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Retour vers le dossier législatif

N° 759 N° 409

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ASSEMBLÉE NATIONALE SÉNAT

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE SESSION ORDINAIRE 2012 - 2013

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Enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale Enregistré à la présidence du Sénat

le 27 février 2013 le 27 février 2013

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OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION

DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES

________________________

RAPPORT

sur

« QUELLES LEÇONS TIRER DE L’ÉTUDE
SUR LE MAÏS TRANSGÉNIQUE NK 603 ? »


Compte rendu de l’audition publique du 19 novembre 2012

et de la présentation des conclusions le 18 décembre 2012

Par MM. Bruno SIDO, sénateur, et Jean-Yves LE DÉAUT, député

__________ __________

Déposé sur le Bureau de l’Assemblée nationale Déposé sur le Bureau du Sénat

par M. Jean-Yves LE DÉAUT, par M. Bruno SIDO,

Premier Vice-président de l'Office Président de l’Office

________________________________________________________________________

Composition de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

Président

M. Bruno SIDO, sénateur

Premier Vice-président

M. Jean-Yves LE DÉAUT, député

Vice-présidents

M. Christian BATAILLE, député M. Roland COURTEAU, sénateur

Mme Anne-Yvonne LE DAIN, députée M. Marcel DENEUX, sénateur

M. Jean-Sébastien VIALATTE, député Mme Virginie KLÈS, sénatrice

DÉputés

SÉnateurs

M. Christian BATAILLE

M. Denis BAUPIN

M. Alain CLAEYS

M. Claude de GANAY

Mme Anne GROMMERCH

Mme Françoise GUEGOT

M. Patrick HETZEL

M. Laurent KALINOWSKI

Mme Anne-Yvonne LE DAIN

M. Jean-Yves LE DEAUT

M. Alain MARTY

Mme Corinne NARASSIGUIN

M. Philippe NAUCHE

Mme Maud OLIVIER

Mme Dominique ORLIAC

M. Bertrand PANCHER

M. Jean-Louis TOURAINE

M. Jean-Sébastien VIALATTE

M. Gilbert BARBIER

Mme Delphine BATAILLE

M. Michel BERSON

Mme Corinne BOUCHOUX

M. Marcel-Pierre CLÉACH

M. Roland COURTEAU

Mme Michèle DEMISSINE

M. Marcel DENEUX

Mme Chantal JOUANNO

Mme Fabienne KELLER

Mme Virginie KLES

M. Jean-Pierre LELEUX

M. Jean-Claude LENOIR

M. Gérard MIQUEL

M. Christian NAMY

M. Jean-Marc PASTOR

Mme Catherine PROCACCIA

M. Bruno SIDO

SOMMAIRE

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Pages

ACCUEIL PAR M. JEAN-YVES LE DÉAUT, PREMIER VICE-PRÉSIDENT DE L’OPECST 5

ALLOCUTION D’OUVERTURE DE M. STÉPHANE LE FOLL, MINISTRE DE L’AGRICULTURE, DE L’AGROALIMENTAIRE ET DE LA FORÊT 5

PROPOS INTRODUCTIF DE M. JEAN-YVES LE DÉAUT 9

PREMIERE TABLE RONDE : LA CONTROVERSE SUR LES OGM : IMPACT SUR LA SANTÉ 13

M. Frank Foures, directeur adjoint de l’évaluation des risques, en charge de l’alimentation à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) 13

M. Jean-Christophe Pagès, président du Conseil scientifique du Haut Conseil des biotechnologies (HCB) 16

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’Université de Caen 18

M. Gérard Pascal, directeur de recherche honoraire en toxicologie, ancien chercheur à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) et ancien membre de la Commission du génie biomoléculaire (CGB) 22

M. Marc Mortureux, directeur général de l’ANSES 25

M. Paul Deheuvels, membre de l’Académie des sciences, professeur à l’Université Pierre et Marie Curie 26

Mme Dominique Parent-Massin, présidente de la Société française de toxicologie 29

M. Robert Bellé, biologiste, professeur à l’Université Pierre et Marie Curie 33

Mme Agnès E. Ricroch, enseignante-chercheure à AgroParisTech, adjunct professor, Penn State University, États-Unis 35

Débat 36

DEUXIEME TABLE RONDE : LES ENJEUX ÉTHIQUES DE LA COMMUNICATION SCIENTIFIQUE 47

A. QUEL RÔLE DES MÉDIAS DANS LA DIFFUSION DES RÉSULTATS EXPÉRIMENTAUX ? 47

M. Michel Alberganti, journaliste scientifique, chroniqueur à France Culture 47

M. Cédric Villani, médaillé Fields (2010), professeur à l’Université de Lyon, Directeur de l’Institut Henri Poincaré 48

M. Sylvestre Huet, chroniqueur scientifique à Libération, président de l’Association des journalistes scientifiques et de la Presse d’information 55

M. Valéry Laramée de Tannenberg, président de l’Association des journalistes de l’environnement 62

B. QUELLES CONDITIONS POUR UNE RECHERCHE ET UNE EXPERTISE TRANSPARENTES ? 65

M. Jean-François Dhainaut, président du Haut Conseil des biotechnologies 65

M. Olivier Godard, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) 67

M. Francis Chateauraynaud, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), directeur du Groupe de sociologie pragmatique et réflexive (GSPR) 74

C. QUELLES VOIES POUR L’AMÉLIORATION DU DIALOGUE ENTRE SCIENCE ET SOCIÉTÉ ? 76

M. Marc Mortureux, directeur général de l’ANSES 76

Mme Christine Noiville, présidente du Comité économique, éthique et social (CEES) du HCB 78

M. Jean Masson, ancien président du centre INRA de Colmar 80

Débat 79

EXTRAIT DE LA RÉUNION DE L'OPECST DU 18 DÉCEMBRE 2012 PRÉSENTANT LES CONCLUSIONS DE L'AUDITION PUBLIQUE 85

La vidéo de la réunion est accessible dans son intégralité à partir de la page d'accueil de l'OPECST sur le site de l’Assemblée nationale à l'entrée "vidéo à la demande" (www.assemblee-nationale.fr/commissions/opecst-index.asp). La transcription a été effectuée d'après l'enregistrement des propos tenus, sous réserve des corrections qui ont pu être apportées par les différents intervenants.

ACCUEIL PAR M. JEAN-YVES LE DÉAUT,
PREMIER VICE-PRÉSIDENT DE L’OPECST

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l’OPECST. – Je vous remercie de votre présence. Je ferai une petite introduction après le ministre de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt, Stéphane Le Foll, que je remercie d’être aujourd'hui présent pour l’ouverture de ce débat sur les leçons à tirer de l’étude sur le maïs transgénique NK 603. Stéphane Le Foll a accepté d’ouvrir ce débat, mais il doit se rendre en Lorraine puisque demain, nous nous rencontrerons dans ma circonscription. Je lui donne donc la parole sans plus tarder. Merci beaucoup, monsieur le ministre, d’avoir été présent parmi nous cet après-midi.

Bruno Sido, le Président sénateur, est excusé.

ALLOCUTION D’OUVERTURE DE M. STÉPHANE LE FOLL,
MINISTRE DE L’AGRICULTURE, DE L’AGROALIMENTAIRE ET DE LA FORÊT

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt. – J’excuse le Président sénateur et je salue en même temps le premier vice-président. J’ai accepté de participer à ce débat car j’estime que cet Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques est un lieu important, sur de nombreux sujets qui touchent à la science et aux technologies. Les sujets qui concernent les sciences du vivant débouchent très rapidement sur des grandes questions qui dépassent les seuls choix scientifiques mais touchent aussi aux questions éthiques.

Le débat sur les OGM en particulier n’est pas nouveau mais continue de poser des questions. Il se situe à la jonction de la science et de ses conséquences sur le vivant. Il s’agit pour moi d’un sujet majeur. Je pense qu’au-delà des choix scientifiques eux-mêmes, il est nécessaire d’organiser des débats démocratiques sur ces questions. L’arbitrage n’est en effet pas aisé. Sur la question des OGM, l’arbitrage est loin d’être fait, entre ceux qui sont profondément opposés aux organismes génétiquement modifiés et ceux qui peuvent considérer, sur la base d’études scientifiques dont vous allez discuter cet après-midi, que les doutes sont trop nombreux. Sur cette question, le débat démocratique n’est donc ni finalisé ni tout à fait mûr, ce qui ouvre le champ à des débats et à des confrontations souvent difficiles.

Voilà le cadre général. J’ai souhaité ouvrir cette réunion pour encourager les lieux de débat sur ces grandes questions scientifiques et technologiques. L’Office parlementaire doit être un tel lieu d’échanges, non seulement sur les questions scientifiques, mais également sur les questions éthiques qui sont sous-jacentes. Je le dis, les sciences du vivant sont au cœur et à la croisée des chemins. Il en résulte pour le ministre de l’agriculture, fonction que j’occupe actuellement, la nécessité d’aborder ces différents sujets avec une certaine rigueur. C’est ce qui m’a conduit, après la publication de l’étude sur le NK 603, à prendre la position que vous connaissez.

Lors du Conseil des ministres, j’ai eu le temps de lire l’article dans l’hebdomadaire qui publiait un article sur cette étude, j’ai pu en analyser la portée et en tirer une conclusion rapide. Je précise que je ne connaissais pas l’existence de cette étude à la différence d’autres responsables politiques, dont Corinne Lepage. J’ai donc pris une position qui correspondait à mes convictions profondes.

Après avoir lu cette publication, j’ai adopté dans la foulée du Conseil des ministres une position assez simple. D’abord, j’ai souhaité obtenir la validation de cette étude scientifique par l’agence concernée en France, l’ANSES. Cependant, quels que soient les résultats de cette validation, il n’en demeure pas moins que l’étude soulève des questions déjà anciennes. J’en arrive à la position qui avait été la mienne au Parlement européen il y a deux ou trois ans et qui avait été l’objet d’un débat à la fois en commission de l’agriculture, en commission de l’environnement et au Parlement à une large majorité. À l’époque, nous avions cherché à déterminer comment nous pourrions aboutir à une évolution des règles permettant aux États de décider ou non d’avoir recours aux cultures OGM, sachant qu’aujourd’hui, il n’existe pas véritablement de règle de droit en la matière, si ce n’est le recours à la clause de sauvegarde. Les États utilisant des clauses de sauvegarde sont plus nombreux que ceux qui utilisent les « sans-OGM ». Corinne Lepage et moi-même avions cherché à l’époque à travailler sur le fond de la question et à obtenir un certain nombre d’évolutions en faveur de l’instauration de règles de droit plus positives que celles qui existent aujourd'hui, dans le cadre du débat sur la directive européenne.

En particulier, nous nous étions interrogés sur les critères sur lesquels pourrait se fonder le choix de recourir ou non à la culture des OGM. Nous avions évoqué plusieurs critères, tels que celui des alternatives techniques et économiques disponibles. Je n’oublie jamais, et cela fera d’ailleurs l’objet d’un grand débat le 18 décembre, qu’il faut sortir de l’opposition entre économie et écologie, qui est réductrice et infructueuse. La dimension économique doit être un élément de la dimension écologique.

D’ailleurs, en agriculture, la question de l’écologie comprise comme la question de l’autonomie, qui est celle de la diminution des coûts et des recours aux consommations intermédiaires, doit être un élément économique du positionnement que nous devons avoir sur la question écologique liée à l’agriculture. C’est la raison pour laquelle je veux que la France soit un leader de l’agro-écologie aux échelles européenne et internationale. Notre potentiel de recherche et la compétence de nos agriculteurs nous permettent de nourrir une telle ambition.

Nous avions ainsi travaillé un certain nombre de règles de droit qui permettraient de faire évoluer le droit européen afin de mieux préciser les critères qui doivent permettre à des États de procéder à des choix stratégiques sur ces questions d’OGM.

Nous avions également évoqué à l’époque les règles d’autorisation des OGM au niveau européen. Le débat se situe en effet à l’échelle européenne. La preuve en est que, s’il est possible d’interdire la semence NK 603 en France, nous importons du maïs transgénique autorisé par l’Europe. Par conséquent, si nous ne sommes pas capables de porter le débat à l’échelle européenne, nous ne parviendrons pas à résoudre les questions qui nous sont posées. Nous devons avoir ce débat sur les règles d’autorisation. Je recherche d’ailleurs des accords de principe sur la marche à suivre avec nos partenaires européens, à ce sujet, notamment avec notre voisin allemand pour avancer dans ce domaine, à la fois sur les règles de droit et sur les règles techniques d’autorisation et, en particulier sur les fameux protocoles. Nous avions bien mesuré que, de toute façon, nous devions évoluer sur ces questions de 90 jours et au-delà de 90 jours, problématique qui a été posée par l’étude Séralini ensuite. Au demeurant, des études ont été faites au-delà de 90 jours, celle de Séralini comme d’autres. Nous voyons donc que nous devons caler nos éléments de protocole.

Au-delà de la question posée sur le maïs transgénique NK 603 et les études qui ont été réalisées sur cette semence, tout ce débat est ouvert. C’est ce que j’avais dit à la sortie du Conseil des ministres. Premièrement, nous devions saisir l’ANSES pour vérification et, deuxièmement, il y avait de toute façon des choses à changer. C’est dans cet esprit, à la fois rationnel et ouvert aux évolutions nécessaires, que le ministre de l’Agriculture français a pris la position que vous connaissez. Voilà ce que je voulais dire cet après-midi en ouvrant cette réunion de l’Office d’évaluation des choix scientifiques et technologiques : il me paraît très important qu’il y ait des débats.

Vous aurez une discussion plus technique sur les questions posées par l’étude et sur les questions scientifiques dans une première table ronde, puis une deuxième table ronde essayera d’élargir le débat.

Je terminerai par une question plus large. Je pense que les organismes génétiquement modifiés qui sont mis aujourd’hui à disposition des agriculteurs ne constituent pas la bonne solution. Les agriculteurs ont accès à du matériel génétique résistant à certains herbicides ou à des évolutions génétiques résistant à certaines maladies grâce à l’introduction de pesticides. À l’aune de la révolution agro-écologique du développement durable actuellement en préparation, il ne s’agit pas, à mes yeux, de la bonne voie.

L’idée selon laquelle les OGM permettront de résoudre les grands problèmes posés par les volumes de production et le recours à un certain nombre d’intrants ou de consommations intermédiaires n’est pas la vraie solution. Elle concentre en effet les pratiques culturales sur ce qui a été fait des années durant : la sélection de quelques variétés pour les rendre les plus productives et résistantes à certains herbicides. Là n’est pas le sujet, nous devrons ouvrir d’autres perspectives, nous devrons revenir beaucoup plus à des processus agronomiques complexes et performants. Je ne souhaite pas avoir des champs de maïs à perte de vue traités avec un herbicide qui détruit la faune et la flore environnantes. Il ne s’agit pas d’un progrès. C’est la raison pour laquelle, dans le débat que nous avions eu à l’époque au Parlement européen, le choix des alternatives pour avoir au bout du compte des résultats en termes de diminution de consommations intermédiaires, de protection de l’environnement et de développement de la production était posé. J’invite tous ceux qui veulent avoir les preuves de ce que je dis à assister le 18 décembre à la conférence nationale que nous organisons autour des techniques sur les conservations des sols et autres pratiques culturales innovantes, performantes à la fois au plan économique, écologique et sanitaire . Ces techniques assurent aux agriculteurs des rendements extrêmement élevés dans des conditions de production qui leur permettent d’économiser les consommations intermédiaires.

De la recherche de l’autonomie et de la durabilité doit résulter une démarche économique. Cette relation s’exprime aussi bien sur les céréales que sur le lait par exemple. Nous sommes en capacité d’effectuer des rotations plus grandes, d’utiliser la photosynthèse plus longuement et d’alterner des productions alimentaires et non alimentaires. Ainsi, le débat sur les OGM dépasse son strict cadre en soulevant une question globale sur les modèles de développement et sur les modèles agronomiques. En nous enfermant dans le débat sur les OGM stricto sensu, nous refuserions d’ouvrir d’autres perspectives. Je ne m’enfermerai donc pas dans ce débat, et je m’efforcerai d’être le plus rationnel possible et de prendre les décisions les plus efficaces possibles. La durabilité de l’agriculture dépasse le choix de l’utilisation ou de la non-utilisation d’OGM. Elle dépend des nouveaux modèles que nous serons capables de mettre en œuvre. Or ces modèles existent.

Le débat que vous mènerez cet après-midi est à la fois tout à fait spécifique et nécessaire. Je choisis toutefois d’ouvrir un débat plus large. Je répète par ailleurs que ma position au sujet des OGM ne change pas : nous devons nous montrer objectifs, procéder à des analyses méthodologiques et scientifiques et ouvrir un débat plus large à leur sujet. Ce débat doit porter sur la mise en œuvre des protocoles d’autorisation ainsi que sur les études qui doivent être réalisées pour tenir compte des durées sur lesquelles les résultats s’appuient.

Voilà les questions posées. Elles sont ouvertes, elles sont à débattre. Pour le ministre de l’Agriculture, les OGM constituent un sujet important et je vais faire en sorte que nous traitions ce sujet au niveau européen assez rapidement. Toutefois, la question de la durabilité et de l’agro-écologie ne se résume pas aux OGM. Au contraire, moins nous consacrerons de temps à ce sujets , de manière isolées plus nous ouvrirons de nouvelles perspectives. Or il m’incombe de favoriser ces nouvelles perspectives, dont je sais le potentiel écologique, économique et sanitaire.

Nous devons, en outre, au lieu de segmenter les problèmes, adopter une démarche de système. Nous l’avons trop fait au niveau européen : plutôt que d’appréhender globalement les problèmes, nous rédigions des directives spécifiques sur l’eau, les sols, l’herbe et l’azote. Nous en arrivons ainsi à des absurdités : il est préférable de garder les vaches dans des stabulations tout en mettant des prairies permanentes, sachant que si les vaches sont dans des stabulations, elles ne seront plus dans les prairies !

Ainsi, l’enjeu réside dans la dimension systémique de notre approche. Je voulais le dire en introduction. Je ne doute pas que les participants extrêmement compétents qui sont ici présents sauront clarifier toutes les questions qui sont posées. Vous pouvez en tous les cas compter sur le ministre de l’Agriculture pour ouvrir les perspectives que je viens d’indiquer.

Merci et bon travail.

PROPOS INTRODUCTIF DE M. JEAN-YVES LE DÉAUT

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l’OPECST. – Je remercie Stéphane Le Foll d’avoir ouvert les débats. Je vous remercie également tous et toutes d’être venus malgré le report de cette rencontre.

L’Office parlementaire organise depuis plus de vingt ans des débats publics. Nous avons d’ailleurs été les premiers au Parlement à organiser des débats publics et contradictoires, ce que les Américains pratiquaient depuis longtemps. Pour reprendre le mot de Stéphane le Foll, ce débat entre les scientifiques, les parlementaires, la presse et le grand public est nécessaire pour arriver au débat démocratique. Nous devons encourager les lieux de débats, contrairement à ce qui prévaut pour la plupart des dossiers que nous avons étudiés, pour lesquels les discussions se résument à des oppositions manichéennes sans véritable échange d’arguments. Nous devons au contraire, en échangeant des arguments, parvenir à un débat fondateur sur les biotechnologies et, plus largement, sur l’agro-écologie. La question de la place des biotechnologies dans l’agro-écologie a été posée.

Dans le cas présent, ce débat s’inscrit de longue date au Parlement, dans la mesure où, en 1998, nous avons abordé pour la première fois ce débat dans ce lieu au niveau de Parlement. Conscients déjà des ruptures dans l’opinion publique, nous avions organisé la Conférence de citoyens qui, me semble-t-il, avait été une réussite.

J’estime que le terme d’OGM est inapproprié dans la mesure où il existe autant d’organismes génétiquement modifiés que les événements de changement d’un organisme vivant ou d’un gène. La transgénèse visant à fabriquer un médicament ou à insérer un gène dans une bactérie en milieu clos ne présente pas les mêmes problématiques que l’insertion d’un gène dans une plante génétiquement modifiée. De même, nous ne devrions pas employer le mot de « nanotechnologie ».

Le sujet des OGM a également été abordé par la commission des quatre sages avec Didier Sicard, Jacques Testard, le directeur à l’époque du Centre national de l’alimentation et moi-même. Nous avions rendu un rapport. J’ai, pour ma part, participé à une mission d’information en 2005, puis contribué à la loi du 25 juin 2008 relative aux OGM.

L’Office a tenu à organiser la présente audition publique car l’article publié par Monsieur Séralini, que je remercie d’être présent, a suscité des controverses. Les médias s’en sont d’ailleurs fait davantage l’écho que la communauté scientifique. Parmi un grand nombre de publications scientifiques, j’ai pu lire un article qui formulait la critique suivante : l’Académie aurait dû organiser ce débat comme elle l’avait fait pour le changement climatique.

À cet égard, les lieux de débat tels que l’Office parlementaire sont à mes yeux importants. Le biochimiste de formation que je suis considère le débat comme un impératif catégorique tant les anathèmes prononcés ces dernières semaines ont empêché la construction d’un consensus sur les différents sujets qui nous préoccupent sur les biotechnologies.

En effet, la relation entre OGM et tumeurs, essentiellement reprise par les médias, fera partie du débat. L’ANSES s’exprimera sur l’opportunité d’instaurer des études de toxicité à long terme et ne manquera pas de souligner la rareté de ce type d’études précédant celle du professeur Séralini. Certains affirment toutefois que de telles études ont déjà été réalisées sur d’autres animaux que les rats. L’ANSES et le HCB en ont d’ailleurs approuvé le principe. Nous devrons donc nous demander si les études de toxicité subchronique sont suffisantes ou si, sur des constructions telles que les OGM, il faut aller plus loin. J’espère que vous répondrez également à la position défendue en 1987 par l’Académie américaine des sciences selon laquelle les mécanismes d’une transgénèse effectuée par l’homme ne seraient pas fondamentalement différents de ceux d’autres techniques de sélection végétale.

L’instauration éventuelle d’une durée supérieure à 90 jours prévue par les lignes directrices sur l’évaluation sanitaire des OGM risque de poser certaines questions délicates. En effet, comment définir la notion de long terme à l’échelle de la vie d’un animal ? Faudra-t-il retenir la seule durée de deux années, assimilant ainsi toute étude à une étude de cancérogénèse ? Enfin, une modification des lignes directrices en ce sens sera-t-elle compatible avec la réglementation communautaire, qui impose de réduire la souffrance des animaux et l’angoisse des animaux de laboratoire ? L’Office parlementaire est bien placé pour en parler puisque le professeur Jean-Louis Touraine, membre de notre Office, a rendu une étude sur le sujet. Le recours à des méthodes alternatives, si elles existent, pourrait s’avérer nécessaire. J’espère qu’un certain nombre d’entre vous pourront nous éclairer sur ce point.

La controverse porte également sur la puissance statistique nécessaire pour garantir la robustesse d’une étude. À cet égard, lors de l’audition de l’ANSES, Monsieur Séralini a reconnu que la puissance statistique de son étude était insuffisante.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’Université de Caen. – J’ai tenu ces propos uniquement sur une figure et non au sujet de la biochimie, sur laquelle portaient les statistiques dans notre étude.

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l’OPECST. – J’ai également lu un article dans lequel Monsieur Bellé affirmait qu’une étude portant sur un faible nombre de rats permettait d’observer des directions.

M. Robert Bellé, biologiste, professeur à l’Université Pierre et Marie Curie. – Soyons clairs : je n’ai jamais dit cela.

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l’OPECST. – Vous aurez l’occasion de vous exprimer sur le sujet.

M. Robert Bellé, biologiste, professeur à l’Université Pierre et Marie Curie. – Je ne me suis jamais exprimé sur ce plan.

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l’OPECST. – C’est votre voisin qui s’est exprimé ainsi. Toujours est-il que j’ai lu des propos qui étaient contradictoires.

Enfin, ne conviendrait-il pas d’effectuer des études non plus seulement sur des rats, mais aussi sur du bétail et sur d’autres animaux ? Quoi qu’il en soit, il importe de voir que les études toxicologiques prendront une importance croissante en raison du développement fulgurant des technologies et de la structure de plus en plus complexe de certains OGM, qui pourront contenir plusieurs gènes interagissant entre eux. À l’évidence, une telle évolution imposera des recherches accrues, mais celles-ci ne pourront s’effectuer de façon fructueuse que dans un climat plus apaisé. À cet égard, la Conférence de citoyens avait demandé que nous poursuivions l’effort de recherche, et ce notamment en plein champ. Nous aurons l’occasion tout à l’heure d’auditionner ce propos du directeur de recherche de l’INRA de Colmar, où une expérience a été détruite.

Veuillez m’excuser d’avoir attribué les propos de son voisin à Monsieur Bellé. Nous aurons l’occasion de revenir en détail sur les propos de chacun. En tout cas, il me paraît important que nous puissions avoir ce débat au Parlement, débat qui, je l’espère, sera cet après-midi apaisé.

Je donne immédiatement la parole à Frank Foures, qui est directeur adjoint de l’évaluation des risques en charge de l’alimentation à l’ANSES. Je demanderai à toutes les personnes qui s’exprimeront de s’en tenir à sept minutes. Certains ont affirmé que cette durée était insuffisante. Or, au Parlement, la durée maximale d’expression est de cinq minutes. Parallèlement, les échanges d’arguments seront limités à deux minutes, sans quoi nous arriverons à la fin de réunion sans qu’une seule personne n’ait pu poser de question. Vous aurez, de plus, l’occasion de prendre la parole si vous estimez que vos propos sont repris de manière inexacte. J’espère que notre débat sera vivant et ne limitera pas à une somme de monologues.

PREMIERE TABLE RONDE :
LA CONTROVERSE SUR LES OGM : IMPACT SUR LA SANTÉ

M. Frank Foures, directeur adjoint de l’évaluation des risques, en charge de l’alimentation à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES). – Messieurs les sénateurs et messieurs les députés, nous sommes très heureux de participer à cette réunion au programme passionnant et de présenter le travail fourni par l’ANSES à la demande du Gouvernement à la suite de la publication de l’étude de l’équipe du professeur Séralini.

Le Gouvernement nous a posé deux questions. La première consistait à apprécier si cette étude était conclusive quant aux risques sanitaires et remettait en cause les évaluations précédentes du maïs NK 603 et de l’herbicide Roundup. La deuxième visait à déterminer si cette étude et l’ensemble des connaissances scientifiques disponibles justifiaient une remise en cause ou une évolution des lignes directrices actuelles prévues dans la réglementation européenne.

Dans cette perspective, l’ANSES a créé un groupe d’expertise collective d’urgence en rassemblant des experts aux compétences variées en puisant dans les collectifs d’experts qui ont été récemment renouvelés au sein de l’ANSES. Nous avons veillé au risque de conflits d’intérêt. Vous trouverez la composition du groupe constitué en annexe de l’avis et les déclarations publiques d’intérêt des experts sur le site de l’ANSES.

L’étude du professeur Séralini ayant suscité de vifs débats dans la communauté scientifique, l’Agence a souhaité prendre du recul afin de travailler dans la sérénité, loin des polémiques, en alliant une grande rigueur scientifique et une attitude de vigilance et d’écoute des signaux tirés d’un tel travail, quelles que soient ses faiblesses.

Nous avons tout d’abord souhaité auditionner les principaux protagonistes du débat, dont l’auteur de l’étude que nous avons entendu le 10 octobre dernier et qui nous a fourni des données permettant d’approfondir notre travail. Nous avons également rencontré le président de l’association Générations Futures. Nous avons aussi sollicité la firme Monsanto, qui nous a proposé une contribution écrite. Ces différentes contributions sont disponibles sur le site de l’Agence.

Tout en menant de manière complètement indépendante notre expertise, nous avons veillé à nous coordonner avec les autres instances ayant travaillé sur l’étude : au niveau communautaire l’EFSA, mais aussi nos homologues allemands et néerlandais ainsi que le HCB au niveau français. Nous nous rejoignons très largement sur plusieurs points essentiels de faiblesse de l’étude. Toutefois le travail de l’ANSES a cherché à dépasser la simple analyse critique en faisant le point sur les autres études disponibles et en analysant les conclusions qui pouvaient en être tirées.

Les experts ont estimé que, sur les 24 études de plus de 90 jours référencées dans la littérature, seules deux étaient comparables à celle de Gilles-Eric Séralini. À cet égard, nous avons tenu à souligner l’originalité de ce travail au-delà de ses faiblesses. Je ne vais pas détailler les résultats de ces trois études. Elles sont toutes les trois assez différentes. Ces trois études ne sont pas des études réglementaires, qui auraient donc été commanditées par un industriel en vue d’obtenir l’autorisation d’un produit. Ce sont des études de recherche, c’est-à-dire des études menées par des scientifiques appartenant à des institutions publiques. L’étude de Sakamoto est commanditée par un institut de santé publique japonais, l’étude de Malatesta est financée par le ministère de la santé italien et l’étude de Gilles-Eric Séralini est celle qui nous conduit à être ensemble aujourd'hui.

