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N° 837

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 20 mars 2013.

RAPPORT D’INFORMATION

FAIT

AU NOM DE LA DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES
ET À L’ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

SUR LE PROJET DE LOI (n° 774), APRÈS ENGAGEMENT DE LA PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE, relatif à la sécurisation de l’emploi,

PAR Mme Ségolène NEUVILLE et M. Christophe SIRUGUE

Députés.

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La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes est composée de :

Mme Catherine Coutelle, présidente ; Mme Conchita Lacuey, Mme Monique Orphe, M. Christophe Sirugue, Mme Marie-Jo Zimmermann, vice-présidents ; Mme Edith Gueugneau, Mme Cécile Untermaier, secrétaires ; Mme Huguette Bello, M. Jean-Louis Borloo, Mme Brigitte Bourguignon, M. Malek Boutih, Mme Marie-George Buffet, Mme Pascale Crozon, M. Sébastien Denaja, Mme Sophie Dessus, Mme Marianne Dubois, Mme Virginie Duby-Muller, Mme Martine Faure, M. Guy Geoffroy, Mme Claude Greff, Mme Françoise Guégot, Mme Valérie Lacroute, Mme Sonia Lagarde, M. Serge Letchimy, Mme Geneviève Levy, Mme Martine Lignières-Cassou, M. Jacques Moignard, Mme Dominique Nachury, Mme Ségolène Neuville, Mme Maud Olivier, Mme Bérengère Poletti, Mme Barbara Pompili, Mme Josette Pons, Mme Catherine Quéré, Mme Barbara Romagnan, M. Philippe Vitel.

INTRODUCTION 5

I.– FEMMES ET MARCHÉ DU TRAVAIL : UNE SITUATION INSATISFAISANTE 7

A. DES INÉGALITÉS PROFESSIONNELLES PERSISTANTES ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES 7

1. Les inégalités salariales demeurent : certaines relèvent de la situation des femmes sur le marché du travail, d’autres relèvent de la pure discrimination 7

2. Chômage, temps partiel, CDD, petites retraites : les femmes plus souvent précaires 8

3. La ségrégation professionnelle : une réalité forte avec un impact sur le temps partiel et le sous-emploi 11

B. L’EXEMPLE ÉDIFIANT DU TEMPS PARTIEL 12

1. Le temps partiel : une affaire de femmes ? 12

a) L’essor du temps partiel lié au développement de l’emploi des femmes et à la croissance du secteur tertiaire 12

b) Les principales caractéristiques des emplois à temps partiel 14

c) Le travail à temps partiel : subi ou choisi ? 15

2. Temps partiel et précarisation : un engrenage dangereux 16

a) Des salaires faibles et des carrières ralenties 16

b) Une protection sociale affaiblie et des retraites amoindries 17

II.– LE PROJET DE LOI SUR LA SÉCURISATION DE L’EMPLOI : UN PROGRÈS SOCIAL IMPORTANT 19

A. UNE APPROCHE NOUVELLE : LA PRIMAUTÉ DU DIALOGUE SOCIAL 19

1. La « feuille de route » de la grande conférence sociale de juillet 2012 19

2. La négociation entre les partenaires sociaux et la recherche d’un compromis 20

3. Un accord qui a divisé les syndicats de salariés 22

B. DES DISPOSITIONS NOVATRICES QUI BÉNÉFICIERONT AUX FEMMES 24

1. Les CDD soumis à une sur-cotisation (article 7 du projet de loi) 24

2. L’encadrement du temps partiel (article 8 du projet de loi) 25

a) La législation en vigueur explique la forte précarité du temps partiel 25

b) Les innovations du projet de loi 26

c) Les autres avancées sociales du projet de loi 28

TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION 29

RECOMMANDATIONS DE LA DÉLÉGATION 37

PERSONNES ENTENDUES PAR LES RAPPORTEURS 39

COMPTES RENDUS DES AUDITIONS DE LA DÉLÉGATION 41

MESDAMES, MESSIEURS,

Le présent projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi, soumis à notre Assemblée, comporte des dispositions novatrices pour développer l’emploi, faire reculer les différentes formes de précarité, ainsi que les inégalités professionnelles entre hommes et femmes qui persistent malgré les législations en vigueur. Il s’inscrit dans le cap fixé par le président de la République : « mobiliser les forces vives de notre pays vers des solutions nouvelles pour l’emploi ».

Ce projet de loi transcrit l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013, fruit de quatre mois d’intense négociation et signé par trois syndicats représentatifs. Cette négociation s’est engagée sur la base de la feuille de route sociale donnée aux partenaires sociaux après la grande conférence sociale qui s’est tenue en juillet 2012, et qui a permis de dresser des constats partagés pour lutter vigoureusement contre le chômage et le travail précaire.

Face à la dégradation de l'emploi: explosion du chômage, précarisation des salariés, multiplication des CDD courts voire très courts, le gouvernement a invité les partenaires sociaux à négocier les conditions d'une meilleure sécurisation de l'emploi pour limiter et mieux encadrer les licenciements économiques et lutter contre le développement de travailleurs et travailleuses pauvres. 

La Délégation aux droits des femmes a fait de l'égalité professionnelle une des priorités de cette législature. C’est la précarité qui cause la moitié des inégalités salariales. Aussi dans la suite des rapports adoptés avant 2012 et en s'appuyant sur les travaux récents du Sénat et du CESE12, la délégation a souhaité apporter sa contribution à la transcription du projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi. Elle a analysé l'ensemble du texte et l'étude d'impact, mais elle s'attache particulièrement au titre II dont l'objectif est de lutter contre la précarité. Cette lutte passe par le renchérissement des contrats à durée déterminée, par la mise en place d'une durée minium pour le temps partiel, et par un meilleur accès aux droits (promotion, formation, représentation) de tous les salariés y compris à temps partiel. 

Ce rapport a pour objet de mettre en lumière la situation des femmes, discriminées sur le marché du travail. Il s'enrichit de deux tables rondes avec les partenaires sociaux et de plusieurs auditions. Il permettra notamment de préparer des amendements, d'analyser l'impact du projet de loi sur la situation des femmes, d'alerter les partenaires sociaux sur l'importance du sujet de l'égalité professionnelle.

I.– FEMMES ET MARCHÉ DU TRAVAIL : UNE SITUATION INSATISFAISANTE

A. DES INÉGALITÉS PROFESSIONNELLES PERSISTANTES ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES

1. Les inégalités salariales demeurent : certaines relèvent de la situation des femmes sur le marché du travail, d’autres relèvent de la pure discrimination

Si l’on veut dresser un état des lieux des inégalités professionnelles qui persistent entre les hommes et les femmes, le premier point à considérer est l’écart des salaires.

Les données publiées par l’Observatoire des inégalités se référant à une enquête de l’Insee font apparaître que le salaire mensuel net moyen des hommes est de 2 263 euros pour un équivalent temps plein, alors que celui des femmes est de 1 817 euros (données 2010). Cela signifie que les hommes perçoivent en moyenne un salaire supérieur de 24,5 % en équivalent temps plein à celui des femmes ou bien, ce qui revient au même, que les femmes touchent en moyenne 80 % du salaire des hommes. On constate donc un écart mensuel moyen de 446 euros, soit presque l’équivalent d’un demi-Smic.

Plus on progresse dans l’échelle des salaires et plus l’écart entre les femmes et les hommes s’accroît. Ainsi, l’inégalité salariale entre hommes et femmes est la plus forte chez les cadres (28,8 %) et donc parmi les salaires les plus hauts où la distribution de primes joue un grand rôle. Inversement, l’écart le plus faible se trouve parmi les employés (8,3 %) où le salaire plancher qu’est le Smic peut jouer un rôle protecteur.

Si l’on regarde les écarts de salaires tous temps de travail confondus, donc sans transformer les salaires du temps partiel en équivalent temps complet, les salaires des femmes représentent en moyenne 73 % des salaires des hommes, selon les données 2009 publiées par le ministère du travail. Cela revient à dire que les femmes ont une rémunération inférieure de 27 % à celle des hommes. C’est ce dernier chiffre – l’écart total – qui s’est imposé dans le débat public.

L’un des facteurs susceptibles d’expliquer ce différentiel réside dans le fait que les femmes travaillent cinq fois plus souvent à temps partiel que les hommes et que donc logiquement, leur revenu tous temps de travail confondu, est inférieur. Il faut également noter que les hommes effectuent plus fréquemment que les femmes des heures supplémentaires, ce qui accroît leur revenu. Néanmoins, si l’on compare les salaires à temps complet, nous constatons la persistance d’un écart défavorable de 24 % pour les femmes.

Même si l’on prend en compte des différences de statut d’emploi (cadre, employé, ouvrier), d’expérience, de qualification (diplôme) et de secteur d’activité, environ 9 % de l’écart reste inexpliqué. D’autres facteurs peuvent jouer comme la situation familiale ou les interruptions de carrière. Au final, la discrimination pure serait de 6 ou 7 %.

DÉCOMPOSITION DE L'INÉGALITÉ SALARIALE
ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

 

Écart de revenu

Tous temps de travail confondus

27%

dont effet du temps partiel

3%

Écart pour les temps complets

24%

dont effets des heures supplémentaires et primes

10%

Écart des salaires horaires

14%

dont effet de structure (qualification, secteur d'activité, expérience)

5%

Écart toutes choses égales par ailleurs (discrimination directe)

9%

Source : Insee-Dares, ministère du Travail. Année des données : 2009,

Champ : salariés des entreprises de 10 salariés ou plus du secteur concurrentiel

Peut-être n’est-il pas inutile de rappeler ici que cet écart salarial perdure, alors que de nombreuses lois ont été adoptées en vue de favoriser l’égalité professionnelle et salariale, comme l’a rappelé récemment le rapport d’information de Mme Cécile Untermaier paru en janvier 2013 sous le titre « Égalité professionnelle et salariale : la loi enfin appliquée ? ». (3)

2. Chômage, temps partiel, CDD, petites retraites : les femmes plus souvent précaires

Le chômage, qui va de pair avec une perte de revenu, peut entraîner une précarisation des personnes concernées. Or, les statistiques portant sur le taux de chômage selon l’âge et le sexe, figurant dans l’enquête « Emploi » de l’Insee pour l’année 2010, font état d’un constat caractérisé. Dans toutes les tranches d’âges, le taux de chômage des femmes est toujours supérieur à celui des hommes, comme le montre le tableau ci-dessous.

TAUX DE CHÔMAGE PAR SEXE ET PAR ÂGE

Tranches d’âge

Taux de chômage hommes

Taux de chômage femmes

15-29 ans

17,1

17,3

30-39 ans

7,6

8,9

40-49 ans

6,2

7,5

50-59 ans

6,3

6,7

60 ans ou plus

4,8

5,4

Total

9,0

9,7

Ces chiffres, qui sont des moyennes, peuvent masquer des fractures plus importantes. Ainsi, le rapport du CESE sur les femmes et la précarité, rappelant les travaux de Margaret Maruani, sociologue, mentionne un fait significatif. Depuis trente ans, sans discontinuité, le taux de chômage le plus important est celui des ouvrières : 17 % contre 12,6 % pour les ouvriers en 2010, un écart maximum de 9 points ayant été atteint en 1990.

Le chômage féminin semble également mieux toléré par la société comme le montre une enquête de l’Insee de mars 2011 sur le thème « Couple, famille, parentalité, travail des femmes ». Ainsi une personne interrogée sur quatre pense qu’en période de crise économique, les hommes devraient être prioritaires pour trouver un emploi. Cette priorité est approuvée par 50 % des 75-79 ans mais par seulement 10 % des 20-24 ans.

Si le chômage est une cause majeure de précarité, le type de contrat de travail est également un indicateur de la précarité. Or, une étude de la direction de la recherche des études et des statistiques (Dares) de 2012 fait le constat qu’à tous les âges, les femmes sont plus souvent recrutées en contrat à durée déterminée. De manière générale, les femmes sont majoritairement concernées par les CDD : 11,6 % des femmes contre 7,6 % des hommes en 2010. En outre, leur présence dans ce type de contrat tend à augmenter : 59,8 % en 2010 contre 57 % en 1990.

La proportion de temps partiel parmi les salariés en CDD est également plus élevée chez les femmes (45 %) que chez les hommes (26 %).

Si l’on considère maintenant le taux de pauvreté selon le sexe et l’âge, on peut constater que le taux de pauvreté chez les femmes est supérieur à celui des hommes. D’après les données de l’Insee pour 2010, on compte près de 2,6 millions de femmes et 2,2 millions d’hommes pauvres en retenant le seuil de 50 % du revenu médian (revenu qui sépare la population en deux parties égales). Au total, 8,1 % des femmes sont démunies contre 7,4 % des hommes.

Par ailleurs, les femmes représentent 53,8 % de la population pauvre.

Les écarts de pauvreté sont plus marqués chez les personnes les plus âgées. Après 75 ans, il y a près de trois fois plus de femmes pauvres que d’hommes. En effet, beaucoup de femmes n'ont pas occupé d’emploi et perçoivent une pension très faible, une petite pension de réversion, ou le minimum vieillesse.

L’écart est également marqué chez les 25-34 ans : 7,9 % de femmes contre 6 % d’hommes se trouvent au seuil de 50 % du revenu médian ; cette situation concerne souvent des mères célibataires percevant une allocation ou un salaire à temps partiel.

Ces données sur le taux de pauvreté renvoient à des réalités fortes sur les risques de précarisation et de paupérisation des femmes. En effet, concernant les niveaux de pensions versés, il est établi qu’en 2010, les femmes percevaient en moyenne une pension de droit direct presque deux fois plus faible que les hommes (899 euros contre 1 552 euros) du fait de parcours professionnels défavorables : carrières incomplètes, durée d’assurance inférieure. Les prévisions du comité d’orientation sur les retraites (COR) ne sont guère plus favorables pour l’avenir.

Parallèlement à ce premier constat, il faut noter que les allocataires du minimum vieillesse et du minimum contributif sont très majoritairement des femmes : respectivement 57 % et plus de 70 % fin 2010. Or, le niveau du minimum vieillesse, malgré des revalorisations intervenues en 2009 et 2010, reste inférieur au seuil de pauvreté, correspondant à un risque de paupérisation accru des femmes âgées de 75 ans et plus.

Grâce à l’apport des droits familiaux et conjugaux et des allocations relevant des minima vieillesse, la retraite globale des femmes s’établissait fin 2008 à 1 165 euros mensuels soit 67 % de celle des hommes (1 749 euros), réduisant quelque peu le risque de précarisation.

Après l’âge, un second facteur de précarisation réside dans la situation de parent isolé.

Sans entrer dans le débat portant sur la définition des familles monoparentales, il apparaît que celles-ci sont en augmentation constante depuis 1970 et plus encore depuis 1990. Sur les 7,9 millions de familles avec enfants de moins de 18 ans, 1,6 million sont des familles monoparentales, leur part s’élevant à 21 % en 2008 selon les données recueillies par l’Insee).

Or, la féminisation de la monoparentalité est importante : dans 86 % de ces situations, le parent avec lequel réside le ou les enfants est la mère. La situation de monoparentalité est en soi un facteur de précarisation pour les femmes les plus fragiles économiquement. Quelle qu’en soit la cause (veuvage, séparation, divorce) et les compensations apportées (capital décès, pension alimentaire), la rupture familiale induit une perte de ressources pour le parent seul qui assume la garde des enfants. Les parents seuls se retrouvent d’ailleurs souvent parmi les allocataires de minima sociaux.

Les femmes sont aussi les principales bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) dont elles représentaient 57 % des allocataires en 2010.

3. La ségrégation professionnelle : une réalité forte avec un impact sur le temps partiel et le sous-emploi

Si la participation des femmes au marché du travail ne cesse d’augmenter, cela ne signifie pas que les femmes occupent les mêmes emplois dans les mêmes secteurs.

Ainsi, une étude de la Dares indique une concentration de l’emploi féminin plus marquée que celle de l’emploi masculin. Les vingt et une professions les plus « féminisées » concentrent 71 % des femmes, alors que les vingt et une professions les plus « masculinisées » ne regroupent que 50 % des hommes, proportions stables depuis 20 ans. Cela revient à dire que les dix métiers employant le plus de femmes regroupent presque la moitié de l’emploi féminin (45 %).

Certains chiffres fournis par la Dares sont éloquents : 99 % des assistantes maternelles, 98 % des secrétaires de direction, 97 % des aides à domicile, 95 % des employés de maison près de 88 % des infirmières et sages-femmes et 84 % des employés de la comptabilité, plus de 70 % des agents d’entretien, sont des femmes.

Or ce type de constat n’est pas neutre. Ces métiers majoritairement féminins emploient fréquemment des personnes à temps partiel, dont la rémunération est moindre : 79 % des employées de maison, 68 % des aides ménagères, 47 % des agents d’entretien, 33 % des vendeurs, secrétaires et assistantes maternelles travaillent à temps partiel. Cette modalité est particulièrement développée chez les employés de maison.

Dans les trois métiers suivants : aides à domicile, employés de maison et agents d’entretien entre 20 et 25 % des femmes se déclarent en sous-emploi.

Secondement, il est manifeste que ces emplois « féminins » correspondent à des emplois peu qualifiés et de niveau hiérarchique très limité, même s’ils sont largement pourvoyeurs d’emplois. Selon la Dares, la probabilité qu’une personne en emploi soit sur un poste d’employé ou d’ouvrier non qualifié est 2,1 fois plus forte pour une femme que pour un homme en 2010, alors que ce rapport n’était que de 1,8 au début des années 1980. Cet écart et cette segmentation devraient perdurer, selon les études prospectives effectuées par la Dares et le Centre d’analyse stratégique.

Les études de la Dares tendent aussi à montrer une appétence plus marquée des femmes pour le salariat et la fonction publique. Ainsi, en 2010, la part des femmes non salariées n’est que de 7,6 % soit la moitié de la part représentée par les hommes. Dans la fonction publique, les femmes sont au contraire très présentes, particulièrement dans la fonction publique hospitalière.

Pour autant, si les femmes représentent plus de la moitié des cadres de la fonction publique, elles sont nettement sous représentées dans les emplois de direction et dans l’encadrement supérieur. Dans son rapport sur l’égalité professionnelle hommes femmes dans la fonction publique remis en mars 2011 au Président de la République, Françoise Guéguot, députée, notait : « dans la fonction publique, plus les responsabilités sont élevées, moins les femmes sont nombreuses ».

