Accueil > Documents parlementaires > Les rapports législatifs
Version PDF
Retour vers le dossier législatif
Amendements  sur le projet ou la proposition

N° 825

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 20 mars 2013.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LA PROPOSITION DE LOI, ADOPTÉE PAR LE SÉNAT, tendant à modifier la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique en autorisant sous certaines conditions la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires,

PAR Mme Dominique ORLIAC,

Députée.

——

Voir les numéros :

Sénat : 576 (2011-2012), 10, 11 et T.A. 42 (2012-2013).

Assemblée nationale : 473.

INTRODUCTION 5

I.- LE RÉGIME ACTUEL DE LA RECHERCHE SUR LES EMBRYONS ET LES CELLULES SOUCHES EMBRYONNAIRES 7

A. LES LOIS DU 29 JUILLET 1994 ET DU 6 AOÛT 2004 ONT POSÉ LE PRINCIPE DE L’INTERDICTION DE LA RECHERCHE SUR L’EMBRYON HUMAIN 7

B. LE RÉGIME D’INTERDICTION AVEC DÉROGATIONS ISSU DE LA LOI DU 7 JUILLET 2011 CONSTITUE UN COMPROMIS PEU SATISFAISANT 8

II.- POURQUOI MODIFIER LE RÉGIME DE LA RECHERCHE SUR LES CELLULES SOUCHES EMBRYONNAIRES ? 13

A. LE RÉGIME D’AUTORISATION ENCADRÉE A ÉTÉ PRÉCONISÉ PAR LA MAJORITÉ DES ÉTUDES PRÉPARATOIRES À LA LOI DE BIOÉTHIQUE DE 2011 13

B. MÊME SI D’AUTRES TECHNIQUES SONT PROMETTEUSES, LA RECHERCHE SUR LES CELLULES SOUCHES EMBRYONNAIRES CONSERVE TOUTE SA PERTINENCE THÉRAPEUTIQUE 14

C. LE TEXTE ISSU DE LA LOI DE 2011 A CONSACRÉ UNE VÉRITABLE AMBIGUITÉ MORALE ET JURIDIQUE SANS ÊTRE PLUS PROTECTEUR DES EMBRYONS 19

III.- LE RÉGIME D’AUTORISATION ENCADRÉE PRÉVU PAR LA PROPOSITION DE LOI : LE CHOIX DE LA CLARTÉ ET DE LA RESPONSABILITÉ 23

A. LA PROPOSITION DE LOI PÉRENNISE UN RÉGIME D’AUTORISATION ENCADRÉE 23

B. COMME À L’HEURE ACTUELLE, QUATRE CONDITIONS STRICTES ENCADRERONT TOUTE AUTORISATION DE RECHERCHE 24

C. LE CONSENTEMENT PARENTAL DEMEURERA UNE CONDITION SINE QUA NON 25

D. LES RECHERCHES FERONT L’OBJET D’UN CONTRÔLE PAR L’AGENCE DE LA BIOMÉDECINE ET LES MINISTRES EN CHARGE DE LA SANTÉ ET DE LA RECHERCHE 25

TRAVAUX DE LA COMMISSION 27

I.- DISCUSSION GÉNÉRALE 27

II.- EXAMEN DE L’ARTICLE UNIQUE 43

Article unique (art. 2151-5 du code de la santé publique) : Autorisation encadrée de la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires 43

TABLEAU COMPARATIF 61

AMENDEMENTS EXAMINÉS PAR LA COMMISSION 65

ANNEXE : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES 66

INTRODUCTION

La recherche sur l’embryon fut une des questions des plus âprement discutées lors de l’examen de la loi de bioéthique de juillet 2011. Fallait-il interdire toute recherche ou bien l’autoriser ? La majorité des instances consultées avant la révision de la loi de 2004, ainsi que les citoyens ayant participé aux états généraux de la bioéthique, s’étaient prononcés en faveur du régime d’une autorisation encadrée.

Pourtant, le législateur a choisi une solution pour le moins ambiguë juridiquement et moralement : une interdiction assortie de dérogations pérennes. Ce choix s’appuyait sur la conviction que la loi devait poser un interdit symbolique, affirmait que le texte n’empêcherait pas les chercheurs de travailler sur les cellules souches embryonnaires, et pariait sur le fait que ces recherches seraient bientôt rendues obsolètes par d’autres modèles, comme celui des cellules adultes reprogrammées.

Force est de constater que ce compromis est peu satisfaisant. Il n’empêche pas dans les faits l’autorisation de protocoles de recherches sur l’embryon par l’Agence de la biomédecine et n’est pas à ce titre plus protecteur, et plus moral, qu’un régime d’autorisation encadrée. Il stigmatise les chercheurs en laissant croire que certains auraient une appétence particulière pour la recherche sur l’embryon, alors même que l’ensemble de la communauté scientifique reconnaît la nécessité de mener en parallèle des recherches sur différents types de cellules. En assortissant les dérogations au principe d’interdiction de conditions parfois impossibles à remplir, il place enfin les équipes de recherches dans une situation d’insécurité juridique qui prive nos concitoyens de la perspective d’avancées thérapeutiques majeures.

Un an après le vote de la loi de 2011 relative à la bioéthique, il a donc paru nécessaire de modifier ses dispositions relatives à la recherche sur l’embryon humain et sur les cellules souches qui en sont issues.

Une proposition de loi a ainsi été déposée au Sénat le 1er juin 2012 par M. Jacques Mézard, président du groupe du Rassemblement démocratique et social européen (RDSE), afin de mettre en place un régime d’autorisation encadrée. Un texte identique a été déposé à l’Assemblée nationale le 23 janvier 2013 par M. Roger-Gérard Schwartzenberg, président du groupe Radical, républicain, démocrate et progressiste (RRDP). C’est le texte de la première proposition de loi, tel qu’il ressort des travaux du Sénat, dont votre Commission des affaires sociales est saisie.

L’autorisation de recherche, assortie de conditions strictes, n’est pas une porte ouverte aux dérives. Par exception au principe de liberté de la recherche qui s’applique dans notre pays, elle sera strictement contrôlée par l’Agence de la biomédecine et les ministères en charge de la santé et de la recherche, selon des critères clairement définis par la loi. Elle devra respecter les principes fondamentaux de la bioéthique, prouver sa pertinence scientifique, s’inscrire dans une finalité médicale et être soumise au consentement parental.

« Toute activité orientée selon l’éthique peut être subordonnée à deux maximes totalement différentes et irréductiblement opposées : l’éthique de responsabilité ou l’éthique de conviction. », disait Max Weber. En matière de bioéthique, seule la responsabilité fait sens, car il s’agit le plus souvent de tracer un chemin entre des valeurs d’égale importance.

La présente proposition de loi s’inscrit dans cette logique, en conciliant le respect de l’embryon humain et les progrès thérapeutiques offerts par la recherche, et en assumant clairement ce choix devant nos concitoyens.

I.- LE RÉGIME ACTUEL DE LA RECHERCHE SUR LES EMBRYONS
ET LES CELLULES SOUCHES EMBRYONNAIRES

La législation française relative à la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires reflète depuis 1994 la difficulté à concilier le respect dû à l’embryon et les perspectives prometteuses offertes par la recherche. Mais à ce dilemme moral, la loi de 2011 a fourni une réponse qui pêche par son ambiguïté et son manque de clarté pour nos concitoyens.

A. LES LOIS DU 29 JUILLET 1994 ET DU 6 AOÛT 2004 ONT POSÉ LE PRINCIPE DE L’INTERDICTION DE LA RECHERCHE SUR L’EMBRYON HUMAIN

En France, lors de l’examen de la première loi de bioéthique du 29 juillet 1994, l’idée avait prévalu que la recherche ou l’expérimentation sur l’embryon humain méconnaissant son intégrité constituait une atteinte au respect de la vie humaine, la vocation de l’embryon étant de former un être humain. L’utilité de ces recherches n’avait d’ailleurs pas convaincu, celles-ci pouvant être accomplies avec profit sur des embryons appartenant à l’espèce animale ou sur des cellules souches adultes.

La loi de 1994 s’était donc montrée plutôt restrictive en la matière. Le principe posé a été celui d’une interdiction absolue de la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires. Seules les études ne portant pas atteinte à l’embryon ont été autorisées.

En prévision de la révision des lois de bioéthique, le Comité national consultatif d’éthique, comme l’Académie nationale de médecine ainsi que l’Ordre national des médecins avaient recommandé d’assouplir la réglementation en vue de permettre des recherches médicales sur l’embryon humain en cas d’abandon du projet parental. Une suggestion analogue se trouvait dans le rapport du Conseil d’État du 25 novembre 1999 sur la révision des lois de bioéthique.

Par ailleurs, le ministre de la recherche avait, en mars 2002, pris la décision d’autoriser l’importation de cellules souches embryonnaires en s’appuyant sur un décret du 23 février 2000 relatif à l’importation et à l’exportation d’organes, de tissus et de cellules du corps humain.

Ainsi, sous l’influence des principales instances éthiques ainsi que des milieux scientifiques, la deuxième loi de bioéthique du 6 août 2004, sans renoncer au principe de l’interdit portant sur la recherche sur l’embryon, a instauré un régime transitoire et temporaire de dérogations, expirant le 6 février 2011.

La loi de 2004 prévoyait ainsi :

– le maintien de l’autorisation des études ne portant pas atteinte à l’embryon ;

– la réaffirmation de l’interdiction de la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires, assortie d’une possibilité dérogatoire, pour une période de cinq ans, de mener des recherches sur les embryons ne faisant plus l’objet d’un projet parental. Ce régime temporaire reflétait à l’époque les incertitudes quant aux conséquences d’un passage à un régime d’autorisation, au regard des bénéfices attendus de ce type de recherche.

À l’issue de la fin du moratoire décidé en 2004, plusieurs options s’offraient au législateur.

Le principe d’une autorisation sans aucune condition a été écarté, étant contraire aux principes éthiques retenus par la loi française depuis 1994. Si l’on admet en effet que l’embryon n’est pas une chose, mais une vie humaine potentielle, il est impossible de le considérer dans la loi comme un matériau ordinaire de recherche.

Inversement, la question s’est posée de savoir s’il fallait ou non fermer la parenthèse ouverte en 2004, en mettant fin au moratoire, c’est-à-dire en un mot en interdisant les recherches sur les cellules souches embryonnaires. Il a été considéré que les données scientifiques disponibles ne permettaient pas de conclure au caractère obsolète des recherches sur l’embryon. C’est pourquoi le principe d’interdiction totale n’a pas été retenu.

Une autre option a été étudiée, avant d’être abandonnée, par M. Jean Leonetti, rapporteur de la troisième loi de bioéthique de 2011. Il s’agissait de distinguer deux formes de recherche : la recherche sur l’embryon, et la recherche sur les cellules souches embryonnaires. L’idée a été avancée de mettre en place un régime d’autorisation encadrée pour la recherche sur les cellules embryonnaires, tout en maintenant une interdiction de principe de la recherche sur l’embryon. Il s’est avéré cependant que cette distinction n’était pas fondée sur le plan scientifique et posait des problèmes juridiques insurmontables.

B. LE RÉGIME D’INTERDICTION AVEC DÉROGATIONS ISSU DE LA LOI DU 7 JUILLET 2011 CONSTITUE UN COMPROMIS PEU SATISFAISANT

Lors de l’examen du projet de loi de bioéthique de 2011, les discussions ont porté sur l’alternative entre les régimes d’interdiction avec dérogations et d’autorisation encadrée.

Depuis 2004, de nombreux rapports (voir infra), mais aussi la population ayant participé aux états généraux de la bioéthique ont invité le législateur à modifier le régime juridique de la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires dans le sens d’une autorisation encadrée. Pourtant, la loi de 2011 n’a pas pris en compte les conclusions de ces instances.

Le choix du législateur s’est en effet finalement porté sur le régime d’interdiction avec dérogations. Le Sénat avait cependant voté en faveur d’un régime d’autorisation encadrée, de même d’ailleurs que, en 2002, nombre de députés, de droite comme de gauche, lors de l’examen en première lecture de la loi de bioéthique de 2004.

L’article 41 de la loi du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique a en effet maintenu à titre permanent le principe des dérogations à l’interdiction de la recherche sur l’embryon. Ce principe a même été étendu aux protocoles de recherches portant sur l’étude et la manipulation des lignées de cellules souches embryonnaires, ce qui n’était jusqu’alors pas explicitement prévu par la loi.

Il s’agissait là de faire droit à « la nécessité de continuer, en l’état actuel des connaissances, à mener de front les recherches sur les divers types de cellules souches et de ne pas fermer la porte aux recherches sur les cellules souches embryonnaires humaines qui présentent encore un intérêt » (1), tout en maintenant un interdit symbolique fort.

En l’état actuel du droit, la recherche est ainsi autorisée si les conditions suivantes sont réunies :

– la pertinence scientifique du projet de recherche est établie ;

– la recherche est susceptible de permettre des progrès médicaux majeurs ;

– il est expressément établi qu’il est impossible de parvenir au résultat escompté par le biais d’une recherche ne recourant pas à des embryons humains, des cellules souches embryonnaires ou des lignées de cellules souches ;

– le projet de recherche et les conditions de mise en œuvre du protocole respectent les principes éthiques relatifs à la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires. Les recherches alternatives à celles sur l’embryon humain et conformes à l’éthique doivent être favorisées.

En outre, une recherche ne peut être menée qu’à partir d’embryons conçus in vitro dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation et qui ne font plus l’objet d’un projet parental. La recherche ne peut être effectuée qu’avec le consentement écrit préalable du couple dûment informé des possibilités d’accueil des embryons par un autre couple ou d’arrêt de leur conservation. Dans le cas où le couple ou le membre survivant du couple consent à ce que ses embryons surnuméraires fassent l’objet de recherches, il est informé de la nature des recherches projetées afin de lui permettre de donner un consentement libre et éclairé. Le consentement doit être confirmé à l’issue d’un délai de réflexion de trois mois. Dans tous les cas, le consentement des deux membres du couple ou du membre survivant du couple est révocable sans motif tant que les recherches n’ont pas débuté.

Enfin, les protocoles de recherche sont autorisés par l’Agence de la biomédecine après vérification que les conditions précédemment évoquées sont satisfaites. La décision motivée de l’agence, assortie de l’avis également motivé de son conseil d’orientation, est communiquée aux ministres chargés de la santé et de la recherche qui peuvent, lorsque la décision autorise un protocole, interdire ou suspendre la réalisation de ce protocole si une ou plusieurs des conditions ne sont pas satisfaites. En cas de violation des prescriptions législatives et réglementaires ou de celles fixées par l’autorisation, l’agence suspend l’autorisation de la recherche ou la retire. Les ministres chargés de la santé et de la recherche peuvent, en cas de refus d’un protocole de recherche par l’agence, demander à celle-ci, dans l’intérêt de la santé publique ou de la recherche scientifique, de procéder dans un délai de trente jours à un nouvel examen du dossier ayant servi de fondement à la décision.

À titre exceptionnel, des études sur les embryons visant notamment à développer les soins au bénéfice de l’embryon et à améliorer les techniques d’assistance médicale à la procréation et ne portant pas atteinte à l’embryon peuvent être conduites avant et après leur transfert à des fins de gestation si le couple y consent.

Il faut noter que le système mis en place en France est sans équivalent à l’étranger. Le rapport du Sénat rappelle ainsi le caractère exceptionnel de la législation française. En effet, au Royaume-Uni, la recherche, encadrée, sur l’embryon a été autorisée dès 1990 et celle sur les lignées de cellules souches embryonnaires en 2001. En 2002, l’Allemagne, tout en maintenant l’interdiction de recherche sur les cellules souches, a autorisé, sous condition, la réalisation de recherches sur des lignées importées de l’étranger. Aux États-Unis, la recherche privée sur l’embryon et sur les cellules souches embryonnaires n’a jamais été encadrée. Les chercheurs américains ont ainsi pu mener leurs recherches sans contrainte autre que celle du financement, ce qui leur a permis, notamment, de découvrir en 1998 le moyen d’élaborer les premières lignées de cellules souches embryonnaires. Dans ce pays, le seul débat porte sur la question du financement des recherches par l’État fédéral et les États fédérés. Alors même que, de 2001 à 2009, une interdiction, partielle, d’octroi de fonds fédéraux a été mise en place, l’État de Californie a instauré à partir de 2004 un programme de financement des recherches sur les cellules souches embryonnaires d’un montant de 3 milliards d’euros. Le président Obama a levé l’interdiction de financement fédéral moins de deux mois après son arrivée au pouvoir.

Plusieurs arguments ont été en 2011 invoqués en faveur de la pérennisation du régime d’interdiction avec dérogations.

Il s’agissait tout d’abord d’affirmer un interdit symbolique fort, et de refuser de considérer l’embryon comme un matériau de recherche. Votre rapporteure rejoint tout à fait cet objectif, mais considère, on le verra par la suite, que le régime mis en place en 2011 n’est non seulement pas, dans les faits, plus protecteur qu’un régime d’autorisation encadrée, mais qu’il est de nature à stigmatiser la recherche.

Par ailleurs, il a été considéré que l’existence de méthodes alternatives de recherche, il est vrai prometteuses, rendait inutile l’autorisation encadrée des recherches sur l’embryon. Votre rapporteure considère au contraire que les recherches sur les cellules souches adultes et les cellules reprogrammées n’ont pas vocation à se substituer, en l’état des connaissances scientifiques, à la recherche sur les cellules souches embryonnaires, mais en sont le complément nécessaire.