Les deux premières études, même si elles mettent en évidence certains effets, notamment pour l’étude de Manuela Malatesta, sur l’expression des protéines hépatiques, ne mettent pas en évidence d’effets de pathologie ou de mortalité sur les animaux. L’étude de Gilles-Eric Séralini visait, quant à elle, à étudier la toxicité à long terme d’un maïs tolérant au glyphosate et d’un herbicide, le Roundup GT Plus via la voie alimentaire. Le protocole de l’étude prévoit un échantillon de 200 animaux et teste un grand nombre de paramètres : trois doses d’OGM non traités, trois doses d’OGM traités au glyphosate, trois doses de Roundup dans l’eau de boisson. Il s’agit donc d’une étude large, qui suit un grand nombre de paramètres biochimiques, mais qui répartit les animaux en vingt groupes de dix animaux, c'est-à-dire des lots de petite taille, ce qui a été largement commenté.

Les trois études présentent chacune un certain nombre de faiblesses. Je ne les détaillerai pas. L’ANSES considère que la faiblesse centrale de l’étude de Gilles-Eric Séralini réside dans le fait que les conclusions avancées par les auteurs sont insuffisamment soutenues par les données présentées dans la publication. Après analyse statistique des données de mortalité et d’apparition de tumeurs ou de pathologies, aucun écart statistiquement significatif n’a été mis en évidence entre les différents groupes traités et les groupes témoins.

Le choix du type de rat a été décrié, mais il faut savoir qu’il s’agit d’une lignée de rats qui est couramment utilisée pour ce type d’expérience. Selon nous, ce choix n’est pas en soi à critiquer et il ne pose pas spécifiquement de problèmes spécifiques pour des études courtes. Il est toutefois important de savoir que cette souche de rat, à un certain âge, développe spontanément des pathologies, notamment tumorales (de l’ordre de 50 % de tumeurs spontanées sur ces rats à l’âge de deux ans). Par conséquent, avec dix rats par groupe, une étude aussi longue ne permet que de déceler des différences très importantes entre les groupes et présente donc le risque de ne rien déceler de significatif. C’est ce que nous avons observé en analysant cette étude. Aussi, l’expertise menée par l’Agence conclut que les résultats de ce travail de recherche ne permettent pas à eux seuls de remettre en cause les évaluations réglementaires précédentes sur le maïs NK 603 ou le Roundup.

Nous avons souhaité mettre en avant un deuxième point. Peu d’études sont disponibles sur les effets potentiels d’une exposition sur une durée de vie entière à des OGM associés aux préparations phytopharmaceutiques. Cette préoccupation d’une meilleure prise en compte des effets à long terme des OGM ou des effets chroniques rejoint également la position prise par l’Agence en 2011 qui visait à renforcer les conditions de réalisation des études qui sont requises dans le cadre réglementaire. Nous souhaitons que cette proposition déjà formulée par l’Agence dans un rapport soit rapidement prise en compte au niveau du cadre réglementaire européen et nous souhaitons vivement que ce cadre soit rapidement adopté.

L’Agence émet en outre plusieurs recommandations.

Premièrement, il convient d’engager de nouvelles études sur les effets à long terme des OGM associés aux pesticides. Nous considérons que ces études devraient être menées sur la base de protocoles d’investigation précis. L’ANSES est prête, en association avec d’autres partenaires, à participer à l’établissement des principes généraux de tels protocoles d’étude.

Deuxièmement, il est nécessaire de renforcer les recherches sur les effets des expositions cumulées, ce que nous appelons les « effets cocktails ». L’Agence s’est investie sur ce sujet depuis longtemps et a lancé en 2007 un projet qui est actuellement soutenu par l’ANR, le projet dit « Périclès ». Le projet arrive à son terme, mais nous considérons aujourd'hui qu’il faut mobiliser davantage la communauté scientifique sur ce sujet qui relève d’une problématique de recherche fondamentale pour mieux documenter les interactions potentielles, notamment entre les substances actives et les co-formulants.

Enfin, notre dernière recommandation constitue la conséquence logique des deux points précédents, mais elle s’inscrit dans un contexte qui dépasse largement celui des OGM. Notre agence a besoin de mobiliser des financements publics nationaux ou européens qui soient consacrés à la réalisation d’études ou de recherches d’envergure visant à mieux consolider les connaissances dès que nous sommes confrontés à un risque sanitaire insuffisamment documenté.

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l’OPECST. – Merci. Je donne maintenant la parole à Monsieur Pagès, qui est président du Conseil scientifique du Haut Conseil des Biotechnologies.

M. Jean-Christophe Pagès, président du Conseil scientifique du Haut Conseil des biotechnologies (HCB). – Merci Monsieur le premier vice-président, merci Messieurs et Mesdames les députés. Mon approche sera complémentaire de celle de l’ANSES et sera un peu plus précise sur les données de l’article qu’il nous avait été demandé de commenter. Plus modestement que l’ANSES, le Comité scientifique du Haut Conseil des Biotechnologies s’est attaché à l’analyser avec la rigueur scientifique qui est celle qui a toujours prévalu dans ses analyses.

Pour commencer je ferai quelques commentaires sur la souche de rat utilisée. La souche de rat Sprague Dawley est relativement ancienne et connue pour présenter des tumeurs de façon spontanée ainsi que des anomalies hépatiques et rénales. Le schéma que je vous présente montre les variations d’apparition de tumeurs mammaires. Il apparaît une oscillation entre 30 et 70 % de tumeurs. L’étude de M. Séralini avance que ces tumeurs pourraient résulter de l’alimentation en particulier en NK 603 et en Roundup. Les données historiques montrent pourtant que l’alimentation semble assez indépendante de l’apparition de tumeurs.

Nous nous sommes penchés sur une étude interne de la société fournisseur de rats, la société Harlan, qui mentionne une fréquence d’apparitions de tumeurs comprise dans la fourchette de l’étude de Gilles-Eric Séralini. Or ces rats avaient bénéficié d’une alimentation exempte d’OGM. Les tumeurs mentionnées dans l’étude de Harlan n’étaient ainsi ni le résultat d’une alimentation en OGM, ni un effet du Roundup. Toutefois, les aliments utilisés pour nourrir les rats en laboratoire sont issus de cultures traitées avec des herbicides.

Premier constat, les rats développent spontanément des tumeurs et avec des oscillations relativement importantes.

Au travers d’une analyse statistique que nous avons conduite, nous avons constaté que les tumeurs se distribuaient de façon homogène entre les groupes (groupes contrôles et groupes objets du test). Nous ne pouvons ainsi conclure à l’existence d’une différence d’apparition de tumeur et de relation tumeur-survie chez ces rats.

L’étude de Monsieur Séralini revendique également l’apparition plus fréquente et plus précoce des tumeurs. Là encore, nous avons élaboré une bibliographe relativement exhaustive et nous constatons que des tumeurs apparaissent dès 12 semaines chez les animaux de laboratoire. Dès lors, il n’est pas possible d’affirmer qu’une différence existe entre la souche Sprague Dawley standard quelle qu’en soit l’origine et les observations de l’étude.

De plus, l’étude affirme avoir identifié des anomalies biologiques, qui seraient validées statistiquement. Ces anomalies sont-elles l’indication d’une atteinte physiopathologique particulière ? Nous constatons que les données biologiques commentées dans l’article sont obtenues à 15 mois. En revanche, les données histologiques sont, pour leur part, obtenues en fin d’étude, en tout cas à l’autopsie des animaux, ce qui pose une question de temps entre l’observation histologique et la validité des données biologiques. De plus, sur aucune donnée histologique, il n’est présenté de fréquence de ces anomalies.

Toutes les anomalies revendiquées sont un peu discordantes. Il en est de même des anomalies hépatiques et les désordres hormonaux, qui sont utilisées comme des variables explicatives des tumeurs, selon nous, ne sont pas supportées par les données.

Dans le cas des anomalies rénales, plusieurs paramètres sont liés les uns aux autres. Aussi est-il normal qu’ils varient de la même façon, mais il est étonnant d’observer que le paramètre central de l’insuffisance rénale qui est théoriquement l’augmentation de la créatininémie se trouve diminué. De la même façon, le potassium, également un paramètre important, se trouve lui aussi diminué. Enfin, un paramètre qui était attendu, à savoir la présence de protéines dans les urines, n’est pas retrouvé

Je ne m’étendrai pas d’avantage sur les paramètres hépatiques.

Nos conclusions sont relativement simples. Sur le plan observationnel, on ne peut pas distinguer la souche de rats Sprague Dawley de l’étude, quels que soient les traitements qui lui ont été donnés, de la souche standard. Sur le plan biologique, les différences statistiques constatées ne sont corroborées par aucune des analyses présentées. Le Comité scientifique du HCB a ainsi conclu à l’absence d’indication de risque sanitaire à la suite de cette étude. Voilà pour la première partie. Passons maintenant aux suites de cette étude.

La délégitimation des instances d’expertise tant sur le plan français que sur le plan européen est extrêmement délétère. Il faut que nous retrouvions une légitimité de ces instances d’évaluation. La diversité des instances dans les États membres, la diversité, la compétence et la sélection des experts dans les instances comme le Haut Conseil des Biotechnologies me semble largement suffisante. Elle est plus plurielle, elle est très contradictoire, je peux vous le garantir de par les discussions que nous avons au moins en comité scientifique.

Nous devons par ailleurs rappeler la portée des études réglementaires actuelles, qui sont de trois ordres. Ces études donnent des indications et les autorisations ont été données car ces études n’ont rien révélé.

Lors de la saisine, il nous a été aussi demandé si nous devions réviser ou non les lignes directrices. Ce travail a déjà été entrepris de manière récurrente par l’AFSSA qui est devenu l’ANSES. L’EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments) le remet assez régulièrement à son agenda. C’est donc une question que nous allons aborder de nouveau.

Nous connaissons les limites des études réglementaires. Le Comité scientifique du HCB le rappelle de façon régulière. Les pétitionnaires évoquent souvent la notion d’innocuité quand bien même ils ne disposent pas de la puissance statistique permettant d’effectuer une telle revendication.

Quelles seront les orientations futures ? Plusieurs travaux, dont deux projets bénéficiant de financements européens, sont en cours. Le projet GRACE étudiera les études d’amont avec la préoccupation d’une réduction du nombre d’animaux qui sont mis en œuvre dans ces études. Le deuxième projet, en lequel nous plaçons de fortes espérances, a trait à la surveillance épidémiologique. La situation dans laquelle nous sommes actuellement est probablement le résultat d’une absence de données de suivi épidémiologique, qui auraient pu constituer un garde-fou face aux effets éventuels des OGM.

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l’OPECST. – Merci à vous. Nous avons entendu les deux agences qui ont été saisies par le ministre. Vous avez entendu les conclusions. Monsieur Séralini, vous venez d’entendre un certain nombre de critiques formulées à l’égard de votre étude. Que pouvez-vous nous dire sur cette étude, sur sa réalisation, sur la controverse qu’elle suscite ? Quels arguments pouvez-vous avancer afin de défendre votre publication scientifique ?

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’Université de Caen. – Merci Monsieur le vice-président. Je remarque tout d’abord que la répartition du temps est inégale dans la mesure où l’ANSES et le HCB n’ont pas un avis favorable à l’étude. Je soulignerai également que le débat d’aujourd’hui est national. Or le débat qui nous touche nous, responsables de l’étude, est, lui, d’une portée internationale. Il s’exprime par exemple au sein de la revue Food And Chemical Toxicology, qui, comme les normes éthiques l’exigent, a publié les réponses de nos adversaires et en particulier de Monsanto. Ce dernier interlocuteur demande même le retrait de l’étude, alors que je n’ai rien de spécifique contre telle ou telle entreprise. Nous comptons également parmi nos adversaires certains scientifiques travaillant pour Monsanto de façon déguisée ou non et qui s’exprimeront ici, dans cette salle.

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l’OPECST. – Je demanderai à ceux qui travaillent pour Monsanto de le dire.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’Université de Caen. – Ou qui travaillent dans leurs cabinets de lobby européen ou avec eux.

La revue a mis quatre mois à expertiser ce travail et a abordé tous les points soulevés par l’ANSES et le HCB. Ces deux agences ont pour rôle d’étudier la validité des produits et d’émettre des avis à destination du ministère de l’Agriculture en particulier en vue d’une mise sur le marché. Elles sont parfois amenées à analyser très rapidement des articles scientifiques sans nécessairement disposer des outils d’analyse nécessaires et sans s’appuyer sur des meilleurs spécialistes du domaine en question. Tel n’est en revanche pas le cas d’une revue scientifique internationale, qui peut consulter des experts dans le monde entier. Le nombre de spécialistes du sujet étant très faible, je ne cherche aucunement à jeter le discrédit sur les experts des deux agences.

La présentation d’aujourd’hui porte uniquement sur le maïs transgénique NK 603 quand notre étude porte également sur le Roundup. Ces deux éléments sont pourtant indissociables car ce maïs transgénique a été modifié pour absorber du Roundup sans mourir.

Je suis extrêmement choqué par la faute professionnelle commise par les agences qui n’ont pas en même temps évalué les études de mise sur le marché de la société Monsanto. Vous affirmiez que la puissance statistique de Monsanto était insuffisante pour permettre d’autoriser la mise sur le marché d’un produit. Cette société utilise pourtant des tests comparant des souches traitées et non traitées de dix rats concluant à l’innocuité du produit.

Nous soulignons ainsi deux incohérences. La première est de maintenir la confidentialité des études de la société Monsanto. La deuxième consiste à ne pas comparer des éléments comparables. De façon à ce que la communauté scientifique dans son ensemble – et non pas une quarantaine de scientifiques qui ont publié dans la presse sur ce que nous avons fait – puisse procéder à une évaluation, nous avons décidé de placer l’ensemble des données brutes qui ont permis la publication de notre travail chez un huissier. Ces données seront rendues publiques lorsque nous obtiendrons les données du Roundup. Mais j’ai cru comprendre que les données du Roundup n’étaient pas en France ou à l’EFSA, mais seulement dans le bureau allemand qui a réalisé très rapidement une contre-expertise défavorable sur notre étude, le BFR. J’espère que le ministre de l’Agriculture, qui doit se rendre en Allemagne, pourra demander ces données, puisque les agences devraient les avoir eues quand elles permettent les autorisations et les réévaluations d’un produit. Nous pourrons alors comparer les comparables.

Nous nous sommes évidemment adressés à la société Harlan avant de commencer l’étude. Cette société ne peut garantir une alimentation des rats sans OGM. Nous avons ainsi fabriqué des croquettes témoins garanties sans OGM ni pesticides, ce qui n’est pas le cas de l’ensemble des données historiques. La fluctuation de 30 % à 70 % des tumeurs est ainsi plutôt due au non-testage de la nourriture des animaux de laboratoire qu’à un résultat scientifique valable. Nous avons donc pu effectuer des comparaisons grâce à des contrôles sur des rats qui ne mangeaient ni OGM, ni résidus de pesticides.

Ensuite, nous avons dosé les pesticides et OGM que nous avons fait pousser dans la nourriture des traités et nous avons obtenu une tumeur chez les mâles témoins et 3 à 4 sur l’ensemble de l’étude avec les femelles traitées et 5 à 6 les tout derniers jours de l’expérience sur les femelles témoins. C'est-à-dire que nous avons 3 à 4 tumeurs chez les témoins pendant l’ensemble de l’expérience et 5 à 6 à la toute fin. Nous pouvons donc comparer 14 tumeurs ou 10 tumeurs à cela.

Évidemment, nous n’avons fait aucune statistique et les statistiques de Monsieur Lavielle ou du HCB ont conclu à l’absence de puissance suffisante pour confirmer ou infirmer l’existence d’un effet lié au traitement. Voilà ce que révèlent les statistiques interprétées par le HCB.

Nous avons cependant effectué des statistiques avec une très bonne puissance, très discriminante, sur l’ensemble des données biochimiques. Les paramètres présentent une cohérence biologique avec les résultats obtenus, puisque nous avons eu trois groupes de paramètres et le fait qu’ils ne soient pas liés n’avaient pas d’importance dans le domaine des études variables multiples. Nous avons obtenu que certains paramètres hépatiques rénaux et les paramètres hormonaux étaient déréglés et cela était fait à l’aveugle puisque le statisticien ne connaissait pas les traitements. D’autre part, les anatomopathologistes agréés qui ne connaissaient pas non plus les traitements et qui ont été payés pour faire leurs analyses, ont attesté que les pathologies les plus fréquentes étaient les pathologies hépatiques rénales et surtout les tumeurs mammaires et que le deuxième organe le plus touché chez la femelle était l’hypophyse. Nous savions que nous avions là des pathologies hormono-dépendantes chez la femelle et des pathologies hépatiques et rénales chez les mâles. Ils nous ont même attesté que les morts étaient dues à ces pathologies puisque, dans certains cas, pour éviter la souffrance, nous avons même dû les euthanasier quelques jours avant leur mort naturelle.

Faut-il dire « circulez, il n’y a rien à voir » et continuer à valider ces produits ? Ou alors faut-il réaliser davantage d’études ? Comme l’a remarqué l’ANSES, seules deux études sont comparables à la nôtre, parce que les études de deux ans sur porc ou sur vache ne sont pas des études vie entière. Dans les études comparables, nous avons produit l’étude la plus fouillée et détaillée, aussi bien sur le Roundup que sur le maïs OGM NK 603.

Aujourd'hui, même le Roundup ne semble pas avoir été évalué au-delà de quelques semaines. Je ne parle pas du glyphosate, un des composés du Roundup, dont nous avons montré récemment par une nouvelle étude publiée dans Food and chemical toxicology qu’il y avait des composés encore plus toxiques dans les produits classés inertes du Roundup et que le mélange était plus toxique que le glyphosate lui-même.

Si, mesdames et messieurs, vous acceptez une société dans laquelle la composition des produits et les analyses de sang réalisées par les industriels et validées par les agences sont tenues secrètes, dans laquelle un maïs transgénique n’est pas évalué plus de trois mois et un herbicide pas plus de quelques semaines sur la santé, libre à vous de faire un tel choix. Pour ma part, en tant que scientifique, je ne m’y résous pas.

Le principal grief qui nous est reproché tient au fait que les groupes que nous avons étudiés ne sont constitués que de dix rats par groupe. Mais s’il fallait supprimer l’ensemble des études de biologie qui ont dix rats par groupe ou moins, je crois que c’est 98 % de la biologie qui tomberait. Nous aurions aimé pouvoir réunir 6 millions, 20 millions d’euros et effectuer une étude avec 10, 50, 100 rats. Je crois que nous ne pouvons éviter le in vivo aujourd'hui en tant que scientifiques puisque, de toute façon, c’est la dernière étape avant de donner ces produits à manger à l’ensemble des animaux de ferme et de laboratoire. C’est une question d’éthique animale et bien sûr d’éthique humaine, parce que vous me permettrez de toujours préférer un enfant à un rat.

Aujourd’hui, nous devons aller plus loin. Si des doutes subsistent, refaisons une étude plus détaillée, par d’autres, mettons au point un protocole indépendant. Acceptons, non pas l’expertise indépendante qui est un mythe, mais l’expertise contradictoire pour aller vers la transparence. Au point où nous en sommes, les États ont tellement demandé aux grands instituts de recherche de travailler avec des industriels qu’un réseau et une corporation d’intérêts se sont développés avec le temps.

Je voudrais vous dire aussi que la revue Food And Chemical Toxicology publiera notre réponse détaillée à l’ensemble des critiques. J’ai reçu plutôt des commentaires des éditeurs disant que leur processus d’évaluation avaient été excellents et qu’ils étaient écœurés par les liens qui avaient été mis à jour par certains journalistes, en particulier sur le blog de Rue 89, entre les réseaux qui nous ont critiqués au niveau international et l’industrie qui avance déguisée. Je crois qu’aujourd'hui, chacun peut se rendre compte de cela en menant sa propre enquête. 140 scientifiques français ont expliqué qu’ils n’acceptaient pas les propos de ceux qui avaient parlé au nom de la communauté scientifique ou au nom des académies. Ceux qui s’expriment au nom de la communauté scientifique sont en général très présomptueux parce que la communauté scientifique est toujours partagée sur des points, surtout aussi sensibles que celui-ci. Enfin, il y a 193 soutiens internationaux de scientifiques aujourd'hui et 130 associations demandent la transparence sur les données qui ont servi à évaluer ces OGM ; je crois que ce serait la moindre des choses aujourd'hui.

Il me reste bien des sujets à évoquer, ce que je ne peux faire dans le temps qui m’a été imparti. Je tiens à vous remercier de votre attention.

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l’OPECST. – Merci à vous. Nous allons essayer de poser les questions les unes après les autres. Vous avez parlé des autorisations qui étaient données au niveau européen et mondial sans études. L’ANSES ou le HCB pourra répondre plus tard.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’Université de Caen. – Je n’ai pas dit qu’il n’y avait pas d’étude, M. Le Déaut. J’ai dit que les études à long terme étaient extrêmement courtes et même les études de trois mois ne sont pas obligatoires.

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l’OPECST. – Sur la partie extrêmement courte – sur les 90 jours – , nous avons déjà auditionné un certain nombre d’entre vous, dans des auditions auxquelles vous avez participé, qui indiquaient que la subchronicité était visible en trente jours et que, si cela était dangereux, sans statistique, les 30 jours étaient suffisants pour détecter quelque chose de très grave. Je vais laisser la parole à Gérard Pascal, puisqu’il a un avis différent de ceux dont vous rappeliez l’existence tout à l’heure. Nous allons alterner si vous le voulez bien. Vous aurez la parole juste après.

M. Gérard Pascal, directeur de recherche honoraire en toxicologie, ancien chercheur à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) et ancien membre de la Commission du génie biomoléculaire (CGB). – Merci, Monsieur le Président de séance, de me donner la parole. Plutôt que d’OGM, je parlerai de plante génétiquement modifiée (PGM), traitée ou non par des herbicides, et non de produits phytosanitaires, qui dépassent le cadre de mes compétences.

Devant ce débat, nos concitoyens peuvent avoir l’impression que la méthodologie mise en œuvre pour évaluer la sécurité des OGM tombe du ciel et est assimilable à « un grand n’importe quoi ». Il n’en est rien. Cette méthodologie résulte de développements intervenus depuis plus de vingt-cinq ans. Le travail a commencé en 1983 à l’OCDE par la mise en place d’un groupe de travail chargé d’imaginer une méthodologie nouvelle pour évaluer les risques des produits issus des biotechnologies. Pourquoi une telle demande ? Parce que nous ne savions pas évaluer les risques d’un aliment, à la différence de ceux d’une molécule chimiquement définie comme un médicament, comme un produit phytosanitaire, comme un additif alimentaire ou comme un contaminant. Avec ces composés, on peut forcer la dose, ce que l’on ne peut pas faire avec un aliment si bien que l’on ne dispose plus d’une marge de sécurité pour passer de l’expérimentation animale à la situation réelle sur le terrain du consommateur exposé à des molécules.

Dans le cas du maïs par exemple, nous utilisons des régimes alimentaires à teneur de maïs maximale supportable par le rat, soit 33 %. Certaines populations mexicaines mangeant une quantité similaire de maïs, nous n’avons plus de marge de sécurité. Il fallait donc inventer une nouvelle méthodologie.

Au risque de vous surprendre, aucun des aliments que nous consommons tous les jours n’a jamais été évalué en termes de sécurité sanitaire, à l’exception des aliments irradiés et de quelques aliments cuits et réchauffés au four à micro-ondes. Pour le reste, l’évaluation résulte au cours des siècles d’une expérimentation en vraie grandeur un peu brutale : l’exclusion des aliments toxiques à la suite d’accident mortel.

En 1986, la France a été le premier pays à se doter d’une commission spécialisée, la Commission du génie biomoléculaire. L’OCDE et l’OMS ont avancé quelques propositions au début des années 1990 tandis que l’Union européenne est entrée dans la partie à l’occasion d’une question posée par nos collègues britanniques sur l’évaluation du risque lié à la présence de gènes de résistance aux antibiotiques dans un maïs OGM.

En 1997, l’OCDE a organisé en France une réunion sur l’évaluation de la sécurité sanitaire des nouveaux aliments en général, mais évidemment, les PGM étaient au centre du débat. À cette époque, nous avons débattu entre autres de l’opportunité des expériences toxicologiques à 28 jours. À cette époque, à partir d’une expérimentation à 28 jours, j’ai pu identifier une toxicité manifeste dans un colza génétiquement modifié, le GT 73, due à une teneur en toxique naturellement présent dans le colza, les glucosinolates, qui était supérieure dans le lot génétiquement modifié par rapport au témoin parce que celui-ci avait été mal choisi. Si vous avez des questions sur ce point, je suis prêt à y répondre.

Depuis, bien d’autres réunions internationales ont eu lieu. Au début des années 2000, nous avons assisté à une multiplication de réunions internationales, de projets de recherche européens. En particulier, le projet Entransfood, qui regroupait cinq projets de recherche, a publié ses résultats dans la revue Food And Chemical Toxicology. Le projet Safe Food a publié ses résultats dans Food Control. De son côté, l’EFSA, créée en 2003, a publié en 2008 dans Food And Chemical Toxicology un rapport important sur les lignes directrices, qui abordait notamment le rôle de l’expérimentation animale.

L’approche retenue aujourd’hui pour évaluer la sécurité sanitaire aussi bien en France qu’en Europe se base, conformément aux recommandations de l’OCDE et de l’OMS, sur le fait que nous ne savons pas bien évaluer un aliment. Elle retient donc une étude comparative entre une PGM et un comparateur, une plante considérée comme témoin aussi proche que possible de la PGM et éventuellement des variétés du commerce. La comparaison se situe au niveau moléculaire, porte sur l’aspect, les performances agronomiques, les résistances à différents agresseurs (micro-organismes, virus, insectes), la résistance aux facteurs climatiques et la composition. Des tests in silico, in vitro, puis in vivo ont ensuite lieu, ainsi que des tests subchroniques à 90 jours. Contrairement à la France, l’Union européenne n’exige pas réglementairement ces derniers tests. La méthodologie a ainsi évolué en permanence.

Que faire aujourd'hui ? La méthodologie mérite, certes, d’être encore améliorée. Loin de moi l’idée d’affirmer que les PGM ne présentent aucun risque. J’estime toutefois que, si un risque existe, la méthodologie actuelle permet d’allumer certains signaux qui incitent à poursuivre les recherches sur ce risque. Nous ne répondons cependant pas à toutes les questions et ne pouvons mettre en évidence des effets négatifs discrets qu’avec des méthodes très sensibles. Dans mes dernières années de travail à l’INRA, j’ai orienté un certain nombre d’équipes sur de nouvelles voies. Ainsi, un travail initié en 2004 et publié en 2011 montre que la métabolomique, une nouvelle voie d’approche, a permis d’obtenir des résultats intéressants sur un autre maïs génétiquement modifié, le MON 810.

Deux projets de recherche ont, pour l’un, déjà démarré et, pour l’autre, va démarrer début 2013. Des équipes françaises y participeront, en particulier des équipes que j’avais incitées à explorer un certain nombre de voies nouvelles. Je veux parler du projet MARLON qui est une étude épidémiologique sur les animaux, et du projet GRACE, qui ont déjà été évoqués.

En matière de pratiques, bien des progrès ont été réalisés. Les déclarations d’intérêt sont aujourd’hui publiques. Chacun peut donc les consulter bien que les modalités soient diverses. Un manque de transparence, résultant sans doute de mauvaises habitudes de nos administrations, a longtemps prévalu. La transparence s’est depuis améliorée et est presque totale dans le cas des PGM et des PGM traitées. Il est aujourd’hui possible de demander à l’EFSA la communication électronique de tous les dossiers, avec les données brutes. L’EFSA refuse de les mettre sur le site, mais chacun d’entre vous peut téléphoner à l’EFSA et recevra les données brutes de chaque dossier.

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l’OPECST. – Monsieur Séralini, vous pourrez donc nous transmettre vos données.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’Université de Caen. – Non, ces données sont sous copyright. Si chacun, dans son coin, réalise l’étude sans pouvoir parler des données brutes, il y a un grave problème.

M. Gérard Pascal, directeur de recherche honoraire en toxicologie, ancien chercheur à l’INRA et ancien membre de la CGB. – Je ne vous ai pas interrompu pendant votre présentation.

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l’OPECST. – Je lui permets de prendre la parole puisque je l’ai interpellé. C’est le débat.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’Université de Caen. – Il ne s’agit pas de fournir des données sous copyright que chacun dans son coin puisse photocopier, mais il s’agit de fournir les données qui puissent être exploitables électroniquement pour calculer des statistiques sur l’OGM NK 603 et le Roundup. Monsieur Pascal a affirmé qu’il ne parlait pas des pesticides. Il est donc clair qu’aujourd'hui, ce n’est pas le cas. Ceci ne devrait pas être couvert par le secret industriel, ce que les agences ont pourtant permis en statuant sur des produits qui étaient couverts par le secret industriel. Ce n’est pas la fabrication des produits qui est en cause mais les analyses de sang permettant l’évaluation de ces produits pour qu’ils soient mis sur le marché, à la fois pour le Roundup, pour les pesticides et pour les OGM. Nous sommes loin d’être à ce point aujourd'hui pour que ce soit sur un site public et non sous copyright. Je demande à tous les statisticiens qui ont travaillé sur mon étude d’inclure à leur liste les données de l’OGM NK 603 et du Roundup. Ensuite, nous pourrons parler.

