le numéro un mondial du minerai de fer. En somme, monsieur le ministre, toutes vos expériences professionnelles concernent directement le domaine de réflexion de notre commission, y compris vos actuelles responsabilités au sein du groupe Safran qui, pour ses activités aéronautiques et d’armement, consomme peut-être encore de l’acier et de l’aluminium, sans oublier les nouveaux matériaux.

C’est donc comme grand témoin que la commission d’enquête a souhaité vous entendre dès le début de ses travaux. Vous pourrez très librement nous dire s’il existe, au vu de votre expérience, des voies d’avenir pour les industries qui retiennent notre attention, et ce que l’Europe doit faire, s’il n’est pas trop tard, pour défendre ses productions face à une concurrence désormais mondiale. Il y va de notre indépendance, voire de notre système de valeurs et de nos modes de vie.

Je vais d’abord vous donner la parole pour un exposé liminaire, puis les membres de la commission d’enquête, et notamment son rapporteur, Alain Bocquet, vous poseront des questions pour engager la discussion. Au préalable, conformément à l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter le serment de dire la vérité, rien que la vérité et toute la vérité.

M. Mer prête serment.

M. Francis Mer, vice-président du groupe Safran, ancien président d’Usinor-Sacilor et d’Arcelor. J’accepte bien sûr de prêter serment, mais avons-nous seulement défini ce que c’est que la vérité ? Je suis peut-être le premier à soulever cette question ! Si vous, députés, ne vous remettez pas perpétuellement en cause, sur tous les sujets, comment notre pays et ses représentants pourraient-ils continuer d’avoir une place dans un monde qui change à la vitesse que vous connaissez ?

Voici donc quelle est, du moins en matière de sidérurgie, sinon la vérité, du moins ma vérité. D’abord, la sidérurgie est un métier passionnant. Soyons clairs : il n’est pas du tout impossible de conserver des activités sidérurgiques rentables et utiles en Europe, et notamment en France, à condition de vivre et de gérer, au sens noble de ce terme, ce métier de manière intelligente, c’est-à-dire en intégrant ce qui se passe ailleurs dans le monde, et en se gardant du comportement qu’ont adopté certains ministres et qui constitue le plus sûr moyen de dégoûter les bonnes volontés, y compris françaises.

J’ai passé quinze ou seize ans de ma vie à tenter, avec un certain succès, de rebâtir sur un champ de ruines, et alors que le moral était très bas, le premier groupe sidérurgique mondial, le tout à partir d’une base française. Pourquoi serait-il impossible de refaire ce que j’ai réussi, avec d’autres, il y a quelque vingt ans ? Tout est possible, je le répète, à condition de vivre à son époque, et non dans le passé ou dans un rêve. Rêver éveillé est de plus en plus difficile et vivre dans le passé ne sert à rien : il est vain de vouloir arrêter le temps.

Pour être significative et rentable, notre activité sidérurgique doit être utile, c’est-à-dire utile au client. En effet, pourquoi celui-ci s’intéresserait-il à nous sous prétexte que nous sommes là, s’il trouve mieux – je n’ai pas dit moins cher – ailleurs ? Les sidérurgistes actuels doivent donc se positionner par rapport aux marchés de demain et non à ceux d’avant-hier.

Ces sidérurgistes ne sont pas très nombreux – je les connais tous –, car nous avons bien fait notre travail de concentration. Un seul a refusé de fusionner avec moi ; il a été un peu marginalisé et vient de faire parler de lui en termes assez négatifs au sujet de ses coûteux avatars brésilien et américain : il s’agit de Thyssen. À l’époque, tout le management était favorable à la fusion mais les actionnaires – réunis dans une fondation à l’allemande – ont préféré rester entre eux. En revanche, les Anglais et les Néerlandais ont accepté la fusion et ont fait appel à un Français pour les diriger : c’est avec plaisir que j’ai appris à l’époque que Philippe Varin avait été choisi pour prendre la tête de British Steel et de Hoogovens.

Les Italiens, par l’intermédiaire du gouvernement Prodi, ont refusé de fusionner avec nous. Voyez où ils en sont aujourd’hui : Ilva a été sanctionnée dans des conditions effarantes, forcée d’arrêter sa production – ce qui, vis-à-vis de Fiat et d’autres, représente un désastre – sous prétexte que la production de Tarente serait dangereuse pour la santé des Tarentais et des habitants des Pouilles en général. Je n’ai rien contre le gouvernement italien, au contraire, mais voyez où l’a mené la séparation des pouvoirs : le gouvernement Monti a finalement dû passer outre la décision du juge pour laisser fonctionner l’usine de Tarente, quitte à étudier d’un peu plus près les problèmes de pollution. Dans le monde actuel, les entreprises ne peuvent être compétitives si elles sont enserrées dans de telles contraintes.

Les autres sidérurgistes, belges, français, luxembourgeois et espagnols, ont fusionné. Je dois à l’honnêteté de vous dire que j’avais défendu la fusion auprès des Espagnols mais qu’un nouveau ministre, que je connaissais bien et qui fera ensuite parler de lui comme patron de Bankia, a préféré le compromis, qui n’avait rien d’historique, proposé par nos amis luxembourgeois, moins directs sans doute que ne le sont les Français. La fusion a donc eu lieu avec Arbed, qui avait su le rassurer. Chacun a sa conception des responsabilités respectives de l’industriel et du politique. En ce qui me concerne, je n’ai jamais été capable de dire autre chose que ce que je pensais, ce qui est rare. Pour atteindre ses objectifs, mon ami luxembourgeois, lui, n’a pas hésité à mentir. Finalement, nous nous sommes tous retrouvés dans le même bateau lorsqu’Arbed nous a rejoints pour fonder Arcelor. Les Belges, dont on parle en ce moment à propos des annonces d’ArcelorMittal, s’étaient déjà alors rangés à l’idée qu’ils feraient mieux avec Usinor-Sacilor que seuls, avec Cockerill-Sambre. Jean Gandois a été d’une grande aide à cette époque.

Telle est l’histoire récente de la sidérurgie européenne – à laquelle s’ajoutent quelques acquisitions, notamment brésiliennes –, fondée sur quelques convictions qui sont les nôtres. D’abord, la taille est importante pour optimiser les coûts afin de supporter la concurrence puisque le même produit peut être offert partout dans le monde. Ensuite, pour grandir, il faut proposer la meilleure offre, c’est-à-dire satisfaire mieux que les autres les besoins de ses clients.

Mon souvenir le plus cuisant à ce sujet date d’un voyage au Japon où je m’étais rendu pour essayer d’y vendre de l’acier. J’y ai rencontré le patron de Toyota, qui n’était pas encore implanté en France. « On n’est pas mauvais », lui ai-je dit, « je suis convaincu que nous avons le meilleur acier, nous sommes meilleurs que vos fournisseurs ; je viens donc vous proposer nos services ». Le patron, M. Toyoda, m’a répondu : « Je suis d’accord avec vous, Monsieur Mer : vous êtes le meilleur ! Mais ce n’est pas une raison pour que je fasse défaut à mes fournisseurs traditionnels qui ont du mal à évoluer aussi vite que vous, même si vous les piquez aux fesses ! J’ai donc décidé, quels que soient vos mérites, de garder ma confiance à Nippon Steel et aux autres. — Bravo, lui ai-je dit : il n’est pas sûr qu’en Europe nous ayons, nous, industriels, des relations qui nous fassent réagir ainsi à une proposition honnête et, de votre propre aveu, valable. — Je connais parfaitement votre acier et vos performances, a-t-il rétorqué ».

Car les Japonais connaissent tout, partout, en temps réel. Et les Chinois commencent à marcher sur leurs traces, envoyant partout dans le monde des représentants intelligents qui se renseignent sur ce qui se fait de mieux et rapportent en Chine l’état de l’art mondial en précisant ce qui est compatible avec la mentalité nationale.

« Je ne prends pas votre acier au Japon, monsieur Mer », a donc poursuivi M. Toyoda, « mais je vais le prendre en France : j’ai décidé, au vu de la qualité de la fourniture française, d’implanter mon usine européenne en France ». Je me suis senti non pas responsable de cette décision, mais fier qu’indirectement, la performance d’Usinor-Sacilor ait contribué à notre attractivité collective.

Il faut donc, disais-je, avoir les meilleurs coûts. Et, pour cela, il faut avoir – je vous surprendrai peut-être en commençant par là – le meilleur personnel. Le personnel n’est pas une masse salariale : c’est le principal capital d’une entreprise. Il travaille beaucoup mieux lorsque la reconnaissance dont il bénéficie lui en donne l’envie. Dès lors, rien ne lui est impossible.

En la matière, un exemple m’a particulièrement marqué. Après moult réflexions, nous avions décidé de fermer une usine, ne voyant plus comment nous en sortir sans renoncer à une capacité supplémentaire, puisque l’on ne peut pas inventer la quantité que l’on vend. Je suis venu annoncer la fermeture selon la méthode de gestion de la réduction d’effectifs lancée alors par Usinor et qui a ensuite fait florès. « Je suis désolé », ai-je dit, « on est obligé de fermer l’usine dans six mois. Mais, comme vous le savez, aucun d’entre vous ne sortira de l’usine sans avoir été reclassé, dans Usinor ou à l’extérieur ». Cette méthode nous a permis de réduire considérablement les effectifs, sans faire perdre espoir à ceux qui restaient et qui devaient continuer de travailler, et même travailler de mieux en mieux. Cela nous a coûté un peu d’argent, mais nous y sommes parvenus. Un mois avant la fermeture, conformément à notre usage, je retourne sur place. Je savais ce que l’on allait me dire mais je tenais à m’y rendre pour que les salariés puissent s’exprimer. « Monsieur le président », ai-je alors entendu, « on n’a pas pu vous faire changer d’avis, mais voici ce que nous avons fait » – et de me présenter la performance de l’usine pendant les trois mois qui avaient précédé l’annonce, puis pendant les trois mois précédant la fermeture. La performance de l’usine sur le point de fermer était incomparablement meilleure que celle que l’on connaissait auparavant et qui nous paraissait correcte. Car le personnel avait décidé non pas de nous empêcher de fermer – à la différence de ce qui se passe à Florange et consorts –, mais de nous montrer, que si nous nous étions mieux débrouillés avec eux, nous n’aurions pas eu besoin de le faire. Ce qui était vrai.

Une équipe, une communauté de travail, quel que soit le métier qu’elle exerce, ne travaillera pas de la même manière au bord du gouffre – dans l’espoir d’éviter d’y tomber – ou qu’elle bénéficie d’une reconnaissance qui lui donne envie de grandir. En quinze ans, nous avons réussi à redresser la sidérurgie française puis européenne. Lorsque je suis arrivé, en 1986, tous étaient convaincus que l’on allait droit dans le mur, que l’on allait tout fermer. Il y avait alors peu de candidats prêts à s’emparer du sujet, sans doute parce que cette conviction était largement partagée à l’extérieur également. Ne la reprenez pas à votre compte en 2013 ! À l’époque, notre personnel a découvert, grâce à quelques décisions importantes, que l’espoir restait permis.

Les valeurs d’un pays, celles d’un homme, celles d’une communauté sont souvent les mêmes : la confiance, l’espoir, une vision. J’avais décidé, avec quelques autres, qu’il n’y avait que deux manières de nous sortir de cette situation très critique. D’abord, faire confiance au personnel et développer fortement ses compétences. Nous avons ainsi consacré à la formation l’équivalent de 8 % de la masse salariale pendant quatre ou cinq ans – ce qui était méritoire car nous perdions de l’argent –, puis, après la phase de remise à flot, 4 à 5 % pendant quinze ans. À nos yeux, ce n’était pas une dépense, mais un investissement en capital humain. Ensuite, ne pas faire comme les autres, sans quoi nous étions perdus. Nous étions bien placés pour savoir que l’acier que nous produisions au Brésil, quand on le faisait venir à Mulhouse, revenait moins cher que l’acier fabriqué à Florange. Pour continuer de vendre de l’acier français, puis européen, à des entreprises essentiellement européennes, c’était donc l’offre qui devait être meilleure, voire la meilleure, de sorte que le client n’ait pas le choix. Le plus gros client de Florange, c’était Volkswagen ! Car de tels messages traversent les frontières : celles-ci n’existent pas dans notre Europe industrielle. Gerhard Cromme, qui a fait carrière chez Thyssen, a d’ailleurs débuté dans une filiale de Pont-à-Mousson en Sarre et Peter Hartz, qui a donné son nom à la fameuse loi Hartz IV sous le gouvernement Schröder, entre 2003 et 2005, était « mon » Arbeitsdirektor dans la même usine sarroise. Voilà qui répond à la question de savoir comment la sidérurgie française et la sidérurgie allemande travaillent ensemble. Cromme a suivi mon exemple en faisant fusionner les entreprises du secteur sidérurgique allemand.

Premièrement, donc, le personnel ; deuxièmement, l’offre, qui suppose un budget de recherche. Nous avons ainsi développé la plus belle compétence sidérurgique mondiale. Le produit dit Usibor est le résultat, en Lorraine, d’un effort, essentiellement lorrain, fourni pendant quinze ou vingt ans. Savez-vous que le procédé UlcosUltra Low Carbon Dioxide Steelmaking –, qui permettra de fabriquer de l’acier en réduisant les émissions de CO2, est le fruit d’une décision prise il y a vingt ans par votre serviteur, en accord avec quelques collègues ? J’ai pu mesurer à l’époque l’effet sur mes interlocuteurs d’une idée quelque peu nouvelle. On m’avait averti que la sidérurgie émettait du CO2 en quantité non négligeable. J’avais pressenti que cela risquait de nous retomber dessus et souhaité que l’on invente un autre procédé qui ne présenterait pas cet inconvénient. J’ai donc convoqué mes équipes de chercheurs pour une discussion de trois ou quatre heures dont il est ressorti que ce que je demandais était possible mais long – une vingtaine d’années, car il faudrait repenser le haut fourneau – et coûteux.

Ne voulant pas me lancer seul dans cette entreprise, je me suis tourné vers mes collègues, d’une part, et, d’autre part, vers Bruxelles, dont j’ai pu, pour une fois, rapporter de bonnes nouvelles. Était-ce l’heureux souvenir du commissaire Davignon ? Toujours est-il que je n’ai eu aucun mal à convaincre Bruxelles de contribuer au financement du projet. Je vais ensuite voir mes collègues, en commençant par Thyssen : accord immédiat. Je traverse la Manche : accord immédiat. Je traverse la Sibérie pour aller au Japon : accord immédiat. Je remonte vers la Corée du Sud : accord immédiat. Puis je traverse l’Atlantique… et ce qui devait arriver arriva. « Mon cher Francis, science must lead policy : tant que l’on ne m’aura pas démontré par A + B que les émissions de CO2 sont la cause du réchauffement climatique, il n’est pas question de dépenser un sou, car il faudrait le prendre en bas de ligne, c’est-à-dire aux actionnaires. », « Tant pis pour vous ! » ai-je répondu. De toute façon, objectivement, la sidérurgie américaine n’existe pour ainsi dire plus : elle appartient pour l’essentiel au reste du monde. En moins d’un siècle, les États-Unis sont ainsi passés d’une position dominante dans la production d’acier au désintérêt pour cette activité, même si quelques Chinois, Européens ou Russes continuent d’y fabriquer de l’acier primaire. Les modes passent et les principes fondamentaux de gestion d’une entreprise influencent sa stratégie.

La recherche, d’une part, le savoir-faire et les compétences du personnel, de l’autre, sont donc les deux piliers de la réussite – sachant que le personnel doit être réduit au minimum dans ce métier hautement compétitif et mondial.

Pourquoi sommes-nous dans la situation actuelle ? C’est la faute des Chinois. Il y a quinze ans, ils n’existaient pas dans le secteur sidérurgique ; aujourd’hui, la Chine représente 50 % des besoins et de la production d’acier. Depuis quinze ans, un gigantesque effort d’investissement mondial a été fourni pour profiter du déferlement de la demande chinoise, fruit des projets de construction. Au terme de dix à quinze ans de croissance, la Chine commence à changer de modèle et à penser au consommateur au détriment relatif de l’investissement. Mais, sur la lancée du passé, la capacité de production continue de se développer en Chine et ailleurs, car, dans la sidérurgie, il faut plusieurs années pour créer une usine fournissant cette capacité. Que l’on ajoute à cela la crise, sur laquelle je ne m’étendrai pas, et voilà que la sidérurgie vit son drame habituel : l’effondrement mondial de la production et de la consommation – fût-il un peu moins marqué en Chine qu’ailleurs. Je vous renvoie aux chiffres qu’a dû vous donner celui que vous avez auditionné avant moi.

Face à cette situation, les entreprises, et pas seulement ArcelorMittal, ont fait le raisonnement suivant. Dans une industrie de frais fixes comme la sidérurgie, les résultats sont pour l’essentiel liés au volume, donc à la saturation des outils. S’il faut des années, voire l’éternité, avant de pouvoir de nouveau saturer tout l’appareil industriel situé en Europe, il est de notre devoir d’industriels, pour minimiser les pertes et retrouver au plus vite les gains indispensables à la survie du métier, de serrer les boulons, c’est-à-dire de réduire les capacités les moins bonnes et de concentrer sur les meilleurs outils l’essentiel de la production afin d’optimiser les coûts, donc les résultats, même en cette période de pertes. C’est ce qui s’est passé à Florange.

J’imagine que vous allez vous octroyer le plaisir d’entendre les syndicalistes de Florange. J’ai moi-même de très bons rapports avec deux syndicalistes du secteur sidérurgique que j’ai aidés à devenir leur propre patron et qui sont aujourd’hui consultants. Le premier, un cégétiste qui s’est fait virer de son entreprise par la CGT, est en train d’écrire ses mémoires. Le second, qui était à la CFDT Sidérurgie, est venu me proposer de s’occuper des gens que je poussais hors de l’entreprise mais que je gardais dans une entreprise ad hoc faute de parvenir à les recaser à l’extérieur. J’avais en effet créé en Lorraine une petite entreprise qui s’efforçait de leur trouver des clients. « Si vous me faites confiance, je m’en occupe ! », me dit-il. Il est donc devenu chef d’entreprise, d’une entreprise de services qui allait chercher les clients et effectuait ou faisait effectuer des tâches pour eux. Je l’ai aidé à devenir consultant. Je les ai tous deux fait venir chez Safran pour qu’ils expliquent à nos managers le fonctionnement des syndicats. Ainsi, dans la relation entre le manager de terrain et les personnels ainsi que leurs représentants, chacun sait comment l’autre fonctionne : on est à armes égales. Dans le cas contraire, le manager, perpétuellement aspiré par le haut, a peur du terrain, alors que c’est de ce dernier que dépend la performance d’une entreprise, et non du patron.

Les syndicats de Florange connaissent bien le sujet, depuis trente ou quarante ans. Les déclarations que j’ai entendues m’ont fait rire. Le site de Fos-sur-Mer, que certains d’entre vous connaissent bien, a été créé par la Lorraine pour anticiper sur l’épuisement prévisible du charbon et du minerai de fer lorrains. Ceux qui vous raconteraient qu’ils ne sont pas au courant de l’évolution de la sidérurgie depuis des années, alors même qu’ArcelorMittal a été parfaitement transparent à ce sujet, vous mentiraient. Ils essaient de tirer profit d’un gars qui veut faire parler de lui ! Je suis allé voir Arnaud Montebourg – dont il y a ici des amis, je le sais – début novembre, avant qu’il ne fasse sa sortie. Nous avons passé deux heures ensemble. Je l’ai prévenu : « Vous allez dans le mur, vous allez vous faire flinguer soit par le Gouvernement, soit, si celui-ci fait l’erreur de vous suivre, par le droit français et européen. Car vous ne pouvez justifier par l’intérêt collectif la nationalisation d’une usine au sein d’un groupe. Vous ne pouvez plus nationaliser Arcelor ; vous pourriez peut-être en nationaliser la partie française, mais certainement pas une usine. » Malgré ses compétences intellectuelles, il reste incapable de reconnaître que sa thèse l’envoie dans le mur, ce qui est inquiétant : n’abuse-t-il pas de la confiance qu’on lui accorde à Florange et ailleurs ? Prenez garde, Mesdames et Messieurs les députés : la démocratie suppose que l’on ait le sens de la responsabilité et de l’intérêt collectif. Je me demande parfois si certains de ses éminents représentants ne cherchent pas surtout à défendre leurs intérêts personnels, de quelque nature qu’ils soient.

Pour en revenir à la sidérurgie, que faire aujourd’hui ? Rien au niveau français, car cela n’a pas de sens : il existe un marché intérieur qui s’appelle l’Europe ; si l’on doit agir, c’est au niveau européen. J’ai été amusé que les Belges, les Luxembourgeois et les Français envisagent d’alerter ensemble la Commission. Il y a une quarantaine d’années, M. Davignon était presque dans la même situation au sein de la Commission de Bruxelles. L’existence d’un traité spécifique à l’acier facilitait sans doute les choses. Mais, surtout, il y avait alors à Bruxelles des gens qui pensaient et qui n’épousaient pas nécessairement la ligne anglo-saxonne. Aujourd’hui, personne n’ose plus remettre en question la doxa, sans être pour autant capable d’en tirer toutes les conséquences. De ce point de vue, la sidérurgie fournit un exemple révélateur qui devrait nous préoccuper. En France, en particulier, combien de métiers, combien d’emplois, en dehors de l’industrie, sont en réalité protégés de la concurrence, interne ou européenne – pour les meilleures raisons du monde, naturellement ? Quel pourcentage de l’activité européenne et notamment française échappe à la règle qui a été imposée à l’industrie par les Allemands dans les années 1950 et que de Gaulle a eu le courage d’accepter, permettant ainsi au marché commun, donc à l’Europe, de se bâtir ?

Bruxelles pourrait peut-être proposer aux Européens des règles du jeu adaptées à la sidérurgie et aux métiers analogues, au lieu de s’en tenir au constat que le marché et les prix sont mondiaux et que les prix fluctuent selon le rythme auquel les Chinois respirent. Le secteur a connu une période exceptionnelle de 2002 – date à laquelle j’ai quitté Arcelor, ce qui m’inspire rétrospectivement quelques regrets – à 2008 : les prix montaient, les quantités augmentaient, tout le monde gagnait de l’argent, ce qui a d’ailleurs conduit ArcelorMittal à dépenser beaucoup pour acheter des mines. À partir de 2008, tout s’est effondré et le contexte est devenu comparable à celui dans lequel j’avais commencé mes activités industrielles, en 1973. Lors du choc pétrolier, le Président de la République de l’époque, dont j’admire habituellement l’intelligence, nous avait dit : « Messieurs les industriels, c’est un mauvais moment à passer. » Tu parles ! C’était le début d’une révolution politique mondiale. Or aujourd’hui, certains pays réagissent comme lui face au choc que connaît l’Europe.

M. le président Jean Grellier. On voit combien les enjeux de la période que nous vivons sont fondamentaux.

M. Alain Bocquet, rapporteur. Monsieur Mer, vous avez connu la sidérurgie nationalisée…

M. Francis Mer. Elle ne l’a jamais été. Il n’y a jamais eu aucun acte de nationalisation. Simplement, à la fin, il n’y avait plus qu’un seul actionnaire : l’État.

M. le rapporteur. L’aide de l’État était déjà devenue une dotation en capital sous M. Barre. La nationalisation nous renvoie à la question de la maîtrise par les pouvoirs publics de ce secteur stratégique. L’État n’a-t-il pas pour le moins un droit de regard et d’intervention vis-à-vis d’un groupe industriel comme ArcelorMittal, qui perçoit des aides publiques et communautaires et des attributions gratuites de certificats d’émission de CO?

Deuxièmement, quelles sont à votre avis les forces et les faiblesses du groupe ArcelorMittal ? Sa stratégie mondiale, essentiellement financière, et minière autant que sidérurgique, pourrait-elle impliquer l’abandon progressif de ses sites européens, dans lesquels l’investissement du groupe paraît minimal ?

Troisièmement, quelles sont les perspectives les plus certaines de progrès de la recherche sur les aciers du futur ou sur les nouveaux matériaux substitutifs ? Quelles peuvent en être les conséquences industrielles ?

Quatrièmement, la crise de la sidérurgie se caractérise-t-elle uniquement par une surproduction européenne, à laquelle il faudrait remédier, compte tenu des importations à bas coût d’acier venu de pays émergents, notamment de Chine ? Mais l’Europe ne risquerait-elle pas alors de devenir définitivement dépendante des émergents dont elle serait la cliente captive ? En ce qui concerne l’approvisionnement en minerais, la dépendance des industriels européens les défavorise-t-elle par rapport à d’autres producteurs établis à proximité des zones d’extraction ? Est-ce un argument en faveur de la délocalisation ?

Enfin, en dehors de la Chine, y a-t-il d’autres grands producteurs aussi dangereux qu’elle pour la sidérurgie européenne ? Qu’en est-il des outils de production et de la qualité des produits en Russie, au Kazakhstan ou en Ukraine ? Que penser par exemple de l’entreprise russe Severstal, un temps présentée comme un repreneur potentiel du site de Florange ?

M. Francis Mer. Je commencerai par répondre à votre dernière question.

Il y a quinze ans, dans le cadre d’une stratégie européenne au sens large, nous avons décidé d’aider Severstal. Pour lui permettre d’améliorer sa production, nous lui avons donc accordé une licence d’utilisation d’un procédé de fabrication de tôle automobile, qui n’était pas le dernier que nous ayons développé. Il se trouve que je connais très bien le patron : il était directeur du plan chez Severstal au moment où Eltsine a distribué la propriété publique russe sous forme d’actions et n’a eu de cesse de racheter, contre quelques roubles, les actions auxquelles son personnel avait eu droit, jusqu’à devenir propriétaire de l’entreprise. Il est exact qu’à un moment donné, face à l’OPA de Mittal, nos amis luxembourgeois et consorts sont allés chercher Severstal pour qu’il joue le rôle de chevalier blanc. Severstal avait déjà beaucoup acheté aux États-Unis lorsque tout y était à vendre.

Il va de soi que n’importe quel sidérurgiste, européen ou non, serait prêt à acquérir le site de Florange si vous le lui proposiez. Comment en serait-il autrement ? Cela reviendrait à lui offrir sur un plateau la clientèle de PSA et de Volkswagen ! Et Severstal était un bon candidat. Mais vous n’avez pas le droit d’offrir Florange, car Florange n’est pas à vous : c’est la propriété d’ArcelorMittal, qui n’a aucun intérêt à accepter une vente à laquelle on ne peut le contraindre en démocratie. Comment – sinon par une loi dont je serais curieux de connaître le détail – l’État français pourrait-il chercher lui-même un acquéreur au motif qu’ArcelorMittal veut fermer un établissement ? Ce n’est pas un établissement qui est en jeu : c’est l’entreprise. Au sein d’une entreprise, il est impensable de vendre une usine pour se faire un peu d’argent : cela reviendrait à se tirer une balle dans le pied. Il y a là une erreur de raisonnement. Je ne sais pas si vous la partagez, Monsieur Bocquet, mais vous n’avez pas le droit de rêver ainsi, vous qui siégez dans l’Assemblée démocratique d’un État de droit.

M. le rapporteur. Que faire si Mittal décide de fermer plusieurs sites en France ? Il est monopoliste !

M. Francis Mer. Grâce à moi ! Cela étant, je rappelle que j’ai essuyé un refus lorsque j’ai proposé à l’État de garder un ticket au moment de la privatisation d’Usinor-Sacilor. Mais jamais Mittal ne décidera de mettre fin à ses activités françaises, parce qu’il sait que ses meilleures usines européennes sont en France. Ne donnez surtout pas dans la paranoïa !

La crise de la sidérurgie ne vient-elle que de la surproduction européenne ? Non. J’ai passé quinze ans dans un secteur où les prix baissaient tous les ans et où, quelques années mises à part, les quantités n’augmentaient pas. Plus généralement, la crise en Europe résulte de la crise mondiale et elle n’est pas terminée. Quelles que soient les prévisions de Bercy, c’est sur une hypothèse de croissance de 0,5 % en moyenne, 1 % tout au plus, que vous, députés, devriez vous fonder pour évaluer les prévisions que l’on vous donne et les recettes fiscales à en attendre. Inutile de sortir d’une grande école pour comprendre que l’Europe connaît une crise de confiance dont elle ne sortira pas avant d’avoir retrouvé sa boussole et fixé quelques objectifs communs. Dans l’intervalle, les entreprises en pâtiront. Mais les plus grandes pourront dire : « Ça ne marche pas en Europe ? Je m’en moque : le monde m’appartient ! » Et elles iront aux États-Unis, en Chine, en Inde ou au Brésil. Ce n’est pas nécessairement en Europe que sont obtenus les brillants résultats affichés par le CAC 40. Or vos responsabilités concernent le territoire national et des populations qui ne sont peut-être pas toutes appelées à quitter le continent comme les millions d’Irlandais partis aux États-Unis ou au Canada parce qu’ils crevaient de faim !

Faudrait-il se protéger par des normes ? Les normes techniques sont aussi satisfaisantes que possible. Des normes sociales et environnementales ? Pourquoi pas, à condition qu’elles ne soient pas propres à la sidérurgie. En d’autres termes, c’est de faire l’Europe qu’il s’agit. Si vous cherchez un supporter de ce projet, vous l’avez en face de vous ! En réalité, qui refuse de faire l’Europe ? Ce sont les pouvoirs publics de chaque pays : notre administration, et notamment nos assemblées, qui craignent d’y perdre leur souveraineté, leur pouvoir, leur raison d’être. Voilà une question à laquelle vous devriez vous intéresser si vous en avez le courage. Et la réponse se trouve chez nous, dans les pays membres. Elle naît de la crise qui nous impose de transférer des parts de souveraineté à un « machin » qui s’appelle Bruxelles. Voyez le six pack : de l’extérieur, il est amusant de comparer ce que les gouvernements ont entériné au discours politique officiel. Grâce à la crise, le système bruxellois a pris le pouvoir, et d’abord sur votre budget : n’imaginez pas que vous pourrez faire quoi que ce soit d’autre qu’approuver ce qui aura été préalablement validé par Bruxelles au nom d’une logique dont je ne suis pas certain qu’elle soit valable. Si vous voulez résoudre les problèmes de la sidérurgie, accouchez donc ensemble de normes techniques, sociales et environnementales – et accessoirement douanières, même si, dans le cas de l’acier, la distance est telle que le coût du transport est relativement élevé par rapport à celui de la matière, sauf pour les produits sophistiqués. Aucun Chinois n’a envie d’expédier un rond à béton ici : il y perdrait sa chemise ! Quoi qu’il en soit, nous, Européens, devons prendre notre destin en main, ce que vous ne faites pas parce que vous êtes élus du territoire français. Prenez garde aux eurodéputés qui ont envie d’utiliser le pouvoir qui leur a été donné ; vous allez en entendre parler.

S’agissant de la recherche sur les aciers du futur, je ne peux vous répondre car j’ai quitté la sidérurgie il y a dix ans. Je pense néanmoins qu’Arcelor, qui a su conserver une partie des méthodes anciennes, continue d’être à la pointe, contrairement à l’image que l’on peut en donner, sans quoi l’entreprise ne pourrait pas s’en sortir.

Quelles sont les forces et faiblesses du groupe ArcelorMittal ? En ce qui concerne la stratégie minière, depuis 1973, le nombre des groupes miniers – minerai de fer, charbon à coke –, qui n’était pas très élevé, a encore diminué : quatre ou cinq mineurs au monde font la pluie et le beau temps en matière de prix – un canadien, un brésilien, deux australiens, un suisse qui a remarquablement réussi et vient de fusionner avec un autre australien. Le minerai brésilien, c’est une montagne d’hématite à 66 % de fer : quand vous montez dessus, vous comprenez que les mines qui ont fait notre succès pendant un siècle soient fermées ! Avant le choc pétrolier et ses conséquences sur la sidérurgie en France et ailleurs, tous les sidérurgistes cherchaient à s’intégrer en amont ; ensuite, ils ont dû vendre parce qu’ils perdaient de l’argent, et ils ont préféré vendre une mine plutôt qu’une activité sidérurgique, c’est-à-dire le cœur de leur métier. Puis, pendant six ou sept ans, les sidérurgistes, Mittal en tête, se sont de nouveau enflammés pour l’intégration en amont. Mais Mittal a mal acheté.

Lakshmi Mittal – qui est très doué et compétent, contrairement à ce que d’aucuns ont dit de lui – a fait un pari. Considérant que la montée des prix ne pourrait pas durer aussi longtemps que les impôts et qu’il devait consolider son entreprise, il a eu l’idée géniale de se rapprocher d’Arcelor. Moi président d’Arcelor, je n’aurais jamais accepté et je me serais protégé de Mittal bien avant : nous savions ce qui se préparait puisque nous connaissions les résultats. Mais mes successeurs n’ont pas su changer de politique : ils n’ont pas vu que cette phase temporaire de prospérité leur offrait l’occasion de rompre avec la méthode besogneuse que nous avions été obligés d’employer pendant quinze ans.

Aujourd’hui, Mittal revend – il s’est déjà séparé des mines de Dofasco – pour réduire son endettement, qui est sa principale faiblesse. Le monde financier n’a eu de cesse de fournir de l’argent aux entreprises : « empruntez, empruntez, vous rembourserez plus tard » ; il faut maintenant le rassurer. Mais Mittal ne veut pas sacrifier la production d’acier et n’a aucune envie de se détourner de ses sites européens, cœur de son activité sidérurgique, même s’il cherche à vendre en Bulgarie. En revanche, il cherche à concentrer la même production sur un plus petit nombre de sites. N’oubliez pas que Mittal habite Londres et que s’il est né en Inde, il n’y va pas souvent. Il n’y a que les Français pour croire que Mittal est indien ! Sa fortune était la deuxième ou la troisième d’Angleterre il y a quelques années et il n’a aucun intérêt à vendre une entreprise dont il détient 40 % et dans laquelle travaille aussi son fils Aditya, jeune financier brillant formé aux États-Unis. Vous évoquez l’éventualité d’un abandon progressif des sites européens dans lequel le groupe n’investirait qu’au minimum – c’est possible, mais cela m’étonnerait ; je ne connais pas les chiffres.

L’État, me demandez-vous, a-t-il un droit de regard et d’intervention ? Mais au nom de quoi, dès lors que les entreprises respectent le droit – civil, commercial, pénal – et que les éventuelles subventions perçues sont conformes au traitement que l’État a choisi de réserver non à une entreprise en particulier, mais à un secteur et à un marché ? Quant aux droits d’émission de CO2, il est absurde que les politiques européens fassent confiance au marché pour donner envie aux industriels de réduire leurs émissions de gaz carbonique.

M le rapporteur. Alors jeune député, j’ai manifesté à Denain et à Trith-Saint-Léger contre la fermeture d’Usinor. Vous avez tout à l’heure eu des accents vibrants pour évoquer les personnels, mais, trente-cinq ans plus tard, les séquelles, notamment sociales, de ces fermetures affectent encore l’État français. Nous n’avons pas à être le Samu social de choix stratégiques d’entreprise ! L’aménagement du territoire est en jeu. Voilà pourquoi l’État doit avoir un droit de regard et d’intervention.

M. Francis Mer. Dans le respect du droit : nous vivons dans un État de droit ! Si une loi le permet et qu’elle est jugée valable par les instances qui ont à en connaître, soit. Mais aujourd’hui, c’est interdit. Avant qu’une usine ne ferme, elle a été ouverte, tout le monde trouvait cela normal ; et sa fermeture serait anormale ?

Cinq ans après avoir été obligé de fermer l’usine intégrée SMNSociété métallurgique de Normandie –, à Caen,…

M. le rapporteur. … aujourd’hui délocalisée en Chine par une entreprise du Valenciennois…

M. Francis Mer. … j’ai eu le plaisir de recevoir une lettre officielle dans laquelle les pouvoirs locaux me remerciaient d’avoir honoré tous les engagements que j’avais contractés lors des négociations relatives à la fermeture.

L’État n’a pas le droit d’intervenir dans la stratégie d’ArcelorMittal, dont il ne possède pas d’actions. Il peut simplement nouer des relations de confiance avec les entreprises. Or il ne le fait pas. Depuis quelques mois, il leur tient un discours absurde, au moment même où elles auraient besoin, quelle que soit leur taille, de se sentir écoutées et épaulées. Si elles ne le sont pas, soit elles s’écrasent et restent dans leur coin, soit elles vont voir ailleurs.

M. le président Jean Grellier. Au sein du Conseil national de l’industrie, dont je suis membre, le développement des filières stratégiques avec le soutien de l’État, apporté sous forme de contrat, permet de resserrer les liens entre les pouvoirs publics et les entreprises.

M. Francis Mer. Si vous en êtes convaincu, tant mieux !

M. le président Jean Grellier. Malheureusement, il est difficile d’amener les médias à s’intéresser à ces questions structurelles sans lien avec l’actualité immédiate.

M. Francis Mer. Si l’État n’est pas capable de communiquer…

M. Michel Liebgott. Au moins, vous ne pratiquez pas la langue de bois ! Je suis heureux de vous avoir entendu dire qu’il faut le meilleur personnel pour avoir le meilleur acier. En Lorraine, en Moselle, nous avons les deux. Cela reste vrai chez ArcelorMittal, avec l’Usibor, mais aussi chez Tata Steel, qui produit des rails de très grande qualité, exportés en Inde et utilisés en France.

En ce qui concerne ArcelorMittal, la vraie question n’est pas de savoir s’il va arrêter ou non sa production en Europe, même s’il est permis de se la poser. En France, la production, qui ne cesse de baisser, est aujourd’hui de 15 millions de tonnes d’acier, ce qui n’est pas suffisant pour satisfaire nos besoins. Une reprise de Florange par Duferco, auquel se serait associé Severstal, aurait-elle mieux garanti le maintien de l’activité sidérurgique sur notre sol ? Le groupe Mittal est un colosse aux pieds d’argile. Est-il notre meilleur atout ? Mais il est trop tard pour se poser ces questions : nous n’allons pas imiter ce qu’ont fait les Sarrois il y a quinze ans.

La production d’acier s’élève à 145 millions de tonnes. Atteindra-t-elle à nouveau les 180 ? La stratégie actuelle des groupes européens permettrait-elle de répondre à une hausse de la demande ou risque-t-on véritablement d’être envahis de produits chinois ? Aujourd’hui, les Chinois viennent voir comment nous travaillons ; demain, ils parviendront à fabriquer des produits de qualité équivalente. Le fait que les constructeurs automobiles soient installés à proximité des usines nous prémunit-il de ce risque ?

Le procédé Ulcos peut-il nous permettre de rester parmi les meilleurs ? Est-il envisageable de l’employer à Florange, avec un seul haut fourneau, si l’on ferme la filière liquide ? Car même s’il ne s’agit que de produire 500 000 tonnes, ce procédé s’intègre dans un ensemble.

Mme Martine Carrillon-Couvreur. Le site d’Imphy, dans la Nièvre, réputé pour ses aciers spéciaux, vit aujourd’hui, après de grandes difficultés, la restructuration et de la reprise d’une partie de l’entreprise par Aperam, détenue majoritairement par Mittal, une période plutôt heureuse de son histoire.

Mais comment pouvons-nous, en France et en Europe, nous organiser pour résister à la concurrence des pays émergents ? Je suis parfaitement d’accord avec vous : n’oublions jamais que la richesse d’une entreprise dépend de ses savoir-faire, des compétences de son personnel. Pensez-vous que notre effort de formation soit suffisamment ambitieux ?

M. Gaby Charroux. Je vous remercie à mon tour, Monsieur Mer, d’avoir proscrit la langue de bois et je suivrai votre exemple. Je suis conscient du rôle éminent que vous avez joué dans l’histoire récente de la sidérurgie, mais aussi de vos responsabilités dans la situation française et européenne actuelle, que vous avez vous-même reconnues en évoquant votre refus de procéder aux achats qui auraient permis d’agrandir l’entreprise que vous dirigiez.

J’ai beaucoup apprécié que vous insistiez sur la nécessité de réserver une place primordiale au capital humain, à la motivation, à l’intelligence. Mais tel ne semble pas être le chemin pris par Mittal. Je le constate dans ma circonscription, à Fos-sur-Mer : l’objectif poursuivi est la réalisation du profit financier maximum. Vous avez parlé de durée, de pérennité ; mais quant à l’espace, c’est le monde qui est en ligne de mire, et non la Lorraine, ni la Provence, ni la France, ni même sans doute la seule Europe.

Je rappelle que notre commission d’enquête s’intéresse aux conditions de sauvegarde et de développement de la sidérurgie et de la métallurgie. Vous nous avez fourni quelques éléments éclairants sur la posture et l’engagement de Mittal. L’État  peut-il jouer un rôle s’agissant du capital de ces grands groupes, chez lesquels l’aspect financier semble prendre le pas sur la dimension industrielle ? Je poserai demain matin à M. Montebourg une question du même ordre sur la filière vinylique.

M. Francis Mer. Vous auriez tort de croire que Mittal n’a d’autre objectif que l’argent. Il a envie, à travers la sidérurgie, d’exister en tant que personne.

M. Gaby Charroux. N’est-ce pas un élève de Friedman ?

M. Francis Mer. Non : il veut sortir de l’anonymat, et il n’a jusqu’à présent pas trop mal réussi. Croyez-vous vraiment que le personnel d’Arcelor France ait plaisir à entendre les commentaires des représentants de l’État à propos de « leur » patron ? Que cela les aide à bien travailler ? Le comportement de l’État français vis-à-vis de Mittal est absurde ! Mittal veut combler ses pertes et retrouver la meilleure rentabilité possible, non pour l’argent, mais pour continuer de grandir. Il est à mes yeux l’archétype de l’entrepreneur qui prend des risques, qui ne réussit pas à tous les coups, qui se casse la figure, qui cherche en permanence à rebondir, parce que sa raison d’être est d’entreprendre : de construire et de reconstruire. Parti de zéro, il a bâti la première entreprise sidérurgique mondiale : ce n’est pas mal, même si son groupe est fait de bric et de broc puisqu’il a beaucoup acheté à mauvais escient. Il va continuer à entreprendre ; n’imaginez donc pas qu’il cherche à quitter l’Europe, car son but est de réussir partout, peut-être jusque dans son pays d’origine, ce qui suppose des fondements solides, notamment sur notre continent.

Le Brésil est un autre point d’appui. Avec Arcelor, Mittal y a récupéré une superbe usine. La performance sidérurgique brésilienne est la meilleure du monde : les salaires des ouvriers y sont encore inférieurs aux salaires français mais tous les ingénieurs des mines y ont été formés à la française, dans une école fondée par un Français venu de l’École des mines de Paris à la fin du xixe siècle et arrivé sur le site à dos de mulet !

Il est vrai que Mittal n’a guère de contacts avec le personnel et que l’ambiance chez Arcelor, d’après les échos que j’en ai, n’est pas très bonne, ce qui n’a rien d’étonnant. Les départs sont nombreux et l’on risque de perdre de la matière grise en France comme en Belgique. Voilà quel est le point faible d’Arcelor et voilà ce que l’État pourrait faire valoir auprès de Mittal.

En ce qui concerne Ulcos, du point de vue technique, il y faut du temps, un peu d’argent – l’industrialisation coûte cher, surtout dans un haut fourneau –, des expérimentations, mais l’on saura faire un jour. Car ce projet n’est pas propre à Mittal : il est mondial. Les Japonais, les Coréens, les Allemands, les Anglais, donc les Indiens, en sont partie prenante. Sera-t-il réalisé à Florange où le haut fourneau est plus petit que les autres ? Je n’en sais strictement rien. Mais il ne faut pas espérer développer de nouveaux procédés permettant de réduire les émissions avant d’avoir élaboré une réglementation internationale sur l’environnement, indépendante du marché et qui pourrait conduire à créer – faites-vous plaisir ! – une organisation internationale sur le modèle de l’OMC. Le marché, dont Bruxelles a bêtement cru qu’il savait tout, ne sait ni ne peut rien. Si Rhodia – dont j’ai été l’administrateur – a réussi à attirer Solvay pour former un beau groupe, c’est parce qu’il a bénéficié pendant plusieurs années, de manière tout à fait consciente et organisée, d’une subvention indirecte sous forme de concours européens générés par sa politique environnementale. Sans cet argent du CO2, il était out !

M. Michel Liebgott. En Allemagne, Saarstahl et consorts ont des niches et l’on sait qu’ArcelorMittal ne fermera pas car le conseil de surveillance n’entérinera pas la fermeture.

M. Francis Mer. L’avantage de l’Allemagne sur nous, surtout dans l’industrie, réside dans l’obligation, faite à toute entreprise à partir d’une certaine taille, de parvenir à un accord entre les représentants du travail et ceux du capital, dans l’intérêt de l’entreprise. Si l’Allemagne s’en sort mieux que nous, indépendamment de l’accès à des marchés d’exportation adaptés à son offre, c’est parce que ses entreprises sont régies non par la lutte des classes, mais par l’obligation légale de se mettre d’accord. Voilà une contrainte par le droit dont vous pourriez vous inspirer ! Grâce à elle, chacun fait d’incroyables progrès en apprenant à écouter l’autre et à trouver un intérêt commun.

Les usines Dunlop et Goodyear produisaient toutes deux des pneus au même endroit ; la CGT y était dans un cas « intelligente », dans l’autre décidée à montrer par A + B qu’elle avait raison ; on a vu le résultat. Comment mettre fin, en France et en Europe, à cette logique de confrontation dont il ne faut d’ailleurs pas blâmer les seuls syndicalistes, mais aussi et peut-être surtout les patrons ? Voilà en tout cas une suggestion pour sortir de l’ornière dans laquelle nous sommes.

Mme Martine Carrillon-Couvreur. En matière de formation, pourriez-vous nous citer des exemples de réussite sur lesquels l’Europe pourrait s’appuyer ?

M. Francis Mer. Vous devriez constituer une commission pour faire travailler des experts sur ce qu’il en est dans les entreprises allemandes, notamment en matière d’apprentissage tout au long de la vie. J’ai eu le plaisir de voir consacré en janvier par la négociation sur le marché du travail ce que je n’ai pas réussi à faire au Medef il y a douze ans. Quel dommage que l’on ait perdu dix ans, non à cause des syndicats, mais à cause des patrons ! « Vous n’y pensez pas, Monsieur Mer », m’avait ainsi déclaré l’un de leurs prétendus représentants ; « je ne vais tout de même pas dépenser de l’argent à former mes gars pour qu’ils partent chez le concurrent ! » Voilà la réaction du patron français. Quel raisonnement à courte vue ! « Mon cher », lui ai-je répondu, « si tous les patrons font de même en même temps, tout le monde sera formé et ce risque disparaîtra ! »

Cela étant, tout n’est pas parfait en Allemagne, loin s’en faut. Hartz IV, ce sont quatre millions de personnes qui gagnent deux fois moins que le SMIC français sans avoir le droit d’être au chômage ; ce n’est pas conforme à nos valeurs ni à celles de l’Allemagne, d’ailleurs. Mais un accord a été obtenu dans l’intérêt de l’entreprise et des Allemands, quitte à ce qu’il soit remis en cause ensuite – aujourd’hui – au nom du pouvoir d’achat des salariés.

Au-delà de la sidérurgie, vous avez un rôle à jouer : vous pouvez utiliser votre pouvoir de légiférer pour faire évoluer notre pays et ses entreprises en ce sens : ensemble, et non les uns contre les autres !

M. le président Jean Grellier. Merci, monsieur Mer.

Audition, ouverte à la presse, de MM. Philippe Darmayan, président, et Bernard Creton, délégué général, de la Fédération française de l’acier (FFA)

(Séance du mercredi 13 mars 2013)

M. le président Jean Grellier. Je vous prie de bien vouloir excuser le rapporteur de notre commission, M. Alain Bocquet, qui n’a pu nous rejoindre en raison des intempéries. Je m’efforcerai de relayer les questions qu’il avait l’intention de poser.

Nous accueillons aujourd’hui, M. Philippe Darmayan en sa qualité de président de la Fédération française de l’Acier (FFA), fonction qu’il occupe depuis 2007. J’avais pour ma part déjà rencontré M. Darmayan en octobre dernier dans le cadre de la préparation de l’avis de la commission des affaires économiques sur les crédits de l’industrie pour 2013. Il est accompagné par M. Bernard Creton, délégué général de la FFA.

L’organisation patronale de la sidérurgie a une longue histoire, du Comité des forges à la Chambre syndicale de la sidérurgie française, aujourd’hui disparue. Les phénomènes successifs de concentration ont eu pour effet de réduire le nombre des groupes sidérurgiques ayant des sites industriels en France et, par suite, les effectifs qu’ils emploient. Toutefois, la sidérurgie et les métiers qui lui sont liés restent une activité à fort impact économique, y compris dans la recherche et l’innovation industrielles. La FFA est membre du MEDEF, dont M. Darmayan préside par ailleurs le comité chargé des questions environnementales.

MM. Darmayan et Creton ont accompli leurs carrières dans l’univers de la sidérurgie et de la métallurgie. Après un début de carrière chez Framatome puis en tant que vice-président du groupe d’aluminium Péchiney, M. Darmayan a été membre du comité exécutif d’ArcelorMittal avant de rejoindre Aperam en qualité de directeur général. Ce groupe, qui est le deuxième producteur européen d’aciers inoxydables, possède des sites de production importants en France, à Gueugnon, en Saône-et-Loire, et à Isbergues, dans le Pas-de-Calais. Aperam est un groupe distinct d’ArcelorMittal ; il est coté en bourse mais la famille Mittal contrôle 40 % de son capital.

À cette occasion, je précise que le champ de notre réflexion dépasse évidemment le seul examen de la situation du groupe ArcelorMittal : il inclut tous les grands acteurs sidérurgiques mais aussi les industries de l’aluminium et du cuivre, conformément au souhait exprimé par l’Assemblée nationale lors de la discussion de la résolution visant à créer notre commission d’enquête.

J’informe également mes collègues que l’audition de M. Lakshmi Mittal a été fixée au mercredi 17 avril, comme l’intéressé vient de nous le confirmer par écrit. Il est important pour nous d’entendre le dirigeant du premier groupe sidérurgique en France et dans le monde. Sont par ailleurs prévues l’audition des représentants de l’Association française de l’aluminium le 20 mars et celle du groupe de réflexion sur l’avenir de la métallurgie en France le 27 mars. Notre commission prévoit de se déplacer sur le site de production d’aluminium de Saint-Jean-de-Maurienne, mais aussi en Lorraine, à Fos-sur-Mer et à Dunkerque.

Pour votre part, Monsieur Creton vous possédez une grande expérience de la normalisation et de la certification des produits sidérurgiques et métallurgiques. Vous présidez en outre un centre technique de promotion de l’utilisation des laitiers sidérurgiques. Vous pourrez donc nous parler de l’évolution des matériaux et des applications futures de l’acier.

Je vais vous donner la parole pour un exposé liminaire, puis les membres de la commission d’enquête vous interrogeront. Mais au préalable, conformément à l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter le serment de dire la vérité, rien que la vérité et toute la vérité.

MM. Darmayan et Creton prêtent successivement serment.

M. Philippe Darmayan, président de la Fédération française de l’acier. Permettez-moi de préciser, Monsieur le président, qu’Aperam possède également une usine de production d’alliages de nickel et de fer à Imphy, ainsi que des établissements à Pont-de-Roide et à Firminy.

Nous avons apporté à votre commission d’enquête une contribution écrite résumant les positions de la FFA et son analyse des grands enjeux auxquels la filière est confrontée.

L’acier en France emploie 55 000 personnes. Aux 27 000 sidérurgistes proprement dits, il faut étendre les emplois que représentent la transformation de l’acier pour fabriquer des barres à béton, des poutrelles, etc., et la distribution des produits. Les métiers sont très spécialisés, qu’il s’agisse de laminage, de production d’acier, de gestion des hauts-fourneaux, de transformation ou de fabrication pour des secteurs particuliers – automobile, construction… –, dans un contexte où les métiers de nos clients sont eux-mêmes en constante évolution.

À titre d’exemple, les nouvelles règles environnementales imposent que l’on produise des automobiles plus légères. L’acier doit être plus mince, mais tout aussi résistant pour répondre aux impératifs de sécurité.

L’industrie sidérurgique française, ce sont quinze groupes, pour la plupart internationaux, qui fabriquent tous les produits de l’acier à l’exception des poutrelles, dont la production est située de par l’histoire au Luxembourg : l’acier carbone, sous forme de produits plats et de produits longs, mais aussi les aciers spéciaux comme l’inox et les autres alliages, ou encore les tubes avec la société Vallourec, numéro un mondial du secteur.

De la longue tradition française de production d’acier, il reste donc des parties qui se situent parmi les plus spécialisées et les plus compétitives au monde.

Cette industrie nationale est intégrée dans le marché européen. La France produit 15 millions de tonnes d’acier par an et en consomme entre 13 et 15 millions de tonnes, mais 50 % de sa production est exportée et 50 % de sa consommation est importée. Il n’y a donc pas de sens à parler de la situation française si on ne la replace pas dans un contexte européen. Les frontières n’existent plus pour l’acier : la France est totalement intégrée dans l’Union.

Le processus remonte à la mise en place de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) dans les années 1950. Pour faire face aux crises, la CECA permettait de planifier « étatiquement » la réduction des capacités de manière à maintenir l’industrie de l’acier en vie. Ce mode de fonctionnement n’a plus cours dans le libre-échange actuel, mais il explique que l’industrie sidérurgique française soit devenue une industrie européenne.

Dans le marché européen, ArcelorMittal ne représente que 34 % de l’activité. Il est faux d’affirmer que ce groupe a le monopole de l’acier en France. Bien qu’étant le premier producteur français, il ne contrôle en rien le marché : c’est un producteur parmi d’autres.

L’acier irrigue l’économie réelle et est irrigué par elle. Ce serait une erreur de ne considérer que l’industrie automobile parmi ses débouchés. En effet, 34 % de l’acier est utilisé par le secteur de la construction, 18 % par l’industrie automobile, 14 % par la mécanique, 14 % par l’industrie de transformation du métal et 12 % par l’industrie des tubes qui elle-même alimente ensuite la construction, l’automobile et la mécanique.

Le segment automobile est important, notamment depuis l’époque où Usinor et Sacilor ont mis en place avec les constructeurs une stratégie pour alléger les véhicules grâce à des aciers de grande technicité, mais il n’est pas le seul à l’être. On ne peut produire 15 millions de tonnes d’acier avec ce marché pour unique perspective.

Les autres marchés sont dispersés et reposent sur des caractéristiques techniques beaucoup plus communément répandues dans le monde. Les produits sont alors appelés « commodités ». Les grands groupes sidérurgiques comme ArcelorMittal, Aperam ou Vallourec ne peuvent concentrer leur production sur des spécialités : il leur faut produire une gamme comprenant à la fois les commodités et les spécialités. Un haut-fourneau produit de l’acier en grande quantité. Si on limite la production à quelques spécialités, il devient impossible d’amortir les frais fixes.

Bref, si l’aspect technique des spécialités est important, il est impératif de faire aussi porter l’effort sur la compétitivité et le prix de revient puisque le marché européen, au niveau des prix, est lui-même intégré dans le marché mondial. Tant sous l’angle de la compétitivité que sous celui des prix, l’industrie de l’acier est une industrie de commodités. Lorsque les marchés s’effondrent, il faut, comme la CECA pouvait le faire, ajuster les capacités à la demande. Produire quand il n’y a pas de demande ne sert à rien, sinon à faire baisser les prix et à rendre les sociétés non rentables.

Or la conjoncture est mauvaise. Comme l’a très bien expliqué M. Pascal Faure devant votre commission, deux crises se sont succédé. Celle de 2008 entraîne une baisse de la demande de l’ordre de 40 %. Des mesures d’urgence ont été prises pour fermer des hauts-fourneaux et réduire la production. La crise de 2011 est intervenue après une légère remontée à 20 % en dessous de la production de 2007-2008. Le sentiment s’installe que la crise est de longue durée et que la surcapacité, au plan mondial, est de 20 à 25 %. Il faut donc prendre des mesures structurelles pour ajuster la capacité, ne pas mettre sur le marché des volumes inutiles et maintenir un certain niveau de prix.

Tous les groupes ont mené cette stratégie. Ils ont décidé de charger complètement les sites les plus compétitifs et d’arrêter les autres ou de les mettre sous cocon, le choix entre ces deux dernières solutions étant déterminé par la vision de long terme que la société peut avoir des possibilités de reprise.

Dans un marché de commodités, il faut être compétitif. L’entreprise ne pouvant garder les frais fixes que le prix du marché ne lui permet pas de payer, elle doit optimiser son dispositif industriel.

Dans le cas d’Aperam, nous avions deux lignes de laminage à froid à Isbergues. Celle qui est totalement automatique et capable de résister à la concurrence internationale a été maintenue, l’autre a été mise sous cocon. À Gueugnon, nous avons mis deux des six laminoirs sous cocon. L’industrie de l’acier ne peut maintenir des capacités alors qu’elle est dans l’obligation d’avoir un cash-flow positif à la fin du mois pour financer l’entretien, les investissements, etc.

La crise est durable. Comme l’a dit le Président de la République, une des clés de sa résolution est le retour à la croissance. On n’en est pas là. Tant que la construction et l’automobile, qui représentent respectivement 34 et 18 % de nos marchés, ne repartent pas, nous sommes obligés de nous adapter à la situation. Il serait irresponsable de ne pas le faire.

De plus, la conjoncture des groupes sidérurgiques est affectée par un transfert des marges : depuis 2010, les industries minières ont augmenté les prix des matières premières tandis que le prix de l’acier stagnait ou baissait, d’où un squeeze qui a affecté les marges.

Dans ce contexte, aucune stratégie n’est a priori la bonne. Certains de nos adhérents mènent une stratégie d’intégration, d’autres tentent de faire jouer la concurrence pour enrayer la hausse des matières premières. Au Brésil, Vallourec et Aperam exploitent du charbon de bois pour fabriquer leur acier. ArcelorMittal, quant à lui, a décidé de s’intégrer partiellement afin de produire la moitié des matières premières nécessaires à sa production. La stratégie de Posco à l’international n’est pas différente, qu’il s’agisse du nickel ou du minerai de fer.

De 1970 à 2008, la production française d’acier demeure relativement stable malgré la baisse très importante des effectifs. Ces efforts constants pour réduire les coûts et améliorer la productivité ont permis à notre industrie de rester à un haut niveau.

Toutes ces évolutions, j’y insiste, correspondent à des stratégies de long terme. Dans le contexte d’organisation planifiée de l’après-guerre, de grands ingénieurs du corps des Mines ont défini la sidérurgie que nous connaissons aujourd’hui : création d’une sidérurgie en bord de mer à mesure que nos mines s’épuisaient, ou encore la spécialisation des sites historiques du centre de la France (Le Creusot, Gueugnon, Imphy) et de Lorraine dans des produits à haute valeur ajoutée.

M. Francis Mer a retracé devant votre commission l’histoire de ces fusions et de ces rationalisations qui ont permis de réduire les frais fixes et de maintenir l’essentiel.

Nous nous trouvons aujourd’hui dans une situation analogue. La conjoncture est mauvaise, je l’ai dit, et la surcapacité mondiale est importante non seulement parce que le marché a baissé mais aussi parce que la production chinoise a augmenté. Alors que l’Europe produit annuellement 169 millions de tonnes d’acier, la Chine en produit environ 720 millions. Dans ce pays à l’économie planifiée, la production augmente chaque année de l’équivalent de celle d’ArcelorMittal. La demande continue de croître, certes, mais à un moindre rythme.

Les décisions de restructuration, de mise sous cocon ou d’arrêt sont donc indispensables. Nous devons les prendre avec le plus de pertinence possible.

L’industrie sidérurgique française et européenne souffre d’abord de coûts élevés.

M. Faure a estimé qu’il serait préférable d’avoir, comme ThyssenKrupp, tous nos œufs dans un même panier. Le regroupement sur un même site serait idéal pour réduire les frais fixes. Il est cependant impossible pour des raisons historiques. Nous ne voulons pas perdre les compétences dont nous disposons dans chacun de nos sites, d’autant que ce serait socialement inacceptable. Du reste, il n’est pas certains que les frais fixes ne connaissent pas une croissance exponentielle dès lors que l’on dépasse une certaine taille.

Nos installations sont dispersées, elles sont aussi plus âgées que celles des Asiatiques. Les usines que leur livrent des entreprises européennes comme Siemens VAI sont à l’état de l’art.

L’enjeu est donc, tout à la fois, de mener des restructurations pour réduire la dispersion tout en respectant les compétences locales, et d’investir pour moderniser nos équipements en sélectionnant les usines que nous voulons garder et en concentrant sur elles nos efforts pour assurer leur compétitivité.

Si l’usine de Dunkerque n’est pas forcément, comme on vous l’a dit, la plus compétitive d’Europe, elle figure du moins, avec celle de Gand, dans les tout premiers rangs. C’est un atout pour la France. Je me demande à cet égard si l’on ne s’est pas trompé de bataille. Je l’ai dit à M. Faure et je vous le répète : l’enjeu majeur, c’est le maintien des sites de Dunkerque et de Fos-sur-Mer.

Les coûts de production tiennent aussi à des prix de l’énergie élevés, à une législation du travail rigide et à l’effet négatif du taux de change euro-dollar.

Bref, dans le secteur de l’acier comme dans le reste de l’industrie, il existe un problème de compétitivité. Notre fédération a participé aux débats qui ont conduit le Gouvernement à retenir la compétitivité comme un élément essentiel du maintien de l’industrie en France. C’est particulièrement vrai pour l’acier, qui est une industrie lourde et où les coûts sont particulièrement importants.

Par ailleurs, nous évoluons dans un environnement européen ouvert sur le monde sans réciprocité. De façon un peu masochiste, l’Europe est le champion du libre-échange face à une multitude de systèmes protectionnistes où aides d’État, avantages fiscaux et pratiques commerciales inéquitables se cumulent. Dans les discussions qui se tiennent au sein de l’Organisation mondiale du commerce, notamment, nous devons apprendre à nous défendre. Les États-Unis y parviennent mieux que nous et le ministre Montebourg a raison d’y insister : non seulement l’Europe doit défendre les consommateurs, mais elle doit aussi savoir définir et défendre ses champions industriels.

Enfin, l’Union européenne dispose de peu de matières premières. Nous resterons dépendants des importations et cette vulnérabilité doit nous amener à soutenir les sites de bord de mer et à maintenir une stratégie d’approvisionnement pour les métaux nécessaires à la production des aciers de spécialité, tels le magnésium, le manganèse, le cobalt, etc. À titre d’exemple, les taxes à l’exportation que la Chine applique sur le chrome permettent à ses industriels de l’inox de bénéficier de prix moins élevés que les nôtres.

J’en viens aux réponses qu’il convient d’apporter à ces enjeux.

Au niveau européen, le commissaire Antonio Tajani a lancé conjointement avec l’association Eurofer un travail global sur la structure de l’industrie de l’acier. Des mesures concrètes seront proposées en juin prochain. L’heure n’est plus à une gestion commune autoritaire des surcapacités comme le faisait la CECA : il revient désormais à chaque entreprise de prendre les engagements locaux qui s’imposent. En revanche, le système de taxation des émissions de CO2 doit prendre en compte les difficultés de croissance, de prix, de compétitivité et de marges des entreprises sidérurgiques. Alors que les climaticiens veulent que les émissions de CO2 issues de la production d’acier baissent encore de 50 %, nous estimons que notre potentiel est de seulement 10 %. Il est important que ce débat soit mené à son terme.

Pour ce qui est des prix de l’énergie, les politiques sont très différentes en Allemagne, en Italie, en Belgique et en France. L’Allemagne privilégie l’industrie et fait payer le consommateur particulier. La France, dont le système productif est compétitif, a fait un choix plus égalitaire. Il conviendrait d’harmoniser cette situation d’inégalité entre industries sidérurgiques au sein de l’Union européenne.

Même chose pour ce qui est des dispositions afférentes aux échanges commerciaux. La France et l’Europe doivent combattre l’entrée de la Chine dans le libre-échange tant que ce pays n’aura pas adopté les pratiques de l’économie libérale. Sinon, nous n’arriverons jamais à résister à l’attaque chinoise.

Au niveau français, le soutien apporté par M. Montebourg à l’initiative du Commissaire Tajani est très positif. Plusieurs axes méritent réflexion.

D’abord, toute mesure de soutien à la croissance nous sera favorable, s’agissant en particulier de la construction et de l’automobile.

De même, les actions visant à contrecarrer un euro trop fort servent l’industrie de la mécanique, donc la sidérurgie.

S’agissant des mesures destinées à soutenir la compétitivité française, la FFA participe aux prises de positions du MEDEF et du Groupe des fédérations industrielles (GFI). En tant qu’industrie lourde, nous devons faire face à des contraintes spécifiques liées, premièrement, au prix et à l’efficacité du fret ferroviaire – nous suivons donc avec beaucoup d’attention les efforts de restructuration de la SNCF et l’ouverture du marché du fret –, deuxièmement, au prix de l’énergie et à la nécessité de définir une tarification spécifique pour les électro-intensifs, afin que notre activité de long terme bénéficie des investissements qui assurent le devenir de nos sites.

Je pense aussi qu’il ne faut pas refuser les restructurations mais les gérer avec compréhension et sans anathème. De notre part, cela suppose des efforts d’explication et de transparence ; de la part des politiques, cela suppose un effort de compréhension des enjeux généraux.

Nous aurions intérêt, par exemple, à mener un travail commun sur la gestion prévisionnelle des emplois. Notre secteur est en effet bien particulier tant par les compétences qu’il exige que par sa pyramide des âges, assez déséquilibrée par les plans sociaux successifs. Je me suis entretenu de ce sujet avec le ministère du redressement productif dans le cadre de la conférence nationale de l’industrie. La question n’est pas de refuser les restructurations mais de les gérer de façon prévisionnelle, avec toutes les implications que cela peut avoir sur les dispositifs de formation propres à nos métiers et sur les moyens d’en renforcer l’attractivité auprès des jeunes.

Il serait également opportun de réfléchir à un engagement de bonnes pratiques en matière d’évolution des réglementations environnementales. Nous aimerions avoir le soutien français lorsque nous nous battons au sein de l’Europe pour que l’on fasse preuve d’un peu plus de raison et que l’on intègre les contraintes du secteur sidérurgique dans la lutte contre le changement climatique, notamment dans le traitement des quatre dossiers clés pour 2014.

Enfin, nous devons favoriser ensemble la recherche et développement, qu’elle concerne les marchés ou qu’elle concerne l’environnement. C’est un axe de long terme particulièrement important.

M. Bernard Creton, délégué général de la Fédération française de l’acier. Comme président du centre technique et de promotion des laitiers sidérurgiques et comme délégué général de la FFA, j’attire aussi l’attention de votre commission sur le rôle essentiel de notre secteur dans ce qu’il est convenu d’appeler l’« économie circulaire » : le secteur, en particulier la filière électrique, qui représente 40 % de la production d’acier brut en France contre 60 % pour la filière fonte, recycle chaque année près de 9 millions de tonnes de ferraille. L’acier, vous le savez, est recyclable à l’infini, et nous le recyclons effectivement dans nos usines.

Notre secteur gère également les coproduits qu’il élabore. Nous valorisons ainsi les laitiers sidérurgiques issus des hauts-fourneaux ou des aciéries électriques sous forme de granulés moulus additionnés aux ciments ou comme matériau de construction des routes.

Bref, la préoccupation environnementale est très présente dans notre secteur.

M. le président Jean Grellier. J’en viens aux questions de notre rapporteur.

Dans le cadre du plan européen consacré à l’acier, comment envisagez-vous la transposition du droit communautaire ? Je précise que notre commission d’enquête entendra le commissaire Tajani à ce sujet.

Quelles réorientations l’Association mondiale de l’acier peut-elle en mesure de définir, en dépit de la vive concurrence qui oppose les pays producteurs ? Peut-on espérer qu’elle apporte plus de cohérence dans les normes économiques et environnementales ?

Où en est la recherche dans les principaux groupes français et européens ? Permettra-t-elle un développement durable du secteur de l’acier ?

Quel est le poids économique des négociants en acier, dont l’union syndicale est affiliée à votre fédération ? Souffrent-ils autant que les producteurs en période de crise de la demande ? Gagne-t-on mieux sa vie dans le négoce que dans la fabrication ? Quels sont les grands opérateurs du domaine ?

En matière sociale, dans quelles proportions la filière recourt-elle au chômage partiel ? Comment maîtrise-t-elle les baisses d’activité ?

Permettez-moi d’ajouter une question. Au sein du Conseil national de l’industrie (CNI), l’acier a une position transversale : il touche au ferroviaire, à l’automobile, etc. Dès lors, quelle place la sidérurgie peut-elle prendre dans les filières stratégiques ?

M. Philippe Darmayan. La France participe à l’élaboration des directives, puis elle les transpose. Elle peut prendre des positions « en pointe » dans chacune de ces phases. C’est ce que j’appelle le syndrome de la Révolution française. Sous le précédent gouvernement, le Ministre Borloo a tiré argument de la baisse des émissions de CO2 consécutive au ralentissement de l’activité pour proposer un durcissement des contraintes. Compte tenu du poids de la France au sein de l’Union européenne, ces positions de pointe ont une forte influence !

Tout en gardant un objectif clair de baisse des émissions de CO2, je pense qu’il faut adapter le timing de la réglementation à la réalité de la crise que nous traversons.

M. Bernard Creton. De même, il n’y aura sans doute pas de compensation pour les industriels électro-intensifs en France alors qu’il en existe une en Allemagne. On peut regretter ce désavantage concurrentiel entre partenaires européens.

M. Philippe Darmayan. En matière de lutte contre le changement climatique, la France est plus en pointe que la moyenne européenne. Cela fait partie des sujets qui se posent à l’industrie de l’acier.

Prenons le projet Ulcos (ultra-low carbon dioxide steelmaking), initiative stratégique de long terme lancée par Guy Dollé en 2004-2005 pour réduire de 50 % les émissions de CO2. L’industrie européenne tout entière s’est fédérée pour trouver des solutions. Sur les quatre-vingts projets examinés, on en est maintenant à trois ou quatre, dont celui que l’on voulait expérimenter à Florange. Mais aucun ne peut être qualifié de no regret move, c’est-à-dire de changement ne détériorant pas la compétitivité : quel que soit le projet retenu, celle-ci se trouvera dégradée de façon importante. Par exemple, l’injection de CO2 dans le sol coûte 100 euros par tonne alors que le prix de l’acier est à 500 euros. Si nous adoptons ce procédé uniquement en France, sans être suivis au plan mondial, nous mourrons. Non qu’il faille abandonner cette perspective : il convient au contraire de poursuivre les recherches pour en faire un no regret move, soit que les techniques pour réduire les émissions de 50 % permettent de rester compétitif, soit qu’un consensus mondial s’établisse autour de tels engagements.

ArcelorMittal s’est engagé à poursuivre la recherche jusqu’à l’horizon 2016. C’est une bonne chose, mais n’allons pas plus vite que la musique : il faut tenir compte de la crise que connaît le système productif.

Le commissaire Tajani comprend la nécessité de marier la défense du consommateur et la promotion de champions industriels. Cette écoute est importante, reste à savoir si elle aboutira à des décisions concrètes. Étant donné la répartition des compétences, nous devons travailler également avec le commissaire à l’action pour le climat. Nous comptons sur l’appui du ministre pour arriver à des mesures concrètes.

L’Association mondiale de l’acier peut jouer un rôle dans l’élaboration d’un consensus sur la réduction des émissions de CO2 par l’industrie sidérurgique. Deux méthodes sont possibles : soit on impose de façon autoritaire un certain pourcentage de réduction, soit on se fonde sur le benchmark pour définir les meilleures pratiques mondiales. À l’évidence, l’Association mondiale de l’acier est à même de mener cette seconde politique.

La recherche dans notre domaine est plus européenne et mondiale que française. Mais les centres de recherche situés en France jouent un grand rôle dans les groupes internationaux, qu’il s’agisse de ceux d’ArcelorMittal à Maizières-lès-Metz et à Montataire, de celui d’Aperam à Isbergues, de celui de Vallourec ou, pour l’aluminium, de celui de Voreppe. Les capacités intellectuelles y sont considérables et ils ont beaucoup de réalisations à leur actif. Le centre de Montataire, par exemple, a permis toutes les avancées en matière d’automobile, en liaison avec celui de Maizières-lès-Metz.

La France dispose en outre d’universités et d’universitaires de très grand talent. La matière existe. On ne peut que la développer, tant sous l’aspect des marchés que sous celui du développement durable.

En matière de négoce, les principaux acteurs sont ArcelorMittal et Klöckner, suivis par un grand nombre de plus petites structures. Les prix étant à la baisse, les négociants souffrent également. On assiste à de nombreuses restructurations et fermetures dans ce secteur qui, d’une certaine manière, réalise ainsi sa modernisation. La répartition des sites correspondait à un réseau routier rudimentaire. Après les progrès considérables effectués dans ce domaine, il est clair que le rayon d’action d’un marchand de fer s’étend. ArcelorMittal dispose de sites importants à Reims, à Yutz et à Saint-Nazaire, Klöckner à Paris. Les restructurations en cours permettent un rayonnement plus large. Dans ce business model, les usines livrent les grands clients, notamment ceux de l’automobile, tandis que le négoce approvisionne les marchés plus diffus, notamment celui de la construction. Le marché de la mécanique est dans l’entre-deux : les grands mécaniciens comme les fabricants de remorques de camions peuvent être livrés en direct, mais si un producteur n’a pas la capacité de couper l’acier, il s’adresse au négoce.

Je ne peux apporter de réponse globale à votre question sur le chômage partiel. Chaque entreprise est dans une situation particulière. En règle générale, les politiques d’emploi dans le secteur sont marquées par une très grande prudence. Nous nous efforçons d’avoir une flexibilité nous permettant de faire face à des baisses de charge de 10 à 15 %. La structure de la pyramide des âges et le recours à l’intérim permettent d’éviter le chômage partiel en dehors des crises. Il y a eu des périodes importantes de chômage en 2008. Aujourd’hui, il n’existe pas de préoccupation majeure en la matière, ce qui permet aux groupes qui restructurent de reclasser l’ensemble des personnels.

Pour ce qui est du CNI, ce n’est trahir aucun secret que d’affirmer que le ministre souhaite y créer une filière incluant la sidérurgie, l’aluminium, le ciment et le verre. Nous soutenons cette idée à laquelle le cabinet travaille.

M. Bernard Creton. Ce treizième comité stratégique de filière sera intitulé « industries extractives et de première transformation ».

M. Michel Liebgott. La sidérurgie du futur passe-t-elle par Ulcos ? Votre réponse à cette question est double : oui, parce qu’il faut avoir cette préoccupation ; non, parce que cela coûterait très cher – environ 20 % du coût de la tonne, chiffre que j’entends d’ailleurs pour la première fois.

Les projets d’Eisenhüttenstadt et de Florange ne sont qu’expérimentaux. On n’en est pas à la phase industrielle et, de moins point de vue, on ne saurait les remettre en cause. Il y a sans doute des producteurs, en Chine et ailleurs, qui émettent encore quatre tonnes de CO2 pour une tonne d’acier alors que les Français sont plus performants. C’est un débat mondial auquel nous devons prendre part.

J’ajoute qu’Ulcos réunit quarante-huit partenaires et non pas deux ou trois grands groupes seulement.

La mise sous cocon des hauts-fourneaux en Lorraine a-t-elle du sens sans le projet Ulcos ? J’ai cru comprendre que le Président de la République envisageait la poursuite du projet. Quoi qu’il en soit, cela peut se faire ailleurs qu’à Florange et beaucoup le savent.

Alors que les prix baissent, le repreneur de Florange se disait à même, après remise à neuf des hauts-fourneaux, de proposer des prix inférieurs au marché, laissant entendre que les prix sont encore trop élevés. Je rappelle que le montage se faisait avec Duferco et non pas avec Severstal, même si ce dernier pouvait y participer.

En matière d’aciers électriques, la CGT suggère le lancement d’un projet à Gandrange et la région Lorraine y est favorable. La sidérurgie n’a pas disparu de la ville, puisque le laminoir à couronnes et barres (LCB) fonctionne toujours très bien. L’aciérie électrique vous paraît-elle être une voie d’avenir ?

Comme vous l’avez dit, l’industrie de l’acier est cyclique et doit conjuguer production en masse et production de niche. Alors qu’Arcelor voulait abandonner la production de rails, nous avons montré en Lorraine qu’il était possible d’investir intelligemment – et ce grâce à Tata Steel – pour conserver des emplois et une activité qui paraissait condamnée.

Vous avez insisté sur les sites de Fos-sur-Mer et de Dunkerque. Certes, la sidérurgie continentale souffre de quelques handicaps mais les constructeurs automobiles qui achètent nos produits, notamment les constructeurs allemands, ne sont pas très éloignés de la Lorraine. Vous le voyez, nous avons aussi des atouts !

M. Hervé Gaymard. La production des aciers spéciaux est moins importante, en tonnage, que celle des aciers plats et des aciers longs. Comment voyez-vous l’avenir de ce secteur en France ?

Mme Martine Carrillon-Couvreur. Ma circonscription est également concernée par les aciers spéciaux. Vous avez évoqué à plusieurs reprises les sites spécialisés, en les comparant peu ou prou avec les grands sites de bord de mer. Comment voyez-vous leur avenir et quels sont leurs atouts ?

Au fil de ces années difficiles, on a pris conscience des savoir-faire et des compétences existants, ainsi que de la renommée de ces sites. Néanmoins, l’évolution du marché mondial pourrait faire surgir de nouvelles difficultés. Qu’en pensez-vous ?

Les grands projets d’infrastructures que vous avez évoqués sont très importants pour les territoires éloignés. Comment avancent les discussions sur ces sujets ? Fait-on bien le lien entre les enjeux ? On le sait, il est impossible de maintenir une industrie de haut niveau sans la mise en œuvre, en parallèle, de projets d’organisation du territoire.

Très complète, votre présentation de la situation ne laisse pas d’inquiéter. Les choses évoluent très vite. Malgré les efforts constants réalisés dans ce secteur, nous sommes confrontés à des concurrences difficiles. Quels éléments pourraient nous rassurer sur l’avenir des entreprises implantées en France ?

Mme Édith Gueugneau. Étant l’élue d’une circonscription de Saône-et-Loire proche de Gueugnon, je souhaite vous interroger sur la stratégie des industriels concernant les installations âgées et coûteuses. Des programmes de rénovation sont-ils envisagés ?

Par ailleurs, quel est votre engagement en matière de formation des professionnels ? C’est une des conditions de l’innovation et de la compétitivité de nos entreprises. Les contrats de génération, que nous avons votés récemment, visent à donner de l’avenir à notre jeunesse sur notre territoire. Quel regard portez-vous sur cette mesure ?

M. Philippe Darmayan. L’initiative Ulcos a été prise à temps. Elle est formidable et l’objectif de baisser les émissions de CO2 est partagé par l’industrie. L’engagement d’ArcelorMittal de poursuivre le projet malgré l’échec de la première phase est un point important.

Mais une inquiétude s’est fait jour : depuis quelques années, on a donné à ce projet global et mondial un horizon d’attente local très fort qui ne correspond pas à son timing. Pour autant, il faut continuer. Certains des quatre-vingts projets sont futuristes, mais nous finirons par trouver une solution.

Une des méthodes envisagées actuellement, la séparation du gaz sortant du haut-fourneau pour réinjecter du potentiel carbone calorifique, est enthousiasmante. Il reste des problèmes techniques à régler mais je ne suis pas inquiet à ce sujet.

Quant à l’injection du CO2 dans le sous-sol, c’est un sujet national. Aucune grande étude n’a été lancée, dans le cadre de la « gouvernance à cinq » du Grenelle de l’environnement, pour déterminer si cette technique pouvait être acceptée. Ne mettons pas la charrue avant les bœufs. Nous savons que le procédé est faisable même si des problèmes techniques et environnementaux se posent encore – à cet égard, l’engagement de trois ans d’ArcelorMittal pour y travailler me paraît bien proportionné. Mais il ne faudrait pas qu’une attente sociale de très court terme interfère avec ces questions techniques. Nous devons garder raison pour ce qui est du planning.

M. Bernard Creton. Un tel projet ne pourrait entrer dans sa phase d’industrialisation que dans les années 2030, monsieur Liebgott. Ce n’est pas demain !

M. Philippe Darmayan. Concernant Florange, M. Mittal s’exprimera devant vous.

Concernant les annonces de Duferco dont j’apprends aujourd’hui que c’était l’acheteur potentiel, il est facile, lorsque l’on achète un haut-fourneau pour rien, sans avoir à apporter de capital et sans devoir amortir quoi que ce soit, de faire des prix ! Duferco, qui par ailleurs a arrêté ses installations de Charleroi, peut en effet profiter d’une aubaine. Je rappelle néanmoins la problématique : la capacité de production est confrontée aux besoins du marché et, en l’occurrence, c’est le marché qui commande. La question, ce n’est pas celle de Florange ou de Liège : c’est celle de la réduction de la capacité. L’idée d’ArcelorMittal était d’exploiter jusqu’à saturation les installations ouvertes et de fermer ou de mettre sous cocon les autres. Il s’en est suivi une analyse assez longue des unités présentes en Europe, en fonction des histogrammes de coût, etc. Des fermetures sont intervenues en Pologne et dans d’autres pays. Nous n’avons rien contre Florange. Le fait est que la production européenne est trop importante et qu’il faut la limiter. Il ne sert à rien de donner les installations à un concurrent qui, n’ayant rien à amortir, s’empressera de casser les prix et de pénaliser l’ensemble du marché. Un marché de commodité n’est pas un marché de spécialité : une baisse de prix y produit un impact sur la totalité du marché.

À mon avis, c’est cela qui n’a jamais été vraiment compris en France s’agissant de la fermeture de Florange. Il ne s’agit pas d’une décision dirigée contre ce site ou d’une négation de ses qualités, mais de la constatation qu’il y a trop de capacités de production et de la volonté de saturer les sites ouverts plutôt que de répartir la misère. La décision stratégique a été difficile à prendre.

Du reste, la question remonte au temps de M. Dollé, qui avait programmé la fermeture des sites de Liège et de Florange. À son arrivée, M. Mittal a bien entendu exploité les installations qu’il avait reprises ; puis la crise est survenue. Il s’agit d’un enchaînement, il ne faut y voir aucun projet machiavélique. Nous sommes dans une économie donnée et nous devons nous y adapter car il y va de la santé de nos entreprises.

M. Bernard Creton. C’est en effet la situation du marché qui explique Gandrange. Le marché actuel est relativement déprimé et n’a pas besoin de capacités de production. Même en l’absence de la phase à chaud de Florange, la capacité de production en France – 17,5 millions de tonnes – dépasse les besoins du marché, qui se situent entre 13 et 15 millions de tonnes. Monter une aciérie électrique à Gandrange n’a pas de sens industriel.

M. Philippe Darmayan. J’en viens aux marchés de niche. S’il subsiste des installations de finition à Florange, dans le Massif central ou à Nantes, c’est que ces sites sont de taille plus réduite. Il est possible de les spécialiser en amortissant les frais fixes sur des volumes moindres. Nous parvenons à rendre compétitifs par exemple Imphy, qui emploient environ 700 personnes, de par les compétences présentes. La phase à froid de Florange a une vocation dans le domaine de l’automobile notamment, de même que Liège a une vocation en matière d’acier galvanisé. Les capacités des lignes de laminage à froid sont moindres que celles des hauts-fourneaux, qui doivent produire 4 à 5 millions de tonnes pour être compétitives contre 700 000 à 1 million de tonnes pour un four électrique. Une installation de laminage à froid tournera également autour de 700 000 ou 1 million de tonnes. Ces volumes peuvent même être réduits si l’on monte en gamme dans les alliages.

Il est par ailleurs indispensable de renouveler les installations âgées afin que chaque site soit à l’optimum des capacités voulues par le marché. Nous avons ainsi remplacé les deux lignes de traitement du métal dont nous disposions à Gueugnon, d’une capacité de 100 000 tonnes chacune, par une ligne unique produisant 300 000 tonnes.

Pour ce qui est des aciers spéciaux, Aperam produit 500 000 à 600 000 tonnes d’inox et 40 000 tonnes d’alliage nickel, Ascométal, présent à Dunkerque et à Fos-sur-Mer produit 850 000 tonnes d’acier allié ou non allié, tandis qu’Eramet, via sa filiale Aubert & Duval, produit 90 000 tonnes et 200 000 tonnes sur le site d’Ugine, dans les Alpes.

La rentabilité de ces sites est variable et dépend des marchés. Les activités liées à l’aéronautique, au pétrole et au gaz sont aujourd’hui très rentables et permettent des investissements. Nous avons installé à Imphy une batterie de fours et nous prévoyons des développements sur ce site l’année prochaine. Ugitech est également profitable, et Aubert & Duval a réalisé des investissements importants dans sa capacité de production d’alliages.