Enfin, il a été jugé que le système dérogatoire ne portait pas préjudice à la recherche et pouvait être assimilé de fait à une autorisation encadrée. Il est vrai que, pour citer l’étude de 2009 du Conseil d’État (2), « dans les deux cas, ce seraient les mêmes recherches qui seraient autorisées et les mêmes recherches qui seraient interdites, sous peine de sanctions pénales ». Or, s’il est vrai que les chiffres de l’Agence de biomédecine révèlent un véritable dynamisme de la recherche française en la matière, la rédaction actuelle de la loi est source de contentieux qui retardent le lancement de certains projets scientifiques.

Au final, en 2004, le manque de recul dont nous disposions pouvait expliquer le choix d’un régime d’interdiction avec dérogation. En revanche, le texte de la loi de 2011 est allé plus loin, car, par le biais de dérogations pérennes et non plus provisoires, il autorise de fait la recherche sur les embryons, tout en l’assortissant de conditions restrictives parfois impossibles à remplir, qui sont sources d’insécurité juridique et de confusion pour nos concitoyens. C’est pourquoi il est aujourd’hui proposé de modifier la loi sur ce point.

II.- POURQUOI MODIFIER LE RÉGIME DE LA RECHERCHE
SUR LES CELLULES SOUCHES EMBRYONNAIRES ?

A. LE RÉGIME D’AUTORISATION ENCADRÉE A ÉTÉ PRÉCONISÉ PAR LA MAJORITÉ DES ÉTUDES PRÉPARATOIRES À LA LOI DE BIOÉTHIQUE DE 2011

Dans la perspective de la révision de la loi de bioéthique du 6 août 2004, de nombreuses instances se sont prononcées sur la question de la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires. Par ailleurs, le Gouvernement a fait le choix novateur d’organiser en 2009 des états généraux de la bioéthique : des forums de citoyens, sélectionnés selon des critères de représentativité utilisés pour les conférences de citoyens, ont été formés et appelés à débattre ensemble pour produire des préconisations communes.

Or la grande majorité de ces études préparatoires ont préconisé la mise en place d’un régime d’autorisation encadrée de la recherche.

Ainsi, dans son rapport de 2006 au Premier ministre relatif aux cellules souches et choix éthiques, M. Pierre-Louis Fagniez, député du Val-de-Marne, a souligné que les cellules souches adultes méritaient un investissement égal à celui des cellules souches embryonnaires. Estimant que l’opportunité du régime dérogatoire n’avait plus de sens, le rapport préconisait de passer d’un régime dérogatoire à un régime d’autorisation.

Dès son avis n° 1 du 22 mai 1984, la position de fond défendue par le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et la santé (CCNE) a consisté à reconnaître l’embryon comme « une personne humaine potentielle, dont le respect s’impose à tous ». Tout en rappelant l’exigence de fixer des règles et d’élaborer des contrôles afin de « maîtriser la puissance de la science sur la genèse de la vie humaine », le comité, dans son avis n° 8 du 15 décembre 1986, a reconnu la nécessité des recherches sur l’embryon, et préconisé, dans son avis n° 112 du 21 octobre 2010, un régime d’autorisation encadrée.

L’Agence de la biomédecine, dans son bilan d’application de la loi de bioéthique du 6 août 2004 d’octobre 2008, a estimé qu’un régime d’autorisation pérenne, à condition qu’il soit aussi encadré que le régime dérogatoire, présenterait les mêmes garanties en ce qui concerne le sérieux des recherches, et permettrait d’éliminer les reproches adressés de l’étranger, parfois hâtivement et à tort, au système dérogatoire selon lesquels son cadre juridique serait trop restrictif.

Le Conseil d’État, dans son étude du 9 avril 2009 sur la révision des lois de bioéthique, préconisait lui aussi de créer un régime permanent d’autorisation des recherches sur l’embryon humain et les cellules embryonnaires, enserré dans des conditions strictes, précisant que cette possibilité serait une simple faculté et ne créerait donc pas un droit à autorisation.

Le rapport final des états généraux de la bioéthique du 1er juillet 2009 avait proposé une solution originale. Les citoyens ont souhaité, dans le cadre du forum régional de Marseille du 9 juin 2009 qui a notamment porté sur la recherche sur les cellules souches et l’embryon, établir deux régimes juridiques distincts : un régime d’autorisation sous condition pour la recherche scientifique et un régime d’interdiction pour « toute recherche portant sur l’embryon destiné à naître ».

Dans un rapport en date du 22 juin 2010, l’Académie nationale de médecine a livré ses réflexions relatives au rapport d’information n° 2235 de la mission parlementaire sur la révision des lois de bioéthique. Selon elle, « l’interdiction de principe de toute recherche sur l’embryon ne peut être justifiée par la protection d’embryons qui n’ont pas d’autre avenir que l’arrêt de leur vie. Dans tous les cas, les recherches sur l’embryon devraient faire l’objet d’un encadrement réglementaire rigoureux qui devrait distinguer deux catégories de recherches, celles réalisées sur des embryons n’ayant pas d’autre avenir que l’arrêt de leur développement et celles réalisées sur des embryons destinés à vivre ».

L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), dans son rapport n° 2718 sur la recherche sur les cellules souches du 8 juillet 2010, a également préconisé la levée du moratoire sur la recherche sur les cellules souches et recommandé de passer à un régime d’autorisation strictement encadré, en retenant, comme critères d’autorisation des recherches sur les cellules souches embryonnaires, « la finalité et la pertinence scientifique et médicale du projet de recherche ».

Enfin, le rapport d’information n° 2235 rendu au nom de la mission d’information sur la révision des lois de bioéthique, « Favoriser le progrès médical. Respecter la dignité humaine », de janvier 2010 proposait de maintenir le principe de l’interdiction de la recherche sur l’embryon et d’autoriser les recherches à titre dérogatoire, sans encadrer cette dérogation par des délais. Une partie des membres de la mission s’est toutefois déclarée favorable à la levée de l’interdiction pesant sur la recherche sur embryon et a plaidé pour l’adoption d’un régime d’autorisation sous conditions.

B. MÊME SI D’AUTRES TECHNIQUES SONT PROMETTEUSES, LA RECHERCHE SUR LES CELLULES SOUCHES EMBRYONNAIRES CONSERVE TOUTE SA PERTINENCE THÉRAPEUTIQUE

Dérivées chez l’homme pour la première fois en 1998 aux États-Unis par James Thompson de l’université Wisconsin-Madison (3), les cellules souches embryonnaires semblent conserver aujourd’hui des potentialités prometteuses. Leur double propriété de prolifération indéfinie (auto-renouvellement) et de différenciation dans tous les types de tissus (pluripotence) assure un nombre illimité de cellules capables de multiples destins cellulaires.

Contrairement aux cellules souches adultes qui sont rares et difficilement localisables, la quantité et la disponibilité des cellules souches embryonnaires, du fait du grand nombre d’embryons surnuméraires et de la possibilité de dériver des lignées des cellules extraites de ces embryons, représentent un avantage indéniable.

Par ailleurs, alors que les cellules souches adultes sont pour la plupart d’entre elles seulement multipotentes (4), les cellules souches embryonnaires sont le plus fréquemment pluripotentes (5) ou totipotentes (6), ce qui implique que leur capacité de différenciation est plus développée et permet l’obtention de tous les types de tissus et de cellules existant dans l’organisme.

Les cellules souches embryonnaires ont également une plus grande aptitude à la prolifération in vitro, ce qui permet d’obtenir des lignées plus facilement qu’avec des cellules souches adultes.

Enfin, les cellules souches embryonnaires sont beaucoup plus spontanément capables de survivre et de se multiplier in vitro que les cellules souches adultes.

La question se pose de savoir si la recherche, fondamentale ou appliquée, sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires pourrait être menée avec la même efficacité par le biais d’autres méthodes.

Il s’agit en premier lieu des recherches sur les embryons ou les cellules souches embryonnaires d’animaux. D’autres cellules souches constituent une alternative aux recherches sur les cellules souches embryonnaires. Des cellules souches fœtales sont ainsi contenues dans les organes et tissus prélevés lors des interruptions volontaires de grossesse, même si ces cellules souches fœtales comprennent une moindre proportion de cellules pluripotentes qu’au stade embryonnaire. De même, le sang placentaire, dit « sang de cordon », provenant du placenta, est apparu comme une source de cellules souches multipotentes présentant des potentialités intermédiaires entre celles de l’embryon et celles de l’adulte. Il existe aussi dans les organes du corps humain adulte des cellules souches adultes qui permettent à ces derniers de se régénérer et de se réparer tout au long de la vie. Ces cellules souches adultes sont présentes dans la majorité des tissus en faible quantité : 1 pour 100 000 cellules. Contrairement aux cellules souches embryonnaires, les cellules souches adultes ne peuvent se multiplier et se développer que de manière limitée – elles sont multipotentes et non pas pluripotentes – mais ouvrent néanmoins des perspectives de recherche et de thérapeutiques très prometteuses. Enfin, il faut noter la découverte, en 2007, des cellules pluripotentes induites, baptisées iPS (de l’anglais induced Pluripotent Stem cells), qui sont issues de la reprogrammation du noyau de cellules différenciées adultes.

La loi de 2011 prévoyait que l’Agence de la biomédecine fasse état dans son rapport annuel du bilan des recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires, en France et dans le monde. Il en ressort le constat suivant : la recherche sur les cellules souches embryonnaires demeure riche en promesses ; les méthodes alternatives n’ont pas vocation à s’y substituer mais bien à les compléter ; enfin, ces méthodes, notamment les cellules adultes reprogrammées, posent elles aussi des problèmes éthiques majeurs.

Votre rapporteure ne nie pas le caractère efficace de ces méthodes alternatives, ni leur potentialité scientifique et thérapeutique. Mais il serait dommageable, pour la recherche et les patients, d’abandonner la recherche sur les cellules souches embryonnaires.

D’abord, celle-ci est riche de promesses d’applications thérapeutiques.

En France, on peut citer les recherches en cours sur la maladie de Steinert, maladie complexe qui se traduit par des anomalies musculaires et neuronales. Au-delà de la compréhension de la maladie, un crible (7) a été fait à la recherche de gènes modulateurs susceptibles de restaurer une fonction normale des gènes altérés. Un gène a été identifié qui module l’expression de transcrits déficients dans la maladie et qui peut être ciblé par une molécule déjà utilisée en thérapeutique, ce qui peut en faciliter l’utilisation. Dans un crible mené en parallèle, un composé chimique a été identifié qui élimine aussi les agrégats nucléaires. Selon le rapport annuel 2011 de l’Agence de la biomédecine, ce projet est une belle démonstration de validité de la démarche d’utilisation de cellules souches embryonnaires pour la modélisation de maladies humaines et la recherche de molécules possiblement thérapeutiques.

Au niveau international, l’année 2011 a été marquée par les premiers essais cliniques utilisant des dérivés de cellules souches embryonnaires humaines. Trois essais cliniques chez l’homme sont en cours. Tous les trois sont des essais de phase I, testant d’abord la sécurité et la faisabilité de l’approche avant d’examiner l’efficacité du traitement. L’encadré présenté ci-dessous en offre une présentation plus détaillée. En France, plusieurs essais cliniques sont imminents. Citons par exemple les recherches menées par les professeurs José-Alain Sahel, Marc Peschanski et Philippe Menasché.

Exemples d’essais cliniques menés avec des cellules souches embryonnaires humaines

Deux essais ont été autorisés en novembre 2010 et janvier 2011 aux États-Unis : ils sont menés par la société de biotechnologie ACT (Advanced Cell Technology) dans deux pathologies rétiniennes très proches : la dystrophie maculaire de Stagardt (liée à une mutation génétique) et la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA, pathologie touchant plus d’un million de personnes en France). Toutes deux mènent à la cécité par dégénérescence des cellules rétiniennes qui composent la rétine.

En septembre 2011, la compagnie ACT a reçu l’autorisation de traiter des patients européens (Londres) atteints de maladie de Stagardt dans une extension de l’essai mené aux États-Unis. Dans ces essais, les cellules injectées sont des cellules de l’épithélium rétinien pigmentaire dérivées de cellules souches embryonnaires. In vivo, celles-ci forment une couche de cellules étroitement imbriquées avec les neurones photorécepteurs, indispensables à leur développement et à leur bon fonctionnement. Douze patients sont prévus dans chaque essai. Les premiers éléments d’analyse viennent d’être publiés en mars 2012 pour deux patients américains quatre mois après l’administration des cellules : ils confirment l’innocuité de l’injection.

Ensuite, certaines recherches ne peuvent être menées que sur l’embryon. Citons par exemple l’étude du processus de développement embryonnaire qui ne peut être qu’en partie étudié à partir d’embryons et de cellules souches embryonnaires animales. Certaines recherches en cours ne pourraient recourir à ce type de méthode avec la même efficacité. À titre d’illustration, les travaux en cours menés par l’équipe de C. Patrat, qui analyse les importantes modifications épigénétiques qui surviennent lors des premières divisions de l’embryon pour effacer les marques associées à l’identité mâle ou femelle des gamètes et permettre la formation d’un nouvel individu. Les études publiées récemment montrent que chez l’humain, les deux X sont encore actifs au stade de blastocyste, même si certains régulateurs de l’inactivation sont déjà en place. Ce processus est donc fondamentalement différent chez l’humain et chez les autres mammifères.

Enfin, l’efficacité et les effets des autres méthodes, notamment des cellules iPS, ne sont pas encore suffisamment connus. Six ans après la découverte de la technique de reprogrammation de cellules somatiques différenciées en cellules pluripotentes, des discussions portent sur l’équivalence moléculaire et fonctionnelle des cellules iPS et des cellules souches embryonnaires. Les premières pourraient-elles éclipser les secondes ? Comme l’énonce le rapport annuel de l’Agence de la biomédecine de 2011, « l’attitude de la communauté scientifique est consensuelle : elle insiste sur la nécessité de poursuivre la comparaison entre cellules souches embryonnaires et iPS, considérant que se limiter aujourd’hui aux seules cellules iPS – dont on connaît et maîtrise encore mal les propriétés – pourrait compromettre les avancées scientifiques dans ce domaine ».

Tout d’abord, il est nécessaire à de nombreux protocoles de recherche de conserver l’étude des cellules souches embryonnaires comme point de comparaison. Ainsi une étude récente montre que 68 % des équipes qui utilisent des iPS utilisent aussi des cellules souches embryonnaires comme référence (y compris en France), et que peu d’articles peuvent se dispenser de cette comparaison.

Surtout, les cellules iPS n’ont pas exactement les mêmes propriétés que les cellules souches embryonnaires (certains gènes ne s’y expriment pas, et les effets de la reprogrammation ne sont pas tous encore connus). Il semblerait notamment que les cellules iPS soient plus sensibles à l’acquisition d’aberrations chromosomiques que les cellules souches embryonnaires, en raison de leur « vie antérieure ». Il existe dans les cellules iPS des altérations génétiques dont les conséquences sur la fonction des cellules ne sont pas connues, mais c’est un élément d’instabilité susceptible d’entraîner un risque tumoral qu’il faut apprendre à connaître et maîtriser. Elles introduisent en outre des interrogations sur l’utilisation future des iPS en thérapie cellulaire. Il semble donc que les cellules iPS sont un matériau particulièrement prometteur pour le criblage des molécules dans le cadre de la recherche pharmaceutique, ou encore pour l’étude et la modélisation de certaines pathologies génétiques. Mais l’absence de recul scientifique sur leurs propriétés rend leur application thérapeutique incertaine.

Il serait d’ailleurs faux de considérer que l’usage des cellules adultes reprogrammées règle tous les problèmes éthiques posés par la recherche sur l’embryon. Chaque découverte est en effet porteuse de nouveaux questionnements et transgressions éthiques. Ainsi, lors de son audition par votre rapporteure, M. Jean-Claude Ameisen, président du CCNE, a fait état des problèmes posés par l’usage des cellules iPS. Si les éléments du corps humain, ici les cellules, ne sont pas considérées comme des personnes, nous savons qu’elles peuvent être ramenées à un état qui peut donner lieu au développement d’un embryon. Le clonage thérapeutique, c’est-à-dire ici le remplacement du noyau de l’œuf humain par le noyau d’une cellule somatique n’a encore jamais abouti à la création d’un embryon, mais il semble que cela soit scientifiquement envisageable. Dans certains cas, le transfert nucléaire a produit un embryon, mais celui-ci ne s’est pas développé. La loi de 2004, qui fait du clonage un crime contre l’espèce humaine, n’a pas abordé directement la question des cellules iPS. Pourtant, il faut envisager la possibilité que des hommes demandent une reprogrammation de leurs cellules, pouvant éventuellement conduire, un jour, à la reproduction d’un bébé qui aurait l’intégralité de leur génome. « La frontière entre ce qui est personnel et ce qui n’est pas une personne mais pourrait éventuellement le devenir n’est pas si aisée à déterminer » (8).

Comme l’ont rappelé la majorité des chercheurs auditionnés par votre rapporteure, il n’y a aucune « appétence » particulière des scientifiques pour la recherche sur les cellules souches embryonnaires et si, à l’avenir, d’autres méthodes s’avèrent être plus efficaces, elles évinceront naturellement cette dernière. Pour citer le rapporteur du Sénat, M. Gilbert Barbier, « si demain, l’équivalence est possible » entre les différents types de recherche, « la recherche à partir de cellules souches embryonnaires humaines ne sera plus autorisée en France ».