M. Gérard Pascal, directeur de recherche honoraire en toxicologie, ancien chercheur à l’INRA et ancien membre de la CGB. – J’ai parlé du NK 603 traité ou non. Je ne parle que de sujets sur lesquels j’ai une compétence. Ces données sont disponibles, sous forme informatique. Chaque statisticien peut donc utiliser les données brutes. Les seules informations qui ne figurent pas dans ces dossiers sont les noms des auteurs des études toxicologiques.

Je suis heureux d’avoir eu l’occasion de participer à l’amélioration de l’approche méthodologique. Toutefois, je ne prétends pas qu’elle soit parfaite mais estime qu’elle doit être perfectionnée. Je suis par ailleurs fier d’avoir participé, à mon échelle, à la constitution de l’AFSSA puis de l’ANSES ainsi qu’à celle de l’EFSA. Je vous remercie.

M. Marc Mortureux, directeur général de l’ANSES. – Concernant l’accès aux données, des textes réglementaires au niveau européen précisent ce qui est confidentiel et ce qui doit être mis à disposition. Des débats existent sur ce que recouvrent les termes « mis à disposition ». En effet, s’agit-il de rendre disponible sur un site public ou de transmettre à la demande ? Les analyses juridiques des différents textes européens tendent vers la deuxième solution. Par ailleurs, les données sont généralement fournies sous forme de fichier PDF. Nous avons récemment demandé que les données puissent être fournies sous une forme électronique permettant un travail direct sur les données sans ressaisie nécessaire. En tant qu’agence publique, nous sommes favorables à la plus grande transparence mais dans la limite de l’application des textes législatifs et réglementaires.

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l’OPECST. – Monsieur Deheuvels, vous avez publié plusieurs articles sur les méthodes statistiques, vous êtes membre de l’Académie des sciences et vous avez soutenu l’analyse statistique de Monsieur Séralini. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?

M. Paul Deheuvels, membre de l’Académie des sciences, professeur à l’Université Pierre et Marie Curie. – Je ne parle ni au nom d’une agence, ni d’un laboratoire, ni d’une structure. Dans le débat présent, je ne représente que moi-même. J’ai fait des recherches statistiques depuis plus de quarante ans, ayant été, accessoirement, expert auprès de la Direction générale de Sanofi durant près de trente ans. J’ai, à ce titre, été amené à apprécier des études de toxicologie, tout particulièrement dans le cadre de la mise sur le marché de médicaments. Les biostatisticiens de l’industrie pharmaceutique ont tous eu l’expérience de voir interrompre le développement de candidats médicaments en raison d’une présomption de toxicité. Une suspicion d’effets toxiques sur l’homme peut se fonder sur des études de toxicologie humaine ou animale, sans que cette toxicité ait été, pour autant, formellement démontrée par une étude statistique suffisamment puissante. Une entreprise pharmaceutique est, généralement, peu disposée à investir dans la poursuite du développement d’une molécule pour laquelle une suspicion de toxicité a été émise.

Dans les études de toxicité d’un médicament, la statistique est utilisée par un usage conjoint de batteries de tests, destinés à passer en revue les possibles anomalies des grandeurs d’intérêt, sans qu’on sache à l’avance celles qui pourraient être concernées, et où on traite un à un chacun des différents marqueurs biologiques. En effet, personne ne sait vraiment comment décider le caractère significatif d’un effet particulier, lorsqu’on fait un usage conjoint de techniques variées, intégrant une multiplicité de tests statistiques appliqués à un grand nombre de marqueurs. C’est un problème répertorié dans la littérature scientifique sous le nom de « multiple-output data » [« données à résultats d’observation multiples »]. Le diagnostic final est, le plus souvent, prononcé par le toxicologue, qui se base sur sa propre expertise, et n’utilise les résultats des tests statistiques que comme une information particulière, prise parmi l’ensemble de celles dont il dispose.

Doit-il en aller différemment pour un médicament et un aliment ? Le premier est destiné à être administré à un nombre limité de patients dans le cadre du traitement obligé d’une pathologie. À l’inverse, le second sera reçu librement par une population bien plus nombreuse, ce qui devrait logiquement justifier une rigueur accrue dans sa procédure de certification. Pour ce qui concerne l’étude du professeur Séralini, celle-ci s’insère résolument dans le cadre toxicologique, puisqu’elle a été publiée, justement, dans une grande revue de cette spécialité. Elle comporte deux parties : en premier, une composante descriptive et factuelle, dans laquelle les auteurs mentionnent ce qu’ils voient dans leur expérience, et en second, une composante plus réduite comportant des tests statistiques. Que peut-on dire sur ces derniers ? Il n’est possible de vérifier qu’un résultat est démontré par un test statistique significatif seulement à partir des données brutes. Or, celles-ci ne sont pas actuellement publiques dans leur ensemble, néanmoins, j’ai pu obtenir des données de comptage relatives au nombre d’animaux développant des tumeurs au cours du temps, ceci, sous la forme d’un fichier Excel qui m’a été communiqué par l’équipe du professeur Séralini. Une analyse précise de ces données d’occurrence montre qu’elles sont correctement modélisées par un processus de Poisson, pour lequel on peut évaluer les taux quotidiens d’apparition des tumeurs. Les animaux témoins ont un taux estimé de 0.3%, alors que ce taux s’élève à 1%, soit trois fois plus, pour les animaux exposés aux OGM ou à l’herbicide. Cette différence est énorme. Je demande à n’importe quel statisticien de prendre une distribution de Poisson d’espérance égale à 3, et d’évaluer la probabilité d’observer la valeur 9. Cette probabilité est très faible. Dans le même esprit, pour une distribution de Poisson d’espérance 9, une valeur observée de 3 est très improbable. Une évaluation plus précise du niveau de signification de ces différences peut être faite à l’aide de tables de contingence, et on trouve, suivant les cas, des niveaux de signification variant entre 2 % et 5 %. À la seule vue de cette cohorte de données, il est donc possible de vérifier que l’étude du professeur Séralini met bien en évidence des différences statistiquement significatives.

Dans son article, le professeur Séralini a logiquement souligné qu’il était extrêmement difficile d’analyser un à un les quelques cinquante marqueurs mesurés sur les animaux, à intervalles réguliers, et tout au long de l’expérience. Nous avons mentionné plus haut l’existence de cette difficulté technique, et nous pouvons souligner à ce sujet la pertinence de l’utilisation, dans l’étude, de méthodes statistiques, dites de PLS [« partial least squares » pour « moindres carrés partiels »], visant à projeter des observations multidimensionnelles sur des espaces de dimension inférieure. Il s’agit d’une technologie moderne, couramment utilisée dans ce type de problème. L’article mentionne que des différences significatives ont été mises en évidence par cette méthodologie, et j’adhère volontiers à cette idée, puisque les calculs ont été réalisés de manière reproductible avec un logiciel connu. Toutefois, je n’ai pas pu le vérifier moi-même, ne disposant pas des données correspondantes.

Compte tenu de ces éléments, je ne comprends pas que l’ANSES, comme le HCB, se basent sur des analyses de survie, pour déclarer que, selon elles, l’étude du professeur Séralini ne mettrait pas en évidence des différences statistiquement significatives entre les animaux (suivant qu’ils soient alimentés ou non par des OGM, ou recevant ou non des doses d’herbicides). Des méthodes statistiques inadaptées sont parfaitement susceptibles de ne « rien voir » sur des observations. Le fait que de telles techniques ne mettent rien en évidence ne veut pas dire qu’il n’y a rien, mais pourrait tout aussi bien s’interpréter par un manque de sensibilité des méthodes utilisées. D’autre part, il semble évident, à la lecture de l’article du professeur Séralini, que son expérience n’a pas été conçue comme une analyse de survie. Dans un tel contexte, on aurait cherché à se concentrer sur la comparaison des durées de vie des animaux, et il aurait fallu, pour arriver à des résultat tangibles, des cohortes de rats bien plus importantes que les 200 animaux de l’étude. Pour ce qui me concerne, les données partielles que j’ai pu analyser m’ont convaincu de l’existence d’effets significatifs, contrairement aux conclusions de l’ANSES et du HCB. J’ai tendance à croire que ces agences n’ont pas fait usage des bonnes techniques, mais ceci reste encore à vérifier. Le problème ne pourra être arbitré que lorsque des données complètes seront disponibles. Pour l’instant le fichier de comptage Excel qui m’a été fourni par l’équipe du professeur Seralini (je ne sais pas si je suis ou non autorisé à le communiquer à des tiers) a suffi à déceler des différences statistiquement significatives, et ceci, sans aucun doute possible.

Au-delà de ces remarques, et dans l’état des renseignements dont je dispose, je ne suis pas pour autant convaincu que cette étude suffise à démontrer définitivement la nocivité du NK 603, comme celle du Roundup à très faibles doses, pour la consommation humaine. Pour l’instant, le moins que l’on puisse dire est qu’elle établit, pour ces produits, de sérieuses présomptions de toxicité, et que celles-ci se doivent d’être vérifiées par des analyses complémentaires. Une étude, comme celle du professeur Seralini, ne constitue, à mes yeux, qu’une étape, dans un processus de certification qui se doit d’être plus étoffé qu’une expérience basée sur 200 rats. Dans le document que j’ai fourni en annexe de mon intervention, j’ai insisté sur le fait que l’analyse d’un produit pharmaceutique fait intervenir plusieurs phases de certification (bien connues sous les appellations de Phases I, II, III, IV). Selon moi, l’étude du professeur Séralini constitue une étude fondatrice, sur laquelle il convient de s’appuyer pour effectuer des vérifications ultérieures. Toute autre interprétation ne serait pas véritablement scientifique. Je pense qu’on a tort de vouloir « enterrer » cette étude, sous le prétexte fallacieux que certaines interprétations statistiques qui ont été faites de ses données ne seraient pas « statistiquement significatives ». Pour ma part, faisant usage d’autres méthodes que celles des agences, je n’ai pas eu de mal à trouver des différences significatives. De plus, mon expérience de statisticien, tant au service de la communauté scientifique, qu’au sein de la pharmacologie, m’a montré que la commercialisation d’un médicament pouvait être abandonnée sur des bases beaucoup plus ténues que celles fournies par le professeur Séralini.

Un médicament est prescrit à quelques centaines de milliers de patients qui l’utiliseront occasionnellement pour traiter les pathologies dont ils sont victimes. Un aliment est, quant à lui, offert à des millions de personnes susceptibles de le consommer en permanence. Je me répète donc en disant que l’étude de certification d’un aliment devrait être effectuée de manière bien plus rigoureuse que celle d’un médicament. On m’objectera que de telles analyses sont onéreuses, difficiles et compliquées, mais je ne vois pas ce qui pourrait permettre d’accepter, une fois pour toutes, un produit courant comme non toxique. La pharmacovigilance permet, par exemple, de constater sur les médicaments la présence d’effets toxiques non décelés à l’origine, en découvrant ces effets a posteriori. Par exemple, il y a un débat aujourd’hui sur la détérioration de valves cardiaques qui serait provoquée par un médicament présent sur le marché de longue date. Je ne citerai pas son nom pour ne pas risquer de reproches. Ce n’est pas le débat du jour, mais il ne viendrait à l’idée de personne que la découverte de tels effets ne serait pas de nature à remettre en cause la certification du produit mis en cause. Il s’agit là, à mon sens, d’un débat qui doit rester factuel et scientifique. Un autre exemple est le suivant. Certains de mes confrères de l’Académie, faisant autorité dans leur domaine, ont affirmé à tort, dans un passé récent, que l’amiante n’était pas toxique au point de justifier son interdiction. Les scientifiques ne peuvent travailler que s’ils conservent un droit à l’erreur, et, en santé publique, il est rare que des « vérités » soient définitives. En tout cas, nous ne pouvons-nous permettre de rejeter une étude sous le seul prétexte que certaines analyses statistiques qui ont été effectuées sur ses données n’ont pas montré de différences significatives. Il faut aller plus loin.

Il existe des centaines de tests statistiques permettant de comparer les moyennes de deux échantillons. L’un pourra déclarer que leur différence est significative, alors qu’un autre ne verra rien. Il est parfaitement possible de tricher avec la statistique, en choisissant la procédure qui aboutit à l’une ou l’autre de ces conclusions, ce qui est, naturellement peu éthique. Par contre, nous ne devons en aucun cas tricher avec des soupçons, et ceux-ci doivent être vérifiés à l’aide d’études complémentaires. L’étude du professeur Séralini a fourni, au prix d’un travail auquel il faut rendre hommage, des soupçons légitimes de toxicité des produits analysés. Elle devrait être complétée par des études additionnelles, afin de vérifier si ces soupçons sont fondés ou non.

Mme Dominique Parent-Massin, présidente de la Société française de toxicologie. – Je tiens à répondre sur un point.

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l’OPECST. – Prenez votre tour de parole car les temps sont dépassés.

Mme Dominique Parent-Massin, présidente de la Société française de toxicologie. – Il nous avait été annoncé que nous disposerions de dix minutes de temps de parole. Nous ne pouvons confondre un médicament, une molécule introduite intentionnellement dans l’aliment, une toxine présente naturellement dans l’aliment et un aliment. Monsieur, vous ne connaissez sans doute pas très bien la toxicologie alimentaire : une molécule introduite dans un aliment requiert beaucoup plus d’études toxicologiques dans un dossier qu’un médicament parce qu’il n’y a pas de phase d’expérimentation humaine.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’Université de Caen. – C’est le cas du Roundup dans le maïs NK 603.

Mme Dominique Parent-Massin, présidente de la Société française de toxicologie. – Merci Monsieur le vice-président, mesdames et messieurs les députés, mesdames et messieurs les sénateurs. Je tiens à préciser que j’ai été invitée en tant que présidente de la Société française de toxicologie. Je suis également professeur de toxicologie alimentaire à l’université de Brest. Je suis expert à l’EFSA mais en aucun cas ne m’exprime à ce titre aujourd’hui. Tout ce que je dirai sur l’EFSA est disponible sur le site web. Je ne m’exprime pas au nom de l’EFSA.

La Société française de toxicologie compte 485 membres issus des milieux industriels et académiques concernés par les différents domaines de la toxicologie (toxicologie du médicament, toxicologie cosmétique alimentaire et chimique). Nous comptons parmi nos membres les centres français de toxicologie expérimentale (CRO) et nous gérons le registre des toxicologues européens pour la France.

Je ne reviens pas sur les débats liés à la qualité de l’étude car j’estime que nous devons maintenant tourner la page. Les avis de toutes les agences de sécurité alimentaire ayant évalué cette étude sont unanimes, et moi je crois à la qualité des expertises des agences parce que ce sont des expertises collectives et contradictoires de qualité. Et l'avis est unanime : le protocole d’étude est inapproprié et l’étude est non conclusive.

À la Société française de toxicologie, nous nous sommes demandés pourquoi l’étude est de mauvaise qualité. Nous pensons que l’association qui a diligenté cette étude a été très mal conseillée en toxicologie. Le centre où cette étude a été réalisée n’avait manifestement pas l’expérience de ce type d’étude.

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l’OPECST. – Où l’étude a-t-elle été réalisée ? Tous les journaux l’ont dit. Est-ce bien à Saint-Malo ?

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’Université de Caen. – Le lieu où les rats ont été élevés est tenu confidentiel puisque ces structures agréées, que le ministère de l’Agriculture possède, travaillent essentiellement avec les industriels et ne souhaitent donc pas révéler le nom de leurs clients.

Mme Dominique Parent-Massin, présidente de la Société française de toxicologie. – Il y a en France plusieurs grands centres de toxicologie expérimentale…

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’Université de Caen. – Il existe une dizaine de laboratoires

Mme Dominique Parent-Massin, présidente de la Société française de toxicologie. – … qui possèdent l’expérience de ce type d’étude. Ceux-ci sont adhérents de la Société française de toxicologie et ils m’ont affirmé que cette étude n’avait pas été menée chez eux, ce qui est regrettable. Ces centres ont en effet effectué des dizaines voire pour l’une d’entre eux une centaine d’études de cancérogénèse à long terme et disposent de témoins historiques.

Vous devez, Mesdames et Messieurs, prendre conscience des conséquences auxquelles vous n’avez pas pensé. L’image de la toxicologie française dans le monde est très mauvaise. L’image de la toxicologie au sein du grand public est aujourd'hui déplorable et celle de la recherche universitaire française, car il y a des universitaires français impliqués dans cette publication, est dégradée à l’étranger. En tant qu’universitaire, cela ne me fait absolument pas plaisir. Je continue.

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l’OPECST. – Je demande à chacun de rester calme. Chacun pourra échanger des arguments.

Mme Dominique Parent-Massin, présidente de la Société française de toxicologie. – Merci Monsieur le Président. Je continue de dégager les conséquences de la situation actuelle. Des centaines d’animaux ont souffert pour rien et un budget important a été dépensé pour rien. Trois millions d’euros, m’a-t-on dit, et cela m'a été confirmé la semaine dernière par Monsieur José Bové. Les consommateurs ont peur à partir d'une étude non conclusive et je crois que le grand public a perdu confiance dans la science, ce qui est très grave dans notre société.

Je propose quatre types d’action. Premièrement, des excuses : l’association a été mal conseillée et ne pouvait donc savoir que son étude était mal conçue et donc non conclusive. Ainsi, des excuses auprès du grand public, des toxicologues français, des politiques et de la presse s’imposent. Je pense que les médias ne pouvaient pas savoir que l’étude qui leur était présentée était mal conçue et non conclusive. Des excuses pourraient être faites aux consommateurs et aux toxicologues français. J’ai vu un blog où il était écrit : « Peut-on faire confiance aux toxicologues ? ». Je peux vous dire qu’une telle apostrophe ne fait pas plaisir à la Société française de toxicologie. Des excuses devraient enfin être présentées à certains experts qui ont eu le courage de s’exprimer avant les avis des agences et qui ont été attaqués alors qu'ils avaient exprimés des avis qui ont été confirmés par les agences.

Deuxièmement, faut-il refaire cette étude ? Nous devons à cet effet poser une hypothèse de travail définissant ce que nous cherchons et sur quelles bases. Que cherchons-nous ? Un nouveau métabolite toxique ? Pourquoi pas ? Cela est possible, mais sur quelles bases ? Y a-t-il un doute sur les données qui sont dans ce dossier ? N’ayant pas vu le dossier, je n’ai pas d’avis. Y a-t-il des données de métabonomique qui permettent d’alimenter ce doute ? Je l’ignore. L’étude 90 jours a-t-elle présenté des signes d’alerte nécessitant une étude longue ? J’ai cru comprendre que non, d’après ce que disait Jean-Christophe Pagès. Mais une étude 90 jours n’est pas prédictive d’un effet cancérigène. Par conséquent, cela suffit-il ? L’un de mes adhérents, qui est un toxicologue mondialement connu, a suggéré une étude à 6 mois. Pourquoi pas ?

Où refaire l’étude ? Il serait judicieux d’effectuer la nouvelle étude dans l’un de nos grands centres français à la réputation internationale. J’ai fait effectuer deux devis auprès de tels centres. Le premier devis s’élève à un million d’euros pour 50 à 65 animaux par lot. Le deuxième se situe entre un et trois millions d’euros suivant les options testées. Ces deux devis présentent un montant inférieur aux trois millions que l’étude a, semble-t-il, coûté.

Quels financements ? J’entends partout que la nouvelle étude devrait être financée par l’État, ce qui me met très en colère. Il est impossible de faire financer par l'état des études à 28 jours, des études à 90 jours, des études de reproduction sur des toxines naturelles connues comme étant extrêmement dangereuses. Je serais donc très choquée si l’État accordait un million d’euros pour cette étude. L’étude pourrait être financée par l’association et ses associés qui a alerté, par l’industrie, ou pourquoi pas par un consortium de type Parabens sous le contrôle d’une structure à définir.

Troisièmement, faut-il revoir les lignes directrices et le mode d’évaluation ? J’ai entendu cela partout. Je vais faire un peu d’histoire. Les OGM sont arrivés en France dans les années 90, il n’y avait rien dans les dossiers toxicologiques. Pour ma part, j’en ai évalués quatre. Il y a eu un moratoire de 1998 à 2004. En 2002, l’EFSA a été créée. En 2004, elle a publié les premières lignes directrices. Depuis, l’EFSA a publié douze lignes directrices en dix ans. Elle effectue donc un travail permanent de révision de ces dernières. Je mentionne également deux publications complémentaires, dont une dans Food Chemical and Toxicology, que nous allons finir par boycotter.

S’agissant des risques et des conséquences, je voudrais attirer votre attention sur le fait que les études toxicologiques que nous avons l’habitude de mener portent sur des substances ou molécules que nous mélangeons à l’alimentation. Il est extrêmement difficile de réaliser des études toxicologiques avec une plante entière. Le maïs se présente comme un cas moins complexe que la tomate, que le rat ne mangera jamais de tomates. Il faut que l’on réfléchisse, non pas à des études 2 ans ou 90 jours, mais en amont, comme a pu le montrer Gérard Pascal. Je m’inquiète de l’apparition d’études « similaires » à celles du professeur Séralini qui visent à solliciter des financements en forçant la main de l’État.

La toxicologie alimentaire française est un parent pauvre et se porte mal. Nous n’en serions pas là si la recherche universitaire et dans les instituts de recherche était beaucoup plus riche. J’invite ainsi les députés et sénateurs à prendre conscience de la nécessité d’aider la toxicologie alimentaire en France, comme elle est aidée en Hollande par exemple, sans quoi nous n’aurons bientôt plus d’experts en la matière d’ici vingt ans.

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l’OPECST. – Merci. Je donne maintenant la parole à Monsieur Bellé, qui est spécialiste des phytosanitaires plutôt que des OGM.

M. Robert Bellé, biologiste, professeur à l’Université Pierre et Marie Curie. – Je vous remercie. C’est la première fois que j’ai l’occasion de m’exprimer devant des responsables de ces agences. Je suis professeur à l’université Pierre et Marie Curie et en poste à Roscoff, je suis classe E, je suis toujours en fonction. Six de mes publications de rang A concernent directement le Roundup et deux ou trois publications annexes renvoient au modèle expérimental que j’ai pu utiliser.

Je m’oriente depuis trois ans vers une approche de biologie systémique, visant à étudier les problèmes dans leur ensemble à l’aide de mathématiciens. Je suis biologiste cellulaire. Je ne suis ni toxicologue, ni médecin, ni cancérologue, ni écologiste. Je ne suis par ailleurs ni membre d’une association militante quelconque ni financé par une société industrielle quelconque.

Mon expérience avec le Roundup est fortuite : un article du journal local indiquant que, dans un programme régional, nous avions eu l’intention de réaliser des tests avec le Roundup, m’a valu la visite de personnes de Monsanto. J’ai pu les rencontrer pour la première fois, alors que nous n’avions pas encore entamé les expériences et prévoyions d’utiliser le Roundup comme témoin négatif.

Nous évoquons aujourd’hui deux problèmes : le Roundup et les OGM. Je ne parlerai que du Roundup, car sur les OGM, je n’ai pas d’avis tranché. Je suis très favorable par exemple aux OGM qui permettent de fabriquer de l’insuline pour traiter des personnes malades. Je ne suis pas écologiste, je ne connais pas les problèmes des OGM en plein champ.

Les décideurs se prononcent généralement en fonction du rapport bénéfice-risque. Je ne parlerai pas des bénéfices du Roundup mais uniquement des risques. J’estime que le risque lié au Roundup est extrêmement mal évalué, voire très sous-évalué.

Quelle est la nature de ce risque ? Nous avons tous environ dix mille milliards de cellules dans notre corps et environ un milliard de divisions par jour. Pendant ces divisions, un certain nombre d’erreurs se produisent. Lors de la division cellulaire intervient un checkpoint détectant les erreurs qui a été récemment découvert par les biologistes. Si une erreur est détectée, la division est arrêtée, les erreurs sont réparées et, si elles ne peuvent pas l’être, les cellules sont poussées au suicide selon le mécanisme de l’apoptose. Grâce au checkpoint, les erreurs de division ne conduisent pas à des problèmes. Lors des premières expériences que nous avons réalisées avec le Roundup, nous avons constaté un problème qui nous paraissait un problème de checkpoint : le Roundup active le checkpoint de la division des cellules.

Dans nos travaux, nous avons utilisé le modèle embryonnaire de cellules d’oursins. Ces cellules se comptent par millions et se situent toutes au même stade de division. Les biologistes savent que toutes nos cellules proviennent d’une cellule unique et que le mécanisme de division des cellules est le même pour tous. Il s’agit du mécanisme le plus conservé en biologie : il est le même pour les hommes, les femmes, les rats et les oursins. Nous avons démontré que des doses de Roundup appliquées pendant environ 60 minutes activaient le checkpoint de la division des cellules. Des expériences complémentaires ont permis de montrer que le Roundup affectait l’ADN. Nous avons, de plus, démontré que le glyphosate, qui est considéré comme le produit actif du Roundup, joue un rôle dans ce mécanisme. Il ne peut jouer un tel rôle que s’il entre dans les cellules, ce que le glyphosate seul ne peut faire. Je pose ainsi la question : le glyphosate pur est-il uniquement un produit actif ? Est-il uniquement un herbicide ? Je n’en sais rien et je pense que la réponse est plutôt négative.

Nous avons démontré que quelque chose activait le checkpoint. Qu’est-ce qui peut activer le checkpoint ? Le checkpoint ne peut être activé que par un agent génotoxique agissant au niveau de l’ADN, et ce en moins de soixante minutes. Je regrette que les agences d’évaluation n’aient considéré que des expériences à temps long. Or le problème n’est pas là, le problème est celui des effets à temps long. Nous nous sommes montrés très prudents dans nos publications car nous étions en 2002 les seuls à avoir prouvé une relation de la sorte.

Puisque le temps presse, je vais me concentrer sur la relation avec le cancer. Le checkpoint se présente comme un verrou. Toutes nos cellules – en tout cas nos cellules souches – sont potentiellement cancérigènes : il suffit de les induire. Il n’est toutefois pas nécessaire d’attendre vingt ou quarante ans qui est la durée normale qui s’écoule entre l’induction d’un cancer et les signes cliniques du cancer. L’induction d’un cancer peut être détectée en moins de deux heures et à coût beaucoup plus réduit que ce qu’évoquait Mme Parent-Massin.

Pour déclencher un cancer, le Roundup doit atteindre les cellules humaines, ce qui est possible par inhalation au moment de son usage. L’inhalation ne concerne pas uniquement les professionnels utilisant le Roundup dans la mesure où ce dernier est pulvérisé par hélicoptère ou par avion. De plus, la dernière publication sur la génotoxicité du Roundup est consacrée aux cellules buccales humaines, dans lesquelles le mécanisme génotoxique que je viens d’expliquer a été démontré. Nous trouvons 1 500 publications sur le Roundup dans les bases de données. 404 touchent à la toxicité du glyphosate et du Roundup. Certaines ne font apparaître aucun effet et considèrent qu’il s’agit uniquement d’un problème de dose. Ce sont celles qui testent le glyphosate pur. Environ 80 % des publications démontrent au contraire un effet toxique du Roundup.

Trois types de doses doivent être considérés. L’ingestion de Roundup pur peut être mortelle. La dose d’usage est celle à laquelle le Roundup est pulvérisé ou présent dans les OGM. Je ne connais pas cette dose dans la mesure où 80 % des OGM sont conçus pour être tolérants au Roundup. J’ai constaté dans la réponse de Monsanto à l’ANR que ce qui est mesuré et testé est le glyphosate pur. L’eau que nous buvons contient du glyphosate. Dans ce verre, il y a deux millions de milliards de molécules de glyphosate. Cela surprend. Ce sont des concentrations très basses, mais tout chimiste sait qu’il faut multiplier par le nombre d’Avogadro pour avoir le nombre de molécules réelles. Une seule cellule suffit pour provoquer un cancer. Je vous laisse imaginer, bien que ce soit très peu probable, j’en conviens.

Pour terminer, je voudrais rappeler les deux points essentiels. Le Roundup est potentiellement cancérigène. De plus, les doses réglementaires fournies sont fausses car elles sont considérablement sous-estimées. Je suis très heureux d’avoir pu m’exprimer au sein de cette assemblée. Je vous remercie.

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l’OPECST. – Merci. Madame Ricroch a été co-auteur d’une méta-analyse sur le même sujet qui s’est opposée à l’étude de Gilles-Eric Séralini.

Mme Agnès E. Ricroch, enseignante-chercheure à AgroParisTech, adjunct professor, Penn State University, États-Unis. – Merci Monsieur le Président. Selon vous, combien y a-t-il de publications sur les plantes transgéniques dans le monde ? 30 000 publications. À l’initiative de feu notre collègue Jean Bergé de l’INRA, nous avons rassemblé les publications existantes sur les OGM dans une base de données. Grâce à un soutien de l’INRA, cette base de données est actualisée en permanence et permet de regrouper toutes les connaissances scientifiques dispersées dans différents journaux, rapports et résumés de congrès. Elle permet d’effectuer un état des lieux qui est à la fois unique et transversal : elle comporte notamment des données provenant des sciences vétérinaires, des sciences agronomiques, de l’écologie et de la biologie moléculaire. Elle permet d’éviter d’effectuer certaines expérimentations et présente un intérêt social pour les experts comme pour les politiques.