Ces activités relèvent moins des commodités, donc elles sont moins dépendantes de la crise économique générale, mais elles sont très liées aux deux marchés que j’ai mentionnés.

M. Bernard Creton. A contrario, Ascométal souffre en raison de ses débouchés, l’automobile et la mécanique. Sa production a largement baissé en 2012.

M. Philippe Darmayan. Aperam souffre aussi. Les problèmes de l’acier carbone se retrouvent dans l’acier inoxydable, avec une croissance de la production chinoise disproportionnée par rapport aux besoins. Le marché continue de croître mais il est nécessaire de résorber les capacités au plan mondial. Cette résorption se fait par des fusions telles que celle entre ThyssenKrupp et le groupe finlandais Outokumpu, qui s’est engagé à réduire la capacité des usines allemandes. Aperam estime que c’est favorable à l’attractivité de l’industrie. Pour le moment, notre société a le meilleur résultat parmi ses concurrents mais elle continue de perdre de l’argent en résultat net.

En conséquence, je crains de ne pouvoir rassurer les élus au sujet de la sidérurgie. Notre activité n’est que le reflet du marché. Nous pensons que seule la compétitivité garantit la durabilité et la pérennité de nos industries. Toute notre action vise à rechercher des baisses de coûts et à adopter les meilleures pratiques. Dans le contexte déprimé que nous connaissons, nos investissements sont essentiellement tournés vers la baisse des coûts.

En matière de politique sociale, nous nous efforçons d’anticiper ces réductions de coût dont l’ordre de grandeur est de 5 à 7 % par an. Notre objectif est de suivre la meilleure stratégie de valeur possible en maximisant les spécialités et en minimisant les commodités, sachant qu’il nous faut de toute façon produire des commodités de manière compétitive. Dans le cas d’Aperam, nous en sommes à 35 % de spécialité et à 65 % de commodités. ArcelorMittal, qui a la chance d’avoir le marché automobile, va peut-être un peu au-delà.

Mais la stratégie globale est la même : réduire les coûts pour être compétitif, placer le point mort aussi bas que possible de façon à rester sur le marché sans perdre d’argent, mener une gestion sociale prévisionnelle et prudente, permettant de valoriser au mieux les contrats que nous passons avec nos employés. D’aucuns la jugeront prudente. C’est pourtant la base pour une industrie lourde qui n’a que peu de moyens d’action sur l’économie générale qui irrigue ses métiers.

En matière d’infrastructures, Fret SNCF continue de poser question. Pour le reste, le réseau français est performant pour peu que l’on achève certaines liaisons routières. Le coût d’un embranchement fret vers Gueugnon se révèle trop élevé tant pour la collectivité que pour l’entreprise, mais nous avons reçu un soutien important du Gouvernement lorsque celui-ci a autorisé les poids lourds de 40 tonnes entre Digoin et Gueugnon. D’une manière générale, l’écoute des pouvoirs publics est bonne.

M. Philippe Baumel. Je suis pour ma part député du Creusot.

Vous avez évoqué à plusieurs reprises la distorsion entre les systèmes allemand et français du prix de l’énergie. Que faire pour la corriger ?

Comme vous l’avez dit, la CECA a permis de planifier sur environ trente ans la montée en puissance de l’acier en Europe. Ne serait-il pas possible aujourd’hui, à la faveur de la crise, de mettre autour de la table au moins quelques pays européens pour envisager une forme de planification ? Il est du devoir des entreprises, selon vous, de prendre en charge les difficultés liées à la surproduction, mais pourront-elles le faire jusqu’au bout sans une vision globale ?

M. Philippe Darmayan. Des discussions sont en cours avec le Gouvernement et Mme Batho au sujet des prix acquittés par les électro-intensifs. À n’en pas douter, le débat sur la transition énergétique mettra en exergue la différence de stratégie entre la France et l’Allemagne. J’espère que nous parviendrons à une solution qui ne mette pas notre pays en position défavorable. L’écoute du Gouvernement, me semble-t-il, est très forte.

L’Allemagne a décidé d’abandonner le nucléaire au profit des énergies fossiles et renouvelables. Le coût de son énergie s’élevant à 80 euros par mégawattheure contre 40 euros en France, elle a mis en place un dispositif permettant à son industrie de ne pas être désavantagée. En France, j’ignore quel scénario de transition énergétique on retiendra, mais je souhaite qu’il se fonde sur les différentes réalités industrielles et techniques. Nous devons asseoir notre activité sur la production réelle et non sur les seules systèmes de tarification.

Pour ce qui est de l’action européenne, il faut poser la question au commissaire Tajani. Dans le contexte de libre-échange qui prévaut aujourd’hui, j’imagine mal que l’Union européenne puisse légiférer sur le sujet. Elle peut, certes, réunir tous les industriels autour de la table, mais il est évident que seuls les plus gros pourront baisser leurs capacités.

M. le président Jean Grellier. Merci pour la précision de vos réponses.

Audition, ouverte à la presse, de Mmes Béatrice Charon, présidente
de l’Association française de l’aluminium (AFA) et Caroline Colombier, déléguée générale de l’AFA, et de M. Olivier Dufour, directeur « Affaires externes » (France/EU) de
Rio Tinto Alcan

(Séance du mercredi 20 mars 2013)

M. le président Jean Grellier. Nous accueillons, ce matin, Mme Béatrice Charon, présidente de l’Association française de l’aluminium (AFA), qui est également vice-présidente de la société Constellium. Elle est accompagnée de Mme Caroline Colombier, déléguée générale de l’association, et de M. Olivier Dufour, directeur des relations institutionnelles de Rio Tinto Alcan. C’est au titre de l’AFA, une organisation représentative du secteur dans sa globalité, que nous allons les entendre.

S’agissant des problèmes particuliers des sites de production français, la commission entend effectuer, comme je viens de l’indiquer, un déplacement en Savoie au cours du mois d’avril, dont les modalités sont en cours de préparation.

L’industrie de l’aluminium a, en France, une origine historique : c’est au milieu du XIXe siècle que fut coulé, pour la première fois, un petit lingot d’aluminium dans un laboratoire de l’École normale supérieure. Puis un brevet a été déposé, il y a cent vingt sept ans, concernant l’électrolyse, qui a permis une production industrielle selon le procédé « Hall-Héroult ». Ainsi, notre pays a longtemps été à la pointe de cette industrie avec le groupe puissant que fut Pechiney. La situation a toutefois considérablement évolué. Aujourd’hui, il n’existe plus que deux sites de production d’aluminium primaire, l’un à Dunkerque, l’autre à Saint-Jean-de-Maurienne. Toutefois, le secteur de l’aluminium regroupe dans son ensemble de nombreuses autres entreprises spécialisées.

Au niveau mondial, le marché de l’aluminium apparaît un peu moins déprimé que le marché de l’acier, du moins si on se réfère aux prévisions de grands producteurs qui prévoient une augmentation de 7 % de la demande mondiale en 2013, après une progression de 6 % l’année précédente. Vous nous préciserez sans doute, madame, si les pays émergents, notamment la Chine, sont désormais des concurrents aussi présents dans vos activités qu’ils le sont dans la sidérurgie. Au passage, je précise que cette commission d’enquête était, au départ, consacrée à l’avenir de la sidérurgie en France et en Europe puis qu’elle a été élargie à la métallurgie. Il semble néanmoins que la production d’aluminium puisse encore se développer dans des pays développés à hauts coûts salariaux, comme la Norvège ou le Canada, deux pays qui, il est vrai, disposent d’atouts avec des ressources énergétiques exceptionnelles. À cet égard, nous attendons que vous nous apportiez des informations plus précises sur les handicaps énergétiques qui affecteraient la production française, et les éventuelles responsabilités dans cette situation de la politique de l’énergie de l’Union européenne ou encore des fournisseurs français d’électricité.

Au regard des perspectives industrielles de l’aluminium, qui est traditionnellement considéré comme un matériau noble, la commission souhaite également connaître ce que des industries comme l’automobile, l’aéronautique ou encore le ferroviaire attendent des producteurs. La disparition, voire l’effacement progressif, d’une production d’aluminium en Europe ne leur ferait-elle pas encourir une incertitude concernant leur approvisionnement et même un risque de dérive en termes de prix ?

Avant de vous laisser la parole, et conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relatif aux commissions d’enquête, je vais vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Veuillez, tous les trois, lever la main droite et dire : « Je le jure ». (Mme Béatrice Charon, Mme Caroline Colombier et M. Olivier Dufour prêtent serment.)

Mme Béatrice Charon, présidente de l’Association française de l’aluminium (AFA). Monsieur le Président, mesdames, messieurs les députés, je vous remercie de recevoir aujourd’hui les représentants de l’industrie française de l’aluminium, sachant que vos préoccupations initiales tournaient essentiellement autour de l’industrie sidérurgique. Compte tenu des circonstances, nous n’avons pas eu le temps de préparer une présentation spécifique pour cette audition, mais les deux documents qui vous ont été communiqués devraient contribuer à votre information.

Je m’appuierai d’abord sur celui qui porte l’intitulé « L’aluminium : introduction au matériau » pour rappeler qui nous sommes. L’Association française de l’aluminium représente la quasi-totalité des industriels français intervenant dans le secteur de l’aluminium à tous les niveaux du cycle, de l’électrolyse au recyclage et diverses activités aval, en passant par la transformation. Nous représentons une dizaine de milliers d’emplois directs en France.

Après avoir connu un taux de croissance de 6 % au niveau mondial en 2012, le secteur attend une augmentation à 7 % pour 2013. Depuis une trentaine d’années, la consommation mondiale de l’aluminium croît entre 5 et 7 % par an et cette tendance devrait se poursuivre au moins dans la prochaine décennie.

Cette croissance est due aux qualités intrinsèques de notre matériau qui, avec une densité inférieure de deux tiers à celle de l’acier et du cuivre, est très léger. En fonction des alliages, il peut être extrêmement malléable – ces alliages, dits doux, sont utilisés dans la menuiserie d’aluminium – ou extrêmement résistant, ce qui le rend très intéressant pour des secteurs comme l’aéronautique ou l’automobile. L’aluminium est conducteur d’électricité et de chaleur ; il est résistant à la corrosion, l’oxyde d’aluminium ne se détachant pas comme la rouille. Qui plus est, comme tous les métaux, il est recyclable à l’infini sans perte de qualité, à condition de ne pas mélanger les différents alliages.

L’aluminium trouve des applications essentiellement dans le domaine des transports, à raison de 37 % : depuis très longtemps dans le domaine aéronautique, où nous bénéficions de la croissance extraordinaire des cadences de production d’Airbus et de Boeing, dans le domaine ferroviaire et dans la construction navale. À titre d’exemple, les premiers TGV étaient en acier alors que les TGV à deux étages sont en aluminium, en raison du poids limité qui doit peser sur les rails. Dans le domaine automobile, les moteurs sont déjà essentiellement en aluminium, et un certain nombre d’échangeurs thermiques utilisent de l’aluminium et non plus du cuivre. De plus en plus, l’aluminium investit le domaine de la carrosserie et des structures. Sa densité est beaucoup plus faible que celle de l’acier, mais il faut en mettre un peu plus pour avoir la même résistance. En général, on dit qu’un kilo d’aluminium remplace deux kilos d’acier dans les automobiles. Cet allègement permet une réduction de consommation de carburant et, par-là même, une réduction d’émission de CO2. Les constructeurs automobiles allemands utilisent de plus en plus l’aluminium, suivis par les constructeurs français et d’autres plus spécialisés sur le moyen de gamme.

Le bâtiment est un secteur qui utilise également beaucoup l’aluminium, historiquement, pour les encadrements de portes et fenêtres. Les grandes façades vitrées d’immeubles de bureaux ou de commerces sont portées par des structures de profilé d’aluminium. De nombreuses autres applications sont encore possibles, telles que des brise-soleil, des cloisons intérieures, etc.

L’emballage est aussi un domaine important, en particulier avec les canettes. Quand je suis entrée en 2003 dans le monde de l’aluminium, 50 % des canettes étaient en fer et 50 % en aluminium. Aujourd’hui, elles sont à 70 % en aluminium en Europe, sachant que dans le reste du monde, elles le sont toutes. L’aluminium prend donc des parts de marché sur l’acier.

Puisqu’il constitue un excellent conducteur électrique, tous les câbles de haute tension qui parcourent la nature aujourd’hui sont en aluminium. Par rapport au cuivre, il offre la même conductivité avec un diamètre de câble supérieur d’à peine 10 %, et il est beaucoup plus léger et infiniment moins cher. Dans le domaine de l’électricité, il trouve d’autres applications industrielles. Le seul endroit où l’aluminium n’est pas utilisé en électricité est le logement particulier, simplement parce que les connecteurs ne peuvent s’utiliser indifféremment pour l’aluminium ou le cuivre. Pour éviter tout problème de sécurité, on en est donc resté au cuivre.

L’industrie mécanique utilise également beaucoup d’aluminium, notamment pour toutes les pièces mobiles qui doivent être légères. Les moules en aluminium sont plus rapides à fabriquer que ceux en acier et s’usent peu.

Ces multiples utilisations de l’aluminium expliquent pourquoi ce matériau connaît une telle croissance mondiale, liée à la fois à l’augmentation de la population et à l’élévation du niveau de vie des pays émergents. Même en Europe, la consommation de l’aluminium augmente par substitution à d’autres matériaux.

L’aluminium est recyclable. S’il faut une grande quantité d’énergie pour fabriquer de l’aluminium primaire, le recycler ne demande que 5 % de cette énergie. Un récent reportage sur la chaîne Arte affirmait qu’il fallait moins d’énergie pour recycler l’aluminium que pour recycler l’acier, mais cela demande à être vérifié et je n’en ai pas eu le temps.

On ne trouve pas d’aluminium pur dans la nature, il est issu de la bauxite qui tire son nom des Baux-de-Provence. Ce minerai est très répandu au niveau mondial puisque l’on considère qu’environ 8 % de l’écorce terrestre en est constituée. Il n’y a donc pas de risque de raréfaction. Il est également très bien réparti dans le monde. Aujourd’hui, on extrait la bauxite essentiellement dans les lieux où la concentration en aluminium est forte : en Australie, en Amérique du Sud ou en Afrique. La bauxite est lavée, raffinée et transformée en alumine, qui est l’oxyde d’aluminium. Pour séparer l’oxygène et l’aluminium on recourt à l’électrolyse, opération qui utilise beaucoup d’énergie. À partir de l’aluminium dit primaire, on fabrique des semi-produits, plaques ou tôles d’aluminium, profilés, câbles, qui entrent ensuite dans les produits finis. En fin de vie de ces derniers, l’aluminium est récupéré et recyclé. Aujourd’hui, à peu près un tiers de l’aluminium provient de produits recyclés, autrement dit, sur les 60 millions de tonnes d’aluminium utilisés dans le monde, 20 millions de tonnes sont issues du recyclage. Toutefois, en raison de l’utilisation croissante, on a toujours besoin d’aluminium primaire.

Aujourd’hui, la France n’a plus de mine de bauxite. Elle a encore une activité de raffinage d’alumine, notamment à Gardanne, dans le sud de la France, mais il s’agit d’alumine dite de spécialité qui est utilisée pour d’autres applications que le métal. L’électrolyse est la spécialité de deux sites français, à Saint-Jean-de-Maurienne et Dunkerque. Le laminage est pratiqué sur deux grands sites à Neuf-Brisach et Issoire, mais aussi à Annecy ou Rugles. Une dizaine de sites sont dédiés au filage. Avec toute l’activité de recyclage, ce sont en tout cinquante entreprises que représente l’Association française de l’aluminium.

Le recyclage récupère le plus possible d’aluminium. D’abord au niveau de la fabrication. Par exemple, la fabrication des canettes commence par la découpe de cercles dans des plaques. Toutes les chutes sont récupérées et recyclées. Ensuite, lors de la démolition de bâtiments, tous les profilés d’aluminium sont récupérés. Idem pour les machines. Le secteur où nous sommes en retard, notamment en France, est la collecte des déchets ménagers qui ne sont pas assez triés.

Vous avez compris de mon discours que nous importons à tous les stades de fabrication, que ce soit l’alumine, l’aluminium primaire ou même les déchets recyclés.

Je passe à l’étude conduite par Roland Berger dans le cadre de la première table ronde sur la filière aluminium organisée par Monsieur le Ministre Arnaud Montebourg, le 13 février dernier. La planche 22 montre comment la structure industrielle du secteur a évolué. Il y a encore quinze ou vingt ans, il s’agissait de sociétés nationales qui étaient complètement intégrées verticalement, c’est-à-dire qu’elles maîtrisaient tout le processus de l’électrolyse de l’aluminium au laminage et au filage et même, pour certaines, depuis l’extraction de bauxite. Il s’agissait de sociétés nationales qui étaient en situation de quasi-monopole. Au cours des quinze dernières années, la structure industrielle s’est complètement transformée, passant à une concentration horizontale. Tous les grands groupes miniers se sont progressivement regroupés et ont acheté des activités minières ou de raffinage d’alumine, gardant quelquefois de l’électrolyse, tandis que de grands groupes de transformation se sont créés, qui n’ont absolument plus d’activité amont. Parmi ces grands groupes de transformation, on distingue Constellium, société dans laquelle je travaille, Novelis dans le laminage, SAPA dans le filage, et bien d’autres. Dans le monde occidental, il n’existe plus que deux sociétés totalement intégrées verticalement : l’Américain Alcoa et le Norvégien Hydro.

La concentration du secteur est représentée sur la planche 23. On y constate que les six plus gros acteurs dans le raffinage d’alumine représentent 57 % du marché mondial, qu’ils ne sont plus que 50 % dans l’électrolyse et à peu près 40 % dans le laminage. Le même camembert pour le filage montrerait que les six plus gros représentent 15 ou 20 % du marché mondial. La dissémination est encore plus importante dans le recyclage. Il s’agit donc d’une industrie dont le degré de concentration décroît à mesure que l’on va vers l’aval.

Dans la vision que nous avons des enjeux pour l’industrie française de l’aluminium, il en est un majeur qui est le prix de l’énergie pour l’aluminium primaire, car il représente une part essentielle de ses coûts. Si aujourd’hui, le prix de l’aluminium primaire est fixé au niveau mondial par le London Metal Exchange, dit LME, sur lequel nous n’avons aucune influence, en revanche, les coûts dépendent essentiellement du prix de l’énergie. Certains pays, comme le Canada ou la Norvège, peuvent certes obtenir des coûts plus faibles grâce à leur industrie hydroélectrique, mais ils ont aussi choisi de faire de l’électrolyse plutôt que de vendre de l’électricité aux États-Unis. En France, le coût de l’électricité pourrait être bas grâce à notre parc nucléaire important. Les contrats des deux sites d’électrolyse arriveront bientôt à échéance, en 2014 et 2017. Nous souhaitons qu’ils soient renouvelés à un niveau moyen de ce dont bénéficient nos concurrents dans le monde, pas forcément plus bas, éventuellement avec des aménagements qui permettent de rendre ce prix vraiment compétitif. Ainsi, les producteurs d’aluminium pourraient, de temps en temps, arrêter un court instant leur production en période de pics important de consommation d’électricité pour préserver le réseau. L’application de la directive ETS sur les quotas de CO2 crée des coûts indirects et certains pays, comme l’Allemagne, ont décidé d’attribuer des compensations à leurs industriels. La France ne l’a pas fait. Même au sein de l’Europe, nous sommes pénalisés par rapport à nos concurrents. Il faut aussi prévoir une durée suffisante pour ces contrats de renouvellement. Pour des investissements aussi lourds, il ne peut s’agir que de contrats sur vingt ou trente ans.

J’ai déjà dit que le recyclage ne demandait que 5 % de l’énergie requise pour la fabrication d’aluminium primaire. Il est donc vraiment dommage d’exporter des déchets, puisque cela équivaut à exporter de l’énergie. Nous sommes à la fois exportateurs de déchets et importateurs d’aluminium recyclé. Peut-être conviendrait-il de mieux réfléchir à l’organisation de cette filière, sans doute dans le cadre de la table ronde de l’aluminium, par exemple en améliorant la collecte des déchets ménagers.

Parmi les nombreux secteurs d’application de l’aluminium, le bâtiment se porte aujourd’hui assez mal en France. Par ricochet, les sociétés de filage d’aluminium ne se portent pas très bien non plus. Tout ce qui peut être fait en faveur du bâtiment aura donc un impact favorable sur nos industriels. De manière générale, pour les produits filés, la France est un pays d’importation : plus de 50 % des profilés que nous consommons sont importés, pour la plupart d’Espagne. Le développement de l’industrie espagnole a été favorisé par des subventions européennes, notamment des industriels du filage qui sont venus nous concurrencer. Aujourd’hui, le domaine est globalement en surcapacité dans l’ensemble de l’Europe. Maintenant, c’est un peu tard, mais pour d’autres sujets, en tant que représentants de la nation, vous auriez certainement des choses à dire sur ces subventions. C’est vrai aussi en France, où certaines municipalités ou régions donnent des subventions pour l’implantation d’industries de ce secteur sur-capacitaire. Quel dommage ce serait de donner des subventions d’un côté pour fermer des usines de l’autre !

Comme tous les industriels français, nous sommes sensibles aux mesures destinées à favoriser le développement et le maintien de l’industrie en France. Tout ce qui favorise la recherche constitue un point extrêmement important. C’est pourquoi nous souhaitons absolument le maintien du crédit d’impôt recherche et la poursuite des initiatives d’instituts de recherche et de technologie, comme le pôle matériaux à Nantes et celui plus centré sur l’automobile en Lorraine. Ce sont des initiatives que nous saluons et que nous souhaitons voir se développer dans la mesure du possible.

M. Alain Bocquet, rapporteur. Nous sommes satisfaits d’avoir associé les problèmes de l’aluminium et du cuivre à notre commission d’enquête.

Concernant l’avenir de la production d’aluminium en France, et plus généralement en Europe, la pente actuelle de fermeture des usines ne fait-elle pas encourir à certaines de nos industries de pointe un risque de dépendance ?

Est-il exact que les industriels allemands bénéficieraient, dans vos activités, de conditions tarifaires plus avantageuses en matière d’électricité ?

La France est-elle encore un acteur important dans la recherche et l’innovation des produits de l’aluminium ? Le centre de recherche et d’innovation de Voreppe, dans l’Isère, est-t-il toujours mondialement réputé pour son niveau ?

Le recyclage peut-il représenter un créneau de développement industriel en Europe, en lien peut-être avec l’organisation du tri et de la récupération des matières de base ?

Qu’attend le secteur de l’aluminium de la Conférence nationale de l’industrie ? Est-il exact que l’on parle, en ce moment, de créer une filière élargie qui réunirait l’acier, l’aluminium, le cuivre, le ciment et le verre ? Qu’en pensez-vous ?

Mme Béatrice Charon, présidente de l’Association française de l’aluminium (AFA). Par votre question sur la fermeture des usines, vous faites certainement allusion aux usines d’électrolyse en Europe, donc à la production d’aluminium primaire. Mon activité dans la société Constellium me permet de dire que nos destins - aluminium primaire et transformation - sont assurément liés. Aujourd’hui, l’usine de Neuf-Brisach est le premier client de l’électrolyse de Dunkerque. Cela ne veut pas dire que, à l’avenir, quoique dans un temps relativement long, nous ne pourrions pas nous reconfigurer, mais il faudrait surmonter deux handicaps majeurs. D’abord, les aspects logistiques, qui sont aujourd’hui extrêmement simples. Ensuite, le traitement des lingots d’aluminium sous la forme desquels l’aluminium est couramment transporté au niveau mondial. L’aluminium liquide issu de l’électrolyse est, en effet, refroidi sous forme soit de lingots, soit de plaques pour le laminage ou de billettes pour le filage qui sont plus directement utilisables par les transformateurs. Si nous devions nous fournir sur le marché mondial, nous devrions refondre les lingots pour en faire des plaques avant de les laminer, ce qui serait stupide des points de vue logistique, énergétique et économique. Si donc Dunkerque devait fermer demain, nous pourrions nous reconfigurer, mais ce serait très coûteux et mauvais aussi pour la planète.

M. Olivier Dufour, directeur des Affaires externes (France/UE) de Rio Tinto Alcan. Bien que directeur des relations institutionnelles chez Rio Tinto Alcan, j’interviens aujourd’hui au titre de l’Association française de l’aluminium.

En cette période de crise, la production européenne d’aluminium a chuté : depuis 2008, elle est passée de 3 millions de tonnes à 2 millions. Plusieurs sites ont été fermés sur cette période qui a été marquée par la fin de contrats de tarifs historiques, en Espagne par exemple, et par une crise du secteur puisque, en 2008, le prix de l’aluminium, qui se situait aux alentours de 3 300 dollars, a chuté en quelques mois à 1 300 dollars. Depuis, il avoisine les 2 000 dollars, ce qui est assez bas par rapport aux coûts de production. Cela étant, la baisse de production affecte exclusivement l’Union européenne ; les autres pays producteurs, comme la Norvège et l’Islande, sont plutôt en progression grâce à leurs ressources hydroélectriques et géothermiques.

La France n’a pas connu de baisse de sa production d’aluminium. Malgré de petites baisses de capacité liées à la crise, les deux sites de production de Saint-Jean-de-Maurienne et de Dunkerque sont restés stables. Depuis vingt ans, d’ailleurs, la production d’aluminium primaire en France est stable. Les fermetures d’usines, dont la dernière a touché l’usine de Lannemezan dans les Hautes-Pyrénées en 2008, ont été largement compensées par l’investissement, en 1991, de Dunkerque, qui reste la dernière usine ouverte de l’Union européenne et celle qui a la meilleure technologie disponible en Europe. Elle est le vaisseau amiral de la production d’aluminium en Europe.

Dans cette situation, ce que nous craignons, c’est l’arrivée à terme de nos contrats historiques en 2014 pour Saint-Jean-de-Maurienne et à la fin de 2016 pour Dunkerque. Ces contrats avaient été signés respectivement en 1982 et 1991, avant la nouvelle donne du marché de l’énergie au niveau européen. Nous travaillons à leur renouvellement depuis longtemps déjà puisqu’une table ronde sur les prix de l’électricité a été organisée, dans notre usine de Dunkerque en 2003, pour que tous les industriels électro-intensifs puissent exprimer leurs desiderata en la matière. Depuis bientôt dix ans que nous cherchons des solutions, nos échéances se rapprochent, et le mur devant nous est haut.

Des comparaisons ont été établies entre ce qui se passe en Allemagne et la pratique en France. L’Allemagne a pris des mesures pour assurer aux électro-intensifs un prix de l’électricité compétitif. Sa décision d’arrêter le nucléaire a eu un effet inflationniste sur les prix de l’électricité, mais elle a fait le choix sociétal de faire porter le delta du coût sur les particuliers plutôt que sur les industriels. Lors du colloque sur la transition énergétique organisé par François-Michel Gonnot, le Dr. Hans-Joachim Ziesing, expert « énergie » auprès du gouvernement allemand, a indiqué que les industriels électro-intensifs ont obtenu 10 milliards d’euros de compensation en Allemagne. Si donc la facture augmente, des dispositifs sont prévus pour réduire le coût de l’électricité. Du côté de la France, selon un document de l’Union des industries utilisatrices d’énergie, au titre de l’Accès régulé à l’électricité nucléaire historique, dit ARENH, issu de la loi NOME, le mégawatheure coûterait aujourd’hui aux alentours de 47 euros. En Allemagne, il serait généralement de 35 à 37 euros et entre 31 et 37 euros pour les plus électro-intensifs, notamment pour les industriels de l’aluminium, grâce à une très large rémunération des effacements, à la compensation des effets indirects de la réglementation sur le CO2 et aux exonérations de taxes et de coûts de transport. Ce sujet fait actuellement l’objet d’un groupe de travail rassemblant la Direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services, la Direction générale de l’énergie et du climat et la Commission de régulation de l’énergie dont nous attendons les résultats. Pendant toute cette période, l’Allemagne a su préserver son outil industriel en dégageant les marges et la fiscalité nécessaires. Elle a fait le choix de l’emploi en faisant porter l’effort de développement vers les énergies renouvelables par les particuliers et non pas par les industriels. Les questions sociétales sont portées par le grand public pour sauvegarder la compétitivité de l’industrie.

Le coût de structure de la production d’aluminium est composé pour un tiers d’électricité et un tiers d’alumine, le dernier tiers comprenant tout le reste. Le coût de main-d’œuvre représente grosso modo 10 %, ce qui permet d’envisager un avenir pour nos usines d’aluminium dans les pays industrialisés. L’alumine étant une commodité mondiale, nous n’avons pas d’impact sur son prix. Nous faisons des efforts très importants de compétitivité sur nos sites, mais l’évolution des prix de marché de l’électricité en Europe efface complètement ces efforts. L’analyse Roland Berger du prix de l’énergie par région dans le monde, page 17, montre que le prix de l’électricité moyen au Moyen-Orient, qui est proche du marché européen, est compris entre 20 et 25 dollars le mégawatheure, à mettre en regard des tarifs européens. Si nous voulons conserver nos usines en France – et la situation n’est pas à la fermeture –, il faut les garder compétitives et leur proposer des conditions d’accès à l’énergie comparables à celles qui existent dans le reste du monde, en faisant finalement tourner la politique industrielle autour de l’aluminium. C’est le choix qu’ont fait la Norvège et le Canada, qui considèrent ce métal comme stratégique. Les États-Unis, pays pourtant libéral, apportent également un soutien très fort à l’industrie de l’aluminium. C’est ainsi que dans la périphérie de New York, les autorités sont intervenues pour maintenir une usine de fil d’aluminium, très comparable à celle de Saint-Jean-de-Maurienne, promise à la fermeture. Grâce à un contrat basé sur l’électricité hydraulique à des coûts très performants, soit 20 dollars le mégawatheure, cet outil a été maintenu.

M. Christian Hutin. Nous sommes au cœur de la raison d’être de cette commission d’enquête. En plus des 10 000 emplois directs, avez-vous une idée du nombre des emplois indirects liés au secteur de l’aluminium ? Avec l’activité que la bauxite procure au port de Dunkerque et la maintenance de l’ensemble des usines qui doit être assez importante, on doit largement dépasser les 10 000 emplois indirects. J’ai le sentiment, partagé, je crois, par beaucoup ici, qu’il y a une forme d’urgence. Pour une fois, ce n’est pas le coût de la main-d’œuvre qui est en cause, mais celui de l’électricité qui présente un déséquilibre sur le plan international. Grossièrement résumé, je retiens de la conférence qu’a donnée Arnaud Montebourg que lorsque vous voulez une usine d’aluminium au Canada, on vous offre un barrage ; en France, on vous propose un rendez-vous avec la Commission européenne qui fait souvent barrage. Je dis cela parce que je suis intervenu, comme Michel Delebarre et beaucoup d’autres députés, avec le consortium Exceltium pour tenter de faire comprendre à l’Europe qu’il faut avancer.

À votre avis, que peut faire le gouvernement français ? Nous ne souhaitons pas forcément, comme l’Allemagne, faire payer les particuliers. D’autres moyens existent-ils dans d’autres pays pour faire baisser le coût de l’énergie ? Il est quand même malheureux qu’une usine installée à Dunkerque, à côté de la plus grande centrale nucléaire d’Europe, ne puisse pas bénéficier de tarifs privilégiés, surtout compte tenu de l’impact que cela pourrait avoir sur l’emploi. Est en question aussi l’indépendance stratégique nationale. On ne produit plus en France que 1 % de l’aluminium mondial.

Quant au problème du carbone, il me ramène encore à l’Europe. Je suis président d’une association de surveillance de la qualité de l’air, je l’ai été au niveau national et je suis donc très attentif à ce sujet. Certains pays n’abordent pas tout à fait de la même manière la surveillance de la qualité de l’air ni ne respectent les directives européennes. Les pays de l’Est, en particulier, n’ont globalement pas une analyse aussi stricte que la nôtre. Il y aurait de quoi faire pour parvenir à une uniformisation au niveau européen, car nous sommes très pénalisés. Cela vaut aussi pour les enquêtes publiques. À Dunkerque, une enquête publique pour un terminal méthanier est conduite pendant longtemps et de manière citoyenne, alors qu’à côté, en Belgique, on construit d’abord et on mène l’enquête après. Or les ports belges nous font fortement concurrence.

Puisque nous sommes dans une commission d’enquête nationale et pas européenne, que peut faire le Gouvernement de la France pour lutter contre ces injustices industrielles qui entraînent des injustices sociales et des pertes d’emplois, ainsi qu’une perte d’indépendance de notre pays dans un secteur stratégique ? Un pays qui ne produit plus d’aluminium ne peut pas, à mon avis, rester indépendant, a fortiori s’il a une industrie aéronautique et de transport.

Mme Béatrice Charon, présidente de l’Association française de l’aluminium (AFA). Votre question recouvre deux sujets. Le premier concerne l’application de la réglementation européenne dans les différents pays. Vous avez cité la qualité de l’air, mais c’est vrai aussi dans d’autres domaines environnementaux. Il est certain que la France souffre d’un différentiel de coût d’exploitation lié à l’application plus stricte ou effective de la réglementation, ce que ne font parfois même pas certains pays européens. Je ne peux pas en chiffrer exactement le pourcentage, il ne doit pas être trop élevé. Dans le domaine de l’électrolyse, en tout cas, le handicap le plus important est le coût de l’énergie. S’il y a un travail à faire sur l’application de la réglementation, il y en a un autre sur les coûts de base de certaines industries. On ne peut pas échapper à une réflexion sur les coûts de l’énergie.

M. le président Jean Grellier. Avez-vous des idées sur ce que peut faire la France s’agissant de ce coût de l’énergie ? Des négociations sont-elles engagées aujourd’hui en vue des échéances de 2014 et 2016 ? Avez-vous des propositions que nous pourrions éventuellement relayer ?

M. Olivier Dufour.. C’est là un sujet que nous pourrons peut-être explorer plus en détail lors de votre déplacement à Saint-Jean-de-Maurienne puisque c’est le site dont le contrat arrivera à échéance en premier.

Pendant des années, la concurrence a eu l’hégémonie du discours en matière de politique industrielle au niveau de l’Europe. Or, en octobre 2012, en même temps qu’il a dévoilé son document stratégique pour la croissance, le commissaire à l’industrie a lancé une étude de santé, dite fitness check. Deux secteurs ont été identifiés comme stratégiques et à très fort risque : le raffinage de pétrole, pour des raisons évidentes, et l’aluminium, pour des raisons non moins évidentes. Nous travaillons avec la DG entreprise pour évaluer l’impact de toutes les politiques européennes. Je vous rejoins sur l’aspect qualité de l’air, avec un souci très important à Dunkerque où l’idéologie environnementale à laquelle est confronté notre site pourrait le condamner à terme, alors qu’il est le moins polluant, le maître-étalon (benchmark) en la matière, avec la meilleure technologie. La situation est complètement ubuesque. En tout cas, ce fitness check constitue pour nous un véhicule de discussion avec l’Union européenne. D’ailleurs, il a connu une modification inverse à celle de votre commission d’enquête puisque, initialement consacré à l’aluminium, il a été élargi à l’acier à la suite de la table ronde du 12 février.

La France pourrait actionner un premier levier en poussant pour faire reconnaître le souci auquel est confronté notre aluminium. Dans tous les pays du monde, il est le premier sujet de politique industrielle du fait de son exposition aux aspects énergétiques et environnementaux.

Pour le deuxième aspect, ne cherchons pas à réinventer la poudre. À la suite de la table ronde de Dunkerque il y a dix ans, un rapport de l’Inspection générale des finances daté de 2004 a étudié les prix d’accès à l’énergie pour les industriels électro-intensifs. C’est de ce rapport que découle la création d’Exceltium, décidée par les parlementaires en 2005. D’après ce rapport, ces contrats doivent être conclus sur une durée longue – au minimum dix ans ; partager entre les signataires les risques réglementaires ; se situer dans une zone de prix proche de 30 à 32 euros le mégawatheure en 2004 ; prévoir des possibilités d’effacement lorsque cela est possible ; s’adresser exclusivement à des industries électro-intensives délocalisables de n’importe quel pays de l’Union européenne. L’idée initiale était de faire bénéficier ces industriels électro-intensifs du coût de production du nucléaire historique, mais depuis, EDF a demandé que ce contrat puisse porter sur du nucléaire de nouvelle génération, donc l’EPR. Les électro-intensifs y ont largement contribué au travers d’Exceltium, à hauteur de 2 milliards d’euros pour l’instant, car le coût de production de l’EPR est beaucoup plus élevé que celui du nucléaire historique. C’est pourquoi les industriels électro-intensifs souhaiteraient revenir à l’esprit initial du contrat Exceltium en le prolongeant sur une base de coût du nucléaire historique. Sur cette base pourraient venir se greffer des dispositifs euro-compatibles de nature à faire baisser la facture d’électricité et à la ramener à des niveaux comparables à ceux en cours dans le reste du monde : rémunération des effacements ou de l’interruptibilité, éventuellement tarifs plus intéressants en fonction de la proximité des usines et des lieux de production – ce qui serait favorable à l’usine de Dunkerque que 500 mètres séparent du site de Gravelines. La France doit défendre cette proposition comme l’Allemagne défend actuellement, contre la Commission européenne qui a ouvert une commission d’enquête, ses propres dispositifs d’exonération du tarif de transport.

Mme Béatrice Charon, présidente de l’Association française de l’aluminium (AFA). En matière de recherche et d’innovation dans le domaine de l’aluminium, le centre de Voreppe, qui appartenait autrefois à Pechiney, a été scindé en plusieurs entités dépendantes des nouvelles sociétés créées, notamment Rio Tinto Alcan et Constellium ainsi qu’une partie de Novelis. Pour Constellium, il s’agit d’un centre majeur où sont menés à la fois la recherche sur les nouveaux alliages pour l’aéronautique, l’automobile et l’emballage et des tests sur les procédés de laminage, de filage et de fonderie. Nous avons d’ailleurs une fonderie laboratoire pour un produit airware, complètement révolutionnaire pour l’aéronautique. Au niveau mondial, dans le domaine applicatif aluminium, il n’y a qu’Alcoa qui soit au même niveau que nous. Le primaire fait aussi l’objet de recherches à Voreppe et sans doute à Saint-Jean-de-Maurienne, mais ce n’est pas mon domaine.

Quant à savoir si la production de seconde fusion réalisée à partir de recyclage aurait plus d’avenir en Europe que la production primaire, je pense que nous avons besoin des deux. Au niveau mondial, un tiers de l’aluminium nécessaire à la fabrication des produits finis vient du recyclage ; en Europe et en France, c’est aux alentours de 45 %. Compte tenu de la croissance de la consommation, les deux sont nécessaires et il n’y a pas lieu de favoriser l’un plutôt que l’autre.

Nous sommes très favorables à la mise en place de filières sur laquelle se propose de déboucher la Conférence nationale de l’industrie. Nous connaissons bien la filière aéronautique, organisée autour du GIFAS, le Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales, qui est très ancienne et qui fonctionne très bien. Nous espérons voir l’équivalent émerger dans le secteur de l’automobile. En tant que transformateurs, nous avons plutôt une approche de marché puisque nous fabriquons des produits pour des clients finaux. En amont, il y a certainement moyen de penser à des clusters permettant de diminuer le prix d’exploitation des électrolyses. Pour l’instant, l’AFA est pleinement engagée dans la table ronde organisée par Arnaud Montebourg, dont les premières réunions doivent bientôt avoir lieu.

Je n’ai pas d’information sur la filière élargie qui réunirait l’acier, le cuivre, l’aluminium, le ciment et le verre.

M. le président Jean Grellier. Cela nous a été confirmé la semaine dernière par M. Darmayan. Ce serait la treizième filière stratégique du Conseil national de l’industrie, puisqu’on ne parle plus maintenant de Conférence nationale de l’industrie. Il pourrait être intéressant pour vous de suivre cette évolution particulière car, jusqu’à présent ces filières ne présentaient pas de spécificités communes avec celles qui nous préoccupent.

Mme Béatrice Charon, présidente de l’Association française de l’aluminium (AFA). S’agissant de la concurrence des pays émergents, notamment dans l’aluminium primaire, la Chine investit énormément dans de nouvelles électrolyses à des coûts que l’on ne comprend pas toujours. Cette surcapacité explique en partie la baisse des cours mondiaux de l’aluminium. En ce qui concerne les produits transformés, nous ressentons la concurrence chinoise dans quelques secteurs particuliers, en particulier la feuille d’aluminium, pour laquelle la Commission européenne a accepté d’installer des barrières anti-dumping à l’importation. Nous ne ressentons pas encore trop cette concurrence dans le domaine des profilés en Europe, alors que l’Amérique du Nord, comme le Canada et le Mexique, se sont protégés après avoir connu une chute importante de production. Celle-ci est maintenant repartie. Pour notre part, nous souhaiterions que ces barrières anti-dumping puissent être posées avant que la catastrophe n’arrive. Trop souvent, la réaction se produit une fois que l’industrie a disparu tellement elle a souffert. Je ne sais pas quel moyen employer pour y arriver, mais je sais que cela est fondamental pour nous.

M. le président Jean Grellier. Nous en discuterons avec le commissaire Tajani, que nous recevrons dans les prochaines semaines, qui est au cœur de ces dispositifs. Pour avoir participé avec Alain Bocquet à une commission d’enquête sur l’industrie ferroviaire, je sais qu’on revient souvent de Bruxelles pas tout à fait désespéré mais presque. L’Amérique du Nord se protège mais nous, nous ne pouvons pas en faire autant. Pourquoi ?

Mme Michèle Bonneton. J’ai le sentiment, s’agissant des barrières anti-dumping, que tous les pays européens ne sont pas d’accord avec la France pour les mettre en place. Certains commercent beaucoup avec la Chine et craignent certainement des mesures de rétorsion commerciale, ce qui expliquerait les réticences de la Commission européenne. Toutefois, des aménagements ponctuels pourraient peut-être être apportés dans le secteur qui nous occupe aujourd’hui.

Pour l’aluminium primaire, le transport est-il une barrière au commerce international ? S’agissant de l’acier, on a compris qu’il était préférable de le fabriquer pas trop loin des lieux de consommation. En est-il de même pour l’aluminium ou bien son coût très élevé rend-il celui du transport négligeable ?

Je crois savoir que nos principaux concurrents européens sont l’Allemagne et certains pays du nord de l’Europe, sans plus. Pouvez-vous apporter des précisions ? Quels sont les facteurs qui favorisent cette concurrence ?

Vous avez expliqué que les grands groupes à structure verticale s’étaient scindés en de multiples entreprises, passant à une concentration horizontale. De ce fait, est-il encore pertinent de parler de filière ? Si oui, est-il nécessaire de l’organiser et comment procéder ? Qu’attendez-vous des pouvoirs publics dans ce domaine ?

Même si la croissance de la consommation nécessitera toujours de fabriquer de l’aluminium primaire, le recyclage me semble un formidable atout à développer : 45 % d’aluminium recyclé, cela laisse des marges de manœuvre. Où trouve-t-on de l’aluminium à recycler ? Ne faudrait-il pas faciliter le recyclage des déchets ménagers, compliqué par divers ajouts de matériaux, en discutant avec les industriels de l’écoconception des produits ?

Dans le processus de fabrication, quels sont les produits polluants ? L’électrolyse de l’alumine ne dégage pas, à connaissance, de dioxyde de carbone ou alors de façon extrêmement marginale. Il n’y a pas d’atome de carbone dans l’alumine. Si le dioxyde de carbone peut être considéré comme polluant au titre du réchauffement climatique, il ne l’est pas pour la santé. Actuellement, le coût de la tonne de carbone est à son plus bas historique. Cela a-t-il vraiment un impact sur le coût de la fabrication de l’aluminium ? Je suis sceptique.

Permettez-moi, Monsieur Dufour, de vous interroger au titre de vos responsabilités chez RTA. Quelle est la politique de l’entreprise en ce qui concerne l’innovation et la recherche ? À ma connaissance, dans ce domaine, les effectifs devraient être réduits du tiers, aussi bien à Saint-Jean-de-Maurienne qu’à Voreppe, tant en recherche qu’en fonction support. Selon mes informations, ces coupes devraient intervenir à l’automne prochain. Voilà qui est inquiétant pour la recherche de haut niveau développée à Voreppe en particulier – que je connais mieux pour en être la députée –, et augure mal de l’avenir de l’ensemble des activités liées à l’aluminium en France. Par ailleurs, les sites Constellium et RTA à Voreppe étant très proches physiquement et très liés, si l’un était en péril, l’autre pourrait être mis en difficulté.

S’il est indéniable que RTA est gêné par le coût de l’énergie, il semble quand même que ses activités liées à l’aluminium en France soient rentables. L’entreprise envisagerait de se recentrer sur son cœur de métier que sont les activités minières, qui sont nettement plus rentables. L’activité aluminium est beaucoup plus récente et ne semble pas considérée comme une bonne affaire.

Quand on parle de nucléaire, je ne peux que me sentir interpellée. J’observe d’ailleurs, au passage, que les centrales comportent beaucoup d’aluminium. Il faut être très prudent avec la prolongation de la durée de vie des centrales. On ne peut pas négliger les coûts d’un accident éventuel, qui pourraient représenter 500 milliards d’euros. Sachant que Tchernobyl a déjà coûté nettement plus de 1 000 milliards d’euros, on ne peut pas faire totalement l’impasse sur ce genre de perspective.

Mme Béatrice Charon, présidente de l’Association française de l’aluminium (AFA). Que l’aluminium soit transporté partout dans le monde ou plutôt de façon régionale dépend essentiellement des différentiels des coûts de production. Quand la différence est très faible, la provenance reste très régionale ; dès que les différentiels augmentent, compte tenu de la faiblesse des coûts de transport, on passe très facilement d’un continent à l’autre. On voit bien les flux s’inverser sur certains produits entre l’Amérique du Nord et l’Europe, en fonction des coûts. Globalement, l’aluminium se transporte très facilement et, en fonction des différentiels des coûts de production, il peut venir de très loin.

S’agissant de la concurrence européenne, je vous propose de reprendre la planche 22 de l’étude du cabinet Roland Berger. Sont en présence : Rio Tinto Alcan, présent aussi bien en France que dans d’autres pays européens et en Islande ; le russe RUSAL ; l’anglo-australien BHP Billiton ; Alcoa ; le norvégien Hydro. La concurrence est donc assez large et livrée avec les armes de chaque pays. Elle est moins liée à la société elle-même qu’à la situation du pays dans lequel sont localisées ses activités, notamment au coût de l’énergie. Dans la transformation, Constellium est une société très présente en France, en Allemagne, en Suisse, en République tchèque et en Slovaquie ; Novelis est un lamineur très présent en Allemagne ; SAPA est un fileur d’origine suédoise très présent dans toute l’Europe ; Alcoa n’a plus d’activité de filage, à l’exception du filage dur, en Europe ; outre l’aluminium primaire, Hydro a des activités de laminage ainsi que de filage, ces dernières étant sur le point d’être fusionnées avec celles de SAPA. Le secteur du filage compte énormément de sociétés plus petites, certaines même de taille familiale. La concurrence européenne est donc assez large et je ne pense pas qu’avec un tel nombre de sociétés, on puisse se retrouver en situation de cartel.

Compte tenu des préoccupations différentes des transformateurs et des producteurs d’aluminium primaire, on peut, en effet, s’interroger sur la pertinence d’une filière couvrant de haut en bas le cycle de l’aluminium. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’est pas possible de faire des choses ensemble, et c’est ce à quoi nous allons réfléchir dans le cadre de la table ronde lancée par Arnaud Montebourg. Cela dit, la scission s’est faite assez naturellement. Ce n’est pas par hasard qu’on est passé de sociétés intégrées verticalement à une concentration horizontale.

En matière de recyclage, le renforcement de la réglementation nous incite à réfléchir à la conception des produits pour que les matériaux en fin de vie puissent être séparés plus facilement. Nous y souscrivons totalement tant pour l’automobile que pour le bâtiment ou une quantité d’autres applications. Cela faciliterait certainement le recyclage. Partout où l’aluminium est en gros morceaux, il est récupéré et recyclé. L’affaire est plus compliquée quand il est présent en petites quantités et mélangé à d’autres matériaux.

L’électrolyse de l’aluminium est effectuée au moyen d’une électrode en carbone qui attire l’oxygène contenu dans l’oxyde d’aluminium et rejette du CO2. C’est le procédé lui-même qui est émetteur de CO2, lequel n’est pas, en effet, dangereux pour la santé dans des conditions de concentration normales.

M. Olivier Dufour. S’agissant du recyclage, sachez que 75 % de l’aluminium produit depuis le début de l’ère industrielle sont encore utilisés aujourd’hui. Les taux de recyclage sont très importants dans le bâtiment et l’automobile, avec des temps plus ou moins courts – une trentaine d’années pour le bâtiment, une dizaine pour l’automobile. Ils ont beaucoup moins importants, bien qu’ayant beaucoup évolué ces derniers temps, dans l’emballage. Ce fort taux de recyclage s’explique par le réel intérêt économique de cette pratique.

Par son contenu énergétique, l’empreinte carbone de l’aluminium est hautement liée à la source d’énergie. Au sein du groupe Rio Tinto Alcan, nous croyons beaucoup à l’aluminium hydro nucléaire, qui représente d’ailleurs la quasi-totalité de notre production. D’ailleurs, nous nous défaisons actuellement d’actifs australiens qui travaillent sur une base de charbon. L’aluminium produit à partir d’hydroélectricité émet 2 tonnes de CO2 par tonne d’aluminium contre 16 tonnes pour une production à partir du charbon et 18 tonnes à partir de lignite, comme en Allemagne. Du point de vue de l’empreinte carbone, l’aluminium est un investissement intéressant dans la mesure où les deux applications principales en sont le transport et le bâtiment, et où l’émission initiale de CO2 sera compensée tout au long de la vie de l’aluminium puisque le recyclage ne demande que 5 % de l’énergie initiale. En outre, 1 kilo d’aluminium utilisé dans une voiture permet d’économiser 2 kilos d’acier et d’économiser 20 kg de CO2 dans la vie de la voiture. L’aluminium est certes utilisé dans les centrales nucléaires mais aussi dans les énergies renouvelables, que ce soit les éoliennes, le cadre des cellules photovoltaïques, l’intégration dans le bâtiment, les brise-soleil qui permettent de réduire l’utilisation de la climatisation en été, et j’en passe.

Les émissions directes de CO2 par nos usines sont contrôlées par la technologie aluminium Pechiney, qui est encore leader mondial en la matière et contribue à faire reconnaître nos usines comme références (benchmarks). De ce fait, le coût des quotas de CO2 sur Dunkerque est plutôt neutre. Nous sommes très attachés et très attentifs à cette qualité de l’usine. Quand il est intégré dans le coût de l’électricité, le coût du CO2 peut être très important puisque le prix de marché de l’électricité prend en compte la source marginale de production de l’énergie (souvent le charbon).

La politique de recherche de Rio Tinto Alcan pourra être détaillée lors de votre visite à Saint-Jean-de-Maurienne, qui sera peut-être pour vous l’occasion de découvrir notre site de recherche qui est très important pour la recherche sur l’aluminium. Notre chef de la direction, Jacynthe Côté, quand elle vient en France, vient voir deux sites : les cuves d’électrolyse du laboratoire de recherche sur les fabrications (LRF) à Saint-Jean-de-Maurienne et les salles égyptiennes du Louvre. Ces cuves sont des prototypes de la dernière technologie et constituent la référence mondiale dans la production d’aluminium. Le site de Voreppe est plutôt dédié au support technique, même si nous y avons aussi un laboratoire qui travaille sur le développement d’anodes très spécifiques qui permettraient de ne plus émettre de CO2. C’est là un sujet extrêmement important qui s’apparente au Saint Graal pour la recherche en aluminium.

Ces deux sites sont soumis à deux facteurs d’influence. Le premier, c’est que Rio Tinto Alcan, en abandonnant ses usines en Australie, a réduit sa production d’aluminium de 4 millions de tonnes à 2,5 millions de tonnes. Cette nouvelle empreinte mondiale nécessite d’ajuster les effectifs, y compris de recherche. Puisque ce sont les sites existants qui financent l’effort de recherche, il faut alléger leurs coûts pour leur permettre de rester compétitifs. Le second aspect, le plus important, c’est que la technologie Aluminium Pechiney est aujourd’hui talonnée par des technologies issues de Chine et du Moyen-Orient, et l’écart technologique se resserre. Notre marché naturel pour la construction de nouvelles usines d’aluminium se réduit ainsi comme peau de chagrin. Depuis 1990, la production d’aluminium en Chine a explosé et représente aujourd’hui la moitié de la production mondiale, tandis que l’Europe a perdu plus de 30 % de sa production. Jusqu’à présent, nous cherchions des brevets de manière indépendante ; aujourd’hui, nous souhaitons nous tourner vers de l’innovation ouverte, à l’instar d’autres secteurs comme l’industrie pharmaceutique. Nous sommes plutôt en recherche d’alliances et nous multiplions les projets avec les universités et d’autres sociétés.

Dans le domaine de l’offre technologique française en matière d’aluminium, Rio Tinto Alcan est un acteur important avec ses filiales ECL et Carbone Savoie. D’autres sociétés françaises ont accompagné ce développement technologique, comme les sociétés Fives Solios à Lille, Brochot et Alstom, qui ont développé des sous-stations spécifiques dont des équipements électriques ou des équipements environnementaux. C’est une vraie grappe technologique française qui s’est développée autour de ces métiers et qui reste, pour nous, une priorité. Par contre, nous la faisons évoluer d’un mode de fonctionnement autonome vers l’ouverture, ce qui permet d’aller chercher plus de soutiens publics puisque le support à l’innovation européen notamment ne peut pas concerner une seule société, contrairement à la pratique en Chine et aux États-Unis. Historiquement, la France représente, et cela continuera, grosso modo 60 % de l’effort de recherche total de Rio Tinto Alcan dont le centre névralgique est à Voreppe.

Mme Michèle Bonneton. Donc, il n’y aura pas de licenciement ?

M. Olivier Dufour. Puisque nous devons nous ajuster à notre empreinte mondiale, notre budget de recherche global va diminuer. De ce fait, nous avons besoin de revoir les organisations, d’autant qu’en nous tournant vers la recherche ouverte, nous allons révolutionner les modes de fonctionnement. Mais nous en rediscuterons à Saint-Jean-de-Maurienne.

M. le président Jean Grellier. Merci à vous trois d’être venus jusqu’à nous. Nous vous tiendrons informés de l’évolution de nos travaux, mais nous nous reverrons sans doute à Saint-Jean-de-Maurienne.

Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Pierre Fine, secrétaire général,
et Gilles Lodolo, directeur « Emploi-Formation » de l’Union des industries
et métiers de la métallurgie (UIMM)

(Séance du mercredi 27 mars 2013)

M. le président Jean Grellier. Nous vous remercions, Messieurs, d’avoir accepté notre invitation. Notre commission d’enquête porte sur l’avenir de la sidérurgie et de la métallurgie en Europe, industries auxquelles nous avons ajouté celles de l’aluminium et du cuivre – y compris leur transformation – pour former un ensemble dont le périmètre se rapproche ainsi de celui que couvre l’UIMM.

La commission a déjà entendu des organisations sectorielles, comme la Fédération française de l’acier ou l’Association française de l’aluminium, et elle recevra M. Lakshmi Mittal le 17 avril. Nous procéderons par ailleurs à des visites de sites industriels et nous rendrons ainsi à Saint-Jean-de-Maurienne le 18 avril.

L’UIMM occupe une place importante dans le monde de l’industrie, car elle fédère un grand nombre de secteurs. Les questions relatives à l’emploi et à la formation professionnelle sont essentielles pour ces activités, parfois qualifiées – bien à tort – de « vieilles industries », expression contre laquelle nous devons tous lutter.

Nous sommes particulièrement intéressés par l’évolution des effectifs sectoriels et par celle des qualifications et des besoins en personnel découlant de la transformation des techniques et des postes. Le cas de Florange a également mis en lumière un problème de pyramide des âges : à cet égard, la gestion prévisionnelle des effectifs, l’adoption de mesures d’âge et encore l’introduction du contrat de génération représentent sans doute des enjeux importants pour vos entreprises.

L’UIMM a développé, en tant qu’organisation patronale, une expérience de cogestionnaire de nombreux dispositifs de formation professionnelle et nous souhaiterions connaître, Messieurs, les propositions de votre organisation pour mieux adapter le contenu de ces formations aux besoins de vos industries ou pour en réformer l’évaluation.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relatif aux commissions d’enquête, je vais vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Veuillez, tous les deux, lever la main droite et dire : « Je le jure ». (MM. Jean-Pierre Fine et Gilles Lodolo prêtent serment.)

Présidence de M. Michel Liebgott, vice-président de la commission d’enquête.

M. Jean-Pierre Fine, secrétaire général de l’UIMM. L’UIMM représente un large éventail de secteurs d’activité : la sidérurgie, la transformation des métaux, les industries mécaniques, électriques-électroniques, les transports – du vélo aux véhicules à quatre roues, sans oublier l’aéronautique, le spatial et la construction navale – et une partie de la filière nucléaire, avec Areva notamment ; les industries électriques et gazières n’entrent pas, en revanche, dans le champ que nous couvrons. Notre organisation est compétente en matière sociale et dispose à ce titre d’informations intéressantes pour vos travaux, d’autant qu’elles concernent environ 1,5 million de salariés – soit plus de la moitié de l’effectif industriel français – répartis dans 43 000 entreprises.

Nous nous proposons de vous soumettre les principales conclusions d’une étude prospective que nous venons de mener sur l’évolution de l’activité et des métiers dans l’ensemble des secteurs que nous couvrons et sur ses conséquences en termes d’emploi et de formation. Cette étude a été réalisée avec les organisations syndicales dans le cadre de l’observatoire paritaire, prospectif et analytique des métiers et qualifications de la métallurgie, sur le site Internet duquel on peut la trouver.

M. Gilles Lodolo, directeur « Emploi-formation » de l’UIMM. Entre 1,4 et 1,5 million de salariés sont employés dans les entreprises françaises de métallurgie et 60 % d’entre eux le sont dans des établissements qui en regroupent moins de 500. Comme 90 % de ces entreprises comptent moins de cinquante salariés, ce tissu industriel est profondément ancré dans le territoire national. Notre objectif est de mettre à la disposition de toutes les compétences dont elles ont besoin pour mettre en œuvre leur stratégie et rester compétitives.

Le site Internet de l’Observatoire prospectif et analytique des métiers et qualifications de la métallurgie, organisme paritaire créé récemment, offre un large choix d’études sur l’évolution nationale et régionale de nos métiers. Celle que nous vous présentons est la plus générale. Elle nous conduit à estimer que la productivité – la valeur ajoutée rapportée à l’emploi – devrait continuer à progresser dans les années à venir grâce, notamment, à des opérations de mécanisation et de rationalisation des flux. Dans l’industrie, elle devrait croître de 3 % en moyenne annuelle entre 2010 et 2015, puis de 3,2 % entre 2015 et 2020, alors que, pour l’ensemble de l’économie, la progression devrait se limiter, durant les mêmes périodes, à 0,9 %, puis à 1,1 %. Le rythme d’augmentation sera donc nettement plus rapide dans l’industrie, y compris donc dans la métallurgie, que dans le reste de l’économie.

Dans cette étude, nous avons également élaboré plusieurs hypothèses d’évolution de l’activité par branches, en accordant un traitement particulier à certaines d’entre elles – la fabrication de produits informatiques, électroniques et optiques, celle de machines… – qui présentent des forces ou des faiblesses spécifiques, tenant par exemple à l’âge des chefs d’entreprise ou à la plus ou moins grande facilité d’accéder aux brevets. Nous en avons déduit, dans un scénario « central », que 1,3 million de personnes devraient être employées dans la métallurgie en 2020.

Le secteur des industries métallurgiques et minières se caractérisait en 2009 par un fort taux de maintien au travail des salariés âgés de 55 à 59 ans ; a contrario, les jeunes étaient moins nombreux que dans les autres secteurs d’activité – même si l’écart constaté au détriment de l’industrie n’est pas très significatif. La proportion de salariés seniors, globalement forte, variait cependant quelque peu selon les activités : ainsi elle atteignait son niveau le plus élevé dans la « construction des autres matériels de transport » – hors construction automobile, navale, ferroviaire et aéronautique.

C’est plutôt dans les métiers à caractère technique que l’emploi est appelé à progresser dans les prochaines années. D’ici à 2020, le rythme de recrutement des ingénieurs et cadres techniques s’accélérera du fait d’un déplacement des besoins vers les fonctions de conception et de gestion de la production, et vers les activités de flux, aux dépens des activités de production proprement dite. Ce mouvement résulte de la complexification des tâches, mais aussi de celle des organisations industrielles qui s’internationalisent et qui deviennent de plus en plus imbriquées les unes dans les autres, imposant l’élaboration de nouvelles procédures logistiques. La gestion – mondiale, et non plus cantonnée à des territoires restreints – de la chaîne logistique exige un travail intellectuel de plus en plus important : on ne peut plus s’en remettre dans ce secteur à la seule force des bras. Les entreprises sont également amenées à développer des fonctions connexes comme les achats, la QHSE (qualité, hygiène, sécurité et environnement) et la maintenance de l’outil de production.

Malgré les impératifs de flexibilité et les incertitudes sur l’avenir, l’emploi dans la métallurgie reste fondé sur le modèle du CDI à temps plein – 89 % des contrats y sont de ce type.

M. Jean-Pierre Fine. Les besoins de recrutement dans l’ensemble des secteurs que nous représentons s’élèvent à environ 100 000 par an, à rapporter à l’effectif de 1,4 million de salariés.

M. Gaby Charroux. Et pourtant, vous prévoyez une diminution de l’emploi total dans la métallurgie !

M. Jean-Pierre Fine. La perspective d’une baisse de l’emploi – qui devrait décliner d’un niveau compris entre 1,4 million et 1,5 million de personnes en début de période à 1,3 million en 2020 – n’empêche pas des mouvements de se produire à l’intérieur de cette population, dont les départs à la retraite et les changements de secteur d’activité constituent les principaux ; ils nécessitent un flux d’embauches soutenu, ce que nous avons du mal à faire comprendre, car l’opinion publique ne retient que la diminution globale de l’emploi.

Cependant, le déséquilibre de la pyramide des âges au profit des plus de 50 ans, déjà souligné, fait peser sur la métallurgie un risque d’« évaporation » des compétences industrielles, au moment même où il s’impose d’élever le niveau de qualification dans tous les emplois.

S’ajoute à cela une difficulté sur laquelle l’UIMM et les industriels ne cessent d’appeler l’attention : nos entreprises peinent à recruter. Cette situation peut sembler paradoxale en période de chômage élevé, mais la recherche de personnes disposant de compétences adaptées aux offres de travail se solde par bien des échecs. Nous tentons ainsi d’accueillir, dans le cadre de la préparation opérationnelle à l’emploi (POE), des salariés qui ne disposent pas forcément des qualifications idoines ; or, au bout d’un an de cette expérience, nous sommes frappés du faible attrait de ce dispositif auprès des chômeurs : sur cent demandeurs d’emploi contactés par Pôle emploi et par l’UIMM, moins de dix répondent à l’invitation. Mon propos ne vise pas à stigmatiser les chômeurs, mais à mettre en lumière l’existence d’un problème.

Ce constat nous a poussés à créer un fonds de dotation, doté de 70 millions d’euros, pour guider les jeunes les plus éloignés de l’emploi vers les métiers industriels : entre 10 000 et 12 000 d’entre eux reçoivent ainsi une formation – qui peut porter sur des enseignements de base relevant du socle des connaissances ou simplement viser à resocialiser. Cette action n’a rien de philanthropique : elle vise à répondre à un besoin des industriels.

La localisation de l’emploi constitue une préoccupation majeure, car la composition et la stabilité du corps social dans un territoire reposent largement sur l’industrie. Ce qui était un fait historique reste vrai et la désertification de certains espaces a souvent découlé de la fermeture de sites de production. La compétitivité – « coût » et « hors-coût » –, la localisation des marchés et les compétences des salariés sont les facteurs principaux influant sur les décisions de délocalisation de l’activité hors de France. Le sujet de la compétence, particulièrement, occupe à cet égard une place de plus en plus déterminante, quoique difficile à quantifier. Un article de presse de ce matin faisait état du développement d’un pôle aéronautique au Maroc, dont l’une des causes réside dans la présence sur place des compétences recherchées. Aujourd’hui, assurer la maintenance aérienne au Maroc ou la fabrication d’un avion en Chine ne présente plus aucun inconvénient – en aéronautique, on n’en est pas à mille kilomètres près ! –, et de nombreuses pièces sont produites dans divers endroits du monde, l’assemblage ne comptant d’ailleurs que pour 5 % du prix d’un appareil. Disposer des compétences nécessaires en France constitue donc un enjeu fondamental. Or, les entreprises de carénage et EDF échouent à pourvoir plusieurs milliers de postes de chaudronniers, probablement parce que ce métier pâtit d’une image négative, qui ne correspond plus à la réalité.

Cette situation choque du fait du niveau du chômage et de l’étendue des besoins de main-d’œuvre qui demeurent insatisfaits. L’UIMM réunit tous les mois des industriels qui ont, lors de leur dernière rencontre, tenue la semaine dernière, fait du recrutement leur sujet majeur de préoccupation.

M. Michel Liebgott, président. À une certaine époque, la sidérurgie bénéficiait de ses propres centres de formation et la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) permettait justement d’adapter les compétences aux besoins.

Au-delà de l’image négative des métiers de l’industrie, représentation erronée pour qui connaît les usines d’aujourd’hui, ne pensez-vous pas que la baisse continue des effectifs de la sidérurgie empêche les jeunes d’imaginer une carrière dans cette branche d’activité ? Ne devrions-nous pas mettre davantage en lumière la polyvalence de ces métiers qui permet aux salariés de travailler ensuite dans d’autres secteurs ?

En Lorraine, nous avons ouvert, après l’arrêt de Gandrange, un centre de formation pour jeunes, avec notamment l’idée de lutter contre le sentiment de démoralisation que peut induire la fermeture d’un site. Les entreprises n’ont-elles pas conduit un mouvement d’externalisation de certaines activités trop important ? La précarité, qui s’est nourrie du développement de la sous-traitance et du travail partiel, n’a en effet pas contribué à rendre les métiers industriels attractifs.

M. Jean-Pierre Fine. Les effectifs de la métallurgie se montent à 1,5 million de personnes aujourd’hui contre 2 millions il y a vingt ans. Mais les activités externalisées ne sont plus comptabilisées au titre de cette branche, de sorte que certains auteurs estiment que la diminution n’est pas aussi forte que les chiffres le laissent penser. À l’appui de cette thèse, on notera que la production française en volume ne subit aucun déclin.

Les industriels et leurs représentants reconnaissent porter une responsabilité dans l’image négative qui affecte nos métiers, dont nous ne savons pas présenter les atouts : ce sont probablement ceux qui offrent la plus grande stabilité aux salariés en même temps que de vastes perspectives d’évolution professionnelle. Les débats de ces derniers mois sur l’instauration de dispositifs de soutien à la compétitivité de notre pays se sont notamment focalisés sur l’opportunité de les cibler ou non sur les secteurs exposés à la concurrence internationale, c’est-à-dire sur l’industrie ; cela a conduit à étudier la structure des salaires, examen qui a révélé que l’industrie offrait, après le secteur bancaire, les rémunérations les plus élevées. Un chaudronnier jeune diplômé gagne bien plus qu’une caissière de supermarché ! Là aussi, nous échouons à faire connaître ces avantages, car l’attention médiatique se fixe sur les fermetures de sites – qui créent de vrais problèmes sociaux –, engendrant ainsi un effet dévastateur sur l’attractivité des métiers industriels. Jusqu’à une période récente, ce handicap était renforcé par la popularisation du thème de la société post-industrielle, mais la crise de ces dernières années a contribué à faire évoluer la réflexion sur ce sujet dans un sens opposé ; les baromètres d’image ont fait apparaître un retournement, au profit d’un autre concept de société qui, élément positif, fait consensus dans la société comme dans le monde politique. Aujourd’hui, l’industrie est considérée comme un élément vital pour le développement de notre pays et ce constat partagé constitue une base solide pour la reconstruction de notre secteur industriel. Les organisations syndicales de salariés sont nos meilleures alliées sur ce sujet, car nous partageons les mêmes analyses et les mêmes objectifs.

Il convient donc de s’attaquer à ce problème des compétences, afin de restaurer l’industrie dans notre pays car nous disposons par ailleurs d’atouts considérables. Vous les connaissez tous : situation géographique, infrastructures et, domaines dans lesquels la France tient un des tout premiers rangs au monde, innovation et créativité.

Nous avons déployé des instruments de formation continue pour nos salariés, car les technologies évoluent très rapidement ; nous comprenons très bien que, pour des raisons sociales, on privilégie en la matière les dispositifs en faveur des moins qualifiés, mais ne négligeons pas pour autant le fait que l’avenir de notre pays et de notre industrie dépend du développement des plus hauts niveaux de compétence. Nous ne devons pas opposer le soutien au travail peu qualifié à la stimulation de l’excellence, d’autant que l’emploi non qualifié dépend de l’emploi qualifié, qui permet la croissance de la valeur ajoutée et de la production. L’efficacité de notre organe de formation continue, l’Association de formation professionnelle de l’industrie (AFPI), inspire plusieurs de nos homologues étrangers ; nous avons suppléé là le marché – un tel instrument nécessitant l’élaboration et la mise à jour d’outils onéreux – pour créer les conditions du maintien d’un haut niveau de compétences. Les entreprises en bénéficient directement, puisque les salariés doivent parfois être formés instantanément et de manière individualisée pour répondre à certaines commandes. Étant donné la nature des marchés, on ne peut pas attendre six mois pour leur dispenser une formation directement utile à leur travail : nos entreprises ont souvent dû refuser des commandes parce que leurs employés ne disposaient pas des compétences nécessaires.

Malgré le ralentissement économique général de ces dernières années, l’état de la pyramide des âges et la volonté de montrer aux jeunes qu’ils peuvent avoir un avenir dans l’industrie nous ont incités à développer les mécanismes d’alternance dans notre branche : ainsi, le nombre d’alternants s’élevait à près de 38 000 en 2012, contre 34 000 deux ans plus tôt. La formation par l’apprentissage va du CAP au diplôme d’ingénieur mais, dans nos centres, 60 % des apprentis suivent des formations d’un niveau supérieur au baccalauréat. Ces dispositifs fonctionnent, car le taux d’insertion dans l’entreprise et dans l’emploi s’élève à 85 %. Même si une évolution des outils peut être envisagée, nous devons absolument préserver ce lien fondamental entre l’apprentissage, l’entreprise et l’emploi.

Chaque année, 3 000 à 4 000 contrats d’apprentissage – soit 10 % environ de ceux qui sont offerts par nos entreprises – sont perdus par manque de candidats. En revanche, grâce à la qualité de cette formation, le taux d’abandon – l’un des problèmes de l’apprentissage en général – n’atteint pas 5 %, ce qui est sans doute à mettre en rapport avec l’excellent taux d’insertion ensuite. Ce dispositif de l’UIMM – qui repose sur un réseau de 4 500 formateurs – coûte cher à nos entreprises, mais elles en ont besoin.

M. Alain Bocquet, rapporteur. Nous ne prendrons jamais la mesure des immenses dégâts causés par l’idée de la société post-industrielle. Réorienter les enfants vers l’industrie nécessite le concours de tous et constitue un vrai défi, sachant qu’ils ont été incités depuis des années à voir plutôt leur avenir dans l’événementiel et la communication. Comment associer l’éducation nationale à ce travail, qui implique un véritable changement de culture ?

Comment les salariés peuvent-ils utiliser les périodes de chômage partiel – qui se sont développées dans certains secteurs comme l’automobile en raison de la crise – pour se former ?

Quels sont les principaux enjeux de compétitivité que doivent affronter les entreprises que vous représentez ?

L’Allemagne dépense beaucoup pour la transition énergétique, mais ses industriels paient leur énergie moins cher que les nôtres : qu’en pensez-vous ? D’autre part, quelle appréciation portez-vous sur le système européen de certification d’émission de CO2 ?

M. Gaby Charroux. Pour ce qui est de la formation, les constats que j’ai pu faire à Martigues et à Fos-sur-Mer, dans ma circonscription, rejoignent les vôtres. En revanche, ce que vous avez dit à propos de la mauvaise image de l’industrie me surprend : dans les territoires de tradition industrielle, population et syndicats sont très attachés à cette culture et le démontrent d’ailleurs en se mobilisant quand la production est menacée – ainsi en Moselle ou, aujourd’hui, dans ma région, autour du site chimique de Kem One. Les familles n’ont aucune réticence à orienter leurs enfants vers ce secteur, d’autant qu’elles connaissent les atouts auxquels vous avez fait allusion – stabilité, niveau des salaires et perspectives de promotion. Il existe donc un hiatus entre votre discours – qui est parfois aussi celui des médias – et ce que l’on constate dans les zones industrielles – en tout cas dans la mienne, d’ailleurs peuplée de beaucoup de Lorrains ayant émigré à Fos et Martigues. Comment pourrions-nous agir en prenant appui sur ce préjugé favorable à l’industrie ?

Existe-t-il vraiment des compétences que les industriels trouveraient au Maroc et pas dans notre pays ? L’analyse de la situation dans mon territoire et de l’évolution de l’Éducation nationale ces dernières années, ainsi que ma fonction antérieure de directeur d’un centre d’information et d’orientation (CIO) me conduisent à afficher une certaine perplexité quand je vous entends dire qu’il serait impossible de disposer de certaines compétences ; il y a certes des jeunes qui sont très éloignés de l’emploi, mais ceux qui suivent une formation de chaudronnier ou de soudeur dans le cadre de l’Éducation nationale sont parfaitement à même de répondre aux besoins des entreprises – peut-être ce constat ne vaut-il toutefois que dans les territoires à forte tradition industrielle.

Mme Martine Carrillon-Couvreur. J’abonderai dans le sens de mon collègue Gaby Charroux. La Nièvre, dont je suis l’élue, abrite à Imphy un site industriel important auquel tous les habitants du département sont très attachés. L’UIMM, avec d’autres partenaires, y a ouvert un très bon centre de formation où je me rends tous les ans. On me dit à chaque fois qu’on a du mal à y attirer les jeunes, mais aussi que ceux qui en sortent ne trouvent pas facilement d’emploi. Il nous faut donc tout faire pour améliorer la situation.

Il existe une envie de se former et de travailler dans vos entreprises et si les professions de chaudronnier et de soudeur souffrent d’une image négative, il nous appartient d’essayer de corriger cette représentation car, dans la situation de l’emploi actuelle, il n’y a pas de raison que les jeunes se détournent de métiers stables, bien rémunérés et offrant des perspectives d’évolution.

Comment envisagez-vous, Messieurs, l’évolution de vos métiers et de quels moyens disposez-vous pour les promouvoir ou, tout simplement, pour en donner une plus juste perception ? Il me paraîtrait important de reconduire d’année en année les campagnes d’information dont vous avez pris l’initiative, d’autant que nombreuses sont les familles qui, inquiètes pour l’avenir de leurs enfants, pourraient y être sensibles, sans parler des chômeurs qui pourraient avoir l’idée de se réorienter vers ce secteur de la métallurgie.

Enfin, s’il vous est difficile d’attirer les jeunes à des métiers où les seniors sont nombreux, comment comptez-vous faire évoluer la pyramide des âges ?

Mme Marie-Jo Zimmermann. Vous entendre incite à l’optimisme, à ceci près qu’on ne voit pas que vos propos se vérifient dans le cas de la Moselle. Peut-être ne savons-nous pas rendre attractifs les métiers de l’industrie auprès des jeunes… Il reste que notre région qui, plus que la Lorraine, a fait vivre la France pendant des décennies avec les houillères et la sidérurgie, se trouve aujourd’hui abandonnée. Il faut donc que vous nous aidiez à faire partager votre optimisme.

M. Jean-Pierre Fine. Nous allons créer une association de défense des métiers de la métallurgie !

Mme Marie-Jo Zimmermann. Pourquoi pas ? Mais, en Moselle, votre tâche sera immense et vous devrez donner des éléments aux élus pour qu’ils relaient votre message.

M. Jean-Pierre Fine. Il convient d’insister sur l’orientation, qui ne se réduit pas à la communication…

Mme Marie-Jo Zimmermann. Chez nous, c’est la communication qui fait défaut. L’orientation existe déjà !

M. Jean-Pierre Fine. Nous conduisons des actions d’information dans les lycées, en lien avec les enseignants et les conseillers d’orientation, mais ce travail n’est sans doute pas suffisant.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Les fermetures d’usines annihilent tous les efforts d’orientation, Monsieur !

M. Jean-Pierre Fine. Nous subissons également l’impact d’autres fermetures, celles des sections de formation aux métiers industriels. Nous pouvons comprendre les raisons économiques qui les motivent, car nous savons ce qu’il coûte d’entretenir des sections de cinq ou six élèves dans nos centres de formation d’apprentis de l’industrie (CFAI) ; nous acceptons de supporter cette charge parce que nos entreprises ont besoin de jeunes formés, mais je reconnais que tout cela n’est pas facile à organiser.

L’accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier dernier permet d’utiliser davantage les périodes de chômage partiel pour la formation. Nous tentons de favoriser un emploi aussi large que possible de ce dispositif, notamment en faveur des PME et des PMI, qui font face aux problèmes les plus aigus et pour lesquelles un recours simplifié au chômage partiel est un besoin vital, ne serait-ce que pour former leurs salariés sans désorganiser leur production – c’est d’ailleurs d’autant plus nécessaire que ces entreprises n’ont pas la culture de la formation.

La compétitivité ne repose pas sur le seul coût du travail. En février 2012, l’UIMM a d’ailleurs élaboré un pacte social pour une industrie compétitive qui reposait sur quatre piliers dont seul le dernier était lié à un problème de coût : c’étaient les compétences, la qualité du dialogue social, le fonctionnement du marché du travail et le financement de la protection sociale.

Nous ne sommes pas compétents pour répondre à votre question sur l’énergie ; il faudrait la poser à nos fédérations, qui vous diront certainement que le bas coût de l’énergie représente bien un avantage compétitif.

Nous devons sans aucun doute intensifier nos efforts pour améliorer l’image de l’industrie, et les maintenir dans la durée, mais il faut bien mesurer l’investissement que cela suppose ! Les 7 millions d’euros que nous consacrons chaque année à nos campagnes de communication, et qui peuvent sembler beaucoup, sont en fait largement insuffisants. Il est dans ces conditions souhaitable que toutes les parties concernées mettent leurs moyens en commun et, à cet égard, les Semaines de l’industrie, dont la dernière s’est achevée dimanche, représentent une initiative tout à fait utile.

Au cours de la dernière année, nous avons constaté dans l’opinion publique un mouvement favorable à l’industrie, mais va-t-il se concrétiser ? Autrement dit, qui conseillera à son enfant d’entrer dans une filière d’alternance pour exercer un métier industriel ?

Nous nous heurtons aussi à un problème de mobilité lors des fermetures de sites. Dans le cas des suppressions de postes décidées par le groupe PSA, il sera autrement plus difficile de reclasser les salariés dans le bassin de Rennes que dans celui d’Aulnay-sous-Bois. Les disparités entre les territoires se comblent péniblement, de sorte que les mobilités géographiques et professionnelles sont limitées. Sans parler des obstacles culturels : rejoindre l’aéronautique – et y recevoir un bon accueil – ne va pas de soi quand on vient du secteur automobile.

À Toulouse, les industriels de l’aéronautique ne parviennent pas à recruter les compétences à la mesure de leurs besoins, qui sont considérables compte tenu d’une forte montée en cadence. En effet, leurs carnets de commande sont remplis pour les sept prochaines années et ils doivent produire quarante-deux A320 par mois. Cela supposerait de recruter 5 000 à 6 000 personnes par an, ce qui ne peut se faire sur le marché local.

M. Gaby Charroux. Les considérations salariales sont-elles étrangères au choix de recruter au Maroc ?

M. Jean-Pierre Fine. Elles jouent un rôle marginal.

Les disparités de niveau d’activité selon les secteurs se retrouvent évidemment dans l’évolution des salaires : ceux-ci stagneront dans l’automobile en 2013, alors qu’ils croîtront de 3,5 à 4 % dans l’aéronautique. La dualité du marché du travail engendre ainsi d’importants problèmes, constat que nous partageons avec les organisations syndicales. À force de renforcer certains secteurs, on précarise les autres, dans lesquels dominent les CDD, l’intérim et la sous-traitance.

Nous réfléchissons, avec les représentants des salariés, aux moyens de favoriser le maintien des seniors dans l’emploi, sujet qui est étroitement lié à un second : celui de la prévention de la pénibilité. Les conditions de travail restent dures pour certains salariés, mais elles se sont considérablement améliorées au cours des quarante dernières années et ce mouvement va se poursuivre. Cependant, il arrive qu’il produise des effets pervers : certains salariés perçoivent ainsi une prime de pénibilité qui représente 20 à 30 % de leur rémunération et, tout naturellement, ils répugnent à renoncer à cette source de revenu… Nous avons donc imaginé des solutions – malaisées à appliquer – comme la création d’un compte épargne-temps qui permet de partir plus tôt en retraite et qui ne contraint pas les employés à occuper un poste pénible pour le surcroît de rémunération qu’il offre.

Oui, certains territoires ont été particulièrement touchés par la perte d’emplois industriels, mais nous croyons à l’industrie ! Nous ne pensons pas pécher par excès d’optimisme lorsque nous prévoyons une baisse, de 1,4 à 1,3 million de salariés, des effectifs employés dans la métallurgie ! Simplement, le déclin de l’industrie ne nous paraît pas inéluctable, surtout si nous parvenons à résoudre le problème de la formation et des compétences.

M. Michel Liebgott, président. Messieurs, nous vous remercions.

Audition, à huis clos, des représentants du Groupe de réflexion
sur l’avenir de la métallurgie en France (GrameF)

(Séance du mercredi 27 mars 2013)

M. Michel Liebgott, président. Je vous prie d’excuser M. Jean Grellier, président de la commission d’enquête, retenu par une autre réunion.

Le GrameF a été constitué en 2009 par la réunion spontanée de cadres de la sidérurgie et de la métallurgie. Il s’agit d’une structure indépendante qui souhaite présenter des scénarios alternatifs de reconfiguration des industries sidérurgiques et métallurgiques.

Vous avez saisi notre rapporteur, M. Alain Bocquet, dès la constitution de cette commission d’enquête, et nous allons écouter attentivement vos propositions, étant entendu que nous recueillerons également celles des organisations syndicales, à l’occasion d’une prochaine table ronde et de visites de sites de production.

Cette audition se tiendra à huis clos : certains d’entre vous poursuivent en effet leur carrière dans des entreprises qui font l’actualité sociale du secteur, il est compréhensible qu’ils ne souhaitent pas que leurs opinions puissent interférer avec leur tâche quotidienne.

Vous pouvez, bien entendu, vous exprimer en toute liberté et évoquer par exemple le cas de Florange, au travers notamment du rapport de M. Pascal Faure qui a recueilli vos observations.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relatif aux commissions d’enquête, je vais vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Veuillez, tous les trois lever la main droite et dire : « Je le jure ». (Les représentants du GrameF prêtent serment.)

Un représentant du GrameF. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, nous vous remercions de nous avoir conviés à cette audition et tenons à vous féliciter d’avoir créé cette commission, sous votre impulsion, monsieur le rapporteur, et après de riches débats.

Vous avez raison de défendre l’intérêt stratégique que représentent la sidérurgie et la métallurgie pour notre pays.

La Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) est à l’origine de la Communauté économique européenne (CEE) : la sidérurgie a donc été la clef de voûte de la construction européenne et délaisser la première revient un peu à abandonner la seconde. D’autre part, comme vous l’avez souligné au cours de vos discussions, notre secteur présente un intérêt de premier plan, non seulement intrinsèquement, mais aussi pour les activités qui lui sont associées. Pourrait-on envisager un seul instant que votre Assemblée se désintéresse de l’avenir de l’agriculture ou de l’énergie, autres secteurs stratégiques, ou bien que vos amis politiques allemands se désintéressent de leur sidérurgie ou de leur métallurgie ?

Il est pourtant clair qu’en France, la puissance publique sous-estime l’importance de ces deux secteurs.

Oui, Mesdames et Messieurs les députés, les politiques doivent assumer leurs responsabilités envers notre filière et le GrameF propose de vous y aider, dans la mesure de ses compétences.