C. LE TEXTE ISSU DE LA LOI DE 2011 A CONSACRÉ UNE VÉRITABLE AMBIGUITÉ MORALE ET JURIDIQUE SANS ÊTRE PLUS PROTECTEUR DES EMBRYONS

Votre rapporteure rejoint ici l’analyse du rapporteur du Sénat, M. Gilbert Barbier, selon lequel : « l’insécurité juridique à laquelle sont confrontés les chercheurs est le résultat des ambiguïtés de la loi de 2004. Elle a été accentuée par le texte voté en 2011 qui consacre une ambiguïté morale et juridique. »

« Comme cela a été souvent souligné lors des débats parlementaires, le dispositif mis en place est le fruit d’un « compromis » : une transaction, vaudrait-il mieux dire, entre des valeurs auxquelles il est apparu difficile et dangereux de renoncer et les besoins des milieux médicaux et scientifiques que l’on n’a pas voulu sacrifier. » (9) On peut toutefois s’interroger sur la validité de cet interdit dans la mesure où, comme l’énonçait l’auteure de la présente proposition de loi, la sénatrice Françoise Laborde, « la recherche était interdite sauf dans les cas dérogatoires où elle était autorisée ! ». Dans le même sens, l’étude du Conseil d’État de 2009 préalable à la révision de la loi de 2004 considérait qu’« afficher le principe d’une interdiction là où les projets sont autorisés en quasi-totalité reviendrait à créer un paradoxe peu souhaitable. »

L’interdiction avec dérogations n’est pas plus protectrice pour l’embryon que le régime d’autorisation encadrée.

L’étude précitée du Conseil d’État a souligné que la différence juridique entre un régime d’interdiction assorti de dérogations et un régime d’autorisation sous conditions n’est pas fondamentale et, qu’en définitive, « l’un ou l’autre de ces schémas peut être indifféremment employé pour encadrer la recherche par des conditions en réalité identiques ».

De fait, non seulement le régime mis en place en 2004 et pérennisé en 2011 n’a pas empêché la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires, mais il n’est pas plus protecteur pour l’embryon.

Selon le rapport annuel de l’Agence de la biomédecine de 2011, jusqu’au 6 février 2011, 173 autorisations ont été délivrées : 71 concernent des protocoles de recherche (60 protocoles autorisés et 11 modifications substantielles), 24 la conservation de cellules souches embryonnaires et 46 l’importation de lignées de cellules souches embryonnaires. En outre, 30 renouvellements d’autorisation (19 de protocoles de recherche et 11 de conservation) ont été accordés pour permettre aux équipes de terminer leurs recherches et deux autorisations de prorogation délivrées pour les recherches dont le démarrage avait été différé par rapport à la date d’autorisation.

En 2011, l’agence a autorisé deux nouveaux protocoles de recherche (dont un sur l’embryon) et rendu quatre mesures de retrait d’autorisations précédemment délivrées. Quatre demandes de renouvellement ont été accordées. Une fenêtre de dépôt a été ouverte du 1er au 30 septembre 2011, durant laquelle cinq dossiers ont été déposés. Compte tenu des délais d’instruction de ces demandes, les premières autorisations correspondantes ont été délivrées le 16 janvier 2012.

Ainsi, 36 équipes de recherche françaises, porteuses de 63 projets, travaillent aujourd’hui sur les cellules souches embryonnaires et l’embryon. Leur niveau est reconnu au plan international, comme en attestent leurs nombreuses publications dans des revues scientifiques de renom, en matière de modélisation des maladies humaines, de développement de l’embryon, de compréhension du mécanisme de pluripotence cellulaire et de développement de cellules thérapeutiques pour le traitement d’anomalies cardiaques, de pathologies hépatiques ou de greffes pour les grands brûlés.

Surtout, la loi du 7 juillet 2011 n’a pas réglé le problème éthique fondamental, à savoir la destruction d’embryons créés dans le cadre de l’assistance médicale à la procréation, qui permet de fait la recherche. Il faut noter que le législateur aurait pu, au nom du respect pour l’embryon humain, imposer une limitation du nombre des ovocytes à féconder in vitro afin de permettre le transfert de tous les embryons issus de cette fécondation. Si les techniques actuelles devaient être améliorées dans l’avenir, le principe applicable pourrait être celui du transfert immédiat des embryons conçus en nombre limité, ce qui réglerait le problème des embryons « surnuméraires ».

La loi n’est pas allée jusqu’à interdire la création d’embryons « surnuméraires », mais elle prévoit que la mise en œuvre de l’aide médicale à la procréation doit désormais privilégier les pratiques et procédés qui permettent de limiter le nombre des embryons conservés. L’Agence de la biomédecine doit rendre compte, dans son rapport annuel, des méthodes utilisées et des résultats obtenus à cet effet.

Sur ce point, votre rapporteure est sensible aux analyses du Comité consultatif national d’éthique (10), qui constate qu’aujourd’hui, « ce n’est en aucun cas l’éventualité d’une recherche qui influe sur la décision de détruire l’embryon ». Qu’il s’agisse des embryons surnuméraires qui ne font plus l’objet d’un projet parental ou de ceux dont un diagnostic préimplantatoire (DPI) a mis en évidence une maladie, leur sort est, indépendamment de toute recherche, l’arrêt de leur conservation, c’est-à-dire la destruction.

Dès lors, le comité estime qu’« on ne protège pas l’embryon humain de la destruction en interdisant la recherche. La question éthique première est donc celle de la destruction de l’embryon humain », qu’il considère, en l’état de l’art, comme un « moindre mal ». Certains avancent que c’est en raison même de la faiblesse symbolique concernant la destruction de l’embryon in vitro, qui est actuellement, de façon paradoxale, autorisée sous conditions et non interdite par la loi, que le législateur a été « conduit à faire peser, par une forme de compensation, une charge symbolique supplémentaire ailleurs, en l’occurrence sur la recherche ».

La législation actuelle est en revanche peu claire sur le plan juridique et préjudiciable à la recherche.

Comme le soulignait l’étude du Conseil d’État de 2009, le législateur ne pourrait raisonnablement poser une interdiction et édicter dans le même temps, à titre permanent, une dérogation dont l’effet serait en pratique de vider de son sens cette interdiction.

Ce problème de lisibilité de la loi s’accompagne d’une réelle insécurité juridique pour les recherches en cours. En effet, la principale différence entre le régime d’interdiction avec dérogations et le régime d’autorisation encadrée porte sur la méthode d’interprétation des textes puisque, selon l’étude précitée, « dans un régime d’interdiction assorti de dérogations, la possibilité de déroger à l’interdiction est interprétée strictement, alors que dans un régime d’autorisation soumise à conditions, ce sont les conditions qui peuvent donner lieu à une interprétation stricte ».

De fait, la Cour administrative d’appel de Paris a déduit de l’existence de l’interdiction de principe de la recherche qu’il appartenait à l’Agence de la biomédecine de faire la preuve que des recherches employant des moyens alternatifs ne pouvaient parvenir au résultat escompté. Elle a en conséquence annulé l’autorisation accordée trois ans auparavant à une recherche (11). Les scientifiques sont, en cas d’annulation, tenus d’arrêter immédiatement leurs travaux sous peine de sanctions pénales. Onze recours en annulation, dont quatre concernent les travaux d’équipes de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), sont actuellement en cours d’instruction par le tribunal administratif de Paris.

III.- LE RÉGIME D’AUTORISATION ENCADRÉE
PRÉVU PAR LA PROPOSITION DE LOI :
LE CHOIX DE LA CLARTÉ ET DE LA RESPONSABILITÉ

En visite au Génopole d’Évry, François Hollande s’était engagé en février 2012 à demander au Parlement de « modifier la loi de bioéthique de 2011 pour autoriser la recherche sur les cellules souches embryonnaires ». Il avait précisé que ces recherches seraient « encadrées pour éviter toute marchandisation du corps humain ». Le présent texte met en œuvre cette promesse présidentielle.

Le régime d’autorisation encadrée est-il la voie ouverte à toutes les dérives ? Est-il moins respectueux du statut de l’embryon ?

Non, car d’une part, la législation actuelle ne protège pas les embryons dits « surnuméraires » de la destruction et, d’autre part, l’autorisation ne signifie pas un droit systématique, mais une simple faculté. Ce faisant, la proposition de loi maintient le statut d’exception de la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires et fait droit au respect qui leur est dû, tout en étant à la fois plus lisible et plus responsable.

A. LA PROPOSITION DE LOI PÉRENNISE UN RÉGIME D’AUTORISATION ENCADRÉE

Les développements récents de la science poussent à s’interroger sur la dichotomie classique entre les choses et les personnes. Suis-je propriétaire de mes cellules et de mes organes ? Puis-je en faire don, sinon commerce ? Doit-on penser que l’on en dispose sans en avoir la propriété ? À qui appartient l’embryon précoce de ce point de vue ? L’embryon, d’abord enveloppé dans la sphère de ses géniteurs, s’en dégage progressivement, à mesure d’ailleurs que le droit lui accorde une protection renforcée. C’est ce qui justifie notamment le consentement des parents à tout usage des embryons surnuméraires non implantés (12).

Comment fonder un juste milieu entre dénier à l’embryon humain tout statut personnel et conférer à une cellule la même dignité morale qu’à un être conscient et raisonnable ?

Le regarder comme étant une personne humaine potentielle rassemble le consensus éthique le plus large.

Comme l’énonce le rapport du Conseil d’État de 2009, « sans permettre de rejoindre entièrement celles et ceux qui demandent que tous les attributs de la personne humaine lui soient reconnus, cette qualification justifie du moins de lui apporter des protections qui lui soient propres, en pensant non seulement à ce qu’il est mais aussi à ce qu’il a vocation à devenir. »

Dès lors, il n’y a que deux choix possibles : l’interdiction de toute recherche, position respectable pour ceux qui considèrent que l’embryon est une personne humaine dès sa conception, ou l’autorisation encadrée, pour ceux qui estiment que l’embryon est une personne humaine potentielle, inscrite dans un projet parental.

La tendance de la plupart des comités éthiques a été de considérer le consentement parental comme nécessaire mais non suffisant pour la manipulation des embryons créés in vitro. S’y ajoutent des autorisations accordées par des commissions scientifiques et techniques, « ce qui donne à ces embryons, sinon plus de droits qu’aux autres, du moins une meilleure protection, en instituant une sorte de tutorat de la collectivité » (13). C’est dans cette logique que s’inscrit cette proposition de loi. L’autorisation encadrée semble aujourd’hui la position à la fois la plus claire et la plus responsable si l’on doit continuer, demain, de mener des recherches sur les embryons ne faisant plus l’objet d’un projet parental.

B. COMME À L’HEURE ACTUELLE, QUATRE CONDITIONS STRICTES ENCADRERONT TOUTE AUTORISATION DE RECHERCHE

Le 1° de l’article L. 2151-5 modifié par la présente proposition de loi demeure inchangé et prévoit que la pertinence scientifique de la recherche doit être établie. C’est à l’Agence de la biomédecine qu’il revient d’autoriser les protocoles de recherche, après vérification du respect de toutes les conditions légales.

Le 2° prévoit en second lieu que « la recherche, fondamentale ou appliquée, doit s’inscrire dans une finalité médicale ».

La troisième condition, énoncée au 3°, porte sur le caractère « subsidiaire » des recherches sur l’embryon. Ainsi, en « l’état des connaissances scientifiques, cette recherche ne peut être menée sans recourir à ces embryons ou ces cellules souches embryonnaires. »

Enfin, la quatrième et dernière condition est prévue par le 4°: « les projets de recherche et les conditions de mise en œuvre des protocoles doivent eux-mêmes respecter les principes éthiques relatifs à la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires ». Cet alinéa n’est pas modifié par la présente proposition de loi.

C. LE CONSENTEMENT PARENTAL DEMEURERA UNE CONDITION SINE QUA NON

Il est prévu, comme le législateur en a décidé en 2004 puis en 2011, que le couple (ou le survivant) doit consentir par écrit aux recherches, après un délai de réflexion de trois mois.

Il doit être informé des possibilités d’accueil des embryons par un autre couple ou d’arrêt de leur conservation. La rédaction actuelle ne reprend pas l’obligation figurant dans le texte adopté en 2011 d’informer les membres du couple de la nature des recherches projetées.

Enfin, le consentement des deux membres du couple ou du membre survivant du couple est révocable sans motif tant que les recherches n’ont pas débuté.

D. LES RECHERCHES FERONT L’OBJET D’UN CONTRÔLE PAR L’AGENCE DE LA BIOMÉDECINE ET LES MINISTRES EN CHARGE DE LA SANTÉ ET DE LA RECHERCHE

Comme le prévoit la législation actuelle, il reviendra à l’Agence de la biomédecine d’instruire les demandes d’autorisation de recherche et d’en contrôler, par des inspections régulières, le déroulement.

La proposition de loi prévoit que la décision de l’agence, assortie de l’avis de son conseil d’orientation, est communiquée aux ministres chargés de la santé et de la recherche qui peuvent, dans un délai d’un mois et conjointement, demander un nouvel examen du dossier ayant servi de fondement à la décision :

– en cas de doute sur le respect des principes éthiques ou sur la pertinence scientifique d’un protocole autorisé. L’agence procède à ce nouvel examen dans un délai de trente jours. En cas de confirmation de la décision, la validation du protocole est réputée acquise ;

– dans l’intérêt de la santé publique ou de la recherche scientifique, lorsque le protocole a été refusé. L’agence procède à ce nouvel examen dans un délai de trente jours. En cas de confirmation de la décision, le refus du protocole est réputé acquis.

L’agence pourra toujours suspendre ou retirer l’autorisation de recherche au cas de violation des prescriptions législatives et réglementaires ou de celles fixées par l’autorisation.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

I.- DISCUSSION GÉNÉRALE

La Commission examine, sur le rapport de Mme Dominique Orliac, la présente proposition de loi au cours de sa séance du mercredi 20 mars 2013.

Mme Dominique Orliac, rapporteure. La présente proposition de loi, déposée au Sénat le 1er juin 2012 par M. Jacques Mézard, président du groupe du rassemblement démocratique et social européen (RDSE), a été adoptée en décembre dernier. Un texte identique fut déposé à l’Assemblée nationale le 23 janvier dernier par M. Roger-Gérard Schwartzenberg, président du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste (RRDP). Il vise à soumettre la recherche sur les cellules souches embryonnaires à un régime d’autorisation encadrée.

La recherche sur l’embryon humain et sur les cellules souches embryonnaires qui en sont dérivées constitue l’un des problèmes les plus sensibles de la bioéthique car il touche aux origines de la vie. Sujet récurrent depuis 1994, il figurait parmi les plus discutés lors de la révision de la loi de bioéthique en 2011.

En 1994, la loi avait posé le principe d’une interdiction absolue de la recherche sur l’embryon. En 2004, ce principe avait été maintenu, mais assorti de dérogations pour une période de cinq ans. Comme l’a souligné M. Axel Kahn, directeur de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), ancien membre du Comité consultatif national d’éthique, lorsque nous l’avons auditionné à la fin de ce moratoire, le législateur avait alors le choix entre deux solutions : maintenir l’interdiction des recherches ou les autoriser de manière encadrée. Il a opté pour une solution hybride.

Le régime actuel, prévu par l’article L. 2151-5 du code de la santé publique tel que modifié par la loi de 2011, repose sur une interdiction de principe de la recherche sur les embryons, assortie de dérogations. L’affichage d’un interdit symbolique, dont on peut comprendre l’intention, recouvre en réalité une autorisation qui ne dit pas son nom.

Dans la perspective de la révision de la loi de bioéthique du 6 août 2004, de nombreuses instances se sont prononcées sur la question de la recherche sur l’embryon. La commission des affaires sociales du Sénat avait adopté un texte en ce sens lors de la discussion de la loi de bioéthique de 2011, tout comme notre Assemblée l’avait fait en première lecture de la loi de bioéthique de 2004. Le Comité national consultatif d’éthique, l’Académie de médecine, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), le Conseil d’État, une partie des députés membres de la mission d’information sur la révision des lois de bioéthique, enfin les citoyens ayant participé aux états généraux de la bioéthique, ont tous préconisé la mise en place d’un régime d’autorisation encadrée de la recherche.

Pourquoi ne pas les avoir entendus ?

Plusieurs arguments ont été à l’époque invoqués en faveur de la pérennisation du régime d’interdiction avec dérogations.

Il s’agissait tout d’abord d’affirmer un interdit symbolique fort, et de refuser de considérer l’embryon comme un matériau de recherche. Nous approuvons cet objectif mais le régime mis en place en 2011 non seulement ne s’avère pas plus protecteur qu’un régime d’autorisation encadrée mais paraît en outre de nature à stigmatiser la recherche. Ainsi, comme l’a clairement souligné le Conseil d’État dans son étude sur la révision des lois de bioéthique, « afficher le principe d’une interdiction là où les projets sont autorisés en quasi-totalité revient à créer un paradoxe peu souhaitable. »

Ainsi, au 1er mars 2013, 198 autorisations avaient été délivrées par l’Agence de la biomédecine (ABM), 79 concernant des protocoles de recherche dont 54 portant sur des cellules souches embryonnaires, 12 sur des embryons, 29 concernant la conservation de cellules souches embryonnaires et 50 leur importation.

Surtout, le régime actuel n’est pas plus protecteur pour les embryons. En effet, si l’on considère que l’embryon doit être respecté en tant qu’être humain dès sa conception, il faut non seulement interdire toute recherche mais interdire aussi la production d’embryons surnuméraires dans le cadre de l’assistance médicale à la procréation. Car, comme nous l’a rappelé M. Jean-Claude Ameisen, président du Comité national consultatif d’éthique, « on ne protège pas l’embryon humain de la destruction en interdisant la recherche. La question éthique première est celle de la destruction de l’embryon humain » ne faisant plus l’objet d’un projet parental. C’est peut-être même en raison de la faiblesse de notre législation concernant la destruction de l’embryon in vitro, paradoxalement autorisée sous conditions, que le législateur a été « conduit à faire peser, par une forme de compensation, une charge symbolique supplémentaire ailleurs, en l’occurrence sur la recherche », poursuivait M. Ameisen.

