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N° 2701

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 7 avril 2015.

RAPPORT D’ACTIVITÉ

FAIT

AU NOM DE LA DÉLÉGATION AUX OUTRE-MER (1)

janvier 2014 – mars 2015

PAR

M. Jean-Claude FRUTEAU

Député

——

(1) La composition de cette Délégation figure au verso de la présente page.

La Délégation aux Outre-mer est composée de : M. Jean-Claude Fruteau, président ; Mme Huguette Bello, Mme Chantal Berthelot, Mme Sonia Lagarde, M. Serge Letchimy, M. Didier Quentin vice-présidents ; Mme Brigitte Allain, M. Dominique Bussereau, M. Bernard Lesterlin, secrétaires ; M. Ibrahim Aboubacar, M. Bruno Nestor Azerot, Mme Ericka Bareigts, M. Jean-Jacques Bridey, M. Ary Chalus, M. Alain Chrétien, M. Stéphane Claireaux, M. Édouard Courtial, M. René Dosière, Mme Sophie Errante, M. Georges Fenech, M. Hervé Gaymard, M. Daniel Gibbes, M. Philippe Gomes, M. Philippe Gosselin, Mme Geneviève Gosselin, M. Mathieu Hanotin, M. Philippe Houillon, M. Guénhaël Huet, Mme Monique Iborra, M. Éric Jalton, M. Serge Janquin, M. François-Michel Lambert, M. Guillaume Larrivé, M. Patrick Lebreton, M. Gilbert Le Bris, M. Patrick Lemasle, M. Bruno Le Roux, M. Michel Lesage, Mme Gabrielle Louis-Carabin, M. Victorin Lurel, M. Thierry Mariani, M. Alfred Marie-Jeanne, M. Hervé Mariton, M. Olivier Marleix, M. Jean-Philippe Nilor, M. Patrick Ollier, Mme Monique Orphé, M. Napole Polutélé, M. Thierry Robert, M. Camille de Rocca Serra, Mme Maina Sage, M. Boinali Said, M. Paul Salen, M. François Scellier, M. Gabriel Serville, M. Jonas Tahuaitu, M. Jean-Charles Taugourdeau, M. Jean-Paul Tuaiva, M. Jean Jacques Vlody

SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION 5

I. LES RAPPORTS D’INFORMATION DE LA DÉLÉGATION AUX OUTRE-MER 9

A. LES RAPPORTS D’INFORMATION THÉMATIQUES 9

1. Le rapport d’information sur la réforme du marché européen du sucre 9

a. Les caractéristiques actuelles du marché européen du sucre 9

b. Les propositions du rapport pour améliorer la compétitivité de la filière « canne-sucre » outre-mer 10

c. La réponse favorable du Gouvernement pour certaines de ces propositions 11

2. Le rapport d’information sur le pacte de responsabilité et son application outre-mer 11

a. La problématique du pacte de responsabilité dans les territoires ultramarins 12

b. Les propositions retenues par le rapport pour accroître la portée du pacte de responsabilité dans les DOM et dans les COM 12

c. La position du Gouvernement 13

B. LES RAPPORTS D’INFORMATION SUR DES PROJETS DE LOI 13

1. Le rapport d’information sur le projet de loi relatif à la transition énergétique 14

a. Les enjeux du projet de loi pour les collectivités ultramarines 14

b. Les orientations retenues par le texte en faveur des DOM et des COM 15

c. Les apports de la Délégation pour compléter le projet de loi 15

2. Le rapport d’information sur le projet de loi relatif à la santé 17

a. La situation spécifique des Outre-mer en matière de santé publique 17

b. Les solutions apportées par le projet de loi 18

c. Les amendements de la Délégation 18

II. LES AUTRES CENTRES D’INTÉRÊT DE LA DÉLÉGATION 20

A. LES DIFFÉRENTS MOYENS PERMETTANT DE MIEUX FAIRE ACCÉDER LES RESSORTISSANTS ULTRAMARINS AUX EMPLOIS, PUBLICS OU PRIVÉS, CRÉÉS DANS LEURS TERRITOIRES 20

B. LES MOYENS PERMETTANT DE MIEUX CONNAÎTRE LES ATTENTES DES ULTRAMARINS DE L’HEXAGONE 21

C. LA MICROFINANCE DANS LES OUTRE-MER 22

TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION 25

AUDITIONS MENÉES PAR LA DÉLÉGATION SUR LES SUJETS CITÉS DANS LA SECONDE PARTIE DU RAPPORT 29

Mesdames, Messieurs,

Ce rapport constitue le second rapport d’activité de la Délégation aux outre-mer depuis sa création, c’est-à-dire depuis le 17 juillet 2012. Il couvre la période qui s’étend de janvier 2014 à mars 2015, soit quinze mois.

Durant cette période, les travaux de la Délégation, malgré l’interruption de la session parlementaire liée aux élections municipales de mars 2014, se sont poursuivis à un rythme très soutenu.

Deux éléments statistiques attestent de cette activité :

– tout d’abord, le nombre des réunions de la Délégation ; de janvier 2014 à mars 2015, celle-ci s’est en effet réunie 20 fois, pour une durée globale d’un peu plus de 27 heures ; elle a procédé à 14 auditions au cours desquelles elle a entendu notamment deux ministres : Mme Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, et Mme George Pau-Langevin, ministre des Outre-mer ; elle a auditionné également une quarantaine de responsables ou d’experts, ces derniers exerçant leurs fonctions aussi bien dans le secteur public que dans le secteur privé ;

– d’autre part, le nombre des rapports publiés ; indépendamment de son premier rapport d’activité paru en février 2014 (n° 1760), la Délégation a, en effet, réalisé quatre rapports d’information au cours des quinze derniers mois.

Ces rapports sont les suivants :

– le rapport n° 1926 intitulé : « La réforme du marché européen du sucre : pour que les solutions d’aujourd’hui ne deviennent pas les problèmes de demain » (paru en mai 2014) ;

– le rapport n° 2038 intitulé : « Le pacte de responsabilité et les Outre-mer : éléments d’analyse » (paru en juin 2014) ;

– le rapport n° 2197 intitulé : « Les Outre-mer face au défi de la mutation énergétique et écologique » (paru en septembre 2014) ;

– le rapport n° 2581 intitulé : « La santé outre-mer : des réformes urgentes pour résorber les inégalités » (paru en février 2015).

Ces rapports représentent un nombre total de 416 pages (519 pages si l’on compte le premier rapport d’activité de février 2014).

En outre, si l’on se réfère au rythme des publications, en comptant toujours le premier rapport d’activité, la Délégation, sur les quinze derniers mois, a fait paraître exactement un rapport tous les trois mois.

En ce qui concerne l’approche des problèmes, le président de votre Délégation, cette année encore, est resté très attaché à la volonté de croiser les différents points de vue.

C’est ainsi que les rapports d’information sur des sujets transversaux ont toujours été confiés à au moins deux députés – soit un député de la majorité et un député de l’opposition, soit un député ultramarin et un député de l’hexagone.

Par exemple, le rapport sur le pacte de responsabilité a été confié à deux députés de sensibilité différente : M. Jean-Claude Fruteau (SRC) et M. Daniel Gibbes (UMP) ; le rapport sur la réforme du marché européen du sucre a été attribué à deux députés ultramarins et à un député de l’hexagone : MM. Jean-Claude Fruteau et Patrick Lebreton, députés de La Réunion, et M. Philippe Gosselin, député de la Manche.

D’autre part, les rapports d’information concernant les projets de loi – s’ils ne peuvent être confiés, du fait du règlement de l’Assemblée nationale, qu’à un seul rapporteur – font une large place, dans le cadre de leurs propositions, à tous les avis émis au sein de la Délégation.

De la sorte, tous les rapports produits par la Délégation sont toujours le fruit de discussions collectives très approfondies. Telle est la raison pour laquelle ils sont généralement adoptés à l’unanimité.

Par ailleurs, si l’on aborde la place des rapports de la Délégation dans le processus normatif, on peut remarquer que, compte tenu de leur aspect fortement documenté et consensuel, ces derniers, qu’ils soient thématiques ou législatifs, ont toujours abouti, au cours de ces quinze derniers mois, à de réelles avancées juridiques.

Ainsi, le rapport sur la réforme du marché européen du sucre, après avoir été remis, lors de sa publication, au Premier Ministre et au Président de la République, a été l’occasion pour ce dernier, le 21 août 2014, lors de son déplacement officiel à La Réunion, de s’exprimer sur l’avenir de la filière « canne-sucre ». À cette occasion, le Président de la République a fait part de sa volonté de maintenir l’intégralité des financements nationaux et européens existant pour cette filière dont la pérennisation a été qualifiée de « cause nationale ». Il a affirmé, de surcroît, qu’il demanderait à l’Union européenne l’autorisation – à partir d’octobre 2017, date de la fin des quotas de production et d’exportation – de mettre en place 38 millions d’euros d’aides supplémentaires annuelles pour l’industrie sucrière des DOM – ce chiffre résultant d’un calcul effectué dans le cadre du rapport de la Délégation sur la base d’une production annuelle d’environ 270 000 tonnes, dont 205 000 tonnes pour ce qui concerne La Réunion – afin de soutenir la compétitivité de cette filière face aux producteurs européens.

Par ailleurs, s’agissant du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, le rapport d’information de la Délégation sur ce texte, ainsi que les amendements déposés par le rapporteur de la Délégation, M. Serge Letchimy, après la publication du rapport, ont permis d’obtenir un certain nombre de mesures importantes ; on citera notamment : l’insertion d’objectifs chiffrés dans l’article 1er du projet de loi concernant le développement des énergies nouvelles au sein des Outre-mer ; l’accroissement des pouvoirs des conseils régionaux des DROM qui pourront désormais instituer des plans régionaux visant à favoriser le développement de l’économie circulaire ; la possibilité, pour l’État, de prévoir des mesures spécifiques d’accompagnement permettant une meilleure application des dispositifs prévus par la loi dans les COM ; l’admission de Wallis-et-Futuna au bénéfice de la CSPE – la contribution au service public de l’électricité – pour sa production locale d’énergie électrique ; l’édiction de sanctions pour l’abandon des véhicules usagés, que ce soit sur la voie publique ou dans les propriétés privées ; l’adaptation des cahiers des charges des éco-organismes aux spécificités des collectivités ultramarines ; et enfin, la possibilité, pour certaines collectivités ultramarines, d’améliorer le traitement initial des déchets ménagers, et ce en vue de faciliter leur transport transfrontalier et donc leur recyclage dans des pays appartenant ou non à l’Union européenne.

C’est ainsi que, tout au long de l’année qui vient de s’écouler, la Délégation a su faire entendre sa voix, tant sur des sujets thématiques que sur des sujets d’actualité législative.

Enfin, on notera que la Délégation organise parfois des débats ponctuels, dans le cadre d’auditions ou de tables rondes qui ne sont pas liées directement à la réalisation d’un rapport.

Ainsi, au cours de la période considérée, elle a procédé à trois auditions de ce type :

– l’audition, en commun avec le Sénat, de M. Patrick Lebreton, parlementaire en mission auprès de M. Victorin Lurel, ministre des Outre-mer, chargé d’un rapport visant à identifier les moyens de mieux faire profiter les ressortissants ultramarins des emplois, publics ou privés, créés dans leurs territoires (5 février 2014) ;

– l’audition de Mme Sophie Elizéon, Déléguée interministérielle pour l’égalité des chances des Français d’outre-mer, dans le cadre d’une conférence débat intitulée « Ultramarins de l’hexagone : du stéréotype à la réalité », conférence placée sous le haut patronage de M. Claude Bartolone, président de l’Assemblée nationale, et ayant lieu en présence de Mme George Pau-Langevin, ministre des Outre-mer (15 octobre 2014) ;

– l’audition de Mme Pierrette Crosemarie, membre du Conseil économique, social et environnemental (CESE) et rapporteure de l’avis, adopté par le CESE en séance plénière le 10 février 2015, sur « La microfinance dans les Outre-mer » (3 mars 2015).

Au total, avec ces auditions, la Délégation a pu s’affirmer comme étant un lieu de réflexion privilégié pour tous les sujets relatifs aux territoires ultramarins.

Le présent rapport reprend ces différents points.

La première partie a trait au contenu et à la portée des différents rapports d’information présentés par la Délégation au cours des quinze derniers mois.

La seconde partie porte sur les thèmes d’étude ponctuels retenus par la Délégation dans le cadre de certaines de ses auditions. Les comptes rendus de ces auditions figurent en annexe du rapport.

*

* *

I. LES RAPPORTS D’INFORMATION DE LA DÉLÉGATION AUX OUTRE-MER

De janvier 2014 à mars 2015, les rapports d’information présentés par la Délégation aux outre-mer ont été au nombre de quatre : deux rapports d’information sur des sujets thématiques et deux rapports d’information consacrés à l’étude de projets de loi déposés par le Gouvernement.

Les rapports thématiques ont porté sur la réforme du marché européen du sucre et sur la mise en œuvre du pacte de responsabilité outre-mer.

Les rapports d’information consacrés aux projets de loi ont concerné le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte et le projet de loi relatif à la santé.

A. LES RAPPORTS D’INFORMATION THÉMATIQUES

Durant les quinze derniers mois, les rapports d’information consacrés à des sujets d’études à caractère général ont été au nombre de deux.

La Délégation a ainsi adopté, le 6 mai 2014, un rapport sur la réforme du marché européen du sucre (n° 1926), rédigé par M. Jean-Claude Fruteau, président de la Délégation et député de La Réunion, par M. Philippe Gosselin, député de la Manche, et par M. Patrick Lebreton, député de La Réunion. Elle a également adopté, le 17 juin 2014, un rapport sur le pacte de responsabilité et les Outre-mer (n° 2038), rédigé par le président de la Délégation et par M. Daniel Gibbes, député de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin.

1. Le rapport d’information sur la réforme du marché européen du sucre

Le rapport se livre à une étude sur la situation actuelle du marché européen du sucre. Cette situation, à bien des égards, paraît inquiétante. Aussi, les rapporteurs proposent-ils un certain nombre de remèdes pour améliorer la compétitivité de la filière « canne-sucre » dans les collectivités ultramarines. Après la publication du rapport, le Gouvernement s’est montré favorable à certaines de ces propositions.

a. Les caractéristiques actuelles du marché européen du sucre

L’Organisation commune du marché du sucre a été créée en 1968. Elle est actuellement régie par le règlement CE n° 318/2006 du Conseil du 20 février 2006 qui repose sur un système classique de quotas de production et de prix de soutien.

Compte tenu de l’aide apportée par Bruxelles à ce secteur, le niveau des exportations de l’Union européenne est très encadré par l’Organisation mondiale du commerce. Ainsi, la capacité d’exportation de l’Europe est-elle limitée à un peu plus d’un million de tonnes de sucre par an, cette quantité étant calculée en équivalent sucre blanc.

À compter du 1er octobre 2017, lorsque la durée de validité du règlement européen de 2006 aura expiré, l’Union européenne va retrouver toute sa capacité d’exportation. À l’inverse, il n’y aura plus de prix de soutien pour les producteurs de sucre nationaux, ni de garantie d’achat en cas de mévente.

Par ailleurs, les prix européens du sucre vont probablement s’aligner sur les prix du marché mondial, c’est-à-dire qu’ils risquent de baisser fortement.

Cette situation ne peut que préoccuper les industriels des départements d’outre-mer producteurs de sucre, c’est-à-dire la Martinique, la Guadeloupe et La Réunion.

Compte tenu de l’étroitesse du marché local, les entreprises ne pourront maintenir leur activité que si elles restent compétitives sur le marché européen, leur débouché principal. Or, cette compétitivité est freinée par des coûts de production plus élevés que dans l’hexagone et par une quasi-impossibilité de réaliser rapidement des économies d’échelle.

La suppression des quotas annoncée pour 2017 ne peut donc intervenir dans les DOM qu’en étant accompagnée de mesures spécifiques qui en atténueront les effets.

b. Les propositions du rapport pour améliorer la compétitivité de la filière « canne-sucre » outre-mer

Le rapport comporte sept propositions destinées à favoriser le développement de la filière « canne-sucre » dans les départements d’outre-mer et à compenser les effets négatifs de la suppression des quotas de production décidée par Bruxelles.

Ces sept propositions sont les suivantes :

– créer un observatoire chargé du suivi de l’évolution des prix sur le marché européen du sucre ;

– poursuivre une politique active en matière de préservation des espaces fonciers consacrés à la canne à sucre ; en effet, si la filière « canne-sucre » des DOM a poursuivi et poursuit encore ses efforts en termes de productivité et de rendements, le maintien d’une sole cannière importante reste une condition clé de son développement futur ;

– augmenter le soutien de l’État en faveur de la filière en faisant passer le niveau d’intervention autorisé par le règlement (UE) n° 228/2013 du Parlement européen et du Conseil du 13 mars 2013 de 90 millions d’euros à 128 millions d’euros annuels (soit une hausse de 38 millions d’euros par an) ;

– solliciter EDF pour la réalisation d’une étude visant à augmenter le prix d’achat de la bagasse (résidu de la canne à sucre après pressage et récupération du sucre au sein des sucreries) lorsque celle-ci est utilisée pour alimenter les centrales thermiques ;

– accompagner les démarches des DOM visant à obtenir, au niveau européen, l’identification de leur production par le sigle IGP (« indication géographique protégée ») ;

– exclure le sucre roux des libéralisations accordées par l’Union européenne dans le cadre des négociations internationales concernant les importations de sucre sur le marché européen, ou bien – ce qui revient au même – prévoir le maintien des tarifs douaniers pour ce type de sucre quand il est produit par des pays tiers ;

– enfin, renforcer le rôle central de la culture de la canne à sucre outre-mer en valorisant fortement ses différents dérivés.

c. La réponse favorable du Gouvernement pour certaines de ces propositions

Le Gouvernement a accueilli avec intérêt les propositions contenues dans le rapport de la Délégation.

Cette attention du Gouvernement s’est manifestée de deux manières :

– tout d’abord, le 22 mai 2014, la ministre des Outre-mer, Mme George Pau-Langevin, en réponse à une question au Gouvernement de M. Jean-Claude Fruteau, s’est montrée tout à fait favorable à une exclusion du sucre roux des négociations internationales de libre-échange ayant lieu actuellement entre les pays de la zone ACP et l’Union européenne (question n° 1870, publiée au JO le 22 mai 2014, page 3329) ;

– par ailleurs, le Président de la République, le 21 août 2014, lors de sa visite à La Réunion, a clairement énoncé sa décision de maintenir l’intégralité des financements européens et nationaux existants en faveur de la filière « canne-sucre » jusqu’en 2017 ; de plus, il a affirmé qu’il demanderait à l’Union européenne l’autorisation, à compter de cette date, de mettre en place 38 millions d’euros supplémentaires pour l’industrie sucrière des DOM, en vue de maintenir sa compétitivité face aux producteurs européens, et donc sa pérennité.

2. Le rapport d’information sur le pacte de responsabilité et son application outre-mer

Le rapport d’information sur le pacte de responsabilité et sa déclinaison outre-mer a pour objet d’étudier comment il serait possible de donner une résonnance maximale à ce texte dans les DOM et dans les COM.

Au terme de leur analyse du pacte de responsabilité, les rapporteurs ont pu observer que la simple application des dispositions contenues dans le pacte n’aurait finalement que très peu d’effets pour les collectivités ultramarines, dans la mesure où bon nombre de mesures y étaient déjà applicables de plein droit.

Les rapporteurs ont donc émis des propositions, afin d’accroître les effets attendus du pacte dans les territoires ultramarins.

Le Gouvernement, à la suite de ce rapport, est tombé d’accord – lors de la discussion sur le projet de loi de finances pour 2015 – pour accorder une aide supplémentaire aux secteurs déjà jugés « prioritaires »  par la loi pour le développement économique des Outre-mer du 27 mai 2009, ou LODEOM. Les mesures correspondantes seront présentées dans le cadre du projet de loi de finances pour 2016.

a. La problématique du pacte de responsabilité dans les territoires ultramarins

Le Président de la République, M. François Hollande, le 31 décembre 2013, a décidé l’institution d’un pacte de responsabilité et de solidarité pour abaisser le coût du travail et améliorer la compétitivité des entreprises.

Pour sa mise en place, le Gouvernement a déposé un projet de loi de finances rectificative pour 2014 (pour les dispositions fiscales), ainsi qu’un projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificative (pour les exonérations de cotisations).

Le pacte de responsabilité est destiné à avoir un impact considérable dans l’économie, dans la mesure où la dépense fiscale qui est associée à sa mise en œuvre, sur la période 2014-2017, s’élève à 20 milliards d’euros.

Cependant, il est à craindre que les mesures prévues – qui ont un caractère national – ne produisent pas leur plein effet dans les départements et les collectivités d’outre-mer. C’est le cas, par exemple, pour les baisses de charges sociales qui viennent recouper des exonérations déjà existantes.

Pour rétablir l’équilibre en faveur des Outre-mer, voire obtenir un petit différentiel plus favorable par rapport à l’hexagone compte tenu d’une situation économique locale difficile, la Délégation aux outre-mer a donc formulé un certain nombre de propositions, afin d’enrichir le pacte de responsabilité et de définir, en quelque sorte, sa déclinaison ultramarine.

b. Les propositions retenues par le rapport pour accroître la portée du pacte de responsabilité dans les DOM et dans les COM

Il s’agit du renforcement du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) dans les DOM. Mais d’autres mesures sont également préconisées qui concernent aussi bien les DOM que les COM : un dispositif en faveur des entreprises unipersonnelles pour faciliter l’embauche de leur premier salarié ; le report de cinq ans du début de la dégressivité des taux d’abattement liés aux zones franches d’activité ; l’extension de l’aide au fret qui ne serait plus réservée aux importations ou aux exportations en provenance ou en direction de l’Union européenne ; le maintien du régime de la TVA non perçue récupérable ; l’adaptation du crédit d’impôt développement durable à l’outre-mer ; et enfin, l’instauration d’une politique contractuelle d’envergure en faveur des collectivités territoriales relevant de l’article 74 de la Constitution.

c. La position du Gouvernement

Au cours de la discussion sur le projet de loi de finances pour 2015, le président de la Délégation, M. Jean-Claude Fruteau, a déposé un amendement visant à faire passer le CICE à 9 % dans les départements d’outre-mer (au lieu de 6 % en métropole) et à 12 % pour les secteurs « prioritaires » de la LODEOM.

Cet amendement a été discuté le 14 novembre 2014. Il n’a cependant pas pu être adopté, le Gouvernement ayant fait valoir que, si le principe d’une aide supplémentaire pour les secteurs « prioritaires » de la LODEOM était acquis, ce soutien serait présenté dans le cadre du projet de loi de finances pour 2016. Par ailleurs, le Gouvernement a déclaré qu’il n’était pas favorable, en ce domaine, à un recours au CICE, mais qu’il souhaitait plutôt procéder à une baisse des charges patronales.

La Délégation restera naturellement vigilante, lors de l’examen du prochain projet de loi de finances, afin de faire en sorte que la mise en œuvre du pacte de responsabilité s’accompagne de mesures concrètes en faveur des entreprises ultramarines.

B. LES RAPPORTS D’INFORMATION SUR DES PROJETS DE LOI

Les rapports d’information sur des projets de loi ont concerné le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte (n° 2188) et le projet de loi relatif à la santé (n° 2302).

Le premier rapport, rédigé par M. Serge Letchimy, député de la Martinique, a présenté la position de la Délégation à l’occasion de la première lecture du projet de loi sur la transition énergétique, à l’Assemblée nationale, le 1er et les 6, 7, 8, 10 et 14 octobre 2014. Le second rapport, rédigé par Mme Monique Orphé, députée de La Réunion, présente, lui aussi, la position de la Délégation à l’occasion de la première lecture du projet de loi sur la santé, également à l’Assemblée nationale, le 31 mars, le 1er avril, et les 2, 3, 7, 8 9, 10 et 14 avril 2015.

1. Le rapport d’information sur le projet de loi relatif à la transition énergétique

On étudiera ici succinctement les enjeux du projet de loi pour les collectivités ultramarines, les orientations retenues par le texte en leur faveur et les apports de la Délégation pour compléter le projet de loi.

a. Les enjeux du projet de loi pour les collectivités ultramarines

Le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte est un texte qui était très attendu par les Outre-mer.

La transition énergétique constitue, en effet, un enjeu incontournable pour les territoires ultramarins. C’est une nécessité pour eux compte tenu de leur forte dépendance aux hydrocarbures, liée à leur éloignement, et compte tenu aussi du coût élevé de l’énergie pour le pouvoir d’achat des ménages ainsi que pour les comptes d’exploitation des entreprises. C’est également une opportunité pour ces collectivités qui peut les conduire sur la voie d’un nouveau modèle de développement durable.