Un représentant du GrameF. J’ai fait l’essentiel de ma carrière dans l’industrie de l’aluminium, au sein du groupe Péchiney – devenu Alcan – où j’ai exercé des fonctions au Centre de recherche de Voreppe. Depuis quelques années, je suis membre de l’Académie des technologies qui, avec l’Académie des sciences, a rédigé un rapport dont certaines propositions ont servi de base à la réflexion du GrameF. Enfin, j’appartiens depuis peu au Comité d’orientation de la recherche métallurgique, installé par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Un représentant du GrameF. J’ai consacré trente-cinq ans à la sidérurgie en tant qu’ingénieur, j’ai pratiqué tous les métiers : aciérie, revêtement, laminage à froid et à chaud. Lors de la fusion de 1987 entre Usinor et Sacilor, j’ai rejoint le siège de la nouvelle entité; j’ai aussi travaillé pour définir la stratégie d’un groupe sidérurgique pendant cinq ans. Ce fut une expérience exaltante puisque ce groupe est devenu, au bout de dix ans, le premier groupe mondial du secteur.

J’ai ensuite été, pendant six ans, responsable « CECA » aux affaires internationales, assistant à ce titre plusieurs ministres. J’ai également eu des responsabilités à la Commission sidérurgie de l’ONU – qui existait encore à l’époque – au nom du Gouvernement français. C’est au cours de ce mandat que la Commission a accueilli la Chine, alors modeste pays producteur ...

Je suis actuellement actif au sein du groupe des actionnaires salariés d’ArcelorMittal ; nous tenons une revue de presse stratégique depuis six ans et suivons tous les événements internationaux.

En 2009, nous avons créé le GrameF, lorsque nous nous sommes rendu compte que les objectifs de l’actionnaire principal de la sidérurgie n’étaient plus conformes à l’intérêt de notre pays. « Indignés !» – pour reprendre le mot de M. Stéphane Hessel –, nous avons décidé d’agir et nous n’avons eu de cesse depuis d’intégrer à notre groupe, qui compte aujourd’hui trente-huit membres, des experts, dont certains encore en activité.

M. Alain Bocquet, rapporteur. Nous pouvons saluer les cadres et ingénieurs qui, parvenus pour certains au terme de leur carrière, ont décidé de continuer à mettre leur expertise au service de la sidérurgie et de la métallurgie, pour assurer un avenir à ces industries.

Comment concevez-vous votre action ? Fils de mineur, j’ai toujours considéré que l’industrie faisait partie de notre vie mais, il y a trente ans, une hérésie intellectuelle a promu le concept de la société post-industrielle qui conduisait à dénigrer l’ensemble de ces activités. Les esprits en ont été profondément marqués et reconquérir le terrain perdu demandera de gros efforts. J’en veux pour preuve la menace que brandissait l’an dernier, contre quelques élèves chahuteurs, un enseignant dont la classe visitait l’usine Alstom de Raismes, près de Valenciennes : « Si vous continuez, voilà le travail que vous aurez plus tard ! ». L’usine étant ainsi assimilée au bagne, on incite plutôt les jeunes à s’orienter vers les métiers de la communication, de l’événementiel ou de l’environnement ! Peut-être, en faisant partager votre expérience, pourriez-vous contribuer à combattre cet état d’esprit. Ce serait bénéfique, car il vaut bien mieux être ingénieur de l’aéronautique que chercher dans l’événementiel un emploi que l’on ne trouvera pas.

M. Michel Liebgott, président. Les représentants de l’UIMM que nous auditionnions précédemment nous ont affirmé que, malgré une tendance au déclin de ses effectifs, la métallurgie créait 100 000 emplois nets par an, que les entreprises avaient du mal à pourvoir. Faites-vous le même constat ?

Plus généralement, beaucoup estiment que certains sites sont condamnés, du fait à la fois d’une surcapacité de production et de l’absence de perspective de reprise. Pourtant, dans le même temps, on envisage d’importer un jour de l’acier de Chine, qui assure déjà la moitié de la production mondiale…

Que pensez-vous des projets de création d’aciéries électriques ?

On parle aujourd’hui beaucoup moins du plan UlcosUltra-low carbon dioxide steelmaking –, qui semble être remplacé par un projet désormais dénommé LIS, assez proche à ceci près que l’horizon de développement, fixé à 2030, a été repoussé à 2040, voire à 2050. La sidérurgie du futur passe-t-elle par la réduction des émissions de CO2 et par de tels projets ?

Enfin, quelles questions poseriez-vous à M. Lakshmi Mittal le 17 avril si vous étiez membres de cette commission ?

M. Patrice Prat. Député du Gard, le mandat de maire que j’exerce depuis vingt ans m’a conduit à me familiariser avec la métallurgie, sous les auspices de Péchiney Électrométallurgie, devenue filiale d’Alcan et aujourd’hui rachetée par FerroAtlántica. J’ai également connu la fermeture d’un groupe sidérurgique – Arcelor, sous la présidence de M. Francis Mer – et me sens donc particulièrement concerné par ce sujet. À quoi ressemblera la sidérurgie du futur en France ? Quels sont les progrès à attendre au cours des deux prochaines décennies, au-delà de la modernisation classique de l’appareil de production ?

Un représentant du GrameF. Comme annoncé précédemment, à l’initiative de l’Académie des sciences et de l’Académie des technologies un rapport scientifique et technique – RST –, intitulé : « La Métallurgie, sciences et ingénierie » a été publié en avril 2010, pour alerter les pouvoirs publics et l’opinion sur la situation inquiétante, en France, de la métallurgie.

Sur cette base, le GrameF a émis le 28 mars 2011 un document: « La Métallurgie : un nouveau défi pour la France », proposant une stratégie nationale pour la recherche, la formation et la production industrielle dans la métallurgie. La Conférence nationale de l’industrie (CNI) n’a pas retenu nos idées concernant la partie industrielle, mais nous avons obtenu récemment gain de cause au ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche par la création d’un comité chargé de travailler sur les questions de recherche et de formation. Un membre du GrameF en fait partie.

Un représentant du GrameF. Ce comité devait initialement se concentrer sur les questions liées à la recherche, les deux académies ayant recommandé de restructurer celle-ci afin de permettre à la métallurgie de renouer avec son excellence traditionnelle – ce n’est en effet pas un hasard si notre pays a produit de grands groupes comme Usinor-Sacilor ou Péchiney, qui furent des leaders mondiaux pendant de nombreuses années. Ce travail se poursuit mais, très vite, les questions de formation ont pris le dessus.

L’UIMM faisant partie de ce groupe de travail, nous connaissons les chiffres dont vous avez fait état, Monsieur le président, mais le problème est aussi qualitatif : la métallurgie pâtit d’une mauvaise image dans l’ensemble des établissements de formation, y compris les grandes écoles. Encore récemment, celles-ci proposaient des options en métallurgie d’excellent niveau qui ont toutes disparu aujourd’hui. Le même constat peut être dressé pour les formations bac+2, puisque les employeurs éprouvent les plus grandes difficultés à trouver des techniciens supérieurs pour travailler dans notre secteur. Cette situation est évidemment très préoccupante et nous allons essayer d’élaborer des propositions pour y remédier avec l’appui des ministères compétents. Il faut rétablir une image positive de la métallurgie, notamment en faisant connaître ses succès, suffisamment nombreux. Mais, pour réussir, il faudrait que l’ensemble des pouvoirs publics aient confiance dans l’avenir de cette industrie, ce qui n’est malheureusement pas vraiment le cas.

Un représentant du GrameF. Ce comité recherche et formation recensent actuellement l’ensemble des besoins par niveau de qualification. Les employeurs s’impliquent dans cette réflexion sur la recherche et la formation, mais ils ont délaissé la partie strictement industrielle de notre stratégie nationale.

Un représentant du GrameF. Monsieur le président, j’ai travaillé dans le cadre du « Plan Braun »de 1994 – qui avait succédé au « Plan Davignon », bien plus ancien – et j’ai constaté que les Européens étaient prompts à déplorer leurs surcapacités. Or, l’année dernière, le syndicat mondial de l’acier – la World Steel Association, installée à Bruxelles, anciennement Institut international de l’acier, IISI – a fait état, dans sa publication annuelle de données, de surcapacités en Chine. Ce pays produit environ 600 millions de tonnes et déclare 200 millions de tonnes de surcapacités, soit l’équivalent de la production européenne.

En Europe, nous avons été les premiers à procéder à des fermetures, dont certaines auraient pu être évitées – peut-être celle à laquelle vous avez fait allusion, monsieur Prat, et que je ne connais pas.

M. Patrice Prat. C’était celle du site de L’Ardoise. 

Un représentant du GrameF. Il s’agissait d’une délocalisation vers la Belgique, donc « intra-européenne ». En 1992, M. Francis Mer, alors président d’Eurofer, souhaitait, comme les Britanniques, faire un exemple : ainsi cessèrent l’activité de La Société métallurgique de Normandie (SMN) et celle d’une usine au Royaume-Uni. Des aides d’État ont ensuite facilité la fermeture d’autres sites. Mais ce « dynamisme » européen ne fait guère d’émules dans les autres continents !

Si l’on accepte d’importer de l’acier de Chine, il faudra mettre en avant une obligation de réciprocité. Beaucoup d’usines chinoises sont obsolètes ; elles devraient arrêter leur production bien avant les nôtres et les conditions économiques de leur fonctionnement devraient faire l’objet de discussions dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

La propension de l’Europe à fermer ses usines est encore aggravée par le système des quotas de CO2 : ce dispositif a ainsi permis à M. Lakshmi Mittal et à d’autres industriels de percevoir des millions d’euros parce qu’ils n’avaient pas utilisé tous leurs quotas grâce à la mise à l’arrêt de hauts fourneaux. En tant qu’actionnaire, je refuse de toucher les dividendes engendrés par la cessation d’activité d’installations industrielles.

M. Michel Liebgott, président. M. Francis Mer nous a expliqué que nous devions produire à la fois de l’acier standard et de l’acier haut de gamme. À quoi ressemblera la sidérurgie du futur ? La Chine fabrique près de la moitié de l’acier mondial et émet trois tonnes de CO2 – contre deux en France – pour chaque tonne d’acier produite. Les États-Unis et la Chine n’ont pas pris part au projet Ulcos – maintenant Lis – et, lors de la réunion du comité de suivi de Florange il y a deux jours, les représentants du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche et ceux d’ArcelorMittal ont expliqué qu’ils pilotaient seuls ce projet qui était précédemment conduit dans le cadre d’un consortium européen rassemblant quarante-huit partenaires. Cet isolement ne constitue pas un progrès. La situation est d’ailleurs quelque peu paradoxale, puisque le commissaire européen à l’industrie et à l’entrepreneuriat, M. Antonio Tajani, semble vouloir s’occuper du sujet.

Nous nous trouvons donc à un moment décisif : continuerons-nous de tenter de produire un acier plus propre – sachant que cet objectif ne pourra pas être atteint avant 2030 ou 2040 – et devons-nous mettre en œuvre une politique plus protectionniste dans l’intervalle, ce qui supposerait d’ailleurs d’avoir des données plus précises sur le volume des importations ?

Un représentant du GrameF. La consommation mondiale d’acier connaît une croissance impressionnante par rapport à celle d’autres secteurs, puisqu’elle est passée de 800 millions de tonnes il y a dix ans à 1,5 milliard de tonnes aujourd’hui et devrait approcher de 2 milliards de tonnes en 2030.

Bien que la presse décrive souvent l’acier comme une production du passé, nous avons une place à défendre dans la sidérurgie mondiale, même si nous y occupons un rang relativement modeste puisque, sur une vingtaine d’années, notre production a tourné autour de 20 millions de tonnes par an – en 2010, les États généraux de l’industrie avaient prévu qu’elle progresserait de 25 % jusqu’en 2015, soit 25 millions de tonnes, mais le niveau s’établit plutôt à 15 millions de tonnes ces dernières années. Certes, il ne fait pas de doute que nous allons régresser dans la hiérarchie des pays producteurs, dans la mesure où certains vont nous dépasser, mais nous devons maintenir ce niveau de production et repousser comme une aberration l’idée selon laquelle nous n’aurions plus à fabriquer d’acier.

Un représentant du GrameF. La France a produit en 2011: 15 millions de tonnes d’acier, l’Allemagne 44 et l’Italie 28 ; en 1980, la France produisait 23 millions de tonnes, l’Allemagne 44 et l’Italie 26. Seule la production française a donc décliné.

Nous sommes assis en Europe sur un gisement de matières premières secondaires, autrement dit de ferrailles, estimé à 3 milliards de tonnes (source : Laplace Conseil). La filière électrique produit 40 % de l’acier français, le reste provenant de la filière fonte ; cette proportion est inverse aux États-Unis. La France est exportatrice nette de ferrailles à hauteur de 3,5 millions de tonnes – et l’Europe exporte 20 millions de tonnes : il y a donc place pour une politique de recyclage plus offensive – et cela vaut aussi pour l’aluminium –, quitte à devoir structurer la filière. Autrement dit, le recyclage devrait prendre une plus grande place dans la sidérurgie de demain.

Le projet Ulcos – dont on regrette qu’il finisse par un combat entre M. Lakshmi Mittal et l’État – présente le mérite de diminuer les rejets de CO2 dans l’atmosphère tout en améliorant le rendement des hauts fourneaux de 30 à 40 %. Ces avancées technologiques permettront de produire davantage d’acier, avec une signature énergétique moindre pour cette filière fonte, car tout ne pourra pas provenir de la filière électrique. Prétendre qu’Ulcos pourrait être le fossoyeur de la sidérurgie européenne est donc faire fi de toutes les recherches menées en amont pour améliorer le process.

D’autre part, ce projet est à considérer dans le contexte du commerce des quotas de CO2 : ArcelorMittal a perçu des centaines de millions d’euros grâce à ce système et des contreparties d’investissement pourraient être réclamées. On oppose souvent à cette demande la faible valeur actuelle des quotas de CO2. Mais vous responsables politiques pourraient, après avoir engagé un dialogue avec les industriels, prendre des mesures pour la faire remonter !

En finalité le recyclage et nos compétences techniques reconnues permettant une différentiation par l’innovation, constituent les deux piliers de la sidérurgie et de la métallurgie de demain.

Un représentant du GrameF. Concernant la question des progrès possibles, je voudrais citer un exemple de succès qui montre le potentiel d’un métal tel que l’aluminium. Hier, à l’usine Constellium d’Issoire – qui regroupe les éléments restant de la transformation de Pechiney –, j’ai assisté à l’inauguration d’une fonderie produisant les nouveaux alliages aluminium-lithium « Airware »: unique au monde, cette unité contribue à placer Constellium au premier rang mondial pour les alliages destinés à l’aéronautique. Cette innovation résulte de près de vingt ans de recherches menées dans les laboratoires de Péchiney-Alcan, avec le soutien des laboratoires publics. L’avenir de l’aluminium est précisément dans le renouvellement permanent des alliages et dans la découverte de nouvelles applications, qui peuvent concerner demain d’autres secteurs que l’aéronautique.

Nous devons également mieux valoriser nos déchets. J’espère que nous maintiendrons nos efforts pour sauvegarder une industrie de l’aluminium primaire, celle qui repose sur l’électrolyse, mais l’Union européenne ne produit que quelque deux millions de tonnes par cette voie quand elle consomme environ 11 millions de tonnes d’aluminium. L’écart est comblé par l’importation d’aluminium primaire (environ 5 Mt) et l’aluminium recyclé à partir de la refusion de déchets (environ 4 Mt). Or dans ce dernier domaine, la France est aujourd’hui globalement importatrice de métal recyclé et exportatrice de déchets. La valorisation de ceux-ci est donc importante, car elle permet de compenser le désavantage comparatif par rapport à des pays qui disposent soit de minerai, soit de conditions d’approvisionnement en énergie électrique beaucoup plus favorables.

La France possède donc deux richesses dans ce domaine comme dans celui de l’acier : la compétence métallurgique et la source de matières premières que constituent les déchets.

Un représentant du GrameF. Notre avenir, dit-on à l’occasion, serait dans le haut de gamme. J’appelle cela, quant à moi, la fuite dans le haut de gamme ! Nous devons notre gisement de ferrailles à notre longue histoire industrielle et au démantèlement de bâtiments vieux de vingt ou trente ans ; les pays neufs qui se dotent d’une industrie sidérurgique n’ont pas le même recours et sont par conséquent contraints d’utiliser du minerai. Ne sous-estimons donc pas cette ressource, que nous exportons en ce moment en Turquie pour la faire revenir sous la forme de ronds à béton. Nous avons besoin de ceux-ci pour développer la construction et il nous faut donc une ou deux aciéries électriques pour remplacer Gandrange et produire ce genre de matériaux de base. Il ne faut pas céder à la tentation de ne vouloir fabriquer que du haut de gamme. Nous savons développer une production standard, comme en attestent l’Aciérie de l’Atlantique à Bayonne ou Vallourec à Aulnoye.

M. Michel Liebgott, président. La CGT, en lien avec la région Lorraine, porte le projet de création d’une aciérie électrique à Gandrange.

Un représentant du GrameF. Les membres du GrameF sont attentifs à cette hypothèse et étudient actuellement un bilan économique de cette filière au regard de certains débouchés. Nous restons à votre disposition, y compris pour vous aider à élaborer des questions à l’adresse de M. Lakshmi Mittal ! Nous avons le sentiment inquiétant que le financier a pris le pas sur l’entrepreneur : ce sont les agences de notation qui dictent sa politique industrielle, lui imposant de réduire sa dette et de restructurer son groupe. D’où la disparition de capacités de production qui nous feront défaut en cas de reprise. Nous vous transmettrons une liste de questions que nous avons préparée à partir des réponses qu’il avait fournies aux parlementaires en 2006.

Audition, ouverte à la presse, de M. Gérard Glas,
Président de Tata Steel France Rail SA

(Séance du mercredi 3 avril)

M. le président Jean Grellier. Nous accueillons, ce matin, M. Gérard Glas qui dirige Tata Steel France Rail SA, une filiale du conglomérat industriel et commercial indien Tata. Ce « géant » emploie près de 450 000 salariés dans le monde. Je vous avais rencontré, Monsieur le président, en préparant mon avis sur le budget de l’industrie parce que le président de la commission des affaires économiques, François Brottes, m’avait demandé de porter une attention particulière à la sidérurgie.

Il s’agit, pour le groupe Tata, d’une activité centenaire, devenue plus importante encore depuis le rachat en 2007 du groupe Corus – dirigé à l’époque par Philippe Varin, qui est aujourd'hui à la tête de PSA –, issu lui-même d’une fusion intervenue, en 1999, entre British Steel et le néerlandais Hoogovens. Depuis, la présence européenne du groupe Tata s’est renforcée avec le rachat, en 2008, des constructeurs Jaguar et Land Rover, jusque-là propriété de Ford, illustrant ainsi la dimension prise par le processus de mondialisation.

Tata Steel possède une importante usine en France implantée sur les communes d’Hayange et de Nilvange, proche du site d’ArcelorMittal à Florange. Elle marche plutôt bien puisque le groupe Tata y a investi quelque 50 millions d’euros au cours des trois dernières années. Spécialisée dans le ferroviaire et la fabrication de rails, elle s’est lancée notamment la production de rails de 108 mètres de long, alors que les rails mesurent traditionnellement de 36 à 72 mètres

Le parcours professionnel de M. Glas retient tout spécialement notre attention. Il est un homme des métiers de la sidérurgie et joue aussi un rôle important au sein de la filière ferroviaire, notamment au sein de la Fédération des industries ferroviaires, la FIF, dont il dirige le groupement « Infrastructure ».

Sous la précédente législature, une commission d’enquête, présidée par Alain Bocquet, qui est aujourd'hui notre rapporteur, s’était consacrée aux industries ferroviaires. Nous avions alors particulièrement encouragé la structuration de cette filière qui reste un de nos points forts industriels. Vous aurez ainsi l’occasion de nous dire, Monsieur le président, si notre précédent travail allait dans la bonne direction et, évidemment, s’il vous parait possible de faire émerger une véritable filière européenne de la sidérurgie.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter serment.

M. Gérard Glas prête serment.

M. Gérard Glas, Président directeur de Tata Steel France Rail SA. Je vous remercie de me recevoir ce matin. Je préfère vous dire tout de suite que je suis plus spécialisé dans le ferroviaire que dans la sidérurgie en général. J’ai commencé ma carrière chez Sacilor en 1974, plus précisément chez Davum, une entreprise qui transformait l’acier, et qui a disparu depuis. En 1981, j’ai rejoint une autre filiale de Sacilor spécialisée dans la production de rails. Par la suite, j’ai toujours évolué dans ce secteur si bien qu’il m’est plus facile de vous parler des métiers du ferroviaire que des autres métiers de l’acier comme l’automobile ou le packaging.

En tant que président du groupement « Infrastructure » de la Fédération des industries ferroviaires, je souligne qu’il est extrêmement important, pour pouvoir développer nos activités en France et à l’étranger, d’avoir une base de carnets de commande forte en France, générant un chiffre d’affaires suffisant. Nous avons besoin de visibilité, c’est-à-dire de contrats à moyen ou long terme conclus avec nos principaux clients, la SNCF et RFF. C’est d’ailleurs le cas jusqu’à présent puisque nous avons signé avec ces deux établissements publics un contrat de cinq ans. Un ancrage solide en France nous permet aussi d’être bien positionnés sur les lignes à grande vitesse et les transports urbains – renouvellement et entretien des métros, et construction de lignes de tramway en France. Ce constat vaut pour tous les métiers, pour des entreprises comme Vossloh Cogifer, Sateba, Stradal qui font partie du groupement. Toutes ont besoin d’une base française solide pour se développer en Europe et à la grande exportation.

Nous avons aujourd'hui l’occasion de travailler avec des clients importants comme Network Rail en Angleterre, la Deutsche Bahn en Allemagne ou Infrabel en Europe Belgique pour ne citer qu’eux. Pour le développement à l’exportation, il est aussi nécessaire d’avoir des grands partenaires (comme Alstom) qui ont une bonne connaissance des marchés mondiaux et qui peuvent nous associer à des projets d’envergure, comme la ligne à grande vitesse marocaine.

M. le président Jean Grellier. Que pouvez-vous nous dire de la dimension européenne de Tata Steel ? Comment la production d’acier est-elle organisée ? Comment vous positionnez-vous sur le marché européen ?

M. Gérard Glas. Nous évoluons sur un marché d’environ 1,5 million de tonnes en Europe et de 11 millions de tonnes au niveau mondial. Ce marché comprend des pays que nous avons beaucoup de mal à atteindre, comme la Chine et la Russie, et qui sont de très gros producteurs locaux et donc très compétitifs. Notre site d’Hayange produit à hauteur d’un tiers environ pour le marché français, d’un bon tiers aussi pour le marché européen et du tiers restant pour la grande exportation.

Nous nous sommes spécialisés dans des produits de niche, de très haute qualité. Nous vendons 300 000 à 320 000 tonnes de rails d’acier par an à partir de notre site français. La production d’acier est réalisée à Scunthorpe, en Angleterre. Cet acier est convoyé toutes les nuits par trains de 1 000 tonnes à Hayange. Il est réchauffé et transformé en rails de 108 mètres, principalement à destination de nos clients français et européens. Un point important est la notion de juste à temps à destination des sites de nos clients ou de leurs ateliers de soudure. En effet, la longueur de rails et le transport vers les clients est un élément de différenciation et de compétitivité de notre offre commerciale. Économiquement, transporter de la grande longueur au-delà d’un rayon de 600 à 650 km devient extrêmement cher et pénalisant pour notre compétitivité. C’est la raison pour laquelle nous sommes moins présents en Europe de l’Est. Notre part du marché européen est de l’ordre de 30 % avec une concentration sur la partie Ouest du continent, exception faite de l’Italie et de l’Espagne où notre présence est extrêmement faible. Ceci s’explique par la présence de producteurs domestiques de rails, ces derniers bénéficiant d’une préférence et d’un support de leur Chemins de Fer Nationaux.

M. Alain Bocquet, rapporteur. Pourquoi acheminer quotidiennement de l’acier d’Angleterre, alors qu’on en produit en Lorraine ? Comment envisagez-vous l’avenir de la sidérurgie européenne dans le contexte d’un redéploiement du marché mondial et à la montée en puissance de la Chine, notamment, qui représente 635 millions de tonnes ? Comment les pays européens peuvent-ils jouer sur les complémentarités pour obvier à l’invasion de produits venant de Chine ou d’ailleurs ? Quels sont vos principaux concurrents en Europe ?

À quoi ressemble la pyramide des âges de vos effectifs ? Et comment leur formation est-elle assurée ? De quelle façon attirer les jeunes et surmonter leurs réticences à l’égard de l’industrie en général ?

M. Gérard Glas. Historiquement, l’usine d’Hayange située dans le fond de la vallée de la Fensch s’approvisionnait en blooms auprès de l’aciérie de Florange, située à quelques kilomètres. Vers la fin des années 90, Usinor-Sacilor a mis en place une stratégie de désengagement de sa filière produits longs afin de se recentrer sur les produits plats destinés aux marchés de l’automobile et de l’emballage. Si l’on remonte plus loin dans le temps, l’acier venait, non pas de Florange, mais d’Unimétal, à Gandrange, avant que l’usine ne soit transformée en aciérie électrique lors de la prise en mains par le Groupe Ispat, propriété de Monsieur Mittal. La filière fonte a donc été définitivement arrêtée à Gandrange et remplacée par une coulée continue à Florange. L’entreprise Sogerail, nom de Tata Steel France Rail à l’époque, s’est donc naturellement retrouvée dans le portefeuille des filiales de Sollac.

Lors de la vente de Sogerail à British Steel (devenue ensuite Corus) il avait été décidé que la fourniture des demi-produits par Sollac se poursuivrait sur une période n’excédant pas trois ou quatre années c’est-à-dire jusqu’en 2003/2004, ce laps de temps devant permettre à Corus d’investir et de modifier son installation de production d’acier basée sur le site de Scunthorpe en Angleterre. Ce site produit jusqu’à 4 millions de tonnes d’acier par an dont 700.000 tonnes de rails et de poutrelles dans le laminoir de produits finis.

Globalement, l’activité « rail » de Tata Steel résiste plutôt bien à la mondialisation et à la forte montée en puissance de la Chine. Cette situation s’explique notamment par un marché de proximité encore porteur et par l’intérêt pour les clients clés de bénéficier d’un producteur local. De plus Tata Steel France Rail se positionne sur des produits à forte valeur ajoutée. Les usines chinoises ne rivalisent pas avec la qualité d’acier et ne répondent pas encore aux exigences des spécifications techniques européennes. Elles sont très occupées avec le marché intérieur chinois où la demande est actuellement très forte.

Comme je l’ai indiqué précédemment, Tata Steel France Rail reste compétitif dans un rayon de 650 kilomètres par rapport à la concurrence (Voestalpine, Lucchini et ou ArcelorMittal). Je souligne une nouvelle fois l’importance de la chaine logistique. À titre d’exemple, nos rails de 108 mètres sont acheminés, au départ d’Hayange, soit directement sur les chantiers (Lignes à grande vitesse ou autres), soit dans les deux ateliers de soudure de la SNCF où ils sont transformés en longs rails soudés pouvant atteindre une longueur totale de 432 mètres. Il est donc difficile pour la concurrence, de rivaliser sur nos marchés de proximité sans pratiquer une politique de volume, voire même de dumping.

M. Alain Bocquet, rapporteur. Par où le train passe-t-il ?

M. Gérard Glas. Par le tunnel sous la Manche.

M. Alain Bocquet, rapporteur. Ce n’est pas trop coûteux ?

M. Gérard Glas. Le coût est optimisé par les effets de massification et par la régularité des volumes et des flux. Nous travaillons avec DB Schenker, ex EWS, l’un des principaux opérateurs de transport ferroviaire en Angleterre.

En Europe, nous avons six concurrents principaux : ArcelorMittal est implanté à Gijón dans les Asturies. L’usine bénéficie d’une capacité de production équivalente à la nôtre, environ 300 000 tonnes – le marché national espagnol est atone en raison de la crise, ce qui pousse ce redoutable concurrent à l’international. ArcelorMittal possède également une usine à Katowice en Pologne qui fournit principalement les marchés d’Europe de l’Est. Cette usine livre peu en France mais elle est très présente en Allemagne par exemple. Lucchini est dans une situation financière très difficile, sa dette atteindrait 700 millions d’euros. Lucchini est soutenu par son client domestique, RFI (chemins de fer italiens), par le biais d’importantes commandes sur le moyen terme. Moravia Steel, une société tchèque, qui est aussi grande exportatrice, est peu présente en Europe de l’Ouest, essentiellement pour des raisons de coûts logistiques. Enfin, notre plus sérieux concurrent reste aujourd'hui, Voestalpine. Cette société possède une unité de production à Donawitz en Autriche, qui fabrique environ 500 000 tonnes de rails par an. Voest Alpine se positionne sur les mêmes segments de qualité, de produits et de marchés que Tata Steel France Rail. Le chiffre d’affaires de Voestalpine qui correspond à l’activité ferroviaire est beaucoup plus important que le nôtre en raison d’activités complémentaires comme la production d’appareils de voie et du fait de nombreuses filiales à l’étranger. Enfin Voestalpine possède une autre usine à Duisbourg (Allemagne) rachetée il y a quelques années à Thyssen. Cette usine doit fermer à la fin de l’année par manque de compétitivité.

Nous avons souffert il y a quelques années d’une pyramide des âges totalement déstructurée en raison de la mise en place des différents plans d’aide au départ au titre des conventions CGPS et CPS de la sidérurgie française dans les années 1990. Nous avons été amenés à renouveler près de 40% de nos effectifs et nous sommes fiers de dire aujourd’hui que nous employons beaucoup de jeunes. L’âge moyen de notre effectif se situe aujourd’hui autour de 40 ans.

M. Denis Jacquat. Votre approvisionnement en Angleterre résulte-t-il d’accords conclus lors du rachat de Corus par Tata Steel ? Je me demande vraiment comment de la fonte venue des Îles Britanniques peut, sur le terrain des coûts, concurrencer de la fonte produite à Florange.

Vous êtes connus pour la qualité des rails que vous produisez, puisque vous fournissez ceux du TGV. Mais, en France, où vous écoulez 30 % de votre production, le plan de construction risque de marquer le pas. Trouverez-vous à compenser le manque à gagner au niveau européen ?

Lucchini a-t-il vendu à Ascometal l’ancien site de la Société des aciers fins de l’Est – SAFE – d’Hagondange ?

M. Gérard Glas. Oui, à votre première question. L’approvisionnement de l’acier en provenance de l’Angleterre faisait partie intégrante des accords de cession entre Sogerail et British Steel/Corus. La pérennité d’une activité comme celle de Tata Steel Rail France ne peut être assurée que si la filière des demi-produits nécessaires à la production des rails est totalement sécurisée. Ce fut le cas par le biais d’un contrat à long terme, avec un cout de production compétitif et une qualité haut de gamme, notamment concernant la santé interne de l’acier. La part acier dans le produit fini peut représenter jusqu’à 2/3 du coût de production total.

Sur le marché français avec RFF et la SNCF, il y a, d’une part, les commandes liées à la maintenance et au renouvellement du réseau et, d’autre part, la création de voies nouvelles qui peuvent maintenant être construites pas des opérateurs privés tels que Vinci, Colas ou Eiffage (sous forme de PPP). Concernant la maintenance et le renouvellement, un bon niveau d’investissement annuel doit être assuré afin de garantir le bon état des voies et une prestation de transport de qualité. À titre d’information le taux de remplacement des rails en termes de maintenance et de renouvellement pour un réseau classique est de l’ordre de 3 %. Ce taux est nécessaire pour que le réseau puisse être maintenu dans des conditions normales d’utilisation. Si nous observons ce qui a été fait en Angleterre durant les années « Thatcher » le taux de remplacement était tombé à des niveaux tellement faibles qu’une dégradation et un vieillissement accéléré a été constaté. Il en a résulté des conséquences directes en termes de confort des passagers, de fiabilité d’horaires et de prestations. La conséquence la plus dramatique a été le déraillement d’un train en gare d’Hatfield près de Londres au début des années 2000 avec de nombreuses pertes humaines.

La situation n’est évidemment pas la même en France. Cependant, le niveau de renouvellement des voies que nous avons observé entre les années 2000 et 2005 aurait pu, s’il avait perduré, nous inquiéter tout autant. Fort heureusement, grâce au Rapport Rivier qui avait été commandité par l’Etat, RFF et la SNCF ; un retour significatif des investissements a été préconisé afin de freiner le vieillissement du réseau. Nous sommes revenus sur des niveaux de l’ordre de 1000 km de voies remplacées pour un réseau totalisant 30.000 kms de voies circulées. Tout ceci met en évidence l’importance pour une entreprise comme Tata Steel Rail France d’avoir une bonne assise domestique même si le marché français ne représente qu’un tiers de son chiffre d’affaires. Les contrats à moyen terme sont tout aussi importants pour développer l’activité vers d’autres pays. Nous sommes aujourd’hui confiants avec un niveau de volume qui nous mène jusqu’en 2015/2016 grâce notamment au contrat avec la SNCF.

Comme indiqué précédemment, les projets nouveaux sont également essentiels pour la bonne santé de l’entreprise. La construction de la Ligne à Grande Vitesse entre Tours et Bordeaux, remportée face à ArcelorMittal et Voestalpine, et le projet de Ligne à Grande Vitesse (LGV) entre Le Mans et Rennes avec le Groupe Eiffage, représenteront un total d’environ 150 000 tonnes, soit près de la moitié d’une année de production. Une fois de plus, la logistique a été un élément clé dans la décision de nos clients. Nous nous sommes engagés de livrer à « Horizon 2016 » des chantiers en flux tendus (environ 1 000 tonnes par semaine) sur les bases chantiers. Enfin j’aimerais signaler que nous sommes très attentifs à la décision de la SNCF quant à la fourniture de la prolongation de la nouvelle ligne « Est » entre Metz-Baudrecourt et Strasbourg, une décision imminente.

Au-delà de ces projets français, nous nous positionnons sur des marchés européens tels que l’Allemagne où nous fournissons l’intégralité des rails traités thermiquement (rail avec un acier à haute dureté pour résister aux efforts de fatigue dus au roulement et au contact des roues), la Belgique, la Suisse, la Hollande, et les pays du Nord de L’Europe, (Danemark, Finlande, Suède) où nous réalisons un bon tiers de notre production annuelle en Europe.

Quant à votre deuxième question, Ascométal n’a plus rien à voir avec Lucchini. Ascométal a été cédé il y a bientôt deux ans par Lucchini au fonds américain Apollo Global Management. La partie « aciérie » de l’ancienne SAFE appartient toujours à Ascométal. La partie forge avait déjà été cédée il y a plusieurs années à un groupement de forges.

M. Denis Jacquat. Les travaux de terrassement de la ligne Baudrecourt-Strasbourg sont très avancés, et l’ouverture est prévue dans moins de deux ans. Je suis très étonné que la soumission soit si tardive.

M. Gérard Glas. Effectivement dans un premier temps, nous avons pensé qu’il n’y aurait pas d’appel à la concurrence d’offres et que la SNCF, qui est en charge de la fourniture des biens d’équipement, ferait appel directement à notre contrat pluriannuel en cours. Ceci ne s’est pas produit. Nous avons donc été mis en concurrence. Nous espérons que le prix remis retiendra l’attention de notre client malgré la concurrence agressive d’ArcelorMittal et de Lucchini. Nos concurrents cherchent désespérément des volumes à produire pour remplir leurs carnets de commande. Ces derniers pratiquent une politique de volume à court terme, pour ne pas dire de vente à perte, afin de gagner des parts de marché. Leurs marchés intérieurs se dégradent fortement en raison de la crise.

M. Denis Jacquat. L’attitude de la SNCF est surprenante.

M. Alain Marty. Est-il possible de vendre à perte ?

M. Gérard Glas. Je pense que la politique de prix de ces concurrents s’établit sur une vision globale de l’année en termes de résultats. Il est fort probable que certaines pertes sur des affaires ciblées et stratégiques soient comblées par des positions plus confortables sur d’autres produits sidérurgiques et/ou d’autres marchés.

M. Michel Liebgott. Je me félicite de la longévité d’une usine, construite en 1895. Les élus locaux ont cru qu’elle allait disparaître et elle a finalement trouvé un repreneur. En outre, elle est exemplaire en termes de rapports sociaux, je le souligne. Les relations entre les syndicats et la direction sont excellentes et ont permis de transformer avantageusement la pyramide des âges. Le groupe investit intelligemment : un investissement de 12 millions va permettre un traitement thermique très particulier qui va rendre l’usine encore plus performante par rapport à ses concurrents.

Pourtant, les contraintes existent, logistiques notamment. L’usine est enclavée et elle est paradoxalement tributaire de son concurrent ArcelorMittal, dont les installations ont été bloquées – pour faire sortir les rails, ce qui est un défi en soi compte tenu de la taille et des volumes en question. Vous êtes performants puisque vous exportez jusqu’en Inde. Comment parvenez-vous à vendre à des pays aussi éloignés ?

Un projet, nommé Europort Lorraine, est en cours en coopération avec les chambres consulaires et les collectivités locales. Que peut-il vous apporter ?

La répartition de vos débouchés en trois tiers va sans doute évoluer à l’horizon des dix ou vingt ans qui viennent. Dans quel sens ?

Enfin, le consortium UlcosUltra low carbon dioxide steelmaking – devait réunir quarante-huit partenaires. Or, de fait, ArcelorMittal se retrouve un peu seul avec l’État français pour porter le projet, auquel Tata Steel était associé, même s’il concernait davantage la fonte que le rail.

M. Gérard Glas. Nous nous sentons d’autant moins concernés que notre acier vient d’Angleterre. Il n’y a donc pas, ou très peu, d’impact d’émission de carbone sur le sol français.

Grâce à la SNCF, nous sommes à l’origine de l’allongement des rails qui sont passés de 36 mètres de long à 80 mètres en 1996. Nous avons ensuite été rattrapés et même dépassés par la concurrence, principalement par Voestalpine. Nous avons donc incité le groupe Tata à investir 35 millions d’euros en 2011, pour fabriquer des rails de 108 mètres. Cet investissement a pu être réalisé notamment grâce à la signature en 2008 d’un contrat de 4 ans plus deux années optionnelles avec RFF et la SNCF, ce qui a permis de sécuriser en partie ce projet de modernisation de notre usine.

Un deuxième investissement significatif sera opérationnel cette année. Il s’agit de la construction d’une deuxième ligne de traitement thermique permettant la production d’environ 60 000 tonnes de rails qui viendra s’ajouter à celle existante et doubler la capacité totale de cette qualité d’acier à 120 000 tonnes.

La technique de durcissement des rails à travers un procédé de réchauffage par induction des rails et refroidissement contrôlé par air a été mise au point par nos ingénieurs vers la fin des années 1980. La qualité obtenue, et par là-même celle de nos produits, est reconnue parmi la meilleure au monde par comparaison aux concurrents Japonais ou Autrichiens.

Ces produits durcis sont destinés aux pays ayant des voies lourdement chargées et circulées, comme en Mauritanie, au Gabon en Afrique du Sud mais également en Inde le pays de notre actionnaire ou nous avons remporté les métros de Chennai et d’Hyderabad.

La nouvelle ligne de traitement sera d’avantage tournée vers les marchés européens grâce à la longueur de 108 mètres. Les rails seront destinés aux réseaux avec des courbes très serrées (régions montagneuses en Suisse par exemple) ou à des charges à l’essieu élevées (Suède ou Tunnel sous la Manche) Un volume de l’ordre de 50 000 tonnes est escompté pour ces destinations. Nous soumissionnons aussi pour de gros projets dans des pays ou les infrastructures ferroviaires sont en développement comme l’Arabie Saoudite, les Emirats et l’Inde. Dans ces pays, d’importants couloirs de fret ferroviaire sont en projet. Cela devrait nous donner de la visibilité pour positionner notre carnet au-delà de l’année 2015.

Effectivement nous avons subis des perturbations durant 2 à 3 semaines à cause des grèves et des mouvements sociaux perlés survenus l’année passée sur le site de notre concurrent ArcelorMittal à Florange. Ces perturbations ont même entrainé des périodes d’arrêt puisque nous utilisons le réseau privé ferroviaire d’ArcelorMittal pour acheminer tous nos rails par train. Il en fut de même pour l’acheminement de notre acier en provenance d’Angleterre qui emprunte aussi le réseau privé d’Arcelor. L’usine d’Hayange travaille en flux tendu sans possibilité de stockage tampon. Nous sommes donc très dépendants du réseau privé d’ArcelorMittal. Nous étudions actuellement un projet d’accès direct aux voies de la SNCF par la Gare d’Hayange mais la topographie du terrain présente un problème d’accès.

M. Michel Liebgott. La direction a fait preuve d’une implication totale pour réaliser une usine « hyper performante », alors que le pari n’était pas gagné d’avance. Je me félicite de la parfaite coopération qui s’est établie avec le gouvernement français et la direction de la SNCF. À un moment donné, on a cru que Corus, parce qu’il supprimait des emplois, était à deux doigts de poursuivre la production des rails à Scunthorpe. Et je pense que c’est finalement grâce à son excellence, que cette usine a pu être sauvée. Puisse la situation perdurer.

M. Gérard Glas. Le groupe Tata a bien compris qu’il existe un marché de niche pour le rail. Je rappelle que le volume total d’activité du groupe Tata est de l’ordre de 18 à 20 millions de tonnes en Europe. La production de rails sur les deux sites du Groupe Tata est d’environ 550 000 tonnes. Tata Steel Rail France, avec un positionnement stratégique sur ses marchés de proximité dans le domaine du ferroviaire et un savoir-faire propre à l’usine d’Hayange a toute sa place dans la stratégie du Groupe Tata Steel.

M. Christian Hutin. Vous avez, Monsieur le président, expliqué les raisons de votre succès : le coût, la qualité. L’hinterland de 650 kilomètres de rayon, dont vous avez parlé, est-il figé ou susceptible d’évoluer ? Comment l’Italie et l’Espagne arrivent-elles, dans cette Europe de libre concurrence, à protéger leurs marchés, alors que la France y parvient difficilement ? Quel a été l’impact de la libéralisation du rail européen sur votre activité ? Avez-vous dû diversifier vos clients ?

M. Gérard Glas. Les cas de l’Espagne et de l’Italie sont à la fois intéressants et particuliers. Pour des raisons de restrictions budgétaires qui touchent les Chemins de Fer pour l’entretien de leur réseau ferré, il n’est pas rare de voir les producteurs domestiques de rails de ces pays bénéficier d’un soutien sans faille de la part de leur client national. Il nous est donc extrêmement difficile de gagner des affaires dans ces pays. Nous avons été déclarés moins disant sur certains appels d’offres. La préférence pour soutenir la production du producteur local est apparue clairement puisque l’affaire a finalement été placée à Lucchini.

Nous aimerions, nous aussi, bénéficier du même genre de soutien dans le domaine du ferroviaire ou dans celui des transports urbains. Les villes et les ingénieries sont totalement impliquées dans la définition des spécifications techniques et dans le choix des prestataires, ce qui devrait être un atout. Les financements publics français devraient revenir en priorité à des sociétés françaises compétitives pour leur permettre d’être placées sur ces projets nationaux qui sont essentiels pour l’activité et la pérennité. Il est effectivement difficilement compréhensible de voir nos concurrents directs pratiquer des prix de dumping sur notre territoire tout en étant protégés sur leur marché. Nous constatons régulièrement que l’ouverture européenne et la réciprocité est inscrite dans les livres ... mais qu’elle ne se traduit pas toujours dans les actes.

M. le président Jean Grellier. Comment êtes-vous intégré au niveau des filières stratégiques de la Conférence nationale de l’industrie ? La filière ferroviaire, notamment, a fait l’objet de contractualisation. Êtes-vous concerné, en tant que société ?

M. Gérard Glas. Nous sommes impliqués à travers la FIF, et ses différentes commissions. Nous avons fait partie des travaux du comité stratégique de filière.

M. le président Jean Grellier. Nous vous remercions de votre disponibilité, Monsieur le directeur. Et bonne chance à votre entreprise.

Audition, ouverte à la presse, de MM. Eric Brac de la Perrière,
directeur général, Carlos de Los Llanos, directeur du département recyclage, et Johann Leconte, directeur des relations avec les élus et les associations d’Eco-Emballages

(Séance du mercredi 10 avril 2013)

M. le président Jean Grellier. Mes chers collègues, nous recevons M. Éric Brac de la Perrière, directeur général de l’organisme Eco-Emballages depuis 2009 après avoir travaillé dans le monde de la publicité et de la presse. M. Brac de la Perrière est accompagné par M. Carlos de Los Llanos, directeur du département recyclage d’Eco-Emballages.

Créé en 1992, Eco-Emballages a donc un peu plus de vingt ans d’existence. Il s’agit d’un organisme atypique puisqu’il revêt la forme d’une société anonyme sans but lucratif. Son actionnariat est majoritairement contrôlé par une structure dénommée Ecopar qui rassemble des groupes de la grande consommation et des organisations professionnelles. Pour accomplir sa mission, Eco-Emballages dispose d’un agrément délivré tous les six ans par les pouvoirs publics ; son dernier agrément par arrêté date de la fin 2010.

Pouvez-vous, messieurs, nous en dire un peu plus sur le fonctionnement de votre organisme et de sa filiale Adelphe, sur l’usage des éventuels bénéfices d’une SA dite sans but lucratif, sur les obligations ou le cahier des charges qui conditionnent l’agrément reçu et, bien entendu, sur les relations d’Eco-Emballages avec les industries qui intéressent la Commission ? Nous avons constaté au fil des auditions que la part du recyclage, celui de l’aluminium notamment, est relativement importante comparée à celle de la requalification de matières premières. Que fait-on au juste des emballages métalliques collectés ? Sont-ils très largement retraités en France ou une partie en est-elle exportée pour être recyclée ailleurs ? Sur ce point, la Commission aimerait disposer de statistiques et de comparaisons avec les autres pays européens. Quels liens avez-vous noués avec les industriels français des métiers de la sidérurgie ou de l’aluminium ? Des exemples précis de sites industriels pourraient utilement nous éclairer.

Je vais d’abord vous donner la parole pour un exposé liminaire, puis les membres de la commission d’enquête, et d’abord son rapporteur, Alain Bocquet, vous poseront des questions afin d’engager la discussion. Au préalable, conformément à l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter le serment de dire la vérité, rien que la vérité et toute la vérité.

MM. Brac de la Perrière et de Los Llanos prêtent successivement serment.

M. Éric Brac de la Perrière, directeur général d’Eco-Emballages. J’ai rejoint Eco-Emballages en 2009, date à laquelle, comme vous le savez, l’entreprise a connu une crise de trésorerie qui a conduit à en modifier toute la gouvernance.

Au moment de la naissance d’Eco-Emballages, en 1992, bien peu nombreux étaient ceux qui parlaient d’écologie. Mais le législateur, avec l’État, les entreprises et les collectivités locales, a procédé à une innovation majeure : désormais, chaque consommateur – entreprise, association, État, individu – devait pouvoir ne pas polluer. En référence au principe pollueur-payeur adopté en 1972 par l’OCDE, la responsabilité élargie du producteur – REP – a été donnée en 1992 aux entreprises de la grande consommation : au lieu d’en passer par une taxe, locale ou nationale, on les a chargées d’instaurer un dispositif permettant à chaque consommateur de ne pas polluer. Seconde innovation : les entreprises se sont regroupées pour accomplir cette mission d’intérêt général et ont demandé aux collectivités locales, qui l’ont accepté, de se charger de séparer les déchets de ce qui est recyclable.

Ces choix ont permis de déployer le dispositif en vingt ans, sans la moindre contrainte, auprès de la quasi-totalité des Français. Le résultat est très satisfaisant : 67 % de l’ensemble des matériaux sont recyclés, à un coût juste pour le citoyen. L’internalisation de cette responsabilité par les entreprises a également entraîné une réduction à la source des emballages, de 20 % au cours de la période. En effet, les entreprises ne peuvent absolument pas se dédouaner par le paiement. Elles paient le point vert – au poids et à l’unité – pour pouvoir recycler leurs emballages, mais sont de ce fait incitées à en réduire le poids et la quantité, ce qui épargne les ressources naturelles et fait diminuer le nombre d’emballages dans les poubelles. Voilà le premier effet du dispositif que vous avez créé il y a vingt ans.

Il a eu pour second effet de placer les collectivités locales au fondement de l’économie circulaire en les chargeant de séparer ce qui est bon de ce qui est à jeter. Dans ce domaine, deux décisions très importantes ont été prises. Premièrement, le recyclage matière a la priorité sur la création d’énergie et sur l’enfouissement. Aujourd’hui, en France, sur cinq millions de tonnes de déchets, trois sont recyclées matière, un est mis en décharge – pour un coût faible - et un million est valorisé énergétiquement grâce à la récupération d’énergie. Nous souhaitons pour notre part la disparition de la mise en décharge, qui permettrait d’apporter un financement et un cadre légal au recyclage matière.

Deuxièmement, le choix a été fait d’un recyclage matière local. 80 % de l’acier recyclé grâce au geste de tri des consommateurs est recyclé à la maille française et près de 100 % à la maille européenne. Nous conservons nos déchets chez nous pour y créer des emplois et de l’activité économique, contrairement à des pays voisins – notamment la Belgique et l’Allemagne – qui ont choisi d’exporter dans des pays lointains certains de leurs déchets, notamment une partie des plastiques, et qui vont être mis en difficulté par la décision prise il y a quinze jours par la Chine de cesser l’importation de ce dernier type de déchets.

S’agissant de l’aluminium et de l’acier, Eco-Emballages finance le traitement de déchets qui iraient en décharge s’il ne le faisait pas. En effet, même si, par rapport à la production totale d’acier et d’aluminium, la part qui provient de la collecte sélective est relativement faible, il est important de la transformer sur place. En aval, les débouchés, qui donnent son sens au geste de tri des citoyens, doivent être locaux dans la mesure du possible.

Le tri atteint aujourd’hui un palier : il n’augmente plus assez pour atteindre nos objectifs. Pour relancer ce geste, nous avons investi 110 millions supplémentaires en 2011, mais nous devons également nous interroger – avec vous – sur les dispositifs incitatifs qu’il conviendrait d’instaurer.

Notre statut de société privée sans but lucratif signifie que nous ne réalisons aucun bénéfice et que nous ne redistribuons aucun dividende. Lorsque nous ne dépensons pas tout l’argent que nous percevons parce que nous n’avons pas à traiter autant de tonnes de déchets que prévu, nous constituons des provisions pour charges futures que nous reversons l’année suivante aux collectivités locales. Souvent critiquées, celles-ci se sont beaucoup mobilisées dans ce domaine. Les élus s’attachent à montrer que le tri engendre la propreté, le lien social, l’activité économique ; les collectivités mènent des actions de collecte et de tri auxquelles elles procèdent elles-mêmes, par un système de régie, ou dont elles chargent des opérateurs ; en outre, pour tout cela, elles ont accepté d’être payées au résultat et non aux moyens, de sorte que l’habitant sait exactement où il va.

L’histoire a été belle : nous avons créé 28 000 emplois directs, le taux de recyclage atteint 67 % et le tri est plébiscité par les Français qui y voient le premier geste environnemental, avant l’extinction de la lumière ou le fait de couper l’eau en se brossant les dents. Nous sommes parvenus, sans contrainte particulière, à fédérer des acteurs qui n’ont pas du tout la même culture. Les emballages ménagers ne représentent qu’1 % des déchets en France, mais ce sont les plus visibles et ceux dont le tri permet à chacun d’agir. S’il reste beaucoup à faire, notamment pour développer les débouchés et vis-à-vis des décharges, le bilan, au bout de vingt ans, est très satisfaisant.

M. Carlos de Los Llanos, directeur du département recyclage d’Eco-Emballages. J’apporterai quelques compléments relatifs à l’acier et à l’aluminium.

L’emballage est une utilisation minoritaire des métaux : les emballages ménagers en acier correspondent à une consommation annuelle de 280 000 tonnes alors que la consommation totale d’acier en France atteint 15 millions de tonnes ; pour l’aluminium, les chiffres sont respectivement de 60 000 tonnes et de plus d’un million de tonnes. Pour capter ce faible gisement, nous avons consenti un effort particulier. Nous recyclons des métaux qui, spontanément, ne seraient pas recyclés : les emballages sont les objets les plus petits, les plus dispersés, les plus difficiles à capter dans le flux des déchets. Sans le dispositif de financement institué par Eco-Emballages, les acteurs économiques les mettraient en décharge ou se tourneraient vers des filières de traitement moins chères que la collecte sélective.

Le taux de recyclage des emballages en acier est légèrement supérieur au taux global de 67 % ; celui de l’aluminium, métal difficile à capter étant donné la légèreté des emballages, est inférieur. Nous nous efforçons de le porter au maximum car le recyclage des métaux représente un gain environnemental attesté : malgré la faiblesse des quantités, on estime à quelque 500 000 le nombre de tonnes de CO2 dont le recyclage des emballages ménagers métalliques permet d’éviter l’émission chaque année.

Enfin, plus de 80 % des tonnages d’acier et d’aluminium issus des emballages ménagers sont recyclés en France, le reste l’étant en Europe. En vertu de l’agrément qui nous a été délivré et afin de faciliter le fonctionnement du marché, nous sommes tenus de garantir leur traçabilité jusqu’au recyclage final. En d’autres termes, le dispositif Eco-Emballages ne finance la collecte sélective que de tonnes dont nous savons parfaitement où elles sont recyclées ensuite. Chaque tonne dont nous finançons le recyclage fait ainsi l’objet d’un certificat de recyclage émis par les acteurs industriels concernés.

M. Alain Bocquet, rapporteur. Même si c’est auprès des particuliers que vous agissez, ne pourriez-vous, par le truchement des collectivités locales et avec des partenaires, récupérer les tonnes de métaux dans les cimetières où ils dorment dans nos villes, ou auprès de la SNCF ? Outre l’enjeu environnemental, il s’agit d’une matière première dont nous avons besoin.

Par ailleurs, dans d’autres pays qui ont choisi de motiver les particuliers par des incitations financières, dont l’Allemagne, le taux de recyclage est beaucoup plus élevé qu’en France et les villes sont plus propres. Sans aller trop loin, ne pourrait-on faire de même pour récupérer davantage de métaux, plutôt que de les laisser voler sur les voies ferrées ?

M. Éric Brac de la Perrière. Sur ce dernier point, en vertu du principe pollueur-payeur, le consommateur doit payer, et il le fait dans la mesure où cette contribution est intégrée au coût facturé par les industriels. Actuellement, l’incitation efficace provient des élus et des collectivités, d’une part, et d’autre part des marques, qui poussent au recyclage. Cette forme d’incitation n’a pas de coût mais elle crée une valeur non marchande qui est essentielle à notre modèle. Pour rendre une ville plus propre, les élus ont intérêt à miser sur le tri sélectif car nos études montrent qu’une personne qui le pratique ne jette pas de papiers par terre.

Faut-il monétiser le geste de tri ? À mon sens, ce pari est risqué car l’on risque de déplacer des tonnes sans en créer de nouvelles. Si l’on en vient à payer les particuliers et les entreprises responsables pour un geste qu’ils devraient adopter spontanément, il nous faut en mesurer les conséquences. L’incitation, bienvenue si elle permet de créer de nouvelles tonnes, devrait être sociale plutôt que financière. Aux Pays-Bas, une collectivité locale a ainsi renoncé à prendre en charge la collecte sélective et le tri : elle les laisse entièrement aux habitants, auxquels elle redistribue par anticipation tout le produit de la revente des matériaux qu’ils lui rapportent, sous forme de points convertibles en places de cinéma, entrées à la piscine, etc. Il serait en revanche problématique que le secteur de la distribution, très actif dans ce domaine, tire profit de la monétisation pour faire du tri un outil de fidélisation commerciale. Le coût potentiel de la rémunération du tri est aujourd’hui estimé à trois à quatre milliards d’euros. Mieux vaut en appeler à la responsabilité de chacun, selon une méthode qui semble porter ses fruits.

M. Carlos de Los Llanos. En ce qui concerne votre première question, Monsieur le rapporteur, outre l’infime partie des gisements de métaux qui est recyclée, il en existe en effet d’autres, beaucoup plus importants et sans doute mal exploités. Mais le domaine d’intervention d’Éco-Emballages reste limité aux emballages ménagers du fait de l’agrément que nous avons reçu des pouvoirs publics. Toutefois, les efforts consentis en marge de ce dispositif par les collectivités et par les acteurs industriels exercent certainement un effet d’entraînement sur les autres gisements.

M. Éric Brac de la Perrière. Si les consignes de tri ne s’appliquent pas aux métaux qui échappent à notre responsabilité puisqu’ils ne viennent pas de la collecte sélective, la poubelle jaune peut toutefois être considérée comme une sorte d’aspirateur à matière. On pourrait dès lors envisager d’étendre notre périmètre d’intervention en tirant profit des dix millions de bacs déjà installés. Notre entreprise est ouverte aux initiatives, notamment celles des recycleurs.

M. Michel Liebgott. Malgré le bilan positif que vous dressez, on sait que vingt kilos de verre par an et par Français ne sont pas recyclés comme ils le devraient : nous pouvons mieux faire.

Dans la sidérurgie, c’est essentiellement la construction, l’automobile, le packaging qui sont concernés. Dans lesquels de ces domaines intervenez-vous ? On s’interroge souvent sur l’avenir des véhicules mis à la casse et dont on ne récupère pas l’acier. Certains estiment que nous manquons d’aciéries électriques. En somme, existe-t-il des marges de manœuvre dans le domaine qui intéresse notre commission ?

M. le président Jean Grellier. Qu’en est-il des apports volontaires de ferrailles ou d’aluminium dans les déchetteries ?

M. Carlos de Los Llanos. Je rappelle qu’en théorie notre responsabilité est limitée aux produits pour lesquels nous recevons des contributions des metteurs en marché. Toutefois, en pratique, il n’est pas toujours possible de savoir si un produit provient ou non d’un emballage, notamment pour les métaux. Nous prenons donc en charge les métaux récupérés par les collectivités locales auprès des citoyens : cela exclut les gros gisements dont il a été question, notamment ceux de la SNCF et tous ceux où l’on trouve des objets qui ne sont pas de consommation courante, mais inclut tout ce qui est rejeté par les citoyens dans le circuit municipal, en collecte sélective ou parfois en déchetterie si les particuliers y déposent des emballages.

M. Gaby Charroux. L’évacuation d’épaves de véhicules hors du domaine public représente une lourde charge pour les collectivités. Dans ma ville, qui compte moins de 50 000 habitants, plusieurs véhicules sont concernés chaque mois. En outre, les collectivités peuvent être chargées d’enlever les encombrants, parmi lesquels on trouve souvent des appareils électroménagers usagés. La taxe d’enlèvement des ordures ménagères ne pourrait-elle pas servir d’incitation ?

M. Éric Brac de la Perrière. Depuis 1992 ont été créés une quinzaine de filières REP ou d’éco-organismes différents, dont nous ne sommes pas responsables puisque notre responsabilité ne va pas au-delà de celle des metteurs en marché : dans le domaine qui vous intéresse, elle se limite aux canettes, aux capsules, aux emballages ménagers en acier ou en aluminium. Cela étant, lorsqu’un élu ou une collectivité s’intéresse aux déchets ménagers, il ou elle étend généralement sa compétence aux autres filières REP – réfrigérateurs, meubles, textiles, chaussures – parce qu’il considère que la matière a de la valeur.

On a récemment parlé de créer un guichet unique qui traiterait toutes les questions environnementales : pourquoi pas, afin que l’élu n’ait pas trop d’interlocuteurs, mais à condition qu’il ne s’agisse pas d’un guichet administratif qui priverait les entreprises contributrices de la connaissance du terrain, celle qui leur permet de savoir comment capter le plus de matière au meilleur coût. Le metteur en marché doit rester responsable : il doit aider chaque citoyen à ne pas polluer. Je suis convaincu que les REP doivent se rapprocher des territoires, en partenariat avec les collectivités locales : ensemble, l’univers économique de la production, le monde du recyclage et l’élu responsable pourront créer plus de valeur au service de l’intérêt collectif, celui du consommateur et de l’habitant. Un dispositif uniquement financier ne doit pas se substituer au régime de responsabilité pleine et entière.

M. le président Jean Grellier. En effet, le champ de notre commission excède le domaine de compétence d’Eco-Emballages. Je retiens l’importance de l’organisation des filières REP en matière de collecte et de recyclage des différents matériaux liés à la sidérurgie.

M. Éric Brac de la Perrière. S’il existe des tonnes d’acier ou d’aluminium non récupérées, il paraît opportun de déterminer leur provenance et d’en appeler à la responsabilité des producteurs. C’est très facile ; c’est ce que nous avons fait pour les déchets ménagers.

M. le président Jean Grellier. Merci, Messieurs.

Audition, ouverte à la presse, de MM. Jean-Pierre Gaudin, vice-président
de la Fédération des entreprises du recyclage (FEDEREC), président de la branche « métaux ferreux », Patrick Kornberg, président de la branche « métaux non ferreux » et Igor Bilimoff, directeur général

(Séance du mercredi 10 avril 2013)

M. le président Jean Grellier. Mes chers collègues, nous recevons plusieurs responsables de la Fédération de la récupération, du recyclage et de la valorisation (FEDEREC). Cette organisation professionnelle créée en 1945 regroupe différents métiers, dont des activités méconnues du public mais qui représentent des enjeux considérables, qu’ils soient économiques, donc financiers, ou environnementaux. Elle rassemble des recycleurs qui achètent notamment des métaux pour les revendre après valorisation.

MM. Jean-Pierre Gaudin, vice-président de FEDEREC et président de sa branche des métaux ferreux, Patrick Kornberg, président de la branche des métaux non ferreux et Igor Bilimoff, directeur général, nous présenteront, statistiques à l’appui, le chiffre d’affaires et les emplois que leurs activités génèrent, ainsi que la manière dont elles s’intègrent aux filières industrielles de la sidérurgie et de la métallurgie.

Pourriez-vous nous préciser, Messieurs, le type de relations que vous entretenez avec les industriels que vous approvisionnez ? Nos industriels sont-ils équipés pour traiter dans leurs usines le gisement de matières premières secondaires constitué par les ferrailles de récupération ? En d’autres termes, certaines ferrailles partent-elles à l’exportation, parfois lointaine, pour revenir sous la forme de nouveaux produits ? Par ailleurs, d’autres pays développés, notamment européens, sont-ils plus performants que le nôtre en matière de retraitement ? Cette question appelle quelques précisions sur les prestations existant en France dans le cadre du fret ferroviaire, et qui sont indispensables pour alimenter les usines.

À la suite du bref exposé liminaire qui vous permettra de nous présenter vos activités, notre rapporteur, Alain Bocquet, et les autres membres de la Commission d’enquête vous poseront des questions. Au préalable, conformément à l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter le serment de dire la vérité, rien que la vérité et toute la vérité.

MM. Bilimoff, Gaudin et Kornberg prêtent successivement serment.

M. Igor Bilimoff, directeur général de la Fédération des entreprises du recyclage (FEDEREC). La France, en difficulté, cherche à se réindustrialiser, elle peine à s’approvisionner en matières premières et doit à tout prix sécuriser ses approvisionnements ; le ministère de l’industrie a donc souhaité fédérer des syndicats de la récupération de tous matériaux. Nous ne sommes pas en 2013, mais en 1945. Et voilà qu’aujourd’hui l’histoire se répète. La récupération est devenue recyclage, mais le métier reste le même : extraire d’un déchet par définition très hétérogène la matière première afin de la vendre à une industrie de transformation – la sidérurgie, mais aussi l’industrie papetière, du bois, du plastique ou du verre. Cette énumération vous donne une idée de la constitution actuelle de FEDEREC : nous comptons onze branches techniques organisées par matériau, nos métiers consistant précisément à produire cette matière première et à la vendre, puisqu’elle possède une forte valeur économique, notamment à l’export. Cela nous distingue des filières de responsabilité élargie du producteur (REP), qui sont davantage fondées sur le déchet entrant : pour notre part, nous pouvons produire une matière à partir d’une multitude de déchets, donc d’une multitude de REP.

FEDEREC réunit 1 300 entreprises adhérentes. Le secteur engrange un chiffre d’affaires de 12,4 milliards d’euros – en légère diminution en 2012 –, largement dépendant de la valeur de revente des marchandises, à laquelle il convient d’ajouter la prestation de service. Le secteur emploie 33 400 salariés qui occupent des postes de tous niveaux de qualification : aux métiers de faible niveau de qualification et d’insertion auquel le secteur était traditionnellement identifié s’ajoutent, de plus en plus, des métiers qualifiés, de haute technologie, nos entreprises ont su négocier le tournant de la professionnalisation et de l’industrialisation. Le secteur connaît une croissance d’autant plus marquée qu’il touche aux grands enjeux de l’avenir de l’humanité – eau, agro-alimentaire, ressources en matières premières. La France peut s’enorgueillir de produire 44 millions de tonnes de matières premières recyclées qui sont vendues sur le territoire national, à nos voisins européens et parfois à la grande exportation. Cette croissance s’accompagne d’une croissance de l’emploi, la diversité des emplois que nous offrons nous permettant d’absorber peu à peu des secteurs industriels déclinants grâce à la proximité entre nos cultures.

M. Jean-Pierre Gaudin, vice-président de la FEDEREC, président de la branche « métaux ferreux ». Les branches « métaux non ferreux » et « métaux ferreux » de FEDEREC réunissent plus de 700 entreprises réalisant un chiffre d’affaires de 4 milliards d’euros pour la ferraille et 5 milliards pour les métaux non ferreux. Les ferrailles proviennent à 25 % – en tonnage – des véhicules hors d’usage, à 25 % de démolitions d’usines, de démolitions ferroviaires, des préparatifs de réinvestissement dans les usines, à 25 % de chutes neuves issues de l’industrie de transformation – emboutissage, tournure –, le dernier quart résultant de collectes diverses issues de déchetteries et d’achats au détail auprès de particuliers.

Ces ferrailles, nous les préparons sur nos chantiers grâce à des installations de broyage, pour 30 à 35 % d’entre elles, le reste étant traité par chalumage ou cisaillage, sauf les chutes neuves qui sont déjà, par définition, consommables en l’état par la sidérurgie ou par la fonderie. Nous récupérons 16 millions de tonnes de ferraille par an en France. Nos clients sont à 90 % des sidérurgistes équipés de fours électriques – qui constituent, avec les hauts fourneaux, l’un des deux moyens de fabriquer de l’acier. La part restante va en fonderie et dans les hauts fourneaux, puis notamment dans les convertisseurs. La sidérurgie française absorbe 8 à 9 de ces 16 millions de tonnes auxquelles s’ajoute la consommation des fonderies, le reste étant exporté vers l’Union européenne, essentiellement dans les pays limitrophes que sont la Belgique, le Luxembourg, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne, et, pour un million de tonnes, hors de l’union économique, vers la Suisse, le Maroc et, surtout, la Turquie. Une très petite quantité est exportée vers la Chine et quelques tonnages partent vers le Pakistan et l’Inde par conteneur.

Ce sont nos clients – les sidérurgistes – qui fixent les prix en fonction de la situation sur le marché international de la ferraille, en général tous les mois. Nous vendons en France à des sidérurgistes qui ne sont pas nécessairement français, en particulier à Mittal. Nous sommes une véritable filière industrielle, qui travaille sans subvention ; dans notre secteur, nous produisons de la richesse et créons des emplois. 80 % des déchets issus des activités économiques constituent notre gisement, si bien que, lorsque leurs affaires vont mal, cela impacte directement nos entreprises.

M. Patrick Kornberg, président de la branche « métaux non ferreux ». Les métaux non ferreux sont le cuivre, l’aluminium, le zinc, le plomb, l’étain et le nickel. Nous travaillons également sur leurs alliages : le laiton issu du cuivre et du zinc, le bronze issu du cuivre et de l’étain, etc.

Le gisement diffère légèrement de celui de la ferraille : ici, une partie des chutes neuves de production est déjà récupérée par le producteur lui-même. S’il s’agit bien de produits recyclés, ils ne passent pas par nos sites. Nous estimons à 15 % les chutes neuves de production qui sont traitées par le monde du recyclage, pour des raisons de proximité et parce que les conditions commerciales peuvent être plus avantageuse. 15 % proviennent de déconstructions, notamment de démolitions industrielles ou d’immeubles. L’essentiel de notre gisement provient donc de petites et moyennes entreprises, de particuliers et de collectes diverses.

Le traitement des métaux non ferreux inclut le tri, la séparation et/ou le broyage. Au cours des quinze dernières années, afin d’optimiser le recyclage et le service fourni aux clients, nous avons développé, grâce à notre investissement dans la recherche et développement, des outils technico-industriels très performants.

Deux millions de tonnes de matières premières recyclées de métaux non ferreux ont été produites en 2012 en France. L’essentiel des métaux non ferreux traités est constitué d’aluminium, qui a connu une forte expansion – de plus d’un tiers – au cours des vingt-cinq dernières années, du fait de sa part croissante dans les fabrications automobiles et de ses nouvelles applications. Le chiffre d’affaires issu du recyclage de ces métaux s’élève à 5,25 milliards d’euros.

Nos clients sont majoritairement des affineurs, qui retransforment le produit en cathodes dans le cas du cuivre, et, dans le cas de l’aluminium, en lingots – essentiellement destinés à l’industrie et aux fondeurs automobiles, puis aux extrudeurs et aux lamineurs. La consommation française totale – donc non limitée aux produits issus du recyclage – est d’environ 1,5 million de tonnes. Depuis quinze ans, de nombreuses usines de métallurgie ont fermé, notamment en France, mais 85 % des volumes que nous traitons sont consommés en France et dans les pays européens : la Belgique et l’Allemagne pour le cuivre, l’Italie, l’Allemagne, l’Espagne pour l’aluminium. Le domaine a connu une forte concentration : ainsi, le secteur du cuivre est désormais dominé par une grosse société qui est le deuxième producteur mondial.

Depuis 2011, la loi oblige à payer par chèque, et non plus en espèces, lorsque l’on achète des métaux au détail. Le but était de lutter contre le vol des métaux, mais, en réalité, la vente au détail intéresse essentiellement des particuliers ou de petits entrepreneurs, par exemple un plombier qui change la toiture en zinc d’une maison et revend le matériau ainsi récupéré à un recycleur. Cette loi étant uniquement française, et non européenne, les régions limitrophes que sont la Belgique et l’Allemagne ou encore l’Espagne reçoivent directement les métaux, ce qui engendre pour nous une perte de volume de 30 à 60 % susceptible de générer une perte de 20 % des emplois et de 2 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Le volume produit, déjà réduit sur le marché par les difficultés actuelles, part à l’exportation, vers la Belgique, l’Espagne et surtout l’Allemagne. Nous prenons acte de cette loi puisqu’elle a été votée. Mais le problème se pose des sites illégaux et des trafics associés est de plus en plus important car se sont vers ces chantiers clandestins que partent également les métaux.. Toutefois, nous restons optimistes, parce que nous faisons en sorte d’optimiser les matières que nous produisons en allant chercher, loin si nécessaire, de nouveaux gisements, notamment de canettes ou de trains même si ces derniers posent le problème du désamiantage. « Max et les Ferrailleurs » c’est fini ! Nous sommes aujourd’hui une véritable filière industrielle.

M. Igor Bilimoff. Je conclurai cette présentation en précisant les liens que nous entretenons avec la sidérurgie et le sens de l’économie circulaire.

L’économie circulaire repose sur deux notions : la proximité – le cercle est au plus près de la source – et la circulation de matière, le déchet devenu inutile revenant à l’état de matière première. Nos métiers correspondent à ces deux dimensions : il s’agit de ramener un déchet dans un cycle économique et de le ramener à l’état de matière, en France, au plus proche ou au plus loin.

Le principe de proximité correspond à l’évolution spontanée de nos métiers. À l’origine, la récupération s’est organisée près des usines. Mais, peu à peu, celles-ci ont eu de plus en plus besoin de pratiquer l’échange de matières, jusqu’à entrer dans un véritable marché mondial, 100 millions de tonnes de ferraille ont été échangées dans le monde l’année dernière pour une consommation mondiale de 580 millions de tonnes. Nous avons donc dû nous adapter à la demande de standardisation des industriels et travailler à la reconnaissance de la qualité des matières et à la normalisation. 80 % de nos ventes sont réalisées en France, de sorte que le principe de proximité est respecté. En revanche, pour tous les matériaux, notre production est excédentaire par rapport à la capacité d’absorption française. Même si l’on réimplantait des usines sur le territoire, notre rythme de croissance et notre capacité à puiser dans de nouveaux gisements, notamment dans le secteur des bâtiments et travaux publics, sont tels que notre croissance va plus vite que celle de l’industrie manufacturière en France et même en Europe, qui est aussi excédentaire en matière première recyclée. Si l’exportation n’est pas un phénomène recherché ni majoritaire dans notre secteur, la vente de matières premières recyclées peut permettre de capter une partie de la croissance d’autres pays pour en faire bénéficier le territoire national en créant des emplois non délocalisables et en dynamisant l’activité économique.

M. Alain Bocquet, rapporteur. Pourriez-vous nous citer des exemples réussis de valorisation des métaux ferreux et non ferreux dans des entreprises françaises ?

La cotation est-elle mondiale ? Européenne ? Quelles sont ses fluctuations et leurs effets sur votre activité ?

Les exportations, dont le niveau reste élevé, acheminent les matériaux vers la Turquie où ils sont transformés par des ronds à béton avant de revenir chez nous. Comment construire des filières plus complètes ?

Comment suggérez-vous d’aménager la loi visant à lutter contre le trafic afin d’éviter le problème qui se pose dans les zones frontalières et que, élu du Nord, je connais bien ?

M. Gaby Charroux. Pourquoi ne pas mieux nous protéger de cette évasion de matériaux par la réglementation européenne ? Dans les Bouches-du-Rhône, le vol de cuivre est un sport au moins départemental !

Pouvez-vous nous en dire plus sur les filières aval ?

M. Michel Liebgott. Quelles sont vos relations avec les grands sidérurgistes européens, dont ArcelorMittal ? Est-il plus facile de travailler avec eux ou avec les sidérurgistes de niche implantés dans d’autres pays ?

Y a-t-il assez d’aciéries électriques en France ? À Gandrange, un syndicat projette d’en ouvrir une avec le concours de la région Lorraine.

M. Igor Bilimoff. Pour répondre à la question sur les vols et l’évasion de certains matériaux, il convient de dissocier la question de l’achat au détail du problème de l’exportation, de la fuite ou du trafic illicite de déchets. En effet, un changement de réglementation ne décourage pas les voleurs. Il était peut-être bienvenu d’interdire les achats en espèces au nom de la traçabilité ou encore de la professionnalisation, mais ce n’était pas le meilleur moyen de lutter contre le vol de métaux, qui s’explique par l’augmentation exponentielle de leur valeur au cours des dernières années. L’évolution des vols suit plutôt celle des prix que celle de la législation. En revanche, celle-ci a entraîné de nombreux effets collatéraux. De fait, le paiement en espèces l’emporte en Allemagne, pour des raisons historiques, alors que la Belgique a tenté d’instaurer une réglementation avant d’y renoncer puis d’y revenir, l’Angleterre suivant une évolution similaire à la nôtre. Nous demandons donc à la représentation nationale de nous aider, d’aider la France à défendre l’harmonisation au niveau européen. Car cette réglementation, que nos adhérents souhaitaient et à laquelle ils se plient désormais volontiers, doit s’appliquer à tous.

Il ne saurait exister de réglementation sans contrôle. Le problème n’est pas la réglementation en elle-même mais le manque d’opérations coup de poing visant à s’assurer de sa bonne application. Tous les professionnels de la chaîne, au-delà même de FEDEREC, le disent : nous avons besoin de mieux lutter contre les trafics et contre l’implantation de sites illégaux. Nous nous sommes efforcés de transmettre cette demande aux pouvoirs publics et d’inciter à une coordination interministérielle sur le sujet, car c’est en réinjectant dans l’économie réelle les volumes dont nos activités ont été privées que nous pourrons recréer des emplois et de retrouver de la valeur ajoutée sur notre territoire.

Nous parlons d’évasion non de matières premières recyclées mais de déchets. La distinction n’est pas seulement sémantique : s’agissant des matières premières recyclées, il n’est plus question d’évasion, mais, quoi que l’on pense de ce choix, d’exportation. Ce que nous refusons, c’est qu’un véhicule hors d’usage à peine dépollué soit compacté et envoyé à l’étranger pour y être démantelé. Un véhicule ne se compose pas seulement d’acier mais aussi de mousses, de plastiques, de verre, etc. qui doivent être séparés sur notre territoire car cette matière constitue la ressource stratégique que nous déciderons d’employer à tel ou tel usage, en France, et ailleurs si nous trouvons d’autres débouchés. La convention de Bâle qui régit très précisément les transferts transfrontaliers de déchets – au sens juridique du terme, est globalement bien appliquée ; les anomalies dont font état les récents rapports de la Commission européenne sont à 95 % documentaires et ne correspondent que dans à peine 2 % des cas à un trafic constaté. En revanche, nous devons livrer une lutte impitoyable, avec les douanes, contre les trafics de déchets au sens courant du terme.

M. Jean-Pierre Gaudin. En ce qui concerne les aciéries électriques, la France est exportateur net de ferraille, pour environ 5 millions de tonnes par an, de même que l’Union européenne, pour 15 à 16 millions. En 2007, le marché européen de l’acier produisait 210 millions de tonnes d’acier, contre seulement 169 en 2012. Ce déclin s’explique par la chute de la demande : au cours de la même période, la production d’acier a baissé de 20 % tandis que la demande européenne perdait 25 %. Nous sommes favorables à la création de toute usine susceptible de nous offrir des possibilités de vente en aval, mais nous devons tenir compte de l’état du marché et de son évolution prévisible.

M. Igor Bilimoff. Et cette question nous dépasse largement.

M. Patrick Kornberg. Pour répondre à la question de M. Alain Bocquet sur le système de cotation, à la différence de ce qui se pratique dans la sidérurgie, les métaux non ferreux sont cotés quotidiennement, par référence à la cotation des matières premières du London Metal Exchange (LME) sur laquelle se fondent nos clients. Ainsi, pour coter les tubes de cuivre, qui sont des tubes plombiers composés à 97 % de cuivre – l’avantage des métaux non ferreux comme de la ferraille étant leur proportion très élevée de matière recyclable –, le LME, assorti d’une décote, est multiplié par 97 %. De même, l’aluminium est coté tous les jours en fonction de l’offre et de la demande et du prix de vente des lingots. Le seul problème est l’arbitrage. Par exemple, la tonne de cuivre, qui valait 5 850 euros en valeur LME il y a trois jours, est aujourd’hui tombée à 5 750 : un acheteur qui aurait acquis 10 tonnes a perdu 1 000 euros s’il ne les a pas arbitrées.

Au sujet des entreprises et usines implantées en France, je citerai l’exemple de Tréfimétaux, qui ne possède plus aujourd’hui que deux usines sur notre territoire – contre dix au temps de sa prospérité – produisant l’une des tubes de cuivre, l’autre des barres de laiton destinées à la robinetterie, et qui appartient désormais à un groupe italien. Dans le domaine de l’affinage de l’aluminium, de nombreuses entreprises ont disparu au profit de sociétés allemandes ou italiennes qui existaient déjà et qui se sont progressivement développées.

En ce qui concerne le vol, nous travaillons avec l’Office central de lutte contre la délinquance itinérante, l’OCLDI, et je fais partie de Pol-PRIMETT, organisation européenne de lutte contre le vol de métaux auquel s’associent les polices européennes. Il suffit de couper deux câbles de cuivre de la SNCF pour provoquer des dommages collatéraux considérables, outre la perte qui découle de la valeur des métaux volés. Au cours des dernières années, du fait de la nouvelle législation, de véritables bandes organisées se sont constituées et l’on pourrait parler de crime organisé en France et en Europe.

M. Igor Bilimoff. S’agissant de la valorisation, notre production de matières premières n’a rien à envier aux ressources naturelles ; elle leur est même supérieure puisque nous parvenons à des taux de pureté de 98 %, conformément aux normes techniques définies à Séville et qui encadrent la « sortie du statut de déchet » régie par une directive européenne. Ce taux est prévu pour la ferraille – sachant que sont considérés comme impurs des contaminants comme le cuivre, qui ne sont pas polluants comme on l’entend communément. Nous appliquons donc des critères draconiens correspondant aux prescriptions techniques, de plus en plus poussées, des consommateurs de matière.

Fait notable, la production de matières premières recyclées de métaux, que l’on devait à l’origine très majoritairement à des PME voire à des TPE familiales, est aujourd’hui presque également répartie entre PME et grands groupes, du fait du développement au cours des dernières années d’entreprises comme Derichebourg ou Guy Dauphin Environnement, ainsi que Sita et Veolia et Paprec – qui ont procédé par rachat de sociétés du secteur. S’y ajoute le groupe franco-flamand Galloo, entreprise frontalière de taille notable, ainsi que de grosses sociétés régionales. Nous espérons voir apparaître des entreprises de taille intermédiaire qui se seraient constituées par assemblage de PME, sur le modèle d’Epur ou de SLG.

Un autre aspect qui nous importe concerne les relations entre acteurs. Nous y travaillons au sein du Comité stratégique de filières éco-industries, le COSEI, qui permet d’identifier les points de blocage majeurs en matière d’économie circulaire de proximité. Il s’agit essentiellement de l’approvisionnement, de l’assurance-crédit et de la solvabilité de nos clients, outre le respect du contrat – qui ne va pas de soi lorsque les prix chutent de 40 % en moins d’un mois, comme en 2008-2009 ! Nous cherchons actuellement des solutions innovantes pour remédier à l’insuffisance des assurances crédits.

M. Jean-Pierre Gaudin. En réponse à M. Michel Liebgott, nos relations avec les grands groupes sidérurgiques, quelle que soit leur taille, sont équilibrées, abstraction faite de la profonde dépression de 2008-2009. Ce sont eux qui fixent les prix, sur le marché international puis européen, après quoi nous adaptons notre prix d’achat au prix auquel nous pouvons vendre, en tenant compte de nos frais. Le problème est la solvabilité de nos clients, mise à mal par la SFAC Euler et par la Coface, chargées de la couverture en France ou à l’export. La réduction atteint 50 %, voire davantage dans certaines usines. Cela dénote une certaine méfiance vis-à-vis de nos partenaires sidérurgistes, y compris les plus gros, dont ArcelorMittal et les grands groupes allemands et italiens. Dans ce dernier cas, cette méfiance pourrait s’expliquer par la gêne que la fermeture du site de Tarente pour raisons environnementales a causée au groupe Riva.

M. Patrick Kornberg. S’agissant de la grande exportation, la petite part de métaux non ferreux exportée vers la Chine ou l’Inde est destinée à des produits manufacturiers qui y seront mieux travaillés de manière bien précise ; mais, pour le reste, nous compensons largement cette manufacture par nos outils industriels.

J’ajoute qu’à la suite d’une table ronde organisée par le ministre du redressement productif, je vais présider à partir de la semaine prochaine un groupe de travail consacré à l’optimisation de la filière aluminium en France.

M. le président Jean Grellier. Existe-t-il encore un potentiel de développement, notamment dans la déconstruction de véhicules automobiles ?

M. Igor Bilimoff. Oui. Pour nous, l’enjeu majeur est la captation du gisement, qui dépendait jusqu’à présent de la valeur des produits puisque, je l’ai dit, nous ne bénéficions d’aucune subvention. En d’autres termes, nos activités sont payées par la valeur de revente des matières premières recyclées. Comment mobiliser de nouveaux gisements ? Au secteur du BTP, qui en fournit beaucoup, s’ajoutent les filières de démantèlement de matériel usagé issu des avions, du ferroviaire ou des bateaux. Dans le cas d’un prescripteur unique – la SNCF, Air France, d’autres compagnies aériennes –, il peut être paradoxalement difficile de mobiliser le gisement de manière structurée. Cela étant, fort heureusement, de nombreuses entreprises en France pratiquent déjà le recyclage des ferrailles et du matériel roulant ; certaines d’entre elles se sont même spécialisées. Notre pays est le champion d’Europe du désamiantage, lequel précède au recyclage du matériel ferroviaire. Bartin, par exemple, a été l’un des premiers à se spécialiser dans le démantèlement des avions.

Pour être stimulées, ces filières auraient besoin de politiques de vente plus lisibles, puisqu’il s’agit ici de déchets de valeur, négociés par ceux qui les produisent. Les constructeurs automobiles en usent ainsi avec leurs chutes de production. Bref, cela se pratique déjà, de manière tout à fait spontanée ; mais l’on peut certainement faire plus à condition de mobiliser tous les acteurs, et notamment les producteurs des futurs déchets.

Enfin, un problème juridique se pose. Le déchet étant défini comme ce qui est abandonné ou en voie d’abandon, à quel moment un avion va-t-il devenir déchet ? Est-ce en France parce qu’il est sur le territoire français, aux États-Unis parce qu’il y aura atterri ? N’est-ce pas à cause de ce problème que nous, Français, avons souvent laissé fuir nos bateaux en fin de vie – dont celui, particulièrement emblématique, qui fut acheminé vers l’Angleterre – au lieu d’utiliser notre savoir-faire industriel pour les démanteler sur notre territoire ? Ici, le prix n’est pas le seul enjeu : s’y ajoutent le savoir-faire et la préoccupation environnementale.