Dans les entreprises privées, l’existence d’un « plafond de verre » est manifestée par l’ensemble des blocages auxquels sont confrontées les femmes dont la carrière est brusquement interrompue au moment où elles pourraient prétendre assumer des responsabilités, ou par les difficultés rencontrées par les femmes aspirant aux postes stratégiques. En 2008, selon l’Insee, les femmes ne représentaient que 17,2 % des dirigeants de sociétés.

Il sera important de suivre dans les années qui viennent, les évolutions induites par l’adoption de la loi n° 2011-103 du 27 janvier 2011 dite « Copé-Zimmermann », prévoyant l’instauration de quotas dans les instances dirigeantes des grandes entreprises.

B. L’EXEMPLE ÉDIFIANT DU TEMPS PARTIEL

Avant d’examiner les avancées que comporte le projet de loi sur la sécurisation de l’emploi, il convient de se pencher sur le contexte dans lequel il s’inscrit.

1. Le temps partiel : une affaire de femmes ?

a) L’essor du temps partiel lié au développement de l’emploi des femmes et à la croissance du secteur tertiaire

Au cours des vingt-cinq dernières années, l’emploi à temps partiel a connu une forte progression en France : s’il représentait en 1982 8,2 % des salariés, cette proportion s’est élevée à 18,7 % des salariés en 2011, selon une étude de la Dares sur l’emploi à temps partiel datant de 2013.

Cette progression importante de l’emploi à temps partiel ne s’est pas faite de manière continue. Après une première phase de croissance au début des années 1980 suivie d’une courte phase de stagnation, l’emploi à temps partiel a plus fortement progressé au début de la décennie quatre-vingt-dix avant de diminuer entre 1998 et 2001. La proportion de salariés à temps partiel est restée stable entre 2002 et 2004 avant d’augmenter à nouveau en 2005 pour se rapprocher du sommet atteint à la fin des années quatre-vingt-dix.

On peut observer pour expliquer cette évolution, que l’essor de l’emploi à temps partiel dans les années quatre-vingts et quatre-vingt-dix fait suite au développement massif de l’emploi féminin qui a commencé au milieu des années 1960. Mais, selon l’étude de la Dares, la montée en charge de l’activité et du salariat féminins n’explique qu’une part limitée du développement du temps partiel.

On peut également remarquer la tertiarisation croissante de l’économie française : 61 % des salariés travaillaient dans le secteur tertiaire en 1982, ils sont 75 % en 2009. Or, comme le temps partiel est largement plus présent dans le secteur tertiaire (22 % des emplois en 2005), cela augmente mécaniquement la part des salariés à temps partiel au sein de l’économie.

Néanmoins, là aussi cet accroissement global de la part des services n’explique qu’une faible part de l’augmentation du temps partiel.

De fait, au-delà de l’accroissement de l’activité féminine et de l’augmentation de la part des services, le développement du temps partiel est à relier aux mesures de politiques publiques prises en faveur de ces emplois.

L’ordonnance n° 82-271 du 26 mars 1982 relative au temps partiel a introduit une définition précise du temps partiel, qui semble avoir favorisé son développement ultérieur. À partir de 1992, un abattement de cotisations patronales sur les emplois à temps partiel a été instauré dans le secteur privé ; cet abattement a pu se cumuler avec des allègements généraux des cotisations sociales « employeurs » sur les bas salaires. Au final, si les modalités d’application de ces mesures ont varié, ensuite il en est résulté un encouragement de l’emploi à temps partiel.

En 2001, l’abattement « temps partiel » a été supprimé et depuis 2003, le calcul du nouveau régime d’allègement sur les bas salaires basé sur la rémunération horaire est devenu neutre pour l’emploi à temps partiel.

Le développement des contrats aidés, nombreux à temps partiel dans le secteur non marchand, contribue aussi à expliquer l’essor du temps partiel depuis vingt-cinq ans. Le fort développement des services à la personne, soutenu par les pouvoirs publics, explique également l’envolée de l’emploi à temps partiel.

Les politiques incitatives des pouvoirs publics ont aussi rencontré les nouveaux besoins des entreprises en matière de gestion de main-d’œuvre. En effet, le temps partiel permet une grande fluidité dans l’organisation des horaires, notamment avec la mise en place d’horaires atypiques ; il permet aussi des gains de productivité horaire importants du fait de la concentration de l’activité du salarié sur des plages horaires limitées avec une forte intensification du travail.

On notera que les secteurs concernés par le temps partiel sont très féminisés et constituent des maillons faibles de l’action syndicale et de la protection des salariés.

Enfin, les heures complémentaires effectuées dans le cadre d’un emploi à temps partiel sont moins coûteuses que pour un temps plein, puisque le code du travail prévoit dans son article L.3123-19 que la majoration de salaire de 25 % ne s’applique qu’au-delà du dixième de la durée inscrite dans le contrat de travail.

Le temps partiel peut aussi servir de variable d’ajustement quand l’entreprise est confrontée à des difficultés économiques.

b) Les principales caractéristiques des emplois à temps partiel

Il est clair que l’emploi à temps partiel est majoritairement féminin : en 2010, selon l’Insee, on compte en France 3,7 millions de femmes à temps partiel contre 870 000 hommes. Le temps partiel est donc à 80 % une forme d’emploi « au féminin ». Sur l’ensemble de la population active féminine, la part des femmes à temps partiel atteint 30 %, celle des hommes 6 %.

TEMPS PARTIEL SELON LE SEXE ET LA DURÉE DU TEMPS PARTIEL

 

Femmes

Hommes

Ensemble

Part des femmes
(en %)

 

Temps complet

69,9

93,1

82,1

40,4

Temps partiel (1)

30,1

6,9

17,9

79,9

dont :

 

 

 

 

Moins de 15 heures

4,4

1,1

2,6

78,4

De 15 à 29 heures

15,8

3,6

9,4

80,0

30 heures ou plus

8,9

1,6

5,1

83,8

Non renseigné

1,0

0,7

0,8

58,5

Ensemble

100,0

100,0

100,0

47,5

Effectifs (en milliers)

12 240

13 538

25 778

 

(1) : Y compris les personnes n'ayant pas déclaré d'horaires habituels.

Champ : France métropolitaine, population des ménages, personnes en emploi de 15 ans ou plus (âge courant).

Source : Insee, enquête Emploi 2011.

Si l’on considère plus largement l’Europe des quinze et selon les données rappelées par la Délégation aux droits des femmes dans son rapport de juin 2011 sur le temps partiel, en 2010, 38 % des femmes et 9 % des hommes travaillent à temps partiel et le taux de féminisation dépasse les 80 %.

La deuxième caractéristique de l’emploi à temps partiel est sa forte concentration dans le secteur tertiaire : ce dernier regroupe 91,6 % des salariés à temps partiel alors que ce secteur ne représente que 76 % des salariés. Certains secteurs d’activité sont plus demandeurs de ce type d’emplois : le commerce, l’éducation, la santé et l’action sociale, les administrations, les associations, et surtout les services aux particuliers.

Troisièmement, les emplois à temps partiel sont des emplois peu qualifiés et donc faiblement rémunérés : selon une étude de la Dares, en 2009, un peu plus de 30 % des salariés à temps partiel des entreprises du secteur marchand ou agricole étaient rémunérés sur la base du Smic horaire, contre 13 % pour l’ensemble des salariés de ces entreprises.

On peut aussi remarquer que le salarié à temps partiel est plus fréquemment un employé : 56, 6 % des travailleurs à temps partiel sont des employés alors que les employés ne représentent qu’un tiers de l’emploi global. Ainsi, en 2009, près d’un employé sur trois est à temps partiel, cette proportion s’élevant à la moitié pour les services aux particuliers.

Les emplois à temps partiel sont également plus marqués par la précarité que les emplois à temps plein, si l’on considère le contrat de travail. La part des emplois à temps partiel correspondant à des contrats à durée indéterminée ou à des postes de titulaires de la fonction publique n’atteint que 78,5 % contre 87,1 % pour l’ensemble des salariés.

Enfin, les emplois à temps partiel se caractérisent le plus souvent par des horaires atypiques et instables. Ainsi, dans les services de nettoyage, les femmes ont souvent des durées de travail courtes (au maximum vingt heures pour 60 % des salariés), le plus souvent en dehors des horaires d’ouverture des bureaux et cumulent en outre plusieurs employeurs ou plusieurs lieux d’emploi.

Dans l’hôtellerie et la restauration, la saisonnalité des activités entraîne une grande diversité des contrats et des horaires : sept salariés à temps partiel sur dix travaillent occasionnellement ou habituellement le samedi et près de six sur dix le dimanche.

Dans la grande distribution, les horaires sont irréguliers pour s’adapter au flux de clientèle et l’amplitude journalière d’autant plus grande que l’on prend en compte les interruptions de service, généralement trop courtes pour pouvoir regagner son domicile. Le dimanche est ouvré pour plus du tiers des salariés à temps partiel.

Dans le secteur des aides à la personne, les horaires sont souvent atypiques : plus de la moitié des aides à domicile travaille le samedi habituellement ou occasionnellement et plus d’un tiers travaille également le dimanche. La situation est particulièrement défavorable dans les très petites entreprises de ce secteur où une personne sur deux est à temps partiel, le plus souvent en CDD, avec une durée moyenne de travail de 12 à 15 heures par semaine et des horaires morcelés.

Dans tous les cas, le travail à temps partiel se conjugue souvent avec des conditions de travail et de vie dégradées : stress et fatigue, problèmes de transport liés aux horaires décalés (tôt le matin ou tard le soir), craintes d’agressions verbales ou physiques, perturbations de la vie familiale.

c) Le travail à temps partiel : subi ou choisi ?

Il convient de distinguer l’emploi à temps partiel choisi, fruit d’une libre décision du salarié, du temps partiel subi imposé par l’employeur et le marché du travail.

Quant au temps partiel choisi, il concerne généralement des femmes d’âge moyen (entre 35 et 45 ans), mères d’un enfant de moins de trois ans ou de trois enfants, cadres ou employées de la fonction publique. Il n’empêche pas la possibilité d’un retour au temps plein.

Le temps partiel subi est plutôt une forme de sous-emploi dans la mesure où les salariés à temps partiel le sont, faute d’avoir pu obtenir un emploi à temps plein. Cette situation concerne alors plutôt des personnes occupant des emplois peu qualifiés à statut précaire, avec un faible niveau de formation. La durée de travail hebdomadaire est généralement inférieure de deux heures comparativement aux salariés ayant choisi le temps partiel.

Selon les données publiées par l’Insee dans l’enquête « Emploi 2011 », 27 % des salariés à temps partiel déclarent vouloir travailler davantage. Cette moyenne masque des écarts : le taux atteint 13,7 % chez les femmes cadres supérieurs mais s’élève à 35,1 % chez les ouvrières. Selon cette enquête, un million de femmes travaillant à temps partiel déclare souhaiter travailler plus contre 300 000 hommes.

Ces données sous-estiment probablement la réalité. En effet, une partie des salariés ne déclarant pas souhaiter travailler plus, le font parce qu’ils ont intégré la probabilité très faible de pouvoir travailler davantage, ou bien parce qu’ils ne disposent pas de solution de garde pour les enfants à un coût abordable. Il est probable que dans un contexte plus favorable, ils souhaiteraient accroître leur temps de travail et leur revenu.

L’opposition entre ces deux formes de temps partiel – choisi et subi – doit cependant être nuancée. Ainsi le temps partiel « choisi » par les femmes peut l’être par manque de structures de garde adaptées pour les jeunes enfants, ou parce que l’essentiel des tâches ménagères repose encore sur les femmes. Cela renvoie à un schéma traditionnel de la famille où la femme doit plus que l’homme concilier son activité professionnelle et sa vie de famille. Le temps partiel est alors aussi un choix par défaut.

À cet égard la Délégation aux droits des femmes remarquait dans le rapport d’information présenté en juin 2011 par Mme Marie-Jo Zimmermann, consacré au temps partiel : « La bonne réponse n’est donc pas de développer le temps partiel pour les femmes mais de tout mettre en œuvre afin de permettre aux deux parents de s’investir également dans le travail et dans la prise en charge des enfants, sans que l’appartenance à l’un des deux sexes ne les prédestine à une voie particulière ».

2. Temps partiel et précarisation : un engrenage dangereux

a) Des salaires faibles et des carrières ralenties

D’après l’étude de la Dares de 2013, la moitié des salariés à temps partiel percevrait un salaire mensuel net (primes et compléments compris) inférieur à 850 euros par mois, prime et compléments compris. Le salaire mensuel net pour un salarié à temps partiel s’élèverait à 996 euros par mois contre 1 997 euros pour ceux à temps complet.

Les salaires des emplois à temps partiel sont très dispersés en raison de durées hebdomadaires du travail moins homogènes que celle des salariés à temps complet.

Si les salariés à temps partiel perçoivent des salaires peu élevés, c’est en raison de leur faible durée du travail (23,9 heures en moyenne) mais aussi en raison de leur type d’emploi. Comme indiqué plus haut, le temps partiel est fréquent dans les emplois peu qualifiés et les professions faiblement rémunérées.

La moitié des salariés à temps partiel subi gagne moins de 719 euros mensuels et leur salaire moyen n’atteint que les deux tiers de celui des autres personnes à temps partiel.

On voit ainsi apparaître une frange de salariés pauvres, ni chômeurs, ni exclus, ni assistés, mais qui travaillent sans parvenir à gagner leur vie : dans la plupart des cas, il s’agit de femmes travaillant à temps partiel ; 70 % des « travailleurs pauvres » sont des femmes.

Le temps partiel n’est pas seulement pénalisant en termes de rémunération. Dans une culture d’entreprise qui privilégie la disponibilité totale, il pénalise également le déroulement de la carrière et fait obstacle à l’accès aux postes à responsabilité.

En effet, la période de temps partiel des femmes cadres se situe en général entre 30 et 40 ans, décennie déterminante pour le plan de carrière. L’obtention d’un poste de management est quasiment impossible pour une femme dont le temps partiel est inférieur aux 4/5es.

Il faut également ajouter que la faiblesse voire l’absence de formation professionnelle pour les salariés les moins qualifiés, a fortiori à temps partiel, peut se révéler aussi pénalisante en termes de déroulement de carrière.

b) Une protection sociale affaiblie et des retraites amoindries

Les salariés à temps partiel voient incontestablement leurs droits sociaux restreints. En effet, l’accès à l’assurance chômage, en l’état actuel de la réglementation, exige d’avoir effectué 910 heures de travail durant les 22 derniers mois, soit dix heures trente hebdomadaires pour bénéficier du dispositif. En dessous de ce seuil, une personne perdant son emploi ne sera pas indemnisée alors qu’elle aura néanmoins cotisé. Les travailleurs à temps partiel peuvent se trouver exclus du dispositif s’ils n’atteignent pas le quota d’heures requis. Or en 2011, 4,4 % des femmes à temps partiel travaillaient moins de 15 heures par semaine,

D’autre part, la perception des allocations chômage n’est ouverte qu’en cas de perte d’au moins 30 % du salaire total antérieur. Ainsi, si un travailleur à temps partiel, cumulant plusieurs emplois, vient à perdre l’un de ceux-ci, il ne recevra d’allocation chômage que si cette perte atteint le seuil de 30 % de son salaire total antérieur.

Les seuils existant pour le versement des prestations en espèces conduisent également à exclure de leur bénéfice les salariés effectuant un très faible nombre d’heures. Pour percevoir des indemnités journalières pour un arrêt de travail de moins de six mois, il faut avoir travaillé 200 heures sur 3 mois, soit environ 16 heures hebdomadaires. Pour percevoir des prestations en nature, il faut avoir travaillé au moins soixante heures pendant un mois civil (soit quinze heures par semaine environ).

Le travail à temps partiel exerce aussi un effet retard sur les retraites. Nous avons vu plus haut que les retraites des femmes sont aujourd’hui encore largement inférieures à celles des hommes, malgré l’existence de correctifs familiaux. Or, les deux facteurs principaux à l’origine des écarts de pensions – carrières plus courtes, rémunérations plus faibles – sont fortement corrélés à l’exercice d’une activité à temps partiel pendant tout ou partie de la vie active.

De surcroît, les années de travail à temps partiel peuvent avoir un impact négatif non négligeable sur le salaire annuel moyen qui sert au calcul de la retraite de base, dès lors qu’elles sont incluses dans les 25 meilleures années prises en compte.

La loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites a certes ouvert aux salariés à temps partiel la possibilité de cotiser à l’assurance vieillesse du régime général sur la base d’un temps plein, mais cette possibilité est méconnue et peu utilisée ; elle reste soumise à l’accord de l’employeur.

La Délégation aux droits des femmes a, à plusieurs reprises, dans son rapport d’activité en 2004 et dans son rapport d’information sur le temps partiel de juin 2011, dénoncé les effets très négatifs du temps partiel sur les retraites des femmes. Cette critique reste malheureusement vraie en 2013.

Cet état des lieux montre qu’on ne peut se satisfaire de la situation des femmes sur le marché du travail, caractérisée par les inégalités salariales, les risques accrus de précarité et la ségrégation professionnelle. L’exemple du travail à temps partiel subi, qui concerne à 80 % les femmes, est particulièrement révélateur de la persistance des inégalités professionnelles.

C’est la raison pour laquelle le gouvernement a souhaité, en associant les partenaires sociaux, entreprendre des réformes importantes pour faire reculer cette précarité, et ouvrir de nouveaux droits aux salariés. C’est l’objet du projet de loi sur la sécurisation de l’emploi, transcription législative de l’accord interprofessionnel du 11 janvier 2013.

II.– LE PROJET DE LOI SUR LA SÉCURISATION DE L’EMPLOI :
UN PROGRÈS SOCIAL IMPORTANT

A. UNE APPROCHE NOUVELLE : LA PRIMAUTÉ DU DIALOGUE SOCIAL

1. La « feuille de route » de la grande conférence sociale de juillet 2012

La grande conférence sociale tenue les 9 et 10 juillet 2012 au palais d’Iéna, a réuni plus de 300 participants, représentants et organisations syndicales, employeurs des collectivités territoriales. Ouverte par le Président de la République et clôturée par le Premier ministre, cette conférence a symbolisé un nouvel état d’esprit dans la conduite des réformes et des relations sociales : privilégier la confiance et le dialogue avec les acteurs sociaux, en s’appuyant sur le sens des responsabilités de chacun.