Face à cet enjeu, les territoires ultramarins disposent d’un fort potentiel. On peut distinguer les énergies marines (par exemple le projet SWAC à La Réunion ou le projet NEMO en Martinique visant à mettre en place une centrale flottante exploitant l’énergie thermique des mers à Bellefontaine ) ; la géothermie (par exemple la centrale de Bouillante en Guadeloupe) ; la biomasse (la Guadeloupe et La Réunion sont deux territoires qui exploitent des centrales thermiques utilisant de la bagasse, c’est-à-dire un résidu de la canne à sucre après passage dans les sucreries) ; l’hydro-électricité (la production est particulièrement importante en Guyane avec le barrage de Petit-Saut) ; l’énergie éolienne (La Réunion et la Guadeloupe font figure de leaders) ; et l’énergie photovoltaïque (par exemple, le projet développé par la société Hélios Bay dans la baie de Saint-Vincent en Nouvelle- Calédonie).

C’est ainsi que l’objectif d’autonomie énergétique des départements d’outre-mer a été posé dans les lois Grenelle I et II. Notamment, l’article 56 de la loi du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement (dite « Grenelle I ») fixe l’objectif de parvenir dans les DOM à l’autonomie énergétique dès 2030 avec, comme objectif intermédiaire, 50 % d’énergies renouvelables en 2020 (30 % pour Mayotte).

Le projet de loi sur la transition énergétique pour la croissance verte donne les moyens concrets pour parvenir à cette ambition et pour mettre en œuvre, selon l’expression d’un économiste américain réputé, M. Jérémy Rifkin, la « troisième révolution industrielle ».

b. Les orientations retenues par le texte en faveur des DOM et des COM

Tout d’abord, il convient de remarquer que le projet de loi comporte un certain nombre de mesures de portée générale qui, toutes, ont vocation à s’appliquer aux DOM. Tel est le cas, par exemple, pour l’obligation pour les propriétaires d’immeubles collectifs de procéder à des travaux d’isolation à l’occasion des ravalements, pour la création de sociétés de tiers-financement (sociétés qui peuvent participer au financement de ces travaux, lorsque les propriétaires ne disposent pas des ressources nécessaires, moyennant des prises de garanties sur les immeubles), pour l’augmentation du nombre des véhicules électriques, pour l’accroissement du nombre des bornes de recharge, etc.

Par ailleurs, les articles 61, 62 et 63 du texte – cette numérotation correspondant à la version initiale du projet de loi au moment de son dépôt à l’Assemblée – concernent spécifiquement les Outre-mer.

L’article 61 précise que la collectivité de Saint-Pierre-et-Miquelon dispose, comme les départements d’outre-mer, d’une programmation pluriannuelle de l’énergie.

L’article 62 prévoit le renouvellement des habilitations « énergie » en faveur des conseils régionaux de Guadeloupe et de Martinique jusqu’au renouvellement de ces assemblées, c’est-à-dire jusqu’en décembre 2015. En outre, conformément aux articles LO. 4435-6-1 et LO. 7311-7 du code général des collectivités territoriales, cette habilitation, à l’issue de ce premier délai, pourra encore être prorogée pour une durée ne pouvant dépasser le prochain renouvellement de ces collectivités, c’est-à-dire pour une durée susceptible de courir jusqu’à la fin de l’année 2021.

L’article 63, enfin, prévoit une meilleure articulation, dans les DOM, entre le schéma d’aménagement régional (SAR) – qui est l’outil principal de planification dans les collectivités d’outre-mer et qui a été créé par la loi n° 95-115 du 4 février 1995 d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire – et le schéma régional du climat, de l’air et de l’énergie (SRCAE) – qui est un outil important en matière d’écologie et qui a été créé par la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, c’est-à-dire par la loi instituant le « Grenelle II de l’environnement ». Le dispositif de coordination tend à intégrer le SRCAE dans le SAR, c’est-à-dire le schéma régional du climat, de l’air et de l’énergie dans le schéma d’aménagement régional.

c. Les apports de la Délégation pour compléter le projet de loi

Le rapport d’information sur le projet de loi, les 9 propositions que ce rapport contenait à l’issue de la discussion au sein de la Délégation, et enfin, les amendements déposés par le rapporteur, M. Serge Letchimy, ont permis d’inscrire dans le texte des mesures importantes.

Ces mesures sont les suivantes :

– l’insertion, dans le cadre de l’article 1er du projet de loi, d’objectifs chiffrés concernant le développement des énergies renouvelables dans les territoires ultramarins ; après la première lecture du texte à l’Assemblée, ces objectifs consistaient à atteindre, en 2020, un seuil de 30 % d’énergies renouvelables produites localement pour Mayotte, et de 50 % pour la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane et La Réunion ; après le passage du texte en première lecture au Sénat, le seuil a été porté à 50 % pour tous les départements d’outre-mer, toujours pour l’année 2020 ;

– l’extension du champ d’application de l’habilitation « énergie » prévue à l’article 62 du projet de loi en faveur du conseil régional de Martinique ; cette extension correspond aux demandes formulées par ce conseil régional, dans sa délibération n° 13-752-6 du 17 mai 2013, publiée au Journal officiel le 26 juillet 2013 ;

– la création d’un pouvoir réglementaire autonome de codification dévolue au président du conseil régional de Martinique, afin de lui permettre de mettre en cohérence tous les textes régionaux de programmation antérieurs à la création de la programmation pluriannuelle de l’énergie ;

– la possibilité pour les conseils régionaux des DROM d’établir des plans d’action au niveau régional concernant l’économie circulaire (c’est-à-dire le recyclage des produits usagés) ;

– la mise en place de mesures spécifiques d’accompagnement pour la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française et Wallis-et-Futuna, ces mesures étant destinées à permettre à ces collectivités d’appliquer les principaux dispositifs du projet de loi ;

– l’admission de Wallis-et-Futuna au bénéfice de la CSPE ;

– l’adaptation, dans les DROM, des cahiers des charges des éco-organismes aux spécificités de ces territoires, et la possibilité pour ces instances de mutualiser leurs efforts et de créer des structures de coordination pour la gestion de certains types de déchets ;

– la possibilité, pour les maires des communes, de prévoir des poursuites en cas d’abandon d’un véhicule usagé sur la voie publique ou sur le domaine public, ou bien en cas de stockage prolongé sur une propriété privée, alors que le véhicule semble insusceptible de réparation immédiate et qu’il paraît constituer une atteinte grave à la santé ou à la salubrité publique (par exemple, en attirant des moustiques ou des animaux nuisibles) ;

– le développement, dans les DOM et les COM qui sont dépourvus d’installations industrielles de recyclage des déchets ménagers et qui doivent donc exporter ces déchets vers des pays limitrophes, de filières de premier traitement, encouragées par l’État ou par les collectivités locales, afin de transformer les déchets en une matière première déjà susceptible d’être intégrée à un processus industriel, cette transformation devant faciliter le passage des matériaux aux frontières et, par suite, mieux garantir leur admission dans les États chargés de les recycler ;

– l’institution, enfin, dans les DROM, d’associations quadripartites regroupant l’État, les collectivités locales, les importateurs-grossistes de véhicules et les concessionnaires automobiles, afin d’étudier, de manière conjointe, toute mesure permettant d’améliorer l’enlèvement, le traitement et le recyclage des véhicules usagés.

2. Le rapport d’information sur le projet de loi relatif à la santé

Le rapport montre que la situation des Outre-mer en matière de santé pose des problèmes spécifiques, parfois inquiétants. Le projet de loi relatif à la santé, déposé le 15 octobre 2014, à l’Assemblée nationale, par Mme Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, comporte un certain nombre de réponses pour faire face à ces difficultés. Néanmoins, à l’issue de l’examen du rapport, il a paru certain à la Délégation que ces réponses pouvaient être encore complétées. D’où les modifications qui ont été apportées au projet de loi par le biais d’amendements déposés par la Délégation et acceptés par la commission des Affaires sociales.

a. La situation spécifique des Outre-mer en matière de santé publique

En dépit des progrès enregistrés ces vingt dernières années, notamment en termes d’espérance de vie, les populations ultramarines sont confrontées à des problèmes sanitaires spécifiques.

Les ultramarins sont en effet moins bien desservis par les professionnels de santé que dans l’hexagone ; le nombre de lits par 100 000 habitants pour les établissements de santé est moins important qu’en métropole ; on note une propension à certains types de dépendances à un âge souvent moins élevé qu’au niveau national ; on recense également des maladies infectieuses mal éradiquées (comme la tuberculose ou la typhoïde) et d’autres – relativement nouvelles – qui sont tout aussi difficiles à combattre (comme la dengue ou le chikungunya) ; chez les enfants, il existe une forte prévalence du surpoids ou de l’obésité et les pathologies associées (diabète, hypertension, maladies cardio-vasculaires…) viennent fréquemment obérer la santé des adultes ; enfin, on note la surreprésentation de certaines conduites addictives (par exemple l’addiction à l’alcool).

Cette situation sanitaire parfois préoccupante va de pair avec un contexte économique difficile. Ainsi, le taux de chômage dans les DOM est, en moyenne, deux fois plus élevé qu’en métropole. Cela explique, outre-mer, l’importance du recours à la CMU-c.

b. Les solutions apportées par le projet de loi

Le projet de loi relatif à la santé comporte un certain nombre de mesures qui sont de nature à améliorer la prévention et l’offre de soins outre-mer.

Il convient d’observer, tout d’abord, que la plupart des mesures contenues dans le projet de loi, même si elles ne visent pas expressément les DOM, ont vocation à s’appliquer dans ces territoires.

Tel est le cas, par exemple, pour la disposition qui prévoit l’élargissement des capacités d’accès à la contraception d’urgence pour les élèves du second degré au sein de l’infirmerie scolaire (article 3) ; pour celle qui renforce les dispositifs permettant de lutter contre l’alcoolisation des jeunes (article 4) ; pour celle qui conforte la pratique des tests rapides d’orientation diagnostique, ainsi que des autotests, pour le dépistage des maladies infectieuses transmissibles (article 7) ; pour celle qui redéfinit la notion de service public hospitalier, ainsi que les obligations des établissements qui y sont associés (article 26) ; ou pour celle qui a pour objet le développement de la recherche et de l’innovation en matière de médicaments dans le cadre des établissements de santé (article 37).

Par ailleurs, l’article 56 vise spécialement les Outre-mer. Il prévoit le recours à des ordonnances pour la mise en œuvre de certaines modalités d’application de la loi dans les collectivités ultramarines ; pour harmoniser le fonctionnement de la caisse de sécurité sociale de Mayotte (CSS) et celui de la caisse de prévoyance sociale de Saint-Pierre-et-Miquelon (CPS) avec le fonctionnement des caisses générales de sécurité sociale (CGSS) des DOM ; et aussi pour harmoniser certains points de la réglementation de ces deux caisses – concernant les prestations de sécurité sociale ou les prestations familiales – avec la réglementation en usage au sein de la métropole ou au sein des DOM.

Enfin, cet article peut permettre au Gouvernement, le cas échéant, d’arrêter par ordonnance des programmes d’action dans le domaine sanitaire et social, programmes d’action valables pour chaque territoire ultramarin.

c. Les amendements de la Délégation

Toutefois, ces mesures peuvent paraître encore générales et insuffisamment ciblées sur les difficultés particulières que l’on est susceptible de rencontrer en matière de santé publique dans les collectivités ultramarines. Aussi, la Délégation a-t-elle fait adopter plusieurs amendements dans le cadre de l’examen du texte par la commission des Affaires sociales.

Ces amendements prévoient les dispositifs suivants :

– la prise en compte, de manière expresse, d’objectifs concernant les territoires ultramarins dans la stratégie nationale de santé (article additionnel après l’article 1er) ;

– la possibilité, pour la réalisation d’un test rapide d’orientation diagnostique – c’est-à-dire d’un test destiné à dépister le VIH –, lorsque ce test concerne un mineur, de se passer, par dérogation à l’article 371-1 du code civil, du recueil du consentement des titulaires de l’autorité parentale, même quand le prescripteur du test n’est pas médecin (article 7) ;

– la mise en place par l’Agence de santé de Wallis-et-Futuna, en cas d’évacuation sanitaire d’un patient, d’un document soumis à la signature de ce dernier et à celle de la personne qui l’accompagne, les informant des modalités et des conséquences, notamment financières, de leur transfert (article additionnel après l’article 23) ;

– l’obligation, enfin, de faire figurer des données chiffrées concernant les départements ou les collectivités d’outre-mer dans toute statistique déclinée au niveau local et publiée par les services du ministère chargé de la santé ou par des organismes placés sous tutelle (article additionnel après l’article 56).

Par ailleurs, au cours des débats en commission, trois autres amendements concernant les Outre-mer ont fait l’objet d’un examen approfondi.

Ces amendements prévoient :

– la remise d’un rapport par le Gouvernement, d’ici la fin de l’année 2016, indiquant les modalités selon lesquelles il serait possible d’instaurer à Mayotte la CMU-c (article additionnel après l’article 18) ;

– la possibilité pour les centres hospitaliers de développer des actions de santé visant à améliorer l’accès et la continuité des soins, ainsi que des actions liées à des risques spécifiques, dans les territoires de santé isolés des départements d’outre-mer, ainsi que dans ceux des collectivités de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin et de Saint-Pierre-et-Miquelon – ces actions spécifiques devant leur ouvrir la possibilité de disposer de subventions supplémentaires (article 26) ;

– la création de pôles d’excellence en matière de recherche et de médecine tropicale dans les territoires ultramarins (article additionnel après l’article 37).

À l’issue de cet examen en commission, les amendements n’ont pas été adoptés immédiatement. Cependant, ils devraient recueillir un avis favorable lors du passage du texte en séance publique.

II. LES AUTRES CENTRES D’INTÉRÊT DE LA DÉLÉGATION

Durant les quinze derniers mois, la Délégation s’est intéressée, de manière plus ponctuelle, à trois questions relevant de domaines tout à fait distincts. Pour approfondir ces trois sujets, elle a organisé une conférence débat et elle a procédé à l’audition de deux personnalités qui lui ont paru être spécialement qualifiées.

La conférence débat a porté sur les moyens permettant de mieux connaître les attentes des ultramarins de l’hexagone. Les personnalités qualifiées ont été entendues sur les options possibles en vue de mieux faire accéder les ressortissants ultramarins aux emplois créés dans leurs territoires et sur la microfinance dans les Outre-mer.

La rencontre débat, ouverte à la presse et aux représentants de la communauté ultramarine de l’hexagone, était animée par Mme George Pau-Langevin, ministre des Outre-mer, par Mme Sophie Elizéon, Déléguée interministérielle pour l’égalité des chances des Français d’outre-mer, et par M. Jean-Claude Fruteau, président de la Délégation aux outre-mer de l’Assemblée nationale. Elle s’est tenue en présence de M. Hugues Cazenave, président fondateur de la société Opinion Way, de Mme Audrey Célestine, docteure en sciences politiques, et de M. Antoine Prudent, président de l’Observatoire national des originaires d’outre-mer (ONDOM).

Les personnalités qualifiées entendues par la Délégation ont été M. Patrick Lebreton, parlementaire en mission, et Mme Pierrette Crosemarie, membre du Conseil économique, social et environnemental.

A. LES DIFFÉRENTS MOYENS PERMETTANT DE MIEUX FAIRE ACCÉDER LES RESSORTISSANTS ULTRAMARINS AUX EMPLOIS, PUBLICS OU PRIVÉS, CRÉÉS DANS LEURS TERRITOIRES

La Délégation a entendu, le 5 février 2014, au cours d’une réunion commune avec le Sénat, M. Patrick Lebreton, parlementaire en mission auprès de M. Victorin Lurel, ministre des Outre-mer, chargé d’un rapport visant à identifier les moyens de mieux faire profiter les ressortissants ultramarins des emplois, publics ou privés, créés dans leurs territoires.

Dans son rapport, M. Patrick Lebreton a distingué un certain nombre de mesures qui, si elles étaient mises en œuvre rapidement, seraient de nature à fluidifier grandement le système – parfois un peu rigide – des affectations des agents publics dans les DOM et dans les COM.

Les mesures les plus importantes sont au nombre de quatre : donner une assise juridique au concept de « centre des intérêts matériels et moraux » (CIMM) et se servir de ce concept comme pivot pour les mutations outre-mer ; mettre fin au dysfonctionnement des carrières des gardiens de la paix originaires des Outre-mer ; limiter les primes de mobilité qui freinent le retour des fonctionnaires en métropole et bloquent les postes ; créer, enfin, au sein de la DGOM, une structure consacrée à la gestion des carrières des cadres ultramarins de la fonction publique.

Par ailleurs, de la même manière, M. Patrick Lebreton préconise, au sein de son rapport, un ensemble de mesures pour fluidifier les marchés de l’emploi dans le secteur privé.

On peut également distinguer cinq propositions phares : conduire des politiques actives de développement régional ; régionaliser la formation initiale et continue ; faire en sorte que les TPE, qui constituent les structures économiques de base des DOM et des COM, puissent accéder aux grands marchés locaux ; accroître le personnel d’encadrement des TPE par des cadres ultramarins formés sur place ; créer, enfin, des observatoires locaux regroupant les différents acteurs intéressés par l’emploi.

Ces mesures doivent permettre aux jeunes ultramarins de mieux s’insérer dans les marchés de l’emploi et elles doivent faire disparaître chez eux la peur de l’exil sans retour hors de leur pays natal.

B. LES MOYENS PERMETTANT DE MIEUX CONNAÎTRE LES ATTENTES DES ULTRAMARINS DE L’HEXAGONE

La Délégation a organisé, le 15 octobre 2014, une conférence débat intitulée « Ultramarins de l’hexagone : du stéréotype à la réalité », conférence placée sous le haut patronage de M. Claude Bartolone, président de l’Assemblée nationale, et ayant lieu en présence de Mme George Pau-Langevin, ministre des Outre-mer, et de Mme Sophie Elizéon, Déléguée interministérielle pour l’égalité des chances des Français d’outre-mer.

Cette conférence avait pour objet de mieux connaître les attentes et les aspirations des habitants des DOM et des COM résidant dans l’hexagone.

Dans le cadre de cette problématique, deux types d’analyses statistiques ont été présentées : d’une part, le tableau de bord de la Délégation interministérielle – qui est un outil d’évaluation et de suivi dont la mise en place a été confiée par Mme Sophie Elizéon à l’ONDOM (l’Observatoire national des originaires d’outre-mer) ; et, d’autre part, le second baromètre de l’état d’esprit des ultramarins de l’hexagone – étude d’opinion réalisée, à partir de panels représentatifs, dans le courant des mois de mai et juin 2014, par la société privée Opinion Way (le premier baromètre ayant été réalisé, par cette même société, au cours des mois de mai et juin 2013).

Les résultats obtenus à partir de ces deux types d’études ont été présentés par M. Antoine Prudent, président de l’ONDOM, et par M. Hugues Cazenave, président fondateur de la société Opinion Way. Ils ont été commentés par Mme Sophie Elizéon, Déléguée interministérielle, par Mme Audrey Célestine, docteure en sciences politiques, et par les différents représentants de la communauté ultramarine présents à la conférence.

Ils montrent, en définitive, que les ultramarins ne sont pas aujourd’hui globalement pessimistes. S’ils déplorent, bien entendu, les discriminations dont ils peuvent être encore les victimes dans la société actuelle, ils cherchent aussi à aller résolument de l’avant, en réalisant, notamment, des projets entrepreneuriaux. Dans ce contexte, le problème du financement devient un problème crucial, et il semble que les ultramarins souhaiteraient que l’État s’engage davantage à leurs côtés.

C. LA MICROFINANCE DANS LES OUTRE-MER

La Délégation a entendu, le 3 mars 2015, Mme Pierrette Crosemarie, membre du Conseil économique, social et environnemental (CESE) et rapporteure de l’avis, adopté par le CESE en séance plénière le 10 février 2015, sur « La microfinance dans les Outre-mer ».

La microfinance comprend le microcrédit, c’est-à-dire la mobilisation de ressources destinées à des publics qui souhaitent créer leur propre activité, mais qui sont exclues, faute de garanties, du crédit bancaire classique ; il regroupe également la micro-assurance, qui vise à trouver des solutions d’assurance adaptées pour des personnes qui cherchent à créer leur propre emploi, mais en ne disposant que de ressources modestes ; il regroupe enfin les fonds qui peuvent être collectés, soit au titre de la finance solidaire (par exemple les fonds collectés auprès de personnes physiques ou morales qui souhaitent que leur épargne soit dédiée à une démarche de solidarité), soit au titre de la finance participative (par exemple les fonds recueillis grâce à internet au titre de tel ou tel projet).

Cet avis du CESE sur la microfinance a paru tout à fait intéressant à la Délégation, dans la mesure où il vient compléter les réflexions qui ont eu lieu dans cette enceinte sur le nécessaire développement, outre-mer, de certaines filières agricoles de petite dimension – filières qui ont été visées dans la loi d’avenir pour l’agriculture, par exemple avec l’institution du GIEE (ou groupement d’intérêt économique et environnemental) ; sur la mise en place, dans les DOM ou dans les COM, de certaines installations touristiques de taille réduite, en dehors des structures hôtelières classiques (par exemple, les petits restaurants familiaux – ce que l’on appelle à Cuba les paradors – ou les chambres d’hôtes) ; et enfin, sur la réalisation de certaines filières locales relevant du secteur du développement durable, ces initiatives venant en complément des éco-organismes (par exemple, dans le domaine du retraitement des déchets ménagers).

Dans son avis, Mme Pierrette Crosemarie propose un ensemble de mesures pour impulser un changement d’échelle dans la microfinance au sein des Outre-mer. Ses principales préconisations – par exemple, que l’AFD alloue des moyens financiers aux acteurs de la microfinance pour achever leur déploiement outre-mer, ou que les microcrédits professionnels puissent être alloués aux entreprises ultramarines au-delà des cinq premières années suivant leur création ou leur reprise, afin de favoriser leur développement – figurent dans le compte-rendu de son audition, en annexe du présent rapport.

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* *

TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION

La Délégation a examiné le présent rapport au cours de sa réunion du mardi 7 avril 2015.

M. le président Jean-Claude Fruteau. L’ordre du jour appelle l’examen du rapport d’activité annuel de la Délégation aux outre-mer, le second depuis sa création, le 17 juillet 2012. Il couvre la période qui s’étend de janvier 2014 à mars 2015, soit quinze mois.

Durant cette période, les travaux de la Délégation, malgré l’interruption de la session parlementaire liée aux élections municipales de mars 2014, se sont poursuivis à un rythme soutenu.

Deux éléments statistiques attestent de cette activité.

Tout d’abord, le nombre des réunions de la Délégation : de janvier 2014 à mars 2015, celle-ci s’est en effet réunie vingt fois, pour une durée globale d’un peu plus de 27 heures ; elle a procédé à quatorze auditions au cours desquelles elle a entendu notamment deux ministres : Mme Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, et Mme George Pau Langevin, ministre des Outre-mer ; elle a auditionné également une quarantaine de responsables ou d’experts, ces derniers exerçant leurs fonctions aussi bien dans le secteur public que dans le secteur privé.

Ensuite, le nombre des rapports publiés : indépendamment de son premier rapport d’activité paru en février 2014 (n°1760), la Délégation a en effet réalisé quatre rapports d’information au cours des quinze derniers mois.

Ces rapports sont les suivants : le rapport n°1926, intitulé  « La réforme du marché européen du sucre : pour que les solutions d’aujourd’hui ne deviennent pas les problèmes de demain », paru en mai 2014 ; le rapport n°2038, intitulé « Le Pacte de responsabilité et les Outre-mer : éléments d’analyse », paru en juin 2014, et qui a donné lieu à des annonces du Président de la République lorsqu’il s’est déplacé, notamment, à La Réunion en août 2014 ; le rapport n°2197 intitulé « Les Outre-mer face au défi de la mutation énergétique et écologique », paru en septembre 2014 ; le rapport n°2581, intitulé « La santé outre-mer : des réformes urgentes pour résorber les inégalités », paru en février 2015 – présenté par Mme Orphé.

En ce qui concerne l’approche des problèmes, le président de votre Délégation, cette année encore, est resté très attaché à la volonté de croiser les différents points de vue. C’est ainsi que les rapports d’information sur des sujets transversaux ont toujours été confiés à au moins deux députés – soit un député de la majorité et un député de l’opposition, soit un député ultramarin et un député de l’hexagone. Par exemple, le rapport sur le pacte de responsabilité a été confié à deux députés de sensibilité différente : M. Daniel Gibbes, de l’UMP et moi-même, du groupe SRC ; le rapport sur la réforme du marché européen du sucre a été attribué à deux députés ultramarins et à un député de l’hexagone : M. Patrick Lebreton et moi-même, députés de La Réunion et M. Philippe Gosselin, député de la Manche.

De la même façon, les rapports d’information concernant les projets de loi, s’ils ne peuvent être confiés, du fait du règlement de l’Assemblée nationale, qu’à un seul rapporteur, font une large place, dans le cadre de leurs propositions, à tous les avis émis au sein de la Délégation.

De la sorte, tous les rapports produits par la Délégation sont toujours le fruit de discussions collectives très approfondies. Telle est la raison pour laquelle ils sont généralement adoptés à l’unanimité.

Par ailleurs, si l’on aborde la place des rapports de la Délégation dans le processus normatif, on peut remarquer que, compte tenu de leur aspect fortement documenté et consensuel, ces rapports, qu’ils soient thématiques ou législatifs, ont toujours abouti, au cours de ces quinze derniers mois, à de réelles avancées juridiques.