Deux impacts des plantes génétiquement modifiées sont à étudier. Nous avons étudié l’impact sur l’environnement, mais je m’exprimerai ici au sujet de l’impact sur la santé. Nous nous sommes penchés sur les études comparant une plante transgénique et une même plante sans transgène. Entre 2004 et 2010, nous avons trouvé 44 études conduites par des laboratoires publics, dont une en collaboration avec une entreprise privée. Jean Bergé, Marcel Kuntz et moi-même avons publié cette recherche bibliographique en avril 2011. Les conclusions des 44 études sont les suivantes. Premièrement, il existe plus de différences entre deux variétés qu’entre une variété avec transgène et la même variété sans transgène. Deuxièmement, l’impact de l’environnement est important : les profils des protéines, des gènes et des petites molécules sont impactés d’un champ à l’autre.

Existe-il un impact de l’OGM sur la santé des animaux qui le consomment ? Je ne vais pas revenir sur la question de l’étude à 90 jours, qui a déjà été traitée par mes voisins de droite et de gauche. Nous nous sommes intéressés à la question du long terme, soit au-delà de 90 jours. Entre 2002 et 2010 ont été publiées 24 études portant sur le long terme ainsi que sur plusieurs générations. Plusieurs pays ont participé à ces 24 études. Toutes ont été produites par des laboratoires académiques financés par des fonds publics. Dans ces 24 études, un grand nombre d’organes et de paramètres toxicologiques sont examinés. Les durées de nourrissage des animaux varient de 26 semaines à 104 semaines. Au total, les études portent sur 340 animaux nourris aux OGM et 436 animaux témoins. Les études portant sur plusieurs générations analysent les descendants des animaux nourris avec une plante comportant un transgène, qui peuvent être eux-mêmes nourris avec le transgène, et ce sur des périodes allant jusqu’à vingt générations. Au total, 1 259 animaux ont été nourris aux OGM et 1 956 animaux ont joué le rôle de témoins.

Notre étude bibliographique fait ressortir plusieurs éléments. Tout d’abord, sept études sont non recevables/critiquables sur le procédé ou sur le nombre insuffisant d’animaux étudiés notamment les études d’une équipe italienne. En revanche, 17 études sur les 24 sont de bonne qualité, c'est-à-dire qu’elles ont une puissance statistique bonne. Ces 17 études confirment les premiers résultats, à savoir qu’il n’existe pas de différences composition nutritionnelle entre une variété transgénique et la variété la plus proche sans transgène. Et aucun auteur ne conclut à des problèmes de dangerosité. Si des différences mineures sont observées, elles sont réputées par les auteurs comme aléatoires et non biologiquement significatives. À ce jour, plus de 1 500 animaux ont été nourris aux OGM testés sur différentes durées supérieures à 90 jours sur un total de plus de 3000.

En conclusion, entre 2010 et 2012, de nouvelles études sont parues et nous effectuons actuellement une nouvelle revue bibliographique. Quatre nouvelles études en 2012 sont parues, dont une s’intéressant à des truies nourries avec un maïs résistant à certains insectes et une autre se penchant sur des rats nourris avec un riz enrichi en lysine. Les études sur les truies proviennent des publications du projet européen GMSA Food qui a été financé à hauteur de 3 420 000 euros entre 2010 et 2012. L’étude GRACE, qui a démarré en 2012 (6.000.000 euros), à laquelle participent l’Europe avec l’INRA, les États-Unis et l’Afrique du Sud, vise à réaliser des études de santé sur les animaux. Je ne parle pas du projet MARLON qui a été largement discuté aujourd'hui. Je vous remercie de votre attention.

Débat

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l’OPECST. – Merci beaucoup. Le débat se cristallise autour de deux grands thèmes : l’interprétation statistique et la durée des tests. Nous devons aller vers des données brutes, aussi bien dans le cas des expérimentations que des autorisations. Telle est la base du contrôle par les pairs de l’expérimentation scientifique. L’ANSES a-t-elle pu disposer de l’intégralité des données de l’étude de Monsieur Séralini ? La deuxième question porte sur les tests, à 28 jours, à 90 jours ou tout au long de la vie. Vous avez indiqué le nombre de tests qui ont été réalisés, mais ce n’est pas sur le même OGM. D’où ce que je disais en introduction : le terme « OGM » ne signifie rien.

Il est évident que les paramètres sont nombreux. Une analyse flamande parue dans le journal Food And Chemical Toxicology avance que l’apparition des tumeurs est liée à la quantité de nourriture ingérée par les rats. Avez-vous limité la quantité de nourriture donnée aux rats ? L’étude démontrerait en fait que le rat qui mange plus a plus de tumeurs que d’autres. Pouvez-vous nous éclairer sur ce sujet ? Enfin, je me tourne vers l’ANSES : avons-nous du NK 603 chez nous et dans nos aliments ? Avez-vous effectué des études sur ce sujet ? Je vous invite à vous interpeller les uns les autres tout en limitant la durée de vos interventions.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’Université de Caen. – En 2011, nous avons effectué une méta-analyse sur la quarantaine d’OGM tolérants au Roundup et/ou contenant des pesticides. Je ne voudrais pas escamoter le débat du fait que les OGM puissent être toxiques à cause des pesticides qu’ils contiennent et qu’ils sont faits pour les contenir. Je suis ainsi favorable aux OGM en laboratoire et en milieu confiné permettant d’élaborer des médicaments ou d’étudier le rôle des gènes. Ne prenons toutefois pas l’assiette du consommateur pour la paillasse du scientifique.

Je ne suis pas d’accord avec les interprétations de Madame Ricroch, qui mélange la carpe, le lapin et la vache. Ce sont des expériences vie entière qui peuvent être comparables sur un même OGM. Je tiens donc à souligner qu’aucune de ces expériences ne portait sur le maïs OGM NK 603 et, à ma connaissance, aucune étude sur le Roundup n’a été faite sur la vie entière. Si la société Monsanto et l’ILSI, le cabinet de lobby européen qui défend les industriels et où siège Monsanto, sont prêts à placer chez un huissier, ou les agences qui ont évalué ces tests, l’ensemble des analyses de sang et des données toxicologiques, nous pourrons savoir si des effets significatifs existent et comment ils ont été interprétés ou sous-interprétés par les personnes ici présentes. C’est ce que nous demandons. Nous l’avons dit aux agences quand nous les avons consultées. Nous sommes prêts à mettre toutes nos données sur la table à condition que les autres en fassent de même. Il n’est pas question d’effectuer un procès d’intention et de brûler en place publique quelqu'un sans que soit révélé ce qui a permis les autorisations de mise sur le marché. Ensuite, il est clair qu’aujourd'hui, nous avons des données qui sont largement insuffisantes et sous-exploitées au niveau statistique. Nous sommes en faveur de la plus grande des transparences.

M. Jean-Christophe Pagès, président du Conseil scientifique du HCB. – Je tiens à revenir sur les projections. En collaboration avec l’ANSES, le HCB se penchera sur la question des études qui resteraient à faire. Comme l’a indiqué Mme Parent-Massin, il existe un assez grand nombre de possibilités. Nous interviewerons à ce sujet Monsieur Bellé. Ce type d’approche est relativement intéressant.

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l’OPECST. – Les deux agences ont-elles eu les données brutes ?

M. Jean-Christophe Pagès, président du Conseil scientifique du HCB. – Le HCB est une instance relativement jeune. Nous n’avons pas évalué le NK 603 en tant que tel mais uniquement dans des associations. Nous avions noté que nous nous étions référés aux données de l’AFSSA à l’époque.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’Université de Caen. – Je crois que l’ANSES n’a pas pu donner les données brutes du Roundup parce qu’elle n’en disposait pas.

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l’OPECST. – Il m’apparaît évident que les données brutes doivent être fournies dans le cadre des autorisations. Avez-vous raison de ne pas fournir vos données brutes lorsqu’un ministre de la République française demande une analyse à un organisme public français ?

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’Université de Caen. – Les scientifiques doivent comparer les comparables. J’estime que l’évaluation par les pairs au niveau des revues internationales a déjà été effectuée. Je n’attends pas des agences une évaluation des articles scientifiques mais une évaluation des produits au regard des données scientifiques. Après, elle prend ses responsabilités. J’aimerais d’ailleurs que ce soit une responsabilité pleine et entière au regard de la loi.

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l’OPECST. – Je suis d’accord.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’Université de Caen. – Mais il faut que les données brutes du Roundup et du NK 603 soient mises à disposition, et non celles du glyphosate seul. Les données brutes du Roundup tel qu’il a été évalué sur les mammifères.

M. Marc Mortureux, directeur général de l’ANSES. – En tant qu’agence, nous sommes extrêmement favorables à ce que les données soient fournies de la manière la plus transparente possible, encore une fois, dans le cadre réglementaire tel qu’il existe.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’Université de Caen. – Mettons tout chez un huissier ensemble.

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l’OPECST. – Chez le Président de l’Office parlementaire : ce sera l’huissier.

M. Marc Mortureux, directeur général de l’ANSES. – Dans le cadre phytosanitaire, la réglementation a trait à la substance active (le glyphosate) et au produit. Le glyphosate fait l’objet d’une évaluation au niveau européen. Cette évaluation est confiée à une agence. Pour le glyphosate, une réévaluation est en cours, par notre homologue allemand, le BFR. Dans le cadre d’un dossier substance active, il y a des études long terme sur la substance active plus un certain nombre d’études substance active et co-formulants, le tout constituant un ensemble qui aujourd'hui est au niveau du BFR.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’Université de Caen. – Combien de temps durent ces études sur l’ensemble, c'est-à-dire sur la formulation d’herbicide à base de glyphosate sur mammifères ?

M. Marc Mortureux, directeur général de l’ANSES. – Je ne saurais pas vous répondre. Pascal Robineau, qui est dans la salle, pourra vous apporter une réponse plus précise.

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l’OPECST. – Techniquement, je pense que vous allez continuer à discuter entre vous.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’Université de Caen. – C’est très important parce que, sinon, on ne pourra pas comparer les effets à long terme.

M. Marc Mortureux, directeur général de l’ANSES. – Au niveau national, il y a l’évaluation du produit, en l’occurrence le glyphosate et un co-formulant. Il existe réglementairement un certain nombre d’analyses liées aux données toxicologiques d’une part de la substance active et d’autre part du co-formulant. La logique est de tester à court terme, en risque aigu, les propriétés du mélange. S’il apparaît peu d’écarts par rapport aux propriétés de l’un ou de l’autre, on considère qu’il n’y a pas lieu de réaliser des études complémentaires de long terme sur l’ensemble des combinaisons, sachant que, réglementairement, nous avons toutefois la possibilité de demander des études complémentaires si nous constatons que, sur les études court terme, en risque aigu, il existe des éléments qui interrogent quant à des propriétés qui ne seraient pas correctement couvertes par ce que l’on connaît sur l’une et sur l’autre des deux substances.

Par ailleurs, des méthodologies ont été développées pour travailler sur les effets combinés de plusieurs substances actives. Nous souhaiterions que ce type de méthodologies soit étendu à des couples substance active et co-formulant.

Mme Dominique Parent-Massin, présidente de la Société française de toxicologie. – Les données brutes sont les résultats, animal par animal, pour tous les examens réalisés : le poids, la consommation alimentaire, le taux de cholestérol, les enzymes, les analyses urinaires, etc. J’ai été expert en pesticides à l’ANSES de 2006 à 2009 et, avant, dans la Com Tox et je peux vous dire que nous disposons de tous ces détails dans les dossiers d’évaluation. L’agence nous les fournit en tant qu’experts. Il en est de même pour un nouvel additif. Il est en revanche malheureux que nous ne disposions pas de ces données pour le cas d’aujourd’hui.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’Université de Caen. – Disposez-vous de ces données pour le Roundup ?

Mme Dominique Parent-Massin, présidente de la Société française de toxicologie. – Je ne parlerai pas de cas précis, je parle de la réglementation, je n’ai pas du tout participé à l’évaluation du Roundup et, de toute façon, je suis tenue par un…

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’Université de Caen. – Ou d’un pesticide quelconque. Prenons un pesticide quelconque.

Mme Dominique Parent-Massin, présidente de la Société française de toxicologie. – Bien sûr. Les experts…

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’Université de Caen. – Laissez-moi terminer ma question.

Mme Dominique Parent-Massin, présidente de la Société française de toxicologie. – Les experts qui vont faire les rapports ont les dossiers.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’Université de Caen. – Je sais bien.

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l’OPECST. – Monsieur Séralini, puisque vous êtes en désaccord, nous, l’Office parlementaire, allons fouiller cette question et, dans le rapport que nous rendrons sur la réunion de ce jour, nous aurons la réponse à cela.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’Université de Caen. – Madame Parent-Massin, je ne suis pas du tout d’accord avec ce que vous avez dit, mais prenons une question sincère.

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l’OPECST. – Toutes les questions sont sincères.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’Université de Caen. – Selon vous, quel est le test le plus long qui a été effectué sur un pesticide en formulation, avec tous ses adjuvants, sur mammifère avec les pesticides actuellement dans la réglementation ?

Mme Dominique Parent-Massin, présidente de la Société française de toxicologie. – Je n’ai pas de réponse à vous donner car je ne suis plus expert en produits phytosanitaires.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’Université de Caen. – Pourquoi ? Vous ne vous en souvenez pas ?

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l’OPECST. – Nous en parlerons dans ce rapport. Deuxième point, il est évident qu’un désaccord existe entre vous sur la détermination de toxicité subchronique sur des temps courts en disant que c’est ce qui doit être le facteur d’indication d’une toxicité.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’Université de Caen. – Je n’ai pas entendu que ce débat soit ouvert. Il est clair qu’à 90 jours, il y a suspicion de toxicité. Même l’EFSA, avec qui je suis souvent en désaccord, a dit que l’on voyait 70 % des effets. Dans le cas du NK 603, nous avons constaté des effets hépatorénaux dans les tests effectués par la société pétitionnaire et nous l’avons publié. Nous estimons que ces effets ont été sous-interprétés par les agences. Si l’on voit 70 % des effets, ce n’est pas pour autant que l’on sait qu’il va y avoir des tumeurs puisque, chez nous, elles arrivent à partir de quatre mois. Bien sûr, on peut avoir des modèles autres pour voir des effets courts de déclenchement de cancer, je suis d’accord avec ce qu’a dit Monsieur Bellé. Mais il reste qu’il faudra au départ faire des démonstrations entre les tests courts cellulaires et les tests sur le long terme chez les mammifères. Ce que je dis, c’est que nous sommes les seuls à avoir testé sur le long terme le Roundup, ce que la société Monsanto elle-même n’a pas fait. Pour les autres pesticides, cela semble être la même chose en formulation. Je ne parle pas du principe actif qui, comme l’a dit Monsieur Bellé, a un autre effet tout seul que le produit en formulation. Il est donc clair qu’il faut commencer par se poser la question : combien de temps sont évalués les pesticides en formulation sur mammifères ? Là, je tiens, comme l’a demandé Mme Parent-Massin, à m’excuser, non pas pour tout ce qu’elle a dit, mais parce que la communauté scientifique ne l’a jamais exigé, bien que cela fasse peser un vrai risque sur la santé publique.

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l’OPECST. – La question que vous posez est une vraie question et des réponses devront y être apportées. On mélange aujourd'hui deux sujets qui sont peut-être liés : les OGM et le Roundup. En revanche, il est évident que, quand on prend une souche de rats qui développe naturellement des tumeurs… L’agence flamande, je ne sais pas si elle a raison, nous envoie une lettre où elle indique que le rat qui a été montré sur toutes les télévisions du monde était un rat témoin et non un rat issu des lots.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’Université de Caen. – Non, Monsieur Le Déaut, on ne peut pas dire cela. Nous avons pris un rat représentatif de chaque groupe et c’était la minorité des rats qui avaient des tumeurs tout au long de l’expérience dans les témoins.

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l’OPECST. – Est-ce qu’il y a 50 % de rats qui naturellement développent cette tumeur ?

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’Université de Caen. – L’ensemble des données historiques ne peut pas répondre à cette question puisque la nourriture n’est pas contrôlée en OGM ni en pesticides. M. Le Déaut, vous êtes scientifique à la base.

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l’OPECST. – Je l’étais. Je le suis moins maintenant.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’Université de Caen. – Pour ceux qui le sont et pour le grand public, on peut comprendre que, si on étudie les effets des OGM et des pesticides, on ne peut pas prendre comme données historiques contrôle des rats qui n’ont pas été vérifiés pour leur nourriture en OGM et en pesticides. Ce serait complètement anti-scientifique, Mme Parent-Massin.

M. Jean-Christophe Pagès, président du Conseil scientifique du HCB. – Ce n’est pas vrai. Les rats de l’étude Harlan ont été contrôlés pour la présence d’OGM.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’Université de Caen. – Les rats ne sont toutefois pas contrôlés en pesticides. De plus, la société ne délivre pas de certificat attestant qu’ils ont été nourris sans OGM.

M. Jean-Christophe Pagès, président du Conseil scientifique du HCB. – Les OGM n’existaient pas pour les études historiques que l’on a pu collecter…

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’Université de Caen. – Mais il y avait beaucoup de pesticides.

M. Jean-Christophe Pagès, président du Conseil scientifique du HCB. –Oui, mais ce n’était pas le Roundup.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’Université de Caen. – Il y en avait bien sûr.

M. Jean-Christophe Pagès, président du Conseil scientifique du HCB. –Cette souche de rats est connue. La littérature concernant la nourriture ad libitum est très fournie. Il existe au moins vingt publications sur cette question. Il a été clairement montré que la nourriture ad libitum provoque une fréquence plus importante de tumeurs.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’Université de Caen. – Tous les rats ont tous été nourris de la même manière. Il serait anormal sur une étude long terme de ne pas faire ad libitum. J’ajoute que les rats ont consommé les OGM et les très faibles doses de Roundup de la même manière que les rats témoins. Il n’y a pas eu de différence.

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l’OPECST. – Est-ce que l’on connaissait leur consommation journalière ?

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’Université de Caen. – Evidemment, Monsieur Le Déaut.

M. Jean-Christophe Pagès, président du Conseil scientifique du HCB. – Il se trouve que je suis biochimiste et responsable d’une plateforme de biologie moléculaire des cancers. La génotoxicité n’est pas nécessairement la transformation. Le choc génotoxique principal est l’activité métabolique naturelle de toutes les cellules. Il peut donc se produire une augmentation et je pense qu’il est très intéressant de disposer de ce type d’étude. Je crois que cela fera partie de l’arsenal. Mais il n’existe toutefois pas une relation nécessaire et obligatoire entre activation d’un checkpoint et cancer.

M. Robert Bellé, biologiste, professeur à l’Université Pierre et Marie Curie. – Je suis d’accord, il faut être prudent, mais je n’ai pas dit cela à la légère. L’article de Kastan et Bartek paru dans Nature établit très clairement cette relation.

M. Jean-Christophe Pagès, président du Conseil scientifique du HCB. – Evidemment, ce sont les altérations du checkpoint

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l’OPECST. – Ne rentrons pas dans le détail technique. Nous pourrons y revenir en fin de table ronde.

M. Frank Foures, directeur adjoint de l’évaluation des risques, en charge de l’alimentation à l’ANSES. – Je voudrais revenir sur deux points, en commençant par l’interprétation statistique. Nous avons appliqué plusieurs méthodes d’interprétation statistique et nous avons essayé de retenir pour faire apparaître le maximum d’effets celle qui nous paraissait la plus favorable pour qu’ensuite, les toxicologues puissent regarder les effets en question et juger de leur plausibilité biologique. L’ANSES a rédigé un rapport sur l’analyse statistique des études à 90 jours. Ce sont les mêmes statisticiens qui se sont penchés sur l’étude de Monsieur Séralini et qui ont donc employé les mêmes méthodologies.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’Université de Caen. – Le résultat de ces rapports est qu’ils n’étaient pas contents des études de 90 jours de Monsanto, mais le maïs est toujours dans le commerce.

M. Frank Foures, directeur adjoint de l’évaluation des risques, en charge de l’alimentation à l’ANSES. – Tout à fait, nous avons toujours dénoncé un manque de puissance et nous avons toujours souhaité que cela évolue. Cela a été longuement écrit et débattu.

Deuxième point, je voudrais saluer le travail des experts qui se sont mobilisés de manière rapide et qui ont beaucoup travaillé pour rendre un avis. Ils font un travail qui n’est pas facile et ils sont souvent décriés. Je voudrais dire également que nos procédures d’appels à candidatures sont complètement ouvertes, pour les biotechnologies comme pour tous les autres sujets. Dès lors que les risques de conflits d’intérêts ne sont pas avérés, nous pourrons tout à fait retenir les experts les plus pointus d’un domaine.

M. Gérard Pascal, directeur de recherche honoraire en toxicologie, ancien chercheur à l’INRA et ancien membre de la CGB. – Je suis surpris du refus de prendre en compte des témoins historiques. Le laboratoire où a été réalisée l’expérimentation animale dispose-t-il de témoins historiques ?

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’Université de Caen. –Madame Ricroch, votre voisine, que vous connaissez bien puisque vous êtes co-auteur de l’étude, a souligné le petit nombre d’études à long terme sur le rat. L’ensemble de ces études aujourd'hui qui sont sur le rat à 2 ans avec d’autres produits que les OGM et les pesticides n’ont pas vérifié s’il y avait des OGM ou des pesticides dans l’alimentation. Je réfute donc scientifiquement l’idée que l’on puisse utiliser des données historiques pour comparer nos contrôles. Pour que tout le monde comprenne, ce sont d’autres études où les rats ont mangé des régimes normaux. Si ces régimes n’ont pas été vérifiés en OGM et en pesticides, ce ne sont pas les bons contrôles par rapport à notre étude.

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l’OPECST. – Monsieur Bellé, vous avez la parole pour la conclusion de cette première partie.

M. Robert Bellé, biologiste, professeur à l’Université Pierre et Marie Curie. – Qui est OGM ? C’est le maïs qui a provoqué les cancers sous réserve que les statistiques… Je dois dire que je suis beaucoup plus troublé que je ne l’étais en arrivant. Si cela est vrai, cela veut dire que nous sommes face à une très grande découverte scientifique, parce que cela signifie que le maïs OGM, parce qu’il est OGM, a réussi à produire quelque chose peut-être pour s’éliminer lui-même, c'est-à-dire un génotoxique. Le rat, s’il a développé un cancer à cause de cela, c’est parce qu’il y a un génotoxique. Il n’est pas nécessaire de plusieurs années pour faire ces études. Il suffit de regarder, selon moi, dans le maïs OGM, s’il produit ou non un génotoxique. Cela est relativement facile à faire sur un système cellulaire, il n’est pas nécessaire de le faire sur quatre ans et sur des centaines de rats.

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l’OPECST. – Monsieur Bellé, merci pour cette suggestion sur les alternatives à l’expérimentation animale, ce que nous avions écrit dans le rapport de l’Office.

DEUXIEME TABLE RONDE :
LES ENJEUX ÉTHIQUES DE LA COMMUNICATION SCIENTIFIQUE

A. Quel rôle des médias dans la diffusion des rÉsultats expÉrimentaux ?

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l’OPECST. – Des journalistes et des présidents d’associations de journalistes ont accepté de venir s’exprimer sur le sujet, tout comme Cédric Villani, médaillé Fields 2010, qui nous apportera un point de vue extérieur sur ce sujet complexe.

Monsieur Alberganti, vous êtes familier de tels débats et connaissez plusieurs des personnes présentes aujourd’hui pour les avoir invitées dans votre émission Science Publique sur France Culture. Auparavant, la science s’inscrivait dans un temps long et les scientifiques ne communiquaient pas immédiatement sur leurs résultats. Aujourd’hui, science et communication sont imbriquées. Des règles sont-elles nécessaires ?

M. Michel Alberganti, journaliste scientifique, chroniqueur à France Culture. – Merci. Les règles dont vous parlez ne sont pas des règles qui sont spécifiques au traitement de la science par le journalisme. Ce sont les règles du journalisme en général : la vérification des sources, le croisement des informations et la multiplicité des avis quand un sujet fait débat. Or la publication de l’étude de Monsieur Séralini par une revue non scientifique a été effectuée avant qu’il y ait débat et avant même que les scientifiques du secteur aient pu en prendre connaissance, éventuellement réagir et apporter un autre regard. Ce n’est pas du tout ainsi qu’en général, nous essayons de fonctionner. Quand il y a des embargos, ces derniers concernent l’ensemble des journalistes et les études sont disponibles pour l’ensemble des journalistes quelque temps avant leur publication effective dans une revue, ce qui laisse le temps aux journalistes d’aller interroger des personnes qui sont compétentes sur le sujet pour essayer d’évaluer avec nos faibles moyens une nouvelle scientifique, une expérience ou un résultat. Cela arrive très souvent et nous ne sommes d’ailleurs pas toujours en mesure de faire cette évaluation. Quand on a annoncé que les neutrinos étaient plus rapides que la lumière, il était difficile aux journalistes d’aller le vérifier. Au demeurant, personne ne pouvait le faire puisqu’il s’agit d’une expérience qui est unique. Cela dit, il est souvent possible d’obtenir l’avis de certains experts, parfois plusieurs, qui sont contradictoires.

Toutefois, la durée médiatique qui a caractérisé l’étude de Monsieur Séralini n’a pas permis de bénéficier du recul nécessaire. Je suis opposé à la stratégie qu’a adoptée le Nouvel Observateur.

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l’OPECST. – Nous les avons invités, mais ils ont décliné notre invitation.

M. Michel Alberganti, journaliste scientifique, chroniqueur à France Culture. – Il est dommage qu’ils ne soient pas venus, car nous aurions aimé qu’ils expliquent les raisons pour lesquelles ils ont choisi de publier dans ces conditions.

À l’évidence, le professeur Séralini et son équipe du CRIGEN ont planifié une forme d’opération médiatique qui s’est poursuivie par un livre puis par un documentaire au cinéma et à la télévision. Nous voyons assez mal les liens entre une science sereine, débattue entre les pairs avant d’être présentée dans les médias. Cet après-midi, nous assistons à une discussion d’experts. Nous, en tant que journalistes, avons envie de demander aux scientifiques de se mettre d’accord, avant d’envisager un discours pour le grand public. Aujourd'hui, ce discours n’est pas prêt, il est encore à l’état de totale ébauche. Beaucoup de points manquent et beaucoup de discussions entre vous ne sont pas réglées. Je ne vois pas comment nous, journalistes, pourrions faire le tri. Nous l’avons bien vu vendredi dernier pendant l’émission Science publique où nous avions invité deux personnes de chaque camp et où le dialogue n’a pas été possible.

Ce cas de figure nous met dans une situation difficile. Nous pourrions, de manière malsaine, pencher en faveur d’un camp et contre un autre ou, au contraire, rester en dehors du débat. De toute façon, nous avons les plus grandes difficultés à expliquer au grand public les termes d’un débat qui n’est pas encore arrivé à maturité. Le malaise transparaît dans le communiqué très inquiétant publié par six académies qui plaident pour une espèce de prise de contrôle de la science de l’intérieur des médias par des commissaires dont on ne sait ni quelle serait l’origine ni quelle serait leur fonction exacte. Ce genre de propos arrive souvent quand c’est un peu la pagaille et que l’on ne sait plus comment retrouver un certain ordre.

J’espère que les instances scientifiques joueront leur rôle et que les scientifiques eux-mêmes éviteront dans la mesure du possible de céder à des tentatives de médiatisation ultrarapides afin de retrouver un minimum de sérénité et une matière que nous tenterons de transmettre au grand public dans les meilleures conditions.

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l’OPECST. – Merci. Je donne la parole à M. Deheuvels.

M. Paul Deheuvels, membre de l’Académie des sciences, professeur à l’Université Pierre et Marie Curie. – La science est toujours riche en controverses. La plupart du temps, les savants ne sont pas d’accord entre eux, et on aurait tort de vouloir à toute force exiger de leur part des avis unanimes. Il a, par exemple, fallu cinquante ans de discussions pour admettre que théorie de la dérive des continents, introduite par Albert Wegener en 1915, était davantage qu’une hypothèse. Il arrive qu’un scientifique ait raison contre une majorité d’autres savants, et la vérité ne se décide assurément pas par le vote d’une majorité de circonstance. Par conséquent, j’estime que, dans la plupart des discussions, vouloir exiger des instituts comme de l’Académie ou des agences spécialisées, des avis uniques, est contraire à l’esprit de la science. Très souvent, de tels avis seraient plus intelligents s’ils étaient exprimés sous la forme de la présentation équilibrée de controverses argumentées, montrant les hypothèses avancées par les uns et par les autres, sans trop préjuger de leurs crédibilités respectives, tant qu’un doute demeure.

M. Michel Alberganti, journaliste scientifique, chroniqueur à France Culture. – Le débat scientifique constitue la matière première de mon émission. Toutefois, le sujet d’aujourd’hui dépasse la simple controverse scientifique. Il est beaucoup plus compliqué, parce qu’il a des implications économiques, voire politiques. Quand on met face à face les protagonistes de cette controverse, le débat ne peut pas avoir lieu parce qu’il n’est pas purement scientifique. Il y a des soupçons de non-transparence et de non-indépendance qui sont aussi des procès personnels, qui sont de vieux problèmes entre des personnes. Là, on sort de la science, on est dans autre chose. Cet aspect pollue la controverse purement scientifique. Quand il y a une controverse purement scientifique, chacun peut être d’un avis différent, mais on n’en arrive pas aux extrêmes que l’on constate dans cette affaire.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’Université de Caen. – Afin d’éviter cette pollution du débat par les questions économiques et politiques, il suffirait, Monsieur Alberganti, que chaque journaliste effectue une enquête sur la personne qu’il interroge afin de savoir d’où elle s’exprime. Le fait d’établir la transparence sur les appartenances de chacun pourrait apaiser le débat.

