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N° 471

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 4 décembre 2012.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION (N° 340 rect.) de M. NOËL MAMÈRE ET PLUSIEURS DE SES COLLÈGUES tendant à la création d’une commission d’enquête sur le fonctionnement des services de renseignement français dans le suivi et la surveillance des mouvements radicaux armés,

PAR M. Dominique RAIMBOURG,

Député.

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INTRODUCTION 5

I. LA RECEVABILITÉ JURIDIQUE DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION 6

II. L’OPPORTUNITÉ DE CRÉER UNE TELLE COMMISSION D’ENQUÊTE 8

1. UN CHAMP EXCLUANT NÉCESSAIREMENT LES AFFAIRES EN COURS 8

2. DES POUVOIRS DE FACTO INUTILISABLES 9

3. UNE COMMISSION D’ENQUÊTE SUPERFÉTATOIRE 9

EXAMEN EN COMMISSION 13

Mesdames, Messieurs,

L’action des services de renseignement français émaille périodiquement l’actualité, en particulier en matière d’antiterrorisme. La Direction centrale du renseignement intérieur, née de la fusion des anciens Renseignements Généraux et de la Direction de la surveillance du territoire, entretient autant de fantasmes que les deux services dont elle est issue. Au-delà, c’est toute l’architecture antiterroriste, du renseignement à l’action judiciaire, qui est sous le feu des critiques.

Plusieurs affaires récentes ont mis en lumière les possibles défauts du système français de lutte antiterroriste, comme les défaillances de certains services de renseignement. Mais ce sont les assassinats commis par Mohamed Merah, à Toulouse et à Montauban en mars dernier, qui sont à l’origine de la présente proposition de résolution. Plus précisément, le rapport remis le 19 octobre 2012 par MM. Guy Desprats et Jérôme Léonnet, respectivement contrôleur et inspecteur généraux de la police nationale, qui a identifié un certain nombre de défaillances, a motivé le dépôt de cette proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête, d’ailleurs réclamée par les avocats de certaines familles de victimes.

Si les intentions des auteurs de cette proposition, notamment exprimées dans la presse, ne laissent pas place au doute, la proposition n° 340 rectifiée, déposée le 2 novembre dernier, porte quant à elle sur « le fonctionnement des services de renseignement français dans le suivi et la surveillance des mouvements radicaux armés et, notamment, des filières jihadistes existant sur le territoire français ». Cette formulation volontairement évasive ne doit pas masquer les objectifs, d’ailleurs affichés, des auteurs de cette proposition de résolution : analyser le fonctionnement des services de renseignement français, en particulier de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), dans le cadre de l’affaire Merah.

I. LA RECEVABILITÉ JURIDIQUE DE LA PROPOSITION
DE RÉSOLUTION

La création d’une commission d’enquête, même lorsqu’elle s’effectue dans le cadre du droit de tirage reconnu aux groupes minoritaires par le deuxième alinéa de l’article 141 du Règlement de l’Assemblée nationale, est soumise à plusieurs conditions de recevabilité.

En premier lieu, les propositions de résolution « doivent déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion ».

Cette exigence de précision, issue de l’article 137 du Règlement de l’Assemblée nationale et, en réalité, peu contraignante, semble être remplie, puisque la commission d’enquête porte sur « le fonctionnement des services de renseignement français dans le suivi et la surveillance des mouvements radicaux armés et, notamment, des filières jihadistes existant sur le territoire français ».

En deuxième lieu, en application de l’article 138 du Règlement de l’Assemblée nationale, « est irrecevable toute proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête ayant le même objet qu'une mission effectuée dans les conditions prévues à l'article 145-1 ou qu'une commission d'enquête antérieure, avant l'expiration d'un délai de douze mois à compter du terme des travaux de l'une ou de l'autre ».

Dans le cas présent, aucune commission d’enquête antérieure ayant le même objet n’a été créée récemment. Par ailleurs, s’il existe bel et bien une mission d’information ayant un objet proche (cf. infra), celle-ci ne bénéficie pas des pouvoirs dévolus aux rapporteurs des commissions d’enquête demandés dans le cadre de l’article 145-1 du Règlement. L’existence d’une mission d’évaluation du cadre juridique applicable aux services de renseignement ne fait donc pas obstacle, au plan juridique, à la création de la commission d’enquête dont il est question.