Ainsi, le rapport sur la réforme du marché européen du sucre, après avoir été remis, lors de sa publication, au Premier ministre et au Président de la République, a été l’occasion pour ce dernier, le 21 août 2014, lors de son déplacement officiel à La Réunion, de s’exprimer publiquement sur l’avenir de la filière « canne-sucre ». Le Président a fait part de sa volonté de maintenir l’intégralité des financements nationaux et européens existants pour cette filière, dont la pérennisation a été qualifiée de « cause nationale ». Il a affirmé, de surcroît, qu’il demanderait à l’Union européenne l’autorisation – à partir d’octobre 2017, date de la fin des quotas de production et d’exportation – de mettre en place 38 millions d’euros d’aides supplémentaires annuelles pour l’industrie sucrière des DOM, ce chiffre résultant d’un calcul effectué dans le cadre du rapport de la Délégation sur la base d’une production annuelle d’environ 270 000 tonnes, dont 205 000 tonnes en ce qui concerne La Réunion, afin de soutenir la compétitivité de cette filière face aux producteurs européens.

En outre, le rapport d’information de la Délégation sur le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, ainsi que les amendements déposés après sa publication par le rapporteur de la Délégation, M. Serge Letchimy, député de la Martinique, ont permis d’obtenir un certain nombre de mesures importantes : l’insertion d’objectifs chiffrés dans l’article 1er du projet de loi concernant le développement des énergies renouvelables au sein des Outre-mer ; l’accroissement des pouvoirs des conseils régionaux des DROM (départements et régions d’outre-mer) qui pourront désormais instituer des plans régionaux visant à favoriser le développement de l’économie circulaire ; la possibilité, pour l’État, de prévoir des mesures spécifiques d’accompagnement permettant une meilleure application des dispositifs prévus par la loi dans les collectivités d’outre-mer (COM) ; l’admission de Wallis-et-Futuna au bénéfice de la contribution au service public de l’électricité (CSPE) pour sa production locale d’énergie électrique ; l’édiction de sanctions pour l’abandon des véhicules usagés, que ce soit sur la voie publique ou dans les propriétés privées ; l’adaptation des cahiers des charges des éco-organismes aux spécificités des collectivités ultramarines ; et enfin, la possibilité, pour certaines collectivités ultramarines, d’améliorer le traitement initial des déchets ménagers, et ce en vue de faciliter leur transport transfrontalier, et donc leur recyclage, dans des pays appartenant ou non à l’Union européenne.

C’est ainsi que, tout au long de l’année qui vient de s’écouler, la Délégation a su faire entendre sa voix, tant sur des sujets thématiques que sur des sujets d’actualité législative.

Enfin, on notera que la Délégation organise parfois des débats ponctuels, dans le cadre d’auditions ou de tables rondes qui ne sont pas liées directement à la réalisation d’un rapport.

Au cours de la période considérée, elle a procédé à trois auditions de ce type : l’audition, en commun avec le Sénat, de M. Patrick Lebreton, parlementaire en mission auprès de M. Victorin Lurel, alors ministre des Outre-mer, chargé d’un rapport visant à identifier les moyens de mieux faire profiter les ressortissants ultramarins des emplois, publics ou privés, créés dans leurs territoires (5 février 2014) ; l’audition de Mme Sophie Elizéon, Déléguée interministérielle pour l’égalité des chances des Français d’outre-mer, dans le cadre d’une conférence-débat intitulée « Ultramarins de l’hexagone : du stéréotype à la réalité », conférence placée sous le haut patronage de M. Claude Bartolone, président de l’Assemblée nationale, et ayant lieu en présence de Mme George Pau-Langevin, ministre des Outre-mer (15 octobre 2014) ; l’audition de Mme Pierrette Crosemarie, membre du Conseil économique, social et environnemental (CESE) et rapporteure de l’avis, adopté par le CESE en séance plénière le 10 février 2015, sur « La microfinance dans les Outre-mer » (3 mars 2015). Avec ces auditions, la Délégation a pu s’affirmer comme étant un lieu de réflexion privilégié pour tous les sujets relatifs aux territoires ultramarins.

Vous pourrez trouver dans le rapport écrit qui vous a été adressé toutes les précisions concernant les rapports d’information qui ont été publiés cette année, ainsi que les comptes rendus des auditions ponctuelles que nous avons conduites – en annexe.

Je terminerai mon propos en regrettant le peu d’assiduité de nos collègues. Le débat gagnerait en intérêt s’ils étaient plus nombreux à venir se ressourcer au sein de la Délégation en traitant des questions qui concernent les Outre-mer.

Mme Monique Orphé. Je suis d’accord avec vous. L’intérêt de cette Délégation est de pouvoir interpeller les différents ministres sur les problèmes rencontrés outre-mer. Mais, pour que ses membres s’impliquent plus fortement, peut-être faudrait-il que la Délégation dispose de moyens plus importants et accorde davantage de missions. Nous nous posons d’ailleurs la même question à la Délégation aux droits des femmes.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Il est certain qu’avec davantage de missions, il y aurait davantage de députés !

Il est exact que les collègues qui s’intéressent aux Outre-mer auraient besoin d’aller sur le terrain pour se rendre compte des réalités de nos départements. C’est une chose de lire ces descriptions dans les rapports, c’en est une autre que de les vivre et de pouvoir s’en entretenir sur place. Mais nous savons tous que c’est difficile et coûteux.

Sachez enfin que, lors de notre prochaine réunion, nous nous intéresserons à la CSPE, la contribution au service public de l’électricité, qui est remise en cause par les instances européennes au motif que ce serait une aide d’État. Or, la CSPE est un élément important de la vie quotidienne des habitants des régions dites « non interconnectées », notamment à La Réunion, en Guadeloupe et à la Martinique. Sa raison d’être est, en effet, de financer la production d’électricité dans ces régions.

Le Gouvernement, par la voix de Mme Ségolène Royal, a souhaité que cette question soit remise à plat au cours de l’année 2016. Les régions d’outre-mer étant directement concernées, il m’a semblé utile que la Délégation s’en saisisse et qu’elle produise un rapport, dont je souhaiterais d’ailleurs être un des auteurs.

M. le Président Jean-Claude Fruteau. Compte tenu de ces observations, je mets maintenant aux voix le rapport annuel.

Le rapport est adopté à l’unanimité.

AUDITIONS MENÉES PAR LA DÉLÉGATION SUR LES SUJETS CITÉS DANS LA SECONDE PARTIE DU RAPPORT

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

– Audition, au Sénat, de M. Patrick Lebreton, parlementaire en mission auprès de M. Victorin Lurel, ministre des Outre-mer, sur son rapport concernant l’identification des moyens visant à mieux faire profiter les ressortissants ultramarins des emplois créés dans leurs territoires (secteur public et secteur privé) 31

– Rencontre-débat intitulée : « Ultramarins de l’hexagone : du stéréotype à la réalité », sous le haut patronage de M. Claude Bartolone, Président de l’Assemblée nationale, et en présence de Mme George Pau-Langevin, ministre des Outre-mer, de Mme Sophie Elizéon, Déléguée interministérielle pour l’égalité des chances des Français d’outre-mer, de M. Hugues Cazenave, Président fondateur de la société Opinion Way, de Mme Audrey Célestine, docteure en sciences politiques, et de M. Antoine Prudent, Président de l’Observatoire national des originaires d’outre-mer (ONDOM) 41

– Audition de Mme Pierrette Crosemarie, membre du Conseil économique, social et environnemental (CESE) et rapporteure de l’avis sur « la microfinance dans les Outre-mer », adopté par le CESE le 10 février 2015 67

Audition, au Sénat, de M. Patrick Lebreton, parlementaire en mission auprès de M. Victorin Lurel, ministre des Outre-mer, sur son rapport concernant l’identification des moyens visant à mieux faire profiter les ressortissants ultramarins des emplois créés dans leurs territoires (secteur public et secteur privé)

(Compte rendu de la réunion du 5 février 2014)

M. Serge Larcher, président. – Je veux tout d’abord souhaiter la bienvenue à nos collègues députés et remercier le président Jean-Claude Fruteau d’avoir accepté notre invitation à cette nouvelle réunion commune, après celle à laquelle il nous avait conviés à l’Assemblée nationale le 25 juin dernier pour entendre la présentation par Monsieur Serge Letchimy de son rapport au Gouvernement sur l’application de l’article 349 du traité de Lisbonne.

C’est aujourd’hui un autre sujet d’importance pour nos outre-mer qui va faire l’objet de notre séance : la question de la régionalisation de l’emploi.

Notre collègue député de La Réunion, Patrick Lebreton, a remis en fin d’année dernière un rapport au Gouvernement formulant 25 propositions : elles portent essentiellement sur l’emploi public, dont on connaît l’importance du rôle de « buvard social » dans nos outre-mer où le chômage atteint des taux record, mais aussi, pour certaines d’entre elles, sur l’emploi privé.

Concernant la sphère économique, crise et étroitesse de la plupart de nos marchés réduisent les perspectives pour nos jeunes les mieux qualifiés qui, le plus souvent, sont déjà contraints d’aller « décrocher » leurs diplômes ailleurs que sur nos territoires. La confrontation des expériences et l’ouverture sur l’autre est certes une source de richesse : encore faut-il pour que cela bénéficie à nos territoires et nos populations qu’il y ait un jour, à un moment du parcours professionnel et pas seulement à l’heure de la retraite, un retour au pays ! Il faut donc créer les conditions pour que cela soit possible mais aussi pour que cela soit attractif : notre tissu économique, majoritairement constitué de petites et très petites entreprises, manque de compétences d’encadrement. En outre, l’exiguïté de nos marchés nécessite la définition de politiques fortes de développement régional auxquelles les entreprises puissent s’adosser. Une politique de formation initiale et continue en adéquation avec cette stratégie de développement est également une priorité.

Concernant le secteur public, il y a bien évidemment la question lancinante de la gestion des carrières et des mutations outre-mer. Sans porter atteinte au principe d’égalité, un de nos piliers républicains, il faut, dans l’intérêt des familles et de la stabilité du tissu social, faciliter le retour au pays des fonctionnaires. Carrière et exigences de mobilité ne doivent pas rimer avec exil perpétuel.

Comme l’expliquait le professeur Ferdinand Mélin-Soucramanien lors du colloque organisé par notre délégation à l’outre-mer le 12 septembre dernier sur « L’audace ultramarine en hexagone », « des discriminations positives, on ne retient généralement en France que la part du Diable, en pointant du doigt le risque de communautarisme, de fragmentation de l’identité nationale… mais il paraît nécessaire d’entrevoir aussi l’œuvre de Dieu, en considérant qu’elles peuvent représenter un outil de développement économique et social dont il serait dommage de se priver ». Monsieur Mélin-Soucramanien affirmait ainsi que la notion de « centre des intérêts matériels et moraux (CIMM) » pouvait parfaitement, moyennant une définition juridique sécurisée, constituer un critère permettant de faciliter le retour au pays. J’adhère tout à fait à cette analyse et pense qu’il nous revient, mes chers collègues, d’exploiter toutes les possibilités offertes par la Constitution pour promouvoir une approche républicaine des discriminations positives outre-mer. Une prudence irraisonnée ne doit pas faire obstacle aux évolutions nécessaires au développement de nos territoires.

Respect scrupuleux des principes fondateurs de notre République, d’une part, audace et imagination, d’autre part, peuvent aller de pair. Cela suppose simplement beaucoup de volontarisme politique. Je remercie Monsieur Lebreton d’emprunter cette voie.

Avant que nous n’entendions sa présentation, je cède la parole au président Jean-Claude Fruteau.

M. Jean-Claude Fruteau, président de la Délégation aux outre-mer de l’Assemblée nationale. - Monsieur le président, Messieurs les sénateurs, Messieurs les députés, mes chers collègues, c’est avec un grand plaisir que je retrouve aujourd’hui les deux Délégations pour une réunion commune.

Nous nous étions déjà réunis de manière conjointe, le 25 juin 2013, à l’Assemblée nationale, pour entendre M. Serge Letchimy, parlementaire en mission auprès du ministre des Outre-mer, sur les potentialités de l’article 349 du traité de Lisbonne (mesures spécifiques concernant les régions ultrapériphériques).

Nous renouvelons aujourd’hui cet exercice, au Palais du Luxembourg, pour l’audition de M. Patrick Lebreton, également parlementaire en mission auprès du ministre des Outre-mer, et je m’en réjouis très vivement.

L’audition porte sur son rapport concernant l’identification des moyens visant à mieux faire profiter les ressortissants ultramarins des emplois créés dans leurs territoires, notamment dans le secteur public.

M. Patrick Lebreton – je l’atteste – est un très bon connaisseur de la fonction publique. Il y a longtemps qu’il s’est investi sur le sujet et qu’il réfléchit à une meilleure adaptation du code de la fonction publique à la situation des agents originaires des outre-mer.

Dans son rapport, dont il a déjà eu l’occasion de m’exposer les grandes lignes, on peut distinguer plusieurs mesures phares qui, si elles étaient mises en œuvre rapidement, seraient de nature à fluidifier grandement le système – parfois un peu rigide, il faut bien le reconnaître – des affectations des agents publics dans les DOM et dans les COM.

Donner une assise juridique au « centre des intérêts matériels et moraux » (CIMM) et se servir de ce concept comme pivot pour les mutations outre-mer, mettre fin au dysfonctionnement des carrières des gardiens de la paix, par exemple, originaires des outre-mer, limiter les primes de mobilité qui freinent le retour des fonctionnaires en métropole et bloquent les postes, créer, au sein de la DGOM, une structure consacrée à la gestion des carrières des cadres ultramarins de la fonction publique... Voilà autant de mesures qui seraient vraiment les bienvenues.

Et, de même, M. Lebreton préconise également, dans son rapport, un ensemble de mesures pour fluidifier les marchés de l'emploi dans le secteur privé. Ces mesures doivent permettre aux jeunes ultramarins de mieux s'insérer dans ces marchés et elles doivent faire disparaître chez eux la peur du départ sans emploi hors de leur pays natal – une peur du départ qui est bien souvent, en fait, la peur – tout à fait justifiée – d’un exil sans retour.

Mais, je ne veux pas déflorer davantage le sujet et, tout de suite, je propose de laisser la parole à notre collègue.

M. Patrick Lebreton, député.- Messieurs les sénateurs, Messieurs les députés, je voulais avant toute chose remercier vos présidents d’avoir accepté d’organiser cette audition. Je souhaitais vous remercier de votre présence.

Comme vous le savez, par la lettre de mission remise par le ministre M. Victorin Lurel, le 13 avril 2013 à Saint-Joseph, j’ai été chargé par le Gouvernement de réfléchir aux moyens nécessaires pour favoriser la régionalisation de l’emploi dans les départements d’outre-mer.

Cette mission a donc consisté à réfléchir mais surtout à apporter des solutions pour permettre un meilleur accès des ultramarins aux emplois existants dans les départements d’outre-mer, tant dans le secteur public que le secteur privé. J’insiste sur le mot « existant ». Le travail qui m’a été confié ne consistait pas à formuler des propositions pour créer des emplois même si les sujets peuvent se recouper.

Le meilleur moyen de lutter contre le chômage c’est bien entendu de créer des emplois.

Mais dans le cadre qui m’était fixé, il m’appartenait de déterminer des pistes permettant de faire accéder les ultramarins aux postes dans leurs territoires respectifs pour tenter de mettre fin au dilemme « rester au pays et prendre le risque fort d’être exclu de l’emploi ou bien s’exiler avec des perspectives très improbables de retour ».

Cette ambition du Gouvernement est particulièrement légitime dans nos territoires qui connaissent un chômage structurel très important. Comment peut-on concevoir que dans des départements qui connaissent un contexte si dégradé, des postes disponibles échappent aux personnes qui en sont originaires ?

Ce constat a donc placé ma mission sur un fil. Comment faire des propositions efficaces et répondant â la commande du Gouvernement mais surtout à l’exigence de nos populations sans tomber dans les travers du rejet, du repli sur soi, de la discrimination ?

J’ai donc résolument inscrit ce rapport et mes propositions dans le champ républicain. Nous savons souvent trouver la République lorsque nous avons besoin d’elle, nous ne pouvons la rejeter lorsque cela nous arrange.

Il ne s’est donc pas agi de rompre avec les principes républicains mais davantage de les adapter à nos réalités, de les rendre plus souples pour qu’ils ne soient pas nécessairement défavorables.

Ce travail, qui a duré près de huit mois, m’a conduit dans l’ensemble des départements d’outre-mer ; j’y ai rencontré la plupart des acteurs syndicaux, économiques, un grand nombre d’élus, les administrations, bien entendu. Ici, à Paris, j’ai également auditionné les ministres ou les cabinets des ministères concernés.

Lors de ces auditions, je n’ai pas observé d’opposition majeure à l’objectif que nous poursuivons.

Il y a bien entendu des positions radicales qu’il faut tempérer, il y a aussi des conservatismes qu’il faut décrisper mais tout le monde comprend l’attente des ultramarins et l’exigence des résultats à obtenir.

Contrairement aux travaux qui avaient été entrepris auparavant, je ne souhaite pas, et je me battrai pour cela, que ce rapport finisse dans les archives de la République, pour ne pas dire ses oubliettes. Je veillerai également à ce que le travail fourni n’ait pas été une instrumentalisation sans lendemain.

Nous avons tous ici en mémoire, le rapport du préfet Bédier, commandé par l’ancien Président de la République, en pleine campagne électorale, avec une remise prévue au lendemain du second tour des élections présidentielles. Ce rapport était donc déjà « mort-né ».

Par contre, je demeure conscient que tout ne pourra être fait dans l’immédiat que ce rapport est une étape, qu’il doit servir à ouvrir des brèches et que certains combats au long cours devront être menés.

C’est la raison pour laquelle la cohésion de l’ensemble des parlementaires convaincus du bien-fondé de notre démarche est nécessaire.

J’ai souhaité organiser mes propositions autour de quatre piliers principaux :

– piloter la réforme,

– moderniser et fluidifier les marchés locaux de l’emploi,

– régionaliser les formations pour régionaliser l’emploi,

– adapter les règles de la fonction publique aux réalités des outre-mer et des ultramarins.

Sur le pilotage de la réforme, comme je vous l’ai indiqué, mon souhait premier est de ne pas voir ce rapport ne déboucher sur aucune avancée. J’ai donc proposé différentes mesures permettant de suivre l’évolution des propositions formulées au niveau central avec la mise en place, auprès du ministère des Outre-mer, d’un dispositif d’évaluation et de suivi (proposition 1).

De même, j’ai formulé le souhait que la régionalisation de l’emploi fasse l’objet d’une attention particulière, au niveau local, avec la création, dans chaque département d’outre-mer, d’observatoires composés des différents acteurs intéressés (proposition 2).

La régionalisation de l’emploi est un concept, un objectif qu’il faut faire vivre et faire porter par les acteurs locaux.

Enfin, et pour avoir constaté de vraies difficultés à obtenir des informations chiffrées ou des études statistiques pertinentes, en phase avec les réalités locales, qui sont particulières dans les départements d’outre-mer, j’ai proposé qu’auprès de chaque collectivité régionale soient créés des instituts locaux de la statistique, à l’image de ce que la région Martinique a institué (proposition 3). Cela dépasse le simple cadre de l’emploi mais seule une connaissance approfondie de la situation réelle de nos territoires est susceptible d’aider les décideurs, publics comme privés d’ailleurs, à choisir les options efficaces, non seulement pour l’emploi mais aussi pour les autres domaines.

Sur la modernisation et la fluidification des marchés locaux de l’emploi : le second pilier concerne les marchés locaux de l’emploi.

Nous avons observé que les difficultés liées au chômage dans les départements ne pouvaient seulement s’expliquer par les réticences à employer des Domiens. Le développement économique insuffisant en est en grande partie la cause, de même que la concurrence déséquilibrée entre les entreprises ultramarines et les grands groupes nationaux, voire internationaux.

Toutefois, j’ai pu faire le constat de l’existence de réseaux dans les modes de recrutement, principalement des cadres, dont les pratiques n’étaient bien souvent pas favorables aux ultramarins.

J’estime que chaque territoire, compte tenu de ses spécificités, devrait être en mesure de déterminer ses perspectives propres de développement, de façon décentralisée. C’est la raison pour laquelle j’ai proposé que soit définie une stratégie de développement économique dans chaque territoire (proposition 4).

De même, les entreprises locales doivent pouvoir accéder aux marchés régionaux. J’ai donc proposé de favoriser l’accès aux marchés publics locaux pour les entreprises actrices de la régionalisation de l’emploi (proposition 7).

La régionalisation du développement économique imposera naturellement la régionalisation des recrutements.

De même, les ultramarins doivent se voir garantir des chances égales d’accéder aux emplois disponibles dans leur région d’origine, dès lors qu’ils en ont les compétences. Le marché de l’emploi doit donc devenir transparent. Les services publics de l’emploi pourraient ainsi se voir confier comme objectifs de rendre plus transparent le marché de l’emploi local (proposition 5) et surtout de renforcer l’accompagnement des cadres ultramarins vers l’emploi local (proposition 6).

Ces cadres, même quand ils disposent des compétences requises, sont souvent sans réseaux et ne peuvent accéder aux emplois disponibles.

Régionaliser les formations pour régionaliser l’emploi : le troisième pilier est pour moi un pilier essentiel. En effet, dans tous les territoires, a été constaté un véritable déficit en matière de formation, tant initiale que continue.

Filières incomplètes ou inexistantes, la politique de formation professionnelle apparaît sans cohérence. Il en résulte un profil du candidat ultramarin faiblement adapté aux besoins réels des entreprises. Il en résulte également l’impossibilité de se former, outre-mer, à la préparation de nombreux concours administratifs pour accéder aux emplois publics.

La logique est simple : régionaliser la formation est le meilleur moyen de régionaliser l’emploi. Permettre aux ultramarins d’accéder aux formations qui leur ouvriront les portes de l’emploi local et qui les conduiront à l’ensemble des postes de la fonction publique ou dans le secteur privé est essentiel.

J’ai donc notamment proposé de créer, dans chaque département d’outre-mer, une école supérieure des cadres d’outre-mer ESCOM (proposition 9) ; d’ouvrir un institut de préparation à l’administration générale par département d’outre-mer (proposition 10) ; de créer un institut d’études judiciaires rattaché à l’unité de formation et de recherche (UFR) de droit de l’Université de La Réunion dès la rentrée 2014 (proposition 11) ; de mettre en place de véritables filières techniques dans les outre-mer (proposition 12) ou de renforcer significativement les filières de formation en santé (proposition 13).

Les ultramarins ne pourront accéder à l’emploi que s’ils peuvent accéder aux formations qui y destinent.

Au-delà de la question essentielle mais de court terme de l’accès des ultramarins à l’emploi local, un système de formation réformé et efficace permettra la constitution d’une véritable et nouvelle élite locale, à même de piloter le redéveloppement économiques des territoires.

Enfin, concernant le cas particulier de Mayotte, j’ai estimé qu’il convenait de mettre en place un véritable plan d’urgence pour redresser le système éducatif (proposition 14).

Car, vous devez le savoir, l’insuffisance du nombre de classe impose un système de rotation faisant en sorte qu’à l’issue du premier degré, un élève mahorais suit cinq années de scolarité quand un enfant français en suit huit.

C’est une injustice profonde faisant de l’enfant mahorais un futur adulte dont les chances d’obtenir un emploi qualifié sont affaiblies. Cette mesure est pour moi une mesure prioritaire.

Enfin, il convient d’adapter les règles de la fonction publique aux réalités des outre-mer et des ultramarins.

La problématique de l’outre-mer dans la fonction publique est probablement ce qui a amené à ce débat sur la régionalisation de l’emploi. C’est par les cas concrets et identifiés par tous que le Président de la République a réellement pris conscience qu’il y avait une situation insatisfaisante. L’adaptation des règles aux réalités est donc le dernier pilier de mon rapport.

Dans la majorité des corps de la fonction publique, les règles de gestion ne tiennent que très peu compte des réalités que vivent les agents publics originaires des outre-mer.

Les mobilités dans l’hexagone durent de longues périodes (voire de très longues périodes dans la police) sans visibilité quant à l’éventualité d’un retour. Il en résulte un vif sentiment d’injustice vis-à-vis de fonctionnaires non ultramarins occupant les postes localement.

Le point de crispation majeur concerne les gardiens de la paix dont les règles de mutations ont été bouleversées en 2002 afin de privilégier l’ancienneté administrative, plutôt que l’ancienneté de la demande.

La conséquence à moyen terme de ce bouleversement a été que le nombre d’originaires mutés dans les départements d’outre-mer est tombé à 27,9 % en 2013 quand il était de 47 % en 2009. Moins d’un tiers des fonctionnaires de police mutés dans les outre-mer sont donc des ultramarins.

Beaucoup renoncent à mener une carrière dynamique et à rechercher de l’avancement. C’est un élément qui peut expliquer la quasi-inexistence de cadres originaires des outre-mer dans les postes offerts localement.

De même, on constate également un phénomène d’affectation de fonctionnaires non originaires, souvent en fin de carrière et peu au fait des réalités locales. Dès lors, j’ai souhaité proposer que soient mises en œuvre des règles claires, justes, solides juridiquement mais surtout adaptées aux réalités de la situation des fonctionnaires ultramarins.