On a estimé, en 2011, que le système dérogatoire ne portait pas préjudice à la recherche et pouvait être assimilé de fait à une autorisation encadrée. Et en effet, les statistiques de l’Agence de la biomédecine traduisent un grand dynamisme de la recherche française en la matière.

En vérité, le texte actuel stigmatise nos chercheurs et tend à les isoler sur la scène internationale, tant le système mis en place en France est incompréhensible à l’étranger. Les professeurs José-Alain Sahel, directeur de l’Institut de la vision, Philippe Menasché, chirurgien cardiaque à l’hôpital européen Georges Pompidou et directeur de recherches à l’INSERM sur les thérapies cellulaires en pathologie cardio-vasculaire, et Marc Peschanski, directeur scientifique de l’Institut des cellules souches pour le traitement et l’étude des maladies monogéniques (I-Stem), ont fait état des obstacles rencontrés par leurs équipes et des difficultés d’accès à certains financements en raison de l’illisibilité de la loi française.

S’y ajoute une véritable insécurité juridique qui nous prive de progrès thérapeutiques majeurs. La rédaction actuelle de la loi est source de contentieux qui retardent le lancement de certains projets scientifiques. Onze procédures, engagées par la fondation Jérôme Lejeune, sont aujourd’hui en cours contre des décisions d’autorisation de recherche sur l’embryon ou sur les cellules souches embryonnaires, accordées essentiellement à l’INSERM et au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) par l’Agence de la biomédecine, au motif que celle-ci n’avait pas prouvé l’impossibilité de mener ces recherches par d’autres méthodes. Or, en matière de recherche fondamentale, une telle preuve ne peut pas être apportée.

Enfin, il a été considéré, en 2011, que l’existence de méthodes alternatives de recherche rendait inutile l’autorisation encadrée des recherches sur l’embryon.

Ce débat a récemment été relancé par l’attribution du prix Nobel de physiologie et de médecine à John Gurdon et Shinya Yamanaka, qui ont démontré la possibilité de faire régresser des cellules adultes jusqu’au stade de la pluripotence.

Même si d’autres techniques se révèlent prometteuses, la recherche sur les cellules souches embryonnaires conserve toute sa pertinence thérapeutique. L’année 2011 a ainsi été marquée par les premiers essais cliniques utilisant des dérivés de cellules souches embryonnaires humaines. Ensuite, certaines recherches ne peuvent être menées que sur l’embryon, notamment celles concernant son développement précoce. Enfin, l’efficacité et les effets des autres méthodes, notamment des cellules iPS (induced pluripotent stem cells, cellules souches pluripotentes induites) ne sont pas encore suffisamment connus et leur utilisation pose, elle aussi, des problèmes éthiques. Il faut envisager la possibilité que des hommes demandent une « reprogrammation » de leurs cellules, pouvant éventuellement conduire, un jour, à la naissance d’un bébé possédant l’entièreté de leur génome.

Il existe un véritable consensus pour reconnaître que les recherches sur les cellules souches adultes et les cellules reprogrammées n’ont pas vocation à se substituer, en l’état actuel des connaissances scientifiques, à la recherche sur les cellules souches embryonnaires, mais qu’elles en sont le complément nécessaire. La plupart des chercheurs que nous avons entendus ont déclaré mener ces différents types de recherche en parallèle.

Il n’y a aucune « appétence » particulière des scientifiques pour la recherche sur les cellules souches embryonnaires : si, à l’avenir, d’autres méthodes s’avèrent plus efficaces, elles évinceront naturellement cette dernière.

En 2004, notre manque de recul pouvait expliquer le choix d’un régime d’interdiction avec dérogation. En revanche, le texte de la loi de 2011 est allé plus loin : par le biais de dérogations pérennes, et non plus provisoires, il autorise de fait la recherche sur les embryons, tout en l’assortissant de conditions restrictives parfois impossibles à remplir, sources d’insécurité juridique et de confusion pour nos concitoyens. C’est pourquoi il est aujourd’hui proposé de modifier la loi sur ce point.

Le régime d’autorisation encadrée est-il la voie ouverte à toutes les dérives ? Est-il moins respectueux du statut de l’embryon ? Non, car l’autorisation n’implique pas un droit systématique mais offre une simple faculté. La plupart des comités éthiques considèrent le consentement parental comme nécessaire mais non suffisant pour la manipulation des embryons créés in vitro. S’y ajoutent des autorisations accordées par des commissions scientifiques et techniques, ce qui donne à ces embryons, sinon pas plus de droits qu’aux autres, du moins une meilleure protection, en instituant une sorte de tutorat de la collectivité.

S’inscrivant dans cette logique, la présente proposition de loi maintient le statut d’exception de la recherche sur l’embryon et sur les cellules souches embryonnaires, faisant ainsi droit au respect qui leur est dû.

Ainsi, comme à l’heure actuelle, quatre conditions strictes encadreront toute autorisation de recherche et il reviendra à l’Agence de la biomédecine d’autoriser les protocoles de recherche, après vérification du respect de toutes les conditions légales, comme elle l’a fait jusqu’ici avec la plus grande rigueur depuis 2006. Je rappelle à cette occasion que l’agence ne se fonde pas uniquement sur des avis scientifiques pour prendre ses décisions : son comité d’orientation, réunissant des scientifiques et des représentants de la société civile, est appelé à se prononcer sur chaque dossier ; les considérations éthiques sont donc présentes pendant l’instruction de celui-ci.

La première condition demeure inchangée, prévoyant que la pertinence scientifique de la recherche doit être établie.

Deuxièmement, « la recherche, fondamentale ou appliquée, doit s’inscrire dans une finalité médicale ». Nous reprenons ici la formulation proposée dans le rapport d’information de notre Assemblée en vue de la dernière révision de la loi de bioéthique.

La troisième condition porte sur le caractère subsidiaire des recherches sur l’embryon. « En l’état des connaissances scientifiques, cette recherche ne peut être menée sans recourir à ces embryons ou ces cellules souches embryonnaires. »

Enfin, la quatrième condition prévoit que « les projets de recherche et les conditions de mise en œuvre des protocoles doivent eux-mêmes respecter les principes éthiques relatifs à la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires ». Cet alinéa n’est pas modifié par la présente proposition de loi.

De plus, le consentement parental demeurera une condition sine qua non. Il est prévu, comme le législateur en a décidé en 2004 et en 2011, que le couple doit consentir aux recherches par écrit, après un délai de réflexion de trois mois. Il doit être informé des possibilités d’accueil des embryons par un autre couple ou d’arrêt de leur conservation. Enfin, le consentement des deux membres du couple ou du membre survivant est révocable sans motif tant que les recherches n’ont pas débuté.

Existerait-il une conception de droite ou de gauche de la bioéthique ? Je ne le crois pas. Ces questions complexes, mobilisant des convictions souvent personnelles, transcendent les clivages politiques traditionnels. De même, il est impossible de ramener le débat à une opposition simpliste entre partisans forcenés ou détracteurs du progrès scientifique, ou entre, d’un côté, ceux qui considéreraient l’embryon comme un simple matériau de laboratoire et, de l’autre, ceux qui lui accorderaient l’attention et la dignité qu’il mérite. Toute solution ne peut résulter que d’un compromis, et nul ne possède la réponse à l’énigme que constitue pour nous l’embryon humain. Si nous avons souhaité modifier la loi de 2011, c’est parce qu’elle a introduit une ambiguïté juridique et morale qui nuit à la recherche, sans pour autant mieux protéger l’embryon.

Ce texte ne remet donc pas en cause la philosophie générale de la loi de bioéthique et maintient l’équilibre entre le respect de l’embryon comme être en devenir et les perspectives offertes par la recherche. Il fait simplement le choix de la lisibilité et de la responsabilité vis-à-vis de nos concitoyens. C’est pourquoi je vous invite à l’adopter.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Votre groupe parlementaire, madame la rapporteure, a bien fait de s’emparer d’un sujet sur lequel la France accuse un important retard. On ne saurait, à la fois, déplorer que notre industrie pharmaceutique soit à la traîne dans certaines recherches et interdire ce qui se pratique dans d’autres pays de façon encadrée. Ce texte est très attendu des chercheurs, du public comme du privé.

M. Alfred Spira nous a indiqué, lorsque nous l’avons auditionné sur son rapport sur les troubles de la fertilité, que « la recherche en reproduction et troubles de la fertilité humaine est assez bien développée en France » mais que « des obstacles n’en demeurent pas moins : tout d’abord le régime actuel d’interdiction des recherches sur l’embryon assortie de dérogations nourrit la suspicion sur ces recherches, en tout cas décourage les équipes au vu des difficultés administratives et réglementaires à surmonter. Trop peu de chercheurs français travaillent sur le sujet. Ce serait pourtant indispensable pour mieux connaître les mécanismes du développement embryonnaire et in fine améliorer les techniques d’assistance médicale à la procréation », ce qui signifie améliorer le taux de réussite des projets parentaux quand ils ont recours à la procréation médicalement assistée.

Entendu le même jour par notre commission, M. Dominique Royère, professeur à l’université de Tours et biologiste à l’Agence de la biomédecine, a indiqué que 17 % des 171 000 embryons cryoconservés, soit environ 30 000, ne font plus l’objet d’un projet parental. La moitié des couples accepte que leurs embryons soient donnés à un autre couple, infertile, et l’autre moitié qu’ils soient confiés à la recherche. Il nous faut tenir compte des aspirations de ces couples et améliorer les chances de réussite des projets parentaux.

M. Jean-Louis Touraine. Cette proposition de loi était fortement attendue et j’adhère entièrement aux propos de la rapporteure.

Substituer une autorisation strictement encadrée à une interdiction assortie de dérogations représente une avancée significative pour notre pays et notre société. Nous rejoindrons ainsi le concert du plus grand nombre de nations développées engagées dans la recherche sur les embryons, comme nous suivrons les propositions formulées par les états généraux de la bioéthique, le Comité consultatif national d’éthique, le Sénat, le Conseil d’État, l’Académie de médecine : en définitive par tous ceux qui ont étudié en profondeur cette question délicate. Nous sortirons ainsi de l’hypocrisie consistant à interdire de développer des lignées de cellules souches embryonnaires en France mais à en autoriser l’importation. Comme si les embryons ne méritaient pas le même respect, de part et d’autre des frontières !

Nous privilégierons ainsi la confiance dans la recherche et dans le progrès. De nombreux projets de recherche sur des cellules souches embryonnaires sont aujourd’hui soumis à l’Agence de la biomédecine, ainsi que trois demandes d’applications thérapeutiques, pour les tissus cutanés, la rétine et le cœur. À l’étranger, les recherches portent bien sûr sur une plus grande variété de tissus encore, tant les perspectives thérapeutiques sont porteuses d’espoir.

l’Agence de la biomédecine supporte actuellement d’importants frais d’avocat pour faire face aux nombreux recours contentieux en annulation de ses décisions – onze en cours à ce jour et combien demain ? – déposés notamment par la fondation Lejeune. Les fonds correspondants seraient évidemment mieux employés à financer les missions sanitaires de l’agence plutôt que des frais de procédure.

On oppose souvent à la recherche sur les embryons deux types d’arguments qu’il me faut réfuter. Le premier consiste à affirmer qu’il serait possible de se passer des cellules souches embryonnaires, en recourant à d’autres cellules souches, notamment les cellules iPS. L’identité de dénomination ne doit pas conduire à confondre les deux, pas plus que le vieillard et le nouveau-né ne sont semblables, bien qu’à tous deux le mot « humain » puisse s’appliquer ! Les cellules iPS conservent la mémoire de leur tissu d’origine et offrent donc des possibilités plus limitées de spécialisation. En outre, leur maniement soulève d’autres problèmes éthiques : ainsi ces cellules génétiquement modifiées sont susceptibles de se différencier en gamètes.

Deuxième argument : la vitrification des ovocytes permettrait qu’il n’y ait plus, demain, d’embryons surnuméraires dans les cuves d’azote liquide de nos laboratoires. C’est tout aussi faux. Cette technique de congélation permet de lutter contre certaines formes de stérilité aujourd’hui non traitées, et offre des opportunités supplémentaires de fécondité. Mais elle ne dispensera pas de fécondations in vitro conduisant à l’existence d’embryons surnuméraires – dont des dizaines de milliers sont chaque année détruits parce que ne faisant plus l’objet d’un projet parental. C’est sur ces embryons-là qu’avec autorisation parentale il est possible de prélever des cellules pour les besoins de la recherche et, à terme, de ses applications thérapeutiques.

Ce qui nous est proposé à travers cette proposition de loi ne fait qu’étendre à l’embryon les dispositions en vigueur concernant les prélèvements d’organes ou d’éléments du corps, effectués sur l’adulte, l’enfant, le nouveau-né, mais aussi depuis plusieurs décennies sur le fœtus humain post mortem – avec autorisation parentale.

C’est, en définitive, une marque de respect, de considération et de dignité que la proposition de loi accorde à l’embryon humain puisqu’on ne voit pas pourquoi celui-ci n’aurait pas droit au même statut que les autres phases de développement de l’être humain, depuis la fécondation jusqu’à la mort.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Merci d’avoir rappelé les différents stades du vivant, eu égard aux courriers outranciers que nous recevons en vue de la discussion de ce texte. L’embryon, constitué de huit cellules au maximum, n’a rien à voir avec un fœtus.

M. Jean Leonetti. J’invite nos collègues à adopter sur des sujets aussi sensibles des positions moins tranchées, triomphantes ou binaires.

La loi de 2011 a mis en place, de façon consensuelle, une certaine procédure. J’avais proposé qu’on puisse modifier les lois de bioéthique dès que nécessaire. L’opposition de l’époque préférait une formule de révision régulière, tous les sept ans. Ce que nous avons voté, hormis le cas où une découverte scientifique viendrait à bouleverser les équilibres. Nous avons précisé aussi, par amendement adopté à mon initiative, que chaque modification législative devrait être précédée d’états généraux, comme le traduit sur un autre thème le courrier du président Jean-Claude Ameisen. Car il ne s’agit pas d’un sujet aussi simple qu’on pourrait le croire. Or, voilà qu’aujourd’hui nous légiférons au bout d’un an et sans états généraux, donc sans débat public préalable, alors même que, à côté des scientifiques qui plaident toujours en faveur de la recherche, les citoyens se montrent extrêmement prudents quant au statut de l’embryon, être en devenir et non pas objet.

La bioéthique repose à la fois sur le pragmatisme et sur le symbolique, avec des conflits de valeurs portant sur la dignité de la personne humaine dès sa conception – référence constitutionnelle et non pas biblique – et autour de la nécessité de progresser sur le plan scientifique.

La loi Veil sur l’interruption volontaire de grossesse protège le fœtus et autorise néanmoins, par dérogation, le droit à l’avortement. C’est là une constante du droit français, jamais abandonnée jusqu’ici, que d’affirmer la protection avant de prévoir des dérogations.

Certains feront valoir qu’entre l’autorisation encadrée et l’interdiction avec dérogation, il existe la même différence qu’entre blanc bonnet et bonnet blanc. Dans ce cas, ne serions-nous pas en train de discuter du sexe des anges dans Byzance assiégée par une crise économique ? Non, car s’il y a probablement peu de différence pour le chercheur, il n’en demeure pas moins que la position adoptée par la France revêt une portée symbolique sur le plan international. Ce n’est pas parce que certaines pratiques ont cours dans certains pays qu’on doit les autoriser chez nous. Au Brésil, on vend son rein pour quelques reals et la gestation pour autrui est autorisée dans certains pays européens… Attention donc à ne pas céder au moins disant éthique au nom du mieux disant scientifique et de la performance !

Il existe bien sûr des alternatives à la recherche sur les embryons et les lignées de cellules embryonnaires. Shinya Yamanaka, aujourd’hui prix Nobel, a montré que des cellules souches adultes pouvaient fournir des résultats supérieurs à ceux permis par des lignées embryonnaires. La recherche sur l’embryon demeure néanmoins nécessaire car cette « potentialité de personne humaine » n’est pas un objet et mérite que l’on progresse sur sa connaissance ainsi que sur ses traitements, lesquels peuvent d’ailleurs servir à d’autres stades.

Les scientifiques sont-ils aujourd’hui en France gênés dans leurs travaux de recherche ? L’ont-ils été par le moratoire : comment lancer un programme de recherche en sachant qu’au bout de trois ans il faudra peut-être l’arrêter ?

C’est pourquoi nous avons choisi un régime de dérogations pérennes. Ainsi, tout chercheur bénéficie d’une continuité dans ses travaux – du moins si les majorités parlementaires changeantes ne modifient pas chaque fois les lois de bioéthique – à la condition d’œuvrer pour le progrès médical et non pour tester des cosmétiques…

Vous avez dit, madame la présidente, que la France était en retard. Relisez donc ce qu’a écrit Mme Sylviane Agacinski sur les lois de bioéthique : elle rappelle que la France est, au contraire, en avance, parce qu’elle est protectrice.