En troisième lieu, en vertu du principe de séparation des pouvoirs, le troisième alinéa du I de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires prohibe la création de commission d’enquête « sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours ».

Si le dispositif de la proposition de résolution ne semble pas viser, en tant que tels, des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires, l’exposé des motifs fait clairement référence à l’affaire Merah, comme l’a d’ailleurs souligné la garde des Sceaux, ministre de la Justice, dans sa réponse au Président de l’Assemblée nationale en date du 23 novembre dernier. En effet, l’exposé des motifs indique que « les drames de Toulouse et Montauban ont ému la France en ce qu’ils constituaient une attaque contre les institutions de la République, ayant eu pour cibles des militaires, les enfants d’une école et un enseignant ». Il ajoute par ailleurs que « des crimes ont pu être commis qui ont bouleversé toute la société française et amènent de sérieuses interrogations relatives à des insuffisances des services de renseignement dans leurs opérations de suivi et de surveillance qui sont établies par le rapport de l’Inspection générale de la Police nationale » relatif à l’affaire Merah.

Après un examen attentif des conditions de recevabilité de la proposition de résolution qui lui est soumise, votre rapporteur estime que celle-ci est juridiquement recevable, sous certaines conditions.

Notamment, le principe de séparation des pouvoirs impose que soient exclus du champ de la commission d’enquête les éléments relatifs à l’affaire Merah, ainsi que ceux relatifs à tout autre fait pour lequel des poursuites judiciaires seraient en cours. Les affaires dites de Tarnac et de Karachi ne pourront, par exemple, pas faire l’objet d’investigations de la part des membres de la commission d’enquête.

Par ailleurs, si la commission d’enquête venait à examiner de tels faits, votre rapporteur estime que, même si plusieurs précédents vont en sens contraire, elle devrait cesser immédiatement ses travaux. En effet, l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires fait obstacle à la création d’une commission d’enquête portant sur des faits faisant l’objet de poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours ; qui plus est, « si une commission a déjà été créée, sa mission prend fin dès l’ouverture d’une information judiciaire relative aux faits sur lesquels elle est chargée d’enquêter ». L’article 139 du Règlement de l’Assemblée nationale fait état de dispositions semblables, puisque la proposition de résolution ne peut être mise en discussion si le garde des Sceaux a fait savoir au Président de l’Assemblée nationale que des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé la création de la commission d’enquête ; si cette information intervient après la mise en discussion de la proposition de résolution, la discussion est « immédiatement interrompue ». Enfin, lorsqu’une information judiciaire est ouverte après la création de la commission d’enquête, « celle-ci met immédiatement fin à ses travaux ». Il existe donc une incompatibilité nette et inconditionnelle entre l’existence d’une commission d’enquête et celle de poursuites judiciaires portant sur les mêmes faits.

Si ces dispositions traitent des conséquences juridiques de l’existence ou de l’apparition de poursuites judiciaires sur l’existence de la commission d’enquête portant sur les mêmes faits à tous les stades de la procédure (mise en discussion de la proposition de résolution, création de la commission d’enquête, travaux de la commission d’enquête), votre rapporteur estime que l’examen de faits faisant l’objet de poursuites judiciaires au cours même des travaux d’une commission d’enquête devrait faire obstacle à la poursuite de ces travaux.

Sous ces réserves, votre rapporteur considère que la proposition de résolution répond aux conditions posées tant par l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, que par les articles 137 à 139 du Règlement de l’Assemblée nationale.

II. L’OPPORTUNITÉ DE CRÉER UNE TELLE COMMISSION D’ENQUÊTE

Plusieurs éléments amènent votre rapporteur à s’interroger sur l’opportunité et la faisabilité d’une telle commission d’enquête.

1. UN CHAMP EXCLUANT NÉCESSAIREMENT LES AFFAIRES EN COURS

En premier lieu, cette commission d’enquête aura nécessairement un objet limité.