La mesure essentielle concerne les Centres des intérêts matériels et moraux (CIMM) dont j’ai souhaité qu’ils deviennent un principe à valeur législative s’imposant à toute la réglementation relative aux agents de la fonction publique (proposition 15). En plein accord avec le ministère des Outre-mer, je déposerai dans les prochains jours une proposition de loi en ce sens.

De même, et plus particulièrement concernant les fonctionnaires de police, j’ai proposé de mettre fin aux dysfonctionnements dans la gestion des carrières des gardiens de la paix (proposition 17) en revenant à la règle de l’ancienneté de la demande et en attribuant une bonification de 1 000 points à tout gardien de la paix titulaire d’un CIMM dans un département d’outre-mer. Par ailleurs, j’ai proposé de limiter la durée des séjours outre-mer pour les non originaires (proposition 18) et de progressivement supprimer les primes de mobilité (proposition 19) pour mettre fin à un système où la motivation n’est pas de servir la sécurité d’un territoire mais de tirer un gain par une mobilité au soleil.

Favoriser l’emploi d’ultramarins dans des postes outre-mer tout en accentuant la qualité du service public sont des objectifs qui peuvent être atteints en instaurant la prise en compte de la connaissance de l’environnement local dont la maîtrise de la langue est un élément pour les mutations (proposition 16).

Enfin, et en complément des mesures relatives à la création de filières locales menant aux carrières administratives, j’ai estimé nécessaire de proposer de régionaliser la gestion des cadres de la fonction publique de l’État (proposition 21), d’organiser localement des concours interministériels de catégories B et C (proposition 20) et d’adapter les règles de mobilité géographique préalables aux promotions (proposition 23).

Ces propositions devraient permettre, je crois, d’éviter ce qui peut être vécu comme un exil et elles devraient faire en sorte qu’une organisation plus adaptée du fonctionnement des services de l’État élimine ce type de frustration.

Mes chers collègues, comme je vous l’ai dit, je considère ce rapport comme une première étape. Mon objectif est modeste, je n’ai pas souhaité réaliser un catalogue dans lequel les mesures essentielles se perdraient.

C’est la raison pour laquelle j’ai souhaité souligner cinq mesures que je considère comme réellement prioritaires pour enclencher le changement dans les perspectives d’accès à l’emploi des ultramarins dans les outre-mer.

C’est mesures sont :

– consacrer les CIMM comme le pivot du droit de la fonction publique applicable aux outre-mer et aux ultramarins (proposition 15),

– mettre fin aux dysfonctionnements dans la gestion des carrières des gardiens de la paix originaires des outre-mer (proposition 17),

– rendre transparent le marché de l’emploi local (proposition 5),

– créer dans chaque département d’outre-mer une école supérieure des cadres d’outre-mer – ESCOM – (proposition 9),

– mettre en place un plan d’urgence pour redresser le système éducatif de Mayotte (proposition 14).

M. Serge Larcher, président. – Merci, cher collègue, pour ce rapport riche et dense.

M. Félix Desplan, sénateur.- Avez-vous d’ores et déjà remis votre rapport au Gouvernement et quel écho a-t-il reçu ?

M. Patrick Lebreton, député.- J’ai remis mon rapport au Gouvernement en fin d’année dernière et plusieurs de ses recommandations devront faire l’objet d’un traitement interministériel. Si elles n’ont encore donné lieu à des annonces de réforme, les services gouvernementaux y travaillent.

Mme Annick Girardin, députée.- Je partage largement les préconisations du rapport tout en considérant que restreindre le champ de certaines d’entre elles aux seuls départements d’outre-mer n’est pas pertinent. C’est notamment le cas pour celle relative aux congés bonifiés.

Concernant la prime de mobilité, s’il peut y avoir des effets d’aubaine, elle constitue un véritable encouragement au déplacement des ultramarins vers l’hexagone même si son montant est alors moindre puisque non indexé. Je m’interroge sur un autre paramètre qui est la durée des mobilités effectuées dans les outre-mer. Enfin, la mobilité d’un ultramarin vers un autre outre-mer que son territoire d’origine ne devrait pas être subordonné à un passage préalable par l’hexagone. J’ajoute que ce type de mobilité devrait être privilégié pour les ultramarins dès lors qu’ils sont, en quelque sorte, d’emblée aguerris aux spécificités de nos territoires.

M. Patrick Lebreton, député.- Le périmètre du rapport est en effet limité aux départements d’outre-mer conformément au cahier des charges fixé par le Gouvernement mais le champ de certaines mesures, comme celle relative aux congés bonifiés, pourra effectivement être étendu. J’ai d’ailleurs auditionné nos collègues calédoniens car les lois de pays peuvent être une source d’inspiration.

La recommandation d’enclencher le processus de suppression des primes de mobilité se justifie par la volonté de mettre fin aux effets d’aubaine ; la mobilité outre-mer ne doit pas être motivée par le seul appât des avantages matériels. Par ailleurs, prévoir des congés bonifiés moins longs et plus fréquents rendrait la mobilité vers l’hexagone plus acceptable pour les ultramarins. Concernant la durée du séjour en outre-mer, nous préconisons quatre ans renouvelables une fois.

La mobilité des ressortissants de l’hexagone en outre-mer est particulièrement problématique dans la police, l’âge moyen élevé posant la question de l’efficacité. Une forte proportion est souvent ainsi inapte à la voie publique (IVP). Une présence prolongée en outre-mer induit un processus de fidélisation et même le recours à des mécanismes illicites tels que les PACS blancs. Il faut rétablir un juste équilibre car la présence de patrouilles exclusivement constituées d’originaires de l’hexagone n’est pas bien perçue par les populations locales et source de tensions.

Mme Brigitte Allain, députée.- Une place marginale est trop souvent réservée à l’outre-mer dans les projets de loi, le dernier exemple en date étant celui du titre VI du projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt en cours de navette. Les préconisations de votre rapport pourraient-elles prochainement nourrir un texte spécifique à l’outre-mer ?

Par ailleurs, s’il faut effectivement limiter les effets d’aubaine qui ont pu être constatés, il faut prendre garde à ne pas bloquer la mobilité et mettre fin à des échanges qui sont gage de connaissance mutuelle.

M. Patrick Lebreton, député.- Le rapport sur la régionalisation de l’emploi n’entend pas nourrir une loi particulière pour l’outre-mer. Le droit commun doit s’appliquer à nos départements mais il faut l’adapter pour tenir compte de nos spécificités et remédier aux problèmes les plus saillants ; c’est ce que propose en matière d’agriculture le récent rapport de notre Délégation rédigé par nos collègues Chantal Berthelot et Hervé Gaymard. En matière d’emploi, j’insiste sur l’impossible retour au pays pour les gardiens de la paix ultramarins depuis qu’en 2002 le critère de l’ancienneté dans le grade a été substitué à celui de l’ancienneté de la demande. Il faut mettre en place des critères se référant à la notion de « centre des intérêts matériels et moraux (CIMM) » pour éviter les drames humains et familiaux. La mobilité vers l’hexagone serait également mieux vécue avec des congés bonifiés d’une durée plus brève mais plus fréquents. Si le problème se pose de façon aiguë pour les gardiens de la paix, il se pose également, bien que dans une moindre mesure, pour les surveillants pénitentiaires. Les créations et réhabilitations de centres pénitentiaires annoncées par la Garde des sceaux, en ouvrant davantage de postes, devraient contribuer à fluidifier la mobilité. Dans certains corps, comme la gendarmerie ou l’éducation nationale où la référence au CIMM est pratiquée, il y a moins de problèmes. Les critères doivent donc être modifiés et clarifiés afin de ménager une véritable visibilité en matière de mobilité.

Mme Annick Girardin, députée.- Pour fluidifier la mobilité, il faudrait sans doute également valoriser la mobilité fonctionnelle et pas la seule mobilité géographique. Concernant la mobilité vers les outre-mer, il faudrait pouvoir tester l’aptitude à servir des candidats et, à cet effet, s’inspirer des pratiques mises en œuvre par le ministère des Affaires étrangères pour les mobilités vers certaines destinations à l’étranger.

M. Patrick Lebreton, député.- Il faut effectivement adapter les règles de mobilité et accroître l’offre d’emplois locaux par la régionalisation des concours pour les cadres de catégories B et C. Il faut aussi régionaliser la gestion des cadres de la fonction publique de l’État en développant la mobilité fonctionnelle entre les services déconcentrés et mettre en place des « contrats de retour » en amont de la mobilité dans l’hexagone. Aujourd’hui, les gardiens de la paix reçoivent une première affectation en région parisienne qui dure en général huit ans et, en cas de promotion de grade, quatre à cinq ans supplémentaires doivent être ajoutés ce qui est dissuasif pour les ultramarins qui préfèrent renoncer à l’avancement et privilégier le retour au pays.

Il faut donner une base législative à la référence au CIMM et sécuriser sa définition : une douzaine de critères pourraient ainsi être retenus pour qualifier le CIMM, notamment la maîtrise de la langue régionale qui est une condition d’efficacité professionnelle dans l’éducation nationale comme dans la police.

M. Serge Larcher, président.- Les sur-rémunérations induisent des distorsions entre secteur privé et secteur public, ce dernier se révélant comparativement plus attractif dans nos outre-mer pour les jeunes diplômés. Il s’agit d’un sujet sensible mais incontournable si l’on veut créer les conditions d’un développement équilibré. Notre mission d’information de 2009 avait préconisé d’ajuster le complément de rémunération au véritable différentiel de coût de la vie, ce dispositif ne s’appliquant qu’aux nouveaux venus et les économies réalisées étant réinjectées localement pour le financement des investissements structurants. Pareille évolution permettrait d’encourager le développement du secteur privé et de supprimer les effets d’aubaine tout en évitant la fuite de nos élites à l’extérieur de nos territoires.

Mme Annick Girardin, députée.- Une autre façon de remédier au problème des surcoûts occasionnés par l’éloignement est leur prise en charge par l’État, comme au Canada.

M. Félix Desplan, sénateur.- La question des sur-rémunérations est délicate et il faut prendre garde à ce que son traitement ne compromette pas l’adoption d’autres mesures bénéfiques. Indépendamment de cette question qui fait périodiquement polémique se pose celle de la surreprésentation des ressortissants de l’hexagone dans les postes d’encadrement de nos outre-mer.

M. Serge Larcher, président.- En effet, la grande majorité des postes d’encadrement des grands groupes est occupée par des originaires de l’hexagone.

Mme Brigitte Allain, députée.- Il faudrait analyser l’origine des surcoûts pour y remédier.

M. Serge Larcher, président.- Les causes des surcoûts sont multiples. Certaines sont objectives comme l’absence d’économies d’échelle résultant du caractère insulaire et de l’étroitesse des marchés ; d’autres comme les marges excessives prélevées par certains opérateurs économiques sont beaucoup plus contestables.

M. Patrick Lebreton, député.- La question des sur-rémunérations n’est pas traitée par le rapport sur la régionalisation de l’emploi. Celui-ci insiste en revanche sur la nécessité de former des élites locales qui font aujourd’hui cruellement défaut au moment où il s’agit de promouvoir des stratégies de développement et où les évolutions institutionnelles confèrent davantage de pouvoirs et de responsabilités aux collectivités. Il faut mettre en place des formations directement opérationnelles, des écoles de cadres, des conventions avec les IEP de l’hexagone, renforcer les formations universitaires locales, mais certainement pas créer, par exemple, des IRA. Il existe par ailleurs des élites expatriées dont il faut encourager le retour mais cela passe par la définition d’une stratégie de développement économique dans chaque territoire.

M. Serge Larcher, président.- Mes chers collègues, au terme de cette audition, je me réjouis de nos travaux en commun et attends avec impatience la proposition de loi qui traduira les recommandations de l’excellent rapport sur la régionalisation de l’emploi.

Rencontre-débat intitulée : « Ultramarins de l’hexagone : du stéréotype à la réalité », sous le haut patronage de M. Claude Bartolone, Président de l’Assemblée nationale, et en présence de Mme George Pau-Langevin, ministre des Outre-mer, de Mme Sophie Elizéon, Déléguée interministérielle pour l’égalité des chances des Français d’outre-mer, de M. Hugues Cazenave, Président fondateur de la société Opinion Way, de Mme Audrey Célestine, docteure en sciences politiques, et de M. Antoine Prudent, Président de l’Observatoire national des originaires d’outre-mer (ONDOM)

(Compte rendu de la réunion du 15 octobre 2014)

M. le président Jean-Claude Fruteau. Madame la déléguée interministérielle, mesdames et messieurs, je suis très heureux de prononcer ces quelques mots devant vous ce matin, propos destinés à servir de courte introduction à cette réunion, dont le thème s’intitule : « Ultramarins de l’hexagone : du stéréotype à la réalité ».

Il est vrai que l’image des ultramarins, dans la France hexagonale et aux yeux des Français de l’hexagone, n’apparaît pas toujours de manière précise, alors pourtant qu’elle devrait être riche de déterminations – déterminations à la fois multiples, pertinentes et nuancées.

En fait, cette image paraît souvent contradictoire.

D’un côté, la plupart de nos concitoyens ont présents à l’esprit des noms qui incarnent une notoriété ou une réussite certaine dans les domaines les plus variés, que ces domaines soient politiques, culturels ou sociaux. Ainsi, qui ne connaît Victor Schoelcher, Aimé Césaire, Simone Schwarz-Bart, le groupe Kassav ou le judoka Teddy Riner ?

Mais d’un autre côté, nos concitoyens ne peuvent être que frappés par le nombre d’habitants des DOM ou des COM placés en situation de grande précarité. Dans l’hexagone on s’effraie avec un taux de chômage atteignant 10,3 % de la population active. Mais que dire des outre-mer, ou, dans certains endroits, celui-ci atteint près de 20 % de cette même population, et plus de 60 % chez les jeunes ?

De la sorte, les habitants de l’hexagone ont souvent l’impression que la réalité ultramarine se résume à deux situations extrêmes. Et, entre ces deux extrêmes, l’observateur – surtout s’il est lui-même ultramarin – a fréquemment le sentiment que toutes les autres situations restent méconnues. Au fond, que sait-on vraiment, dans l’hexagone, de la vérité des habitants des outre-mer, de leur culture, de leur mode de vie, de leurs passions, de leurs attentes ?

C’est ainsi que cette réunion a pour objet de contribuer à l’amélioration de la connaissance que l’on peut avoir de la culture et des déterminations de pensée des Français originaires des outre-mer. Elle a aussi pour objet de lutter contre les stéréotypes.

Dans ce contexte, deux types d’analyses statistiques vont être présentés : d’une part, le tableau de bord de la Délégation interministérielle, qui est un outil d’évaluation et de suivi, commandé par Mme Sophie Elizéon, déléguée interministérielle pour l’égalité des chances des Français d’outre-mer, à l’ONDOM – l’Observatoire national des originaires d’outre-mer ; d’autre part, le second baromètre de l’état d’esprit des ultramarins de l’hexagone, une étude d’opinion réalisée, à partir de panels représentatifs, dans le courant des mois de mai et juin de cette année, par la société privée Opinion Way – le premier baromètre ayant été réalisé, par cette même société, au cours des mois de mai et juin 2013.

Les conclusions auxquelles nous pourrons aboutir, au regard de ces statistiques, nous seront suggérées par nos trois intervenants : M. Hugues Cazenave, président fondateur de la société Opinion Way ; Mme Audrey Célestine, docteure en sciences politiques, et M. Antoine Prudent, président de l’ONDOM. Elles nous seront suggérées aussi, bien entendu, par Mme Elizéon elle-même.

La constitution d’une base de données à partir de laquelle il est possible de raisonner de manière objective est une excellente chose car nous manquons trop souvent, outre-mer, d’outils d’évaluation statistique. La Délégation aux outre-mer de l’Assemblée nationale, que j’ai l’honneur de présider, le constate chaque fois qu’elle doit réaliser un rapport. Et de même, des instances éminentes de notre pays le font remarquer. C’est ainsi que la Cour des comptes, par exemple, dans un rapport de novembre 2013 consacré à la fiscalité outre-mer, observe que les collectivités territoriales ultramarines ne disposent pas de statistiques suffisantes pour bien définir leur programme d’action.

Nous avions reçu Mme Sophie Elizéon à la Délégation aux outre-mer de l’Assemblée nationale le 18 décembre 2012 et elle nous avait dit à cette occasion que, consciente de ces lacunes économétriques, elle travaillait à la réalisation de modèles d’analyse permettant de mieux appréhender la situation des ultramarins.

Aujourd’hui, je ne peux donc que me réjouir de constater qu’elle a pu aboutir dans cette démarche, et qu’elle a pu constituer des bases de données qui lui permettront de lutter efficacement contre les discriminations.

Croyez que, de notre côté aussi, nous nous battons, corps et âme, pour l’intégration.

En effet, actuellement, nous essayons, à l’occasion du débat sur la loi de finances initiale pour 2015, de faire adopter un maximum de mesures : l’accroissement du taux du CICE (crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi) avec un taux sur-majoré pour le tourisme, qui était l’une des propositions d’un rapport de la Délégation récemment adopté, l’accroissement de l’aide à l’investissement locatif intermédiaire ou l’accroissement du taux du crédit d’impôt recherche dans les Outre-mer. Or, que sont ces dispositifs, sinon des moyens de créer de l’emploi et donc de l’intégration ? Clairement, nous sommes bien tous unis dans une même démarche.

Je passe la parole à Mme Sophie Elizéon, en lui faisant part de tout mon intérêt pour le travail qu’elle effectue.

Mme Sophie Elizéon, Déléguée interministérielle pour l’égalité des chances des Français d’outre-mer. Monsieur le président de la Délégation aux outre-mer, comme vous l’avez dit, lors de mon audition en décembre 2012, nous avions abordé la question d’une meilleure connaissance des ultramarins de l’hexagone, de leurs problématiques et de leurs atouts. Je m’étais engagée à revenir vers vous afin de rendre compte des travaux menés par la Délégation interministérielle en ce sens, et je vous remercie de me permettre aujourd’hui de répondre aux questions qui avaient été alors soulevées.

J’ai fait le choix d’articuler les missions que m’a confiées le Premier ministre autour d’un slogan « les ultramarins ont de l’audace », de trois axes, à savoir « prévenir, corriger, diffuser », et d’un outil de pilotage prenant la forme d’un tableau de bord.

J’ai demandé à l’ONDOM d’élaborer le tableau de bord que son président, M. Prudent, vous présentera dans un instant. Mais auparavant, permettez-moi d’en rappeler l’intérêt.

Plus qu’un outil d’observation – même si cette étape est primordiale pour qualifier la cible de toute politique publique – ce tableau de bord est un outil d’évaluation. En effet, l’action publique n’a de sens que si elle est efficace. Je souhaite chaque année évaluer l’impact des actions menées par la délégation que je conduis, et porter en toute transparence cette évaluation à la connaissance des parlementaires, des ultramarins et du grand public.

Aujourd’hui, c’est donc la situation de départ, « l’instant zéro », qui vous est présentée.

Le tableau de bord s’articule autour des axes de travail de la Délégation et suit neuf indicateurs, quantitatifs et qualitatifs, dont l’évolution annuelle nous permettra d’une part, de mesurer l’efficacité de notre action et d’autre part, de redéfinir nos axes de travail si nécessaire. C’est donc aussi un outil de pilotage.

L’outil intègre des données qualitatives, dont certaines sont extraites du baromètre de l’état d’esprit des ultramarins de l’hexagone, qui vous sera présenté par M. Cazenave, président fondateur d’Opinion Way, à qui j’ai confié ce travail. Cette deuxième édition est riche d’enseignements qui battent en brèche les stéréotypes, et viennent conforter le choix que j’ai fait de promouvoir l’audace ultramarine.

Enfin, Mme Célestine, politiste et chercheur au laboratoire CECILLE, réagira à ces deux présentations, non sans que nous ayons pu répondre à l’ensemble de vos questions, les intervenants et moi-même.

M. Antoine Prudent, président de l’Observatoire national des originaires de l’outre-mer. Monsieur le président, avant de vous présenter notre tableau de bord avec les indicateurs de suivi, je vous précise que l’ONDOM a pour mission d’étudier, d’analyser, de préconiser et d’accompagner toutes les démarches aussi bien économiques, sociales que culturelles des ultramarins.

Pour construire ce tableau, nous sommes partis d’extractions de données très simples, de l’INSEE et de l’INED. Nous avons utilisé des travaux d’Opinion Way et du DD, ainsi que de certaines données prospectives.

Concernant la présence des ultramarins dans l’hexagone, nous constatons que 48 % d’entre eux sont Antillais (70 % dans la région parisienne)  et 20 % Réunionnais (28 % dans la région parisienne et 72 % en province), que les Mahorais vivent essentiellement en province, et surtout dans le Sud, tandis que les Guyanais vivent pour moitié en région parisienne et pour moitié en province. 60 % des jeunes domiens ont 18 à 29 ans, ce qui représente 2 % de la population générale. Un ultramarin sur deux est un descendant des domiens natifs des DOM.

Nous sommes partis de la base INSEE pour dire qu’aujourd’hui on peut identifier 377 500 personnes nées dans les outre-mer. Ajoutons qu’en termes de logement, 48 % des Réunionnais sont propriétaires, contre 30 % des Antillais.

J’observe que nous parlons surtout des domiens, et un peu moins des ultramarins en général. En effet, aujourd’hui, nous avons un déficit de chiffres et de données statistiques sur l’ensemble des autres COM. Voilà pourquoi nous raisonnons essentiellement sur une base domienne. Mais à l’avenir, il faudra combler cette lacune.

Concernant l’accès aux soins, nous constatons que l’état de santé des ultramarins installés dans l’hexagone est quasiment identique à celui de la population majoritaire et que seulement 10 % d’entre eux ont la CMU, contre 30 % de ceux qui vivent outre-mer – ce qui révèle une très grande précarité. Les ultramarins de l’hexagone possèdent un niveau de vie plus confortable, qui leur permet d’avoir un rapport à la santé plus axé sur le curatif que sur le préventif.

J’en viens au niveau de formation et à l’emploi des ultramarins :

De 1960 à nos jours, un bond phénoménal a été fait en matière de formation. En 1960, une majorité des ultramarins avaient un niveau CEP et CAP. En 2007, 42,7% d’entre eux ont une formation supérieure. 80 % de nos jeunes ont un niveau « bac plus 3 ». Cela veut dire que les ultramarins de France représentent un fort potentiel social et économique.

Si les domiens de la première génération connaissaient pratiquement le plein emploi, leurs descendants connaissent un taux de chômage équivalent à celui de l’ensemble de la population française – 8,3 % en 2007, et aujourd’hui, plutôt 10,3 %.

58 % sont encore fonctionnaires, même si le schéma parental n’a pas été forcément reconduit par la nouvelle génération – il y a eu jusqu’à plus de 78 % de fonctionnaires parmi les ultramarins ! 10 % sont cadres, contre 17 % au niveau national ; 12 % exercent des professions intellectuelles. Enfin, le niveau augmente tous les deux ans.

Autre élément : le sentiment de discrimination des ultramarins de l’hexagone.

Un chercheur que j’ai rencontré dernièrement à l’ONDOM m’a fait remarquer que la discrimination n’était pas seulement ressentie aux périodes charnières de la vie, mais tout au long de la vie. Cela commence dès l’école ; cela devient compliqué pour ceux qui souhaitent aller dans une filière d’excellence ; et ça l’est encore plus dans le monde du travail, où il est difficile de progresser. 58 % des ultramarins de l’hexagone affirment ressentir cette discrimination, ce qui est énorme. 59 % seulement des ultramarins se sentent français avant tout. Mais quid des 41 % qui restent ?

Pour lutter contre ces discriminations, un certain nombre d’outils ont été mis en place : élaboration d’un plan d’action interministériel ; formation de 12 associations antillaises par les équipes du Défenseur des droits ; présence d’associations ultramarines dans les COPEC (commissions pour la promotion de l’égalité des chances et de la citoyenneté) ou dans les instances de pilotage.

Le dernier élément de ce tableau de bord concerne la veille médiatique, destinée à vérifier la visibilité ultramarine.

Nous avons mobilisé quatre chercheurs de l’ONDOM, qui ont travaillé pendant une semaine à relever un certain nombre d’informations, dans les journaux, la presse écrite, audiovisuelle et télévisuelle. Cette semaine-là, le judoka Teddy Riner avait encore gagné, mais on s’intéressait surtout à ses parents guadeloupéens, qui étaient venus le supporter. Ensuite, on nous informait que le rhum x avait été primé. Enfin, à l’occasion d’un article sur les immigrés de la France métropolitaine, on apprenait que les Antillais s’identifiaient aux immigrés parce qu’ils subissaient le même type de discriminations. Ainsi, sur toute une semaine, on n’a trouvé que trois références liées aux ultramarins : hors des médias communautaires, point de salut !