Au-delà des représentants syndicaux, de nombreux mouvements et associations ont adressé par écrit leur contribution en vue de nourrir cette réflexion.

La conférence sociale manifeste une innovation profonde pour la démocratie sociale, au moment où la crise économique européenne et mondiale met en question le modèle social français, issu de l’héritage des lois adoptées en 1945.

Sur le plan méthodologique, la conférence n’avait pas pour objectif d’adopter des mesures immédiates, mais en permettant la confrontation des idées et des propositions, d’élaborer une « feuille de route sociale ». Celle-ci explicitait, pour chacun des domaines appelés à se réformer, la méthode à suivre : la concertation préalable à une initiative gouvernementale, la négociation entre partenaires sociaux et un calendrier.

La feuille de route sociale, fruit des travaux de la conférence sociale, est établie pour une mise en œuvre d’ici la fin de l’année 2013 et fera l’objet d’un bilan global dans un an.

Lors de la conférence, sept tables rondes ont été organisées, chacune animée par un ministre « facilitateur » afin d’échanger sur les constats, analyses et propositions. La première des tables rondes, animée par M. Michel Sapin, s’intitulait : « Développer l’emploi, et en priorité l’emploi des jeunes ». C’est elle qui nous intéresse prioritairement en lien avec le projet de loi sur la sécurisation de l’emploi.

En effet, face à la forte dégradation de la situation de l’emploi dont les principales victimes sont les salariés précaires et ceux touchés par les licenciements économiques, le gouvernement invitait les partenaires sociaux à négocier au niveau national interprofessionnel les conditions d’une meilleure sécurisation de l’emploi.

Il s’agissait d’intégrer trois volets : un volet d’anticipation des évolutions de l’activité ; un volet relatif à l’accompagnement des mutations économiques ; un volet ayant trait à la lutte contre la précarité excessive du marché du travail.

La négociation devait s’engager sur la base d’un document d’orientation transmis aux partenaires sociaux en septembre 2012.

2. La négociation entre les partenaires sociaux et la recherche d’un compromis

La grande conférence sociale ayant permis de dresser les constats et dégager les objectifs lors de la table ronde, il convenait de mobiliser les acteurs pour promouvoir l’emploi et lutter vigoureusement contre le chômage.

Le document d’orientation émanant du ministère du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle, diffusé le 7 septembre 2012, a insisté sur la nécessité impérieuse, dans un contexte de mutations économiques, d’anticiper et de partager l’information au sein des entreprises, de réunir les conditions permettant une meilleure sécurisation de l’emploi, d’améliorer les outils permettant aux entreprises de faire face aux aléas conjoncturels sans préjudice pour l’emploi et l’activité, de trouver les leviers pour infléchir certaines pratiques conduisant à une précarité croissante de nombreux actifs.

La méthode retenue est celle du dialogue social voulu comme loyal, confiant, transparent, apaisé en vue d’un équilibre « gagnant-gagnant ».

Le document d’orientation identifiait quatre domaines à articuler dans cette approche globale « gagnant-gagnant ».

Il s’agissait d’abord de lutter contre la précarité sur le marché du travail qui frappe particulièrement les femmes et les jeunes, en évitant que la nécessaire souplesse ne se transforme en contournement des normes sociales.

Dès lors, trois objectifs étaient assignés à la négociation dans ce domaine :

– trouver des leviers pour que le contrat à durée indéterminée demeure ou redevienne la forme normale d’embauche et en tirer les conséquences sur la modulation des taux de cotisation ;

– traiter la problématique du temps partiel subi en identifiant les moyens d’encadrer les temps partiels portant sur un faible nombre d’heures, en prenant des orientations sur l’accès aux droits sociaux et à la formation, sur l’amplitude et la prévisibilité des horaires, ainsi que sur la rémunération des heures complémentaires ;

– proposer les voies d’un meilleur accès à la formation et d’un meilleur accompagnement par le service public de l’emploi.

Le deuxième domaine, à articuler avec le premier, était de progresser dans l’anticipation des évolutions de l’activité, de l’emploi et des compétences. Cela passe notamment par un meilleur partage de l’information avec les institutions représentatives du personnel, par un renforcement des dispositifs de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, et par des actions visant à renforcer l’employabilité des salariés.

Le troisième domaine est d’améliorer les dispositifs de maintien de l’emploi face aux aléas conjoncturels, pour éviter les licenciements et les pertes de compétences dans les entreprises confrontées à des difficultés, notamment en améliorant et unifiant les dispositifs d’activité partielle et en apportant des garanties juridiques pour les salariés et les entreprises, lorsque des accords collectifs d’entreprise visent à maintenir l’emploi dans un contexte de difficultés conjoncturelles aiguës.

Le quatrième domaine, enfin, est d’améliorer les procédures de licenciement collectif, lorsqu’ils n’ont pu être évités par les actions d’anticipation ou d’activité partielle, pour concilier un meilleur accompagnement des salariés et une plus grande sécurité juridique pour les entreprises comme pour les salariés.

Enfin, la négociation pour une meilleure sécurisation de l’emploi devait s’articuler avec d’autres négociations mentionnées dans la feuille de route se tenant simultanément ou ultérieurement, notamment celle sur l’égalité professionnelle et la qualité de vie au travail.

Les négociations sur la sécurisation de l’emploi ont débuté le jeudi 4 octobre par une réunion au siège du Medef, le Président de la République demandant qu’un compromis soit trouvé avant la fin de l’année 2012.

Lors de cette première séance, M. Patrick Bernasconi, chef de file patronal de cette négociation, a déclaré : « nous sommes tous tombés d’accord sur la méthode » et chacun a pu s’exprimer sur « le fond des thématiques abordées ».

Au cours des réunions suivantes tenues à un rythme hebdomadaire jusqu’à fin novembre, les partenaires ont examiné dans l’ordre les quatre grands thèmes : lutte contre la précarité, dispositifs de maintien de l’emploi, anticipation des évolutions de l’activité, procédures de licenciement.

La lutte contre la précarité (premier thème) était l’enjeu majeur pour les syndicats désireux de renforcer les droits sociaux des salariés en contrats précaires. Les syndicats CFDT, CFTC, CGT, FO, CFE-CGC voulaient taxer davantage les emplois courts, par exemple par une cotisation d’assurance chômage dégressive, mais cette hypothèse a été rejetée par les syndicats représentatifs du patronat, et la CGPME notamment.

Concernant les temps partiels, la CFE-CGC a demandé l’instauration d’une durée minimum de vingt heures. La CFDT a proposé une majoration des heures complémentaires ; FO y ajoutait une prime de précarité comme pour les contrats courts.

Pour anticiper les évolutions de l’activité et de l’emploi, les syndicats adhéraient tous à l’objectif assigné par le gouvernement d’un « rôle accru reconnu aux salariés et à leurs représentants ».

Concernant le maintien de l’emploi en cas d’aléas conjoncturels, le Medef voulait pouvoir modifier la durée du travail en fonction de la conjoncture avec l’accord des représentants des salariés. CGT et FO y étaient opposés, alors que les trois autres syndicats souhaitaient les encadrer.

Enfin, concernant la refonte des procédures de licenciements collectifs, tous jugeaient la proposition gouvernementale « d’intervention d’un tiers le plus en amont possible » intéressante sur le principe.

Les négociations se sont révélées intenses et frôlant parfois la rupture ; elles ont au total duré quatre mois avec l’ambition de trouver un équilibre global dans les quatre domaines.

L’aboutissement en est l’accord interprofessionnel du 11 janvier 2013 signé par trois centrales syndicales : la CFDT, la CFTC, la CFE-CGC et par le patronat. Cet accord démontre que le dialogue social permet à la France d’entreprendre des réformes nécessaires en dépassant les divergences d’intérêt et les antagonismes traditionnels.

3. Un accord qui a divisé les syndicats de salariés

Après la signature de l’accord du 11 janvier 2013, les syndicats non-signataires ont fait connaître leur désaccord et dénoncé parfois vigoureusement le texte signé.

Dès le 14 janvier, la CGT publiait un communiqué confirmant son avis négatif porté sur un texte « modifiant profondément le code du travail » et entraînant « une grave régression des droits sociaux, à l’opposé des objectifs fixés par la grande conférence sociale ».Le syndicat dénonçait la mise en place des accords de compétitivité emploi voulus par le précédent Président de la République, Nicolas Sarkozy.

En plus de dénoncer le contenu de l’accord, la CGT a mis en avant les « oubliées de l’accord ». Selon elle en effet, si la feuille de route précisait « qu’une attention particulière devra être portée par les négociateurs à la question de l’égalité entre les femmes et les hommes, et aux effets attendus par les mesures de l’accord en matière d’égalité », cette préoccupation indispensable n’apparaît pas dans l’accord du 11 janvier 2013. L’égalité professionnelle est renvoyée à l’ordre du jour des négociations sur la qualité de vie au travail.

Vos rapporteurs estiment qu’il conviendra de suivre avec attention les résultats de la négociation sur l’égalité professionnelle et d’en vérifier l’articulation et la cohérence avec l’accord du 11 janvier 2013. L’ensemble des dispositifs qui seront mis en œuvre devront faire l’objet d’une évaluation.

À l’inverse et tout à fait logiquement, les syndicats signataires ont marqué leur satisfaction et porté un regard identique. Pour la CGC il s’agit d’« un équilibre substantiel » ; pour la CFDT, d’« un pas décisif vers la sécurisation des parcours professionnels » ; pour la CFTC, d’« un accord globalement positif ». L’UNSA y voit « une avancée importante ».

Du côté des employeurs, le Medef y voit « un accord potentiellement historique » mais la CGPME « aurait aimé mieux ».

Plus précisément, la CFE-CGC voit dans la signature de cet accord le signe incontestable que le dialogue social fonctionne. L’objectif de sécuriser les salariés dans un contexte de difficultés économiques est atteint. L’accord est novateur et repose sur un équilibre acceptable, car il apporte une réelle contrepartie aux salariés, par rapport aux attentes des chefs d’entreprise en termes de flexibilité.

Chaque étape des difficultés de l’entreprise peut ainsi être traitée par le dialogue social et des solutions négociées.

La CFTC se félicite aussi bien de la méthode, qui fait place aux corps intermédiaires, que du fond, car il s’agit d’un accord « gagnant » pour tous. Les accords de maintien dans l’emploi sont un des points de satisfaction pour la CFTC, car aujourd’hui les baisses de rémunération sont décidées unilatéralement par les employeurs.

Les salariés sont reconnus comme responsables, capables d’une réflexion avec la direction et les actionnaires sur l’avenir commun de l’entreprise.

La CFDT se félicite que des droits nouveaux soient accordés à ceux qui ont le moins, ce qui n’est pas commun. Reconnaître que le dialogue social peut être un élément de performance économique est un véritable « choc culturel ».

Cet accord permettra de distinguer en termes de comportement, les entreprises qui font le jeu de l’emploi et celles qui font le jeu de la précarité : c’est très nouveau.

La CFDT recense dix nouveaux droits accordés aux salariés aux termes de cet accord, depuis la complémentaire santé financée à 50% par l’employeur, en passant par les droits rechargeables pour les chômeurs, jusqu’à la « taxation » des CDD et l’encadrement renforcé de l’emploi à temps partiel subi.

L’accord représente une nouvelle articulation entre l’économique et le social et manifeste la responsabilité des partenaires sociaux.

B. DES DISPOSITIONS NOVATRICES QUI BÉNÉFICIERONT AUX FEMMES

1. Les CDD soumis à une sur-cotisation (article 7 du projet de loi)

Afin de lutter contre la précarité et favoriser l’embauche en CDI, l’article 7 du projet de loi pose le principe d’une modulation des cotisations au régime d’assurance chômage en fonction de la nature du contrat de travail, de sa durée, du motif de recours, ou encore de l’âge du salarié ou de la taille de l’entreprise. L’enjeu est le renchérissement des CDD de courte durée pour l’entreprise, responsables de la majeure partie de l’augmentation de la part des embauches en CDD au cours des dernières années et dont les femmes sont souvent les victimes.

Dans l’accord du 11 janvier 2013, les partenaires sociaux ont en effet convenu de la mise en place d’un avenant à la convention d’assurance chômage, applicable au 1er juillet 2013. Celui-ci fixera le montant de la cotisation employeur au régime d’assurance chômage qui est actuellement de 4% selon les principes suivants :

– 7 % pour les contrats d’une durée inférieure à un mois

– 5,5 % pour les contrats d’une durée comprise entre 1 et 3 mois

– 4,5 % pour les contrats d’une durée inférieure à 3 mois conclus dans certains secteurs définis par décret ou par convention ou accord collectif de travail étendu, dans lesquels il est d’usage constant de ne pas recourir au CDI en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois.

Les taux ci-dessus ne seront pas applicables lorsque le salarié est embauché par l’employeur en contrat à durée indéterminée à l’issue du contrat à durée déterminée. Les contrats saisonniers, les CDD de remplacement et les contrats d’intérim ne seront pas concernés par ce dispositif de sur-cotisation.

D’autre part, les partenaires sociaux ont décidé que le CDI conclu pour l’embauche d’un jeune de moins de 26 ans serait exonéré de cotisations patronales d’assurance chômage, pendant une durée de 3 mois dès lors qu’il se poursuit au-delà de la période d’essai. Pour les entreprises de moins de 50 salariés, l’exonération est portée à 4 mois.

Vos rapporteurs se félicitent de cette importante mesure mais regrettent que cette idée de modulation des cotisations patronales ne s’applique pas aussi à l’embauche de salariés à temps partiel. Dans une proposition de loi (n°3795) tendant à lutter contre la précarité professionnelle des femmes, déposée en octobre 2011, et que votre Rapporteur avait co-signée avec M. Jean-Marc Ayrault et Mme Catherine Coutelle, présidente de la Délégation aujourd’hui, il était en effet proposé de dissuader cette forme d’embauche par des majorations de cotisations.

La Délégation aux droits des femmes, dans son rapport sur le temps partiel de 2011 avait aussi proposé de renchérir le travail à temps partiel. Cette recommandation demeure d’actualité.

2. L’encadrement du temps partiel (article 8 du projet de loi)

a) La législation en vigueur explique la forte précarité du temps partiel

Actuellement, l’article L. 3123-1 du code du travail définit comme salarié à temps partiel tout salarié dont la durée de travail est inférieure à la durée légale du travail ou à la durée fixée conventionnellement au niveau de la branche ou de l’entreprise. Il ne fixe aucune limite légale minimum de durée du travail.

L’article L. 3123-14 précise les mentions obligatoires du contrat de travail écrit du salarié à temps partiel : qualification, éléments de la rémunération, durée hebdomadaire ou mensuelle prévue, répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois.

Le code fixe également des règles et garanties mais autorise les accords collectifs à y déroger.

Ainsi, l’article L. 3123-16 stipule que l’horaire de travail du salarié à temps partiel ne peut comporter, au cours d’une même journée, plus d’une interruption d’activité, celle-ci ne devant pas dépasser deux heures. Des possibilités de dérogations existent, largement utilisées par les principales conventions collectives du commerce de détail, des hôtels, cafés et restaurants, du secteur de la propreté, de l’aide à domicile.

L’article L. 3123-17 fixe un plafond au nombre d’heures complémentaires que peut accomplir un salarié au cours d’une période donnée. Celles-ci ne peuvent aboutir à dépasser la durée légale du travail ou la durée fixée conventionnellement ; de plus, elles ne peuvent être supérieures au dixième de la durée du travail prévue dans le contrat du salarié.

L’article L. 3123-18 autorise néanmoins un accord collectif à déroger à cette dernière règle et à repousser la limite des heures complémentaires jusqu’au tiers de la durée inscrite dans le contrat. Dans ce cas, les heures complémentaires effectuées au-delà du dixième de cette durée donnent lieu en vertu de l’article L. 3123-19 du code, à une majoration de salaire de 25 %

L’article L. 3123-21 fixe à sept jours le délai de prévenance dans lequel doit être notifiée au salarié une modification de ses horaires. Mais l’article L. 3123-32 ouvre la possibilité de le ramener à trois jours par accord collectif de branche, d’entreprise ou d’établissement.

En contrepartie des dérogations permises par l’accord collectif en matière de plafonnement des heures complémentaires et de délais de prévenance, celui-ci doit, aux termes de l’article L. 3123-23 prévoir des garanties relatives à l’égalité d’accès aux possibilités de promotion, de carrière et de formation, ainsi qu’à la fixation d’une période minimale de travail continue et à la limitation du nombre des interruptions d’activité au cours d’une même journée.

b) Les innovations du projet de loi

L’article 8 du projet de loi, transcrivant l’article 11 de l’accord interprofessionnel, encadre le travail à temps partiel en vue d’améliorer significativement la situation des salariés concernés.

Les branches professionnelles qui recourent structurellement au temps partiel auront l’obligation de négocier, afin de renforcer le rôle des partenaires sociaux dans l’organisation des modalités d’exercice du temps partiel.

Ainsi, il est créé un article L. 2241-13 dans le code du travail qui disposera que « Les organisations liées par une convention de branche ou, à défaut, par des accords professionnels, ouvrent des négociations sur les modalités d’organisation du temps partiel dès lors qu’au moins un tiers de leur effectif occupe un emploi à temps partiel. Cette négociation porte notamment sur la durée minimale d’activité hebdomadaire ou mensuelle, le nombre et la durée des périodes d’activité, le délai de prévenance préalable à la modification des horaires et la rémunération des heures complémentaires ».

Cette obligation de négociation au niveau de la branche répond à une recommandation de la Délégation aux droits des femmes qui, dans son rapport sur le temps partiel de juin 2011, estimait que le seul niveau pertinent de négociation pour le temps partiel est la branche d’activité et non l’entreprise.

Vos rapporteurs estiment cependant que, s’il est légitime que les règles en matière d’organisation du travail relèvent de la négociation, il conviendra de rester vigilant quant à leur impact sur les salariés concernés. En particulier, en matière de dérogations autorisant les interruptions de plus de deux heures de la journée de travail et en matière de dérogations permettant de réduire le délai de prévenance pour les changements d’horaires et de durée du travail. Il conviendra de faire l’évaluation de ces accords. En cas d’abus, la loi pourrait envisager la suppression des possibilités de dérogations relatives au délai de prévenance.