Ulysse, au large de l’île des sirènes, fait boucher à la cire les oreilles de ses hommes d’équipage et lui-même se fait attacher au mât afin de résister à la tentation de succomber à leurs charmes trompeurs. Il ne s’interdit pas d’entendre leur chant : il veut au contraire le connaître mais y résister. « Un homme, cela s’empêche », disait Albert Camus, mais par des liens humains. Ce chant s’appelle aujourd’hui lobbying avec, à la clé, d’importants intérêts financiers. De ce lobbying, les députés doivent se garder comme Ulysse du chant des sirènes : il faut avoir connaissance du progrès mais ne pas s’y fourvoyer. Tel est le projet qui nous anime.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Vous avez fait allusion à mes propos sur le retard de la France et sur la position des industriels du médicament. Soyons clairs : ces derniers, dont vous défendez volontiers les intérêts, sont heureux de savoir qu’on va enfin autoriser les recherches sur les cellules embryonnaires, comme dans les autres pays. Ce qui n’a rien à voir avec la vente d’organes humains…

M. Jean Leonetti. Je n’ai pas fait cet amalgame !

Mme Jacqueline Fraysse. Comment le groupe UMP peut-il se permettre de nous inviter à la modération alors que, sur ces sujets complexes et délicats touchant à des convictions intimes, la droite, encore tout récemment à propos du mariage pour tous, a fait preuve d’excès indignes ?

Au nom de mon groupe, je me réjouis de cette proposition de loi, très attendue et dont le thème a été longuement discuté lors de l’examen des lois de bioéthique. Le texte adopté en 2011 frôle en effet le ridicule.

Nous sommes, comme par le passé, favorables aux recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires dès lors qu’elles sont rigoureusement encadrées. Leur régime doit évoluer d’une interdiction assortie de dérogation à un système plus ouvert et conquérant. Le régime actuel, hypocrite, retarde la recherche française et la place dans une position ringarde, à la limite du ridicule. Notre pays, reconnu et respecté par la communauté scientifique internationale, ne doit pas, pour des raisons que je ne qualifierai pas davantage, continuer de prendre de retard dans ce champ de recherche.

Mme Véronique Massonneau. Dans le domaine de la bioéthique, on échappe aux clivages politiques pour passer aux convictions personnelles. La recherche sur l’embryon, sujet potentiellement angoissant, nous a valu de nombreux courriers et courriels hostiles à la présente proposition de loi.

Au Sénat, seuls quelques-uns des membres du groupe écologiste se sont abstenus sur la présente proposition de loi. Dans notre assemblée, ils l’approuvent également dans leur grande majorité, sans préjudice d’une vigilance nécessairement accrue sur les suites qui seront concrètement données à son adoption.

Il nous paraît cohérent, notamment en tant que défenseurs de l’interruption volontaire de grossesse, que soient autorisées les recherches, dès lors qu’elles font progresser la médecine, sur les cellules souches embryonnaires et les embryons surnuméraires issus de fécondations in vitro et n’entrant plus dans le cadre d’un projet parental, après information et consentement des parents, protégés par un délai de rétractation.

Or, la législation actuelle ne permet pas de conduire des recherches à finalité médicale ou thérapeutique dans les meilleures conditions.

La loi de 2011 a constitué un indéniable progrès avec son régime de dérogations pérennes Mais elle a aussi provoqué quelques dysfonctionnements, notamment dans les études comparatives.

La présente proposition de loi laisse cependant subsister une interrogation relative au délai de rétractation des parents. Elle prévoit en effet que le couple donateur dispose de trois mois au terme desquels il doit confirmer ou infirmer sa volonté de céder son embryon. Notre collègue sénateur Jean Desessard avait déposé un amendement visant à autoriser la rétractation du couple, pour lui éviter une pression trop lourde, tant que la recherche n’avait pas commencé, au-delà du délai minimum de trois mois. Mais il n’a pas été adopté. Le texte qui nous est soumis garantit-il un suivi suffisant des couples concernés ?

M. Jean-Noël Carpentier. Le groupe RRDP soutient évidemment cette proposition de loi, raisonnable et renforçant la recherche scientifique française, qui ne doit pas prendre de retard. Ne cherchons pas de clivages politiques sur des thèmes qui doivent naturellement y échapper au profit d’une réflexion approfondie.

La communauté scientifique et les débats publics organisés depuis plusieurs années ont éclairé le législateur, désormais apte à prendre des décisions raisonnables.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Après les interventions des représentants des groupes, je donne la parole à M. Le Déaut, premier vice-président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), qui a souhaité exposer à notre Commission le point de vue de l’Office.

M. Jean-Yves Le Déaut. La loi prévoit la saisine de l’OPECST sur les questions éthiques et celui-ci a désigné deux rapporteurs sur ces sujets, Alain Claeys et Jean-Sébastien Vialatte. Dominique Orliac est également membre de l’Office.

S’agissant d’un sujet complexe, les débats doivent se cantonner aux faits. La recherche scientifique est nécessaire à tous les stades du développement humain. Il a été longtemps difficile d’admettre qu’elle pût porter sur les êtres vivants. La loi Huriet-Sérusclat du 20 décembre 1988 relative à la protection des personnes se prêtant à des recherches biomédicales en a, de façon très encadrée et après des débats passionnés, ouvert la possibilité, y compris sur les embryons. De même, la loi du 29 juillet 1994 relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain a permis la recherche post mortem.

La loi de bioéthique actuelle pèche par hypocrisie dans la mesure où l’interdiction assortie de dérogations débouchait sur une autorisation dans presque tous les cas, hélas aujourd’hui perturbée par des procédures contentieuses. C’est ainsi que la Cour d’appel de Paris vient de demander à l’Agence de la biomédecine de prouver qu’il n’existait pas de possibilité de recherche alternative. Sans ce harcèlement judiciaire on aurait pu considérer les deux formules juridiques possibles comme presque équivalentes.

On prétend à tort que la loi de 2011 se trouve dépassée par les progrès récents. Certes John Gurdon et Shinya Yamanaka ont réussi à dédifférencier des cellules adultes, autorisant ce qu’on appelle la reprogrammation. Mais rien ne permet de dire que l’on revient ainsi au début de la vie. La brebis Dolly, clonée à partir d’une cellule de glande mammaire, est morte jeune parce que née vieille !

Ce sont donc par les recherches comparatives entre les cellules souches embryonnaires et les cellules reprogrammées qu’on arrivera à répondre aux questions qui se posent.

On ne peut pas davantage affirmer que ces recherches n’ont pas d’applications : d’abord parce que la recherche fondamentale se justifie par elle-même, ensuite parce que les applications existent déjà, comme le montrent les travaux du professeur Philippe Menasché, lequel attend une autorisation pour un essai de phase pré-clinique, et d’autres actuellement menés aux États-Unis, notamment par la firme ACT qui travaille sur les dégénérescences maculaires.

Refuser la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires ne peut obéir qu’à des considérations idéologiques.

M. Jean-Sébastien Vialatte. Je regrette que la proposition de loi ne s’insère pas dans une révision plus globale puisque nous allons bientôt discuter de la procréation médicalement assistée (PMA).

L’Agence de la biomédecine est aujourd’hui confrontée à un problème judicaire considérable : toutes ses décisions d’autorisation, ainsi que leurs renouvellements, font l’objet de recours contentieux.

L’éthique est-elle mieux préservée par la destruction d’un embryon dépourvu de projet parental en le laissant se décongeler sur le bord d’une paillasse avant de le jeter à la poubelle plutôt que par sa consécration à la recherche scientifique ?

Il peut en effet servir à la recherche fondamentale sur les premiers stades du développement embryonnaire, comme à des recherches appliquées au profit de l’embryon lui-même, notamment sur les mécanismes d’implantation dans la membrane utérine. De premiers essais cliniques sur l’embryon ont lieu. Et on pourra bientôt envisager des recherches sur lui sans que l’on ait à le détruire.

Malgré tout leur intérêt, notamment pour le screening des molécules pharmaceutiques, les cellules iPS, artificiellement rajeunies par des procédés non dépourvus de risque oncogène, ne sont pas équivalentes aux cellules souches embryonnaires.

Le prochain texte sur la procréation médicale assistée devra fournir l’occasion de réfléchir aux moyens de limiter le nombre d’embryons surnuméraires, notamment par la congélation des ovocytes.

Nous devons, en effet, prendre garde au chant des sirènes. Les recherches sur l’embryon ne vont pas, demain, permettre aux aveugles de voir, aux paralytiques de marcher et aux sourds d’entendre : il y a encore loin de l’espoir à la réalisation couronnée de succès. La communauté scientifique devait d’ailleurs se monter très prudente dans sa communication car on assiste aujourd’hui à un désamour de la recherche en raison d’annonces tonitruantes mais non suivies d’effets.

Cette proposition de loi n’en constitue pas moins une indéniable avancée et, personnellement, je la voterai.

M. Gérard Bapt. J’approuve pleinement la position présentée par Jean-Louis Touraine. Je regrette que notre collègue Jean Leonetti, en dépit de son excellente connaissance du sujet, ait cru bon d’inciter à une guerre picrocholine en prétendant qu’interdiction assortie de dérogations et autorisation encadrée revenaient au même. Les chercheurs que nous avons entendus ne partagent pas ce point de vue. Certaines jurisprudences mettent d’ailleurs aujourd’hui l’Agence de la biomédecine en difficulté, comme il a été indiqué.

On n’aurait pas découvert les propriétés des cellules iPS si on n’avait effectué, préalablement, des recherches sur des cellules embryonnaires. Elles ne sauraient donc être considérées comme une formule de remplacement.

Nous recevons, notamment en tant que médecins, des courriers et des courriels hostiles à la proposition de loi au motif qu’elle attenterait à la vie. Mais nous ne discutons pas aujourd’hui du statut de l’embryon, ni de la loi Veil. La législation en vigueur n’interdit pas la destruction des embryons. N’est-il donc pas paradoxal d’interdire la recherche sur eux ?

M. Bernard Perrut. La présente proposition de loi entend substituer un régime d’autorisation encadrée des recherches sur l’embryon et les cellules embryonnaires au régime actuel d’interdiction assortie de dérogations. S’il s’agit seulement de renforcer la sécurité juridique des autorisations de recherche, l’objectif risque de ne pas être atteint dans la mesure où l’élément déterminant, comme dans la loi de 2011, réside dans le respect des conditions auxquelles sont soumises les recherches. Aujourd’hui, la plupart des projets de recherche soumis à l’Agence de la biomédecine se voient octroyer une autorisation.

La proposition de loi est-elle de nature à rassurer les équipes dont l’autorisation de recherche a été déférée devant la justice ? Si ce n’était pas le cas, l’intention des auteurs du texte ne relèverait que de l’ordre du symbole. Des éléments scientifiques nouveaux justifient-ils aujourd’hui une modification du droit en vigueur ?

L’abandon de la notion de progrès médical « majeur », telle qu’actuellement prévue par l’article L. 2151-5 du code de la santé publique comme condition de l’autorisation de recherche, me paraît plus grave. Il suffira désormais, pour qu’une recherche soit autorisée, d’invoquer une simple finalité médicale, que son effet curatif prévisible soit attesté ou non.

Je demeure en effet soucieux de concilier l’exigence fondamentale du progrès médical pour guérir certaines maladies jusqu’ici incurables avec celle de la protection de l’embryon, qui n’est pas un matériau comme les autres et appelle une protection adaptée.

M. Dominique Dord. Je suis un peu surpris : toutes les interventions commencent par souligner la difficulté du sujet et la nécessité de respecter les convictions de chacun, mais ensuite, on entend que certaines opinions seraient « ridicules » ! J’ai été blessé par ce terme, madame Fraysse. Je défends ces convictions ridicules depuis des décennies, et je demande que l’on nous respecte.

Sur ces sujets sensibles, il est d’usage que l’on se donne du temps, et que l’on organise un débat public : comment pouvez-vous modifier la loi dans de telles conditions, par une proposition de loi comportant un article unique, en balayant d’un revers de main des convictions qui, si elles ne sont pas les vôtres, sont partagées par des millions de Français ?

Mme Isabelle Le Callennec. Le sujet, qui touche aux convictions personnelles, est effectivement difficile.

L’alinéa 11, pour sa part, dispose « qu’en cas de violation des prescriptions, l’Agence de biomédecine suspend l’autorisation de la recherche ou la retire. » Par qui l’agence est-elle saisie ? Peut-elle s’autosaisir ? A-t-elle les moyens de remplir correctement cette mission de contrôle ?

Mme Véronique Louwagie. Sur ce sujet sensible, qui touche à l’humain, vous proposez un changement inédit, puisque le principe fondateur de la protection de l’être humain devient une exception. La recherche est indispensable, mais elle doit être encadrée.

En particulier, les couples dont sont issus les embryons doivent donner – ou non –leur consentement écrit à leur utilisation à des fins de recherche. Pour cela, ils doivent être « dûment informés des possibilités d’accueil des embryons par un autre couple ou d’arrêt de leur conservation ». Cette information est-elle correctement délivrée ? Quelles garanties et quelle aide la collectivité apporte-t-elle à ces couples dans leur prise de décision ?

Mme Jacqueline Fraysse. Je voudrais rectifier l’interprétation qui a été donnée de mes propos : je n’appliquais pas l’adjectif « ridicule » aux convictions de chacun – convictions respectables et respectées – mais au régime actuel d’interdiction avec dérogation. Dans la mesure où il s’agit d’embryons qui seront de toute façon détruits, puisqu’ils ne font plus l’objet d’un projet parental, dans la mesure où les dérogations sont presque toujours accordées, je pense qu’il y a lieu de modifier la loi, qui me paraît en effet, sinon ridicule, puisque ce terme est peut-être inapproprié, du moins ringarde.

Mme la rapporteure. Je voudrais d’abord remercier Jean-Louis Touraine de son travail et de sa participation aux auditions ; son exposé était intéressant et complet. Je regrette que plus de députés n’aient pas pu être présents lors de ces auditions : le débat d’aujourd’hui ne serait pas le même.

Monsieur Leonetti, vous nous reprochez de ne pas avoir organisé d’états généraux avant de modifier la loi. Sur le plan juridique, votre raisonnement est erroné : la procédure de consultation prévue à l’article L. 1412-1-1 du code de la santé publique est de niveau législatif, et non de nature organique ou constitutionnelle. Elle peut donc être opposée par le Conseil d’État au Gouvernement lors de la présentation d’un projet de réforme qui n’aurait pas fait l’objet d’une concertation préalable ; mais une loi ordinaire ne saurait créer une telle contrainte procédurale opposable au législateur. De plus, il s’agit ici d’un texte d’initiative parlementaire.

Sur le fond, lors du forum citoyen organisé à Marseille en 2009, les citoyens se sont clairement prononcés en faveur de l’autorisation de la recherche sur les cellules souches embryonnaires. Cette volonté exprimée par les citoyens n’a pas été entendue en 2011.

Effectivement, l’interdiction avec dérogation ou l’autorisation encadrée, ce n’est pas bonnet blanc et blanc bonnet. Les recours presque systématiques qui sont aujourd’hui formés – en dernier lieu contre les recherches du professeur Peschanski sur l’autisme – sont très préoccupants pour l’Agence de la biomédecine car ils mobilisent des moyens humains importants et induisent des frais, d’avocat notamment, très lourds. Les chercheurs se sentent stigmatisés, accusés de mener des recherches dangereuses, à visée potentiellement eugéniste. Or, encore une fois, ils n’ont pas d’appétence particulière pour les recherches sur les cellules embryonnaires : ils ne font qu’utiliser l’ensemble des outils à leur disposition.

Hier, lors de l’audition du professeur Peschanski, Mme Martinat, médecin et chercheur à l’I-Stem nous a expliqué que les jeunes chercheurs sont fortement incités à aller travailler quelque temps à l’étranger après leur doctorat, mais qu’ils rencontrent de grandes difficultés à leur retour, car ils ne peuvent pas faire de la recherche en France comme ils le faisaient par exemple aux États-Unis – vous savez que le président Obama a de nouveau autorisé le financement des recherches sur les cellules souches embryonnaires par des crédits fédéraux. Pourtant, les chercheurs français sont nombreux, très motivés, et très doués, notamment en matière de thérapie cellulaire et génique.

Ils attendent ce texte avec impatience. Vous avez raison, madame Fraysse : oui, aujourd’hui, nous sommes en retard ; non, cette recherche n’est pas obsolète, bien au contraire puisqu’on en est maintenant au stade préclinique. C’est notamment le cas de plusieurs recherches des professeurs Peschanski et Menasché. Nous sommes donc à l’aube de résultats très prometteurs.

Monsieur Carpentier, je vous remercie également de votre soutien.

Madame Massonneau, les couples pourront effectivement revenir sur leur consentement tant que les recherches n’ont pas commencé. Ils sont informés de toutes les possibilités, notamment de celle de donner l’embryon à un autre couple, mais il est rare qu’ils acceptent cette solution. Il leur est également bien expliqué que les embryons sont systématiquement détruits au bout de cinq ans s’ils ne font plus l’objet d’un projet parental. Je précise que s’ils acceptent l’utilisation de leurs embryons à des fins de recherche, ils ne sont pas informés des suites éventuelles, par exemple du type de recherche qui peut être faite, et cela afin de les protéger humainement.

Monsieur Le Déaut, merci d’avoir rappelé que l’OPECST est très favorable à cette proposition de loi. Vous avez insisté sur la complémentarité des différentes recherches. Le professeur Yamanaka travaille à la fois sur les cellules souches embryonnaires et sur les cellules iPS. Les secondes, modifiées génétiquement et susceptibles de « remonter le temps » jusqu’au stade des gamètes, ouvrant potentiellement la voie au clonage, peuvent poser autant de problèmes éthiques que les premières.

Madame Le Callennec, l’Agence de la biomédecine peut effectivement s’autosaisir en cas de violation des prescriptions ; elle dispose des moyens d’effectuer les contrôles nécessaires.