En conclusion, cette étude de 43 pages nous a montré là où des progrès avaient été faits, là où il fallait vraiment travailler, et tout ce qu’il restait à faire. La Délégation tirera ses propres conclusions. Mais je pense que si nous sommes là aujourd’hui, c’est parce que nous sommes tous concernés. L’ONDOM reste mobilisé et continuera à agir avec l’aide de tous ceux qui le voudront bien.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Cette première étude est riche d’enseignements. Pour autant, nous ne sommes pas surpris, en particulier par le pourcentage de 58 % d’ultramarins qui se sentent victimes de discriminations. Nous avons tous eu connaissance d’un certain nombre d’évènements dans lesquels nos compatriotes ultramarins de l’hexagone ont pu avoir ce sentiment. C’est précisément contre cela qu’il faut lutter.

Avant de passer la parole dans la salle, je tenais à saluer nos collègues députés, parmi lesquels je ferai une mention particulière pour M. Victorin Lurel, ancien ministre des Outre-mer.

M. Philippe Gosselin. Je déplore moi aussi que nous ayons des problèmes de statistiques, liés à des lacunes économétriques. Nous en avons parlé hier avec Mme George Pau-Langevin, la ministre des Outre-mer, et avec Mme Chantal Berthelot au titre de la présidence de la CNEPEOM, la Commission nationale d’évaluation des politiques de l’État en outre-mer. Cela confirme que nous devons mieux prendre en compte les outre-mer en termes d’adaptation de normes, d’études d’impact, et que nous devons être plus précis.

Je constate avec infiniment de plaisir que les formations des ultramarins de l’hexagone sont de plus en plus proches de celles du reste de nos compatriotes. Petit à petit, un lissage se fait, qui va dans le bon sens. Mais je suis interpellé par ce pourcentage de 58 % d’ultramarins qui se sentent victimes de discriminations. C’est évidemment beaucoup trop.

Je regrette au plus haut point que les médias ne fassent pas une part plus grande à l’outre-mer. Pour entendre parler de l’outre-mer, il faut écouter la revue de presse de France Inter. Mais celle-ci a lieu à 5 heures 45, ce qui est tout de même un peu tôt. En la matière, la marge de progression est énorme et il ne faudrait pas cantonner cette information à quelques médias spécialisés, fussent-ils de qualité.

En dernier lieu, je voudrais en savoir plus sur la formulation de la question qui a permis à 59 % seulement des ultramarins de dire qu’ils se sentaient avant tout français. Moi-même, je me sens à la fois normand et français et je comprendrais donc très bien que l’on se sente à la fois antillais et français, et pas avant tout français. Ce pourcentage de 59 % n’est donc pas forcément inquiétant. Pourquoi ne pas mettre en avant d’autres racines qui sont celles d’autres citoyens d’autres régions de métropole ou du territoire national ?

Mme Sophie Elizéon. C’est une question que nous avions posée dans le premier baromètre, et que nous n’avons pas reposée cette année. On demandait aux personnes interviewées si elles se sentaient « avant tout » françaises, guadeloupéennes, réunionnaises, mahoraises, etc.

M. le président de l’ONDOM a retenu de cet indicateur de suivi les « 59 % seulement ». Mais ce qui nous avait surtout frappés, c’était l’effet que le sentiment de discrimination pouvait avoir sur ce sentiment d’appartenance. Ce pourcentage de 59 % est une moyenne, et il se trouve que 64 % des ultramarins qui n’avaient pas déclaré être victimes de discrimination se sentaient français avant tout. C’est donc bien le sentiment de discrimination qui fait que l’on se sent appartenir, ou pas, à la Nation. C’est sur cet aspect-là que nous avions insisté l’an dernier et que nous orientons nos travaux.

M. David Auerbach-Chiffrin. Je voudrais vous remercier de votre hospitalité, remercier Mme la déléguée interministérielle ainsi que l’ONDOM pour la deuxième édition de cette présentation qui s’avère d’ores et déjà extrêmement intéressante.

Je suis responsable de l’association « Tjenbé Red » qui lutte contre les homophobies aux côtés des populations ultramarines. À ce propos, je ferai une parenthèse : des personnes, qui alimentent furieusement certaines discriminations à l’encontre de certaines populations, viennent aujourd’hui nous dire qu’ils luttent contre d’autres discriminations. Tant mieux. Reste que c’est assez contradictoire.

J’aurai deux questions à poser à nos intervenants.

Premièrement, j’ai entendu que les associations marines s’investissaient dans les COPEC. Or il me semble, d’après le retour que nous pouvons avoir de certains collègues associatifs, notamment dans les régions françaises de l’hexagone, que ces commissions ne sont plus vraiment actives. Je crois même que nous en avions fait l’observation avec Mme la déléguée interministérielle la dernière fois qu’elle a bien voulu nous recevoir. La situation serait en suspens, en attendant l’installation du successeur de l’organisme chargé de lutter contre les discriminations. Qu’en est-il ?

Deuxièmement, je voudrais adresser une question plus pressante aux parlementaires ici présents.

En 2009, au terme des états généraux de l’outre-mer, auxquels nous avions participé, l’État s’était engagé (c’était la mesure numéro 60) à réaliser une vaste enquête publique sur les conditions de vie et de santé des Français ultramarins, vivant aussi bien dans les Outre-mer que dans l’hexagone. Pour nous, c’était important. Nous espérions disposer ainsi d’un support pour la construction d’un espace commun, d’un socle d’observation entre l’État et la société civile, et d’une source d’alimentation pour le plaidoyer de notre association. Or cette enquête n’a toujours pas été réalisée. Pourriez relancer les services de l’État ? C’est une demande que nous avons déjà présentée à Mme la ministre des Outre-mer et à Mme la déléguée interministérielle, et que nous avons l’occasion de vous présenter aujourd’hui.

M. le président Jean-Claude Fruteau. À ma connaissance, en effet, cette étude n’a pas été réalisée. Je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas tenter de la relancer.

Mme Sophie Elizéon. Comme je l’ai dit tout à l’heure, on part bien d’un « instant zéro » du tableau de bord, dont c’est la première édition. Il y en en aura une deuxième l’an prochain, et ainsi de suite au fil des ans.

L’indicateur qui vous a été présenté, parmi tant d’autres, par l’ONDOM, est bien l’indicateur de la présence, ou pas, des associations ultramarines dans les COPEC ou dans ce qui va sans doute les remplacer dans chaque région, à savoir les instances de coordination des plans régionaux de lutte contre les discriminations. S’il n’y a pas d’associations ultramarines dans ces instances, nous mettrons en place un partenariat pour qu’il y en ait. C’est bien ce chiffre-là que nous prendrons en compte au fil du temps pour mesurer l’impact de nos actions.

Dès que la donnée sera connue et dès que l’évolution territoriale aura été actée, nous allons renseigner cet indicateur et, l’an prochain, nous reviendrons vers vous pour vous dire s’il a progressé ou pas.

M. Pierre Lézeau. Je ne suis pas ultramarin, mais natif de La Désirade (Guadeloupe). Je voudrais revenir sur ce qui a été dit précédemment sur notre connaissance des personnalités antillaises, mahoraises, guyanaises, etc. Marseille est peut-être le bout du monde, reste que l’analyse statistique qui vient d’être faite ne correspond pas à la réalité du terrain de la région PACA. La raison en est simple : deux tiers des ultramarins sont installés en Île-de-France. De ce fait, la situation de la population ultramarine dans les autres régions est beaucoup plus difficile à appréhender.

Je tiens moi aussi à saluer le président Victorin Lurel. Grâce à lui nous avons pu, lorsqu’il était au ministère de l’outre-mer, mettre en place une rue Aimé Césaire à Marseille. Cela nous a demandé quatre ans de travail. Pour l’anecdote, lorsque nous avons présenté le dossier en mairie de Marseille, il a été envoyé à la commission « Autres communautés et affaires religieuses de Marseille ». Voilà la réalité ! Par la suite, l’évènement n’a pas attiré la presse. Nous n’avons eu droit qu’à une petite émission de quelques minutes sur France Ô.

La réalité de l’outre-mer, en tout cas à Marseille, en PACA n’est donc pas connue, ni repérée par les institutions. De la même façon, lorsque Maryse Condé, qui n’est pas non plus n’importe qui, est venue travailler avec nous pendant trois ans, pas un journaliste ne s’est déplacé.

Certes, nous sommes à « l’instant zéro » de l’étude statistique des ultramarins de métropole. Mais il faudra sans doute affiner l’outil de mesure et de statistique et d’appréhension de la réalité française. Car il y a d’un côté Paris, l’Île-de-France … et nous, qui sommes dans le désert français.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Merci de votre témoignage, qui confirme le manque d’intérêt des médias pour les ultramarins et leur réalité plurielle.

M. Guy Barret. Je suis le président de la Fédération ultramarine de Lorraine. Dans cette région, la situation est un peu différente, dans la mesure où les ultramarins y sont très éparpillés. Mais là aussi, nous essayons de faire comprendre que l’outre-mer ne se résume pas à son folklore, à ses danses et à son ti’punch. Malheureusement, nous sommes bien seuls. Les autorités locales, politiques ou autres, ne prennent pas en considération notre culture et notre histoire. Bien souvent, les animations que l’on nous propose le sont dans un cadre festif et très rarement dans un cadre culturel.

Je pense que l’on pourrait faire diminuer ces chiffres, qui me semblent assez alarmants, en mettant davantage l’accent sur la culture, la poésie, voire sur la philosophie. Cela permettrait que l’on reconnaisse l’outre-mer, non pas par ses couleurs, mais par sa pensée et son intelligence.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Merci de votre intervention, qui va dans le sens de ce qui a été dit précédemment.

M. Hugues Cazenave, président fondateur de la société Opinion Way. Il me revient de vous présenter les principaux enseignements de la deuxième édition de ce baromètre, dont l’objectif est d’analyser les représentations aussi bien des ultramarins vivant dans l’hexagone que de l’ensemble des hexagonaux. Cet outil permet en effet de mesurer et de comparer les deux populations sur des indicateurs identiques et sur des sujets comparables.

Nous avons interrogé deux échantillons : un échantillon représentatif de l’ensemble de la population hexagonale, et un échantillon de personnes originaires d’outre-mer vivant dans l’hexagone – dont certains avaient des parents, voire des grands-parents vivant également dans l’hexagone. Le terrain d’enquête – c’est-à-dire les dates entre lesquelles les deux échantillons ont été interrogés – est relativement récent, puisqu’il va du 11 au 25 juin 2014.

Nous avons cherché à caractériser les profils des originaires d’outre-mer vivant dans l’hexagone. Je ne détaillerai pas les chiffres, mais je vais essayer de vous donner le sens de ces résultats.

Nous avons à faire à une population un peu plus masculine (54%) que l’ensemble des hexagonaux (48%), plus jeune aussi puisque les 18-24 ans et les 25-34 ans représentent un peu plus de la moitié de cette population, et un peu plus francilienne. On l’a dit, la plus grande partie des personnes originaires d’outre-mer vit dans la région Île-de-France. Enfin, en matière de CSP (catégories socioprofessionnelles) il n’y a pas de différences significatives, si ce n’est qu’il y a beaucoup moins de retraités dans la population d’origine ultramarine que dans l’ensemble de la population hexagonale.

Nous nous sommes ensuite intéressés à différents sujets : l’état d’esprit des originaires d’outre-mer, leurs représentations, les discriminations et la représentation de l’outre-mer et des outre-mer dans les médias – déjà abordée en première partie.

Pour caractériser l’état d’esprit des originaires d’outre-mer, nous avons utilisé un outil qu’Opinion Way avait mis en place pour le CEVIPOF (Centre d’études de la vie politique française).

Dans l’ensemble, une majorité absolue d’ultramarins exprime un état d’esprit plutôt négatif : méfiance, lassitude, morosité, peur – qualificatifs cités par une proportion non négligeable d’ultramarins. Il convient cependant de signaler que cet état d’esprit négatif est moins souvent présent que dans l’ensemble de la population hexagonale. Je prendrais l’exemple de la morosité : 20% des originaires d’outre-mer citent ce qualificatif, contre 34 % pour l’ensemble de la population hexagonale. Nous avons là un premier élément de caractérisation de l’état d’esprit des ultramarins vivant dans l’hexagone : celui-ci est moins souvent négatif que celui de l’ensemble de la population hexagonale.

On remarque par ailleurs que la méfiance est citée par presque un tiers de la population des originaires d’outre-mer et que cette méfiance a progressé de 6 points par rapport à l’an dernier. Je crois qu’il faut y voir là une corrélation avec ce que l’on a dit – et que l’on va dire – sur les discriminations.

On peut également se réjouir que l’état d’esprit négatif des originaires d’outre-mer, bien qu’important, ait régressé de 9 points par rapport à l’an dernier. Comme vous pouvez le constater, nous avons un une double clé de lecture : diachronique, dans le temps, qui nous permet de comparer 2013 et 2014, et synchronique, qui nous permet de faire des comparaisons avec l’ensemble de la population hexagonale.

Maintenant, si l’on s’intéresse aux qualificatifs positifs, on a un double motif de satisfaction. Le bon état d’esprit concerne 58 % des originaires d’outre-mer et surtout, il est en progression de 11 points par rapport à l’an dernier : c’est le bien-être qui l’emporte (30%, soit une progression de 8 points) ; l’enthousiasme progresse de 7 points et la sérénité de 10.

Au final, l’état d’esprit des ultramarins est meilleur que dans l’ensemble de la population hexagonale, et il progresse également – même si la méfiance progresse elle aussi.

Après l’état d’esprit, j’en viens à l’image des ultramarins, sujet déjà abordé en introduction. Quelques résultats permettent de mieux appréhender les représentations associées aux territoires d’outre-mer.

Bien sûr, dans ces représentations, il y a des stéréotypes, des caractéristiques qui sont associées à l’outre-mer et qui sont partagées de façon largement consensuelle, aussi bien par les ultramarins vivants dans l’hexagone que par l’ensemble de la population hexagonale. Ce sont : les paysages uniques et attirants, cités par la quasi-totalité de nos deux échantillons ; le potentiel touristique, qui vient en corollaire ; l’importance de la biodiversité naturelle et des populations enrichissantes par leur diversité, deux éléments largement cités par les uns et par les autres.

D’autres dimensions sont un peu moins partagées et parfois un peu plus clivées : la capacité à ouvrir la France sur le monde est citée par 90 % des originaires d’outre-mer, contre 69 % par la population hexagonale. S’il y a une certaine convergence s’agissant de l’importance des ressources naturelles, des différences apparaissent dès lors que l’on cite les atouts de l’outre-mer dans le cadre de la mondialisation et le goût de l’innovation des populations ultramarines. Sur ce dernier point, il y a un vrai fossé entre les deux populations : 58 % des originaires de l’outre-mer, contre 38 % seulement pour la population hexagonale.

Le résultat peut-être le plus spectaculaire de ce baromètre concerne l’attirance ou la propension à l’entrepreneuriat.

La question est la suivante : « Vous, personnellement, seriez-vous tenté(e) ou avez-vous été tenté(e) de devenir un entrepreneur ? » Chez les hexagonaux, le oui est minoritaire, avec 36 % ; chez les originaires, il atteint 64 %, soit près des deux tiers.

Mais le fait que, dans l’hexagone, les personnes originaires de l’outre-mer sont plus souvent des entrepreneurs que le reste de la population – réalité mesurée par ailleurs – est une surprise aussi bien pour les hexagonaux (80%) que pour les originaires d’outre-mer (79%). Les uns et les autres, et plus particulièrement les originaires d’outre-mer, considèrent que c’est une bonne chose et qu’une telle information n’est pas suffisamment mise en valeur (76 % des hexagonaux et 87 % des originaires d’outre-mer). Sans doute, là encore, y a-t-il une responsabilité des médias. Une action en ce sens devrait être menée pour mieux diffuser cette information, très intéressante et très valorisante.

Nous avions déjà évoqué la question de la représentation, dans les médias, de la diversité des origines. Nous avons cherché ici à distinguer plusieurs sphères : la sphère médiatique, politique ou celle de la fonction publique.

À la question « Est-ce que la diversité des origines est bien ou mal représentée dans les médias ? », nos deux populations ont répondu à peu près de la même façon. Elles considèrent que cette diversité des origines est bien représentée : 63 % pour les hexagonaux, et 55% pour les originaires d’outre-mer. Cette petite différence est probablement due à un niveau d’exigence plus élevé – et bien légitime – de la part des originaires d’outre-mer.

S’agissant des autres sphères, les résultats sont beaucoup moins favorables. Dans la sphère politique, 44% des hexagonaux – donc moins d’un sur deux – considèrent que cette diversité est bien représentée, contre 34 % des originaires d’outre-mer. Dans la haute fonction publique, la proportion tombe à 40 % des hexagonaux et 30 % des originaires d’outre-mer. Dans les entreprises cotées et les grandes entreprises, elle n’est que de 37 % pour les hexagonaux et 42 % pour les originaires d’outre-mer. Il y a sans doute des efforts à faire pour améliorer la représentation des origines.

J’en viens à un sujet central, que nous avons également déjà eu l’occasion d’aborder, à savoir les discriminations et avec elles, la colonisation et l’esclavage. En parle-t on suffisamment en France ?

Une petite moitié des hexagonaux et une majorité absolue des originaires considèrent que l’on ne parle pas suffisamment des discriminations. Les résultats sont à peu près les mêmes pour ce qui concerne la colonisation et l’esclavage.

Nous avons posé la question suivante : « Diriez-vous qu’en ce moment les discriminations en France sont une chose très répandue, plutôt répondue, plutôt rare, très rare ? » Or, aussi bien pour les hexagonaux qu’a fortiori pour les originaires, ces discriminations sont considérées comme répandues : 74 % pour les premiers et 81 % pour les seconds. On est donc conscient, en France, du caractère fréquent de ces discriminations. J’observe que cette conscience varie selon l’ancienneté dans l’hexagone. Pour ceux dont les parents sont originaires d’outre-mer, ces discriminations sont encore plus fréquentes.

J’en viens à la question : « Avez-vous personnellement déjà été victime de discriminations ? » Un quart (25%) de l’échantillon hexagonal répond oui, contre 58 % de l’échantillon des personnes originaires de l’outre-mer – soit 33 points d’écart entre les deux.

Ces 58 % correspondent à un sous-total : oui, une fois (18%); oui, plusieurs fois (40%). Ce dernier pourcentage est spectaculaire, puisqu’il signifie que quatre personnes originaires de l’outre-mer sur dix ont subi à plusieurs reprises des discriminations.

Pour analyser plus finement ces discriminations et savoir sur quoi elles étaient fondées, nous avons interrogé les personnes qui nous avaient déclaré avoir été victimes de discriminations : les 25 % de la population hexagonale, et les 58 % de la population originaire d’outre-mer. Nous nous sommes alors aperçus que les discriminations fondées sur l’origine, sur l’appartenance ou non à une race, sur l’appartenance ou non à une ethnie, sont fréquentes dans les deux cas, mais évidemment malheureusement beaucoup plus fréquentes à l’encontre de la population originaire d’outre-mer – par exemple, 43 % ont été victimes de discriminations fondées sur l’origine.

Ensuite, nous avons essayé de savoir dans quels domaines et dans quelles circonstances s’étaient exercées ces discriminations. Elles s’exercent le plus fréquemment dans le domaine de l’emploi, et les différences de situation sont spectaculaires entre la population hexagonale et la population originaire d’outre-mer : ainsi, 44 % des originaires d’outre-mer, contre 17 % de la population hexagonale, nous ont déclaré avoir été victimes de discriminations à l’occasion d’une recherche d’emploi. Mais bien d’autres situations et circonstances – les relations avec l’administration, l’accès aux services bancaires, l’accès aux établissements d’enseignement en dehors de la scolarité obligatoire, et la recherche de logement – font apparaître un différentiel important entre l’ensemble de la population hexagonale et les originaires d’outre-mer.

Je terminerai sur cette question, qui a été posée aux originaires d’outre-mer : « Pensez-vous que les élus de l’hexagone (maires, députés, sénateurs) prennent suffisamment en compte les problématiques des originaires d’outre-mer ? » Les résultats se passent de commentaires : un tiers seulement des originaires d’outre-mer considèrent que leurs intérêts sont suffisamment pris en compte ; les deux tiers d’entre eux sont donc d’un avis inverse. On pourrait même insister sur ces 20 % qui considèrent que cette prise en compte n’est pas du tout effective. Je précise que lorsque l’on essaie d’analyser ces résultats par proximité partisane, on s’aperçoit qu’il n’y a aucune différence entre les sympathisants de gauche et les sympathisants de droite.

Ma conclusion portera sur trois points.

Premièrement, l’outre-mer et les ultramarins ont une image plutôt positive auprès des hexagonaux, fondée sur les territoires eux-mêmes et les atouts qu’ils représentent pour la France, et le fait que la population ultramarine est plus entreprenante que l’ensemble de la population de l’hexagone.

Deuxièmement, l’état d’esprit des ultramarins de l’hexagone est meilleur que celui des hexagonaux. Malgré tout, les ultramarins ont le sentiment d’être davantage discriminés en raison de l’origine, de l’appartenance à une race ou à une ethnie, et dans des circonstances qui sont graves, notamment parce qu’elles sont souvent liées à un sujet majeur qui est l’emploi.

Troisièmement, le sentiment que les problématiques et les intérêts des ultramarins sont encore insuffisamment pris en compte par les élus prévaut parmi les originaires de l’outre-mer.

Mme Sophie Elizéon. Comme je le disais en propos introductif, ces données du baromètre vont nous servir à la fois à alimenter les tableaux de bords et à faire correspondre –ou pas, comme on l’a constaté – la réalité de ce qui est mesuré statistiquement au ressenti de l’ensemble des ultramarins de l’hexagone et, par voie de conséquence, à orienter notre action.

Par exemple, le très fort sentiment de discrimination a un effet concret sur le niveau d’exercice de la citoyenneté, ou du moins sur le sentiment d’appartenance à la nation française. Voilà pourquoi, dans un premier temps, nous avons signé un partenariat avec les services du Défenseur des droits pour améliorer la qualification des saisines. En effet, le Défenseur des droits a à connaître des questions de discrimination et dispose de tous les pouvoirs d’action en la matière. Mais il apparaît aujourd’hui qu’entre le sentiment de discrimination – que je ne remets absolument pas en cause ici – et le nombre des saisines adressées à l’institution et au Défenseur des droits, l’écart est relativement important. Je ne connais pas le nombre des saisines du Défenseur des droits de l’année 2014, mais je sais qu’en 2013, avec un sentiment de discrimination équivalent à celui de 2014, le nombre de ces saisines était très faible, et qu’en outre, ces actions portaient surtout des questions de logement. Il est donc important d’agir sur une meilleure qualification et sur l’augmentation du nombre de saisines du Défenseur des droits. Ce sera d’ailleurs l’un des indicateurs du tableau de bord que nous avons précédemment mentionné.

Ensuite, il y a une représentation relativement stéréotypée des ultramarins, y compris chez les ultramarins eux-mêmes. L’aspect « audace entrepreneuriale et esprit d’innovation » est très peu connu sur l’ensemble du territoire hexagonal et reste une surprise pour certains et certaines d’entre nous. C’est finalement la plus grande surprise du baromètre. À nous de faire connaître cet aspect de nos compétences et de nos aptitudes. C’est tout le propos du slogan que j’ai choisi : « Les ultramarins ont de l’audace ». Les chefs d’entreprise et des représentants de réseaux de chefs d’entreprise pourront éventuellement en témoigner, mais nous avons là un vrai sujet qui nous permettrait de donner une image différente de qui nous sommes et peut-être d’en finir, ou de progresser vers la fin de cette idée qui consiste à dire que les outre-mer coûtent cher.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Le sujet est brûlant. Vous avez l’art de mettre le feu aux poudres, madame la déléguée interministérielle !

Mme Brigitte Allain. Nous avons voté hier la loi sur la transition énergétique. À cette occasion, il est apparu que les territoires ultramarins, du fait de leur géographie, étaient dans une situation bien particulière.

Nous avons constaté que, sur ces territoires, les textes limitaient le développement des énergies renouvelables à 30 %. La loi a permis une certaine évolution. Reste que, du moins pour un certain nombre d’entre eux, il serait possible d’aller vers 100 % d’énergies renouvelables. La capacité d’innovation et à l’entrepreneuriat que l’on vient de mettre en avant ne pourrait-elle pas se traduire par une politique visant à l’autonomie énergétique ? Cela montrerait que ces territoires peuvent ne pas être à la charge du reste de la Nation.

Par ailleurs, lors d’une réunion, notre Délégation a abordé la question de la gestion des déchets, qui pourrait très certainement évoluer. Il devrait être possible, dans certains territoires, de transformer ces déchets en énergie, ou du moins de faire en sorte qu’ils ne soient pas coûteux. Ce sont des décisions politiques qui les rendent aujourd’hui coûteux.

Mme Maina Sage. Je voudrais souligner le fait que nous regrettons d’avoir si peu de statistiques sur la Polynésie française et les autres territoires du Pacifique. D’une certaine manière, nous sommes doublement discriminés. Mais nous allons rester optimistes et constructifs, comme le sont une grande majorité des ultramarins en hexagone – ce qui est une belle surprise de ce baromètre.