M. Michel Alberganti, journaliste scientifique, chroniqueur à France Culture. – Monsieur Séralini fait référence à l’émission de vendredi dernier, au cours de laquelle il a voulu m’indiquer la façon de présenter les autres invités. Or je présente les invités en fonction des autorisations et informations qu’ils me donnent sur leur fonction actuelle et sur leurs fonctions passées qu’ils voudraient voir mentionner. Cette présentation n’est pas un procès en soi du passé de l’invité ou de son passif. Il s’agit de la présentation qu’il souhaite voir indiquées à l’antenne. Pour autant, cela ne vous a pas empêché d’évoquer les points que vous souhaitiez préciser sur le passé de tel ou tel intervenant qui, selon vous, avait appartenu ou appartient toujours à des instances qui modifieraient son indépendance.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’Université de Caen. – Je comprends, mais…

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l’OPECST. – Nous laissons maintenant la parole à Cédric Villani. Nous aurons l’occasion de poursuivre le débat après l’intervention de Monsieur Huet et de M. Valéry Laramée de Tannenberg.

M. Cédric Villani, médaillé Fields (2010), professeur à l’Université de Lyon, Directeur de l’Institut Henri Poincaré. – Je remercie l’OPECST d’organiser comme d'habitude un débat pertinent et aussi apaisé que possible.

Pour clarifier mon intervention, je précise que je n’interviens bien sûr pas en tant qu’expert sur l’étude elle-même, qui est hors de mon champ de spécialité; le débat de spécialistes a été abordé lors de la précédente table ronde. Sur les aspects mathématiques, le professeur Deheuvels ici présent, le professeur Lavielle, ici présent aussi – le professeur Lavielle qui a travaillé à l’élaboration de l’avis du HCB – sont bien plus aguerris que moi, et d’ailleurs d’opinions contradictoires.

Mon intervention sera donc celle d’un scientifique extérieur au débat, très intéressé par la question de la communication de la science – une communication que j’ai eu l’occasion de pratiquer depuis des années à l’écrit et à l’oral, par des interventions ou conférences-débats publiques, devant un total de plusieurs dizaines de milliers de jeunes et de citoyens. Dans les questions des audiences, on retrouve souvent des problèmes d’éthique scientifique, dont certains qui sont au coeur du débat d'aujourd'hui, et les rapports entre science et citoyen.

M. Séralini l’a bien dit, quand on intervient dans un débat sur des questions vitales pour la société, il est important de déclarer ses conflits d’intérêt, voire ses convictions personnelles ou politiques si elles peuvent influencer consciemment ou inconsciemment sur le jugement. Un exemple que j’évoque souvent pour les jeunes lycéens est le cas de la controverse historique entre Lord Kelvin et Charles Darwin sur l’âge de la Terre. Kelvin avait beau être le meilleur physicien de son époque, il a été induit en erreur en partie par ses convictions religieuses qui l'empêchaient d'accepter la théorie de l’évolution de Darwin.

Donc je vais faire exactement comme cela a été recommandé, je vais commencer par déclarer mes convictions personnelles relatives à l’emploi des OGM : en tant que citoyen je pense que les gouvernements des pays développés font preuve d'un laxisme inacceptable concernant l’usage des OGM. Si je ne suis pas choqué par le principe du développement de nouvelles espèces vivantes, pratiqué depuis des millénaires par des techniques autres que la bio-ingénierie, en revanche je trouve monstrueuse l’idée des brevets sur les espèces vivantes; je trouve aberrant, du point de vue environnemental, le principe même des espèces génétiquement modifiées pour être résistantes aux pesticides; et je pense que le modèle économique et social induit à travers le monde par les plantes génétiquement modifiées est souvent inacceptable pour les agriculteurs. Ce sont mes convictions personnelles et politiques.

Avec une telle prédisposition, je ne cacherai pas que j’étais plutôt agréablement surpris quand j’ai entendu parler des résultats de l’équipe Séralini. Je me suis senti d’autant plus déçu, pour ne pas dire trahi, quand j’ai pris conscience, après lecture et discussions avec des experts, à quel point cette annonce occasionnait ce qui me semble être – je le dis sans animosité – des brèches graves de déontologie scientifique, avec trois conséquences inacceptables : un effilochage des liens de confiance entre les scientifiques et la société; la fragilisation du lien de confiance entre les scientifiques eux-mêmes; et accessoirement le risque, par effet boomerang, de desservir la cause pour laquelle les auteurs de l’étude luttent. Pour être juste je dois ajouter que dans le reste de la communauté scientifique, plutôt opposé à l’étude, nous avons assisté aussi bien à certains comportements irréprochables qu’à certains comportements qui vus de l’extérieur sont absolument incompréhensibles de la part de scientifiques. Michel Alberganti en a déjà parlé : on est sortis de la science.

Je vais prendre quelques minutes pour développer ces points, et d'abord insister sur une question parmi les plus importantes et les plus subtiles qu’un scientifique doit expliquer aux citoyens : le rôle du doute et de la confiance. Le doute ne veut pas forcément dire l’incompétence, comme on sait bien : au contraire c’est une qualité fondamentale du scientifique et du citoyen, et par le passé on a vu de grandes catastrophes sociétales causées par l’application aveugle d’outils technologiques ou scientifiques puissants, et cela dans tous les domaines. La science avance par débats et confrontations d’idées ; M. Deheuvels l'a rappelé aussi, on ne peut jamais être sûr, au sens strict, de notre attitude. Au reste, les controverses, surprises, coups de théâtre, ruptures de consensus font précisément toute la grandeur de l’histoire des sciences, avec des exemples célèbres; Monsieur Deheuvels vous avez cité Wegener et la dérive des continents, on pourrait aussi mentionner Semmelweis découvrant l’hygiène et se battant contre l’incrédulité de ses collègues, ou Planck, qui ne croyait pas vraiment lui-même à son hypothèse des quanta. On pourrait multiplier les exemples et c'est extrêmement intéressant ! À l’inverse, il est arrivé régulièrement que des scientifiques couronnés, parfois les meilleurs de leur temps et de leur spécialité, défendent des arguments qui se sont révélés radicalement faux. On pense à Lord Kelvin que je citais tout à l'heure; on pense à Marcelin Berthelot qui s’obstinait à nier l’existence des atomes.

Mais quand tout va bien, finalement un consensus finit par émerger, et la science avance là où les humains ont erré. À quel moment la science passe du doute à la conviction, et pourquoi, c’est dur à quantifier : ce n’est pas le fait d’un individu, si expert soit-il, ce n’est pas forcément l’opinion dominante qui compte, mais à un moment un consensus se dégage et suffisamment d’éléments différents viennent corroborer une théorie pour emporter l'adhésion, avec une très forte majorité disons, et un jour il faut sentir quand vient le moment de prendre position et de mettre le doute de côté. Comme le disait Henri Poincaré, « Douter de tout, ou tout croire, sont deux attitudes également commodes, qui l’une et l’autre nous dispensent de réfléchir ».

Il faut donc tenter d'aller vers le consensus et ne pas se contenter de la controverse. Pour aller vers le consensus nous avons deux outils, (1) le partage sincère des informations, (2) le débat argumenté, dans lequel on répond point par point aux objections de l'autre camp. Dans le cas présent, nous n’avons vu ni l’un ni l’autre. Données brutes déposées chez huissier; excusez-moi, c’est la première fois que j’entends parler d’une telle pratique. On me dit qu’il y a de mauvaises pratiques de l’autre côté : je ne pense pas que l’on puisse utiliser les mauvaises pratiques des adversaires pour justifier ses propres mauvaises pratiques. Je pense que c’est aux pouvoirs publics d’intervenir pour garantir la transparence. J’ai même trouvé d’une ironie mordante que le HCB soit amené à rappeler au Professeur Séralini la charte éthique proposée par Elsevier : Elsevier est un éditeur qui est considéré dans certains cercles comme un modèle d’immoralité; et pour beaucoup de mes collègues, se dire qu’un scientifique ne souhaite pas respecter la charte proposée par Elsevier semblera extravagant.

Quant au débat argumenté, il est bien sûr nécessaire : on sait bien que la publication d’un article en revue à comité de lecture n’est pas une garantie d’exactitude – il y a eu tant de contre-exemples – mais c'est important, cette publication garantit un certain standard, la validation par quelques pairs, qui permet de lancer la discussion et l’examen critique. D’ailleurs, comme certains l’ont bien noté, dans le même volume de la revue FCT (une revue que tout le monde doit connaître maintenant !), dans le même volume de FCT où est parue l’étude Séralini, est parue une autre étude, aboutissant à des conclusions essentiellement contraires, ce qui évidemment pose question et montre bien qu’il faut un débat.

Pour ce qui est du débat, le HCB, officiellement saisi par le gouvernement, a examiné l’étude Séralini, et émis un certain nombre de critiques. Vous les avez entendues. Au niveau statistique, par exemple, trois points ont été mis en avant : le premier est le manque de puissance du test dû au trop faible effectif des échantillons, qui met toute l’étude à la merci d’une déviation statistique sur l’échantillon témoin. Ce qui est intéressant, c’est que l’argument est suffisamment simple pour être expliqué à un grand public, et cela a été fait : en caricaturant, avec deux échantillons témoins de seulement 10 rats, il suffit que par accident quelques-uns de ces rats vivent en bonne santé plus longtemps que prévu, et toute l’étude risque d'être faussée. Il y avait une deuxième contestation sur le calcul des espérances de vie, et une sur la multiplication a priori des tests, augmentant les chances de considérer comme significative une variation qui sera due a une fluctuation sur l’ensemble des résultats.

Est-ce que ces trois objections du HCB sont valables ou pas, je parle ici seulement des objections statistiques, ce n’est pas mon rôle aujourd’hui de le dire, je vais juste dire qu’elles ont été présentées publiquement et posément, dans un document rendu public par le HCB. D’ailleurs sur les espaces de discussion électroniques publics entre mathématiciens, on a pu voir qu’elles ont convaincu nombre de mathématiciens qui étaient a priori très critiques sur l’avis du HCB; c'est un exemple où le débat argumenté a permis d'avancer. S’il y a une réponse il est important de la publier et de continuer ce débat argumenté. Tout à l’heure le professeur Deheuvels a entamé une réponse, je l’encourage vivement à continuer cette discussion publiquement, en répondant point par point. Il est vrai qu’il y a parfois controverse, mais on est alors tenu d’y répondre publiquement et de manière argumentée.

On a avancé que l’étude Séralini permettait de mettre en évidence la non-significativité des études précédentes, dont le HCB a bien dit effectivement que le manque de puissance était aussi choquant. Mais si le professeur Séralini a voulu discréditer le domaine de publication, en pointant des dérives ou un laisser-aller dans les habitudes, il aurait fallu être beaucoup plus clair dans l’annonce. Dans un autre contexte, moins tendu, on se souvient de la manœuvre utilisée par Bricmont-Sokal pour décrédibiliser une certaine littérature philosophique en publiant dans une revue prestigieuse un article déraisonnable, tout de suite présenté à la presse comme un canular.

Dans le cas actuel, il n’en a rien été : l’étude Séralini a été présentée tout de suite comme très solide, y compris aux médias. Et c’est certainement là qu’est le problème principal : jusqu’ici j’ai parlé de débats entre scientifiques, mais l’implication forte des médias a déstabilisé le débat.

Je suis d’autant plus consterné de cette dérive, à titre personnel, qu’il s’agissait d’un débat très intéressant pour le public, en ce qu’il illustre la pluridisciplinarité de l’expertise, et le rôle des sciences mathématiques, en relation avec d’autres sciences, dans des débats cruciaux pour notre société. Aujourd’hui nous parlons d’OGM, mais en d’autres jours cela pourra être la finance mondiale, les campagnes de vaccination, le réchauffement climatique, la politique démographique, toutes sortes de questions dans lesquelles des modèles mathématiques jouent un rôle important, en interaction avec d’autres sciences. Même sur un sujet très actuel comme l’adoption par les couples homosexuels, une partie du débat se fait, à tort ou à raison, par discussion sur des statistiques, dont la significativité éventuelle est aussi un problème mathématique. Sur toutes ces questions, il est nécessaire d’établir une expertise conjointe de spécialistes de différents bords. Ce dialogue entre sciences est fascinant et important pour toute la société; mais ce message a été absent de la communication grand public. Ce que l’on a vu finalement ce fut les gros titres des journaux avec un message en une « Les OGM sont des poisons ».

À la décharge de l’équipe Séralini, ce n’était pas la première fois qu’on voyait de telles choses : il y a 3 ans c’était, en première page d’un grand quotidien, une annonce tout aussi péremptoire, « Le maïs OGM est sans danger pour l’homme » – avec une base qui vue de l’extérieur, si j'en crois mes amis statisticiens, n'est pas plus solide. Il est bon d’impliquer le public dans les grandes aventures actuelles de la science, il est important de le tenir au courant, de l’informer; mais quand il s’agit d’affaires controversées médiatiques et sans consensus, cela demande un grand doigté, sinon les risques de dérapage incontrôlé sont très grands.

À titre d’exemple, rappelons-nous qu’il y a exactement un an, une autre controverse s’invitait dans les premières pages des journaux grand public : c’était les neutrinos ultrarapides du CERN, censés se déplacer plus vite que la lumière. Dans le communiqué, le responsable indiquait « ces mesures semblent indiquer que les neutrinos voyagent plus vite que la lumière ». On est loin du « clearly demonstrate » que l’on trouve dans l’article présenté par le Professeur Séralini. Et puis, dans son communiqué, l’équipe du CERN ajoutait à juste titre « Lorsqu’une collaboration fait une observation aussi inattendue, sans pouvoir l’interpréter, l’éthique de la Science demande que les résultats soient rendus publics auprès d’une plus large communauté, afin que ceux-ci soient examinés et pour encourager des expériences indépendantes. […] C’est la raison pour laquelle nous envoyons aujourd’hui aux médias un communiqué formulé avec prudence ». Notre collègue physicien Alain Aspect disait alors « c’est l’occasion de montrer au grand public comment fonctionne la science ». Malgré toutes ces précautions, l’occasion a été ratée; l’implication médiatique a déstabilisé le système. Pour une partie des médias, le doute a été changé en certitude sensationnaliste, sur le thème « Einstein s’est trompé », et le mouvement a débordé les scientifiques ; quand finalement il est devenu clair que les résultats du CERN résultaient d’une erreur d’expérimentation, cela a été quasiment passé sous silence. Certains des chercheurs impliqués ont vécu l’affaire comme une humiliation : l'annonce a été accompagnée de débordements sensationnels, mais la réaction salutaire de la communauté n’a pas été vraiment remarquée. Cette expérience nous rappelle combien il est dangereux de communiquer prématurément au grand public.

Il y a une différence majeure entre la question des neutrinos rapides et celle du potentiel cancérigène des OGM : si la question des neutrinos est en premier lieu une question théorique, celle des OGM est une affaire de santé publique, avec en outre des enjeux financiers considérables. On peut argumenter que cela justifie des pratiques différentes, mais j’aimerais argumenter au contraire que cela nécessite encore plus de prudence dans la mise sur la place publique et l’affûtage des arguments, sous peine de rendre les débats encore plus passionnels.

Or l’affûtage des arguments scientifiques, la discussion sur le fond, nous n’en avons rien vu, en revanche nous avons vu des couvertures sensationnelles, des photos – excusez-moi, j’ai été choqué aussi – des photos de tumeurs parlant directement aux émotions, et l’impression que les scientifiques sont incapables de discuter entre eux puisqu’ils en viennent à communiquer par presse interposée. Nous avons vu deux pétitions, signées par des scientifiques a priori respectables, l’une sur le site du CNRS, l’autre dans Le Monde; honnêtement je ne comprends pas comment on peut faire les choses de cette manière. Sur le site du CNRS on trouve une attaque contre les convictions intimes de ceux du camp opposé, au lieu d'une simple discussion sur les arguments scientifiques. Dans la pétition qui est parue dans Le Monde, on ne fait aucun cas de l’avis du HCB – pas d'argumentaire, pas de réponse. Nous avons vu des batailles de chiffres – ma pétition a recueilli tant de signatures, la mienne en a eu tant –, et à ma grande horreur, dans chacune des listes je retrouve des amis que j’estime beaucoup. Je ne trouve pas d'excuse, franchement, aux membres des deux bords dans ce débat : on n’a pas le droit d’utiliser de mauvaises pratiques pour combattre de mauvaises pratiques.

Je finis avec ma casquette de citoyen : je vois une autre conséquence, qui à titre personnel me pose souci, c’est que le caractère spectaculaire de l'étude et de l'annonce a focalisé le débat sur le pouvoir cancérigène des OGM, au détriment de tous les autres éléments, sociaux, économiques et éthiques, qui méritent d'être abordés très sérieusement dans le débat sur les OGM. Je vous remercie.

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l’OPECST. – Merci. Je vais donner la parole maintenant à deux représentants d’associations de journalistes. J’aurais souhaité que le Nouvel Observateur soit également présent puisqu’il avait publié l’article. Nous les avons invités, mais nous n’avons malheureusement pas eu de réponse.

M. Sylvestre Huet, chroniqueur scientifique à Libération, président de l’Association des journalistes scientifiques et de la Presse d’information. – Mon intervention se situera dans le droit fil de celle de Cédric Villani, dont je partage la totalité de l’expression. Je tiens à rappeler quelques phrases de la déclaration de l’association que je préside rendue publique le 15 octobre dernier : « L’embargo est une pratique que nous approuvons, mais sur un article publié dans une revue scientifique, il consiste à interdire de le citer avant sa publication. Cela ne vise en aucun cas à assurer à cette revue une position commerciale ou une exclusivité d’information au sens du scoop tant recherché par la presse généraliste. L’objectif unique est la qualité de l’information, tant des scientifiques que du public. L’embargo permet aux journalistes spécialisés en sciences et accrédités auprès des revues de disposer en avance des articles afin de les soumettre au regard critique de scientifiques qui peuvent être laudateurs comme négatifs. Cette démarche repose sur un traitement équitable - tous les journalistes accrédités disposent de l'information et non un groupe choisi - ainsi que sur la vigilance et la modestie des journalistes scientifiques, bien placés pour savoir les limites de leurs connaissances et la complexité des informations scientifiques, en particulier le fait qu'une étude publiée ne sera pas nécessairement confirmée par la suite. À l'inverse, nous récusons et condamnons la clause de confidentialité imposée par l'équipe de Gilles-Eric Séralini. Celle-ci consistait à fournir à quelques journalistes sélectionnés l'article sous embargo, en leur réclamant en contrepartie de ne pas recueillir l'avis d'autres scientifiques sur cette étude. Ce qui visait clairement à obtenir une présentation biaisée de cette étude, dénuée de tout regard critique ou simplement compétent. C'est pourquoi cette clause fut repoussée par certains journalistes scientifiques sollicités, puis dénoncée en France, par l'Union Européenne des Associations de Journalistes Scientifiques et ailleurs, comme contraire aux bonnes pratiques résultant de concertations entre le monde scientifique et celui des journalistes spécialisés en science. »

Un, l’expérience le prouve, lorsque la science est bonne, il n’y a pas de scoop, c’est-à-dire pas d’information exclusive accordée à un journal ou à un journaliste par les chercheurs ou par les revues scientifiques. L’information est distribuée équitablement, les embargos sont respectés et la confidentialité telle qu’elle est exigée par le professeur Séralini est refusée. Cette bonne pratique, convenue et codifiée entre journalistes spécialisés en sciences et le monde de la recherche, promeut la qualité de l’information, décourage le sensationnalisme et la déformation des faits.

Deux, ce fut le cas pour les découvertes importantes annoncées ces vingt dernières années. Le séquençage du génome humain comme la découverte de planètes autour d’autres étoiles que notre soleil, la découverte du boson de Higgs, les avancées en science du climat, ont tous été communiqués à des centaines de journalistes spécialisés en sciences, accrédités auprès des meilleures revues scientifiques, avant leur publication officielle. Tous ont respecté l’embargo et tous ceux qui l’ont pu ou voulu ont utilisé ce délai pour améliorer leurs articles notamment en interrogeant d’autres scientifiques que les auteurs sur le sens ou les limites des faits d’expérience, des observations et des interprétations théoriques.

Trois, lorsque la science est bonne mais qu’elle se trompe, elle ne rompt pas avec les bonnes pratiques. Elle l’a par exemple prouvé dans le cas des neutrinos plus rapides que la lumière du CERN. Les journalistes qui l’ont souhaité ont pu, dès les premiers articles publiés, contrebalancer l’annonce faite par des critiques émises par d’autres physiciens et rappeler à leurs lecteurs ou auditeurs qu’une telle mesure ne serait considérée comme fiable qu’après sa reproduction par un dispositif expérimental différent.

Quatre, lorsque la science est bonne, le fait qu’elle touche à des sujets porteurs d’enjeux sociaux forts et donc de polémiques n’exempte pas du respect des bonnes pratiques. Lorsque des spécialistes de l’INRA publiaient le 30 mars dernier dans la revue Science une expérience dévoilant les effets néfastes de certains insecticides agricoles sur les abeilles, même à très faible dose, ils respectent ces règles et bonnes pratiques sans chercher à organiser un coup médiatique avec l’aide de quelques journalistes pour, par exemple, contrebalancer le lobbying des industriels de l’agrochimie.

Cinq, la rupture avec ces règles et bonnes pratiques par l’équipe du professeur Séralini fut particulièrement brutale. Le fait de choisir des journalistes sur d’autres bases que celle de leur compétence sur le sujet et de leur imposer de signer un document les menaçant d’une sanction financière s’ils soumettent l’article à l’analyse d’autres scientifiques ne peut que relever d’une volonté de manipuler l’opinion publique. Aucun des arguments avancés pour justifier une telle action ne peut être accepté. Il faut souligner que, si certains journalistes ont accepté ce deal mortifère pour la qualité de l’information, d’autres l’ont refusé ou dénoncé au nom même de cette qualité. Il était prématuré, le jour de la publication de ces articles, de transformer la formule « lorsque la science est bonne, il n’y a pas de scoop », en son inverse « lorsqu’il y a scoop, c’est que la science est mauvaise ». Toutefois, il est assez éclairant de mettre en regard ce que cette rupture avec les bonnes pratiques a permis au professeur Séralini d’obtenir, à savoir une couverture médiatique poussée et totalement laudatrice. Les rétropédalages qui ont suivi par la suite dans certains organes de presse nous ont rappelé le malheureux adage selon lequel une désinformation suivie d’un démenti assure deux articles à celui qui en est à l’origine.

Sept, après les analyses de l’ANSES et du HCB, il semble clair que l’étude du professeur Séralini pose une question redoutable. Est-elle seulement médiocre dans sa conception et dans sa présentation ? Ou avons-nous affaire à une des publications décrites par l’historienne Naomi Oreskes dans Marchands de doute ? Sur le risque sanitaire du tabac, comme sur l’évolution du climat, des scientifiques ont délibérément distordu la présentation de faits pour duper l’opinion publique, a-t-elle démontré. La France n’est pas exempte de telles dérives, comme l’ont montré des publications de 2005 et de 2007 de Vincent Courtillot de l’Institut de physique du globe de Paris parues dans la revue Earth and Planitary Science Letters, publications réfutées par le professeur au Collège de France, Edouard Barr, qui a montré qu’elles étaient fondées sur une erreur monumentale de calcul.

Il est troublant de constater que le principal soutien mis en avant par Monsieur Séralini lors de son audition précédente fut le statisticien Paul Deheuvels, de l’Académie des sciences. Au nom de Club de l’Horloge, ce dernier a remis en décembre 2010 le prix Lyssenko au climatologue Jean Jouzel pour dénoncer une soit-disante imposture de la communauté scientifique en climatologie. Cette insulte faite à Jean Jouzel, associé à un truand de la science et à un dictateur, s’étend à l’ensemble des climatologues. À cette occasion, Monsieur Deheuvels a montré que la vérité scientifique n’était rien devant sa conviction idéologique. Il a également montré qu’il avait une ignorance des informations de base en climatologie.

M. Paul Deheuvels, membre de l’Académie des sciences, professeur à l’Université Pierre et Marie Curie. – Je proteste devant de tels propos. Je dois interrompre le discours de ce monsieur…

M. Sylvestre Huet, chroniqueur scientifique à Libération, président de l’Association des journalistes scientifiques et de la Presse d’information. – Vous me répondrez lorsque j’aurai terminé.

Huit, certains affirment que le retentissement médiatique et politique de cette affaire sert le débat démocratique dans la mesure où, même si cette étude n’est pas probante au plan des méthodes scientifiques et non conclusive, elle permet de poser des questions sur le fonctionnement du système d’expertise publique des risques sanitaires des produits agrochimiques et issus du génie génétique. Les bonnes questions sont-elles pour autant posées ? Les risques sanitaires, économiques, sociaux, agronomiques et environnementaux des herbicides au glyphosate et des plantes génétiquement modifiées pour les tolérer sont-ils bien représentés par des images de rats affligés de tumeurs géantes dont le lien avec des deux éléments n’est pas démontré ? Ces images vont-elles générer un débat public de qualité, des décisions démocratiques utiles pour la prévention de ces risques, fondées sur des analyses scientifiques et une détermination explicite des choix de société ? En l’occurrence, avec quelle agriculture voulons-nous vivre ? Ne faut-il pas l’orienter vers le non usage des herbicides comme le suggère l’INRA ? Il est bien sûr permis de l’espérer. Il est probablement plus lucide de considérer qu’il y aurait là une sorte de miracle social et politique car rien n’autorise à penser que le niveau d’information du public et des responsables politiques se soit amélioré grâce à cet épisode. En témoigne le brouillage complet des positions puisque la simple exigence de clarté quant aux informations scientifiques a été assimilée par les partisans du professeur Séralini à un soutien aux plantes génétiquement modifiées ou à l’agrochimie voire aux protocoles réglementaires actuels ou au secret industriel, ce qui très souvent n’était absolument pas le cas.

Neuvième et dernier point, la qualité de l’information du public et probablement de nombreux responsables politiques a pâti de la méthode médiatique utilisée par le professeur Séralini. Le simple respect des bonnes pratiques dans les relations entre monde scientifique et journalistes aurait sans doute permis une meilleure information sur ce sujet complexe. Promouvons donc ces bonnes pratiques, aussi bien auprès des scientifiques que des journalistes, et en particulier auprès des directions des organes de presse qui souhaitent souvent s’en affranchir. C’est ce que l’Association des journalistes scientifiques a voulu faire par sa déclaration du 15 octobre dernier. Je vous remercie de votre attention.

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l’OPECST. – Merci. Monsieur Huet vous ayant cité nommément, je vous donne la parole.

M. Paul Deheuvels, membre de l’Académie des sciences, professeur à l’Université Pierre et Marie Curie. – Je ne répondrai pas aux injures de Monsieur Huet qui mélange des questions qui n’ont aucun rapport entre elles. J’ai participé activement au débat sur le climat à l’Académie des sciences, et je me souviens très bien que beaucoup de scientifiques n’étaient alors pas d’accord entre eux. Mérite-t-on d’être ostracisé au seul motif que l’on ne se rallie pas à la position dominante ? Je me permettrai de vous rappeler, Monsieur Huet, que récemment l’Institut météorologique britannique sur lequel se basent, essentiellement, les analyses du GIEC a publié des chiffres qui démontrent qu’il n’y a pas eu de réchauffement climatique mesurable depuis, au moins, 1999. Je ne sais pas si vous avez publié un démenti au sujet des thèses inverses sur le sujet que vous avez amplement développées dans Le Monde, et présentées comme des vérités d’évangile. Je veux dire par là qu’il est normal que, dans un domaine comme l’étude du climat, qui est une science nouvelle, il y ait des personnes qui ne soient pas du même avis, et que les théories varient en fonction des découvertes. Ce qui n’est pas normal est qu’on cherche à imposer par l’intimidation médiatique des théories comme définitives, alors que celles-ci ne sont pas encore suffisamment établies. Un minimum de prudence s’impose. Chaque opinion est respectable. Respectez la mienne, s’il vous plaît. Je respecte la vôtre, bien que je ne l’approuve pas.