Le projet de loi réalise une avancée majeure en instituant une durée d’activité minimale hebdomadaire de vingt-quatre heures, ce qui garantit aux salariés une durée de travail plus importante permettant donc une meilleure rémunération et un meilleur accès aux droits sociaux.

Une exception est néanmoins prévue pour les salariés âgés de moins de 26 ans et poursuivant leurs études.

Il ne sera possible de déroger à cette durée minimale par accord de branche ou à la demande écrite du salarié, qu’au travers de la mise en œuvre d’une répartition des horaires de travail sur des journées ou demi-journées régulières ou complètes, ceci pour permettre le cumul de plusieurs emplois.

Vos rapporteurs se félicitent de l’introduction d’une durée minimum de temps de travail, qui correspond à l’une des recommandations adoptées par la Délégation en 2011.

Le projet de loi introduit une rémunération majorée de toutes les heures complémentaires, de 10 % minimum dès la première heure.

Un accord collectif de branche pourra, en apportant d’autres contreparties, apporter des dérogations sur le temps de travail et sur la majoration des heures complémentaires, sans pouvoir remettre en cause leur majoration dès la première heure, ni prévoir une majoration inférieure à 10 %.

Cette mesure de majoration pour heure complémentaire dès la première heure dépassant la durée contractuelle, également préconisée par la Délégation est un réel progrès même si on peut regretter que cette majoration ne soit pas fixée à 25 %.

Enfin, le présent projet de loi prévoit la création d’un dispositif encadré de compléments d’heures, en offrant la possibilité, par accord de branche étendue, d’augmenter temporairement la durée de travail des salariés par un avenant au contrat de travail. L’objectif est de permettre aux salariés à temps partiel d’augmenter leur temps de travail et de permettre dans le même temps à l’employeur d’adapter son organisation en fonction de l’activité.

Vos rapporteurs se félicitent de cet encadrement plus strict de l’emploi à temps partiel qui améliorera la condition des salariés. Ils regrettent néanmoins que l’une des recommandations de la Délégation aux droits des femmes n’ait pas été retenue. Elle demandait le versement d’une prime de précarité au départ d’un salarié à temps partiel, en estimant que le contrat à temps partiel peut être assimilé à un contrat précaire et s’inspirer, par conséquent, de l’indemnité de fin de contrat prévue pour les CDD. Ou bien, conformément à la proposition de loi présentée en 2011 par le Rapporteur, on aurait pu prévoir que la prime de précarité versée au départ d’un salarié à durée déterminée est majorée lorsque celui-ci était à temps partiel.

Cette dernière proposition, peut-être plus simple à appliquer, nous paraît devoir faire l’objet d’une recommandation.

Enfin, vos rapporteurs estiment, ainsi que l’avait déjà indiqué la Délégation, en juin 2011, qu’il conviendrait de renforcer la priorité d’embauche des salariés à temps partiel sur des postes équivalents temps complet prévue à l’article L. 3123-8 du code du travail. Il conviendrait ainsi d’interdire le recrutement d’un salarié à temps plein pour un type d’emploi, lorsqu’au sein de l’entreprise, un ou plusieurs salariés à temps partiel exercent un emploi équivalent et ont manifesté par écrit leur désir de travailler à temps plein.

c) Les autres avancées sociales du projet de loi

Même si la Délégation a choisi de limiter sa saisine aux articles 7 et 8 du projet de loi, elle s’est naturellement félicitée des autres dispositions qui visent à ouvrir des droits supplémentaires aux salariés.

Ainsi, l’article 1er prévoit que toutes les entreprises devront proposer d’ici au 1er janvier 2016 une couverture complémentaire santé à leurs salariés, dont elles assureront au minimum la moitié du financement. Actuellement, 52 % des salariés bénéficient d’un contrat d’entreprise.

L’article 2 prévoit la création d’un compte personnel de formation et d’un conseil en évolution professionnelle. Il conviendra de vérifier que les hommes et les femmes auront un égal accès à la formation professionnelle.

L’article 3 crée une période de mobilité externe sécurisée : avec l’accord de son employeur, le salarié d’une entreprise de plus de 300 personnes peut aller exercer une activité dans une autre entreprise avec l’assurance de retrouver « un emploi similaire » à son retour. Enfin, est institué le principe d’un compte personnel de formation, transférable, alimenté de 20 heures par an dans la limite de 120 heures, et utilisable par les chômeurs.

L’article 4 prévoit l’amélioration de l’information et des procédures de consultation des institutions représentatives du personnel, notamment sur les orientations stratégiques de l’entreprise et sur leurs conséquences sur l’activité et l’emploi.

L’article 5 complète le précédent, en prévoyant la participation aux conseils d’administration des grandes entreprises (5 000 salariés en France ou 10 000 dans le monde) de un à deux représentants des salariés avec voix délibérative.

L’article 6 prévoit la mise en place d’un dispositif de droits rechargeables à l’assurance chômage : les chômeurs conserveront le reliquat de leurs droits quand ils retrouveront un emploi. Les partenaires sociaux devront en définir les conditions lors de la renégociation, fin 2013, de la convention assurance chômage.

Ce dispositif qui vise à améliorer les droits à indemnisation des salariés précaires devrait être favorable aux femmes.

TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION

La Délégation aux droits des femmes s’est réunie le mercredi 20 mars 2013 pour examiner le rapport d’information.

Mme la présidente Catherine Coutelle. La délégation aux droits des femmes a décidé le 20 février dernier de se saisir du projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi, car la question du temps partiel et du travail précaire a toujours été au cœur de nos préoccupations, puisque les femmes sont les premières concernées par toutes les formes de précarité de l’emploi.

Je vous rappelle que nous avons tenu hier en Délégation deux tables rondes réunissant d’une part, les syndicats représentant les travailleurs, et, d’autre part, les syndicats représentant les employeurs. Ils nous ont apporté leur analyse sur l’impact du projet de loi sur la situation des femmes au travail.

Par ailleurs, les rapporteurs ont procédé à des auditions ; ils ont ainsi recueilli l’avis de Mme Maryse Dumas, vice-présidente de la délégation aux droits des femmes du Conseil économique, social et environnemental, spécialisée dans les questions d'égalité professionnelle, et de Mme Françoise Milewski, économiste, membre de l'Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes, membre du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

M. Christophe Sirugue, rapporteur. Madame la présidente, mes chers collègues, je vais donc vous présenter les grandes lignes de notre rapport, en vous priant d’excuser Mme Neuville, retenue en commission des Affaires sociales.

Nous avons souhaité dans un premier temps montrer que la situation des femmes sur le marché du travail n’est pas satisfaisante : en effet, les inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes persistent malgré les législations adoptées.

Le premier point à considérer est l’écart des salaires. Si l’on regarde les écarts de salaires tous temps de travail confondus, donc sans transformer les salaires du temps partiel en équivalent temps complet, les femmes ont une rémunération inférieure de 27 % à celle des hommes. C’est ce dernier chiffre – l’écart total – qui s’est imposé dans le débat public.

Pour expliquer ce différentiel, différents facteurs peuvent jouer comme le temps partiel, la qualification, l’expérience comme cela est détaillé dans le rapport. Finalement, la discrimination pure porterait sur 6 ou 7 % de l’écart. Si l’on considère maintenant différents indicateurs, tous vont dans la même direction. Chômage, temps partiel, retraites, taux de précarité : les femmes sont plus souvent en situation de précarité que les hommes. Vous prendrez connaissance des statistiques dans le rapport.

Un troisième phénomène témoigne de la persistance des inégalités, il s’agit de la ségrégation professionnelle. Les métiers majoritairement féminins emploient fréquemment des personnes à temps partiel, dont la rémunération est moindre. Ces emplois « féminins » correspondent à des emplois peu qualifiés et de niveau hiérarchique très limité.

L’emploi à temps partiel est majoritairement féminin : en 2010, selon l’Insee, on compte en France 3,7 millions de femmes à temps partiel contre 870 000 hommes. Le temps partiel est donc à 80 % une forme d’emploi « au féminin ». Sur l’ensemble de la population active féminine, la part des femmes à temps partiel atteint 30 %, celle des hommes 6 %. Les emplois à temps partiel sont des emplois peu qualifiés et donc faiblement rémunérés. Ils se caractérisent le plus souvent par des horaires atypiques et instables.

Le temps partiel n’est pas seulement pénalisant en termes de rémunération. Il pénalise également le déroulement de la carrière et fait obstacle à l’accès aux postes à responsabilité. Enfin, le travail à temps partiel exerce aussi un effet retard sur les retraites.

J’en viens maintenant au projet de loi sur la sécurisation de l’emploi.

La grande conférence sociale de juillet 2012 a symbolisé un nouvel état d’esprit dans la conduite des réformes et des relations sociales : privilégier la confiance et le dialogue avec les acteurs sociaux. Les négociations se sont révélées intenses et frôlant parfois la rupture.  L’aboutissement en est l’accord interprofessionnel du 11 janvier 2013 signé par trois centrales syndicales : la CFDT, la CFTC, la CFE-CGC et par le patronat.

De fait, le projet de loi qui transcrit cet accord, comporte des dispositions novatrices qui bénéficieront aux femmes.

Tout d’abord, l’article 7 du projet de loi pose le principe d’une modulation des cotisations au régime d’assurance chômage en fonction de la nature du contrat de travail, de sa durée, du motif de recours, ou encore de l’âge du salarié ou de la taille de l’entreprise. L’enjeu est le renchérissement des contrats à durée déterminée (CDD) de courte durée pour l’entreprise, responsables de la majeure partie de l’augmentation de la part des embauches en CDD au cours des dernières années, et dont les femmes sont souvent les victimes.

Ensuite, les partenaires sociaux ont décidé que le contrat à durée indéterminée conclu pour l’embauche d’un jeune de moins de 26 ans serait exonéré de cotisations patronales d’assurance chômage. Vos rapporteurs se félicitent de cette importante mesure mais regrettent que la modulation des cotisations patronales ne s’applique pas aussi à l’embauche de salariés à temps partiel.

L’article 8 du projet de loi encadre le travail à temps partiel en vue d’améliorer significativement la situation des salariés concernés. Les branches professionnelles qui recourent structurellement au temps partiel auront l’obligation de négocier, afin de renforcer le rôle des partenaires sociaux dans l’organisation des modalités d’exercice du temps partiel. Vos rapporteurs estiment cependant que, s’il est légitime que les règles en matière d’organisation du travail relèvent de la négociation, il conviendra de rester vigilant quant à leur impact sur les salariés concernés. Il conviendra de faire l’évaluation de ces accords dans trois ans.

Le projet de loi réalise une avancée majeure en instituant une durée d’activité minimale hebdomadaire de vingt-quatre heures. Une exception est néanmoins prévue pour les salariés âgés de moins de 26 ans et poursuivant leurs études.

Le projet de loi introduit une rémunération majorée de toutes les heures complémentaires, de 10 % minimum dès la première heure. Vos rapporteurs se félicitent de cet encadrement plus strict de l’emploi à temps partiel qui améliorera la condition des salariés. Ils regrettent néanmoins que, conformément à la proposition de loi que j’ai présentée en 2011, on n’ait pas prévu que la prime de précarité versée au départ d’un salarié à durée déterminée soit majorée lorsque celui-ci était à temps partiel. Cette dernière proposition nous paraît devoir faire l’objet d’une recommandation.

Enfin, nous estimons, ainsi que l’avait déjà souligné la délégation en juillet 2011 dans ses travaux sur le temps partiel, qu’il conviendrait de renforcer la priorité d’embauche des salariés à temps partiel sur des postes équivalents temps complet prévue à l’article L. 3123-8 du code du travail.

Le présent projet de loi, outre la « taxation » des CDD et l’encadrement plus strict du temps partiel, comprend d’autres dispositions qui visent à ouvrir des droits supplémentaires aux salariés. Je n’y reviendrai pas ici, ayant axé cette présentation sur les articles dont la délégation s’est saisie.

Mme Maud Olivier. Votre travail est très utile pour mieux définir notre position. Je voudrais apporter des modifications aux amendements que vous avez l’intention de déposer.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Je souligne que la délégation s’est réunie aujourd’hui pour examiner et adopter le rapport ainsi que les recommandations. Quant aux amendements, ils seront déposés à titre personnel par les rapporteurs, et vous pouvez bien entendu vous y associer. Le rapporteur nous indiquera quels sont les principaux amendements dont il a prévu, ainsi que Ségolène Neuville, le dépôt. Pour l’instant, ils proviennent de la majorité, et je ne sais pas si les membres de la délégation qui sont dans l’opposition ont aussi l’intention d’en déposer.

Mme Barbara Romagnan. Quel est exactement le but de ces recommandations ? Est-ce un simple avis ? J’ai une observation à faire sur l’écart de salaire de 27 % indiqué par le rapporteur. Il est certes possible, comme il l’a fait, d’avancer différentes explications pour expliquer cet écart, mais cela ne doit pas conduire à justifier cet état de fait.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Nous adressons les recommandations au gouvernement, tout en proposant des amendements qui peuvent aussi les traduire.

M. Christophe Sirugue, rapporteur. Le rapport tend à démontrer qu’il existe un socle d’inégalité incompressible correspondant à une discrimination pure, persistant malgré les différents facteurs explicatifs. Cela est bien sûr inacceptable.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Le chiffre de 27 % est assez arbitraire, il confond l’ensemble des salaires des hommes et des femmes. J’indique, s’agissant des statistiques disponibles, que le rapport intègre des données très récentes, extraites d’une étude de janvier 2013.

M. Jacques Moignard. J’ai une remarque sur la recommandation visant à privilégier le recrutement des salariés à temps partiel souhaitant passer à temps complet, pour pourvoir un poste à temps complet relevant de leur catégorie, plutôt que de recourir à un recrutement extérieur. Vous avez dit qu’elle correspond à la loi. Je n’en suis pas convaincu, c’est pourquoi il est utile de réaffirmer clairement ce principe.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Le rapport que nous examinons aujourd’hui est aussi fait pour être utilisé dans les débats et préciser les arguments favorables à la défense de la situation des femmes au travail.

Je voudrais aborder la recommandation visant à évaluer les accords de branche qui devront s’ouvrir pour les entreprises recourant structurellement au temps partiel. Les possibilités de dérogations dépendront des accords de branche. En ce sens, le titre II du projet de loi est un vrai progrès et une vraie garantie.

J’aimerais cependant que le gouvernement donne une feuille de route aux partenaires sociaux pour qu’il y ait toujours un volet « égalité professionnelle » au sein des accords de branche. Ce volet est le parent pauvre des accords, et les négociations consacrées à ce sujet sont très lentes.

M. Christophe Sirugue, rapporteur. Je suggère de compléter la recommandation en mentionnant le souhait que soit intégré un volet « égalité professionnelle » aux négociations de branche.

Mme la présidente Catherine Coutelle. On pourrait également ajouter une autre recommandation, précisant que tous les accords de branche devront intégrer un volet sur l’égalité professionnelle.

M. Jacques Moignard. Pour une meilleure efficacité, il faudrait en outre prévoir une évaluation à réaliser dans des délais précisés, dans trois ans par exemple.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Il y a une autre piste à explorer au sujet des rapports de situation comparée produits par les entreprises. Il faudrait faire en sorte qu’ils soient centralisés et consultables sur internet, afin de faciliter l’accès à ces documents.

Le projet de loi apporte une autre nouveauté dans son article 4 : les membres du comité d’entreprise doivent désormais discuter de la stratégie de l’entreprise, en se fondant sur une base de données et un certain nombre d’items relatifs à la situation de l’entreprise. Je proposerai par amendement que soit intégré un item « évolution et répartition des contrats précaires et à temps partiel » dans cette base de données, afin d’assurer le suivi de l’évolution de ces contrats au sein de l’entreprise et permettre aux membres du comité d’entreprise d’apprécier le recours au temps partiel fait par l’entreprise.

Mme Pascale Crozon. Si on utilise le terme « précarité »dans la recommandation, alors il faut le définir, car il recouvre une réalité vaste et plurielle.

Mme la présidente Catherine Coutelle. L’ANI définit ce terme. Au sens retenu par les partenaires sociaux, la précarité concerne les CDD uniquement, mais pas la totalité des temps partiels. C’est une définition incomplète, mais c’est celle qui résulte du champ retenu par le projet de loi.

C’est pourquoi, comme l’a souligné M. Jacques Moignard, ce projet de loi n’épuise pas le sujet et il faudra continuer à nous montrer vigilants et exigeants, ce que je vous encourage à faire pendant le débat qui va s’ouvrir.

M. Christophe Sirugue donne ensuite lecture des recommandations dont l’adoption est proposée à la Délégation, et qui figurent à la fin du présent rapport.

M. Christophe Sirugue, rapporteur. Je vais à présent vous donner quelques indications sur les amendements que Mme Ségolène Neuville, Mme Catherine Coutelle et moi-même comptons présenter.

Un amendement vise à pénaliser l’imprévisibilité du temps de travail par une limitation de la possibilité de réduire le délai de prévenance à 3 jours ouvrés. Les salariés doivent pouvoir prévoir les modifications de leur emploi du temps, afin d’organiser leur temps de travail surtout s’ils cumulent deux emplois.

Un autre amendement vise à inclure, dans le calcul de la durée légale du travail, les déplacements entre différents lieux de travail sur une même journée. Il s’agit ainsi de redéfinir le temps effectif de travail dans des secteurs particulièrement sujets à la dispersion quotidienne des heures travaillées comme dans les services à la personne. En effet, les entreprises de mise à disposition de personnel proposent parfois jusqu’à quatre lieux de travail différents par jour à leurs salariés, sans prise en charge des déplacements, avec des amplitudes journalières excessives. Il serait souhaitable de mettre fin à cet état de fait.

Mme Barbara Romagnan. Cette préoccupation est juste, et on peut se demander si elle concernera les personnels employés dans les collectivités comme les mairies de petites communes, où les personnels occupent plusieurs emplois.