Je voudrais faire quelques remarques sur la perception que l’ensemble des Français de l’hexagone ont des atouts de l’outre-mer. En effet, certains clichés persistent : belles destinations, belles plages, et j’en passe… Même si l’environnement de l’outre-mer constitue une richesse naturelle, cela ne doit pas occulter la richesse humaine, les activités de ces territoires, leur économie propre, qui sont de réels atouts pour la France de par le monde.

J’insiste lourdement sur ce point parce que l’on a le sentiment, lorsque l’on vient à Paris, d’être dans une démarche de demande permanente. Et de l’autre côté, on perçoit des a priori à notre égard, et une méconnaissance, de la part des élus nationaux, de ce que l’on peut apporter en échange.

Une certaine solidarité existe, entre ce que nous demandons effectivement à l’État français en raison de nos handicaps structurels ou de nos retards en matière de développement économique et social, et ce que l’outre-mer peut faire pour soutenir la France, au niveau international, comme sur des enjeux économiques ou géostratégiques forts. Vous savez que la Polynésie s’est illustrée ces cinquante dernières années dans ce domaine, puisque nous avons accueilli la politique des essais nucléaires français, ce qui n’est pas rien ; et nous restons une terre d’accueil pour la recherche et l’innovation.

Ne pourrait-on pas réaliser un audit qui servirait de base pour un programme de promotion des outre-mer, allant au-delà des aspects touristiques de la carte postale ?

Dans la même façon, ne pourrait-on pas réaliser un audit sur les moyens mis en œuvre au niveau national pour « parler de nous autrement », et cela dès l’école maternelle ? Je ne sais pas très bien, concrètement, comment l’outre-mer est intégré dans les programmes nationaux, mais en Polynésie, nous travaillons à améliorer et à affiner nos programmes, pour que nos enfants connaissent, par exemple, leur propre histoire – qu’ils connaissent moins bien que l’histoire de France. Que fait-on, dans l’autre sens, au niveau national ?

M. David Auerbach-Chiffrin. Je remercie M. Cazenave pour la qualité de sa présentation des résultats de l’étude d’Opinion Way. Celle-ci appelle quelques remarques de ma part, cette fois-ci au titre de mon investissement associatif dans le CEGOM (Collectif des états généraux de l’outre-mer).

Nous faisons un audit, qui n’a pas tout à fait ni le même périmètre ni le même objet, mais qui, par certains points, pourrait lui être comparé. La dernière édition a été réalisée auprès de 423 Français d’outre-mer à la fois dans l’hexagone et outre-mer. Sans remettre du tout en cause vos propres conclusions, on ne retombe pas tout à fait sur les mêmes résultats, notamment en matière d’esprit positif. Nos indicateurs de mécontentement, que nous ne mesurons pas de la même manière, sont plus vifs et nos retours de terrain dénotent un état d’esprit bien moins positif que ne le fait votre enquête. Mais que je prends celle-ci telle quelle, et cela alimentera notre réflexion. Un point de détail tout de même : nous sommes aussi des hexagonaux. Il y aurait donc sans doute à revoir la terminologie que vous utilisez.

Par ailleurs, je suis un peu surpris par les résultats que vous avancez, en termes d’a priori. Je suis heureusement surpris, mais j’ai l’impression que cela ne correspond pas à nos retours de terrain, nos retours associatifs et à mes propres observations.

Pour illustrer mon propos, je vous livre cette anecdote. Il se trouve que je suis membre d’un parti politique, que Mme Allain connaît bien. Le week-end dernier, j’étais au Conseil général de ce parti, son parlement interne qui se réunit tous les deux mois. Et au sein de ce parti, nous avons une commission outre-mer. Samedi dernier, le président de cette commission outre-mer monte à la tribune au cours de la discussion d’une motion générale – qui portait sur l’avenir de la République Française – pour défendre un amendement disant qu’il fallait également respecter et promouvoir la connaissance des cultures et des populations ultramarines. Une élue lui succède à la tribune et déclare : « Et puis quoi encore, on ne va tout de même pas reconnaître la polygamie à Mayotte et le cannibalisme ! » Ce n’est pas tellement ce propos délirant qui nous a stupéfaits que l’absence de réaction dans la salle. Je ne sais pas, monsieur Cazenave, si les 200 participants étaient représentatifs de la population française, mais personne ne s’est levé, personne ne s’est indigné sauf « cinq nègres au fond de la salle » – pour reprendre le propos d’Aimé Césaire. J’en faisais partie, mais nous nous sommes sentis très isolés.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Merci de votre témoignage. Je crois que parfois, les gens peuvent rester bouche bée, parce qu’ils sont stupéfaits, parce qu’ils ne peuvent pas ou ne savent pas répondre. On entend partout des propos de ce genre, parce qu’il y a des imbéciles partout et dans tous les partis.

M David Auerbach-Chiffrin. Je suis tout à fait d’accord avec vous. J’observe tout de même que nous avons demandé une interruption de séance, mais celle-ci nous a été refusée au motif que nous avions un planning chargé et que nous n’allions tout de même pas nous attarder sur toutes les bêtises qui pouvaient être dites …

M. Daniel Hierso. Je voudrais réagir à la présentation très intéressante qui vient de nous être faite. Ce qui a été dit concernant le goût des ultramarins pour l’entrepreneuriat ne m’a pas du tout surpris. Nous avions eu l’occasion d’en parler lors de votre précédente présentation. Cela nous donne d’ailleurs du baume au cœur, et je parle au nom des réseaux d’entrepreneurs dont je vois des représentants dans cette salle.

Je suis en revanche assez surpris des conclusions de l’ONDOM sur l’incapacité qu’il y a à parler de l’innovation des ultramarins. En effet, il existe depuis 2009 une « spéciale outre-mer » sur BFM Business. On publie régulièrement des articles dans La Tribune sur les réseaux d’entrepreneurs et les entrepreneurs eux-mêmes. Le journal Le Monde a sorti un récent hors-série sur ce thème, et les Echos Business publient mensuellement des portraits d’entrepreneurs.

Quoi qu’il en soit, il est absolument nécessaire de faire un travail de terrain et de diffuser l’information. Alors que tout le monde parle du chômage et des problèmes d’insertion des jeunes diplômés, personne, institutionnels compris, ne s’intéresse à un forum magnifique, le Forum pro-jeunesse, présidé par Loïc Iscayes, qui rassemble toutes les associations étudiantes, qui s’étend sur plusieurs villes en France, et auquel les départements d’outre-mer sont associés. Nous-mêmes, en tant qu’entrepreneurs ultramarins, avons un programme : 500 postes à pourvoir à l’année, avec de nombreux partenaires des cabinets de recrutement.

Aujourd’hui, il est plus facile, pour les ultramarins et les réseaux d’entrepreneurs de l’hexagone, de travailler avec des réseaux d’entrepreneurs qui ne sont pas du tout communautaires. Je ne veux pas pleurnicher, mais nous avons le sentiment qu’il n’y a pas de focus sur l’entrepreneuriat (de l’outre-mer), ni sur l’idée que « les ultramarins apportent ou créent de la valeur ajoutée ». Cela se ressent en matière de réseaux et, bien entendu, en matière de financements publics. On reste sur le spectacle, sur la culture et sur le mémoriel.

Je pense que votre enquête révèle qu’il y a effectivement un lobbying à faire en direction des fondations d’entreprises privées. Il faut engager une vraie politique pour améliorer l’attractivité de nos territoires.

Je lancerai un appel en faveur d’un grand forum qui se tiendra en décembre au Grand Palais. Tout le CAC 40 y sera, mais nous ne sommes que deux ou trois à y venir régulièrement. Nous avons pourtant, parmi nos adhérents, des personnes qui sont au cœur des projets énergétiques emblématiques de l’outre-mer, comme le projet ITM en Martinique ou le projet Greentech à La Réunion.

Oui, il faut le faire savoir, il faut aider les jeunes pousses à se monter et à survivre. Car si les créations d’entreprises sont nombreuses, le taux de mortalité est élevé, ce qui n’apparaît pas dans le baromètre. Nous devons donc soutenir cet effort de création et de développement d’entreprises, et aider par tous les moyens, y compris institutionnels, les réseaux d’entrepreneurs qui agissent concrètement sur le terrain.

Mme Sophie Elizéon. Je voudrais donner une précision concernant l’audace entrepreneuriale des ultramarins de l’hexagone. On s’aperçoit, compte tenu du profil de la population interviewée, qu’il ne s’agit pas du tout pour eux de pallier à une absence d’emploi salarié. Le taux d’activité des personnes interviewées n’a rien à envier à celui des autres hexagonaux. Il s’agit donc bien d’un choix, clairement déterminé, de s’engager vers l’entrepreneuriat.

Sur la veille médiatique, comme je l’ai déjà dit, nous en sommes à « l’instant zéro ». Nous n’avons évidemment pas épluché l’ensemble des médias, pour l’instant en tout cas, mais nous avons sciemment choisi des médias extrêmement généralistes, et pas des hors-séries qui titrent sur l’entrepreneuriat ou des émissions particulières. D’où ce résultat assez décevant. Mais l’intérêt ne réside pas dans ce que l’on en dit aujourd’hui. Il réside dans ce que l’on en dira l’année prochaine, l’année suivante. Cela permettra de voir si cet indicateur évolue et si tout ce que l’on dit depuis deux ans sur l’audace entrepreneuriale se confirme.

Notre objectif était de vous présenter ce tableau de bord, mais il sera beaucoup plus intéressant d’en discuter l’année prochaine. En revanche, nous pouvons tirer du baromètre certains enseignements, et en particulier qu’il est nécessaire de diffuser des informations sur nos atouts, nos compétences, nos aptitudes, y compris en dehors de nos propres réseaux. Il est agréable de se dire entre soi que l’on est excellent, mais cela ne change pas les mentalités. L’enjeu est d’aller le dire ailleurs.

M. Victorin Lurel. Je suis agréablement surpris par la qualité de ces deux enquêtes et par leurs conclusions. Je félicite la Délégation d’avoir pris l’initiative de dire, d’une certaine manière, ce que nous sommes. J’avoue que les pourcentages sur l’optimisme, l’enthousiasme et la sérénité des ultramarins m’étonne et, en même temps, m’interpelle.

Sur les échantillons qui ont servi aux enquêtes, j’aimerais savoir comment vous avez procédé. Notre collègue Gosselin a évoqué les difficultés que nous rencontrons en matière de statistiques, et l’on peut s’interroger à propos de l’échantillon, sur sa fiabilité et sur les conclusions que l’on peut en tirer, d’autant plus que la culture française ne permet pas de statistiques ethniques. Cette question est d’ailleurs récurrente. Il y a quelques années déjà, au sein de mon propre parti, le débat avait été assez « animé ». Dernièrement, Esther Duflo, une économiste française qui s’est prononcée en faveur de telles statistiques, a été pratiquement « vilipendée » dans notre pays.

Il est exact que nous rencontrons de vrais problèmes de connaissances, et qu’il y a de vraies béances statistiques sur ce que nous appelons « notre communauté », que j’aurais plutôt tendance, pour ma part, à qualifier d’ « agrégat statistique ». Je ne suis pas sûr en effet que la manière de voir les choses et d’envisager l’avenir soit la même pour nos compatriotes qui vivent dans le Sud, pour ceux qui vivent en Île-de-France ou ceux qui vivent dans les grandes métropoles. Il est d’ailleurs bien difficile de fédérer tout ce monde-là même si, depuis une vingtaine d’années, une sorte de convergence se crée, ce dont je suis très heureux. De plus en plus en effet, les Antillais et les Réunionnais se fréquentent davantage, se mobilisent ensemble, et trouvent des intérêts communs pour agir.

Il manque à mon sens à cette étude des éléments sur le statut matrimonial des ultramarins de l’hexagone. J’aimerais bien savoir comment nous vivons ici, d’autant plus qu’il subsiste en outre-mer des rémanences de la société coloniale et post-coloniale. Je veux parler de la « matri-focalité » ou, plutôt, d’une certaine prééminence des femmes au sein des familles. Je me demande si on la retrouve dans l’hexagone.

J’observe par ailleurs que le rôle des associations y est considérable. C’est peut-être une façon de mieux connaître le vécu de nos compatriotes.

S’agissant des discriminations, on parle de ce qui se passe dans l’hexagone. Mais il faut savoir que nos sociétés sont inégalitaires, qu’il y a des discriminations, qu’il peut être lourd d’y vivre et d’y supporter le regard de l’autre. L’interconnaissance peut-être un enfer. Ce n’est pas que je condamne l’insularité, mais il y a sans doute encore un long cheminement à faire dans nos têtes en matière de tolérance. Il y a sans doute aussi à tenter de diagnostiquer ce que l’on appelle en créole « mès é labitid an nou » (« ce sont nos coutumes »). La régularité de cette étude devrait permettre d’avoir une vision diachronique de la question.

S’agissant de l’entrepreneuriat, je ne suis pas surpris. Ce n’est pas seulement une façon de se créer un travail. On ne le sait pas, mais la plupart des régions d’outre-mer sont parmi les plus créatives de France. À l’époque, la Guadeloupe, la Martinique et La Réunion étaient en concurrence avec la Seine-Saint-Denis ; je serais d’ailleurs curieux de connaître la composition sociodémographique de ces départements, et leur créativité en termes d’entrepreneuriat. En outre, c’est dans ces régions que les entreprises vivent le plus longtemps, et que le taux de succès après cinq ans est le plus élevé.

On a beau vouloir le dire, ce n’est pas suffisamment reçu : les stéréotypes que l’on a contre les ultramarins perdurent. On pense, par exemple, que sont des gens qui vocifèrent ou qui se complaisent dans l’assistanat. Mais ce n’est pas le cas. Bien sûr, chez nous, il y a du chômage, mais on y crée beaucoup d’entreprises qui vivent plus longtemps que la moyenne de celles qui sont créées dans l’hexagone. D’ailleurs, dans nos communautés, il y a moins d’inactifs, et les gens sont parfois plus diplômés que la moyenne. Il y a des cadres, ce que l’on ne sait pas. Cette réalité mériterait d’être mieux explorée, mieux exploitée et mieux connue. Les élus devraient s’en emparer pour la faire connaître et mieux la diffuser.

Sur la connaissance de la première, de la deuxième, de la troisième génération, il y a manifestement un problème. Où en est le rapport avec les cultures ultramarines ? Est-ce qu’un jeune réunionnais, guadeloupéen, martiniquais de la troisième génération parle encore le créole ? Quels sont les rapports avec les religions ? Chez nous, quoi qu’on en dise, les gens fréquentent encore les églises. Cela peut étonner dans l’hexagone, dans une république laïque. Ce qui constitue un contrôle social continu à s’exercer là-bas, alors qu’il est de plus en plus lâche ici.

Reste un sujet un peu délicat à évoquer : la conversion dans les grandes religions du Livre et parfois, pour certains, la radicalisation. Je ne prétends pas ici qu’il y aurait une propension des ultramarins à épouser d’autres confessions. Dans les statistiques un peu confidentielles que le ministère de l’Intérieur nous transmet, apparaît cette fragilité que certains ont pu qualifier d’anthropologique. On le vit ici : à la troisième génération, une rupture se créée : les jeunes ne connaissent plus les territoires, ne parlent plus la langue, ne vont plus à l’église. Face aux grandes religions, on sent parfois un manque d’adossement. Il nous faut peut-être exercer une meilleure vigilance, sans pour autant exercer un contrôle social.

Je tiens maintenant à revenir sur le propos de Daniel Hierso. Pendant près de trois ans, à l’antenne de la région, au 284 du boulevard Saint-Germain, j’ai fait venir régulièrement depuis la Guadeloupe un cadre pour créer des entreprises dans l’hexagone. Par exemple, je m’étonnais qu’à Paris, il n’y ait que deux ou trois restaurants réunionnais et très peu de restaurants guyanais et guadeloupéens – et je ne parle pas de la Polynésie – alors que notre gastronomie est formidable. J’aurais aimé la faire rayonner partout, en tout cas dans les grandes métropoles hexagonales, avec nos danses et notre culture. Or pendant trois ans, je n’ai pratiquement pas vu passer de vrai dossier de création d’entreprise. J’ai donc dû renoncer Pourtant, Bertrand Delanoë et Jean-Paul Huchon, que j’avais contactés à l’époque, auraient été prêts à financer des projets. Il est intéressant de constater que ce que j’ai vécu ne correspond pas aux résultats de l’enquête. Cela correspond à ce que nous vivons outre-mer, mais pas ici.

Nous allons malgré tout essayer de recommencer pour voir s’il est possible d’accompagner la création d’entreprises, en allant dans tous les salons, séminaires et colloques. Le potentiel est là. Simplement, il y a un écart entre ce que nous vivons, ce que nous savons en petit groupe et ce que l’opinion publique hexagonale sait. Il y a donc un effort de communication à faire pour mieux nous faire connaître et apprécier.

Mme Audrey Célestine, docteure en sciences politiques. C’est une lourde tâche que de donner sur cette question et en dix minutes un point de vue universitaire. Je ferai néanmoins quelques remarques, à la fois sur les données qui ont été présentées mais aussi sur les réactions de la salle. Cela permettra peut-être, en cette période de fête de la science et de mobilisation du monde scientifique, de montrer que la science n’est pas le fait de personnes isolées dans leur tour d’ivoire et déconnectées du réel.

Sur tous ces enjeux de migration, d’installation, d’incorporation des gens d’outre-mer dans l’hexagone, les chercheurs ont une approche à long terme, qui privilégie le temps long par rapport aux instantanés et aux « instants zéro ». Il convient ainsi de replacer ce qui a été dit dans un temps plus long, qui est celui de la recherche sur l’outre-mer et de l’histoire des personnes en provenance de l’outre-mer.

Je ferai une observation à propos de l’audace des gens d’outre-mer. Cette audace ne date pas d’aujourd’hui. Dans un premier temps, il fallait avoir l’audace de partir de chez soi et de fuir la misère. Mais aujourd’hui, cette audace perdure. Les nouvelles générations continuent de partir. Pourtant, on ne meurt plus de faim. Si l’on part, c’est parce que les évolutions de nos sociétés nous ont poussés à aspirer à autre chose, à plus grand (par exemple quand on vient d’une petite île comme la Martinique), à plus loin. Et c’est tout cela qui fait la réalité ultramarine – je ne suis pas sûre non plus d’aimer le terme – dans l’hexagone.

En tout cas, cette catégorie d’ « outre-mer » est clairement devenue une catégorie politique mobilisée, comme le faisait remarquer le ministre, M. Victorin Lurel. Il se passe quelque chose depuis une vingtaine d’années, qui est à replacer dans une tendance longue.

L’usage des termes d’outre-mer, d’ultramarin, est passé dans le langage commun. Et ces termes ne s’appliquent pas seulement à des territoires qui seraient outre-mer, mais également à des populations. On a parlé aujourd’hui de « populations ultramarines ». Cela ne plaît pas à tout le monde. L’un des intervenants ne s’est-il pas présenté comme venant de La Désirade, et non de l’outre-mer ? Pour autant, le terme est de plus en plus utilisé et tend à recouvrir suffisamment de choses pour que l’on organise aujourd’hui, à l’Assemblée nationale, une présentation d’enquête qui porte sur l’outre-mer. C’est révélateur de la mobilisation et de la construction de certains intérêts qui seraient communs.

Selon moi, l’image très positive dont semblent bénéficier aujourd’hui les personnes originaires d’outre-mer et l’outre-mer est à mettre en rapport avec un certain nombre d’actions menées depuis une ou deux décennies. Je pense à l’année des Outre-mer, en 2011, aux mouvements de 2009 qui ont contribué à mettre en avant la complexité des situations sociales et politiques en outre-mer, mais également aux actions d’un certain nombre d’acteurs associatifs qui émaillent la vie des personnes originaires d’outre-mer depuis le début de la migration massive – comme le CASODOM (Comité d’action sociale en faveur des originaires des départements d’outre-mer en métropole) dont certains représentants sont ici présents.

Mais cette image positive n’est-elle pas liée aussi au fait que, pour beaucoup de Français, les personnes d’outre-mer font partie de leur quotidien ? Ce sont des gens qui travaillent dans les administrations qu’ils fréquentent, dans les entreprises qu’ils peuvent solliciter, qui organisent des manifestations dans tous les coins de France. Même si ces manifestations ne sont pas forcément reliées par les médias, elles révèlent un ancrage local qui fait sens pour un certain nombre de personnes. Ce sont des gens qui envoient leurs enfants dans les écoles, certains d’entre eux y enseignent, etc. Ce quotidien fait que depuis une, deux ou trois générations, on se connaît, on se fréquente, des relations amicales se nouent, et des mariages ont lieu.

Cela justifie que l’on aille au-delà des enquêtes statistiques et que l’on essaie de mieux connaître ce qui se fait à un niveau qualitatif – recherches au long cours, recherches ethnographiques.

Avec un certain nombre de collègues, nous essayons de fédérer tout ce qui se fait en termes de recherches sur l’outre-mer et sur la migration des populations originaires des Outre-mer. Sur l’expérience des personnes originaires des Outre-mer dans l’hexagone, nous avons établi 50 pages de bibliographie, dont des travaux qui ne sont pas nécessairement connus ni même publiés. Certains ouvrages ont été écrits au début des années 60 et d’autres beaucoup plus récemment. Tout cela contribue à documenter, et peut-être à mieux comprendre et à mieux saisir une partie des chiffres, mais également les contradictions sur lesquelles certains intervenants ont insisté tout à l’heure. Car venir d’un territoire situé outre-mer et s’installer ici constitue une expérience complexe.

Ces enquêtes sont effectivement lisibles immédiatement –et nous avons mis en avant trois résultats importants. D’autres enquêtes, d’autres travaux, sur le long terme, donnent à voir une réalité parfois plus complexe. Mais je pense que si nous sommes là, c’est parce que nous sommes prêts à nous confronter à cette complexité qui n’est pas non plus exagérée.

Cela nous renvoie à la question de la visibilité qui, pour certaines personnes, constitue un enjeu important. Aujourd’hui, nous avons été nombreux à déplorer l’absence de visibilité de l’outre-mer, notamment dans les médias, etc. Pour autant, il faut envisager la visibilité uniquement comme un moyen, et pas seulement comme une fin. Que gagne-t-on à être plus visible ? En a-t-on terminé pour autant ? Pas nécessairement. Pourquoi faut-il être plus lisible ? À quoi sert, à terme, une meilleure visibilité ? Sans doute à mieux se connaître. Mais il me semble que l’action doit aller au-delà de cet enjeu de visibilité, si important soit-il.

Ensuite, le fait que l’état d’esprit des ultramarins de l’hexagone serait plus positif que celui de la population hexagonale a été évoqué par l’ensemble des intervenants. Mais à côté des représentations, il y a les pratiques et il serait important de se faire une idée de ces pratiques et des raisons pour lesquelles cet état d’esprit serait plus positif. On peut ainsi émettre un certain nombre d’hypothèses, comme l’existence d’une vie collective structurée qui permet d’avoir un état d’esprit positif en dépit du contexte national un peu morose. Reste que, pour étudier les pratiques, on se heurte là encore à l’insuffisance des outils statistiques, malgré des tentatives de construction statistique pour mieux connaître la réalité de l’outre-mer, notamment en hexagone. Je pense évidemment aux travaux de Claude-Valentin Marie, que vous êtes nombreux à connaître ici.

Sur la question de la discrimination, il y a énormément à dire. Les chiffres sont assez alarmants, dans la mesure où ils traduisent des sentiments de discrimination relativement importants. En outre, les enquêtes qualitatives, l’enquête ethnographique, les situations d’entretien, révèlent une tendance à minimiser les discriminations et le racisme – lequel n’est d’ailleurs pas directement évoqué. En effet, parce qu’ils n’ont pas les mots pour le dire, parce que certains clichés font d’eux des personnes susceptibles, toujours en train de se plaindre, les gens ont tendance à se limiter et à taire certaines situations. Voilà pourquoi il est nécessaire de disposer de véritables outils permettant de mesurer les pratiques.

Les résultats des enquêtes ethnographiques menées dans les offices d’HLM sont affolants, s’agissant des pratiques discriminatoires. Par exemple, on ne met pas dans tel immeuble tel type de population ; une personne noire qui travaille sera l’équivalent d’un blanc qui ne travaille pas. Pour saisir ce genre de pratiques, il faut faire de la recherche pendant deux, trois ou quatre ans dans un office d’HLM.

Je terminerai sur l’intérêt ou les intérêts des populations d’outre-mer. On observe en effet depuis vingt ans des convergences : des mobilisations se font, des ponts se construisent entre ici et les là-bas. Mais qu’est-ce que c’est que l’intérêt ultramarin ? On évoquait tout à l’heure le fait que les élus ne prenaient pas suffisamment en compte les intérêts des personnes originaires de l’outre-mer ? Mais quels intérêts ? Nous sommes, là encore, renvoyés à la complexité de la situation de ces populations, de leurs enfants, et parfois de leurs petits-enfants dont on finit par ne plus savoir exactement d’où ils viennent.