Rappelons à ce sujet, pour conclure, que nos entreprises adhérentes, toutes installations classées pour la protection de l’environnement, ont beaucoup investi dans ce domaine et s’y montrent exemplaires.

M. le président Jean Grellier. Merci, Messieurs.

Audition, à huis clos, de M. Lakshmi N. Mittal, Président du groupe ArcelorMittal

(Séance du mercredi 17 avril 2013)

M. le président Jean Grellier. Avant d’accueillir notre invité, je salue le président de la commission des affaires économiques, François Brottes. Nous recevons ce matin M. Lakshmi N. Mittal, le président d’ArcelorMittal, à huis clos, conformément à sa demande. Cette formule est habituelle devant une commission d’enquête, notamment lorsque la demande est motivée par le secret des affaires.

En vous recevant, monsieur le président, nous nous réjouissons de l’occasion qui nous est donnée d’interroger l’entrepreneur qui est à la tête du premier producteur mondial d’acier. Présent sur les cinq continents, votre groupe est un « géant » avec près de 250 000 salariés dans le monde. Mais nombre de nos interlocuteurs nous ont aussi affirmé que les activités et participations minières y occupent une place de plus en plus importante, ce qui n’est sans doute pas sans conséquence sur l’évolution de votre stratégie, notamment en Europe, alors que le rachat d’Arcelor en 2006 avait pourtant considérablement renforcé votre présence sur notre continent.

Le champ de compétence de la commission d’enquête porte non seulement sur la situation actuelle des activités sidérurgiques et métallurgiques en France et en Europe, mais aussi sur leurs perspectives. À notre sens, ces activités, qui sont aussi exercées par d’autres grands groupes, pour certains plus anciens que le vôtre, ne peuvent être définitivement classées au rang des « vielles industries », une idée fausse que d’aucuns accréditent trop hâtivement. N’oublions pas que la sidérurgie est l’un des secteurs où la recherche industrielle demeure très active !

Nous allons évidemment vous poser des questions sur la situation de vos sites français. Les plans de charge des usines de Dunkerque et de Fos-sur-Mer retiennent toute notre attention, mais vous comprendrez qu’il nous est impossible de ne pas en savoir plus de votre part sur le devenir industriel du site de Florange.

Depuis 2008, le marché européen s’est fortement rétracté. Toutefois, vous avez récemment laissé entrevoir l’amorce d’un redressement, en anticipant dans vos plans de production une croissance moyenne de la demande européenne de 3,5 % par an, sur les cinq années à compter de 2014. Que signifie cette hypothèse en termes d’investissements ? Nous avons également conscience de la relative dépendance d’ArcelorMittal vis-à-vis de l’industrie automobile, un secteur qui absorbe une partie très importante des produits de vos usines européennes. La commission n’oublie cependant pas que votre groupe a conclu un accord avec l’État, en décembre dernier, sur des engagements chiffrés visant à maintenir l’activité de vos sites français, en particulier à Florange. Nous considérons cet engagement comme irrévocable et nous allons vous demander de confirmer votre implication personnelle sur ce point essentiel.

Je conclus sur l’inquiétude de vos salariés, de vos sous-traitants, des élus et plus généralement des régions où sont implantés vos usines et centres de recherche, car vous avez annoncé devant des analystes financiers un plan d’économies visant à réduire vos coûts de quelque 3 milliards de dollars d’ici à 2015.

Ces mesures sont peut-être justifiées s’il s’agit, par exemple, d’améliorer la compétitivité du groupe et la qualité de ses produits, afin de se trouver dans la meilleure position possible pour répondre à un retour de la demande. Mais, je ne vous cache pas non plus mes inquiétudes, que je sais largement partagées par mes collègues, s’agissant d’éventuels « arbitrages » qui sacrifieraient l’emploi, la qualification comme le savoir-faire des salariés, et le devenir de certains sites au nom d’une recherche de rentabilité à court terme !

Voilà, monsieur le président, ce que je tenais à vous dire, avant de vous donner la parole pour un exposé liminaire. Puis notre rapporteur, mon collègue Alain Bocquet, et les autres membres de la commission d’enquête vous poseront des questions auxquelles nous attendons évidemment des réponses les plus précises.

M. Lakshmi Mittal prête serment.

M. Lakshmi N. Mittal, président du groupe ArcelorMittal. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, je vous prie tout d’abord d’excuser mon retard, dû à de terribles embouteillages que j’avais sous-estimés et qui ont allongé mon temps de trajet. D’où l’importance qu’il y a à investir dans les infrastructures routières pour éviter aux automobilistes de passer une heure et demie avant d’arriver à destination.

J’avais déjà été auditionné par les parlementaires français, en 2006, au moment de l’échec de notre première proposition de fusion entre Arcelor et Mittal Steel, et c’est à la fois un honneur et un plaisir d’avoir l’occasion de m’exprimer une deuxième fois devant vous.

Je n’ignore pas qu’ArcelorMittal et la sidérurgie ont été un sujet de discussion central en France, au moins au cours de cette dernière année, et que nombreux ont été ceux qui se sont intéressés à ArcelorMittal depuis 2006. Je tiens à remercier sincèrement tous ceux, qu’ils soient ici ou ailleurs, du soutien dont nous avons bénéficié.

Quelques minutes, d’abord, afin de présenter la stratégie d’ArcelorMittal pour relever les grands défis économiques rencontrés depuis que la crise a fondu sur nous. Nous sommes, vous l’avez dit, un groupe sidérurgique et minier très important, puisque nous employons environ 245 000 personnes, de quarante-cinq nationalités différentes, dont plus de 90 000 en Europe. Notre siège social est basé au Luxembourg. Notre philosophie est de produire de l’acier durable, fiable, avec un haut niveau de sécurité.

La sécurité est la priorité numéro un du groupe. À travers notre programme « En route pour le zéro accident », nous concentrons tous nos efforts à faire disparaître les accidents du travail. Nous avons réalisé des progrès significatifs en réduisant le taux de fréquence des accidents avec arrêt de 4,0 en 2006, au moment de la fusion, à 1,0 en 2012, et continuons à travailler à des pistes d’amélioration pour le faire tomber à zéro, de sorte que chacun de nos employés puisse rentrer chez lui après sa journée de travail.

L’innovation et le service aux clients sont au cœur de notre activité et nous investissons beaucoup en recherche et développement dans le but d’améliorer continuellement les différents types d’acier que nous produisons.

ArcelorMittal est le principal acteur de la sidérurgie française. Nous représentons environ 70 % de l’emploi sidérurgique et de la production d’acier en France. Environ 35 % de notre production européenne de produits plats y est réalisée. Nous avons plus de cinquante sites industriels en France, qui apportent du travail à 20 000 personnes, et même à bien plus, si l’on prend en compte les emplois indirects. Depuis 2006, nous avons investi plus de 2 milliards d’euros en France. Nos principaux centres de recherche-développement sont situés en Lorraine, où travaillent 800 de nos 1 300 meilleurs chercheurs en R&D. Tous ces éléments montrent à quel point la France compte pour ArcelorMittal.

Cependant, en raison de l’environnement économique très difficile, nous avons dû prendre des mesures pour adapter notre empreinte industrielle à la fois dans le monde, en Europe et en France.

Afin de donner une image complète de la situation en France, je me dois de revenir à 2006, lorsqu’Arcelor et Mittal Steel ont fusionné pour créer ArcelorMittal, le plus important groupe sidérurgique au monde.

Avant la fusion, Arcelor avait déjà annoncé ce qui s’appelait alors le plan « Apollo », qui consistait à investir prioritairement dans la production des phases liquides des deux principaux sites côtiers d’Arcelor, Dunkerque et Fos, les usines continentales situées plus près des clients devant, quant à elles, se concentrer sur la transformation de l’acier et l’amélioration de la qualité des produits et des services. Dans ce cadre, la fermeture des hauts-fourneaux de Florange était programmée pour 2010. Au moment de la fusion, nous avions indiqué au gouvernement français que nous suivrions le plan d’Arcelor.

Par la suite, la conjoncture favorable et l’augmentation de la demande mondiale d’acier nous ont conduits à repousser l’échéance au-delà de 2010, la date initialement prévue. Cependant, à la fin de l’année 2008, nous avons été frappés par une crise financière complètement inattendue. La reprise a été lente, en particulier en Europe, où la situation s’est encore détériorée en 2012, quand la zone euro a de nouveau glissé dans la récession. Le PIB devrait d’ailleurs encore baisser cette année. Plusieurs de nos principaux clients, ceux des secteurs de l’automobile et de la construction notamment, ont été particulièrement touchés. Comme la demande d’acier est directement corrélée à la situation économique, cet environnement a eu un impact négatif considérable sur l’industrie de l'acier, entraînant une surcapacité de production importante.

Aujourd'hui, la demande d’acier en Europe est de 30 % inférieure à ce qu’elle était avant la crise et nous en ressentons pleinement les effets. Par ailleurs, il est désormais clair qu’elle ne retrouvera pas rapidement son niveau de 2007 et que l’Europe est confrontée à un changement structurel. Même si la demande d’acier venait à augmenter cette année – mais elle devrait diminuer de 0,5 % –, rien qu’en 2012, elle aura reculé de 8 %. Dans l’hypothèse où la demande recommencerait à progresser de 3 % par an à partir de 2014 – or rien n’est moins sûr –, elle serait encore, en 2020, 15 % en dessous de ses niveaux d’avant la crise, lesquels ne pourraient pas, de toute façon, être retrouvés avant 2022 ou 2025.

Face à une surcapacité aussi importante, il n’y a pas d’autre alternative que de s’adapter. Les prix de l’acier ont baissé alors que nous avons réalisé un investissement considérable en France depuis la fusion. Notre secteur plats carbone Europe, qui représente à lui seul environ 75 % de nos activités en France, a enregistré une perte de 2,8 milliards d’euros en 2012, dont une dépréciation de 2,5 milliards d’euros de nos actifs européens. Cela signifie que l’investissement dans nos activités européennes, qui a continué, malgré le contexte difficile, est financé par nos activités dans d’autres pays.

Bien que le groupe puisse faire face à cette situation à court terme, cela n’est pas viable à long terme, en particulier tant que l’économie des pays les plus importants reste fragile. L’acier est une industrie à forte intensité capitalistique et la rentabilité est essentielle pour pouvoir continuer à investir dans de nouveaux produits et de nouvelles technologies qui sont les garants de l’avenir de nos usines.

Il est apparu évident que, pour assurer un avenir à long terme à nos activités en France, nous devions reconfigurer notre empreinte industrielle pour répondre à la demande du marché de la manière la plus compétitive qui soit. Cela ne veut pas dire que nous ne voulons pas continuer à produire de l’acier en France. Nous le voulons. J’ai lu récemment un article qui indiquait que nous préférerions importer de l’acier d’Inde plutôt que de le produire en France. C’est d’autant moins vrai que nous ne produisons pas d’acier en Inde. Comme une part très importante de notre activité se trouve en France, il est donc crucial pour nous d’être en mesure d’y produire de manière durable. C’est pourquoi, dans le cadre d’Eurofer, nous avons soutenu des mesures commerciales visant à assurer une concurrence équitable et à se protéger contre les importations à bas prix en provenance des économies émergentes. Cependant, face à la chute du besoin d’acier brut, il est logique de concentrer notre production amont sur un nombre plus restreint de sites.

La compétitivité de l’industrie de l’acier dépend en grande partie du coût des produits semi-finis. Notre vision pour l’avenir consiste donc à concentrer la production de fonte dans nos usines côtières les plus compétitives, parce qu’elles sont plus faciles à approvisionner en matières premières. Une fois que les produits semi-finis ont été fabriqués dans nos hauts-fourneaux côtiers, ils sont transformés soit directement dans ces usines côtières, soit dans nos centres d’excellence continentaux, stratégiquement situés à proximité de nos clients. Ces centres se concentrent sur le traitement final de nos produits et sur la livraison chez nos clients. Notre recherche-développement est également répartie sur le territoire et se focalise sur des secteurs stratégiques comme l’automobile, l’emballage, l’énergie, les aciers électriques ainsi que le processus de fabrication de l’acier.

Nous comprenons que la décision de mettre sous cocon les hauts-fourneaux de Florange est douloureuse pour la Lorraine, compte tenu de son long et prestigieux passé sidérurgique. ArcelorMittal ne peut se réjouir de devoir fermer une usine. Nous sommes une entreprise sidérurgique, nous voulons produire de l’acier, mais nous ne le produirons pas si nous ne pouvons pas le vendre ou l’exporter. Si la France veut continuer à avoir une industrie de l’acier compétitive au niveau mondial, et dont elle soit fière, de telles décisions sont malheureusement nécessaires. La société ArcelorMittal Atlantique et Lorraine, qui intègre Florange, a perdu 350 millions d’euros depuis 2008, dont 210 millions d’euros en 2012. Une telle situation n’est pas soutenable.

À la suite des discussions avec le gouvernement français, nous sommes parvenus à un accord. Il prévoit l’engagement d’investir 180 millions d’euros sur le site de Florange au cours des cinq prochaines années, de trouver une solution pour les 629 salariés concernés par l’arrêt de la phase liquide, de réexaminer la situation dans six ans et de concentrer les activités d’emballage à Florange pour les cinq prochaines années. La période d’information-consultation s’est achevée aux niveaux central et local la semaine dernière ; nous sommes donc maintenant prêts à mettre en œuvre notre projet et à engager le volet social pour trouver des solutions pour les personnes concernées. Des avancées ont déjà été enregistrées : 301 personnes ont été détachées dans d’autres activités, 206 autres ont choisi la retraite ou un départ volontaire. Il nous faut donc trouver des solutions pour 122 personnes et nous y travaillons. Nous avons également commencé à investir : 55 millions d’euros ont déjà été engagés pour assurer la viabilité de la cokerie et soutenir le plan de développement de l’Usibor® grande largeur, un acier à haute résistance pour l’industrie automobile. Florange est maintenant la seule usine au monde capable de produire de l’Usibor® Alusi® de grande largeur, ce qui donne au site un avantage concurrentiel sur le marché de l’automobile.

De manière tout à fait compréhensible, Florange a beaucoup attiré l’attention au cours de l’année écoulée mais il ne faut pas oublier les nombreux autres sites en France dans lesquels le groupe continue d'investir. Ces sites continuent de produire des aciers indispensables au fonctionnement quotidien des économies française, européenne et même mondiale. Vous ignorez peut-être que, si 35 % de la production européenne d’acier plat d’ArcelorMittal sont réalisés en France, seulement 9 % environ y sont consommés. Le reste est exporté. Autrement dit, nous sommes un exportateur net d’acier, qui apporte une contribution positive à l’économie française pourvu que cet acier puisse être compétitif.

Avec leurs capacités de production respectives en acier brut de 7 millions de tonnes et 4 millions de tonnes, Dunkerque et Fos sont nos plus grandes usines en France. Elles sont d’ailleurs idéalement situées pour l’approvisionnement en matières premières nécessaires à la production, et pour l’exportation des aciers vers les pays voisins. Nous avons, depuis 2006, investi 1,1 milliard d’euros dans ces deux usines, pour en faire nos principaux sites de production d’acier liquide. Et nous continuerons de le faire. Nous allons d’ailleurs embaucher du personnel. À Dunkerque par exemple, nous contrecarrerons l’attrition naturelle en remplaçant la plupart des départs. En 2013, environ 200 personnes devraient quitter par départs naturels.

Nous avons en France des activités hautement spécialisées et technologiquement avancées. Nos sites de Châteauneuf et du Creusot, dans lesquels nous avons récemment investi 28 millions d’euros, sont parmi les seules installations à pouvoir produire de l’acier avec des caractéristiques chimiques capables de résister aux environnements difficiles et à haute pression. À Saint-Chély-d’Apcher, au nord de Fos-sur-Mer, nous avons investi 90 millions d’euros dans de nouvelles installations qui font de l’usine l’un des seuls établissements en Europe capables de produire des aciers électriques parmi les plus performants destinés aux voitures hybrides et électriques. Notre site de Contrisson dispose d’une nouvelle ligne de galvanisation qui utilise moitié moins de zinc que d’ordinaire, ce qui est également bénéfique pour l’environnement.

Ces usines, comme toutes les autres, assurent la production des aciers indispensables au fonctionnement quotidien des économies française, européenne et même mondiale. Aider l’industrie automobile à atteindre ses objectifs de réduction d’émissions de CO2 avec notre gamme d’aciers ultra-légers et à haute résistance « S-in motion », permettre la construction de la première tour à charpente acier à La Défense, contribuer à MFC 2020, la maison individuelle à énergie positive décarbonée, prélude aux maisons écologiques, soutenir l’industrie viticole en France en produisant du fil utilisé pour soutenir les cultures de la vigne, ou la construction des stades abritant des événements sportifs internationaux... Tout cela est rendu possible grâce à l’acier produit par nos sites français.

C’est la raison pour laquelle, je suis sûr que la France peut continuer à avoir une industrie de l’acier durable mais seulement avec la bonne stratégie, la bonne approche et le bon niveau de compétitivité. Les changements que nous avons apportés à notre dispositif opérationnel et à notre empreinte industrielle permettront de créer une structure plus forte, plus efficace et plus concurrentielle.

Mais le pays et, plus largement, l’Europe doivent reconnaître que les choses ont changé. Je ne peux pas vous assurer que nos mesures répondront à tous les défis. L’économie européenne connaît toujours de très graves difficultés et cela va continuer de représenter des défis pour les entreprises et l’industrie. Par-dessus tout, je crois que la rigueur, même si elle doit avoir toute sa place, n’est pas une fin en soi, et qu’il faut également un objectif de croissance.

Je sais que des mesures sont prises pour améliorer la compétitivité. Il s’agit notamment de faciliter l’accès à l’énergie, d’améliorer le coût et l’efficacité du transport ferroviaire de marchandises, de soutenir la recherche-développement et de stimuler la demande d’acier, par exemple dans le secteur de la construction, avec des projets d’infrastructures. Mais un récent rapport de Bruxelles a mis en garde contre l’insuffisance des réformes et des démarches engagées en France et il reste encore beaucoup à faire. Le Gouvernement doit examiner quelles mesures supplémentaires prendre pour proposer des solutions aux défis à relever.

Le plan d’action de l’Union Européenne pour l’acier, auquel ArcelorMittal a participé et qu’il soutient, sera publié en juin. Même si nous devons attendre les recommandations et propositions finales qui seront faites pour soutenir l’industrie, on peut d’ores et déjà considérer cette initiative comme positive. Toutefois, pour qu’elle soit couronnée de succès, il faut plus que des mots couchés sur du papier. Il sera important que tous les pays, dont la France, soutiennent les actions proposées afin d’apporter un réel bénéfice à l’industrie. Des mesures concrètes doivent être prises pour traiter des questions cruciales comme les émissions de CO2, le commerce international, la réforme du travail et les coûts énergétiques. Par exemple, il n’est pas raisonnable et durable que les coûts du gaz et de l’électricité soient trois fois plus élevés en Europe qu’aux États-Unis.

Pour terminer, personne plus que moi ne souhaite voir l’Europe dotée d'une industrie forte. Mais pour y parvenir, cette industrie se doit d’être compétitive et adaptée à la nouvelle donne économique. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’elle sera capable de créer de la valeur et d’investir dans les nouvelles technologies et l’innovation nécessaires à la fabrication des produits permettant de rester le fournisseur privilégié de notre clientèle.

Nous espérons que les changements que nous avons réalisés, bien que difficiles, nous aideront à atteindre cet objectif. Je sais que certains d’entre vous vont visiter notre usine de Dunkerque le 22 avril et qu’une autre visite est prévue à Fos en mai. Quand vous serez sur place, vous pourrez vous rendre compte des investissements que nous avons réalisés, notamment la réfection du deuxième haut-fourneau de Fos et l’aciérie du futur à Dunkerque. C’est ce type d’investissements qui aidera à créer une industrie sidérurgique plus forte en France.

Le soutien et la compréhension de toutes les parties prenantes sont nécessaires. Nous devons travailler ensemble pour mettre en œuvre les bonnes politiques et les bonnes mesures pour permettre à l’industrie européenne d’avoir un avenir durable. Je suis sûr qu’elle en est capable.

Je vous remercie de votre attention et suis prêt à répondre à vos questions.

M. Alain Bocquet, rapporteur. Je vous remercie de votre présence parmi nous, monsieur le président, qui suscite d’innombrables questions. Je vous poserai celles que j’ai choisi de vous poser avec franchise puisqu’elle est mère de la fraternité.

Que ce soit envers Jacques Chirac en 2006, Nicolas Sarkozy en 2008 ou François Hollande maintenant, vous n’avez pas été avare d’engagements, monsieur le président. Or la presse relève qu’ils n’ont pas toujours été tenus.

En 2006, vous déclariez : « Il n’y aura pas de plan de restructuration, de licenciements collectifs ou d’autres plans de réduction de personnel chez Arcelor dans l’Union européenne. » Depuis, les effectifs européens ont diminué de plus d’un quart, soit de 32 293 salariés en Europe, et de 6 332 en France ; et l’extinction des hauts-fourneaux de Florange n’augure pas bien de l’avenir. Même si vous avez déjà abordé la question, à quoi tient cette régression, entamée bien avant la crise financière ?

Si c’était à refaire, vous porteriez-vous aujourd'hui acquéreur du groupe Arcelor, dans des conditions comparables à celles de 2006 ? Ce rachat reste-t-il votre plus belle affaire, sinon la plus importante de votre vie d’entrepreneur ? Je vous pose la question à cause de la dépréciation, pour quelque 3,3 milliards d’euros, des écarts de valeur d’acquisition de vos aciéries européennes, comptabilisée fin 2012. Avez-vous ainsi soldé « un surcoût payé pour en prendre le contrôle » ?

Comment maîtriser la dette du groupe, qui en constituerait une des faiblesses majeures ? Elle inquiète légitimement les salariés qui ont peur d’en payer le prix, au travers de suppressions d’emploi.

En l’état des connaissances des parlementaires sur le contenu de l’accord conclu à la fin de l’année 2012 entre votre groupe et l’État, ArcelorMittal s’est engagé à réaliser au moins 180 millions d’euros d’investissements pendant cinq ans, sur le site de Florange, principalement consacrés à consolider l’activité packaging et à développer un acier de haute qualité, l’Usibor®. Qu’en est-il exactement car les bruits les plus divers, souvent négatifs, circulent ?

Vous affirmez être en tête de la recherche-développement, par rapport à vos concurrents. Pourtant, un rapport d’expertise affirme qu’en réalité, ArcelorMittal est le dernier en Europe, avec un budget d’à peine 0,4 % de son chiffre d’affaires, qui a diminué de 15 % en 2012, et diminuera encore de 15 % en 2013. Seul le budget « mines » des unités de recherche a augmenté, au détriment des autres. Pourquoi de tels choix ? Quels risques présentent-ils pour l’innovation au sein d’ArcelorMittal ?

Qu’attendez-vous d’un éventuel plan acier de l’Union européenne, auquel s’emploie le Commissaire Tajani ? Malgré le soutien que vous affichez, la presse a vu dans votre absence à une réunion de travail une marque de réserve de votre part.

N’assiste-t-on pas, dans votre activité, à un basculement du pouvoir économique de l’Europe et l’Amérique du Nord vers l’Asie, comme le montre le rachat, en 2012, du London Metal Exchange – il cote depuis plus d’un siècle les métaux non ferreux – par la bourse de Hongkong, ? Face à des acteurs aussi puissants, n’a-t-on pas besoin d’une Union européenne forte, qui sache défendre ses industries et ses approvisionnements ?

En ce qui concerne le projet de captage de CO2, Ulcos, vous avez, semble-t-il, renoncé à la fin de l’année dernière à soumissionner à l’appel d’offres lancé par l’Union européenne, au motif de difficultés techniques rencontrées dans les recherches. Il paraîtrait toutefois que votre groupe travaillerait à une alternative dénommée Lis. Est-elle envisageable maintenant que l’extinction définitive des hauts-fourneaux de Florange est actée ? Avez-vous engagé une réflexion commune, ou au moins des contacts, avec les pouvoirs publics français et à Bruxelles, sur ce nouveau projet ?

Enfin, que répondez-vous à certains syndicats qui vous reprochent de ne pas participer aux réunions du comité d’entreprise européen, créé pourtant à votre initiative en 2007, c'est-à-dire l’année suivant le rachat d’Arcelor, ni d’y être représenté par votre fils, le numéro deux du groupe ?

M. Lakshmi Mittal. Pour nous, la fusion ArcelorMittal reste l’opération la plus réussie survenue dans la sidérurgie, qu’il s’agisse de la logique industrielle, de celle du produit, ou du point de vue du client. Elle a manifestement créé de la valeur pour tous les acteurs concernés. Je peux vous assurer que, si Arcelor et Mittal Steel étaient toujours deux entreprises distinctes, elles auraient fait face plus difficilement à la dégradation du climat économique.

La fusion a contribué à créer un environnement plus propice à la sidérurgie en Europe et a permis de mieux résister à la crise. En 2001-2002, il y a eu trente-sept défaillances aux États-Unis, dans un contexte beaucoup moins grave qu’aujourd'hui. Et je me réjouis qu’aucune faillite majeure ne soit encore survenue, en Europe ou en Amérique. Je rappelle que, malgré la crise, les entreprises sidérurgiques n’ont pas demandé d’aide aux États.

S’agissant de la dette, nous devons continuer à améliorer la compétitivité. Et la fusion ne nous dispense pas d’un tel effort. Nous devons fabriquer et développer des produits qui satisfassent nos clients. Nous devons être plus compétitifs que nos concurrents en Europe et ailleurs. Les politiques commerciales ne devraient d’ailleurs pas laisser nos marchés être inondés de produits à bas coûts. Pour relever ces défis, nous continuerons à agir pour rester compétitifs. Le problème de notre dette est résolu. Ces deux dernières années, nous nous sommes délestés de nos actifs non stratégiques, nous avons taillé dans nos coûts et nous allons continuer. Nous avons réduit nos programmes d’investissement et diminué les dividendes versés aux actionnaires. Nous avons également levé des capitaux en début d’année. Notre objectif à moyen terme est d’abaisser la dette à 15 milliards de dollars, et à court terme à 17 milliards, un niveau satisfaisant pour le groupe.

En 2012, nous avons déclaré que nous investirions 180 millions d’euros à Florange. Nous nous conformerons à notre plan d’investissement.

ArcelorMittal est un leader de la recherche-développement dans son secteur. Aujourd'hui, sur le segment de l’automobile, nous sommes les premiers dans le monde en termes de développement produit, de qualité, de R&D et d’investissement. Je suis très fier de nos implantations en France et nous allons nous attacher à les rendre plus efficaces, et à les adapter aux exigences de nos clients. Nous n’avons pas l’intention de gâcher nos efforts en R&D dans des projets sans avenir. Nous continuerons d’investir là où sont nos clients. Ainsi, nous avons un dialogue permanent avec l’industrie automobile, pour contrer les produits alternatifs à l’acier tel que l’aluminium. Nous veillerons à rester le principal fournisseur de l’automobile. La diversification dans les mines est une initiative nouvelle et nous avons beaucoup à apprendre et à faire. C’est pourquoi nous devons investir dans ces activités. Mais, s’agissant de la sidérurgie, nous ne prendrons pas de risque sur la R&D.

S’agissant du plan acier, j’ai rencontré M. Tajani. Pour votre information, sachez que je n’étais pas invité à la réunion dont vous avez parlé. Par la suite, j’ai longuement discuté avec M. Tajani de la façon dont la Commission peut nous aider à maintenir une activité soutenable. Comme je vous l’ai dit en introduction, je vois quatre axes d’action. Premièrement, la politique commerciale, qui est déterminante. Il faut lutter contre les importations à bas coûts, qui se traduisent par des pertes d’emploi, pour peu que les capacités de production existent en Europe, et fragilisent l’appareil industriel domestique. Aux États-Unis, il y a un mouvement pour faire revenir les emplois en Amérique ; l’Europe devrait en faire autant. Tout l’acier utilisé en Europe devrait être européen. Deuxièmement, l’énergie, qui coûte désormais trois fois plus qu’aux États-Unis. L’électricité est chère et il faut chercher à fournir une énergie compétitive pour fabriquer de l’acier. Troisièmement, il faut étudier la question du CO2 car la plupart des pays extra-européens n’ont pas de politique arrêtée en la matière. Quatrièmement, le droit du travail n’encourage pas l’investissement, la productivité ni la compétitivité. Le monde a changé, et le travail doit être plus flexible. À moins de prendre des mesures, je crains que notre effort ne suffise pas à faire sortir l’Europe de l’ornière et à la rendre plus forte. Je soutiens pleinement le plan d’action pour l’acier de M. Tajani. Mes équipes le rencontrent régulièrement et nos relations sont bonnes.

À côté de ce plan, un rapport de l’OCDE évalue les surcapacités à 20 % dans le monde. Pourtant, la Chine, l’Inde, la Russie continuent à construire des usines. Et tant qu’elles le feront avec les financements, le soutien et des subventions des États, il s’en construira encore, aggravant les difficultés des autres. Je mesure le phénomène dans la sidérurgie mais elle n’est pas la seule concernée. Les importations se substituent à la production européenne.

En ce qui concerne Ulcos, nous aussi sommes très déçus que le projet ne soit pas techniquement viable. Nous nous sommes engagés à apporter 13 millions d’euros pour trouver une alternative. Nous discutons donc du projet Lis. La feuille de route pour les cinq ou six prochaines années sera publiée le 22 avril et nous ferons tout ce que nous pourrons pour trouver une solution pour réduire les émissions de carbone. Mais il faut d’autres partenaires qu’ArcelorMittal, en particulier les gouvernements, mais aussi des entreprises et Bruxelles.

Nous sommes une très grande entreprise, où les responsables sont nombreux. Chaque année, un membre du comité exécutif du groupe ou un des principaux dirigeants du groupe assiste au comité d’entreprise européen, destiné à donner une voix à tous nos salariés. Une entreprise comme la nôtre ne saurait se passer d’écoute et de dialogue, sans perdre en efficacité et détériorer son ancrage dans la réalité. Les directeurs d’usine, les dirigeants locaux et régionaux sont chargés de travailler dans l’intérêt de tous, y compris des salariés.

M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. Monsieur Mittal, le comité de suivi de l’accord entre le Gouvernement et votre entreprise, mis en place par la commission des affaires économiques, a procédé à plusieurs auditions, mais pas à la plus importante : la vôtre. Je profite donc aujourd'hui de l’occasion.

Les auditions que nous avons menées ont soulevé un grand doute dans notre esprit, quant à la volonté des uns et des autres de voir le projet Ulcos, ou un autre, aboutir. Vous venez de répondre à M. Bocquet qu’il fallait élargir le tour de table. L’enjeu ne porte que sur quelques millions, et vous nous dites que vous ne pouvez pas y arriver tout seul, tout en indiquant que vous n’avez pas de conviction qu’on y arrivera un jour. Nous avons besoin de mesurer la sincérité de votre engagement en faveur d’une alternative pour produire de l’acier propre.

Les mauvaises langues disent qu’à Florange comme ailleurs, on a gagné de l’argent en arrêtant la production grâce aux crédits carbone. Ne faut-il y voir que de la médisance alors qu’on peut produire « salement » de l’acier ailleurs qu’en Europe ? Un groupe mondial comme le vôtre ne tient-il pas ce genre de raisonnement ? S’il est faux, il est important de démentir.

Une remarque pour conclure. J’ai été frappé, au cours des auditions, du mépris que ressentent vos salariés qui sont dans l’impossibilité d’entrer en contact avec vous. Vous avez certes 245 000 salariés à travers le monde, et les Français n’en représentent que 8 %. Vous ne pouvez pas rencontrer tout le monde, mais, quand un site est en difficulté, la tradition chez nous veut que les industriels aillent au contact des ouvriers pour expliquer les enjeux, les problèmes, et même parfois l’inéluctabilité des mutations. Encore faut-il faire preuve d’une capacité à dialoguer. Je voulais vous le faire savoir.

M. Lakshmi Mittal. ArcelorMittal est une entreprise cotée sur plusieurs places. Nos actionnaires sont répartis partout dans le monde, et nous sommes sous leur surveillance. À mon avis, nous avons avec tous les gouvernements, avec lesquels nous traitons, et ils sont nombreux, de bonnes relations, empreintes de respect et de confiance, fondées sur un code de bonne conduite très exigeant et une grande intégrité. Tel est le socle sur lequel notre entreprise fonctionne. Nous avons des standards élevés en matière de gouvernance et de transparence.

Je tiens devant vous le même discours que devant mes actionnaires ou mon personnel. Nous engagements et nos déclarations sont connus de centaines de milliers de personnes, députés ou non, qui peuvent vérifier que nous faisons ce que nous disons. Nous adressons des rapports trimestriels à nos actionnaires, nous rendons compte chaque année l’assemblée générale des actionnaires. Les engagements pris devant vous, loin d’être oubliés, deviennent notre feuille de route. Ne sous-estimez pas, surtout, notre détermination. Nous mettons tous nos efforts dans la balance pour tenir nos engagements.

Mais une chose nous échappe, comme à beaucoup, c’est l’avenir de l’économie européenne. Si vous ne pouvez pas me garantir en Europe un taux de croissance annuel de 3 % pour les cinq prochaines années, comme pourrais-je m’engager sur l’avenir de la sidérurgie du Vieux continent ? Ce sont les conditions économiques qui guident notre conduite. Nos engagements reposent sur nos prévisions.

Je ne connais pas exactement les crédits carbone dont nous disposions pour Florange, mais une partie des excédents sert à améliorer la performance énergétique. J’ignore la quantité exacte de quotas disponible, si nécessaire, nous vous fournirons les données, mais, en tout état de cause, il sera utilisé dans ce sens.

Je crois à la vertu de la communication. Et je suis convaincu que nous devons nous adresser à chacun des employés, sinon par mon intermédiaire, du moins par celui de l’encadrement et des directeurs. C’est notre plus grand défi à l’échelle mondiale car, faute de message adapté, la confusion s’installe, j’en suis parfaitement conscient. Je passe beaucoup de temps à parler à mes équipes et à leur expliquer l’importance de la communication. Nous avons créé un site internet destiné aux employés où nous mettons en ligne beaucoup d’informations. D’ailleurs, je leur écris tous les trimestres et je fais une vidéoconférence tous les trois mois avec mes meilleurs employés, pour établir le dialogue. J’ai des réunions hebdomadaires et je fais des visites sur place autant que je peux, et mes directeurs généraux aussi. C’est l’occasion d’expliquer ce qui se passe partout dans le monde, ce qu’il faut faire pour être compétitif et améliorer la productivité. Et nous continuerons à agir ainsi.

M. Michel Liebgott. Je partage évidemment les préoccupations de M. Mittal à propos des importations à bas prix. Il faudrait faire en sorte de ne pas importer des produits qui concurrencent directement ceux produits en Europe, fussent-ils fabriqués par Mittal.

Même si la France a des handicaps sur lesquels vous avez insisté, monsieur le président, elle a aussi des atouts : les salariés français sont particulièrement bien formés et compétents, le régime de chômage partiel peut rendre des services évidents. Les dispositifs sociaux existent, mais il n’y aura pas de plan de modernisation sociale à Florange, ni de plan social, ni d’obligation de réindustrialisation puisque les personnels seront reclassés ou partiront volontairement.

Mais Florange a-t-il un avenir ? La Lorraine comptait 170 hauts-fourneaux, petits et grands, il y a soixante ans. Il n’y en a plus que deux. La charge symbolique est évidemment très forte et, dans l’imaginaire local, la disparition des deux derniers correspondrait à la fin de la sidérurgie. Cette crainte a été encore confortée par le rapport Faure, demandé par le Gouvernement, selon lequel, toute la force de Florange résidait dans sa filière intégrée qui permettait d’avoir des coûts inférieurs à ceux de votre usine de Gand, mais de 19 euros de plus que la tonne produite à Dunkerque. Voilà pourquoi il est si important pour nous de continuer à produire de l’acier à Florange.

Pendant longtemps, j’ai cru qu’Ulcos était la solution car je n’étais pas de ceux qui pensaient que les hauts-fourneaux pourraient continuer en l’état, sans investissements considérables. Pour l’instant, cette opportunité est derrière nous, mais elle est prévue dans l’accord gouvernemental que nous tenons à voir mis en œuvre. Le projet Lis ne doit pas être un enterrement de première classe, et il faut éviter le pire, qui serait de laisser la friche industrielle à la charge de la collectivité locale dans quelques années, alors que nous attendons la reconstruction d’un haut-fourneau, qui est de toute façon nécessaire, qu’il s’agisse d’Ulcos ou du projet Lis. Si tel n’était pas le cas, pourquoi ne pas envisager la construction d’une aciérie électrique puisque, monsieur le président, vous n’excluez pas une reprise à l’horizon 2020, en Europe comme ailleurs ? Malheureusement pour nous, l’explosion des capacités est flagrante. Sur 1,5 milliard de tonnes, 750 millions de tonnes sont produites en Chine, et rien ne nous assure que nous pourrons résister à l’invasion. C’est dire combien il nous faut être excellent.

Nous avons besoin d’une sidérurgie de commodité, mais aussi de spécialité, ce que tend à devenir, pour l’instant, la vallée de la Fensch et Florange. Nous sommes fiers de ce qui s’y fait, à savoir le meilleur acier du monde pour les voitures, et les meilleurs rails du monde, mais nous sommes inquiets de la tournure des événements.

L’accord gouvernemental vous engage a minima, à hauteur de 180 millions d’euros. Je me félicite du fonctionnement du comité de suivi et du respect des premiers engagements. Espérons que le reste suivra, et ira même au-delà, comme le préconisait le rapport Faure. Avez-vous, monsieur le président, une idée de ce que pourraient être d’autres investissements que ceux prévus initialement ? Ou faut-il attendre lundi, la présentation détaillée des projets ?

Le Parlement européen a pris hier une décision qui maintient le prix du carbone au plus bas, compromettant ainsi Ulcos ou Lis. Nous sommes effectivement dans une ornière. Dans ces conditions, ne faut-il pas une aciérie électrique à Florange ?

M. Lakshmi Mittal. La décision de mettre sous cocon le haut-fourneau de Florange a été très douloureuse à prendre. Je n’ai pas bâti Mittal pour fermer des usines, mais pour le faire prospérer. Malheureusement, Florange n’est pas sur la côte et la situation a changé. Quand les usines tournent à moins de 70 % de leur capacité, elles sont menacées, Fos et Dunkerque comme les autres. L’entreprise doit bien trouver des solutions, pour réduire les risques et limiter les dommages collatéraux. Et elles résident dans l’avenir du marché, dans les besoins de nos clients, et dans la compétitivité prix, dont dépendent notre survie et celle d’autres acteurs. Il se trouve que Florange est l’emplacement où nous avons le moins besoin d’un haut-fourneau et que nous pouvons transférer son activité vers d’autres sites, plus compétitifs, parce que situés sur les côtes où le chargement des bateaux va directement à l’usine. À Florange, nous avons le fret en plus à payer. Économiquement, notre projet se tient. Suivant cette même logique industrielle, nous n’avons pas fermé Fos, mais Liège. Nous sommes cohérents, parce que nous cherchons à être compétitifs.

Historiquement, la présence de mines de charbon et de fer justifiait l’implantation de Florange. Mais aujourd'hui nous devons importer la matière première, et cela coûte cher. Les différentiels de prix que vous avez cités ne sont que des chiffres. Ce n’est pas à ces critères que je me fie, je cherche à faire ce qui est rationnel pour l’entreprise. Vous lirez tout et son contraire dans la presse. De notre point de vue, nous avons pris la décision la plus juste économiquement et industriellement parlant.

Vous avez raison, le prix du CO2 a chuté et il n’est plus intéressant d’échanger des quotas. La tonne de CO2 vaudrait encore 30 euros, au lieu de 2,50 euros, Ulcos et les autres projets de ce type seraient très prometteurs. Trouver aujourd'hui une solution alternative constitue un énorme enjeu. Voilà pourquoi nous nous sommes engagés pour six ans. J’espère que nous aboutirons. Mais si la Commission européenne espère que nous réduirons nos émissions de 20 %, elle n’est pas réaliste. Aujourd'hui, je ne vois guère, dans les quinze ans qui viennent, de technologie qui permette de réduire les émissions carbone de 60 % ou 80 %.

Une aciérie électrique ne serait pas compétitive, pas autant que celles que nous avons au sud de l’Espagne – l’énergie coûte en France 20 % plus cher qu’en Espagne ou en Allemagne –, qui ne sont déjà pas rentables, malgré la réforme du marché du travail et la plus grande souplesse des syndicats. Nous n’avons rien de tout cela en France. Or la compétitivité est notre maître mot.

Et la politique commerciale de l’Europe est si libérale. Elle laisse entrer les importations à bas coûts. C’est bien différent aux États-Unis, où les lois sont strictes. Il faut deux ans avant qu’une décision soit prise et l’environnement juridique y est contraignant. Il est de la responsabilité des parlementaires d’attirer l’attention des peuples sur les conditions de la croissance. Nous sommes des entrepreneurs et nous voulons faire prospérer nos entreprises, gagner de l’argent et investir davantage. Mais je ne vois pas de perspective pour le moment.

M. Dino Cinieri. Les Chinois ont créé d’énormes surcapacités de production d’acier. Est-ce dangereux pour l’Europe, et pour la France ? Comment Aperam, la filiale d’ArcelorMittal, peut-elle résister ? Et quelles sont vos ambitions pour cette entreprise ? L’inox et les alliages sont un véritable fleuron de la France.

Le site d’Unieux-Firminy, dans la Loire, connaît d’énormes difficultés, liées notamment à l’effondrement du solaire. Je n’ose imaginer sa fermeture au profit de l’usine du Pont-de-Roide. Comment appréciez-vous la situation économique ? Et quel avenir pour nos soixante et onze salariés, dont la moyenne d’âge est de cinquante ans, et qui vivent dans un bassin d’emploi très touché par la crise économique ?

M. Lakshmi Mittal. Aperam est une autre entreprise. Je ne la dirige pas.

M. Gérard Terrier. Vos propos sur la R&D sont rassurants, mais ils ne sont pas corroborés par les chiffres que j’ai. Vous avez souligné son importance, surtout dans un secteur où le retour sur investissement s’étale sur une vingtaine d’années. Or votre groupe a consacré à la R&D à 0,38 % de son chiffre d’affaires en 2011, Nippon Steel entre 1 % et 1,2 %, et le coréen Posco plus de 1,5 %. Il ne s’agit sans doute pas du critère le plus pertinent, mais, si l’on retient du coût de la recherche par tonne d’acier produite, on obtient moins de 5 dollars pour ArcelorMittal, contre 10 dollars pour Nippon Steel, 12 dollars pour Posco et même 15 dollars pour ThyssenKrupp. Enfin, en valeur absolue, vous avez dépensé 322 millions de dollars là où Nippon Steel, Posco et Baosteel, un sidérurgiste chinois, en ont dépensé respectivement 593, 470 et 689 millions de dollars. Tous les indicateurs vont dans le même sens, même si je ne doute pas de votre volonté.

Ne peut-on voir dans ces évolutions comparées la cause du retard pris dans la production de l’Usibor qui vous a peut-être valu de perdre le marché des aciers spéciaux de Volkswagen, remporté par Salzgitter ? Quelles sont vos intentions chiffrées, cette fois, en matière de R&D ? Je vous le demande parce que je suis aussi le maire de Maizières-lès-Metz, où se trouve l’un des fleurons de votre groupe.

M. Denis Jacquat. Étant, tout comme Michel Liebgott et Gérard Terrier, député de Moselle, je me pose les mêmes questions qu’eux sur l’avenir de la production et du projet Lis. Le centre de Maizières-lès-Metz est mondialement connu et indispensable au groupe. Pour vous faire comprendre notre état d’esprit, je voudrais citer un ancien ministre, également ancien sidérurgiste, et mosellan comme nous, Jacques Chérèque, qui déclarait : « Chaque Lorrain a un haut-fourneau dans la tête ».

Mme Martine Carrillon-Couvreur. Je suis députée de la Nièvre où se trouve le site d’Imphy, réputé pour ses aciers spéciaux. Nous sommes plusieurs à être concernés par la société Aperam, que vous connaissez bien puisque vous en êtes actionnaire. Quelles sont vos ambitions pour Aperam, une société de renommée internationale ? Chez nous aussi, elle représente de nombreux emplois.

Par ailleurs, nous avons entendu parler du rachat de l’entreprise Terni et nous voudrions savoir dans quelles conditions elle serait reprise. Quel niveau d’emplois entendez-vous maintenir ?

M. Alain Marty. Les projets Ulcos et Lis ont été perçus en Moselle comme des alternatives pour préparer la sidérurgie du futur ? Ulcos, qui est maintenant abandonné, ne devait pas servir qu’à capter le CO2, mais aussi à améliorer la technologie et le rendement énergétique pour regagner de la compétitivité. Mais que contient le projet Lis ? Et à quoi bon mener de telles recherches, notamment à Maizières-lès-Metz, sans haut-fourneau, donc sans démonstrateur, servant à mettre en application les recherches effectuées ?

M. Christian Hutin. Le coq gaulois, monsieur le président, est sensible à la flatterie, et je vous remercie de vos compliments à propos du site de Dunkerque, dont je suis le député. Il faut savoir que plus de 12 millions de tonnes de minerai sont déchargés dans notre port, dont 8 millions de tonnes de charbon, et 1,5 million de tonnes de brame. Je me réjouis donc de vos projets de développement sur notre site. Mais le coq aime être en hauteur car il apprécie la perspective. Pourriez-vous donc détailler votre conception de l’aciérie du futur ? La prochaine mise en service du terminal méthanier à Dunkerque, l’un des plus importants d’Europe, sera-t-elle un atout pour vous ? Et la présence à proximité de la plus grande centrale de France, puisque le coût de l’énergie est un paramètre essentiel pour vous ? Les intérêts que vous avez acquis dans des mines canadiennes vous poussent-ils à envisager des coopérations avec le site de Dunkerque, qui présente l’avantage, vous l’avez rappelé, d’être sur les côtes ?

Mme Édith Gueugneau. Députée de Gueugnon, en Saône-et-Loire, je salue votre engagement à réhabiliter le site et la façon dont les travaux se déroulent. Les délais sont respectés et le chômage partiel a disparu. Votre visite sur place a été très appréciée, non seulement des élus, mais aussi des salariés et des organisations syndicales. Mais nous nous inquiétons du projet de reprise de Terni. Quel sera son impact sur l’emploi direct et indirect en France, à Gueugnon, mais encore à Firminy et à Industeel au Creusot ? Qu’adviendra-t-il d’un territoire au savoir-faire exceptionnel ?

M. Gaby Charroux. La qualité de la production est étroitement liée aux compétences et à l’expertise des salariés. C’est vrai aussi à Fos-sur-Mer dont je suis le député. Le renouvellement du personnel ne constitue-t-il pas un danger pour l’entreprise ? Comment y remédier pour offrir des perspectives de développement ? La fermeture d’un haut-fourneau à Fos aurait pour conséquence une sous-production préjudiciable à la viabilité du site, malgré les investissements annoncés. Quel avenir voyez-vous à ce site côtier ?

Mme Michèle Bonneton. Pour ne pas prendre trop de temps, mes questions risquent d’être un peu lapidaires et je vous prie de m’en excuser.

Des rapports très sérieux font état d’une demande mondiale d’acier en constante augmentation, de l’ordre de 3,5 % par an, malgré des fluctuations conjoncturelles. Entre 1980 et 2011, l’Allemagne a maintenu sa production à 44 millions de tonnes, l’Italie a un peu accru la sienne, qui est passée de 26 à 28 millions de tonnes. Seule la France a vu la sienne fortement décliner, de 23 à 15 millions de tonnes. Avez-vous une explication ?

Si l’Europe produisait plus d’acier qu’elle n’en consomme, ne serait-il pas raisonnable de prévoir des stratégies d’exportation ?

La France a de l’acier à recycler, mais il est acheminé vers d’autres pays européens. Ne serait-il pas préférable de le traiter sur place, dans des fours électriques, et pourquoi pas à Florange ?

Vous avez fait l’apologie des sites côtiers. Ils dispensent, certes, de transporter les matières premières, mais pas les produits finis. Par ailleurs, le recyclage des rebuts de fabrication n’est pas possible sans haut-fourneau à proximité, d’où un certain gaspillage sur les sites côtiers. Méritent-ils donc vraiment d’être privilégiés ?

Pourriez-vous nous préciser les bénéfices que vous avez tirés de la revente de quotas de CO2 après l’arrêt de vos hauts-fourneaux ? Par ailleurs, combien avez-vous reçu depuis 2006 au titre des aides de l’État telles que le crédit d’impôt recherche (CIR) ? Et que pensez-vous du crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE), qui entrera pleinement en vigueur en 2014, mais qui peut d’ores et déjà être activé ?

La stratégie de votre groupe est-elle influencée par votre présence au conseil d’administration de Goldman Sachs ?

Quel est l’intérêt d’avoir votre siège au Luxembourg ?

Pour réduire l’endettement de votre groupe, qui semble préoccupant et peser sur sa notation, avez-vous l’intention de développer l’activité minière, plus rémunératrice, ou bien avez-vous d’autres stratégies ?

Si je conviens tout à fait que votre communication est excellente, et que l’agence à laquelle vous faites appel est particulièrement efficace, j’apprécierais beaucoup, et mes collègues aussi, que vous nous donniez des réponses très précises, monsieur le président. Je vous en remercie.

Mme Clotilde Valter. Les crédits carbone handicapent-ils la production d’acier en France et sont-ils une incitation à produire dans des pays qui n’ont pas cette contrainte ?

M. Lakshmi Mittal. Vos questions sont nombreuses ! J’espère ne pas en oublier.

Aperam est une société à part, avec des actionnaires différents de ceux d’ArcelorMittal, même si ma famille pèse toujours dans l’actionnariat. Même si je préside le conseil d’administration, je ne suis pas le directeur général, puisque c’est Philippe Darmayan.

L’incendie, qui a eu lieu à Gueugnon, est une tragédie. Dès que je l’ai appris, j’ai accouru pour mesurer l’étendue des dégâts et pris le temps de discuter avec la direction et l’encadrement de l’usine pour définir un plan d’action. Un des fournisseurs a baissé les bras parce qu’il n’avait pas de solution technique, contrairement à ce qu’il avait dit après l’incendie. Heureusement qu’ArcelorMittal a pu mettre son savoir-faire au service d’Aperam et contribuer à accélérer la reprise. J’ai bon espoir que la première phase de production redémarre en juin, et la seconde en septembre. J’ai rencontré Philippe Darmayan et son équipe pas plus tard qu’hier.

Terni n’aura pas d’impact sur Aperam, ni en France ni ailleurs, car l’entreprise opère sur un segment de marché différent. Je pense au contraire que Terni aidera Aperam à améliorer sa compétitivité et à asseoir son leadership sur le marché, par une meilleure qualité de produits et de services au profit du client. Cependant, il reste encore beaucoup à discuter – la logique industrielle, la politique de prix – et à obtenir l’accord du commissaire européen. Nous aurons besoin du soutien du gouvernement français dans cette démarche.

À Firminy, nous sommes en train de discuter des options possibles avec les syndicats : la fermeture du site, la réhabilitation ou le transfert de l’activité vers l’usine de Pont-de-Roide. Dans ce dernier cas, nous discuterons pour trouver des solutions pour les soixante-dix salariés. Le coût de la réparation risque d’être beaucoup plus élevé que la valeur que nous pourrions créer. Philippe Darmayan travaille donc avec les syndicats à une solution durable pour Aperam. Nos directeurs sur place vous tiendront informés sur ce qui sera fait.

Nous voulons continuer à investir dans la R&D. Dans ce domaine, je ne me fie pas tant aux sommes dépensées, qu’à la reconnaissance de mes clients. Aussi longtemps que nos clients nous mettent à la première place, en termes de qualité, de partenariat et de service, je suis satisfait. Que nous dépensions plus ou moins que Nippon Steel n’entre pas en ligne de compte. La question est de savoir quelle est la valeur créée par notre R&D pour le groupe. Si nos ingénieurs français sont les plus intelligents et, si chaque Lorrain pense sidérurgie tout le temps, nous serons plus performants que les Japonais ou les Chinois. Interrogez nos clients !

Les coûts de production ne sont pas un paramètre suffisant. D’autres éléments entrent en ligne de compte : le prix de la matière première – celui du fer, du charbon, de l’énergie, main-d’œuvre –, les subventions gouvernementales, le prix de vente. Aujourd'hui, la main-d’œuvre coûte 3 dollars de l’heure en Chine, ici 60 dollars ; la durée annuelle du travail y est de 2 000 heures, ici de 1 550 heures. Il n’y a pas de comparaison possible, mais on aboutit à un écart de 80 dollars par tonne.

Une anecdote pour vous dire à quel point les Chinois changent la donne. Pour mieux faire comprendre la mentalité chinoise, nous avons envoyé quelques-uns de nos responsables syndicaux européens visiter une de nos usines chinoises, dans laquelle nous avons investi près de 1 milliard de dollars dans une joint-venture en Chine il y a trois ans. Ils ont rencontré le PDG de l’entreprise qui les a conviés dans son bureau. Outre une petite salle de repos, une chambre a attisé leur curiosité et ils ont fini par demander au dirigeant à quoi elle servait. Il leur a répondu qu’il dormait sur place. « Dans la journée ? » ont-ils insisté. Il a démenti, ajoutant qu’il y passait ses nuits parce qu’il ne rentrait chez lui qu’une journée par mois. Voilà la concurrence à laquelle nous sommes confrontés !

Ulcos et Lis représentent un défi très sérieux, puisqu’il s’agit de trouver des technologies alternatives qui entraînent des réductions de coûts et des émissions de gaz à effet de serre, tout en étant viables. La décision n’appartient pas qu’à ArcelorMittal. Nous avons des partenaires : Bruxelles, les autorités françaises et allemandes. Les grandes lignes du programme seront rendues publiques le 22 avril, et je ne peux pas en parler avant. Les nouvelles réglementations en matière de CO2 ne facilitent pas les choses, mais nous n’abandonnons pas. Travaillons d’abord pour voir s’il y a des solutions. Et nous investissons pour ça.

Mme Bonneton m’a demandé les profits tirés des quotas de CO2. Je ne les connais pas –, mais je pourrais vous les faire communiquer. Ce que je sais, c’est qu’il a été réinvesti dans des projets de performance énergétique.

Dunkerque est une belle usine. J’aime aussi les gens qui travaillent dur à améliorer leur productivité, leur compétitivité, la qualité des produits. Comme je l’ai dit, nous allons embaucher 200 personnes cette année à Dunkerque. Là-bas, nous avons besoin de remplacer les départs à la retraite, mais, vous avez raison, le vieillissement du personnel est un problème. Nous devons conserver le savoir-faire, l’expérience et la technologie. Nous avons d’ailleurs lancé un plan de formation avec la direction des ressources humaines. Nous avons l’Université ArcelorMittal qui forme tous les personnels. Il ne nous a pas échappé que nous devions préserver les compétences.

J’ai été interrogé sur le projet Baffinland. Nous participons à une joint venture à 50 %. Il s’agit d’un projet très compliqué. Mais s’il réussit, l’exploitation démarrera aux alentours de 2015, et approvisionnera nos usines en minerai de fer d’excellente qualité, ce qui renforcera la situation du groupe.

Jusqu’à présent, à Fos, tout va bien. Si nous n’avions pas mis en route le second haut-fourneau, le site n’aurait pas été viable. J’espère que notre productivité et notre compétitivité continueront à s’améliorer.

La demande a bien augmenté ces dix dernières années. La Chine a doublé sa production ; mais pas l’Europe, hélas, qui est en surcapacité de 20 % à 25 %. Les exportations européennes ne sont pas compétitives, en raison des prix élevés de la main-d’œuvre et de l’énergie, et a fortiori avec une monnaie forte. Les pays qui ont une monnaie dépréciée, qui subventionnent leurs entreprises sont plus compétitifs avec une main-d’œuvre et une énergie bon marché. Cela ne veut pas dire que nous n’exportons pas ; mais seulement de petites quantités, et des produits très spécialisés.

Nous travaillons très sérieusement sur le cycle de vie de nos produits. L’acier se recycle très bien. Tout ce que nous récupérons est recyclé dans les fours électriques. L’acier récupéré lors du démontage des usines est fondu dans des fours électriques, et il est inutile de reconstruire de nouveau le four électrique surtout que le prix de l’électricité n’est pas compétitif. Rien ne justifie donc la construction d’un nouveau four électrique.

Je suis très fier de siéger au conseil d’administration de Goldman Sachs, comme à celui d’EADS, mais cela n’a aucune influence sur la gestion de mon groupe.

Notre siège social est au Luxembourg, parce qu’il assure un bon retour sur investissement.

Au moment de la fusion en 2006, nous avons décidé de nous concentrer sur les mines, parce que c’était la bonne stratégie pour le groupe. L’investissement dans Baffinland, dont on extrait l’un des meilleurs minerais de fer, en est une illustration. Si nos usines européennes pouvaient l’utiliser, elles en tireraient bénéfice, et, avec elle, toute la sidérurgie européenne.

Le CICE est une excellente initiative lancée par Louis Gallois, qui a dirigé EADS avec brio. J’espère qu’elle rétablira un peu de compétitivité. Elle va dans la bonne direction, mais pas assez loin pour relancer la croissance. Il faut plus d’infrastructures et de partenariats public-privé de façon à stimuler l’économie. En ce qui concerne le CIR, je ne connais pas les chiffres, mais mes collaborateurs vous les communiqueront.

Je vous remercie.

M. le président Jean Grellier. Monsieur le président, je vous remercie de votre participation, qui était très importante pour notre commission d’enquête. Nous resterons en contact avec vous, pour obtenir quelques précisions, notamment sur les quotas carbone et le CIR.

La commission d’enquête rendra ses conclusions début juillet. Compte tenu de la place occupée par le groupe ArcelorMittal en France, et sur tout le continent européen, nous aurons peut-être des questions complémentaires, en particulier après avoir entendu le commissaire Tajani.

Merci encore de nous avoir consacré une partie de votre temps.

Audition, à huis clos, de M. Pascal Nerbonne, Président d’Ascométal

(Séance du mercredi 15 mai 2013)

M. le président Jean Grellier. Mes chers collègues, nous recevons M. Pascal Nerbonne, président d’Ascométal, entreprise de renom qui produit des aciers longs spéciaux et dont les principaux clients appartiennent aux secteurs de l’automobile, de l’énergie, mais aussi au secteur ferroviaire.

Ascométal a une longue histoire. Longtemps filiale du groupe Usinor, la société a ensuite été contrôlée, au cours des années 2000, par le sidérurgiste italien Lucchini, lui-même détenu par le groupe russe Severstal et l’oligarque Alexeï Morchadov. L’histoire ne s’arrête pas là puisqu’à l’été 2011, cet actionnariat russe a décidé de céder Ascométal à une structure dépendant d’un fonds américain, Apollo Global Management, créé par un ancien banquier milliardaire, Léon Black. Apollo Global Management est une « grosse machine » qui gère plus de 70 milliards de dollars d’actifs, non exclusivement industriels. Le fonds est bien connu en France car il contrôle également d’anciennes activités de l’ex-Péchiney, au travers de Constellium, une entreprise dans laquelle le Fonds stratégique d’investissement détient conjointement avec lui une participation minoritaire.

Ascométal possède en France quatre sites sidérurgiques, à Fos, Dunkerque-Dunes, Allevard-Le Cheylas, en Isère, et Hagondange, en Moselle. À Hagondange, Ascométal dispose également d’un centre de recherche, le Créas. S’y ajoutent deux centres de parachèvement : Le Marais, dans le département de la Loire, et Custines, en Meurthe-et-Moselle. Votre entreprise, monsieur le président, est ainsi présente dans chacune des grandes régions industrielles françaises de l’acier.

Sa capacité de production annuelle, auparavant voisine d’un million de tonnes, serait aujourd’hui tombée à un peu moins de 700 000 tonnes, ce qui semble attester les effets de la crise sur vos activités. Au total, vos effectifs employés en France – près de 2 000 salariés – sont en baisse. S’agit-il d’une réorganisation à visée stratégique ou êtes-vous contraint de recourir à des suppressions d’emplois, voire à des plans sociaux ?

Plus généralement, nous serions particulièrement intéressés par votre analyse des perspectives offertes aux activités sidérurgiques de spécialité en Europe, face à la concurrence d’importations agressives à bas coûts de production.

À la suite du rachat d’Ascométal par le fonds Apollo, les cabinets Mc Kinsey et Simpler ont audité votre groupe. Sans nous révéler ce qui vous paraîtrait relever du secret des affaires, pourriez-vous nous éclairer sur leurs conclusions quant à l’évolution de vos métiers et à la place qui pourrait revenir à Ascométal dans le futur paysage sidérurgique européen ?

Après avoir écouté votre bref exposé introductif, les membres de la commission d’enquête, dont notre rapporteur, mon collègue Alain Bocquet, vous poseront des questions. Au préalable, conformément à l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter le serment de dire la vérité, rien que la vérité et toute la vérité.

M. Pascal Nerbonne prête serment.

M. Pascal Nerbonne, président d’Ascométal. Sidérurgiste d’origine non technique, mais plutôt commerciale, j’ai débuté en 1982 au sein du groupe Usinor, où j’ai passé plusieurs années avant de rejoindre Ascométal en 1992. Depuis maintenant dix-sept ans, je suis chargé de développer cette société et de tenter de la rendre plus puissante face à des défis qui ont évolué au fil du temps. La sidérurgie n’est pas un métier facile car le secteur connaît des cycles de crise parfois profonds, comme en 2009 ; après une reprise dont la vigueur nous a quelque peu surpris en 2010 et 2011, nous vivons de nouveau des difficultés, qui sont différentes de celles de 2009 et sur lesquelles je reviendrai. Homme de terrain, passionné par mon métier, je suis heureux de venir vous parler de nos marchés, de nos concurrents et des défis que nous devons relever afin de pouvoir poursuivre notre activité en France.

Notre implantation industrielle repose sur des pôles assez classiques dans la sidérurgie : une importante usine dans le Dunkerquois, à Leffrinckoucke, et trois autres situées respectivement à Hagondange, en Moselle, à Allevard, entre Chambéry et Grenoble, et à Fos-sur-Mer – non loin d’ArcelorMittal, sur le bassin. Chacune de ces usines a une histoire, antérieure même à la création d’Usinor-Sacilor, au milieu des années 1980. Créée en tant que telle en 1984, Ascométal s’est ainsi bâtie sur des fondements industriels préexistants, présents à Ugine, pour l’usine de Fos, ou issus de Creusot-Loire, pour celle de Dunkerque, et de SAFE-Pompey pour les sites d’Hagondange et de Custines. L’usine d’Allevard nous a rejoints quant à elle au début des années 1990. Nous disposons au total de six sites industriels, dont trois qui se consacrent à la fabrication d’acier, sous forme liquide et solide – ce que l’on appelle une aciérie –, mais qui possèdent également des installations de laminage et de parachèvement. Ce dernier terme désigne la transformation à froid qui permet de donner une dimension finie à des produits précédemment laminés. Nous conférons en outre aux aciers spéciaux les caractéristiques mécaniques requises grâce à toutes sortes de traitements thermiques que nous évitons ainsi au client d’avoir à leur faire subir lui-même.

Les trois autres sites constituent des unités de parachèvement, dépourvues d’aciérie comme de laminoirs : Custines, près de Nancy, qui sert d’aval à Hagondange ; Le Marais, à Saint-Étienne, qui parachève pour l’essentiel des produits également venus d’Hagondange, en vue d’applications très spécifiques dans le domaine de l’automobile et des roulements ; Allevard, enfin, site sidérurgique à l’origine, dont nous avons beaucoup modifié la structure industrielle depuis fin 2010, en fermant l’aciérie et, en plusieurs étapes, les laminoirs, pour le consacrer au parachèvement de barres rondes de petit diamètre destinées aux ressorts automobiles.

Ainsi, à la différence d’autres groupes sidérurgiques, notre activité industrielle est entièrement localisée en France : nous ne possédons aucune unité industrielle dans d’autres pays européens ni dans des pays émergents.

Notre société est de taille modeste à l’échelle de la sidérurgie mondiale ou même européenne. Vous l’avez dit, nous produisions environ un million de tonnes de produits finis au milieu des années 2000 et jusqu’en 2008, année au cours de laquelle nous en avons vendu quelque 900 000 tonnes ; en 2009, la violence de la crise a été telle que ce volume a été divisé par deux, tombant à 458 000 tonnes, avant d’augmenter de nouveau assez fortement en 2011, jusqu’à atteindre 800 000 tonnes, puis de revenir à un peu plus de 600 000 tonnes en 2012. Ces chiffres témoignent d’une activité cyclique, qui connaît des phases très violentes, comme en 2009, et des évolutions dépendantes de changements conjoncturels, dont nous allons reparler, comme de modifications structurelles affectant la manière dont nos clients constituent et gèrent les stocks industriels dans la chaîne aval. Progressives sur la période qui a précédé la crise de 2009, ces modifications ont ensuite été importantes. Elles expliquent les évolutions auxquelles nous avons dû procéder.

Nous sommes un producteur d’aciers dits spéciaux, catégorie à la fois précise et très large, car il en existe de nombreuses sortes. Sur les 140 à 150 millions de tonnes que représente aujourd’hui le marché européen de l’acier, notre propre marché de référence en Europe n’en pèse pas plus de 8 – environ, car il est difficile d’en délimiter les contours. Nous en sommes l’un des leaders, d’abord du point de vue technique, grâce à notre centre de recherche de pointe ; relativement, du moins, à nos concurrents qui pratiquent le même métier, et non à un groupe comme ArcelorMittal, par exemple. Nous consacrons plus de ressources que les autres à la recherche et nous en tirons davantage de produits nouveaux : 10 % de ceux que nous vendons en sont directement issus, ce qui nous dote d’un levier nous permettant de vendre, de produire et de servir nos clients grâce à des produits complémentaires. Nous continuerons d’y recourir. Cela étant, notre part de marché reste relativement limitée : elle ne dépasse pas 9 % si l’on se fonde sur des périmètres correctement quantifiés, fondés sur des statistiques fiables. Elle est comparable chez certains de nos concurrents : en d’autres termes, nous faisons partie des leaders mais nous ne dominons pas seuls le marché.

Ce marché européen est fragmenté car il comporte beaucoup d’acteurs, de toutes catégories, dont certains sont performants du point de vue de la technique, d’autres de la compétitivité. Nous avons quatre ou cinq concurrents sérieux en Allemagne, où les aciers spéciaux destinés à la construction mécanique, qui y est particulièrement vigoureuse, ont toujours été développés. Nous en avons principalement deux en Italie, qui se sont développés au cours des dernières années. Nous avons également un concurrent important au nord de l’Espagne, dans le Pays basque, lui-même issu d’une consolidation régionale et qui s’appelait Sidenor avant d’être racheté il y a quelques années par la multinationale brésilienne Gerdau. En Angleterre, l’activité de Tata dans le domaine des aciers spéciaux, à l’intérieur d’un groupe beaucoup plus vaste, est significative. Enfin, le nordique Ovako, issu d’une consolidation suédo-finlandaise progressive entre des unités appartenant à différents groupes, dont SKF et Wärtsilä, constitue aujourd’hui un groupe cohérent qui joue un rôle important dans le secteur des aciers spéciaux – en particulier, pour ce qui nous concerne, dans leur application aux roulements, dont nous sommes l’un des spécialistes.

Si l’on se réfère au produit typique que constituent les barres alliées – ainsi nommées parce qu’elles comportent des alliages –, les importations représentent environ 8 à 10 % des volumes en régime de croisière, 6 % seulement en 2009 du fait de la crise. Elles proviennent essentiellement de Russie, d’Ukraine et de Chine et ont exercé, au fil des années, une pression croissante sur les prix de vente. Plusieurs de nos clients, même importants, utilisent de plus en plus des aciers d’origine chinoise et russe ; je ne parle pas seulement de distributeurs ou de négociants qui feraient appel à du prétendu low cost pour se procurer des aciers spéciaux relativement « standard », mais aussi de clients appartenant à la filière automobile qui importent d’importantes quantités d’acier de Russie pour certaines applications, en France comme en Allemagne.

Nous vendons 50 % de nos produits en France, 90 % en Europe, France incluse, et 10 % dans des régions plus éloignées, essentiellement en Amérique du Nord – États-Unis et Canada –, en Asie du Sud-Est et, pour une toute petite part, en Inde. Ces destinations s’expliquent par le fait que nos produits s’adressent au monde de l’industrie et non à celui de la construction ou du BTP. Nous sommes organisés en cinq marchés : automobile et forge automobile, roulement, ressort, industrie mécanique au sens large, énergie – c’est-à-dire, dans nos métiers, ce qui a trait à l’extraction et au forage du gaz et du pétrole. Voilà qui explique que nous livrions des volumes relativement élevés en Amérique du Nord, base industrielle des équipements de forage, surtout au Texas.

L’automobile au sens large, c’est-à-dire compte tenu des applications à l’industrie automobile des roulements et ressorts, représente un peu plus de 50 % de nos réalisations, contre environ 40 % en volume pour l’ensemble des industries mécaniques, du tube au ferroviaire en passant par les machines industrielles, et un peu plus de 10 % pour le pétrole et le gaz. Les marges sont plus élevées dans ce dernier secteur que dans l’automobile, car la pression concurrentielle et les acteurs n’y sont pas de même nature. Je parle de l’automobile européenne ; nous livrons certes quelques applications automobiles en Chine, parce que nous avons développé des spécialités avec des groupes allemands qui demandent les mêmes aciers pour leurs implantations chinoises, mais dans des proportions limitées. Notre monde est donc européen et, par tradition, très lié aux constructeurs français que sont PSA et Renault, même si nous travaillons régulièrement avec les constructeurs allemands depuis dix ans. Ce lien n’est pas nécessairement direct : nous ne livrons directement aucun produit à Renault qui, du fait d’externalisations successives, ne dispose d’aucune installation de transformation d’acier et s’en remet à des forgerons, à des usineurs et à différents équipementiers. C’est ce tissu industriel que nous livrons. Du fait de notre exposition, fût-elle indirecte, lorsque l’automobile française va mal, nous souffrons un peu !, et d’autant plus que s’y ajoutent les mouvements de stocks et les changements de comportement des clients résultant des crises précédentes.

À quels défis notre entreprise est-elle confrontée ? Le nombre de nos concurrents a augmenté ; nos clients connaissent des difficultés, plus ou moins marquées selon les métiers et les périodes. Le premier défi que nous devons relever est donc celui de la compétitivité, qui engage notre capacité à résister à des pressions concurrentielles fortes, voire croissantes. Le deuxième, et l’un des plus importants, concerne la réactivité, c’est-à-dire la capacité à répondre plus vite qu’auparavant aux sollicitations de nos clients, soumises à des variations brutales. Ces exigences ont considérablement évolué en quelques années, dans tous les secteurs – automobile comme industrie mécanique, voire, dans une moindre mesure, pétrole et gaz. Jusqu’à présent habitués à des délais de livraison d’ordre technique, classiques et admis compte tenu de la nature des produits, nos clients ne veulent désormais plus de stocks. Comme nous ne pouvons pas nous-mêmes en prendre beaucoup à notre charge, cela nous oblige, à fabriquer certains produits plus vite qu’auparavant et à modifier beaucoup plus rapidement l’organisation de notre travail. Or, ces dernières années, nous avons été moins réactifs que nos concurrents européens.

Nous devons donc reconquérir les parts de marché que nous avons perdues au cours de cette période, ce qui nous a fait passer de la position de leader en volume à celle d’un leader parmi d’autres ; ainsi, pour les barres alliées, notre part de marché est tombée de 12 à 13 % environ en 2005-2006 à 9 % environ aujourd’hui. La diminution des volumes vendus, passés de 900 000 à 600 000 tonnes, s’explique certes aussi par la conjoncture, mais nos parts de marché ont été grignotées par les importations et surtout par la concurrence européenne, principalement allemande, espagnole et italienne. C’est en remédiant à cette situation que nous pourrons continuer de produire en France et maintenir l’emploi dans les régions où nous sommes implantés.

Nous avons en effet confié début 2012 deux missions aux cabinets que vous avez cités. Celle de Mc Kinsey, assez classique, visait à améliorer notre performance opérationnelle en agissant sur la productivité des outils, sur le rendement et sur les achats. Il ne s’agissait pas d’un audit « à la Mc Kinsey » tel que l’on peut se le représenter, destiné à tailler dans les coûts. Nous avions confié au même cabinet, en 2003, une mission de ce type sur la manière d’accroître notre productivité par une meilleure exploitation de nos outils. La mission de Simpler, différente mais complémentaire, s’est focalisée sur les usines de Dunkerque et d’Allevard en vue d’identifier les conditions d’un travail plus fluide et plus rapide. Les résultats en étaient assez intéressants.

Même si ces études ont été confiées à des cabinets, soyons clairs : c’était à nos équipes d’agir. Car la performance opérationnelle dont dépend notre compétitivité ne s’invente pas : elle se vit sur le terrain, avec des hommes d’atelier, en aciérie, aux laminoirs ; c’est le seul moyen de s’approprier la méthodologie proposée par les consultants. Ceci devait en outre nous permettre de diffuser dans toute l’entreprise les « meilleures pratiques ».

M. Alain Bocquet, rapporteur. Merci, Monsieur Nerbonne, de cet exposé très clair.

L’entreprise que vous présidez est très dépendante du secteur automobile en crise. Cela ne devrait-il pas vous conduire à redéfinir votre stratégie ? Vous avez dit que les 10 % de votre activité destinés aux secteurs pétrolier et gazier étaient les plus rentables. Ne pourriez-vous tirer profit de la qualité de vos produits, due notamment à l’importance légitime que vous accordez à la recherche et développement, pour envisager à long terme un redéploiement de votre activité, aujourd’hui très centrée sur la France ?

Dans les pays concurrents que vous avez cités, la différence de coût se traduit-elle par une différence qualitative ? On sait ce que peut impliquer le low cost, notamment dans les secteurs automobile et ferroviaire.

Parmi ces pays, vous n’avez pas mentionné la Turquie.

M. Pascal Nerbonne. Elle est également concernée, peut être à plus petite échelle.

M. le rapporteur. Par ailleurs, le secteur est en crise manifeste et notre commission d’enquête, si elle étudie la situation en France, se place évidemment dans une perspective européenne du fait de la mondialisation de la production d’acier. Qu’attendez-vous du plan acier que prépare la Commission européenne ? Jusqu’où, selon vous, devrait-il aller ? Faut-il instaurer des droits de douane pour faire face à la concurrence des pays extra-européens ? Les produits chinois peuvent-ils véritablement nous envahir malgré la distance et le coût du transport ?

Envisagez-vous de développer davantage la recherche et l’innovation, essentielles dans la compétition qualitative et la lutte pour la conquête de nouveaux marchés ?

Enfin, le prix de l’énergie payé par les industriels est-il important pour vous ? L’est-il davantage que le coût du travail, souvent invoqué ? Les pouvoirs publics français se sont opposé en août 2011 à la vente par Ascométal à un fournisseur suisse d’électricité de quatre centrales hydro-électriques que l’entreprise possède toujours en Savoie. Dans la situation que connaît actuellement le groupe, cette vente ne serait-elle pas vitale ? Combien pourrait-elle rapporter ? Ascométal n’a-t-elle pas au contraire intérêt à conserver ces actifs, qui peuvent être une source de profits si l’entreprise vend l’électricité à EDF, voire à d’autres industriels ?

M. Pascal Nerbonne. Premièrement, les véritables enjeux stratégiques se concentrent pour nous sur le marché européen, où nous écoulons 90 % de notre production. Même s’il est difficile de prévoir l’avenir, je doute que ces proportions soient profondément modifiées au cours des prochaines années. Naturellement, certains pays émergents représentent un fort potentiel de consommation : le marché chinois dépasse 20 millions de tonnes, à comparer aux 8 millions du marché européen, s’agissant de produits relativement similaires. Il existe en Chine une surcapacité désormais installée. Les outils modernes y cohabitent avec de vieilles installations qui vont être fermées ou déplacées – ce que les Chinois n’hésitent pas à faire, par exemple pour des raisons environnementales. Ainsi des usines modernes se créent-elles régulièrement.

M. le rapporteur. La qualité du produit y est-elle au rendez-vous ?

M. Pascal Nerbonne. Les équipements y sont ultramodernes. C’est la Chine que fournissent les grands équipementiers sidérurgiques mondiaux – des Japonais, auxquels se joignent deux ou trois Européens –, et non plus l’Europe, qui n’investit plus guère dans de nouvelles capacités, préférant adapter et améliorer sa production : le taux d’utilisation de nos capacités est malheureusement faible si l’on tient compte de capacités nominales théoriques. Nous traitons l’obsolescence, mais nous ne consentons pas de nouveaux investissements capacitaires car le marché ne le permet pas, à la différence de ce qui se passe en Chine ou en Inde.

Tous les constructeurs automobiles de rang mondial se sont implantés en Chine – certains Français avant les autres mais, par la suite, moins efficacement qu’eux. Plusieurs d’entre eux, des Allemands, y obtiennent leurs meilleurs résultats. Ils ont besoin de producteurs locaux et de fournisseurs de proximité capables de satisfaire leurs exigences qualitatives, identiques à celles qui prévalent dans leurs pays d’origine. On a donc tenté, parfois avec succès, de faire homologuer des aciéristes chinois par des groupes mondiaux. Voilà pourquoi, au bout d’un certain temps, on retrouve des produits chinois importés en Europe par les mêmes clients.

Ce qui nous protège, c’est la qualité de service, c’est-à-dire notre capacité à développer en permanence, avec les clients, des solutions nouvelles. Ainsi notre R&D « appliquée », très liée à nos clients, est-elle éclairée par les discussions quotidiennes que nous avons avec eux au sujet des enjeux à venir dans cinq ou dix ans, au-delà des questions immédiates d’amélioration du process ou du produit. De ce point de vue, notre centre de recherche constitue un atout face à nos concurrents.

En outre, nous pouvons nous montrer bien plus réactifs que les importateurs éventuels, contraints par la durée du transport – que certains contournent toutefois en entreposant des stocks de proximité. Cependant, la véritable menace ne vient pas des importations qui ne représentent pas plus 10 % des volumes, même si elles exercent une pression sur les prix. Ce sont quelques-uns de nos principaux concurrents européens dont nous devons chercher à égaler la réactivité ; nous nous y efforçons par une négociation avec nos partenaires syndicaux qui devrait aboutir mi-juin, après trois mois de discussion, et nous permettre de modifier plus rapidement nos cycles de production. Car si nous ne sommes pas capables de fournir les volumes supplémentaires que nous demandent nos clients à chaque nouveau cycle économique, ils iront les chercher ailleurs. C’est ainsi que nous avons perdu des parts de marché, parce que notre « rigidité » sociale est assez prononcée. Il est donc essentiel de relever ce défi.

Nous avons en outre lancé en 2012 un plan de sauvegarde de la compétitivité, notamment pour résoudre une partie des difficultés de notre usine d’Allevard, dont nous ne pouvions redresser l’activité de production de plats, fortement déficitaire. Nous avons donc arrêté fin 2012 la production de « plats » –principalement destinés à des applications ressorts pour poids lourds. Cette activité a pris fin et les salariés sont en préavis. Cette décision a été appliquée de manière professionnelle et assortie des efforts légitimes de revitalisation auxquels nous nous sommes naturellement engagés. Ce plan comporte aussi un plan de départs volontaires en cours, qui concerne tous nos autres sites et a pour principal objectif de réduire les coûts fixes, la comparaison avec nos concurrents nous ayant montré que les effectifs de certaines fonctions nous handicapaient par rapport à eux.

J’en viens au plan acier. Je n’en suis pas un expert et votre question, monsieur le rapporteur, n’est pas facile. Voici ce que j’en dirais à brûle-pourpoint : la pénétration sur le marché européen est relativement aisée malgré les obstacles techniques, car les barrières non tarifaires ne sont pas rédhibitoires. C’est d’abord aux entreprises de les bâtir par leur expertise et leur performance. Voilà qui nous ramène à la compétitivité, à la réactivité, à la R&D et à l’innovation. Faut-il y ajouter des barrières tarifaires dans les domaines les plus sensibles ? L’Europe dispose déjà d’un arsenal de mesures anti-dumping. La comparaison avec les États-Unis montre des pratiques très différentes. Sans doute ces sujets seront-ils abordés dans le cadre des réflexions sur le plan acier. Vous en avez probablement parlé avec les représentants de la Fédération française de l’acier, qui sont en relation avec Eurofer. Pour ma part, je n’ai pas souvenir que des actions anti-dumping aient été lancées dans notre domaine des aciers longs spéciaux.

Le prix de l’énergie est en effet important pour nous, puisque nous sommes électro-intensifs du fait de nos trois aciéries électriques, qui recyclent essentiellement de la ferraille à laquelle nous ajoutons des éléments d’alliage. Nous avons donc conclu avec les fournisseurs classiques d’électricité des contrats dont la durée a varié selon les époques d’un à deux ans, voire davantage. Nous avons renoncé à faire partie du consortium Exceltium car cela aurait été quelque peu complexe pour une entreprise de la taille de la nôtre. Aujourd’hui – mais cela durera-t-il ? –, le prix ne nous désavantage pas particulièrement par rapport à nos concurrents européens. Quant au gaz, nous en consommons une quantité assez élevée en utilisant des fours de traitement thermique. Nous l’achetons à des conditions internationales et les prix sont relativement homogènes en Europe – où ils sont en revanche beaucoup plus élevés qu’aux États-Unis, ce qui nous défavorise par rapport à nos concurrents américains.

Enfin, nous possédons en effet des centrales hydroélectriques, d’assez petite taille, que nous avons envisagé de vendre mais qui sont finalement restées dans le giron d’Ascométal. Une très grande partie de la production est dédiée à l’autoconsommation et aucune cession n’est actuellement envisagée.

M. Michel Liebgott. Je suis d’accord avec Alain Bocquet : la question des droits de douane mérite d’être posée. Lakshmi Mittal a d’ailleurs appelé de ses vœux, ici même, une taxe sur l’acier chinois. Cela vous concerne peut-être moins dans la mesure où votre marché est limité pour l’essentiel à l’Europe, mais le risque réel d’importation de produits chinois légitime l’intervention européenne.

Je tiens à saluer votre parcours et la manière dont vous avez jusqu’à présent su résister à toutes les tempêtes. Il y en aura peut-être d’autres à surmonter, car le fonds américain qui a racheté Ascométal y est parvenu par un effet de levier qui supposait un endettement important, de 285 millions de dollars environ, l’apport de fonds propres restant relativement limité, de l’ordre de 120 millions. C’est ce qui nourrit nos inquiétudes et celles des salariés. Votre entreprise, aujourd’hui extrêmement performante, souffre néanmoins de faiblesses du point de vue financier.

Il importe de rester à la pointe en matière de R&D. Dans ce domaine, n’avez-vous pas intérêt à coopérer avec l’institut lorrain de recherche sur les matériaux, qui risque de vous « piquer » quelques chercheurs ?

M. Pascal Nerbonne. Nous le faisons.

M. Michel Liebgott. Par ailleurs, le dialogue social est absolument indispensable – mais vous le savez –, même s’il est plus facile avec certains qu’avec d’autres. Les droits des salariés ne sauraient constituer l’unique variable d’ajustement. Nous devons réfléchir aux enjeux sociaux au niveau européen, voire au-delà, sans quoi il vous faudra accroître la flexibilité et revenir sur certains droits acquis pour rester compétitifs.

En Lorraine, le déséquilibre de la pyramide des âges au profit des plus de cinquante ans, qui a préfiguré la fermeture du site de Gandrange, nourrit aujourd’hui de nouvelles inquiétudes. Toutefois, nous ne sommes pas là pour jouer les Cassandre et les performances d’Ascométal nous inspirent confiance, même si vos effectifs sont passés de 3 000 à 2 200 salariés – mais le problème est européen : ThyssenKrupp vient d’annoncer 3 000 suppressions d’emplois sur 15 000 dans les fonctions administratives.

M. Jean-Pierre Decool. Notre collègue Christian Hutin, député de Dunkerque, s’associe à la question que je vais vous poser. Ascométal est présent sur le littoral dunkerquois, à Leffrinckoucke, dans la quatorzième circonscription du Nord. Si le tissu économique local a bénéficié de la belle prospérité de l’entreprise, la situation paraît plus difficile ces derniers temps, ce qui s’est traduit par une période de chômage. Pourriez-vous dresser un bilan de santé de l’usine des Dunes ?