II.- EXAMEN DE L’ARTICLE UNIQUE

Article unique

(art. 2151-5 du code de la santé publique)


Autorisation encadrée de la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires

L’article unique de la proposition de loi modifie l’article L. 2151-5 du code de la santé publique, qui fixe le régime juridique des recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires, afin de passer d’une interdiction de principe, assortie de dérogations, à un régime d’autorisation encadrée.

1. Le passage d’un régime d’interdiction avec dérogations à un régime d’autorisation encadrée

 Les fondements du passage à une autorisation encadrée de la recherche

La première loi de bioéthique du 29 juillet 1994 (14) autorisait à titre exceptionnel les études ne portant pas atteinte à l’embryon mais interdisait toute recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires.

À titre dérogatoire, la deuxième loi de bioéthique du 6 août 2004, confortée par la troisième loi de bioéthique du 7 juillet 2011, a rendu ces recherches possibles tant sur l’embryon que sur les cellules souches embryonnaires ou lignées de cellules souches. D’abord admises à titre temporaire, pour une durée de cinq ans, ces recherches sont devenues pérennes.

L’article L. 2151-5 du code de la santé publique dispose ainsi, dans sa rédaction issue de la loi de 2011, que « la recherche sur l’embryon humain, les cellules souches embryonnaires et les lignées de cellules souches est interditePar dérogation, la recherche est autorisée » si un certain nombre de conditions sont remplies.

La présente proposition de loi réécrit le I de l’article L. 2151-5 précité, afin de prévoir qu’ « aucune recherche sur l’embryon humain ni sur les cellules souches embryonnaires ne peut être entreprise sans autorisation », et fixe en outre les conditions cumulatives devant être impérativement réunies pour obtenir cette autorisation.

La soumission de l’embryon et des cellules souches embryonnaires au même régime, idée introduite par la loi de 2011, a été conservée. Se trouve ainsi écartée l’idée parfois avancée d’une distinction entre un régime d’interdiction de la recherche sur l’embryon et d’autorisation encadrée sur les cellules souches embryonnaires.

C’est d’abord le souci de clarté qui a dicté le choix du passage à un régime d’autorisation encadrée.

L’étude du Conseil d’État de 2009 relative à la révision des lois de bioéthique (15) a souligné que la différence juridique entre un régime d’interdiction assorti de dérogations et un régime d’autorisation sous conditions n’est pas fondamentale et, qu’en définitive, « l’un ou l’autre de ces schémas peut être indifféremment employé pour encadrer la recherche par des conditions en réalité identiques ». Chacune des deux formules est ainsi susceptible, « à des degrés différents », de maintenir une certaine protection de l’embryon. Cependant, la même étude considère qu’« afficher le principe d’une interdiction là où les projets sont autorisés en quasi-totalité reviendrait à créer un paradoxe peu souhaitable. »

En réalité, il semble que le texte actuel pose des problèmes d’insécurité juridique majeurs, sur lesquels Mme Emmanuelle Prada-Bordenave, directrice générale de l’Agence de la biomédecine a attiré l’attention de votre rapporteure. Ainsi, onze requêtes contre des projets de recherche sont actuellement pendantes au motif qu’elles ne respecteraient pas le principe d’interdiction avec dérogation de la recherche, notamment la condition prévue au 3° de l’article L. 2151-5 qui prévoit qu’il doit être expressément établi que les recherches en questions ne peuvent parvenir au résultat escompté au moyen d’autres méthodes. Au-delà de la menace que constituent ces recours pour les recherches en cours, elles ont un coût pour l’Agence de la biomédecine. La plupart des recours ont donné lieu à des mémoires en réplique, l’agence devant alors produire plusieurs mémoires en défense, ce qui mobilise trois personnes à temps plein et entraîne des frais d’avocats pour le traitement de l’ensemble des contentieux qui s’élèvent depuis 2010 à plus de 25 000 euros.

Comme l’énonce avec pertinence le rapport du Sénat, « il ne découle nullement » de cette nouvelle rédaction « que toute recherche sur l’embryon humain est permise ». Cette possibilité est une simple faculté, non un droit permanent à autorisation.

Le statut de la recherche sur l’embryon humain demeure bien dérogatoire au droit commun, et distinct des recherches sur les cellules souches adultes et induites, qui ne font à ce jour l’objet d’aucun contrôle a priori, bien qu’elles puissent aussi poser elles aussi des problèmes éthiques. Lors de son audition par votre rapporteure, la directrice générale de l’Agence de la biomédecine, a ainsi fait remarquer que cette dernière encadre les activités de recherche utilisant des embryons humains ou des cellules souches embryonnaires humaines « par exception au régime de liberté qui s’applique à la recherche en France ».

D’aucuns estiment que l’autorisation sous conditions de la recherche sur l’embryon n’a pas de valeur symbolique suffisante, car elle ne rappelle pas avec assez de force la valeur de l’existence en devenir de ce dernier.

Votre rapporteure juge au contraire que le régime d’interdiction avec dérogations mis en place dès 2004, dans la mesure où il ne s’applique qu’à la recherche, et non pas, on y reviendra par la suite, à toute forme de destruction d’embryons, fait porter injustement aux chercheurs une responsabilité qui devrait être assumée clairement par les pouvoirs publics.

Il faut noter que le législateur aurait pu, au nom du respect pour l’embryon humain, imposer une limitation du nombre des ovocytes à féconder in vitro afin de permettre le transfert de tous les embryons issus de cette fécondation. Si les techniques actuelles devaient être améliorées dans l’avenir, le principe applicable pourrait être celui du transfert immédiat des embryons conçus en nombre limité, ce qui réglerait le problème des embryons « surnuméraires ».

La loi de 2011 précitée n’est pas allée jusqu’à interdire la création d’embryons « surnuméraires », mais elle prévoit que la mise en œuvre de l’aide médicale à la procréation doit désormais privilégier les pratiques et procédés qui permettent de limiter le nombre des embryons conservés.

Le Comité consultatif national d’éthique souligne avec raison que « c’est la destruction de l’embryon humain, décidée indépendamment de toute idée de recherche de connaissance nouvelle, qui peut ouvrir la possibilité de la recherche, et non pas la recherche d’une connaissance nouvelle qui entraîne la destruction. » La recherche de nouvelles connaissances et le progrès médical sont aussi des valeurs éthiques importantes. Votre rapporteure estime que l’on peut, et que l’on doit toujours, s’interroger sur les conséquences éthiques des applications des avancées scientifiques. Cependant, ce n’est pas la démarche de recherche elle-même qui doit être ici qualifiée de transgressive.

En réalité, l’existence même des embryons « surnuméraires » force le législateur à trouver un compromis entre deux positions irréconciliables et radicales par certains aspects.

La première consisterait à attacher une importance exclusive au projet parental, qui pourrait conduire à ne plus accorder un statut et une attention particuliers aux embryons « surnuméraires », voir à autoriser la création d’embryons en vue de la recherche. Telle n’est pas la position de votre rapporteure.

La deuxième consisterait à considérer l’embryon dès sa création comme une personne. Votre rapporteure considère qu’elle devrait conduire, en toute logique, à renoncer aux techniques actuelles d’aide médicale à la procréation, par une interdiction de la production d’embryons « surnuméraires » et de leur conservation. Cette conviction aboutirait également à une forme de dévalorisation du lien humain qui fait de l’embryon, au-delà de sa réalité biologique, une personne humaine potentielle, précisément parce qu’il s’inscrit dans un projet parental.

Il n’est pas de réponse absolue en matière de recherche sur l’embryon car il s’agit de faire droit à « l’énigme » que représente l’embryon pour nos catégories juridiques. La solution d’une autorisation encadrée est un compromis qui fait droit au caractère indécidable du statut de l’embryon, au nécessaire respect qui doit entourer son usage en dehors même de tout projet parental.

 Le champ des recherches autorisées demeure inchangé

Il convient de préciser ici le champ des recherches autorisées, qui ne change pas par rapport au texte de 2011.

Demeurent interdites, et assorties de sanctions pénales :

– la conception in vitro d’embryon, ou constitution par clonage d’embryon humain à des fins de recherche (article L. 2151-2 du code de la santé publique) ;

– la création d’embryons transgéniques ou chimériques (article L. 2151-2 du même code) ;

– la constitution par clonage d’un embryon humain, notamment à des fins thérapeutiques (articles L. 2151-2 et L. 2151-4) ;

– la conception ou constitution d’un embryon humain à des fins commerciales ou industrielles (article L. 2151-3).

La proposition de loi prévoit que sont accessibles à la recherche, comme auparavant, uniquement les « embryons conçus in vitro dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation qui ne font plus l’objet d’un projet parental ».

La recherche couvre ainsi les embryons présentant un défaut de développement ne permettant pas leur implantation (selon leur cinétique de clivage et leur aspect morphologique, le biologiste peut décider de ne pas transférer certains embryons), les embryons non implantés porteurs d’une maladie génétique d’une particulière gravité reconnue comme incurable au moment d’un diagnostic préimplantatoire et les embryons dits « surnuméraires », conçus dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation et conservés par cryogénisation à des fins d’implantation utérine ultérieure.

2. Des recherches soumises à de strictes conditions préalables

 Quatre conditions cumulatives sont nécessaires à l’octroi d’une autorisation de recherche

La présente proposition de loi prévoit, comme la législation actuelle pour les dérogations à l’interdiction de principe, que quatre conditions cumulatives sont nécessaires à l’obtention d’une autorisation de recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires.

Le 1° de l’article L. 2151-5 modifié par le présent texte demeure inchangé et prévoit que la pertinence scientifique de la recherche doit être établie. C’est à l’Agence de la biomédecine qu’il revient d’autoriser les protocoles de recherche, après vérification du respect de toutes les conditions légales.

Le 2° de l’article prévoit en second lieu que « la recherche, fondamentale ou appliquée, doit s’inscrire dans une finalité médicale ».

En l’état actuel du droit, c’est la notion de « progrès médical majeur » qui est retenue. Celle-ci a remplacé la référence faite par la loi de 2004 à des progrès thérapeutiques majeurs, qui posait des problèmes d’application.

Ainsi, le rapport de 2006 au Premier ministre de M. Pierre-Louis Fagniez, député du Val-de-Marne, relatif aux « cellules souches et choix éthiques » avait souligné que l’exigence de progrès thérapeutiques majeurs n’était pas justifiée au stade de la recherche fondamentale et risquait en outre d’induire des effets d’annonce abusifs.

De la même façon, l’Agence de la biomédecine, dans son bilan d’octobre 2008 d’application de la loi de bioéthique du 6 août 2004, craignait que la formule aussi précise de « progrès thérapeutiques majeurs » ne bloque la soumission de projets très fondamentaux qui, à terme, permettraient pourtant des avancées thérapeutiques significatives, qui ne peuvent être anticipées et dont le délai d’application est difficilement prédictible. Elle proposait ainsi une reformulation couvrant, par exemple, la notion d’« amélioration des connaissances au bénéfice de la santé de l’humanité », qui permettrait de ne pas les éliminer.

De son côté, le rapport de MM. Alain Claeys et Jean-Sébastien Vialatte au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) du 8 juillet 2010 sur la recherche sur les cellules souches recommandait de retenir, comme critères d’autorisation des recherches sur les cellules souches embryonnaires, « la finalité et la pertinence scientifique et médicale du projet de recherche » au lieu du critère thérapeutique en vigueur.

Le rapport d’information de M. Jean Leonetti au nom de la mission d’information sur la révision des lois de bioéthique présidée par M. Alain Claeys (« Favoriser le progrès médical. Respecter la dignité humaine ») de janvier 2010 suggérait quant à lui de retenir le critère de la poursuite d’une « finalité médicale » pour encadrer les recherches.

C’est cette formulation qui a été choisie ici. Le terme médical englobe le diagnostic et la prévention, et de manière plus générale, l’ensemble de la clinique. Il permet d’éviter un usage cosmétologique des cellules souches issues d’embryons surnuméraires.

Cette formulation couvre en outre tous les champs de la recherche, que ce soit la recherche fondamentale, la recherche pharmaceutique qui porte essentiellement sur le criblage moléculaire et la recherche clinique réalisée dans la perspective d’applications thérapeutiques.

Disparaît ici l’exigence du caractère « majeur » du progrès attendu, dans la mesure où l’effectivité du respect de ce critère reste problématique. Comme cela a été souligné par M. Axel Kahn lors de son audition par votre rapporteure en citant le Prix Nobel de médecine François Jacob, « la qualité d’une découverte se mesure au degré de surprise qu’elle provoque ». De plus, comme le souligne le rapport précité de l’OPECST, « le caractère majeur ou non du progrès attendu n’a pas constitué un critère effectif dans le cadre d’un contrôle exercé sur ces activités de recherches par l’Agence de la biomédecine ».

La troisième condition, énoncée au 3° de l’article précité, porte sur le caractère « subsidiaire » des recherches sur l’embryon.

En l’état actuel du droit, les recherches sur l’embryon sont subordonnées à « l’impossibilité établie de parvenir au résultat escompté par le biais d’une recherche ne recourant pas à des embryons humains, des cellules souches embryonnaires ou des lignées de cellules souches ». L’Agence de la biomédecine doit donc vérifier qu’en l’état des connaissances, le résultat escompté ne peut être obtenu par d’autres moyens, notamment par le recours exclusif à d’autres cellules souches

Sont ici visées des méthodes utilisant d’autres types de cellules souches qui, bien qu’elles puissent elles aussi poser d’importants problèmes éthiques, sont susceptibles de constituer une alternative aux recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires.

Précisons ici qu’il ne s’agit pas de privilégier un type de recherche par rapport à un autre. Votre rapporteure considère que les recherches sur les cellules souches adultes et cellules reprogrammées n’ont pas vocation à se substituer, en l’état des connaissances scientifiques, à la recherche sur les cellules souches embryonnaires, mais en sont le complément nécessaire.

La présente proposition de loi modifie la rédaction, trop restrictive, de cet alinéa, et prévoit qu’en « l’état des connaissances scientifiques, cette recherche ne peut être menée sans recourir à ces embryons ou ces cellules souches embryonnaires. »

Le caractère subsidiaire de la recherche sur l’embryon est donc conservé. Mais la rédaction retenue est plus en phase avec la réalité de la recherche. Comme le soulignait en effet l’étude du Conseil d’État de 2009, « demander à un chercheur de vérifier si la méthode qu’il emploie est équivalente à une autre pour aboutir à un résultat encore inconnu le place dans une position délicate » dans la mesure où il est impossible de prouver a priori qu’une méthode est plus efficace qu’une autre, et compte tenu de la difficulté d’effectuer « des comparaisons entre des méthodes de recherche très spécialisées ». C’est pourquoi le Conseil d’État avait suggéré que la loi fasse référence non pas à des méthodes mais à des types de cellules, ce que la présente proposition de loi reprend. Dès lors, si les autres cellules utilisées actuellement par la recherche, notamment les cellules iPS, deviennent le matériau dominant, l’éviction d’une méthode par l’autre s’effectuera naturellement.

Enfin, la quatrième et dernière condition est prévue par l’alinéa 4° de l’article L. 2151-5 précité : « les projets de recherche et les conditions de mise en œuvre des protocoles doivent eux-mêmes respecter les principes éthiques relatifs à la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires ». Cet alinéa n’est pas modifié par la présente proposition de loi.

 Le consentement des membres du couple est une condition sine qua non de la recherche

Cette condition est d’une grande importance, car sans elle, aucune recherche sur l’embryon n’est véritablement possible aujourd’hui.

Rappelons ici qu’en cas de présence d’embryons dits « surnuméraires », car ils ne font plus l’objet d’un projet parental ou qu’un des membres du couple décède, trois options sont possibles :

– la destruction des embryons : en cas d’extinction du projet parental par défaut de réponse ou désaccord du couple sur le maintien de son projet parental ou sur le devenir des embryons, la loi prévoit la destruction de ces derniers à l’issue d’une durée minimale de cinq ans ;

– l’accueil de l’embryon par un autre couple : autorisé depuis la loi de bioéthique de 1994, mais effectif seulement depuis 2001, peu de couples choisissent cette option. En 2010, seuls 14 enfants sont nés grâce à cette possibilité ;

Accueil d’embryons

 

2006

2007

2008

2009

2010

Couples donneurs

         

Couples ayant confié leurs embryons à l’accueil par un autre couple

85

96

105

151

107

Couples dont les embryons ont été accueillis

54

93

86

82

71

Couples receveurs

         

Couples ayant bénéficié d’un accueil d’embryons

53

116

89

88

85

Couples en attente officielle d’accueil au 31/12 de l’année

121

94

133

90

86

Source : Rapport annuel 2011 de l’Agence de la biomédecine.

Le rapport annuel 2011 de l’Agence de la biomédecine, indique que sur les 171 417 embryons conservés en France au 31 décembre 2010, 29 779 (17,4 %) ne faisaient plus l’objet d’un projet parental, parmi lesquels 17 179 ont été proposés à la recherche et 12 600 ont été proposés à l’accueil pour un autre couple.

Le II de l’article L. 2151-5, qui prévoit les conditions de consentement du couple à la recherche, n’est pas modifié en substance par le présent texte.

Il est prévu, comme le législateur en a décidé en 2004 puis en 2011, que le couple (ou le survivant) doit consentir par écrit aux recherches, après un délai de réflexion de trois mois. Il doit être informé des possibilités d’accueil des embryons par un autre couple ou d’arrêt de la conservation.

Toutefois, pour des raisons pratiques, ce délai de réflexion ne s’impose pas dans les situations mentionnées aux articles L. 2131-4 et L. 2141-3 du code de la santé publique : à savoir, d’une part, en cas d’abandon du projet parental relatif à un embryon issu d’un diagnostic préimplantatoire, et d’autre part, en cas d’absence de transfert et de conservation d’embryons conçus in vitro.