En effet, en application des dispositions de l’article 139 du Règlement de l’Assemblée nationale, la commission d’enquête dont la création est envisagée sera dans l’impossibilité juridique de procéder à des auditions ou d’autres actes d’investigation portant sur des faits ayant déclenché des poursuites judiciaires. Ainsi, si l’on tient compte de la réponse de Mme Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la Justice, la commission d’enquête ne pourra pas se pencher sur les opérations de suivi et de surveillance de Mohamed Merah par les services de renseignement français, puisqu’une enquête judiciaire sera ouverte sous peu. De la même façon, il ne lui sera pas possible, tant que des poursuites sont en cours à l’encontre de M. Julien Coupat, de s’interroger sur les événements de Tarnac.

Votre rapporteur ne conteste en aucun cas la nécessité, pour le Parlement, d’analyser de façon approfondie le déroulement de ces événements tragiques. Néanmoins, le respect de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et du Règlement de l’Assemblée nationale impose d’attendre la fin des procédures judiciaires pour mener de telles investigations par le biais des outils de contrôle à la disposition des membres du Parlement.

2. DES POUVOIRS DE FACTO INUTILISABLES

En deuxième lieu, les pouvoirs de la commission d’enquête seront, dans ce domaine, considérablement restreints par le secret de la défense nationale auquel sont soumis les services de renseignement et, au premier chef, la Direction centrale du renseignement intérieur.

Ainsi, si les personnes que la commission d’enquête souhaite entendre seront tenues de déférer à cette convocation (1), elles ne pourront communiquer à la commission d’enquête des informations couvertes par le secret de la défense nationale sans risquer d’être punies des peines prévues par les dispositions des articles 413-10 et suivants du code pénal, qui répriment le fait de porter ce type d’informations à la connaissance du public ou d’une personne non qualifiée.

Le Parlement s’est d’ailleurs heurté plusieurs fois au secret de la défense nationale lorsqu’il a souhaité contrôler l’action passée des services de renseignement en dehors du cadre de la Délégation parlementaire au renseignement et au-delà des compétences qui sont reconnues à cette instance. Ainsi, dans le cadre de la mission d’information sur les circonstances entourant l’attentat du 8 mai 2002 à Karachi, les membres de la mission se sont vus opposer le secret défense de façon systématique et n’ont eu accès à aucune information d’importance, le Gouvernement n’ayant pas souhaité déclassifier les documents demandés.

Par ailleurs, comme en dispose l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les rapporteurs des commissions d’enquête sont « habilités à se faire communiquer tous documents de service, à l’exception de ceux revêtant un caractère secret et concernant la défense nationale, les affaires étrangères, la sécurité intérieure ou extérieure de l’État ». Le pouvoir de communication et de contrôle sur pièce des rapporteurs de la commission d’enquête sera donc extrêmement limité.

Privée des pouvoirs qui font tout son intérêt, la commission d’enquête ne semble pas constituer une structure adéquate d’évaluation et de contrôle dans le domaine du renseignement.

3. UNE COMMISSION D’ENQUÊTE SUPERFÉTATOIRE

Plus encore, la commission d’enquête qu’il est envisagé de créer, en l’état actuel de son exposé des motifs, entre en concurrence avec plusieurs autres instances ou structures dont l’objectif est précisément d’éclairer le fonctionnement des services de renseignement.

D’une part, la Délégation parlementaire au renseignement (DPR), créée par la loi n° 2007-1443 du 9 octobre 2007, « a pour mission de suivre l'activité générale et les moyens des services spécialisés à cet effet placés sous l'autorité des ministres chargés de la sécurité intérieure, de la défense, de l'économie et du budget » (2). Sans que cet organe parlementaire se penche sur les détails de l’affaire Merah ou d’autres cas particuliers, il a pour objet d’étudier les éventuelles failles qui peuvent exister dans le fonctionnement des services de renseignement.

D’autre part, le groupe de travail n° 4 (GT4) du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale porte précisément sur les « adaptations à conduire dans l’organisation ou le fonctionnement de l’État, en particulier dans le domaine du renseignement » (3). Si ce groupe de travail n’est pas une émanation de l’Assemblée nationale ou du Sénat, la commission du Livre Blanc accueille néanmoins six parlementaires en son sein, dont la présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale, Mme Patricia Adam.