On a mis en avant la plurivocité des Outre-mer, en parlant justement « des » outre-mer et non plus de l’outre-mer. Aujourd’hui, ce pluriel est important, non pas seulement parce que la diversité est bonne pour la France et la République, mais parce que, entre les différents territoires, mais également entre les différentes générations, entre Paris et la province, les intérêts des populations ne sont pas nécessairement les mêmes. On parlait tout à l’heure du monde entrepreneurial. J’ai eu le plaisir de mener, il y a quelques mois, une enquête sur les organisations patronales d’outre-mer avec une collègue du pôle universitaire de la Martinique : les intérêts du patronat de la Martinique ne sont pas non plus les mêmes, selon que l’on est importateur ou que l’on produit sur place.

En conclusion, se confronter à la complexité de nos territoires et de nos populations est essentiel si l’on veut mener à bien le travail qui consiste à mettre en avant, mais également à accompagner l’audace des personnes originaires de l’outre-mer, notamment ici, dans l’hexagone.

M. Bruno Lee. On parle beaucoup de discriminations. Mais pour changer le monde, nous devons aussi nous changer nous-mêmes. Il faudrait, notamment, que les jeunes ultramarins ; qui sont en effet diplômés, puissent revenir au pays et apporter leur contribution au développement économique de nos territoires.

Nos associations reçoivent beaucoup de business plans de projets vraiment innovants, ainsi que de nombreux CV. Il faudrait réfléchir concrètement à la façon de soutenir ces projets et de leur donner de la visibilité – label, validation régionale, etc. Il faudrait aussi mettre en place un dispositif pour accompagner le retour au pays de nos jeunes.

Je lance donc un appel, un cri du cœur aux élus présents dans la salle. Le président Lurel nous a dit qu’il avait essuyé un échec. Mais en tant qu’associatifs, nous sommes là pour faire ce travail. Servez-vous des associations, dans quelque domaine que ce soit. Utilisez la société civile. Il arrive très souvent que la puissance publique se trompe de cible ou de stratégie. Venez nous voir, nous sommes présents et nous voulons aider.

M. Jean-Louis Galou. Je profite de l’occasion pour faire passer un message : nous sommes une association ultramarine qui existe depuis 1989. Tous les ans, nous organisons une semaine, voire une quinzaine culturelle sur la ville de Savigny-le-Temple. Je m’étonne que nous n’ayons jamais obtenu aucune aide des collectivités locales pour nous assister dans cette tâche.

Nous essayons de faire la promotion d’auteurs, d’ouvrages, de films, de musiques, et même d’organiser des conférences sur l’économie, mais nous avons du mal à trouver du soutien auprès de certains services. Il est visiblement plus facile de soutenir une manifestation festive, un bal ou un concert, que de subventionner la culture que tout le monde glorifie pourtant. Je fais cette remarque en tant que président d’association.

En tant qu’individu, je suis originaire des Antilles, installé en métropole depuis 1978. Avec un accent territorial bien prononcé, il n’était pas facile de trouver un emploi. On m’a fait comprendre que je n’étais pas un Français originaire de la métropole. Mais il ne faut pas s’arrêter à cette discrimination, et il faut se battre pour aller de l’avant.

Aujourd’hui, malgré toutes ces barrières, j’ai pu me construire une vie relativement intéressante en tant que président d’association et en tant qu’individu. Mais pour revenir à des choses beaucoup plus concrètes, je voudrais vous donner cet exemple : ma compagne est professeure d’allemand, ce qui, pour une personne noire, peut paraître bizarre. Est-ce que le fait d’être ultramarin, d’enseigner une matière qui n’est pas conforme, fait déjà de nous une bête curieuse ?

J’aimerais maintenant revenir sur le problème suivant : en tant qu’ultramarins, nous ne sommes pas assez présents dans les institutions. Nous nous contentons souvent d’habiter une ville sans en être les partenaires. Mais une ville, c’est un endroit où l’on vit, où l’on va peut-être vieillir, où nos enfants vont grandir. Il y a très peu d’ultramarins dans les partis politiques ou au sein d’une municipalité. De ce fait, nous n’arrivons pas à faire passer nos idées. Il faut aller à la rencontre des autres, ne serait-ce que pour voir ce que font les autres communautés et s’en inspirer.

Malgré tout ce qui a été dit à propos des discriminations, je pense que nous avons pris conscience de notre valeur et de notre capacité à réussir. Mais il faut le faire savoir. Chaque année, à travers mon association, nous essayons justement de mettre en avant les Outre-mer en organisant différentes manifestations et en proposant différentes prestations. Si vous souhaitez nous aider, vous pouvez prendre contact avec moi.

Mme Catherine Jean-Joseph. Je voulais juste revenir sur le terme de « visibilité ». Je viens des médias, j’ai été responsable artistique à la fiction française à France 2 et à TF1, et j’ai créé, l’association « École miroir »  une école de formation d’acteurs pour les jeunes talents émergents des quartiers.

Les médias sont censés être le reflet de la société. Or ce n’est pas le cas. Et lorsque ce n’est pas le cas, c’est la porte ouverte à l’ignorance, à la discrimination et au racisme. En effet, les gens se forgent une image de l’autre par rapport à ce que disent les médias.

Aujourd’hui, dans mon école, nous avons réussi à interpeller beaucoup de personnes et dernièrement, celles de la Fondation Robert Kennedy. Nous avons organisé un spectacle au Sénat avec Kerry Kennedy sur les droits de l’homme, parce que nous défendons les mêmes valeurs. De fait, quand on est visible, on arrive à toucher beaucoup de monde. Depuis deux ans, les équipes de TF1 nous suivent. J’en profite pour dire que le 2 novembre prochain, un documentaire sur l’école, intitulé « Les enfants du miroir », passera dans le magazine « Reportages » après le 13 heures de Claire Chazal.

La visibilité nous aide énormément, ne serait-ce qu’à enfoncer les portes. Aujourd’hui où nous vivons à l’ère du numérique et de l’internet, tout le monde a besoin d’être représenté.

M. Segbedj Rousselin. J’aimerais connaître le devenir de cette enquête, qui me semble constituer un outil intéressant, notamment pour les associations. Où va-t-on la trouver ? Dans la pratique, comment pourra-t-on s’en servir ?

Mme Sophie Elizéon. Je l’ai dit en préambule : l’action de la Délégation s’articule autour de trois axes : prévenir, corriger et diffuser. Cette enquête-baromètre a donc toute sa place dans cette action : prévenir – plutôt le grand public – pour apporter une connaissance différente de celle dont on a l’habitude pour battre en brèche les stéréotypes ; corriger pour servir de point de départ à des actions concrètes en direction des ultramarins sur des sujets où l’on voit bien qu’il y a de la discrimination ; diffuser pour sensibiliser l’ensemble des services de l’État à cette situation particulière.

L’ensemble de nos travaux est régulièrement mis en ligne sur notre site, www.ultramarins.gouv.fr, que je vous invite à consulter. Nous publions une lettre d’information où sont repris un certain nombre d’éléments. Je peux donc vous assurer que ces éléments seront mis à votre disposition.

M. Pierre Lezeau. Je viens d’un secteur de la ville de Marseille où nous avons le seul élu Front national, d’une circonscription où nous avons un des deux seuls parlementaires Front national. Je viens d’un quartier de Marseille où il y a des Antillais, des Guyanais, des Mahorais. Je viens chercher un peu d’aide, qui nous permettrait de nous structurer.

On a parlé de visibilité et on a dit que les ultramarins devaient être représentés dans la plupart des instances. Je rejoins ce que disait l’un des intervenants à propos des COPEC. Il faut nous aider dans nos quartiers en difficulté, notamment à monter des conseils citoyens, prévus par la loi de février 2014. Nous devrions y avoir toute notre place. Nous en discuterons très prochainement avec Mme Elizéon.

M. David Auerbach-Chiffrin. L’association « Tjendbé Red » lutte depuis dix ans contre l’homophobie et contre le sida au sein et aux côtés des populations ultramarines. Il est en effet important dénoncer les discriminations. Encore faut-il être clair sur les discriminations en question.

Comme le disait très justement M. le ministre Victorin Lurel, les sociétés d’interconnaissance apportent beaucoup de chaleur, mais peuvent aussi faire vivre l’enfer. Je pense tout particulièrement aux personnes lesbiennes, gays et trans et aux personnes vivant avec le VIH au sein des populations ultramarines. Ce sont deux exemples, mais on pourrait en prendre d’autres. Il me paraît important d’avoir ce regard sur soi, et de ne pas se contenter de porter un regard sur les autres.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Je passe maintenant la parole à Mme George Pau-Langevin, à laquelle je souhaite la bienvenue au sein de la Délégation aux outre-mer de l’Assemblée nationale.

Madame la ministre, c’est la première fois que j’ai le plaisir de vous accueillir ici. Je pense que ce ne sera pas la dernière. En tout cas, je vous remercie d’être venue ce matin et vous donne la parole pour clore cette matinée.

Mme George Paul-Langevin, ministre des Outre-mer. À mon tour de vous remercier de m’avoir conviée à clôturer cette rencontre. Je salue évidemment Mme la déléguée interministérielle. Je salue également les députés présents et les présidents d’association, que j’ai toujours plaisir à rencontrer. Nous nous connaissons parfois depuis des années et au fil du temps, nous avons suivi la façon dont notre population s’intégrait au sein de la société française.

Je pense que cette initiative est importante. Nous avons besoin de mieux connaître les réalités pour pouvoir proposer des politiques publiques. Malgré le grand nombre de rapports produits sur un certain nombre de sujets qui nous concernent, nous manquons parfois d’une vision actualisée.

Vous avez évoqué les travaux de Claude-Valentin Marie, qui sont d’une qualité remarquable. Mais nous savons bien que celui-ci a buté sur un obstacle méthodologique ou de principe, lié au fait que nous en sommes à la troisième ou quatrième génération d’ultramarins installés en métropole. Les uns et les autres se sont souvent perdus de vue. Aujourd’hui, il est difficile de faire des enquêtes statistiques complètes. On ne peut procéder que par des sondages, des photographies prises à un « instant t », et à partir d’échantillons.

Ce que vous nous présentez aujourd’hui est tout à fait intéressant. En effet, nous-mêmes, qui vivons dans ce pays, avons intégré certains des stéréotypes affectant les originaires d’outre-mer en métropole. Ce travail nous aide à voir qu’ils ne sont pas exacts.

Claude-Valentin Marie avait déjà démontré que, contrairement à l’image de nonchalance qu’on lui accole, la population originaire d’outre-mer est la plus active. Toutes les femmes travaillent dans la communauté antillaise. Au moment de la retraite, les gens repartent souvent au pays. Statistiquement, c’est le groupe qui travaille le plus en France, ou du moins qui a le plus fort taux d’activité.

Un autre stéréotype est en train de tomber : les originaires d’outre-mer étaient vus comme « la nation des fonctionnaires ». Cela se comprend, puisque l’avantage du congé bonifié ne s’applique pas dans le secteur privé. Mais vous nous montrez que les originaires d’outre-mer s’impliquent dans l’entrepreneuriat. Peut-être que la jeune génération, dont les parents vivaient tranquillement comme fonctionnaires, s’est dit qu’il lui fallait passer à autre chose et s’est intéressée à l’entreprise ? Peut-être qu’elle s’est lancée dans l’entrepreneuriat pour se créer des emplois ? Il y a dix ans, le taux de chômage était très important dans la deuxième génération. Il serait bien de creuser un peu plus la question.

En tout cas, cela confirme ce que vous disiez, à savoir qu’on peut considérer que ces jeunes ultramarins ou descendants d’ultramarins ont de l’audace. Pour ma part, j’ai toujours pensé que les émigrants ont un esprit de pionniers. Cela demande du caractère et je ne suis pas étonnée que des jeunes, dont les parents ont su s’arracher à leurs habitudes pour chercher une vie meilleure, aient hérité de leur audace et puissent faire preuve d’esprit d’entreprise.

Vous avez dit que les ultramarins avaient une assez bonne image et vous vous êtes demandé si la manière de faire des ultramarins les avait fait connaître et apprécier. Je suis assez d’accord avec cette idée.

Dans ma génération, les associations étaient très actives, elles organisaient de nombreuses manifestations, des bals, des fêtes – dont on avait tendance à se moquer. J’ai toujours été convaincue que c’était un moyen d’intégration très important. Cela permettait aux gens de retrouver un peu du pays avant de se replonger dans la vie et dans le travail. Cela permettait aussi – même si cela n’attirait pas les grands médias – de tisser un lien avec la population d’accueil. Je crois que cela a contribué à améliorer l’image des migrants antillais.

À propos d’image, j’ai une observation à faire. Traditionnellement, le rapport de la Commission des droits de l’homme publie un petit sondage destiné à montrer comment sont perçus les différents groupes qui vivent en France. Cela m’a permis de constater à plusieurs reprises que les ultramarins ont plutôt une bonne image, ce que j’ai trouvé réconfortant. Cette image est d’ailleurs meilleure que celle des noirs, ce qui est un peu contradictoire. Or le dernier rapport ne prend plus en compte les ultramarins et s’intéresse seulement à la façon dont sont perçus les noirs. Cela m’a causé un choc : cela signifie que la catégorie juridique dans laquelle nous nous trouvons a disparu en France ! Je m’en suis entretenue avec la présidente de la Commission des droits de l’homme qui m’a répondu que la discrimination était une question de couleur de peau et que, par conséquent, il n’y avait pas de raison de prendre en compte l’origine. Pour moi, ce n’est pas satisfaisant car il y a tout de même, quoi qu’on en dise, une sorte de communauté d’esprit, d’histoire, de culture dans les différentes régions des Outre-mer. Je trouve donc dommage, y compris pour la conception que la France peut avoir de son peuple, de faire disparaître une catégorie qui contribue depuis longtemps à sa diversité.

Je pense que mon intervention a déconcertée la présidente de la Commission. Je vous incite néanmoins à veiller à ce genre de choses. En effet, il n’est jamais bon qu’un pays ne se rende plus compte de sa composition plurielle. C’est plutôt un facteur d’affaiblissement de faire disparaître les ultramarins dans l’ensemble français.

Je crois, moi aussi, qu’il faut lutter contre les discriminations. Seulement, je remarque qu’on a tendance à les sous-estimer. Or on n’arrive pas à traiter un problème que l’on ne nomme pas. Bien sûr, on n’a pas à crier au loup devant chaque difficulté de la vie quotidienne. Mais on doit faire en sorte de mettre en avant ce problème de discrimination pour pouvoir le résoudre et réussir l’intégration la plus harmonieuse possible.

Si l’on veut que les ultramarins, et notamment les jeunes générations, se sentent totalement partie prenante de ce pays, il faut que nous soyons présents dans tous les moments mémoriels – en particulier, au moment de la commémoration de la Première et de la Deuxième guerre mondiale. C’est une manière de rappeler que le gens ne sont pas là simplement par tolérance, mais parce qu’ils ont voulu défendre la France, adhérer aux valeurs de ce pays, parce que notre histoire commune dure depuis longtemps.

Il faut aussi, au jour le jour, mener une véritable action de lutte contre les discriminations. Voilà pourquoi ce que fait Sophie Elizéon est extrêmement important. Mais il faudrait que ce soit encore plus visible. Comme vous l’avez dit, il se passe souvent des choses intéressantes, mais les autres ne s’en rendent pas compte.

Monsieur Auerbach-Chiffrin, vous avez raison de dire que nous devons lutter contre toutes les discriminations, et qu’il n’y a aucune fraction du peuple qui en soit exempte. Il nous faut donc combattre les discriminations et les préjugés dont peuvent être victimes les originaires de l’outre-mer, que ces discriminations et préjugés viennent ou non de l’extérieur. Certains préjugés et stéréotypes peuvent affecter certaines fractions de nos populations. Dans les Outre-mer, nous avons un souci avec l’homophobie. C’est la raison pour laquelle la prévention et la lutte contre le sida ne sont pas menées avec autant d’efficacité qu’il le faudrait. Nous avons le projet, avec Mme Elizéon, d’intensifier le travail en ce domaine. Sachez qu’au 1er décembre, au ministère des Outre-mer, nous allons lancer une initiative visant à impliquer au maximum les élus et les associations dans la lutte contre l’homophobie et contre le sida – même si, dans les Outre-mer, le sida est surtout le fait d’hétérosexuels.

Évidemment, nous continuons à suivre de très près les initiatives des associations. Je suis notamment très contente de voir qu’aujourd’hui les jeunes prennent les choses en main et essaient d’avancer sur des questions comme leur insertion professionnelle, qui est très préoccupante. Comme on dit aux Antilles, il faut que chacun « lutte pour son âme ».

Mais s’il faut effectivement lutter contre les discriminations et faire en sorte que les jeunes et les moins jeunes arrivent aux plus hautes responsabilités dans ce pays, il faut aussi faire en sorte que les jeunes puissent trouver de l’emploi à tous les niveaux quand ils rentrent ou quand ils souhaitent rentrer. Or pour l’instant, nous ne sommes pas totalement satisfaits de ce qui se passe.

Dans le cadre du Pacte de responsabilité, nous nous efforçons d’aider les entreprises et d’alléger leurs charges afin de faciliter l’emploi dans les outre-mer. Par ailleurs, je veille attentivement à ce que la commande publique, qui est considérable dans les Outre-mer, prenne en compte l’emploi des ultramarins, et notamment des jeunes ultramarins. Avec la Délégation, nous contribuons à former beaucoup de jeunes, et je ne comprends pas que l’on n’arrive pas à les faire embaucher dans les Outre-mer à un niveau de salaire suffisant. Aujourd’hui, c’est pour nous une tâche prioritaire.

Lors de ma visite à La Réunion, l’été dernier, j’ai été interpellée assez vivement par des manifestants qui exprimaient leur volonté de pouvoir travailler au pays. L’expérience n’a rien d’agréable, mais je reconnais qu’ils posaient ainsi une vraie question : que faire et comment s’y prendre pour que l’argent public qui est versé, notamment par les régions, pour la formation des jeunes ultramarins et qui est versé sous forme de commande publique sur les outre-mer, puisse mieux profiter à l’emploi outre-mer ?

Je sais bien – pour y avoir beaucoup travaillé quand j’étais députée – qu’il y a un certain nombre de verrous juridiques. Mais je pense qu’aujourd’hui, compte tenu de la gravité de la situation de l’emploi et de l’emploi des jeunes dans les Outre-mer, nous devrions tout de même pouvoir faire évoluer la situation. Les associations sont à même de faire des choses assez simples comme, par exemple, créer des réseaux. Le problème est que souvent ceux qui offrent l’emploi ne sont pas en relation avec la personne qui a la compétence. Les réseaux sociaux peuvent toutefois y contribuer. Reste que l’emploi est indispensable si l’on veut que les jeunes d’outre-mer aient confiance dans le modèle républicain. On ne peut pas accepter des taux de chômage à de tels niveaux. En tout cas, je suis prête à soutenir les associations et les initiatives en faveur de l’emploi.

Ensuite, le président de l’association de Marseille a insisté sur le fait qu’il fallait que les originaires d’outre-mer se comportent comme des citoyens à part entière et que, par conséquent, dans la ville où ils sont présents, ils puissent continuer à défendre les valeurs de la République, ces valeurs qui nous protègent et qui sont à l’origine de l’abolition de l’esclavage. Je suis d’accord avec lui. C’est particulièrement important dans les régions où l’on a l’impression que le pacte républicain est en danger.

Il avait été question d’inaugurer un collège Aimé Césaire à Marseille. Je suis toujours d’accord pour le faire. En tant qu’originaires d’outre-mer, nous devons être partout, en tête de la lutte pour les valeurs de la République.

Nous sommes enfin conscients du fait que, nés dans des endroits assez éloignés de l’hexagone, nous participons au rayonnement de la France dans le monde. Et nous devons être également conscients – je pense plus particulièrement aux jeunes qui sont nés et qui ont grandi ici – que la présence des ultramarins n’est pas une charge pour la République, mais un atout et qu’en toute hypothèse, ils un rôle à jouer à l’avant-garde de la défense des valeurs de la République.

Quoi qu’il en soit, je vous remercie pour cette initiative, qui m’a donné l’occasion de m’adresser à vous.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Mesdames et Messieurs, il ne me reste plus qu’à vous remercier d’être venus ce matin à l’invitation conjointe de la Délégation aux outre-mer et de la Déléguée interministérielle à l’égalité des chances des Français d’outre-mer. Merci, madame Elizéon, d’avoir été la cheville ouvrière de cette matinée. Merci, madame la ministre des Outre-mer, pour vos propos.

Audition de Mme Pierrette Crosemarie, membre du Conseil économique, social et environnemental (CESE) et rapporteure de l’avis sur « la microfinance dans les Outre-mer », adopté par le CESE le 10 février 2015

(Compte rendu de la réunion du 3 mars 2015)

M. le président Jean-Claude Fruteau. Chers collègues, le 11 février dernier, nous avons adopté le rapport d’information de Mme Monique Orphé sur le projet de loi relatif à la santé. Ce projet de loi devrait être étudié le 17 mars prochain par la Commission des affaires sociales et le 31 mars prochain en séance publique. Nous définirons bientôt un autre sujet de réflexion. Je procède actuellement à des consultations au sein de notre Délégation et je vous réunirai prochainement pour désigner des rapporteurs.

Aujourd’hui, nous avons le plaisir d’entendre Mme Crosemarie, inspectrice principale des douanes, membre du groupe de la CGT, qui siège au Conseil économique, social et environnemental (CESE). Vice-présidente de la Délégation à l’outre-mer du CESE, Mme Crosemarie est la rapporteure d’un avis, adopté par le CESE en séance plénière le 10 février 2015, sur la microfinance dans les Outre-mer.

La microfinance comprend le microcrédit, c’est-à-dire la mobilisation de ressources destinées à des publics qui souhaitent créer leur propre activité, mais sont exclus, faute de garanties, du crédit bancaire classique. Il regroupe également la micro-assurance, qui vise à trouver des solutions d’assurance adaptées pour des personnes qui cherchent à créer leur propre emploi tout en ne disposant que de ressources très modestes ; il regroupe enfin les fonds qui peuvent être collectés, soit au titre de la finance solidaire, soit au titre de la finance participative.

Cette réflexion du CESE sur la microfinance nous a paru intéressante, car elle peut compléter les réflexions de la Délégation sur le nécessaire développement, outre-mer, de certaines filières agricoles de petite dimension – filières qui ont été visées dans la loi d’avenir pour l’agriculture –, sur la mise en place, dans les DOM ou dans les COM, de certaines installations touristiques de taille réduite, en dehors des structures hôtelières classiques, ainsi que sur la réalisation de filières locales relevant du secteur du développement durable – ces initiatives venant en complément des éco-entreprises.

Avant de passer la parole à Mme Crosemarie que je remercie pour sa présence parmi nous, je vous indique que, lorsque cela sera possible, nous entendrons M. Eustase Janky, membre du CESE, sur son avis concernant l’insertion sociale et professionnelle des jeunes ultramarins, avis adopté en séance plénière le 11 février 2015.

Mme Pierrette Crosemarie. Monsieur le président, je voudrais tout d’abord remercier la Délégation aux outre-mer de l’Assemblée nationale pour cette invitation. Notre Délégation est une création récente du CESE, et nous avons d’emblée souhaité nouer des relations avec les parlementaires de la Délégation de l’Assemblée nationale et de celle du Sénat, afin qu’ensemble nous puissions agir comme force de proposition auprès du Gouvernement et contribuer au développement économique des Outre-mer. C’est en ce sens que la Délégation du Conseil avait choisi comme sujet  « La microfinance dans les Outre-mer ».

Outil de politique de l’emploi et d’insertion professionnelle et sociale, le microcrédit accompagné outre-mer est à la fois une réalité pour certains territoires comme Mayotte, et un dispositif sous-estimé au regard des potentialités qu’il recèle.

De fait, un tiers des microcrédits distribués par l’Association pour le droit à l’initiative économique (ADIE) le sont dans les territoires ultramarins et, sur cette part, un quart concerne Mayotte. Cela représente, à la fois, beaucoup et peu. Un ensemble de 4119 microcrédits ont été mis en place en 2013. Mais, même si l’ADIE affiche une croissance de 15 % par an, avec un objectif de 24 000 microcrédits distribués en 2017, les chiffres demeurent modestes au regard de la situation de l’emploi dans les Outre-mer et au regard des demandes de crédits formulées.

L’avis du CESE se propose d’observer, compte tenu des bons résultats du microcrédit accompagné en termes d’activité économique, et de son coût pour les finances publiques, comment la microfinance pourrait franchir une étape significative.

Qui recourt au microcrédit ? Les populations les plus éloignées de l’emploi, qui n’ont pas accès au crédit bancaire classique. Et il y en a davantage dans les Outre-mer qu’en métropole. Par ailleurs, la part des femmes, dans le recours à ce type de financement, est plus importante outre-mer qu’en métropole.

Les secteurs d’activité que nous avons repérés sont : le commerce, les prestations de service – ce qui est assez classique – mais aussi, dans les Outre-mer, l’agriculture et la restauration-hôtellerie. Bien sûr, il s’agit de petite restauration et de petite hôtellerie – aménagement de gîtes ou de chambres d’hôtes. Mais cela mérite d’être noté puisque la démarche s’inscrit souvent dans des projets de tourisme responsable.

Les montants moyens de financement, soit 8 000 euros, sont supérieurs à ceux établis en métropole – tout en dépassant rarement 20 000 euros. C’est malheureusement une particularité des Outre-mer, où l’effet levier des prêts bancaires que l’on pourrait attendre est moins important qu’en métropole. Il est en effet plus difficile de coupler un microcrédit avec du crédit bancaire classique pour pouvoir porter son financement à un niveau supérieur.