La rédaction actuelle ne reprend pas l’obligation figurant dans le texte adopté en 2011 d’informer les membres du couple de la nature des recherches projetées, obligation large qui n’a d’ailleurs pas été d’avantage précisée par le décret n° 2012-467 du 11 avril 2012. Celui-ci prévoit en effet que l’information doit porter sur les « différentes catégories de recherches susceptibles d’être mises en œuvre ». Or, comme le souligne le Comité consultatif national d’éthique (16), c’est le principe même de la réalisation de la recherche qui est l’objet du choix livre et informé proposé aux couples, et non un projet de recherche particulier. Il y aurait un risque, en atténuant dans un sens ou dans un autre, le caractère incertain de toute recherche, de favoriser ou à tout le moins d’influencer fortement le consentement des couples qui rend ces recherches possibles.

Enfin, le consentement des deux membres du couple ou du membre survivant du couple est révocable sans motif tant que les recherches n’ont pas débuté.

3. Le rôle de l’Agence de la biomédecine

Depuis la publication du décret du 6 février 2006 fixant le cadre réglementaire des autorisations de recherches, l’Agence de la biomédecine instruit les dossiers de demande et délivre les autorisations de recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires humaines, d’importation de lignées de cellules et de conservation.

Tout protocole de recherche est examiné par l’agence, après vérification que toutes les conditions posées aux II et III de l’article L. 2151-5 du code de la santé publique sont satisfaites. La procédure d’instruction des dossiers est détaillée dans l’encadré ci-dessous.

Procédure d’instruction des demandes d’autorisation de recherche
par l’Agence nationale de la biomédecine

Les dossiers de demande d’autorisation sont déposés auprès de l’Agence de la biomédecine au cours de fenêtres de dépôt fixées par décision du directeur général de celle-ci. Ils doivent être établis selon un format arrêté par le directeur général de l’agence. Les fenêtres de dépôt et les dossiers types de demande d’autorisation d’importation ou d’exportation, de conservation et de protocoles de recherche sont mis en ligne sur le site internet de l’agence et font l’objet d’une publication au bulletin officiel.

La direction juridique de l’agence examine la recevabilité de la demande.

Le directeur général désigne deux experts scientifiques, chargés de réaliser une expertise scientifique des demandes d’autorisation de protocole de recherche et d’importation, et communique leurs noms aux rapporteurs du conseil d’orientation. Dans le cas où il s’agit non pas d’une nouvelle demande mais d’une demande de modification substantielle d’une autorisation antérieure (R 2151-9), le directeur général peut ne désigner qu’un seul expert.

Parallèlement à l’expertise scientifique, la mission d’inspection de l’agence établit un rapport sur les conditions matérielles et techniques de la demande de protocole de recherche et de conservation à fins de recherche. Le cas échéant, elle évalue également les conditions matérielles et techniques de la demande d’importation (qualification du personnel, conditions de transport, modalités de conditionnement, sécurité des personnes). Ce(s) rapport(s) est (sont) transmis aux membres du collège d’experts « recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires » et aux membres du conseil d’orientation.

Les deux experts désignés par le directeur général établissent chacun, sous un délai de deux à quatre semaines à compter de la réception du dossier, un rapport d’expertise sur les aspects scientifiques de la demande d’autorisation de protocole de recherche ou d’importation, selon un format annexé à la présente procédure. Ces rapports d’expertise sont remis au directeur général.

Ce dernier transmet les rapports d’expertise aux membres du collège d’experts « recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires » pour examen collégial. Les experts scientifiques désignés par le directeur général demeurent libres de tenir compte ou non des aspects évoqués au cours de cette réunion dont l’objectif premier est d’enrichir leur expertise et celle de l’agence sur les questions abordées. Ils signent leur rapport en leur nom propre. Une synthèse des discussions est rédigée par la direction médicale et scientifique de l’agence.

Le président du conseil d’orientation désigne deux membres de ce conseil en qualité de rapporteurs du dossier, chargés d’instruire la demande. Les rapports des experts scientifiques sont ensuite adressés par le directeur général aux membres du conseil d’orientation.

Les deux rapporteurs désignés par le Président du conseil d’orientation établissent un rapport d’instruction, selon un format annexé à la présente procédure.

Ce rapport d’instruction est transmis au directeur général au moins une semaine avant la séance du conseil d’orientation au cours de laquelle la demande d’autorisation est examinée. Le directeur général assure la reproduction du rapport d’instruction et le fait parvenir immédiatement à tous les membres du conseil d’orientation ;

Les deux rapporteurs présentent leur rapport d’instruction devant le conseil d’orientation. Ils peuvent, en accord avec son président, demander aux deux experts scientifiques, ou à l’un d’entre eux, d’être présents à la séance du conseil pour répondre aux questions de ces membres. Les experts scientifiques se retirent de la séance au moment où le conseil délibère à fin d’avis.

Les membres du conseil d’orientation émettent un avis sur chaque demande. Cet avis est transmis au directeur général de l’Agence de la biomédecine afin que ce dernier puisse notifier sa décision au demandeur dans le délai réglementaire.

Le décret n° 2012-467 du 11 avril 2012 relatif à la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires et aux études sur l'embryon détermine qui peut être autorisé à mener :

– soit une recherche sur l’embryon : établissements publics de santé et laboratoires d’analyse de biologie médicale autorisés à conserver des embryons, établissements autorisés à pratiquer le diagnostic préimplantatoire, établissements et organismes en convention avec l’un des précédents (I de l’article R.2151-3 du code de la santé publique) ;

– soit une recherche sur des cellules souches embryonnaires : établissements et organismes menant des activités de recherche et autorisés à conserver des cellules souches embryonnaires à des fins scientifiques, établissements et organismes publics ou privés en convention avec les précédents (II du même article).

La recherche autorisée doit être placée sous la direction d’une personne responsable désignée dans la demande d’autorisation. C’est à cette personne responsable que sont remis les embryons par les praticiens habilités à recueillir le consentement du couple. Le responsable de la recherche doit produire l’autorisation du protocole de recherche. Le titulaire de l’autorisation ou le praticien lui remet le document attestant du recueil des consentements.

La décision d’autorisation de l’Agence de la biomédecine est communiquée aux ministres de la santé et de la recherche. Ces derniers peuvent interdire ou suspendre la réalisation du protocole de recherche lorsque sa pertinence scientifique n’est pas établie ou lorsque les principes éthiques ne sont pas respectés. L’agence peut aussi suspendre ou retirer l’autorisation de recherche au cas de violation des prescriptions législatives et réglementaires ou de celles fixées par l’autorisation. Depuis la loi de 2011, les ministres chargés de la santé et de la recherche peuvent aussi, en cas de refus d’un protocole de recherche par l’agence, demander à celle-ci, dans l’intérêt de la santé publique ou de la recherche scientifique, de procéder dans un délai de trente jours à un nouvel examen du dossier ayant servi de fondement à la décision.

Dénombrement des décisions rendues par l’Agence de la biomédecine
au 31 décembre 2010 relatives aux protocoles de recherche

 

Refus

Retraits d’autorisation (17)

Protocoles de recherches

1er septembre 2004 – 6 février 2006 (18)

1

 

17 autorisations

6 février 2006 – fin 2006

   

12 autorisations (dont 4 sur l’embryon)

2007

1

 

8 autorisations (dont 3 sur l’embryon) + 7 modifications substantielles

2008

   

10 autorisations (dont 4 sur l’embryon) + 2 modifications substantielles

2009

 

6

2 autorisations + 2 modifications substantielles + 1 prorogation (19)

2010

2

 

9 autorisations + 15 renouvellements + 1 prorogation

Total

4

6

61 autorisations (49 protocoles dont 11 sur l’embryon, 11 modifications substantielles, 1 prorogation)

Source : Rapport annuel 2011 de l’Agence de la biomédecine.

La présente proposition de loi prévoit que l’Agence de la biomédecine reste, de façon inchangée, compétente pour autoriser les projets de recherche.

La décision de l’agence, assortie de l’avis de son conseil d’orientation, est communiquée aux ministres chargés de la santé et de la recherche qui peuvent, dans un délai d’un mois et conjointement, demander un nouvel examen du dossier ayant servi de fondement à la décision :

– en cas de doute sur le respect des principes éthiques ou sur la pertinence scientifique d’un protocole autorisé. L’agence procède à ce nouvel examen dans un délai de trente jours. En cas de confirmation de la décision, la validation du protocole est réputée acquise ;

– dans l’intérêt de la santé publique ou de la recherche scientifique, lorsque le protocole a été refusé. L’agence procède à ce nouvel examen dans un délai de trente jours. En cas de confirmation de la décision, le refus du protocole est réputé acquis.

En cas de violation des prescriptions législatives et réglementaires ou de celles fixées par l’autorisation, l’agence suspend l’autorisation de la recherche ou la retire. L’agence diligente des inspections comprenant un ou des experts n’ayant aucun lien avec l’équipe de recherche, dans les conditions fixées à l’article L. 1418-2 du code de la santé publique.

4. Les études ne portant pas atteinte à l’embryon

En l’état actuel du droit, le VI de l’article L. 2151-5 du code de la santé publique prévoit qu’à titre exceptionnel, des études sur les embryons visant notamment à développer les soins au bénéfice de l’embryon et à améliorer les techniques d’assistance médicale à la procréation ne portant pas atteinte à l’embryon peuvent être conduites avant et après leur transfert à des fins de gestation si le couple y consent, dans les conditions fixées au IV du même article.

La proposition de loi prévoyait initialement le maintien de cette disposition. À l’initiative de son rapporteur, la commission des affaires sociales du Sénat a supprimé cet alinéa, au motif qu’il ne paraît pas nécessaire de soumettre des études purement observationnelles à une autorisation de l’Agence de la biomédecine.

Dans son bilan d’application de la loi de bioéthique du 6 août 2004, l’Agence de la biomédecine avait déjà souligné le caractère inadapté du régime juridique de ces études et indiquait que la suppression de la distinction entre études et recherche pouvait être envisagée. En effet, elle faisait remarquer que le renvoi effectué actuellement par l’article L. 2151-5 du code de la santé publique au régime juridique applicable aux recherches sur l’embryon, qui interdit tout transfert des embryons in utero après recherche, assimilait l’étude à la recherche et supprimait de fait tout intérêt à la distinction entre études et recherches.

*

La Commission examine les amendements de suppression AS 1 de Mme Véronique Besse et AS 2 de Mme Valérie Boyer.

Mme Véronique Besse. La présente proposition de loi constitue une erreur fondamentale.

Elle ignore la reconnaissance par la communauté scientifique internationale du professeur Yamanaka, qui a reçu le prix Nobel de médecine pour avoir découvert une alternative à l’utilisation de cellules souches provenant des embryons. Ce que vous proposez est donc inutile et dépassé.

D’autre part, la présente proposition de loi ignore le code de la santé publique, qui impose l’organisation d’un débat public sous forme d’états généraux avant tout projet de réforme sur les questions bioéthiques. Notre discussion d’aujourd’hui ne constitue évidemment pas un tel débat public. Pour la première fois, le Parlement s’apprête donc à voter une loi de bioéthique sans consultation ni même information des citoyens.

Enfin, cette proposition de loi est immorale. Elle constitue une menace pour « le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie », qui est garanti par l’article 16 du code civil.

Il faut donc supprimer cette proposition de loi obsolète et antidémocratique, qui n’est pas fondée sur des considérations médicales ou scientifiques, mais idéologiques.

Mme Valérie Boyer. Cette proposition de loi propose un bouleversement majeur des conditions de la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires. Sans débat et sans raison, la majorité s’acharne, avec la complicité du Gouvernement, à détruire les principes fondateurs de notre société. Le respect de l’embryon humain, au cœur du droit bioéthique français, est aujourd’hui menacé. Faut-il rappeler qu’en vertu de l’article 16 du code civil, « la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie » ? Comme le relève Jürgen Habermas, l’autorisation de conduire des recherches sur l’embryon transforme la perception culturelle de la vie humaine.

Lors des révisions de la loi de bioéthique, en 2004 puis en 2011, le principe éthique essentiel d’interdiction de la recherche sur l’embryon avait été maintenu et réaffirmé, tout en étant assorti de dérogations ; c’était un compromis entre la reconnaissance de la dignité de l’embryon humain et la volonté de ne pas empêcher les avancées thérapeutiques rendues possibles par la recherche scientifique.

Le renversement au profit d’un principe d’autorisation est loin d’être anodin. La promotion de la recherche sur l’embryon ainsi opérée par la majorité socialiste et le Gouvernement, qui se fait sans organisation d’états généraux de la bioéthique pourtant imposés par la loi de 2011, est d’autant plus inacceptable que l’expertise scientifique a prouvé que les cellules souches non embryonnaires dépassent aujourd’hui les cellules souches embryonnaires.

En effet, les cellules souches adultes et issues du sang de cordon permettent d’ores et déjà de soigner des pathologies grâce à la thérapie cellulaire. En ce qui concerne la modélisation de pathologies et le criblage de molécules, les cellules souches iPS ont le même potentiel que les cellules souches embryonnaires.

Dès 1991, les travaux de l’équipe de Marie-Louise Labat, du CNRS, montraient la présence dans le sang d’une cellule souche capable de former différents tissus, vraisemblablement pluripotente. Récemment, en France également, l’équipe du professeur Luc Douay a obtenu des globules rouges à partir de cellules souches de sang de cordon ou de moelle osseuse. Les travaux des professeurs Yamanaka et Gordon, couronnés par le prix Nobel en 2012, prouvent à quel point la recherche sur les cellules embryonnaires est désormais supplantée par les cellules non-embryonnaires ; plus de vingt lignées ont été obtenues et un institut, l’iPS Core, créé à Harvard, leur est consacré. Les pathologies concernées sont la maladie de Parkinson, le diabète, la chorée de Huntington, la trisomie, la maladie de Gaucher, la dystrophie de Duchenne, pour n’en citer que quelques-unes.

Ces progrès extraordinaires concernant les cellules souches adultes ou induites et leurs possibles applications thérapeutiques, ou encore la vitrification des ovocytes autorisée depuis le 27 janvier 2011 et qui va enfin mettre un terme à la production d’embryons humains surnuméraires, sont totalement ignorés par cette proposition de loi passéiste. Force est de constater qu’il s’agit d’une démarche purement idéologique, qui fait courir de lourds risques de dérives et d’instrumentalisation.

Avant toute modification des conditions de la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires, et a fortiori avant d’opérer un tel bouleversement du principe d’interdiction, il fallait organiser un débat public ouvert à tous, sur le modèle des forums citoyens, comme le gouvernement précédent en avait organisé notamment à Marseille en 2009. Quant à la recherche sur les gamètes, leur conservation et la fécondation in vitro, son objectif doit être de permettre aux biologistes et aux gynécologues-obstétriciens d’évaluer les innovations susceptibles d’améliorer les résultats de l’assistance médicale à la procréation. L’Agence de la biomédecine doit conduire ces évaluations afin que ces innovations soient connues, reconnues et promues dans notre pays. Sans cela, légiférer sur les conditions de recherche sur l’embryon, en dehors de toute expertise sur les nouvelles techniques, n’a pas de sens. Vous agissez ici dans une grande précipitation idéologique.

Pour toutes ces raisons, je défends la suppression de l’article unique de cette proposition de loi.

Mme la rapporteure. Je suis évidemment défavorable à ces amendements.

J’ai déjà répondu sur les états généraux : ce raisonnement est erroné. J’ai déjà répondu aussi sur les cellules iPS : les deux types de recherches sont complémentaires, et non exclusifs l’un de l’autre. Il convient de les mener en parallèle, comme le fait d’ailleurs le professeur Yamanaka car pour travailler utilement sur les cellules iPS, il faut pouvoir les comparer aux cellules souches embryonnaires. La connaissance des propriétés et du potentiel thérapeutique des cellules iPS est encore très parcellaire. L’alternative est donc un faux débat, tous les scientifiques que nous avons auditionnés l’ont confirmé : il est dommage que vous n’ayez pas pu être présentes à ces auditions, mesdames.

S’il y a des embryons surnuméraires – dont la vitrification des ovocytes permettra sans doute de diminuer quelque peu le nombre –, ce n’est pas parce que la recherche en aurait besoin. Il faut savoir que les chercheurs de l’I-Stem par exemple travaillent depuis des années sur deux lignées seulement de cellules souches embryonnaires. Nul besoin d’embryons en très grand nombre !

Il y a sur ce sujet beaucoup de désinformation ; il est immoral de faire croire à nos concitoyens que la recherche sur les cellules souches embryonnaires s’apparente à la recherche sur le fœtus – confusion pourtant entretenue dans de nombreux courriers que nous recevons. Faut-il rappeler par ailleurs que la recherche sur le fœtus est autorisée ?

Le texte que nous proposons assure le respect et la dignité des embryons.

M. Jean-Louis Touraine. Madame Boyer, je vous félicite de votre modération et de votre sens de la nuance lorsque vous nous accusez « de nous acharner, avec la complicité du Gouvernement, à détruire les principes fondateurs de notre société » !

Prétendre que les cellules iPS peuvent remplacer les cellules souches embryonnaires est faux sur le plan scientifique ; et l’utilisation de ces cellules iPS, susceptibles d’évoluer en cellules cancéreuses du fait de la modification génétique qu’elles ont subie mais aussi de se différencier en gamètes, pose encore plus de problèmes éthiques que celle des cellules souches embryonnaires. Ces recherches sont toutes deux indispensables et porteuses d’espoirs ; simplement, leurs applications, tant pour la recherche que pour la thérapeutique, ne seront pas les mêmes.