Enfin, une mission d’information de la commission des Lois, portant sur l’évaluation du cadre juridique applicable aux services de renseignement, est actuellement en cours.

La mission d’évaluation du cadre juridique applicable aux services de renseignement, sans traiter spécifiquement de l’affaire Merah, a pour but indirect de remédier aux défaillances constatées. Elle doit notamment évaluer la pertinence de l’organisation des services et des textes législatifs et réglementaires encadrant leur activité au regard des enjeux de la sécurité nationale. Son objet, plus large, permet une analyse globale du fonctionnement des services de renseignement.

Par ailleurs, la mission travaille dans le huis clos le plus complet : l’identité des personnes entendues ne figure pas sur la convocation, dont la diffusion est d’ailleurs restreinte au strict minimum, et aucun compte rendu ou enregistrement ne garde trace des propos tenus : ces modalités, plus souples, correspondent mieux à la culture des services de renseignement comme aux contraintes juridiques qui pèsent sur leurs agents et garantissent la sérénité de la réflexion de l’Assemblée qui échappe ainsi à la pression de l’actualité, comme à celle que peuvent exercer les parties prenantes aux différentes affaires en cours.

Ses principes de fonctionnement comme son champ rendent probablement la mission d’évaluation mieux à même de formuler des recommandations efficaces. Enfin, le caractère avancé des travaux de cette mission empêche d’envisager sa suppression au profit de la commission d’enquête dont il est question.

Ainsi, à moins que la commission d’enquête envisagée ne précise son objet pour le rendre suffisamment distinct de celui de la mission préexistante, il est vraisemblable que sa participation aux réflexions des membres du Parlement et, au-delà, du Gouvernement, soit limitée.

Trois instances ont d’ores et déjà pour tâche de remédier aux failles révélées par l’affaire Merah. Votre rapporteur doute qu’une quatrième structure soit réellement utile, et ce d’autant plus qu’elle commencerait ses travaux alors même que les trois organes précédemment mentionnés n’auraient pas encore achevé les leurs. Dès lors, la commission d’enquête n’aura même pas la possibilité d’approfondir les pistes déjà tracées par d’autres, ce qui aurait pu revêtir un certain intérêt.

Par ailleurs, le Gouvernement a d’ores et déjà livré des pistes de réforme importantes, en particulier en matière de contrôle parlementaire. M. Manuel Valls, ministre de l’Intérieur, a ainsi déclaré aux membres de la commission des Lois, le 12 juillet dernier : « (…) sous l’autorité du Président de la République et du Premier ministre, et en concertation avec le ministre de la Défense, il me paraît souhaitable de rouvrir le dossier du contrôle démocratique – donc parlementaire – des activités de renseignement. (…) Comme dans d’autres grands pays, le Parlement doit pouvoir exercer un véritable contrôle sur les services, dont l’action est ainsi légitimée ». Dans la perspective du renforcement prochain du contrôle parlementaire en matière de renseignement, il semble peu pertinent, voire contreproductif, de permettre la mise en place d’une structure non pérenne composée de députés pour la plupart non habilités « secret défense », et dont les travaux ne pourront connaître, faute de temps, que des développements limités.

*

La proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur le fonctionnement des services de renseignement français dans le suivi et la surveillance des mouvements radicaux armés, dont le présent rapport évalue la recevabilité juridique et l’opportunité, peut, du strict point de vue du droit et sous les réserves indiquées plus haut, voir le jour.

Toutefois, au vu de son caractère peu opportun et de sa marge de manœuvre extrêmement limitée, tant sur le fond que sur la forme, votre rapporteur ne peut se résoudre, sans risquer de se contredire, à proposer à la commission des Lois d’adopter cette proposition de résolution. Aussi s’en remet-il à la sagesse de ses membres pour évaluer le bien-fondé de cette commission d’enquête.

EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du 4 décembre 2012, la commission examine, sur le rapport de M. Dominique Raimbourg, la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur le fonctionnement des services de renseignement français dans le suivi et la surveillance des mouvements radicaux armés (n° 340 rectifié).

Après l’exposé de votre rapporteur, une discussion a lieu.