Je suis venu ici pour discuter des problèmes statistiques liés à l’étude du professeur Séralini, et je maintiens que celle-ci, sur le plan technique, est parfaitement valable, et qu’elle met bien en évidence des différences statistiquement significatives. J’ai même pu déceler, moi-même, de telles différences avec des données partielles qui m’ont été fournies. Je comprends toutefois que d’autres pensent le contraire, et j’estime que la controverse qui en découle ne sera résolue que lorsque toutes les données seront rendues publiques. Sur ce, le fait de me faire un procès d’intention, Monsieur Huet, et de prétendre que je sacrifie la vérité à l’idéologie, est une attitude imprécatoire que je considère comme méprisable, et qui relève exactement du lyssenkisme le plus pur. J’ai des titres et des publications qui montrent que j’ai fait quelque chose dans le monde scientifique. D’autres préfèreront gloser sur les travaux des autres, sans toujours avoir la compétence suffisante pour bien les comprendre. Par contre, je veux bien admettre qu’il y ait beaucoup de savants qui racontent des bêtises. Peut-être même est-ce mon cas, mais je crois, modestement et sincèrement, en ce que j’affirme. Qui êtes-vous donc, Monsieur Huet, pour prétendre discerner entre la bonne et la mauvaise science ? L’exemple de la controverse entre Claude Allègre et Haroun Tazieff sur les dangers possibles d’une éruption de la Soufrière démontre amplement que même le meilleur scientifique de sa discipline peut se tromper, et cela arrive d’ailleurs bien plus souvent qu’on croit dans les sciences expérimentales. Il importe d’exposer ses arguments avec honnêteté, et je l’ai fait. Par ailleurs, je maintiens que beaucoup d’attaques que j’ai vues porter sur les travaux du professeur Séralini reposent sur des bases, à l’évidence, non scientifiques. C’est ce point et ce point seul qui m’a obligé à intervenir dans ce débat. Je m’oppose à de telles critiques, car mon opinion raisonnée, qui n’a rien à voir avec une idéologie quelconque, me pousse à soutenir la partie technique de ces travaux. Le fait que je pense le contraire de ce que vous pensez est, pour vous, Monsieur Huet, un argument suffisant pour que vous permettiez de m’insulter.

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l’OPECST. – Monsieur Séralini, vous pouvez prendre la parole, mais soyez bref car il nous reste encore une table ronde.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’Université de Caen. – Je comprends, mais si chaque table ronde consiste à me mettre en cause sans que je puisse répondre, je n’ai qu’à sortir. Monsieur Huet, ce que vous dites là est extrêmement grave. Je n’ai pas été responsable de la médiatisation associée à mon étude mais ai écrit un livre expliquant tous les problèmes qu’il y avait eu en ce domaine. Je voudrais en même temps répondre à Monsieur Villani. Nous nous situons dans un sujet qui implique plusieurs millions d’euros, que je suis parvenu à recueillir auprès d’associations privées. Ces personnes désirent que la publication ait lieu. Vous avez vu les pressions. Vous pouvez faire confiance à une agence plutôt qu’à un éditeur scientifique. Vous avez vu, Monsieur Villani, que les agences se sont trompées aussi au cours du temps, pour l’amiante, le sang contaminé, la vache folle… Il y a des précédents où l’on ne peut pas simplement conclure à la vérité par un débat scientifique immédiat. Il faut réitérer l’expérience.

Nous avons toujours été disposés à fournir les données brutes. Toutefois, les seuls comparatifs disponibles sont tenus secrets par les agences et les industriels. L’évaluation contradictoire est ainsi rendue impossible. Je suis fier d’avoir publié cette étude, parce qu’elle a été évaluée par les pairs, qui n’ont relevé que le faible nombre de rats par lot. Il aurait fallu avoir plus de rats, j’en conviens, mais mis à part cela, tout est cohérent et les études statistiques que nous avons effectuées sur les données biochimiques sont très puissantes : elles ont porté sur 106 500 paramètres et elles nous permettent de corréler ce qui s’est passé objectivement au niveau des pathologies et de la mortalité.

Certains peuvent ne pas être d’accord avec cette interprétation. Derrière, il y a un débat historique sur la toxicologie, c'est-à-dire que tous les effets de perturbateurs endocriniens ne sont pas vus si l’on pense que l’on va voir tous les effets à long terme à partir des effets court terme à 28 jours chez le rat.

Ensuite, Monsieur Huet, je suis tenu, vis-à-vis des associations m’ayant alloué leurs crédits, de procéder à la publication de mon étude. Je savais que des pressions visant à son retrait s’exerceraient dans la mesure où l’étude porte sur un enjeu économique important du système agricole français et mondial. Monsieur Huet, vous pouvez vérifier quel est le plus long test qui ait jamais été réalisé avec le Roundup donné à des rats ou des souris pour être mis sur le marché. Si c’est une semaine, un mois, quelques semaines, demandez-les puisque, paraît-il, tout peut être public. Vous verrez si ce que je dis est vrai. À ce moment-là, vous pourrez comparer avec le comparable. Si tout le système des pesticides repose, comme je le pense, sur seulement quelques semaines d’évaluation avec le produit dans sa globalité, on met en péril un système d’évaluation simple, transparent, correct sur le plan sanitaire.

Sans publication, je devais rembourser les crédits, ce qui explique pourquoi nous avons demandé aux journalistes de signer une clause de confidentialité, en échange de l’accès aux données. Le débat peut avoir lieu. Aujourd'hui, on ne peut pas demander à la première équipe universitaire qui a dépensé autant d’argent… Car il n’existe pas d’équipe de biologie qui dépense autant d’argent sur une expérience sur des produits commercialisés. Il ne s’agit pas d’un nouveau concept. Je n’ai pas dit que la Terre était plate ou était ronde, je n’ai pas parlé de la vitesse d’une particule au-dessus ou en dessous de la lumière. Le problème est la contre-expertise d’un produit commercialisé qui met en jeu l’agronomie, l’agriculture mondiale. Il faut faire de la recherche dans ce domaine. Vous avez vu les tests qui ont été présentés par l’ANSES. Ils sont au nombre de deux, l’un porte sur 50 rats, mais seulement trois ou quatre rats sont analysés et l’autre porte sur des souris à 8 mois ou un peu plus mais qui conclut à des effets notamment sur les foies et qui est menée par ma co-auteur.

D’un côté, un besoin énorme d’évaluation existe et, de l’autre, les agences et les sociétés de toxicologie ne demandent pas une telle évaluation. Notre système met en péril la chose, mais il faut quand même faire de la recherche dessus, je le pense, pour la santé publique. Nous protégeons donc l’étude afin qu’elle soit connue par le plus grand nombre avant qu’elle ne soit détruite par des personnes et réseaux qui feront pression sur la revue pour qu’elle la retire.

Je veux bien que vous décidiez qui a raison et qui a tort au niveau scientifique maintenant selon les pratiques que vous croyez voir, mais il y a un vrai problème, Monsieur Huet, aujourd'hui, et on ne peut pas simplement se fier à cela. J’ai écrit un livre, mais il n’a pas été traduit. Il y a des films, mais ils ne circulaient pas au niveau international. Cela n’a pas empêché l’ensemble des pays du monde de parler de cette étude. Ils n’ont pas du tout vu le problème franco-français de l’embargo. 160 pays du monde en ont parlé. La Russie, l’Inde et le Mexique s’interrogent ou mettent en place des moratoires sur ces produits. Cela n’a pas été lié à l’embargo ni à la médiatisation en France. Il y a de toute façon un vrai problème. Si j’ai écrit un livre, c’est justement pour expliquer le contexte que je vous ai indiqué et pour dénoncer par leur nom les personnes avec qui j’avais été souvent en procès ou en opposition qui ont mal évalué ces produits selon moi. Je n’ai pas écrit ce livre pour gagner de l’argent. De toute façon, les livres de sciences ne rapportent quasiment rien.

Voilà pourquoi, dans un contexte aussi sensible, cela s’est passé ainsi, avec certainement des erreurs de médiatisation. Je n’ai pas choisi de faire un embargo avec une personne plutôt qu’avec une autre, mais j’ai respecté l’étude jusqu’à ce qu’elle paraisse.

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l’OPECST. – Merci beaucoup. Je voudrais maintenant donner la parole à M. Valéry Laramée de Tannenberg.

M. Valéry Laramée de Tannenberg, président de l’Association des journalistes de l’environnement. – Merci Monsieur le Président. Je ne vous parlerai pas de science mais du métier de journaliste. La profession que nous exerçons, Sylvestre et moi, consiste à donner au public le plus large possible une information de qualité, complète, libre, indépendante et pluraliste. Dans ce sens, nous respectons quelques bonnes pratiques rappelées dans notre Charte d’éthique professionnelle, un document datant de 1918. Cette dernière indique que « le journalisme consiste à rechercher, vérifier, situer dans son contexte, hiérarchiser, mettre en forme, commenter et publier une information de qualité. En aucun cas, il ne peut se confondre avec la communication ».

Dans le cas présent, le dossier du Nouvel Observateur est intitulé « Les OGM sont des poisons », ce qui n’est pas démontré dans l’article puisque celui-ci fait référence à une étude qui ne concerne qu’un seul OGM. L’article d’ouverture est le compte-rendu de l’étude publiée dans Food and Chemical Toxicology. Suivent une interview de l’auteur de l’étude, Gilles-Eric Séralini, les bonnes feuilles de son livre et des photos. Le dossier se conclut par une interview de Corinne Lepage qui sort opportunément un livre sur l’étude et sur le problème des OGM. Curieusement, il n’est pas fait trop mention du documentaire qui suit.

Vous l’avez remarqué, le dossier ne présente aucune étude contradictoire, analyse ou prise de recul. Dans notre jargon, nous appelons cela un dossier de presse, soit un dossier remis par une institution ou entreprise de manière à « faciliter » le travail des journalistes, voire à orienter la rédaction d’articles. En aucun cas, je n’aurais accepté un tel article. Selon moi, cet article est, non pas un mensonge, mais un dossier de presse et je regrette qu’un hebdomadaire aussi sérieux que le Nouvel Observateur n’ait pris le conseil de Sciences et Avenir, appartenant pourtant au même groupe. Certains de nos confrères ne respectent pas nos bonnes pratiques, ce que nous ne pouvons que déplorer. J’ajoute pour terminer que je fais miennes les déclarations de Monsieur Huet. Merci Monsieur le Président.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’Université de Caen. – Pourquoi ne pas mettre en cause tous les articles…

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l’OPECST. – Je vous en prie. On doit s’écouter si l’on veut faire progresser le débat.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’Université de Caen. – Je serai très bref. Pourquoi ne pas mettre en cause tous les articles qui ont discrédité mon travail sans pourtant s’interroger les uns les autres ? Chacun a le droit de s’exprimer. Je ne comprends pas. Le débat n’a pas lieu seulement dans un article, mais dans la multiplicité des personnes qui ont discrédité mon travail.

M. Valéry Laramée de Tannenberg, président de l’Association des journalistes de l’environnement. – Je me suis uniquement attaché à décrire l’article du Nouvel Observateur, qui est un dossier qui a mis en valeur votre travail.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’Université de Caen. – Le Figaro a fait le contraire le même jour ou le lendemain.

M. Valéry Laramée de Tannenberg, président de l’Association des journalistes de l’environnement. – Cet article du Nouvel Observateur ne respecte pas les bonnes pratiques de mon travail. Je ne suis pas juge pour juger de la qualité de votre travail. En revanche, j’ai la prétention de savoir comment nous devons travailler. Si nous n’appliquons pas les bonnes pratiques qui sont décrites par plusieurs chartes de déontologie françaises, européennes et mondiales, nous ne faisons pas bien notre travail.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’Université de Caen. – Je comprends cela, mais de nombreux articles critiques n’ont pas fait leur travail en montrant des avis balancés.

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l’OPECST. – Le travail n’est pas discrédité quand il y a des critiques scientifiques. Comme je vous l’ai dit tout à l’heure, nous pourrions être les huissiers. Pour que des scientifiques et notamment des statisticiens puissent s’exprimer sur la fiabilité des tests, ils doivent disposer des données brutes. C’est ce que j’ai demandé tout à l’heure, en proposant que l’Office joue un rôle d’huissier pour ces données brutes.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’Université de Caen. – J’ai déjà dit oui, mais je désire qu’en même temps soit évalué… Mon travail n’a, en France, permis ni l’autorisation, ni l’interdiction d’un produit. Les tests ayant permis l’autorisation des mêmes produits ne vous intéressent-ils pas ? Pourquoi ne les demandez-vous pas ?

M. Jean-Yves Le Déaut, député de Meurthe-et-Moselle, premier vice-président de l’OPECST. – J’en ai parlé, j’ai commencé par cela.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’Université de Caen. – S’ils sont rendus disponibles sur un site public, je rendrai les miens disponibles.

Vous ne vous posez pas la question de la transparence des données relatives au Roundup et aux OGM. Pourtant, mes données contredisent ces données et vous me mettez au pilori. Une telle approche selon le principe « deux poids, deux mesures » est inacceptable. En science, quand on veut comparer, on compare. Ce n’est pas que je ne veux pas que mes données soient publiques, mais il s’agit de mon seul point de pression pour que soit rendu public ce qui a permis au NK 603 d’être un maïs autorisé en Europe et pour voir si les 50 effets statistiquement significatifs qui ont été observés dès 3 mois correspondent à ce que j’ai vu. Dès lors, on comprendra les différences d’interprétation des agences. Je ne veux pas seulement des interprétations, je veux que l’on compare les données brutes. Messieurs les journalistes, même si vous êtes en désaccord avec ce qui s’est passé, demandez les données brutes du Roundup et du NK 603, publiez-les sur vos sites Internet et vous aiderez à sortir de cette controverse. Je pense qu’il y a des problèmes graves dans ces données. Je peux me tromper, comme tout le monde sur cette terre, mais il faut que l’on arrête de parler d’une étude et que l’on parle des études qui ont permis les autorisations sur ce marché de cet OGM en particulier et des OGM en général et du Roundup en particulier.

M. Jean-Yves Le Déaut, député, premier vice-président de l’OPECST. –Nous allons faire une pause jusqu’à 17 heures 50.

La séance est suspendue pour une pause.

Nous allons maintenant tirer les conclusions de cette controverse afin d’identifier les conditions permettant une recherche et une expertise transparentes et de trouver une voie pour améliorer le dialogue entre science et société. Il a été question dans nos échanges d’une faillite de l’expertise alors que de bonnes conditions d’expertise sont indispensables pour améliorer le dialogue entre science et société.

Par ailleurs, j’ai indiqué que toute la presse avait mentionné le nom du laboratoire de Saint-Malo, à savoir C. Ris Pharma, alors que seul Mediapart a relayé cette information.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’Université de Caen. – Je l’avais bien noté. D’ailleurs, je ne confirme et n’infirme pas.

M. Jean-Yves Le Déaut, député, premier vice-président de l’OPECST. – Ce qui est à confirmer, c’est que seuls Mediapart et Ouest France l’ont repris. Je donne maintenant la parole à Monsieur Jean-François Dhainaut, Président du HCB.

B. Quelles conditions pour une recherche et une expertise transparentes ?

M. Jean-François Dhainaut, président du Haut Conseil des biotechnologies. – Permettez-moi de revenir sur un certain nombre de fondamentaux qui sont indispensables dans une discussion aussi animée que celle que nous menons. Il me semble essentiel de définir de manière distincte les notions de recherche transparente et d’expertise transparente.

Une recherche transparente est une recherche dont l’objectif, la méthodologie, l’ensemble des résultats et des conclusions sont connus et sont facilement consultables. Le nombre de revues sur le web est quelque chose d’extrêmement important pour la diffusion de l’information. De cette manière, ces informations peuvent faire l’objet de vérifications et de discussions au sein de la communauté scientifique dont les débats doivent également être accessibles.

Les recherches constituent des bases de données trop précieuses pour ne pas être partagées par l’ensemble de la communauté qui doit pouvoir effectuer des analyses collégiales quand cela est utile et cela vaut pour toutes recherches, que ce soit les travaux demandés aux pétitionnaires ou pour des travaux académiques. Cela ne devrait pas souffrir d’exceptions surtout lorsque les études portent sur la sécurité sanitaire ou environnementale. Il existe de nombreux exemples où la consultation et l’analyse de ces bases de données ont permis des avancées qu’aucun travail isolé n’aurait pu obtenir. Inversement, la non-transparence de données de plusieurs études a abouti soit à une découverte trop tardive d’évènements indésirables, soit à des alertes infondées. Les conditions d’une recherche transparente sont le libre accès à toutes les données des travaux scientifiques et à toutes les discussions qu’elles ont suscité dans la communauté scientifique.

De plus, la qualité et la légitimité de l’expertise nécessitent une grande transparence sur les liens d’intérêt et des procédures d’expertise collégiale.

Si la déclaration publique d’intérêt vise à identifier les liens qui existent entre les experts et les entreprises privées, la qualification des intérêts déclarés par les experts se heurtent à de nombreuses difficultés, à savoir : la diversité des liens sans montant financier déclaré ; la nature des liens pertinents d’intérêt à déclarer qui ne se limitent pas à l’industrie ; la qualification des liens d’intérêt et la potentielle contradiction qui existe entre compétence et indépendance ; la complexité d’analyse qui suppose une connaissance approfondie du secteur économique correspondant ; la difficulté parfois de concilier le principe de transparence et le respect du secret industriel ; la gestion délicate des conflits d’intérêt en séance qui doit reposer sur une procédure de bonne pratique adoptée de façon collégiale.

De telles procédures sont cependant indispensables pour restaurer la confiance dans l’expertise.

En outre, le respect du principe du contradictoire et la possibilité d’expression des avis divergents sont également considérés comme les fondements de l’expertise collective. La recherche du consensus comme l’expression systématique d’avis divergents ne sont pas des objectifs en eux-mêmes, mais la possibilité de garantir l’expression d’avis divergents, que ce soit à travers la composition initiale d’un groupe d’experts intégrant la diversité des opinions et/ou des disciplines concernées ou à travers une procédure permettant de faire apparaître des divergences éventuelles lors des séances, constitue naturellement un gage de qualité et de transparence de l’expertise collective. La transparence externe nécessite que tous les comptes rendus soient mis en ligne, incluant les motivations des avis minoritaires.

Finalement, c’est cette expertise collective transparente qui est la meilleure garante de la qualité, c’est la rigueur de la discussion critique de la littérature scientifique et des données soumises qui est menée au sein du collectif d’expertise. Ces discussions doivent être menées de façon approfondie, sans s’abandonner aux facilités de la logique d’autorité. Les experts doivent également disposer des moyens suffisants pour procéder aux vérifications nécessaires. De plus, ils doivent expliquer leurs évaluations et leurs conclusions à la lumière des données objectives disponibles.

Certes, la gestion des conflits d’intérêts est importante mais il faut également donner aux collectifs d’experts les moyens d’effectuer leur expertise et le temps nécessaire pour travailler sereinement et efficacement.

M. Paul Deheuvels, membre de l’Académie des sciences, professeur à l’Université Pierre et Marie Curie. – Ce que vous venez de dire est, sur le plan philosophique et intellectuel, absolument magnifique, sauf que les hommes sont des hommes, et je vois partout, y compris dans d’autres domaines que celui dont nous parlons aujourd’hui, des groupes constitués de personnes qui s’efforcent d’empêcher que des vérités différentes de celles qu’ils admettent voient le jour. C’est une histoire vieille comme le monde, et nous devons prendre acte de l’existence, dans toutes les disciplines, de corps constitués, pour ne pas dire de mafias, qui font systématiquement tout ce qu’ils peuvent pour empêcher d’autres équipes scientifiques de publier leurs travaux, pour peu que ces derniers ne soient pas conformes à ce qu’ils pensent. Cela arrive aussi d’ailleurs pour d’autres raisons moins avouables.

Nous ne vivons certes pas dans un monde parfait, et si nous voulons que la science progresse, nous devons permettre la surgescence d’idées qui n’entrent pas dans la ligne « politiquement correcte » suivie par la majorité, comme par les groupes dominants. Ces derniers disposent du pouvoir scientifique, et gèrent les crédits de recherche, faute desquels rien ne peut être fait. Empêcher cette surgescence en procédant à une gestion de la recherche trop directive, ou basée sur un consensus collectiviste, ne pourrait que conduire à l’échec, ne serait-ce que par la stérilisation des idées originales.

Se pose également le problème de la saine concurrence entre équipes de recherche. Une trop grande transparence dans les publications nuirait à la confidentialité des travaux. Celle-ci est nécessaire, comme elle l’est dans l’industrie, où il serait impensable de transmettre, en temps réel, des secrets de fabrication à ses concurrents. La description irénique que vous avez faite de la science serait parfaite si la science était parfaitement honnête, composée de groupes aimablement structurés, de personnes animées en permanence de bonnes intentions. J’ai bien peur que ce soit loin d’être le cas.

M. Jean-Yves Le Déaut, député, premier vice-président de l’OPECST. – Merci beaucoup. Monsieur Godard, vous avez la parole.

M. Olivier Godard, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). – Vous m’avez demandé d’aborder la question de la transparence de la recherche et de l’expertise scientifique. Il existe trois manières d’appréhender cette idée de transparence.

La première manière consiste à imaginer que chercheurs et experts puissent devenir transparents au point de disparaître dans la relation entre le public et l’accès à la connaissance. Il est en fait illusoire de croire que le public pourrait avoir un accès direct à la compréhension de ce qui a été établi par la science. Il s’agit d’une illusion car nous savons que pour interpréter correctement une photo ou un tableau de chiffres le public a encore besoin d’experts. Les experts sont en effet indispensables pour éviter ainsi les manipulations autour des données brutes.

La seconde manière serait de demander aux experts et aux chercheurs d’exposer dans le détail tous leurs concepts, leurs théories ou leurs hypothèses, mais aussi de livrer toutes leurs données brutes. Je vous laisse imaginer la quantité d’informations que le public devrait alors absorber s’il devait avoir accès à ce « tout ». Une sélection est indispensable. De toute façon le sens de ces données brutes est inaccessible au grand public. La transparence totale sur « tout » est un mythe. Dans le cadre d’un débat spécialisé entre collègues, les chercheurs ont naturellement à livrer les éléments critiques, les protocoles, les données pertinentes. Imaginez que les climatologues aient à livrer toutes les données brutes de leurs simulations qui peuvent prendre plusieurs semaines de traitement sur les ordinateurs les plus puissants disponibles. Qu’en ferait le public ? Les chercheurs doivent certainement expliquer les grandes lignes de leur démarche mais il n’est pas possible pour le profane de faire l’économie d’une relation de confiance. Cette confiance ne peut venir que de l’assurance que l’expertise a été conduite dans le respect de règles de procédures bien ajustées et effectivement suivies. Cela demande notamment une transparence sur le cadrage de l’expertise, c’est-à-dire l’ensemble des questions posées aux experts, les limites du périmètre assigné à cette expertise, l’échéance qui lui est fixée pour remettre leur rapport et aussi les indications sur le mode de raisonnement pertinent à adopter par les experts du point de vue de l’usage de l’expertise par la décision, en particulier pour le traitement des incertitudes et des risques d’erreur et pour les conditions de validité des recommandations éventuellement faites.

La troisième manière de comprendre la transparence est d’exiger la publicité de l’avis, y compris d’avis minoritaires lorsqu’il en existe, ce qui est la pratique désormais admise. Je ne vais pas commenter davantage ce troisième point.

En revanche il y a une question qui importante : « faut-il rendre publique l’intégralité des débats menés au sein des comités d’experts ? ». C’est-à-dire mettre des caméras vidéo et des enregistreurs partout. Certains le proposent, d’autres le font au nom du droit à l’accès aux documents administratifs, mais selon moi cette évolution est de nature à porter fortement atteinte à la qualité de l’expertise collective en altérant la profondeur et l’efficacité de la discussion au sein de ces comités.

En effet, la valeur ajoutée de l’expertise collective réside dans la discussion rigoureuse menée au sein du groupe d’experts. Cette discussion doit pouvoir enrichir les analyses et positions initiales des experts et ces experts doivent avoir la possibilité psychologique d’en changer et de s’inscrire dans une perspective d’apprentissage. C’est ce processus d’apprentissage collectif au sein du groupe qui peut converger sur un avis qui engage le collectif. Ce processus serait bloqué si par une surveillance vidéo les experts étaient amenés à se comporter comme s’ils intervenaient dans un forum public dans lequel ils devraient défendre une position définie d’avance.

Il existe en fait une confusion entre deux modalités d’interaction entre experts et profanes. La première est l’expertise collective débouchant sur un avis rendu public ; la seconde est le témoignage public d’experts devant un tiers – un auditoire, un jury - qui juge de la vraisemblance et de la qualité des arguments entendus. À mon avis, cette confusion révélée par les débats sur la transparence témoigne de l’influence excessive prise par une logique médiatique qui veut tout savoir et tout révéler mais aussi par la manière de penser des juristes autour de la figure du procès. Or l’expertise collective relève d’une éthique de la discussion et non d’une éthique du procès mettant en présence les avocats des parties opposées et une instance de jugement.

La transparence a également une importante dimension politique. Vouloir la transparence, c’est vouloir combattre les faux-semblants, les trompe-l’œil ou les manipulations. Cela implique la reconnaissance de l’existence d’ordres différents et le respect de l’éthique propre à ces différents ordres.

Ainsi il ne revient ni aux médias, ni à l’industrie, ni aux ONG, ni aux politiques de dicter les bonnes pratiques dans le domaine des études toxicologiques. Symétriquement, les propos que des scientifiques tiennent dans les media destinés au grand public, même si les signataires sont nombreux ou se réunissent pour pétitionner, ne relèvent pas du débat scientifique ou de l’expertise en tant que tels et ne doivent pas être pris pour ce qu’ils ne sont pas. Comme les autres professions, les chercheurs peuvent être emportés par leurs engagements sociaux ou idéologiques ou par leurs intérêts. Je citerai par exemple un texte récent intitulé « Science et conscience » signé par plus d’une centaine de chercheurs. Ils y affirment à propos de l’étude Séralini qu’« en tout état de cause, disqualifier le protocole suivi dans le cadre de cette étude revient à disqualifier du même coup les données ayant fondé les décisions d'acceptation des OGM par les experts. Il est remarquable de voir ces mêmes experts accepter (même s'ils le critiquent parfois) un protocole expérimental quand il donne des résultats qui vont dans le sens de l'acceptation d'une technique et le démolir aussi ardemment quand les résultats vont dans le sens opposé. Ceci est à notre avis totalement contraire à toute déontologie scientifique. »

Cette argumentation est totalement fallacieuse et la déontologie scientifique est ici convoquée à bien mauvais escient. Les signataires de ce texte se livrent ici, en pleine connaissance de cause peut-être pour les rédacteurs ou à leur insu pour ceux qui l’ont signé sans trop faire attention, à une manipulation de l’opinion, d’autant plus qu’ils impliquent la déontologie scientifique dans la corruption de leur argumentation. Voici pourquoi.

Tout scientifique familier des tests statistiques sait que les éléments de preuve ne sont pas les mêmes selon que l’accent est mis sur l’évitement des « faux négatifs », cas d’effets réels non repérés par un test, ou des « faux positifs », cas où l’on croit avoir repéré des effets là où il n’y en a pas. Prendre une souche de rat qui développe spontanément des tumeurs pour un test à 90 jours est pertinent et équilibré pour éviter suffisamment les « faux négatifs » sans avoir une pollution des résultats par des « faux positifs ». Si aucun effet négatif ou aucun signe précurseur que de tels effets pourraient exister ne sont constatés, il est légitime d’en tirer une forte présomption d’absence d’effet et d’arrêter là les tests. Il ne s’agit cependant pas d’une preuve d’absence d’effets car aucun test, par construction, ne donnera cette preuve, compte tenu des limites de tout test. La sécurité ne peut pas se définir à partir d‘une exigence de preuve de l’innocuité : cette idée est fallacieuse car inaccessible à un savoir scientifique.

Prolonger les tests sur deux ans comme l’a fait l’équipe Séralini implique d’exposer à un grand nombre de « faux positifs ». Pour aboutir à la démonstration d’un effet spécifique réellement attribuable à la substance testée, il est alors nécessaire d’augmenter la puissance statistique du test, c'est-à-dire la taille des échantillons et tout particulièrement la taille du groupe témoin en fonction du nombre d’hypothèses testées distribuées sur les différents groupes. C’est d’ailleurs ce que réclamaient les protocoles internationaux en matière de tests et c’est ce qui a été mis en évidence par les comités d’experts des agences qui ont examiné cette publication. C’est ce que n’a pas fait l’équipe Séralini et ce qui invalide les conclusions qu’on peut en tirer sur l’existence d’effets pathologiques des substances testées.

Dans ce cas d’espèce, où se situe la transparence ? Afin de limiter les possibilités de manipuler le public, il est manifeste que la transparence qui importe le plus est celle qui vise la méthode scientifique et ses justifications, d’autant plus que des scientifiques eux-mêmes peuvent en venir à jouer de l’ignorance du public en la matière.

Ce qui me trouble beaucoup est qu’en dépit du rejet unanime par toutes les agences d’expertise françaises, européennes et internationales qui se sont saisies de ce dossier, l’impression a quand même prévalu chez un certain nombre de chercheurs, dans les médias, parmi les ONG, chez des responsables politiques, en particulier des députés, que l’étude Séralini présentait une base solide pour asseoir le doute sur l’incidence sanitaire du NK 603 et du Roundup. Tout se passe comme si cette équipe avait scientifiquement tort, mais politiquement raison ! Cela témoigne d’une dérive, que je trouve inquiétante, du fonctionnement politique de notre société dans son rapport à la science.