M. Gaby Charroux. Je suis pour ma part député de la circonscription des Bouches-du-Rhône incluant Fos-sur-Mer, qui aura le plaisir et l’honneur d’accueillir notre commission la semaine prochaine, notamment au sein de votre entreprise, monsieur le président. Au niveau local, l’image d’Ascométal est celle d’une entreprise très performante qui possède de puissants atouts mais peut susciter des inquiétudes, pour des raisons que vous avez évoquées. Notre commission se préoccupe de l’avenir de la sidérurgie sur le territoire national – voire européen, de sorte que les mauvaises nouvelles venues d’autres pays ne sont pas pour nous réjouir. Mais chacun d’entre nous s’inquiète aussi, légitimement, de l’emploi local au sein de sa circonscription.

Vous avez mentionné la fluctuation de la production au cours des dernières années, ainsi que le morcellement du marché. Avez-vous des perspectives de consolidation par agrégation avec d’autres sociétés, ce qui pourrait fortifier l’entreprise mais également entraîner des restructurations préoccupantes ici ou là ?

Vous avez également évoqué les problèmes de compétitivité avec une délicatesse à laquelle nous ne sommes pas habitués : il y a quelques semaines, on nous a ainsi déclaré ici même qu’il pourrait être opportun de s’implanter en Espagne, où les syndicats sont un peu moins combatifs que chez nous ! Assurément, le dialogue social existe dans votre entreprise, vous l’avez dit et je l’ai constaté. Mais, s’agissant de la compétitivité, ne peut-on agir sur le coût des transports ? De ce point de vue, l’installation côtière, comme à Dunkerque ou à Fos, ne peut-elle constituer un atout ?

M. Pascal Nerbonne. En ce qui concerne les perspectives de consolidation européenne, je puis me tromper mais je n’ai nullement l’impression que des mouvements en ce sens se préparent, du moins dans notre secteur. Sauf exception, les résultats des sociétés ne sont guère satisfaisants, de sorte que la période ne me paraît pas très favorable.

Depuis le début des années 2000, notre domaine a connu plusieurs consolidations. En Allemagne, un nouveau groupe suisso-allemand, Schmolz-Bickenbach (Schmobi), a repris la production d’aciers longs spéciaux – relativement proches des nôtres – dont Thyssen et Krupp souhaitaient alors se défaire, à l’instar d’autres sociétés à la même époque. Cette activité a été confiée, au sein du groupe Schmobi, à la société Deutsche Edelstahlwerke. En Espagne, une petite consolidation régionale a réuni deux producteurs d’aciers longs spéciaux, Sidenor et le groupe sidérurgique basque, implantés à cinquante kilomètres l’un de l’autre ; elle a entraîné des restructurations. En revanche, les consolidations qui ont donné naissance à Ovako, en Europe du Nord, ont permis de préserver chacun des outils respectivement situés en Finlande et en Suède. Ces trois consolidations, très localisées, sont les seules notables qui aient eu lieu en Europe.

Assurément, la perspective d’une consolidation ne peut être entièrement écartée à long terme, dans un secteur où les intervenants sont nombreux. Elle suppose au moins un consolidateur, une entreprise à consolider, et doit présenter un intérêt.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Il y a aussi des économies à réaliser !

M. Pascal Nerbonne. C’est possible, mais un consolidateur commencera par étudier les synergies et par déterminer si le terrain est favorable. Sans synergies, la consolidation ne se fera pas. Elles peuvent être commerciales – positives ou négatives ; pour qu’elles soient positives, il faut que les productions soient relativement complémentaires.

En ce qui concerne l’avantage supposé de l’installation côtière, nous n’achetons pas de minerai ni de charbon, mais de la ferraille, qui n’arrive pas par voie maritime puisqu’elle est d’origine régionale, tout au plus européenne. Pour nous, le transport maritime à l’entrée est donc très limité ; contrairement à d’autres entreprises, nous ne disposons d’ailleurs d’aucun port dédié. Les coûts d’utilisation des infrastructures portuaires françaises sont du reste assez prohibitifs, au point que nous passons le plus souvent par les ports belges pour expédier des produits de Leffrinckoucke vers les États-Unis, le Canada ou l’Asie. À Fos, nous sommes limités au trafic conteneurs pour exporter nos produits. À dire vrai, je doute que nos ports soient très compétitifs. Notre clientèle étant essentiellement européenne, ce qui a peu de chances de changer, il nous importe surtout d’être proches des centres de consommation en Europe, comme par exemple à Hagondange, où l’on fabrique des produits destinés à 95 % à l’industrie automobile.

L’usine des Dunes, qui vient de fêter ses cent ans, fournit en revanche très peu l’automobile, se consacrant surtout à l’industrie mécanique, au pétrole et au gaz. Elle exporte beaucoup plus hors d’Europe que nous ne le faisons en moyenne, ce qui la rend très dépendante de métiers qui pratiquent un restockage et un déstockage quelque peu « violents ». En d’autres termes, il lui faut pouvoir fabriquer très rapidement des produits que les clients commandent au tout dernier moment. Cela peut certes paraître préoccupant, mais c’est ainsi. Il n’y a aucune raison de s’inquiéter davantage pour ce site que pour les autres. Simplement, les variations d’activité survenues en 2012 et début 2013 ont conduit à recourir au chômage partiel à certaines périodes dans certains ateliers. Ce recours pourrait être limité si nous parvenons à utiliser notre main-d’œuvre d’une manière plus satisfaisante, qui varie selon les périodes, grâce à des systèmes de compteurs d’activité.

M. le président Jean Grellier. Merci, Monsieur Nerbonne.

Audition, ouverte à la presse, de Mme Isabelle Czernichowski-Lauriol (Bureau de recherches géologiques et minières – BRGM), présidente du réseau CO2GeoNet, MM. Didier Bonijoly, directeur-adjoint à la direction des géoressources du BRGM, et Hubert Fabriol, directeur-adjoint à la direction des risques et de la prévention du BRGM

(Séance du mercredi 22 mai 2013)

M. le président Jean Grellier. Nous accueillons Mme Isabelle Czernichowski-Lauriol, spécialiste de la géoénergie à la direction de la recherche du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) et présidente du réseau européen d’excellence CO2GeoNet, qui rassemble plusieurs grandes institutions publiques de recherche issues de sept pays. Mme Czernichowski-Lauriol est accompagnée de deux collègues du BRGM, MM. Didier Bonijoly, directeur adjoint à la direction des géoressources, et Hubert Fabriol, directeur adjoint à la direction des risques et de la prévention.

Le BRGM est un acteur clé en matière de technologies de captage et de stockage du CO2, que l’on désigne par l’acronyme CSC en français ou CCS en anglais. Il apporte un soutien scientifique et technique à différents partenaires afin de mettre au point des pilotes ou des démonstrateurs. Depuis une dizaine d’années, les recherches sur ce thème bénéficient d’ailleurs d’un soutien financier de l’Union européenne, au titre de son 6e puis de son 7e PCRD (Programme cadre de recherche et développement).

La Commission d’enquête s’intéresse évidemment au projet Ulcos, abandonné par ArcelorMittal, qui semble toutefois désormais impliqué dans un projet de même nature, mais moins ambitieux et programmé plus tard ; il est dénommé LIS, pour Low Impact Steel. Sur ce sujet, certains membres de la Commission d’enquête ont déjà rencontré des experts issus d’IFP Énergies nouvelles et de Total, mais dans le cadre plus informel d’un groupe de suivi de l’accord dit de Florange créé au sein de la commission des affaires économiques. En tout état de cause, ce dossier complexe a sensiblement évolué depuis.

Nous attendons de votre audition, madame, une mise au point technique et pédagogique : qu’est-ce qui est réalistement faisable, et dans quel délai ? La sidérurgie, voire les activités métallurgiques, sont-elles celles dont les émissions de CO2 sont les plus propices à un captage, voire à d’éventuelles réutilisations énergétiques ?

Conformément à notre habitude, nous allons d’abord vous entendre pour un bref exposé liminaire, puis les membres de la Commission d’enquête vous poseront tour à tour leurs questions.

Au préalable, conformément à l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter le serment de dire la vérité, rien que la vérité et toute la vérité.

Mme Isabelle Czernichowski-Lauriol et MM. Didier Bonijoly et Hubert Fabriol prêtent successivement serment.

Mme Isabelle Czernichowski-Lauriol, Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), présidente du réseau CO2GeoNet. En matière de captage et de stockage du CO2, les premières recherches ont débuté voici vingt ans, en 1993, par un premier projet européen auquel participait le BRGM. Cette technologie peut s’appliquer à toutes sortes d’installations industrielles, dont les installations sidérurgiques, mais aussi les raffineries, les cimenteries, les centrales thermiques, etc. Selon les scénarios de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), elle peut contribuer pour près de 20 % à la réduction des émissions de CO2 nécessaire d’ici à 2050 pour espérer limiter le réchauffement climatique global à 2 ºC, conformément aux engagements souscrits au niveau international. Cela résulte pour moitié de son application aux centrales thermiques de production d’électricité et pour moitié de ses applications industrielles. Toutes les feuilles de route portant sur l’énergie à l’horizon 2050, à l’échelon international, européen et même national, incluent cette technologie parmi les moyens d’atteindre l’objectif extrêmement ambitieux de division des émissions de CO2, d’ici à 2050, par deux à l’échelle mondiale et par quatre dans nos pays industrialisés.

La technologie dite de captage et de stockage du CO2 se décompose en trois étapes. Il faut d’abord capter le CO2 là où il est émis en grande quantité, au niveau des installations industrielles, puis le transporter, principalement par gazoduc, jusqu’à son lieu de stockage, enfin le stocker dans des formations géologiques profondes, à un kilomètre de profondeur au moins. De ces trois étapes, le captage est la plus onéreuse puisqu’il concentre 80 % des coûts, tandis qu’en matière de stockage, les problèmes concernent l’identification et la disponibilité des sites géologiques adéquats. Le stockage est la clé de voûte du dispositif puisque c’est en piégeant dans le sous-sol le carbone extrait sous forme d’énergies fossiles – pétrole, charbon et gaz – que l’on évite de l’envoyer dans l’atmosphère. De nombreux gisements naturels de CO2 dans le monde, dont, en France, celui de Montmiral, attestent que les formations géologiques peuvent piéger de manière permanente de grandes quantités de CO2 pur.

Outre que l’on peut capter et stocker toutes les émissions de CO2 issues de l’industrie et des centrales thermiques, cette technologie, couplée à l’utilisation de la biomasse comme source énergétique – à titre complémentaire dans les centrales thermiques, ou afin de produire des biocarburants –, permet d’envisager des émissions négatives : l’on parvient à capter dans l’atmosphère, par photosynthèse, le CO2 issu de la biomasse. Le CSC ouvre également la voie à la valorisation du CO2. Aujourd’hui utilisé à des fins industrielles, par exemple comme solvant, mais en très faible quantité, il pourrait servir à l’avenir à stocker les énergies renouvelables en excès : combiné avec de l’hydrogène obtenu par électrolyse de l’eau, il permettrait de produire des hydrocarbures de synthèse. Cette idée qui émerge aujourd’hui n’a de sens que si l’on se place à l’échelle de l’ensemble du système énergétique.

Alors que les procédés de captage, une fois testés, peuvent être reproduits n’importe où, chaque site de stockage est unique puisqu’il dépend de la géologie locale – de la nature des roches, de leur profondeur, de leur température, de la pression, etc. Le stockage suppose donc un processus long, à la fois technique, réglementaire et sociétal, d’identification des sites adéquats, de caractérisation géologique, d’évaluation des risques et des impacts locaux, auquel s’ajoute la demande administrative de permis de stockage, qui doit être acceptée par la population.

Où cette technologie en est-elle dans le monde et en Europe ? Je l’ai dit, les premiers projets de recherche au niveau européen datent de 1993. D’autres ont ensuite été développés en France grâce à des financements de l’Agence nationale de la recherche et de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie. Ils se sont fondés sur un savoir-faire lié à des pratiques industrielles existantes, en particulier la récupération assistée de pétrole par injection de CO2 dans les champs de pétrole, courante notamment aux États-Unis, ou le stockage saisonnier de gaz naturel dans le sous-sol, également courant. Ce qui a permis de confirmer la préfaisabilité de cette technique.

Depuis lors, des opérations industrielles pionnières ont eu lieu, en particulier en Norvège en 1996 : depuis, un million de tonnes de CO2, issu d’un champ de gaz naturel nouvellement exploité, est injecté chaque année dans le sous-sol de la mer du Nord. Le gaz doit être purifié avant de pouvoir être vendu ; il contient du méthane, donc des impuretés, notamment du CO2 à 9 % que l’industrie gazière doit donc capter, ce que l’on sait faire en utilisant des amines. En outre, en Norvège, le CO2 émis off-shore est soumis à une taxe, ce qui a incité la compagnie Statoil à le réinjecter plutôt dans le sous-sol, dans une autre formation. D’autres opérations pionnières ont été menées au Canada et en Algérie, toutes liées à l’industrie du gaz et du pétrole puisqu’elles découlent de la nécessité de purifier le gaz naturel ou de récupérer davantage de pétrole. Il n’en existe pas encore qui soient adossées à une centrale thermique ou sidérurgique.

En ce qui concerne le stockage, des pilotes destinés à la recherche et concernant des quantités limitées de CO2 existent au Japon, aux États-Unis, en Allemagne. En France, le pilote intégré de captage, transport et stockage exploité par Total à Lacq et Rousse a permis d’associer les trois étapes dans un champ de gaz, à plus de 4 kilomètres de profondeur.

En somme, nous pouvons tirer profit de l’expérience industrielle, de celle des nombreuses recherches qui ont été menées, ainsi que des échanges qui se nouent au sein de la communauté internationale à ce sujet. Un coup d’accélérateur est désormais indispensable pour permettre le déploiement industriel de cette technologie, condition du respect des engagements, notamment européens, de réduction des émissions de CO2. Il suppose une expérience de terrain, grâce à des démonstrateurs à grande échelle de toute la chaîne intégrée – captage, transport, stockage –, adossés à une opération industrielle, qui servent de tremplin à un déploiement commercial ultérieur. Au niveau européen, des instruments financiers ont été instaurés, dans le cadre du plan de relance économique européen, en 2008 et 2009. Six projets à grande échelle de captage, transport et stockage de CO2 ont ainsi été sélectionnés, dont trois ont été abandonnés, pour certains tout récemment.

En effet, les incertitudes sont grandes du point de vue financier, en raison de la très faible valeur du CO2 sur le marché européen, qui ne dépasse pas 5 euros la tonne, alors qu’elle atteignait 30 euros au moment où ces instruments ont été lancés, et que l’on s’attendait alors à ce qu’elle augmente. Les industriels et les gouvernements ne se décident donc pas à investir dans des réalisations concrètes. En outre, l’acceptation par la société est problématique dans certains pays, comme l’Allemagne. Ainsi un projet de démonstration sur le territoire national a-t-il suscité des oppositions. Enfin, des questions d’ordre réglementaire peuvent se poser dans la mesure où la directive européenne sur le stockage du CO2, adoptée en 2009, a été transposée par la France mais pas par tous les États membres.

Au plan de relance économique européen s’ajoute l’appel à projets dit NER300, qui permet de financer, grâce à une réserve de 300 millions de quotas, des projets innovants de démonstration soit de captage et de stockage de CO2, soit d’énergies renouvelables. Au terme du premier appel à projets, qui date de 2010 et dont les résultats ont été communiqués en décembre 2012, aucun projet de CSC, dont Ulcos, n’a été retenu, pour différentes raisons. Rappelons simplement qu’ArcelorMittal a renoncé au dernier moment à son projet. Un deuxième appel à projets a été lancé en avril, auquel les États membres ont trois mois pour candidater ; nous espérons que, cette fois, des projets CSC pourront être financés. Mais les sommes allouées grâce à cette vente de quotas étant bien inférieures à celles initialement prévues, d’autres instruments financiers seront sans doute nécessaires pour développer des démonstrateurs en Europe.

En matière de CSC, deux initiatives viennent par ailleurs d’être prises au niveau européen. D’une part, la Commission européenne a lancé fin mars une communication consultative sur l’avenir du captage et du stockage du carbone en Europe qui prendra fin début juillet : cette consultation publique a trait à l’opportunité et aux moyens d’assurer le développement de cette technologie en temps utile ainsi qu’à la manière d’en garantir la viabilité commerciale. D’autre part, le Parlement européen prépare un rapport sur le développement et l’application des technologies de captage et de stockage de CO2 en Europe ; le rapporteur est le parlementaire britannique Chris Davies, qui était déjà rapporteur de la directive européenne sur le stockage de CO2.

Si les démonstrateurs sont nécessaires pour valider sur le terrain les technologies déjà développées, il importe également de poursuivre la recherche sur les nouvelles générations de technologies, en particulier afin d’identifier les capacités réelles de stockage et les zones où les formations géologiques pourraient accueillir de grandes quantités de CO2. Il convient aussi par exemple d’améliorer la résolution et le coût des techniques de surveillance pour pouvoir détecter tout changement à n’importe quelle profondeur et à tout moment. À cette fin, la communauté de recherche européenne, structurée autour de l’association CO2GeoNet, insiste sur la nécessité de disposer de pilotes de recherche axés sur le stockage, afin d’expérimenter dans des contextes géologiques donnés l’injection de quantités limitées de CO2. Cela permet de tester à la fois les formations géologiques visées et l’ensemble de nos outils, afin de développer et d’améliorer encore la surveillance, la modélisation, la caractérisation, l’évaluation des risques, etc. L’installation de pilotes de recherche tournés vers le stockage fournira en outre d’excellentes occasions de dialoguer avec les populations et la société.

L’association CO2GeoNet est un réseau scientifique européen sur le stockage géologique du CO2, créé en 2004 par la Commission au titre de son 6e Programme cadre et transformé en 2008 en association de la loi de 1901. Elle compte 13 membres fondateurs répartis dans 7 pays, dont le BRGM et IFPEN pour la France, et s’ouvre depuis cette année à de nouveaux membres afin de se doter d’une envergure paneuropéenne, notamment grâce à un projet européen en cours, appelé CGS Europe, également coordonné par le BRGM et qui regroupe 34 instituts de recherche répartis dans 28 pays. Ainsi la voix scientifique de l’Europe en matière de stockage du CO2 pourra-t-elle être véritablement représentative de l’ensemble des pays européens, et tous les instituts de recherche travaillant sur le sujet pourront-ils partager leurs connaissances. CO2GeoNet mène quatre types d’activités : outre la recherche, la production d’avis scientifiques partagés par toute la communauté européenne des chercheurs, l’organisation de stages de formation et des actions d’information et de communication sur la technologie du CSC. Pour l’association, l’événement clé est l’ « Open Forum CO2GeoNet » annuel qui se déroule à Venise au printemps et réunit autour de la communauté européenne de recherche les autorités publiques européennes et nationales, des industriels, des organisations non gouvernementales, des journalistes scientifiques.

Quels sont les principaux messages diffusés par le forum en avril dernier ? L’on constate qu’hors d’Europe, des progrès significatifs ont été accomplis s’agissant des pilotes et des démonstrateurs, y compris lorsqu’ils sont adossés à des centrales à charbon et à gaz ou à des industries, alors qu’en Europe, d’importants projets qui avaient été planifiés peinent à voir le jour, essentiellement en raison du faible prix du CO2 sur le marché européen. Par ailleurs, nous avons besoin de pilotes de stockage de CO2 pour que la recherche continue de progresser, d’autant que la singularité de chaque site de stockage incite à mutualiser les résultats d’expériences menées dans divers sites avant d’en essayer de nouveaux.

La technologie s’est considérablement développée en vingt ans. À la suite du premier projet de recherche européen, en 1993, puis de la première opération industrielle, menée en Norvège en 1996, le protocole de Kyoto a représenté en 1997 le premier engagement chiffré de réduction de gaz à effet de serre. En 2005, le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat a consacré au captage et au stockage du CO2 un rapport qui lui a donné toute sa place dans la panoplie de méthodes dont nous disposons pour réduire les émissions. La même année a été ouvert le marché européen du carbone. Le paquet énergie-climat européen, qui fixe des objectifs de réduction encore plus ambitieux, a été adopté en 2008, suivi de la directive européenne sur le stockage géologique du CO2, en 2009. Il a été décidé, toujours en 2009, de financer six démonstrateurs CSC dans le cadre du Plan de relance économique européen. L’appel à projets NER300 a été lancé en 2010. En 2011, le captage et le stockage du CO2 est devenu éligible au mécanisme de développement propre du protocole de Kyoto. La même année, la « Feuille de route pour l’énergie à 2050 » de la Commission européenne intègre le CSC à tous ses scénarios, à des degrés divers. En 2012 un comité ISO a été constitué pour élaborer les normes internationales applicables à cette technologie. Enfin, il était prévu qu’entre 2015 et 2020 nous disposerions de démonstrateurs intégrés à grande échelle en activité, afin de pouvoir débuter le déploiement industriel et commercial en 2020, mais ce projet a pris du retard. Il importe donc de réfléchir à de nouvelles mesures : tel est le sens des récentes initiatives européennes que constituent la communication consultative de la Commission et le projet de rapport du Parlement.

M. Alain Bocquet, rapporteur. L’enjeu historique que représentent le captage et le stockage du CO2 est décisif dans l’industrie sidérurgique et métallurgique.

L’Europe, et la France en particulier, est-elle à la pointe de la recherche et des connaissances en matière de captage et de stockage du CO? Sommes-nous plus avancés que les pays d’Amérique du Nord, voire d’Asie ?

Au sein de l’Union européenne, certains pays sont-ils réticents à s’engager sur cette voie ? La transition énergétique décidée par l’Allemagne stimule-t-elle ses ambitions dans ce domaine ou les réfrène-t-elle, du moins dans la période actuelle où le pays consomme force charbon et lignite ?

Parmi les grands industriels, lesquels sont les plus actifs en matière de captage et de stockage du CO2 en dehors de Total, EDF et GDF Suez ? Participent-ils aux recherches ou leur consacrent-ils des financements significatifs ?

Selon vous, comment faudrait-il réformer le système européen des quotas d’émission de CO2, manifestement inadapté à la situation de certaines industries, dont la sidérurgie européenne ? Indépendamment même du niveau des cours auquel peut être vendu le surplus de certificats d’émission que détient un industriel, le dispositif tel qu’il est conçu n’octroie-t-il pas une prime à celui qui ne produit pas ou qui produit peu à partir de ses installations ?

N’est-ce pas le cours désormais très bas des quotas de CO2 susceptibles d’être négociés, plutôt que les difficultés techniques invoquées, qui explique pour l’essentiel l’abandon par ArcelorMittal du premier projet Ulcos ? Dans le montage du projet Lis, ArcelorMittal semble assez seul. Les montants des crédits annoncés paraissent même faibles : 32 millions d’euros au total à l’horizon 2018, dont 13 à la charge du groupe, soit moins de la moitié de ce qu’il perçoit en France pour une année au titre du crédit d’impôt recherche, auxquels s’en ajouteraient 15 de l’État – probablement l’ADEME – et 4 millions seulement au titre de divers partenariats. Compte tenu de ces montants, une étude complète de faisabilité est-elle crédible ? À quelle date pourrait-on selon vous espérer qu’un site pilote voie le jour ? Si d’autres partenaires ne se joignent pas à cet effort, l’idée, défendue par ArcelorMittal, que la recherche sera ancrée en Lorraine reste-t-elle plausible ? En d’autres termes, le centre de recherche du groupe, situé à Maizières-lès-Metz, et l’université de Lorraine, à Nancy et à Metz, pourront-ils, conformément à ce qui a été annoncé, y jouer un rôle moteur ? Dès lors que les hauts-fourneaux de Florange sont hélas définitivement arrêtés, voire en passe d’être démantelés, l’installation sur le site sinon d’un démonstrateur, du moins d’un simple pilote reste-t-elle envisageable ?

Enfin, élu d’un pays minier, j’aimerais savoir si les centaines de kilomètres de galeries de mines existantes peuvent servir de lieu de stockage et d’expérimentation.

M. Michel Liebgott. Élu lorrain, j’espérais pour ma part que le projet ULCOS garantirait la pérennité des hauts-fourneaux. L’occasion était extraordinaire : comment un groupe aurait-il pu investir dans la rénovation de ces derniers sans cette technologie ? Certes, les 250 millions d’euros apportés par l’Europe dans le cadre du programme NER300 devaient être avancés par l’industriel ou par d’autres, ce qui pourrait expliquer le retrait d’ArcelorMittal. En outre, comme l’a dit Alain Bocquet, le cours du CO2 exerce un effet dissuasif, d’autant que le Parlement européen a pris il y a peu à ce sujet une décision qui ne semble pas aller dans le bon sens. Pourtant, il y a encore deux ou trois ans, les directeurs techniques d’ArcelorMittal semblaient très sûrs de leur fait. Je suis convaincu que ce projet était faisable et que l’industriel était prêt, contrairement à ce qu’il affirme aujourd’hui : la technique était à peu près maîtrisée, le site de stockage était clairement identifié, sous des couches argileuses d’au moins un kilomètre, conformément à ce qui est requis. À ce propos, certains s’interrogent sur le devenir du CO2 stocké : en vient-il à disparaître au bout d’un moment, à se mêler à d’autres roches ? N’est-ce pas dangereux à long terme ? C’est une question que posent souvent les habitants de ces régions.

J’ai été surpris de vous entendre dire que le captage était plus coûteux que le stockage. De laquelle de ces deux étapes le transport, qui est assez onéreux, relève-t-il ? Lors de sa récente audition par notre commission, M. Darmayan, président de la Fédération française de l’acier, a estimé que l’installation industrielle n’était pas envisageable avant 2030 et jugé que l’on n’aurait jamais dû mêler Florange et Ulcos. Je suis de l’avis opposé : c’était l’occasion rêvée. L’on pouvait envisager une exploitation industrielle à l’horizon 2020 ; tout était prêt. C’est donc à mon sens l’effondrement du cours du CO2 ainsi que l’absence de croissance, les deux phénomènes étant liés, qui a conduit à abandonner le projet.

Le projet Lis n’en est que la prolongation, réduite à ArcelorMittal et à l’État. Les hauts-fourneaux de Florange ne sont pas encore démantelés, mais mis « sous cocon »: même s’il faudrait quasiment les reconstruire, les fondations demeurent. Les progrès réalisés au fil du temps en matière de captage et de stockage rendent le projet réaliste. Il s’apparente pour nous, élus, à une exigence, comme pour les syndicats et les collectivités territoriales. Nous persistons à penser qu’une phase pilote, au moins, peut avoir lieu sur le site et que l’on peut y produire de la fonte : derrière cette structure à chaud, il y a toute l’usine à froid qui pourrait utiliser la fonte fabriquée à Florange.

Mme Isabelle Czernichowski-Lauriol. L’Europe, la France sont-elles à la pointe de la recherche et des connaissances ? Oui : elles font partie des pionniers de la recherche menée depuis vingt ans et mobilisent à cette fin non seulement les instituts de recherche et les universités, notamment en France, mais aussi les industriels, à propos de chacun des maillons de la chaîne – captage, transport, stockage. Le captage et le stockage du CO2 ont été identifiés parmi les filières industrielles stratégiques de l’économie verte en France, notamment en vue d’ouvrir des marchés à l’export. Toutes nos entreprises sont d’ailleurs très actives également hors d’Europe, surtout, à l’heure actuelle, sur le continent américain. Outre Total et GDF Suez, on peut citer Air Liquide, Alstom, les Ciments Lafarge ou Schlumberger. Créé en 2002 sous présidence de l’ADEME, le « ClubCO2 », qui fédère en France tous les acteurs du secteur, industriel et chercheurs, se réunit plusieurs fois par an.

Certains pays sont-ils réticents ? On peut surtout noter que certains sont au contraire très moteurs, au premier rang desquels la Norvège et le Royaume-Uni. Celui-ci vient de présenter deux projets de démonstration, portant l’un sur une centrale au gaz en Écosse, l’autre sur une centrale à charbon dans le Yorkshire, et qui prévoient tous deux, comme en Norvège d’ailleurs, un stockage off-shore en mer du Nord. Ce sont ces projets qui sont le plus facilement acceptés. L’idée est de procéder au stockage dans des gisements d’hydrocarbures déplétés et, le cas échéant, à la récupération assistée de pétrole. Les Pays-Bas sont également très actifs : ils défendent de même deux projets, prévoyant eux aussi un stockage off-shore dans de grands gisements de gaz déplétés et situés sur le territoire national. Un projet de démonstration on-shore dans un gisement de gaz n’a en revanche pas été jugé acceptable. L’Espagne perce actuellement un forage destiné à un pilote de stockage et prépare l’installation d’un démonstrateur financé par le plan de relance économique européen. En Allemagne, pays à l’origine très actif, des problèmes d’acceptabilité se sont posés. La directive européenne n’y a été transposée que tout récemment, avec beaucoup de retard. Le stockage on-shore pose un problème aux Allemands qui envisagent donc plutôt des scénarios off-shore. La Roumanie a développé un projet de démonstration très intéressant mais qui n’a finalement pas été confirmé par le gouvernement roumain, sans doute à cause de la crise économique. Très actifs, les Polonais ont eux aussi dû toutefois renoncer à un projet de démonstration touchant une centrale à charbon, dont ils souhaitaient qu’il soit financé à la fois par le plan de relance économique européen et par le NER300, mais auquel le gouvernement n’a pas apporté son soutien financier. L’Italie a connu un sort similaire, comme tous les pays moteurs, qui ont connu en règle générale des difficultés – à l’exception peut-être de la Norvège, qui continue de progresser dans ce domaine.

M. Didier Bonijoly. En ce qui concerne Ulcos, le BRGM s’est fortement impliqué dans le projet, dont nous étions l’un des trois partenaires et dont j’étais personnellement responsable. Nous avons donc été très déstabilisés lorsque nous avons appris, le jour de notre réunion sur Ulcos avec Mme Fioraso au ministère de la Recherche, que M. Mittal avait envoyé à la Commission européenne une lettre par laquelle il se dégageait du projet.

Je suis assez d’accord avec M. Liebgott : les différents techniciens qui ont contribué au montage du projet étaient tout à fait convaincus de sa faisabilité, qu’il s’agisse du captage ou du stockage. L’incertitude portait plutôt sur l’adhésion des habitants de la Meuse au stockage sur place, même si les Lorrains dans leur ensemble semblaient favorables au développement d’un pilote en Moselle. En revanche, jusqu’en novembre 2012, aucun obstacle technique ne semblait devoir entraver le développement du projet.

M. Michel Liebgott. Les réserves dont vous parlez en Meuse ne s’apparentaient pas à une levée de boucliers et l’idée faisait son chemin parmi les habitants. Le groupe ArcelorMittal avait même envisagé d’aller au-delà de l’enquête d’utilité publique. Il était prévu de transporter le CO2 dans des camions, les premiers essais étant fixés à 2015. Les réserves n’étaient donc pas insurmontables.

M. Didier Bonijoly. En effet.

Par ailleurs, toute l’économie du projet a été bouleversée par l’effondrement de la valeur de la tonne de CO: on peut comprendre qu’il soit difficile d’envisager un investissement aussi lourd pour un gain potentiel quasi nul. Ulcos se serait pour ainsi dire réduit à un projet de recherche financé par ArcelorMittal : l’avance consentie par l’industriel ne devait lui être remboursée qu’à partir de la première tonne de CO2 stockée, c’est-à-dire pas avant 2015 ou 2016.

Vous avez raison, Monsieur Liebgott : Florange et Ulcos étaient étroitement associés et il semblait difficile de les séparer. En effet, pour couvrir la totalité de la filière, il faut disposer d’un haut-fourneau, sans quoi il n’y a plus de CO2 à transporter ni à stocker. Si d’aventure ArcelorMittal devait ressusciter le projet, il le ferait donc soit ici à partir d’une installation active, soit dans un autre pays puisqu’il s’agit d’un groupe international.

Le centre de recherche de Maizières-lès-Metz, considéré par les métallurgistes comme l’un des plus beaux fleurons de la recherche dans ce domaine, devrait rester actif. Le projet Lis, recentré sur le haut-fourneau, est d’ailleurs au cœur de sa mission, qui consiste à développer de nouvelles technologies en vue d’améliorer la production d’acier. Je n’imagine donc pas qu’il faille nourrir la moindre inquiétude à ce sujet.

Mme Isabelle Czernichowski-Lauriol. Les outils de réforme du système d’échange de quotas sont l’objet des débats qui commencent au niveau européen. On parle aussi de taxes, de standards de performance par installation, etc. Mais ce n’est pas de notre ressort.

M. Hubert Fabriol. En ce qui concerne les galeries de mines existantes, elles ont été trop travaillées et fissurées pour pouvoir servir de lieu de stockage. En revanche, elles pourraient être utilisées comme site d’expérimentation – mais à condition de ne pas avoir été noyées, comme elles l’ont été en Lorraine et dans le Nord afin d’en rétablir l’équilibre hydrostatique. Le BRGM travaille ainsi actuellement, avec l’Institut national de l’environnement industriel et des risques, sur un site espagnol, dans les Asturies, où l’on injecte du CO2 par petites quantités dans des veines de charbon non exploitées au fond d’une mine afin de le stocker tout en récupérant le méthane de houille. Mais ce procédé est encore très expérimental : les pilotes ne donnent pas encore des résultats satisfaisants.

Quant au devenir à long terme du CO2 stocké, il fait l’objet d’études. On sait que l’arrêt de l’injection fait baisser la pression dans le réservoir, de sorte que le risque de sismicité induite devrait décroître avec le temps. En outre, la réaction du CO2 stocké avec le milieu environnant tend à le stabiliser : il devient un minéral ou se dissout dans l’eau salée.

Mme Isabelle Czernichowski-Lauriol. Enfin, le coût du transport dépend des distances et de l’installation du dispositif on ou off-shore, mais il a toujours été jugé négligeable par rapport aux autres coûts. En effet, le coût du captage, c’est-à-dire du travail de séparation entre le CO2 et les gaz, est très élevé lorsqu’il est ramené à la tonne de CO2 traitée, à la différence du coût de transport et de stockage. Les recherches en cours devraient parvenir à le réduire ainsi que la dépense d’énergie induite, comme pour toute technologie.

M. le président Jean Grellier. Merci, Madame, Messieurs.

Audition, ouverte à la presse, de MM. Georges Duval, président
des sociétés Aubert & Duval et Erasteel, et Philippe Dubois,
directeur des ressources humaines

(Séance du mercredi 22 mai 2013)

M. le président Jean Grellier. Nous recevons ce matin M. Georges Duval – président d’Aubert & Duval et d’Erasteel, deux filiales de la branche « Alliages » du groupe Eramet, dont M. Duval est directeur général délégué et M. Philippe Dubois, le directeur des ressources humaines de ces deux entreprises.

Le groupe minier et métallurgique français Eramet compte près de 15 000 salariés dans le monde et se distingue dans le domaine du nickel, notamment en Nouvelle-Calédonie, et du manganèse, au Gabon. Il s’intéresse également aux filières en développement comme celle du lithium et surtout du titane, la création d’une coentreprise associant des producteurs du Kazakhstan lui permettant de développer de nouvelles activités industrielles en France. Coté en Bourse, le groupe a pour principaux actionnaires la famille de M. Duval – qui contrôle environ un tiers du capital –, et le Fonds stratégique d’investissement (FSI), désormais intégré à la Banque publique d’investissement (BPI), qui a repris en 2012 les 26 % du capital que détenait Areva.

Créée en 1907 par M. Aubert et deux membres de la famille Duval, la société Aubert & Duval emploie plus de 3 500 salariés en France. Aubert & Duval et Erasteel se spécialisent dans les activités sidérurgiques, mais surtout métallurgiques ; leurs produits très techniques relèvent du haut de gamme, notamment dans les domaines du forgeage et du matriçage, et sont destinés à des clients aussi prestigieux qu’Airbus, Boeing, Alstom ou Ferrari. Les principales usines françaises d’Aubert & Duval se trouvent en Auvergne – à Issoire, aux Ancizes et à Pamiers –, à proximité des activités aéronautiques de la région de Toulouse, ainsi qu’à Firminy.

Monsieur Duval, parlez-nous du savoir-faire français qui caractérise vos produits, notamment les aciers rapides et la métallurgie des poudres. Sur quels débouchés et sur quels clients pouvez-vous compter ?

Dans des secteurs qui, notamment en Europe, connaissent actuellement des difficultés, la spécialisation en produits de haute technologie protège-t-elle des aléas du marché ou, à l’inverse, le ralentissement économique n’épargne-t-il pas vos entreprises ? Quelles sont vos prévisions pour les prochaines années ? Les activités minières sont traditionnellement soumises aux variations souvent brutales des cours des matières premières ; dans ce contexte, le pôle « Alliages » d’Eramet peut-il jouer un rôle d’amortisseur dans l’évolution du chiffre d’affaires global du groupe ?

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter serment de dire la vérité.

M. Georges Duval et M. Philippe Dubois prêtent serment.

M. Georges Duval, président d’Aubert & Duval et d’Erasteel. Ma carrière a démarré lorsque, élève ingénieur à Rombas, en Lorraine, j’ai effectué un stage dans une usine sidérurgique classique. Ce stage a représenté l’étincelle qui a allumé en moi la passion de ce métier très humain où l’on côtoie tant la matière que les outils et les clients.

Vous l’avez rappelé, la société Aubert & Duval a été fondée en 1907 par mon grand-père, par un oncle et par M. Aubert. Notre travail implique une vision à long terme, un engagement vis-à-vis du personnel, des clients et des collaborateurs, et une conception large de notre métier et des autres intervenants du marché. Dans cet esprit, Aubert & Duval s’est toujours posé en fédérateur : dans les années 1970, nous avons construit à Issoire Interforge, la plus grosse presse à matricer du monde occidental, en partenariat avec Creusot-Loire, Pechiney et Snecma. Hormis Snecma, qui était un client, les autres entreprises étaient nos concurrents, mais nous avons accepté de conjuguer nos forces afin de réaliser cet important investissement pour installer un outil « unique » dans le monde occidental.

À la fin des années 1980, Aubert & Duval et Usinor-Sacilor – alors présidé par M. Francis Mer – ont réuni leurs activités de forge en une holding dont nous détenions 55 %, et Usinor-Sacilor 45 % ; les forges de Pamiers, de Firminy, d’Imphy et d’Issoire se sont inscrites dans cet ensemble. Notre objectif était d’éviter une concurrence fratricide en France, afin de construire, au contraire, un champion français, européen, voire mondial, dans une démarche de rationalisation constructive.

À la fin des années 1990, Eramet nous fournissait du nickel ; nos synergies en matière de sidérurgie – Erasteel se spécialise dans les aciers rapides – nous ont poussés à fusionner nos groupes, afin d’acquérir un poids plus important encore dans un monde de plus en plus international où la concentration devenait la règle.

Nous intervenons sur des marchés aussi divers que l’aéronautique, la production d’énergie, la Défense, la médecine ou l’automobile – nous gagnons toutes les courses de Formule 1 puisque nous fournissons toutes les équipes ! Il s’agit de marchés mondiaux : notre chiffre d’affaires est alimenté à 50 % par les ventes en France et à 50 % par l’exportation, mais livrer des entreprises comme Airbus ou Safran implique d’adopter en permanence une perspective internationale.

Concepteurs, nous ne nous contentons pas d’exécuter des commandes, mais travaillons en partenariat avec nos clients pour leur proposer la solution la mieux adaptée à leur problème. Nous prenons également en charge la production, l’élaboration et la transformation du produit par laminage, forgeage, matriçage et pré usinage. Ces activités exigent de recourir à de très nombreux outils et de concevoir des processus longs et complexes – la fabrication d’une pièce destinée à l’aéronautique prend entre six mois et un an – et donc des stocks et des encours importants. Elles nécessitent également un personnel très qualifié, porteur de compétences rares, et des investissements dans les meilleures technologies. Il s’agit donc d’une industrie extrêmement capitalistique.

Entre 2004 – où Aubert & Duval a fusionné avec les anciennes filiales d’Usinor – et 2012, nous avons investi 540 millions d’euros dans le matériel et les outils – y compris dans le site UKAD spécialisé dans la transformation du titane –, mais également dans l’environnement, la sécurité et la formation. Nos marges étant faibles, ce chiffre très élevé explique que notre endettement soit passé de 220 à 340 millions d’euros ; durant la même période, nous n’avons versé que 8 millions d’euros de dividendes aux actionnaires d’Eramet.

Si la technique est importante dans notre métier, les hommes le sont tout autant, et nous attachons une grande importance à notre système de management. Celui-ci met en avant les valeurs de l’entreprise – le sens du client, le respect et le développement des personnes, la performance durable, l’initiative et l’esprit d’équipe –, l’esprit « lean » qui renvoie à la simplicité, ainsi qu’un système d’animation pour impliquer les opérateurs dans la résolution des problèmes de sécurité, de qualité et de fonctionnement des machines. La formation nous apparaissant fondamentale, nous avons également créé un Institut de management virtuel.

Notre métier est confronté à des cycles importants : entre le premier trimestre 2008 et le premier trimestre 2010, notre activité a baissé de 40 % ; avec la reprise intervenue au deuxième semestre 2010, elle a remonté de 50 %. En ce moment, la conjoncture provoque de fortes baisses sur certains marchés, mais celui de l’aéronautique résiste à la crise. Pour l’industrie automobile, une baisse de 3 ou 5 % peut se révéler dramatique. Or nous sommes, pour notre part, confrontés à des fluctuations bien plus considérables.

Vous m’avez interrogé, monsieur le président, sur les aciers rapides – ou aciers à coupe rapide. Ils servent à la fabrication des outils de bricolage – comme les lames de scie –, mais également des fraises pour usiner les engrenages pour l’industrie automobile… ou les pieds de sapin pour les aubes de réacteur. Résistants à l’abrasion, ces aciers sont très chargés en tungstène, cobalt et molybdène. La Chine, un des grands producteurs de tungstène, met des droits de douane sur les exportations de minerais pour favoriser la transformation en interne, ce qui pénalise les concurrents des producteurs chinois. Ce pays domine aujourd’hui le marché du bricolage ; mais, dans l’industrie – bâtiment ou automobile –, où les clients sont plus sensibles à la tenue des outillages qu’à leur prix, Erasteel occupe une bonne place au niveau mondial.

La métallurgie des poudres consiste à améliorer la qualité des lingots. Plus un lingot est gros, plus il se solidifie lentement, et moins ses caractéristiques sont bonnes, surtout s’il contient beaucoup d’éléments d’alliage, comme dans les aciers rapides. Les petits lingots permettent une solidification plus rapide, et la poudre représente les unités les plus fines possible. On fait fondre du métal dans un four de six tonnes, puis on fait exploser le jet de coulée par un gaz – argon ou azote – pour obtenir de multiples gouttelettes qui, en tombant dans une tour, se solidifient et forment la poudre d’alliage. En mettant cette poudre sous très forte pression à très haute température, on la compacte en un équivalent de lingot que l’on peut ensuite transformer. Ce procédé nous permet de disposer d’alliages d’aciers rapides encore plus résistants à l’abrasion, mais aussi d’alliages avec du nickel, du chrome, du molybdène, du niobium ou du titane pour fabriquer des disques de turboréacteurs pour l’aéronautique. Ainsi, nous livrons des barres à Safran et à Snecma du Groupe Safran, qui produisent les disques de turbines du Rafale.

La spécialisation nous protège du moment où l’on parvient à maintenir nos niches de production. Le monde occidental doit garder plusieurs longueurs d’avance sur ses compétiteurs qui ne cessent de se développer ; aussi consentons-nous un effort très important de recherche et développement, y consacrant 4,5 % de la valeur ajoutée, soit deux fois plus que nos collègues dans la profession. Grâce à cet investissement, nous développons des alliages ou des procédés de transformation nous permettent de nous différencier de nos concurrents. Le coût de cet effort est d’autant plus important que nos délais de développement se rapprochent de ceux de l’industrie pharmaceutique : il faut compter dix à vingt ans entre les premières coulées d’essai d’un alliage et le début de la production industrielle. Il s’agit donc de financements extrêmement lourds qui imposent des choix entre recherches à engager. Mais il est vital de maintenir cet effort de différenciation, tant dans la recherche que dans le management ; la démarche participative – qui passe par l’implication de tous nos personnels dans le progrès de l’entreprise – permet ainsi de faire remonter les idées du terrain.

La crise économique ne nous laisse pas indemnes. Le ralentissement dans le domaine de l’automobile affecte tant Erasteel – qui enregistre une baisse de 30 à 40 % de son chiffre d’affaires – qu’Aubert & Duval, qui pâtit également du manque d’investissements dans la production d’énergie en Europe. Enfin, l’aéronautique représente 50 % des débouchés d’Aubert & Duval et d’Erasteel ; or ce secteur croît moins, et les nouveaux programmes – comme l’Airbus A350 – ont pris du retard. L’Airbus A380 souffre d’un problème de fissures et l’entreprise réduit ses commandes pour ce modèle, la cadence passant de quarante à vingt-cinq appareils par an. Enfin, la monnaie d’échange sur le marché de l’aéronautique restant le dollar, un euro surévalué mine notre compétitivité face aux Américains, nos principaux concurrents dans ce domaine.

M. Alain Bocquet, rapporteur. La France devrait-elle conserver – voire développer – une activité sidérurgique complète, incluant une filière chaude, ou bien ne faut-il garder que des niches de production à haute technologie ?

Quelles sont vos relations avec ArcelorMittal ? Est-il un client ou un fournisseur ?

Que vous ont appris vos activités en Chine ? Ce pays représente-t-il un concurrent réellement dangereux sur toute la gamme des produits sidérurgiques et métallurgiques ? En s’implantant en Chine, vos sociétés ne risquent-elles pas la captation de leur technologie ?

En matière de recherche, le dépôt de brevets et les éventuels produits résultant de leur cession peuvent-ils être considérés comme des éléments clés de votre stratégie ? Le système français du crédit d’impôt recherche permet-il d’améliorer de façon décisive la compétitivité de vos activités en France ? Aide-t-il à les maintenir sur le territoire et à les développer ?

À combien chiffrez-vous les gains que le crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) permettra de réaliser sur les masses salariales d’Aubert & Duval et d’Erasteel ? Les syndicats ne réclament-ils pas un partage de ce bénéfice au titre de la revalorisation salariale ?

Qu’attendez-vous d’un prochain Plan acier que la Commission européenne devrait annoncer dans le courant du mois de juin ? Convient-il, sur certains produits, de relever très significativement les droits de douane à l’entrée de l’Union européenne ? Le risque des mesures de rétorsion n’interdit-il pas de passer à l’acte ?

Aujourd’hui, la profession d’ingénieur de l’industrie n’attire pas forcément les jeunes, et la question de la formation, initiale et professionnelle, devient cruciale. Comment favoriser l’accès et le renouvellement des métiers nécessaires à vos activités ?

En matière de compétitivité, les contraintes environnementales qui s’imposent aux producteurs européens et le coût d’accès à l’énergie pour les activités électro-intensives ne constituent-ils pas de véritables handicaps face à vos concurrents asiatiques ou nord-américains ? Le système européen d’attribution de quotas de CO2 conserve-t-il un intérêt, et peut-on le réformer en conservant son esprit d’origine ?

M. le président Jean Grellier. S’agissant du Plan acier, le mercredi 12 juin, nous rencontrerons M. Antonio Tajani, le Commissaire européen aux industries et à l’entrepreneuriat.

M. Georges Duval. Dans le domaine de la sidérurgie – comme dans tout autre –, un pays ne saurait vivre uniquement de niches haut de gamme. D’abord, toute la main d’œuvre ne dispose pas des compétences nécessaires ; surtout, abandonner une activité provoque un effet en chaîne qui conduit à l’érosion de l’ensemble. Ainsi, en perdant la construction navale, on perd également, un jour ou l’autre, les activités connexes : la fabrication des moteurs, la construction des machines-outils, etc. Même si les besoins en acier d’un pays développé sont moindres que ceux d’un pays en développement comme la Chine, il nous faut garder une filière sidérurgique complète et variée, avec une sidérurgie lourde, une sidérurgie d’aciers spéciaux, etc.

M. Philippe Dubois, directeur des ressources humaines d’Aubert & Duval et d’Erasteel. N’oublions pas que, pour être présent sur des niches à technologie compliquée, il faut disposer de personnels porteurs de savoir-faire, et donc d’un flux de formation important. Or, parmi les diplômés des écoles d’ingénieurs, peu se dirigent aujourd’hui vers nos domaines ; sans filière sidérurgique conséquente, ce flux se réduira davantage encore, et nous manquerons de compétences.

M. Georges Duval. En dehors du site d’Imphy, où nous coopérons avec Aperam, nous n’entretenons que peu de relations avec ArcelorMittal.

La Chine constitue un sujet très délicat. Construire une relation de confiance avec un client demande du temps, et il est risqué d’engager une joint venture au bout d’un ou deux ans de travail. Il y a huit ans, Erasteel s’est lancé dans l’aventure pour construire une aciérie d’aciers rapides en commun avec un partenaire chinois. Constatant, au bout d’un an, qu’au lieu d’arrêter, comme prévu, sa propre aciérie, celui-ci continuait à y investir, nous avons préféré arrêter la joint venture pour éviter qu’il n’y transfère le savoir-faire injecté dans la nouvelle installation. Ce pays souhaite acquérir toutes les technologies, et au vu des moyens considérables qu’il met dans la formation de ses ingénieurs, dans dix ans, il y arrivera dans bien des domaines, même s’il met plus de temps à nous rattraper dans les plus hautes technologies. La Chine fabrique d’ores et déjà en série nos centrales nucléaires de 1 000 ou 900 MW, demain elle s’emparera de la technologie Evolutionary Power Reactor (EPR). L’aéronautique chinoise connaît également un fort développement, avec le lancement du modèle C919, similaire à l’Airbus A320. Ne pouvant nous permettre d’ignorer le marché chinois, nous comptons participer à sa production. Erasteel a également installé un atelier d’étirage à Tianjin, et Aubert & Duval, un centre de distribution à Wuxi, près de Shanghai. Notre stratégie consiste à n’ouvrir en Chine que des ateliers mécaniques en aval des processus essentiels, évitant d’y transférer le savoir-faire qui fait notre cœur de métier.

S’agissant de la recherche, deux stratégies guident notre action : nous déposons des brevets là où nous pouvons les défendre, par exemple sur de nouveaux alliages dont on peut contrôler l’utilisation par un tiers. En revanche, sur le terrain des moyens de transformation, nous préférons ne rien révéler de notre savoir-faire.

Le crédit d’impôt recherche favorise indiscutablement la recherche en France et se révèle décisif pour le maintien de nos dépenses dans ce domaine. Quant au CICE, en allégeant les coûts de chacune de nos deux sociétés de 2 ou 3 millions d’euros par an, ce dispositif fait davantage que compenser les pertes induites par la suppression de la défiscalisation des heures supplémentaires et les nouvelles charges sur l’intéressement et la participation.

M. Philippe Dubois. Les partenaires sociaux n’ont pour le moment exprimé aucune demande quant au partage des gains du CICE, mais ils le feront certainement.

Permettez-moi de dire quelques mots sur notre gestion de la main-d’œuvre. Pour absorber les variations cycliques d’activité, nous faisons beaucoup appel aux intérimaires ; nous recrutons les plus qualifiés d’entre eux afin de ne pas perdre un savoir-faire dont l’acquisition est longue et difficile. Le chômage partiel permet également d’amortir la crise tout en conservant les compétences ; il peut même servir d’occasion pour les remettre à niveau.

Parallèlement, nous avons toujours maintenu une politique salariale continue, tâchant de revaloriser régulièrement les salaires. Malgré la crise, l’augmentation individuelle – signe de reconnaissance du potentiel de chacun et facteur de mobilisation des salariés – s’est élevée à 3,2 % l’année dernière et à 2,7 % cette année, niveaux d’autant plus importants que nous enregistrons actuellement des résultats négatifs. Quant à la rétribution complémentaire, nous versons parfois à nos salariés jusqu’à 10 % des résultats au titre de l’intéressement.

M. Georges Duval. Je n’ai pas suivi les développements du plan acier européen.

En matière de droits de douane, il y a quelques années, nous avons été lourdement pénalisés aux États-Unis parce que des concurrents s’étaient plaints de dumping ; non seulement cela nous a coûté très cher, mais la pénalité versée au concurrent l’a renforcé. Il est évident que la Commission européenne n’en fait pas assez pour nous protéger du dumping de nos concurrents asiatiques. Les Chinois pratiquent le protectionnisme, alors que nous, sous prétexte de défendre le consommateur, scions la branche sur laquelle il est assis. En cas de dumping manifeste, il est normal de fixer des droits de douane ; quant au risque de rétorsion, aux hommes politiques de trouver le moyen de l’éviter.

Dans la formation, c’est l’image de l’industrie qui est en jeu. Nous exerçons un métier passionnant qui s’ancre dans le concret et non dans le virtuel, j’en veux pour preuve ma formation d’ingénieur et non de financier. Malheureusement, les médias n’insistent que sur les problèmes de l’industrie, que la concentration des effectifs rend certainement plus visibles que ceux des petites sociétés de service où les licenciements passent inaperçus. À l’inverse, ils ne montrent rien des choses extraordinaires que l’on y fait, cette absence de valorisation expliquant le manque de motivation des jeunes. Le corps enseignant devrait également se mobiliser et venir constater dans nos usines que l’industrie n’en est plus à l’époque de Zola.

M. Philippe Dubois. Bien des filières d’enseignement indispensables à nos métiers – la forge, la fonderie, l’aciérie et l’élaboration – n’existent plus. D’autres – comme le contrôle non destructif – n’ont jamais existé. L’entreprise s’est donc structurée pour former dans ses murs. En partenariat avec l’éducation nationale, nous travaillons avec l’Association de formation professionnelle de l’industrie (AFPI) et l’Union des industries et des métiers de la métallurgie (UIMM) pour mettre au point des formations adéquates. Nous montons actuellement un centre d’hébergement et de formation en alternance sur le site des Ancizes.

Mais la plus grande difficulté à laquelle nous sommes confrontés consiste à attirer les gens chez nous. Le taux de renouvellement du personnel hors retraites ne représente que 1 % chez Aubert & Duval ; le problème n’est donc pas de garder les salariés – une fois embauchés, ils restent dans l’entreprise –, mais de les faire venir. De concert avec l’UIMM, nous travaillons à améliorer l’image de notre industrie. Nous invitons les enseignants à visiter nos sites et intervenons dans les collèges, voire plus tôt, car c’est à ce stade que les jeunes choisissent leur avenir et qu’il faut leur faire découvrir des métiers. Ainsi, participer à une animation où ils doivent concourir pour construire une voiture de course leur montre – de façon plus concrète qu’un cours – ce qu’est la technologie. Nous avons besoin de ce type d’actions, mais également de systèmes de formation aux règles plus simples.

M. Georges Duval. En matière de contraintes environnementales, tous nos sites sont certifiés ISO 14001. Nous assumons nos responsabilités et souhaitons nous conformer aux normes les plus rigoureuses ; nous avons ainsi mené d’importants travaux pour réduire la pollution. En revanche, il ne faudrait pas imposer aux producteurs des règles inapplicables ou des standards conduisant à des investissements démesurés ; mieux vaut rechercher un équilibre.

Quant au coût de l’énergie, une récente simulation montre que, avec le prix du gaz naturel dont bénéficient nos compétiteurs américains, nous économiserions 10 millions d’euros par an, soit l’équivalent des recettes du crédit d’impôt recherche et de deux fois celles du CICE réunies. Les prix de l’électricité – notre deuxième source d’énergie – se sont également envolés ces dernières années, comme le note l’association Exceltium dont nous faisons partie.

Enfin, ne suivant pas moi-même la question relative aux quotas de CO2, je ne peux pas vous éclairer sur ce point.

M. Christian Hutin. Il y a quelques mois, l’ancien secrétaire d’État au commerce extérieur des États-Unis avait expliqué que son pays commençait par mettre des taxes de 250 % sur le photovoltaïque, attendait une mesure de rétorsion, puis négociait. À l’inverse, ironisait-il, la Commission européenne met si peu d’exigences au départ qu’elle ne peut guère négocier ensuite.

Par la qualité de votre travail, vous êtes à la pointe de votre domaine ; mais vous devez dépendre des métaux rares comme le tungstène extrait en Chine. Quels sont les pays fournisseurs et peut-on être confronté à un problème d’approvisionnement ? La France dispose-t-elle de possibilités d’extraction, notamment au Mali ou au fond des océans ?

M. Michel Liebgott. Quels sont, par rapport à la France, les avantages et les handicaps des différents pays européens où sont implantées vos entreprises ? Y utilise-t-on beaucoup le chômage partiel ? Dans quelle mesure notre système vous apparaît-il performant ?

Vous employez 14 000 salariés ; comment leur nombre et leur répartition dans le monde ont-ils évolué ? Autrefois centrée sur la France, votre entreprise se développe-t-elle désormais davantage dans les pays émergents ?

La nécessité de relever les droits de douane recueille manifestement l’unanimité ; reste à comprendre ce qui freine la mise en œuvre de cette mesure.

Enfin, en matière de formation, il faut en effet convaincre les parents et les enfants dès le collège de l’intérêt des métiers industriels.

Mme Édith Gueugneau. Chaque année, 150 000 jeunes quittent le système éducatif sans qualification : aussi la jeunesse constitue-t-elle notre priorité. Je place beaucoup d’espoirs dans la loi sur la refondation de l’école : en mettant les entreprises au cœur des collèges et des lycées, au plus près de l’éducation nationale, elle vise à valoriser les métiers – injustement méprisés – et à donner aux jeunes l’envie de s’y former. Alors que 300 000 emplois dans nos entreprises ne sont pas pourvus faute de formation adéquate, l’orientation doit tenir compte de ces besoins.

Mme Michèle Bonneton. Quelle part de votre chiffre d’affaires devez-vous à la fabrication d’acier à partir de la ferraille ? On suggère souvent que cette activité pourrait se développer en France. Pourtant, les ferrailles sont en général traitées à l’étranger ; pourquoi votre succès n’est-il pas imité ? Comment les pouvoirs publics peuvent-ils favoriser ce genre de transformation ?

Pour satisfaire leurs actionnaires, les groupes cotés en bourse recherchent d’ordinaire une rentabilité élevée. Or vos marges, dites-vous, sont modestes, vous investissez beaucoup, et vos entreprises fonctionnent malgré tout. Quel est donc votre secret ?

M. Georges Duval. Nous ne sommes pas épargnés par les difficultés : notre endettement atteint un niveau trop élevé, le gearing – ratio dette sur fonds propres – étant supérieur à 1, et les banques hésitent à nous accorder certains emprunts. Certes, même si le groupe est coté en bourse, le poids de notre famille et du FSI dans son capital lui permet de conserver une vue à long terme. Cependant, pour financer l’activité, nous sommes bien obligés de gagner de l’argent et ne pouvons pas nous endetter au-delà de l’acceptable. Pour améliorer notre résultat, nous devons travailler sur notre productivité et nos performances.

Vos questions portant sur l’aciérie et sur les matières premières se rejoignent : comme d’autres pays européens ayant une longue tradition technique et industrielle, la France produit beaucoup de ferraille. Or celle-ci constitue une mine de matières premières trop souvent oubliée. Si nous frappions de droits de douane les ferrailles exportées hors d’Europe, comme le font nos amis chinois pour leurs matières premières exportées, cela pénaliserait nos concurrents et favoriserait les producteurs français.

Mme Michèle Bonneton. Ces circuits se situent parfois à l’intérieur même de l’Union européenne.

M. Georges Duval. Certes, mais les Chinois aussi viennent désormais s’approvisionner en Europe.

Dans le cadre d’un accord avec une société kazakhe, nous transformons du titane pour l’aéronautique ; si le modèle A350 exige 100 tonnes de titane, c’est 1 000 tonnes que nous mettons en œuvre, dont 90 % se retrouvent en copeaux d’usinage. Devant ce constat, nous avons proposé de construire une fonderie dans le Massif central pour recycler ces chutes. Ce grand projet d’investissement, Écotitanium – qui doit être prochainement signé par le Premier ministre – nous permettrait de produire nous-mêmes une partie du titane, bel exemple d’économie circulaire.

Le risque de pénurie de matières premières me paraît réduit, même si les pays comme la Chine peuvent toujours alourdir les droits de douane, nous faisant perdre en compétitivité. Eramet participe, avec l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (IFREMER) et le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), aux campagnes d’étude sur les nodules polymétalliques. Pour l’instant, le coût très élevé des technologies nécessaires rend l’exploitation de cette source potentielle d’approvisionnement improbable. Mais à long terme – vingt ou trente ans –, les systèmes côtiers français constituent assurément un atout.

S’agissant de la répartition des effectifs du groupe, les salariés des deux divisions s’occupant de l’extraction minière se situent hors de France, alors que ceux de la division sidérurgique et métallurgique se partagent entre la France et la Suède. La branche « Alliages » – représentée par Aubert & Duval et Erasteel – réunit quelque 4 800 personnes, dont 400 ou 500 en Suède, 4 000 en France, et le reste ailleurs. Nous continuons à investir en France, mais nous devons aussi nous rapprocher de nos clients aux États-Unis et en Asie – en Inde ou en Chine. Il nous faut développer nos activités sidérurgiques au niveau international sans pénaliser nos sites français.

Pour nous, la principale différence entre la France et la Suède tient à nos relations avec nos partenaires sociaux. Le dialogue est plus posé avec nos interlocuteurs suédois, qui savent se mettre autour d’une table pour parler de faits, entre professionnels. En France, on manque encore de maturité, on est porté à l’ironie, à la critique ; mais les choses évoluent et les nouvelles générations vont dans le bon sens.

M. Philippe Dubois. Alors que, avec nos partenaires suédois, nous pouvons discuter de la stratégie de l’entreprise sur cinq ou dix ans, le dialogue reste difficile en France, même si l’histoire de certains sites les rend plus réceptifs que d’autres à cette logique. Notre ambition est de faire évoluer nos partenaires français afin de sortir des combats de court terme : ce n’est qu’en leur faisant comprendre les enjeux économiques de long terme que nous réussirons à leur faire accepter les mesures du présent. Dans cette compréhension, les Suédois nous devancent de dix ans : lorsque nous rencontrons un problème d’activité en Suède, nous réunissons les partenaires sociaux, expliquons les différentes solutions possibles, nous accordons sur l’une d’entre elles et y travaillons ensemble. Nul blocage, nulle grève ; nous parvenons systématiquement à l’entente.

M. Georges Duval. En matière de gestion des baisses d’activité, les aides au chômage partiel et de longue durée, développées par les pouvoirs publics, sont un dispositif très appréciable pour le personnel et l’entreprise.

M. Philippe Dubois. Lors de la dernière crise, nous avons recouru au chômage partiel et nous y faisons encore appel aujourd’hui pour pallier le ralentissement dans certains domaines. Le dispositif d’activité partielle de longue durée (APLD) nous a permis de ne pas licencier tout en conservant les savoir-faire, voire en les augmentant grâce aux formations. En permettant aux salariés concernés de garder une situation financière raisonnable, ce système leur a évité de travailler au noir – comme ce fut le cas lors de la crise précédente où les indemnisations ne dépassaient pas les 60 % du salaire – et de s’éloigner durablement de l’entreprise. Nous avons également utilisé le compte épargne-temps (CET) qui permet de choisir entre congés et rémunération. Ces mesures empêchent une crise passagère de détruire des familles et rend possible le retour des salariés dans l’entreprise – d’autant plus précieux que les savoir-faire sont longs à acquérir. L’APLD s’est donc révélée d’une grande aide pour affronter les difficultés.

M. le président Jean Grellier. Je vous remercie, Messieurs, de vos réponses particulièrement intéressantes.

Audition, ouverte à la presse, de Mme Catherine Tissot-Colle,
présidente de la Fédération des minerais, minéraux industriels
et métaux non ferreux (FEDEM), Mme Claire de Langeron,
déléguée générale, et de M. Édouard de Lacoste Lareymondie,
président de la Chambre syndicale du cuivre et de ses alliages

(Séance du mercredi 22 mai 2013)

M. le président Jean Grellier. Nous accueillons Mme Catherine Tissot-Colle, présidente de la Fédération des minerais, minéraux industriels et métaux non ferreux (FEDEM), accompagnée de Mme Claire de Langeron, déléguée générale, et de M. Édouard de Lacoste Lareymondie, président de la Chambre syndicale du cuivre et de ses alliages.

La FEDEM rassemble de nombreuses professions impliquées dans des activités métallurgiques et spécialisées, dont, par exemple, les transformateurs du cuivre et du zinc. Plusieurs secteurs intéressent notre commission d’enquête, certains relevant d’une longue tradition industrielle et d’autres mettant en œuvre des processus de haute technologie ; tous, cependant, sont exposés à la volatilité des cours des matières premières, qui entraîne des ressauts importants de leurs chiffres d’affaires et de leurs profits d’une année à l’autre.

Autre point important pour notre commission : la problématique du recyclage et de l’économie circulaire. Nous avons auditionné l’organisme Eco-Emballages et la Fédération des entreprises du recyclage (FEDEREC), mais peut-être vos idées et réflexions diffèrent-elles, des améliorations du système et des gains de productivité bénéficiant à nos industries étant toujours possibles dans les secteurs clés de la récupération et du retraitement.

La question de la concurrence de produits importés à bas coûts est également essentielle. En avez-vous des exemples dans vos activités ?

D’autres questions nous paraissent fondamentales : le non-respect des contraintes environnementales par des producteurs extérieurs, le coût de l’accès des industriels français à l’énergie, la formation des salariés, le peu d’attirance des jeunes à l’égard de certains métiers de l’industrie. Vous pouvez constater la diversité de notre champ de réflexion !

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter serment de dire la vérité.

Mme Catherine Tissot-Colle, Mme Claire de Langeron et M. Édouard de Lacoste Lareymondie prêtent serment.

Mme Catherine Tissot-Colle, présidente de la Fédération des minerais, minéraux industriels et métaux non ferreux (FEDEM). Pour préparer cette audition, nous avons pris connaissance d’une partie de vos précédents travaux. Comme vous avez déjà été éclairés par nos collègues, dont ceux de la Fédération française de l’acier (FFA), nous essaierons de ne pas répéter leurs propos, même si nous partageons avec eux un certain nombre de problématiques et de conceptions.

Si elle n’est pas la fédération la plus puissante du point de vue des entreprises représentées, la FEDEM se situe en amont de nombreuses industries stratégiques : métallurgie, production d’acier, aéronautique, défense, automobile, construction, chimie, mais, aussi, « économie verte » et nouvelles technologies comme les éoliennes ou les écrans plats. Contrairement à une idée reçue, nos activités n’ont rien d’archaïque : au contraire, nous sommes une industrie moderne pour laquelle l’innovation, la recherche et le développement (R&D) sont essentiels, notamment pour faire la différence vis-à-vis des producteurs étrangers.

Nous représentons environ 130 entreprises, dont de grands groupes – Areva, Umicore, Eramet –, des représentations françaises métropolitaines ou ultramarines d’importants groupes étrangers – avec Eramet, Xstrata et Vale, la Nouvelle-Calédonie s’apprête à devenir le deuxième producteur mondial de nickel –, et un tissu de PME. Ainsi la FEDEM est-elle représentative de la variété du tissu industriel français, le secteur qu'elle représente emploie directement 25 000 personnes, représente un chiffre d’affaires de 15 milliards, dont 50 % à l’exportation.

Sur le plan européen, le secteur des métaux non ferreux représente 437 000 emplois et un peu moins de 300 milliards de chiffre d’affaires, ce qui est loin d’être négligeable, même si sa puissance a décliné ces dernières années. Ce secteur, pour lequel la compétitivité est un enjeu permanent, demeure très capitalistique. Nous parvenons encore à des productions considérables avec moins de salariés, très spécialisés et non « substituables », ni au sein des grands groupes ni au sein des PME.

Nous partageons de grandes constantes avec l’ensemble de l’industrie française. Ainsi nous sommes-nous réjouis du rapport de M. Gallois et des décisions qu’a prises le Gouvernement en matière de compétitivité, même si, s’agissant plus particulièrement de la compétitivité-coût, nous avons encore du chemin à parcourir. Nous nous félicitons également de la mise en place du crédit d’impôt recherche, du crédit d’impôt compétitivité-emploi et de la nouvelle loi sur la sécurisation de l'emploi, autant de points importants pour des secteurs comme les nôtres qui sont très traditionnels et, je le répète, très capitalistiques.

En termes de compétitivité hors coût, de R&D et d’innovation, il est évident que nous devons continuer à dégager des marges suffisantes et des capacités de développement. Tous mes collègues siégeant au conseil d’administration de la FEDEM en sont d’accord. Dans ce secteur, on ne rencontre pas d’industriel frileux, mais des envies de conquête !

Nous accordons également beaucoup d’importance au dialogue social, même s’il relève plutôt du champ d’action de l’UIMM ou du MEDEF. La FEDEM se consacre plus précisément aux aspects économiques, stratégiques et environnementaux, dont le développement durable. Les activités minières ou métallurgiques pouvant en effet avoir un impact sur ce plan là, nous tenons à trouver un bon équilibre entre des niveaux d’exigence qui augmentent – attentes des particuliers, des hommes politiques, des riverains de nos industries, des associations – et la nécessité de demeurer compétitifs dans une situation difficile. Nous travaillons beaucoup sur ce point, qui importe à tous, mais les attentes en la matière sont parfois un peu excessives alors que les industriels ont besoin de temps pour s’adapter. Nous sommes d’accord avec les orientations qui se dessinent, mais, souvent, nous sommes confrontés à un problème de calendrier. Plus la compétition et plus les temps sont durs, plus il conviendrait de faire montre d’un peu plus de souplesse.

La concurrence mondiale est extrêmement sévère et nos industries « à fuite de carbone » y sont particulièrement exposées. Nous sommes au service de champions nationaux et, si nous nous portons mal, l’industrie automobile ira mal – alors qu’elle connaît déjà des difficultés –, de même que les plans de relance de la construction ou l’aéronautique.

Les politiques savent à quel point nous sommes un secteur clé. MM. Borloo, Besson ou Montebourg ont ainsi installé puis pérennisé le Comité pour les métaux stratégiques (COMES) et engagé une réflexion sur la spécificité de nos métiers qui s’inscrit dans la logique européenne.

Je tiens à insister sur la dimension européenne de nos activités, car il est nécessaire de travailler et d’être compétitifs d’abord sur ce plan-là, les réglementations environnementales étant, quant à elles, le plus souvent élaborées à Bruxelles. À ce propos, les autorités françaises pourraient peut-être veiller à ce que notre pays soit suffisamment présent et actif dans l’ensemble des strates et structures de l’Union européenne. Nous ne sommes, certes, qu’un État parmi les autres États membres, mais nous comptons : la présence des ministres français est essentielle, au plus haut niveau, lors de chaque sommet, mais également celle de représentants de notre pays dans toutes les structures techniques d’expertise où d’autres États sont plus présents, y compris le Royaume-Uni. Les Anglais se montrent en effet très critiques à l’endroit de l’Europe, mais ils savent y faire valoir leurs intérêts.

M. Édouard de Lacoste Lareymondie, président de la Chambre syndicale du cuivre et de ses alliages. En France, l’industrie du cuivre n’est pas une industrie minière, puisqu’il n’y a pas d'activité extractive à ce jour, mais une industrie de transformation. Nous achetons les matières premières à l’étranger, principalement en Amérique du Sud, et recyclons les déchets industriels que nous produisons nous-mêmes ou que nous achetons sur le marché.

Cette industrie vit des heures extrêmement difficiles. Dans les années 1980, on dénombrait entre quinze et vingt acteurs de première transformation dans les métiers principaux : câbles – dont le leader européen est Nexans, l’ancienne filiale d’Alcatel Cuivre– barres, tubes industriels et sanitaires, et bandes. Aujourd’hui, il n’en reste que cinq. En ce temps-là, nous servions le marché local à hauteur de 60 % et importions 40 % de nos besoins, d’Europe pour l’essentiel. Aujourd’hui, la proportion s’est plus qu’inversée avec des importations qui s’élèvent environ à 70 % et une production locale de 30 %. Le retournement de la situation est patent.

Depuis cinq ans, la demande issue du marché local français a considérablement diminué en raison de la crise et nous assistons à un important développement des produits laminés à débouchés électroniques dont les principaux acteurs, par exemple STMicroelectronics, ont délocalisé en Asie dans les années 1990-2000 et ont obligé la plupart des entreprises à suivre un marché devenu problématique en raison de la distance, mais également du change, puisque nous travaillons en dollars.

La question du recyclage est également essentielle : les industriels fondeurs ou lamineurs fabricants de tubes recyclent intégralement et à l'infini les déchets. Leur prix de revient étant inférieur à celui de la matière première, nous sommes à l’affût des approvisionnements. Or nous sommes là aussi confrontés à la compétition internationale sur le plan de la demande, notamment de la part de la Chine, qui « pille » un peu notre marché et renchérit les prix.

Enfin, la concurrence est parfois déloyale, en particulier de la part de la Turquie et de l’Iran – avant l’embargo, bien entendu, mais, lorsqu’il sera levé, je gage que nous serons encore confrontés à des importations sauvages de la part de concurrents qui, seuls ou presque derrière un bureau, alors que nos industries emploient 250 ou 300 personnes par usine, parviennent à importer des produits semi-finis.

Mme Catherine Tissot-Colle. Nous sommes confrontés à de grands défis. Tout d’abord, nous devons affronter, c’est vrai, un environnement concurrentiel renforcé et parfois déloyal. Il conviendrait donc de réfléchir à l’évolution des règles de l’OMC. Si la Chine, qui ne les respecte pas, est souvent attaquée, cela est parfois favorable aux entreprises européennes puisqu’elle vend les produits plus chers que leurs prix de revient, ce qui rétablit une certaine concurrence. Quelles sont donc les règles les plus protectrices pour nos industries ? Nous nous permettons d’interpeller les pouvoirs publics, car le monde industriel étant complexe, ce qui est favorable aux uns ne l’est pas nécessairement aux autres.

Ensuite, il convient de valoriser les performances environnementales dans un contexte réglementaire exigeant. Travaillant dans l’industrie sidérurgique et métallurgique depuis une dizaine d’années, je peux témoigner de ses évolutions en la matière. Nous supportons aujourd’hui la comparaison avec des industries – je pense, notamment, à la chimie – qui, il y a quelques années, étaient plus avancées sur ce plan. Les mentalités ont également changé, puisqu’aucun projet n’est pensé sans tenir compte des meilleurs standards, mais la France a tendance à exiger toujours plus et à appliquer les directives européennes au-delà de leur lettre et de leur esprit. Est-ce toujours raisonnable sur le plan de la compétitivité ?

De la même manière, de bonnes idées sont parfois appliquées trop rapidement. Il est certes intéressant de disposer de méthodologies et de référentiels technologiques d’installation communs. On peut concevoir qu’ils deviennent obligatoires, mais, lorsque la Commission européenne envisage de fixer aux entreprises des délais extrêmement brefs – de l’ordre de trois ou cinq ans – pour se mettre en conformité, nous crions gare ! Qu’ils soient immédiatement applicables à des projets, oui, puisqu’il est possible de les concevoir de la sorte dès leur genèse, mais le mieux est parfois l’ennemi du bien pour les autres. La FEDEM se bat contre les délocalisations et nous ne souhaitons pas que nos adhérents partent. Il convient donc de veiller à ne pas envoyer de signaux négatifs.

Plus généralement, nous avons besoin d’un environnement réglementaire stable et prédictif, quels que soient les sujets.

La révision du code minier nous semble une excellente idée, car son toilettage et sa mise en conformité avec les évolutions dues notamment à la Charte de l’environnement étaient nécessaires. Il convient toutefois de rester raisonnable, certaines ONG semblant croire qu’il n’existe aucun texte dans ce domaine. Nous sommes d’accord avec M. Tuot lorsqu’il propose de toiletter le code et d’en conserver 80 % ou 90 %, mais les travaux en cours nous paraissent un peu compliqués. Nous attirons l’attention du Gouvernement et des parlementaires : nous souhaitons que l’on parvienne, sans précipitation, mais sans traîner, à la rédaction d’un texte clair, applicable et positif qui contribuera à relancer l’activité minière dans notre pays. Tel est l’objectif affiché, mais, comme nous avons eu l’occasion de le dire devant la commission du développement durable de l'Assemblée nationale, nous nourrissons quelques inquiétudes s’agissant notamment de la fiscalité.

Le développement de notre industrie dans le domaine des métaux stratégiques repose sur une double logique : la sécurisation des approvisionnements des industries en aval et la défense des champions français. Le Comité stratégique de filière (CSF) sur les industries extractives et de première transformation que le ministre du redressement productif vient d’installer se réunira dès vendredi matin afin de travailler sur ces questions, ce dont nous nous réjouissons. Nous veillerons à ce que ses travaux, comme ceux du COMES, se concrétisent. Ainsi le COMES réfléchit-il à une diplomatie des matières premières : comment notre diplomatie peut-elle soutenir les entreprises françaises productrices de ressources minières ? Le groupe Eramet dans lequel je travaille, , crée de la valeur via les mines de Nouvelle-Calédonie et du Gabon, et c’est ce qui nous permet d’investir en France et d’y développer des activités de transformation, même si c’est moins vrai ces derniers mois en raison de la situation économique.

En tant que membre du Conseil économique, social et environnemental, j’ai eu l’occasion de travailler sur la question de la transition énergétique, laquelle concerne particulièrement nos industries. Nous sommes attachés à une évolution du mix énergétique pour tendre à la société décarbonée, mais, là encore, gare à la transition, aux délais et aux choix. Nos industries étant électro-intensives – même si des technologies moins gourmandes en énergie sont prometteuses –, leur situation est très délicate.

Mme Claire de Langeron, déléguée générale de la FEDEM. Le recyclage sera de plus en plus nécessaire compte tenu de l’augmentation de la demande en métaux, de la durée de vie des produits – qui s’étend de quelques mois pour les produits de grande consommation à plusieurs dizaines d’années pour ceux du bâtiment par exemple – et du développement de nouvelles applications requérant l’utilisation de certains métaux qui ne l’étaient pas jusqu’alors. Certes, il ne comblera jamais l’ensemble des besoins en métaux et nous devrons toujours recourir aux ressources primaires, mais il complétera utilement les approvisionnements. Sur le plan mondial, le recyclage ne répond qu’à 30 % des besoins actuels. En Europe, le gisement disponible permet de répondre à environ 50 % des besoins en métaux de base.

Notre secteur a toujours pratiqué le recyclage, mais son développement est aujourd’hui freiné. Il conviendrait donc d’accroître les quantités de matières disponibles, ce qui implique d’améliorer les liens entre les nombreux acteurs de la chaîne. Cela passe par la collecte de produits pas, peu ou mal recyclés, la lutte contre toutes les formes d’exportations plus ou moins licites de produits qui, in fine, sont des déchets, l’envoi de produits en fin de vie et des déchets vers des filières de prétraitement, de démontage et de valorisation adéquates et performantes assurant une récupération optimale ainsi que le respect des conditions environnementales et sanitaires. Nous proposons la mise en place d’une certification des installations de recyclage, proposition qui a d’ailleurs été reprise sur le plan européen.

Enfin, l’accès aux gisements de ces « mines urbaines » est d’autant plus essentiel que le recyclage requiert de lourds investissements.

M. Alain Bocquet, rapporteur. Quelles propositions concrètes pourriez-vous formuler en matière de récupération et de retraitement des métaux ? Sur un plan quantitatif, en récupère-t-on le maximum ? Sur un plan qualitatif, j’ai été heureux de vous entendre parler de certification européenne, car la chienlit règne dans la déconstruction – un projet de déconstruction ferroviaire est en cours dans ma circonscription. Les cimetières de wagons de Sotteville-lès-Rouen, par exemple, constituent une véritable mine, leur éventuel transfert en Roumanie soulevant par ailleurs certaines difficultés.

Avez-vous des exemples d’actions volontaristes en termes de R&D, en liaison avec les universités ou les pôles d’excellence, tels les instituts de recherche technologique (IRT) ?

Enfin, la plupart des entreprises que vous représentez étant des PME, ne sont-elles pas confrontées à des problèmes de trésorerie ? Avez-vous des propositions à faire pour le soutien financier de leur développement, voire, le cas échéant, leur regroupement ?

M. Michel Liebgott. Considérez-vous que les aciéries électriques ont un avenir en Europe ? Si oui, de quelles marges de construction disposons-nous ?

La disparition de certaines entreprises minières ne s’explique-t-elle pas parfois par leur absorption dans de grands groupes comme, par exemple, ArcelorMittal ? Comment percevez-vous de telles évolutions ?

Vous avez évoqué l’expertise Tuot. Nous sommes en effet souvent saisis, à juste titre, par les victimes des dégâts miniers, mais faisiez-vous allusion à la responsabilité des entreprises pendant ou après l’exploitation, ou à certaines normes contraignantes entraînant une augmentation des coûts ? N’hésitez pas à nous communiquer des documents à ce propos.

M. Christian Hutin. En classe de terminale, on nous expliquait déjà, à propos du gaz de Lacq, qu’il n’y avait plus grand-chose à exploiter en France sur un plan minier. Est-ce le cas ?

Dans quel sens le code minier pourrait-il évoluer ?

Mme Catherine Tissot-Colle. Nous pourrons en effet vous envoyer des documents concernant les activités de recyclage, ainsi que les recommandations d’Eurométaux à l’Union européenne. Le recyclage comporte des étapes spécifiques : la collecte des déchets, leur démontage, leur tri ou leur prétraitement, leur affinage, leur recyclage à proprement parler et la fabrication de produits neufs. Nous avons des recommandations pour chacune de ces étapes, dont la principale reste la collecte. Ce secteur est loin d’être parvenu à maturité, et l’on ne peut que constater son morcellement. La R&D travaille également sur ces questions de recyclage.

La pyrométallurgie – les hauts-fourneaux, les aciéries électriques – est fondée sur la transformation des métaux par la chaleur. Des travaux de R&D visent à la perfectionner afin de la rendre moins intensive sur le plan énergétique, mais nous considérons que l’hydrométallurgie, c’est-à-dire le traitement chimique des métaux, est une piste pour l'avenir. Les procédés hydrométallurgiques que nous développons permettent de traiter des matières primaires qui, jusqu’à présent, n’étaient pas valorisées, telles certaines fractions du nickel, voire des minerais qui étaient considérés comme des déchets ou des stériles. Cela constitue d’autant plus un avantage sur le plan du développement durable que l’on consomme beaucoup moins d’énergie.

La FEDEM s’intéresse à tout ce qui se passe en Europe sur le plan de la R&D, notamment au programme de recherche 2014-2020. Nous agissons au sein de diverses instances pour que ces nouvelles technologies soient prises en compte dans les stratégies européennes et que les industriels qui les portent puissent bénéficier de subventions. Nous croyons beaucoup au potentiel de l’hydrométallurgie.

Mme Claire de Langeron. Nous réfléchissons en effet à la formulation de propositions concrètes. Il importe tout d’abord de connaître le gisement des matières premières recyclables ainsi que son potentiel.

M. le rapporteur. On ne le connaît donc pas ?

Mme Claire de Langeron. Nous travaillons avec l’ADEME à son identification, mais cela ne suffit pas. Sans doute l’étude de ce gisement pourrait-elle relever de l’Observatoire des matières premières que le COMES envisage de mettre en place.

Le tri des déchets valorisables pourrait également être rendu obligatoire. Pourquoi ne pas envisager d’interdire leur mise en décharge ?

Peut-être serait-il aussi possible d’utiliser l’encadrement réglementaire des « politiques produits », dont les directives « produits en fin de vie » pour les véhicules usagés, les batteries, les déchets électriques et électroniques, comme d’autant de leviers de croissance afin d’améliorer la collecte et l’approvisionnement en matières premières, en fixant des objectifs de recyclage ambitieux par matériau et en favorisant le recyclage de proximité ?

Il est également possible de resserrer les liens entre les différents acteurs de la chaîne : étude des flux, mise en commun de services aux entreprises – logistique, gestion des déchets.

Enfin, nous essayons de faire part de notre vision des choses au pôle de compétitivité TEAM2 (technologies de l’environnement appliquées aux matériaux et matières), qui travaille plus particulièrement sur les questions de recyclage.

Afin de lutter contre les pratiques illicites, il conviendrait peut-être de créer une plateforme interministérielle comprenant les services des douanes, de la gendarmerie, des directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) et les professionnels que nous sommes. Nous tenterions ainsi d’identifier ces pratiques, d’orienter les contrôles et de mettre fin à ces activités qui constituent une concurrence déloyale.

Les différents acteurs de la chaîne doivent également échanger sur les bonnes pratiques, accompagner les clients dans l’optimisation du tri et la valorisation des déchets, offrir des garanties de paiement, promouvoir un cercle vertueux, etc.

Mme Catherine Tissot-Colle. Nous parlerons de ces questions dans le cadre de l’un des cinq groupes de travail que nous mettrons en place au sein du CSF. En l’occurrence, nous sommes ravis de l’occasion qui nous est donnée de travailler avec des représentants des secteurs du béton, de l’acier et de l’aluminium. Si nous travaillons bien, nous serons en mesure de formuler des propositions concrètes et communes dans quelques mois.