M. Christophe Cavard. Je souhaite avant tout remercier la commission des Lois de son accueil. Étant moi-même l’un des initiateurs de cette demande de commission d’enquête, je voudrais revenir sur l’inspiration de cette démarche, en particulier compte tenu des observations qui ont été faites par le rapporteur.

C’est dans le cadre de l’exercice de son « droit de tirage » que notre groupe fait aujourd’hui la présente proposition, sur un sujet qui a suscité une forte émotion publique, par-delà la réaction seulement politique – émotion largement relayée par les médias, qui ne détenaient, il est vrai, pas toujours l’information la plus exacte. Cette émotion publique a porté sur le travail, par ailleurs largement reconnu, de certains services de renseignement.

Je suis bien conscient du contexte global dans lequel s’inscrivent ces faits, en particulier de l’évaluation des conséquences du processus de fusion de certains services qui a abouti à la création de la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), mais aussi de l’ensemble des éléments que M. le rapporteur a rappelés.

En tout état de cause, il est hors de question que la commission d’enquête créée ne soit liée qu’à une affaire unique. Notre réflexion prend sa source dans une succession d’affaires connues, qui nous ont conduits, comme parlementaires, à souhaiter mettre en œuvre notre droit de contrôle sur certains services, de manière à les aider à mieux s’organiser, à jouer pleinement le rôle qui est le leur et à remplir les objectifs qui leur sont assignés.

Nous avons, certes, eu le débat sur la question de la préexistence d’un certain nombre d’outils chargés de cette mission de contrôle parlementaire : je crois vraiment qu’il faut concevoir la présente proposition comme un outil complémentaire d’exercice de ce contrôle. Il s’agit de parvenir à élaborer, en liaison avec le Gouvernement, des propositions concrètes en vue, encore une fois, d’améliorer le travail des services concernés et de veiller à leur bon fonctionnement, sans en rester à la seule émotion suscitée par les affaires de Montauban et de Toulouse. De ce point de vue, cette initiative ne consiste pas à créer une commission d’enquête à charge, mais se place dans la continuité des travaux qui ont déjà été entrepris.

M. Jacques Bompard. Cette proposition de résolution attire mon attention dans la mesure où elle tend à faire porter la responsabilité de certains événements sur les services de renseignement : mais c’est oublier que le terrorisme est le résultat de l’exacerbation du communautarisme, qui lui-même est issu de la politique extrêmement laxiste menée en matière d’immigration. Parler de la responsabilité des forces de l’ordre s’agissant d’une politique générale menée depuis plusieurs dizaines d’années, c’est entrer dans des errements à la fois du raisonnement et de l’esprit. Il faut revenir au bon sens. Dans un tel contexte, il est quasiment impossible pour les forces de l’ordre de mener à bien leur mission et, bien sûr, on peut le déplorer.

M. Yves Goasdoué. Je suis très sensible à l’objet de cette proposition de résolution, qui concerne un sujet très grave, sujet touchant les Français bien plus qu’on ne l’imagine ; c’est pourquoi cette démarche me paraît tout à fait légitime. Eu égard aux propos liminaires du rapporteur, je souhaite cependant exprimer une crainte et un souhait.

Une crainte : nous pourrions en effet, à un moment donné au cours des travaux de la commission d’enquête – travaux qui ne manqueront pas d’être médiatisés –, être arrêtés dans notre progression par des obstacles juridiques, le plus évident pouvant être constitué par l’existence de poursuites judiciaires. Or cela pourrait accréditer, auprès de nos concitoyens, l’idée que les enquêtes parlementaires n’ont que peu de poids – idée déjà trop largement répandue. Pour que nous puissions véritablement jouer notre rôle, il est important que ce type d’investigations parlementaires pèse au contraire dans l’ensemble de la vie publique.

J’émets par ailleurs un souhait : pour avoir une position pleinement favorable à l’égard de ce texte, il me semblerait utile de retenir une définition plus fine de l’objet de la commission d’enquête. Cela permettrait d’écarter la crainte que j’évoquais plus haut et d’éviter de provoquer une redondance avec le travail mené par la mission actuellement conduite par le président de la commission des Lois.