J’ai été surpris et choqué d’entendre des députés affirmer leur total soutien à cette étude, ignorant les évaluations rendues par les agences d’expertise, sortant ainsi complètement de leur ordre de compétence. J’ai été pareillement surpris et choqué de voir le Comité économique, éthique et social du HCB demander déjà une nouvelle étude fiable et rigoureuse des éventuels risques sanitaires liés au maïs NK603, alors que le Conseil scientifique du HCB a priori compétent pour ce type de questions, a décidé de prendre le temps de la réflexion pour déterminer s’il y a lieu de faire évoluer une nouvelle fois les procédures d’évaluation des risques biotechnologiques. Des chercheurs qui ne sont pas spécialistes de ces problèmes, des ONG, des politiques demandent des études de « long terme » sur les risques du NK603 et des OGM en général. Est-ce suffisant pour que, séance tenante, sans autre instruction du dossier, les protocoles soient modifiés et de nouvelles études soient engagées ? Pourquoi faudrait-il que ces caprices justifiés par le souci de plaire à l’opinion soient financés sur fonds publics ? Aucune étude ne sera suffisante pour épuiser la soif de ceux qui veulent tout savoir ou pour calmer la vindicte de ceux qui se sont engagés dans un combat d’opposition aux biotechnologies qui est devenu imperméable aux évaluations scientifiques. Il est possible que des études toxicologiques doivent être menées au-delà de 90 jours. Peut-être n’est-ce pas vraiment utile. Il appartient aux spécialistes de le déterminer, comme il est nécessaire de se demander pourquoi il faudrait absolument faire de la surenchère d’études sur les OGM et se contenter d’études sommaires pour toutes les autres techniques de changement génétique des variétés cultivées, y compris les procédés classiques de sélection variétale. Il existe une asymétrie de traitement absolument choquante du point de vue de l’exigence de cohérence dans l’objectif de sécurité. Il importe de réfléchir aux critères permettant de déterminer où s’arrêter dans les évaluations et tests précédant les autorisations, en tenant notamment compte de la question du coût et des délais associés à ces études, déjà bien plus élevés en Europe que dans d’autres régions du monde.

Pour y voir plus clair sur une base scientifique, il me semblerait opportun d’organiser une conférence de consensus entre professionnels compétents pour faire le point sur les méthodologies et les champs d’application de l’ensemble de ces études de risques et déterminer les besoins éventuels de révision des protocoles.

Un dernier point. Nombreux sont ceux qui expriment la revendication d’une indépendance de l’expertise. Si l’on veut aller jusqu’au bout de cette demande, on doit noter que l’ANSES, dont les comités d’expertise qui font certainement un bon travail rigoureux, n’est pas une agence institutionnellement indépendante. Son conseil d’administration et son directeur sont en effet nommés par les autorités publiques ; les représentants de l’administration ont plus de 50 % des sièges du conseil d’administration et le directeur peut être démis sans délai de ses fonctions s’il ne convient pas au pouvoir politique en place. Il conviendrait donc de reprendre la réflexion sur le statut de l’ANSES afin qu’elle que cette agence puisse assurer ses missions de service public de manière institutionnellement indépendante, à la manière, par exemple, d’une autorité comme la Banque centrale européenne. Je vous remercie.

M. Jean-Yves Le Déaut, député, premier vice-président de l’OPECST. – Merci, Monsieur Godard, pour votre suggestion. L’ANSES a été créée et ses statuts ont été modifiés. Il est vrai qu’une agence du type de l’Autorité de sûreté nucléaire est plus satisfaisante, dans la mesure où des commissaires sont nommés et où le Président de l’ASN passe devant le Parlement et peut être récusé.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’Université de Caen. – La science de mon étude a encore une fois été remise en cause après un discours qui pouvait être accepté. Je voudrais rappeler que la souche recommandée même pour les études de cancérogénèse par le National Toxicology Program est le rat Sprague Dawley et qu’il n’existe aucune norme OCDE sur les OGM puisqu’il n’existe même pas de test obligatoire de trois mois, ce qui, à mon avis, est un scandale.

M. Jean-Yves Le Déaut, député, premier vice-président de l’OPECST. – Il existe tout de même une norme OCDE sur l’exécution des tests. Je l’ai vue.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’Université de Caen. – Certes, mais pas sur ce qu’il faut faire avec des tests de nutrition avec des OGM. Même sur ces tests à long terme (452, 453), notre étude n’étant pas une étude de cancérogénèse, elle devrait être faite lorsque l’on a un soupçon avéré de tumeur, ce que nous n’avions pas, les groupes doivent être composés d’au moins dix rats pour mener des études statistiques poussées en biochimie. Nous avons suivi ces recommandations et à ce titre ces statistiques ne sont pas contestables.

En outre, vous semblez focaliser sur les tumeurs alors qu’il existe des pathologies hépatorénales y compris chez les femelles et des problèmes de déséquilibre des hormones sexuelles. Cela paraît évident.

Ensuite, il est inacceptable qu’aujourd'hui, l’ensemble de la communauté scientifique n’ait pas accès aux analyses de sang sur les tests à 90 jours parce que, là, même les pétitionnaires peuvent admettre qu’il y a 50 effets significatifs au bout de 90 jours pour voir si cela correspond aux miens ou pas, de façon à ce que nous puissions sortir de ce dilemme. Il convient d’exiger la transparence pour tous les tests similaires menés avec la même souche et sur le même nombre de rats, avec des durées différentes certes, mais nous, nous avons des checkpoints à chaque mois, donc nous pouvons comparer les effets à 3 mois. Donnons tout, sortons de ce dilemme et arrêtez de faire comme si nous n’avions pas respecté des normes qui n’existent pas !

Mme Dominique Parent-Massin, présidente de la Société française de toxicologie. – Je crois qu’il existe une confusion concernant la demande de données brutes. Quand les agences demandent les données brutes aux auteurs de l’étude, ils ne demandent pas de les publier, ils demandent aux auteurs des études de les fournir aux agences afin de pouvoir mener une expertise de qualité et tout citoyen européen peut demander à l’EFSA les études avec tous les détails et les données brutes.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’Université de Caen. – Elles n’ont pas celles du Roundup par exemple.

Mme Dominique Parent-Massin, présidente de la Société française de toxicologie. – Je ne vous ai jamais interrompu, Monsieur Séralini.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’Université de Caen. – Je l’ai fait, et cela ne marche pas.

Mme Dominique Parent-Massin, présidente de la Société française de toxicologie. – Vous avez demandé à l'EFSA les données brutes du dossier du maïs transgénique NK 603. Elles vous ont été envoyées et vous les avez reçues. Tout le monde peut avoir ici les études. S’agissant des souches, il est possible d’utiliser différentes souches de rat. Le National toxicological program que vous avez cité utilise des Fisher et non des Sprague Dawley, mais quand on utilise les différentes souches, on tient compte des données spontanées. Quand on utilise la souche Sprague Dawley en cancérologie, on tient compte de l’apparition de 50 à 60 % de tumeurs spontanées.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’Université de Caen. – Je répète une nouvelle fois qu’il ne s’agissait pas d’une étude de cancérologie mais bien d’une étude de toxicologie long terme. Les données historiques ne tiennent pas compte du contenu en OGM et en pesticides.

Mme Dominique Parent-Massin, présidente de la Société française de toxicologie. – Vous n’avez pas appliqué les lignes directrices de l’OCDE !

M. Jean-Yves Le Déaut, député, premier vice-président de l’OPECST. – Votre étude n’aurait certainement pas eu le même retentissement si l’accent avait été mis sur les données hépatites ou sanguines plutôt que sur les tumeurs. Il est vrai cependant qu’à aucun moment, vous n’avez employé le mot de « cancer », mais à partir du moment où vous montrez à la télévision et dans les journaux une tumeur, l’impact est très fort sur l’opinion publique. Vous n’avez pas dit, c’est vrai…

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’Université de Caen. – Quoi donc ?

M. Jean-Yves Le Déaut, député, premier vice-président de l’OPECST. – Vous n’avez pas dit qu’il y avait un phénomène de cancérisation.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’Université de Caen. – Certains rats ont en effet développé des tumeurs. Nous nous devions de publier les données de mortalité et les données de tumeurs brutes puis de montrer les pathologies les plus fréquentes. Les journalistes sont ensuite libres de reprendre les éléments qu’ils souhaitent. Pour moi, il n’y a pas de haute commission pour régler ce que font les journalistes.

M. Jean-Christophe Pagès, président du Conseil scientifique du HCB. – Une différence statistique sur le plan de la biologie ne révèle pas forcément une anomalie. Il peut y avoir des différences statistiques sur la valeur du sodium chez ces rats alors que les deux valeurs sont dans la norme des rats. La physiologie doit être interprétée mais vos interprétations sont complètement erronées.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’Université de Caen. – Avant de dire « la norme des rats dans leur ensemble », je sais bien que c’est le critère qui vous fait dire que l’on ne voit rien dans l’étude de Monsanto, mais il faut d’abord comparer aux contrôles de l’expérience qui sont élevés dans les mêmes conditions, sinon la norme des rats dans leur ensemble ne veut rien dire car on n’a pas suffisamment de données comme dans l’épidémiologie humaine.

M. Jean-Yves Le Déaut, député, premier vice-président de l’OPECST. – Monsieur Chateauraynaud, vous êtes directeur d’études à l’EHESS et directeur du groupe de sociologie pragmatique et réflexif. Vous avez la parole.

M. Francis Chateauraynaud, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), directeur du Groupe de sociologie pragmatique et réflexive (GSPR). – Les échanges sont d’une extraordinaire densité. En premier lieu, j’aimerais rappeler la polémique suscitée par un article publié fin 1995 par Science et Vie avec pour titre « cancer et nucléaire ». Derrière, il y a eu une étude d’épidémiologie menée par Jean-François Viel qui a été publiée dans le British Medical Journal. Il s’agit de leucémies et d’une étude bio-statistique sur le Cotentin avec une nouvelle méthode statistique et des systèmes de recherche de populations exposées en zoomant progressivement par zones concentriques. Effectivement, il y avait un facteur 4, et cela a suscité d’intenses controverses sur la manière de mener les études et de communiquer les résultats. En fait, nous commençons à avoir une histoire longue de ces affaires de controverses ratées ou de conflits réussis. Peut-être serait-il temps de dresser un bilan des expériences passées et de disposer enfin d’une histoire collective à l’échelle nationale et internationale des controverses sanitaires, environnementales ou technologiques. Je trouve que nous avons des pertes de mémoire assez remarquables, y compris sur un même dossier.

J’attire votre attention sur un rapport remis en novembre 2010 à l’ANR que presque personne n’avait ouvert avant les conclusions de l’étude Séralini. Intitulé « Les OGM entre régulation économique et critique radicale » il revient sur 25 années de controverses. Son chapitre 11 avait déjà pour titre : « une controverse impossible ? Le cas Séralini », et décrivait les difficultés à poser un espace commun d’argumentation, de construction des instruments, des données et des preuves.

Du coup, on peut s’étonner de cet effet de retour de l’histoire. S’agissant des OGM, il sera donc difficile de faire table rase du passé et de recommencer une controverse comme si nous étions dans un monde idéalisé. Il existe une longue histoire, les positions se sont cristallisées et il sera difficile de faire ce qu’un philosophe appelle de la révision des croyances. Il existe un point de basculement – ce que les Anglo-saxons appellent un turning point –
au-delà duquel il est difficile de fabriquer de l’accord entre savants et d’échanger des arguments. Nous aurons des acteurs porteurs d’arguments, mais les acteurs compteront davantage que les arguments. Le nombre de signataires des pétitions deviendra plus important que le contenu de ce qui est dit.

Nous basculons de l’épreuve de légitimité scientifique vers une épreuve de force et la première chose à faire collectivement est de tirer les leçons du passé. Je crois que l’Office le fait d’une certaine manière. Mais l’affaire OGM nous oblige à réfléchir aux moyens de collectiviser l’immense casuistique accumulée depuis des décennies autour des risques.

Sur la question des mots d’ordre concernant l’expertise, dans un entretien publié dans La Recherche en 1998 et intitulé « Pour une agence de l’expertise scientifique », Marie-Angèle Hermitte prévoit qu’à terme des experts pourraient être mis en cause ou condamnés, ce qui est actuellement le cas des sismologues italiens. Une de ses propositions est de mettre en place une agence de l’expertise qui assurerait l’organisation du contradictoire. Si la confrontation des thèses en présence se cristallise sur des oppositions fondamentales (ou « deep disagreements »), il est alors nécessaire de faire intervenir un tiers, un supérieur commun, pour reprendre un concept de philosophie politique, afin d’arrêter la dispute en et de la trancher. À cet égard, l’introduction du ministre de l’Agriculture est frappante puisqu’il estime qu’il s’agit avant tout d’un problème de conflit entre des modèles agricoles. Il semblerait que, de son point de vue, cette question soit déjà tranchée.

Actuellement chez les parlementaires est en œuvre un processus de construction législatif d’un texte sur l’alerte et l’expertise, avec en fond un projet de Haute autorité de l’alerte et de l’expertise que quelqu’un comme André Cicolella notamment appelle de ses vœux. En 1996, mon laboratoire avait posé ce concept de lanceur d’alerte, à partir de l’analyse approfondie des affaires de vache folle, d’amiante ou de nucléaire. La protection du lanceur d’alerte est importante mais il est aussi décisif en effet de voir quel type d’expertise peut être organisé lorsqu’une alerte est prise au sérieux.

Il me semble que, dans nos affaires, il existe quatre formes de dispositifs qui peuvent assurer à peu près les quatre conditions rappelées d’ailleurs par le Conseil économique, éthique et social du HCB : indépendance, transparence, pluralisme et contradictoire.

Force est de constater que de nombreux dossiers se traitent désormais devant les tribunaux et que les vérités qui sont alors exprimées ne sont pas forcément triviales. Sheila Jasanoff, une sociologue, juriste et philosophe américaine, a montré que, parfois, les scientifiques étaient amenés à approfondir leurs recherches pour répondre aux contraintes de preuves attendues par les juristes, qui n’étaient pas nécessairement celles qu’attendraient des programmes de recherche comme ceux que financent l’ANR ou l’Europe à travers les FP7.

Le modèle expertise/contre-expertise fonctionne, mais à quelles conditions ? Nous avons plusieurs cas, déjà avec le CRIGEN d’ailleurs, ou avec Greenpeace sur d’autres dossiers.

Un autre modèle important est celui de l’expertise collective. On réunit un maximum de gens compétents de façon à organiser la liste des connaissances établies, des points controversés ou des zones d’incertitude. La première expérience en France fut le rapport d’expertise collective sur l’amiante coordonné par l’INSERM en 1997. À l’échelle internationale il y a évidemment le GIEC. Depuis de multiples expertises collectives ont eu lieu. Avec à chaque fois le problème de la liste des participants, de la gestion des points de vue minoritaires et de la place laissée aux acteurs qui contestent l’expertise officielle.

Il existe également un modèle d’expertise distribuée. Dans ce cadre, plusieurs acteurs en concurrence produisent des expertises sans nécessairement se coordonner. Des instituts de recherche, des agences, des ONG contribuent à produire une expertise distribuée entre une multiplicité d’acteurs. Nous assistons alors à un déplacement de la connaissance qui circule sans qu’il existe forcément une confrontation directe.

Enfin, il y a une forme d’expertise revendiquée par de nombreux acteurs dont des ONG, une expertise participative qui intègre des acteurs qui n’ont pas a priori la légitimité scientifique pour participer à la controverse. Or très souvent par le simple fait de poser des questions qui n’avaient pas été posées, ces acteurs profanes, ou ces représentants de la société civile font avancer considérablement les dossiers – comme c’est le cas avec les conférences de citoyens par exemple.

Pour qu’un dossier puisse trouver son chemin et pour que puissent émerger les lignes de consensus ou d’accord qui font défaut, il est nécessaire de faire jouer ces différents modèles d’expertise, sans nier ou recouvrir les sources de conflit. Si les médias ne surgissent qu’une fois que toutes les formes d’expertise ont été explorées, on n’aura pas les mêmes phénomènes d’explosion polémique. Le problème est que très souvent les causes ne passent pas dans ces différents dispositifs, faute d’être prises au sérieux, ce qui conduit à un point de basculement vers une situation irréversible.

Dans tout ça, de manière sous-jacente, se pose la question de la recherche publique. Il existe un nombre croissant de consortium et de partenariats publics/privés. Récemment, le Président de la République nous a invité à nous orienter encore davantage vers ces modèles de fonctionnement. Se pose alors la question du partage sans lequel naissent les conflits d’intérêts dont on a vu les effets, et il est donc nécessaire de procéder à des choix clairs de programmation de la recherche et des financements publics de façon à assurer l’indépendance de l’expertise.

C. Quelles voies pour l’amélioration du dialogue entre science et société ?

M. Marc Mortureux, directeur général de l’ANSES. – Je tiens d’abord à vous remercier de nous avoir réunis car je pense que nous manquons terriblement en France de cette culture de débat, notamment sur les sujets sur lesquels il est nécessaire de progresser ensemble.

L’ANSES est au cœur de la problématique de la relation entre science et société, son rôle étant de créer les conditions permettant de redonner de la crédibilité à l’expertise scientifique. Nous devons apporter de manière complète et objective tous les éléments de nature scientifique aux décideurs afin de les aider dans la gestion des risques. Notre rôle ne consiste pas à rassurer ou à inquiéter mais uniquement à informer.

L’ANSES permet de disposer d’un modèle qui concilie une très grande rigueur scientifique, un process scientifique indépendant de toute pression et une ouverture à l’ensemble des acteurs de la société tant en amont qu’en aval de ce processus scientifique.

Dans le cadre de l’étude Séralini, nous avons essayé de mettre en place ces éléments avec la constitution d’un groupe d’experts scientifiques. Notre travail ne doit pas être celui d’un comité de relecture mais nous devons resituer une étude dans un ensemble plus large. Nous avons également souhaité procéder à une restitution à l’ensemble des parties prenantes.

Notre volonté est d’afficher une certaine neutralité et de discuter avec les acteurs sur les suites à donner. Nous prenons du recul et nous ne prenons pas partie. L’agence n’a d’ailleurs pas communiqué durant le processus d’élaboration de son avis, gage de sa crédibilité.

Le modèle que nous avons su instituer suscite un grand intérêt à l’étranger. Il s’articule notamment autour de l’indépendance de l’expertise scientifique. Il ne s’agit pas uniquement de prévenir les conflits d’intérêts, même si à ce niveau nous avons mis en place de nombreuses règles avec un comité et un code de déontologie. Ainsi, avant chaque réunion de collectifs d’experts, pour chaque point de l’ordre du jour, l’Agence s’engage à examiner les risques de conflit d’intérêts. Nous ne laissons pas à l’expert la responsabilité d’identifier d’éventuels risques. De plus, si des risques sont identifiés, l’expert ne participe ni aux débats ni aux délibérations.

S’agissant de la méthodologie d’expertise, les attentes en matière de transparence ne portent pas uniquement sur les résultats mais également sur les méthodes employées. Il s’agit pour nous d’un sujet de travaux permanents. Le développement des méthodologies, l’apport des sciences humaines et sociales, la nécessité de faire apparaître explicitement les avis minoritaires sont des éléments essentiels.

L’indépendance de l’expertise passe également par la diversité des sources d’information. Il est ainsi apparu dans le cadre de l’étude que nous avons menée qu’il existait très peu de données scientifiques disponibles sur les études long terme. Il importe donc de mieux documenter ce type de sujets. À ce titre, il semble opportun, dans des cas particuliers qui suscitent des questionnements sur le plan sanitaire, d’être en mesure de mobiliser des financements pour mener des études d’envergure comme c’est le cas aux États-Unis.

Enfin, la question de l’ouverture de l’expertise est centrale. À cet égard, nous avons d’ailleurs signé une charte d’ouverture de l’expertise aux acteurs de la société civile et nous avons mis en place une gouvernance originale qui est construite sur la base des cinq collèges du Grenelle de l’environnement et avec des parties prenantes qui ont une part active, tant en amont qu’en aval de l’expertise scientifique (capacité d’auto-saisine, participation à l’élaboration de nos priorités dans le programme de travail, efforts de restitution pour contribuer au débat public). Cette attitude globale d’ouverture ne se traduit pas par la garantie du risque zéro mais par la garantie du zéro mépris. Elle nous permet d’être à l’écoute et d’identifier les signaux et ainsi de nous prémunir de l’un des grands risques auquel une agence de sécurité sanitaire est soumise, à savoir le risque d’accoutumance.

M. Jean-Yves Le Déaut, député, premier vice-président de l’OPECST. – Je donne tout de suite la parole à Mme Christine Noiville, Présidente du Comité économique, éthique et social du HCB. Nous nous connaissons depuis très longtemps. Nous avons participé à des débats sur les OGM il y a fort longtemps.

Mme Christine Noiville, présidente du Comité économique, éthique et social (CEES) du HCB. – En effet, nous n’avons pas le sentiment que grand-chose ait changé.

M. Jean-Yves Le Déaut, député, premier vice-président de l’OPECST. – Le CEES est un comité que nous avons créé par la loi de 2008, et que j’avais demandé dans l’un des premiers rapports sur les OGM il y a très longtemps. Certains le décrient, mais pour ma part, j’y suis allé et je remercie Christine Noiville d’avoir organisé cette confrontation qui est très difficile.

Mme Christine Noiville, présidente du CEES. – Merci de me remercier. Je pense qu’il serait intéressant de dresser un jour un bilan du fonctionnement de ce Comité, mais donnons-nous le temps de le faire.

Je voudrais revenir sur trois points.

Le premier concerne la teneur de la recommandation du CEES sur la saisine Séralini. Étant interrogé dans le cadre de cette table ronde sur le dialogue entre la science et la société, le CEES constitue, de ce point de vue, un poste d’observation privilégié puisqu’il s’agit d’un comité de parties prenantes qui siègent aux côtés du comité scientifique.

Le CEES a compris que cette étude n’était pas conclusive mais que ses conclusions ont généré la confusion la plus totale dans l’esprit des citoyens, et ce d’autant que la question relative à la durée des études de toxicologie à 90 jours est posée depuis plus de 15 ans et fait l’objet d’une controverse et d’un conflit sans que les scientifiques ne parviennent à se mettre d’accord. Une telle situation est incompréhensible pour le public, comme le disait Monsieur Alberganti.

Dans ce contexte, le CEES propose de mener une étude à long terme sur le NK603 sous l’égide des pouvoirs publics et dans une perspective contradictoire, où des scientifiques travailleraient ensemble et non les uns contre les autres. Ce fonctionnement suppose peut-être de mobiliser d’autres scientifiques, comme l’a laissé entendre Francis Chateauraynaud tout à l’heure.

Je précise que cette recommandation a été rendue à l’unanimité des membres qui siègent actuellement au CEES. Il est vrai que cinq organisations ont démissionné il y a neuf mois, mais une recommandation similaire avait été rendue à l’unanimité précédemment.

Le second point est exprimé à titre personnel. Il me semble nécessaire d’encadrer correctement les alertes environnementales et sanitaires afin d’éviter que les lanceurs d’alerte ne procèdent selon une logique du scandale médiatique, quelles que soient les raisons qui peuvent les y pousser. La société fait en effet les frais de ces alertes en se trouvant en permanence exposée sans ménagement à un discours anxiogène. Certes, il est indispensable que le public soit informé du fonctionnement de la science, y compris au travers des controverses, mais il n’est pas acceptable qu’il soit pris en otage de messages anxiogènes. Il est nécessaire de mettre en place un système qui canalise les alertes ainsi qu’une autorité qui les instruise correctement.

Le troisième point concerne le problème de confiance qui existe vis-à-vis de la manière dont est organisée l’expertise scientifique non seulement sur ce sujet, mais également sur d’autres (médicaments, produits chimiques…). La société, me semble-t-il, comprend en effet de moins en moins le dispositif règlementaire selon lequel les expertises sont réalisées par les entreprises elles-mêmes et seulement supervisées par les agences et autres instances publiques. Ce système tend à produire de la défiance. Il importe donc, à mon avis, de mener une réflexion sur les propositions émises depuis quelques années par l’ANSES notamment. Les agences publiques doivent disposer de moyens pour réaliser leurs propres études. À ce niveau, pourrait être mis en place un fonds administré par la puissance publique et financé par les entreprises permettant de réaliser un certain nombre d’expertises.

M. Jean-Yves Le Déaut, député, premier vice-président de l’OPECST. – Merci. Je voudrais pour terminer donner la parole à Jean Masson, l’ancien Président de l’INRA de Colmar, qui, dans le cadre d’une expérimentation plein champ sur la vigne à Colmar, a essayé en vain d’instaurer un dialogue entre science et société. Ses essais ont été détruits alors qu’ils avaient pourtant été acceptés dans un dialogue préalable. Je vous laisse la parole pour expliquer combien il est difficile d’organiser le dialogue sur un sujet où il existe des religions bien établies.

M. Jean Masson, ancien président du centre INRA de Colmar. – Dans un cadre strictement dédié à la recherche, notre objectif était de produire des données sur les mécanismes fondamentaux biologiques de la vigne et sur l’impact environnemental sur ces mécanismes fondamentaux, en particulier les modes de protection contre les maladies à virus.

Rapidement, notre projet de recherche a dû faire face à une forte opposition. L’INRA a donc fait le choix, plutôt que de protéger le site, de l’ouvrir au dialogue et de mettre en place un groupe hybride d’une quinzaine de personnes – membres d’associations, vignerons, représentants de la viticulture, voisins – afin d’essayer de combiner les objectifs scientifiques du projet dans une logique d’écoute. Nous avons ainsi construit collectivement un protocole de recherche qui permettait d’apporter des données pour renseigner ces questions, qu’elles soient d’un ordre scientifique au sens de l’INRA ou d’un ordre plus global, celui du respect de plusieurs valeurs. De ce fait, le protocole initialement prévu par l’INRA a été complètement transformé.

Notre approche biotechnique a également été critiquée par les membres du groupe au motif qu’elle ne faisait pas suffisamment appel à des pratiques de viticulture biologique. Nous avons donc construit tous ensemble un protocole qui permettait d’aboutir à un consensus de pratiques de viticulture biologique, qui à l’heure actuelle est appliqué dans des parcelles par des vignerons qui ont adhéré spontanément à ce projet. Ces travaux sont financés par France Agrimer et sont conduits par Olivier Lemaire. Il a même été nécessaire de construire avec tous les membres du groupe des projets annexes pour répondre à des questions qui pouvaient être décalées par rapport aux savoirs scientifiques usuels.

Le projet scientifique que nous avons ainsi bâti a reçu l’aval de tous les membres du groupe ainsi qu’une reconnaissance au travers de l’ANR. Par conséquent, cette démarche collective de prise en compte de tous les savoirs, lorsqu’elle aboutit dans un cadre de construction de projet de recherche scientifique, peut entrer dans des cadres scientifiques et produire davantage de données que celles dont nous disposions à l’origine.

La méthodologie du groupe de travail s’est appuyée sur des codes du groupe repère : la valorisation de tous les savoirs, la légitimation des acteurs et de la démarche, la co-construction de projets de recherche diversifiés, la publication d’écrits scientifiques qui impliquent le groupe (nous avons ainsi publié dans des revues qui font autorité des articles sur le fonctionnement du groupe en traitant de questions agronomiques mais aussi un peu philosophiques et éthiques).

En conclusion, sur neuf années d’engagement d’un collectif hybride, nous sommes partis de l’évaluation technologique interactive sur la question des OGM. Nombre de personnes étaient alors persuadées que nous agissions dans un but de commercialisation alors que l’objectif était uniquement de produire des données dans un cadre de recherche. Finalement, il apparaît que, sur ces neuf ans, l’engagement collectif transforme les parcours scientifiques, les questionnements et les gens.

Aujourd’hui, nous travaillons sur un autre sujet, projet REPERE financé par le Ministère de l'écologie et du développement durable impliquant l'association des viticulteurs d'Alsace, la chambre de consommation d'Alsace, Alsace Nature, l’Université de Strasbourg et l'INRA, visant, avec les mêmes codes, à valoriser les savoirs de tous afin d’inscrire la viticulture dans un cadre plus respectueux de l’environnement (projet « éco-phyto » 2018). Tous les membres d’origine du groupe sont encore là, notamment un sénateur d’Europe écologie et un député (Antoine Herth), et travaillent avec nous. Ce groupe s’intéresse à une question beaucoup plus large que ce petit essai et fait travailler avec nous les élus pour avoir une ouverture vers l’extérieur.

En neuf ans, nous sommes passés d’un cadre de recherche en science agronomique assez biotechnique à la nécessité de nous approprier des problématiques en sciences humaines et sociales. Nous sommes associés avec des associations et l’université de Strasbourg, notamment deux professeurs en épistémologie des sciences. Merci.

Débat

M. Gérard Liebeskind. – Je fais partie des 58 personnes condamnées à Colmar pour avoir arraché cette vigne. Nous avions décidé d’agir de la sorte parce que Monsieur Masson entre autres ne dit pas toute la vérité. Monsieur Masson, vous savez aussi bien que moi qu’une partie importante du Comité local de suivi avait démissionné, écœurée par la manière dont ce test était suivi.

Vous affirmez qu’il n’est nullement question d’ambitions commerciales, pourtant le porte-greffe a été breveté aux États-Unis. Par qui ? Pouvons-nous le savoir ? De plus, vous aviez implanté ces essais à proximité des vignobles les plus haut de gamme de la région Alsace. Les propriétaires ne voulaient pas prendre le risque de mettre la clé sous la porte si leurs vins étaient contaminés par des OGM. Monsieur Masson, vous devez dire toute la vérité sur ce sujet !