M. Édouard de Lacoste Lareymondie. S’agissant du cuivre, nous sommes des transformateurs et des fondeurs qui recyclent les déchets. Cela constitue certes une source d’approvisionnement pour nos usines, mais seulement à hauteur de 25 ou 30 % des besoins. Nous achetons donc la matière première telle qu’elle est cotée à la Bourse de Londres ou de Shanghai. Or, les bons déchets, utilisables par les transformateurs, s’achètent la plupart du temps avec une décote de 5 à 10 %. Lorsque la tonne de cuivre vaut 7 000 dollars, cela n’est évidemment pas neutre pour notre comptabilité.

Les problèmes se posent lorsque les importateurs remettent la matière première sur le marché ou lorsque les usines produisent des excédents. Les usines, en France, en Europe ou même à l'étranger, ne disposent pas toujours des capacités suffisantes pour recycler l’essentiel de leurs rebuts techniques de production et mettent sur le marché des volumes importants de « déchets cuivre ». Dès lors, à quel prix le transformateur peut-il racheter les déchets qui lui manquent ? Je ne peux pas vraiment parler de concurrence déloyale, mais il n’en reste pas moins que des pays étrangers, notamment la Chine, ont des bureaux en France et en Europe. Ces usines peuvent mettre parfois sur le marché des lots impressionnants et les vendre aux traders les plus offrants, lesquels, souvent, sont chinois et disposent d’excellentes conditions de paiement et de trésorerie. L’accès au marché des déchets, essentiel pour l’approvisionnement des PMI que nous sommes, est malheureusement très difficile.

Mme Catherine Tissot-Colle. Notre collègue Philippe Darmayan a longuement développé devant vous la question de l’avenir des aciéries électriques et je ne reviendrai pas sur ses propos, que nous partageons, sur les grandes aciéries dites de volume et les aciéries de spécialités. Nous croyons à l’avenir des secondes, comme d’Aubert & Duval, ainsi qu’aux « métaux de niche », mais à condition de savoir très exactement de quoi l’on parle. Les productions de grands volumes s’inscrivent dans un processus de pleine concurrence et sans doute convient-il de se concentrer sur un certain nombre d’installations, toutes ne pouvant perdurer. Quoi qu’il en soit, nous sommes confiants, à la différence de ces hauts fonctionnaires de la Commission européenne qui, voilà quelques années, assuraient que nous représentions une industrie moribonde. Nous nous battons et nous embauchons des trentenaires qui ont envie de se battre.

Comme vous, Monsieur Hutin, on pouvait penser qu’il n’y avait plus aucun gisement, mais, selon les représentants du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), nous avons cessé de prospecter depuis les années 1980. Or la situation doit être actualisée. Je serais certes fort étonnée que le Bassin parisien ressemble à la Nouvelle-Calédonie, mais on peut y trouver de nouveaux métaux ainsi que des « métaux de niche ».

Nous ne représentons pas le secteur du gaz de schiste, mais nous pensons qu’il serait utile d’étudier son potentiel d’exploitation, ce qui ne signifie d’ailleurs pas qu’il faille l’autoriser immédiatement avec la technologie que cela suppose. Tout ce qui, dans le code minier, peut favoriser une telle recherche nous paraît intéressant.

Les crédits publics, dit-on, vont à des recherches très théoriques, et les crédits privés à leurs applications. C’est un mythe. Nous travaillons de plus en plus ensemble, notamment avec le BRGM et l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (IFREMER). Il faut qu’il en soit toujours ainsi avec l’ensemble des acteurs.

Le débat sur le code minier est utile. Les citoyens sont de plus en plus mûrs et nous ne redoutons pas la discussion publique. Faute, d’ailleurs, de les y associer, le syndrome « Not in my back yard » (NIMBY) ou « Peut-être utile, mais ailleurs » (PUMA) ne manquera pas de surgir : « Pas chez moi, pas dans ma commune, pas dans mon département. » Les activités minières et métallurgiques ayant particulièrement intérêt à l’éviter, il importe de nous structurer et de faire en sorte que le code minier instaure un tel dialogue. M. Tuot et les partenaires présents ont d’ailleurs accepté l’idée de la proportionnalité, selon laquelle il n’est pas possible de demander exactement la même chose à un opérateur qui commence une recherche ou qui élabore un projet et à celui qui est très avancé.

Les grands axes du code minier nous paraissent positifs, mais, le diable étant dans les détails, nous attirons votre attention sur la nécessité de ne pas le remettre intégralement en cause et de ne pas le complexifier.

S’agissant des dégâts miniers, la situation a beaucoup changé. Si vous vous rendez en Nouvelle-Calédonie, vous verrez que l’exploitation des mines de nickel est bien différente de ce qu’elle était il y a vingt ou trente ans. L’activité minière tend, aujourd’hui, à éviter « l’après-mine » : l’exploitation va de pair avec la réhabilitation et le contrôle. Le groupe auquel j’appartiens a des projets en Indonésie et au Sénégal et sait fort bien quels peuvent être les impacts sur les milieux naturels et la biodiversité. Il en est de même en Europe où les exploitations minières travaillent avec un grand sens des responsabilités.

Mme Claire de Langeron. Des permis d’exploration ont également été déposés en France, notamment par une « junior » qui cherche du cuivre, du zinc, de l’or, du germanium, particulièrement utile pour les technologies et les énergies vertes. Le potentiel existe afin de répondre à un certain nombre de besoins, les techniques dont nous disposons permettant de récupérer des minerais qu’il n’était pas possible d’exploiter auparavant. À suivre !

M. le président Jean Grellier. Le COMES, le CSF et les pôles de compétitivité travaillent-ils ensemble ?

Mme Catherine Tissot-Colle. Les pôles de compétitivité sont membres du CSF Industries extractives et première transformation et nous nous rencontrerons donc vendredi matin pour la première fois. Nous y intégrerons les travaux du COMES au fur et à mesure.

Ce dernier, originellement, comporte deux aspects spécifiques : la dimension internationale – le groupe de travail international est présidé et animé par le ministère des affaires étrangères – et un travail direct avec les utilisateurs aval – aéronautique, automobile, etc. –, alors que les CSF travaillent beaucoup plus avec des producteurs de même type. Nous nous efforcerons de nous organiser au mieux en préservant ces deux versants.

Mme Claire de Langeron. J’ajoute que des adhérents de la FEDEM sont également membres de pôles de compétitivité.

M. Édouard de Lacoste Lareymondie. Alors qu’une tonne d’acier vaut 500 euros et une tonne d’aluminium 2 000 euros, la tonne de cuivre en vaut 7 000. Les règles internationales nous imposent d’effectuer les paiements sous huit jours. Compte tenu du cycle de transformation et des délais de paiement dont bénéficient nos clients, nous devons donc supporter le coût des approvisionnements pendant environ quatre mois, ce qui entraîne des problèmes de trésorerie considérables, en particulier lorsque les cours de la matière première s’envolent et en période de reprise économique où les réapprovisionnements impliquent de disposer d’énormes fonds de roulement.

M. le président Jean Grellier. Je vous remercie.

Table ronde avec les organisations syndicales : Fédération des travailleurs de la métallurgie (FTM-CGT) ; Fédération générale des mines et de la métallurgie (FGMM-CFDT) ; Syndicat National CFE-CGC Sidérurgie ; Fédération Force Ouvrière de la métallurgie (FO Métaux) ; Fédération nationale CFTC des syndicats de la métallurgie et parties similaires (FM-CFTC)

(Séance du mercredi 29 mai 2013)

− Fédération des travailleurs de la métallurgie (FTM-CGT) : M. Philippe Verbeke, direction fédérale de la CGT (filière transformation métaux, ArcelorMittal), M. Jean-Michel Boqueret, responsable syndical Constellium (filière Aluminium), M. Bertrand Gregor, responsable syndical KME (filière Cuivre), M. Philippe Bonnot, responsable syndical Aperam (filière Inox), et Mme Marie-Claire Cailletau, responsable des questions énergie à la FNME ;

− Fédération générale des mines et de la métallurgie (FGMM-CFDT) : M. Alain Larose, secrétaire national, Mme Christiane Graillot, déléguée centrale Aperam, M. Jean Luc Cure, délégué central ArcelorMittal (R&D à Maizières-lès-Metz), M. Bernard Debièvre, délégué central ArcelorMittal Fos-sur-Mer, M. Patrick Auzanneau, délégué central ArcelorMittal, Mme Christèle Touzelet, déléguée centrale CFDT (Industeel France), M. Djamel Damine, délégué syndical (Industeel Le Creusot), M. Marc Lagarde, représentant CFDT Aperam (Gueugnon) et M. Laurent Dubuis, membre titulaire du comité de groupe européen (Aperam) ;

− Syndicat National CFE-CGC Sidérurgie : M. Xavier Le Coq, secrétaire national en charge de l’Industrie, Fédération de la Métallurgie, Mme Véronique Roche, déléguée syndicale centrale et secrétaire du comité d’entreprise européen de Rio Tinto, M. Pascal Deshayes, secrétaire du CCE ArcelorMittal Atlantique et Lorraine), M. Jean-François Verdier (Constellium) et M. Sylvain Rameau, délégué syndical (Aperam Gueugnon) ;

− Fédération Force Ouvrière de la métallurgie (FO Métaux) : M. Frédéric Souillot, secrétaire fédéral FO Métaux, M. François Zarbo, représentant national ArcelorMittal, M. Walter Broccoli, secrétaire FO Florange, M. Norbert Cima, CCE ArcelorMittal Atlantique et Lorraine, et M. Frédéric Weber, élu FO (Florange) ;

– Fédération nationale CFTC des syndicats de la métallurgie et parties similaires (FM-CFTC) : M. Éric Cruchet, secrétaire général, et Mme Véronique Laffon-Rémond

M. le président Jean Grellier. Mesdames, Messieurs, je vous remercie d’avoir accepté notre invitation. Nous avons choisi d’organiser l’audition des représentants syndicaux des activités métallurgiques et sidérurgiques sous la forme d’une table ronde afin de permettre un échange plus libre.

Vos propositions sont essentielles à notre travail. En complément de vos interventions, vous pouvez nous adresser une contribution écrite qui pourra être annexée à notre rapport.

Nous avons rencontré de nombreux responsables syndicaux lors de nos déplacements en Savoie, à Dunkerque et Fos-sur-Mer et bientôt en Lorraine ainsi que dans des entreprises de sous-traitance. Nous nous intéressons à la situation des sites ArcelorMittal, et Aperam mais aussi d’autres acteurs essentiels des activités sidérurgiques et métallurgiques. Nous ne pouvons pas prétendre à l’exhaustivité mais nous souhaitons rencontrer et écouter le plus grand nombre de représentants des salariés de ces filières stratégiques.

Au sein cette commission, nous ne croyons pas au mythe de la société post-industrielle cher à certains théoriciens d’une économie moderne sans usines. Nous sommes néanmoins conscients que les activités sidérurgiques et métallurgiques ont connu depuis quarante ans d’incessantes restructurations, au gré de variations stratégiques, souvent brutales et parfois inopportunes dictées par l’évolution des marchés, et de fréquents changements d’actionnariat et de direction, l’éloignement des décideurs renforçant l’incertitude. Ces mutations ont été accentuées par la financiarisation des stratégies des entreprises et par le dumping des pays émergents contre lequel l’absence de politique industrielle européenne digne de ce nom ne permet pas de lutter !

L’Europe n’a jusqu’ici pas voulu comprendre qu’une sidérurgie forte et des activités métallurgiques innovantes conditionnent nos emplois et notre indépendance.

Certes, le commissaire européen, M. Antonio Tajani, annonce un plan européen pour l’acier dont les contours devraient être dévoilés dans les prochains jours. Nous l’entendrons, vraisemblablement le 12 juin prochain. Ce plan sera néanmoins vain s’il ne protège par l’industrie européenne au moyen de droits de douane et de normes techniques, environnementales et sociales.

À la suite des exposés liminaires de chaque organisation syndicale, notre rapporteur et les autres membres de la commission d’enquête vous poseront des questions. Au préalable, conformément à l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter le serment de dire la vérité, rien que la vérité et toute la vérité.

L’ensemble des personnes auditionnées prêtent serment.

M. Philippe Verbeke, direction fédérale CGT (filière transformation métaux, ArcelorMittal). Avant d’exposer notre analyse et nos revendications, je souhaiterais, au nom de la CGT, saluer la démarche de cette commission d’enquête parlementaire sur nos filières. La CGT a contribué à la sensibilisation qui a permis sa création, notamment après l’OPA de Mittal sur le groupe Arcelor.

Nous approuvons votre choix de consacrer vos travaux aux trois métaux majeurs que sont l’acier, le cuivre et l’aluminium car ces filières sont toutes trois essentielles pour l’industrie française et européenne.

Elles sont dotées d’atouts communs : leur utilisation dans les secteurs clés de l’industrie – transports, construction, électroménager, énergie, électricité, électronique, emballages, aéronautique, armement, télécommunications ; des processus de fabrication et des produits à haute technologie, nécessitant des compétences élevées à tous les niveaux ; la « recyclabilité », qui en fait un atout majeur pour le développement durable et l’économie circulaire.

Mais ces filières doivent aussi faire face à des défis communs : l’accès aux matières premières, la consommation d’énergie, la maîtrise des rejets dans les processus de fabrication, le maintien et le développement des outils et des compétences, les investissements et l’innovation.

Dans le domaine de l’environnement, des solutions existent, validées par les chercheurs mais victimes d’arbitrages financiers et opérationnels défavorables. Nous pensons évidemment aux projets de retraitement du C02 tels que le projet ULCOS sur le site de Florange ou bien le projet VASCO sur celui de Fos-sur-Mer.

Les trois métaux se trouvent néanmoins en concurrence auprès de certains secteurs utilisateurs, comme les transports, la construction ou l’emballage.

Le maintien des capacités de production est un sujet d’actualité brûlant pour ces filières. C’est le cas pour la sidérurgie depuis près de deux ans avec la gestion emblématique par ArcelorMittal du site de Florange. La commission, de par ses auditions dans les bassins d’emploi du groupe ArcelorMittal, est à même de prendre la mesure de l’incohérence de la politique industrielle et sociale de M. Lakshmi Mittal, ainsi que du processus rampant de délocalisation qui est à l’œuvre, non seulement en France mais aussi en Europe. Nous tenons à réaffirmer notre incompréhension et notre colère face au projet industriel incohérent de la société ArcelorMittal Atlantique et Lorraine, dont l’État s’est rendu complice en acceptant une transaction avec M. Mittal, qui condamne la filière liquide de Florange et une partie du site de Basse-Indre en Loire-Atlantique.

Nous affirmons haut et fort que la nouvelle organisation mise en place est un non- sens industriel et économique, comme l’ont confirmé les faits et un nouveau rapport du cabinet Secafi. Ce projet risque à terme de déstructurer l’ensemble des sites du groupe en France.

Une telle situation est insoutenable alors que les propositions alternatives existent, non seulement à Florange, mais aussi à Gandrange, à Fos-sur-Mer chez Ascometal, dans les aciers inoxydables sur les sites d’Isbergues et de Firminy du groupe Aperam. Je rappelle que le site de Firminy subit des suppressions d’emplois et est menacé de fermeture alors qu’il est leader sur les aciers inoxydables extra-minces.

La sidérurgie est rongée par des exigences de rentabilité démesurées et les appétits financiers, qui condamnent les investissements, la recherche et développement (R&D) et le renouvellement des compétences.

Dès lors, la question de la gouvernance est posée. L’intervention de l’État est nécessaire dans un secteur reconnu par tous comme stratégique pour l’industrie française et européenne et pour les pièces dites de « sécurité » qu’il fournit dans les domaines du transport, de l’énergie, du bâtiment.

Le succès du lobbying patronal auprès du commissaire européen M. Antonio Tajani a permis à ce dernier d’affirmer le 16 mai à Bruxelles, l’existence de surcapacités structurelles dans l’acier européen, encourageant ainsi de nouvelles fermetures. Cette orientation est très inquiétante car elle ouvre la porte aux importations d’acier en Europe, avec toutes les conséquences imaginables pour notre industrie. La CGT réaffirme, comme les experts des cabinets Secafi et Syndex et comme le rapport de M. Pascal Faure, qu’il n’y a pas de surcapacité structurelle de production d’acier en France et en Europe. Les États généraux de l’industrie, organisés par le gouvernement précédent, avaient évalué à 20 millions de tonnes annuelles le besoin de production d’acier en France. La production est actuellement d’environ 16 millions !

D’ailleurs, pour s’en convaincre, il suffit de constater les incohérences dans les flux de métal au sein d’ArcelorMittal Atlantique et Lorraine et sur le bassin méditerranéen, dépendant de plusieurs fournisseurs, ce qui occasionne retards et ruptures d’approvisionnement, au détriment du client. Vous avez pris connaissance de cette désorganisation lors de vos visites à Dunkerque et Fos-sur-Mer.

Concernant la filière cuivre, l’avenir du groupe KME pose question : la fermeture qui menace la fonderie du site de Givet est qualifiée de véritable contresens économique par le cabinet Syndex. Là aussi, c’est la finance qui gouverne, avec des économies à court terme pour financer un LBO de 80 millions d’euros – (leverage buy-out; rachat d’entreprise par le recours à un important endettement bancaire), au détriment de l’emploi mais aussi des investissements et de la R&D.

Comment peut-on laisser faire, alors que cette filière cuivre peut être une référence en termes d’économie circulaire, avec une « recyclabilité » parfaite ? Comment peut-on laisser faire, alors que la filière est porteuse de développements et de débouchés ? C’est ce que démontre la stratégie du groupe allemand Aurubis, dont dépendent déjà en partie les groupes Griset, Wieland et KME, en approvisionnant des demi-produits, à savoir billettes et lingots.

Une fois encore, la question de la gouvernance est posée, le groupe Aurubis bénéficiant de l’influence du Land de Basse-Saxe au sein de son actionnariat.

L’intervention des pouvoirs publics est nécessaire, au plan national comme régional, pour structurer la filière de collecte et de recyclage du cuivre et favoriser une stratégie de long terme sur cette filière, dont les débouchés sont larges, avec des clientèles souvent de proximité. Là aussi, les propositions alternatives des salariés existent.

Dans le secteur de l’aluminium, la CGT salue la prise de conscience du Gouvernement qui vient de lancer une vaste réflexion sur le développement de la filière aluminium en France. Pourtant, les inquiétudes demeurent, comme en témoignent deux exemples.

Le site de Saint-Jean-de-Maurienne n’aurait plus sa place au sein du groupe Rio Tinto Alcan (RTA) au seul prétexte d’une exigence de rentabilité démesurée. Comme Lakshmi. Mittal récemment à l’Assemblée nationale, Rio Tinto exerce un chantage sur le coût de l’énergie.

L’usine serait sur le point d’être cédée mais sans le laboratoire de recherche, véritable fleuron du savoir-faire et de l’excellence technologique française depuis plus d’un siècle. Rappelons que dans la dernière décennie, 80 % des nouvelles usines en Europe et sur le continent américain utilisent la technologie brevetée à Saint-Jean-de-Maurienne. Le maintien de la R&D dans la fabrication de l’aluminium en France est aujourd’hui menacé. La R&D doit absolument rester adossée aux deux derniers sites de production d’aluminium en France, Saint-Jean-de-Maurienne et Dunkerque.

Pour Constellium, nouveau groupe de transformation de l’aluminium en France issu de l’éclatement de Péchiney, la récente augmentation de la part de l’État dans le capital (12,5 %), via le Fonds stratégique d’investissement (FSI), doit permettre l’arrêt des restructurations et ventes d’usines comme celles en cours de Ham et Saint-Florentin ou celles à venir de Sabart et Ussel. Le dépeçage du système productif français entraîne là aussi un affaiblissement du support R&D mondialement reconnu du centre de recherche de Voreppe.

Des décisions rapides s’imposent. Va-t-on laisser la finance déstructurer ces atouts productifs et humains ou intervenir vigoureusement compte tenu une nouvelle fois de l’importance de cette filière dans notre industrie, dans des secteurs comme l’aéronautique, les transports, le bâtiment ou les emballages ?

La CGT propose un nouveau contrat social pour relancer les filières. Nous souhaitons une production répondant davantage aux besoins. Nous subissons une politique de la marge au détriment des volumes. Il faut inverser ce processus. ArcelorMittal et Constellium ont perdu des parts de marché importantes du fait de cette stratégie.

Acier, aluminium et cuivre correspondent à des besoins extrêmement variés. Il n’y a donc pas de surcapacités – prétexte à délocalisations – mais une adéquation aux besoins à développer.

Nous demandons une réorientation des aides publiques. Les groupes de nos filières ont largement bénéficié ces dernières années de la générosité de l’État, au travers du crédit d’impôt recherche, des aides au chômage partiel et à la formation, des exonérations de cotisations, de la suppression de la taxe professionnelle, etc.

La CGT exige que ces aides soient transparentes et que l’État impose des contreparties aux entreprises en termes d’investissements industriels et humains et de politique sociale responsable. La CGT demande aussi le remboursement des aides publiques en cas de destruction d’emplois.

La CGT propose la création d’un pôle financier public reposant sur la mise en réseau d’institutions financières de statut public ou semi public exerçant des missions d’intérêt général. Ce pôle doit être placé sous le contrôle public et social. Ces financements seraient octroyés sur des critères d’emplois et d’efficacité économique et sociale.

La CGT demande également à l’État une réflexion sur les divers mécanismes d’intervention dans la stratégie menée dans ces filières d’intérêt national.

Nous avons ainsi proposé pour Florange, et plus largement pour ArcelorMittal, une prise de participation de l’État, au moins à hauteur d’une minorité de blocage. La possibilité de réquisition d’un site rentable menacé de fermeture doit aussi être examinée afin de peser sur la gouvernance.

Dans la perspective actuelle de reconquête de notre industrie, il est incohérent de laisser le contrôle total de ces secteurs clés à des familles ou des fonds financiers qui exigent une rentabilité à deux chiffres.

À titre d’exemple, selon une simulation pour ArcelorMittal, le contrôle public par une minorité de blocage à hauteur de 35% du capital coûterait au niveau européen 6,7 milliards d’euros à la valeur actuelle du titre. La part de la France serait dans cette hypothèse de 1,47 milliard d’euros.

La prise de participation doit intervenir au niveau européen afin de prendre en compte les interdépendances entre sites, comme c’est le cas dans la filière inox avec les sites français dépendants des aciéries belges.

Alors que la stratégie financière prend le pas sur une véritable politique industrielle, il y a urgence à donner de nouveaux droits aux salariés. Nous pensons à la présence de représentants élus par les salariés aux conseils d’administration et de surveillance, à de nouvelles prérogatives pour les comités d’entreprises, ou encore à la mise en place de comités inter-entreprises afin d’asseoir à la même table donneurs d’ordres et sous-traitants pour travailler sur la stratégie et partager les informations. Enfin, certaines activités sous-traitées qui peuvent être considérées comme faisant partie du cœur de métier pourraient être réintégrées chez le donneur d’ordre.

L’emploi doit être au cœur de notre développement.

Le vieillissement de nos effectifs est très préoccupant. À titre d’exemple, 25 % des salariés de la sidérurgie partiront en retraite d’ici à 2015, ce qui représente plus de 11 000 emplois en France. Nous avons besoin de relancer l’embauche. Une négociation sur la pénibilité doit également s’engager.

La politique salariale est défaillante. La CGT revendique un salaire minimum de 1 700 euros brut. Le relèvement des salaires est incontournable pour renforcer l’attractivité de nos métiers.

Les conditions de travail doivent être améliorées. Nous avons constaté ces dernières années les dérives de la polyvalence à outrance, la flexibilité néfaste pour la santé et la sécurité, les mobilités contraintes, la pression constante aux objectifs sans les moyens appropriés, le travail dans l’urgence faute de stock. Pour la CGT, être compétitif, c’est d’abord pouvoir exercer son travail dans de bonnes conditions, avec les moyens appropriés, afin de proposer un produit réussi du premier coup et dans un délai court pour le client.

Nous réaffirmons notre désaccord complet avec l’Accord national interprofessionnel (ANI) sur la prétendue sécurisation de l’emploi qui ne pourra qu’aggraver les conditions de travail de notre profession et du même coup en réduire l’attractivité.

Enfin, les besoins en formation sont criants de même que les besoins en investissements, en innovation et en R&D. ArcelorMittal est dernier de la classe européenne en la matière

En conclusion, il y a aujourd’hui le discours sur la place de l’industrie et la nécessité de son redressement, et il y a les actes.

Les trois filières sont menacées d’extinction à cause des politiques menées par des opérateurs privés. Nous considérons que l’État a dès lors un devoir d’intervention et d’ingérence dans la stratégie.

Nous considérons que c’est un devoir de légiférer, pour bloquer toute tentative de liquider des installations ou des équipements viables, mais aussi de donner davantage de pouvoir aux salariés.

Nous attendons par conséquent de cette enquête parlementaire, non pas simplement un état des lieux actualisé de nos filières, mais des pistes d’intervention, des propositions de lois permettant de reprendre rapidement le contrôle de ces filières qui sont la base de toute notre industrie.

Rapidement, c’est bien le mot, parce que les témoignages que nous vous avons apportés ici et dans nos régions démontrent le degré d’urgence, sous peine d’atteindre un point de non-retour.

M. Alain Larose, secrétaire national de la Fédération générale des mines et de la métallurgie (FGMM-CFDT). La CFDT-métallurgie salue le travail de la commission d’enquête parlementaire et espère que celui-ci s’articulera avec l’installation du comité stratégique de filière des industries extractives et de premières transformations afin d’aboutir à des actions concrètes visant à soutenir les secteurs des matériaux de base.

La production de matériaux de base notamment l’acier, l’aluminium et le cuivre est une industrie stratégique. Elle est nécessaire pour que la France conserve une base industrielle forte. Ces matériaux sont en effet utilisés pour la réalisation de très nombreux produits, qu’ils soient industriels ou grand public, et concernent la plupart des secteurs industriels. Le ministère du redressement productif, en installant le comité stratégique de filière, a montré qu’il était soucieux du devenir de cette industrie.

En raison de ses incidences sur une large partie de notre industrie, la production de matériaux de base doit faire l’objet d’une une politique industrielle nationale. Plusieurs outils doivent être développés à cet effet. Afin de permettre une analyse stratégique des secteurs de l’acier, de l’aluminium et du cuivre, il nous semble nécessaire d’établir un état des lieux des activités mais aussi des emplois et compétences. En complément, il nous paraît indispensable de recenser les investissements réalisés et les accords de sécurisation de l’emploi négociés afin de suivre les stratégies déployées.

Le comité stratégique de filière pourrait être le lieu d’analyse et de partage de cette politique industrielle.

La France s’est engagée à diviser par quatre ses émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2050. La transition vers une industrie « bas carbone » est donc un enjeu majeur qui mêle efficience énergétique, efficience matière et baisse des émissions de gaz à effet de serre. En outre, dès lors que l’augmentation du coût de l’électricité en France est inéluctable, la question de l’efficience énergétique s’impose pour l’avenir et la compétitivité des industries électro-intensives. L’utilisation des déchets et leur récupération sont à cet égard prometteuses à condition cependant de mieux structurer la filière.

Pour parvenir à une industrie bas carbone et plus compétitive, le maintien d’une R&D forte est essentiel. Les investissements dans la recherche sur des produits à haute valeur ajoutée ou sur des produits de niche et dans la R&D « process » doivent être développés.

La R&D des industries des matériaux de base devrait aussi tirer profit des ressources présentes dans les territoires – pôles de compétitivité, université, laboratoires de recherche – et nouer avec eux des partenariats pour gagner en efficacité.

L’efficience énergétique nécessite aussi de mobiliser des moyens en faveur de la formation. En effet, l’efficience énergétique ne se décrète pas mais suppose un changement du comportement et des habitudes qui ne peut s’opérer que par un accompagnement.

Les industries des matériaux de base souffrent d’une image de vieille industrie et connaissent des difficultés de recrutement, notamment chez les jeunes, malgré de forts besoins en la matière. L’observatoire des métiers de la métallurgie estime ainsi entre 115 000 et 128 000 par an les besoins à l’horizon de 2020. L’amélioration de l’attractivité des métiers de ces secteurs est donc un défi à relever. Le travail de promotion des métiers de la métallurgie réalisé par la branche n’y suffit pas.

La rémunération est un des déterminants de l’attractivité, tout comme la qualité de vie au travail, le déroulement de carrière et les perspectives d’évolution ainsi que la sécurisation des parcours professionnels. Le comité stratégique de filière doit s’intéresser à ces questions.

Les industries des métaux sont confrontées aux défis du renouvellement des compétences et de leur évolution, du fait, d’une part, du départ en retraite d’une quantité importante de salariés dans les prochaines années et, d’autre part, des exigences de la transition vers une industrie bas-carbone. Ce double défi appelle un développement de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Les compétences clés et les compétences transversales, utiles pour la sécurisation des parcours professionnels des salariés, doivent être identifiées. La formation initiale et la formation continue doivent évoluer pour permettre aux salariés de connaître un déroulement de carrière satisfaisant et pour maintenir un bon niveau d’employabilité.

Il est important que les industries des matériaux de base s’appuient sur les travaux du comité stratégique de filière sur ces sujets.

S’agissant de l’acier, les capacités de production en Europe ont été ajustées par des fermetures de sites et l’arrêt temporaire d’installations ou le ralentissement de la production. Il y a lieu aujourd’hui de s’inquiéter pour la pérennité des installations arrêtées ou dont la production a été réduite. Il n’y a pas de surcapacité. Lorsque la consommation d’acier redémarrera, l’Europe ne pourra pas faire face à la demande et deviendra importatrice. Dans ces conditions, de nouvelles restructurations ne peuvent être envisagées sans fragiliser la production européenne et française d’acier. Par ailleurs, l’ajustement des capacités au point bas de la consommation d’acier supprime les marges d’adaptation aux aléas et incidents de production. C’est ainsi que les sites de Dunkerque et de Gand se trouvent aujourd’hui en difficulté pour approvisionner le site de Florange.

La CFDT identifie une série d’enjeux spécifiques à l’acier. En matière de production, ce sont le coût et l’accès aux matières premières, la consommation d’énergie dont la quantité par tonne produite doit être réduite, le développement du haut-fourneau à gaz recyclé, le projet Lis. La CFDT revendique l’installation d’un démonstrateur industriel à Florange. Pour la transformation d’aciers, il s’agit d’accroître la valeur ajoutée des produits et de développer la production d’acier à haute dureté en France.

Dans ces deux domaines, la pérennité en France de la R&D et donc du centre ArcelorMittal de Maizières-lès-Metz doit être garantie. La R&D « process », qui connaît une baisse d’investissement, doit être relancée.

La fonderie d’acier doit faire face à la croissance des réseaux d’eau. Enfin, pour la production et la transformation d’aciers inox se posent plusieurs questions : le prix bas de l’inox et l’anémie du marché européen, la qualification croissante de la main-d’œuvre, la pérennisation en France de la R&D et donc du site d’Isbergues, l’acquisition du site de Terni (qui pourrait avoir des conséquences sur les activités en France).

Plus généralement, les métiers de l’acier sont confrontés à un fort renouvellement générationnel. Or plusieurs années sont nécessaires pour former un professionnel. La gestion prévisionnelle des emplois et des compétences doit être développée et s’inscrire dans le cadre d’un dialogue social loyal et de bon niveau. Les travaux qui vont être réalisés par le comité stratégique de filière devraient favoriser une meilleure prise en charge de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences par les entreprises.

Dans le secteur de l’aluminium, la France doit conserver une position de leader sur le segment de la R&D technologies qui est un atout pour le développement d’une industrie bas carbone. L’investissement dans l’efficience énergétique est la clé de l’avenir pour l’électrolyse ; il permettra de conserver une production de proximité indispensable pour sécuriser l’approvisionnement des sites de transformation. Parallèlement, le réseau de récupération du métal doit être renforcé. Dans cette perspective, le maintien du site de Saint-Jean-de-Maurienne, qui est aussi la seule source d’approvisionnement en Europe de fil d’aluminium de qualité électrique pour les fabricants de câbles, est capital.

Pour la production d’aluminium, les enjeux sont l’efficience énergétique, la consommation d’énergie par tonne produite qui doit être réduite, le maintien en France du site de Saint-Jean-de-Maurienne, et la possibilité de combiner la production d’aluminium primaire et secondaire. Pour la transformation d’aluminium, ce sont le coût de la métallurgie secondaire, l’utilisation de davantage de déchets comme matière première, la pérennisation de la R&D en France et donc du site de Voreppe.

La filière du cuivre, matière robuste et recyclable à l’infini, est l’exemple par excellence de l’économie circulaire, pilier du développement durable. La hausse des cours du cuivre est une contrainte mais aussi une opportunité pour cette filière, les progrès des techniques d’affinage permettant de réaliser un « résultat métal » substantiel dans les fonderies. Il n’y a de surcapacités sur les demi-produits cuivreux en Europe que si l’on considère les capacités théoriques d’un parc de machines en manque d’investissements et si l’on ignore des besoins potentiels importants – installations antimicrobiennes à l’hôpital, mise aux normes HQE des bâtiments publics.

L’industrie de la fonte et de la première transformation du cuivre et du laiton est menacée de disparition. Cela aurait pour conséquences des difficultés d’approvisionnement en aval pour les clients – notamment le secteur du bâtiment dépendant des tubes de cuivre produit par le site de Givet du groupe KME menacé de fermeture ; la mise en péril en amont du secteur du recyclage des métaux, alors que les réserves de déchets cuivreux qui existent peu en Asie sont un atout pour la France et l’Europe contre les délocalisations et face à la spéculation sur ce métal ; la disparition d’opportunités de développement sur des produits innovants en rapport avec les propriétés du cuivre – applications médicales, aéronautique ; la perte de compétences métallurgiques difficiles à transmettre et à reconstituer.

Le groupe KME se désengage aujourd’hui de la France : le site de Givet dans les Ardennes, employant 320 salariés, est menacé de fermeture. Or, l’évolution des besoins des clients – petits lots et délais courts – et les exigences d’une économie bas carbone rendent nécessaire la fonte et la transformation de proximité. Par ailleurs, KME représente 950 emplois sur les 2 500 de la métallurgie du cuivre et de ses alliages en France.

Le maintien en France d’une filière cuivre et laiton passe par le regroupement d’une ou plusieurs sociétés du recyclage et de la métallurgie du cuivre. L’émergence dans la filière d’un acteur ayant la taille nécessaire pour ces activités à forte intensité capitalistique permettrait aussi de structurer le marché du recyclage des métaux ferreux et non ferreux en France. Dans cette perspective, le maintien du site de Givet est incontournable.

En conclusion, l’accord national interprofessionnel de janvier 2013 et sa transcription législative offrent aux représentants des salariés dans les entreprises de nouvelles opportunités pour décrypter les stratégies à l’œuvre. Il s’agit notamment du développement des administrateurs salariés et de la consultation annuelle sur les orientations stratégiques accompagnée d’un droit à l’expertise pour l’examen de celles-ci. Par ailleurs, le plan de formation de l’entreprise devra être le lien avec les orientations stratégiques. Enfin, le partage de l’information entre donneur d’ordre et sous-traitants doit permettre le déploiement de la gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences.

Ces nouveaux moyens, en devenir, auront un effet concret sur les activités industrielles des matériaux de base si une politique industrielle voit le jour. Le comité stratégique de filière doit être le lieu où cette politique s’élabore.

M. Xavier Le Coq, secrétaire national en charge de l’industrie, Fédération de la métallurgie, syndicat national CFE-CGC sidérurgie. Nous avons rédigé un document de synthèse que nous vous transmettrons.

Nous avons identifié, comme nos collègues, des problèmes transversaux auxquels sont confrontées les industries des trois métaux.

En premier lieu, les contraintes environnementales européennes – les quotas de CO2 et la réglementation « REACH ». Si leur bien-fondé ne peut être contesté, il est regrettable que l’Europe n’impose pas leur respect aux importations concurrentes de l’industrie européenne. Je sais que le Commissaire européen, M. Antonio Tajani, en a conscience pour l’acier mais les autres métaux peuvent aussi être concernés. La politique aux frontières européennes doit être réajustée.

En deuxième lieu, le coût de l’énergie va inéluctablement augmenter en France et dans les autres pays. Si le prix du kilowatt est inférieur en France à celui de l’Allemagne, les gros consommateurs allemands paient moins cher que les Français. Chacun sait que l’État et les Länder « subventionnent » le coût de l’énergie afin de favoriser les industries nationales. Si cet avantage permet à nos voisins de prendre des parts de marchés, l’industrie française va s’effondrer.

En troisième lieu, la structure de l’actionnariat est source de difficultés. Il faut en la matière s’intéresser aux petits groupes, nombreux dans la filière du cuivre. Outre KME, d’autres entreprises sont en danger : le groupe Griset a ainsi été cédé pour un euro symbolique à un fonds d’investissement allemand qui n’investit pas : l’usine vit sur le stock de cuivre évalué à 35 millions d’euros dont elle disposait au moment de la vente. Il faut prendre garde à ce que les PME et les entreprises de taille intermédiaire (ETI) ne passent pas sous le contrôle de fonds d’investissement dont la stratégie de retour sur investissement à court terme n’est pas compatible avec le temps long de l’industrie métallurgique. Ascometal, qui appartient au fonds Appolo Global Management, serait également dans une situation difficile car les exigences de rentabilité des investisseurs ne sont pas satisfaites.

L’innovation et la R&D sont indispensables pour que l’industrie française dans son ensemble se positionne sur des produits à forte valeur ajoutée. À cet égard, il faut faciliter l’accès des PME et ETI au crédit d’impôt recherche.

Le recyclage est un domaine d’avenir : la moitié de l’aluminium recyclé en France est fondu hors de nos frontières. La France dispose de gisements de matières premières secondaires. Il faut donc veiller à structurer ces filières.

La métallurgie et la sidérurgie sont confrontées à un papy boom. Il convient d’anticiper les évolutions et de rendre attractive les filières en s’appuyant notamment sur le tutorat et les contrats de génération. Il faut aussi que les formations proposées par l’enseignement supérieur soient adaptées aux besoins de l’industrie. Aujourd’hui, certains postes ne sont pas pourvus faute de candidats qualifiés. Il faut améliorer l’image de l’industrie et tordre le cou aux clichés en montrant nos belles usines.

L’installation du treizième comité stratégique de filière du Conseil national de l’industrie que les organisations syndicales réclament de longue date suscite de fortes attentes de développements concrets. Il y a beaucoup à faire. Des groupes de travail ont été créés sur l’aluminium pour répondre à l’urgence. Dans la période de récession que connaît l’Union européenne, l’industrie de première transformation souffre beaucoup car elle dépend fortement de la relance de l’économie.

L’avenir de la filière du cuivre est préoccupant qu’il s’agisse de la fonderie de Givet dont le groupe KME se désengage ou du groupe Griset. Il faut être attentif aux décisions des fonds d’investissement – dont le seul objectif est la rentabilité à court terme – qui pourraient s’avérer dramatiques pour la filière.

Les fonderies d’acier ou de fonte sont souvent des PME qui travaillent pour le secteur automobile ou aéronautique. Il faut favoriser l’innovation, à laquelle le centre technique des fonderies concourt, par le biais du crédit d’impôt recherche. Or, le Conseil national de l’industrie qui analyse actuellement les aides publiques à l’industrie s’interroge sur le financement des centres techniques des fonderies. Il faut être prudent avec ces outils mutualisés qui permettent aux PME d’accéder à l’innovation. Leur remise en cause fragiliserait ces entreprises.

Mme Véronique Roche, déléguée syndicale centrale et secrétaire du comité d’entreprise européen de Rio Tinto. La France est le berceau de l’aluminium. Le groupe Pechiney a développé tous les brevets qui sont aujourd’hui utilisés dans le monde.

La filière aluminium est divisée en plusieurs métiers dont les problématiques sont distinctes : la chimie minérale pour la bauxite et l’alumine ; l’électrochimie pour l’électrolyse ; la fonderie, le laminage, le filage et la forge pour la transformation ; le métier de négoce, de logistique et de tri pour le recyclage.

L’augmentation croissante des besoins en aluminium en France et en Europe garantit l’avenir de la filière.

La France ne possède plus qu’un seul site d’alumine, celui de Gardanne, qui pose des problèmes au regard de l’environnement.

S’agissant du métal primaire, il reste deux électrolyses en France. La rentabilité de l’électrolyse, qu’exige un grand groupe aux objectifs uniquement financiers n’est pas soutenable en France en raison des coûts énergétiques et de la réglementation européenne « REACH ». Dans les usines de Saint-Jean-de-Maurienne et de Dunkerque, des contrats énergétiques arrivent à échéance. Rio Tinto ne cache pas que sans solution, les sites seront fermés. Le groupe a les moyens d’assumer ses obligations en matière de revitalisation environnementale mais les emplois seront sacrifiés.

Dans la filière aluminium, il faut demander des comptes à ceux qui ont beaucoup reçu : Pechiney, Alcan, Rio Tinto. L’argent qu’ils ont conservé doit être investi. Il doit être investi à Saint-Jean-de-Maurienne, où les conditions de travail ne respectent pas les normes de sécurité.

M. Jean-François Verdier (CFE-CGC-Constellium). Le marché de la transformation de l’aluminium en France repose sur deux laminoirs, l’un en Alsace, l’autre en Auvergne. Il est très orienté vers les besoins des clients que sont Airbus et l’automobile.

Ces métiers de la transformation de l’aluminium s’appuient sur une R&D très importante pour apporter des solutions aux clients. À titre d’exemple, Constellium a développé les habillages « Airware » qui sont très intéressants pour la nouvelle génération d’Airbus.

Il faut maintenir les activités industrielles en aval permettant aux laminoirs de fonctionner de manière pérenne et développer la R&D.

Le métier de la transformation de l’aluminium consiste à apporter une valeur ajoutée à un métal de base grâce aux laminoirs. Une grande part de la rentabilité repose sur des sources de métal à faible coût. L’absence de garantie sur la pérennité des électrolyses fragilise à cet égard le secteur de la transformation. Il faut absolument les maintenir.

En matière de recyclage, la marge est importante. Seulement 43 % des 1,2 million de tonnes d’aluminium utilisées est issu du recyclage. Le reste est transformé à partir de métal neuf, provenant pour moitié de l’électrolyse française et pour moitié de lingots de l’étranger. Les déchets des industries, des consommateurs et des casses automobile et aéronautique constituent une manne importante. La France est en retard dans le recyclage de ces déchets.

Moyennant de faibles capitaux et de la R&D, il est possible de créer des emplois et de pérenniser nos sources d’aluminium et notre industrie de transformation.

M. Xavier Le Coq : La sidérurgie en Europe va mal, ArcelorMittal mais aussi Tata Steel et ThyssenKrupp restructurent. Ce secteur a besoin d’être soutenu.

En France, la stratégie d’ArcelorMittal en matière de R&D n’est pas claire : la direction reconnaît sa nécessité mais dans le même temps diminue le budget du centre de Maizières-lès-Metz. Nous attendons des éclaircissements sur ce point. Sans R&D, nous ne pourrons plus nous distinguer de nos concurrents hors d’Europe.

M. Sylvain Rameau, délégué syndical (Aperam Gueugnon). La situation de l’inox en Europe a rapidement évolué : les importations asiatiques représentent aujourd’hui 25 % du marché européen grâce au delta sur la matière première, en particulier le nickel, qu’elles proposent. Les Chinois ont ainsi développé un nouveau procédé d’élaboration très polluant qui permet d’abaisser les coûts de production ; le delta est de 200 euros par tonne, soit 10 % du prix de vente final. C’est énorme.

Aperam est candidat au rachat de l’usine de Terni cédée par Outokumpu. Deux scénarios sont possibles : si Aperam n’achète pas, cela pèsera sur son avenir ; si Aperam achète, cela ne sera pas sans conséquence sur les sites belge et français du groupe puisque l’organisation et la synergie entre les différents sites devront être repensées.

M. Frédéric Souillot, secrétaire fédéral FO Métaux. Si nous sommes satisfaits de la création de votre commission d’enquête, nous regrettons les raisons qui vous y ont incités. Je veux parler de l’accord que le Gouvernement a signé avec ArcelorMittal que nous dénonçons et combattons toujours. Cet accord est sans intérêt et voué à l’échec sur le plan industriel ou économique, les experts l’ont confirmé. Nous fondons de grands espoirs sur votre commission d’enquête pour éviter d’aller droit dans le mur.

La France disposait dans les secteurs de l’acier et de l’aluminium de champions qu’elle a laissé partir. Ces entreprises ont été pillées grâce aux subsides de l’État par le fonds Apollo, Rio Tinto ou ArcelorMittal

Vous avez raison, la sidérurgie n’est pas une vieille industrie mais une industrie qui a une histoire. Nous le répétons depuis des années, cette industrie de l’amont est stratégique. Si elle n’est pas sauvegardée, c’est l’indépendance industrielle de la France qui est en jeu.

Nous saluons la création du comité stratégique de filière que nous avons réclamé mais nous aurions préféré que les industries extractives n’en fassent pas partie car nous craignons de voir les problématiques de nos filières diluées dans l’ensemble.

Nous vous remettrons un livre blanc intitulé « Pour la défense de l’industrie et comment réindustrialiser la France » qui résume les revendications de FO.

FO ne croit pas que l’Accord national interprofessionnel (ANI) de janvier dernier permettra de créer des emplois ou de sauver ceux qui sont en danger. C’est la raison pour laquelle nous n’en sommes pas signataires.

M. Walter Broccoli, secrétaire FO Florange. Je suis heureux de vous faire partager les sentiments de salariés encore engagés dans la lutte et les négociations sociales.

Un constat : c’est fini ! Les hauts fourneaux de Florange sont définitivement hors service ; ils ne redémarreront pas. Le projet Lis et l’implantation d’un démonstrateur évoquée par certains ne créera pas d’emploi et, en tout état de cause, ne concernera pas l’acier.

Je vous livre le point de vue d’un simple syndicaliste sur la situation de la sidérurgie. ArcelorMittal ce sont trois usines sidérurgiques françaises, deux depuis que Florange est devenue une usine métallurgique.

Le plan industriel de M. Mittal détruit l’usine de Basse-Indre et menace ses emplois ainsi que ce qui reste de l’usine de Florange. Les incohérences sont nombreuses et mettent en péril les usines. L’exemple du transfert des bobines d’acier jusqu’à Basse-Indre est édifiant. Le plan impose de déplacer 1 800 tonnes de bobines par jour au mépris des problèmes de transport et de qualité alors même que cette quantité correspond au minimum vital pour le fonctionnement de l’usine de Basse-Indre.

Le patron du site de Florange, M. Pierre-Henri Orsoni, qui est directeur général d’ArcelorMittal Atlantique et Lorraine nous a expliqué que si le plan ne pouvait pas être appliqué, il ferait machine arrière en juillet 2015 : une incohérence de plus, mais je pourrais vous en citer beaucoup.

Contrairement aux apparences, l’usine de Fos-sur-Mer est aussi en danger parce qu’elle est mise en concurrence avec des usines espagnoles où les coûts sont inférieurs de 10 %. La délocalisation de la production est en cours. L’usine de Fos-sur-Mer ne peut pas être bénéficiaire si elle ne produit pas quatre millions de tonnes par an. Or, elle n’y parvient pas aujourd’hui.

La situation ne dépend que d’une seule personne, M. Mittal, qui met le bazar et tout le monde le laisse faire ! Il vient à l’Assemblée nationale donner un cours d’économie dans lequel il vante le coût du travail en Chine à trois euros de l’heure. C’est inacceptable ! Le Gouvernement avait la possibilité d’intervenir, il ne l’a pas fait. Tant pis ! Nous avons tourné la page. Mais aujourd’hui, il faut penser aux autres usines sidérurgiques françaises qui sont en péril. Il faut agir sinon nous le regretterons demain.

La seule solution pour sauvegarder un semblant d’industrie française consiste à fermer les frontières européennes. Chacun en convient. Quelle que soit la stratégie retenue, sans protection douanière permettant de freiner les importations – chinoises, russes et coréennes –, l’industrie est condamnée. Pour la première fois l’année dernière, grâce à M. Mittal, la France a importé de l’acier de Russie. Personne ne s’en émeut mais ce n’est qu’un début !

La fameuse « loi Hollande » ou « loi Florange » protégeant les sites rentables doit être votée. Florange a toujours été rentable mais une usine qui ne fonctionne pas ne peut pas faire de bénéfices ! Il faut poursuivre les discussions avec les organisations syndicales sur ce texte car certains points ne sont pas satisfaisants.

La R&D est très importante. Le financement du centre de recherche d’ArcelorMittal a été divisé par deux. Quinze millions ont été octroyés à ArcelorMittal au titre du projet Lis qui ne sera pas créateur d’emplois pour la sidérurgie : il s’agit encore d’un cadeau pour M. Mittal. Je comprends qu’il faille aider la recherche fondamentale mais je ne crois pas au projet Lis. Le projet Ulcos était viable, nous y travaillions depuis des années et pourtant il a été retiré du jour au lendemain.

En matière d’emploi, en réponse au papy boom, il faut embaucher et inciter les jeunes à venir travailler dans ce secteur. Certains le souhaitent déjà mais ne peuvent pas y entrer. Ce problème mérite d’être étudié.

M. Frédéric Weber, élu FO Florange. Le comité stratégique de filière ou votre commission d’enquête sont des outils indispensables pour essayer de trouver des solutions. Malheureusement, le temps des entreprises n’est pas celui de l’analyse et des groupes de travail. Un groupe de travail peut ainsi perdre sa raison d’être entre le moment de sa création et celui de ses conclusions. Les entreprises n’ont pas de stratégie à long terme. Les décisions de fermeture d’usines peuvent intervenir très rapidement.

Il faut contraindre les entreprises bénéficiaires des aides publiques à présenter des plans d’affaires, ou à tout le moins, à discuter au sein de l’entreprise de l’avenir des sites afin de donner une visibilité.

Il ne faut pas se laisser gagner par l’aboulie : des actions fortes doivent ressortir du travail d’analyse.

La Banque publique d’investissement, la BPI,, dont on a dit que la vocation ne sera pas de soutenir les grands groupes, doit être attentive aux sous-traitants qui représentent un tiers des personnes travaillant sur des sites industriels majeurs. Il ne faut pas exclure ces entreprises par principe au motif qu’elles sont déjà dans le giron des grands groupes.

L’image des métiers de l’industrie s’est malheureusement dégradée. Nous prenons notre part de responsabilité car les conflits sociaux ne sont pas de nature à encourager les jeunes mais ces conflits ne sont pas de notre fait. Le rectorat et les collectivités territoriales doivent travailler dans chaque territoire pour développer l’attractivité et la connaissance des filières mais aussi mettre en place des formations innovantes.

Il n’y a pas d’avenir sans R&D. En la matière, la confiance n’exclut pas le contrôle. Ulcos a longtemps fait figure de chant des sirènes puis il a été remplacé par Ulcos 2 et maintenant Lis. Je comprends le volontarisme de certains élus qui cherchent à se rattacher à la branche. L’État est partenaire de ce dernier projet qui relève de la recherche fondamentale et non de la R&D. Il serait dommage que la France finance le projet de recherche aujourd’hui et que ses éventuelles applications industrielles soient demain réalisées hors de nos frontières. L’accord conclu entre l’État et ArcelorMittal devrait contenir une clause exigeant que le développement de ces dernières se déroule sur le territoire national.

Dans le domaine de l’environnement, les Allemands investissent beaucoup en R&D, notamment dans la méthanisation, procédé qui permet en additionnant de l’eau et du CO2 de produire du méthane. La France n’est pas en pointe dans cette matière alors que la production de méthane par ce biais permettrait de fournir 15 % du réseau de gaz. Ce projet n’est pas viable immédiatement mais il pourrait l’être dans cinq à dix ans. Encore une fois, les Allemands y consacrent des moyens conséquents sans exigence de rentabilité à court terme. Ce sont des projets à la fois respectueux de l’environnement et susceptibles de maintenir des outils de production et d’apporter des brevets qui pourraient s’avérer rentables.

M. Norbert Cima, CCE ArcelorMittal Atlantique et Lorraine. Je ne vous rappellerai pas que l’Europe s’est construite sur le charbon et l’acier. Nous espérons une politique industrielle européenne pour faire face à la concurrence sauvage que nous subissons de Chine et d’Indonésie. La commission d’enquête doit être une force de proposition, guider le Gouvernement et imposer une véritable politique industrielle française afin de faire oublier les volte-face qui n’ont apporté que confusion et désarroi.

M. Éric Cruchet, secrétaire général de la Fédération nationale CFTC des syndicats de la métallurgie et parties similaires (FM-CFTC). Il est difficile d’intervenir en dernier. La CFTC se réjouit de la création de cette commission d’enquête et souhaite vivement qu’elle donne lieu à des actes forts et non à un énième rapport finissant dans un tiroir.

L’industrie sidérurgique s’apparente au cadavre qui bouge encore. Le leadership français a disparu laissant la place à la mainmise de fonds de pension recherchant avant tout une forte rentabilité. Outre l’absence de véritables capitaines d’industrie porteurs d’une vision à long terme, on constate un désengagement flagrant dans la R&D ainsi qu’un manque de confiance et d’espoir de la part des salariés, qui entraînent une perte de compétence et de savoir-faire.

L’industrie souffre aussi d’un important déficit d’image. Il sera difficile de convaincre les salariés de s’engager dans cette voie s’ils n’ont pas l’assurance de trouver un emploi pérenne.

Plusieurs freins ont été évoqués : le coût de l’énergie dans le cas de l’aluminium, l’environnement qui est certes une force de l’Europe mais qui impose des contraintes aux seuls Européens et pas à nos concurrents.

Il existe de nombreuses petites fonderies très spécialisées, indépendantes mais qui ne savent pas travailler ensemble pour répondre aux besoins des donneurs d’ordre. Elles vivotent sur des niches. Le problème de la reprise de ces petites entreprises va se poser dans les prochaines années si l’on veut éviter qu’elles ne tombent entre les mains de fonds de pension étrangers.

Une enquête évalue les besoins en recrutement à 120 000 personnes par an dans la métallurgie. Parallèlement, le nombre de salariés va diminuer de 1,5 à 1,3 million. Le paradoxe de la métallurgie tient donc à ce qu’on détruit des emplois alors qu’on a besoin de recruter. Nous sommes inquiets pour l’avenir de la métallurgie. A-t-on le droit de mentir aux salariés ou de proposer des perspectives d’avenir ? Nous croyons que notre responsabilité est de proposer des perspectives mais pour quel avenir ?

Nous proposons la création d’une véritable filière de branche de l’industrie avec des droits et des devoirs. Il y a encore trop de frontières étanches entre les filières. Nous souhaitons la mise en place de passerelles permettant de garantir des emplois, une mutualisation des formations et un renforcement de l’apprentissage dès quinze ans. Enfin, nous souhaitons qu’une véritable filière de recyclage puisse voir le jour.

M. Alain Bocquet, rapporteur. Je vous remercie pour vos contributions très argumentées qui font part d’un diagnostic sérieux et de propositions intéressantes pour nos travaux.

Quels arguments pourrions-nous avancer sur la nécessité de lutter contre les importations de pays à bas coût en réponse à ceux qui considèrent ce problème comme marginal ? Avez-vous des exemples concrets qui pourraient nous être utiles en la matière ?

Où en sont les négociations sociales dans vos branches et vos entreprises en matière d’emploi, de rémunération et de formation ?

Le sujet de la formation et de l’attractivité de l’industrie a été régulièrement soulevé dans nos auditions. Il est vrai que nous devons réparer trente années de stratégie post-industrielle au cours desquelles une culture hostile à l’industrie s’est installée. Comment convaincre concrètement les jeunes de l’attractivité de l’industrie ?

La stratégie patronale, surtout dans le cas d’ArcelorMittal, de mise en concurrence des sites industriels a-t-elle eu raison de la solidarité syndicale ?

Quels sont les savoir-faire qui menacent d’être abandonnés dans la métallurgie comme dans la sidérurgie ?

Enfin, quel est l’état de la recherche et développement ?

M. Philippe Baumel. Au plan européen, les organisations syndicales sont-elles porteuses d’une vision partagée de ce que pourrait être une politique européenne alors que celle-ci fait aujourd’hui défaut ou au mieux se résume à une politique de la porte ouverte aux productions à bas coûts sociaux – c’est un euphémisme ?

S’agissant des jeunes, les efforts en faveur de la formation aux métiers industriels ne sont pas toujours récompensés : j’ai l’exemple dans ma circonscription d’un BTS sur la déconstruction des premières générations de centrales nucléaires que, trois ans après sa création, le rectorat a décidé de fermer faute de jeunes intéressés.

Quels outils de formation doivent selon vous être privilégiés et à destination de quel public pour renforcer l’attractivité de l’industrie?

M. Michel Liebgott. À l'opposé du discours patronal, vous considérez unanimement qu’il n’y a pas de problème de surcapacité et que l’on peut retrouver un niveau de production. La question des surcapacités se pose aussi en Chine où elles sont estimées à 200 millions. Est-il pertinent pour l’Union européenne d’interdire l’importation de produits, comme le font les États-Unis et la Chine, alors que la question posée est celle de la répartition de la production d’acier dans le monde ?

La coordination syndicale au niveau européen n’est-elle pas en retard par rapport à la stratégie des entreprises ? Quelles questions devons-nous poser au commissaire européen sur la politique que doit mener l’Europe demain pour protéger les sites industriels qui vous semblent menacés ?

Au-delà de la sidérurgie dite des commodités, quels sont les outils à développer en matière de recherche et développement pour assurer la pérennité de la sidérurgie européenne ? On évoque une sidérurgie de niche. Les outils industriels sont-ils, selon vous, performants et en état ou nécessitent-ils des investissements importants ?

M. Gaby Charroux. Je vous remercie pour vos propositions. Je me réjouis de vous entendre parler, malgré vos inquiétudes, de développement industriel et d’avenir quand les dirigeants d’entreprises nous parlent de finance internationale. Comme dans la chimie et la pétrochimie que l’on connait bien dans ma circonscription, la stratégie à l’œuvre tient compte de la finance et peu de la production industrielle.

Je m’interroge sur trois points : quels peuvent être la stratégie industrielle, la place de la France et l’implication de l’État ?

L’intitulé de la commission d’enquête vous confirme notre ambition de faire des propositions qui pourront s’inspirer de vos remarques. Je partage les préoccupations exprimées sur la formation et l’image de l’industrie dans notre pays. Mais je suis persuadé que dans certaines circonscriptions où la culture de la production industrielle demeure vivace, il n’est pas trop tard pour convaincre les enfants des vertus de l’industrie et trouver ainsi les forces et les compétences pour faire vivre demain ces beaux métiers.

Mme Martine Carrillon-Couvreur. Quel est l’état de votre réflexion sur la stratégie industrielle ? Quelles sont vos propositions s’agissant, d’une part, de la formation aux différentes filières de branche et, d’autre part, des différentes étapes de la formation ? Comment conforter la solidarité syndicale et faire en sorte que vous soyez en mesure de porter un message d’avenir au niveau européen ? Il est en effet nécessaire de rassembler nos forces pour nous mobiliser. Enfin, compte tenu des contraintes auxquelles ce secteur est confronté, avez-vous également des propositions à nous faire quant au nécessaire réajustement de nos importations ?

M. Christian Hutin. L’État et la Nation ne sont plus maîtres chez eux : voilà sans doute ce que constatent les députés ayant activement participé à cette commission d’enquête, comme le confirment d’ailleurs vos propos. Or, si nous ne disposons plus des moyens d’influer sur la prise de décision, peut-être cette commission d’enquête permettra-t-elle de rééquilibrer le balancier, qui se trouve actuellement en faveur d’une impuissance de l’État et du Parlement.

Ainsi que je l’ai rappelé la semaine dernière, un ancien Secrétaire d’État américain au commerce extérieur expliquait un jour à M. Montebourg que lorsque les États-Unis souhaitent adopter des mesures protectionnistes à l’encontre des Chinois, ils appliquent un taux de 250 % à leurs importations de panneaux photovoltaïques. Et lorsque, au bout de dix jours, apparaissent les premières mesures de rétorsion, l’application de ce taux de 250 % leur permet de négocier. Les Européens, eux, n’appliquent qu’un taux de 5 % – dans l’indifférence totale des Chinois. Cette semaine encore, M. François Hollande a demandé à la Commission européenne de surtaxer leurs panneaux photovoltaïque – ce qu’a refusé l’Allemagne, qui souhaite conserver de bonnes relations avec la Chine.

Quels rapports entretenez-vous avec les confédérations syndicales des pays européens voisins ? Partagez-vous des combats et des volontés ? Pourriez-vous nous indiquer les lieux où sont réalisés des investissements, ceux où il n’y en a pas ou plus et ceux où ce ne sont que des faux ? Disposez-vous d’informations quant à la structure de la pyramide des âges dans ce secteur ? On annonce par exemple un certain nombre de recrutements à Dunkerque mais ils sont loin de compenser l’ensemble des places dont on nous parle régulièrement.

Mme Michèle Bonneton. Comment percevez-vous l’état de votre outil de travail ? En dehors de la R&D, quels investissements primordiaux conviendrait-il de développer en faveur de cet outil – aussi bien pour les productions en volume que pour les productions de niche ?

Mme Édith Gueugneau. La stratégie des grands groupes suscite une grande inquiétude dans notre pays : dans quelle mesure vos syndicats se coordonnent-ils aux niveaux national et européen pour y faire face ?

Alors que plusieurs représentants de l’usine d’Aperam à Gueugnon sont confrontés à un plan de revitalisation, les visées de ce groupe sur un site situé en Italie risquent de déstructurer nos entreprises françaises. De quels moyens d’action disposez-vous et qu’attendez-vous de l’État ?

On observe dans nos territoires ruraux une certaine fidélité au travail, la transmission d’un savoir-faire de génération en génération et la véritable volonté d’y demeurer. Et si nous mentionnons les métiers, la formation et l’orientation dès le collège dans la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école votée aujourd’hui, c’est qu’il importe que l’entreprise se rapproche au maximum des jeunes. Ses salariés, en particulier, constituent les meilleurs ambassadeurs de ces beaux métiers qu’il convient de valoriser, surtout s’il s’avère que 300 000 emplois ne sont pas pourvus dans le secteur.

Mme Véronique Roche, déléguée syndicale centrale CFE-CGC et secrétaire du comité d’entreprise européen de Rio Tinto. Nous ne pourrons rendre les métiers de l’industrie plus attractifs qu’en en valorisant les différents matériaux sur les plans environnemental et sanitaire ainsi que dans le périmètre géographique le plus large possible sur notre territoire : que les Français aient notamment peur de l’aluminium aujourd’hui ne risque pas d’attirer les jeunes de demain vers nos filières.

Et si l’on souhaite redonner confiance aux jeunes, souvenons-nous que bien qu’ils restent attachés à leur territoire, mais qu’ils n’ont sans doute pas envie de revivre ce qu’ont vécu leurs parents et leurs grands-parents. Si les jeunes qui suivent un BTS dans une grande ville, comme par exemple à Orléans, ne bénéficient pas des aides nécessaires pour se loger et se déplacer, ils n’auront pas les moyens de faire un stage dans une usine à Saint-Jean-de-Maurienne. Il conviendrait donc sans doute de rapprocher les centres de formation de nos centres de production. Il revient au collectif gérant l’entreprise de définir les besoins en emplois avec l’Éducation nationale et à cette dernière de se servir des ressources de l’entreprise pour définir ces besoins sur les territoires, à proximité des lieux de production.

En matière de dialogue social, il existe des coordinations aux niveaux national, européen et mondial. Ainsi ai-je participé l’an dernier au rassemblement mondial qui s’est déroulé à Alma à la suite du lock-out de Rio Tinto. Et je me rendrai dans une quinzaine de jours en Afrique du Sud pour un nouveau rassemblement. Notez que les problèmes diffèrent d’un pays à l’autre selon le système de dialogue social en place et les lois qui le réglementent. Ainsi, dans certains pays d’Europe de l’Est, les grands groupes, parce qu’ils considèrent ce dialogue comme un frein à leur développement, font pression sur leurs salariés pour les empêcher de se rassembler ou de s’exprimer. Et en France, bien que le droit du travail encadre la pratique syndicale, les grands groupes ne comprennent pas que ce dialogue social apporte une certaine valeur ajoutée dans la mesure où nous jouissons en tant que travailleurs d’une bonne connaissance du travail à faire mais pas des enjeux financiers qui le sous-tendent. C’est pourquoi ces grands groupes ne nous associent pas suffisamment à leur action et nous ôtent les moyens de nous réunir. Ainsi les organisations syndicales ne peuvent-elles se réunir qu’une fois dans l’année dans certains grands groupes du secteur de la transformation. Chez Rio Tinto, en revanche, les sujets à traiter sont tellement transversaux que nous parvenons à nous rencontrer tous les mois.

Au niveau de la branche, dès lors que les employeurs axent exclusivement le dialogue social sur des questions de nécessités économiques – qui diffèrent d’ailleurs entre les très petites entreprises (TPE), l’artisanat et l’industrie –, celui-ci ne peut porter sur le contrat de génération ni la pénibilité. Or, les jeunes s’étant rendu compte de la manière dont leur famille a été saccagée, comment voulez-vous qu’ils reviennent travailler dans la production d’aluminium et de la chimie à moins que nous ne le reconnaissions ?

Quant à l’état de notre outil de travail, nous subissons à Dunkerque une forte pression à la baisse de nos coûts de production. Tout étant bon pour y parvenir, nous achetons donc désormais notre matière première en Chine. Or les Chinois ne payent pas de taxe carbone lorsqu’ils exportent ces matériaux jusqu’à Dunkerque. Et cette matière première est de si piètre qualité que la production est elle-même mauvaise, à tel point que nous la renvoyons en Chine pour en faire de la ferraille – mais pas de l’aluminium ! Voilà un bon exemple de compétitivité.

M. Philippe Bonnot, responsable syndical CGT Aperam (filière Inox). Bien que la situation d’Aperam à Gueugnon ne soit qu’un exemple régional, sans doute peut-on le transposer assez largement à toutes les entreprises ici représentées aujourd’hui dans le secteur de la sidérurgie. La CGT d’Aperam entretient bien entendu des contacts avec des collègues syndicaux européens. Nous disposons de moyens administratifs par l’intermédiaire des comités centraux et des comités d’entreprise européens. Malheureusement, lorsque nous formulons des propositions d’évolution, les élus du personnel – que ce soit au niveau des comités d’entreprise, des comités centraux d’entreprise ou des comités européens – n’ont qu’un pouvoir d’information. Vous, mesdames et messieurs les députés, qui avez été élus par le peuple français, avez la possibilité de légiférer. Nous, les élus du personnel, avons certes le droit de donner notre avis mais il n’a de valeur que consultative. Il convient donc de nous conférer les moyens d’intervenir au cœur des entreprises et des groupes.

Faire changer les lignes, cela ne consiste pas uniquement à fermer les frontières européennes ou à instaurer des taxes mais à changer le système. Car en fermant ces frontières, il est possible que nous devenions plus compétitifs sur un point particulier. Mais si nous laissons les seules responsabilités des entreprises stratégiques à des capitalistes tels que Lakshmi Mittal, nous ne ferons que freiner les choses. Il est donc nécessaire de permettre à l’État et aux organisations syndicales de prendre part aux grandes décisions.

Quant à l’éventuel rachat du site de Terni par Aperam, j’ai lu dans la presse que la décision n’était pas encore arrêtée. À la CGT, nous sommes donc en train de prendre contact avec nos camarades italiens et essayons de ne pas nous mettre en concurrence avec les 2 800 salariés de Terni. Il est tout à fait bénéfique que nous cherchions à instaurer une coopération afin que la décision finale n’ait pas d’impact social sur les travailleurs de Terni ni d’Aperam. Gueugnon et Terni ne sont pas des sites en concurrence. C’est pourquoi nous nous efforçons, en lien avec les syndicats et personnels, de remettre en cause le rapport de force – seul réel moyen d’intervenir dont nous disposions –, de faire prendre conscience de la nécessité pour nous de coopérer, et de relayer nos positions par le biais de cette commission d’enquête, afin qu’elles soient prises en compte au niveau législatif.

S’agissant du fonctionnement interne de ces groupes, des personnes telles que Lakshmi Mittal y trichent tous les jours en pratiquant la fraude aux accidents du travail : les personnes qui se blessent subissent en effet fréquemment des pressions afin d’éviter que des accidents du travail ne soient déclarés. Or les entreprises qui fraudent bénéficient par ailleurs de subventions.

Enfin, en ce qui concerne l’embauche, il est évident que nous devrions rendre nos métiers plus attractifs. Une telle attractivité ne sera cependant effective que si l’on cesse de détruire des emplois à longueur d’année : pour le seul site de Gueugnon, nous étions encore plus de 1 200 salariés il y a cinq ou six ans ; or, nous ne sommes plus que 800. Même si une convention de revitalisation a été conclue dans le secteur à la suite d’un plan social, pour trouver des personnes à embaucher, il ne suffit pas de proposer des formations ; encore faut-il aussi que les gens sachent qu’ils pourront peut-être trouver un travail. Or, ils n’en ont absolument pas la garantie.

M. Frédéric Souillot (FO Métaux). Il est évident que l’employeur est fortement tenté de nous mettre en concurrence les uns contre les autres : ainsi, en plein milieu du conflit entre Florange et Dunkerque, la direction de Dunkerque indiquait que la fermeture du site de Florange renforcerait l’activité à l’usine de Dunkerque. Et demain, on en fera autant avec Fos, l’Espagne ou l’Algérie – un client de Dunkerque qui sera en partie nationalisé. Or, comme les Algériens feront vœu de préférence nationale pour l’acier, ils le produiront chez eux plutôt que de l’importer de Fos.

Quant à la stratégie industrielle, en l’absence de participation de l’État ou de contrôle de celui-ci sur les aides accordées aux groupes, leur financiarisation se poursuivra. Car la seule chose qui intéresse les industriels est de réaliser des profits à court terme, et rien d’autre. La Banque publique d’investissement doit également soutenir les investissements industriels de long terme et ne peut agir comme une banque normale en ne soutenant que des investissements à court terme, à horizon de trois à cinq ans : une telle durée vaut pour des petites et moyennes entreprises mais dans l’industrie, elle ne permet ni d’emprunter ni d’obtenir des soutiens.

En ce qui concerne la formation, il est vrai que nos métiers ne sont pas attractifs. Mais cela ne date pas d’aujourd’hui : il y a trente ans déjà, nous avons décidé de passer à une ère postindustrielle axée sur les services. Nous avons alors tous voulu que nos enfants deviennent banquiers – ceux-là mêmes qui nous écrivent le lendemain pour nous signaler un découvert. Nous pensons pour notre part que pour renforcer cette attractivité, il conviendrait d’imposer aux grandes entreprises le recrutement obligatoire d’un pourcentage d’emplois en alternance mais aussi de soutenir toutes les petites entreprises sous-traitantes et co-traitantes – dans la mesure où un emploi industriel génère quatre autres emplois chez les sous-traitants, parfois sur le même site. L’Education nationale doit donc essayer d’orienter les élèves dès treize ou quatorze ans vers les métiers de l’industrie, par le biais des centres de formation d’apprentis (CFA) et centres de formation d’apprentis de l’industrie (CFAI). Il est vrai que les jeunes sont souvent attachés à l’entreprise dans laquelle ont travaillé leurs parents, sauf si elle les a mis dans la misère. Originaire moi-même de Bourgogne, je travaillais en 1992 chez Thomson, à l’époque où l’on a voulu donner cette entreprise pour un franc symbolique aux Coréens. Il y reste aujourd’hui 160 emplois contre 7 000 à l’époque. Lorsque les enfants de mes collègues ont terminé l’école, ils n’ont surtout pas voulu retourner à l’industrie dans la mesure où leurs parents y avaient été licenciés, avaient dû revendre leur maison, où jamais leur mère n’a retrouvé de travail et où leur père n’y est difficilement parvenu qu’en intérim.

S’agissant de la coordination européenne, nous sommes au moins trois personnes ici à siéger au Conseil du dialogue social du Comité Acier tenu par Antonio Tajani. Nous sommes d’accord pour réintroduire un certain protectionnisme dans le secteur industriel. Nos collègues allemands d’IG Metall se font quelque peu tirer les oreilles mais y vont bon an mal an. Mais le Commissaire européen au commerce s’y oppose. La dernière fois que nous avons rencontré Antonio Tajani, il fut plutôt question avec le plan Acier de soutenir l’aval – par exemple l’automobile – pour faire survivre l’amont : or, plusieurs d’entre nous ne sont pas d’accord avec ce point de vue. La mesure adéquate consisterait à fixer à 20 ou 25 % la part de l’industrie dans le PIB européen. Nous sommes donc tous à peu près d’accord sur l’idée du protectionnisme, à l’exception des Allemands.

Mme Christèle Touzelet, déléguée centrale CFDT (Industeel France). Nous avons été conviés à cette audition afin de faire état de la situation économique, industrielle et sociale d’Industeel France, société tout à fait représentative des inquiétudes liées à l’emploi et à la pérennité des sites. Faisant partie du groupe ArcelorMittal, nous sommes rattachés à sa branche « Flat carbone » : Industeel est spécialisée dans la production d’aciers spéciaux dans une gamme de produits plats de 16 à 100 tonnes et de produits lingots de 5 à 250 tonnes l’unité. Industeel ne fabrique pas de gros volumes en tonnage mais des produits haut de gamme, complexes et à forte valeur ajoutée – une activité qui nous a placés au rang de leader mondial jusqu’en 2009. Industeel regroupe les sites du Creusot, de Châteauneuf et de Saint-Chamond. La spécificité du site du Creusot réside dans le fait que nous y travaillons en partenariat avec Areva qui a investi dans notre aciérie pour la fourniture de gros lingots de 250 tonnes nécessaires à la fabrication d’EPR. Quant à nos effectifs, Industeel France compte, à ce jour, 1 175 salariés dont 820 au Creusot et 300 à 350 sur la Loire.

En 2007-2008, Industeel France a réalisé de très bons résultats car elle n’a subi que très peu de concurrence. En 2009, face à la crise, les producteurs de volume sont entrés sur nos marchés de niche qu’ils avaient négligés pendant les années de croissance. Au cours de cette période de crise, nos concurrents ont privilégié l’investissement pour se placer sur nos marchés alors qu’Industeel France a seulement investi dans l’augmentation de volume à Châteauneuf en 2010. Notre centre de recherche traite principalement des problèmes de qualité et de process de fabrication, au détriment de la recherche et du développement de produits nouveaux.

Contrairement à nos concurrents, entre 2009 et 2012, Industeel France fut la seule entreprise à verser à son actionnaire Mittal des dividendes supérieurs à ses investissements, malgré la baisse d’activité enregistrée. À cette même période, le site du Creusot a subi un plan de départ volontaire décliné par ArcelorMittal ayant entraîné le départ de 115 salariés et ce, sans transfert des compétences. À ce jour, ce plan demeure l’un des points négatifs reconnus par nos dirigeants.

Entre 2011 et 2012, l’activité d’Industeel France semblait fébrilement reprendre. Mais en septembre 2012, l’annonce subite du manque de compétitivité des aciéries, qui a conduit à la réalisation d’une étude de réduction de nos coûts et, parallèlement, la baisse brutale d’activité ont fait craindre un éventuel transfert de production et la fermeture de l’une de ces aciéries. En janvier 2013, après la remise du rapport du cabinet d’experts missionné sur le sujet, la direction générale de l’entreprise a fait marche arrière et annoncé qu’aucune étude n’avait été faite dans la mesure où, compte tenu de la charge additionnelle pour Le Creusot et Châteauneuf, l’aciérie du Creusot ne pouvait absorber la production de Châteauneuf. Il a en revanche été clairement annoncé que si Châteauneuf descendait en dessous de 40 000 tonnes annuelles d’acier liquide, la question de la fermeture pourrait à nouveau se poser.

Depuis ces annonces, Industeel au Creusot et à Châteauneuf ne cessent de voir baisser leur activité. Or, malgré une concurrence de plus en plus agressive, la politique de notre direction consiste à conserver les mêmes marges, quitte à continuer de perdre des parts de marché. Il s’ensuit depuis septembre 2012 une baisse d’activité nous ayant conduit à subir une voire deux semaines de chômage par mois dans certains secteurs, ce qui revient en fait à maintenir son niveau de profit en recourant aux aides publiques.

Industeel n’a-t-il pas pu, su ou voulu préserver ses parts de marché ? Cette baisse d’activité n’est-elle pas maintenue afin de justifier la fermeture de l’aciérie de Châteauneuf ? L’investissement dans l’augmentation de capacité de Châteauneuf n’a-t-il été qu’une erreur de stratégie ? À ces questions s’ajoute celle des diminutions d’effectifs : les premiers à avoir été concernés par cette forte baisse d’activité ont été les titulaires d’emplois précaires ainsi que les sous-traitants locaux. Et nous ne disposons aujourd’hui d’aucune garantie quant à l’anticipation des départs à la retraite sur cinq ans alors que ceux-ci représentent 23 % de l’effectif global de l’entreprise. Nous sommes très inquiets qu’aucun moyen n’ait été déployé pour assurer la capitalisation et la transmission du savoir-faire.

Malgré la volonté, dans chaque établissement, d’assurer une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, les autorisations d’embauche se raréfient et la tendance annoncée est à la diminution des effectifs de structure. Il est en effet prévu une réduction de 4 % par an des effectifs pour compenser l’inflation et ce, quel que soit le volume de production. Cela est-il tenable compte tenu des pertes de compétences ? Il s’agit là d’une véritable mise en danger de l’entreprise car si l’activité reprenait, nous pourrions nous retrouver dans la situation d’avoir du travail mais sans les compétences nécessaires pour l’effectuer. Vous comprendrez donc que nos représentants du personnel de même que nos salariés soient très inquiets quant à la pérennité de nos emplois et de nos sites et à la politique initiée par ArcelorMittal sur l’ensemble d’entre eux.

M. Patrick Auzanneau, délégué central CFDT ArcelorMittal. Si les jeunes ne sont pas forcément intéressés par nos métiers, c’est d’abord parce que les conditions de travail sont dures dans le secteur de la métallurgie et encore davantage dans le secteur de la sidérurgie – dans les métiers du chaud comme dans les aciéries et les hauts-fourneaux, notamment – où la majorité des emplois qui sont proposés supposent de travailler le week-end et les jours fériés puisque les usines tournent 365 jours par an. En outre, l’évolution de carrière y est relativement plate pour la majorité d’entre eux.

Je partage l’idée que les centres de formation doivent être implantés à proximité des lieux de production, mais ce n’est pas forcément parce que ce n’est pas le cas que les centres ne se remplissent pas : lors de la fermeture de Gandrange en Lorraine, en contrepartie, un CFAI a été mis en place à Yutz – tout à proximité des usines sidérurgiques de Lorraine. Or, s’il s’est plutôt bien rempli la première année, c’est une catastrophe cette année-ci : au mois de juin, alors que nous en arrivons quasiment à la fermeture des inscriptions, celles-ci ne correspondent même pas à la moitié de notre potentiel de formation. Car lorsqu’on explique aux jeunes que même s’ils s’inscrivent dans un centre de formation, ils ne seront pas embauchés par l’entreprise qui les forme, comment pourraient-ils en avoir envie ? Il conviendrait d’imposer des règles claires aux entreprises qui, actuellement, font travailler ces jeunes gratuitement pour la plupart, les faisant remplacer des salariés en contrat à durée indéterminée.

Ayant visité un centre d’apprentissage avec des amis de l’IG Metall lors d’un déplacement en Allemagne, j’ai constaté que le système y est complètement différent du nôtre : ces centres se trouvent en effet dans l’entreprise et les jeunes qui s’y forment ont la garantie d’obtenir un emploi au terme de leur formation. Ce sont en effet les entreprises qui déterminent en fonction de leurs besoins le nombre de personnes à former. Nous, en revanche, formons à des métiers qui ne sont pas nécessairement demandés par les entreprises puisque nous offrons des formations très générales et non spécialisées.

Aujourd’hui, lorsqu’il y a du travail, les entreprises embauchent des intérimaires – souvent des jeunes sans qualification d’ailleurs – payés au lance-pierre. Et en période de creux, on licencie. Le système ne permet donc plus d’offrir des contrats à durée indéterminée comme par le passé.

Enfin, lorsque des salariés partent à la retraite, ils sont très peu remplacés. On crie victoire chez Arcelor lorsque des embauches sont annoncées à Dunkerque ou à Fos, sauf que lorsque l’on embauche 200 personnes, il y a 400 départs à la retraite ! Ce n’est pas ainsi que l’on pérennisera ces installations.

M. Jean-Michel Boqueret, responsable syndical CGT Constellium (filière Aluminium). Je présenterai deux exemples concrets des risques de disparition ou de diminution des programmes de R&D.

Le premier concerne la vente de l’usine de Saint-Jean-de-Maurienne par Rio Tinto, qui risque d’entraîner la séparation du laboratoire et de l’usine,  et donc d’isoler ce centre de recherche. Le problème lié à la recherche et à la vente de technologie menées par Rio Tinto sur le site de Voreppe demeure lui aussi sans réponse, d’autant plus qu’il est fort probable, dans un avenir proche, que Rio Tinto se désengage complètement du secteur de l’aluminium primaire en France. On peut en effet supposer que le groupe appliquera le même remède à Dunkerque qu’à Saint-Jean-de-Maurienne. Or il ne nous paraît pas possible de poursuivre la R&D dans un pays où un groupe n’a plus aucune assise industrielle. Il convient donc, selon nous, d’adosser la R&D restant en France aux deux sites industriels français de Dunkerque et Saint-Jean-de-Maurienne. Car, si depuis 2005 et le rachat de Pechiney par le Canadien Alcan, une bonne partie de cette recherche a traversé l’Atlantique, nous continuons à disposer de compétences de recherche développées et qui ont fait leurs preuves. Pechiney demeure en effet le principal producteur d’aluminium dans de nombreuses parties du monde et 80 % des usines d’aluminium de la planète ont été conçues à partir de la technologie française créée et brevetée à Saint-Jean-de-Maurienne.

Le second exemple est celui de Constellium : délaissant aujourd’hui certaines activités, le groupe a récemment décidé de céder son activité française d’extrusion bâtiment, qui se situe dans deux établissements : l’un à Ham, dans la Somme, et l’autre à Saint-Florentin, dans l’Yonne. Ces sites, qui ont toujours été secondés par des centres de recherche et des compétences d’assistance technique, se retrouveront demain isolés puisqu’ils seront rachetés par un fonds financier qui ne leur présentera pas de synergie avec d’autres activités ni aucune possibilité de continuer à bénéficier d’une assistance technique et d’une R&D dignes de ce nom. Surtout, rien n’oblige le repreneur ni le vendeur à assurer cette prestation à ces usines.

Quant au thème du dialogue social, les entreprises du jeune groupe Constellium – qui n’a que deux ans à peine – ont toujours appartenu auparavant à de grands groupes industriels. Elles sont donc marquées par une forte culture de dialogue social. Or, l’actionnaire majoritaire de Constellium est un fonds financier qui se moque éperdument de ce dialogue si bien qu’en deux ans, le traitement des organisations syndicales et des instances représentatives du personnel a radicalement changé, celles-ci ne bénéficiant plus d’aucune information. Cela nous fait un drôle d’effet compte tenu de notre longue expérience en la matière. C’est désormais par les médias que nous apprenons le devenir ou la cotation en bourse de notre groupe ou encore la répartition de son capital !

M. Walter Broccoli (FO).L’an dernier, 60 000 tonnes d’acier ont été importées de Russie en France via Fos-sur-Mer. Il s’agissait d’importations ponctuelles car nous étions dans l’impossibilité de produire pour nos clients le matériel demandé. Cela veut donc dire que si le site de Dunkerque se trouve incapable de nous fournir, Mittal importera ponctuellement de l’acier depuis l’extérieur de l’Europe. En juillet 2011, celui-ci ayant décidé d’augmenter de 18 % ses prix sur l’acier d’emballage, nous avons perdu 30 à 40 % de parts de marché en quelques semaines : les Italiens, par exemple, ont annulé leur contrat et acheté des produits chinois.

Étant donné la crise actuelle, il existe bel et bien une forme de concurrence entre nos différents sites en France et en Belgique, même s’il est certain que la crise vécue à Dunkerque est d’un tout autre ordre que celle de Florange. Une fois le plan industriel de Mittal mis en place, la première réaction à chaud a été de dire qu’à cause de Florange, d’autres outils allaient être arrêtés.