M. Sébastien Denaja. Sans me prononcer sur le fond de la proposition de résolution, je souhaite souligner combien les propos nauséabonds que vient de tenir Jacques Bompard sont scandaleux : sans doute, nous ne sommes pas ici dans l’hémicycle, cependant nous sommes bien dans l’enceinte de l’Assemblée nationale ! Cet amalgame entre terrorisme et immigration est tout simplement indigne.

M. Yann Galut. Je regrette également les propos tenus par Jacques Bompard. Nous pouvons défendre certaines positions, les uns et les autres. Mais il y a des mots qui sont difficiles à entendre. Je rappelle tout de même que parmi les victimes des attentats évoqués se trouvaient, notamment, des personnes d’origine étrangère ou issues de l’immigration. Il convient à tout le moins d’être prudent sur ces sujets.

Ces lâches assassinats d’enfants ou de militaires, ou d’autres personnes encore, nous ont évidemment bouleversés. L’un des militaires tués fêterait aujourd’hui ses vingt-six ans. Ces militaires d’origine étrangère sont l’honneur de la France. C’est aussi la République qui a été ainsi attaquée.

Face à la demande légitime qui nous est présentée aujourd’hui, nous devons garder à l’esprit les autres travaux parlementaires, notamment ceux conduits dans le cadre de la mission précitée présidée par Jean-Jacques Urvoas, et veiller à ce que nous n’arrivions pas à une forme de télescopage. Il en va de la dignité des parlementaires, tout particulièrement sur ce sujet : il est important que nous puissions nous rassembler pour travailler collectivement.

À relire le dispositif de l’article unique de la proposition de résolution – nous n’allons certes pas le changer maintenant –, il me semble toutefois important d’être très attentif au choix des formulations : en particulier, on ne peut mentionner le fait d’« examiner » le fonctionnement des services de renseignement qu’avec circonspection. En aucun cas ce travail ne doit être regardé comme un acte de défiance à l’égard de services et de personnes qui ne sont intervenus que pour répondre à une demande et à une orientation provenant d’autorités politiques.

Autant il est important d’améliorer certains modes de fonctionnement, autant il convient de prendre garde à ce que cette commission d’enquête ne puisse être interprétée comme une éventuelle mise en cause de fonctionnaires qui, sous les ordres d’autorités politiques, n’ont fait que leur travail.

Enfin, la question de la correspondance entre le travail des commissions d’enquête et les investigations judiciaires n’est pas nouvelle : elle s’est posée par exemple au sujet des commissions d’enquête sur « l’affaire Bonnet » ou encore sur le Rwanda. Aussi est-il indispensable de cerner avec précision le périmètre choisi ; je rejoins de ce point de vue les opinions déjà exprimées par le rapporteur et d’autres collègues.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Ma voix sera moins favorable à cette proposition de résolution. Celle-ci intervient à un moment bien singulier, compte tenu de l’existence de la mission d’information visant à évaluer le cadre juridique applicable aux services de renseignement qui poursuit ses travaux depuis plusieurs mois. Je ne sais d’ailleurs pas si certains des signataires de la proposition de résolution appartiennent à cette mission d’information, mais il serait intéressant de savoir s’ils ont, jusqu’à présent, porté beaucoup d’intérêt à ses travaux. Je suis également gênée par le lancement très médiatique, par la voix de M. Noël Mamère, de cette demande de commission d’enquête initialement motivée par l’affaire Merah et ses suites et finalement traduite juridiquement par cette proposition de résolution.

Sur le fond, les faits visés dans la proposition sont très larges par leur objet et insuffisamment circonscrits dans le temps : en particulier, à partir de quelle date l’activité des services de renseignement ferait-elle l’objet d’une analyse par la commission d’enquête ? Surtout, je vois une contradiction centrale entre l’exposé des motifs, qui fait explicitement référence aux « drames de Toulouse et Montauban » – ceux-ci suscitant évidemment une émotion légitime – et le dispositif de la proposition de résolution, qui mentionne la « surveillance des mouvements radicaux armés et, notamment, des filières jihadistes existant sur le territoire français ». Sait-on exactement, en dehors du dossier Merah, compte tenu de l’obstacle que représentent les investigations judiciaires, le nombre d’affaires susceptibles d’être concernées par cette commission d’enquête ? Dispose-t-on d’ores et déjà d’exemples précis ? Faut-il s’en tenir aux filières jihadistes ? Au total, l’objectif poursuivi par les initiateurs de cette procédure n’apparaît pas très clair et, pour ce motif, je suis plus que réservée sur cette proposition de résolution.