M. Jean Masson, ancien président du centre INRA de Colmar. – Votre enthousiasme vous fait faire des amalgames un peu rapides. Je vous rappelle que le sujet sur lequel j’ai travaillé porte sur le dialogue entre science et société. Ce que vous venez de mettre sur la table est hors sujet. Cela dit, si je dois faire un commentaire suite à votre intervention, je souhaiterais que, lorsqu’un établissement public mène des projets de recherche de cet ordre, la loi de 2008 soit appliquée à la lettre.

M. Jean-Yves Le Déaut, député, premier vice-président de l’OPECST. – Les lois sont faites pour éventuellement être changées, mais une fois que la loi est votée, elle s’applique. J’ai participé à l’élaboration de la loi de 2008. Je vous rappelle d’ailleurs que même José Bové a reconnu que cette loi avait été rédigée dans de bonnes conditions de discussions.

M. Gérard Liebeskind. – Nous étions à l’Assemblée avec José Bové sur la mezzanine pour combattre cette loi. L’amendement Chassaigne a été cassé alors qu’il était intelligent. S’il avait été conservé, nous ne serions pas en train de mener un tel débat puisque les OGM auraient été bannis de France. En effet, il prévoyait d’autoriser la culture uniquement pour les OGM qui avaient prouvé leur innocuité. Aujourd’hui, vous êtes 20 ou 30 contre M. Séralini dans une réunion où le peuple français n’est même pas représenté.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’Université de Caen. – J’aimerais que nous sortions par le haut un jour de tous ces débats. Les ancêtres des commissions dont nous parlons, c'est-à-dire l’ANSES et le HCB, qui étaient l’AFSSA et la CGB – pour lesquels j’ai été expert –, avaient déjà eu des désaccords sur les effets statistiques et leur interprétation du NK 603 et je rappelle qu’il existe également des données contradictoires sur le Roundup. Nous avons pris ce modèle pour voir, en 90 jours, si ces effets significatifs portaient vraiment à des pathologies. Mais brusquement, les descendants de ces commissions semblent perdre la mémoire. Et si j’ai entretenu des rapports cordiaux avec l’ANSES, cela n’a pas été le cas avec le HCB.

Il ne me semble pas opportun en outre que le comité de l’ANSES qui a évalué mes travaux compte parmi ses membres une personne – le toxicologue qui donnait l’interprétation entre les statistiques et les effets – qui avait déjà participé à l’évaluation du maïs NK 603 en 2003. Il faut changer les personnes dans un tel cas. Mes résultats remettant en cause les conclusions des agences, il me semble difficile d’être à la fois juge et partie.

S’agissant des études pour la diversité des sources, il aurait été opportun de comparer mes données à celles qui existaient déjà pour le NK 603 et pour le Roundup in vivo.

Ensuite, vous avez affirmé que vous ne disposiez pas des données du Roundup. Or vous étiez en train d’évaluer les données de commercialisation ou les données brutes qui ont permis la mise sur le marché du Roundup. Si vous les avez, donnez-les à Monsieur Le Déaut, parce qu’à ce moment-là, mes données seraient publiques également. Je remarque que ces données, qui sont dans un bureau allemand, sont aujourd'hui toujours gardées secrètes.

La transparence est d’autant plus importante qu’elle concerne les plus longues analyses de sang qui ont été réalisées sur un mammifère, seul modèle avant l’homme.

Une expertise contradictoire sera nécessaire car, depuis quinze ans, l’État demande aux institutions et aux grands organismes de recherche de se rapprocher de l’industrie. Nous sommes face à un corporatisme d’intérêt et à un émoussement de l’expertise contradictoire. Les données devraient être analysées, dans le respect mutuel, face à un comité scientifique qui pourra être formé par des journalistes également, comme cela se fait dans une mairie dans une délibération publique.

Il est également question de données sur la santé qui n’ont pas de raison, selon la loi, d’être cachées puisque l’article 25 de la directive 2001-18 et le règlement 2003 qui en ressort indiquent clairement que les effets sur la santé et l’environnement doivent être publics et ne peuvent être considérés comme faisant partie du secret d’entreprise.

Ensuite, il restera, à mon avis, en tant que chercheur dans ce domaine, à évaluer vie entière sur des rats tout ce pour quoi nous sommes exposés vie entière. Procéder de la sorte nous permettrait de sortir de ces débats. Si nous n’évaluons pas sur le mammifère vie entière les impacts de produits auxquels nous sommes soumis vie entière, nous passerons à côté d’une série de pathologies chroniques au détriment de la santé publique.

M. Olivier Godard, directeur de recherche au CNRS. – Je précise que j’ai préparé un texte plus long pour cette audition que j’ai remis à M. Le Déaut et que je peux mettre à la disposition de tous ceux qui m’en feront la demande.

Au-delà des conflits d’intérêts, qui constituent une question surfaite puisque tout le monde est lié à un intérêt idéologique, professionnel, familial, régional, etc., nous devons nous insister sur la qualité de l’argumentation produite au sein des comités et sur le sérieux de la discussion critique qui y est menée. Le thème de l’indépendance de l’expert est souvent un leurre. La véritable question pour la qualité de l’expertise n’est pas là mais dans l’organisation du travail collectif et dans le manque de moyens assez général des instances d’expertise. Accuser les experts de conflit d’intérêts est devenu une arme rhétorique facile pour récuser ceux qui ne plaisent pas au porteur d’arme, comme l’a montré cet après-midi à plusieurs reprises M. Séralini.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’Université de Caen. – Non, je pense au contraire que nous devons accepter les conflits d’intérêts et mener à bien l’expertise contradictoire.

M. Olivier Godard, directeur de recherche au CNRS. – Qui est légitime pour affirmer que nous avons besoin de mener des études plus longues spécialement pour les OGM ? Je suis surpris que le CEES du HCB se soit estimé compétent sur ce plan. Pour ma part, je n’en sais rien, n’étant spécialiste ni de biologie, ni de toxicologie. Il me semblerait opportun que chacun reste dans son rôle.

M. Marc Mortureux, directeur général de l’ANSES. – Pour revenir sur la problématique de la constitution des collectifs d’experts, il serait en effet judicieux de procéder à un renouvellement fréquent pour se prémunir contre le risque d’accoutumance. D’ailleurs, nous avons des règles qui prévoient ce renouvellement tous les trois ans. Cependant, ce n’est pas parce qu’un expert a par le passé participé à l’examen de dossiers qu’il n’est plus apte à réexaminer de nouvelles données de façon objective et impartiale.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’Université de Caen. – Je demande seulement qu’il les compare aux données existantes.

M. Marc Mortureux, directeur général de l’ANSES. Je suis inquiet de constater la tendance collective de la communauté scientifique à prendre ses distances avec l’expertise scientifique telle qu’elle existe dans nos agences à cause de ce phénomène de suspicion permanente. Nous risquons à terme d’être confrontés à un véritable problème de compétence pour réaliser notre travail. Je trouve que nous sommes très prudents et que nous avons des règles extrêmement strictes. Encore une fois, je partage tout à fait cette exigence de renouvellement, mais attention à ne pas aller trop loin.

S’agissant des données relatives au Roundup, je vous rappelle ce que nous avons écrit : nous tenons à votre disposition toutes celles dont nous disposons sur le Roundup. Il n’existe cependant pas de données d’essais long terme sur le mélange.

Mme Dominique Parent-Massin, présidente de la Société française de toxicologie. – Je rappelle qu’il n’est pas possible de mener une étude toxicologique sur vie entière parce qu’en toxicologie, il est nécessaire de n’avoir qu’un seul paramètre variable, à savoir l’exposition aux toxiques ou à l’aliment. Les animaux qui vieillissent ont des métabolismes hépatiques et une excrétion qui évoluent et nous savons que les résultats sont ininterprétables au-delà de deux ans. Nous en avons l’expérience.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’Université de Caen. – Je voulais dire deux ans.

Mme Dominique Parent-Massin, présidente de la Société française de toxicologie. – Ne m’interrompez pas. Que vous ai-je dit tout à l’heure ?

D’autre part, les agences sont certainement les mieux placées pour déterminer s’il est nécessaire de refaire l’étude. Il importe de souligner que 12 agences ont donné un avis négatif sur cette étude. Les agences peuvent donner un avis scientifique. Ensuite, les gestionnaires du risque pourront prendre la décision.

M. Michel de Pracontal, journaliste. – Je suis le journaliste de Mediapart qui a publié l’identité de la société de Saint-Malo où a été menée l’étude.

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’Université de Caen. – C’est vous qui le dites.

M. Michel de Pracontal, journaliste. – Vous avez dit que vous n’infirmiez ni ne confirmiez. J’ai essayé d’identifier cette société par le biais du numéro d’agrément qui est indiqué dans l’article de Monsieur Séralini. Ce numéro d’agrément est donné par un arrêté préfectoral. J’ai contacté le service administratif compétent, la DCSPP 35, mais celui-ci m’a opposé qu’il s’agissait de données confidentielles. J’ai essayé d’obtenir ces données par d’autres sources au niveau ministériel, mais je n’ai pas eu davantage de ressources. Je pose donc la question : existe-t-il un désir de l’administration de ne pas mettre M. Séralini en difficulté sur ce point ?

M. Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’Université de Caen. – Vous êtes sur la mauvaise voie.

M. Jean-Yves Le Déaut, député, premier vice-président de l’OPECST. – Je conclurai en quelques mots. Vous avez tous demandé la transparence sur toutes les données, y compris sur les plans cadastraux sur lesquels étaient menées des expérimentations. Il m’apparaît évident qu’il est nécessaire de faire la transparence sur toutes les données, aussi bien pour ceux qui demandent des autorisations que pour ceux qui fournissent des éléments dans le cadre du débat scientifique. Monsieur, je relayerai cette demande, comme je relayerai la demande de transparence sur la totalité des autorisations.

Les OGM sont-ils une question dépassée ? Tout à l’heure, le ministre s’est exprimé en disant qu’il existait d’autres techniques aux côtés des OGM. Il m’apparaît, comme je l’ai dit en introduction, que les biotechnologies doivent être complémentaires de toutes les autres technologies et qu’il n’est pas possible d’écarter une technologie du champ d’expérimentation. Les biotechnologies doivent être utilisées et, si certains OGM n’ont aucune utilité, d’autres apportent des bénéfices en matière de santé, comme le montre l’exemple de l’insuline fabriquée par génie génétique pour traiter le diabète. 150 millions d’hectares d’OGM sont cultivés dans le monde, mais aucune réponse n’a été apportée par Monsieur Mortureux quant à la présence de NK 603 dans les aliments. Je vous laisserai 20 secondes à la fin pour répondre. Dans tous les cas, nous sommes tributaires des technologies utilisées dans d’autres pays.

Vous avez abordé deux points qui ne font pas consensus. S’agissant des interprétations statistiques des tests, il sera nécessaire d’instaurer au niveau européen des bonnes pratiques afin d’éviter toute contestation. Quant à la durée des tests, elle doit dépendre de l’objet de la recherche.

Je crois que nous ne pouvons pas parler des OGM en général, quand nous sommes sur le NK 603 et quand nous sommes dans des liens avec un produit phytosanitaire qui est le Roundup. Il existe des OGM qui, au niveau de l’insertion, peuvent induire des métabolites et des métabolismes, il peut exister des activations de gènes dormants, mais nous ne pouvons pas globaliser ce sujet qui est éminemment complexe. Ceux qui le globalisent appartiennent à une religion. Or la science n’est pas une religion et doit permettre le débat entre personnes d’opinions différentes.

Il semble nécessaire d’encadrer les lanceurs d’alerte afin de ne pas être soumis à des alertes successives et anxiogènes. Quand on compare l’amiante et le sang contaminé aux OGM, on n’est pas dans la même situation. La dangerosité de l’amiante était connue depuis 1898 et des lobbies ont agi pour que l’amiante continue d’être utilisée. Dans le sang contaminé, la situation était différente. En tout cas, dans les années 1983 à 1985, pour avoir établi le rapport de la commission d’enquête sur ce sujet, je peux vous assurer qu’on ne le savait pas. J’ai entendu Gérard Chermann qui était l’un des codécouvreurs du virus du sida dire en 1985 que les patients qui avaient eu le VIH étaient immunisés. Il est évident que les connaissances ont évolué par la suite. Nous ne sommes pas dans le même sujet. Néanmoins, je crois qu’il faudra encadrer les lanceurs d’alerte, comme cela a été dit tout à l’heure. Monsieur Godard a plaidé pour la gestion au niveau du Parlement de fonds publics – ressources rares aujourd'hui – pour mener les expériences qui nécessitent d’être mises en œuvre.

Enfin, vous avez tous dit qu’il faudra retrouver la confiance de la société. Je ne pense pas que les controverses telles que celle que nous avons vécue ici y contribuent. Nous devrons encore travailler et organiser des débats, pour que la société reprenne confiance dans la science, dans ses chercheurs, dans l’expertise et, par ricochet, dans le monde politique qui fait appel à cette expertise.

Merci à tous et à toutes et à bientôt.

EXTRAIT DE LA REUNION DE L’OPECST DU 18 DECEMBRE 2012 PRÉSENTANT LES CONCLUSIONS DE L’AUDITION PUBLIQUE

M. Jean-Yves Le Déaut, premier vice-président de l’Opecst : Le 19 novembre 2012, l’Opecst a organisé l’audition publique des différentes parties concernées par les leçons à tirer de l’étude du professeur Gilles Séralini sur le maïs transgénique NK603.

Cette audition publique est intervenue entre :

- d’une part, l’adoption, le 7 novembre 2012, par la Commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale, de conclusions par lesquelles elle souhaiterait que des ajustements soient apportés à la réglementation européenne sur les OGM ;

- d’autre part, le dépôt par M. Jean-Paul Chanteguet, président de la Commission du développement durable, et le groupe socialiste d’une proposition de résolution relative aux OGM et aux risques sanitaires et environnementaux insuffisamment documentés.

Les positions arrêtées dans ces textes sont compatibles, pour certaines d’entre elles, avec celles qui ont été exprimées lors de l’audition publique de l’Office, et divergent pour d’autres.

Dans son allocution d’ouverture, M. Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt, a eu raison de déclarer que la question de la durabilité et de l’agro-écologie ne se résumaient pas aux OGM. Car les vraies questions sont celles de leur utilité, du modèle agricole choisi et de la propriété intellectuelle. Le développement des biotechnologies est en effet nécessaire pour permettre celui de l’agro-écologie. Autant les OGM de première génération correspondaient à des constructions rudimentaires susceptibles de causer des dommages environnementaux, autant on peut estimer que des constructions élaborées à l’aide de nouvelles techniques (cisgénèse, mutagénèse ou d’autres techniques de sélection) seront utiles à l’avenir, pour réduire les risques environnementaux.

En tout état de cause, il importe de parvenir à un débat fondateur sur les biotechnologies et, plus largement, sur l’agro-écologie, que la conférence de citoyens – organisée par l’Opecst en 1998 – avait déjà engagé.

Or, pour qu’un tel débat puisse se dérouler sous les meilleurs auspices, il conviendrait au préalable d’éviter de parler des OGM comme c’est le cas des conclusions de la Commission des affaires européennes ou de la proposition de résolution du groupe socialiste. Il est en effet inapproprié de procéder à cette généralisation dans la mesure où existent autant d’OGM que d’événements de changement d’un organisme vivant d’un gène. Ainsi, comme je l’ai rappelé, la transgénèse visant à fabriquer des médicaments ou à insérer un gène dans une bactérie en milieu clos ne présente pas les mêmes problématiques que l’insertion d’un gène dans une plante génétiquement modifiée, et que la nature et la localisation du gène inséré ont une importance majeure.

C’est pourquoi les OGM devraient faire l’objet d’une autorisation au cas par cas, tandis qu’il est erroné, comme le suggère la Commission des affaires européennes, de se référer au principe de précaution qui n’a de valeur constitutionnelle que dans le domaine de l’environnement. Ainsi que l’a rappelé la quasi-totalité des intervenants, cette étude ne fait état d’aucun risque sanitaire, aucune étude n’ayant d’ailleurs montré à ce jour la dangerosité d’un OGM en particulier ni des OGM en général.

Dans ce contexte, si le principe de précaution n’a pas à s’appliquer, les expérimentations devraient pouvoir avoir lieu après autorisation du ministre de l’Agriculture.

S’agissant de la mise à niveau du cadre juridique communautaire d’évaluation des risques souhaitée par la Commission des affaires européennes, il convient d’en approuver le principe. Il est en effet anormal que, comme l’a déclaré le ministre de l’Agriculture, il soit impossible d’interdire la semence NK 603 en France, alors que notre pays importe du maïs transgénique autorisé par l’Europe. Dans le cas où un OGM importé s’avèrerait dangereux, l’Europe se devrait d’engager l’épreuve de force avec l’OMC.

En revanche, les modalités selon lesquelles la Commission des affaires européennes souhaiterait décliner cette mise à niveau du cadre juridique européen ne saurait être approuvée dans son intégralité. Trois d’entre elles sont pertinentes, deux autres plus critiquables.

L’évaluation des effets cumulés entre substances actives des OGM et des pesticides mérite d’être soutenue, allant dans le sens d’une recommandation de l’ANSES. Il convient également d’approuver une autre recommandation de l’ANSES sur le renforcement nécessaire des recherches sur les effets des expositions cumulées appelés effets « cocktail ».

Comme l’ont souhaité de nombreux intervenants, il importe effectivement d’exiger que les expertises soient collectives, transparentes et contradictoires. En effet, on peut estimer, comme le souligne Olivier Godard, professeur à l’École polytechnique, que la seule revendication auto-proclamée d’indépendance est souvent un leurre, surtout lorsqu’elle est invoquée par des structures dont on peut soupçonner qu’elles portent des idées préconçues.

L’association des agences nationales aux travaux de l’Agence européenne de sécurité alimentaire (EFSA) mérite d’être soutenue, car ce serait un moyen pour les agences d’y introduire des réformes.

En revanche, pour ce qui est de l’exigence de tests de toxicité à long terme, il convient de se référer aux codes de bonnes pratiques existant déjà, comme celui de l’OCDE. La durée des tests doit varier selon les animaux et ne pas aller jusqu’à une vie entière.

Quant à la proposition d’un renforcement du dispositif de surveillance des OGM autorisés, elle est inopportune. Car il importe de surveiller tous les produits alimentaires, qu’ils aient été produits ou non à l’aide de la transgénèse.

Il convient d’approuver l’exigence de publication des données brutes, qui a été rappelée par de nombreux intervenants. Comme je l’ai souligné, une telle exigence doit concerner aussi bien ceux qui demandent des autorisations que les scientifiques, auteurs d’études. Sur ce dernier point, Mme Dominique Parent-Massin, présidente de la société française de toxicologie, a indiqué que lorsque les agences demandaient les données brutes aux auteurs d’une étude, elles ne leur demandent pas de les publier, mais de pouvoir mener une expertise de qualité. Or, les agences ont précisément reproché au professeur Séralini de ne pas leur avoir fourni ses données brutes, ce dernier ayant allégué le refus de Monsanto de ne pas mettre les siennes à disposition. Quant aux citoyens européens, Mme Parent-Massin a indiqué qu’ils pouvaient demander à l’EFSA les données brutes d’une étude.

Comme l’a préconisé l’ANSES, des financements publics devraient être consacrés à la réalisation d’études ou de recherches visant à mieux consolider les connaissances dès que l’on découvre un risque sanitaire insuffisamment documenté. Il convient toutefois de se limiter aux seuls risques sanitaires et de ne pas étendre ces financements, comme le préconise la proposition du groupe socialiste, aux risques environnementaux.

Le moratoire sur les cultures d’OGM n’a de pertinence que si l’on continue les recherches. Or celles-ci ont été détruites, la France ayant, de ce fait, perdu sa capacité d’expertise internationale, comme j’ai déjà eu l’occasion de le déplorer dans mon rapport de 2005.

La définition de seuils d’étiquetage des ingrédients contenant moins de 0,1 % ou moins de 0,9 % des OGM doit être approuvée. Mais il convient aussi de prévoir la coexistence des cultures.

Cette étude a été critiquée par les deux agences, l’ANSES et le HCB, saisie par les ministres de l’Agriculture et de la Santé et par les agences européennes.

En ce qui concerne les experts de l’ANSES, ceux-ci considèrent que les résultats de l’étude tels que publiés aujourd’hui ne sont pas de nature à remettre en cause les conclusions des études précédentes.

Quant au HCB, il a conclu que le protocole et les outils statistiques utilisés souffrent de graves lacunes et faiblesses méthodologiques qui ne permettent absolument pas de soutenir les conclusions avancées par les auteurs. Il n’y a aucune différence statistiquement significative de la mortalité des rats dans les groupes témoins et expérimentaux

Seuls certains résultats sont sélectionnés, présentés et commentés, et de cette description parcellaire sont tirées des conclusions non justifiées, utilisées ensuite pour échafauder des hypothèses physiopathologiques non fondées.

Les déclarations des journalistes sur le traitement médiatique de la publication de cette étude et les propos de M. Cédric Villani, médaille Fields, sur les questions qu’elle soulève au regard de l’éthique scientifique, méritent d’être pleinement soutenus par l’Office, tant elles rejoignent les préoccupations que l’Office n’a cessé d’exprimer depuis sa création.

Ainsi, M. Michel Alberganti, journaliste scientifique et chroniqueur à France Culture, a-t-il déploré que le professeur Séralini et son équipe du CRIGEN aient planifié une opération médiatique qui s’est poursuivie par un livre, puis par un documentaire au cinéma et à la télévision. De fait, en l’absence de liens entre une science sereine préalablement débattue entre les pairs et la présentation de ses résultats dans les médias, les journalistes ont eu les plus grandes difficultés à expliquer les termes d’un débat qui n’est pas encore arrivé à maturité.

M. Cédric Villani a également insisté sur les dangers d’une communication prématurée de résultats sensationnels au grand public, rappelant le précédent de l’expérience du CERN sur les neutrinos ultrarapides, tout en tenant à souligner que la question des neutrinos est surtout théorique, à la différence du potentiel cancérigène des OGM qui touche à la santé publique.

Il s’est déclaré d’autant plus consterné par la déstabilisation du débat, du fait de l’implication forte des médias, que ce débat illustre la pluridisciplinarité de l’expertise et le rôle des sciences mathématiques en relation avec d’autres sciences dans des débats cruciaux pour notre société.

Il a indiqué que ses convictions de citoyen l’avaient amené, dans un premier temps, à accueillir plutôt favorablement les résultats de l’étude, mais qu’il s’est senti déçu, voire trahi, après avoir découvert les brèches graves de déontologie scientifique ouvertes par cette étude, qui ont eu trois conséquences inacceptables : un effilochage du lien de confiance entre les scientifiques et la société, une fragilisation du lien de confiance entre scientifiques eux-mêmes et le risque par effet boomerang de desservir la cause pour laquelle luttent les auteurs de l’étude.

Enfin, comme j’ai tenu à le souligner, il semble nécessaire de définir dans la loi les conditions de qualification de lanceurs d’alerte, afin de ne pas être soumis à des alertes successives et anxiogènes.

En conclusion, cette audition publique m’a renforcé dans ma conviction que, devant la très sérieuse dégradation du débat scientifique à laquelle on a assisté dans l’affaire du maïs transgénique NK 603, l’Office devra, par ses travaux, toujours et encore, s’efforcer de contribuer à l’instauration de relations de confiance entre la science et la société.

M. Denis Baupin, député : Je me réjouis que cette étude ait permis de façon assez conséquente de faire modifier certains présupposés fondant les études actuelles sur les OGM et de soulever la question des liens entre OGM et pesticides.

S’agissant de l’effet spectaculaire et médiatique de cette étude, j’entends bien tout ce qui est dit à propos des perturbations qu’elle introduit dans un débat scientifique que l’on voudrait serein. Mais on n’est pas dans un monde parfait, ni dépourvu de rapports de force, dans lequel la recherche ou la science pourraient vivre et se développer de façon impartiale et dépassionnée.

Si le professeur Séralini a choisi d’exercer une action médiatique, c’est parce que son expérience l’a amené à constater que, lorsque que ce n’était pas le cas, les tentatives pour étouffer des études non-conformes à certains intérêts financiers, parvenaient à empêcher le débat.

Qu’on puisse à l’avenir espérer que de telles actions ne soient plus nécessaires et que des débats plus sereins aient lieu, serait la meilleure voie. Mais il faut bien constater qu’entre le pot de fer des multinationales de l’agrochimie et le pot de terre représenté par quelques professeurs qui essayent de faire prévaloir d’autres visions, il existe des rapports de force extrêmement inégaux.

Certes, sur la question des rapports entre science et société, on peut avoir des réflexions analogues à celles qu’a exposées Jean-Yves Le Déaut. Mais je ne jetterais pas forcément la pierre au professeur Séralini pour avoir été au-delà de ce que la bonne société aurait souhaité et d’avoir ainsi jeté un pavé dans la mare. Parfois, il faut bousculer un peu pour se faire entendre, quitte à adopter par la suite des positions plus raisonnables.

Mme Chantal Jouanno, sénatrice : Le professeur Séralini est parvenu à médiatiser son étude. Sur le fond, il en a toutefois reconnu les limites.

Pour ce qui est des conclusions du président Jean-Yves Le Déaut sur la nécessité d’expertises transparentes pluralistes et contradictoires, elles rejoignent les principes qui ont présidé à la mise en place du HCB, au sein duquel on a essayé d’introduire également une dimension sociétale et pas seulement technique et scientifique.

Quant aux tests à long terme, il existe une marge entre la durée de 90jours et la vie entière de l’animal. L’un des enjeux majeurs en matière de protocole réside dans les effets à long terme des faibles doses, ce qui nécessitera de revoir les protocoles d’expérimentation. La France avait demandé que la plupart de ces recommandations soient incluses dans les lignes directrices de l’EFSA, mais elles n’ont pas été reprises.

Au-delà de l’aspect médiatique, j’approuve, pour l’essentiel, les conclusions, en particulier en ce qui concerne la nécessité de poursuivre les recherches.

Enfin, je tiens à rappeler que l’on invoque toujours l’application du principe de précaution au domaine de la santé, alors que la Constitution la limite à l’environnement.

M. Jean-Yves Le Déaut : J’ai tenté d’adopter une expression modérée. Mais, lors de l’audition publique, il est apparu que, comme l’indiquent les conclusions du HCB, seuls certains résultats sont sélectionnés, présentés et commentés. De cette description parcellaire, sont tirées des conclusions non justifiées pour échafauder des hypothèses physiopathologiques non fondées.

En outre, le fait que, malgré des résultats non fondés, ses auteurs veuillent aboutir à des conclusions, illustre leur volonté de procéder à une opération médiatique.

Quoi qu’il en soit, le professeur Séralini a pu très largement s’exprimer à l’occasion de cette audition publique, dont tout le monde s’est accordé sur son bon déroulement et sur la qualité de la présidence.

S’agissant des effets à long terme, un test d’une durée de 90 jours ou même de 30 jours, permet de détecter des effets de forte toxicité, mais non des effets discrets ou d’autres effets. Aucune raison objective ne permet d’affirmer que seules les constructions OGM pourraient avoir de tels effets. Quant aux constructions nouvelles, qu’elles soient obtenues par cisgénèse ou par transgénèse, elles aboutissent au même transfert de gènes. Celui-ci et finalement l’activation possible dans le génome de gènes dormants est la cause d’éventuels désordres. C’est pourquoi, il ne faut pas se focaliser sur un OGM mais prendre en compte les techniques qui permettent par sélection d’obtenir une variété nouvelle et donc un nouveau produit. Si jamais d’autres métabolismes sont activés, il convient alors de surveiller tous les transferts de gènes-naturels ou non, ce qui impose une surveillance à long terme.

On ne peut soutenir que des effets sanitaires ont été constatés sur les animaux ou les êtres humains qui consomment des OGM depuis plusieurs années.

M. Denis Baupin : On constate néanmoins aux États-Unis, en particulier, une augmentation de certaines pathologies comme le diabète. Je ne dis pas qu’elle est liée aux OGM. Mais il y a là des signaux et des évolutions de long terme qui conduisent à s’interroger sur les modes de vie.

M. Bruno Sido : Je remarque qu’il y a eu un remue-ménage médiatique au sein de la communauté scientifique à propos de cette étude .Il convient de rester très prudent lorsqu’un chercheur a une idée et que son but est de montrer qu’il a raison dès le départ. Or, ce n’est pas l’idée que je me fais de la recherche.

Je me permets de rappeler ce qui s’était passé dans l’ex-URSS durant les années 1920 à 1940, où les lois de Mendel avaient été jugées réactionnaires et bourgeoises, les scientifiques devant s’attacher à démontrer qu’elles étaient fausses à l’exemple de Lyssenko, jusqu’au jour où il était apparu que ce dernier s’était lourdement trompé.

Il en était résulté que l’URSS avait enregistré durant 40 ans une perte de sélection animale et végétale. Lorsqu’on est scientifique, il importe de refuser d’adhérer à des dogmes politiques.

M. Denis Baupin : J’espère que de tels propos ont été tenus à Claude Allègre, du fait de toutes les contre-vérités qu’il a proférées et du temps qu’il a fait perdre à l’humanité dans la lutte contre le changement climatique.

M. Jean-Yves Le Déaut : Denis Baupin a raison. Mais je signale que lors de l’audition publique, l’Académicien qui a soutenu Gilles Séralini est aussi celui qui a soutenu les positions de Claude Allègre sur le changement climatique.


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