En prenant en compte le nombre des microcrédits distribués, le nombre des personnes aidées et l’ensemble des coûts engagés, le coût d’un emploi est estimé par l’ADIE à 1 500 euros, ce qui est très peu par rapport à certains dispositifs métropolitains, et à 2 700 euros pour Initiative France – pour des projets un peu plus importants, qui réclament souvent un accompagnement plus long et renforcé.

Ce coût est à mettre en relation avec les économies réalisées en termes d’allocations chômage, de minimas sociaux, sans parler de ce qui, à titre personnel, me semble le plus important, à savoir l’indépendance des personnes concernées – je pense aux femmes qui créent leur activité et qui, par ce biais, peuvent élever leurs enfants – et la dignité qu’elles retrouvent pour avoir créé leur emploi et s’être insérées dans la société, malgré des moyens très limités. Il faut penser qu’un certain nombre de ces personnes sont illettrées. Donc, de mon point de vue, elles – et ce sont en majorité des femmes – n’en ont que plus de mérite.

Dans notre avis, nous formulons trois séries de propositions.

Nous préconisons d’abord de mieux connaître le microcrédit sous ses différentes formes dans l’ensemble des territoires. Je ne vous apprendrai pas que nous avons un problème de connaissance statistique pour tout ce qui concerne les activités économiques outre-mer. Cette recommandation est donc valable à la fois pour le microcrédit personnel et le microcrédit professionnel. Mais le cœur de nos propositions, c’est de faciliter l’accès au microcrédit, de l’améliorer et de permettre son développement.

Il convient de favoriser l’implantation des institutions de microfinance (IMF) dans l’ensemble des territoires ultramarins, puisqu’il y a des disparités en fonction des territoires. Notre président, par exemple, qui est de Saint-Pierre-et-Miquelon, a regretté tout au long des travaux qu’il n’y ait pas de microcrédit à Saint-Pierre-et-Miquelon et qu’aucun établissement ou aucune institution ne le propose.

De la même façon, il convient d’assurer aux IMF un fonctionnement pérenne. Voilà pourquoi nous pensons qu’il faut accroître leurs possibilités de refinancement auprès de l’Agence française de développement (AFD). Nous pensons que, sur mandat de l’État, l’AFD pourrait faire plus en la matière.

La mobilisation des acteurs bancaires pourrait être sollicitée, notamment en développant la coopération régionale dans l’environnement géographique des territoires ultramarins. Souvent, nos grands acteurs bancaires, nos compagnies d’assurances, sont déjà présents dans l’environnement géographique, soit directement, soit par le biais de fondations ou d’associations qu’ils font vivre. Des projets de coopération régionale pourraient créer des synergies et les amener à s’implanter dans les territoires ultramarins pour y offrir du microcrédit, ou, au moins, pourraient les conduire à être plus actifs en ce domaine.

Nous proposons de renforcer ce qui fait la spécificité du microcrédit, à savoir l’accompagnement. De ce point de vue, il nous semble important que cet accompagnement soit assuré en amont du projet – et c’est en général le cas – mais surtout après son lancement. Il faut mobiliser non seulement les personnels des IMF et les bénévoles, mais aussi les services de l’État pour informer les créateurs d’entreprises sur les différentes formalités, notamment administratives et fiscales, qui les attendent et dont ils ne peuvent se dispenser sans risquer de mettre en péril la pérennité de leur activité.

Cet accompagnement est fondamental. Il est le gage de succès du microcrédit accompagné. Selon les chiffres dont nous disposons pour la métropole, la pérennité des entreprises créées avec des microcrédits accompagnés est nettement plus importante que celle des entreprises qui sont créées sans accompagnement. Pour financer cet accompagnement, nous proposons de diversifier les sources de financement. Sur mandat de l’État, il nous semble que la Caisse des dépôts et consignations, qui intervient déjà en aidant les têtes de réseau et en animant des fonds de garantie dans le cadre de l’économie sociale et solidaire, pourrait voir son rôle conforté et accru.

La mobilisation des acteurs bancaires et des acteurs assurantiels devrait, là encore, être sollicitée. Nous partons de l’idée que les destinataires du microcrédit représentent des clients à venir – dès lors qu’ils seront insérés dans la vie économique des territoires.

Nous proposons donc, pour développer l’activité de microcrédit, de faire varier deux paramètres. Le montant du microcrédit professionnel pourrait être porté à 15 000 euros (au niveau européen, le maximum est de 25 000 euros) et alloué au-delà des cinq premières années de l’entreprise, compte tenu du manque de fonds propres des créateurs d’activités et de leurs difficultés de trésorerie.

Nous soutenons également des formes innovantes de structuration d’activité, comme les coopératives d’activité et d’emploi qui permettent à un porteur de projet de tester une production ou un service tout en étant entrepreneur salarié. Le porteur de projet, dès qu’il entre dans cette coopérative, touche un salaire en fonction du chiffre d’affaires qu’il réalise et dispose d’une couverture sociale ; en même temps, les fonctions supports sont mutualisées et il peut bénéficier d’un accompagnement lui aussi mutualisé. L’expérience à laquelle nous avons assisté à La Réunion était extrêmement positive, dans la mesure où l’accompagnement portait sur toute la gamme des formes de management possibles. Nous pensons que la coopérative d’activité et d’emploi mériterait d’être mieux connue et reconnue.

Le microcrédit personnel peut, lui aussi, accompagner la personne vers l’emploi. En effet, il est souvent destiné à accroître la mobilité et à améliorer les conditions de vie du demandeur. Le CESE propose également sa montée en puissance – augmentation du niveau du montant alloué et allongement de la durée de remboursement.

Par ailleurs, compte tenu de la situation du logement dans les Outre-mer, et compte tenu également de retours d’expériences positives provenant des caisses de CCAS, nous préconisons que le microcrédit personnel puisse être consacré, en partie, à l’amélioration du logement, pour permettre certains travaux d’efficacité énergétique – par exemple, l’installation de chauffe-eaux solaires.

Nous préconisons, ensuite, d’implanter la micro-assurance dans les Outre-mer, dans la mesure où celle-ci permet de sécuriser l’activité qui vient d’être créée.

Dans les Outre-mer, en général, la problématique assurantielle est sous-estimée. Ce n’est pas qu’il n’y ait pas d’offres d’assurance disponibles, mais celles-ci paraissent trop onéreuses aux porteurs de projets qui ont peu de moyens. Il est nécessaire de développer l’information pour montrer en quoi une assurance adaptée va sécuriser l’activité – par exemple, contre le dommage qui peut être causé à un tiers ou au local (vol ou dégâts matériels).

La micro-assurance a été expérimentée en métropole et fonctionne bien, notamment grâce à une formule mise au point entre la MACIF et AXA. Nous invitons les assureurs à développer, dans les Outre-mer, des produits d’assurance adaptés à de petits projets – une offre de faible montant, mais avec des garanties couvrant l’activité.

Nous suggérons, là encore, d’accompagner le bénéficiaire – comme cela se fait en métropole pour certains entrepreneurs – dans un parcours d’assurance adapté. En effet, la micro-assurance n’a pas vocation à être pérenne. Si l’activité se développe bien, il faut que l’entrepreneur trouve une autre forme d’assurance. De ce point de vue, le produit proposé en métropole par la fondation « Entrepreneurs de la Cité » est intéressant, puisqu’il permet d’évoluer vers des formes classiques d’assurance.

Nous tenons d’autant plus à la micro-assurance que celle-ci existe déjà dans les territoires voisins des Outre-mer français, par exemple à Madagascar ou aux Comores. Elle y est proposée par de grandes compagnies d’assurances qui la font, soit directement, soit par l’intermédiaire d’associations ou de fondations. Ainsi, le savoir-faire existe, les modalités d’assurance existent aussi. Reste la volonté de développer ce produit dans les Outre-mer français.

Nous pensons que le microcrédit et la micro-assurance peuvent être des éléments de coopération régionale, dans la mesure où l’activité économique du territoire d’origine développera, en même temps, l’activité dans les pays limitrophes de l’espace régional. Nous avons vu, par exemple à Mayotte, des exemples très concrets de coopération régionale dans l’espace économique géographique. C’est ainsi qu’une jeune femme a développé une activité de transport d’effets personnels entre Mayotte et les Comores.

Selon nous, microcrédit et micro-assurance peuvent générer des synergies nouvelles. Nous proposons donc que l’AFD pilote ce dispositif de coopération régionale et, par exemple, organise, dans chacun des espaces régionaux, une conférence sur les potentialités du microcrédit et de la micro-assurance. Ce serait l’occasion de réunir partenaires publics et privés, et de mettre en synergie les grands établissements et les IMF qui sont concrètement impliqués dans ces projets de développement régional.

Enfin, nous suggérons de mobiliser davantage la finance solidaire.

La finance solidaire repose sur une épargne placée dans des produits financiers solidaires. Elle a vocation à financer des projets d’utilité sociale ou environnementale – commerce équitable, confection de vêtements ou de conserves issues de filières biologiques, par exemple. Nous pensons que c’est une source de financement possible pour les petits entrepreneurs.

Nous avons souhaité par ailleurs appeler l’attention du Gouvernement  sur le développement du financement participatif qui permet de collecter des fonds auprès du public, par internet, pour financer un projet entrepreneurial et/ou culturel. Des mécanismes dédiés aux Outre-mer ou orientés sur les problématiques ultramarines devraient permettre la création d’activités nouvelles et d’emplois, et, en tout cas, répondre à des besoins nouveaux, fournir des produits et des services innovants et promouvoir une économie plus durable. Certains de ces dispositifs pourraient mobiliser l’épargne des ultramarins qui résident dans l’hexagone.

Nous citons l’exemple de la plate-forme POC-POC à La Réunion – financement participatif par dons – qui a soutenu un projet de « case à lire » que j’ai trouvé intéressant. Il s’agit d’une sorte de cabine téléphonique, très mobile, qui permet de mettre des livres à la disposition de tous, petits et grands. On peut installer cette « case à lire », décorée par des artistes, aussi bien dans un jardin public que dans une cour de récréation. C’est un projet à la fois entrepreneurial et culturel, qui nous semble tout à fait en phase avec le nécessaire développement de l’île de La Réunion.

Monsieur le président, cet ensemble de propositions devrait permettre, si le Gouvernement nous suit, de donner une dimension nouvelle au microcrédit, à la micro-assurance, au financement participatif et au financement solidaire, et de favoriser le développement d’emplois et d’activités dans les territoires ultramarins. La situation de l’emploi et de l’activité dans les Outre-mer étant très préoccupante, le jeu en vaut largement la chandelle. Ce serait une façon de redonner de l’espoir aux ultramarins.

M. le président Jean-Paul Fruteau. Merci pour cet exposé très intéressant, qui porte sur des sujets que nous n’abordons pas souvent.

Mme Huguette Bello. Madame, vous nous avez parlé des femmes qui ont recours au microcrédit, et je tiens à vous rassurer à propos de celles de La Réunion : elles sont plus alphabétisées et plus diplômées que les hommes, dans un département où 120 000 personnes ne savent ni lire ni écrire. Pourtant, elles ont moins facilement accès au crédit que les hommes – comme c’est le cas dans toute la France et sur la planète entière. Or, certaines d’entre elles auraient vraiment besoin de microcrédits pour monter leur entreprise. C’est pour elles une ressource essentielle. Je vise plus particulièrement le domaine de la beauté – coiffure, esthétique, salons de soins pour les ongles – ou celui de l’agriculture, du tourisme et de la restauration. Certaines, par exemple, font de la cuisine, à partir de produits locaux, dans de petits camions-bars.

Comme vous l’avez dit, il faudrait diffuser l’information sur le microcrédit. L’enjeu est important, car notre pays est sinistré par le chômage. Environ 60 % des jeunes, dont de nombreuses jeunes filles et de nombreuses jeunes femmes, n’ont pas de travail. Or, le travail, c’est l’indépendance économique, et c’est la liberté.

J’ai apprécié également vos propos sur la coopération régionale. L’exemple que vous avez cité, celui de la jeune femme qui commerce entre Mayotte et les Comores, est très positif.

La micro-assurance mériterait aussi d’être développée. En cas d’accident, on ne sait pas toujours quoi faire. Certaines personnes se retrouvent au tribunal. D’autres se découragent.

Vous avez remarqué que le microcrédit et la micro-assurance existaient ailleurs, notamment à Madagascar, et que les banques étaient beaucoup plus attentives. Nous aimerions que ce soit le cas outre-mer et que l’AFD, en particulier, s’implique davantage. Nous aimerions également que ces dispositifs soient mieux connus. En particulier, les personnes en formation devraient être informées à leur propos.

Cela m’amène à dire quelques mots sur la formation à La Réunion. Nous y consacrons environ 100 millions d’euros par an. Or, et je vais être critique, on ne se préoccupe quasiment pas de ce que l’on fait en matière de formation. Il n’y a aucune analyse de conduite…

M. le président Jean-Claude Fruteau. … ni aucune évaluation.

Mme Huguette Bello. Il arrive que les formateurs, ceux qui dirigent ces « boîtes de formation », dirigent les jeunes vers des métiers qui ne les intéressent pas ou qui sont des impasses. N’oublions pas qu’il s’agit d’argent public. Nous souhaiterions qu’il soit bien utilisé. Une dépense de 100 millions, ce n’est pas rien !

Ensuite, le microcrédit peut être obtenu après que l’on a réussi une formation. Il peut concerner, par exemple, le bijoutier qui ira ensuite présenter ses créations sur le marché forain, ou celui qui a appris à féconder ou à sécher la vanille, du côté de Sainte-Suzanne. Tout cela pour dire, Madame, que le rapport que vous nous présentez – et dont la couverture est très joliment illustrée – mériterait d’être largement diffusé. On ferait bien d’en parler sur nos radios car il y a là un moyen, pour les jeunes et les moins jeunes, de se réaliser.

Celui qui a mis en place le microcrédit a eu le prix Nobel. Il vient de l’Inde, un pays encore plus pauvre que les Outre-mer, où certains ne vivent qu’avec un dollar par jour ou un dollar et demi. Je pense que ce qui a réussi dans certaines régions peut faire merveille chez nous. Mais, encore une fois, il faut développer l’information. Quoi qu’il en soit, Madame, je vous remercie pour ce beau travail.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Ma chère collègue, je suis d’accord en tous points avec ce que vous avez dit.

Madame Crosemarie, vous avez évoqué l’AFD et la Caisse des dépôts et consignations. J’aimerais savoir comment elles réagissent à vos propositions. Cela m’intéresse d'autant plus que ce sont des organismes bancaires spécialisés. J’ajoute que l’AFD est très présente dans les pays limitrophes des collectivités ultramarines – et notamment de La Réunion. Nous aimerions qu’elle s’implique davantage outre-mer.

Que pourriez-vous m’en dire ? Tout un champ d’investissement leur est ouvert. En outre, cela correspond à leur vocation.

Mme Pierrette Crosemarie. Madame, je ne ciblais pas particulièrement les femmes. Simplement, elles sont souvent concernées par les problèmes d’emploi et confrontées à des difficultés de tous ordres. Je n’en ai été que plus admirative vis-à-vis de celles qui se prennent en main et qui, par exemple, partent acheter des marchandises en Chine pour les revendre à Mayotte. Personnellement, je ne sais pas si j’en serais capable. Leur cheminement intellectuel, la volonté et l’énergie dont elles font preuve dans cette activité sont tout à fait remarquables.

Maintenant, comment diffuser l’information ? La question m’a préoccupée. Par exemple, à Mayotte, il faut parler d’autres langues que le français pour être entendu des populations demandeuses de microcrédit. L’ADIE, avec ses structures de bénévoles, y réussit assez bien. Elle sait utiliser les compétences pour offrir une information et un accompagnement.

Nous avons pensé que, dans des territoires comme ceux de La Réunion, l’information sur le microcrédit pourrait être centralisée, non pas dans un « guichet unique », mais à un endroit où les personnes, notamment les jeunes, viennent chercher diverses informations. On leur indiquerait, en même temps, les activités que le microcrédit permet de développer et les obligations qu’il impose, avec des exemples positifs de personnes qui ont eu recours au microcrédit, qui ont créé leur entreprise et qui ont prospéré. On leur fournirait davantage d’informations sur le microcrédit qu’on ne le fait dans les structures où se rendent les personnes qui rencontrent des difficultés d’emploi ; par exemple, je ne suis pas persuadée que les conseillers de Pôle emploi connaissent très bien ces procédures. Mais le problème est bien de trouver le moyen d’atteindre les publics concernés.

Nous pensons que les jeunes en cours de formation économique devraient pouvoir participer à l’accompagnement des bénéficiaires d’un microcrédit. Nous avons notamment proposé qu’une telle activité, qui serait effectuée dans le cadre du bénévolat, soit valorisée dans leur cursus universitaire, à l’instar de ce qui existe en métropole. Cela concernerait les élèves des écoles de commerce ou en études économiques, dès leur première ou deuxième année.

Ensuite, vous avez eu raison de dire qu’il n’y avait ni retour ni évaluation de la façon dont était employé l’argent consacré à la formation. De notre côté, nous avons insisté auprès du Gouvernement sur le fait que le microcrédit accompagné était un outil efficace, qui n’était pas si cher que cela. En tant que parlementaires, vous avez bien évidemment le souci de la dépense publique. Mais il me semble que 1 500 euros pour une création d’emploi ne représente pas un coût très élevé, notamment si on le rapporte aux dépenses sociales que cette création permettra d’éviter.

Il serait également intéressant que les collectivités qui s’engagent en faveur du microcrédit s’engagent en même temps en faveur de l’accompagnement des bénéficiaires. Car le gage de la réussite est bien l’accompagnement. Notre idée n’est pas de donner de l’argent pour créer de l’emploi, mais de permettre que le microcrédit soit accompagné pour que l’emploi soit pérenne.

Enfin, Monsieur le président, vous m’avez interrogée sur les réactions de l’AFD et de la Caisse des dépôts. Je n’ai pas encore rencontré la Caisse des dépôts, mais je peux vous parler de l’AFD.

J’ai dit aux représentants de l’AFD, que je viens de rencontrer, que je souhaitais un rôle nouveau pour l’Agence, un rôle de leader, d’ « ensemblier » dans la coopération régionale, susceptible de prendre un certain nombre d’initiatives. Ils m’ont répondu qu’ils étaient capables de faire une évaluation pour voir si les opérateurs agissaient bien, mais qu’ils n’étaient pas des opérateurs de premier plan pour ces projets-là. Nous avons du mal à leur faire comprendre que, même s’ils sont petits, ces projets méritent considération. Mme Barbaroux a coutume de dire que ce n’est pas parce que c’est un petit projet que c’est un projet sans envergure. De belles entreprises ont été créées à partir de projets financés par des microcrédits.

Je pense que les décideurs sont bien conscients que la chaîne est incomplète, et qu’il manque un chaînon de garantie pour conforter la microentreprise, entre le microcrédit et la micro-assurance. Ils se disent prêts à faire ce qu’ils savent faire, à savoir du conseil et de l’animation. Ils nous ont parlé de mécanismes de gestion de garanties, mais on sent bien que le signal devra venir de l’État.

J’ai écrit : « il faut qu’il y ait un mandat de l’État ». Ils m’ont parlé d’une « demande » de l’État. Dans mon esprit, c’était simple : il faut une commande claire pour que nos institutions, AFD et Caisse des dépôts, occupent davantage ce créneau. Certes, ce n’est pas leur champ premier d’intervention, mais elles ont une expérience incontestable. Par exemple, dans le montage des fonds européens, dans la coopération régionale, elles savent mettre en place de beaux projets. J’aimerais qu’elles passent à des projets de taille moins importante, mais qui n’en sont pas moins vitaux pour la population, comme j’ai essayé de l’expliquer. Ce peut être tout aussi porteur de cohésion sociale qu’un gros projet d’équipement collectif ou de grande infrastructure.

La porte n’est pas fermée, mais je ne suis pas celle qui peut donner l’ordre. J’ai bien compris qu’il faudrait poursuivre les démarches auprès du Gouvernement pour tenter d’élargir les possibilités existantes. Il s’agit, en fait, de conforter les dispositifs. Si nous obtenons la création d’un fonds de garantie, l’AFD sera capable de le gérer. L’AFD nous a dit que, dans la mesure où elle serait opérateur de la BPI, on pourrait s’attendre à des évolutions significatives dans les Outre-mer. Mais je pense qu’il faudra un signal.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Je crois qu’il faudra aussi beaucoup de volonté politique.

Mme Huguette Bello. Il faut que l’État mandate ces grands organismes, qui font un peu peur. Et il faut que ceux-ci se mettent à la portée de tout un chacun.

M. le président Jean-Claude Fruteau. En même temps, dans ces grands organismes, la pratique du ronronnement est bien installée. On y fait les choses que l’on a l’habitude de faire, que l’on a toujours faites, et on n’a pas vraiment envie de changer et de s’investir. Il faut donc effectivement que l’État intervienne d’une manière ou d’une autre. Car on sait parfaitement comment cela fonctionne. Avec une volonté politique, il peut y avoir de bons résultats.

Vous parliez de l’intérêt des projets, qu’ils soient grands ou petits. Mais je remarque que la seule fois où j’ai dû intervenir, c’était sur un projet qui, à l’échelle d’une commune de La Réunion, n’avait rien de petit. Or, la réponse de la BPI avait été que c’était un projet « trop réduit » pour qu’elle puisse s’y intéresser. Pourtant, ce n’est pas tout à fait ce que j’avais compris lorsque nous avions mis en place la BPI. J’attends toujours le résultat de cette intervention, et je ne suis pas sûr qu’il soit positif. Mais il est certain qu’il y a beaucoup d’inertie de la part des institutions. Il est plus facile de regarder les autres agir et de dire qu’on est là pour les grandes opérations ou pour régler les problèmes en amont. Quand il s’agit d’aborder les problèmes de manière concrète, très souvent, il n’y a plus personne.

Je terminerai par une question. Un territoire comme Mayotte, qui est un pays de culture musulmane, peut manifester des réticences face à des prêts d’argent rémunérés entre coreligionnaires. Ne pourrait-on pas envisager d’y appliquer un système de tontine ?

Mme Pierrette Crosemarie. Monsieur le président, je pense que vous avez raison à propos de la BPI. Il y a un vrai problème pour le financement des petits projets et des petites entreprises. On nous a dit que la BPI prenait la suite de la BDPME, puis d’Oséo. Or, la vocation de la BDPME était de financer de petites entreprises. En outre, s’agissant d’Oséo, j’entendais déjà au Conseil les acteurs se plaindre que cet organisme ne diffusait pas dans les Outre-mer tous les produits qui existaient en métropole. Mais au moins Oséo proposait-il des produits.

On nous a dit qu’ils allaient diffuser tous les produits qui existent en métropole. Mais on rencontre toujours le même problème s’agissant des petites entreprises. J’ai l’impression qu’ils conçoivent leur rôle au service des grandes entreprises, des grands projets, et qu’ils oublient la case « petites entreprises ».

C’est si vrai que nous avions proposé que le prêt à la création d’entreprise, le PCE, qui était diffusé par la BPI, qui venait en complément de prêts bancaires et qui était bien diffusé en métropole, puisse être diffusé dans les Outre-mer par les instituts de microfinance, dans la mesure où il ne l’était pas par le réseau bancaire ultramarin. Or, nous avons appris que ce prêt avait été supprimé le 1er janvier. Nous avons donc dû d’abandonner notre proposition qui était de diffuser le PCE dans les Outre-mer.

Malgré tout, nous avons écrit qu’il fallait qu’un outil au service des petites entreprises vienne compléter ce que pouvait faire l’IMF. Sinon, et vous avez raison, entre le tout petit projet et le grand projet, il n’est pas possible de faire grandir son entreprise et de la pérenniser entre trois et cinq ans. C’est un vrai problème. Voilà pourquoi, par pragmatisme, nous proposons que le microcrédit puisse être alloué au-delà de cinq ans, ce qui n’est pas le cas normalement. Mais normalement, on devrait avoir trouvé un financement classique…

Vous m’avez enfin interrogée à propos de la tontine. À Mayotte, on pratique un système voisin, celui du shikoa : cela consiste, dans un collectif, à se prêter mutuellement pour réaliser un projet ; l’année suivante, c’est quelqu’un d’autre qui en bénéficie. Le système repose sur la confiance et solidifie les liens entre la collectivité. On s’en est inspiré pour cautionner collectivement du microcrédit.

Je pense qu’il faut prendre le shikoa comme un point d’appui pour développer d’autres pratiques de crédit. En tout cas, à Mayotte, cela fonctionne pour des projets très divers, économiques ou personnels – par exemple, pour financer une noce. Le problème se pose toutefois pour les projets d’activité économique pérenne, qui nécessitent un accompagnement. Or, dans le shikoa, il n’y a pas d’accompagnement. Donc, la formule de microcrédit que je préconise a un intérêt : c’est une formule de microcrédit accompagné.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Madame, je vous remercie pour la qualité des informations que vous nous avez apportées.


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