M. Christophe Sirugue, rapporteur Je vous rappelle que l’accord et le projet de loi qui en résulte, s’appliquent uniquement aux entreprises et pas aux personnels de la fonction publique. Par ailleurs, nous proposons de demander que les conventions ou accords de branche s’efforcent de respecter l’objectif de regrouper les heures de travail pour tous les emplois à temps partiel, et pas seulement dans les cas de dérogation aux 24 heures hebdomadaires.

Nous voudrions également que la convention ou l’accord de branche prévoie l’organisation d’une journée par an sur le temps de travail consacrée à l’information sur les droits des salariés, afin que les employés à temps partiel soient moins isolés et aient une meilleure connaissance de leurs droits.

Également, l’octroi des marchés publics par l’État et les collectivités devraient être conditionnés aux mesures développées par les entreprises en matière de lutte contre la précarité professionnelle et de soutien à l’égalité.

Les salariés à temps partiel du régime général peuvent cotiser sur la base de ce que serait leur salaire à temps plein, sous réserve de la conclusion d’un accord écrit avec l’employeur. Nous souhaitons proposer une possibilité identique pour la cotisation à l’assurance chômage. Cette sur-cotisation pourrait dissuader l’embauche à temps partiel et faire bénéficier les salariés d’une ouverture de droits au chômage supérieurs.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Il serait utile d’appréhender le coût financier de ces amendements qui portent cependant sur des salaires très bas. Les échanges que nous avons eus avec les syndicats ont montré que la taxation sur les contrats à durée déterminée ne sera pas forcément efficace.

Mme Barbara Romagnan. Il serait important d’encadrer la dérogation à la durée minimale de 24 heures par semaine, instituée par ce projet de loi, en cas de demande expresse du salarié. Cette demande doit être une demande personnelle et non un modèle type produit par l’employeur. Il faut apporter une garantie supplémentaire quant à la primauté de la volonté du salarié de recourir à cette dérogation.

M. Christophe Sirugue, rapporteur Un amendement devrait être présenté à l’initiative de Mme Ségolène Neuville, visant à aligner la majoration des heures complémentaires sur celles des huit premières heures supplémentaires, afin de tendre vers un taux identique pour toutes les heures accomplies dans le cadre d’un surcroît d’activité. La majoration serait donc alignée à 25 %.

Mme Barbara Romagnan. On notera, d’après l’étude d’impact jointe au projet de loi, que la moyenne de la majoration des heures complémentaires s’élève aujourd’hui à 17 %. L’accord envisageant la généralisation à 10 % de la majoration des heures complémentaires est donc moins favorable.

M. Christophe Sirugue, rapporteur La réalité du travail à temps partiel autorise à associer cette forme de contrat à une forme de précarité. Dès lors, lorsque le salarié recruté en contrat à durée déterminée est de plus, à temps partiel, il cumule deux situations défavorables : il serait légitime de majorer l’indemnité de fin de contrat prévue pour les contrats à durée déterminée de l’article L 1243-8 du Code du travail. C’est une proposition que j’avais déjà faite dans la proposition de loi que j’avais déposée en 2011.

La limitation du nombre d’avenants au contrat de travail à huit par an représente un progrès dans la mesure où il n’y avait jusqu’à présent aucune limitation. Cependant, il nous a semblé qu’il serait préférable de limiter le nombre d’avenants à quatre par an afin d’assurer une certaine stabilité aux salariés et permettre aux salariés en temps partiel subi d’exercer une autre activité rémunérée. Il faudrait également mieux garantir que la loi ne sera pas contournée par le recours à un avenant temporaire, dans le but d’éviter de rémunérer les salariés au taux des heures supplémentaires majorées.

Enfin, nous voudrions qu’il soit prévu dans la loi une périodicité pour les visites médicales des salariés des services à la personne, afin qu’il soit prévu au minimum une visite par an. La segmentation des temps de travail de ces salariés a pour effet qu’ils sont mal suivis par la médecine du travail.

La Délégation adopte le rapport de Mme Ségolène Neuville et M. Christophe Sirugue ainsi que les recommandations suivantes :

RECOMMANDATIONS DE LA DÉLÉGATION

Recommandation n°1 :

L’accord interprofessionnel du 11 janvier 2013, transcrit dans le projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi, a pour objectif de lutter en priorité contre la précarité professionnelle et en particulier celle des femmes. Les négociations en cours sur l’égalité professionnelle devraient aussi avoir des conséquences sur la condition des salariées.

Il conviendra de faire une évaluation de l’ensemble de ces dispositifs pour en mesurer l’impact réel en termes d’égalité professionnelle dans un délai de trois ans.

Recommandation n°2 :

Du fait d’un risque de précarisation accru pour les salariés à temps partiel, il est proposé d’étendre la modulation des cotisations patronales prévue à l’article 7 du projet de loi pour les contrats à durée déterminée, aux contrats à temps partiel. Le principe de la sur-cotisation doit concerner toutes les formes de précarité.

Recommandation n°3 :

Les accords de branche, qui selon l’article 8, devront nécessairement s’ouvrir pour les entreprises recourant structurellement au temps partiel devront faire l’objet d’une évaluation dans trois ans.

Recommandation n°4 :

Concernant la négociation en cours sur l’égalité professionnelle, le gouvernement doit faire parvenir aux partenaires sociaux une feuille de route, qui permettra de faciliter le déroulement de cette négociation.

Recommandation n°5 :

La prime de précarité fixée à 10%, et versée au départ d’un salarié en contrat à durée déterminée, est majorée lorsque celui-ci était en temps partiel.

Recommandation n°6 :

Dans l’entreprise, il n’est pas possible de recruter un salarié à temps plein pour un type d’emploi, lorsqu’au sein de cette entreprise, un ou plusieurs salariés à temps partiel ont manifesté par écrit, leur désir de travailler à temps plein (article L.3123-8 du code du travail). Cette disposition doit s’appliquer impérativement.

Recommandation n°7 :

Redéfinir le temps effectif de travail dans des secteurs particulièrement sujets à la dispersion des heures travaillées en incluant dans le calcul de la durée légale du travail, les déplacements entre différents lieux de travail sur une même journée.

Recommandation n°8 :

Le projet de loi prévoit une meilleure information du comité d’entreprise sur les orientations stratégiques de l’entreprise, notamment grâce à l’existence d’une base de données économiques et sociales, mise à jour régulièrement. Cette base de données doit inclure des informations sur le recours fait par l’entreprise aux contrats de travail précaires, CDD, et contrats à temps partiel.

PERSONNES ENTENDUES PAR LES RAPPORTEURS

—  Mme Maryse Dumas, Vice-présidente de la délégation Droits des femmes du CESE, spécialisée pour les questions d'égalité professionnelle (au sein du collège CGT)

—  Mme Françoise Milewski, économiste, chargée de mission auprès du président, Membre de l'Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes, membre du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes

• Table ronde des organisations syndicales de salariés

—  Mme Marie-Line Brugidou, déléguée nationale, chargée des droits des femmes et des discriminations au sein du secteur Emploi (CFE-CGC)

—  Mme Anne Baltazar, secrétaire confédérale en charge de l’économie sociale, de l’égalité professionnelle et des handicapés (CGT-FO)

—  Mme Véronique Descacq, secrétaire générale adjointe (CFDT)

NB : La CFTC conviée à cette audition de syndicats n’a pas donné suite à notre demande

• Table ronde des organisations patronales

CGPME, Confédération Générale des Petites et Moyennes Entreprises

—  Mme Geneviève Roy, vice-présidente chargée des affaires sociales

—  Mme Geneviève Bel, vice-présidente chargée de l’entrepreneuriat

—  M. Georges Tissié, directeur des affaires sociales

MEDEF

—  M. Benoît Roger-Vasselin, président de la commission des relations du travail

—  Mme Sandra Aguettaz, directrice de mission à la direction des relations du travail

—  M. Guillaume Russo, directeur des affaires publiques

COMPTES RENDUS DES AUDITIONS DE LA DÉLÉGATION

Au cours de sa réunion du 19 mars 2013, la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l’audition des représentants des organisations syndicales représentatives des salariés, sur l’impact du projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi sur la situation des femmes au travail : Mme Anne Baltazar, secrétaire confédérale en charge de l’économie sociale, de l’égalité professionnelle et des handicapés, pour la CGT-FO ;  Mme Marie-Line Brugidou, déléguée nationale, chargée des droits des femmes et des discriminations au sein du secteur Emploi, pour la CFE-CGC ; Mme Véronique Descacq, secrétaire générale adjointe, chargée de la protection sociale et économique, pour la CFTC.

Mme la présidente Catherine Coutelle. La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes s’est saisie du texte transposant dans la loi l’accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2013. Elle s’est penchée plus particulièrement sur le chapitre II, « Lutter contre la précarité dans l’emploi et l’accès à l’emploi » – et ses articles 6, 7 et 8. Son travail donnera lieu à un rapport, que nous adopterons demain à quatorze heures. Les rapporteurs, ici présents, sont Mme Ségolène Neuville et M. Christophe Sirugue.

Les syndicats, signataires et non signataires de cet accord, ont été auditionnés dans le cadre des travaux de la commission des Affaires sociales. Nous connaissons donc votre position générale et c’est plutôt certains aspects que nous aimerions aborder de manière plus détaillée avec vous, aspects qui concernent essentiellement le travail précaire. Le Gouvernement avait en effet demandé aux partenaires sociaux de s’emparer de ce sujet afin de rendre le travail à temps partiel moins attractif pour les entreprises et de le sécuriser pour les salariés concernés – qui sont majoritairement des femmes.

Cette audition, qui réunit les représentants des syndicats de salariés sera suivie par une autre, qui réunira les représentants des syndicats patronaux. Je précise d’emblée que, même parmi vous, les points de vue divergent : si la CFE-CGC et la CFDT, comme la CFTC, ont signé cet accord, la CGT-FO, comme la CGT, ne l’ont pas signé.

Mme Anne Baltazar, secrétaire confédérale en charge de l’économie sociale, de l’égalité professionnelle et des handicapés, de la CGT-FO. En effet, le questionnaire que vous nous avez adressé porte davantage sur le temps partiel et l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes. En revanche, l’accord et le projet de loi qui en découle n’abordent pas du tout le sujet des femmes et de l’égalité professionnelle.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Cet accord ne l’aborde pas parce que, depuis six mois, des négociations se déroulent entre partenaires sociaux sur l’égalité professionnelle. Malheureusement, ces négociations peinent à avancer, à tel point que l’ordre du jour en est à peine fixé. Je m’en suis inquiétée auprès de Mme Parisot. Les partenaires sociaux pourront-ils parvenir à des avancées dans ce domaine ? L’objectif, qu’il ne faut pas perdre de vue, est d’élaborer d’ici au mois de juin un nouveau texte sur l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes. Dans le projet que nous examinons, il s’agit principalement de s’attaquer au travail précaire.

Mme Anne Baltazar. Je partage votre inquiétude sur la négociation relative à la qualité de vie au travail et à l’égalité professionnelle (QVTEP). Mais l’un n’empêche pas l’autre, et il me semble que le sujet de l’égalité professionnelle devrait être à la fois traité spécifiquement et intégré dans les textes de portée plus générale. En effet, l’égalité professionnelle doit fait l’objet d’une vigilance particulière ; sinon, elle risque de devenir invisible. C’est bien ce que je reproche à l’ANI, qui n’en fait même pas mention.

Cet accord lutte-t-il contre la précarité ? Nous considérons, à Force ouvrière, que la question n’est pas suffisamment ni correctement traitée – je pense tout particulièrement aux dérogations qui sont prévues. De ce fait, la situation des femmes ne devrait pas beaucoup s’améliorer.

Cela m’amène à vous indiquer que quatre organisations syndicales participant à la négociation QVTEP – j’y interviens en tant négociatrice – se sont mises d’accord sur une plate-forme où figurent les questions que l’ANI n’a pas abordées comme elles l’auraient souhaité.

Nous demandions, entre autres, de contrôler le recours au temps partiel. Comme pour les CDD ou le travail en intérim, les organisations syndicales devraient pouvoir saisir l’inspection du travail pour usage abusif du travail à temps partiel.

S’agissant du passage à temps plein des personnes à temps partiel, nous souhaitions aller plus loin : la priorité d’accès à un emploi à temps plein pour les salariés à temps partiel, qui est inscrite dans le code du travail, doit devenir une réalité. Cela passe par une meilleure information, notamment des institutions représentatives du personnel (IRP). Or l’accord se contente de proposer un poste différent au salarié qui souhaite passer à temps plein.

Les questions relatives à l’adaptation de la charge de travail – rythme, amplitude horaire, délais de prévenance, temps de trajet – seront reprises dans le cadre de la négociation QVT.

S’agissant des cotisations vieillesse, nous souhaitions aller plus loin en instaurant un complément de cotisation vieillesse pour les salariés à temps partiel.

Nous souhaitions que l’on accorde à tous un accès égal au droit à la formation – 20 heures de droit individuel à la formation (DIF) – quelle que soit la quotité de temps de travail.

J’en viens à votre deuxième question : « Fallait-il aller au-delà de la taxation des CDD en établissant une cotisation patronale progressive sur les contrats à temps partiel ? Cela faisait-il partie de vos revendications initiales ? »

Non, ce n’était pas une revendication de Force ouvrière. Nous avions d’autres façons d’aborder le sujet, comme le contrôle du recours au temps partiel. Nous avons dit par ailleurs que cela ne changerait rien pour le salarié lui-même, même si cela pourrait peut-être, à long terme, modifier les comportements.

Troisième question : « Que pensez-vous des nouvelles mesures d’encadrement du temps partiel et sont-elles susceptibles de modifier les pratiques en cours ? »

Ce n’est pas du tout certain ; nous aimerions le croire, mais nous craignons plutôt que cela ne les légalise. Par exemple, l’obligation de faire travailler les salariés à temps partiel au moins 24 heures par semaine sera contournée par le biais des dérogations. Dans de nombreuses situations, on sera en dessous des 24 heures – contrats en cours, etc.

Dans le cadre de la négociation QVT, nous reprendrons les cas où la durée hebdomadaire de travail est inférieure à 24 heures. Il arrive en effet que les travailleurs concernés se trouvent, de ce fait, sans protection sociale ni possibilité d’obtenir des indemnités journalières. La réponse à cette situation n’a pas été prévue.

Nous ne pouvons pas vous répondre sur les négociations de branche qui seront engagées dans les entreprises employant de nombreux salariés à temps partiel, mais nous allons y regarder de plus près. Je vous signale par ailleurs que les conditions de négociation changeront après le 29 mars, date à laquelle sera dévoilée la réforme de la représentativité syndicale. Ceux qui auront accès à la table de négociation ne seront pas forcément les mêmes. Je remarque enfin que certaines branches avaient déjà négocié ou commencé à négocier.

Quoiqu’il en soit, nous aurions souhaité que le seuil de 24 heures soit incontournable et qu’on en fasse une mesure d’ordre public.

À votre question « Que pensez-vous du nombre d’avenants au contrat de travail « compléments d’heures », nous répondons que cette possibilité de signer des avenants est très négative. D’après nos calculs, elle n’améliorera pas la rémunération des heures complémentaires. L’introduction de cette mesure répond d’ailleurs à la demande d’une fédération patronale.

Vous évoquez le délai de prévenance ; sur ce sujet et à ce stade, nous n’avons rien de particulier à apporter au texte.

Mme Marie-Line Brugidou, déléguée nationale, chargée des droits des femmes et des discriminations au sein du secteur Emploi à la CFE-CGC. Je tiens à revenir sur cette fameuse négociation en cours sur l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, que je viens de rejoindre. En tant que syndicalistes, nous sommes partis sur un malentendu.

Nous nous sommes aperçus, au bout de six mois, que nous n’avions pas traité de l’amélioration de qualité de la vie au travail comme moyen d’atteindre l’égalité professionnelle. Nous sommes donc repartis presque à zéro et tout en travaillant sur la qualité de la vie au travail hors stress, hors risques psychosociaux, nous avons formé des groupes de travail sur la qualité de vie au travail tournée vers l’égalité professionnelle. Ils portent sur le temps partiel, la conciliation des temps, les crèches, notamment, tous sujets intéressant plus spécifiquement les femmes, puis les hommes, en cascade.

Venons-en maintenant à l’ANI sur la sécurisation de l’emploi. Cet accord relève la durée hebdomadaire du temps partiel à 24 heures. C’est une des raisons qui nous a amenés à le signer. Jusqu’à présent, lorsque les femmes – qui forment la majorité des travailleurs à temps partiel – passaient en dessous de 20 heures, elles perdaient tout accès aux droits sociaux, dont le droit d’être indemnisées en cas de chômage. Voilà pourquoi nous souhaitions que le seuil retenu soit au moins de 20 heures. Par ailleurs, les heures complémentaires ne leur étaient pas payées. Maintenant, elles le sont – de mémoire, elles sont majorées de 10 %.

L’ANI apporte d’autres garanties, pour les femmes comme pour les hommes. Mais je vous propose, madame la présidente, de ne pas les aborder aujourd’hui. J’enverrai une note à la Délégation à ce sujet.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Je vous remercie. Dites-nous tout de même les points sur lesquels vous auriez souhaité aller plus loin.

Mme Marie-Line Brugidou. Comme nous l’avons dit à plusieurs reprises en comité directeur, nous avons signé cet accord parce que nous considérons qu’il contribue à lutter contre la prolifération des CDD de courte durée et permet quelques avancées. À celles que j’ai déjà citées, j’ajouterai : la généralisation de la couverture complémentaire des frais de santé et l’amélioration de la portabilité des garanties complémentaires de santé et de prévoyance – qui passe notamment, pour les chômeurs, de neuf à douze mois. Selon nous, ce progrès social doit reposer sur des négociations de branche.

Si je me place sur le plan de l’égalité professionnelle pure, je remarque que l’ANI n’a pas été fait uniquement pour les femmes. Je remarque aussi que nous allons devoir encore négocier sur le temps partiel. Il ne suffit pas d’instaurer un seuil de 24 heures hebdomadaires : un temps partiel choisi peut devenir un temps partiel subi ; une personne qui travaille à 80 % avec une charge de travail de 100 % n’accédera pas pour autant à l’échelon supérieur, etc. Nous avons encore beaucoup de propositions à faire en matière de temps partiel. Mais comment procéder ? C’est un vrai sujet, qu’il faudrait traiter à part et au fond. Je pensais que l’on pourrait s’y attaquer avec le Conseil supérieur du travail social et je m’interroge sur la méthodologie à adopter.