M. Sébastien Huyghe. Je condamne naturellement, à mon tour, l’amalgame fait entre immigration et terrorisme. S’agissant de la proposition de résolution, il est révélateur de se référer à son titre initial, avant que celui-ci ne soit rectifié par ses auteurs : il s’agissait d’analyser les « manquements de la Direction centrale du renseignement intérieur dans le suivi et la surveillance du responsable des meurtres de Toulouse et Montauban en mars 2012 ». L’exposé des motifs s’inscrit encore dans le même état d’esprit puisqu’il mentionne les drames de Toulouse et Montauban et les crimes qui ont été commis, ce qui revient, en se focalisant sur une affaire spécifique, sur laquelle une enquête judiciaire est en cours, à très mal poser la question du contrôle parlementaire sur les activités des services de renseignement. La mission d’information déjà évoquée, dont le co-rapporteur est notre collègue Patrice Verchère, s’est déjà emparée de ce sujet et devrait rendre ses conclusions en mars 2013. Laissons-la travailler et ne jetons pas l’opprobre sur nos services de renseignement ! Le groupe UMP votera donc contre cette proposition de résolution.

M. Jacques Bompard. Je suis étonné par les réactions de nos collègues. Je suis ici le représentant des électeurs et mon devoir consiste à rapporter leurs sentiments, quelle que soit d’ailleurs la diversité de leurs orientations politiques. Ma parole est donc libre. Ce que j’ai condamné tout à l’heure, ce sont des politiques, et non des individus. Juger du bien-fondé des politiques menées est précisément le rôle de l’Assemblée nationale ! Au demeurant, ces politiques sont parfois critiquées en privé par des élus de gauche. C’est mon devoir et mon honneur que de me faire le porte-parole de toutes ces voix.

M. Pascal Popelin. Il n’est pas illégitime que les parlementaires s’intéressent au fonctionnement des services de renseignement. Sur la forme, je ne suis en revanche pas persuadé qu’une commission d’enquête soit le meilleur outil. Pour autant, depuis la mise en place, lors de la réforme du Règlement de l’Assemblée nationale en 2009, du « droit de tirage » des groupes d’opposition leur permettant de créer une commission d’enquête une fois par session ordinaire, ce droit n’a été que très peu souvent mis en œuvre. Pour cette raison, je m’abstiendrai de voter cette proposition de résolution.

M. Alain Tourret. Je dois avouer que les membres radicaux de la commission sont très divisés. Certains estiment que, par principe, il ne faut pas s’opposer à une proposition de résolution. D’autres, comme moi, considèrent que vous avez entrepris, Monsieur le président, des travaux d’importance considérable et que les différents thèmes ainsi abordés en viennent à interférer les uns avec les autres. Aussi, pour trouver une solution au problème, ne serait-il pas préférable de prendre connaissance de l’ensemble des conclusions des structures qui réfléchissent actuellement à cette question avant de se déterminer, le cas échéant, à passer à une étape supplémentaire ?

En tout état de cause, l’exposé des motifs de la proposition de résolution doit être clarifié : l’expression « des crimes ont pu être commis » n’a pas lieu d’être, et doit être remplacée par « des crimes ont été commis ».

Il a été décidé par notre groupe que chacun de ses membres se déterminerait de manière individuelle sur la constitution de la commission d’enquête.

M. Hugues Fourage. Il me semble, à la lecture de l’exposé des motifs, que l’on cède à la dimension médiatique prise par ce drame. Les parlementaires que nous sommes doivent voter en leur âme et conscience, en sachant prendre du recul, et ne pas se déterminer en fonction des sentiments qui se sont emparés des uns ou des autres. Je préférerais par ailleurs que le travail parlementaire ait pour objet « d’améliorer » le fonctionnement des services plutôt que de « l’examiner », car ces services, dans leur action, sont soumis à des orientations qui sont décidées par des autorités politiques.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Cet article unique peut susciter beaucoup de discussions dans lesquelles il n’est pas souhaitable de rentrer dans ce cadre, par exemple sur la politique de l’immigration.