Quant à la vitrification des ovocytes, elle ne diminuera en réalité que légèrement le nombre d’embryons surnuméraires : au lieu d’en détruire plusieurs dizaines de milliers par an, on n’en détruira peut-être qu’une dizaine de milliers… De plus, la recherche n’a effectivement pas besoin de nombreuses lignées, puisque ces cellules ont une capacité de renouvellement et de multiplication infinie.

Il faut savoir également qu’il existe des lignées de cellules souches provenant d’embryons porteurs d’une maladie génétique et écartés après un diagnostic pré-implantatoire. Ces lignées permettront d’étudier les affections en question, ce que ne permettent pas les cellules iPS. Nous pouvons ainsi espérer faire disparaître de nombreuses maladies génétiques.

L’avancée proposée par ce texte est logique. Je peux comprendre que l’on ait commencé par un régime d’interdiction assorti de dérogations : plusieurs années de pratique ont montré qu’il n’y avait pas de dérives. Nous sommes donc rassurés. Il est grand temps de franchir un pas supplémentaire et de passer à un régime d’autorisation.

M. Gérard Bapt. Madame Besse, il y a pour vous quelque paradoxe à vous recommander du professeur Yamanaka car il travaille sur les cellules iPS, mais aussi sur les cellules souches embryonnaires !

Vous nous parlez de morale et de menace pour le respect de la vie humaine dès son commencement, relançant un débat sur le statut de l’embryon ; mais le respect de la vie est-il mieux assuré lorsque les embryons sont détruits, ou lorsqu’ils servent à une recherche qui permettra, ensuite, de préserver la vie humaine ?

M. Jean Leonetti. L’argument selon lequel les dérogations accordées n’ont pas conduit à des dérives est à double tranchant : on pourrait donc aussi plaider pour laisser en place un système qui a bien fonctionné.

Il existe des arguments scientifiques de part et d’autre. Ces sujets sont complexes. Nul ne parle de tout interdire ou de tout autoriser. Le débat éthique est par nature très difficile.

Vous avez raison, madame la rapporteure, la loi de bioéthique n’est pas une loi organique. Nous n’avons pas voulu qu’elle le soit, nous n’étions pas si sûrs de nous et après un an et demi de débats, nous légiférions encore d’une main tremblante. Mais, parce que l’organisation d’états généraux n’est pas constitutionnellement nécessaire, en devient-elle moralement ou démocratiquement inutile ? Les règles seraient-elles différentes pour la droite et pour la gauche ? Au motif qu’elle détiendrait la morale, la gauche peut-elle s’affranchir d’un débat démocratique, des états généraux, des avis scientifiques, des auditions télévisées, de la consultation des citoyens ?

Avez-vous moralement raison parce que vous êtes politiquement majoritaires ?

Sur ces sujets essentiels, qui touchent à la conception de l’homme, de son avenir et de sa dignité, ne serait-il pas utile de réfléchir ensemble, et de nous demander ensemble si la loi est, sur certains points, trop restrictive ou au contraire trop permissive ? Vous ne semblez pas le penser et modifiez notre législation subrepticement, avec une petite proposition de loi, parce qu’un texte d’initiative parlementaire n’oblige pas à organiser d’états généraux. Je regrette vraiment que vous n’ayez pas fait preuve d’assez d’ouverture d’esprit pour ouvrir un débat, chercher à surmonter les clivages et accepter le doute collectif comme un élément de progression – nous l’avions fait, nous, en 2011, en désignant par exemple Alain Claeys président de la commission spéciale.

C’est pour cette raison essentiellement que notre groupe votera contre cette proposition de loi. Nous serions pourtant capables de réfléchir avec vous sur la recherche sur l’embryon et sur ce qui est préférable pour l’Humanité. Seulement vous souhaitez nous écarter du débat parce que vous nous considérez comme ridicules et ringards.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Jacqueline Fraysse s’est déjà expliquée sur son usage de ces termes.

De plus, l’autorisation de la recherche sur les cellules souches embryonnaires était un engagement de campagne du Président de la République.

Mme la rapporteure. Le problème du régime actuel, monsieur Leonetti, c’est le grand nombre de recours en justice doublé d’une certaine hypocrisie. Quant au débat, il a bien eu lieu : les citoyens ont été consultés en 2009. Alain Claeys, que vous citez, n’approuvait pas le texte de 2011 sur ce point.

Celui que nous proposons aujourd’hui n’est ni de gauche, ni de droite. C’est un texte de 2013.

M. Jean Leonetti. Ce que vous dites est faux ! Le forum citoyen de Marseille, auquel Valérie Boyer et moi avons assisté, n’a pas conclu comme vous le prétendez. Ne caricaturez pas des positions qui étaient beaucoup plus modérées et nuancées que vous ne le prétendez.

Mme la rapporteure. J’ai le texte sous les yeux : « Les citoyens ont ainsi voulu mettre en exergue la question spécifique de la recherche portant sur l’embryon destiné à naître, qui selon eux doit bénéficier d’un statut protecteur. Il leur est apparu en revanche que les embryons voués à la destruction en l’absence de projet parental pouvaient être utilisés, sous certaines conditions, à des fins de recherche. »

M. Jean Leonetti. Eh bien, ce n’est pas une approbation !

Mme la présidente Catherine Lemorton. Monsieur Leonetti, je ne suis pas sûre de comprendre votre position… On ne passe jamais outre la décision du couple dont est issu l’embryon, de toute façon.

M. Jean Leonetti. J’appelle l’attention de tous les députés présents sur le fait que ces sujets sont complexes, qu’il faut accepter le doute, et qu’il faut bien réfléchir avant toute décision : qu’est-ce un embryon, si ce n’est un être humain en devenir ?

Nous aurions pu faire ce chemin ensemble : lorsque nous étions au pouvoir, nous avons débattu pendant un an et demi, et avons associé l’opposition. Pourquoi faire un texte de gauche, quand nous aurions pu voter un texte beaucoup plus global ?

La Commission rejette les amendements de suppression AS 1 et AS 2.

Elle adopte ensuite l’article unique de la proposition de loi sans modification.

En conséquence, la proposition de loi est adoptée sans modification.

*

* *

En conséquence, la Commission des affaires sociales demande à l’Assemblée nationale d’adopter la présente proposition de loi dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.

TABLEAU COMPARATIF

___

Dispositions en vigueur

___

Texte adopté par le Sénat

___

Texte de la Commission

___

 

Proposition de loi tendant à modifier la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011
relative à la bioéthique en autorisant sous certaines conditions la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires

Proposition de loi tendant à modifier la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011
relative à la bioéthique en autorisant sous certaines conditions la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires

     

Code de la santé publique

Article unique

Article unique

 

L’article L. 2151-5 du code de la santé publique est ainsi rédigé :

Sans modification

     

« Art. L. 2151-5. – I. – La recherche sur l’embryon humain, les cellules souches embryonnaires et les lignées de cellules souches est interdite.

II. – Par dérogation au I, la recherche est autorisée si les conditions suivantes sont réunies :

« Art. L. 2151-5. – I. – Aucune recherche sur l’embryon humain ni sur les cellules souches embryonnaires ne peut être entreprise sans autorisation. Un protocole de recherche conduit sur un embryon humain ou sur des cellules souches embryonnaires issues d’un embryon humain ne peut être autorisé que si :

 
     

1° La pertinence scientifique du projet de recherche est établie ;

« 1° La pertinence scientifique de la recherche est établie ;

 
     

2° La recherche est susceptible de permettre des progrès médicaux majeurs ;

« 2° La recherche, fondamentale ou appliquée, s’inscrit dans une finalité médicale ;

 
     

3° Il est expressément établi qu’il est impossible de parvenir au résultat escompté par le biais d'une recherche ne recourant pas à des embryons humains, des cellules souches embryonnaires ou des lignées de cellules souches ;

« 3° En l’état des connaissances scientifiques, cette recherche ne peut être menée sans recourir à ces embryons ou ces cellules souches embryonnaires ;

 
     

4° Le projet de recherche et les conditions de mise en œuvre du protocole respectent les principes éthiques relatifs à la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires.

Les recherches alternatives à celles sur l’embryon humain et conformes à l’éthique doivent être favorisées.

« 4° Le projet et les conditions de mise en œuvre du protocole respectent les principes éthiques relatifs à la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires.

 
     

III. – Une recherche ne peut être menée qu’à partir d'embryons conçus in vitro dans le cadre d'une assistance médicale à la procréation et qui ne font plus l’objet d'un projet parental. La recherche ne peut être effectuée qu’avec le consentement écrit préalable du couple dont les embryons sont issus, ou du membre survivant de ce couple, par ailleurs dûment informés des possibilités d’accueil des embryons par un autre couple ou d’arrêt de leur conservation. Dans le cas où le couple ou le membre survivant du couple consent à ce que ses embryons surnuméraires fassent l’objet de recherches, il est informé de la nature des recherches projetées afin de lui permettre de donner un consentement libre et éclairé. À l’exception des situations mentionnées au dernier alinéa de l’article L. 2131-4 et au troisième alinéa de l’article L. 2141-3, le consentement doit être confirmé à l’issue d’un délai de réflexion de trois mois. Dans tous les cas, le consentement des deux membres du couple ou du membre survivant du couple est révocable sans motif tant que les recherches n’ont pas débuté.

« II. – Une recherche ne peut être menée qu’à partir d’embryons conçus in vitro dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation et qui ne font plus l’objet d’un projet parental. La recherche ne peut être effectuée qu’avec le consentement écrit préalable du couple dont les embryons sont issus, ou du membre survivant de ce couple, par ailleurs dûment informés des possibilités d’accueil des embryons par un autre couple ou d’arrêt de leur conservation. À l’exception des situations mentionnées au dernier alinéa de l’article L. 2131-4 et au troisième alinéa de l’article L. 2141-3, le consentement doit être confirmé à l’issue d’un délai de réflexion de trois mois. Le consentement des deux membres du couple ou du membre survivant du couple est révocable sans motif tant que les recherches n’ont pas débuté.

 
     

IV. – Les protocoles de recherche sont autorisés par l’Agence de la biomédecine après vérification que les conditions posées aux II et III du présent article sont satisfaites. La décision motivée de l’agence, assortie de l’avis également motivé du conseil d’orientation, est communiquée aux ministres chargés de la santé et de la recherche qui peuvent, lorsque la décision autorise un protocole, interdire ou suspendre la réalisation de ce protocole si une ou plusieurs des conditions posées aux II et III ne sont pas satisfaites.

« III. – Les protocoles de recherche sont autorisés par l’Agence de la biomédecine après vérification que les conditions posées au I du présent article sont satisfaites. La décision de l’agence, assortie de l’avis du conseil d’orientation, est communiquée aux ministres chargés de la santé et de la recherche qui peuvent, dans un délai d’un mois et conjointement, demander un nouvel examen du dossier ayant servi de fondement à la décision :

 
     
 

« 1° En cas de doute sur le respect des principes éthiques ou sur la pertinence scientifique d’un protocole autorisé. L’agence procède à ce nouvel examen dans un délai de trente jours. En cas de confirmation de la décision, la validation du protocole est réputée acquise ;

 
     
 

« 2° Dans l’intérêt de la santé publique ou de la recherche scientifique, lorsque le protocole a été refusé. L’agence procède à ce nouvel examen dans un délai de trente jours. En cas de confirmation de la décision, le refus du protocole est réputé acquis.

 
     

En cas de violation des prescriptions législatives et réglementaires ou de celles fixées par l’autorisation, l’agence suspend l’autorisation de la recherche ou la retire. Les ministres chargés de la santé et de la recherche peuvent, en cas de refus d’un protocole de recherche par l’agence, demander à celle-ci, dans l’intérêt de la santé publique ou de la recherche scientifique, de procéder dans un délai de trente jours à un nouvel examen du dossier ayant servi de fondement à la décision.

« En cas de violation des prescriptions législatives et réglementaires ou de celles fixées par l’autorisation, l’agence suspend l’autorisation de la recherche ou la retire. L’agence diligente des inspections comprenant un ou des experts n’ayant aucun lien avec l’équipe de recherche dans les conditions fixées à l’article L. 1418-2.

 
     

V. – Les embryons sur lesquels une recherche a été conduite ne peuvent être transférés à des fins de gestation.

« IV. – Les embryons sur lesquels une recherche a été conduite ne peuvent être transférés à des fins de gestation.

 
     

VI. – À titre exceptionnel, des études sur les embryons visant notamment à développer les soins au bénéfice de l’embryon et à améliorer les techniques d’assistance médicale à la procréation ne portant pas atteinte à l’embryon peuvent être conduites avant et après leur transfert à des fins de gestation si le couple y consent, dans les conditions fixées au IV.

« V. – (Supprimé)

 

AMENDEMENTS EXAMINÉS PAR LA COMMISSION

Amendement AS 1 présenté par Mme Véronique Besse

Article unique

Supprimer cet article.

Amendement AS 2 présenté par Mme Valérie Boyer

Article unique

Supprimer cet article.

ANNEXE :
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

(par ordre chronologique)

Ø Agence de la biomédecine – Mme Emmanuelle Prada-Bordenave, directrice générale

Ø M. Philippe Menasché, professeur de chirurgie cardio-vasculaire, directeur d’une unité de recherches à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale dédiée à la thérapie cellulaire en pathologie cardio-vasculaire à l’hôpital européen Georges Pompidou

Ø M. Alain Privat, biologiste, professeur en neurobiologie à l’Université de Bilbao

Ø Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) – M. Jean-Claude Ameisen, président

Ø M. Axel Kahn, généticien, médecin, président honoraire de l’université Paris V Descartes

Ø Institut de la vision – M. José-Alain Sahel, directeur

Ø Institut Curie – M. Claude Huriet, président

Ø M. Pierre Jouannet, professeur de médecine, biologique de la reproduction, membre de l’Académie nationale de médecine

Ø M. René Frydman, professeur des universités, consultant au service de gynécologie-obstétrique et médecine de la reproduction à l’Hôpital Foch, membre de la Commission nationale de la naissance

Ø M. Marc Peschanski, docteur en neurosciences, directeur de recherches à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM)

Ø Mme Cécile Martinat, chercheur à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM)

© Assemblée nationale

1 () Rapport n° 2911 fait au nom de la Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique par M. Jean Leonetti.

2 () Étude du Conseil d’État, « La révision des lois de bioéthique » (Étude adoptée par l’assemblée générale plénière le 9 avril 2009).

3 () J. Thomson and al., « Embryonic stem cell lines derived from human blastocysts », Science 1998; 282: 1145-1147.

4 () Les cellules souches multipotentes sont à l’origine de plusieurs types de cellules différenciées.

5 () Les cellules souches pluripotentes ont vocation à former tous les tissus de l’organisme mais ne peuvent aboutir à la création d’un individu complet.

6 () Les cellules souches totipotentes sont les cellules de l’embryon pendant les premières divisions de l’ovule fécondé qui peuvent conduire au développement d’un être humain.

7 () Le criblage de génomique fonctionnelle consiste à induire la surexpression ou, au contraire, l’extinction de certains gènes dans une cellule. Cette technique permet d’analyser la quasi-totalité des gènes présents dans un noyau cellulaire, en utilisant certaines molécules capables de moduler leur action. Le criblage pharmacologique vise, quant à lui, à étudier l’effet de composés chimiques sur le développement de cellules normales ou pathologiques.

8 () Réflexions sur la loi bioéthique, sous la direction de François Terré et Catherine Puigelier, Académie des sciences morales et politiques, éditions Mare et Martin, 2012.

9 () D. Vigneau, Les dispositions de la loi « bioéthique » du 7 juillet 2011 relatives à l’embryon et au fœtus humain, Recueil Dalloz 2011 p. 2224.

10 () « Une réflexion éthique sur la recherche sur les cellules d’origine embryonnaire humaine, et la recherche sur l’embryon humain in vitro », 21 octobre 2010.

11 () Arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris, 3ème chambre, 10 mai 2012.

12 () O. Guillod, « Implications juridiques de certains progrès scientifiques dans le domaine de la procréation et du génie génétique. Aspects du droit de la personnalité. », La semaine judiciaire, 108, 1986.

13 () A. Fagot-Largeault, Médecine et philosophie, Paris, PUF, 2010.

14 () Loi relative au don et à l'utilisation des éléments et produits du corps humain, à l'assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal.

15 () Étude du Conseil d’État, « La révision des lois de bioéthique » (Étude adoptée par l’assemblée générale plénière le 9 avril 2009).

16 () « Une réflexion éthique sur la recherche sur les cellules d’origine embryonnaire humaine, et la recherche sur l’embryon humain in vitro », 21 octobre 2010.

17 () Tirant les conséquences de la réalité des protocoles autorisés, l’agence peut prendre des mesure de retrait d’autorisation : projet non démarré ou abandonné avant la mise en œuvre des recherches, responsable admis à la retraite, laboratoire fermé …

18 () Dispositif transitoire reposant sur un comité ad hoc (compétence des ministres chargés de la santé et de la recherche).

19 () En 2009, l’agence a mis en place un dispositif de prorogation des autorisations pour les protocoles qui n’ont pu être menés à leur terme pendant la durée de l’autorisation. La prorogation d’une autorisation concerne les équipes dont le démarrage effectif de la recherche a été différé par rapport à la date de délivrance de l’autorisation, en raison d’un retard de financement ou d’importation des lignées de cellules. Une procédure particulière évite aux équipes de constituer un dossier de demande de renouvellement qui aurait nécessité une nouvelle instruction complète. Les dossiers de prorogation ne sont pas examinés par le collège d’experts. En revanche, le conseil d’orientation rend un avis sur toutes les demandes de prorogation.