Concernant la négociation sur l’égalité professionnelle, mon organisation syndicale fera tout pour qu’elle aboutisse – même si le fait que le montant de l’allocation versée pendant le congé parental ne soit pas proportionnel à la rémunération serait pour nous rédhibitoire. Quoiqu’il en soit, comme le disait Anne Baltazar, le temps partiel ne fait pas partie de cette négociation-là.

Mme la présidente Catherine Coutelle. On voit mal comment parvenir à l’égalité professionnelle sans traiter du temps partiel, qui est pour 50 % dans l’inégalité des salaires. Je me réjouis que les partenaires sociaux se soient emparés du sujet, mais vous comprendrez que je m’interroge.

Mme Marie-Line Brugidou. La négociation sera de toute façon difficile. Sauf qu’à un certain moment, il faudra se décider. J’entends depuis longtemps opposer l’argument que ce n’est pas le bon moment, car c’est la crise. Mais ce n’est jamais le bon moment et la crise dure depuis trente ou quarante ans ! Nous n’attendrons pas dix ans de plus.

Mme Véronique Descacq, secrétaire général adjoint chargée de la protection sociale et économique à la CDFT. Commençons par la négociation « QVTEP », qui a été mise entre parenthèses pendant la négociation sur la sécurisation des parcours professionnels. On attendait en effet de savoir ce qui serait décidé en matière de temps partiel. De fait, dans l’ANI qui est en cours de transposition législative, la question du temps partiel a été traitée sous l’angle de la « sécurisation des parcours professionnels ». Il reste à en discuter maintenant sous l’angle de l’« organisation du travail ». C’est ce que l’on fera dans la négociation sur l’égalité professionnelle, qui vient de repartir. J’en veux pour preuve le texte que quatre organisations syndicales (pas FO, mais CFDT, CGT, CGC et CFTC) ont signé sur le sujet.

Revenons à la négociation sur la sécurisation des parcours, à laquelle j’ai participé. La CFDT est tout à fait favorable à l’intégration des questions d’égalité professionnelle dans toutes les négociations. L’ANI est une excellente illustration de cette approche intégrée. C’était en effet la première fois que, dans une négociation interprofessionnelle, on traitait de façon aussi approfondie la question de la précarité, laquelle, on le sait bien, touche essentiellement les femmes, les femmes en retraite et les mères qui élèvent seules leurs enfants. De fait, un certain nombre de droits nouveaux, qui visent à lutter contre la précarité, auront un impact sur la situation des femmes.

Vous nous avez demandé si nous n’aurions pas préféré, à la taxation des contrats courts, une cotisation patronale progressive sur les CDD. Il se trouve que la CFDT souhaitait que l’on instaure une cotisation patronale sur tous les contrats courts, quelle que soit leur nature, CDD ou CDI – un CDI peut être rompu non seulement pendant la période d’essai, mais aussi au bout d’un an ou deux ans et chacun sait que dans ces cas-là, les indemnités de licenciement sont très modestes. Mais notre proposition n’a pas été retenue. Le MEDEF y était hostile, et ce n’était pas la proposition de Force ouvrière.

Les droits rechargeables à l’assurance chômage constituent un droit nouveau pour les salariés et plus particulièrement pour les femmes, qui sont les premières concernées par l’accumulation et l’enchaînement des contrats courts. Elles pourront désormais cumuler les droits correspondant aux périodes de travail successives, ce qui ne pourra qu’améliorer leur indemnisation en cas de chômage. Jusqu’à présent, l’absence de droits rechargeables dissuadait les seniors, hommes ou femmes, à reprendre un emploi. Par exemple, le fait de souscrire un CDD de quatre ou six mois avait pour conséquence de leur faire perdre 36 mois de droits à l’assurance chômage. Les femmes pourront aussi se fabriquer de nouveaux droits à la retraite, qui viendront compenser une carrière souvent accidentée.

Je souhaite maintenant dire un mot sur le compte personnel de formation, un droit universel que le salarié conservera tout au long de sa vie professionnelle. Par essence, il est plus particulièrement favorable aux salariés des TPE et PME, ceux qui sont les moins qualifiés et ont le plus de mal à accéder à l’emploi – parmi lesquels beaucoup de femmes. Comme son financement est mutualisé, les salariés peuvent en bénéficier sans passer par leur entreprise. Un tel dispositif offre aux salariés des TPE et PME un accès à la formation pratiquement égal à ceux des grandes entreprises.

Je m’arrêterai un peu plus longuement sur le temps partiel. La mesure phare de cet accord est celle qui instaure un seuil minimal de 24 heures hebdomadaires. Jusqu’à présent, il n’y avait pas de seuil de référence et les contrats à temps partiel pouvaient porter sur n’importe quelle durée. Maintenant ce n’est plus le cas, même si des dérogations sont possibles.

Pourquoi avoir instauré un tel seuil ? Pour dépasser le minimum de 20 heures, qui permet d’accéder aux droits sociaux – notamment, indemnités journalières et droits à la retraite.

Une dérogation est possible sans accord, mais à deux conditions : la demande écrite du salarié, et surtout, l’obligation, pour l’employeur, d’organiser le temps de travail sur des journées complètes de manière à ce que le salarié – en général une femme – puisse compléter son temps de travail avec un autre employeur. Ce n’est pas négligeable quand on sait qu’aujourd’hui certains temps partiels très courts s’échelonnent sur toute une semaine – deux heures le matin, deux heures en milieu d’après-midi, etc.

On peut toujours rêver d’un idéal qui serait l’instauration d’un seuil indépassable. Mais même avec cette dérogation, l’instauration des 24 heures hebdomadaires constitue une avancée tout à fait significative par rapport à ce qui existait jusqu’à présent.

D’autres possibilités de dérogation existent, mais elles sont strictement encadrées par des accords de branche étendus.

Je pense qu’il faut faire confiance à la négociation de branche non seulement pour encadrer ces dispositifs, mais encore pour les améliorer. D’ailleurs, le fait de conditionner l’abaissement du seuil de 24 heures à une négociation modifiera le rapport de forces et placera les partenaires sociaux, et en particulier les organisations syndicales, dans une situation plus favorable que précédemment.

Feront naturellement partie de ces négociations : la question de la cotisation vieillesse qui pourrait être calculée sur la base d’un salaire à temps plein ; la question des droits à formation ; la question de l’organisation du travail et des horaires. Pour moi, que l’on puisse encadrer l’organisation du travail et les horaires par des accords de branche constitue une véritable révolution par rapport à ce qui se passe aujourd’hui !

Il est très important que l’ANI ait traité du recours aux avenants temporaires. Nous sommes tous contre cette pratique illégale, mais massivement utilisée. Comme l’a fait remarquer Mme Baltazar, c’était une revendication du MEDEF qui voulait sécuriser juridiquement le recours aux avenants temporaires.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Lorsqu’un avenant « complément d’heures » a pour effet de porter la durée initiale du contrat à la durée d’un temps plein, la Cour de cassation a sanctionné cette pratique.

Mme Véronique Descacq. Cette pratique est particulièrement courante dans les services à la personne, la propreté et le commerce, où il est possible que, chaque semaine, on annonce à la salariée qu’elle va travailler, par exemple, deux heures ou quatre heures de plus. Qu’il s’agisse de l’organisation de son temps ou de sa rémunération, celle-ci n’a aucune sécurité.

Cette pratique est légalisée par l’ANI, mais en même temps, elle est fortement sécurisée. D’abord, elle se trouve massivement réduite : les entreprises ne pourront pas faire plus de huit avenants temporaires par an, alors qu’elles pouvaient en faire autant que de semaines travaillées. Et si elles n’en font que huit, elles les feront probablement sur des durées plus longues. Ensuite, les heures supplémentaires devront être payées dès la première heure dans le cas des avenants temporaires – comme dans tous les cas d’ailleurs – ce qui constitue un progrès majeur.

Encore une fois, ce n’est pas l’idéal ; toutefois quand on connaît la réalité du travail de ces salariés peu qualifiés, qui vivent souvent des situations familiales difficiles, et le comportement qu’ont les employeurs vis-à-vis d’eux, on se rend compte que l’accord représente pour eux une avancée significative.

Je dirai un mot de la généralisation de la complémentaire santé – qui aura un impact en termes d’égalité professionnelle. Cette mesure ouvre des droits à la santé à des hommes, et majoritairement à des femmes, qui en étaient privés jusqu’à présent. Par ailleurs, elle sécurise leurs parcours, même s’ils changent d’employeur ou quittent l’un de leurs employeurs, en cas de cumul.

Je voudrais insister plus particulièrement sur le fait que cette mesure de généralisation de la complémentaire santé permet d’individualiser les droits à l’accès aux soins. Aujourd’hui, on estime entre 4,5 et 7 millions le nombre de salariés potentiellement concernés, parmi lesquels 2 millions environ sont des ayants droit de leur conjoint, en général. Cette mesure permet donc à de nombreuses femmes de ne plus avoir à passer par leur conjoint pour pouvoir accéder aux soins, et d’acquérir, de cette façon, une plus grande autonomie.

Je conclurai en disant que nous espérons voir cette logique d’individualisation des droits étendue au domaine fiscal, et venir bientôt parler avec vous de la suppression du quotient conjugal.

Mme Anne Baltazar. Je souhaite vous apporter quelques précisions. La négociation sur la qualité de vie au travail a repris le 22 février. À cette occasion, quatre organisations syndicales ont fait une communication. Nous n’en faisions pas partie. Les organisations syndicales se sont ensuite retrouvées en vue de la négociation du 6 mars consacrée à l’égalité professionnelle. Quatre organisations syndicales, dont FO, se sont mises d’accord sur une plate-forme revendicative, à laquelle la CFDT ne s’est pas jointe. Je vais vous adresser ce document.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Nous en avons pris connaissance récemment. Je tenais moi aussi à vous apporter une précision, pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté. Nous avons déjà auditionné Maryse Dumas, en tant que vice-présidente du Conseil économique, social et environnemental et représentante de la CGT. C’est la raison pour laquelle la CGT n’a pas été invitée à nouveau aujourd’hui.

Mme Ségolène Neuville, rapporteure. Dans le projet actuel, en cas de dérogation aux 24 heures hebdomadaires, l’employeur est tenu de regrouper les heures, ce qui permet au salarié de cumuler éventuellement son emploi avec un autre. En revanche, cette obligation n’existe pas lorsque le temps de travail du salarié est d’au moins 24 heures. Généraliser cette obligation ne faisait-il pas partie de vos revendications ?

Par ailleurs, comment êtes-vous arrivés au nombre de huit avenants ? En auriez-vous souhaité moins et les organisations patronales davantage ? Avez-vous eu ou non l’intention de réglementer la durée des avenants ?

M. Christophe Sirugue, rapporteur. Madame Baltazar, l’accès égal des salariés au droit individuel à la formation (DIF) a-t-il été abordé dans le cadre des négociations ?

Madame Brugidou, estimez-vous que, dans sa rédaction actuelle, le projet de loi sécurise suffisamment les CDD de courte durée ?

Mme Marie-Line Brugidou. Le texte apporte davantage de sécurité. Mais comme je l’ai dit tout à l’heure, la situation exige un vrai travail de fond auquel il faudrait se consacrer entièrement. Je reconnais qu’il y a des améliorations, mais celles-ci sont insuffisantes. De toute façon, en France, le temps partiel est mal considéré.

Que peut-on faire de plus ? Cela a déjà été assez difficile. Reste que ce n’est pas suffisant. Pratiquant ces sujets depuis cinq ou six ans, j’aurais souhaité que l’on aboutisse à un texte consacré spécifiquement au temps partiel, avec des mesures pour les femmes, pour les hommes, sur les horaires, sur la conciliation des temps, etc. Il faut lutter contre la précarité des femmes – actives comme retraitées – que le temps partiel organise. Nous avons peut-être avancé, mais il faudrait aller plus loin en traitant du temps partiel dans son ensemble. C’est en tout cas la demande que je formule.

M. Christophe Sirugue, rapporteur. On sait que le temps partiel concerne plus particulièrement certains secteurs d’activité. Je voudrais savoir si l’on y réfléchit toujours de façon globale ou si on le fait secteur par secteur, en faisant la distinction entre les différentes formes de temps partiel. Dernièrement, une chercheuse nous a dit qu’il n’y avait pas de temps partiel, mais « des » temps partiels.

Mme Marie-Line Brugidou. C’est vrai. Nous avons isolé deux ou trois branches professionnelles : la métallurgie, le commerce et, plus récemment, les services à la personne. Dans ce dernier secteur, nous ne sommes pas très représentés. Mais il faudrait tout revoir. Je ne pense pas que cela se fera par une révision de l’ANI.  Je crois beaucoup à la négociation de branche. Mais je me demande s’il ne faudrait pas une négociation de branche uniquement « temps partiel », car aujourd’hui, la question du temps partiel est « noyée » un peu partout.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Au titre II de l’ANI, il est bien spécifié que la négociation est toujours renvoyée aux branches, aux accords professionnels, et non pas aux accords d’entreprise, contre lesquels nous nous étions élevés dans la loi de modernisation de l’économie (loi LME). Or, dans des secteurs où les femmes sont peu syndiquées, l’accord d’entreprise n’est pas le plus favorable. Pour moi, c’est un point positif.

Mme Anne Baltazar. Cela nous avait échappé, et vous faites bien de le noter. Car la tendance actuelle est en effet de discuter directement dans l’entreprise, ce qui aboutit à « insécuriser » les salariés – notamment dans les petites entreprises.

Par ailleurs, l’égal accès au DIF a été évoqué dans la négociation, mais je ne sais pas comment il a été défendu. Pour nous, c’est une revendication qui n’a pas abouti. Il pourrait être abordé dans la négociation « QVT ».

Mme Véronique Descacq. Vous avez dit que la question du regroupement des heures se posait aussi pour les salariés travaillant au moins 24 heures. Vous avez raison. Nous l’avons soulevée, comme étant une question de principe. Elle peut réapparaître dans les négociations de branche.

Nous avons travaillé sur la partie « temps partiel » de l’accord en lien avec nos fédérations les plus utilisatrices de temps partiel, pour faire en sorte que le texte, bien que de nature interprofessionnelle, colle au mieux avec la réalité vécue dans ces secteurs. Malgré tout, le texte reste assez généraliste. C’est la raison pour laquelle nous avons très largement renvoyé à la négociation d’accord de branche étendu – ce qui va donner un droit de regard à l’administration. Il est clair en effet que le secteur des services à la personne ne rencontre pas les mêmes problèmes d’organisation du travail que le commerce de proximité ou les autres secteurs.

Pourquoi huit avenants ? Nous en avions demandé six. Il est exact qu’au début, on avait raisonné en durée. Notre revendication était qu’il fallait interdire les avenants temporaires de moins de six semaines. À l’issue des tractations, on est arrivé à fixer un nombre limité d’avenants, ce qui incitera l’entreprise à augmenter leur durée.

Sur le DIF, je partage le propos de Mme Baltazar. Cela étant, vous remarquez que le sujet de la formation professionnelle a été très peu abordé dans cet accord. C’est sans doute une lacune, mais il eût été trop compliqué de le traiter en seulement trois mois.

Mme la présidente Catherine Coutelle. J’ai demandé au ministère du Travail comment les femmes seraient accompagnées vers la formation – car cela leur est très difficile. Il m’a été répondu que la question de la formation prendrait place dans un texte de loi en fin d’année.

Mme Véronique Descacq. La matérialisation du compte personnel de formation, qui va remplacer le DIF, est renvoyée à une discussion tripartite avec les pouvoirs publics, puisque la formation professionnelle est aussi de la compétence des régions. Le Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie (CNFPRLV) travaille en ce moment sur la façon de faire vivre ce compte personnel de formation. Ensuite, une concertation s’ouvrira, notamment avec les régions, sur la façon dont il sera alimenté. La question ne sera donc pas dans le champ exclusif des partenaires sociaux.

Cela étant, il faudrait repenser la formation professionnelle pour la mettre davantage à la disposition des salariés précaires et des demandeurs d’emploi. Dans la logique de transversalité que l’on a évoquée tout à l’heure, la question des femmes devrait faire partie de cette réflexion.

S’agissant des contrats courts, notre option était un peu différente. Nous souhaitions taxer tous les contrats, quelle que soit leur nature, avec une cotisation inversement proportionnelle à leur durée. Mais nous nous sommes confrontés à l’ensemble des chambres patronales, qui ne croient toujours pas qu’une telle mesure aurait un effet bénéfique sur le comportement des entreprises.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Le projet de loi précise que les comités d’entreprise devront être associés aux orientations stratégiques de l’entreprise. Pour ce faire, une base de données régulièrement réactualisée contenant un certain nombre d’informations sera mise à leur disposition. Ne pourrait-on pas ajouter un alinéa pour inclure, parmi les thèmes de cette base, le nombre de contrats à temps partiel et à temps plein ?

Mme Véronique Desacq. Ce sont des thèmes génériques. La base de données, une fois construite, fait une cinquantaine de pages et reprend tous les rapports – dont le rapport de situation comparée (RSC). Et je vous signale une petite avancée par rapport à ce qui existait auparavant : toutes les informations sont dorénavant « genrées ».

Mme la présidente Catherine Coutelle. À ce propos, je souhaiterais que le RSC soit consultable sur une base de données nationale. Car aujourd’hui, il faut aller dans les entreprises chercher l’information. Cela suppose que les entreprises envoient ce RSC à l’Observatoire de la responsabilité sociétale des entreprises (ORSE), ou au ministère des Droits des femmes, par exemple…

Mme Véronique Descacq. Je pense que ce serait un amendement utile.

Mme Marie-Line Brugidou. On devrait pouvoir trouver les RSC à la Direction régionale de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE), puisqu’il est devenu obligatoire de les y envoyer. Il avait été question également de les mettre en ligne sur des sites ministériels.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Oui, mais rien ne dit qu’ils soient consultables auprès de la DIRECCTE. Je pense qu’il faut les rendre visibles publiquement. Je crains que la DIRRECTE ne soit submergée de demandes de contrôles d’informations. Cela dit, c’est déjà un progrès.