M. Dominique Raimbourg, rapporteur. Je souhaiterais faire, pour conclure, quatre observations. Tout d’abord, en ce qui concerne la procédure qui nous occupe aujourd’hui, je vous rappelle que s’abstenir de voter permettra à cette résolution de vivre – puisque seuls les votes négatifs sont pris en compte – tout en soulignant ses possibles faiblesses. Ensuite, pour que cette commission d’enquête ait un objet réellement complémentaire de celui de la mission d’évaluation précédemment évoquée, il conviendrait de préciser les limites temporelles de l’examen auquel la commission entend se livrer, et d’élargir son champ au-delà des seuls mouvements jihadistes qui n’ont pas, hélas, l’apanage du terrorisme.

Par ailleurs, s’il importe de répondre à l’émotion suscitée par ces assassinats, ces faits ne sauraient être imputés à la politique d’immigration, lorsque ce sont des militaires français nés, pour certains, de parents étrangers, qui ont été assassinés. C’est d’ailleurs cette même politique d’immigration qui est à l’origine de l’intégration réussie de ces enfants qui, devenus soldats, ont glorieusement servi la France et défendu notre pays. Enfin, il est tout à fait inconcevable de faire porter aux services de police la responsabilité des actes perpétrés par Mohamed Merah. La commission d’enquête devra avoir pour objectif d’aider la police à concilier la protection du territoire et la lutte contre le terrorisme avec le respect des libertés publiques. Dès lors que ces remarques sont prises en compte par l’auteur de la proposition de résolution, l’abstention que j’appelle de mes vœux est constructive.

Le président Jean-Jacques Urvoas. La proposition de résolution sera soumise aux votes des députés quoiqu’il en soit demain 5 décembre. Puisqu’il s’agit d’une demande de création d’une commission d’enquête au titre de l’article 141, paragraphe 2 de notre Règlement, l’Assemblée ne pourra s’y opposer qu’en la rejetant à la majorité des trois cinquièmes des membres de l’Assemblée nationale.

Il y a donc toutes les raisons de penser que cette commission d’enquête sera créée. C’est la raison pour laquelle le rapporteur ne s’y oppose pas, sans l’approuver.

Précisons, pour en avoir discuté avec les auteurs, qu’il ne doit pas y avoir d’incertitude quant à l’objet poursuivi : nous ne sommes ni des procureurs ni des avocats, et nous n’avons pas à rechercher des coupables. Afin d’éviter que les espoirs aujourd’hui suscités par la création de cette commission d’enquête, notamment hors de ces murs, ne se transforment en frustration, il faut être bien clair quant au fait que nous n’allons pas étudier l’affaire Merah, ni l’affaire Karachi ni l’affaire de Tarnac, parce que ces objets nous sont interdits en application de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées.

C’est le fonctionnement des services de renseignement dans le suivi et la surveillance des mouvements radicaux armés qui sera examiné, conformément à ce qu’indique le dispositif de la proposition de résolution et en dépit des imprécisions qu’il comporte. Chacun d’entre nous a entendu la disposition d’esprit de Christophe Cavard qui a bien exprimé l’idée de complémentarité de la démarche et de recherche d’une plus-value par rapport aux travaux déjà engagés : groupe 4 du Livre blanc qui travaille sur les services de renseignement et dont les travaux seront connus en janvier ou bien mission que je co-anime avec M. Patrice Verchère qui rendra ses travaux en mars.

Contrairement à ce qui a pu se produire au cours de la précédente législature où des commissions d’enquête demandées au titre du droit de tirage ont pu être repoussées ou voir leur objet tronqué, la majorité a choisi de respecter la mise en œuvre du « droit de tirage » de l’opposition ou d’un groupe minoritaire.

La Commission rejette la proposition de résolution n° 340 rectifié.

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© Assemblée nationale

1 () Troisième alinéa du II de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

2 () Article unique de la loi n° 2007-1443 du 9 octobre 2007 portant création d'une délégation parlementaire au renseignement.

3 () Lettre de mission du Président de la République à M. Jean-Marie Guehenno en date du 13 juillet 2012.