Si nous ne sommes plus maîtres chez nous, c’est parce que nous avons laissé faire M. Mittal ! Il existe en France des entreprises de recouvrement qui rachètent les dettes aux banques pour ensuite aller réclamer leur dû aux particuliers. Pourquoi ne pas racheter la dette de 18 milliards d’euros de M. Mittal et lui réclamer les 16 milliards qu’il a empochés ? Lorsque j’ai parlé pour la première fois de nationalisation à Bercy, on m’a regardé de travers pour ensuite se dire que ce n’était pas une mauvaise idée – même si cela n’a finalement pas abouti. Creusez-la donc, cette idée !

Quant à nos outils sidérurgiques, ils sont en excellent état. Ce ne sont nullement des canards boiteux, comme l’affirmait M. Jouyet. Nous disposons en effet d’usines ultramodernes dont les cabines de commande ressemblent à des cabines de Concorde. Faites donc visiter ces usines aux jeunes afin qu’ils aient un aperçu de nos conditions de travail ! S’il est vrai que nos horaires sont difficiles, la pénibilité physique n’existe plus.

J’entends dire que la Banque publique d’investissement, la BPI, n’a pas pour rôle d’aider les grandes entreprises mais sachez que l’établissement de Florange fait travailler 150 entreprises extérieures – petites et moyennes. Donc, en aidant les grandes, on aide les petites !

M. Sylvain Rameau CFE-CGC) Comme il existe trois sites importants travaillant les inox et les hauts nickels dans un rayon de 100 kilomètres, il serait possible de créer des synergies entre eux afin de développer des formations aux métiers de l’inox – même s’il conviendra sans doute d’y garantir le renouvellement des compétences – ainsi qu’aux métiers qui utilisent ce matériau, c’est-à-dire la chaudronnerie et la métallerie. Nous manquons effectivement en France de métalliers sachant utiliser et souder l’inox. Ce serait donc là un moyen pragmatique de redensifier la formation dans nos régions, sachant que les jeunes que l’on forme demeurent généralement sur leur lieu de formation. Des entreprises de métallerie pourraient ainsi essaimer sur nos sites en perte d’emploi.

S’agissant du cas de Terni-Aperam, il était question, dans le premier scénario de fusion des inox d’Outokumpu et de Thyssen, de fermer deux aciéries. Dans le second projet, sans doute les Allemands ont-ils exercé des pressions car il fut cette fois question de céder Terni. Nous nous retrouvons donc face à une alternative : soit Aperam peut acheter le site de Terni – à condition que l’on obtienne le visa de la Commission européenne – soit un producteur asiatique, coréen par exemple, le fera. Cette deuxième solution, véritable porte d’entrée en Europe pour les industriels asiatiques, ne serait guère bénéfique à nos sites européens. L’un des enjeux majeurs consiste donc sans doute à s’assurer que la Commission européenne accordera son visa.

Quant à la prise de participations, sans doute avons-nous la chance que comme pour le « Canada Dry », Aperam soit un peu ArcelorMittal mais pas tout à fait. La direction d’Aperam indique que si cette opération a lieu, ce sera grâce à un appel aux marchés – c’est-à-dire aux capitaux extérieurs. Voilà sans doute une opportunité intéressante. Reste à savoir comment négocier et gérer cette prise de participations.

À l’heure actuelle, les importations chinoises bénéficient dès le départ d’un avantage de 200 euros à la tonne grâce au coût des matières premières qu’elles utilisent et dont l’élaboration, réalisée en Chine, est extrêmement polluante. Nos entreprises risquent donc d’exercer une pression sur nos fournisseurs de nickel afin qu’ils trouvent d’autres voies d’élaboration de ces matières premières qui seront tout aussi polluantes – car ne faisant pas appel à la R&D. Nous encourons donc un risque d’exportation de pollutions.

Quant à limiter ces importations, je rappelle que sur le marché européen, elles s’élèvent à 25 % pour l’inox qui est un matériau à forte valeur ajoutée. Elles se sont accélérées dernièrement car le marché chinois est déprimé. Peut-être le facteur coût entraînera-t-il une augmentation du prix des plats carbones et d’autres matériaux. L’un des moyens de l’éviter consisterait à faire payer à la Chine le CO2 émis lorsque ses produits pénètrent les frontières européennes.

M. Xavier Le Coq (CFE-CGC). Concernant la formation, si l’on souhaite attirer les jeunes vers l’industrie, encore faudrait-il que les conseillers d’orientation des lycées sachent ce que c’est. Et si les centres de formation constituent une possibilité d’entrer dans l’industrie, les stages réalisés par les étudiants en BTS en sont une autre. Ce n’est donc qu’en appliquant une véritable politique de stages – c’est-à-dire en indemnisant un minimum les stagiaires recrutés, en les encadrant et en leur confiant de véritables tâches – que les entreprises susciteront chez les jeunes l’envie d’y faire carrière.

Quant à l’état global de nos installations, les usines d’Arcelor ont toutes bénéficié d’investissements, sauf celle de Florange, dont Guy Dollé, autrefois président-directeur général d’Arcelor – on ne parlait pas encore du tout de Mittal à l’époque car le groupe était tout petit – a décidé de fermer la filière liquide en février 2003. Les investissements ayant par conséquent cessé pendant des années dans cette filière, les installations en ont pâti à tel point qu’il aurait fallu injecter des centaines de millions d’euros pour les remettre en état. Pendant ce temps-là, le site de Dunkerque a rénové deux de ses trois hauts fourneaux : l’aciérie est y donc désormais extraordinaire.

Si l’on ne peut parler de concurrence entre les différents sites français, elle existe en revanche au niveau international. Aujourd’hui, l’acier de Fos ne parvient pas jusqu’en Lorraine car il a d’autres débouchés. Il peut certes arriver que l’on répartisse la production entre différentes Galva mais de toute manière, les clients différent d’un site à l’autre. Une concurrence très nette s’exerce en revanche vis-à-vis de certains pays très proches mais qui n’appliquent pas les mêmes règles que nous. Le PDG d’Arcelor il y a dix ans avait beau être français, il ne défendait pas la France. Dans le secteur des Flat carbons en revanche, ce sont des Flamands qui prennent les décisions. Et eux sont capables de défendre leurs propres usines.

Nous vous fournirons quelques exemples chiffrés en ce qui concerne les importations. Comme l’a souligné M. Michel Liebgott, le ralentissement de la croissance chinoise, passée de 12 à 6 %, a un impact considérable sur les capacités de production. La Chine risque ainsi d’être en mesure de pénétrer sur le marché européen – non pas de l’automobile, qui pose des problèmes de délai, mais sur d’autres produits. Il y a deux ou trois ans, les Chinois ont déjà importé des tonnes de produits d’emballage chez nos clients à un coût moindre que celui de notre production. Nous devons donc rester vigilants d’autant plus que les droits de douane applicables à l’acier importé en Europe sont inférieurs à 1 %.

Enfin, si l’on ne réagit pas, la filière packaging de Florange sera mise en danger, ce qui fragilisera le reste du site. Le projet en cours concernant le packaging est complexe mais nous avons tout intérêt à le faire réussir pour sauver l’ensemble de la filière.

Mme Marie-Claire Cailletau, responsable CGT des questions Energie à la Fédération nationale des mines et de l’énergie. Tout en partageant votre analyse du mythe de la société postindustrielle, la CGT considère également que ce n’est pas sur les ruines de l’industrie d’aujourd’hui nous ne construirons celle de demain. Si notre pays est celui qui se désindustrialise le plus en Europe, c’est parce que l’industrie n’offre pas la rentabilité de court terme à deux chiffres qu’exige la financiarisation de l’économie.

Quant à la recherche, elle constitue en matière industrielle un enjeu central dont tout le monde parle. Le Président de la République a d’ailleurs reconnu l’importance d’y consacrer 3 % de notre PIB, conformément à l’objectif de Lisbonne. Cependant, la réalité est tout autre : loin d’atteindre ce taux, la France reste un très mauvais élève en ce domaine – que ce soit en termes de masses financières, d’orientation des travaux de recherche, d’articulation entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée ou d’implication des industriels.

En matière environnementale, si la France doit demeurer un modèle, le facteur 4 est cependant largement compatible avec sa réindustrialisation. Car l’industrie, qui a déjà accompli des efforts importants et qui continue à en faire – comme en témoignent souvent les projets alternatifs proposés par les salariés, tels le haut-fourneau électrique –, se trouve loin derrière les secteurs des transports, du logement et de l’agriculture en termes d’émissions de CO2. En outre, notre désindustrialisation a entraîné un quasi doublement de nos importations de dioxyde de carbone au cours des dernières années. Et si la consommation d’électricité a diminué pour la première fois en France, c’est parce que les usines ferment.

Quant à l’énergie, son prix et sa qualité constituent un facteur de choix important dans la localisation des industries. La France doit donc conserver ses atouts en ce domaine. Ainsi, par exemple, à Saint-Jean-de-Maurienne, Rio Tinto s’est contenté de mettre la clef sous la porte au lieu de réaliser les investissements nécessaires à la modernisation de son appareil productif. De fait, les grands groupes appliquent aujourd’hui une stratégie consistant à se recentrer sur l’amont minier qui est beaucoup plus rentable. Ayant fait réaliser un audit sur les questions énergétiques, la CGT a constaté, d’une part, que le site serait rentable dès lors que le prix du mégawattheure s’élèverait à 35 euros – sachant qu’il s’élève actuellement à 38 euros grâce au tarif Exceltium qui sera supprimé en 2014. Et que, d’autre part, si l’on modernise le site en y installant des cuves plus économes de 20 % en énergie, il sera rentable à 42 euros le MWh, ce qui correspond au tarif de l’Agence régionale de l'environnement et des nouvelles énergies (ARENE).

La CGT a donc soumis il y a plusieurs mois au ministère un projet – sur lequel elle n’a encore reçu aucune réponse – permettant de réindustrialiser la région grâce à de nouveaux programmes d’équipement hydraulique. Un certain nombre de stations de pompage y sont effectivement implantées : ce type de stations constitue actuellement l’un de seuls moyens de stocker l’électricité – et ce, à un faible tarif et sans émettre de CO2 de surcroît. Or, il est encore possible d’en installer à plusieurs endroits en France. Conçus par EDF, ces projets n’ont finalement pas été développés au motif de la déréglementation et de la libre concurrence. C’est pourquoi nous les avons repris et fait réétudier par les ingénieurs. Nous proposons notamment d’installer de telles stations en Savoie – le profit dégagé permettant alors de revivifier notre région et de la réindustrialiser en conservant le site de production d’aluminium de Saint-Jean-de-Maurienne. Nous tenons à votre disposition ce projet baptisé « Hydralu » – qui « tient la route » sur les plans technique et économique.

Enfin, la transition énergétique nécessitera la production de davantage d’acier – notamment pour les transports et le logement. Il nous faut donc disposer de l’outil industriel correspondant.

M. le président Jean Grellier. Vos remarques sont au cœur de l’actualité puisque nous organisons cet après-midi une table ronde sur la transition énergétique après en avoir tenu une ce matin, et que deux de nos collègues – Marie-Noëlle Battistel et Éric Straumann – sont chargés d’un rapport d’information sur l’hydroélectricité. J’espère donc que vous avez pu leur transmettre cette proposition.

Mme Christiane Graillot, déléguée centrale CFDT d’Aperam. La pyramide des âges du groupe Aperam se caractérise par un personnel vieillissant. Le groupe a donc un besoin urgent de renouveler ses compétences et d’assurer une gestion prévisionnelle des emplois.

Il est vrai qu’il est difficile de rendre nos industries attractives sachant que l’on a plutôt tendance à supprimer des emplois que d’embaucher. De même, en doublant les frais, la distance géographique qui sépare les écoles des industries constitue également un obstacle à l’incitation des jeunes à suivre un apprentissage en alternance. Afin de les attirer, le site d’Imphy – qui est sans doute celui qui renouvelle le plus ses compétences dans le périmètre Aperam – a construit une école de formation intégrée à l’entreprise. Les enseignants s’y rendent donc directement pour prodiguer ces formations en interne – qui présentent d’autant plus d’intérêt qu’elles ne sont pas véritablement proposées dans les écoles. Il existait autrefois des centres d’apprentissage intégrés sur certains de nos sites – tels qu’à Gueugnon et à Imphy. Leur bon fonctionnement nous assurait que les personnes y étant formées auraient les compétences requises pour exercer nos métiers.

Nous avons cru que la création du groupe Aperam lui permettrait de réaliser des investissements – ce qui n’était que rarement possible lorsque les inox faisaient partie du groupe ArcelorMittal puisque l’argent était dépensé ailleurs. C’est donc avec tristesse que nous avons constaté que seuls deux investissements y avaient été réalisés, l’un, pour renouveler une ligne à Gueugnon, l’autre, pour étendre la capacité d’élaboration d’Imphy. Autrement, l’ensemble de nos installations sont vétustes et tombent régulièrement en panne. Et nous ne parvenons pas à disposer de suffisamment de temps ni de personnel pour former à la prévention sur des installations vieillissantes. Notre industrie ne pourra être performante que le jour où notre actionnaire majoritaire aura compris que nous ne pouvons progresser sans investissements.

M. le président Jean Grellier. Nous vous remercions tous pour la qualité de vos contributions et la sérénité de ce débat.

Audition, ouverte à la presse, de MM. Christophe Journet, rédacteur en chef de MPE-MEDIA, Marcel Genet, président de Laplace Conseil, et Alfred Rosales, président de Rosamon Group

(Séance du mercredi 5 juin 2013)

M. le président Jean Grellier. Je souhaite la bienvenue à M. Christophe Journet, journaliste spécialisé, M. Marcel Genet qui a fondé en 1995 le cabinet d’audit et d’expertise Laplace Conseil, spécialisé dans les matières premières et les métaux dont l’acier, et M. Alfred Rosales, ancien responsable des achats du groupe français Eramet bien connu de notre commission qui a auditionné M. Georges Duval, l’un de ses dirigeants.

Messieurs, votre vision de ces secteurs clés nous intéresse tout particulièrement. Qu’en est-il exactement des surcapacités des industries sidérurgiques européennes ? Nous avons évidemment constaté de fortes divergences d’analyse sur cette question entre les responsables des entreprises concernées et les organisations syndicales qui estiment que, dans l’hypothèse d’une reprise de la demande d’acier au niveau mondial, les réajustements déjà effectués en Europe rendraient difficile la satisfaction du marché. Qu’en pensez-vous ? Quel est votre sentiment sur l’éventualité d’une reprise de la demande ?

Plus généralement, quels liens forts établissez-vous entre les activités sidérurgiques et métallurgiques qui font aussi partie du champ de réflexion de notre commission d’enquête ? La France et l’Europe disposent-elles encore de réels atouts dans ces secteurs ? Que pensez-vous du devenir des sites d’aluminium primaire mais aussi de celui de l’aluminium recyclé de seconde fonte ?

Quelles sont, selon vous, les évolutions plus ou moins prévisibles à court et moyen termes du marché des matières premières et particulièrement du minerai de fer ? L’orientation minière des investissements d’un groupe comme ArcelorMittal est-elle validée par les faits ? La Chine et quelques autres producteurs émergents sont-ils aussi « dangereux » qu’on le prétend pour ce qui concerne les aciers et l’aluminium ?

Avant de vous céder la parole, conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter serment de dire la vérité, rien que la vérité et toute la vérité.

M. Christophe Journet, M. Marcel Genet et M. Alfred Rosales prêtent successivement serment.

M. Christophe Journet, rédacteur en chef de MPE-MEDIA. Parce que les meilleurs statisticiens ne parviennent pas toujours à s’entendre, je vous rappelle que, dans le secteur qui nous intéresse, les statistiques ont une valeur relative, et qu’elles doivent être comparées et abordées avec précaution et sous plusieurs angles, qu’elles viennent de France, de Bruxelles, de Pékin, où l’on a du mal à obtenir des données concernant les volumes, ou de Washington – Eurofer m’a par exemple confirmé que les chiffres nord-américains intégraient systématiquement les données mexicaines ! J’ajoute que le marché de l’acier fonctionnant de gré à gré, la prudence est particulièrement de mise car les données relatives aux surcapacités peuvent être utilisées par les acheteurs pour faire baisser les prix.

Selon Eurofer, en 2013, les volumes en surcapacités en Europe se situeraient entre 40 et 50 millions de tonnes annuels en acier brut – ce qui exclut l’acier électrique issu de la ferraille, destiné aux produits longs. Ce chiffre est à comparer à la production européenne, soit près de 170 millions de tonnes par an – les entreprises du secteur tirant les leçons de l’évolution du marché, on s’attend à ce qu’elle passe à 130 ou 140 millions de tonnes. En tout état de cause, il ne faut pas oublier que les données relatives aux surcapacités sont issues de prévisions qui ne tiennent pas nécessairement compte des évolutions rapides et permanentes du secteur. Aujourd’hui, en Italie, à Tarente, la plus grande aciérie d’Europe, qui a produit jusqu’à 10 millions de tonnes d’acier, vit des heures très difficiles – après que le site a failli fermer trois fois en un an, le conseil d’administration d’Ilva-Riva est réuni en ce moment même. Autrement dit, la production européenne pourrait diminuer de 5 à 6 millions de tonnes auxquels il faudra ajouter la production de Florange et celle des aciéries récemment fermées en Allemagne. On peut comprendre l’inquiétude des syndicats qui dénoncent la perte de compétence qu’entraînent ces fermetures car elles empêchent que la production reprenne à terme grâce à des moyens nouveaux.

Aux États-Unis et au Mexique, Eurofer estime que les surcapacités d’acier brut s’élèvent à environ 20 millions de tonnes. Malgré la reprise, le marché américain est donc légèrement surcapacitaire.

Selon la même source, la surcapacité d’acier chinois atteint 220 à 250 millions de tonnes, sachant que la production totale du pays, premier producteur mondial, devrait s’élever à environ 700 millions de tonnes en 2013, et qu’elle continue de croître malgré les tentatives de réajustement.

En à peine trois ou quatre ans, la production mondiale annuelle d’acier brut a dépassé la barre du milliard de tonnes pour atteindre aujourd’hui 1,7 milliard, chiffre qui ne tient compte que de l’acier comptabilisé. Présidée par M. Alexeï Mordachov, le patron de la compagnie russe Severstal, Word Steel, l’association mondiale qui représente les vingt plus gros producteurs d’acier du monde, estime en effet que ces données ne couvrent que 85 % de la production mondiale. Si les comptes sont incertains, au moins le système essaie-t-il d’être transparent – ce qui n’est pas toujours le cas dans le milieu des métaux non ferreux.

Lors de l’ « European Steel Day 2013 », le 16 mai dernier, à Bruxelles, l’intervention de M. Antonio Tajani, vice-président de la Commission européenne en charge de l’industrie m’a profondément déçu. Alors qu’il devait présenter aux aciéristes les grandes lignes des mesures destinées à redresser la situation, il s’est contenté d’évoquer les efforts à accomplir en matière de coût de l’énergie, et les dispositions qui devaient être annoncées en faveur de l’automobile. Ces propos « diplomatiques » ne tiennent pas compte de la réalité du secteur, et tous ceux qui étaient présents ont sans doute, comme moi, perçu une sorte d’hésitation. Au moins, le président du Conseil européen, M. Herman Van Rompuy affirme-t-il beaucoup plus clairement que les choses iraient sans doute beaucoup mieux si l’Europe diminuait le coût de l’énergie, et si les Européens consentaient aux mêmes efforts que ceux engagés depuis dix ou quinze ans par les Américains !

Une telle évolution suppose toutefois une réaction intelligente des partis politiques et de tous ceux qui cherchent à augmenter la fiscalité verte, à taxer les industries, et à réduire la capacité d’investissement, la productivité et la compétitivité des aciéristes – depuis vingt ans, ces derniers ont pourtant déjà limité considérablement leurs émissions de gaz. En la matière, à quelques rares exceptions près – c’est peut-être le cas à Tarente, mais cela concerne plutôt la propagation de poussières et d’éléments dangereux pour la santé –, des bonnes pratiques ont été mises en place.

En résumé, s’il est clair que les dirigeants européens se posent des questions, ils n’en sont pas encore arrivés là où les attendent les industriels et les salariés.

Pour y parvenir, une meilleure écoute est indispensable. Elle concerne bien sûr, au sein des entreprises, les messages qui ont du mal à circuler du bas vers le haut. Mais, de façon générale, on constate que l’information n’est pas mobilisée à bon escient alors qu’elle est disponible, soit dans la presse de langue française, anglaise ou chinoise, soit auprès d’experts de qualité, comme ceux qui sont présents à mes côtés ce matin. J’ai par exemple appris hier que l’Algérie s’apprêtait à reprendre le contrôle à 51 % de l’aciérie d’Annaba, la première du pays. Le projet de relance envisagé suppose de tout reconstruire sur la base de moyens technologiques et scientifiques performants et nouveaux comparables à ceux déjà mis en œuvre aux Etats-Unis, en Corée et sans doute en Autriche. Si elle prêtait à ce cas une attention plus grande, la France de l’acier pourrait s’en inspirer.

Il est également nécessaire de mieux respecter la loi de l’offre et de la demande. Il ne sert à rien de trop produire. De nombreux aciéristes préfèrent s’aligner sur leurs prévisions de commande, quitte à travailler en flux très tendus. Certaines entreprises françaises ou européennes du secteur de la distribution de l’acier – je pense à Jacquet Métal service ou à ThyssenKrupp Materials – souffrent parce qu’elles ne parviennent pas toujours à trouver des acheteurs au prix qui leur permettrait de ne pas risquer de vendre à perte.

La hausse du coût de l’énergie pèse lourdement sur le secteur français de l’aluminium aujourd’hui en situation très délicate après avoir été un leader mondial. Constellium semble sortir son épingle du jeu, mais à quel prix ? Pourtant cette entreprise travaille pour le secteur de l’aéronautique en bonne santé. Sachant qu’Airbus a peur de ne pas parvenir à fabriquer les vingt à cinquante avions par mois qui lui ont été commandés, et que l’on manque parfois de personnels qualifiés, j’avoue que certaines choses m’échappent !

Aujourd’hui, dans le secteur de l’aluminium, une plus grande « proximité capitalistique » semble être de mise, comme le montre le débat relatif à la reprise du site de Rio Tinto Alcan de Saint-Jean-de-Maurienne. Un expert, un ancien de Péchiney, m’a confié la semaine dernière qu’un projet, bénéficiant du soutien du Fonds stratégique d’investissement, fondé exclusivement sur des capitaux français, avait été présenté au ministère du redressement productif et rejeté sine die au vu de l’offre allemande de Trimet AG.

La gestion par les compagnies minières des approvisionnements et des coûts des matières premières pose un problème pour le secteur de l’aluminium, produit qui se négocie, contrairement à l’acier, sur un marché coté. On comprend mieux la réticence des aciéristes en la matière quand on constate qu’au niveau mondial, l’Asie prend aujourd’hui le pouvoir en pesant sur le London Metal Exchange (LME), racheté par Hong-Kong l’année dernière. Le marché de l’aluminium dépend des cotations des opérateurs sur le marché à la criée de Londres, mais les instructions sont données par téléphone depuis la place asiatique par des traders disposant d’outils informatiques. Hong-Kong ne cache pas son ambition de devenir leader sur les marchés des produits de base industriels ou agroalimentaires. Et j’ai constaté récemment que les principaux cadres du LME, qui influencent directement les prix, étaient très proches du pouvoir chinois et appartenaient à la plus haute instance du parti communiste de Shenzhen, ville voisine de Hong-Kong. La Chine va progressivement imposer ses volontés pour atteindre ses objectifs : fournir du travail à tous les jeunes chinois, et permettre à tout le pays de dépasser le niveau de développement des nations développées. Elle se donne les moyens de ses ambitions, et elle n’utilise pas seulement la loi du nombre. Il me semble que les grandes banques internationales ont pris certaines matières en otage. Un expert dont je ne peux révéler l’identité m’a confirmé que BNP Paribas avait fait transiter treize fois un gros stock d’aluminium qui se trouvait dans un entrepôt belge dans le seul but d’en faire augmenter le prix. L’opération est classique, mais elle n’est pas sans conséquences – en particulier pour les entreprises clientes.

Le marché français à la particularité d’être fondé sur des indices dont la plupart sont faux. La cotation de l’aluminium de deuxième fusion est, par exemple, donnée pour le nord de l’Europe, mais elle est souvent de 40 à 50 euros au-dessus du prix qu’il est raisonnable de payer en France.

Vous nous avez interrogés sur la Chine. Comme l’affirme M. Wolfgang Eder, président d’Eurofer et patron de Voestalpine, producteur d’acier autrichien qui emploie 56 000 personnes dans le monde, il n’y a pas de danger chinois. Le seul danger serait d’oublier de considérer les Chinois comme des égaux, et de ne pas les respecter autant qu’ils nous respectent. Il faut se souvenir qu’à l’époque de Napoléon, la Chine était la première puissance économique mondiale. Elle ne fait que reprendre une place légitime et naturelle étant donné sa culture, son histoire, ses compétences et la qualité de ses productions – même si, sur ce dernier point, certains résultats peuvent encore être inégaux. C’est d’ailleurs précisément sur ce type de critère que la France dispose d’atouts comparatifs. Les constructeurs d’automobiles allemands ont par exemple besoin d’aciers spéciaux et d’aluminium de qualité élevée que notre pays est l’un des seuls à savoir produire. Je pense aux alliages de la série 6 000 et à Saint-Jean Industries dont le siège social se trouve à Saint-Jean-d’Ardières dans le Rhône. Si ce type d’industrie n’est pas abandonné à son sort et soumise à des charges trop lourdes ; si nous ne les condamnons pas à ne pas tirer les marrons d’un feu qu’elles cherchent à entretenir, nous pouvons rester optimistes.

M. Marcel Genet, président de Laplace Conseil. Consultant, je travaille principalement avec les entreprises. Il m’arrive toutefois de collaborer avec les pouvoirs publics comme cela a été récemment le cas concernant plusieurs unités d’ArcelorMittal, en Belgique l’année dernière, à Liège ; pour le Gouvernement luxembourgeois, au sujet du problème de Schifflange ; dans l’affaire de Florange, où j’ai été invité à donner mon avis dans le cadre de la préparation du rapport de Pascal Faure sur la filière acier en France ; ou encore, en Algérie, pour traiter du cas de l’aciérie d’Annaba.

L’évaluation des surcapacités européennes, sur lesquelles vous nous avez interrogés, est particulièrement délicate. Techniquement, le chiffrage est complexe car la capacité d’un outil dépend de son régime de marche. Il s’agit aussi de données qui sont aisément « manipulables » car elles peuvent varier selon les approches et les intérêts de ceux qui les fournissent. Il est de plus indispensable de prendre en compte l’intégralité d’une filière et non la seule capacité d’un outil. Certes, par commodité, on utilise la notion de surcapacité en acier brut, mais il s’agit d’une simplification qui ne permet pas de rendre compte de la réalité technique alors que, dans le domaine de la sidérurgie, il est essentiel de coller aux faits, qu’ils soient techniques ou économiques.

On estime généralement que les surcapacités européennes sont de l’ordre de 40 millions de tonnes. Toutefois, à mon sens, le problème de l’Europe ne tient pas à ces surcapacités mais au fait qu’en ce qui concerne les produits plats, elles sont pour les deux tiers, le fait d’ArcelorMittal et de sa division Flat Carbon Europe. Ce groupe publie dans l’annexe de son rapport annuel sa propre mesure de ses capacités et de sa production. Ces données accessibles au public sur internet permettent donc de déterminer la surcapacité de chaque usine. Le taux d’utilisation des capacités du groupe en Europe pour les produits plats est de l’ordre de 60 %, ce qui est très faible. En 2012, ce taux s’élève à 61 % pour les hauts-fourneaux, 67 % pour les aciéries, 62 % pour les laminoirs à chaud, et 59 % pour les laminoirs à froid. ArcelorMittal, qui représente environ un tiers de la production européenne de produits plats, concentre deux tiers des surcapacités de ces produits. Ces surcapacités se situent pour une très grande part dans les pays d’Europe centrale comme la Pologne, la République tchèque et la Roumanie. Dans ces trois pays, le taux d’utilisation moyen des hauts-fourneaux n’est plus que de 46 %, celui des aciéries de 54 %, celui les laminoirs à chaud de 48 %, et celui des laminoirs à froid de 51 %. En Europe centrale, une usine sur deux du groupe est « excédentaire » – et cela concerne non seulement les capacités mais aussi les effectifs ! En Roumanie, la capacité de l’usine construite à la fin des années 70 par le pouvoir soviétique afin d’arrimer l’économie roumaine au Comecom était de 10 millions de tonnes d’acier ; aujourd’hui, elle en produit 1,7 million ! Non seulement un site de trente à quarante kilomètres carrés tourne à 17 % de sa capacité d’origine, mais il emploie encore directement 7 000 personnes ! Même si les ouvriers roumains sont moins payés que ceux d’Europe de l’Ouest, la dépense reste lourde. De plus, le groupe ArcelorMittal ayant été contraint de fermer les cokeries, le coke, importé de Pologne, traverse l’Europe entière. Le prix de revient de l’acier roumain atteint en conséquence le double de celui produit en Russie par Novolipetsk (NLMK) alors que les marchés visés sont les mêmes – ceux d’Europe centrale et de la Mer noire.

Les surcapacités ne sont pas générales en Europe ; elles concernent spécifiquement une société, qui se trouve être, et de loin, la première du secteur. La santé des autres entreprises qui fabriquent des produits plats – ThyssenKrupp, Salzgitter, Voestalpine, Tata Steel, Riva, SSAB… – n’est pas excellente, car la conjoncture est mauvaise pour tout le monde, mais elles ne connaissent pas une situation structurellement difficile qui les conduirait à effectuer des restructurations lourdes ou à opérer des fermetures majeures.

Les problèmes d’ArcelorMittal remontent à la constitution du groupe dans les années 90 et au début des années 2000. À l’époque, M. Lakshmi Mittal avait racheté une série de sociétés en Europe, aux États-Unis, en Afrique du Nord, en Afrique du Sud et, indirectement, en Amérique latine. Elles connaissaient déjà pour la plupart de très graves difficultés. Les usines d’Europe centrale avaient, par exemple, été négligées par le système soviétique. Techniquement obsolètes, elles ne répondaient à aucune norme environnementale, et elles enregistraient des sureffectifs massifs. M. Mittal a pourtant été le seul à oser reprendre ce type d’entreprise. Aux États-Unis, Bethlehem Steel, LTV Steel ou Inland Steel étaient techniquement en faillite – l’État américain les avaient sauvées après avoir épongé leurs dettes de pension non provisionnées. La mécanique à l’œuvre n’était certes pas celle observée en Europe de l’Est, mais le résultat économique était similaire. Après avoir « nationalisé » l’essentiel de leur sidérurgie intégrée, les Américains l’ont vendu à M. Mittal et, à quelques exceptions près, les usines américaines se trouvaient dans le même état de délabrement que celles de l’ancien bloc soviétique.

Or ces rachats ont coïncidé avec l’émergence de la Chine. À la fin des années 90, elle produisait moins de 100 millions de tonnes d’acier brut ; aujourd’hui cette production a été multipliée par sept, et elle devrait atteindre le milliard de tonnes d’ici à quelques années. Jamais aucun pays du monde n’avait enregistré isolément un progrès aussi considérable.

La croissance globale et spectaculaire de la production et de l’économie chinoises a évidemment bouleversé les marchés mondiaux des matières premières. Entre 1975 et 2000, la demande mondiale de minerais, de charbons et de métaux non ferreux n’avait pas connu de croissance significative, ce qui ne poussait pas les entreprises concernées à investir dans l’ouverture de nouvelles mines. La nouvelle position de la Chine, qui représente aujourd’hui 60 % du commerce mondial des minerais transportées par la mer, dits « seaborne », a profondément changé la donne. Il a fallu ouvrir des mines en toute urgence et plus que doubler la production minière mondiale. Les groupes miniers ont fait grimper les prix d’un facteur trois à cinq, ce qui leur a permis d’engranger des rentes considérables : le minerai vaut aujourd’hui 130 dollars la tonne alors qu’il est extrait dans les mines les plus performantes pour un coût de 30 à 40 dollars. Ces marges étaient nécessaires pour ouvrir de nouvelles mines et financer la construction d’infrastructures comme les ports.

Entre 2003 et 2008, la conjonction de l’arrivée de la Chine sur le marché mondial et de celle de M. Mittal a permis au groupe de ce dernier de faire des profits considérables malgré l’obsolescence technique de ses usines. À cette époque, M. Mittal a consenti de lourds investissements, mais aurait-il consacré la totalité du cash-flow du groupe à moderniser les usines acquises que ces fonds auraient été insuffisants. En tout état de cause, il ne pouvait ni moderniser en totalité ni restructurer l’ensemble des usines dont il était devenu propriétaire, d’autant qu’à l’exception d’Arcelor, qui était déjà largement restructuré, toutes les unités concernées se trouvaient en très fort sureffectif. Aujourd’hui encore, sur les 240 000 personnes employées par ArcelorMittal, on en compte entre 100 000 et 150 000 de trop pour que les entreprises fonctionnent normalement.

Actuellement, le problème est d’autant plus considérable que les conditions économiques ne sont plus celles qui prévalaient jusqu’au milieu de l’année 2008. Les prix des matières premières restent élevés par rapport aux normes historiques, mais ils ne progressent plus – ils déclinent même progressivement. On estime que le minerai descendra sous la barre de 100 dollars la tonne, et le charbon sous celle des 150 dollars. Les profits miniers seront en conséquence beaucoup plus faibles. En 2011, la marge brute de la division minière d’ArcelorMittal s’élevait à environ 2,5 milliards de dollars ; en 2012, elle est de l’ordre de 1,2 milliard. Faute de cash-flow, le groupe n’est donc plus en mesure de moderniser toutes ses usines. Malgré ses efforts pour réduire sa dette, elle reste très élevée, soit 18 milliards de dollars. Les agences de notation financière la classent au niveau spéculatif BB-. Autrement dit, la probabilité de défaillance est assez élevée – même s’il ne s’agit évidemment que d’une probabilité. ArcelorMittal n’est pas une entreprise toute puissante qui agit à sa guise sans se préoccuper du sort des travailleurs ; c’est une entreprise quasiment aux abois qui n’a plus les moyens d’entretenir convenablement toutes ses usines.

Confronté à cette situation, l’Algérie est aujourd’hui le premier pays à prendre ses responsabilités. En raison de la très forte natalité enregistrée dans le pays et des retards pris en matière d’infrastructures et de logements, la demande algérienne d’acier est très forte. L’Algérie a importé 3,5 millions de tonnes d’acier en 2012 et, si rien ne change, ce chiffre sera amené à croître. La capacité nominale de l’usine d’Annaba, acquise par ArcelorMittal en 2001, s’élève à 2,5 millions de tonnes – un opérateur efficace serait probablement en mesure d’en obtenir le double. Mais, en 2012, elle a produit moins de 600 000 tonnes en employant 5 000 personnes – sachant que 500 salariés suffiraient. L’usine n’ayant plus de cokerie, l’Algérie importe du coke de Pologne au prix d’environ dix euros par gigajoule alors que les entreprises algériennes disposent de gaz naturel pour 0,3 euro par gigajoule ! Cette situation a perduré pendant douze ans et trop peu a été fait. Certes, il est très difficile de gérer les entreprises en Algérie, et la situation sociale à Annaba est particulièrement tendue : les syndicats officiels et non officiels se font la guerre, néanmoins ce pays est le premier à réagir.

Je crois que d’autres États suivront. En effet, la Roumanie, la Pologne la République tchèque, l’Afrique du Sud ou le Maroc seront confrontés à des situations sociales bien plus graves que celles auxquelles la France ou la Belgique ont dû faire face, tout en disposant de moyens bien inférieurs pour les amortir. Mettez-vous à la place de vos collègues de Roumanie : ils ont 7 000 personnes sur les bras dans une région où il n’existe aucun autre emploi, et une usine héritée de l’Union soviétique qui n’a quasiment jamais été restructurée ! Et je ne parle que d’un seul site : on peut éteindre un incendie ; il est difficile d’en éteindre simultanément une dizaine !

La situation ne doit pas être examinée sous le seul angle idéologique ou politique du rapport de force entre le capital et les travailleurs. Il faut la voir d’abord sous un angle économique. M. Mittal n’est pas qu’un capitaliste richissime qui tire sa richesse de la sueur des travailleurs ; il est le propriétaire d’une société techniquement en faillite : ses obligations latentes dépassent de loin ses actifs.

Vous nous avez interrogés sur la tendance à la reprise. En Amérique du nord, la baisse du coût de l’énergie – liée à celle du pétrole et du gaz de schiste – a un impact majeur sur toutes les industries électro-intensives. Pour le seul secteur de l’acier, 20 millions de tonnes de capacité de minerai pré réduit au gaz sont aujourd’hui à l’étude, dont 7 millions sont déjà actés avec 2,5 millions dont la production commence dans un mois. Nous percevons les premiers signes d’une réindustrialisation majeure des États-Unis ; elle ira en s’accélérant.

En Europe, les optimistes estiment que la situation continuera à se dégrader mollement avant de se rétablir éventuellement. Pour ma part, je n’ai pas de boulle de cristal. Parce que la production d’acier est quasi exclusivement dirigée vers l’investissement – la construction, les infrastructures publiques et privées… – et vers les biens durables – automobiles, machines à laver… –, elle est liée à la confiance en l’avenir. Tant qu’elle fera défaut, les ménages, les entreprises et les pouvoirs publics repousseront leurs investissements et leur consommation d’acier.

La France a-t-elle des atouts pour produire de l’acier ? Elle dispose de l’énergie et de la ferraille la moins coûteuse d’Europe – même si l’énergie est encore trop chère. En conséquence, je ne comprends pas pourquoi elle ne produit pas plus d’acier alors que toutes les conditions sont réunies pour le faire. Les contraintes sociales, la réglementation trop lourde ou le coût du travail trop élevé sont secondaires au regard de l’avantage lié au prix des matières premières et de l’énergie. Tous les techniciens savent parfaitement que l’installation d’au moins un four électrique produisant dans les conditions normales constituerait une solution pour les sites lorrains. La filière électrique est beaucoup plus efficace que la filière intégrée parce qu’elle mobilise moins de capitaux, moins d’énergie, moins de personnels, et qu’elle porte moins atteinte à l’environnement. Certes, cette substitution se traduirait par un recul de l’emploi, mais elle est préférable à une fermeture. Ce choix a été évoqué à plusieurs reprises. Je l’ai moi-même abordé devant M. Pascal Faure, mais, pour diverses raisons, il n’est pas sérieusement étudié aujourd’hui. C’est bien dommage ! Il est économiquement incompréhensible que la France ne produise pas plus d’acier électrique et, comme on a tendance à tout mettre sur le dos d’ArcelorMittal, je signale que M. Mittal n’y est pour rien. Il existe des blocages en France, y compris parmi certaines élites techniques qui considèrent que l’acier électrique n’est bon qu’à ferrer les ânes. Cet acier n’est peut-être pas suffisamment noble, mais c’est celui que produisent tous les pays qui réussissent !

M. Alfred Rosales, président de Rosamon group. J’ai eu l’opportunité de travailler très tôt dans l’industrie lourde, lorsque j’étais encore un jeune ingénieur. Ma première mission, en 1991, consistait à rationaliser les sites du groupe des Ciments français, du point de vue de la consommation d’électricité, de fioul, de charbon et autres combustibles. Il y avait alors sur notre territoire dix cimenteries pour lesquelles l’énergie était un enjeu déterminant.

Ayant rejoint le groupe des Ciments français, racheté ensuite par Italcementi, j’ai été directeur des achats à Bergame, ce qui m’a amené à m’occuper de toute la partie énergie au niveau européen. J’ai constaté à cette occasion qu’en matière d’investissement et d’énergie, les comportements, les stratégies et les relations des filiales avec les administrations publiques étaient sensiblement différentes.

Pour le groupe Eramet, que j’ai rejoint en 2005, j’ai assuré l’achat d’énergie, notamment de fioul pour la centrale électrique de Nouvelle-Calédonie. Je me suis également occupé des achats d’électricité et de gaz pour les sites sidérurgiques français constitués de fours électriques de petites capacités destinés à fabriquer des équipements de haute technicité. Eramet, grâce à sa filiale Aubert & Duval, est un fleuron de l’industrie française. Il est leader mondial des aciers spéciaux pour les trains d’atterrissage et les axes de turbine.

Parallèlement, en tant que président d’Ingénieurs sans frontières à Supméca, petite école d’ingénieurs située à Saint-Ouen, j’ai travaillé sur le solaire et sur le développement durable, en Afrique, ce qui m’a permis de réfléchir in situ à la problématique de l’énergie mitochondriale. On ne peut pas creuser un puits si l’on n’a pas de groupe électrogène, qui devient de ce fait un enjeu de pouvoir.

Enfin, j’ai monté ma propre entreprise en efficacité énergétique, qui fait également du solaire et de l’éolien. Nous travaillons sur la consommation électrique de sites industriels. En France, nous avons signé un contrat avec Enel et proposé un plan de rationalisation de l’énergie pour quatre sites de Valéo.

La vision française de l’énergie est marquée par plusieurs aspects. Notre économie s’est construite autour du nucléaire, sur une logique de grands contrats. Lorsque le groupe EDF a réalisé ses premiers barrages, il a été demandé aux grands industriels de venir consommer de manière massive des rubans d’énergie (MWh), ce qui permettait en même temps d’alimenter les communes des vallées de montagne, dont la consommation se caractérisait essentiellement par des pointes (dentelle). C’est ainsi que les industriels se sont installés dans la vallée de la Maurienne, sachant que la construction de grands barrages dépendait de la possibilité ou pas d’écouler de grandes quantités d’énergie.

Quand j’ai participé en 2005 aux tables rondes sur les électro-intensifs, j’ai constaté que le même mouvement s’était opéré pour l’industrie de l’aluminium. Les autorités avaient négocié avec EDF et Péchiney pour que l’on installe les deux tranches nucléaires complètes (invendues à l’Iran) à Gravelines (tranches 5 et 6), et c’est ainsi qu’Aluminium Dunkerque s’est installé à Gravelines. Ces opérations révèlent le lien quasi conjugal – et fondamental pour le développement durable d’un pays – qui unit la production d’énergie et la présence des grands industriels sur le territoire français.

Qu’en est-il de la compétitivité énergétique des autres pays ? En Afrique du Sud, malgré de nombreuses coupures d’électricité, les industriels qui veulent investir peuvent souscrire des contrats d’énergie à long terme, qui permettent de sécuriser la première phase du développement industriel du pays. En Chine, en 2008, ces mêmes industriels pouvaient signer au niveau régional des contrats à long terme, afin de s’approvisionner en électricité à près de trente-cinq dollars le mégawattheure.

Bien que sa technologie de base soit la centrale au charbon, l’Afrique du Sud propose des contrats de long terme à près de vingt dollars le mégawattheure, que l’État subventionne pour attirer les industriels sur le territoire. Les Chinois font de même. Enfin, quand l’État de l’Ohio (USA) prit conscience que la zone industrielle de Pittsburgh n’était plus qu’un immense terrain vague où s’alignaient des sites industriels en voie de fermeture, il fit la distinction entre deux types de contrats. Si ceux des particuliers ou des petites entreprises de service restent soumis aux aléas et aux contraintes du marché, ceux proposés aux grands industriels sont des contrats de long terme, leur permettant ainsi d’investir. Le site de Marietta (Eramet), qui s’étend sur plusieurs hectares, bénéficie pour un térawattheure de consommation annuelle d’un prix sécurisé à peine inférieur à celui du marché, mais le contrat établi pour sept ans offre néanmoins une visibilité suffisante pour investir.

À présent qu’au niveau mondial, beaucoup de groupes ont perdu leurs racines nationales, des holdings situées à New York, en Suisse ou à Shanghai analysent le portefeuille mondial de leur outil industriel en fonction de la visibilité et de l’attractivité contractuelle que leur offrent les autorités locales en termes de caisse ou de business plan.

En arrivant à Eramet, j’ai été frappé par le fait qu’en France, le prix de l’énergie donne une visibilité à court terme – au niveau assez élevé de cinquante-cinq euros le mégawattheure –, mais qu’il est impossible de le fixer au-delà de trois ans. Nul ne sait ce qu’il coûtera après 2017. Sur ce point, toute discussion avec EDF est stérile, puisque, depuis l’ouverture du marché de l’électricité, cette entreprise s’interdit de parler hors indices (court terme), pour ne pas encourir l’accusation de distorsion de concurrence. Je ne remets pas en cause les règles du commerce, mais j’insiste sur le fait que, pour une holding internationale, cette question est cruciale. C’est pourquoi, dans un grand groupe, personne ne choisira d’installer une usine d’aluminium en France s’il peut signer en Chine, au Brésil ou en Afrique du Sud un contrat sur vingt ans.

À plusieurs reprises, quand Eramet a cherché à investir, l’Afrique du Sud est apparue comme un « eldorado électrique » malgré les coupures, qui gênent la population mais que des techniciens peuvent parfaitement gérer. Quand on rentre à Paris avec un contrat qui prévoit sur vingt ans un prix du MWh intéressant, le capital à investir – plusieurs milliards d’euros – peut basculer immédiatement d’une zone à l’autre.

L’Afrique du Sud nous avait semblé l’endroit idéal pour installer une grosse usine de conversion de manganèse. Le Gabon est aussi un paradis électrique, puisque 80 % de la production d’électricité provient de barrages hydroélectriques. Si la population souffre des coupures, qui posent un problème politique, les industriels voient surtout qu’ils peuvent signer un contrat fixant à long terme le prix du mégawatt à une dizaine d’euros. C’est pourquoi tous les grands groupes y transfèrent la production de manganèse ou d’acier. Pour des Gabonais dont on utilise le minerai, c’est une bonne nouvelle ; c’en est une mauvaise pour la France, car, même s’ils souffrent de difficultés économiques passagères, les grands groupes disposent d’une capacité d’investissement colossale. Dans certaines zones, ArcelorMittal peut investir plusieurs milliards d’euros, quitte à emprunter.

M. Marcel Genet. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.

M. Alfred Rosales. En ce moment, les grands groupes d’aluminium envisagent d’importants projets en Australie, où l’on offre aux industriels une visibilité sur vingt ans en termes de contrat d’énergie. En matière d’électricité, la France ne le fait pas. Or la capacité d’investissement d’un groupe senior dépend de sa visibilité à long terme, c’est-à-dire au-delà de dix ans.

La structure du prix du marché est un second débat. Il existe actuellement, à côté du marché libre, qui manque de visibilité, un marché qu’on pourrait appeler privé. À la suite d’un décret paru en 2005, les industries électro-intensives, consommant plus de deux kilowattheures pour un euro de valeur ajoutée, ont pu intégrer le consortium Exeltium. ArcelorMittal ou Alcan répondaient à ce critère assez politique, imposé par les lobbyistes des grands groupes, tandis que les sites industriels et métallurgiques d’Eramet, qui consommaient plus d’un térawattheure consolidé, sont restés à l’écart, pour la seule raison qu’en 2005, on avait gardé pour référence les chiffres de 2004. À l’époque, j’avais vigoureusement défendu les « petits électro-intensifs », dont le ratio était inférieur à deux. Les exclus ont fini par acheter l’énergie au prix du marché. Quant aux potentiels nouveaux entrants, qui auraient pu produire de l’acier dans des fours électriques plus performants, ils ont été éliminés d’entrée, ce qui explique l’absence de moyenne métallurgie en France. Sur notre territoire, il n’y a pas d’intermédiaire entre les petites fonderies ou les fours électriques de faible puissance, et les grands électro-intensifs.

Perçue à l’origine comme très positive, la création d’Exeltium a réuni en fait une cinquantaine d’acteurs dans un club privé, qui n’en compte plus que vingt. Comilog Dunkerque (Eramet) est le seul petit électro-intensif qui ait accepté d’entrer dans le jeu des grands. Cet exemple nous interroge non seulement sur le niveau mais sur la structure du prix du marché en France.

Dernier point : on parle beaucoup du smart grid, qui vise à optimiser la consommation d’électricité en contrepartie d’avantages économiques substantiels. Pourquoi ne pas y inclure ce qu’on pourrait appeler le smart industry, c’est-à-dire un dispositif générant des économies, moyennant un accord de quelques millions ou dizaines de millions d’euros par sites ? Je regrette que le smart grid ne concerne que les grands opérateurs électriques, les opérateurs de réseau et les grands électro-intensifs, qui savent lire un contrat électrique et comprennent ce qu’est un effacement ou une interruption. N’oublions pas qu’historiquement, c’est la présence de l’industrie dans la vallée de la Maurienne qui a présidé à la naissance d’EDF, ce qui prouve que la dualité entre l’énergie et l’industrie est déterminante.

M. Alain Bocquet, rapporteur. Merci pour ces analyses, qui présentent la situation de la sidérurgie française sous un jour singulier, en montrant que, si ArcelorMittal tient le jeu en France et en Europe, le château de cartes peut s’écrouler d’un instant à l’autre. Mes questions iront toutes dans le même sens. En matière de sidérurgie, la France peut-elle encore disposer d’une filière complète ? Que doit faire la puissance publique ? Quelles propositions concrètes peut-on formuler ? Le but de cette Commission est en effet de peser sur le débat public.

M. Alfred Rosales. Le groupe ArcelorMittal joue un rôle déterminant dans le groupement Exeltium, puisqu’il s’est porté caution du montage financier en partie : quelles sont les clauses de sortie d’ArcelorMittal au regard de son engagement de caution ? Les membres d’Exeltium s’étant endettés sur vingt-cinq ans, paient aujourd’hui leur électricité au prix du marché si l’on intègre le risque financier dans le calcul du prix. À ce titre, le dispositif n’offre que très peu d’avantages. ArcelorMittal n’aurait-il pas intérêt à sortir d’Exeltium pour améliorer sa capacité financière ?

M. Christophe Journet. Les dirigeants actuels d’ArcelorMittal, que vous avez auditionnés, viennent de Pechiney, c’est-à-dire de l’aluminium.

M. Michel Liebgott. Au-delà de la stratégie d’ArcelorMittal, la surcapacité globale de tous les groupes pose problème. Ceux qui ont investi intelligemment dans certains pays tiennent le coup, mais ArcelorMittal a été moins prudent. Dans ce contexte, même si les syndicats tiennent un discours optimiste sur possibilité de créer des aciéries électriques, beaucoup d’acteurs affirment qu’il ne faut même pas y penser. Dans ce domaine, la France a déjà fait sa révolution. En 1977, le plan acier a supprimé 17 000 emplois. Il y a cinquante ans, soixante-dix fourneaux fonctionnaient encore en Lorraine, alors qu’il n’y en a plus aujourd’hui. L’État – c’est-à-dire le contribuable – a payé la facture.

Dès lors qu’ArcelorMittal a lancé une OPA sur toute l’Europe, de quelle marge de manœuvre l’État dispose-t-il ? Quelle stratégie peut-il définir pour le prix de l’électricité ? Doit-il, sous une forme ou sous une autre, imposer des barrières douanières ? Enfin, puisque nous avons obtenu que 180 millions soient investis sur le site de Florange, faut-il construire un haut-fourneau, afin de transformer la recherche fondamentale en recherche appliquée ?

Mme Michèle Bonneton. La surcapacité française et européenne est-elle une tendance de quelques mois, voire de quelques années, compte tenu des besoins notamment de l’Afrique du Nord, ou s’inscrit-elle dans le long terme ? En ce qui concerne l’énergie, je comprends que c’est par des contrats de long terme qu’on attire les entreprises, mais la Commission européenne semble les exclure. Que faire, par conséquent ? Est-il exact que, pour les industriels, l’énergie électrique soit plus chère en France qu’en Allemagne, où ils ne paient pas le coût de l’acheminement ? Pourquoi est-il si difficile d’imaginer que des fours électriques puissent retraiter les aciers en France ?

M. Marcel Genet. Ces questions lancinantes sont sans réponse. Le problème est non de savoir ce que peut faire la France pour préserver son industrie sidérurgique mais ce qu’elle fera si ArcelorMittal est en faillite. Le groupe est mondial, tout comme sa stratégie. Or les lois qui s’appliquent dans le monde développé ne permettent pas d’infléchir la politique d’un groupe international qui respecte globalement les règles du jeu. En pratique, l’État ne pourra donc rien faire si M. Mittal décide de fermer tel site – sauf peut-être le convoquer ou le mettre en cause par voie de presse.

On ne peut davantage agir à l’échelon européen. L’article 58 du traité de la CECA de 1952, qui ne s’applique malheureusement plus de nos jours, permettait de décréter l’ « état de crise manifeste » sur une entreprise. L’Union pourrait réactiver certaines dispositions. Cela dit, compte tenu de la situation européenne, obtenir un consensus sur un tel sujet prendra de nombreuses années.

Que se passera-t-il si le groupe ArcelorMittal se déclare, au plan local, en cessation de paiement, ce qui n’est pas impossible ? Sa dette est classée B à B–. La conjoncture mondiale va continuer de se détériorer. Il n’est donc pas impossible qu’on cesse de lui prêter. À tout prendre, les problèmes que rencontre la Lorraine ne sont pas si graves, au sens où la France a la capacité d’absorber le choc économique qu’entraîneraient une ou plusieurs fermetures. La situation serait plus compliquée en Europe centrale. La première chose à faire est donc de vous rapprocher de vos homologues roumains, polonais ou tchèques pour savoir ce qu’ils feraient, le cas échéant.

J’essaie de m’abstraire du problème social, car je pense qu’on ne peut le résoudre que si l’on a réglé au préalable la situation économique ou politique. Commençons, comme l’ont fait les États-Unis, par compter les actifs et les passifs du groupe. Si l’on prend en compte le passif social latent lié aux fermetures inévitables dans une situation de surcapacité, au licenciement de 100 000 employés surnuméraires et à la dépollution, en Roumanie, de quarante kilomètres carrés et à peine moins en Wallonie, en Lorraine, au Luxembourg, en Espagne, il est manifeste que le passif excède l’actif. C’est pourquoi les agences de notation ont dégradé la dette.

Paradoxalement, ceux qui s’opposent les plus à M. Mittal sont aussi ceux qui surévaluent sa puissance, tandis que les milieux financiers, qu’on pourrait croire en phase avec ce grand capitaliste, se montrent plus sévères. J’ai prévenu mes amis syndicalistes des cabinets Syndex ou Secafi Alfa : s’ils veulent peser sur ses décisions, ils doivent renoncer au combat social, qui, sans être illégitime, est inefficace, puisqu’il se limite à l’échelon national, alors qu’ArcelorMittal est un groupe mondial. Au reste, même au plan national, la solidarité entre Fos, Dunkerque et la Lorraine n’a pas été très forte.

Le seul moyen de peser sur la politique d’ArcelorMittal est d’utiliser les arguments de la logique capitaliste, ce qui suppose d’évaluer convenablement l’actif et le passif, que quelqu’un devra bien finir par payer. Après la crise de 1980, la France a nationalisé Usinor-Sacilor en 1986. Une partie des pays d’Europe, dont la France, a fait son travail. Les autres doivent s’y mettre. Il n’est pas impossible de créer une solidarité au niveau européen entre les deux groupes de pays. Pour l’heure, il faut dire la vérité : le roi est nu. Cette évidence peut enclencher un mouvement de défiance non seulement parmi les syndicalistes ou les hommes politiques, qui craignent une faillite, mais dans l’ensemble du monde financier. Demandez-vous de manière réaliste ce que vous ferez si – ou quand – le groupe ne pourra plus assumer ses responsabilités. Idéalement, il faudra que l’État– car il est difficile d’imaginer aujourd’hui une solution européenne – reprenne non seulement Florange mais aussi la totalité des sites d’ArcelorMittal en France. Ne vous demandez même pas s’il faudra ou non le faire ; préparez-vous à le faire !

M. Christophe Journet. Les autres États sont-ils dans la même situation ?

M. Marcel Genet. Bien sûr ! Les Espagnols sont concernés par les installations des Asturies et du Pays basque, et le cas des Roumains, des Polonais et des Tchèques est encore plus critique, car, leur économie étant plus faible, ils ont peu de moyens pour absorber le choc. C’est avec eux qu’il faut travailler.

M. Christophe Journet. J’ai été très intéressé par la réaction de M. Montebourg, qui, il y a près d’un an, en prenant ses fonctions, avait souhaité rencontrer ses homologues à Madrid, Bruxelles et Rome. À la même époque, M. Pascal Faure rédigeait un rapport pour la rédaction duquel il avait auditionné Marcel Genet.

On parlait aussi de la recherche. Le dossier Ulcos n’a pas été compris dans sa réalité. Tata Steel a réussi son programme Ulcos aux Pays-Bas, à IJmuiden, où la première tonne expérimentale d’acier vert a été produite en décembre. La nouvelle a été annoncée à quelques pas d’ici, à la Maison de la chimie, lors de journées sidérurgiques internationales organisées par la Fédération française de l’acier, qui reste leader au niveau mondial, et qui réunira encore 700 personnes à Paris en 2014, avec l’aide des fédérations allemande, autrichienne et suédoise. On y verra aussi les jeunes chercheurs coréens, qui ont largement contribué à l’invention des nouveaux moyens de fabrication.

Le directeur de la R & D mondiale d’ArcelorMittal, est un Américain d’origine russe qui vit en France. Il m’a expliqué, il y a deux ans, que, pour peu qu’on travaille encore quelques années, on pourra faire des aciéries totalement nouvelles produisant de l’acier électrolytique par un procédé nouveau. D’autres projets de recherche sont encore en réserve. On peut donc encore miser, à condition d’accepter ses choix. En 2009, M. Mittal disait qu’il ne voyait pas l’Europe sortir de la crise avant 2015. Il ne lui échappe pas que le monde connaît actuellement des mutations prodigieuses : alors qu’il pourrait construire la plus belle aciérie du monde, un État de l’ouest indien refuse de lui accorder un permis de construire, pour des questions de patrimoine et de traditions, et il lui a fallu trois ans pour réaliser avec Hunan Valin, en Chine, une joint-venture qui avait été amorcée par Arcelor.

Quand j’ai rédigé en 2011 pour le BIR (Bureau of International Recycling) une étude mondiale sur les commodités recyclées, j’ai constaté qu’on augmentait de manière exponentielle l’utilisation d’acier recyclé, y compris dans les aciéries primaires. ArcelorMittal se défend économiquement en introduisant de plus en plus de ferraille dans la fonte primaire. Quand M. Tajani évoque la possibilité pour l’Europe de contrôler le commerce international de scraps, il va contre l’intérêt de tous les acteurs. En ce moment, le prix du métal baisse partout. Celui de la ferraille a perdu quinze euros par tonne, le mois dernier, en France, ce qui pousse certains ferrailleurs à dissimuler leurs stocks en attendant des jours meilleurs, d’autant que, depuis 2007, ils se sont habitués à des prix inédits.

M. Lambert, président de l’Institut de l’économie circulaire, vous expliquera qu’il faut, y compris sur le plan législatif, favoriser les activités de recyclage, quitte à enlever une parcelle de pouvoir aux très grands groupes, qui, voulant rester propriétaires de ces activités, nient le rôle des petits acteurs. Pourtant, les petits ruisseaux font les grandes rivières. Je vous renvoie à « La fin de l’ère du déchet », de Dominique Maguin, un Français qui a présidé le BIR pendant plus de quinze ans. Ce texte fondamental dans l’histoire de l’Europe consacre la promotion du déchet en matière.

M. Alfred Rosales. L’Allemagne a déduit intelligemment du prix de l’énergie celui du transport pour les industriels. Si tous les contrats d’énergie à long terme se sont construits autour de la valeur du mégawatheure de marché, le coût d’acheminement reste une donnée locale non régulée au niveau européen, sauf aux frontières, et peut effectivement devenir une valeur d’ajustement de la facture d’électricité. Le Réseau de transport d’électricité (RTE) fait des efforts dans ce sens, mais l’attractivité de la France en matière d’acheminement d’électricité reste un sujet à creuser. Je rappelle qu’EDF n’a pu construire ses barrages que parce que les industriels ont accepté de venir se raccorder à quelques mètres des turbines (coût d’acheminement voisin de zéro).

D’autre part, plutôt que de nationaliser une industrie, peut-être vaut-il mieux nationaliser un produit. Même si nous sommes en crise aujourd’hui, le prix de la tonne d’acier peut doubler demain, puisque le monde se développe. Les gisements de minerais finiront par s’amenuiser. L’État pourrait acheter non des sociétés mais des lingots, et les stocker pendant des années. À l’époque de la présidence Giscard d’Estaing, l’État possédait des stocks stratégiques, sous la forme de milliers de tonne de cuivre et d’aluminium. Quand il les a revendus pour des raisons budgétaires, il a réalisé une plus-value importante. Puisque les matières premières forment un véritable stock financier, pourquoi ne pas acheter du lingot, notamment par l’intermédiaire du FSI ? Ces stocks de lingots, que les banquiers savent parfaitement gérer, offriraient aux entreprises soumises à des difficultés passagères un moyen de sécuriser leur production et donc l’emploi. Acheter des lingots est aussi une manière d’acheter de l’énergie et de la stocker. Même aujourd’hui où des fours sont arrêtés depuis plusieurs mois, l’électricité conserve sa valeur.

M. Christophe Journet. L’alternative que recherche M. Raoul, président de la commission des affaires économiques du Sénat, pour l’abandon du moratoire sur le gaz de schiste – ce qui permettrait de construire les usines que Marcel Genet appelle de ses vœux –, est indispensable économiquement et possible scientifiquement, notamment aux dires de Veritas. Le bassin du schiste français s’étend de l’est à l’ouest du pays. M. Van Rompuy a raison de dire qu’il existe de grandes possibilités pour ce qu’il nomme pudiquement les « gaz non conventionnels ».

M. le président Jean Grellier. C’est un débat que nous avons ouvert ce matin dans une autre réunion. Il concerne à la fois l’énergie, le rôle de l’État stratège et le financement des entreprises.

Messieurs, je vous remercie. Vous méritez tous trois le nom de grands experts.

Audition, ouverte à la presse, de Mme Dominique Caboret et M. Philippe Morvannou (cabinet Syndex) et de MM. Gwenaël Le Dily et Philippe Gervais (cabinet Secafi Alfa )

(Séance du mercredi 12 juin 2013)

M. le président Jean Grellier. Nous recevons aujourd’hui, Mme Dominique Caboret et M. Philippe Morvannou du cabinet Syndex et MM. Gwenaël Le Dily et Philippe Gervais du Cabinet Secafi Alfa

C’est à dessein que nous avons tenu à les auditionner ensemble, dans le cadre d’une même audition. Car les syndicalistes que la commission d’enquête a rencontrés se référent souvent et indistinctement aux travaux de vos consultants. En premier lieu, vous voudrez bien nous rappeler à quelles occasions vos expertises ont été conduites sur les sujets qui intéressent notre commission. Est-ce au titre du droit d’alerte économique des comités d’entreprise prévu par le code du travail ou sur d’autres fondements juridiques ?

Au cours de la Table ronde que nous avons organisée à l’Assemblée nationale, le 29 mai, des responsables syndicaux ont illustré certains de leurs propos sur la situation d’ArcelorMittal en s’appuyant notamment sur vos analyses. Mais il apparaît que des travaux récents de vos cabinets ont aussi porté sur des activités métallurgiques qui relèvent également du champ d’étude de la commission.

Ainsi, nous nous souvenons que le cabinet Syndex a été plusieurs fois cité, devant la commission d’enquête, au sujet de son appréciation concernant la stratégie du groupe italien KME à l’égard de sa fonderie de cuivre de Givet qui a dépendu longtemps de l’ex-entreprise française Tréfimétaux. Nous aimerions aussi savoir si vous avez travaillé récemment sur d’autres filières, comme celle de l’aluminium, et notamment sur les sites français de Rio Tinto, sans oublier les problématiques du recyclage des activités d’aval.

Vos constatations et conclusions nous intéressent au plus haut point. Le devenir de sites industriels importants est en jeu. Je pense à Florange, à Fos-sur-Mer, à Dunkerque, à Saint-Jean-de Maurienne, des sites que nous avons visités, mais aussi au sort d’Ascométal dont nous avons rencontré la direction et les syndicats de son site de Fos, ou encore de Constellium, deux entreprises qui ont en commun d’avoir aujourd’hui pour actionnaire principal un fonds d’investissement américain Apollo Global Management.

Enfin, je n’oublie pas les conséquences de l’Accord conclu entre l’État et Lakshmi Mittal le 30 novembre 2012. Nous avons rencontré la semaine passée en Lorraine, le préfet Marzorati qui préside le comité de suivi de cet Accord.

Plus nous avançons, plus nous nous nous posons de questions. Par exemple, les décisions qui impactent le site de Basse Indre sont-elle économiquement viables ou même simplement réalistes ? Le projet Lis qui succède à Ulcos est-il porteur de potentialités et peut-on concevoir des conséquences positives pour la Lorraine alors que la filière liquide est, de l’avis de beaucoup, définitivement arrêtée à Florange même si ses deux hauts fourneaux placés « sous cocon » ne doivent pas être détruits avant six ans ?

Autre interrogation, les sites de Dunkerque et de Gand sont-ils complémentaires ? La sidérurgie belge, en se référant notamment ses entités liégeoises qui ont subies des arbitrages récents, a-t-elle un avenir ? Le cabinet Syndex a, semble-t-il, été mandaté pour analyser la question.

Plus largement, que pensez-vous de la situation économique et financière du groupe dirigé par M. Mittal, notamment des investissements qu’il a privilégiés dans les mines ? Cela a-t-il un sens ? Est-ce vraiment créateur de valeur ou est-ce une sorte de fuite en avant s’agissant d’un groupe lourdement endetté dont la dette est d’ailleurs classée en catégorie BB– ? Dans cette salle, il y a une semaine, des experts et non pas des syndicalistes, nous ont dit que l’hypothèse d’une situation de cessation de paiement d’ArcelorMittal n’était pas à exclure ?

Voilà ce que j’ai pensé utile de vous faire part en préalable. Vous voudrez bien excuser notre rapporteur, Alain Bocquet, retenu au Conseil constitutionnel, ainsi que d’autres collègues que des travaux en cours dans les commissions empêchent donc en ce moment d’être présents à cette audition mais certains nous rejoindront dès que possible. Madame, Messieurs, nous allons vous entendre, dans un premier temps, au long de vos exposés liminaires d’une vingtaine de minutes au maximum. Puis nous vous poserons ensuite des questions complémentaires.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter serment de dire la vérité.

Mme Dominique Caboret, MM. Philippe Morvannou, Gwenaël Le Dily et Philippe Gervais prêtent serment.

M. Gwenaël Le Dily, consultant du cabinet Secafi Alfa. Les missions que nous effectuons dans le secteur de la sidérurgie sont de deux types. En premier lieu, il y a les missions que l’on peut appeler « classiques » qui consistent à examiner les comptes d’une entreprise et d’en dégager leurs incidences économiques et sociales. Il existe aussi des missions plus ponctuelles que nous réalisons dans le cadre du droit d’alerte des comités d’entreprise comme cela est le cas lorsqu’une restructuration est en cours, à l’exemple de notre intervention s’agissant de la société ArcelorMittal Atlantique et Lorraine qui impacte des sites comme Florange ou encore celui de Basse Indre. Notre cabinet est également impliqué dans d’autres missions concernant des groupes comme Ascométal ou encore Rio Tinto Alcan (RTA) et aussi des filières (aciers plats, inox etc.). Notre champ d’intervention se trouve toutefois circonscrit aux activités comprises sur le territoire national en vertu des limites du droit social français.

Pour introduire plus spécifiquement le sujet qui retient l’attention de votre commission, je vous invite à prendre connaissance de la note sectorielle actualisée que nous vous avons transmise. Il convient, d’abord, de rappeler que la crise qui affecte le secteur date du courant de l’année 2008. Depuis on ne perçoit, du moins s’agissant de l’Europe, qu’un faible potentiel de redémarrage par rapport à une période de pointe de l’activité qui ne peut toutefois servir de référence absolue car « on ne grimpe pas les Himalaya tous les jours ! ». Les années 2007-2008 ne constituent donc pas un bon repère. Autre rappel, la Chine compte à présent pour près de la moitié de la production mondiale et, chaque année, sont créées dans ce pays de nouvelles capacités équivalentes à ce que produit ArcelorMittal ! On relève néanmoins des signaux positifs de reprise en Amérique du nord et en considérant quelques petits signes concernant l’Europe, le point bas ou point d’inflexion n’est sans doute pas loin, d’autant que les stocks y sont désormais faibles. Un redémarrage est possible voire proche. La question est posée au regard de la mise à l’arrêt d’une partie des activités de nombreux acteurs de la sidérurgie européenne qui ont privilégié un cycle se caractérisant par la convergence de modèles de réduction de l’offre. Cette voie qui devait, selon eux, éviter de trop lourdes conséquences sur les prix et un écrasement de leurs marges, n’a pas totalement réussi si on considère les résultats des principaux groupes. Il existe même à terme un réel risque de dépendance pour l’Europe et cela est encore plus vrai pour la France qui a très sensiblement engagé une « réduction de voilure ». Quoi qu’il en soit, le secteur reste exportateur net en volume et plus encore en valeur malgré le niveau de l’euro par rapport au dollar. Il y a certains effets de balance entre les marchés spécifiques du haut de gamme et les produits moins nobles. La sidérurgie française compte environ 50 000 emplois et même 80 000 en englobant les sous-traitants. Toutefois, il faut se garder d’un raisonnement qui ne privilégierait que les seuls marchés du haut de gamme car il faut absolument maintenir un équilibre entre précisément ce qui relève de ce haut de gamme, mais aussi du moyen de gamme et enfin ce qui est généralement regroupé sous le nom de commodités. Un tel équilibre demeure essentiel pour le bon fonctionnement d’une activité aussi capitalistique. À défaut, les prix de revient ne seraient plus supportables.

La réduction du volume de production en Europe a conduit à une hausse des importations. La Chine augmente fortement sa production, production qui reste d’ailleurs en hausse dans le monde entier dans le domaine de l’acier alors que le coût du minerai augmente. Dans ces conditions, les marges demeurent faibles car le poids des matières premières sur les prix est prépondérant.

Il s’agit d’un secteur à investissements longs, d’où l’importance de la R&D. Ainsi, les produits Usibor d’ArcelorMittal gagnent aujourd’hui de l’argent mais il faut savoir que leurs premiers développements remontent au début des années quatre-vingt-dix. Cela donne la mesure de la durée du cycle. Il faut donc rester vigilant et ne pas baisser la garde dans le domaine de la R&D. L’investissement industriel doit porter sur l’outil, certes, mais encore sur les hommes. À Florange, un quart des emplois sont concernés par des départs en retraite et la pyramide des âges tend à s’inverser.

M. Philippe Morvannou (cabinet Syndex). Nous exerçons notre expertise auprès des CE et des CHSCT, depuis 2007 auprès du comité d’entreprise européen d’ArcelorMittal mais aussi, auprès du comité de l’acier et du comité du dialogue social sectoriel.

À ce stade, il faut remettre en perspective l’histoire de la sidérurgie depuis 2004. L’année 2004 me semble être en effet un bon point de départ pour l’analyse. La période 2004-2008 a été celle d’une croissance soutenue tant en volume qu’en tonnage et en prix. 2004 a vu l’arrivée de la Chine sur le marché, aujourd’hui, ce pays produit la moitié de l’acier mondial. Ce qui change la donne, c’est le prix des matières premières, ceux-ci ne baisseront plus à l’avenir. Ils représentent désormais jusqu’à 80 % du prix de revient contre 30 % avant 2004. De son côté, au cours de la même période, le coût de la main d’œuvre est tombé à 10 voire 15 % au maximum des prix de revient des produits.

La sidérurgie européenne est en voie de déclassement si rien ne change dans un monde ouvert aux échanges. La balance commerciale de l’acier européen est positive mais artificielle, dès qu’il y a une reprise, le prix des produits plats baisse et celui des produits longs augmente. Cette constante est due à ce que nous vendons beaucoup de produits longs au Maghreb qui construit beaucoup alors, que l’Europe sera à terme déficitaire pour les produits plats et les aciers spéciaux.

Tous les pays européens connaissent une baisse de leur production : - 19 % pour la France ; - 31 % pour la Belgique ; - 38 % pour la République tchèque. On pourrait même dire que notre pays ne s’en tire pas trop mal ! En ce qui concerne l’équilibre entre l’offre et la demande, nous ne partageons pas le discours partout entendu au sujet d’une surcapacité ; bien au contraire, depuis 2007, 40 millions de tonnes ont été fermées. Si le caractère temporaire de certaines fermetures, à la différence d’un site comme celui de Florange que nous classons « fermé » pour sa filière liquide, se confirme, il manquera encore 20 millions de tonnes. Devant ce phénomène, les pays sont inégalement touchés, certains ont gagné en productivité pendant la crise ; ces gains leur permettent de rester performants.

Le pincement entre les matières premières et les produits touche tous les secteurs y compris l’acier électrique. Au titre d’exemple, le site de Bilbao, a divisé par deux ses capacités et continue de s’adapter. La crise à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui n’est pas celle du début des années 1990. Pour apporter une réponse, il faut gagner en efficience énergétique comme en efficience « matière ». La sidérurgie européenne est efficace mais des progrès restent à faire dans ces deux domaines qui permettraient de résorber la question de la compétitivité de 20 %. Plus on utilise de matière, plus on consomme de l’énergie pour la fondre.

C’est ce qui était attendu en termes économiques du projet Ulcos. Si la technologie envisagée pour Florange fonctionne comme résultat d’un consensus sur le travail de plusieurs chercheurs sur plusieurs années, avec un financement provenant à 50 % de la sidérurgie, le projet pourra se développer dans ses trois étapes. Si le recyclage des gaz de hauts fourneaux est mis en œuvre, alors 40 % d’économie seront réalisés. Pour ce qui concerne l’enfouissement du CO2, il faut traiter cette question à part du reste du projet.

Dans le même cadre, et au sujet de Saint-Jean-de-Maurienne, il faut comparer les performances allemandes et françaises dans l’aluminium, je vous laisse apprécier de quel côté se trouve la performance énergétique ! La question ne relève pas uniquement de la technique, il faut associer les travailleurs. En Allemagne, le patronat travaille notamment avec le syndicat de la chimie. La France a longtemps bénéficié d’une énergie à bon marché sans songer à l’avenir. Aussi, si la perspective est qu’un groupe allemand rachète Saint-Jean-de-Maurienne, c’est que celui-ci a su combiner l’économie d’énergie avec l’économie « matière ».

Nous ne pouvons pas nous prononcer sur la situation financière d’ArceloMittal pour des raisons de confidentialité.

M. le président Jean Grellier. Passons aux questions de nos collègues.

M. Michel Liebgott. Quelques commentaires concernant ArcelorMittal.

Sur Ulcos, je me félicite de votre position, parce que nous avons toujours considéré qu’il n’y avait pas que le stockage. La question est désormais de savoir si le procédé Lis se fera à Florange, à Dunkerque ... ou ailleurs. Il s’agit d’une décision à la fois politique et qui appartient aussi au groupe ArcelorMittal.

La distinction entre produits longs et produits plats est importante en ce qui concerne la surcapacité. Il peut y avoir des « niches » qui fonctionnent bien quand on est dans l’excellence.

Les surcapacités restent néanmoins un vrai problème. C’était le cas pour la reprise de Florange. Par rapport à ce qui se passait à l’époque de la CECA, il est difficile aujourd’hui d’intervenir financièrement ; on est plutôt dans le domaine des recommandations aux industriels, de la part de la Commission de Bruxelles, que dans l’action directe. L’intervention dans les secteurs de l’automobile et du bâtiment pourrait toutefois booster la production sidérurgique. Et il n’existe pas de structure de concertation des syndicats, des producteurs, des utilisateurs, etc., au moins dans le cadre européen. Une volonté politique européenne semble dorénavant exister, mais elle sera difficile à mettre en œuvre. En tout cas, nous ne sommes qu’au début d’un processus car il faudra bien passer, à un moment donné, des déclarations aux actions concrètes. Prix des matières premières, prix de l’énergie, concurrence de la Chine : qu’en est-il des conditions d’élaboration d’un « mini-protectionnisme » ?

M. Hervé Gaymard. Le prix de l’énergie est un sujet majeur pour l’industrie française et européenne. Il faut une vision de synthèse car des sujets apparemment adjacents sont centraux et doivent être considérés de manière globale.

S’agissant des affaires Rio Tinto Alcan (RTA), et notamment de l’aluminium à Saint-Jean-de-Maurienne, j’ai rencontré, avec le ministre du redressement productif, les dirigeants de l’entreprise allemande Trimet il y a quelques semaines. Le fondateur de cette entreprise est parti du négoce, puis est venu à la production en rachetant des « canards boiteux » (en Allemagne, à Düsseldorf, à Gelsenkirchen, par exemple). 50 % de sa production est désormais constituée par du métal primaire et 50 % par du recyclage, cette seconde moitié lui assurant des marges importantes. Il privilégie aussi la recherche fondamentale, assez peu de manière autonome mais grâce à des partenariats de travail avec les universités (une habitude allemande plus que française…) – et plus encore avec ses clients, pour lesquels il élabore des produits adaptés à toutes leurs demandes, les clients contribuant par conséquent assez largement au financement de sa recherche en amont.

Une question importante et même assez inquiétante est celle de l’approvisionnement en alumine. Il faut vraiment une approche « filière », et pas seulement « production »; d’autres usines de RTA donnent à cet égard de sérieux signes d’inquiétude sur leur pérennité de leur implantation en France.

M. Michel Liebgott. Mon collègue Gérard Terrier qui a dû nous quitter en cours d’audition, m’a demandé de vous interroger sur la problématique de la reprise du site d’Ascométal en Lorraine par le fonds américain d’investissement Apollo, car l’absence de plan d’investissement est très inquiétante pour les salariés.

M. le président Jean Grellier. Pourriez-vous encore être plus précis sur les enjeux de l’efficience « matière » et quels sont les leviers sur lesquels on pourrait agir sur l’efficience énergétique ?

Il y a également une crainte, exprimée par les partenaires sociaux, notamment au centre de Maizières-lès-Metz, d’une baisse des moyens en matière de recherche. À Saint-Jean-de-Maurienne, les négociations ne sont-elles pas déconnectées du centre de recherche ?

La France a perdu de sa souveraineté en matière capitalistique. Quels sont aujourd’hui les axes sur lesquelles la puissance publique pourrait impulser des systèmes relationnels nouveaux avec ses données capitalistiques Le FSI avec des participations souvent aux alentours des 10 % seulement peut-il influencer de façon déterminante les stratégies ?

À cet égard, quelle stratégie peut être mise en œuvre sur le site de Basse Indre ?

M. Gwenaël Le Dily. Sur la question du packaging, le projet tel qu’il est proposé a un certain sens. Il répond à certaines contraintes mais il s’inscrit effectivement dans le cadre de l’accord passé entre ArcelorMittal et le gouvernement. Ce projet, complexe, présente cependant des risques. Il existe des plans B ; nous en avons d’ailleurs nous-mêmes proposé un dans le cadre de notre mission.

L’aspect efficience énergétique est un des points majeurs, car elle permet de minimiser un facteur rare, le coût des matières premières. Cela renvoie à toute une chaîne industrielle et à une filière complexe, pour laquelle il faut raisonner à long terme à 10 à 15 ans ! C’est pourquoi on voit mal ce que viennent faire des fonds spéculatifs ou d’investissement comme Apollo dans ces métiers-là, dès lors qu’ils jouent sur des périodes bien plus courtes et sur l’endettement pour acquérir une entreprise puis sur des effets de levier.

ArcelorMittal n’est sans doute pas au bord du dépôt de bilan, un système ayant été mis à en place notamment au moyen d’augmentations de capital qui le met à l’abri sur le court terme. Mais ce groupe fait tout de même face à des difficultés. Ses contraintes de trésorerie l’obligent à sélectionner de manière drastique tous ses investissements, ce qui met en péril certains sites à moyen terme, la crise durant depuis quatre ans déjà. Le groupe cherche à maintenir son unité et l’on verra s’il est capable de le faire. Mais, avant de disparaître, il peut se disperser en plusieurs morceaux valorisables les uns les autres. Le scénario d’un dépôt de bilan « sec » me semble lui tout à fait exagéré.

Il faut raisonner à une échelle européenne, les flux intracommunautaires d’acier et au-delà des frontières étant importants. Une difficulté actuellement est le prix trop bas du carbone, ce qui n’incite pas à des fonctionnements très vertueux. Travailler sur l’efficacité énergétique est à cet égard indispensable, une différence de dix euros pouvant faire la différence dans la concurrence internationale – ce qui vaut aussi bien pour les produits dits du haut de gamme que pour les autres.

Les marchés de commodités sont soumis à la concurrence des pays à bas prix, tels que la Chine ou la Russie ; travailler sur l’efficacité énergétique suppose de réfléchir à la transposition d’une évaluation vertueuse afin de rééquilibrer la donne à l’entrée de l’Union européenne, en taxant les produits qui ne respectent pas les mêmes normes que nous et peuvent de ce fait être 10 à 20 € moins chers, ce qui a un réel impact dans les marges de distribution.

M. Philippe Morvannou. Pour répondre à votre question sur le caractère hautement capitalistique de la sidérurgie, notre étude sur le bassin de Liège a démontré que les groupes reposant sur un modèle financiarisé se portaient plutôt mal, alors que les groupes avec des capitaux à parties prenantes s’en sortaient mieux, comme le montrait leur EBITDA (52) de 2007 à 2011. En effet, il est clair que les groupes dont une partie du capital appartient aux pouvoirs publics, et où est instaurée une gouvernance à participation syndicale, maintiennent leur niveau d’investissement .Ils ne font pas de plans sociaux et enregistrent des gains de part de marché. Au contraire, comme l’indiquent des chiffres connus de tous car publiés par les entreprises, on constate qu’ArcelorMittal ou Tata Steel perdent des parts de marché, licencient, ferment des usines et voient leurs résultats se dégrader. Le modèle des capitaux à parties prenantes permet de mieux prendre en compte le moyen et le long terme, il se révèle donc supérieur, d’autant qu’aucun de ces groupes ne bénéficie d’intégration minière, sauf Voestalpine mais pour une petite part. ArcelorMittal a réalisé, en revanche, cette intégration, ce qui est compréhensible car cela lui donne un avantage compétitif ; la question reste de savoir ensuite qui en profite, l’actionnaire ou l’industrie.

Quant à la possibilité des pouvoirs publics d’influencer les décisions, on peut comparer Constellium et Ascométal : ils appartiennent l’un et l’autre au fonds d’investissement Apollo, Global Management mais Constellium peut s’appuyer sur le Fonds stratégique d’investissement, le FSI, contrairement à Ascométal. Les pouvoirs publics peuvent avoir une influence – État, région, ou même d’autres types d’acteurs publics comme ils existent dans d’autres pays – en pratiquant la gestion concertée des investissements et des savoir-faire.

Pour l’aluminium, quand on aura séparé à Saint-Jean-de-Maurienne la recherche-développement de l’usine dont la production phare est le fil, l’unité deviendra déficitaire en innovation. Il en est de même pour le centre d’ArcelorMittal à Maizières, où il n’est pas possible de conserver la R&D dans la filière « amont », alors que Florange n’y existe plus.

Il est indispensable d’établir un lien entre les pouvoirs publics, la R&D et le dialogue social.

Le débat sur l’efficience est important. Eurofer estime qu’elle est maximale et qu’on peut seulement réduire encore de 0,5 % la consommation d’énergie et de 2,8 % les émissions de CO2, ce qui est tout à fait ridicule : on constate entre les unités en Europe des rapports de 1 à 2, et plus encore si l’on prend en compte l’Europe de l’Est. Selon qu’un site est, ou non, à proximité d’une centrale électrique, l’efficacité n’est pas du tout la même. D’ailleurs, des documents préconisent un programme de recyclage des gaz des hauts fourneaux sur les sites qui n’ont pas de centrales électriques à proximité. Le débat est d’autant plus réel que les sidérurgistes représentent la seule profession qui ait refusé la coopération avec la Commission européenne pour déterminer le niveau souhaitable d’émission de CO2. Les chiffres d’Eurofer et ceux de la Commission diffèrent. Ce problème de l’efficacité est au cœur du débat : si l’on estime que des efforts s’imposent, il faut investir. Ce différend a des raisons financières. En mai 2012, les sidérurgistes ont fait admettre par la Commission que la répercussion des coûts de CO2 dans le prix de l’électricité puisse faire l’objet d’un effacement (c’est-à-dire d’une subvention) de la part des pouvoirs publics : les États européens peuvent subventionner les producteurs à hauteur de l’impact du CO2 sur le prix de l’électricité qui leur est vendu. Or quel pays a actuellement les moyens de subventionner ses industries sidérurgiques, excepté l’Allemagne et éventuellement l’Autriche ? La Commission a commandé une étude sur le « fitness check » afin de déterminer l’impact du coût de l’environnement sur les prix de l’acier : la conclusion en est qu’il n’est pas significatif ; des interrogations se sont élevées sur la qualité de ce travail. Quant au plan du Commissaire Tajani, on voit bien qu’il essaie de « passer entre les gouttes »: il rencontre un soutien limité au sein même la Commission et n’a d’ailleurs pas celui d’Eurofer.