Mme Barbara Romagnan. Madame Brugidou, vous avez dit que l’ANI n’avait pas été fait uniquement pour les femmes. C’est exact. Mais le problème n’est pas tellement qu’il n’est pas fait uniquement pour les femmes, il est plutôt qu’on ne l’ait pas fait en pensant que les femmes étaient également concernées. Or, quand il s’agit de temps partiel, elles sont concernées au premier chef.

Vous avez dit aussi que le seuil de 24 heures hebdomadaires constituait une avancée significative par rapport à l’existant. En échangeant avec des salariées syndiquées de la grande distribution, j’ai appris que les conventions de Carrefour, Casino ou d’ailleurs avaient déjà fixé un seuil de 26, 28 et 30 heures hebdomadaires. De ce fait, leur patron est très motivé à l’idée de négocier à partir de l’ANI, avant même qu’il ne soit validé par l’Assemblée nationale, sachant qu’il pourrait diminuer leurs droits et leurs heures de travail. Les travailleurs – et donc les travailleuses – à temps partiel constituant une part importante du personnel de la grande distribution, il semblerait bien que dans ce secteur, cet accord ne constitue pas un progrès.

Il me semble enfin, madame, que vous avez dit que les heures majorées le seraient toutes de 25 %. Mais je n’ai pas la même interprétation que vous.

Mme Véronique Desacq. Non, certaines sont majorées de 10 %.

Mme Barbara Romagnan. Si je me réfère à la sous-section 8, je comprends que ce sont les heures complémentaires accomplies au-delà de la durée déterminée par l’avenant qui sont majorées de 25 % , et que la convention ou l’accord peut prévoir la majoration des heures effectuées dans le cadre de cet avenant. Cela signifie-t-il qu’elles peuvent ne pas être majorées du tout, être majorées de 10 % ou davantage ?

De ce fait, si un contrat initial est de 25 heures, que l’avenant l’augmente à 30 heures, il est possible, mais pas du tout obligatoire, que les heures travaillées entre 26 et 30 heures soient majorées. C’est seulement au-delà de la trentième heure qu’une majoration de 25 % sera appliquée.

Ai-je bien compris ? Comme nous souhaiterions déposer un amendement sur le sujet, j’aimerais savoir ce qu’il en est.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Je suis tout à fait d’accord avec Mme Baltazar et la CGT-FO.

Quand j’ai rencontré à Metz la représentante de la CFDT, j’ai fait une remarque qui ne lui a pas plu, à savoir que tout accord devrait comporter obligatoirement un titre sur l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes. En l’occurrence, l’égalité entre les hommes et les femmes est à prendre en compte lorsque l’on parle du temps partiel. Car pour les femmes, le temps partiel est une véritable plaie !

En 2005, j’avais déjà fait des propositions, que j’ai été obligée de réitérer. Aujourd’hui, moi qui fondais beaucoup d’espoir sur la nouvelle ministre, je suis déçue. On n’a pas avancé comme je l’aurais souhaité et l’amélioration de la situation des travailleurs à temps partiel est encore une fois renvoyée à plus tard.

Certes, une loi sera votée sur le sujet. Certes, le travail à temps partiel sera sécurisé, ce qui bénéficiera d’abord aux femmes. Sauf que la possibilité des horaires très tronçonnés demeure. Madame Baltazar, vous n’avez pas signé cet accord, et je vous tire mon chapeau : moi-même, je ne l’aurais pas signé non plus.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Vous me permettrez de ne pas partager tout à fait votre point de vue. Je considère que ce texte constitue un énorme progrès : il témoigne d’une volonté nouvelle d’accorder sa place à la négociation sociale. À la différence de ce qui se passe dans les pays du Nord comme la Suède, où je me suis rendue dernièrement, il n’est pas dans notre culture de procéder ainsi, pas à pas.

On peut n’être pas satisfait. Moi-même, la semaine dernière, je suis allée voir le ministre du Travail pour lui faire part de mes observations, cependant je salue ceux qui ont signé cet accord, qui permet des avancées.

Mon sentiment est que les syndicats ont privilégié l’ANI par rapport à l’égalité professionnelle. C’est pourquoi je demanderai au ministre, chaque fois qu’il nous renverra à la négociation QVTEP, que la question de l’égalité professionnelle y soit obligatoirement traitée.

Mme Monique Orphé. Ma première question concerne la couverture maladie dans les entreprises de moins de 10 salariés. En outre-mer, il y a beaucoup de petites, voire de très petites entreprises, sans délégué syndical ni comité d’entreprise. Plutôt que d’attendre 2016, ne pourrait-on pas laisser l’initiative aux salariés, par exemple quand la moitié d’entre eux demandent à négocier sur cette couverture maladie ? Attendre 2016 reviendrait à opérer une discrimination par rapport aux salariés qui ont un délégué syndical ou un comité d’entreprise.

Ma seconde question concerne l’instauration d’une durée minimale de 24 heures hebdomadaires. C’est une avancée. Mais pourquoi a-t-on exclu les étudiants ? On sait que de nombreuses étudiantes, notamment, ont besoin de travailler. Le fait qu’elles puissent travailler 24 heures leur garantirait des droits, y compris dans leur parcours professionnel.

Mme Véronique Descacq. Madame Romagnan, vous avez évoqué la situation des branches où l’on travaille plus de 24 heures, en mettant en avant le risque que l’employeur ne dénonce les contrats précédents en se servant de ce nouveau seuil. Mais il aurait déjà pu le faire auparavant, puisqu’il n’y avait pas du tout de seuil. Bien sûr, lorsque l’on fixe un seuil minimum, on redoute toujours que ceux qui faisaient mieux ne s’alignent sur ce minimum. Reste que ce seuil constitue une avancée significative pour ceux qui sont en dessous.

Il est possible que les employeurs du secteur de la grande distribution, dont vous avez parlé, utilisent cet argument comme une menace. Mais j’ai du mal à imaginer qu’ils mettent celle-ci à exécution.

Par ailleurs, vous avez abordé la question de la majoration des heures complémentaires. Votre interprétation était la bonne.

Aujourd’hui, les heures complémentaires ne sont pas du tout rémunérées tant qu’elles restent en deçà du dixième – ou du tiers en cas d’accord de branche – de l’accord contractuel. Ces heures-là seront désormais rémunérées à 10 %. C’est en ce sens que l’on a dit que toutes les heures complémentaires seront désormais rémunérées. Elles le seront à 10 %, dès la première heure. Au-delà, on rejoint le cadre légal et la rémunération passe à 25 %. En cas d’avenant temporaire, c’est la négociation de branche qui dira si les premières heures, à l’intérieur du complément, seront ou non majorées. En tout état de cause, celles qui se trouveront au-delà du complément seront majorées à 25 %.

Madame Zimmermann, vous avez l’appréciation que vous voulez sur l’accord.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Pas sur l’accord : sur le temps partiel !

Mme Véronique Descacq. Eh bien, justement ! Sur le reste de l’accord, toutes les opinions sont possibles. Mais sur le temps partiel, on ne peut que constater des avancées. Vous pouvez regretter que l’accord ne soit pas allé plus loin, mais reconnaissez tout de même qu’il améliore la situation des femmes confrontées à l’utilisation massive et abusive du temps partiel.

Madame Orphé, si les négociations de branche aboutissent, les entreprises de moins de dix salariés pourront être couvertes avant 2016. L’ensemble des organisations syndicales est d’ailleurs favorable aux négociations de branche, qui offrent des garanties identiques à l’ensemble des salariés du champ. Les employeurs y ont aussi intérêt, dans la mesure elles ne mettent pas en concurrence, dans la même branche professionnelle, les avantages salariaux et les avantages annexes des salariés. Enfin, cette procédure régule le contenu des garanties en évitant des contrats trop modestes ou trop dispendieux.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Pensez-vous qu’un accord de branche sur une complémentaire santé sera plus favorable aux salariés ?

Mme Véronique Descacq. Oui, en général, les garanties sont mieux ciblées. Les entreprises qui ont les moyens ont tendance à utiliser la complémentaire santé un peu comme un avantage salarial – thalassothérapie, remboursements d’honoraires, etc. Cette attitude n’est pas du tout vertueuse en termes de maîtrise des dépenses de santé.

Dans un accord de branche, les entreprises n’ayant pas toutes de gros moyens, on y regardera au plus juste. Par ailleurs, les frais de gestion, lorsqu’ils sont mutualisés au niveau d’une branche, sont forcément plus faibles.

Autre élément non négligeable : au niveau des branches, les complémentaires santé peuvent mener des actions de prévention extrêmement ciblées sur les risques professionnels – ainsi, la prévention des caries dentaires dans la boulangerie. Nous préférons donc la négociation de branche à la négociation d’entreprise pour couvrir les risques professionnels des salariés. En outre, la négociation de branche facilite la mobilité interentreprises dans la même branche professionnelle.

Je répondrai à Mme Orphé qu’à défaut d’accord de branche, il peut être utile de prévoir un mandatement spécifique – je pense qu’un tel amendement ne dénaturerait pas l’économie globale de l’accord ni du projet de loi – pour les petites entreprises qui ne voudraient pas attendre l’échéance de 2016.

Enfin, je reconnais qu’on a peut-être pensé un peu trop rapidement que les étudiants étaient davantage demandeurs de contrats plus courts, plus compatibles avec leurs études.

Mme Marie-Line Brugidou. Un des grands défauts de l’ANI, c’est qu’en l’absence d’accord de branche, il peut ne plus rien apporter. C’est le cas pour la majoration des heures complémentaires dans un système d’avenant temporaire.

Mme Véronique Descacq. Je vous signale qu’il ne peut plus y avoir d’avenant temporaire sans accord de branche.

Mme la présidente Catherine Coutelle. On peut aussi imaginer que l’accord de branche sera plus favorable aux salariés, par exemple en accordant une majoration supérieure à 10 % à toutes les heures complémentaires. Pour ma part, je suis très favorable aux accords de branche. Les syndicats ont en effet beaucoup plus de poids dans les négociations de branche que dans les négociations d’entreprise.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Je précise mon souhait : d’une part, tout accord devrait comprendre des dispositions particulières sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, d’autre part, l’article 7 ne suffit pas à régler le problème du temps partiel, malgré certaines avancées qu’il convient de saluer.

Je voudrais par ailleurs dire que nous rencontrons un problème en Alsace-Moselle, s’agissant de la complémentaire santé.

Mme Véronique Descacq. M. Michel Sapin, ministre du Travail, nous a indiqué qu’un décret interviendrait après la loi pour exclure l’Alsace-Moselle du champ de l’ANI. Mais on m’a fait remarquer, en Alsace, qu’en termes de remboursement, le dispositif de l’ANI était plus avantageux que notre régime d’Alsace-Moselle ; certains aimeraient donc bénéficier de tels avantages.

Mme Marie-Line Brugidou. Effectivement, l’ANI n’a pas été fait que pour les femmes ; il a été fait pour sécuriser l’ensemble des parcours professionnels. La CGE-CGC l’a voté. Mais je rejoins ce que vous avez dit : il est de toute façon insuffisant.

Mme la présidente Catherine Coutelle. En tant que présidente, je partage la satisfaction de ceux qui ont signé, comme je partage les interrogations de tous – ceux qui ont signé et ceux qui n’ont pas signé.

Nous aimerions bien évidemment aller plus vite et plus loin. La crise ne justifie pas que l’on n’avance pas davantage en matière d’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes. Je remarque d’ailleurs qu’à l’époque où le travail des femmes a évolué vers une plus grande précarisation, la crise était beaucoup moins présente.

Mesdames, je vous remercie et vous demande de ne jamais oublier le sujet dans vos négociations.

*

* *

Puis, la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l’audition des représentants des organisations syndicales représentatives des employeurs, sur l’impact du projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi sur la situation des femmes au travail : Mme Geneviève Bel, vice-présidente chargée de l’entrepreneuriat ; Mme Geneviève Roy, vice-présidente chargée des affaires sociales, et M. Georges Tissié, directeur des affaires sociales, pour la CGPME ; M. Benoît Roger-Vasselin, président de la commission des relations du travail accompagné de Mme Sandra Aguettaz, pour le MEDEF.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Mesdames, Messieurs, je vous souhaite la bienvenue. Comme vous le savez, le 2 avril prochain, nous transcrirons dans la loi l’accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2013. Notre Délégation aux droits des femmes présentera son avis sur ce texte en s’attachant à répondre à la question suivante : cet accord améliore-t-il ou non l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ?

Je vous demanderai d’axer vos interventions sur certains points de ce texte qui nous intéressent plus particulièrement, comme le travail précaire, ou d’autres points qui peuvent concerner l’égalité professionnelle.

M. Benoît Roger-Vasselin, président de la commission des relations du travail du MEDEF. Mesdames, Messieurs, vous avez compris que le MEDEF était favorable à la transcription de cet accord – tout cet accord, mais rien que cet accord – qui est en lui-même très équilibré.

Madame la présidente, comme vous me l’avez demandé, j’en viens directement aux sujets qui vous préoccupent. Vous avez parlé de « travail précaire » mais j’imagine que, s’agissant de cet accord, c’est au « temps partiel » que vous pensiez d’abord.

De fait, la réforme du temps partiel est l’une des mesures majeures de l’ANI. L’institution d’une durée minimale de 24 heures de travail hebdomadaire et la majoration des heures complémentaires dès la première heure sont des éléments de sécurisation pour les salariés, qui se voient ouvrir deux droits nouveaux.

Sauf demande écrite et motivée des salariés et sauf accord de branche spécifique, la durée minimale hebdomadaire sera de 24 heures. En cas de dérogation, l’employeur sera obligé d’organiser le temps de travail sur des horaires réguliers, des demi-journées ou des journées complètes.

Ainsi, comme nous le souhaitions, le temps partiel se trouve encadré. Tous les salariés à temps partiel pourront donc travailler 24 heures hebdomadaires, soit avec un seul employeur, soit avec plusieurs employeurs et, surtout, ils pourront accéder au socle de protection sociale, tant pour les indemnités journalières que pour la validation des trimestres pour le calcul des pensions de retraite.

Il s’ensuivra une modification en profondeur de certains secteurs. Nous l’assumons. Reste qu’il a fallu de nombreux débats, au sein de la délégation patronale, pour aboutir à cette concession importante, mais à nos yeux légitime et justifiée, qui doit s’inscrire dans la durée. Nous veillerons collectivement à ce que ces nouvelles règles, qui sont strictes, n’aient pas d’effet négatif sur l’emploi. Nous sommes donc à la fois très allants et très vigilants.

Cet accord réalise un équilibre entre les avancées dont bénéficient les salariés et celles dont bénéficient les entreprises. Mais venons-en, comme vous me l’avez demandé, à la place qui est faite aux droits des femmes et à l’égalité professionnelle.

La question n’a pas été abordée spécifiquement dans cet accord, dans la mesure où elle fait l’objet d’une négociation en cours sur la qualité de vie au travail et l’égalité professionnelle. Une longue délibération sociale s’est déroulée tout au long de l’année dernière et les négociations ont démarré au mois de septembre. Celles-ci ont repris à un rythme très soutenu après l’accord du 11 janvier – sept réunions sont prévues d’ici au 30 juin – et nous espérons qu’elles déboucheront sur des mesures fortes en faveur de l’égalité professionnelle.

Le 22 février dernier, les organisations d’employeurs ont fait des déclarations assez précises qui reprenaient les engagements que nous souhaitions prendre au cours de ces négociations ; si vous le souhaitez, nous vous les enverrons. Ensuite, à l’occasion de la Journée du 8 mars, toutes les organisations d’employeurs et syndicales – cinq plus trois – ont fait une déclaration commune qui réaffirme nos priorités, parmi lesquelles : rendre plus efficace la négociation annuelle portant sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ; favoriser une utilisation dynamique du rapport de situation comparée par les entreprises ; assurer dans les faits l’égalité de traitement dans le déroulement de carrière des femmes et des hommes, quel que soit le métier ; renforcer les actions visant à lutter contre les stéréotypes sexuels liés à la parentalité et, en s’appuyant sur les branches professionnelles, à favoriser la mixité des métiers et des parcours professionnels ; permettre la conciliation des temps entre vie personnelle et professionnelle, en portant attention aux rythmes et horaires de travail, aux temps sociaux, et en rendant plus accessibles les congés familiaux, les congés de réalisation personnelle et de formation tout au long de la carrière ; enfin, rendre l’égalité entre les hommes et les femmes effective, notamment par un congé parental rénové, incitant au partage et à un rééquilibrage des rémunérations et des parcours professionnels, y compris dans les postes d’encadrement, ce qui passe aussi par l’amélioration de l’offre d’accueil des jeunes enfants.

Sur ces six priorités, il n’y a pas de débat de fond. En revanche, des débats très engagés ont eu lieu sur leurs modalités d’application, à l’intérieur des organisations syndicales comme à l’intérieur des organisations d’employeurs. Des différences de point de vue sur les projets de Mme Vallaud-Belkacem se sont notamment manifestées. Par exemple, certains – pas le MEDEF, je tiens à le préciser – considèrent que limiter le congé parental à six mois pour inciter le père à le prendre est une fausse bonne idée. Quoiqu’il en soit, il faudrait sortir d’un cercle vicieux typiquement français, qui est que la France est le pays où il y a le plus de textes sur l’égalité professionnelle, mais où ils sont le moins appliqués, sans sortir du cercle vertueux, qui est que nous sommes le pays où il y a le plus fort taux de fécondité, mais aussi le plus fort taux de femmes au travail. Nous devons donc déplacer les curseurs sans risquer de tout détruire. C’est ce qui fait l’intérêt et la difficulté de cette négociation.

Il n’y a pas de clivage entre les employeurs et les salariés, sinon sur des questions qui ne relèvent pas de l’égalité professionnelle mais plutôt de la qualité de vie au travail (QVT). Les organisations syndicales souhaitent en effet mettre l’accent sur les questions d’organisation du travail, alors que les organisations d’employeurs veulent le mettre sur les questions de management des collaborateurs. Mais tous considèrent évidemment qu’à partir du moment où un salarié se trouve bien dans son poste de travail, il est plus heureux et donc plus efficace. Tout le monde y trouve son compte, le salarié comme l’entreprise.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Ce n’est pas le sujet de l’ANI, mais celui de l’autre négociation, même si je reconnais que notre discussion est complexe, dans la mesure où l’on oscille toujours entre les deux négociations. Personnellement, pour parvenir à l’égalité salariale, je ne vois que deux solutions : augmenter la masse salariale pour que les femmes rattrapent les hommes, ou partager différemment la masse salariale à l’occasion de la négociation annuelle obligatoire (NAO). Voilà pourquoi ce que vous nous dites à propos de la négociation sur la qualité de vie au travail et l’égalité professionnelle ne me rassure pas du tout, même si j’espère changer d’avis fin juin.

Aujourd’hui, nous traitons de la transposition de l’ANI et de certaines de ses dispositions sur le temps partiel, la lutte contre la précarité ou les avenants temporaires. Je dois dire que j’apprécie beaucoup que, dans le titre II, la négociation soit renvoyée aux accords de branche, et non plus aux accords d’entreprise – ce qui tranche avec la loi LME. J’espère que, de cette façon, les femmes seront mieux défendues.

Mme Geneviève Bel, vice-présidente chargée de l’entrepreneuriat, à la CGPME. Tout d’abord, la CGPME considère qu’il y a suffisamment de textes sur la QVT pour qu’on n’ait pas à légiférer dessus. Nous serions déjà heureux que l’on applique déjà les textes existants.

Je précise que lors de la Grande conférence sociale, nous avions proposé que les quinze derniers jours du congé maternité puissent être pris indifféremment par le père ou par la mère à la demande du couple. C’était une première ouverture.

S’agissant de l’ANI, je reviendrai uniquement sur le temps partiel. Pour moi, qui ai publié en 2008 « Les femmes face au travail à temps partiel », ce texte constitue une réelle avancée. Je pense plus particulièrement au nombre minimal d’heures hebdomadaires qui ouvre aux femmes des droits à la sécurité sociale et au chômage, et à la meilleure répartition des horaires dans la journée. En même temps, le fait qu’il soit possible de déroger aux 24 heures hebdomadaires laisse une certaine liberté. Il sera ainsi possible, pour la femme d’un certain âge, dont les parents sont dépendants, ou pour l’étudiant, de moduler son temps de travail selon les périodes. N’oublions pas non plus que dans les petites entreprises, une avancée pour les salariés constitue aussi une avancée pour les patrons.

Mme Ségolène Neuville, rapporteure. Sur deux points particuliers, j’aimerais connaître votre position au cours des négociations.

Premièrement, il est possible de déroger au nombre minimal d’heures hebdomadaires, à condition de regrouper les horaires de travail du salarié sur des journées ou des demi-journées, régulières ou complètes. Pourquoi cette condition n’est-elle pas posée quand le temps de travail hebdomadaire est de 24 heures ou plus ? Même dans ce cas, le salarié intéressé peut souhaiter regrouper ses heures et cumuler son emploi avec un autre. Quel est votre point de vue ?

Deuxièmement, le texte limite à huit le nombre des avenants d’heures complémentaires. Quelle est votre position en la matière ? En auriez-vous voulu davantage ? Avez-vous discuté de la durée des avenants ? Auriez-vous voulu qu’elle soit prise en compte ? La rémunération des heures correspondantes dépendant de la négociation de l’accord de branche, celles-ci pourront être rémunérées comme des heures normales. Qu’en pensez-vous ?

M. Georges Tissié, directeur des affaires sociales à la CGPME. Au risque de paraître négatif, je voudrais restituer dans son contexte cette question du temps partiel et l’article 8 du projet de loi qui reprend, avec quelques différences, l’article correspondant de l’accord.

L’avantage de cet accord est d’avoir posé un cadre plus précis, et à certains égards plus contraignant, que ce qui existait auparavant. Il ne faut pas que votre Délégation sous-estime cet aspect contraignant. Ce n’est pas une critique, c’est un constat.

Certains secteurs professionnels nous en ont fait le reproche. Ainsi, nous sommes passés pour « fous » auprès des commerçants non sédentaires qui nous ont fait remarquer qu’une grande partie de leurs salariés n’atteignaient pas, et de loin, le seuil minimal de 24 heures de travail hebdomadaire – que vous-mêmes considérez comme une disposition quasiment « d’ordre public ».

Nous avons tenu le même discours à la commission des Affaires sociales. Sur cet article comme sur les autres, nous nous sommes attachés à réaliser un équilibre entre les préoccupations des organisations de salariés et celles des organisations patronales. Et ce qui est valable pour la durée minimale de 24 heures l’est aussi pour les avenants.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Je pensais que les avenants existaient déjà dans la loi. Les représentants des syndicats viennent de nous dire que ce n’était pas une pratique légale, mais simplement assez courante.

M. Benoît Roger-Vasselin. Une pratique non codifiée, mais ratifiée par la jurisprudence.

Mme la présidente Catherine Coutelle. La jurisprudence a tendance à prendre en compte la durée des avenants.

M. Georges Tissié. Premièrement, y compris sur les avenants, il ne faut pas négliger les avancées que permet ce texte. Deuxièmement, si les partenaires sociaux, patronaux et salariés, ont voulu encadrer et codifier certaines pratiques qui ne l’étaient pas, ils n’ont pas voulu pour autant empêcher le temps partiel.

Le temps partiel n’est pas un mode de travail anormal. C’est souvent, pour des hommes, et encore plus pour des femmes, un moyen de s’insérer. Il faut faire attention à ne pas diaboliser le temps partiel, d’autant que les contrats à temps partiel sont le plus souvent des contrats à durée indéterminée.

M. Benoît Roger-Vasselin. Vous nous avez demandé si, tel qu’il était, cet accord nous convenait. Je vous précise qu’il s’agit d’un compromis et que les organisations d’employeurs, tout comme les organisations syndicales, auraient souhaité aller plus loin, dans un sens comme dans l’autre. Mais nous avons pris l’engagement de défendre tout l’accord et rien que l’accord. Maintenant que nous avons donné notre parole, il n’est pas question de nous demander d’aller au-delà.

Certaines dispositions peuvent être considérées comme des avancées par les uns, et comme des reculades par les autres. Encore une fois, il ne s’agit pas d’un consensus, mais d’un compromis, chacun ayant fait des efforts en direction de l’autre.

Nous avons voulu montrer à nos partenaires et aux salariés à temps partiel que nous étions conscients de l’existence de situations anormales, même si les employeurs de certains secteurs se trouvent confrontés à des contraintes spécifiques. Un responsable de maison de retraite m’a ainsi récemment indiqué que cet accord lui posait de graves problèmes, dans la mesure où une grande partie de ses salariés travaillait moins de 24 heures par semaine.

Il faudra repenser l’organisation du travail en fonction des engagements que nous avons pris vis-à-vis de nos partenaires. Cela nous posera des difficultés, mais nous ferons en sorte de les résoudre. Nous comptons procéder de façon progressive – et c’est bien pourquoi je vous ai indiqué tout à l’heure que nous nous placions dans la durée – en faisant confiance aux accords de branche. Je viens de vous parler des maisons de retraites, mais je pourrais vous parler des drugstores, qui sont ouverts tous les jours de l’année, de 8 heures à 2 heures du matin ou de bien d’autres cas, qui vont immanquablement se présenter à nous.

Madame la rapporteure, vous vous êtes interrogée sur le nombre ou la durée des avenants. Pourquoi s’est-on arrêté à 8, plutôt qu’à 9 ou à 7 ? Parce qu’à un certain moment, il a fallu faire un arbitrage. Dans bien des domaines, nous pensons que les mesures qui ont été adoptées ne seront pas forcément les plus efficaces, mais qu’elles étaient sans doute nécessaires, ne serait-ce que pour restaurer le climat de confiance entre les salariés et les employeurs. C’est ainsi que nous parviendrons progressivement à faire évoluer les choses.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Nous savons que certaines entreprises – et pas seulement les petites – ont besoin de souplesse. Mais nous craignons que les grands secteurs très demandeurs de temps partiel – la restauration, la grande distribution, les services de propreté et à la personne, qui emploient une très forte majorité de femmes – n’en viennent à contourner cet accord.

Je vous rejoins sur ce point : cet accord est un compromis, résultat des efforts faits par les uns envers les autres. La méthode, que le Président de la République a appelée de ses vœux, est véritablement innovante. On peut même parler d’une première.

M. Benoît Roger-Vasselin. Il y a eu beaucoup d’autres accords de ce type signés au cours des dernières années.

Mme la présidente Catherine Coutelle. En effet, mais ils donnaient la priorité aux accords d’entreprise. Pour ma part, je leur préfère les accords de branche qui sont plus favorables aux salariés – surtout aux femmes, qui sont moins syndiquées.

Cela dit, vos organisations donneront-elles des indications pour négocier ces accords de branche ? Attendez-vous du Gouvernement qu’il en donne ? Il ne faudrait pas que ces accords soient l’occasion de revenir sur le délai de prévenance et la limitation des coupures dans la journée. Les secteurs très demandeurs de temps partiel vont sûrement demander des dérogations, d’autant plus qu’ils ont pris de mauvaises habitudes.

Je me réjouis en tout cas que les femmes travaillant à temps partiel puissent bénéficier d’une complémentaire santé. De fait, celles-ci sont de plus en plus touchées par les maladies professionnelles, qui ont augmenté de 121 %, et par les accidents de trajet, qui ont augmenté de 27 % - alors même qu’ils ont diminué de 27 % chez les hommes.

Les maladies professionnelles augmentent parce que le temps partiel est très fatigant et très usant. Ainsi, les maladies musculo-squelettiques se développent parmi les salariées des EHPAD qui doivent soulever des personnes âgées des heures durant. Ces salariées ne pourraient d’ailleurs pas le faire à temps plein.

En conclusion, je ne fais pas de procès d’intention. Je suis favorable à la négociation des partenaires sociaux, mais je crains que des dérogations n’aboutissent à dénaturer cet accord.

Mme Suzanne Tallard. Il y aura des dérogations, et il risque d’y avoir des dérives. Un dispositif de suivi a-t-il été prévu ?

M. Benoît Roger-Vasselin. Premièrement, les secteurs dont vous parlez ont pris les devants. C’est pourquoi, lors de la Grande conférence sociale qui s’est tenue au mois de juillet dernier, le Premier ministre a rendu hommage, notamment, au secteur de la propreté qui, bien avant cette date, avait travaillé de façon concertée avec les organisations syndicales pour trouver le moyen de codifier le temps de travail.

Deuxièmement, quinze jours avant que l’on ne se réunisse pour faire le point sur l’avancement de cette conférence, un colloque s’est tenu à Rouen. Il a permis de travailler de façon concertée et paritaire sur les premières propositions qui avaient été faites, pour voir précisément comment la situation avait évolué et si elles devaient être amendées.

Je pense que ces secteurs sont parfaitement conscients de leur responsabilité, et je rejoins les propos de M. Tissié. Soit l’on considère que le temps partiel est une forme de travail qui doit avoir une place pleine et entière, et il faut alors en harmoniser les conditions ; soit l’on considère que le temps partiel est un problème.

J’ai cru comprendre, madame la présidente, qu’il ne fallait pas, en particulier dans les EHPAD, que les personnes embauchées à temps partiel travaillent à temps plein ….

Mme la présidente Catherine Coutelle. J’ai voulu dire que dans les secteurs où l’on pratique le temps partiel, comme dans la grande distribution ou dans les EHPAD, les salariés, qui sont à 80 % des femmes, ne pourraient pas tenir s’ils travaillaient à temps plein. Cela ne signifie pas qu’ils ne préfèreraient pas occuper un travail à temps plein.

Dans les pays du Nord, il n’est pas rare que des salariés prennent leur retraite à 65, 67 ans, voire 70 ans. Mais le travail y est organisé bien différemment de chez nous, sans stress ni pression. En France, les conditions sont telles, surtout dans ces secteurs, que les femmes ne pourraient pas travailler à temps plein, mais cela ne signifie pas qu’elles souhaitent travailler à temps partiel.

M. Benoît Roger-Vasselin. Ce n’est pas ce que j’ai voulu vous faire dire. Je pense qu’il faut accorder au temps partiel une place pleine et entière, et harmoniser les conditions de son exercice. C’est un peu l’objet de cet accord et le sens des engagements qu’a pris la délégation d’employeurs. Certaines situations étant effectivement très préjudiciables aux salariés, nous n’y parviendrons que progressivement.

Mais je ferai une parenthèse à propos des accidents de trajet, dont l’augmentation, mécaniquement explicable, est toutefois préoccupante. L’hypothèse que vous avez émise, selon laquelle certaines tâches sont très fatigantes, voire pénibles, mérite d’être creusée. C’est d’ailleurs ce que nous faisons dans le cadre de la négociation sur la qualité de vie au travail. En effet, ces dernières années, l’une des rares négociations qui n’a pas abouti concernait précisément la pénibilité.

L’accord sur lequel on discutait comportait deux parties, sur la prévention et sur la réparation. Tout le monde était d’accord sur les mesures de prévention. De très intéressantes expériences avaient été menées dans certains secteurs pour alléger certaines tâches et limiter les risques de troubles musculo-squelettiques qui apparaissent avec l’âge – par exemple, des coussins gonflables pour que les femmes de chambre n’aient plus à se baisser. Il était important de ne pas s’opposer sur la prévention qui, à long terme, permettra de faire baisser la réparation.

Le problème est venu du fait que les organisations d’employeurs souhaitaient que la réparation passe par un examen médical individuel, alors que les organisations syndicales souhaitaient que cette réparation soit « catégorielle ». Le fait d’appartenir à une catégorie donnée aurait automatiquement ouvert le droit de bénéficier de mesures de réparation. Mais, selon les organisations d’employeurs et le ministère du travail, cela aurait abouti à recréer des régimes spéciaux.

Je terminerai sur la question relative au suivi de cet accord. Comme dans tous les accords, il est prévu qu’un comité de suivi se réunisse régulièrement pour en étudier les effets. En outre, le comité de suivi de l’Agenda social se saisit des accords qui sont en cours, examine la façon dont ils s’appliquent et signe éventuellement des avenants. C’est ainsi que nous avons déjà signé deux avenants à l’accord de janvier 2008 sur la modernisation du marché du travail. En observant en temps réel comment il s’appliquait, nous avons pu nous rendre compte d’un certain nombre d’anomalies, voire d’aberrations, que nous n’avions pas décelées plus tôt.

Mm Geneviève Bel. Cet accord permet de nombreuses avancées, mais au moment de sa signature, certaines entreprises ont fait des réclamations. Son application va demander une organisation complexe. Commençons donc par le laisser vivre.

Mme Conchita Lacuey. Quand je vous écoute, je suis un peu inquiète. Si j’ai bien compris, il y a un accord. Cet accord doit être appliqué. Mais j’entends parler de dérogations. La dérogation sera-t-elle la règle ?

Mme Geneviève Bel. Les dérogations doivent être motivées.

Mme Conchita Lacuey. Mais comment ? Dans certaines professions ou dans certains secteurs, on risque de revenir à un temps partiel subi.

M. Benoît Roger-Vasselin. Des dérogations sont prévues par les accords de branche, lesquels doivent être signés par les partenaires sociaux. Les dérogations individuelles ne peuvent intervenir qu’à la demande écrite et motivée du salarié. Je peux vous dire, pour avoir participé aux réunions patronales préparatoires, qu’il a été difficile de le faire admettre à la délégation patronale. Mais maintenant, nous sommes engagés.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Ma chère collègue, ces accords de branche sont signés par les représentants du patronat et les représentants des salariés. Il n’y aura donc de dérogations que si la majorité des représentants des salariés les approuve.

M. Benoît Roger-Vasselin. Au niveau de la branche.

M. Georges Tissié. Mme Lacuey pose un problème de fond. Je lui répondrai que nous ne sommes pas dans un pays anglo-saxon, mais en France, un pays de droit écrit qui a l’habitude d’adopter des textes extrêmement complets, notamment en droit du travail. C’est le cas de l’article 8 qui transcrit l’article correspondant de l’accord et encadre la négociation de branche. Cela devrait la rassurer.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Je pense que la majorité des députés a apprécié que l’on soit parvenu à un accord, compromis qui résulte des avancées faites par chacun. Mais comme nous l’a dit le ministre, certains points sont restés trop généraux ou imprécis.

Le texte qui retranscrit cet accord dans la loi a déjà été amélioré. Le rôle des députés que nous sommes est maintenant d’apprécier cet accord et, sans le dénaturer, d’améliorer et de préciser le texte par des amendements. Le rôle de la Délégation est de faire en sorte que ces précisions soient favorables aux femmes. De fait, même si les temps ont un peu changé, il faut reconnaître que l’égalité professionnelle et les droits des femmes ont souvent été oubliés dans les négociations, ne serait-ce que parce que ce n’était pas la priorité des partenaires sociaux, quels qu’ils soient.

Mais faut-il faire prendre toute sa place au temps partiel, qui est apparu dans les années quatre-vingt-dix, au travers de certains textes de loi visant à lutter contre le chômage ? Faut-il même « favoriser » le temps partiel ? Cela suggère que le salaire des femmes reste un salaire d’appoint, ce qui est totalement en contradiction avec l’évolution des familles, notamment le développement des familles monoparentales. Ce que l’on appelle le « temps partiel choisi » n’est d’ailleurs le plus souvent qu’une solution imposée aux femmes qui doivent s’occuper de leurs enfants ou de leurs parents âgés.

Enfin, j’ai bien entendu vos propos sur la négociation en cours sur la qualité de vie au travail. En tant que présidente de la Délégation, je me préoccupe de l’articulation vie professionnelle/vie familiale. J’ai même été l’une des premières à monter à Poitiers, dans les années 2000, une Agence des temps, ce qui m’a amenée à beaucoup travailler avec les entreprises. Mais je tiens à vous faire remarquer que, aussi importantes qu’elles soient, ces questions de qualité de vie au travail ne sont qu’un des aspects de l’égalité professionnelle.

Je vous remercie d’avoir accepté de venir nous faire part de vos observations, qui nous seront très utiles pour la suite de notre travail.

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1 () Rapport du Sénat n° 279 « Femmes et travail : agir pour un nouvel âge de l’émancipation par Mme Brigitte Gonthier-Maurin

2 () Rapport du CESE « Femmes et précarité » par Mme Evelyne Duhamel et M. Henri Joyeux

3 () Rapport d’information (n°629) de Mme Cécile Untermaier présente le 15 janvier 2013 au nom de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des femmes.


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