Nous proposons ce que nous appelons un ajustement aux frontières européennes depuis 2007, et non pas d’une taxation, un terme que nous n’employons pas volontairement. Il s’agit d’un dispositif conforme aux règles fondamentales de l’OMC : on exige des importateurs l’application des mêmes règles que celles imposées aux producteurs nationaux pour tout ce qui concerne l’environnement. Ce système devrait être appliqué à toutes les importations de commodités. Aujourd’hui, une norme est fixée par la Commission européenne : par exemple, si le producteur produit 10 % de plus de CO2 que la norme, il dispose de 10 % de permis d’émission ; soit il va les acheter sur le marché, soit on les lui alloue gratuitement. S’il les achète sur le marché, le producteur russe ou chinois devrait en faire autant : il s’agit de l’équité de traitement prônée par l’OMC, dont tiendrait compte aussi bien le producteur européen que le producteur chinois et ce serait validé par l’OMC.

La recherche de l’efficience des ressources est réalisée dans l’entreprise, et se généralise à l’ensemble de l’industrie.

M. le président Jean Grellier. Madame, Messieurs, je vous remercie de vos interventions.

Audition, ouverte à la presse, de M. Patrick de Schrynmakers, consultant, ancien directeur général de l’Association européenne de l’Aluminium (AEA)

(Séance du mercredi 19 juin 2013)

M. le président Jean Grellier. Nous recevons aujourd’hui, Monsieur Patrick de Schrynmakers qui était, jusqu’au mois de janvier dernier, secrétaire général de l’Association européenne de l’aluminium (AEA ou EAA), une organisation professionnelle qui a son siège à Bruxelles.

Il est très important pour notre commission d’entendre des experts, car ils sont a priori indépendants des grands groupes industriels même s’ils poursuivent souvent des activités de consultant. Leurs réflexions nous sont apparues comme complémentaires des propos tenus devant nous par les industriels et les syndicalistes. Ils ont des vues évidemment plus larges, qui tracent des perspectives économiques et sociales globales sur les filières retenant notre attention.

Si l’on se réfère, Monsieur de Schrynmakers, à certaines de vos déclarations relatées par la presse lorsque vous étiez encore en fonction, l’optimisme ne serait pas de mise, au moins pour la production d’aluminium primaire en Europe !

Au nom de votre organisation, vous avez estimé qu’en raison de la hausse du coût de l’électricité, près des deux tiers des usines européennes sont menacées de fermeture. Force est de constater que des sites importants ont déjà été démantelés. Rio Tinto a agi ainsi au Royaume-Uni et un autre géant, l’américain Alcoa, a fait de même à en Italie.

Il est exact que beaucoup de contrats de long terme avec les fournisseurs d’énergie arrivent à échéance et les nouveaux prix proposés aux industriels « électro-intensifs » ont parfois doublé !

Par ailleurs, l’Association européenne de l’aluminium a dénoncé les « surcoûts » qui seraient supportés par les producteurs au titre de la politique de l’Union européenne sur les émissions de CO2, entraînant une augmentation de 10 à 12 % des coûts de production !

Nous allons donc vous entendre avec un grand intérêt sur ces points.

Cela dit, il semble que la Commission européenne ait pris conscience de certains de ces problèmes, sans doute bien tardivement.

Nous avons rencontré la semaine dernière le Commissaire européen Tajani qui, lorsqu’il nous a présenté les grandes lignes de son plan acier, a insisté sur la possibilité offerte aux sidérurgistes de conclure des contrats d’électricité à long terme, c’est-à-dire, selon nous, au-delà du butoir de cinq ans, et renouer au moins quelque peu avec ce qui était possible autrefois. Qu’en sera-t-il pour le secteur de l’aluminium, pour lequel l’énergie représente souvent 40 % des coûts de production ?

Nous nous interrogeons également sur le devenir du recyclage de ce métal et des productions dites de deuxième fusion, ainsi que sur les perspectives des secteurs d’aval, souvent dynamiques, de la transformation.

En outre, qu’en est-il exactement du dumping de certains pays émergents ? Quels types de produits sont concernés ? Pouvez-vous nous donner certains exemples parmi les plus criants ?

Je crois qu’à partir de la problématique posée par la vente par Rio Tinto de son unité de Saint-Jean-de-Maurienne, on peut aussi s’interroger sur les stratégies actuelles des grands groupes mondialisés industriels et aussi miniers.

M. Patrick de Schrynmakers prête serment.

M. Patrick de Schrynmakers, ancien secrétaire général de l’Association européenne de l’aluminium (AEA). Je suis né en Belgique, j’ai vécu en Afrique pendant les dix premières années de ma vie, puis, en tant qu’ingénieur commercial de l’École de Commerce de Solvay, j’ai dédié toute ma vie à l’industrie. J’ai d’abord travaillé pour Solvay au Brésil dans la finance puis pour la réorganisation de sociétés. Je suis ensuite rentré en Europe pour m’occuper d’une filature de lin pendant quinze ans. J’ai également créé de nouveaux produits composites pour l’industrie automobile – j’ai fait une alliance avec La Chanvrière de l’Aube – et, au cours des douze dernières années, jusqu’en janvier dernier, j’ai dirigé l’Association européenne de l’aluminium.

Celle-ci regroupe plus de 85 % de l’industrie de l’aluminium, dont la totalité des smelters – ou fonderies –, 90 % du laminage et plus de 75 % de l’extrusion.

Je me suis battu pendant douze ans à Bruxelles avec toute mon équipe, qui a compté jusqu’à 20 personnes, pour que la Commission européenne se dote d’une politique industrielle doublée d’une politique énergétique, les deux allant de pair.

Ces politiques ont enfin gagné en importance, la crise aidant, mais la partie est loin d’être gagnée. Il est donc essentiel que la France les influence et en encourage le développement rapide. Les grandes lignes de la politique énergétique européenne se décidant à Bruxelles, je ne puis que vous inviter à suivre activement ce qui s’y passe.

Sans politique énergétique digne de ce nom, l’industrie européenne – notamment l’industrie lourde et celle des matières premières, dont une grande partie est très intensive en énergie – est condamnée. C’est également le cas d’une partie de l’industrie française.

La Commission s’est finalement engagée dans une réflexion stratégique sur l’avenir des filières industrielles européennes incluant les multinationales, les grandes entreprises et les PME. Mais cette réflexion mettra du temps pour déboucher sur des mesures concrètes, et beaucoup de mal a déjà été fait.

Après des années de lutte pour faire comprendre à la Commission l’impact crucial de la législation européenne sur notre industrie, deux secteurs industriels européens ont bénéficié d’un projet financé par la Commission – d’un montant d’environ 1 million d’euros – : le raffinage de pétrole et l’aluminium. Jusqu’ici, la Commission s’était en effet principalement intéressée au charbon et à l’acier.

Il s’agit d’une étude intitulée « Fitness Check » – ou « vérification de santé ». Concernant l’aluminium, le développement du projet a été confié au Centre for European Policies Studies (CEPS), un institut de recherche travaillant pour la Commission sur l’aluminium et maintenant aussi sur l’acier. Ce projet commence par une description chiffrée du secteur et de sa chaîne de valeur – ce qui a déjà été fait pour l’aluminium – et se poursuit –aujourd’hui – par une analyse de l’impact de l’énergie sur le secteur. Il fera ensuite l’objet au cours du mois de juin d’une étude des impacts de la concurrence et du changement climatique. Les vacances d’été seront consacrées aux impacts environnementaux, puis aux aspects relatifs au commerce extérieur, ainsi qu’aux politiques de droits de douane et autres.

Ce travail devrait être fini fin septembre. Si le rapport décrira les impacts de la législation, il ne proposera en aucun cas une liste de recommandations. En octobre, la direction générale Entreprises et industrie (DG « ENT ») de la Commission devra analyser le rapport et proposer des mesures de soutien à l’industrie. Le Commissaire Tajani, est pressé car il compte sur ce travail pour pouvoir alimenter le premier Sommet européen dédié à la compétitivité de l’industrie, prévu pour février 2014. Cela devrait retenir toute l’attention de votre commission et de votre ministre Arnaud Montebourg.

Il est important de comprendre que la direction générale Concurrence (DG « COMP ») n’a pas voulu jusqu’à présent définir des lignes claires en matière de soutien à l’industrie qui s’appliqueraient à tous les pays. Les États membres ont donc gardé la main dans ce domaine et deux pays en profitent largement : l’Allemagne et, dans une moindre mesure, la Norvège. Beaucoup de pays tirent parti de cette situation pour ne rien faire, ce qui est dramatique pour l’évolution de l’industrie.

Le problème le plus critique est l’impact que le système ETS – Emissions Trading Scheme ou système communautaire d’échange de quotas d’émission de carbone – a sur les prix de l’électricité, ou ce que nous appelons l’impact indirect de l’ETS sur l’industrie. Cet impact va jusqu’à huit fois celui des émissions générées par notre industrie dans les électrolyses et usines de fabrication d’alumine. La DG « COMP » ne comprend pas assez les conséquences que cela a sur l’industrie intensive en énergie. De plus, elle s’occupe essentiellement des problèmes de compétitivité intra-européenne, alors que dans notre secteur, cela n’a pas d’importance, même si le prix de l’électricité peut être très différent selon les pays. En revanche, elle se désintéresse de la concurrence extra-européenne, ce qui devrait pourtant être l’essentiel de ses préoccupations !

Dans le passé, la plupart des smelters avaient des contrats à long terme avec les producteurs d’énergie électrique qui, lorsqu’ils avaient un projet ambitieux, souhaitaient voir une industrie de l’aluminium s’installer près d’eux – la dernière usine d’aluminium construite en Europe l’a été à Dunkerque, à proximité de la centrale nucléaire et tourne jour et nuit, utilisant une part importante de la capacité d’EDF Dunkerque. En effet, un smelter fonctionne toute l’année et a une consommation importante et invariable. Or, produire de l’énergie constante coûte jusqu’à dix-huit fois moins que de l’énergie variable. La Commission n’a jamais intégré ces données.

L’industrie de l’aluminium a décidé, dès le début, d’accélérer le programme « Fitness Check ». Elle n’a plus rien à perdre – nous avons encore une capacité de 3,1 millions de tonnes en Europe, sachant que seules 2 millions de tonnes sont produites et que si les toutes les entreprises dont les contrats venus à échéance avaient arrêté leur production, on en serait à 1 million de tonnes. Cependant, quelques usines continuent à tourner, même à perte, en espérant que le mauvais cap pourra être passé bientôt.

Or, pour les deux smelters restant en France, les contrats à long terme arrivent à échéance en 2014 pour Saint-Jean-de-Maurienne et 2017 pour Dunkerque.

Ces contrats d’électricité à long terme ne sont plus à l’ordre du jour pour les producteurs d’électricité, pour plusieurs raisons : la DG « COMP » s’y oppose, principalement pour des motifs nébuleux et par mauvaise compréhension des mécanismes sous-tendus, alléguant la « forclosure » ou forclusion ; surtout, le climat d’incertitude législatif européen est tel que les producteurs d’électricité privés ne veulent plus investir massivement et, partant, ne prennent plus de risques ; pour eux, les contrats à long terme avec l’industrie se justifient principalement pour aider à financer des projets de développement ambitieux, qu’ils ne peuvent avoir dans ce contexte. Bref, il n’y a pas de climat favorable au réinvestissement.

De plus, les prix de l’électricité européens souffrent d’un manque de concurrence, car il n’y a pas d’interconnexion entre les réseaux – nous la réclamons pourtant depuis des années. En fait, la concurrence est aux mains d’oligopoles. Il est grand temps d’y remédier et j’espère que vous y contribuerez !

Si certains pays continuent d’une façon ou d’une autre de privilégier leur industrie, qu’ils considèrent à raison comme stratégique, en continuant à appliquer des tarifs spéciaux à certaines entreprises, le pire est que la Commission s’intéresse de très près à ces pratiques, les condamne et applique des sanctions financières lourdes. D’autres pays compensent leur industrie pour le surcoût électrique, c’est le cas de la Norvège et de l’Allemagne, même si celle-ci a été incapable pendant un an et demi de compenser le coût de l’ETS car la DG « COMP » s’y est opposée. Par ailleurs, les directives en la matière ont accouché d’une souris.

En Italie, une fermeture définitive a été décidée en raison d’un système de compensation que la DG « COMP » a critiqué, forçant Alcoa à rembourser 450 millions d’euros, au motif que le schéma mis en place par le gouvernement italien était inacceptable au regard des règles européennes – à charge pour le consommateur industriel de payer l’addition. C’est absurde !

Cela est d’ailleurs un drame pour la Sardaigne – sachant que l’île vivait du smelter qu’elle abritait et que les deux centrales électriques ont ensuite été arrêtées, ce qui a posé des problèmes d’approvisionnement en électricité et coûté 40 % de l’emploi local. La fermeture du site de Rio Tinto dans le nord de l’Angleterre a été également catastrophique pour l’économie locale. Or la Commission n’a pas l’air de s’en soucier.

En poussant à une harmonisation des tarifs électriques européens, celle-ci entraîne par conséquent l’industrie électro-intensive dans la débâcle et le chaos. Il est vital de comprendre qu’on ne peut pas appliquer les mêmes tarifs d’électricité à toutes les catégories de consommateurs, car la structure des coûts est très différente pour le producteur d’énergie d’un client-type à un autre. Dans le passé, les États en tenaient compte et adoptaient des tarifs spéciaux pour les gros consommateurs.

Les tarifs électriques devraient être en accord avec les profils de consommation, ce que l’Europe tend à refuser jusqu’à présent. C’est une partie du nœud du problème.

Rappelons que les smelters européens ont aidé les distributeurs à éviter les coupures de courant ou « blackouts » – qui peuvent en quelques heures s’étendre à l’ensemble de l’Europe –, en coupant l’alimentation des producteurs d’aluminium pour quelques heures et en offrant une compensation à l’industrie pour le manque à gagner. Sans électro-intensifs interruptibles, comme l’aluminium, plus de sécurité d’approvisionnement !

Les sociétés d’aluminium qui ont été sollicitées dans le cadre du « Fitness Check », – une dizaine d’usines d’aluminium primaire, dont les deux françaises – ont communiqué à la Commission toutes leurs données de coûts et les détails de leurs contrats d’électricité. Elles ont décidé de jouer la transparence totale, et ce, quels que soient le pays ou la structure de l’actionnariat.

Cela n’est pas le cas de l’acier, dont le secteur bénéficiait déjà de l’organisation de tables rondes avec la Commission, ses grands patrons et les syndicats. Or, comme la Commission ne voyait pas de progrès, ce métal a été rajouté en février 2013 dans les secteurs bénéficiant d’un « Fitness Check ». Mais le secteur reste très divisé au niveau européen.

D’ailleurs, M. Tajani a félicité l’aluminium lors du dernier « European Business Summit » à Bruxelles et a blâmé l’acier pour son manque de collaboration et de transparence.

Les problématiques du recyclage, nécessaires à la conservation des matières premières, sont essentielles pour l’industrie de l’aluminium et sont également au centre des préoccupations de Bruxelles. Mais il faut mettre un terme au mythe d’une industrie circulaire, à laquelle celle-ci rêve. L’aluminium est un métal jeune, en pleine expansion, qui a commencé à être produit industriellement en 1888 en France et aux États-Unis et s’est développé dans le domaine civil après la Seconde Guerre mondiale. On le retrouve dans une multitude d’objets possibles.

Je suis favorable à la récupération de tout l’aluminium en fin de vie ou scraps. Alors que 35 % du coût de production d’aluminium primaire en moyenne mondiale sont constitués par l’électricité, recycler de l’aluminium consomme 5 % de l’énergie nécessaire pour cette production. D’ailleurs, celui-ci est un des métaux dont le recyclage demande le moins d’énergie, nettement moins que l’acier.

Chaque kilo de ce métal est un trésor, un concentré d’énergie européenne chère, que nous devons garder. Or, alors que l’Europe importait traditionnellement 400 000 à 500 000 tonnes de scraps d’aluminium, principalement de Russie, elle en exporte aujourd’hui – et ce, à bon marché – près d’un million de tonnes, essentiellement vers la Chine et l’Inde.

La Chine subventionne l’importation de ces scraps lorsqu’elle est à cours d’énergie, car elle peut ce faisant assurer la production d’aluminium nécessaire à la réalisation de ses plans avec seulement près de 5 % de l’énergie nécessaire à la production équivalente d’aluminium primaire – sans parler des incitations fiscales. En une semaine, elle a ainsi envoyé 200 personnes en Europe, qui ont collecté 500 000 tonnes de scraps. Or la Commission se veut le défenseur du marché libre de ces produits, ce qui est une ineptie.

D’ailleurs, la Chine, qui est le plus grand producteur et bientôt consommateur d’aluminium dans le monde, investit la plus grande partie de sa production de ce métal dans des applications à longue durée de vie, comme le bâtiment et les machines, et génère donc très peu de scraps. Tandis qu’en Europe, l’aluminium sert beaucoup à la fabrication de canettes ou de voitures, dont le recyclage intervient respectivement deux mois ou dix-huit ans plus tard – sachant que ces dernières, qui contiennent 140 et bientôt 160 ou 170 kg de ce métal, sont souvent démantelées hors du continent, ce qui accroît encore les exportations en la matière.

L’aluminium bénéficie en Europe d’un système de droits d’importation de 4 % sur l’alumine – sachant que quasiment toute celle-ci provient de pays ayant des accords spéciaux avec l’Europe, mais que cela posera un gros problème pour l’Islande si elle rejoint l’Union européenne –, 6 % sur le métal et 7,5 % sur les produits semi-ouvrés – les droits étant plus importants sur les produits à plus forte valeur ajoutée. Plus de 80 % de l’aluminium importé en Europe sont exonérés de droits de douane, car venant de pays de la zone « Afrique-Caraïbes-Pacifique » (ACP) notamment, les seuls pays payant ceux-ci étant principalement la Russie et le Moyen-Orient. Cela génère des tensions importantes dans l’industrie : j’ai donc obtenu, il y a quelques années, en accord avec la Commission, de réduire les droits de douane sur l’importation de métal primaire non-allié de 6 à 3 %.

La tendance actuelle à la scission de groupes très intégrés est regrettable. Norsk Hydro constitue à et égard une exception, même s’il est en train de se défaire de l’activité d’extrusion ; il en est de même d’Alcoa, dans une moindre mesure. Je suis désolé de voir notamment que Péchiney, ce précurseur et leader de technologies, a été purement et simplement démantelé !

Par ailleurs, j’ai entrepris un second ajustement, il y a environ deux ans, consistant à réduire les droits d’importation de 6 à 4,5 % sur une partie de l’aluminium primaire allié, les pains d’aluminium servant au laminage et les billettes d’extrusion utilisées pour le filage. Il devrait entrer en vigueur le 1er janvier 2014 : la France sera consultée ; j’espère que vous soutiendrez cette mesure, qui permettra de conserver un climat d’entente dans la filière, lequel est vital.

De nombreux pays ont adopté des droits de douane prohibitifs sur leur aluminium fin de vie, comme un impôt à l’exportation de 50 % Russie. D’autres, comme l’Ukraine, en ont interdit l’exportation. La Commission est de plus en plus consciente de l’importance de garder les matières recyclables en Europe, mais ne peut se décider à suivre l’exemple du reste du monde, qui soit accorde des subventions, soit octroie des avantages fiscaux ou diverses distorsions de concurrence non tarifaires.

Un des projets de la DG « COMP » est de supprimer les procédés anti-dumping, ce qui est un scandale, alors qu’on devrait au contraire augmenter les droits existants. Nous sommes la risée du monde !

J’ai, avec l’intermédiaire d’Eurométaux, aidé certains secteurs à concevoir des dossiers anti-dumping à coût modéré, mais l’Europe met deux ans au minimum pour se doter de dispositifs en la matière contre six mois pour les États-Unis. De plus, les critères retenus sont si sévères en Europe que 85 % des dossiers sont refusés pour insuffisance de dommage, ce qui est scandaleux. Il faut que les pays fassent pression sur la Commission pour que cela cesse.

L’aluminium est encore en plein développement, stratégiquement essentiel et sa filière de production trouve de plus en plus de ramifications et de nouvelles applications dans les produits du futur. Il n’est guère d’objet de haute technologie dans lequel il ne soit pas présent. La France se doit de maîtriser l’ensemble de la chaîne de valeur dans ce domaine, ce qui est essentiel à son indépendance.

D’autant qu’elle a été pionnière dans ce domaine, avec les États-Unis, et a bénéficié d’un avantage technique sur l’ensemble du monde – qu’elle est en train de perdre. Or plus les entreprises sont petites, plus il est difficile de les fédérer, alors que c’est pour elles que le besoin est le plus grand. Cela dit, la voix des PME a plus de portée que celle des grandes, autant vis-à-vis des responsables politiques que de la Commission.

En France, il serait très dommageable pour son économie de n’en faire profiter que les autres et plus encore de perdre sa position de force dans ce domaine.

L’AEA est là pour vous aider à Bruxelles, via l’Association française de l’aluminium (AFA) si nécessaire, pour tenter d’influer sur les aspects législatifs, qui pourraient se révéler désastreux pour l’industrie de l’aluminium – près de 80 % des projets législatifs en Europe proviennent des instances européennes elles-mêmes, bien que, parfois, il est vrai, sur recommandation d’un pays ou d’un autre. Il est toujours plus facile de prévenir que de guérir.

À cet égard, imaginer qu’on va taxer des produits importés ne satisfaisant pas aux impératifs environnementaux européens est une illusion, car il existe autant de différences d’impacts environnementaux que de smelters, d’autant que l’on ne peut établir une traçabilité de l’aluminium et qu’il est impossible de distinguer l’aluminium primaire de l’aluminium recyclé. Quelle taxe appliquer ainsi à un vélo, qui se compose de tant de matériaux différents d’origines si diverses, car taxer seulement les matières premières reviendrait à perdre une position concurrentielle sur les produits finis, et qu’il faudrait aussi protéger les produits finis pour sauvegarder notre industrie ?

La Commission européenne a fait le contraire de ce qu’il fallait faire en matière énergétique, sous couvert de très bons principes. Il serait souhaitable à cet égard que les responsables politiques aient eu quelques années d’expérience pratique dans la vie des affaires ou industrielle. Je suis moi-même pour l’écologie, mais pour une écologie raisonnée, respectueuse de l’équilibre des marchés mondiaux.

Cela étant, si l’on résout le problème du coût de l’énergie en France et en Europe, on pourra développer une industrie compétitive, car nous avons tous les atouts pour cela par ailleurs.

M. Alain Bocquet, rapporteur. Merci beaucoup pour vos propos, qui vont dans le sens de ce que nous pensons.

La France est-elle toujours à la pointe dans les recherches sur l’aluminium ? À cet égard, on dit que plus de la moitié de l’aluminium produit dans le monde est encore fabriquée selon des process qui résultent de brevets « Aluminium Péchiney (AP) ».

Quels sont votre sentiment et vos analyses sur la disparition d’un groupe aussi puissant que Péchiney pendant toute une époque ? Comment expliquez-vous un tel désastre, qui a abouti à l’explosion de nombreuses activités, pour la plupart passées sous le contrôle d’intérêts étrangers ? Les pouvoirs publics français auraient-ils dû suivre les mises en garde de M. Jean Gandois, qui dirigea cette entreprise pendant huit ans ?

Par ailleurs, en Chine, voire chez d’autres producteurs asiatiques, existe-t-il des produits fabriqués selon des normes techniques en contradiction flagrante avec les normes internationalement admises, notamment les normes européennes ?

Plus généralement, si les capacités de production d’aluminium primaire continuent à diminuer en Europe, n’existe-t-il pas à terme un risque de dépendance qui mettrait en péril les activités d’aval, c’est-à-dire de transformation, dont l’Europe de l’aéronautique, du nucléaire ou des transports a pourtant besoin ?

Enfin, certaines mises en cause ont été parfois formulées à l’égard de l’utilisation de l’aluminium. Où en est-on de ces questions d’ordre sanitaire voire de santé publique ? Relèvent-elles plus de la polémique que de la réalité ? Ces informations ont-elles eu des conséquences sur certains métiers, voire des entreprises relevant de la filière au sens large ?

M. Patrick de Schrynmakers. Pour la production d’aluminium primaire, ce qui reste de Pechiney est encore à la pointe des procédés actuellement utilisés, mais je ne sais pour combien de temps encore.

Cependant, apparaissent de nouvelles façons de produire de l’aluminium que celle inventée en 1885, même s’il faudra toujours de l’électricité pour ce faire. Il existe deux axes de recherche dans ce domaine. Le premier porte sur les anodes, qu’on utilise pour la réduction de l’alumine : jusqu’ici en carbone, elles pourraient devenir inertes – la Russie prétend qu’elle disposera de cette technologie en 2015, ce dont je doute. Le second – que l’on appelle, je crois, la carboréduction – permettrait d’avoir des unités moins grandes tout en ayant un bien meilleur rendement et une consommation énergétique moindre : il s’agirait d’utiliser des fours électriques comme ceux employés pour produire des alliages et du carbure de calcium. Je ne suis donc pas pessimiste sur l’avenir de l’aluminium.

S’agissant de la transformation, le maintien de la chaîne de valeur était l’atout principal de Péchiney. Cela dit, Constellium continue à poursuivre une partie de la recherche de ce dernier sur les applications. L’aluminium s’allie toujours avec d’autres métaux, dans des proportions allant de 3 à 8 % généralement, pour avoir une bonne ductilité ou bien pénétrer dans les moules. Or la force de Péchiney était une organisation régionale permettant de développer les alliages les plus aptes à mettre en valeur le potentiel de l’aluminium. Je rappelle, à cet égard, qu’en Italie, qui est un des plus grands recycleurs d’aluminium au monde, les bassins de production sont régionalement organisés avec les industries.

Si Constellium a décidé de vendre les filages de Ham et Saint-Florentin, essentiellement destinés au secteur du bâtiment – la concurrence est telle qu’il est difficile pour la France de garder des positions dans ce domaine –, il conserve heureusement les secteurs de l’aéronautique, de l’automobile et de l’emballage, qui sont en croissance et d’avenir.

Cela étant, je n’ai jamais compris que la France vende Péchiney à Alcan, alors que sa taille était selon moi suffisante.

Prévaut malheureusement le principe selon lequel il faut se concentrer sur son cœur de métier. L’industrie de l’aluminium, qui a pendant des années maîtrisé l’ensemble de la chaîne de valeur, a ainsi fait l’objet d’une concentration importante qui se résorbe actuellement.

Quant à la Chine, elle est bien obligée de faire semblant de respecter nos normes. Au cours des douze ans où j’ai dirigé l’AEA, je l’ai vue adopter de plus en plus celles-ci. Mais j’ai eu beaucoup de difficultés à imposer des normes mondiales. Cela dit, je ne pense pas que les normes soient la façon adéquate de protéger une industrie : l’innovation est beaucoup plus utile à cet effet. C’est la raison pour laquelle l’Italie, qui est dans une situation moins favorable que la France, se défend pas mal dans ce domaine, grâce notamment à des groupements entre les producteurs et les utilisateurs, voire les clients.

En ce qui concerne les questions d’ordre sanitaire, il y a deux catégories de terroristes intellectuels. La première est constituée par des chercheurs, qui inventent des dangers pour trouver des financements à leurs recherches – nous avons nous-mêmes financé beaucoup d’études dans ce domaine. Or, en dehors de personnes ayant une déficience très grave de la moelle épinière, on ne connaît pas de cas où l’aluminium ait pénétré jusqu’au cerveau. Il faut savoir que 8 % de la croûte terrestre est formée d’aluminium, ce qui en fait le composant le plus abondant après l’oxygène et le sable ; nos légumes en contiennent de même que le thé, qui en concentre plus que tous les autres aliments : tous les Anglais sont-ils pour autant malades ?

La deuxième catégorie est constituée par nos concurrents. L’aluminium fait en effet de l’ombre à l’acier ou au cuivre. Or la plupart des câbles, par exemple, qui sont nécessaires au développement des énergies renouvelables, sont en aluminium, ce qui les rend plus légers et moins chers.

Quant au principe de précaution, que d’idioties commet-on en son nom ! Quand comprendra-t-on qu’à force de ne plus vouloir prendre le moindre risque, on est en train de s’appauvrir et de retourner à la préhistoire ?

M. Christian Hutin. S’agissant du « Fitness Check », les médecins ne sont-ils pas les malades ? N’avez-vous pas senti une sorte de schizophrénie au sein de la Commission européenne entre ses préoccupations industrielles et environnementales ? Je rappelle qu’en France, nous avons résolu le problème du bisphénol.

Quelle appréciation portez-vous également sur l’apathie ou la lenteur du mécanisme de décision de la Commission ?

N’est-elle pas maniaque et son blocage intellectuel ne pourrait-elle nous conduire à la chronique d’une mort annoncée de l’industrie française et européenne ?

Par ailleurs, comment font l’Allemagne et la Norvège pour accorder leurs aides ? S’affranchissent-elles des règles ? Pourquoi ne ferions-nous pas comme elles ? Depuis quand nos gouvernements ont-ils toléré une telle situation ?

Y a-t-il des équivalents de l’exception culturelle dans les relations commerciales de l’Europe avec la Chine ou les pays de l’Asie du Sud-Est ?

Mme Michèle Bonneton. Quelles mesures préconisez-vous pour protéger notre industrie au travers des produits finis ?

En France, nous sommes préoccupés par Rio Tinto Alcan (RTA), qui possède nos deux gros sites de production de l’aluminium et délocalise beaucoup au Canada. Or on m’a dit que ses usines dans ce pays ne fonctionnaient pas bien. Qu’en est-il, sachant que nous avons sur le site de Saint-Jean-de-Maurienne une véritable pépite technologique et de recherche ?

Que pensez-vous de l’entreprise Trimet, le repreneur allemand pressenti pour ce site ? Il semblerait que cette entreprise familiale ne chercherait pas le profit à tout prix, mais ne risque-t-elle pas de s’emparer de nos savoir-faire, de les transplanter en Allemagne, puis de sacrifier le site ?

Quel est votre avis sur le deuxième repreneur potentiel, un groupe français qui n’aurait pas pour seul objectif les bénéfices, mais ne jouirait pas de la préférence de nos autorités politiques ?

M. le président Jean Grellier. Que pensez-vous, dans les projets de reprise de Saint-Jean-de-Maurienne, de l’hypothèse où Rio Tinto cèderait l’usine de production mais conserverait le centre de recherche ?

M. Michel Liebgott. Nous avons beaucoup de centrales nucléaires et, pourtant, nous ne recyclons pas assez : n’est-ce pas là le problème ?

Pourquoi l’Allemagne et la Norvège réussissent-elles ?

Enfin, pour construire des vélos, l’aluminium a constitué une révolution, ceux-ci étant auparavant fabriqués en acier. Mais ces nouveaux vélos ont été vendus par des firmes américaines, et non françaises. Et si, aujourd’hui, le nouveau matériau en vogue est le carbone, il ne permet guère d’aller plus vite, tout en coûtant deux ou trois fois plus cher.

M. Patrick de Schrynmakers. Le vélo en fibre de carbone a un défaut principal : il n’est pas recyclable !

J’ai mis douze ans pour obtenir un « Fitness Check » de la Commission européenne, non sans faire pression grâce à toutes les industries de la chaîne de valeur. Ma méthode a été de collecter un maximum d’informations, vérifiables, en jouant la transparence avec elle.

Monsieur Hutin, je partage votre point de vue sur sa schizophrénie. Je n’ai jamais compris sa position doctrinaire, voire aveugle, en faveur du « tout environnement ». Trop peu de gens en son sein mesurent les conséquences de leurs décisions. C’est la raison pour laquelle, quand je vois des ONG radicalement contre les lobbies installés à Bruxelles, je leur dis qu’elles sont folles. De bons lobbies sont utiles pour informer et prendre des décisions pertinentes – à la différence des mauvais, comme on en trouve aux États-Unis, qui ressassent des leitmotivs jusqu’à ce qu’on les croit.

Or, étant donné les réductions de gaz à effet de serre que l’aluminium permet de réaliser dans le secteur des transports ou des bâtiments, il aide à obtenir les résultats prévus par le protocole de Kyoto. Il manque beaucoup de pragmatisme à la Commission européenne et même, souvent, aux gouvernements.

L’apathie dont vous parlez vient parfois d’une peur de faire mal. Mais je suis plus choqué par un phénomène inverse : le fait que chacun essaye de laisser un héritage législatif. Cela se traduit par un foisonnement dramatique de règles qui n’ont pas de sens et se contredisent les unes les autres. ETS a en soi les germes de son autodestruction mais personne ne veut le voir ! Nous ne sommes pas contre ETS, mais contre le fait qu’on ne veuille pas apporter des compensations aux secteurs industriels intensifs en énergie pour le surcoût que cela occasionne pour eux et que le reste du monde n’a pas.

J’ai perçu moi aussi un certain blocage, consistant à dire que la meilleure façon d’empêcher les Européens de gaspiller l’énergie est de fixer son prix à un niveau élevé. Or il ne souffre aucune contradiction. Heureusement, la crise économique a commencé à modifier la situation.

Nous nous sommes plaints depuis longtemps de l’inaction de la DG « ENT ». Quant à la DG « COMP », elle est fermée à la discussion. Je ne pense pas non plus que la « comitologie » aille dans le bon sens, même si elle permet d’accélérer les processus. Malgré beaucoup d’avancées récentes, la Commission européenne a donc encore de nombreux progrès à faire.

La politique en faveur de l’environnement doit, encore une fois, être raisonnable et respectueuse des équilibres économiques. Si l’on peut montrer l’exemple, il ne faut pas se suicider pour ce faire ! Je comprends à cet égard certaines des critiques exprimées par votre ministre Arnaud Montebourg. Mais il ne faut pas exagérer non plus : si votre pays était plus actif à Bruxelles, on aurait moins à se plaindre de ce genre de problème.

S’agissant des aides, on dit que la France n’est pas assez riche pour faire comme l’Allemagne et la Norvège. Je n’en sais rien. À cet égard, l’un des aspects dangereux de l’ETS est qu’il est vu comme une vache à lait ou une façon de combler les trous du budget de l’État, auquel cas ce serait scandaleux. L’argent de l’ETS doit être utilisé pour financer la recherche et soutenir les secteurs qui ont des difficultés à se reconvertir.

Mme Michèle Bonneton. La Commission de régulation de l’énergie (CRE) est en train d’expliquer, aujourd’hui même, qu’il faut augmenter le prix de l’énergie électrique en France d’ici 2017.

M. Patrick de Schrynmakers. Je crains que vous n’ayez raison…

S’agissant des accords commerciaux avec les États-Unis, l’Europe fait en permanence des tentatives dans ce domaine. Un accord a d’ailleurs été conclu avec le Canada, de même qu’avec de nombreux pays. La plupart du temps, il s’agit d’accords de libre-échange avec une abolition graduelle des protections douanières. J’ai beaucoup œuvré dans mes fonctions à l’EAA à harmoniser les normes entre les États-Unis et l’Europe, mais il y a une différence considérable entre ces deux pays s’agissant de la protection de l’industrie, pour laquelle ceux-ci sont extrêmement réactifs. De même, il existe encore outre-Atlantique des gens qui prennent des risques : ce n’est plus guère le cas en Europe, ce qui est dommage.

Ces accords tendent à réduire les distorsions de concurrence pour donner autant de chance à chaque partie.

Madame Bonneton, selon moi, il faut protéger l’ensemble de la chaîne de valeur, même si on n’a guère d’autre solution que de protéger les produits finis pour l’instant. En tout état de cause, plus courte est la distance entre le producteur de la matière première et l’utilisateur final, plus on a de chances d’avoir une adéquation entre les produits et les attentes des consommateurs.

S’agissant de Rio Tinto, l’AP 60 n’est pas suffisamment testé selon moi pour marcher sans le moindre problème au Canada. On a souvent eu le cas de dispositifs fonctionnant à petite ou moyenne échelle et ayant plus de difficultés à grande échelle. Cela dit, je ne serais pas étonné de voir Rio Tinto, dont la vocation première est d’être une société minière, se dégager de plus en plus de la production d’aluminium primaire.

Par ailleurs, je rappelle que la rentabilité a quasiment toujours été plus grande pour le métal primaire et, éventuellement, le métal recyclé, celle de la transformation ayant souvent été le parent pauvre. La concentration de la chaîne de valeur dans le passé est liée au fait que les producteurs ont pensé qu’en maîtrisant celle-ci, ils allaient accélérer le développement du marché de l’aluminium, qui croissait très vite. Mais les marchés financiers ont fait pression pour que les grands groupes industriels se recentrent sur leur cœur de métier, ce qui est à l’origine des démantèlements constatés. Cela étant, certaines sociétés ont essayé de nouer des alliances dans ce domaine – Sapa, qui représente ainsi aujourd’hui 20 % du filage européen va s’allier avec Norsk Hydro, qui correspond à une part équivalente.

Quant à Trimet, qui produit plus de métal recyclé que de métal primaire, j’ai visité son usine plusieurs fois et ai tendance à penser qu’elle ne cherche pas le profit à tout prix. J’ai beaucoup d’estime pour son président, dont je pense qu’il a une vision industrielle sur le long terme. Le fait qu’il ait survécu avec un coût de l’énergie électrique dans son pays beaucoup plus élevé qu’ici montre qu’il a eu l’intelligence d’établir un véritable dialogue avec le gouvernement et les producteurs d’énergie électrique pour trouver des solutions d’avenir – ce qui est, selon moi, du meilleur augure. Je pense que si Trimet reprend le site de Saint-Jean-de-Maurienne, ce n’est pas pour piller sa technologie, mais peut-être à la condition d’établir un partenariat avec EDF permettant de partager les bons et les mauvais moments. Tout dépendra de son contrat d’énergie électrique : si l’entreprise arrive à négocier un contrat intéressant avec EDF, elle pourrait même transférer une partie de sa production d’Allemagne en France.

En outre, il y a entre les ouvriers et le patronat de Trimet une dynamique que je n’ai vue nulle part ailleurs et qu’il est impossible de trouver dans les grands groupes.

Cela étant, si l’objectif de Rio Tinto est de garder le centre de recherche, préparez-vous à trouver des repreneurs pour Dunkerque ! (boutade).

Je rappelle que vous êtes parmi le pays européens un de ceux qui exportent le plus d’énergie, notamment vers l’Italie – qui est un des États du continent où l’électricité est vendue le plus cher.

Comme je l’ai dit, l’environnement législatif n’offre aucune vision d’avenir aux producteurs d’énergie. Cela ne les pousse pas à investir, mais à maximiser le profit à court terme en augmentant les prix. Je ne sais pas si c’est ce que fait EDF, mais la tentation doit être grande…

Monsieur Liebgott, l’inconvénient de la plupart des produits composites est double. D’abord, ils n’offrent pas une vision suffisante sur le long terme sur leurs caractéristiques. Je ne serai pas le premier passager du nouveau Boeing par exemple, car je pense qu’on ne maîtrise pas assez ce qui va se passer dans la structure de l’avion lorsqu’il sera frappé par la foudre. On ne peut recréer les mêmes conditions aussi facilement avec les matériaux composites qu’avec les matériaux homogènes comme l’aluminium. Deuxièmement, dans l’état actuel des technologies, il est pratiquement impossible de séparer les fibres de carbone des « thermodurs », qu’on emploie pour les lier.

Je crains qu’à vouloir chercher à tout prix des produits plus légers, on n’aille trop loin. Quant au magnésium, s’il est plus léger que l’aluminium, il n’est pas aussi facile à produire, ni aussi abondant. Cela étant, la poudre d’aluminium, comme toutes les poudres, est dangereuse : elle est utilisée comme carburant pour les fusées et elle est le composant principal des feux d’artifice – comme des têtes d’obus jadis. Aucun matériau n’est parfait.

M. le président Jean Grellier. Monsieur, nous vous remercions.

Audition, ouverte à la presse, de M. Arnaud Montebourg,
ministre du redressement productif

(Séance du mercredi 19 juin 2013)

M. le président Jean Grellier. Mes chers collègues, nous entendons aujourd’hui M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif, qui est, à ce titre, chargé de l’industrie. Notre commission arrive au terme de ses travaux même si elle n’a pas terminé sa réflexion. Nous avons non seulement entendu tous les grands acteurs de la filière sidérurgique mais aussi de nombreux segments des activités métallurgiques, sans oublier les secteurs de l’aluminium et du cuivre.

Il va sans dire que nos auditions et nos déplacements ont également été l’occasion de rencontrer les représentants syndicaux, au niveau des grandes fédérations comme des usines. Nous avons du reste consacré une table ronde spécifique aux organisations syndicales toute une matinée à l’Assemblée nationale, salle Lamartine. La commission d’enquête s’est par ailleurs déplacée en Savoie, à Dunkerque, à Fos-sur-Mer et en Lorraine. Elle a également rencontré, la semaine passée, le Commissaire Tajani, qui a évoqué le Plan acier européen adopté la veille.

Nous avons bien conscience, Monsieur le ministre, que nos travaux ne peuvent prétendre à l’exhaustivité. Nos constatations et nos propositions n’épuiseront pas le sujet. Il s’agit de savoir si notre industrie et les orientations des politiques commerciale, industrielle et énergétique de l’Union européenne sont en mesure de faire face aux défis de la mondialisation des échanges, notamment à la concurrence et souvent au dumping économique et social, de producteurs que l’on qualifie d’émergents alors qu’ils sont d’ores et déjà souvent dominants !

Ces questions, qui engagent le devenir de centaines de milliers d’emplois, mettent en jeu la souveraineté économique des principaux pays européens et donc l’indépendance de leurs approvisionnements dans des domaines absolument vitaux.

La commission s’est bien évidemment intéressée à la situation du groupe ArcelorMittal. Elle a d’ailleurs auditionné M. Lakshmi Mittal, le 17 avril dernier. Le respect scrupuleux qui est attendu de lui de l’accord qu’il a signé avec le Gouvernement, à la fin de l’année 2012, constitue un point non négociable.

Plus généralement, la commission a constaté qu’une partie essentielle des activités sidérurgiques et métallurgiques qui, il y a encore deux décennies, dépendaient de groupes français, nationalisés ou privés, est passée sous contrôle étranger, ce qui ne simplifie pas les choses. Au-delà du cas d’ArcelorMittal, il y a eu l’explosion du groupe Péchiney, qui était pourtant un leader mondial et une véritable multinationale française. Le contrôle de groupes étrangers porte aujourd’hui sur de nombreuses autres entreprises des secteurs qui retiennent l’attention de la commission. Ainsi, un fonds d’investissement américain, Apollo Global Management, est devenu l’actionnaire majoritaire de Constellium, qui regroupe des activités de transformation autrefois comprises dans le groupe Péchiney, ainsi que d’Ascométal, un spécialiste des aciers spéciaux qui travaille pour plus de 50 % à destination des constructeurs automobiles.

S’il ne s’agit pas pour nous de succomber à un nationalisme d’un autre âge, vous comprendrez cependant aisément, monsieur le ministre qu’une telle situation ait de quoi nous inquiéter. Car ces entreprises sous contrôle étranger sont les fournisseurs de secteurs stratégiques de notre économie comme l’aéronautique, les transports ou encore le nucléaire et la construction.

Nous touchons là à des questions de souveraineté. Il nous importe donc de savoir ce que les pouvoirs publics peuvent encore faire. Nous écouterons avec la plus grande attention les précisions que vous nous apporterez sur la doctrine d’investissement dans ces activités de la Banque publique d’investissement – BPI –, qui a absorbé le Fonds stratégique d’investissement – FSI. Les actionnaires continueront-ils encore longtemps à jouer au Monopoly industriel avec les sites de productions français au nom de stratégies lointaines qui manquent souvent de limpidité ? Cette question sous-tend une problématique essentielle pour la commission d’enquête, puisqu’elle porte sur nos savoir-faire et nos capacités de recherche et d’innovation, des domaines où la France a longtemps été en position de leader.

Voilà, Monsieur le ministre, ce que je tenais à rappeler de nos travaux antérieurs à votre audition. Après vous avoir entendu au titre de votre exposé liminaire, notre rapporteur, Alain Bocquet, et nos autres collègues engageront avec vous le dialogue au travers de questions que je souhaite à la fois brèves et précises, sachant que vos obligations nous fixent 18 h 30 comme limite à votre audition.

Au préalable, conformément à l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif, prête serment.

M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif. La situation actuelle de la sidérurgie et de la métallurgie françaises et européennes est le résultat de décisions passées, prises tant aux plans national qu’européen. Ces décisions nous ont conduits à perdre le contrôle des outils de production industrielle qui, alors qu’ils étaient historiquement nationaux et européens, sont passés, après deux OPA – sur l’aluminium en 2004 et sur l’acier en 2006 –, sous le contrôle de groupes dont les centres de décision sont étrangers au territoire national et même à celui de l’Union européenne. De plus, les intérêts de ces groupes sont plus financiers qu’industriels, puisqu’ils doivent satisfaire des exigences de rentabilité inhabituelles dans l’histoire de l’industrie.

Alors que, le marché étant bas, nos capacités industrielles sont sous-employées, la question est de savoir comment éviter des destructions définitives d’outils industriels qui seront nécessaires pour répondre aux besoins du marché, le jour où nous aurons retrouvé le chemin de la croissance. Telles sont les questions que se posent tous mes homologues du Conseil des ministres chargés de l’industrie. À l’heure actuelle nous assistons à la multiplication des crises dans le secteur métallurgique : crise de l’acier en Italie, avec la défaillance du groupe Riva ; crise de l’acier en Allemagne consécutive aux difficultés du ThyssenKrupp ; crise, accompagnée de fermetures, provoquée par le groupe ArcelorMittal dans trois pays. Il n’y a guère que l’Algérie, qui a procédé à la nationalisation d’un site d’ArcelorMittal, pour y échapper. Quant au gouvernement wallon, il a exprimé son désir de rechercher un repreneur, y compris contre le consentement d’ArcelorMittal. Le fait est donc que tous les États cherchent aujourd’hui à reconquérir la maîtrise des outils industriels stratégiques.

Je récuse, au nom du Gouvernement, l’idée selon laquelle il y aurait des secteurs en déclin qu’il faudrait précipitamment abandonner et des secteurs en croissance dans lesquels il faudrait précipitamment investir. Il y a des entreprises en déclin et des entreprises en croissance dans tous les secteurs. Ceux qui pensent qu’on pourrait se passer de métal, sous prétexte que le secteur serait englouti, n’ont rien compris à l’industrie ou ignorent la composition de la totalité des matériaux utilisés notamment dans les moyens de transports – automobiles, avions, trains – ou l’électroménager. La métallurgie a de beaux jours devant elle. Maîtriser les amonts permet de maîtriser les avals. Être dépendant en amont, c’est être soumis à des intérêts étrangers aux intérêts nationaux.

Tel est l’esprit dans lequel travaille le ministère du redressement productif. Je tiens à rappeler que l’acier, en France, c’est 27 800 salariés, quarante-six sites industriels et une balance commerciale équilibrée. La France est également le troisième producteur européen d’acier, derrière l’Allemagne et l’Italie. Quant à l’aluminium, c’est 11 000 salariés à la fin de 2011, dont 70 % à la transformation, une production de 833 000 tonnes, dont 60 % issus du recyclage, et deux sites de production d’aluminium primaire – Saint-Jean-de-Maurienne et Dunkerque. Le Gouvernement ne saurait accepter la disparition de tels outils industriels.

L’arrivée des pays émergents se traduit par une montée du low cost dans le secteur de la métallurgie, ce qui relativise l’argument selon lequel ce secteur serait en surcapacité en Europe. En effet, le marché étant mondialisé, ce sont les changements de localisation des sites de production qui aboutissent à la création de capacités en dehors du continent européen. À ce facteur, il convient d’ajouter la montée du prix de l’énergie. Ces industries sont à usage intensif d’énergie, notamment électrique – c’est particulièrement vrai de l’aluminium. En dix ans, dix-neuf sites de production d’aluminium primaire ont disparu d’Europe pour réapparaître sur des continents dont les États pratiquent un prix de l’électricité particulièrement bas – c’est le cas du Canada, de l’Australie et de la Russie –, ce que la réglementation européenne nous interdit de faire.

Les Européens ont donc organisé eux-mêmes la destruction de leur propre industrie métallurgique, notamment en interdisant à leurs champions de disposer d’une taille critique leur permettant de se protéger des prises de contrôle. Je tiens à rappeler que la Commission européenne a interdit à Péchiney de prendre le contrôle d’Alcan, si bien qu’Alcan a mangé Péchiney pour être mangé à son tour par Rio Tinto, qui préfère aujourd’hui investir dans les mines et non plus dans l’industrie de transformation. Les deux sites ex-Péchiney de Saint-Jean-de-Maurienne et de Dunkerque sont à l’heure actuelle menacés en raison de la fin prochaine du contrat de fourniture d’électricité à tarif préférentiel dont profite Rio Tinto.

La responsabilité de la Commission européenne est donc immense. En empêchant le gouvernement français d’organiser la protection des intérêts stratégiques de ce bien collectif européen qu’était Arcelor, issu d’Usinor-Sacilor, lui-même le fruit, faut-il le rappeler, des efforts de plusieurs États membres de l’ancienne Communauté européenne du charbon et de l’acier – CECA –, la Commission européenne a permis à M. Mittal, à la fois, de supprimer depuis 2006 – date de son OPA – 36 000 emplois dans le secteur et de réaliser un LBO – leveraged buy-out – familial moyennant les services de Goldman Sachs. Aujourd’hui surendetté, le groupe ne peut faire face aux conséquences de la baisse du marché européen, ce qui le conduit à une stratégie de démantèlement. Une telle situation aurait pu être évitée si la Commission européenne n’avait pas cette vision dogmatique, voire talmudique du droit de la concurrence, qui lui tient lieu de politique industrielle.

J’ai souligné la responsabilité historique de la Commission européenne auprès de M. Joaquín Almunia, commissaire chargé de la concurrence : c’est l’incroyable aveuglement non pas des responsables politiques des États membres mais de la technocratie bruxelloise, qui nous a plongés dans cette situation très critique. Or cet aveuglement se double d’une stratégie catastrophique en matière de politique énergétique. Plus nous taxons le CO2 que l’Europe produit, plus nous favorisons la consommation du CO2 produit hors Union, si nous ne décidons pas de nous protéger du dumping environnemental en établissant des taxes carbone aux frontières de l’Union européenne. Si l’Europe a assurément raison de privilégier une démarche environnementaliste et si la France soutient la taxation du CO2 comme politique générale de lutte contre le réchauffement climatique sur le territoire européen, notre pays réclame cependant la réciprocité sur le CO2 produit hors de l’Europe, faute de quoi nous consommerons le CO2 produit ailleurs à bas coût.

La politique de la concurrence et la politique de l’énergie sont les deux faillites de la Commission européenne puisqu’elles nous rendent incapables de protéger nos outils industriels. Je ne peux donc que féliciter M. Antonio Tajani, commissaire européen chargé de l’industrie et de l’entreprenariat, d’avoir pour objectif de faire remonter à 20 % la part de l’industrie dans le PIB européen en 2020. Il conviendra toutefois, pour atteindre cet objectif, de réviser toutes les politiques européennes, notamment la politique de la concurrence, la politique commerciale extérieure et la politique environnementale extérieure. C’est ce que ne cesse de répéter le gouvernement français à chaque Conseil « compétitivité », non seulement par ma voix mais également par celles de Mme Delphine Batho, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, et de M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances.

Nous ne pouvons pas toutefois passer notre temps à accuser l’Europe. Il nous faut prendre des mesures, en vue tout d’abord de conforter les sites industriels qui connaissent des pertes. Tel a été l’objet de la décision du Premier ministre dans l’ « affaire Florange » – je n’y reviens pas. Il faut ensuite, en cas de risque de défaisance, chercher de nouvelles alliances : c’est ce que nous faisons à Saint-Jean-de-Maurienne pour sauver l’aluminium français, où nous cherchons à reconstituer un « Péchiney » franco-allemand, les Allemands disposant toujours d’une industrie de l’aluminium solide, performante et innovante sur le plan technologique. Les investissements allemands doteraient ce groupe d’une taille suffisante et des innovations nécessaires lui permettant de reprendre l’initiative sur le terrain de l’aluminium, avec un coût d’accès à l’énergie qui doit rester modéré – c’est de la responsabilité nationale.

Il convient également de favoriser le recyclage de l’aluminium secondaire en prévoyant l’interdiction de l’exportation de nos déchets pour les traiter sur le territoire national, en vue de créer un marché ad hoc. Là encore, c’est une politique nationale que nous menons.

Nous avons par ailleurs prévu des outils : la Banque publique d’investissement, le Grand emprunt, le financement de la Banque européenne d’investissement (BEI) ou celui de l’innovation technologique. Monsieur Michel Liebgott, élu de la circonscription de Florange, ici présent, ne me démentira pas : si nous avons renforcé à Florange les trains de laminage à froid, c’est parce que la France produit les meilleurs aciers spéciaux du monde en raison de ses capacités d’innovation technologique.

En tant qu’État membre de l’Union européenne, la France réfléchit également à la reconstitution d’un acteur minier. Nous avons encore des acteurs spécialisés dans la mine – Areva, pour la transformation de l’uranium, ou Eramet, en lien avec Imerys, pour la production d’alliages spéciaux –, mais nous n’avons plus d’acteur minier de commodités, permettant de maîtriser l’approvisionnement en bauxite, cuivre, minerais de fer, coke, charbon, etc. Reconstituer un acteur minier de taille au moins européenne est un objectif national auquel travaillent les équipes du ministère du redressement productif.

Enfin, si la politique commerciale européenne nous interdit de nous protéger, je me montrerai toutefois optimiste, puisque nous avons obtenu l’ouverture de quatre procédures de protection de nos intérêts industriels – les taxes douanières sont du ressort de la Commission européenne. Ces procédures concernent les aciers spéciaux, la porcelaine et la céramique, les panneaux photovoltaïques et, dernière enquête ouverte, les équipements de télécommunication. Les commissaires européens commencent à ouvrir les yeux sur cette passoire qu’est l’Union européenne au sein de la mondialisation débridée. Du reste, en dépit de ces quatre procédures, l’Europe demeure ouverte à plus de 99 % quand certains de ses partenaires sont fermés à 100 % !

Si le cycle politique commence à évoluer, c’est sous la pression des opinions publiques, qui n’acceptent plus que l’Union européenne ne se porte pas au secours des intérêts des peuples européens. La politique de réorientation du gouvernement français produit donc quelques effets dont nous ne saurions toutefois nous contenter. Mais, à force de parler fort, d’assumer nos positions et de les défendre, nous arrivons parfois à nous faire entendre. J’ai du reste rappelé à M. Antonio Tajani qu’il ne suffisait pas de sortir des textes mais qu’il fallait également prendre des décisions, notamment en matière de politique commerciale, de politique de la concurrence et de politique énergétique, domaines où l’Union européenne devait commencer à se mettre au diapason du reste du monde. Nous continuons en effet d’observer dès règles obsolètes, prises il y a cinquante ans en vue d’harmoniser le marché intérieur européen. Aujourd’hui, le problème n’est plus d’empêcher d’éventuelles distorsions de concurrence entre la Bulgarie et la France : il est de permettre aux grandes nations issues de la révolution industrielle de se battre à armes égales avec leurs partenaires dans la mondialisation. Nous sommes comme des coureurs de fond qu’on aurait entravés et qui devraient lutter à cloche-pied contre des athlètes totalement libres de leurs mouvements ! Tel est le résultat de la politique de l’Union européenne.

Lorsque M. Barroso qui, à l’évidence, n’a rien compris à l’exception culturelle, s’autorise les déclarations que l’on sait et qui d’ailleurs le discréditent de manière assez définitive, comment s’étonner du divorce aujourd’hui constaté entre l’Europe et les peuples ? Comment s’étonner qu’ils veuillent sanctionner ces dirigeants ?

M. Alain Bocquet, rapporteur. Je partage et le ton et la teneur de vos propos, monsieur le ministre.

Tandis que les évolutions de la politique européenne sont bien lentes, nous avons à répondre à l’urgence de la question énergétique, notamment pour l’industrie de l’aluminium, qui est électro-intensive. Alors que les industriels ont besoin de visibilité dans le renouvellement de leur contrat énergétique, ceux dont bénéficient les usines de Saint-Jean-de-Maurienne et de Dunkerque prendront fin respectivement en 2014 et en 2017. Comment dans ces conditions assurer la pérennité de ces industries ? Or, je le répète, il y a urgence pour le secteur de l’aluminium. Que peut faire la France pour agir indépendamment de la réglementation européenne, alors même que d’autres États, notamment l’Allemagne ou la Norvège, se permettent des facilités en la matière ?

Par ailleurs, est-il possible, sans aller jusqu’à une nationalisation…

M. le ministre. Vous avez le droit de la proposer.

M. le rapporteur. …Est-il possible d’obtenir un droit de regard sur le groupe Mittal ? Ce droit pourrait prendre la forme d’une participation au capital du groupe via la BPI. Du reste, Monsieur Mittal respecte-t-il l’accord de Florange ?

En matière de litiges industriels, notamment avec la Chine ou l’Inde, chacun connaît les limites des procédures engagées dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce – OMC. Comment en arriver concrètement à la taxation de certains produits importés dans l’Union européenne ? Cette taxation est réclamée par tous les acteurs, notamment les syndicats.

Enfin, j’ai été, lors d’un des déplacements que j’ai effectués à l’occasion de cette commission d’enquête, très impressionné par le site de recherche et de développement d’ArcelorMittal de Maizières-lès-Metz, qui est un pôle mondial de recherche dans la sidérurgie, fort de 550 chercheurs, et à la création duquel a participé l’investissement public. Est-il envisageable de perdre un tel fleuron ? La même question se pose à propos de Saint-Jean-de-Maurienne : se pourrait-il que Rio Tinto ne vende que l’usine et conserve le centre de recherches avec la potentialité des brevets ? Ce serait intolérable. La question des centres de recherche est primordiale, surtout lorsqu’on apprend que Mittal soustrait de son propre budget de recherche le crédit impôt recherche dont il bénéficie pour le centre de Maizières-lès-Metz ! La recherche fait partie du socle du redressement productif.

M. le ministre. Une nationalisation, au moins temporaire, est d’autant moins à écarter lorsqu’il s’agit pour une nation de défendre ses intérêts stratégiques – le Président de la République l’avait du reste rappelé à l’issue de la crise de Florange –, que cet outil ne serait pas contraire au droit européen. Celui-ci, en effet, ne fixe pas de règles en matière de propriété du capital : il en fixe uniquement en matière de distorsion de concurrence en vue d’éviter toute aide indue à un secteur concurrentiel.

L’entrée minoritaire ou majoritaire dans le capital d’un groupe est un autre moyen d’action qui s’offre à nous – c’est la proposition que nous faisons pour le site de Saint-Jean-de-Maurienne. Le Fonds stratégique d’investissement – FSI – sera présent dans le tour de table, aux côtés de l’allemand Trimet, pour rebâtir un « Péchiney » franco-allemand.

Il est également possible de recourir à la négociation d’avantages fiscaux en échange de contreparties.

Pour le moment, l’accord de Florange est respecté. M. François Marzorati, sous-préfet, y veille sur place, sous le regard très pointu des organisations syndicales et des élus du territoire.

Quant au crédit impôt recherche, le nôtre est un des plus attractifs du monde puisqu’il conduit les grandes entreprises à considérer la France comme la première destination européenne en matière d’investissement en R&D. Il n’est donc pas dans l’intérêt des entreprises de se défaire de leur outil de R&D.

S’agissant de l’usine de Saint-Jean-de-Maurienne, il n’est pas question d’accepter la scission du laboratoire de recherche. Le Gouvernement est particulièrement attentif à la préservation des outils de R&D.

Enfin, concernant le prix de l’énergie, je rappelle que l’Allemagne fait l’objet de deux procédures relatives au prix de l’électricité payé par ses industries électro-intensives : une notification de la Commission européenne et l’annulation, par le tribunal de grande instance de Düsseldorf et à la demande d’une centaine d’associations de consommateurs, de l’exonération de frais de réseau consenti aux industries électro-intensives.

S’agissant du prix de l’énergie, la France a toujours privilégié les ménages plutôt que l’industrie. Il ne faudrait qu’elle le paye un jour trop cher.

Nous essayons, mes homologues britanniques et allemands et moi-même, d’obtenir le desserrement de la législation sur les aides d’État de manière que, sur le terrain du prix de l’énergie, l’Union européenne cesse de nous tirer dans le dos. M. Tajani a lui-même pris position en ce sens dans le cadre de son Plan acier, ce qui représente, à mes yeux, un progrès sensible. La rhétorique progresse, nous attendons les actes.

M. Michel Liebgott. Il faut rappeler que les restructurations dans le secteur de la sidérurgie se sont toujours faites dans la douleur – déjà 17 000 suppressions d’emplois en 1977 dans le cadre du Plan acier. Toutes les solutions ont déjà été essayées, notamment la nationalisation qui, à l’époque, se révéla pertinente. L’envisager de nouveau a permis d’exercer une pression considérable sur ArcelorMittal et d’obtenir l’accord qui a été évoqué.

Au plan européen, on ne peut que regretter la disparition de la CECA. Ne conviendrait-il pas de réfléchir à la création d’un nouvel outil qui s’en inspirerait ?

Il ne faut jamais hésiter à innover. En Lorraine, l’usine Sogérail devait disparaître. Reprise par Corus devenu Tata Steel, elle produit aujourd’hui les meilleurs rails du monde, grâce notamment à des accords passés avec la SNCF. C’est la preuve que des politiques publiques bien menées peuvent dynamiser la production sidérurgique.

L’État aide ArcelorMittal non seulement à travers le crédit impôt recherche, dont bénéficie largement le centre de Maizières-lès-Metz, mais également à travers le projet LisLow impact Steelmaking – : il faudra évidemment contrôler la bonne utilisation de ces crédits.

Laplace Conseil, que nous avons auditionné, a clairement évoqué la possibilité de la faillite du groupe ArcelorMittal compte tenu de son haut niveau d’endettement. Quant aux cabinets Syndex et Secafi Alfa, ils nous ont indiqué, la semaine suivante, qu’une vente par appartements n’était pas forcément exclue, même si la faillite d’ArcelorMittal était loin d’être probable.

Ne faut-il pas envisager de racheter les différentes unités d’ArcelorMittal en cas de faillite ou de vente du groupe ?

S’agissant enfin des surcapacités, elles sont mondiales puisque nous traversons une période de faible croissance. La Chine elle-même est en situation de surcapacité. Chacun devra donc se protéger d’une manière ou d’une autre : les Américains et les Chinois le faisant déjà, via des barrières douanières ou des actions environnementales, il n’y a aucune raison pour que nous ne nous y mettions pas.

M. le ministre. Lorsqu’elle fut créée, la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) disposait du pouvoir de fixer des quotas de production par pays et par industrie. Aujourd’hui, nous démantelons toute forme d’intervention de marché, y compris dans le cadre de la politique agricole commune. Il est par conséquent assez difficile d’imaginer désormais que les libéraux qui dirigent l’Union européenne, eux et leurs idéologies et intérêts partisans, que ce soit au Parlement européen à la Commission européenne ou dans la majorité des États membres, puissent désirer reprendre ce chemin. Cela étant, si cette question était à l’ordre du jour, le Gouvernement français serait bien sûr tout à fait prêt à l’examiner. Dans le cadre du Plan automobile, j’ai d’ailleurs demandé à la Commission européenne de limiter les installations de nouveaux sites industriels sur le territoire européen afin de faire travailler de préférence les sites existants et d’éviter ainsi la défaisance et les délocalisations – y compris dans les zones à bas coût de l’Union européenne. Je n’ai cependant pas été entendu.

Et nous demandons désormais à l’excellent Commissaire Karel de Gucht de doter l’Europe d’outils de surveillance du marché, encore appelés outils de monitoring, visant tout particulièrement les importations abusives. Je précise que même Monsieur Mittal a demandé à bénéficier de protections douanières – et, pour une fois, je suis bien d’accord avec lui ! En effet, onze enquêtes sont actuellement en cours à la Commission européenne, portant sur divers types d’acier spéciaux, en raison du dumping qu’exercent les Chinois sur les aciers produits à bas coût, et notamment sur les aciers à revêtement organique. Seul le redémarrage d’outils de surveillance du marché nous permettrait de connaître avec exactitude l’état des flux d’importation et d’exportation ainsi que les besoins technologiques qui en découlent. L’Union européenne, dans son libéralisme forcené, en est arrivée à l’idée qu’il lui fallait être aveugle au point de refuser de savoir : nous demandons qu’elle renonce à un tel aveuglement ! Comme l’écrivait Marguerite Yourcenar dans les Mémoires d’Hadrien, « tâchons d’entrer dans la mort les yeux ouverts ». En d’autres termes, si notre industrie européenne de l’acier se meurt à feu doux, que nous sachions au moins pourquoi !

Le projet Lis suit son cours – la question restant de savoir où il sera implanté. Or, dans la mesure où il n’y a plus de hauts-fourneaux à Florange, Mittal prétend vouloir l’installer à Dunkerque. Le député de la circonscription concernée étant ici présent, je ne commettrai pas l’injure d’affirmer que l’implantation doit avoir lieu à l’endroit où le sinistre a été commis. Quoi qu’il en soit, la protection des sites existants est acquise dans l’accord conclu par le Premier ministre avec Mittal, que j’ai moi-même contresigné.

Mme Michèle Bonneton. Nous avons beaucoup entendu dire que les contrats imposés par la Commission européenne en matière énergétique étaient de cinq ans au plus, soit une durée trop brève pour les entreprises qui ont besoin de disposer d’une certaine visibilité à long terme : comment peut-on, dans ce domaine également, ramener la Commission à la raison ?

Ainsi que l’a souligné Alain Bocquet, nous disposons de véritables fleurons à Maizières-lès-Metz mais aussi à Saint-Jean-de-Maurienne, la technologie appliquée dans cette entreprise faisant encore autorité dans le monde d’aujourd’hui. Il serait donc fort regrettable que ces beaux outils disparaissent.

En matière de recherche, l’État verse très généreusement aux entreprises un crédit d’impôt recherche (CIR) qu’elles apprécient beaucoup. Ainsi Monsieur Mittal nous a-t-il appris qu’ArcelorMittal avait reçu de la France 100 millions d’euros au titre du CIR au cours des trois dernières années, sans que l’État ait exigé la moindre contrepartie : est-il envisagé de conditionner les aides publiques ?

D’autre part, bien que le prix de la tonne de dioxyde de carbone soit faible, il semblerait que les industriels aient plutôt intérêt à ne pas faire fonctionner leurs hauts-fourneaux et à revendre les quotas de carbone qui leur sont attribués : comment y remédier et quelle est la politique menée au niveau européen en la matière ?

Enfin, envisager l’entrée de l’État dans le capital de certaines entreprises me paraît une excellente chose, comme l’illustre d’ailleurs le cas de Thales dont on a pu sauver des filiales du fait que l’État en était le premier actionnaire. Ce levier important permet en effet à la puissance publique de contribuer à la définition de la stratégie des entreprises concernées. De ce point de vue, la politique du Fonds stratégique d’investissement (FSI) n’est pas toujours très limpide et des inquiétudes se sont fait entendre chez Constellium. En outre, il se trouve dans ma circonscription, à Voreppe, dans l’Isère, un centre de recherche et de fonctions support de Rio Tinto au sein duquel 100 licenciements sont annoncés. Pourriez-vous nous apporter des précisions sur ces aspects ?

Monsieur  le ministre. L’Union européenne nous agace effectivement beaucoup en limitant à cinq ans  la durée des contrats énergétiques – durée qui ne correspond en rien à celle de l’amortissement des équipements par les entreprises. C’est là ce que j’appelle l’obsession talmudique de la recherche de la distorsion de concurrence, quand, dans le même temps, le gouvernement canadien concède aux usines d’aluminium de Rio Tinto des barrages leur permettant d’exploiter son électricité à bas prix et sans condition ! C’est pourquoi le Gouvernement français mène aujourd’hui un combat en faveur de l’application de clauses de réciprocité, qui nous confèreraient le droit de recourir aux mêmes procédés que ceux que nous font subir nos concurrents dans la compétition mondiale. Et j’ai bien l’intention de faire un usage tout à fait inconsidéré de ces clauses tant notre exaspération est à son comble ! Car pendant que l’Europe est en train de s’affaisser économiquement, des dirigeants européens passent leur temps à importuner nos industries ! C’est pourquoi le ton monte au sein du Conseil « compétitivité ». Et je ne suis d’ailleurs pas le seul à protester : c’est aussi le cas de nos amis italiens, espagnols, roumains, belges, et même parfois allemands. Je puis donc vous affirmer que la Commission européenne n’est pas très populaire aujourd’hui auprès des États membres et que le seul moyen d’agir est de la mettre en minorité lors des prochaines élections européennes. C’est de la politique qu’il faut faire, madame la députée, et pas seulement dans l’enceinte de l’Assemblée nationale, mais aussi au niveau européen. Il convient ainsi d’éduquer nos concitoyens en leur expliquant en quoi consiste vraiment le libéralisme et de faire en sorte que cette Commission, qui doit répondre de ses actes devant le Parlement européen, soit mise dans l’impossibilité de mener sa politique. Je souhaite donc que cette réforme très importante de l’Union européenne se déroule dans les urnes.

Quant à la conditionnalité des aides publiques, M. Jean-Jacques Queyranne, ancien ministre et président de la région Rhône-Alpes, aidé de M. Jean-Philippe Demaël, président directeur général de l’entreprise Somfy et de M. Philippe Jurgensen, inspecteur général des finances, soulignent dans un rapport rendu hier le manque de performance d’un grand nombre d’entre elles, proposant au Gouvernement d’en supprimer mais aussi d’en renforcer d’autres – dont vous pourrez lire l’éloge inattendu. Le Conseil national de l’industrie a pour sa part institué un groupe de travail sur cette question mais le Gouvernement n’a formé aucun projet à ce sujet et vise davantage à en assurer la lisibilité, la simplification et l’allégement. Cela dit, le Parlement peut formuler des propositions sur le sujet à tout moment.

Enfin, quant la participation de l’État ou de ses outils bancaires et financiers, tels le FSI et la BPI, dans le capital des entreprises du secteur que vous examinez, vous avez pris l’exemple de Constellium – qui constitue pour nous une entreprise stratégique pour la transformation de l’aluminium à destination des filières automobile et aéronautique. Or, lorsque Rio Tinto a procédé à une vente en 2009 au fonds d’investissement Apollo Global Management, le FSI en a profité pour entrer dans le capital de Constellium à hauteur de 10 %. Et il y a quelques semaines, Constellium a été introduit en bourse dans l’objectif de faire sortir progressivement Rio Tinto du groupe Apollo. Dans le même temps, le FSI a porté sa participation dans le groupe à 12,5 % de manière à en devenir à terme l’actionnaire de référence, une fois que Rio Tinto et Apollo en seront sortis. Quant aux problèmes de suppression de postes dans ces entreprises, ils ne relèvent pas d’enjeux de propriété du capital : nous tentons plutôt de les résoudre en lien avec les commissaires régionaux au redressement productif, avec l’objectif de limiter les dégâts et de préserver les outils de travail concernés.

M. Christian Hutin. Il règne au sein de notre commission, qui eût pu s’intituler « commission d’enquête pour le redressement de la sidérurgie et de la métallurgie », une forme de consensus dépassant les clivages partisans : ayant en effet tous compris sa dimension de combat et de non-renoncement, nous avons ainsi localisé les lieux où mener la bataille. Et sans préjuger des conclusions que nous rendrons la semaine prochaine, il me semble que le Waterloo de Péchiney ne nous empêchera pas de faire la campagne de France et que nous serons autre chose que des Marie-Louise ! En tout état de cause, je souscris complètement à vos propos, Monsieur le ministre, et je soutiens pleinement votre action.

Nous avons auditionné, ce matin même, M. Patrick de Schrynmakers, ancien secrétaire général de l’Association européenne de l’acier (AEA) qui a fait preuve d’une franchise extraordinaire : il aura fallu douze ans à la Commission européenne pour qu’elle se décide à dresser un bilan de la situation. Mais, bel exemple de « schizophrénie », elle est le malade, et non le docteur ! Il semblerait néanmoins que nous ayons progressé sur un certain nombre de points et que notre commission d’enquête remporte quelque succès.

Imaginons à présent un monde de rêve dans lequel le ministre du redressement productif pourrait bénéficier de prérogatives législatives d’ordre national : sur quel arsenal législatif souhaiterait-il s’appuyer ? Je songe notamment aux nationalisations : le groupe Mittal représente en effet 15 % de la richesse du bassin dunkerquois – qui ne dépend par conséquent que d’un homme et de son fils. Or, on ne sait jamais ce qui peut arriver. Compte tenu de l’intérêt stratégique que présentent le fer et l’aluminium pour notre pays, une nationalisation me paraîtrait assez logique. Les 1 400 milliards d’euros d’encours de l’assurance-vie pourraient alors servir à financer l’opération.

Monsieur le ministre. Nous disposons de beaucoup de marges de manœuvre pour protéger nos intérêts : votre commission pourrait notamment œuvrer au renforcement de l’arsenal législatif anti-offre publique d’achat (OPA) afin d’éviter que ne se reproduise ce qui est arrivé à nos deux fleurons de l’acier et de l’aluminium, Arcelor et Péchiney.

D’autre part, quelle attitude devons-nous adopter vis-à-vis d’une Commission européenne, qui, dans la confrontation avec les aspirations partagées des États membres et sur le fondement de ses pouvoirs propres, s’obstine aujourd’hui à appliquer des règles obsolètes – c’est-à-dire non pertinentes compte tenu de nos besoins –, et à utiliser la machinerie d’une technocratie trop puissante dans une période où l’on a besoin de soutien et non d’obstacles ? Nous faut-il nous comporter en bons élèves ou allons-nous enfin défier la Commission européenne ? Cette question finira de toute manière par se poser sur le terrain du droit de l’énergie sur lequel nous ne sommes pas d’accord. La façon dont cette institution s’interprète comme gardienne des traités est absolument incompatible avec les aspirations découlant du mandat que nous a accordé le suffrage universel des Français. Ce problème ne peut donc être résolu que de manière politique. La question des pouvoirs propres de la Commission européenne en matière d’aides d’État n’a plus de sens et doit faire partie des points à revoir dans le Traité de Rome. Il conviendrait pour le moins que le Parlement européen puisse tempérer ces pouvoirs qu’elle n’exerce d’ailleurs pas, la plupart du temps, quand il conviendrait de réguler le marché mais qu’elle exerce au contraire de manière excessive lorsqu’elle devrait s’en abstenir ! C’est là tout l’enjeu de la coupure de l’Europe vis-à-vis de l’aspiration des peuples – problème politique majeur sur lequel l’Europe joue actuellement sa survie politique. Car chaque fois que l’on prend une décision contre les peuples, ceux-ci le lui font payer au centuple. Une telle analyse personnelle n’engage toutefois que moi, et pas le gouvernement français.

Mme Édith Gueugneau. Lors de nos auditions précédentes, certaines entreprises et grandes fédérations nous ont signalé et cela à plusieurs reprises le coût important de l’énergie dans leur activité : votre ministère travaille-t-il sur ce sujet en partenariat avec le ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie ?

Les syndicats ont quant à eux dénoncé les délocalisations. Or, le 14 juin dernier, vous avez présenté plusieurs dispositifs permettant de favoriser les relocalisations. Quel serait l’impact de ces mesures pour les grands groupes et les grands pourvoyeurs d’emploi ?

Enfin je tiens ici à saluer le travail accompli par vos interlocuteurs régionaux, les commissaires au redressement productif, qui accompagnent les entreprises dans la proximité.

Monsieur le ministre. C’est le ministère de l’énergie qui est chargé de la protection des intérêts énergétiques du pays et qui est par conséquent chef de file sur ce type de dossier. Je puis néanmoins vous affirmer que nous travaillons dans le cadre du débat sur la transition énergétique à la définition de mesures de soutien aux énergies intensives telles que la cogénération industrielle. D’autres amendements apparaîtront également quant au statut des réseaux intensifs. Nous avançons, certes, mais timidement et de manière insuffisante car chaque fois que nous prenons une initiative au plan national, nous nous heurtons aux réactions de la Commission européenne. Tout cela doit donc en permanence être négocié.

Nous nous battons effectivement pour diminuer nos coûts de production, à l’aide du crédit d’impôt compétitivité emploi, le CICE, d’une part, qui permet de faire baisser le coût du travail, et de la BPI, d’autre part, qui permet d’agir sur le coût du capital. Quant au coût de l’énergie, il est actuellement discuté dans le cadre du débat sur la transition énergétique, qui vise notamment à déterminer qui financera la hausse structurelle de ce coût, compte tenu de notre refus d’exploiter le gaz de schiste et du démantèlement d’une partie de notre parc nucléaire. Je pose pour ma part ce débat en termes industriels.

M. le président Jean Grellier. Nous vous remercions pour ces réponses et vous invitons à relayer cette urgente question énergétique – même si vous n’en êtes pas directement responsable – tant les perspectives en la matière sont inquiétantes. Cet enjeu aura en effet un impact direct sur la pérennité de nos sites industriels, et ce, dès demain matin.

Il conviendra également de songer à recourir aux nationalisations – même si nous ne saurions nier notre besoin de capitaux internationaux – ainsi qu’aux modalités d’évolution du partenariat entre la puissance publique et la capitalisation des entreprises afin d’atténuer notre perte de souveraineté. Lorsque l’on s’aperçoit par exemple que le crédit impôt recherche perçu ne représente que 25 % du budget du centre de recherche de Maizières-lès-Metz, sans doute l’État dispose-t-il du moyen de discuter avec le groupe. Et sans doute pourra-t-on élaborer des solutions, notamment dans le cadre du futur projet de loi sur la cession des sites rentables, afin d’assurer la maîtrise de nos outils industriels, et peut-être ensuite dans le cadre d’un texte sur la gouvernance des entreprises. Nous sommes à la veille de rendez-vous importants.

——fpfp——

1 () L’ensemble constitué par Usinor et Sacilor a pris le seul nom d’Usinor en 1999.

2 () La Société Générale qui était traditionnellement un des banquiers « historiques » de la sidérurgie française donc d’Arcelor figurera pourtant parmi les banques-conseils de M. Lakshmi Mittal. Elle lui consentira même une importante ligne de crédits afin de mener financièrement à bien l’OPA.

3 () Source Xerfi publiée par Roland Berger Consultants dans un rapport sur la filière de 2012.

4 () Après l’introduction de l’action Constellium à la bourse de New York en mai 2013, le fonds Apollo Global Management détient 36,5 % du capital, Rio Tinto International Holding 28,1% et le FSI a néanmoins porté, à cette occasion, sa participation de 9,4 % à 12,5% suivant en cela une directive précise du gouvernement rappelée devant la commission d’enquête par le ministre du redressement productif.

5 () Groupe de réflexion sur l’avenir de la métallurgie (GrameF), audition du 27 mars 2013.

6 () M. Pascal Faure, directeur général de la compétitivité, de l’industrie et des services (DGCIS) ; audition du 20 février 2013.

7 () M. Lashkimi Mittal, audition du 17 avril 2013.

8 () M. Pascal Faure.

9 () M. Pascal Faure.

10 () M. Jean-Pierre Gaudin, vice-président de la Fédération des entreprises du recyclage (FEDEREC), audition du 10 avril 2013.

11 () Groupe de réflexion sur l’avenir de la métallurgie (GrameF)

12 () M. Philippe Darmayan, président de la fédération française de l’acier (FFA), audition du 13 mars 2013.

13 () M. Pascal Faure.

14 () GrameF.

15 () M. Lakshmi Mittal.

16 () M. Pascal Nerbonne, président d’Ascométal, audition du 15 mai 2013.

17 () Panorama de la filière aluminium, Roland Berger, 4 février 2013.

18 () M. Olivier Dufour, directeur des Affaires extérieures de Rio Tinto Alcan France/UE).

19 () Panorama de la filière aluminium, cabinet Roland Berger, 4 février 2013.

20 () Mme Catherine Tissot-Colle, présidente de la Fédération des minerais, minéraux industriels et métaux non ferreux (FEDEM).

21 () M. Jean-Pierre Fine, secrétaire général et M. Gilles Lodolo, directeur « emploi formation » de l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM).

22 () M. Édouard de Lacoste Lareymondie, président de la chambre syndicale du cuivre et de ses alliages.

23 () M. Igor Bilimoff, directeur général de la Fédération des entreprises du recyclage (FEDEREC).

24 () M. Jean-Pierre Gaudin, vice-président de la FEDEREC, président de la branche « métaux ferreux ».

25 () GrameF.

26 () M. Patrick Kornberg, président de la branche des métaux non ferreux de la FEDEREC.

27 () Mme Claire de Langeron, déléguée générale de la FEDEM.

28 () Qui exerce auprès des CE et des CHSCT, depuis 2007 auprès du comité d’entreprise européen d’ArcelorMittal, mais aussi auprès du comité de l’acier et du comité du dialogue social sectoriel.

29 () EBITDA : earnings before interest, tax, depreciation and amortization (résultat opérationnel du groupe).

30 () Glencore Xstrata est l’acteur le plus puissant dans le domaine du négoce et du courtage. Cette compagnie suisse, très controversée, implantée dans le canton de Zoug, contrôlerait en 2011 environ 60 % du zinc mondial, 50 % du cuivre, 30 % de l’aluminium, 25 % du charbon, 10 % du grain et 3 % du pétrole. Son chiffre d’affaires aurait atteint en 2010 environ 102 milliards d’euros.

31 () Les Echos, 1er juillet 2013.

32 () Leverage buy-out : rachat d’entreprise par le recours à un important endettement bancaire.

33 () Association européenne de l’acier regroupant les principaux producteurs.

34 () Les Echos du 25 juin 2012.

35 () Rapport « les mutations économiques en Lorraine », http://www2.economie.gouv.fr.

36 () AFP 24 avril 2013.

37 () Le Monde, 4 avril 2013.

38 () 2008 et 2009 : y compris données d’Aperam.

39 () 2010 à 2012 : hors données d’Aperam.

40 () Les Echos, 1er juillet 2013.

41 () Leverage buy-out ; rachat d’entreprise par le recours à un important endettement bancaire.

42 () Possédant en France quatre sites sidérurgiques (Fos, Dunkerque-Dunes, Allevard-Le Cheylas en Isère et Hagondange) et deux sites de parachèvement (Le Marais, dans le département de la Loire, et Custines, en Meurthe-et-Moselle.

43 () « La filière acier en France et l’avenir du site de Florange », rapport remis à M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif, par M. Pascal Faure, vice-président du conseil général de l’économie, de l’industrie, de l’énergie et des technologies, 27 juillet 2012.

44 () Navires très gros transporteurs de minerai détenus ou affrétés par le Brésilien Compagnie minière Vale SA pour transporter le minerai de fer du Brésil vers les ports européens et asiatiques (de 400 000 tonnes de capacité).

45 () Article du 25 juin 2013 de Gilbert Reilhac, paru dans « Les Echos », consultable sur Internet.

46 () Le fonds d’investissement Apollo Global Management est une structure cotée en bourse qui gère quelque 70 milliards de dollars d’actifs essentiellement pour le compte d’investisseurs institutionnels. Les prises de participations industrielles ne constituent qu’une partie de son activité. Le fonds est dirigé par un de ses cofondateurs, Leon Black, un milliardaire et « star » de Wall Street particulièrement actif à l’époque des junk bonds au sein de la défunte banque Drexel Burnham Lambert.

47 () Nom du maître ferronnier lorrain du XVIIIe siècle.

48 () Document reproduit en annexe page 171.

49 () Audition du 13 mars 2013.

50 () « Nous sommes confrontés à de grands défis. Tout d’abord, nous devons affronter, c’est vrai, un environnement concurrentiel renforcé et parfois déloyal. Il conviendrait donc de réfléchir à l’évolution des règles de l’OMC. Si la Chine, qui ne les respecte pas, est souvent attaquée, cela est parfois favorable aux entreprises européennes puisqu’elle vend les produits plus chers que leurs prix de revient, ce qui rétablit une certaine concurrence. Quelles sont donc les règles les plus protectrices pour nos industries ? Nous nous permettons d’interpeller les pouvoirs publics, car le monde industriel étant complexe, ce qui est favorable aux uns ne l’est pas nécessairement aux autres » (audition du 22 mai 2013 de Mme Catherine Tissot-Colle, présidente de la Fédération des minerais, minéraux industriels et métaux non ferreux).

51 () Mmes Anne Grommerch, Sophie Rohfritsch, Marie-Jo Zimmermann, et MM. Damien Abad, Jean-Pierre Decool, David Douillet, Hervé Gaymard, Denis Jacquat, Alain Marty, Eric Straumann.

52 () EBITDA (earnings before interest, tax, depreciation and amortization) : résultat opérationnel du groupe.


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